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Chapitre II : Eléments d’histoire 52 Cadre théorique et méthodologie

Chapitre II

ELEMENTS D’HISTOIRE

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 53 Cadre théorique et méthodologie

Chapitre II :

ELEMENTS D’HISTOIRE

I- Des balbutiements à nos jours.

Le système d’enseignement du Sénégal, tel qu’il se présente aujourd’hui, est l’héritier du passé
colonial avec lequel il n’a pas su ou n’a pas pu ou voulu rompre. A l’exception de timides innovations, ni
l’indépendance de 1960, ni les exigences du développement socio-économique et culturel, ni les progrès
scientifiques et technologiques, n’ont été saisis comme des occasions de procéder à des réformes. Tout se
passe comme si tout un peuple se repliait sur le souvenir d’un passé encore récent (ici et là entaché de
regret), se complaît dans l’évocation de l’école d’hier qui apprenait à lire, écrire et compter. Il donne
l’impression de rechercher avec la force du désespoir à revenir à l’époque où le Sénégal et son système
d’enseignement paraissaient être les fleurons, sinon les modèles, en Afrique francophone (ou dans le
système colonial français).
La nostalgie du passé est un des grands handicaps de l’enseignement au Sénégal.

1.1- la gestation : enseignement mutuel et enseignement primaire


L’Ecole Sénégalaise a presque deux siècles d’existence.
En août 1816 le Ministre de la Marine et des Colonies de la France prenait la décision d’envoyer au
Sénégal l’instituteur Jean Dard, pour y donner un enseignement selon la méthode «Bell et Lancaster» (1).
Le 7 mars 1817 s’ouvrait à Saint-Louis du Sénégal la première école.
Malgré l’essai d’adaptation de Jean Dard qui avait conçu une approche pédagogique bilingue
wolof-française (2), le français s’imposera comme la langue d’enseignement. Selon l’ancien inspecteur
général Charton, ce choix se justifie car «les colonies d’Afrique Noire ‘n’ont pas, comme en Indochine ou
en Algérie, une langue de civilisation, inspiratrice de culture et d’éducation’. En d’autres termes,
‘l’Afrique Noire est un chaos linguistique’» (3).

1
- GAUCHER, Joseph (1968). Les débuts de l'enseignement en Afrique Francophone. Jean Dard et l'école mutuelle de Saint-
Louis du Sénégal. Paris : Le Livre Africain 1968, cf p. 8. Selon Joseph GAUCHER p. 7 : "l'enseignement mutuel, qui avait
l'ambition de permettre à une école tout entière de s'instruire elle-même sous la surveillance d'un seul maître, s'inscrit dans le
courant pédagogique français dont il fut une étape et qu'il a marqué d'une certaine empreinte. Ce procédé pédagogique est à
vrai dire d'un usage fort ancien... En 1688, Charles Demia, qui se consacre à l'éducation des enfants pauvres dans la seconde
moitié du XVII siècle, décrit cette technique pédagogique dans ses "Règlements pour l'école de la ville et diocèse de Lyon" et
introduit dans les classes ce que l'on appellera plus tard "l'enseignement mutuel". En 1747, c'est l'instituteur Herbault qui,
dans son école de l'Hospice de la Pitié, à Paris, faubourg Victor, applique sans encore le nommer ainsi, l'enseignement
mutuel. Dans cette école, plus de cent élèves étaient tenus par les élèves de la première, seule classe dans laquelle
l'enseignement était donné exclusivement par l'instituteur Herbault lui-même. Cette classe était composée des élèves tous
issus des classes inférieures. Mais c'est en 1815 que l'enseignement mutuel est officiellement introduit en France et qu'il
provoque tout de suite des prises de position passionnées. On le critique et on le loue."
2
- Sur l'essai d'adaptation de Jean Dard, ses travaux linguistiques et la publication des dictionnaires Wolof-Français
Bambara, voir GAUCHER, Joseph (1968), op. cit., pp. 54-73.
3
- Cité par Antoine LEON (1991) : Colonisation, enseignement et éducation. Etude historique et comparative. Paris : Editions
de l'Harmattan 1991, p. 277.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 54 Cadre théorique et méthodologie

(4)
Entre 1816 et 1841, l’école mutuelle de Saint-Louis aurait connu des bonheurs divers, une sorte
de lente et pénible évolution faite de tâtonnements.
En 1841, «pour remédier à la dégradation de l’enseignement donné par l’Ecole Mutuelle, les
notables de Saint-Louis et le Gouverneur estimèrent que l’enseignement devait être confié à des religieux
et ils en firent part au Ministre de la Marine. Celui-ci se mit en relation avec M. de la Mennais, Supérieur
Général des Frères de l’Instruction Chrétienne dits Frères de Ploërmel» (5).
Par la suite, de façon presque ininterrompue, l’enseignement restait aux mains de l’Eglise (de 1841
à 1903). «Certes, les frères avaient été demandés pour donner une instruction profane, mais ils avaient été
envoyés par M. de la Mennais pour répandre avant tout la Science de Jésus-Christ» (6) dans une région en
majorité musulmane.
Car, malgré les péripéties, «l’administration coloniale paraît adopter, à l’égard de l’Islam, une
attitude plus fluctuante en Afrique Noire qu’en Algérie. Selon J.-R. de Benoist, elle favorise l’Islam
lorsque celui-ci est un allié de sa politique et le combat lorsqu’elle y voit une menace. Dans la mesure où la
religion musulmane est considérée, par rapport au fétichisme, comme une étape vers la civilisation,
l’administration pratique, durant la conquête, une politique pro-islamique. Mais, quand les marabouts
expriment leur xénophobie, elle n’hésite pas à les réprimer» (7).
Aussi en 1855, en arrivant au Sénégal comme Gouverneur de la Colonie, Louis Faidherbe tentera-t-
il d’obtenir une école pour les musulmans. Il jetait alors les bases de l’enseignement laïc. Cependant, la
colonisation n’étant pas une oeuvre de charité, Faidherbe cherchera avant tout à consolider la colonisation
militaire par une domination et une aliénation culturelles dont la langue française serait le ciment.
La première école laïque a été créée à Saint-Louis en 1857. Des expériences similaires avaient été
tentées dans l’arrière pays (en brousse) avec moins de succès. Face à la résistance des populations
musulmanes, Faidherbe créait l’Ecole des Otages au nom significatif (8).

4
- L'Ecole Mutuelle avait connu une existence tumultueuse. Jean Dard quittait le Sénégal en 1820, y revenait en 1832 un an
avant sa mort sur sa terre d'accueil. Il sera remplacé tour à tour par des instituteurs de métier ou non, parmi lesquels des
militaires. L'école sera supprimée en 1841. Sur les difficultés de l'Ecole Mutuelle, voir Joseph GAUCHER (1968) et Hervé de
LAUTURE et col. (1981).
5
- LAUTURE, Hervé de, DORIA-HUSSER, Michèle (1981). Réflexions sur l'histoire de l'enseignement au Sénégal. Intérêt
pédagogique actuel. Dakar : Juillet 1981. Publication ayant fait l'objet d'un DEA en Sciences du comportement et de
l'éducation à l'Université de Toulouse le Mirail en septembre 1980. Brochure publiée par les auteurs, cf p. 23.
6
- LAUTURE, Hervé de, DORIA-HUSSER, Michèle (1981), op. cit., p. 29.
7
- Antoine LEON (1991), ibid., pp 267/268;
8
-(a) "Que faut-il entendre par otages ? En fait, c'étaient des jeunes gens confiés par des chefs de pays amis ou conquis pour
recevoir une éducation française et ils étaient considérés comme une preuve d'accord loyal entre les deux parties", voir
LAUTURE, Hervé de et col., op. cit., p. 37.
(b) L'Ecole des Fils de Chefs et Interprètes ou Ecole des Otages (1856-1871, 1892-1903) créée par Faidherbe Gouverneur de
la Colonie du Sénégal avait entre autres objectifs : "(...) Il faut, autant que possible, qu'ils (ces enfants) nous prennent en
affection et que leur instruction soit poussée plus vite qu'elle ne peut l'être dans une école où il y a un grand nombre d'élèves
et où, n'étant pas chrétiens, ils sont vus avec défaveur (...)". Lettre du Gouverneur Faidherbe au Ministre, n° 23 janvier 1856,
Archives Nationales Section Outre Mer : ANSOM S X 5c, cité par LAUTURE, Hervé de et col. (1981), p. 38.

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La résistance et l’opposition des populations musulmanes à la scolarisation de leurs enfants


s’expliquent par les nombreux antagonismes économiques et culturels entre les colonisés et les
colonisateurs. En effet, la pénétration coloniale était souvent accompagnée de la confrontation entre le
Christianisme et l’Islam ou les religions traditionnelles. L’enseignement, c’est-à-dire l’implantation de
nouvelles écoles, arrivait avec les missionnaires et les fusils. Les langues africaines étaient considérées
comme des langues vernaculaires (9).
Dans ce contexte général d’opposition souvent armée, l’enseignement laï, tel qu’il était conçu par
Faidherbe, devait contribuer à consolider la pénétration coloniale française en Afrique Noire et au Sénégal.
Selon l’historien Jean SURET-CANALE, «l’enseignement laïc fut introduit par Faidherbe au Sénégal en
1854, dans le but d’attirer les musulmans, majoritaires à Saint-Louis et qui généralement refusaient de
confier leurs enfants aux prêtres. Dans le même but politique, il créait alors l’Ecole des otages, destinée à
former les fils des chefs vassaux ou soumis dans l’esprit favorable à la France. Après dix-huit ans
d’existence (1854-1872), elle fut supprimée pour raisons budgétaires» (10). Il faudra attendre le XXé Siècle
pour une véritable organisation du système éducatif colonial. «Le Sénégal (y) occupe une position
privilégiée et rassemble les principales formations post-primaires, en raison du rôle joué par Dakar, en tant
que capitale de la Fédération de l’A.O.F.» (11).
Les dispositions réglementaires indispensables à l’érection d’un système éducatif plus cohérent et
mieux adapté au dessein colonial seront prises en 1903 par le gouverneur général Roume. Ainsi, «conduit
pour la première fois à s’occuper des choses de l’enseignement, le gouvernement général de l’A.O.F., par
trois arrêtés du 24 novembre 1903, institua un système scolaire qui devait durer, à quelques détails près,
aussi longtemps que le régime colonial lui-même» (12).
Le système éducatif ainsi instauré comprenait principalement :
a- l’enseignement primaire élémentaire avec des écoles régionales préparant au Certificat d’Etudes
Primaires Elémentaires (CEPE) local et des écoles urbaines préparant en plus au CEPE selon les
programmes français;
b- l’enseignement professionnel
c- l’enseignement primaire supérieur et commercial qui recrutait après le CEPE;
d- une école normale à Saint-Louis, avec une section normale pour les instituteurs et une section
administrative pour former des interprètes et des chefs (13).

Le système éducatif actuel du Sénégal perpétue le système hérité de l’époque coloniale. En réalité,
le Territoire du Sénégal avait bénéficié très tôt d’un statut privilégié qui s’était traduit par une politique
d’assimilation culturelle, tout au moins pour ce qui relève de l’enseignement.

9
- Antoine LEON (1991), op. cit., p. 277.
10
- SURET-CANALE, Jean (1977). Afrique Noire. L'ère coloniale 1900-1945. Paris : Editions Sociale 1977.CF p 464.
11
- Antoine LEON (1991), op. cit., p. 277.
12
- Jean SURET-CANALE (1977), op. cit., p. 466.
13
- Jean SURET-CANALE (1977), op. cit., pp. 466-467.

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Chapitre II : Eléments d’histoire 56 Cadre théorique et méthodologie

1.2- l’enseignement secondaire


Sous le régime colonial, l’enseignement secondaire (14) semble avoir connu, à ses débuts, les mêmes
tâtonnements et les mêmes hésitations que l’enseignement primaire. En effet, dès la création de l’école
mutuelle, les notables de Saint-Louis (Européens ou mulâtres) réclamaient des collèges. Les raisons
évoquées pour justifier leur requête tenaient principalement à des facteurs économiques : les candidats aux
études post-primaires devaient se rendre en France aux frais de leurs familles ou de l’administration. Celle-
ci consentait des bourses d’études hors du Sénégal. Mais le système était trop onéreux et, peut-être, peu
efficace. Pour ces raisons, il a été plusieurs fois supprimé.
Face à la demande et aux revendications des notables, plusieurs projets visant la création de
collèges à Saint-Louis ont été envisagés dont aucun n’a été réellement suivi d’effet. Parmi les projets, les
plus importants auraient été celui de Briquelier élaboré en 1823, et celui de Ballin en 1830 (15).
Cependant, en 1843, sous l’instigation de jeunes prêtres indigènes revenant de France (voir plus
bas la note 20 sur la Mère Supérieure Javouhey), comme l’Abbé Boilat, Fridoil et Moussa, un collège
était ouvert à Saint-Louis ; il sera supprimé en 1849.
D’une manière générale, pendant tout le XIXè siècle, comme pour l’enseignement mutuel, ce qui
tenait lieu d’enseignement secondaire était confié aux missionnaires.
Enfin, en 1889 était ouvert à Saint-Louis un cours secondaire qui comprenait quatre années
d’études. Malgré des résultats satisfaisants, il sera fermé en 1903 «accusé d’avoir formé des déclassés» (16),
c’est-à-dire des déracinés ou acculturés.
Ce n’est qu’au début du XXè Siècle, avec la réorganisation des colonies françaises d’Afrique en
fédérations, que l’enseignement secondaire connaissait un réel début d’organisation. Sous la responsabilité
du Gouverneur Général de l’A.O.F., un tournant important était amorcé. La laïcité prenait le pas sur
l’enseignement confessionnel et profitait à l’enseignement secondaire qui reprenait de l’essor en 1910. Des
cours complémentaires étaient créés à Saint-Louis et à Dakar (en 1917). Ils seront quelques années plus
tard érigés en Lycées. Le Lycée Van Vollenhoven de Dakar «bâti en terre d’Afrique (en 1925), reçoit une
clientèle surtout européenne. Les effectifs du second, appelé Lycée Faidherbe (à Saint-Louis), sont fournis
par des indigènes dans la proportion des deux tiers» (17). (Vers 1985, le Lycée Faidherbe a été rebaptisé
Lycée Oumar F. Tall ; le Lycée Van Vollenhoven devenait Lycée Lamine Gueye.)
«Les études secondaires sont sanctionnées, dans les deux établissements, par le ‘Brevet de capacité
colonial correspondant au baccalauréat’. Les titulaires de ce diplôme peuvent devenir instituteurs ou
commis dans les différents services administratifs ou judiciaires d’A.O.F.» (18).

14
- Sur l'enseignement secondaire, voir Jean SURET-CANALE (1977), op. cit., p. 466 et ss. Voir aussi Hervé de LAUTURE
et col. (1981), op. cit., pp. 40/43, 47/49 et 62/63.
15
- Voir LAUTURE, Hervé de, DORIA-HUSSER, Michèle (1981), op. cit., pp 40-43.
16
-LAUTURE, Hervé de, DORIA-HUSSER, Michèle (1981), op. cit., p. 43.
17
- Antoine LEON (1991), op. cit., p 279.
18
- Antoine LEON (1991), op. cit., p 279.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 57 Cadre théorique et méthodologie

En plus des deux lycées, sous l’instigation de Georges Hardy, inspecteur de l’enseignement en
A.O.F. entre 1912 et 1919, il était créé, à côté de l’enseignement secondaire général, un Enseignement
Professionnel Supérieur, regroupant :
• l’Ecole Normale de Saint-Louis (devenue par la suite Ecole Normale William Ponty),
• l’Ecole Supérieure Professionnelle de Dakar,
• et l’Ecole Professionnelle Supérieure Commerciale de Saint-Louis.

Dans l’esprit des pères fondateurs, l’Ecole de médecine, créée à Dakar en 1918 appartenait à cet
ensemble comme en attestent les mutations de l’Ecole normale de Saint-Louis. «Au terme d’une série de
réorganisations et de transferts, l’Ecole William Ponty, installée à Gorée, désigne en 1933, un
établissement polyvalent, formé de trois sections : l’enseignement, l’administration et la médecine.
Considérée comme la ‘clé de voûte de notre système d’éducation indigène’, l’Ecole William Ponty a pour
vocation de former ‘les auxiliaires qualifiés dont nous avons besoin’ et de réaliser une culture franco-
africaine grâce à la création, entre autres, d’un théâtre d’Afrique Noire» (19).
Un des plus prestigieux établissements de formation hors de la France, l’Ecole Normale William
Ponty marquait les débuts de l’enseignement post-secondaire en Afrique Noire.

1.3- L’enseignement supérieur :


1°/- Les balbutiements (les boursiers en France...)
A bien des égards, l’enseignement supérieur avait débuté en Afrique, particulièrement au Sénégal,
sous des formes déguisées, sans en prendre l’appellation.
En effet, dès 1825, sous l’égide de l’église, un système de bourses d’études en France était instauré.
Il s’agissait de créer, selon la mère Javouhey (20) , son instigatrice, un «Séminaire de jeunes Noirs en
France, pour qu’ils deviennent des instituteurs ou qu’ils entrent dans les ordres, et en faire admettre aux
Arts et Métiers de Toulouse pour qu’ils apprennent les métiers techniques» (21). Des élèves boursiers
originaires du Sénégal allaient poursuivre leurs études en France, en Algérie ou en Tunisie. Les bourses
permettaient de poursuivre des études secondaires ou supérieures plus particulièrement en Droit. Les
filières ainsi choisies au cours de cette période pourraient justifier l’engouement certain des jeunes
Africains pour les Lettres et le Droit.

19
- Antoine LEON (1991), op. cit., p 279.
20
- La Mère Supérieure Générale Anne-Marie Javouhey, fondatrice de la Congrégation des Soeurs de Saint Joseph de Cluny,
avait séjourné au Sénégal de mars 1822 à mars 1824. Selon SURET-CANALE (1977, p. 464 note 1). Grâce au système des
bourses, elle "avait envoyé en France plusieurs jeunes Sénégalais dont trois (Boilat, Fridoil et Moussa) devinrent des prêtres.
A leur retour, on tenta de leur confier une école secondaire à Saint-Louis. Ils rencontrèrent de tels obstacles qu'ils durent
finalement quitter leur pays".
21
- LAUTURE, Hervé de, DORIA-HUSSER, Michèle (1981). Réflexions sur l'histoire de l'enseignement au Sénégal. Intérêt
pédagogique actuel. Dakar : Juillet 1981, voir p. 15.

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Chapitre II : Eléments d’histoire 58 Cadre théorique et méthodologie

Ce système de bourses d’études secondaires et supérieures hors du Sénégal prévaudra jusqu’à la fin
de la Deuxième Guerre. Les élèves des Lycées Faidherbe de Saint-Louis et Van Vollenhoven de Dakar en
ont beaucoup bénéficié. (L’engouement actuel des jeunes Sénégalais pour des études hors de leur pays ne
pourrait-il pas trouver dans cette pratique coloniale quelques-unes de ses justifications ?)
Mais, dès la fin de la Seconde Guerre, le Lycée Van Vollenhoven de Dakar abritait des cours
supérieurs de sciences et de lettres.

2°/- L’école de médecine et la création de l’Université de Dakar.


La première institution d’enseignement supérieur digne de ce nom, créée en Afrique Noire, a été
l’Ecole de Médecine de Dakar.
Fondée en 1918, l’Ecole de Médecine de Dakar avait pour mission de former des auxiliaires
médicaux. Elle a été érigée en Ecole Mixte de Médecine et de Pharmacie en 1952 et rattachée à la faculté
de Médecine et Pharmacie de Bordeaux qui la parrainait.
«Jusqu’en 1950, année de la création de l’Institut des Hautes Etudes de Dakar, les lycéens devaient
se rendre en métropole pour entreprendre des études universitaires. Ils peuvent désormais suivre à Dakar
des cours supérieurs de droit, de lettres, de sciences, de médecine et de pharmacie. La même année,
l’institution d’une Académie d’A.O.F. et la nomination d’un recteur s’inscrivent dans le processus
d’assimilation qui se développe après la guerre et engendre, à la veille de la décolonisation, des tensions en
milieu scolaire » (22). En effet, déjà en 1957, les étudiants de l’Institut des Hautes Etudes manifestaient, par
des grèves scolaires (...) aux allures d’émeutes» (23), leurs désarrois face au système d’enseignement et de
formation.
Le 24 février 1957, l’Université de Dakar était créée à la suite du regroupement des instituts de
Droit, de Sciences et des Lettres, érigés en facultés pour toute la Fédération de l’Afrique Occidentale
Française. L’université sera officiellement inaugurée le 9 décembre 1959.
A l’instar de toutes les universités coloniales créées sur le continent entre 1900 et 1960,
l’Université de Dakar n’échappait pas à «la mission que ces établissements avaient reçue», c’est-à-dire
«fournir le personnel autochtone nécessaire à l’administration coloniale. L’objectif principal était de
socialiser systématiquement le personnel et les exécutants à la gestion du système colonial, au niveau
supérieur de la hiérarchie dans lequel on pouvait admettre des Africains» (24).
Des institutions de recherche ont été également créées pendant la période coloniale.
Ainsi, à la suite de l’ouverture de l’Ecole de Médecine de Dakar et des résultats flatteurs obtenus à
l’Ecole Normale William Ponty, «la création, en 1936, à l’initiative de l’inspecteur général A. Charton, de
l’Institut Français d’Afrique Noire (I.F.A.N.) prolonge la tradition, illustrée par Faidherbe ou par Georges
Hardy, qui vise à subordonner la gestion d’une colonie à une meilleure connaissance de son histoire, de sa
géographie, de ses structures sociales ou de sa langue» (25).

22
- Antoine LEON (1991), op. cit., p. 280.
23
- Antoine LEON (1991), op. cit., p. 280.
24
- Tade AKIN-AINA (janvier 1994) : Qualité et pertinence.., op. cit., p. 13.
25
- Antoine LEON (1991), op. cit., p 279.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 59 Cadre théorique et méthodologie

Au début des années 70, l’Institut Français d’Afrique Noire (I.F.A.N.) devenait Institut
Fondamental d’Afrique Noire en conservant le sigle I.F.A.N. Il sera baptisé IFAN Cheikh Anta Diop en
1986.
En octobre 1990, le Sénégal se dotait d’une deuxième université, celle de Saint-Louis.
Le survol historique ainsi tenté permet d’avancer des éléments de comparaison de deux époques
dont la charnière se situerait vers le début des années 70 (installation de la sécheresse dans le Sahel, choc
pétrolier, début des difficultés économiques, etc.) Il semble, en effet, qu’au regard de la crise actuelle du
système éducatif en général et des dysfonctionnements de l’enseignement supérieur en particulier, les
étudiants actuels soient moins bien lotis que leurs aînés qui ont fréquenté l’université jusque vers le début
des années 70. Les aînés étaient relativement peu nombreux. L’encadrement pédagogique qui a prévalu
jusqu’au début des années 70 semble avoir été plus efficace à bien des égards. Les équipes pédagogiques
étaient plus homogènes; elles comprenaient des professeurs de rang magistral et de renommée
internationale. L’université ne connaissait alors ni grèves pour cause d’évaluation ni contestations sociales
(par exemple sur des questions de bourses d’études) ou pédagogique (par exemple sur la qualification des
enseignants) intéressant directement les étudiants. Les formations s’articulaient sur des enseignements de
type magistral avec des activités pratiques notamment hors de l’université. Par exemple, les Départements
d’Histoire, de Géographie, de Sciences Naturelles, etc., organisaient alors des sorties sur des sites propices
à des recherches pluridisciplinaires. Certaines excursions allaient même en Mauritanie au frais de
l’université... La réglementation en matière de durée des études et de séjour dans un cycle était
scrupuleusement appliquée. En quittant l’université avec ou sans diplôme, l’étudiant trouvait souvent un
emploi. Si «les étudiants se heurtaient (alors) aux gouvernements, (c‘était parce que) ils considéraient que
leur rôle était de poursuivre la confrontation avec les autorités et de parler au nom des gens ordinaires
puisque les groupes organisés tels que les syndicats, les associations professionnelles, les partis politiques,
etc., ne le faisaient pas» (26). Après 1970 l’université est rentrée dans une période de crise chronique qui
sévit depuis, avec une année blanche en 1987-88 et une année invalidée en 1993-94.
Au total, la philosophie immuable de la politique coloniale en matière d’enseignement peut être
empruntée à Delafosse selon lequel : «Il nous faut des intermédiaires, appartenant aux milieux indigènes
par leurs origines et au milieu européen par leur éducation, pour faire comprendre aux gens du pays et
pour leur faire adopter cette civilisation étrangère pour laquelle ils manifestent, sans qu’on leur en puisse
tenir rigueur, un misonéisme bien difficile à vaincre» (27).

26
- Tade AKIN-AINA (janvier 1994) : Qualité et pertinence : les universités africaines au 21ème siècle, op. cit., p. 16. Ce
passage semble bien résumer toute l’histoire de mai 1968 au Sénégal. Ce n’est qu’à partir de 1981 que la vie politique a été
totalement libérée au Sénégal. Jusqu’à cette époque, toute activité politique ou syndicale était régentée dans le cadre de ‘la
participation responsable’ par le parti au pouvoir (l’Union Progressiste Sénégalaise ou UPS devenu Parti Socialiste)...
27
- Maurice DELAFOSSE, Bulletin de l’Enseignement en AOF, n° 33 juin 1917.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 60 Cadre théorique et méthodologie

Les principales étapes de l’enseignement supérieur de Dakar ont donc été

1918 : création de l’Ecole de Médecine de Dakar ;


1936 : création de l’IFAN ;
1949 : création d’un Certificat de Physique, de Chimie et de Biologie (PCB) préparatoire aux études
médicales;
1952 : création de l’Institut des Hautes Etudes, en réalité, des écoles supérieures rattachées à l’Université
de Bordeaux ;
1957 : (24 février) création officielle de l’Université de Dakar : 18è université française, les écoles
supérieures de l’Institut des Hautes Etudes ont un rang de Facultés indépendantes ;
1959 : (9 décembre) inauguration de l’Université de Dakar ;
1990 : (octobre) création de l’Université de Saint-Louis.

Ainsi, les historiens de l’enseignement en Afrique Noire (28) permettent-ils de mettre à jour les
objectifs poursuivis par l’administration coloniale depuis le début du XIXè siècle jusqu’aux indépendances
des années ‘60. Ils permettent également de circonscrire des contradictions qui ont marqué ou qui
marquent encore les systèmes d’enseignement des pays anciennement colonisés par la France.

28
- Voir Joseph GAUCHER (1968). Les débuts de l'enseignement en Afrique Francophone. Jean Dard et l'école mutuelle de
Saint-Louis du Sénégal. Paris : Le Livre Africain 1968.
Voir également SURET-CANALE, Jean (1977). Afrique Noire Occidentale et Centrale. L'ère coloniale (1900-1945). Paris :
Editions Sociale 1977. Voir Chap. II : L'oppression politique et administrative. 3. Culture et enseignement; pp 460-490.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 61 Cadre théorique et méthodologie

II- Les contradictions du colonisateur.

Le dessein colonial dans le domaine de l’éducation n’était pas une entreprise philanthropique. Le
but assigné à l’enseignement était de consolider les bases de la colonisation et de la pérenniser. Toutefois,
selon l’historien Jean SURET-CANALE (1977), la politique coloniale en matière d’instruction était
confrontée à de véritables dilemmes : «pour le régime colonial, l’instruction des masses présente un double
péril : en élevant la qualification de la main-d’oeuvre, elle la rend plus coûteuse ; d’autre part elle conduit
les masses colonisées à prendre conscience de l’exploitation et de l’oppression auxquelles elles sont
soumises. Mais (...) l’appareil d’exploitation économique, d’oppression administrative et politique, ne peut
fonctionner sans un minimum de cadres subalternes autochtones, courroies de transmission et agents
d’exécution entre l’encadrement européen et les masses. Avec l’extension de l’économie de traite, avec les
progrès de la technique - si lent soit-il à se manifester - avec le perfectionnement (ou l’alourdissement) de
la machine administrative, la colonisation est obligée de former de tels cadres en nombre croissant» (29). Il
s’agissait de satisfaire les besoins de l’administration coloniale et des maisons de commerce (30). De simples
cadres subalternes pouvaient y suffire. Il ne s’agissait ni de répandre la culture et les connaissances de type
scientifique (31), ni d’élever le niveau culturel des colonisés. L’enseignement technique et la formation
professionnelle étaient réduits à leur plus simple expression. Car, «pour la colonisation, l’instruction est un
mal nécessaire. On s’efforcera donc de limiter sa diffusion au minimum strictement indispensable, en
quantité et en qualité» (32). Ainsi, la principale contradiction de l’ère coloniale était-elle de vouloir bâtir un
système éducatif, tout en s’efforçant de limiter les dangers qu’il pouvait présenter pour le système colonial,
en particulier la prise de conscience des colonisés. Or, l’école fait naturellement prendre conscience (33).
Pendant toute la période coloniale, si l’école ne pouvait contribuer à une diffusion large et durable
de la foi chrétienne, elle devait au moins assurer trois missions, trois exigences fondamentales : 1°/ former
les cadres subalternes nécessaires à l’administration, au commerce et aux entreprises; 2°/ diffuser la langue
et la culture françaises ; 3°/ contribuer à l’aliénation du colonisé, plus tard poursuivie et renforcée grâce à
une politique éducative assimilationniste.

Il est, certes, prématuré d’évoquer, pour cette période, la sélection scolaire et la reproduction
sociale par l’école. Mais la politique éducative coloniale a été conçue et conduite de façon à distiller
parcimonieusement la culture et les connaissances scientifiques aux populations indigènes.

29
- Jean SURET-CANALE (1977), op. cit., p. 474.
30
- Selon Joseph GAUCHER (1968), op. cit., p 77 : "... Les meilleurs élèves sortant (de l'école mutuelle de Saint-Louis)
avaient trouvé des emplois d'interprètes, de secrétaires, de comptables... dans l'administration et les maisons de commerce,
qui avaient grand besoin de jeunes Africains parlant et écrivant le français".
31
- Par exemple selon J. GAUCHER (1968) op.cit. p 95 : pour la Mère Anne-Marie Javouhey, "il était urgent et nécessaire
d'abandonner les méthodes employées par l'école (mutuelle de Saint-Louis et la méthode bilingue français-wolof de Jean
Dard) qui ne se réclame pas foncièrement de la religion catholique et qui, sous le prétexte d'éclairer les esprits africains des
prétendues lumières de la civilisation, ne fait que les enfermer dans les ténèbres des vices plus funestes que l'ignorance et
l'inculture. Pour la Mère Javouhey, seule la religion catholique peut sauver le monde noir; puisqu'elle seule détient la vérité
de la vie, elle seule est capable de changer les coeurs."
32
- Jean SURET-CANALE (1977). Afrique Noire Occidentale et Centrale. L'ère coloniale (1900-1945). Paris : Editions
Sociales 1977; voir p 474.
33
- Voir LE THANH KHOI (1976). Jeunesse exploitée, jeunesse perdue; Paris : PUF 1976; voir aussi Georges SNYDERS
(1976). Ecole, Classe et Lutte des classes; Paris : PUF 1976.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 62 Cadre théorique et méthodologie

III- Les contradictions du colonisé.

Depuis l’école mutuelle de Saint-Louis en 1815 jusqu’aux indépendances de 1960, les colonisés ont
manifesté des sentiments ambivalents vis-à-vis de l’école française.

1°- L’opposition des couches dirigeantes traditionnelles à la scolarisation.


Ayant certainement pris très tôt conscience des conséquences de l’instruction sur leur culture, les
couches dirigeantes de la société traditionnelle étaient généralement opposées à la pénétration de l’école
française. Cette opposition a revêtu des formes diverses. Il n’était pas rare que les familles aisées envoient
d’autres enfants que les leurs à l’école (34). (L’Ecole des Otages créée dès le milieu du XIXè siècle par
Faidherbe était une réaction de l’autorité coloniale contre ces pratiques).

2°- L’école assure la promotion sociale des couches dominées.


L’administration coloniale avait besoin d’agents locaux, sorte d’intermédiaires entre elle et les
populations indigènes. Cette collaboration conférait des privilèges, des facilités administratives, de même
qu’un nouveau statut social. Ainsi, sous l’effet des mutations sociales entraînées par la scolarisation, les
colonisés ne tardent pas à découvrir les vertus de l’école, notamment dans un Etat de type moderne, en
particulier avec son administration et son armée. C’est conscients de ces privilèges que la bourgeoisie
locale et les nouveaux intellectuels (il existait déjà des centres d’où des érudits diffusaient la foi islamique)
ont exercé de multiples pressions sur l’administration coloniale afin que le système d’enseignement soit le
plus proche possible de celui de la métropole. «En 1927, le Sénégal a obtenu que toutes ses écoles
urbaines suivent les programmes européens. Ces programmes sont évidemment inadaptés, mais la
revendication sénégalaise s’explique par le souci d’échapper à des ‘programmes indigènes’ qui
sanctionnent un enseignement au rabais» (35). Ces pressions, mais aussi la place que la France entendait
conférer à la colonie du Sénégal, ont progressivement permis la généralisation pour toute l’étendue du
‘Territoire du Sénégal’ d’une politique d’enseignement qui sera plus tard qualifiée d’assimilationniste : les
programmes et les méthodes édictés en France ont été systématiquement adoptés et appliqués au Sénégal.
D’une manière générale, en dehors des métis, l’instruction suscitait plus l’engouement des couches les
moins aisées de la société, contrairement en Europe où elle avait d’abord été l’affaire de la noblesse, de
l’Eglise et de la bourgeoisie. Cet engouement pouvait déjà entraîner une importante demande d’éducation.
Car, face au carcan de la tradition, avec les pesanteurs sociales inhérentes au système des castes et aux
règles sociales quasi immuables, l’école peut être un moyen d’échapper au sort. Elle permet de rompre les
conditions naturelles d’existence, de prendre conscience et de se libérer. Ainsi, du fait de la mobilité sociale
et culturelle qu’elle engendre, l’école confère ou consolide de nouveaux statuts sociaux. Les nouvelles
carrières administratives, les salaires, le prestige de l’armée, les fonctions électives sécrètent des catégories
sociales jusque alors inconnues dans la société traditionnelle. En définitive, le choc scolaire créé par la
colonisation a très tôt eu des répercussions importantes sur les structures sociales existantes et sur les
hommes.

Voir aussi Hervé de LAUTURE et Michèle DORIA-HUSSER (1981).


34
- Il a été observé des formes contemporaines de cette pratique de substitution d'enfants. Même après les Indépendances des
années '60, il arrivait que des parents proposent aux maîtres d'accepter provisoirement en classe des enfants non encore
inscrits à l'école, à la place d'un aîné sollicité à des tâches socialement plus utiles dans l'immédiat (surveillance du bétail,
travaux champêtres, etc.).
35
- Jean SURET-CANALE (1977), op. cit., p. 470.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 63 Cadre théorique et méthodologie

IV- Quelques répercussions du phénomène scolaire.

La hiérarchie sociale a subi de nombreux bouleversements. Grâce aux écoles de brousse, dont les
premières (1861) remontent à Faidherbe, l’enseignement de type colonial créait les conditions propices à
une relative inversion des statuts et des rôles dans la société traditionnelle. Les structures administratives et
politiques créées pour les besoins de l’entreprise coloniale semblaient particulièrement destinées aux
produits de l’école. Les enfants issus des couches sociales dominées avaient là l’occasion d’améliorer très
sensiblement leur statut. Les produits du système éducatif étaient plus facilement promus aux fonctions
dirigeantes dans les nouvelles instances suscitées par la colonisation. Avec le pouvoir que l’argent (les
salaires) leur conférait, ils pouvaient devenir de nouvelles références dans la société civile...
Pour accéder à ces nouveaux privilèges et aux statuts correspondants, les familles démunies
s’imposaient d’importants sacrifices pour assurer l’instruction d’au moins un de leurs enfants : une sorte
d’investissement à long terme dont elles attendaient beaucoup.
Conscients des attentes de leurs parents, les élèves de conditions modestes étaient habités par la
farouche volonté de réussir les études afin d’améliorer plus tard le sort de leur groupe.
De là sont nées les idées reçues en matière de réussite scolaire (c’est-à-dire la poursuite et
l’achèvement des études, niveau après niveau, dans les délais impartis, et l’obtention d’un diplôme au
bout). Il y a quelques années encore, le diplôme (signe manifeste de réussite scolaire) était synonyme d’un
emploi rémunéré indubitable.
Malgré les difficultés économiques actuelles et le chômage des produits de l’école, les temps
modernes semblent avoir peu atténué ces représentations qui ont encore cours dans tous les groupes de la
société. Les bénéfices attendus de l’enseignement sont même renforcés par les attentes que l’enseignement
permet de nourrir. Par exemple, toutes les couches sociales investissent dans l’enseignement en espérant
une promotion à des postes de responsabilité dans l’administration, dans les sociétés nationales, et dans des
fonctions électives. Toutefois, de nouvelles pratiques voient le jour. Signe des temps, les enfants des
familles aisées qui ont obtenu souvent leur diplôme à l’étranger trouvent plus facilement un emploi et ont
des promotions plus accélérées. Ces pratiques qui s’apparentent à de l’injustice sociale consolident auprès
de la majorité de la population l’idée que l’école peut et doit assurer la promotion sociale. Aussi toute
réforme qui viserait la professionnalisation des études et qui ne conduirait pas à des diplômes similaires à
ceux obtenus par les enfants des couches aisées est vigoureusement contestée et combattue, en particulier
par les élèves restant au Sénégal...
Ainsi, les idées reçues nourrissent-elles les élèves et les étudiants qui restent au Sénégal. Ces
représentations populaires soutenaient que les enfants de conditions modestes obtenaient de meilleurs
résultats à l’école, justement du fait des nombreuses privations dont ils sont l’objet et des sacrifices que
leurs études imposent aux parents. Cela avait pour effet d’entretenir des illusions d’ascension sociale,
illusions encore perceptibles aujourd’hui. La réussite des enfants de conditions modestes était dans la
mentalité populaire une sorte de revanche sur le destin.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 64 Cadre théorique et méthodologie

L’imagerie populaire assimilait-elle la réussite de quelques-uns à celle d’une large majorité ?

En Afrique comme ailleurs, les temps modernes tendent à uniformiser les comportements scolaires
en fonction de l’origine sociale.
Hier, les études pouvaient être arrêtées à la fin du primaire : le Certificat d’Etudes Primaire
Elémentaire (CEPE) était un parchemin qui ouvrait beaucoup de portes. Mais les élèves d’hier n’entraient
pas à l’école au même âge qu’aujourd’hui. Jusqu’à la veille des indépendances, l’enfant n’était mis à l’école
qu’après avoir franchi plusieurs étapes de l’éducation traditionnelle. Il arrivait à l’école adolescent. Dans
ces cas, il bénéficiait souvent d’un acte de justice nommé jugement supplétif qui permet de modifier la date
de naissance. Un tel acte permet généralement de déclarer tardivement la naissance d’un individu et donc
de diminuer son âge réel... La valeur des diplômes comme le CEPE a été, elle aussi, maintenue pendant les
premières années de l’indépendance. Car, les jeunes états africains, comme le Sénégal, qui avaient besoin
d’enseignants en nombre, faisaient appel aux produits de tous les niveaux d’enseignement (diplômés ou
non). Le CEPE conférait le rang de moniteur dans l’enseignement élémentaire. Il était impossible
autrement d’espérer rendre l’enseignement élémentaire universel et gratuit, comme le recommandait en
1961 la Conférence d’Addis-Ababa.
Et, jusque dans un passé assez récent, le temps des études pouvait être limité à l’école élémentaire.
Les écoliers de parents pauvres pouvaient avoir comme objectif le CEPE, avec tous les sacrifices et toutes
les renonciations (36) que leur imposait le temps nécessaire aux études élémentaires.
Compte tenu de ces délais (6 ans), à défaut des bourses d’études ou des cantines scolaires, la
solidarité sociale permettait d’assurer au moins la subsistance. Au-delà de l’élémentaire, une bourse
d’études était systématiquement attribuée à tout enfant de conditions modestes, dès la réussite au concours
d’entrée en sixième. Avec le temps et la récession économique, les bourses d’études, surtout à l’université,
auront de lourdes conséquences sur la qualité des études. Les salaires des personnels, les dépenses sociales
et les bourses engloutissent l’essentiel des budgets de l’éducation. Mais les bourses contribuent également
à ‘fonctionnariser’ les étudiants.
A temps modernes, nouvelles réalités. Avec les crises en tout genre, aujourd’hui au Sénégal, un
Doctorat (serait-il de médecine !) n’ouvre pas automatiquement beaucoup de portes. L’administration
publique doit réduire ses effectifs (elle ne recrute plus ou presque plus), pour ne pas dire à la croissance
nulle (les départs pour la retraite ne sont pas remplacés). Le secteur privé connaît un véritable marasme :
l’Etat et les entreprises parapubliques lui doivent de lourdes créances.
Pour toutes ces raisons, le temps des études s’allonge indéfiniment. Les études elles-mêmes coûtent
cher, rendant nécessaire de plus en plus un soutien pédagogique et financier de la part des familles.

36
- Des élèves presque totalement démunis apprenaient même leurs leçons le soir sous la lune ou, plus tard, à la lumière d'un
éclairage public. Bien souvent, dans les campagnes, ils effectuaient chaque jour de longues heures de marche pour se rendre à
l'école rurale. Pour les grandes classes du primaire ou pour entrer au collège, ils quittaient leurs foyers pour aller en ville
poursuivre les études. Aujourd'hui encore, de telles pratiques subsistent. Avec la suppression des internats au début des
années 1980, de nombreux élèves rencontrent de pénibles conditions pour survivre dans des villes comme Saint-Louis.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 65 Cadre théorique et méthodologie

Les survivances des croyances passées devront donc être étudiées en fonction du contexte actuel.
Aujourd’hui, sans bourse d’études ou sans solidarité sociale, la poursuite des études serait un pari
(presque) perdu d’avance. Autrement, nombre d’enfants quitteraient l’école, faute de moyens...
Les répercussions du phénomène scolaire permettent aussi de comprendre certaines pratiques
actuelles. Dans les zones défavorisées (en ville comme dans les campagnes), les parents d’élèves
consentent d’énormes sacrifices pour multiplier les chances de leurs enfants d’aller à l’école. Les ponctions
volontaires qu’ils opèrent sur leurs maigres revenus se traduisent de plus en plus souvent aujourd’hui par la
construction de salles de classe dans leur localité, dans l’espoir que l’administration y affectera des
instituteurs ou des professeurs de collège... A cause de ces pratiques, dans un pays comme le Sénégal, la
carte scolaire s’est densifiée en dehors de toute prévision et de toute planification.
Bref, l’école est un droit pour tous. Toutes les couches de la société en ont une conscience claire et
veulent en jouir.
Ainsi, avec la prise de conscience des bénéfices de la scolarisation dans une société moderne, la
demande d’éducation a nettement progressé en ville comme dans les campagnes. Aujourd’hui, jusque dans
les coins les plus éloignés des centres de décision, les populations réclament des écoles et des maîtres pour
l’instruction de leurs enfants.
Face à la forte demande d’éducation, les Etats africains n’ont souvent eu d’autres réactions que la
sélection et le clientélisme pour les partis au pouvoir. Ils semblent y avoir été contraints par les dures
réalités. En effet, la croissance démographique, les difficultés économiques et financières, le ‘mal-
développement’ (c’est-à-dire un sous-développement non maîtrisé en trente ans d’indépendance) semblent
s’être durablement installés. Ils paraissent surtout montrer le caractère élitiste de l’école.
En définitive, tout dysfonctionnement dans l’enseignement supérieur prend des proportions
démesurées parce que :
- les meilleures promotions sociales sont généralement réservées aux diplômés de l’université,
- et chaque groupe social veut assurer la sauvegarde de ses intérêts.
Mais l’école pourrait-elle assurer à tous la même promotion ?
Il est naturel que l’enseignement supérieur, le sommet de la pyramide scolaire qui détermine
l’organisation et le fonctionnement de tout le système éducatif, manifeste de façon plus évidente toutes les
difficultés qui secouent l’appareil éducatif.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 66 Cadre théorique et méthodologie

V- Les faiblesses de l’enseignement supérieur.

Face à l’afflux de nouveaux bacheliers, avec les taux élevés de redoublements dans les facultés, le
niveau des bacheliers arrivant du secondaire a été (vite) indexé comme cause principale des difficultés de
l’enseignement supérieur. Les solutions adoptées contre l’accroissement du nombre des inscriptions et les
taux de redoublement ont principalement consisté en l’adoption d’un système d’orientation dès 1972 et le
rétablissement du baccalauréat en deux parties sur une très courte période (1981-1987). Quant au principe
de l’orientation, il a donné peu de résultats satisfaisants : au fil des ans, toutes les promotions de bacheliers
ont été automatiquement orientées dans les facultés.
Aujourd’hui, le niveau des bacheliers arrivant à l’université (niveau jugé souvent faible) est
régulièrement cité comme étant la cause principale des problèmes actuels de l’enseignement supérieur au
Sénégal. Il est probable que le niveau d’admission des bacheliers à l’université et, surtout, leur
comportement en tant que groupe (de pression sur les autorités) jouent un rôle important dans les
dysfonctionnements qui ont pu être observés à de l’université (37). Mais d’autres facteurs viendraient s’y
greffer. Il existe même une forte convergence entre les faiblesses souvent évoquées par les pouvoirs
publics au Sénégal (38) et les analyses de la BANQUE MONDIALE (39).

37
- Tade AKIN-AINA (janvier 1994) : Qualité et pertinence : les universités africaines au 21ème siècle, op. cit., p. 29 ,
analyse comme suit le rôle des étudiants dans la crise des universités africaines : «Une composante très importante de la vie
universitaire est constituée par la population estudiantine et par le rôle qu’elle joue. Dans le cas présent (l’auteur traite des
contraintes internes de la crise), les étudiants jouent un rôle aussi bien positif que négatif. Lorsqu’ils ne sont pas directement
concernés, ils jouent un rôle très positif dans les exigences qu’ils présentent au gouvernement et aux autorités universitaires
pour obtenir une représentation accrue, plus de démocratisation et de responsabilisation. Ils contribuent également aux luttes
pour la justice sociale et l’équité. Mais ils jouent un rôle négatif lorsque leurs intérêts immédiats et leur bien-être semblent
menacés, en ce sens qu’ils compliquent les contraintes qui gênent le bon fonctionnement de l’université. Ils ont fréquemment
constitué une force politique qui résiste aux réformes de l’université dans la mesure où cela affecte le fait de faire payer les
services, de réorganiser la gestion des services municipaux et/ou d’imposer des critères plus rigoureux en matière de systèmes
d’admissions et d’examens. En particulier, les étudiants participent fortement aux attaques contre l’éthique universitaire sous
la forme d’admissions frauduleuses et aux négligences professionnelles en matière d’examens. Etant donné qu’ils font partie
de la société de plus en plus matérialiste et instrumentaire, les étudiants ont introduit dans leur vie universitaire la moralité
prédominante du monde non-universitaire qui rend quelquefois absurdes certaines exigences d’auto-contrôle au niveau de
l’honnêteté intellectuelle».
38
- Ministère du Plan et de la Coopération (octobre 1989). Plan d'orientation pour le développement économique et social
1989-1995) (VIIIe Plan). Voir pp 89-92.
39
- BANQUE MONDIALE (mars 1992) : Revitalisation de l'enseignement supérieur au Sénégal : les enjeux de la réforme;
Banque Mondiale/Division Opération-population et ressources humaines/Département du Sahel/Bureau Régional Afrique
(mars 1992); voir pp ii à vii.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 67 Cadre théorique et méthodologie

VI- Quelles leçons tirer du passé ?

Avec les indépendances de 1960, la jeune République du Sénégal héritait de toutes les structures
fédérales créées pour l’AOF et, à certains égards pour l’AEF : immense entité géographique, économique,
politique, administrative et culturelle. Le Sénégal héritait aussi de toutes les structures d’enseignement et
de formation, y compris l’Université de Dakar, alors reconnue comme XVIIIè université française. A ce
titre, ses programmes étaient en tout point identiques à ceux de la métropole et ses diplômes et titres admis
en validité de plein droit en France (40).
Le Sénégal indépendant a difficilement rompu avec les habitudes scolaires et universitaires de la
période coloniale. L’assistance technique et culturelle assurait à la France un droit de regard sur
l’université. En principe, la participation française au budget de l’Université de Dakar devait être
progressivement ‘déplafonnée’, et prendre fin théoriquement en 1981-82 (41). Cependant, à la demande du
Sénégal, la France continue d’envoyer des assistants techniques pour l’enseignement supérieur.
Cette forme de coopération avec l’ancienne métropole s’estompe, elle aussi, progressivement. Dans
quelle mesure la réduction du nombre des enseignants relevant de la coopération avec la France relève-t-
elle des difficultés que ce pays rencontre lui-même pour recruter les enseignants dont il a besoin pour son
système éducatif ? Quelle est la part de répercussion de la réorientation générale de la diplomatie française
dans cette réduction des personnels enseignants envoyés en mission de coopération hors de France ?
Le Sénégal n’ayant pas su rompre avec son passé colonial en matière d’enseignement et de
formation, certaines des difficultés actuelles du système éducatif ont une origine qui remonte loin dans le
passé colonial. Parmi celles-ci, les principales auraient pour cause :
• le maintien voire le renforcement des traditions et des pratiques scolaires instaurées par
l’administration coloniale pour satisfaire les besoins de l’époque coloniale ;
• le maintien du français comme principale langue d’enseignement ;
• le recrutement automatique de tous les diplômés (surtout de l’enseignement supérieur) dans
l’administration, ce qui renforce le fonctionnarisme, paralysant les initiatives individuelles et privées ;
• l’inadéquation des structures éducatives aux nouveaux besoins entraînés par les indépendances et les
impératifs du développement socio-économique et culturel ;
• l’engouement des intellectuels pour l’enseignement général, au détriment des formations de
techniciens : l’Université de Saint-Louis ouverte en 1990 reproduit le modèle français (Unités de
valeur, DEUG), des filières qui existent déjà à Dakar (Lettres, Droit, Economie, Maths, etc.)... alors
qu’elle est au coeur d’une région à vocation agricole, surtout après la mise en eau des grands
barrages sur le Fleuve Sénégal ;
• la prise en charge de la totalité des budgets de l’éducation par les pouvoirs publics (d’abord la
France, et actuellement l’Etat du Sénégal) : par le jeu des bourses, des aides scolaires et assistance
sociale et médicale, les étudiants sont encouragés à s’éterniser dans les études comme échappatoire à
des lendemains peu certains.
• le manque de définition de missions nouvelles pour l’UCAD après 1960

40
- Voir Université de Dakar/Rectorat (1976) : Textes relatifs à l'Université de Dakar, Dakar : Université de Dakar 1976. Ce
recueil de textes, en particulier des accords de coopération avec la France et le Sénégal, permet de saisir toute l'évolution de
l'Université de Dakar...
41
- Voir : Université de Dakar (1976). Textes relatifs à l'Université de Dakar. Cf p. 54.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 68 Cadre théorique et méthodologie

Cependant, en 1963, la Conférence de Tananarive sur l’avenir de l’enseignement supérieur


recommandait aux responsables : «1°- d’assurer le respect des normes universitaires internationales ; 2°- de
créer les conditions de l’unification de l’Afrique ; 3°- de favoriser l’étude et la connaissance de la culture et
du patrimoine africains et, par des activités de recherche et d’enseignement dans le domaine des études
africaines, redresser l’image déformée que l’on peut se faire de l’Afrique ; 4°- de mettre complètement en
valeur les ressources humaines de l’Afrique de façon à lui permettre de faire face à ses besoins en
personnels ; 5°- d’orienter la formation de tout l’être humain en vue de l’édification nationale ; 6°-
d’élaborer au cours des années un type vraiment africain d’enseignement supérieur, au service de l’Afrique
et de son peuple, tout en éveillant le sentiment de l’appartenance à la grande famille de l’humanité» (42).
Certes, les programmes (principalement en Histoire et en Géographie) ont été « africanisés », des
enseignants africains recrutés. Mais l’Université de Dakar est plus que jamais attachée aux lointaines
origines des universités françaises, «dont les plus anciennes avaient été créées au XIIIè siècle », et se sont
singularisées en Europe jusqu’ en mai 1968 par « leur inaptitude à s’ouvrir aux courants scientifiques
nouveaux, à s’adapter aux besoins de l’Etat et de l’industrie (...)» (43).
Les indépendances et la balkanisation, elles aussi, font de l’Université de Dakar une institution à
bien des égards disproportionnée par rapport aux réalités du Sénégal. Tout ceci se traduit par
l’inadaptation du système éducatif aux réalités actuelles. L’Ecole Sénégalaise est malade de son passé.
Les modes de fonctionnement, les programmes et les diplômes de l’enseignement supérieur au
Sénégal attestent d’un réel conservatisme. Les conceptions et les représentations actuelles (des décideurs,
des enseignants et des élèves), viseraient à reproduire le plus fidèlement les (anciennes) pratiques
françaises. La détermination des études supérieures sénégalaises par le modèle français est aujourd’hui
encore si importante que :
1°- toute équivalence de diplôme, comme un Ph D des Etats Unis, du Canada ou d’Allemagne, un
Doctorat obtenu en Belgique ou en Suisse, se fait par rapport aux normes françaises, par rapport au cursus
français, par rapport au Doctorat de Troisième cycle et au Doctorat d’Etat;
2°- le Sénégal (toutes autorités confondues) reste, de façon affective attaché à l’ancienne thèse d’état...

42
- UNESCO (1963): L'avenir de l'enseignement supérieur en Afrique. Rapport de la Conférence sur l'avenir de
l'enseignement supérieur en Afrique (Tananarive, 3-12 septembre 1962), Paris : UNESCO 1963, p. 19.
43
- Laurent SCHWARTZ (1987) : Où va l'enseignement supérieur ? Rapport du Comité National au Président de la
République, Paris : Gallimard 1987, p. 21.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 69 Cadre théorique et méthodologie

VII- Les tentatives d’assainissement.

L’Université de Dakar serait donc malade de son passé et de « l’absence d’une volonté politique
d’assainissement de l’espace universitaire » selon son recteur (Souleymane NIANG, mai 1994 (44)).
L’assainissement souhaité est en cours d’élaboration. En effet, le contexte universitaire et le
contexte social semblent être propices à des mutations en profondeur. Dès avril 1992, le gouvernement du
Sénégal créait une structure de concertation nationale sur l’enseignement supérieur. Cette structure
regroupait, autour d’un Modérateur (45), le gouvernement, la communauté universitaire, les syndicats, la
société civile, les partis politiques et des personnalités invitées es qualité. Elle devait procéder par la
consultation de tous les partenaires et rechercher un consensus autour des réformes nécessaires pour la
rénovation de l’enseignement supérieur.
En réalité, la Concertation Nationale pouvait faire l’économie de certaines analyses car elle
disposait d’un fonds documentaire très riche. Le coordonnateur étranger, Verhaegen (Belgique) établit, à
ce propos, une double constatation. Tout d’abord, il affirme : « écrire que l’enseignement supérieur au
Sénégal traverse une période difficile est un euphémisme ».
Mais surtout il souligne : «Les responsables tant gouvernementaux qu’universitaires, conscients de
l’impasse dans laquelle le système s’engageait, ont multiplié les études, développé des projets, réuni des
Etats Généraux (rarement une Université comme celle de Dakar a fait l’objet d’un aussi grand nombre
d’audits et de propositions de toutes sortes)» (46).
Si les remèdes préconisés jusque avant la Concertation n’ont pas produit les effets escomptés, c’est
probablement parce qu’ils n’étaient pas totalement appropriés à la situation.

44
- Remontant aux Etats Généraux de l'Education et de la Formation (EGEF) (1981), qui recommandaient "une réforme de
l'enseignement supérieur devant conduire à l'émergence d'une Université de développement (souligné par l'auteur), le
recteur de l'UCAD constate que "faute de moyens, les Conclusions (des EGEF) n'ont pu être appliquées et ce fut le début de la
dérive. Il y eut alors les turbulences de 1984 et la grève qui s'en suivit, une grève contre les systèmes pédagogiques de
compétences en cours, une grève pour la suppression des notes éliminatoires, pour les dérogations automatiques; bref pour la
médiocrité. L'Université ne voulut pas céder aux revendications des étudiants. C'est le 'Politique', contre l'avis de l'Université,
qui accepta et imposa à l'Institution les conditions des étudiants. Ce fut la deuxième dérive. Les étudiants ont désormais
appris qu'ils pouvaient directement négocier avec le Gouvernement, les questions pédagogiques relevant des Autorités
académiques. Et l'on vit même, à cette occasion, le Pouvoir récompenser un étudiant exclu de l'Université pour violence
contre ses professeurs, en lui attribuant une bourse d'études pour l'Etranger...". Souleymane NIANG (mai 1994) : L'Université
de Dakar : Stratégies, prospectives et mise en oeuvre; Dakar : Rectorat (mai 1994), voir pp. 13/15.
45
- Le Modérateur (Assane SECK), nommé par le Président de la République, avait été professeur de Géographie à
l’Université de Dakar. Il avait aussi été pendant de longues années ministre de l’Education Nationale sous le mandat du
Président Senghor.
46
- VERHAEGEN, cité in Récapitulation générale des recommandations de la Concertation Nationale sur l’Enseignement
Supérieur. Dakar 1994 (sdnl). p. 10.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 70 Cadre théorique et méthodologie

Le coordonnateur étranger soutient : «il a bien fallu constater que malgré le volume de papier,
malgré l’abondance des prescriptions, la situation n’a fait qu’empirer et la plupart des projets, par ailleurs
coûteux, sont restés lettre morte. La massification de l’Université s’est accrue sous la poussée
démographique des nouveaux bacheliers, les moyens n’ont pas suivi et les méthodes de gestion n’ont pas
été adaptées. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que se soit développé un mécontentement
généralisé dans l’Université, se traduisant par les revendications excessives de ses acteurs menant elles-
mêmes à des grèves d’enseignants, des grèves d’étudiants, et d’autres désordres perturbant gravement la
vie académique. Le résultat de cet état de choses a été inévitable : année blanche, suppression de sessions
d’examens, taux de réussite catastrophiques, dérogations à la pelle, dégradation de la recherche, heures
complémentaires incontrôlées, etc.)» (47).
Il était donc urgent (il est urgent) de tenter de remédier au blocage permanent de l’Université de
Dakar. De l’aveu du coordonnateur étranger, des solutions avaient été envisagées. Une institution comme
la Banque Mondiale s’était déjà intéressée à la question (48). La Concertation Nationale serait-elle une
remise en cause globale de toutes les solutions avancées jusque là, ou bien traduirait-elle un changement
d’approche et de stratégie ?
La Banque Mondiale semble avoir été une pièce maîtresse de la Concertation. Car c’est «en accord
avec la Banque Mondiale qui a accepté de financer l’étude, (que) les termes de référence (de la
Concertation) ont été regroupés pour constituer un ensemble englobant les trois grands volets de
l’Enseignement Supérieur : administratif et financier, académique et pédagogique, et social» (49).
Après seize mois de travail, le Modérateur remettait en août 1993 aux autorités sénégalaises les
conclusions de la Concertation Nationale. Les conclusions comprenaient vingt recommandations (50).
Celles-ci devaient être mises en application à partir la rentrée 1994/95. Dès l’année académique 1994/95,
les universités (Dakar et Saint-louis) devaient :

1°- mieux contrôler les inscriptions (en particulier à l’UCAD),


2°- et mieux maîtriser les flux à l’entrée (en particulier à l’UCAD).

47
- VERHAEGEN, op. cit., pp. 10/11.
48
- Voir Notammant : Banque Mondiale (mars 1992). Revitalisation de l’enseignement supérieur au Sénégal : les enjeux de la
réforme. Cette étude pourrait être considérée comme étant un focus sur une autre étude de la Banque Mondiale, celle-là plus
générale : Banque Mondiale (1988). L’éducation en Afrique Subsaharienne . Pour une stratégie d’ajustement, de
revitalisation et d’expansion.
49
- Récapitulation générale des recommandations de la Concertation Nationale sur l’Enseignement Supérieur, p. 9.
50
- 1°- Le versement du quart du budget au début de chaque trimestre; 2°- la nomination du recteur (l’Assemblée de
l’Université propose trois candidats); 3°- la composition des Assemblées de l’Université et de Facultés et des membres
extérieurs cooptés; 4°- centralisation de la gestion au niveau du rectorat; 5°- nomination des doyens et composition des
assemblées de facultés (sur élection); 6°- maîtrise de flux et gestion des effectifs; 7°- regroupement des établissements ou
enseignements (de même vocation ou nature); 8°- création d’une Chancellerie de l’enseignement supérieur et de la recherche;
9°- encadrement des étudiants et évaluation pédagogique des enseignants; 10°- les mesures appliquées en cas de grève; 11°-
le découpage de l’année universitaire; 12°- sur les unités de valeur; 13°- création d’une commission de l’enseignement; 14°-
sur « l’entreprenariat »; 15°- création d’une commission de la recherche; 16°- charge horaire des enseignants; 17°- la
carrière des enseignants; 18°- réorganisation administrative et financière des universités; 19°- l’assainissement des oeuvres
universitaires;20°- l’assainissement de la gestion des bourses.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 71 Cadre théorique et méthodologie

Ainsi, s’agissant du contrôle des inscriptions, aucun dérogataire (étudiant autorisé à s’inscrire en
faculté après plusieurs échecs) ne devait être admis à l’Université en 1994/95. Autrement dit, tous ceux qui
avaient été étudiants jusqu’en 1993/94 et qui avaient épuisé le droit à l’inscription devaient être renvoyés
de l’Université. S’agissant de la maîtrise des flux à l’entrée, les autorités académiques avaient reçu
l’autorisation de recruter selon la capacité d’accueil et d’encadrement pédagogique des structures...
Certes, il est trop tôt pour apprécier la réforme que suppose la mise en oeuvre des
recommandations de la Concertation Nationale. Mais il est à craindre qu’aucune de ces mesures ne soit
réellement appliquée. En effet, soumis à diverses pressions dont celle des anciens étudiants, le
Gouvernement a dû progressivement demander aux autorités académiques de surseoir à la mise en
application de certaines des mesures qui concernaient particulièrement les étudiants.
Ces atermoiements peuvent faire redouter le retour à un statu quo. S’il en était ainsi, l’observation
que le coordonnateur étranger faisait au début de la Concertation pourra être répétée : «rarement une
Université comme celle de Dakar a fait l’objet d’un aussi grand nombre d’audits et de propositions de
toutes sortes...»

Quel bilan pourrait être esquissé des solutions qui sont envisagées jusqu’aujourd’hui ?

D’une manière générale, la Concertation Nationale semble avoir procédé comme les Etats
Généraux de l’Education et de la Formation (janvier 1981). Elle semble avoir privilégié l’écoute de tous
ceux qui sont intéressés par la question pédagogique et par l’enseignement supérieur. Ainsi, les principaux
auteurs des nouvelles recommandations pour lever les difficultés actuelles sont : la Banque Mondiale, le
Gouvernement du Sénégal, les universités, les étudiants, les syndicats et les partis politiques.
Compte tenu de la nature de la question examinée (réguler une situation pédagogique), quel était
le statut scientifique des personnalités consultées ? S’agissait-il de ‘bonnes volontés’ ou d’experts ? Quels
pouvaient être les apports objectifs des personnalités consultées dans la recherche de solutions adéquates,
pertinentes et efficaces au problème à résoudre ?
Les réformes proposées sont-elles accompagnées de justifications valides et pertinentes ? Les
propositions qui ont été faites et celles qui ont été retenues ont-elles été précédées par des études
diagnostiques en profondeur ? Quelle est la part de la résistance aux changements décelable chez les
enseignants qui étaient représentés par leurs syndicats ? Les propositions avancées par les différentes
parties en présence (gouvernement, syndicats des enseignants, société civile, Banque Mondiale, etc.) sont-
elles fondées sur une approche prospective ?
En tout état de cause, la mise en garde de Jacques HALLAK (1971) (51) pourrait être ici rappelée :
«‘la remise en cause’, le ‘changement’, ‘l’innovation’ doivent être planifiés et non pas proposés à la légère
sans études préalables, sans expérimentations, sans efforts longs et coûteux d’application».

51
-Jacques HALLAK (1971). Y a-t-il une limite à l’effort financier en faveur de l’éducation ? In Revue Française de
Pédagogie, N° 15 (avril, mai, juin 1971). p. 21.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 72 Cadre théorique et méthodologie

Tenir compte de cette assertion suppose dessiner ou élaborer un cadre scientifique afin de
comprendre et d’expliquer les phénomènes observés, afin de tenter de leur trouver des solutions. En effet,
les jugements souvent établis sur la base de données comparables à des photographies (sorte
d’instantanés), ou de données de type transversal (données relatives à différents niveaux d’enseignement
considérés en un même moment) (52), ne pourraient suffir à établir des diagnostics précis et à avancer des
solutions appropriées. Il est même fort probable que certaines analyses et les solutions auxquelles elles ont
abouti puissent cacher des présupposés idéologiques (53).
Les analyses ‘faites de l’extérieur’ devraient donc être corrigées ou complétées par la mise en
oeuvre de «recherche (de type) fondamentale (qui) apporte la base des innovations les plus importantes
(et) constitue une garantie contre la routine et la fonctionnarisation qui tendent à s’installer rapidement
dans les services uniquement axés sur le développement» (DE LANDSHEERE 1982, p. 11).
L’argumentation en faveur de la recherche scientifique pour diagnostiquer en profondeur les
dysfonctionnements du système d’enseignement devrait également tenir compte de l’origine des
chercheurs. A ce propos, DE LANDSHEERE notait que, «comme l’économie, le développement de
l’éducation et de la recherche nécessaire à cet effet doit s’opérer de façon endogène pour être vraiment
significatif et profond. D’où le drame de la presque totalité des pays pauvres, si souvent dépourvus de
services de recherche et de développement en éducation alors qu’ils en ont le plus besoin» (54).

52
- Selon J. CAMBON et F. WINNYKAMEN, in Antoine LEON (1977) : Manuel de psychopédagogie expérimentale, Paris :
PUF, chapitre V : La construction de la situation expérimentale, p. 141-142 : si la méthode transversale «est économique et
rapide, puisqu’elle permet de traiter en un raccourci temporel considérable des résultats obtenus par des groupes (...) très
différents (...), elle ne permet pas de suivre un processus évolutif sur les mêmes individus (ou groupes d’individus)».
53
- S’agissant des analyses de la Banque Mondiale et surtout de son étude «L’Education en Afrique subsaharienne» (voir
bibliographie), Tade AKIN-AINA (janvier 1994) : Qualité et pertinence.., écrit (p. 21) : «En 1988, la Banque Mondiale a
rédigé une étude politique intitulée ‘L’éducation en Afrique subsaharienne’, un document qui se situait au niveau très général
lié au processus d’ajustement et qui critiquait fortement la structure et le fonctionnement du secteur de l’éducation en Afrique
et s’efforçait de définir le programme de revitalisation, d’ajustement et d’expansion de l’éducation en Afrique. Etant donné la
nature et la complexité de la région, la participation limitée des Africains à la production de ce travail, et le contenu
économique monétariste et néo-classique évident du document, la réaction que l’on aurait dû enregistrer lors de sa parution,
aurait dû en être une confrontation intellectuelle et théorique des hypothèses et des valeurs sous-jacentes, de la méthodologie
adoptée pour l’étude et des conclusions tirées de données disponibles relativement limitées. Mais, connaissant la puissance de
l’institution qui avait commandé l’étude, et étant donné qu’il s’agissait d’un schéma de politique et de financement à long
terme, les réactions à ce document devaient dépasser la théorie pure et entrer dans le domaine de la politique et de
négociations approfondies. L’axe principal des recommandations de politique relatives à l’enseignement supérieur contenues
dans ce document comportait : (i) le changement de la proportion des diplômés de l’enseignement supérieur, ce qui peut
impliquer des effectifs moins importants dans certains domaines d’études, (ii) l’accroissement de l’efficience, (iii)
l’amélioration de la qualité et iv) la dérégulation et la suppression de subventions présentées comme allégeant le fardeau qui
pesait sur les sources publiques de financement par une augmentation de la participation des bénéficiaires et de leurs familles
à ces coûts. Sans nier les mérites de ce document, on peut dire que les préoccupations qu’il exprimait en faveur de
l’enseignement supérieur étaient moindres à ce que l’expérience historique des autres régions du monde avait révélé être la
norme alors que la préférence non voilée pour l’enseignement primaire apportait à l’évidence, la preuve d’un
instrumentalisme malthusien préoccupé par la réduction de la natalité ».
54
- Gilbert DE LANDSHEERE (1982). La recherche expérimentale en éducation. Lausanne (Suisse) / UNESCO/Delachaux &
Niestlé. Voir p. 10 et 11.

Nacuzon SALL
Chapitre II : Eléments d’histoire 73 Cadre théorique et méthodologie

A cette étape de l’analyse de la situation éducative au Sénégal, la question générale de la


recherche serait alors de savoir si les dysfonctionnements actuels de l’enseignement, en général, et de
l’enseignement supérieur, en particulier, au Sénégal ne seraient pas mieux expliqués et compris :

1°- en général, en établissant la continuité et la discontinuité, la ressemblance et les


divergences entre les résultats des recherches menées sur le système d’enseignement du
Sénégal et les résultats obtenus ailleurs; en tentant d’expliquer les points de jonction ou
de disjonction en référence aux recherches en éducation à travers le monde et aux
recherches de comparaison entre pays développés et pays en développement;
2°- en particulier, en partant de données statistiques plus complètes, tenant compte de
l’évolution et des résultats obtenus par des groupes admis au même moment dans un
cycle de formation; en procédant à l’analyse de données diachroniques, contrairement
aux études comme celles de la Banque Mondiale et des autorités universitaires qui
semblent plus souvent privilégier des données de type transversal.

Nacuzon SALL

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