Toaz - Info Ne Coupez Jamais La Poire en Deux
Toaz - Info Ne Coupez Jamais La Poire en Deux
Toaz - Info Ne Coupez Jamais La Poire en Deux
suivante :
https://blackswamltd.com
CHRIS VOSS
AVEC TAHL RAZ
NE COUPEZ JAMAIS
LA POIRE EN DEUX
Un manuel redoutable
pour négocier gagnant
par un négociateur du FBI
Traduit de l’américain
par David Rochefort
J’étais tétanisé.
Cela faisait plus de vingt ans que je travaillais pour le FBI – dont
quinze années comme négociateur lors de prises d’otages à New
York, aux Philippines ou au Moyen-Orient – et j’étais au sommet de
mon art. Si 10 000 agents du FBI sont constamment en activité, il
n’existait qu’un seul négociateur international pour les kidnappings :
c’était moi.
Pourtant, je n’avais jamais connu de prise d’otage aussi tendue,
avec des enjeux aussi personnels.
« On tient votre fils, Voss. Donnez-nous un million de dollars ou il
mourra. »
Marquer un temps d’arrêt. Cligner des yeux. Ramener les
battements du cœur à un rythme normal.
Bien sûr, je m’étais déjà trouvé dans ce genre de situation.
Souvent, même. De l’argent en échange d’une vie. Mais pas de cette
façon. Pas avec mon fils dans la balance. Pas contre un million de
dollars. Et pas face à des gens qui possédaient de beaux diplômes
et une longue expérience dans l’art de la négociation.
Voyez-vous, mes interlocuteurs étaient professeurs de
négociation à la Harvard Law School.
La négociation à l’ancienne
Les prises d’otages – et donc les négociations pour faire libérer
les otages – existent depuis la nuit des temps. L’Ancien Testament
regorge de récits où des Israélites prennent leurs ennemis en otage,
comme butin de guerre, et réciproquement. De leur côté, les
Romains forçaient les princes des États inféodés à envoyer leurs fils
à Rome pour leur éducation, afin de s’assurer de leur loyauté.
Jusqu’à la présidence de Richard Nixon, la procédure de
négociation pour relâcher des otages se limitait à faire intervenir des
soldats et à tenter de les libérer par les armes. Dans la police, notre
approche consistait pour l’essentiel à parler jusqu’à ce que l’on
trouve un moyen de les exfiltrer. La force brute.
Une série d’expériences désastreuses nous obligea à évoluer. En
1971, 39 otages furent tués quand la police essaya de mettre fin par
la force aux émeutes de la prison d’Attica, dans le nord de New York.
Puis, aux Jeux olympiques de Munich en 1972, 11 athlètes et
entraîneurs israéliens furent tués par leurs ravisseurs
palestiniens après l’échec d’une tentative de sauvetage menée par
la police allemande.
Mais le déclic qui poussa la police américaine à un changement
institutionnel se produisit sur le tarmac de l’aéroport de Jacksonville,
en Floride, le 4 octobre 1971.
Les États-Unis connaissaient à l’époque une série de
détournements d’avion : en 1970, il y en eut cinq en trois jours. C’est
dans cette atmosphère pesante qu’un déséquilibré nommé George
Giffe Jr détourna un charter qui quittait Nashville, Tennessee, à
destination des Bahamas.
À la fin de cet épisode, Giffe avait abattu deux otages – son ex
femme et le pilote – et s’était suicidé.
Cette fois, personne n’accusa le preneur d’otages ; le FBI fut
directement mis en cause. En effet, deux otages avaient réussi à
convaincre Giffe de les libérer sur le tarmac de Jacksonville, où ils
s’arrêteraient pour se ravitailler. Mais les agents perdirent leur calme
et tirèrent sur l’appareil, ce qui poussa Giffe à choisir l’option la plus
radicale.
En réalité, les accusations portées contre le FBI étaient si bien
étayées que quand Mme Downs, la veuve du pilote, et la fille de Giffe
portèrent plainte pour homicide délictuel en plaidant la négligence du
FBI, le tribunal jugea la plainte recevable.
Dans la décision Downs vs United States de 1975, qui marque un
véritable tournant, la Cour d’appel des États-Unis écrit qu’« il existait
une solution plus adaptée pour protéger le bien-être des otages » et
affirme que le FBI avait transformé « ce qui avait été un “jeu
d’attente” efficace, dans lequel deux personnes quittaient l’avion en
sécurité, en “compétition de tir” où trois personnes trouvèrent la mort
». La cour conclut qu’« il est nécessaire de procéder à une
tentative raisonnable de négociations avant une intervention tactique
».
Ce détournement en vint à incarner parfaitement tout ce qu’il ne
fallait pas faire dans une situation de crise et inspira le
développement des théories, entraînements et techniques actuels
pour les négociations avec des preneurs d’otages.
Peu de temps après cette tragique affaire, le New York City
Police Department (NYPD) devint la première force de police du
pays à mettre en place une équipe de spécialistes chargée de deux
missions : concevoir une procédure spécifique et prendre en charge
les négociations de crise. Le FBI et les autres suivirent.
Pour la négociation, une nouvelle ère s’ouvrait.
Le livre
Comme un entrepreneur bâtissant une maison, ce livre part de la
base : d’abord viennent les grandes dalles des fondations, et ensuite
les murs porteurs, la toiture élégante mais imperméable et les
ravissantes décorations intérieures.
Chaque chapitre se développe à partir du précédent. Vous
découvrirez d’abord les techniques sophistiquées de l’écoute active,
puis vous avancerez vers les outils spécifiques, les tournures de
phrases, les tenants et les aboutissants du marchandage et, enfin,
vous apprendrez comment débusquer la perle rare qui peut vous
aider à atteindre la véritable excellence en négociation : le cygne
noir.
Le chapitre 2 vous montrera comment éviter les présupposés qui
aveuglent les négociateurs néophytes et comment les remplacer par
les techniques d’écoute active comme la réponse en miroir, le
silence et la voix d’animateur de talk-show nocturne. Vous
découvrirez comment ralentir le cours des choses et comment faire
en sorte que votre interlocuteur se sente suffisamment en sécurité
pour se dévoiler ; comment distinguer les vœux (aspirations) et les
besoins (le strict minimum pour un accord) ; et comment se focaliser
sur ce que la partie adverse a à dire.
Le chapitre 3 plongera dans l’empathie tactique. Vous
apprendrez à reconnaître la perspective de votre interlocuteur et à
gagner confiance et compréhension grâce à l’étiquetage – c’est-à
dire en répétant à votre interlocuteur sa perspective. Vous
apprendrez aussi comment désamorcer des dynamiques négatives
en les mettant au grand jour. Enfin, j’expliquerai comment désarmer
les récriminations de votre interlocuteur à votre égard en les
exprimant à voix haute dans un passage en revue des accusations.
Puis, dans le chapitre 4, j’examinerai les méthodes permettant à
votre interlocuteur de se sentir compris et en confiance dans une
négociation afin de créer une atmosphère de regard positif
inconditionnel. Ici, vous apprendrez pourquoi il faut chercher à
obtenir la réponse « c’est ça » plutôt que « oui » à toutes les étapes
de la négociation, et comment identifier, reformuler et affirmer
émotionnellement la vision des choses de votre interlocuteur avec
des résumés et des paraphrases.
Le chapitre 5 revient sur Getting to Yes. Vous y découvrirez
l’importance cruciale d’entendre « non », parce que ce « non » est le
commencement d’une négociation. Vous apprendrez aussi à sortir de
votre ego pour que la négociation s’inscrive dans l’univers de votre
interlocuteur – c’est l’unique façon d’obtenir un accord que la partie
adverse mettra en œuvre. Enfin, vous verrez comment impliquer
votre interlocuteur en reconnaissant son droit à choisir, et je vous
enseignerai une technique pour que vos mails ne restent plus jamais
sans réponse.
Dans le chapitre 6, vous découvrirez l’art de déformer la réalité
de votre interlocuteur. Grâce à une série d’outils permettant de
cadrer une négociation, vous verrez comment lui faire accepter
inconsciemment les limites que vous aurez posées à la discussion.
Vous apprendrez à jouer avec les échéances pour créer un
sentiment d’urgence, à utiliser la notion de justice, à fixer les
émotions de votre interlocuteur pour lui donner le sentiment que
refuser votre offre représenterait une perte.
Le chapitre 7 est dédié à cet outil incroyablement puissant dont je
me suis servi à Harvard : les questions calibrées, les demandes qui
commencent par « comment » ou « pourquoi ». En éliminant les
réponses de type « oui » ou « non », elles obligent votre interlocuteur
à mettre toute son énergie mentale au service de la résolution de vos
problèmes.
Dans le chapitre 8, je montre comment se servir de ces questions
calibrées pour se protéger des échecs dans la phase de mise en
œuvre. Comme je le dis toujours, le « oui » n’est rien sans le «
pourquoi ». Vous découvrirez également l’importance de la
communication non verbale ; comment utiliser les questions de type
« pourquoi » pour exprimer « non » en douceur ; comment mener
votre interlocuteur à enchérir contre lui-même ; et comment agir sur
les obstacles invisibles qui bloquent l’accord.
Il y a toujours un moment où la négociation passe aux choses
sérieuses, c’est-à-dire à du marchandage à l’ancienne. Le chapitre 9
propose une méthode efficace, étape par étape : comment se
préparer, comment esquiver un interlocuteur agressif et comment
passer à l’offensive. Avec le système Ackerman, vous découvrirez la
meilleure tactique dont dispose le FBI pour déterminer et faire des
offres.
Enfin, le chapitre 10 explique comment trouver et utiliser le plus
rare des animaux dans la négociation : le cygne noir. Dans toute
négociation se dissimulent trois à cinq informations qui, si elles
étaient mises au jour, pourraient tout faire basculer. Ce concept est
révolutionnaire – à tel point que j’ai appelé ma société le Black Swan
Group. Dans ce chapitre, vous verrez comment reconnaître les
signes qui indiquent où se niche un cygne noir et vous trouverez des
outils pour, grâce à ces cygnes noirs, prendre l’avantage sur votre
interlocuteur et arriver à d’excellents accords.
Chaque chapitre débutera par le court récit d’une négociation.
Les cas seront ensuite disséqués pour analyser ce qui a marché et
ce qui a échoué. Après l’explication de la théorie et des outils, nous
aborderons des études de cas tirés de ma vie ou de celle de
personnes qui se sont servies de ces outils pour l’emporter quand
elles négociaient une augmentation de salaire, l’achat d’une voiture
ou pour régler un problème à la maison.
Quand vous aurez refermé ce livre, j’aurai rempli ma mission si
vous appliquez ces techniques décisives pour améliorer votre
carrière et votre vie. Je suis sûr que vous le ferez. Souvenez-vous
juste d’une chose : pour bien négocier, il est essentiel de se préparer.
Voilà pourquoi, en annexe, vous trouverez un outil précieux dont je
me sers avec tous mes clients et étudiants : la feuille de négociation.
C’est un livret concis recensant presque toutes nos tactiques et
stratégies, à méditer et à personnaliser pour n’importe quel accord
que vous essayez d’obtenir.
Le plus important pour moi, c’est que vous compreniez à quel
point la négociation est urgente, essentielle, et même belle. Quand
on saisit les possibilités de changement qu’elle offre, on est alors en
mesure d’apprendre à obtenir ce que l’on veut et à faire progresser
les autres.
La négociation se trouve au cœur de toutes les collaborations.
C’est elle qui rend le conflit potentiellement intéressant et productif
pour l’ensemble des participants. Elle peut changer votre vie, comme
elle a changé la mienne.
Je me suis toujours considéré comme un type normal. Travailleur
et désireux d’apprendre, certes, mais pas particulièrement doué. Et
j’ai toujours pensé que la vie offrait des possibilités extraordinaires.
Dans mes jeunes années, j’ignorais seulement comment créer les
conditions favorables pour qu’elles se concrétisent.
Mais avec tout ce que j’ai appris, j’ai pu réaliser des choses
incroyables et voir les gens que j’avais formés atteindre des résultats
spectaculaires. Quand je me sers de l’expérience que j’ai acquise
ces trente dernières années, je sais que j’ai vraiment le pouvoir de
changer le cours de ma vie et d’aider les autres à faire de même. Il y
a trente ans, je sentais que c’était possible, mais je ne savais pas
comment y parvenir.
Désormais, je le sais. Voici comment y arriver.
1. Robert Mnookin, Bargaining with the Devil. When to Negotiate, When to Fight, New
York, Simon & Schuster, 2010.
2. Best Alternative to a Negotiated Agreement. En français, on traduit l’expression par
« meilleure solution de rechange », Mesore. (N.d.T.)
3. Zone of Possible Agreement. En français, « zone d’accord possible ». (N.d.T.)
4. Roger Fisher et William Ury, Getting to Yes. Negotiating Agreement Without Giving
In, Boston, Houghton Mifflin, 1981.
5. Daniel Kahneman, Thinking, Fast and Slow, New York, Farrar, Straus & Giroux,
2011.
6. Philip B. Heymann and United States Department of Justice, Lessons of Waco.
Proposed Changes in Federal Law Enforcement, Washington, DC, U.S. Department of
Justice, 1993.
7. L’Ivy League regroupe huit universités parmi les plus prestigieuses et les plus
anciennes des États-Unis. (N.d.T.)
2
Être un miroir
30 septembre 1993
Un frais matin d’automne, vers 8 h 30. Deux braqueurs
déclenchent une alarme en déboulant dans la Chase Manhattan
Bank, au coin de la Septième Avenue et de Carroll Street, à
Brooklyn. À l’intérieur, il n’y a que deux guichetières et un agent de
sécurité. Les braqueurs frappent ce dernier – qui a 60 ans et qui
n’est pas armé – au visage avec un .357, le traînent jusqu’aux
toilettes pour hommes et l’y enferment. L’une des guichetières subit
le même traitement, frappée avec le pistolet. Puis l’un des braqueurs
se tourne vers l’autre guichetière, place le canon dans sa bouche et
appuie sur la gâchette – clic, le barillet vide résonne.
« La prochaine sera vraie, lance le cambrioleur. Maintenant,
ouvre la salle des coffres. »
Calmer le schizophrène
Notre centre des opérations de négociation s’installa dans un
bureau d’une banque située en face de la Chase, de l’autre côté
d’une rue étroite. Bien trop proches du lieu de la prise d’otages, nous
nous trouvions donc dès le début dans une situation défavorable, à
moins de 30 mètres du point critique. Bien sûr, dans l’idéal, il vaut
mieux se protéger en mettant une certaine distance entre vous et la
catastrophe qui pourrait se produire.
Quand mes collègues et moi sommes arrivés, je fus
immédiatement nommé pour coacher le négociateur de la police au
téléphone. Il s’appelait Joe et il s’en sortait bien – mais dans ce
genre de situation, personne n’agit seul. On travaille toujours en
équipe, l’idée étant que plus il y a de paires d’oreilles, plus on récolte
des informations. Dans certains cas, nous avions jusqu’à cinq
personnes en ligne, analysant les informations au fur et à mesure,
proposant des données et des conseils en direct au négociateur – et
c’est dans cette configuration que nous étions ici. Joe prenait
l’initiative au téléphone et nous étions trois ou quatre à écouter,
faisant circuler des notes, cherchant à donner du sens à cette
situation confuse. L’un d’entre nous essayait d’évaluer l’humeur du
malfaiteur qui menait les débats et un autre écoutait, à la recherche
d’indices qui pourraient nous apporter une meilleure lecture de ce
que nous affrontions, et ainsi de suite.
Mes étudiants rechignent devant cette notion. Ils me demandent
toujours : « Sérieusement, vous avez vraiment besoin de toute une
équipe pour… écouter quelqu’un ? » Le fait que le FBI en soit arrivé
à cette conclusion, leur dis-je, devrait les alerter : ce n’est pas si
simple de bien écouter.
Notre attention est facilement détournée. Nous pratiquons
l’écoute sélective, n’entendant que ce que nous voulons entendre ;
nos esprits, agissant avec un biais cognitif, favorisent la cohérence
plutôt que la vérité. Et ce n’est que le début. La plupart des gens
s’engagent dans une négociation en étant tellement focalisés sur
leurs arguments qu’ils sont incapables d’écouter avec attention.
Dans l’un des articles scientifiques les plus cités en psychologie1,
George A. Miller défend de façon convaincante l’idée que notre
esprit conscient ne peut traiter, à un instant x, que sept informations.
En d’autres termes, nous sommes facilement débordés.
Les gens qui considèrent la négociation comme un duel
d’arguments sont submergés par les voix dans leur tête. Quand ils
ne parlent pas, ils pensent à leurs arguments et, quand ils parlent, ils
défendent leur point de vue. Souvent, les deux parties qui négocient
font la même chose, et on arrive à ce que j’appelle un état de
schizophrénie : chacun n’écoute que les voix dans sa tête (et pas
bien, puisqu’elles font sept ou huit autres choses en même temps).
On a l’impression qu’il n’y a que deux personnes dans une
conversation, mais en réalité c’est plutôt comme s’il y avait quatre
personnes qui parlaient en même temps.
Il existe une méthode redoutable pour calmer à la fois la voix
dans votre tête et dans celle de votre interlocuteur : traiter deux
schizophrènes avec une seule et même pilule. Au lieu de
hiérarchiser vos arguments – en fait, avant même de commencer à
penser à ce que vous allez dire –, ne portez votre attention que sur
l’autre personne, de façon exhaustive, et sur ce qu’elle a à dire. Dans
ce mode d’écoute active – et grâce aux tactiques que vous
apprendrez dans les prochains chapitres –, vous désarmerez votre
interlocuteur. Il aura le sentiment d’être en sécurité. Ses voix
intérieures commenceront à se calmer.
Le but est de discerner ce dont votre interlocuteur a vraiment
besoin (sur le plan monétaire, émotionnel ou autre) en l’amenant à
se sentir suffisamment en sécurité pour parler, parler et encore parler
de ce qu’il désire. Il est facile d’exprimer ses volontés, de montrer
son désir d’avoir gain de cause et de maintenir l’illusion de contrôle
quand nous commençons à négocier ; les besoins sous entendent la
survie, le strict minimum pour nous faire agir, et nous
rendent donc vulnérables. Mais pour nous, le point de départ ne se
situe ni dans les volontés ni dans les besoins : tout commence par
l’écoute, en mettant l’accent sur l’autre personne, en prenant en
compte ses émotions et en créant suffisamment de confiance et de
sécurité pour qu’une véritable conversation puisse s’instaurer.
Quand nous avions le preneur d’otages au bout du fil, nous étions
bien loin de cet objectif. Il utilisait sans cesse de curieux subterfuges.
Il ne voulait même pas donner son nom, il essayait de changer sa
voix, il répétait à Joe qu’il mettait le haut-parleur pour que ses
complices puissent entendre puis, d’une façon abrupte, il annonçait
qu’il plaçait Joe « en attente » et raccrochait. Il nous demandait de lui
trouver une camionnette pour que lui et ses partenaires puissent se
rendre au commissariat le plus proche avec leurs otages. Les
contresens à propos de leur reddition venaient de là – et, bien sûr, il
s’agissait bien plus de s’évader que de se rendre. Au fond de lui, ce
type pensait qu’il pourrait d’une façon ou d’une autre sortir de la
banque sans être interpellé ; maintenant que le complice qui l’avait
conduit ici s’était enfui, il avait besoin d’avoir accès à un véhicule.
Quand tout fut terminé, d’autres détails firent sens. D’abord, nous
n’étions pas les seuls à qui il avait menti. Manifestement, ce matin là,
il n’avait pas annoncé à ses partenaires qu’ils partaient faire un
braquage. L’homme, convoyeur de fonds, travaillait avec cette
banque. Ainsi, ses complices avaient cru qu’ils allaient juste
dévaliser le distributeur de billets. Ils n’avaient pas eu l’intention de
prendre des otages, et nous découvrîmes donc que, en quelque
sorte, les associés du braqueur étaient également ses otages. Ils
avaient été embarqués dans une sale histoire qu’ils n’avaient pas
vue venir – et, en fin de compte, c’est cette « coupure » entre les
preneurs d’otages qui nous permit de les monter les uns contre les
autres et de débloquer la situation.
Ra-len-ti-ssez
Le braqueur voulait nous faire croire que les otages étaient bien
traités, mais l’agent de sécurité était mal en point et la seconde
guichetière s’était réfugiée au sous-sol. À chaque fois que Joe
demandait à parler aux otages, son interlocuteur temporisait, faisant
croire qu’une grande agitation régnait à l’intérieur de la banque, nous
expliquant en long et en large à quel point s’occuper des otages
prenait du temps et de l’énergie. Très souvent, c’était une excuse
pour mettre Joe en attente ou pour interrompre l’appel. Il disait : «
Les filles ont besoin d’aller aux toilettes » ou « Les filles veulent
appeler leurs familles » ou « Les filles veulent manger quelque chose
».
Joe parvenait bien à le faire parler, mais il était contraint par les
méthodes que les services de police adoptaient à l’époque. Leur
approche était à moitié de l’improvisation et à moitié commerciale –
en gros, il s’agissait d’essayer de persuader, de contraindre ou de
manipuler de n’importe quelle façon. Nous étions trop pressés et
nous recherchions avant tout une solution rapide – essayant de
résoudre le problème plutôt que de faire évoluer les gens.
Tous les négociateurs ont tendance à commettre la même erreur
en voulant aller trop vite en besogne. Si nous sommes trop pressés,
nos interlocuteurs peuvent avoir l’impression de ne pas être
entendus et nous risquons de saper les bonnes relations et la
confiance que nous avons bâties. De nos jours, de nombreux travaux
ont montré que le temps était l’un des outils les plus
importants pour un négociateur. Quand vous ralentissez le
processus, vous l’apaisez également. Après tout, tant que quelqu’un
vous parle, il ne tire pas de coups de feu.
Nous avons saisi notre chance quand les braqueurs ont
commencé à s’inquiéter pour la nourriture. Joe les balada pendant
un moment sur ce qu’ils allaient manger et comment on allait pouvoir
le leur livrer. Cela devint une négociation à part entière. Nous avons
tout mis en place ; nous étions prêts à envoyer le repas sur une sorte
de robot, pour rassurer le braqueur, quand celui-ci fit volte face, nous
disant de laisser tomber. Il avait trouvé à manger à l’intérieur, et on
avait l’impression de parler à un mur, de n’avoir face à nous que des
écrans de fumée. Dès que l’on pensait avoir progressé, il opérait un
virage abrupt, raccrochait ou changeait d’avis.
Dans l’intervalle, nos enquêteurs en profitaient pour vérifier les
plaques d’immatriculation de tous les véhicules qui se trouvaient à
proximité, dans la rue, et réussirent à contacter les propriétaires de
chaque voiture, à l’exception d’une seule – celle d’un certain Chris
Watts. Cela devint alors notre seule et unique piste et, tandis que
nos interminables va-et-vient se poursuivaient au téléphone, nous
envoyâmes un groupe d’enquêteurs à l’adresse indiquée dans les
fichiers pour ce Chris Watts. Ils trouvèrent quelqu’un qui connaissait
l’individu et qui accepta de nous accompagner sur les lieux pour
essayer de l’identifier.
Nous n’avions toujours pas de vue sur l’intérieur des locaux et il
fallait donc que notre témoin oculaire soit plutôt un « témoin auditif ».
Finalement, il reconnut Chris Watts au son de sa voix.
Nous en savions désormais plus sur notre adversaire que ce qu’il
croyait, ce qui nous conférait provisoirement un avantage. Nous
assemblions toutes les pièces du puzzle, mais cela ne nous
rapprochait pas encore de notre but : déterminer avec précision qui
se trouvait dans le bâtiment, s’assurer de la santé et du bien-être des
otages et faire sortir tout le monde en sécurité – les victimes comme
les malfaiteurs.
La voix
Au bout de cinq heures, nous nous retrouvions dans une impasse
; le lieutenant qui était chargé de l’opération me demanda de prendre
le relais. Joe sortait du jeu, j’y entrais. De tous les mouvements
stratégiques à notre disposition, c’était le seul qui n’impliquait pas
une escalade de la violence.
L’homme que nous connaissions désormais sous le nom de Chris
Watts avait pris l’habitude de mettre fin brusquement à ses appels, et
mon travail consistait donc à chercher une façon de le faire parler. Je
pris ma voix d’animateur de talk-show nocturne : profonde, douce,
lente et rassurante. On m’avait demandé d’attaquer Watts le plus tôt
possible sur son identité. Par ailleurs, ne tenant pas compte du
protocole standard, je pris le téléphone sans avertir Watts du
changement d’interlocuteur. C’était une manœuvre astucieuse du
lieutenant du NYPD pour faire bouger la situation, mais cela aurait
facilement pu se retourner contre nous. Cette voix apaisante était la
clé pour calmer l’affrontement.
Chris Watts m’entendit au bout du fil et me coupa immédiatement
la parole :
« Hey, où est Joe ?
— Joe est parti, ai-je répondu. Ici, c’est Chris. C’est à moi que tu
parles maintenant. »
Je ne le formulai pas comme une question. C’était une
affirmation, prononcée avec une intonation descendante. La
meilleure façon de décrire la voix d’animateur de talk-show nocturne,
c’est de la présenter comme celle du calme et de la raison.
Quand ils étudient une stratégie ou une approche de négociation,
les gens ont tendance à concentrer toute leur énergie sur ce qu’il
importe de dire ou de faire. Pourtant, le plus simple à mettre en
œuvre et le mode d’influence le plus immédiatement efficace, c’est
notre façon d’être (notre comportement et notre élocution dans leur
ensemble). Nos cerveaux ne se limitent pas à traiter et comprendre
les actions et les mots des autres, mais aussi leurs sentiments et
leurs intentions, le sens social de leur comportement et de leurs
émotions. Inconsciemment, nous pouvons comprendre les autres,
non pas par la pensée mais en saisissant littéralement ce qu’ils
ressentent.
Vous pouvez voir ça comme une sorte de télépathie neurologique
involontaire – chacun de nous, à chaque instant, indique au monde
qui nous entoure si nous sommes prêts à jouer, à nous battre, à rire
ou à pleurer.
Quand nous dégageons de la chaleur et de la reconnaissance, le
flux des conversations semble naturel. Quand nous pénétrons dans
une pièce avec aisance et enthousiasme, nous attirons les gens vers
nous. Si vous souriez à quelqu’un dans la rue, la personne aura le
réflexe de vous sourire en retour. Comprendre ce réflexe, et le mettre
en pratique, est essentiel au succès de toutes les compétences de
négociation.
Voilà pourquoi l’outil le plus puissant de toute communication
verbale est votre voix. Vous pouvez vous en servir pour atteindre le
cerveau de quelqu’un et contrôler ses émotions. De la méfiance à la
confiance. De la nervosité au calme. En un instant, simplement avec
la bonne intonation, les émotions basculent.
Pour l’essentiel, le négociateur dispose de trois intonations : la
voix d’animateur de talk-show nocturne, la voix positive ou enjouée
et la voix directe, assurée. Pour l’instant, oubliez cette dernière ; à de
rares exceptions près, l’utiliser revient à se tirer une balle dans le
pied. Vous donnez le signal d’une domination sur votre interlocuteur,
qui repoussera – de façon agressive ou passive-agressive – cette
tentative de contrôle.
La plupart du temps, vous emploierez la voix positive ou enjouée.
C’est la voix d’une personne aimable, décontractée. Votre attitude
est légère et encourageante. Ici, la clé est de se détendre et de
sourire quand vous parlez. Un sourire, même quand on échange par
téléphone, se ressent dans l’intonation et est perçu par votre
interlocuteur.
L’effet de l’intonation est interculturel et ne dépend pas de la
langue parlée. En vacances en Turquie, l’un de nos formateurs au
Black Swan Group fut stupéfait – pour ne pas dire assez embarrassé
– de constater que sa compagne obtenait de meilleurs résultats que
lui lorsqu’ils discutaient les prix dans les ruelles du marché aux
épices d’Istanbul. Pour les vendeurs des souks du Moyen-Orient, le
marchandage est élevé au rang d’art. Leur intelligence émotionnelle
est affûtée et ce sont des virtuoses de l’hospitalité et de l’amabilité.
Ainsi, ils vous attirent et créent une réciprocité qui se terminera par
un échange monétaire. Mais cela fonctionne dans les deux sens,
comme notre instructeur put le découvrir en observant sa compagne
: elle abordait chaque rencontre comme un jeu amusant, de sorte
que, même quand son insistance se faisait plus agressive, son
sourire et son attitude enjouée préparaient les vendeurs à trouver
une issue favorable.
Quand les gens adoptent un état d’esprit positif, ils pensent plus
vite et ont plus de chances de collaborer et de résoudre des
problèmes (au lieu de combattre et de résister). Cela s’applique tout
autant à celui qui sourit qu’à son interlocuteur : un sourire sur votre
visage, et dans votre voix, accroîtra votre agilité mentale.
Mettre en miroir
Chris Watts reprit le combiné en essayant de faire comme si de rien
n’était. Il était un peu ébranlé, c’est sûr, mais à présent il parlait. «
Nous avons identifié chaque véhicule dans la rue et interrogé tous
leurs propriétaires, à l’exception d’un seul, dis-je à Watts. Il y a une
camionnette dehors, une camionnette bleu et gris. Nous avons
pu mettre la main sur les propriétaires de tous les véhicules sauf
celui-ci. Est-ce que vous avez une idée ?
— L’autre véhicule n’est pas là parce que vous avez chassé mon
chauffeur…, laissa-t-il échapper.
— Nous avons chassé votre chauffeur ? répondis-je en miroir.
— Ben, quand il a vu la police, il s’est tiré.
— Nous ne savons rien de ce type : est-ce que c’est lui qui
conduisait la camionnette ? » demandai-je.
La mise en miroir continua entre Watts et moi, et j’en tirai une
série d’aveux préjudiciables. Il « vomissait » des informations
(comme on le dit maintenant dans mon cabinet de conseil). Il évoqua
un complice dont nous ignorions alors l’existence. Et cet échange
nous permit de mettre la main sur le conducteur de la voiture qui
devait leur servir à s’enfuir.
Leçons clés
La négociation se résume avant tout à dialoguer et à établir de
bons rapports ; une façon de créer rapidement des relations et de
faire parler et penser ensemble plusieurs personnes. Si vous pensez
aux plus grands négociateurs de tous les temps, j’ai une surprise
pour vous – pensez seulement à Oprah Winfrey.
Son émission de télévision quotidienne montrait une très grande
professionnelle en action : sur une scène, face à face avec quelqu’un
qu’elle n’avait jamais rencontré, dans un studio rempli de
centaines de personnes, avec des millions de téléspectateurs
regardant depuis chez eux, elle avait pour tâche de persuader son
interlocuteur, parfois à l’encontre de ses intérêts, de parler, parler et
encore parler, partageant en fin de compte avec le monde entier des
secrets profonds, sombres, qui avaient été enfouis pendant des
années.
Observez bien ce genre d’interactions après avoir lu ce chapitre
et, d’un coup, vous apercevrez un ensemble très fin de techniques
puissantes : un sourire volontaire pour faire baisser la tension ;
l’usage d’un langage verbal et non verbal subtil pour indiquer
l’empathie (et donc la sécurité) ; une intonation descendante ; le
choix d’un certain type de questions au détriment d’autres ; tout un
spectre de techniques qui étaient auparavant cachées et qui se
révéleront d’une valeur inestimable pour vous une fois que vous
aurez appris à vous en servir.
L’empathie tactique
Ce jour-là, à Harlem, nous avions un gros problème : nous
n’avions pas de numéro de téléphone pour joindre l’intérieur de
l’appartement. Et donc, pendant six heures – relevé de temps en
temps par deux agents du FBI qui étaient en train d’être formés à la
négociation de crise –, j’ai parlé à travers la porte de l’appartement.
Je me suis servi de ma voix d’animateur de talk-show nocturne.
Je n’ai pas donné d’ordre ou demandé ce que voulaient les fugitifs.
Au lieu de ça, je me suis mis à leur place.
« On dirait que vous n’avez pas envie de sortir, leur ai-je répété à
maintes reprises. J’ai l’impression que ce qui vous inquiète, c’est
que, dès que vous ouvrirez la porte, on arrivera en tirant dans tous
les sens. J’ai l’impression que vous n’avez pas envie de retourner en
prison. »
Pendant six heures, on n’a pas obtenu de réponse. Les
instructeurs du FBI adoraient ma voix d’animateur radio. Mais est-ce
que ça fonctionnait ?
Et alors, au moment où on commençait à croire qu’il n’y avait
personne à l’intérieur, un sniper posté sur un immeuble adjacent
nous prévint par radio qu’il avait vu bouger un des rideaux de
l’appartement.
La porte d’entrée de l’appartement s’ouvrit lentement. Une
femme apparut, les mains devant elle.
Je continuai à parler. Les trois fugitifs sortirent. Aucun d’entre eux
ne prononça un mot avant qu’on leur passe les menottes. Puis je
leur posai la question qui me taraudait : pourquoi étaient ils sortis
après six heures de silence radio ?
Les trois me donnèrent la même réponse.
« On ne voulait pas se faire arrêter ou se faire tirer dessus, mais
vous nous avez calmés, me dirent-ils. Nous avons finalement pensé
que vous ne partiriez pas, alors on est juste sortis. »
L’étiquetage
Retournons un instant à notre embrasure de porte à Harlem.
Nous disposions de peu d’éléments mais, si vous avez trois fugitifs
coincés dans un appartement au 27e étage d’un immeuble de
Harlem, ils n’ont pas besoin de parler pour que vous sachiez que
deux choses les préoccupent : être tués et aller en prison. Et donc
dans ce couloir étouffant, six heures durant, les deux étudiants en
négociation du FBI et moi-même avons parlé à tour de
rôle. Nous nous relayions pour éviter les hésitations verbales et
autres erreurs causées par la fatigue. Et nous martelions sans
relâche le même message, répétant tous trois la même chose.
Maintenant, lisez attentivement ce que nous disions : « On dirait
que vous n’avez pas envie de sortir. Il semble que ce qui vous
inquiète, c’est que l’on tire dans tous les sens dès que vous ouvrirez
la porte. On dirait que vous n’avez pas envie de retourner en prison.
»
Avec notre empathie tactique, nous avons reconnu, puis mis des
mots sur les émotions prévisibles liées à la situation. Nous ne nous
sommes pas juste mis à la place des fugitifs. Nous avons identifié
leurs sentiments, les avons mis en mots et ensuite, très calmement
et respectueusement, nous leur avons renvoyé leurs émotions.
En négociation, cela s’appelle l’étiquetage.
C’est une façon de valider les émotions de quelqu’un en les
reconnaissant. Donnez un nom à l’émotion que ressent une
personne et vous montrerez que vous vous identifiez à ce qu’elle
ressent. Cela vous rapproche d’elle sans avoir besoin de poser des
questions sur des facteurs extérieurs dont vous ignorez tout («
Comment va votre famille ? »). Pensez à l’étiquetage comme à un
raccourci vers l’intimité, une astuce émotionnelle qui vous fera
gagner du temps.
L’étiquetage est particulièrement efficace dans les situations où
votre interlocuteur est tendu. Quand on expose à la lumière du jour
des pensées négatives – « On dirait que vous n’avez pas envie de
retourner en prison » –, celles-ci paraissent moins effrayantes.
Matthew Lieberman, professeur de psychologie à l’université de
Californie à Los Angeles (UCLA), a montré dans une étude en
imagerie cérébrale2 que, quand on présentait à des individus des
photos de visages exprimant des émotions fortes, le cerveau
connaissait une plus grande activité dans l’amygdale, la zone qui
génère la peur. Mais quand on leur demandait de nommer l’émotion
en question, l’activité se déplaçait vers les zones qui contrôlent la
pensée rationnelle. En d’autres termes, le fait de nommer une
émotion – d’appliquer des termes rationnels à une peur – perturbe
son intensité brute.
L’étiquetage est une technique simple, aux usages multiples, qui
vous permet de renforcer un aspect favorable de la négociation ou
d’en adoucir un aspect négatif. Elle obéit toutefois à des règles très
strictes de protocole et de mise en œuvre – ce qui la rapproche plus
d’un art formel comme la calligraphie chinoise que d’un simple
bavardage.
Pour la plupart des gens, l’étiquetage est l’un des instruments de
négociation les plus gênants à utiliser. Avant de l’essayer pour la
première fois, mes étudiants me disent presque toujours qu’ils
s’attendent à ce que leur interlocuteur se lève d’un bond et se mette
à crier : « Comment oses-tu me dire ce que je ressens ? »
Je vais vous confier un secret : personne ne s’en rend jamais
compte.
La première étape est la détection de l’état émotionnel d’autrui. À
Harlem, derrière cette porte, on ne pouvait même pas voir les fugitifs
; mais, la plupart du temps, vous disposerez d’une mine
d’informations grâce aux mots, à l’intonation et au langage corporel
de l’autre personne. Nous appelons cette trinité « les mots, la
musique et la danse ».
Le truc pour repérer les sentiments, c’est d’être très attentif aux
transformations que les gens subissent quand ils répondent à des
événements extérieurs. La plupart du temps, ces événements
déclencheurs, ce sont vos mots.
Si vous demandez à quelqu’un « comment va votre famille ? » et
qu’il répond « super » mais en abaissant la commissure des lèvres,
vous pouvez détecter que tout ne se passe pas pour le mieux ; si sa
voix devient blanche quand on mentionne un collègue, il est possible
qu’il y ait un problème entre les deux ; si votre propriétaire remue ses
pieds inconsciemment au moment où vous parlez des voisins, il est
assez clair qu’il n’en pense pas grand bien (dans le chapitre 9, nous
irons plus loin sur la façon de repérer et d’utiliser ces signaux).
Les voyants relèvent ces toutes petites bribes d’informations. Ils
évaluent le langage corporel de leur client et lui posent quelques
questions innocentes. Quand, quelques minutes plus tard, ils lui «
révèlent » son futur, ils ne font que répéter ce qu’il a envie d’entendre
sur la base des petits détails qu’ils ont observés. Pour cette raison,
bien des voyants feraient de bons négociateurs.
Une fois que vous avez repéré une émotion sur laquelle vous
entendez mettre l’accent, l’étape suivante consiste à la nommer à
voix haute. Les étiquettes peuvent être formulées comme des
affirmations ou comme des questions. La seule différence, c’est la fin
de la phrase, qui aura une inflexion ascendante ou descendante.
Mais peu importe comment la phrase se termine, les étiquettes
commencent presque toujours avec à peu près les mêmes mots :
On dirait que…
Il semble que…
On a l’impression que…
Vous remarquerez que nous disons « on dirait que… » et non «
j’ai entendu dire que… ». C’est parce que avec le mot « je » les gens
restent à distance. Quand vous dites « je », cela indique que vous
êtes plus intéressé par vous que par l’autre, et vous prenez
personnellement la responsabilité des mots qui suivent – et de
l’indignation qu’ils sont susceptibles de provoquer.
Mais quand votre étiquette est présentée comme l’affirmation
neutre de votre compréhension, votre interlocuteur est encouragé à
réagir. En général, il vous accordera une réponse plus longue qu’un
simple « oui » ou « non ». Et s’il est en désaccord avec l’étiquette, ce
n’est pas grave. Vous pouvez toujours faire marche arrière et
préciser : « Je n’ai pas affirmé que c’était ainsi. J’ai juste dit que ça y
ressemblait. »
La dernière règle de l’étiquetage est le silence. Une fois que vous
avez soumis une étiquette, taisez-vous et écoutez. Nous avons tous
une tendance à développer ce que nous venons de dire, à conclure «
on dirait que vous aimez cette chemise » par une question précise
comme : « Où l’avez-vous achetée ? » Mais le pouvoir d’une
étiquette, c’est qu’elle invite l’autre personne à se révéler.
Si vous le voulez bien, marquez une pause et faites l’expérience :
engagez une conversation et mettez un nom sur une des émotions
de la personne à qui vous parlez – que ce soit le facteur ou votre fille
de dix ans, peu importe. Ensuite, taisez-vous et laissez l’étiquette
faire son œuvre.