J. J. Abrams, Réalisateur Richard Branson, Fondateur Du Groupe Virgin
J. J. Abrams, Réalisateur Richard Branson, Fondateur Du Groupe Virgin
J. J. Abrams, Réalisateur Richard Branson, Fondateur Du Groupe Virgin
»
J. J. Abrams, réalisateur
Adam Grant
Richard Branson, fondateur du groupe Virgin
Comment défendre ses idées et ses valeurs sans risquer de tout perdre ?
Adam Grant nous montre comment améliorer le monde en réfléchissant d’une
façon nouvelle, en combattant les conformismes, et en rejetant les traditions
dépassées.
À l’aide d’études surprenantes et d’anecdotes tirées du monde de l’entreprise, de
la politique, du sport, du cinéma ou de la télévision, Grant dénonce la croyance
populaire selon laquelle les anticonformistes qui réussissent sont des leaders-
nés qui n’hésitent pas à prendre tous les risques. Au lieu de cela, son ouvrage
explore la façon dont on reconnaît une bonne idée, comment on la défend sans
ISBN : 978-2-8073-0642-4
www.deboecksuperieur.com
Prix TTC : 22,50€
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Comment les
esprits originaux
changent le monde
Adam Grant
OSEZ
SORTIR DU RANG!
Comment les
esprits originaux
changent le monde
Traduction de Jean-Yves Katelan
Ouvrage original :
Originals. How Non-Conformists Move The World by Adam Grant.
© 2016 by Adam Grant
Foreword copyright © 2016 by Sheryl Sandberg.
Viking, New York.
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domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com
Dépôt légal:
Bibliothèque nationale, Paris: novembre 2016
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles: 2016/13647/152 ISBN 978-2-8073-0642-4
Pour Allison
S O M M A I R E
Chapitre 1
Destruction créatrice
Aller à contre-courant, une entreprise risquée . . . . . . . . . . 9
Chapitre 2
Aveuglement des inventeurs,
myopie des investisseurs
L’art et la manière de reconnaître les idées originales . . 37
Chapitre 3
Avancer à découvert
Dire la vérité aux puissants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Chapitre 4
Coup de foudre et conséquences
Bon tempo, procrastination stratégique
et inconvénient d’être le premier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Chapitre 5
Boucles d’Or et le cheval de Troie
Faire exister des alliances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Chapitre 6
Une bonne raison de se rebeller
Comment proches et mentors favorisent l’originalité . . 151
Sommaire 7
Chapitre 7
Repenser la pensée commune
Mythes des cultures fortes, sectes
et avocats du diable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Chapitre 8
Semer le trouble et garder le cap
Gérer l’angoisse, la résignation,
l’incertitude et la colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
Destruction créatrice 9
Quand, l’air détaché, ils parlaient de leur idée à leurs amis, les
réactions étaient unanimement négatives. Jamais personne n’achèterait
de lunettes sur Internet, leurs amis en étaient convaincus. Les gens
voulaient d’abord les essayer. « Si c’était une bonne idée », leur opposa-
t-on plusieurs fois, « ça existerait déjà ».
Aucun de ces étudiants n’avait d’expérience dans le commerce
électronique ou les nouvelles technologies, encore moins dans le com-
merce de détail, la mode ou les accessoires. On leur disait qu’ils étaient
fous, mais ils déclinèrent des propositions d’emploi lucratives et lan-
cèrent leur société. Ils allaient vendre en ligne à 95 dollars des lunettes
qu’on trouvait normalement en magasin à 500 et, pour chaque vente,
ils offriraient une paire à un habitant d’un pays en développement.
Toute l’entreprise reposait sur un site web opérationnel. Sans cela,
impossible pour les clients de voir ou d’acheter les produits. Après moult
difficultés pour mettre leur site sur pied, ils finirent par le mettre en
ligne à quatre heures du matin, la veille du lancement, en février 2010.
Ils baptisèrent leur société Warby Parker 2, du nom de deux personnages
de Jack Kerouac, le romancier qui leur avait donné l’envie de se libérer
des normes sociales et de se lancer dans l’aventure. Ils admiraient son
esprit rebelle et voulaient que la culture de leur entreprise en témoigne.
Et ça a marché.
Ils s’attendaient à vendre une ou deux paires par jour. Mais
quand le magazine GQ les surnomma « le Netflix de l’optique », ils attei-
gnirent leurs objectifs de toute la première année en moins d’un mois ;
le rythme des commandes était si élevé qu’ils durent mettre vingt mille
clients sur liste d’attente. Il fallut neuf mois pour que les stocks soient
à la hauteur de la demande.
Avance rapide jusqu’en 2015 : le magazine Fast Company établit
son palmarès annuel des sociétés les plus innovantes. Non seulement
Warby Parker en fait partie, mais elle apparaît en première position. Les
trois précédents lauréats s’appelaient Google, Nike et Apple, des géants
de la création employant chacun plus de cinquante mille personnes.
Warby Parker, cette nouvelle venue, petite start-up de bric et de broc,
n’en compte que cinq cents. En l’espace de cinq ans, les quatre amis
ont bâti une des marques les plus en vogue de la planète et distribué
2 Entretiens avec Neil Blumenthal et Dave Gilboa, 25 juin 2014, 23 et 24 mars 2015 ; David
Zax, Fast Company, 22 février 2012 ; The Standard Culture, 5 septembre 2012 ; Wall Street Journal,
Accelerators, 18 juillet 2013 ; Curan Mehra et Anya Schultz, Daily Californian, 5 septembre 2014 ;
Fast Company, 9 février 2015.
_____
Destruction créatrice 11
L’originalité elle-même commence par la créativité : la capacité
de former un concept à la fois nouveau et utile. Mais ça ne s’arrête pas
là. Les précurseurs sont des gens qui prennent l’initiative de transfor-
mer leur désir en réalité. Les fondateurs de Warby Parker ont eu l’idée
originale de vendre des lunettes de façon inhabituelle – en ligne – mais
ils sont devenus précurseurs en mettant en œuvre ce qu’il fallait pour
les rendre accessibles, aux deux sens du terme.
Ce livre explique comment on peut tous aller vers plus d’origi-
nalité. Et un indice inattendu se cache dans le navigateur que vous
utilisez pour surfer sur la toile.
Destruction créatrice 13
Les employés qui ont pris l’initiative de changer de navigateur
pour Firefox ou Chrome envisagent leur travail de façon différente. Ils
cherchent pour leurs clients de nouvelles formes de vente et des façons
nouvelles de traiter leurs problèmes. Lorsqu’ils jugent une situation per-
fectible, ils y remédient. Ayant pris l’initiative de régler leurs problèmes,
ils ont moins de raisons de s’en aller. Ils façonnent le poste qui leur
convient. Mais ils constituent l’exception, pas la règle générale.
Nous vivons dans un monde Internet Explorer. De la même façon
que les deux tiers des employés du service clients utilisent le naviga-
teur par défaut de leur ordinateur, la majorité d’entre nous acceptent les
réglages par défaut de nos vies. Dans une série d’études dérangeantes,
une équipe menée par John Jost, spécialiste en psychologie politique,
s’est intéressée aux réactions de gens confrontés à des conditions de
base insatisfaisantes. Comparés aux Américains d’origine européenne,
les Afro-Américains étaient moins satisfaits de leur situation écono-
mique, mais percevaient les inégalités économiques comme plus normales
et justes. Comparés à la tranche de revenus la plus élevée, ceux qui
appartenaient à la tranche la plus basse avaient 17 % plus de chances
de considérer ces inégalités comme inévitables. Et quand on leur deman-
dait s’ils seraient favorables à des lois limitant le droit des citoyens et
de la presse à critiquer le gouvernement si une telle législation per-
mettait de résoudre les problèmes du pays, on trouvait deux fois plus
de gens dans la tranche la plus basse pour accepter cette limitation
de leur liberté d’expression que dans la plus haute. Ayant démontré
que les populations désavantagées défendaient le statu quo davantage
que les classes aisées, Jost et ses collaborateurs conclurent que « les
gens qui souffraient le plus d’un certain état des choses étaient para-
doxalement ceux qui étaient les moins susceptibles de le remettre en
question, de le rejeter ou de le changer ».
Pour expliquer ce phénomène étonnant, l’équipe de Jost déve-
loppa une théorie de la justification du système 6. L’idée centrale étant
que les gens cherchent à prouver la légitimité du statu quo – même si
cela va exactement à l’encontre de leurs intérêts. Une de leurs études
s’intéressait aux électeurs des partis démocrate et républicain avant
6 John T. Jost, Brett W. Pelham, Oliver Sheldon et Bilian Ni Sullivan, European Journal of
Social Psychology 33 (2003) : 13-36 ; John T. Jost, Vagelis Chaikalis-Petritsis, Dominic Abrams,
Jim Sidanius, Jojanneke van der Toorn et Christopher Bratt, Personality and Social Psychology
Bulletin 38 (2012) : 197-208; Cheryl J. Wakslak, John T. Jost, Tom R. Tyler et Emmeline S. Chen,
Psychological Science 18 (2007) : 267-74 ; John T. Jost, Mahzarin R. Banaji et Brian A. Nosek,
Political Psychology 25 (2004): 881-919.
_____
Destruction créatrice 15
En faisant la queue chez Apple pour acheter un iPhone, Gilboa
s’était mis à comparer les deux produits. Les lunettes faisaient partie
du quotidien des hommes depuis près de mille ans et elles avaient à
peine changé depuis la génération de son grand-père. Pour la première
fois, Dave se demanda pourquoi les lunettes coûtaient si cher. Pourquoi
un produit fondamentalement si simple coûtait-il plus cher qu’un smart-
phone si complexe ?
N’importe qui aurait pu se poser ces questions et parvenir à
la même conclusion que l’équipe fondatrice de Warby Parker. Curieux
de comprendre pourquoi le prix était si élevé, ils commencèrent à se
documenter sur l’industrie optique. C’est ainsi qu’ils découvrirent que
le marché était dominé par Luxottica, une société européenne qui avait
réalisé un chiffre d’affaires de plus de sept milliards de dollars l’année
précédente. « C’était la même compagnie qui détenait LensCrafters et
Pearle Vision, Ray-Ban et Oakley, ainsi que les licences pour les montures
médicales et les lunettes de soleil Chanel et Prada – soudain, tout s’est
mis en place et j’ai compris pourquoi les lunettes coûtaient si cher »,
dit Dave. « Rien dans le coût des marchandises ne justifiait ce prix. »
En tirant avantage de sa position de monopole, Luxottica faisait payer
vingt fois le coût. La situation de départ n’était pas légitime en soi,
elle résultait d’un choix opéré par un groupe de gens dans une société
donnée. Ça voulait dire qu’un autre groupe de gens pouvait faire un
choix différent. « Nous pouvions faire autrement », c’est ce que Dave
comprit tout d’un coup. « Nous avons pris conscience que nous étions
maîtres de notre destin, que nous étions maîtres de nos prix. »
Quand on commence à s’intéresser aux états de choses insa-
tisfaisants dans le monde, on réalise que la plupart ont des origines
sociales : règles et systèmes sont élaborés par des hommes. Cette prise
de conscience donne la force d’envisager comment on peut les changer.
Avant que les femmes n’obtiennent le droit de vote, beaucoup de gens
« n’avaient jamais considéré que ce statut inférieur était tout sauf
naturel », remarque l’historienne américaine Jean Baker. Quand le mou-
vement des suffragettes prit de l’ampleur, « un nombre croissant de
femmes se rendit compte que les lois, coutumes et préceptes religieux
étaient établis par des hommes et donc rectifiables. » 8
8 Jean H. Baker, Sisters: The Lives of America’s Suffragists (Hill & Wang, 2006).
9 Ellen Winner, “Child Prodigies and Adult Genius: A Weak Link”, dans The Wiley Handbook
of Genius (Wiley-Blackwell, 2014).
Destruction créatrice 17
ou ses propres jeux. Il s’évertue sans relâche à obtenir l’approbation de
ses parents et l’admiration de ses professeurs.
Les recherches montrent que les enfants qui ont le moins de
chances d’être les chouchous des professeurs sont les plus créatifs 10.
Dans une de ces études, des enseignants de primaire dressaient la liste
des élèves qu’ils préféraient et de ceux qu’ils aimaient le moins et,
pour chacun de ces groupes, ils notaient une série de points précis. Les
enfants les moins aimés étaient les anticonformistes qui inventaient
leurs propres règles. Les enseignants avaient tendance à ostraciser les
élèves les plus créatifs comme fauteurs de trouble. En réaction, de nom-
breux enfants apprennent à s’adapter et gardent leurs idées originales
pour eux. Comme l’écrit William Deresiewicz, ils deviennent les meil-
leurs moutons du monde 11.
À l’âge adulte, nombre de ces enfants prodiges deviennent des
experts dans leur domaine ou des dirigeants d’organisation. Mais « une
petite part seulement des enfants surdoués deviennent des créateurs
révolutionnaires », se désole la psychologue Ellen Winner. « Ceux qui
y parviennent doivent opérer une transition douloureuse », de l’enfant
« qui apprend rapidement et sans effort dans un domaine donné » à
l’adulte qui finit par réinventer ce domaine.
La plupart des prodiges ne franchissent jamais ce pas. Ils
appliquent leurs capacités extraordinaires à des choses ordinaires, maî-
trisant leur travail sans remettre en cause le cadre de départ ni faire
de vagues. Dans tout ce qu’ils font, ils jouent la prudence en suivant
les chemins conventionnels de la réussite. Ils deviennent médecins et
soignent leurs patients sans se battre pour réformer un système qui
empêche de nombreux malades d’avoir accès aux soins. Ils deviennent
avocats et défendent leurs clients pour avoir violé des lois désuètes,
sans essayer de réformer ces mêmes lois. Ils deviennent enseignants et
proposent des cours d’algèbre passionnants sans se demander si leurs
élèves ont vraiment besoin d’apprendre l’algèbre. Bien que nous comp-
tions sur eux pour que le monde continue de tourner sans problème, ce
sont eux qui nous font tourner en rond.
Les enfants prodiges sont entravés par leur quête de réussite.
Cet appétit de succès a permis bon nombre des plus grands accomplisse-
ments humains. Quand on vise l’excellence, on est capable de travailler
plus dur, plus longtemps et plus intelligemment. Mais alors que nos
10 Erik L. Westby et V. L. Dawson, Creativity Research Journal 8 (1995) : 1-10.
11 William Deresiewicz, Excellent Sheep (Free Press, 2014).
12 Dean Keith Simonton, Group Creativity: Innovation Through Collaboration (Oxford Univer-
sity Press, 2013).
13 Robert J. Sternberg et Todd I. Lubart, Defying the Crowd (Simon and Schuster, 2002) ; voir
aussi John W. Atkinson, Psychological Review 64 (1997): 359-72.
14 Jane M. Howell et Boas Shamir, Academy of Management Review 30 (2005) : 96-112; J. Mark
Weber et Celia Moore, Organizational Psychology Review 4 (2014) : 199-227.
15 Jack Rakove, Revolutionaries: A New History of the Invention of America (Houghton Mifflin,
2010) ; Ron Chernow, Washington: A Life (Penguin, 2011).
Destruction créatrice 19
finalement rejoint la cause que lorsqu’Adams l’a nommé commandant en
chef de l’armée. « J’ai tout fait pour éviter ça », écrira-t-il.
Près de deux siècles plus tard, Martin Luther King hésita à
prendre la tête du mouvement pour les droits civiques ; son rêve était
d’être pasteur et président d’une université 16. En 1955, après que Rosa
Parks eut été jugée pour avoir refusé de céder son siège à l’avant d’un
bus, un groupe d’activistes se réunit pour savoir comment réagir. Ils se
mirent d’accord pour former la Montgomery Improvement Association et
organiser un boycott des bus de Montgomery ; un des membres proposa
de nommer King président. « C’est arrivé si vite que je n’ai même pas eu
le temps d’y réfléchir. Si je l’avais fait, j’aurais probablement refusé »,
raconta King après. Trois semaines plus tôt, King et sa femme s’étaient
mis d’accord sur le fait qu’il ne devait pas accepter de responsabili-
tés communautaires trop lourdes – « je venais tout juste de finir ma
thèse et il fallait que je me consacre davantage à l’église ». Il fut élu à
l’unanimité pour prendre la tête du boycott. La perspective de devoir
faire un discours devant la communauté dans la soirée le « remplit de
crainte ». King allait bientôt surmonter son appréhension et, en 1963,
sa voix tonnante unirait le pays autour d’une vision bouleversante de la
liberté. Mais cela ne se produisit que parce qu’un proche avait proposé
qu’il fasse le discours de clôture de la marche sur Washington et réuni
plusieurs autres leaders pour soutenir sa candidature.
Quand le pape fit appel à lui pour peindre une fresque sur le
plafond de la chapelle Sixtine, Michel-Ange faillit refuser. Il se voyait
sculpteur, pas peintre, et la tâche lui semblait si colossale qu’il se réfugia
à Florence 17. Deux ans passeraient avant que, face à l’insistance du pape,
il ne commence à travailler sur le projet. De la même façon, l’astronomie
ne fit aucun progrès pendant des décennies parce que Nicolas Copernic
refusait de publier la découverte qu’il avait faite : la terre tournait
autour du soleil 18. Craignant le ridicule et l’ostracisme, il garda le silence
pendant vingt-deux ans, ne communiquant ses conclusions qu’à ses amis.
Finalement, un cardinal important eut vent de ses travaux et écrivit à
Copernic une lettre l’incitant à les publier. Même après cela, Copernic
attendit encore quatre ans. Ses travaux majeurs ne furent finalement
16 Martin Luther King, Jr., The Autobiography of Martin Luther King, Jr. (Warner Books,
1998) ; voir aussi Howell Raines, My Soul Is Rested: Movement Days in the Deep South Remem-
bered (Penguin, 1983).
17 Giorgio Vasari, Lives of the Most Excellent Painters, Sculptors, and Architects, from Cimabue
to Our Times (Modern Library Classics, 1568/2006).
18 Frank J. Sulloway, Les enfants rebelles (Odile Jacob, 1999 ; Vintage, 1997).
Destruction créatrice 21
dit Thomas Jefferson, mais « sur les questions de principe, soit solide
comme un roc ». Le souci de réussir nous pousse à faire le contraire. On
trouve des façons d’être original en surface – on met un nœud papillon,
on porte des chaussures rouges – sans prendre le risque de l’être vraiment.
Quand on arrive à nos idées motrices, à nos valeurs profondes, nous nous
autocensurons. « Il y a peu de véritables originaux dans le monde », dit
la célèbre dirigeante Mellody Hobson 23, « parce que les gens ont peur de
prendre la parole et de sortir du lot ». Alors, comment font les gens dont
l’originalité va au-delà des apparences et se traduit dans l’action ?
23 Entretien avec Mellody Hobson, 12 mai 2015 et discours d’ouverture à l’USC, le 19 mai
2015. (Mellody Hobson est présidente du fonds d’investissement Ariel, et accessoirement
l’épouse de George Lucas, NdT).
24 Richard Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général (1730) ; voir aussi James
Surowiecki, “Epic Fails of the Startup World”, The New Yorker, 19 mai 2014.
_____
Destruction créatrice 23
donc enfin se consacrer à fond à leur projet. « Eh bien… pas vraiment »,
tempéra Neil. « On a assuré nos arrières. Au cas où ça ne marcherait pas,
j’ai accepté un poste à plein temps après la remise des diplômes. Et Jeff
aussi. Et pour être sûr d’avoir le choix, Dave a fait deux stages différents
cet été et il est en pourparlers avec son ancien employeur. »
Ça faisait trois. Ils étaient out – et moi aussi.
J’ai refusé d’investir dans Warby Parker parce que Neil et ses amis
me ressemblaient trop. J’étais devenu professeur parce que j’étais pas-
sionné par l’exploration des nouvelles idées, le partage des connaissances et
l’enseignement à de nouvelles générations d’étudiants. Mais en étant honnête
avec moi-même, je me rendais compte que j’appréciais aussi la sécurité qui
allait avec un poste de titulaire. Jusqu’à trente ans, je n’aurais jamais eu
assez confiance en moi pour lancer une société. Et si c’était arrivé, je serais
certainement resté à l’école et j’aurais pris un boulot pour me couvrir.
Les choix faits par les membres de l’équipe Warby Parker ne col-
laient pas avec ma représentation mentale des entrepreneurs à succès. Neil
et sa bande n’avaient pas les tripes de se lancer à fond, du coup, j’ai mis en
doute leur conviction et leur engagement. Ils ne prenaient pas leur rôle de
futurs entrepreneurs au sérieux : ils ne risquaient pas assez leur chemise.
Selon moi, ils allaient échouer parce qu’ils la jouaient trop prudente au lieu
de risquer tout. Mais en fait, c’est exactement pour ça qu’ils ont réussi.
Je veux débusquer le mythe qui veut que l’originalité exige une
prise de risque extrême et vous persuader que les innovateurs sont en
fait bien plus ordinaires qu’on ne le pense. Dans tous les domaines,
affaires, politique, sciences ou arts, les gens qui font avancer le monde
avec des idées nouvelles sont rarement des parangons de conviction et
d’engagement. Remettant en question les traditions et l’état des choses,
ils peuvent apparaître audacieux et confiants en surface. Mais quand
vous grattez un peu, la vérité c’est qu’ils sont eux aussi confrontés à la
peur, à l’ambivalence, au doute. On les imagine brûlants d’un feu inté-
rieur, mais ils sont souvent poussés, et parfois forcés, par les autres.
Et même s’ils semblent aimer le risque, en réalité, ils préfèrent l’éviter.
_____
Destruction créatrice 25
Cette habitude de garder son emploi ne se limite pas aux entre-
preneurs qui ont réussi. Beaucoup d’esprits novateurs ont conservé leur
travail ou continué leurs études même après avoir perçu des revenus de
projets importants. La réalisatrice de Selma, Ava DuVernay 29, a fait ses
trois premiers films tout en continuant à travailler dans la publicité ;
elle n’est devenue réalisatrice à plein temps qu’au bout de quatre ans
et après avoir remporté plusieurs récompenses. Brian May 30 était à mi-
parcours d’un doctorat en astrophysique quand il a commencé à jouer de
la guitare pour un nouveau groupe, mais il lui fallut plusieurs années
pour se décider à rester à plein temps avec Queen. Peu de temps après,
il composa « We Will Rock You ». John Legend 31, lauréat d’un Grammy,
a sorti son premier album en 2000, mais a continué à travailler comme
consultant en management jusqu’en 2002, préparant ses présentations
PowerPoint dans la journée, se produisant en concert le soir. Le maître du
frisson Stephen King 32 a travaillé comme professeur, gardien et employé
de station-service pendant sept ans après avoir écrit sa première his-
toire, ne démissionnant qu’un an après que son premier roman, Carrie,
eut été publié. Scott Adams 33, l’auteur de Dilbert, a continué de travail-
ler pour une compagnie de téléphone pendant sept ans après que ses
premiers comics eurent été publiés dans les journaux.
Pourquoi tous ces originaux jouèrent-ils la prudence au lieu de
tout risquer ?
29 “With Her MLK Drama Selma, Ava DuVernay is Directing History,” Slate, 5 décembre 2014.
30 Laura Jackson, Brian May: The Definitive Biography (Little, Brown, 2011).
31 Tiffany McGee, People, 6 novembre 2006 ; USA Today, 28 juillet 2005 ; The Huffington Post,
20 mai 2014.
32 Lucas Reilly, Mental Floss, 17 octobre 2013.
33 Scott Adams, Dilbert 2.0: 20 Years of Dilbert (Andrews McMeel Publishing, 2008).
34 Clyde H. Coombs et Lily Huang, Journal of Experimental Psychology 85 (1970) : 23-9 ; Clyde
H. Coombs et James Bowen, Perception & Psychophysics 10 (1971) : 43-6 et Journal of Mathema-
tical Psychology 13 (323-37).
Destruction créatrice 27
son emploi avant que sa plateforme d’échange ne lui rapporte davan-
tage. « Les meilleurs entrepreneurs ne maximisent pas les risques »,
explique Linda Rottenberg, PDG et cofondatrice d’Endeavor, après des
décennies passées à former de nombreux entrepreneurs, parmi les plus
grands de ce monde. « Leur façon de prendre des risques, c’est de ne
pas en prendre 39. »
Maintenir un portefeuille de risques équilibré ne signifie pas néces-
sairement se maintenir dans la moyenne en prenant des risques limités.
Les novateurs qui réussissent prennent des risques extrêmes dans un
domaine et les annulent en étant extrêmement prudents ailleurs. À vingt-
sept ans, Sara Blakely 40 eut l’idée originale de créer des collants sans pied.
Elle prit un gros risque en investissant l’intégralité de ses économies, soit
5 000 dollars. Pour contrebalancer, elle conserva son emploi à plein temps
de vendeuse de fax pendant deux ans, passant ses nuits et ses week-ends
à mettre au point son prototype – économisant au passage de l’argent en
rédigeant elle-même sa demande de brevet, sans passer par un avocat.
Elle finit par lancer Spanx et devint la plus jeune self-made-milliardaire.
Un siècle plus tôt, Henry Ford 41 avait démarré son empire automobile alors
qu’il était encore ingénieur en chef pour Thomas Edison, ce qui lui permit
de tester en toute sécurité ses nouvelles inventions pour voitures. Il conti-
nua à travailler pour Edison pendant deux ans après avoir construit un
carburateur, et un an après avoir obtenu un brevet pour cela.
Et que dire de Bill Gates, qui a arrêté Harvard pour lancer
Microsoft ? Quand Gates, alors en seconde année, vendit son programme
de nouveau logiciel, il attendit une année entière avant de quitter
l’école. Et même là, il n’abandonna pas complètement, équilibrant les
risques en faisant une demande de congé, officiellement approuvée par
l’université – et en se faisant financer par ses parents. Comme le note
l’entrepreneur Rick Smith 42, « loin d’être un des plus grands risque-tout
de la planète, Bill Gates est plus exactement un des plus grands répar-
titeurs de risques du monde ».
39 Jane Bianchi, LearnVest, 22 octobre 2014 ; Marco della Cava, USA Today, 15 octobre 2014 ;
“Myths About Entrepreneurship”, Harvard Business Review Ideacast, octobre 2010 ; Linda
Rottenberg, Crazy is a Compliment: The Power of Zigging When Everyone Else Zags (Portfolio,
2014).
40 Claire O’Connor, “Top Five Startup Tips from Spanx Billionaire Sara Blakely”, Forbes,
2 avril 2012.
41 “Henry Ford Leaves Edison to Start Automobile Company,” History.com.
42 Rick Smith, The Leap: How 3 Simple Changes Can Propel Your Career from Good to Great
(Penguin, 2009).
43 Matteo P. Arena, Stephen P. Ferris et Emre Unlu, The Financial Review 46 (2011) : 385-412 ;
voir aussi Ryan Krause, Richard Priem et Leonard Love, Strategic Management Journal (2015).
Destruction créatrice 29
faire un grand saut dans l’inconnu. » Le programme d’essai gratuit ren-
contra un tel succès que Warby Parker dut le suspendre quarante-huit
heures après son lancement.
De plus en plus de données suggèrent que les entrepreneurs
n’aiment pas plus que les autres prendre des risques – et c’est la conclu-
sion inattendue à laquelle sont finalement parvenus de nombreux
économistes, sociologues et psychologues. Dans une étude portant sur
plus de huit cents Américains, on demanda à des entrepreneurs et à des
salariés de choisir parmi les trois projets suivants :
a. le premier générait un bénéfice de cinq millions de dollars avec
une probabilité de succès de 20 % ;
b. le deuxième générait un bénéfice de deux millions de dollars
avec une probabilité de succès de 50 % ;
c. le troisième générait un bénéfice de 1,25 million de dollars avec
une probabilité de succès de 80 %.
Les entrepreneurs furent significativement plus nombreux à
choisir la dernière option, la plus prudente. Et ce quel que soit le revenu,
le niveau de richesse, l’âge, le sexe, l’expérience en tant qu’entrepreneur,
le statut conjugal, le niveau d’éducation, la taille du foyer et les espoirs
de succès pour leurs autres projets. « Ce que nous avons trouvé, c’est
que les entrepreneurs évitent davantage les risques que la moyenne de
la population », concluent les auteurs de l’étude 44.
Il s’agit simplement de préférences dans le cadre d’une étude,
mais quand on étudie le comportement des entrepreneurs dans le monde
réel, il est clair qu’ils évitent les trop grandes prises de risque. Des
économistes ont découvert que, quand ils étaient adolescents, les entre-
preneurs à succès avaient presque trois fois plus de chances que leurs
semblables de ne pas respecter les règles et de braver les interdits.
Pourtant, quand on regarde de plus près les comportements concernés,
on comprend que lesdits adolescents prenaient simplement des risques
calculés. Quand des psychologues étudièrent des jumeaux américains ou
des citoyens suédois, ils obtinrent des résultats identiques 45.
Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Chapitre 1
Destruction créatrice
Aller à contre-courant, une entreprise risquée . . . . . . . . . . 9
1. Chercher l’erreur dans le défaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2. Les deux visages de l’ambition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
3. L’étoffe des héros . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
4. Gérer les risques comme un portefeuille d’actions . . . . . . . . . . 26
Chapitre 2
Aveuglement des inventeurs,
myopie des investisseurs
L’art et la manière de reconnaître les idées originales . . 37
1. Avancer au hasard sur la corde raide de la création . . . . . . . . 40
2. Embrasser des grenouilles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3. Prisonniers des stéréotypes et des préférences paroissiales . . 47
4. L’expérience, épée à double tranchant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
5. Les hasards de l’intuition :
comment Steve Jobs s’est trompé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
6. Les dangers de la passion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
7. Des lentilles correctrices pour sélectionner les idées . . . . . . . 63
Adam Grant
Richard Branson, fondateur du groupe Virgin
Comment défendre ses idées et ses valeurs sans risquer de tout perdre ?
Adam Grant nous montre comment améliorer le monde en réfléchissant d’une
façon nouvelle, en combattant les conformismes, et en rejetant les traditions
dépassées.
À l’aide d’études surprenantes et d’anecdotes tirées du monde de l’entreprise, de
la politique, du sport, du cinéma ou de la télévision, Grant dénonce la croyance
populaire selon laquelle les anticonformistes qui réussissent sont des leaders-
nés qui n’hésitent pas à prendre tous les risques. Au lieu de cela, son ouvrage
explore la façon dont on reconnaît une bonne idée, comment on la défend sans
ISBN : 978-2-8073-0642-4
www.deboecksuperieur.com
Prix TTC : 22,50€