Nature Juridique Et Développement Historique Du Droit Du Travail
Nature Juridique Et Développement Historique Du Droit Du Travail
Nature Juridique Et Développement Historique Du Droit Du Travail
Relations industrielles
Industrial Relations
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1023390ar
DOI: https://doi.org/10.7202/1023390ar
Publisher(s)
Département des relations industrielles de l’Université Laval
ISSN
0034-379X (print)
1703-8138 (digital)
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Laval, 1950 (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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Les comités paritaires et les commissions d'ap- , Améliorer le langage de la profession n'est
prentissage, tout comme les gouvernements, les qu'une bien faible partie de la tâche qui incombe
pouvoirs publics, les professions libérales et au- aux comités paritaires et aux commissions d'appren-
tres, ne sont pas parfaits. Mais si nous considérons tissage; mais, à mon point de vue, ce travail est
le travail qu'ils ont accompli en si peu de temps, si important, si nécessaire et si urgent, que si les
et sans causes sérieuses de critique, il n'y a pas de comités et les commissions n'avaient fait que cela,
doute qu'ils peuvent soutenir la comparaison avec ils auraient déjà prouvé leur raison d'être et bien
les institutions les plus efficaces et les plus méritan- davantage.
tes.
métiers et étabUssements, ces statuts corporatifs briser le monopole des corporations et instaurer le
n'étaient pas établis dans le seul intérêt des tra- régime de la « liberté du travail et de l'industrie »,
vailleurs. Ils avaient essentiellement pour but de ces lois avaient pour effet d'empêcher les travail-
limiter la concurrence entre les patrons et d'assu- leurs de se coaliser afin d'obtenir, par la voie d'ac-
rer la prospérité du métier, de la ville et du pays. tions collectives, des conditions de travail meil-
Dès cette époque, en effet, on s'était rendu compte leures que celles accordées par les entrepreneurs
de « l'effet de cartel » produit par la réglementa- traitant individuellement avec chaque travailleur
tion uniforme des conditions générales de travail cherchant embauche.
et de l'exploitation des entreprises. Dès cette épo- Dans bien des pays, ces mesures restaient inef-
que on avait aussi compris qu'une protection con- ficaces à l'égard des employeurs qui réussissaient
venable des travailleurs était la meilleure assu- assez facilement à se grouper pour la défense com-
rance contre les troubles sociaux et les crises éco- mune de leurs intérêts. La législation française a
nomiques, déclenchés par des salariés inéquitable- même été jusqu'à employer deux mesures dans la
ment rémunérés et des chômeurs devenus trop répression d'associations illicites: la loi réagit plus
nombreux. sévèrement contre les travailleurs que vis-à-vis des
-En fait, le statut des apprentis et compagnons entrepreneurs; cf. l'article 291 du Code pénal du
était particulièrement favorable à l'apogée du Premier Empire, et la loi du 10 avril 1834 qui ac-
Moyen-Age. La fixation de leur rémunération centuait l'inégalité établie par cet article du Code
s'inspirait de l'idée scolastique du « juste salaire ». pénal. )
Le travail de nuit était interdit — mesure adoptée Toutefois, devant leur exploitation de plus en
il est vrai parce que la surveillance que les concur- plus rigoureuse par les employeurs (sweating-
rents exerçaient sur la production était difficile à system), les travailleurs reconstituaient, sous des
réaliser après la tombée du jour et parce qu'on formes diverses, les amicales, mutualités, confré-
voulait empêcher les maîtres-artisans de doubler ries, etc. qu'ils avaient formées au Moyen-Age à
leur production en faisant ouvrer la nuit. Les ins- l'intérieur des corporations. Dans tous les pays, °
titutions charitables entretenues par la corporation l'histoire du droit du travail au cours du XIXème
subvenaient aux besoins des travailleurs malades et siècle et au début du XXème siècle est caractérisée
aidaient leurs familles en cas de décès du soutien. par la lutte qu'ont engagée les travailleurs pour
L'observation scrupuleuse des jours fériés du ca- obtenir la double liberté de coalition: liberté po-
lendrier religieux tenait lieu de congés payés. sitive de créer des associations professionnelles de
La tradition nous a habitués à ne voir des leur choix, liberté négative de ne pas adhérer à
corporations que leurs derniers excès, et on oublie une association professionnelle. Entreprise au
facilement tout le bien qu'elles ont fait pendant nom de la liberté individuelle et de la liberté d'as-
des siècles. Il a fallu aux travailleurs des luttes sociation, cette lutte finit dans tous les pays par
souvent sanglantes et mortelles pendant plusieurs être gagnée et, après la victoire, par porter atteinte
siècles pour s'assurer un statut juridique, écono- aux principes mêmes qui lui avaient servi de cri
mique et social comparable à celui des compagnons de ralliement.
du Moyen-Age. Et dans bien des pays, ils n'y sont La plupart des progrès du droit du travail ont
point encore parvenus. été obtenus sur l'initiative des syndicats et, par-
fois aussi, à la suite de la pression exercée par eux
Puissance et rôle du syndicalisme sur les entrepreneurs et les gouvernements. La
puissance économique des syndicats librement for-
La France a été le premier pays européen à més par les travailleurs ou entrepreneurs s'est subs-
supprimer les corporations. Abusant de leur si- tituée à la faiblesse économique des individus,
tuation de monopoleurs sur le marché du travail, pour obtenir les avantages pécuniaires et sociaux
les corporations avaient fini par ne considérer que que l'individu isolé n'aurait guère pu se faire ac-
leur propre intérêt et par négliger ceux des travail- corder. Parfois cette puissance a pesé sur le gou-
leurs cherchant emploi. Au surplus, elles jouis- vernement du pays, le forçant d'adopter des mesu-
saient de privilèges considérés comme incompati- res de classes qui n'ont pas toujours été conformes
bles avec le nouvel ordre qui devait reposer sur au bien commun de la nation. Il est même arrivé
l'égaUté des citoyens devant la loi. La loi Le Cha- que les syndicats des travailleurs ou des entrepre-
peUer des 14 et 17 juin 1791 interdisait toute asso-
ciation entre personnes exerçant un même métier.
(9) Cf. pour la France: LEVASSEUR, Histoire de la classe
Au cours du XIXème siècle, d'autres pays euro- ouvrière en france, et DOLLEANS, Histoire du mou-
péens édictaient des lois analogues. Entendant vement ouvrier en France; pour l'Angleterre, W E B B ,
History of Trade Unionism.
juin 1950 BuUetin des relations industrieUes 87
neurs ont exercé une forte pression sur leurs adhé- sont pas les mêmes dans toutes les régions du pays.
rents et ceux de leur classe qui ne s'étaient pas La législation, nécessairement uniforme, est dès
« syndiqués ». Enfin, les concessions obtenues de lors inapte à y porter remède et l'importance d'un
part et d'autre ne le sont souvent qu'à la fin de corps législatif s oppose à l'élaboration des régle-
luttes, parfois sanglantes, au moyen de grèves ou mentations de détails trop variées." Dans ces con-
de lock-outs ( « contre-grèves » ) qui troublent la ditions, l'Etat a recouru aux organisations syndi-
vie économique du pays au profit de quelques-uns. cales, librement formées par les intéressés, pour
les charger d'établir ces règlements par la voie des
Toujours est-il que, dans la plupart des pays,
contrats collectifs.
travailleurs et entrepreneurs sont maintenant li-
bres d'adhérer aux organisation de leur choix ou
Le problème de l'heure présente
encore de ne s'affilier à aucune association de dé-
fense professionnelle. Si la liberté des conventions
La situation actuelle est caractérisée par le
individuelles a été sensiblement limitée par les lois
triomphe définitif de la réglementation, gouverne-
et les accords collectifs, la liberté d'association est
mentale ou collective, sur la liberté des contrats
sauvegardée en droit, sinon toujours en fait.10
négociés individuellement par le travailleur et son
D'autre part, les organisations syndicales sont employeur. Pour rompre le féodaUsme de l'ar-
un rouage indispensable pour l'élaboration des con- gent, l'Etat accorde aux travailleurs une sollicitude
ditions du travail, si l'on veut éviter que celles-ci particulière et reconnaît aux organisations profes-
soient imposées unilatéralement par les entrepre- sionnelles des droits d'ordre public. Mais il y a
neurs. Le législateur national, en effet, n'est ni danger que cette sollicitude ne tourne en un régime
outillé, ni apte à intervenir pour réglementer con- rendant le travailleur esclave de l'Etat ou de ses
venablement les relations juridiques entre travail- propres syndicats.
leurs et entrepreneurs. Il ne possède pas, des con-
Ce qui prouve, une fois de plus, que le choix
ditions d'exploitation des entreprises individuelles,
est entre protection et liberté et que l'étabUsse-
cette connaissance intime qui est indispensable
ment de l'équilibre entre l'une et l'autre, différem-
pour édicter des règles appropriées aussi bien aux
ment appréciées aux différentes époques de l'hu-
besoins de l'exploitation qu'aux revendications légi-
manité, reste la tâche toujours nouvelle d'une
times des travailleurs. Non seulement le cadre
société civilisée.
général du travail varie d'une entreprise à l'autre:
les conditions de la vie des travailleurs ne ( 1 1 ) Sur les difficultés q u e les parlements rencontrent
constamment à cause de la « technicité » des lois
( 1 0 ) Cf. à ce sujet les enquêtes récentes faites à la de- qu'on leur demande d'adopter cf. notre étude « L e
m a n d e des syndicats par le B.I.T. et l'O.N.U. travail en équipes internationales », p. 79 et ss.
JURISPRUDENCE DU TRAVAIL