Crii 011 0015

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Irak : le temps suspendu de l'embargo

Françoise Rigaud
Dans Critique internationale 2001/2 (no 11), pages 15 à 24
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 1290-7839
ISBN 2724629132
DOI 10.3917/crii.011.0015
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Irak : le temps Contre-jour

suspendu
de l’embargo

par Françoise Rigaud


u ne décennie perdue. Pour le régime ira-
kien comme pour la population du pays, il est
encore impossible de tourner la page de l’aven-
ture koweïtienne, dont les conséquences perdurent sous la forme d’une mise sous tutelle
internationale. Embargo commercial et pétrolier, blocus aérien, désarmement forcé,
réparations de guerre et bombardements anglo-américains sont autant de facettes d’un
régime de sanctions dont on peine, aujourd’hui, à trouver la logique, pour ne rien
dire de sa légitimité. La question irakienne, qui divise et embarrasse les membres per-
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manents du Conseil de sécurité, a tout l’air de sombrer lentement dans l’oubli.
À l’intérieur, la situation politique paraît inchangée. Saddam Hussein continue
à diriger un régime certes assiégé mais qui a su, au fil des années, s’accommoder
des restrictions et développer des instruments de survie ; ce faisant, il peut narguer
le reste du monde en affichant l’image d’un pays sans tensions apparentes. Isolée
et massivement paupérisée, la population s’est installée dans la temporalité de
l’embargo, celle d’un temps suspendu, d’une situation d’exception qui se perpétue
et tend à s’instituer en système, façonnant le quotidien et imposant la norme de
l’aléatoire et de l’imprévisible. Absorbée par sa survie matérielle, elle ne fait plus
de projets à long terme : tout est ajourné, comme si penser l’avenir devait être remis
à plus tard. Aucun mouvement ne se fait jour, qui pourrait canaliser son très vif
sentiment de déchéance nationale et d’injustice, ou porter ses espoirs.
Pourtant, le diagnostic d’immobilisme sur lequel s’accordent la plupart des « ira-
kologues » ne résiste pas à l’observation. L’embargo a produit des changements en
profondeur, que l’on peut appréhender tout en se gardant d’en tirer des conclu-
sions prématurées. La relation entre l’État et la société n’a plus le même contenu :
elle relève dorénavant de ce que l’on pourrait appeler une « dictature des besoins »1,
la rareté des biens et le besoin de régulation contraignant les deux parties à forger
de nouveaux discours et pratiques. C’est à partir de cette dimension dynamique et
interactive d’une crise multiforme – et non du débat habituel sur l’efficacité des sanc-
tions – que l’on peut mieux saisir le paradoxe d’un État désargenté, placé sous
tutelle, interdit de présence dans une partie de son territoire, largement délégitimé,
et qui néanmoins résiste et s’adapte à l’inédit.
16 — Critique internationale n°11 - avril 2001

La dictature des besoins


Dépossédé de sa principale, sinon unique, ressource à l’exportation, le pétrole,
et fortement dépendant de l’extérieur pour ses approvisionnements, l’Irak a été
brutalement plongé dans une crise économique sans précédent. Dans un pays où
la pression démographique reste forte (16 millions d’habitants en 1989, 22 en
1997), les sanctions ont eu un effet mécanique dévastateur qui s’est traduit par
une chute vertigineuse du PIB et par l’instauration d’un cycle de pénuries géné-
ralisées et d’hyperinflation. Le régime a pu, dans un premier temps, vivre sur ses
propres ressources, notamment en mobilisant ses énormes réserves stratégiques
et en faisant marcher la planche à billets. Mais, à partir de 1994-95, la dégradation
des conditions de vie et le délabrement des infrastructures, en particulier sani-
taires, l’ont finalement contraint à accepter le programme onusien « pétrole
contre nourriture ».
Cette dérogation humanitaire à l’embargo a permis de stopper la détériora-
tion de la situation et d’améliorer la vie quotidienne de l’écrasante majorité de
la population. Celle-ci reste, néanmoins, fortement dépendante pour sa nourri-
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ture du système de rationnement des denrées de base géré par le gouvernement.
En effet, le pouvoir d’achat des Irakiens, jadis envié dans la région, demeure
très faible. L’État rémunère, fort mal, près des deux tiers des salariés du pays, dans
des administrations devenues squelettiques pour cause d’absentéisme chronique
et dans des entreprises publiques tournant au tiers de leur capacité. Une carrière
dans la fonction publique n’offre plus les avantages, la sécurité matérielle et le
prestige social de naguère. L’émigration économique apparaît alors comme
l’unique moyen de survie pour un grand nombre d’enseignants, d’ingénieurs et
de médecins. Pour les autres, l’économie informelle, notamment les petits métiers
urbains (vendeurs ambulants, chauffeurs de taxi utilisant des voitures privées...)
ainsi que le retour à des formes de production rudimentaires, fournissent un
maigre complément de revenus.
Aussi une certaine nostalgie pour l’« âge d’or » baasiste se fait-elle sentir, celui
de l’État fort et modernisateur, de l’État-providence des années d’opulence pétro-
lière, garant de l’accès à un certain bien-être matériel. Le pacte social inspiré d’une
variété de « socialisme de classes moyennes », qui avait jusque-là prévalu entre le
régime baasiste et la société, est matériellement rompu. Les magasins d’État où,
avant la guerre, la population trouvait de quoi satisfaire l’essentiel de ses besoins
à prix subventionnés sont aujourd’hui vides. La gratuité de la santé et de l’éduca-
tion a quasiment disparu, le pouvoir ayant décrété une « politique d’autofinan-
cement » en vertu de laquelle les administrations et les établissements publics
répercutent leurs coûts de fonctionnement sur les usagers. Testée en 1997 dans
quelques hôpitaux où l’on a prié les patients d’apporter les médicaments et les
Irak : le temps suspendu de l’embargo — 17

fournitures nécessaires à leur traitement, cette politique a été ensuite étendue à


l’ensemble des administrations, invitées à devenir des « centres de profit ». Du coup,
une large fraction de la population n’a plus accès à l’hôpital ou à l’école. Le cas de
la municipalité de Bagdad louant des bouts de trottoir à des vendeurs ambulants
ou vendant aux enchères son parc automobile est très significatif de cette logique
de privatisation de l’État qui se décharge ainsi de la gestion de pans entiers de la
vie économique et sociale. Le simple accès aux bâtiments administratifs est aujour-
d’hui payant : il faut acquitter un droit d’entrée (bitaqat muraja’a) avant même
d’engager la moindre démarche.
Une telle situation débouche nécessairement sur une quasi-institutionnalisation
de la corruption, perçue comme une nécessité pour compenser la modicité des
revenus licites. Chaque démarche, chaque service administratif a un prix qu’il faut
négocier avec le fonctionnaire concerné. Ni l’appareil judiciaire ni le système uni-
versitaire n’y échappent : les peines prononcées, les sujets d’examens (et leurs
résultats) se monnayent au grand jour. La falsification des documents officiels est
devenue courante, qu’elle soit le fait d’autorités administratives dûment compé-
tentes ou d’individus commercialisant leurs prestations, notamment sur les trot-
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toirs du fameux souq al-mr’aidi de Bagdad où l’on peut tout acheter (passeport, acte
de naissance, carte de rationnement, dispense de service militaire...). L’intensité des
besoins est telle que tout fragment du domaine public peut faire l’objet d’accapa-
rement privé. Tout ce qui appartient à l’État est bon à voler, de l’éclairage des rues
au matériel des entreprises publiques en passant par les pièces archéologiques du
Musée national.
En d’autres termes, les relations entre politique et économique, public et privé,
licite et illicite se sont transformées au fur et à mesure du délitement de la capa-
cité administrative de l’État. Ne pouvant plus mettre en avant ses réalisations, le
régime n’a d’autre choix que de prêcher les vertus de l’économie de marché et du
secteur privé, confirmant ainsi que le « retrait » de l’État ou sa « privatisation »
sont un mode d’adaptation aux contraintes externes et internes2. Saddam Hussein
répète à satiété à ses compatriotes à quel point il les a gâtés – allant même jusqu’à
importer, à une certaine époque, des bananes par avion – et à quel point il leur faut
désormais faire preuve de parcimonie et d’esprit d’entreprise. Les logiques
d’extraction et de redistribution des ressources ainsi que l’idéologie et les symboles
qui tissent la domination du pouvoir sur la société ont dû s’adapter à cette conjonc-
ture inédite. D’où un surinvestissement du registre symbolique par un régime
autoritaire sur le déclin, qui s’efforce d’atténuer son image d’impuissance et de para-
lysie aux yeux de la population. Après avoir brièvement essayé du registre des
droits de l’homme, de la démocratie et du multipartisme en 1992-93, le régime a
jeté son dévolu sur l’islam. Une « Campagne pour la foi » (hamla imaniyya) a été
décrétée à l’échelle nationale et se traduit par la multiplication des émissions
18 — Critique internationale n°11 - avril 2001

religieuses à la télévision comme à la radio, la construction de nouvelles mos-


quées, le renforcement de l’enseignement religieux, notamment pour les cadres du
parti Baas, ainsi que l’interdiction de servir de l’alcool dans les lieux publics. Ce
regain religieux va de pair avec un certain conservatisme social dont le statut de
la femme fait les frais (rétablissement de la notion de crime d’honneur, assouplis-
sement de l’interdiction de la polygamie, encouragement du mariage précoce et,
plus prosaïquement, interdiction du port du pantalon pour les étudiantes dans les
enceintes universitaires). L’ethos tribal a été également réhabilité ; il s’érige désor-
mais en principal pourvoyeur d’identité, de régulation et d’autorité permettant à
une société et à un régime condamnés à la survie au jour le jour de bloquer
l’extension de la violence. Enfin, le culte de la personnalité, avec ses spectacles et
ses rites (les élections présidentielles plébiscitent toujours le chef à 99,9 %) est plus
intense que jamais.

La République du « Grand Bagdad »


L’ordre ancien ne va donc plus de soi : la structure, l’autorité, la souveraineté et le
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système politique ont été ébranlés et ont désormais besoin d’être recomposés.
Certes, l’embargo unit contre l’extérieur, dans un même nationalisme de ressentiment,
la population et le régime, mais n’occulte pas la crise de légitimité qui frappe ce dernier.
La réponse à cette crise pousse d’abord le pouvoir à recentrer son assise terri-
toriale autour de la capitale et à s’accommoder de l’autonomie de facto du Kurdistan
et de la guérilla de faible intensité dans le Sud, pourvu que Bagdad soit sanctuarisée,
comme au temps du Calife al-Mansour retranché dans sa « ville ronde » ; d’ailleurs,
la rhétorique officielle désigne aujourd’hui la capitale comme Dar al-salam – terri-
toire de la paix – et Saddam Hussein comme al-Mansour billah, le Victorieux en Dieu.
Vitrine de la résistance et de la reconstruction d’après-guerre entreprise par le
régime, Bagdad, avec ses palais présidentiels, sa Tour Saddam et son Pont suspendu,
ne laisse apparaître aucun signe de déchéance. Ses marchés bien achalandés regor-
gent de produits importés, et les conditions de vie y contrastent fortement avec le
délabrement du reste du pays, la misère et la détresse de certaines grandes villes
de province qui, comme Basra, donnent l’impression de cités mortes. Aucune
contestation n’y est tolérée : le quartier al-Thaoura, gigantesque enclave chiite de
la capitale, rêve toujours de révolution contre le tyran mais, au moindre soubre-
saut, il est entièrement bouclé par la Garde républicaine. En dehors de Bagdad,
les structures tribales restées très fortes, notamment dans les zones rurales, sont
apparues au pouvoir central comme un précieux appui au maintien de l’ordre.
Soigneusement cooptés et réarmés, les chefs tribaux font d’excellents auxiliaires de
police. L’appareil coercitif (essentiellement la Garde républicaine dirigée par
Qossaï, le fils cadet du Président) peut ainsi opérer à la fois comme une garde
Irak : le temps suspendu de l’embargo — 19

prétorienne en charge de la sécurité physique du groupe dirigeant, et comme


force mobile n’intervenant qu’en cas d’agitation de quelque ampleur.
Cette logique prétorienne accompagne un autre phénomène, la concentration
accrue du pouvoir entre les mains de Saddam Hussein et de sa « maison » qui
regroupe, outre les parents directs, les fidèles issus de la même tribu ou de la
même région, ainsi que les compagnons de route baasistes. En effet, au-delà des
fictions que sont la sempiternelle réunion du Conseil des ministres et la collégia-
lité des procédures gouvernementales formelles, le Président dirige en personne
le gouvernement et se livre à d’interminables marathons télévisés avec tout ce que
l’Irak compte de corps sociaux et professionnels. Son Cabinet (diwan al-ri’assa) est
omniprésent et phagocyte toutes les institutions. Le parti Baas est une coquille
soigneusement vidée, d’autant plus que Saddam Hussein a pu s’émouvoir de la
défection de certains de ses responsables lors des soulèvements populaires du prin-
temps 1991. Au sein de l’administration, le cloisonnement des services reste la
règle. Les bureaucrates vivent sous la menace constante d’un limogeage. Les cam-
pagnes de lutte contre la corruption, dont le fils aîné du Président, Oudaï, et les
puissants médias sur lesquels il a la haute main (le quotidien Babel et la chaîne de
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télévision al-Shabab) se font les champions, constituent en réalité un mode de sur-
veillance et de gouvernement à part entière. L’arbitraire, le flou des frontières
entre le toléré et l’accepté, le légal et l’illégal sont ainsi placés au cœur du politique
et visent à « casser » d’éventuels rivaux politiques et économiques.
L’omniprésence du centre se fait également sentir dans la gestion de l’économie
et des flux financiers qui sont ainsi de facto « privatisés » et empruntent le canal des
réseaux informels et des relations personnelles avec tout ce que cela implique
d’intermédiation et de délégation à des acteurs privés. Toutes les ressources régu-
lières (fiscalité, douanes, production des entreprises d’État) ou occasionnelles
(commissions sur contrats, revenus de la contrebande pétrolière) remontent au
Cabinet présidentiel, pour être ensuite affectées selon son bon vouloir. Celui-ci
désigne, d’une part, les commissionnaires qui, à leurs risques financiers personnels,
acceptent d’exporter, en dehors du cadre onusien, du pétrole ou des dérivés par
l’intermédiaire de Kurdes ou d’acheteurs du Golfe et, d’autre part, les relais à
l’étranger qui importent pour le compte de l’État en contournant l’embargo. De
plus, il exerce directement une fonction de redistribution individualisée au béné-
fice de milliers de personnes appartenant aux catégories sociales les plus diverses.
Cette redistribution constitue, plus que jamais, un facteur de cohésion et de sta-
bilité du régime en ce sens qu’elle opère selon une logique de coercition-transaction
dont l’efficacité n’est plus à démontrer.
En même temps, la « maison » présidentielle se taille la part du lion dans l’éco-
nomie informelle en répartissant les créneaux d’activité et de prédation entre ses
membres et leurs affidés. Ceux-ci sont aujourd’hui les principaux détenteurs de
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devises étrangères, donc les maîtres de l’approvisionnement. Les prix sont ainsi direc-
tement contrôlés par le centre, qui inonde les marchés de produits lorsqu’ils sont
à la hausse ou, inversement, crée des pénuries. Au besoin, il lui est toujours pos-
sible de rejeter la responsabilité sur les contraintes extérieures ou sur l’incivisme
de certains « spéculateurs » qu’on s’empresse de pendre, comme ce fut le cas en
1992. Il en est de même pour le taux de change du dinar par rapport au dollar. Le
régime a ainsi pu contrôler la chute du dinar et résorber l’énorme masse moné-
taire provoquée par son recours massif à la planche à billets jusqu’en 1994-95
grâce à un « vilain tour »3 à l’origine du fameux nuzul (crash) qui a suivi son accep-
tation de la formule « pétrole contre nourriture ». Il s’agissait d’une pure et simple
extorsion de fonds à la population. Le mécanisme était le suivant : des sociétés de
placement promettant une véritable « multiplication » de l’argent grâce à des ren-
dements de l’ordre de 100 % sont apparues à Bagdad et dans certains gouvernorats.
La population s’est ruée sur l’occasion, allant jusqu’à vendre maison et voiture pour
placer le plus d’argent possible. Au bout de quelques mois, ces sociétés ont disparu
et leurs responsables ont pris la fuite. La dépréciation du dinar par rapport au
dollar est alors revenue à un niveau supportable. Il y eut quelques arrestations, mais
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tous les spoliés ont vu la main du pouvoir derrière cette vaste opération.

Une « société vaincue » ?


Au-delà des transactions économiques ou monétaires, la tromperie s’étend à toutes
les relations sociales. Depuis les années quatre-vingt-dix, la population partage aisé-
ment avec le régime l’idée que la fin justifie les moyens et que le salut ne peut venir
que de la « débrouille », de l’« arnaque » ou de la violence, bref du recours à la
ruse et au cynisme le plus brutal. Repliée sur sa sphère domestique, elle assiste
impuissante au bouleversement de ses valeurs et des repères de hiérarchisation qu’elle
avait coutume d’établir entre les personnes et les choses. L’échelle socio-économique,
jadis dominée par les techniciens, fonctionnaires et enseignants vivant dans un
monde « d’encre et de papier », voit aujourd’hui le triomphe des bazazine al-hissar
(chats de l’embargo) qui affichent avec arrogance leur fortune nouvellement acquise
(voitures neuves ou villas de luxe). Ce groupe hétérogène rassemble des paysans
enrichis, des parvenus démunis de capital scolaire mais ayant su occuper le créneau
lucratif des trafics, de la contrebande et de la spéculation, des commerçants et des
entrepreneurs plus ou moins indépendants ainsi que de nouveaux capitalistes issus
des élites dirigeantes, reconvertis à l’économie de marché tout en conservant leur
accès privilégié aux réseaux étatiques.
Politiquement, la population aurait, dit-on, été vaincue puis éliminée du jeu poli-
tique à la suite de la sanglante répression du soulèvement de mars 19914. Or, en
dépit de son échec, et même si depuis cette date aucune forme d’opposition popu-
Irak : le temps suspendu de l’embargo — 21

laire n’a pu voir le jour, cette rébellion spontanée contre le pouvoir, ses institutions
et ses symboles (destruction des statues de Saddam Hussein et de certains bâtiments
officiels, assassinat de responsables baasistes) a constitué un indéniable moment de
rupture. Le pouvoir est soudain apparu vulnérable et près de s’effondrer dans la
foulée de la défaite militaire. Du coup, la peur n’est plus aussi paralysante que par
le passé. Dans ce contexte de régime autoritaire déclinant, mais dont les capacités
coercitives restent dissuasives, l’opposition est souvent spontanée, non armée,
individuelle et dépourvue de capacités organisationnelles, et elle débouche rare-
ment sur des formes d’action collective à même de transformer l’ordre politique.
Elle n’est pas pour autant insignifiante. Des pratiques minuscules d’« incivilité »
s’expriment au jour le jour dans les rapports de pouvoir et les relations sociales ;
ce sont elles qui décrédibilisent chaque jour davantage les instances politiques aux
yeux de tous. La société irakienne en offre un vaste éventail, et l’on ne doit pas sous-
estimer ses capacités de contournement, d’obstruction et de travail de sape de
l’autorité. Des coups de feu tirés en l’air, la nuit, dans certains quartiers de la capi-
tale défient les forces de police et leur signifient l’existence d’enclaves récalci-
trantes. Des actions spectaculaires telles que les récents attentats à la voiture piégée
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ou encore les attaques à la roquette contre des bâtiments officiels en plein cœur
de Bagdad (printemps 2000) visent à démontrer la capacité de nuisance de certains
segments de la population. Chez les jeunes sont apparus des rituels de rébellion.
Le vandalisme vise tout ce qui appartient à l’État. Les désertions de soldats ne se
comptent plus. La transgression sexuelle est également mise à contribution : en juin
1998, lors de la cérémonie de remise des diplômes de la Faculté d’agronomie de
Bagdad, les étudiants se sont travestis, les hommes en femmes, et les femmes en
habit masculin « tribal », raillant ainsi l’instrumentalisation du folklore tribal par
le pouvoir, qui n’a pas manqué de sanctionner lourdement les plaisantins en refu-
sant de leur délivrer leur diplôme.
À l’échelle de l’ensemble de la population, la prolifération des rumeurs diffuse
un bruit de fond qui, souvent, « se construit en accusation et nomme des cou-
pables »5. Le thème de la collusion de Saddam Hussein avec les États-Unis en nour-
rit un flot constant. En 1996, lors de la tentative d’assassinat contre son fils Oudaï,
le bruit s’est répandu que les agresseurs avaient cherché à le châtrer, pour le punir
de sa légendaire prédation sexuelle et pour le priver de descendance. À la rumeur
s’ajoute le nombre infini de blagues qui tournent en ridicule le pouvoir et ses
détenteurs, brocardent les symboles officiels, sans oublier l’autodérision relative
aux conditions de vie sous embargo. Les rites religieux, surtout chiites, sont, quant
à eux, systématiquement transformés en symboles de résistance, jetant ainsi dans
l’embarras le régime qui oscille sans cesse entre l’interdiction et le parrainage.
Enfin, une « culture de l’ombre » (thaqafat al-dhil) commence également à se
constituer en réaction à la culture d’État ; de nombreux recueils de nouvelles et de
22 — Critique internationale n°11 - avril 2001

poèmes, le plus souvent écrits à la main et photocopiés à quelques dizaines d’exem-


plaires, circulent à toute vitesse, hors censure. Paradoxalement, la décennie d’em-
bargo, en empêchant le régime d’exercer son rôle traditionnel de premier mécène
du pays, a libéré la production artistique et intellectuelle du carcan des commandes
d’État, comme l’attestent la floraison de galeries d’art à Bagdad et surtout le dyna-
misme des artistes irakiens (peintres, musiciens ou écrivains) sur la scène culturelle
arabe. Ce processus de conquête de la parole aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur
du pays est indéniable. C’est par glissements successifs que s’opère une relative
« émancipation » de la société par rapport au pouvoir.
Par ailleurs, cette société est loin d’être en proie à la dislocation et au chaos qu’évo-
quent notamment les représentants des diverses factions de l’opposition en exil. La
situation actuelle consolide indéniablement les réseaux communautaires et les
cadres étroits de solidarité aux dépens des structures plus larges et liées à la sphère
politique. Mais en conclure que la société irakienne est intrinsèquement conflic-
tuelle, donc menacée d’éclatement et de guerre civile, est faux et même dangereux.
On peut voir dans l’actuelle remise au goût du jour de la notion de tribu la preuve
de l’impossible greffe de l’État-nation en terre mésopotamienne6 ; on peut aussi
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considérer que le phénomène tribal est entièrement manipulé et instrumentalisé
par le pouvoir7. Il n’en demeure pas moins que la tribu est opportunément apparue
aux yeux de bon nombre d’Irakiens comme une entité à même de répondre à leurs
besoins à la fois matériels et symboliques. Elle leur permet de se repositionner par
rapport au pouvoir dans un contexte d’incertitude politique, de compétition et de
pénurie, où tout s’évalue en termes d’avantages relatifs. Elle est aussi, à bien des
égards, l’un des derniers remparts psychologiques de la sécurité individuelle. La
généralisation actuelle de la pratique de l’arbitrage tribal (façl asha’iri) le confirme :
l’autorité tribale se substitue désormais à un appareil judiciaire corrompu et inef-
ficace dans le règlement de la plupart des litiges. Et pour tous ceux qui, comme bon
nombre de Bagdadis, ne peuvent se prévaloir d’aucune affiliation tribale, il est
toujours possible de louer les services d’un shaykh le temps d’une qa’ada (séance
d’arbitrage tribal). Quant aux identités confessionnelles, elles ne constituent pas
vraiment des blocs politiques, mais plutôt des structures de solidarité et d’entraide.
Beaucoup a été dit et écrit sur le chiisme irakien, mais, dix ans après l’intifadat
muharram (soulèvement de 1991), il est plus que jamais divisé et ne parvient pas
à se doter d’une direction politique unifiée. Les accusations échangées entre les
diverses factions de l’opposition chiite en exil au lendemain de l’assassinat, début
1999, de l’ayatollah Mohammed al-Sadr en apportent l’éclatante démonstration.
Beaucoup plus que la tribu ou la confession, la famille (ou la maisonnée) appa-
raît aujourd’hui comme l’entité de survie des Irakiens confrontés au retrait de
l’État. Elle constitue une unité cruciale de production et de circulation des ressources.
Des familles entières vivent quasi-exclusivement de l’envoi de fonds par l’un de leurs
Irak : le temps suspendu de l’embargo — 23

membres travaillant à l’étranger. La soulfa (tontine) souvent organisée entre plusieurs


familles d’un même quartier permet aussi de disposer de précieuses liquidités pour
faire face aux dépenses courantes ou exceptionnelles. L’engouement pour la création
de petits commerces, légaux ou illégaux, s’appuie aussi sur la famille. Celle-ci sert
souvent de pivot aux multiples réseaux informels qui parcourent et parasitent
toutes les administrations et institutions du pays. En Irak, tout le monde (ou
presque) hait « l’administration » ou « la police », mais tout le monde (ou presque)
a un parent qui y travaille et, du coup, y bénéficie d’un accès personnalisé avec toutes
les possibilités de transactions et d’accommodements que cela comporte. La cor-
ruption elle-même peut être considérée comme contribuant à l’enracinement de
l’État grâce à son appropriation par une masse sociale de plus en plus large. Bref,
loin d’être faite d’individus atomisés face à un État tentaculaire, la société présente
plutôt l’aspect d’un maillage solide et très dense, que l’ingénierie sociale du régime
n’a jamais réussi à réduire. Le rétablissement de la mention du nasab (lignage, lieu
d’origine) dans les noms patronymiques, supprimée dans les années soixante-dix,
reflète cette capacité à contenir l’obstination standardisatrice du régime.
En définitive, la violence physique ne saurait être érigée en unique principe de
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déchiffrement des relations entre l’État et la société en Irak, pas plus que la person-
nalité de Saddam Hussein ne subsume à elle seule toute la vie politique du pays.
L’ordre social qui prévaut depuis 1991 ne s’appuie pas que sur la coercition : tout
pouvoir, fût-il une dictature, repose en grande partie sur la coopération d’une
majorité d’individus et sur la prise en compte de leurs intérêts matériels. Ce qui
frappe aujourd’hui, c’est la volonté du pouvoir non pas de s’imposer à tous, mais
de montrer sa présence, fût-ce de façon intermittente et non officielle. Dans la
mesure où ses capacités sont limitées, le régime se défausse sur des intermédiaires
privés et des agents de liaison anciens ou nouveaux, restant ainsi au centre de
toutes les alliances et coalitions d’intérêts. Son ingéniosité à gérer la crise, sa capa-
cité de réaction et d’initiative, démentent les analyses en termes d’incompétence
ou d’« irrationalité ». L’ambivalence de la situation actuelle résulte du paradoxe sui-
vant : la capacité régulatrice de l’État est formellement érodée, mais son pouvoir
demeure en se redéployant. On est bien loin de la décomposition annoncée au
lendemain de la terrible défaite infligée à l’Irak il y a tout juste dix ans8.

Françoise Rigaud prépare à l’Institut d’études politiques de Paris une thèse sur la société et
l’État irakiens sous le régime des sanctions internationales. E-mail : f.rigaud@yahoo.fr
24 — Critique internationale n°11 - avril 2001

1. Cette notion est empruntée à un contexte différent, celui des sociétés soviétiques. Voir F. Fehér, A. Heller, G. Markus,
Dictatorship Over Needs. An Analysis of Soviet Societies, Oxford, Basil Blackwell, 1983.
2. Voir B. Hibou (dir.), La privatisation des États, Paris, Karthala, 1999, p. 6.
3. Voir la notion de « dirty tricks politics » développée par J.S. Migdal dans Strong Societies and Weak States. State-Society Relations
and State Capabilities in the Third World, Princeton University Press, 1988.
4. Thèse défendue par P.-J. Luizard, « Introduction », dans Mémoires d’Irakiens : à la découverte d’une société vaincue, numéro
spécial de Maghreb-Machrek, 163, janvier-mars 1999, p. 15.
5. F. Nassif Tar Kovacs, Les rumeurs dans la guerre du Liban. Les mots de la violence, Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 12.
6. H. Al-Alawi, Dawlat al-Isti’ara min Fayçal al-awal ila Saddam Hussein, Londres, Dar al Zawra, 1993.
7. A. Baram, « Neo-tribalism in Iraq : Saddam Hussein’s tribal policies 1991-96 », International Journal of Middle East
Studies, 29, 1997, pp. 1-31.
8. Je remercie le Middle East Centre de St. Anthony’s College (Oxford) pour son accueil et son soutien dans le cadre de cette
recherche.
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