J. J. Abrams, Réalisateur Richard Branson, Fondateur Du Groupe Virgin

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« Extraordinaire, follement divertissant... Un point de vue nouveau et fort.

»
J. J. Abrams, réalisateur

« Vous aidera à inspirer la créativité et le changement. »

Adam Grant
Richard Branson, fondateur du groupe Virgin

« Une nouvelle approche du monde, merveilleusement perspicace,


par un de mes penseurs préférés. »
Malcolm Gladwell, auteur bestseller du New York Times pour Outliers
et The Tipping Point

Comment défendre ses idées et ses valeurs sans risquer de tout perdre ?
Adam Grant nous montre comment améliorer le monde en réfléchissant d’une
façon nouvelle, en combattant les conformismes, et en rejetant les traditions
dépassées.
À l’aide d’études surprenantes et d’anecdotes tirées du monde de l’entreprise, de
la politique, du sport, du cinéma ou de la télévision, Grant dénonce la croyance
populaire selon laquelle les anticonformistes qui réussissent sont des leaders-
nés qui n’hésitent pas à prendre tous les risques. Au lieu de cela, son ouvrage
explore la façon dont on reconnaît une bonne idée, comment on la défend sans

Osez sortir du rang !


être réduit au silence et comment on identifie les pistes de changement.
Parmi différentes trajectoires édifiantes de novateurs, Osez sortir du rang  !
raconte les histoires d’un entrepreneur à succès qui présente les raisons de ne
pas investir dans ses projets ; d’une femme qui a remis en cause une décision
de Steve Jobs, alors qu’elle était trois échelons plus bas dans la hiérarchie
d’Apple ; d’un agent de renseignement qui a remis en question la politique du
secret à la CIA ; d’un gourou milliardaire de la finance qui licencie les employés
qui oublient de le critiquer et celle du producteur de télévision qui a évité à la
série Seinfeld d’être enterrée prématurément.
Osez sortir du rang ! propose des pistes d’inspiration inédites sur les façons de
rejeter le conformisme et explique ce qui caractérise réellement les esprits originaux.

Adam Grant figure, en tant qu’auteur, au palmarès du New York Times


des meilleures ventes et a été, pendant quatre ans, le professeur le
mieux noté de l’université Wharton, l’une des meilleures business
schools au monde. En tant que consultant et conférencier, il a pour
clients Google, Disney Pixar, Johnson & Johnson, etc. Malcolm
Gladwell en a fait un de ses auteurs scientifiques favoris et Business
Week l’a consacré comme un de ses professeurs préférés, ainsi que
parmi les quarante meilleurs enseignants de moins de quarante ans
dans le domaine de l’entreprise.

ISBN : 978-2-8073-0642-4

www.deboecksuperieur.com
Prix TTC : 22,50€
Retrouvez l'intégralité de cet ouvrage et toutes les informations sur ce titre chez le
libraire en ligne decitre.fr

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OSEZ
SORTIR DU RANG!

Comment les
esprits originaux
changent le monde
Adam Grant

OSEZ
SORTIR DU RANG!
Comment les
esprits originaux
changent le monde
Traduction de Jean-Yves Katelan
Ouvrage original :
Originals. How Non-Conformists Move The World by Adam Grant.
© 2016 by Adam Grant
Foreword copyright © 2016 by Sheryl Sandberg.
Viking, New York.

Crédit photo Adam Grant :


© Michael Kamber

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre
domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur s.a., 2016 1re édition


Rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve
Pour la traduction française

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par pho-
tocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de
données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que
ce soit.

Imprimé aux Pays-Bas

Dépôt légal:
Bibliothèque nationale, Paris: novembre 2016
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles: 2016/13647/152 ISBN 978-2-8073-0642-4
Pour Allison
S O M M A I R E

Chapitre 1
Destruction créatrice
Aller à contre-courant, une entreprise risquée . . . . . . . . . . 9

Chapitre 2
Aveuglement des inventeurs,
myopie des investisseurs
L’art et la manière de reconnaître les idées originales . . 37

Chapitre 3
Avancer à découvert
Dire la vérité aux puissants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Chapitre 4
Coup de foudre et conséquences
Bon tempo, procrastination stratégique
et inconvénient d’être le premier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

Chapitre 5
Boucles d’Or et le cheval de Troie
Faire exister des alliances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Chapitre 6
Une bonne raison de se rebeller
Comment proches et mentors favorisent l’originalité . . 151

Sommaire 7
Chapitre 7
Repenser la pensée commune
Mythes des cultures fortes, sectes
et avocats du diable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

Chapitre 8
Semer le trouble et garder le cap
Gérer l’angoisse, la résignation,
l’incertitude et la colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

Agir pour compter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .245


Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265

8 Osez sortir du rang !


C H A P I T R E 1
Destruction créatrice
Aller à contre-courant,
une entreprise risquée

« L’homme raisonnable se plie au monde ; l’homme déraison-


nable s’évertue à plier le monde à lui. Le progrès vient donc
de l’homme déraisonnable 1. »
George Bernard Shaw

En 2008, par une fraîche soirée d’automne, quatre étu-


diants décidèrent de révolutionner une industrie. Lourdement
endettés, ils avaient chacun perdu ou cassé leurs lunettes et
s’indignaient des sommes qu’ils devaient débourser pour les rem-
placer. Un de ces étudiants portait la même paire endommagée
depuis cinq ans, avec un trombone pour faire tenir la monture.
Alors que sa prescription avait déjà changé deux fois, il se
refusait toujours à payer pour ces nouveaux verres, trop chers.
Luxottica, le poids lourd du secteur, contrôlait alors plus
de 80 % du marché. Pour avoir des lunettes à meilleur marché,
ces étudiants devraient renverser un géant. Ayant constaté
comment Zappos venait, grâce à la vente en ligne, de boulever-
ser le marché de la chaussure, ils se demandèrent s’ils pourraient
faire la même chose dans l’industrie de l’optique.

1 George Bernard Shaw, L’Homme et le Surhomme (1903).

Destruction créatrice 9
Quand, l’air détaché, ils parlaient de leur idée à leurs amis, les
réactions étaient unanimement négatives. Jamais personne n’achèterait
de lunettes sur Internet, leurs amis en étaient convaincus. Les gens
voulaient d’abord les essayer. « Si c’était une bonne idée », leur opposa-
t-on plusieurs fois, « ça existerait déjà ».
Aucun de ces étudiants n’avait d’expérience dans le commerce
électronique ou les nouvelles technologies, encore moins dans le com-
merce de détail, la mode ou les accessoires. On leur disait qu’ils étaient
fous, mais ils déclinèrent des propositions d’emploi lucratives et lan-
cèrent leur société. Ils allaient vendre en ligne à 95 dollars des lunettes
qu’on trouvait normalement en magasin à 500 et, pour chaque vente,
ils offriraient une paire à un habitant d’un pays en développement.
Toute l’entreprise reposait sur un site web opérationnel. Sans cela,
impossible pour les clients de voir ou d’acheter les produits. Après moult
difficultés pour mettre leur site sur pied, ils finirent par le mettre en
ligne à quatre heures du matin, la veille du lancement, en février 2010.
Ils baptisèrent leur société Warby Parker 2, du nom de deux personnages
de Jack Kerouac, le romancier qui leur avait donné l’envie de se libérer
des normes sociales et de se lancer dans l’aventure. Ils admiraient son
esprit rebelle et voulaient que la culture de leur entreprise en témoigne.
Et ça a marché.
Ils s’attendaient à vendre une ou deux paires par jour. Mais
quand le magazine GQ les surnomma « le Netflix de l’optique », ils attei-
gnirent leurs objectifs de toute la première année en moins d’un mois ;
le rythme des commandes était si élevé qu’ils durent mettre vingt mille
clients sur liste d’attente. Il fallut neuf mois pour que les stocks soient
à la hauteur de la demande.
Avance rapide jusqu’en 2015 : le magazine Fast Company établit
son palmarès annuel des sociétés les plus innovantes. Non seulement
Warby Parker en fait partie, mais elle apparaît en première position. Les
trois précédents lauréats s’appelaient Google, Nike et Apple, des géants
de la création employant chacun plus de cinquante mille personnes.
Warby Parker, cette nouvelle venue, petite start-up de bric et de broc,
n’en compte que cinq cents. En l’espace de cinq ans, les quatre amis
ont bâti une des marques les plus en vogue de la planète et distribué

2 Entretiens avec Neil Blumenthal et Dave Gilboa, 25 juin 2014, 23 et 24 mars 2015 ; David
Zax, Fast Company, 22 février 2012 ; The Standard Culture, 5 septembre 2012 ; Wall Street Journal,
Accelerators, 18 juillet 2013 ; Curan Mehra et Anya Schultz, Daily Californian, 5 septembre 2014 ;
Fast Company, 9 février 2015.

10 Osez sortir du rang !


plus d’un million de paires de lunettes aux plus démunis. Le chiffre
d’affaires dépasse les 100  millions de dollars et la valorisation bour-
sière, le milliard.
Retour en 2009. Un des fondateurs vient me présenter le projet
et me propose d’y investir. Je refuse.
Ce fut la pire décision que j’aie jamais prise en matière d’inves-
tissement et j’ai eu besoin de comprendre où je m’étais trompé.

_____

orig•i•nal, adj. Qui émane directement de son auteur ou de sa


source, qui n’est pas une copie ; qui se distingue du commun, qui sort de
l’ordinaire ; qui est unique en son genre (Larousse).

orig•i•nal, n. Chose à caractère unique ou singulier ; personne qui


diffère des autres d’une façon plaisante ou intéressante ; personne capable
d’invention ou d’initiative.

Il y a des années, des psychologues ont découvert qu’il y avait


deux façons de réussir : le conformisme et l’originalité 3. Le conformisme
suppose de suivre la multitude sur des chemins balisés et de respecter
l’état des choses. L’originalité consiste à emprunter des routes moins
fréquentées en défendant des idées nouvelles, à contre-courant, mais
qui finissent par améliorer les choses.
Bien sûr, rien n’est complètement original, au sens où toutes
nos idées sont influencées par le monde qui nous entoure. Délibérément
ou pas, nous piochons constamment des idées chez les autres. On peut
tous être victimes de « kleptomnésie 4 » – prendre involontairement l’idée
d’un autre pour la sienne. Ma définition de l’originalité suppose qu’on
introduise et qu’on soutienne une idée relativement inhabituelle dans
un domaine donné, et qu’elle soit porteuse d’améliorations.

3 Harrison Gough, California Psychological Inventory Administrator’s Guide (Consulting


Psychologists Press, 1987) ; voir aussi Thomas S. Bateman et J. Michael Crant, Journal of Orga-
nizational Behavior 14 (1993) : 103-118 ; Gregory J. Feist et Frank X. Barron, Journal of Persona-
lity 37 (2003) : 62-88 ; Adam M. Grant et Susan J. Ashford, Research in Organizational Behavior
28 (2008) : 3-34 ; Mark A. Griffin, Andrew Neal et Sharon K. Parker, Academy of Management
Journal 50 (2007) : 327-47.
4 Kleptomnesia : terme inventé par Dan Gilbert ; voir C. Neil Macrae, Galen V. Bodenhausen
et Guglielmo Calvini, Social Cognition 17 (1999) : 273-97.

Destruction créatrice 11
L’originalité elle-même commence par la créativité  : la capacité
de former un concept à la fois nouveau et utile. Mais ça ne s’arrête pas
là. Les précurseurs sont des gens qui prennent l’initiative de transfor-
mer leur désir en réalité. Les fondateurs de Warby Parker ont eu l’idée
originale de vendre des lunettes de façon inhabituelle – en ligne – mais
ils sont devenus précurseurs en mettant en œuvre ce qu’il fallait pour
les rendre accessibles, aux deux sens du terme.
Ce livre explique comment on peut tous aller vers plus d’origi-
nalité. Et un indice inattendu se cache dans le navigateur que vous
utilisez pour surfer sur la toile.

1. Chercher l’erreur dans le défaut


L’économiste Michael Housman a mené récemment un projet de
recherche pour comprendre pourquoi certains agents des services clients
restaient plus longtemps dans leur emploi que d’autres. Fort des données
de plus de trente mille agents répondant aux appels pour des banques,
des compagnies aériennes ou des opérateurs télécom, il soupçonnait que
leur parcours professionnel recélait des indices permettant de prédire
leur niveau d’investissement. Il croyait que ceux qui avaient fréquem-
ment changé de poste partaient le plus vite, mais non : les agents qui
avaient occupé cinq emplois au cours des cinq dernières années n’étaient
pas plus susceptibles de s’en aller que ceux qui étaient restés dans le
même pendant cinq ans.
Cherchant d’autres indices, il remarqua que son équipe avait
recueilli des informations sur le navigateur utilisé par les employés
lors du dépôt de leur candidature. À tout hasard, il testa le lien entre
le type de navigateur et la longévité dans l’entreprise. Il ne s’attendait
pas à trouver de corrélation, pensant qu’il ne s’agissait que d’une affaire
de goût. Mais au vu des résultats, il fut très surpris : les employés qui
utilisaient Firefox ou Chrome restaient 15 % plus longtemps que les uti-
lisateurs d’Internet Explorer ou Safari.
Pensant à une coïncidence, Housman lança la même recherche
pour le taux d’absentéisme. La tendance était la même : les utilisateurs
de Firefox et Chrome avaient 19 % moins de chances d’être absents que
ceux d’Explorer et Safari.
Il s’intéressa ensuite aux performances. Son équipe avait recueilli
près de trois millions de données sur les ventes, l’indice de satisfaction
et la durée moyenne des appels. Les utilisateurs de Firefox et Chrome

12 Osez sortir du rang !


avaient des chiffres de ventes significativement supérieurs et leurs appels
étaient plus courts. Leurs clients étaient également plus satisfaits  :
après 90  jours de présence dans l’entreprise, les utilisateurs de Firefox
et Chrome atteignaient des niveaux de satisfaction client que les utilisa-
teurs d’Internet Explorer et Safari n’obtenaient qu’au bout de 120 jours.
Ce n’était pas le navigateur en lui-même qui les faisait rester,
les rendait plus fiables et leur permettait de réussir. Mais leur choix de
navigateur révélait quelque chose de leur comportement. Pourquoi les
utilisateurs de Firefox et Chrome étaient-ils plus investis et obtenaient-
ils de meilleurs résultats dans tous les domaines ?
La réponse évidente, c’était qu’ils étaient de meilleurs techni-
ciens et je demandai à Housman s’il avait pu explorer cette piste. Tous
les employés avaient passé un test d’aptitude informatique qui mesurait
leurs connaissances des raccourcis clavier, des logiciels et du matériel,
plus un test chronométré de vitesse de frappe. Mais les scores des uti-
lisateurs de Firefox et Chrome n’étaient pas spécialement meilleurs et
ils ne tapaient pas mieux ou plus vite. Même en tenant compte de ces
résultats, « l’effet navigateur » était confirmé. Leur avantage ne tenait
pas à une meilleure expertise technique.
Ce qui faisait la différence, c’était la façon dont ils avaient récu-
péré leur navigateur. Sur un PC, Internet Explorer est intégré à Windows 5.
Sur un Mac, Safari est préinstallé. Près des deux tiers des agents du
service clients utilisaient le navigateur installé par défaut, sans se poser
la question de savoir s’il n’y en avait pas un meilleur.
Pour obtenir Firefox ou Chrome, il faut se montrer un peu
débrouillard pour télécharger le navigateur. Plutôt que d’accepter le
navigateur par défaut, on fait preuve d’un peu d’initiative pour obtenir
une amélioration. Cette initiative, aussi infime soit-elle, reflète votre
attitude au bureau.
Les agents qui acceptent la solution par défaut d’Internet Explorer
ou de Safari envisagent leur emploi de la même façon. Ils font ce qu’on
leur dit et suivent les procédures standard pour traiter les réclamations
des clients. Pour eux, la description de leur poste est figée une fois
pour toutes et quand ils sont mécontents, ils commencent par s’absen-
ter et ils finissent par partir.

5 Échanges privés avec Michael Housman, 30 janvier, 25 et 27 février, 9 et 27 mars et 6 avril


2015 ; conférence de Michael Housman à Wharton du 28 mars 2015 ; “How Might Your Choice of
Browser Affect Your Job Prospects?”, The Economist, 10 avril 2013.

Destruction créatrice 13
Les employés qui ont pris l’initiative de changer de navigateur
pour Firefox ou Chrome envisagent leur travail de façon différente. Ils
cherchent pour leurs clients de nouvelles formes de vente et des façons
nouvelles de traiter leurs problèmes. Lorsqu’ils jugent une situation per-
fectible, ils y remédient. Ayant pris l’initiative de régler leurs problèmes,
ils ont moins de raisons de s’en aller. Ils façonnent le poste qui leur
convient. Mais ils constituent l’exception, pas la règle générale.
Nous vivons dans un monde Internet Explorer. De la même façon
que les deux tiers des employés du service clients utilisent le naviga-
teur par défaut de leur ordinateur, la majorité d’entre nous acceptent les
réglages par défaut de nos vies. Dans une série d’études dérangeantes,
une équipe menée par John Jost, spécialiste en psychologie politique,
s’est intéressée aux réactions de gens confrontés à des conditions de
base insatisfaisantes. Comparés aux Américains d’origine européenne,
les Afro-Américains étaient moins satisfaits de leur situation écono-
mique, mais percevaient les inégalités économiques comme plus normales
et justes. Comparés à la tranche de revenus la plus élevée, ceux qui
appartenaient à la tranche la plus basse avaient 17 % plus de chances
de considérer ces inégalités comme inévitables. Et quand on leur deman-
dait s’ils seraient favorables à des lois limitant le droit des citoyens et
de la presse à critiquer le gouvernement si une telle législation per-
mettait de résoudre les problèmes du pays, on trouvait deux fois plus
de gens dans la tranche la plus basse pour accepter cette limitation
de leur liberté d’expression que dans la plus haute. Ayant démontré
que les populations désavantagées défendaient le statu quo davantage
que  les  classes aisées, Jost et ses collaborateurs conclurent que « les
gens qui souffraient le plus d’un certain état des choses étaient para-
doxalement ceux qui étaient les moins susceptibles de le remettre en
question, de le rejeter ou de le changer ».
Pour expliquer ce phénomène étonnant, l’équipe de Jost déve-
loppa une théorie de la justification du système 6. L’idée centrale étant
que les gens cherchent à prouver la légitimité du statu quo –  même si
cela va exactement à l’encontre de leurs intérêts. Une de leurs études
s’intéressait aux électeurs des partis démocrate et républicain avant

6 John T. Jost, Brett W. Pelham, Oliver Sheldon et Bilian Ni Sullivan, European Journal of
Social Psychology 33 (2003) : 13-36 ; John T. Jost, Vagelis Chaikalis-Petritsis, Dominic Abrams,
Jim Sidanius, Jojanneke van der Toorn et Christopher Bratt, Personality and Social Psychology
Bulletin 38 (2012) : 197-208; Cheryl J. Wakslak, John T. Jost, Tom R. Tyler et Emmeline S. Chen,
Psychological Science 18 (2007) : 267-74 ; John T. Jost, Mahzarin R. Banaji et Brian A. Nosek,
Political Psychology 25 (2004): 881-919.

14 Osez sortir du rang !


l’élection présidentielle américaine de l’an 2000. Lorsque George W. Bush
montait dans les sondages, il était plus populaire chez les républicains,
mais aussi chez les démocrates, toujours à la recherche de raisons pour
justifier pourquoi rien ne changeait. Même chose quand les chances de
succès d’Al Gore augmentaient : les démocrates et les républicains avaient
une meilleure opinion de lui. Quelles que soient les opinions politiques,
lorsqu’un candidat semble en position de l’emporter, les gens l’aiment
davantage. Quand ses chances diminuent, on l’aime moins.
Il y a quelque chose d’apaisant à légitimer le système en place.
C’est un tranquillisant émotionnel : si le monde doit être de cette façon,
inutile de s’en plaindre. Mais cette complaisance nous dépossède aussi
de notre indignation et de la puissance créatrice qu’il y a à envisager
d’autres façons dont pourrait marcher le monde.

_____

La marque de fabrique de l’originalité, c’est de rejeter le réglage


par défaut pour rechercher de meilleures solutions. J’ai passé plus d’une
décennie à étudier cela, et il s’avère que c’est bien moins difficile que
je ne le croyais.
Le point de départ, c’est la curiosité  : pourquoi ces solutions
toutes faites ? C’est lorsqu’on ressent un vuja de 7, l’inverse d’un déjà-vu,
qu’on est amené à s’interroger. Le déjà-vu se manifeste face à quelque
chose de nouveau qu’on a l’impression de reconnaître. Vuja de, c’est
l’inverse : on est face à quelque chose de familier, mais avec une autre
perspective, qui nous permet d’envisager différemment un problème
ancien.
Sans un vuja de, Warby Parker n’aurait pas vu le jour. Quand
ils ont imaginé leur projet, un soir, réunis dans la salle informatique,
les fondateurs avaient, à eux quatre, passé soixante années à porter
des lunettes. Cet accessoire avait toujours été beaucoup trop cher, mais
jusqu’à ce moment-là, ils avaient toujours considéré la situation comme
immuable, sans jamais remettre en cause ce standard de prix. « L’idée
ne m’était jamais venue », dit l’un des cofondateurs, Dave Gilboa. « Je
les avais toujours considérées comme un achat médical. J’ai supposé
naturellement que si c’était un médecin qui me les vendait, ça en jus-
tifiait le prix. »
7 Karl E. Weick, Administrative Science Quarterly 38 (1993)  : 628-52 ; voir aussi Robert
I. Sutton, 11 ½ Idées décalées pour innover (Village mondial, 2001).

Destruction créatrice 15
En faisant la queue chez Apple pour acheter un iPhone, Gilboa
s’était mis à comparer les deux produits. Les lunettes faisaient partie
du quotidien des hommes depuis près de mille ans et elles avaient à
peine changé depuis la génération de son grand-père. Pour la première
fois, Dave se demanda pourquoi les lunettes coûtaient si cher. Pourquoi
un produit fondamentalement si simple coûtait-il plus cher qu’un smart-
phone si complexe ?
N’importe qui aurait pu se poser ces questions et parvenir à
la même conclusion que l’équipe fondatrice de Warby Parker. Curieux
de comprendre pourquoi le prix était si élevé, ils commencèrent à se
documenter sur l’industrie optique. C’est ainsi qu’ils découvrirent que
le marché était dominé par Luxottica, une société européenne qui avait
réalisé un chiffre d’affaires de plus de sept milliards de dollars l’année
précédente. « C’était la même compagnie qui détenait LensCrafters et
Pearle Vision, Ray-Ban et Oakley, ainsi que les licences pour les montures
médicales et les lunettes de soleil Chanel et Prada – soudain, tout s’est
mis en place et j’ai compris pourquoi les lunettes coûtaient si cher »,
dit Dave. « Rien dans le coût des marchandises ne justifiait ce prix. »
En tirant avantage de sa position de monopole, Luxottica faisait payer
vingt fois le coût. La situation de départ n’était pas légitime en soi,
elle résultait d’un choix opéré par un groupe de gens dans une société
donnée. Ça voulait dire qu’un autre groupe de gens pouvait faire un
choix différent. « Nous pouvions faire autrement », c’est ce que Dave
comprit tout d’un coup. « Nous avons pris conscience que nous étions
maîtres de notre destin, que nous étions maîtres de nos prix. »
Quand on commence à s’intéresser aux états de choses insa-
tisfaisants dans le monde, on réalise que la plupart ont des origines
sociales : règles et systèmes sont élaborés par des hommes. Cette prise
de conscience donne la force d’envisager comment on peut les changer.
Avant que les femmes n’obtiennent le droit de vote, beaucoup de gens
« n’avaient jamais considéré que ce statut inférieur était tout sauf
naturel », remarque l’historienne américaine Jean Baker. Quand le mou-
vement des suffragettes prit de l’ampleur, « un nombre croissant de
femmes se rendit compte que les lois, coutumes et préceptes religieux
étaient établis par des hommes et donc rectifiables. » 8

8 Jean H. Baker, Sisters: The Lives of America’s Suffragists (Hill & Wang, 2006).

16 Osez sortir du rang !


2. Les deux visages de l’ambition
Les pressions pour nous faire accepter les solutions toutes faites
se font sentir bien avant qu’on n’en prenne conscience. Si on se demande
quels gens laisseront une trace dans l’histoire, le premier groupe qui
vient à l’esprit, c’est probablement celui des enfants prodiges 9. Ces petits
génies savent lire à deux ans, jouent du Bach à quatre, savent compter
à six et parlent couramment sept langues à huit. Leurs camarades de
classe sont verts de jalousie ; leurs parents se réjouissent d’avoir gagné
à la loterie de la vie. Mais leur vie professionnelle se termine souvent
non en apothéose, mais en eau de boudin.
Il s’avère que les enfants prodiges ne changent pas souvent le
monde. Quand les psychologues s’intéressent à la biographie des gens
qui ont fait une différence dans l’histoire, ils s’aperçoivent que nombre
d’entre eux n’étaient pas particulièrement doués quand ils étaient
enfants. Et si l’on réunit un grand groupe d’enfants prodiges pour les
suivre tout au long de leur vie, on découvre que, à ressources égales,
ils ne font guère mieux que leurs congénères moins précoces.
Intuitivement, ça se comprend. On se dit que les enfants sur-
doués ont une intelligence livresque plutôt que pratique. S’ils ont des
outils intellectuels puissants, il leur manque sûrement les aptitudes
sociales, émotionnelles et pratiques nécessaires pour vivre en société.
Mais quand on regarde les chiffres, cette explication se révèle insuffi-
sante  : moins d’un quart des enfants précoces souffrent de problèmes
sociaux ou émotionnels. La plupart sont bien équilibrés – aussi à l’aise
dans une soirée mondaine que dans un concours d’orthographe.
Bien que les enfants prodiges soient souvent à la fois pleins de
talent et d’ambition, ce qui les empêche de faire progresser le monde,
c’est qu’ils n’apprennent pas à être originaux. Alors même qu’ils se pro-
duisent en concert, remportent des olympiades de mathématiques ou
deviennent champions d’échecs, il se passe quelque chose de tragique :
l’entraînement rend parfait, mais ne fabrique pas du neuf. Un surdoué
apprend à jouer de magnifiques mélodies de Mozart ou de splendides
symphonies de Beethoven, mais il ne compose jamais sa propre musique
originale. Il met toute son énergie à exploiter les connaissances scien-
tifiques existantes, pas à produire de nouveaux concepts. Il se plie aux
règles établies des jeux existants plutôt que d’inventer ses propres règles

9 Ellen Winner, “Child Prodigies and Adult Genius: A Weak Link”, dans The Wiley Handbook
of Genius (Wiley-Blackwell, 2014).

Destruction créatrice 17
ou ses propres jeux. Il s’évertue sans relâche à obtenir l’approbation de
ses parents et l’admiration de ses professeurs.
Les recherches montrent que les enfants qui ont le moins de
chances d’être les chouchous des professeurs sont les plus créatifs 10.
Dans une de ces études, des enseignants de primaire dressaient la liste
des élèves qu’ils préféraient et de ceux qu’ils aimaient le moins et,
pour chacun de ces groupes, ils notaient une série de points précis. Les
enfants les moins aimés étaient les anticonformistes qui inventaient
leurs propres règles. Les enseignants avaient tendance à ostraciser les
élèves les plus créatifs comme fauteurs de trouble. En réaction, de nom-
breux enfants apprennent à s’adapter et gardent leurs idées originales
pour eux. Comme l’écrit William Deresiewicz, ils deviennent les meil-
leurs moutons du monde 11.
À l’âge adulte, nombre de ces enfants prodiges deviennent des
experts dans leur domaine ou des dirigeants d’organisation. Mais « une
petite part seulement des enfants surdoués deviennent des créateurs
révolutionnaires », se désole la psychologue Ellen Winner. « Ceux qui
y parviennent doivent opérer une transition douloureuse », de l’enfant
« qui apprend rapidement et sans effort dans un domaine donné » à
l’adulte qui finit par réinventer ce domaine.
La plupart des prodiges ne franchissent jamais ce pas. Ils
appliquent leurs capacités extraordinaires à des choses ordinaires, maî-
trisant leur travail sans remettre en cause le cadre de départ ni faire
de vagues. Dans tout ce qu’ils font, ils jouent la prudence en suivant
les chemins conventionnels de la réussite. Ils deviennent médecins et
soignent leurs patients sans se battre pour réformer un système qui
empêche de nombreux malades d’avoir accès aux soins. Ils deviennent
avocats et défendent leurs clients pour avoir violé des lois désuètes,
sans essayer de réformer ces mêmes lois. Ils deviennent enseignants et
proposent des cours d’algèbre passionnants sans se demander si leurs
élèves ont vraiment besoin d’apprendre l’algèbre. Bien que nous comp-
tions sur eux pour que le monde continue de tourner sans problème, ce
sont eux qui nous font tourner en rond.
Les enfants prodiges sont entravés par leur quête de réussite.
Cet appétit de succès a permis bon nombre des plus grands accomplisse-
ments humains. Quand on vise l’excellence, on est capable de travailler
plus dur, plus longtemps et plus intelligemment. Mais alors que nos
10 Erik L. Westby et V. L. Dawson, Creativity Research Journal 8 (1995) : 1-10.
11 William Deresiewicz, Excellent Sheep (Free Press, 2014).

18 Osez sortir du rang !


civilisations engrangent un nombre significatif d’avancées, l’originalité
est de plus en plus réservée à quelques spécialistes 12.
La quête obsessionnelle de réussite peut chasser l’originalité : plus
on accorde de valeur au succès, plus on en vient à redouter l’échec 13.
Au lieu de viser l’exceptionnel, l’intense désir de réussite nous pousse à
rechercher des succès assurés. C’est ce que disent les psychologues Todd
Lubart et Robert Sternberg  : « Lorsque les gens dépassent un certain
stade dans leur besoin de réussir, on constate qu’ils deviennent moins
créatifs. »
Le besoin de réussite et son corollaire, la peur de l’échec, ont
entravé certains des plus grands créateurs et agents du changement
dans l’histoire. Soucieux de maintenir le statu quo et de réussir selon
des critères conventionnels, ils ont évité de s’engager dans la voie de
l’originalité. Au lieu de foncer vers l’avant avec assurance, ils ont dû
être persuadés, ou obligés, de prendre parti. Alors qu’ils possédaient des
qualités naturelles de leader, ils ont dû être portés –  parfois au sens
propre  – par leurs fidèles et leurs pairs 14. Il s’en faut de quelques per-
sonnes, poussées à agir de façon originale, que l’Amérique n’existe pas,
que le mouvement pour les droits civiques soit toujours un rêve, que
les murs de la chapelle Sixtine soient toujours nus ou que l’ordinateur
personnel n’ait jamais connu un tel succès.
Aujourd’hui, il semble impensable que la déclaration d’indépen-
dance américaine n’existe pas ; c’est pourtant ce qui a failli arriver, en
raison des réticences de certains leaders révolutionnaires. « Les hommes
qui ont joué les premiers rôles dans la révolution américaine ressem-
blaient à tout sauf à des révolutionnaires », raconte Jack Rakove, lauréat
du prix Pulitzer 15. « Ils sont devenus révolutionnaires malgré eux. »
Dans les années qui ont mené à la guerre d’indépendance, John Adams,
craignant les mesures de rétorsion britanniques, hésita à abandonner sa
carrière naissante d’avocat ; il ne s’impliqua qu’une fois élu au premier
Congrès continental. George Washington s’occupait de ses champs de blé,
de sa meunerie, de ses pêcheries et de son élevage de chevaux ; il n’a

12 Dean Keith Simonton, Group Creativity: Innovation Through Collaboration (Oxford Univer-
sity Press, 2013).
13 Robert J. Sternberg et Todd I. Lubart, Defying the Crowd (Simon and Schuster, 2002) ; voir
aussi John W. Atkinson, Psychological Review 64 (1997): 359-72.
14 Jane M. Howell et Boas Shamir, Academy of Management Review 30 (2005) : 96-112; J. Mark
Weber et Celia Moore, Organizational Psychology Review 4 (2014) : 199-227.
15 Jack Rakove, Revolutionaries: A New History of the Invention of America (Houghton Mifflin,
2010) ; Ron Chernow, Washington: A Life (Penguin, 2011).

Destruction créatrice 19
finalement rejoint la cause que lorsqu’Adams l’a nommé commandant en
chef de l’armée. « J’ai tout fait pour éviter ça », écrira-t-il.
Près de deux siècles plus tard, Martin Luther King hésita à
prendre la tête du mouvement pour les droits civiques ; son rêve était
d’être pasteur et président d’une université 16. En 1955, après que Rosa
Parks eut été jugée pour avoir refusé de céder son siège à l’avant d’un
bus, un groupe d’activistes se réunit pour savoir comment réagir. Ils se
mirent d’accord pour former la Montgomery Improvement Association et
organiser un boycott des bus de Montgomery ; un des membres proposa
de nommer King président. « C’est arrivé si vite que je n’ai même pas eu
le temps d’y réfléchir. Si je l’avais fait, j’aurais probablement refusé »,
raconta King après. Trois semaines plus tôt, King et sa femme s’étaient
mis d’accord sur le fait qu’il ne devait pas accepter de responsabili-
tés communautaires trop lourdes – « je venais tout juste de finir ma
thèse et il fallait que je me consacre davantage à l’église ». Il fut élu à
l’unanimité pour prendre la tête du boycott. La perspective de devoir
faire un discours devant la communauté dans la soirée le « remplit de
crainte ». King allait bientôt surmonter son appréhension et, en 1963,
sa voix tonnante unirait le pays autour d’une vision bouleversante de la
liberté. Mais cela ne se produisit que parce qu’un proche avait proposé
qu’il fasse le discours de clôture de la marche sur Washington et réuni
plusieurs autres leaders pour soutenir sa candidature.
Quand le pape fit appel à lui pour peindre une fresque sur le
plafond de la chapelle Sixtine, Michel-Ange faillit refuser. Il se voyait
sculpteur, pas peintre, et la tâche lui semblait si colossale qu’il se réfugia
à Florence 17. Deux ans passeraient avant que, face à l’insistance du pape,
il ne commence à travailler sur le projet. De la même façon, l’astronomie
ne fit aucun progrès pendant des décennies parce que Nicolas Copernic
refusait de publier la découverte qu’il avait faite  : la terre tournait
autour du soleil 18. Craignant le ridicule et l’ostracisme, il garda le silence
pendant vingt-deux ans, ne communiquant ses conclusions qu’à ses amis.
Finalement, un cardinal important eut vent de ses travaux et écrivit à
Copernic une lettre l’incitant à les publier. Même après cela, Copernic
attendit encore quatre ans. Ses travaux majeurs ne furent finalement

16 Martin Luther King, Jr., The Autobiography of Martin Luther King, Jr. (Warner Books,
1998) ; voir aussi Howell Raines, My Soul Is Rested: Movement Days in the Deep South Remem-
bered (Penguin, 1983).
17 Giorgio Vasari, Lives of the Most Excellent Painters, Sculptors, and Architects, from Cimabue
to Our Times (Modern Library Classics, 1568/2006).
18 Frank J. Sulloway, Les enfants rebelles (Odile Jacob, 1999 ; Vintage, 1997).

20 Osez sortir du rang !


rendus publics qu’après qu’un jeune professeur de mathématiques se fut
personnellement occupé de les faire publier.
Près d’un demi-millénaire plus tard, en 1977, quand un investis-
seur offrit 250 000  dollars à Steve Jobs et Steve Wozniak pour lancer
Apple, la proposition était assortie d’un ultimatum  : Wozniak devait
quitter Hewlett-Packard. Il refusa. « Tout ce que je voulais, c’était rester
dans cette boîte », se souvient Wozniak 19. « Mon blocage venait de ce
que je n’avais aucune intention de lancer ma propre société. J’avais la
trouille, c’est tout », admet-il. Wozniak ne changea d’avis qu’après y avoir
été encouragé par Jobs, plusieurs de ses amis et ses propres parents.
Combien de Wozniak, de Michel-Ange et de King n’ont pas suivi
ou défendu leurs idées novatrices parce qu’on ne les a pas poussés sous
les projecteurs ? Même si chacun de nous ne veut pas lancer sa société,
créer un chef-d’œuvre, transformer la pensée occidentale ou défendre les
droits du citoyen, on a tous des idées pour améliorer son lieu de travail,
son école ou sa communauté. Malheureusement, beaucoup hésitent à se
faire entendre. Comme le fit fameusement observer l’économiste Joseph
Schumpeter, l’innovation est un acte de destruction créatrice 20. Défendre
un système nouveau requiert souvent de se débarrasser des anciennes
méthodes, et on l’évite de peur de faire des vagues 21. Sur le millier de scien-
tifiques de la Food and Drug Administration 22, plus de 40 % redoutent des
sanctions s’ils rendaient publiques leurs inquiétudes sanitaires. Parmi les
plus de 40 000 employés d’une société de nouvelles technologies, la moitié
pense qu’il n’est pas prudent d’émettre des critiques au bureau. Quand on
interroge des employés de sociétés de conseil, de publicité, de services
financiers, de médias et de produits pharmaceutiques, ils répondent à 85 %
qu’ils préfèrent taire un problème sérieux que d’en parler à leurs supérieurs.
La dernière fois que vous avez eu une idée originale, qu’en avez-vous
fait ? Les États-Unis ont beau être le pays de l’individualité et l’étendard
de l’expression individuelle, la plupart des Américains, cherchant la per-
fection et redoutant l’échec, choisissent de se fondre dans le moule plutôt
que d’en sortir. « Sur les questions de style, nage avec le courant », aurait

19 Livingston, Founders at Work, 42, 45.


20 Joseph A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (Payot, 1990 ; Harper Peren-
nial Modern Classics, 1942/2008).
21 Jennifer J. Kish-Gephart, James R. Detert, Linda Klebe Treviño et Amy C. Edmondson,
Research in Organizational Behavior 29 (2009) : 163-193 ; National Coalition Against Censorship,
22 juillet 2006 ; Frances J. Milliken, Elizabeth W. Morrison et Patricia F. Hewlin, Journal of
Management Studies 40 (2003) : 1453-76.
22 Agence américaine de surveillance des denrées alimentaires et des médicaments.

Destruction créatrice 21
dit Thomas Jefferson, mais « sur les questions de principe, soit solide
comme un roc ». Le souci de réussir nous pousse à faire le contraire. On
trouve des façons d’être original en surface –  on met un nœud papillon,
on porte des chaussures rouges – sans prendre le risque de l’être vraiment.
Quand on arrive à nos idées motrices, à nos valeurs profondes, nous nous
autocensurons. « Il y a peu de véritables originaux dans le monde », dit
la célèbre dirigeante Mellody Hobson 23, « parce que les gens ont peur de
prendre la parole et de sortir du lot ». Alors, comment font les gens dont
l’originalité va au-delà des apparences et se traduit dans l’action ?

3. L’étoffe des héros


Pour être novateur, il faut être capable de prendre des risques
extrêmes. Voilà la croyance, tellement ancrée dans nos esprits qu’on pense
rarement à la remettre en cause. On admire les astronautes Neil Armstrong
et Sally Ride parce qu’ils ont « l’étoffe des héros » – le courage de quitter la
seule planète que les hommes aient jamais habitée, pour s’aventurer dans
l’espace. On célèbre des héros comme le Mahatma Gandhi et Martin Luther
King parce qu’ils ont assez de force d’âme pour risquer leur vie au nom de
leurs principes. On vénère des icônes comme Steve Jobs et Bill Gates pour
avoir eu l’audace d’arrêter leurs études et tenter le tout pour le tout, s’enfer-
mant dans un garage pour donner naissance à leurs rêves de technologies.
Quand on s’émerveille devant ces précurseurs qui nourrissent la
créativité et le changement dans le monde, on a tendance à supposer
qu’ils sont faits d’une autre étoffe. On croit les grands créateurs immu-
nisés contre les risques, comme ces heureux élus qui viennent au monde
avec une mutation génétique qui les protège du cancer, de l’obésité ou
du sida. Ils sont bâtis pour se jouer de l’incertitude et de l’assentiment
social, sans se soucier autant que les autres du coût social de leur
anticonformisme. Voués à être iconoclastes, rebelles, révolutionnaires,
fauteurs de troubles et indépendants, ils vont à contre-courant, insen-
sibles à la peur, au rejet et au ridicule.
Le mot entrepreneur, tel que défini par l’économiste Richard Cantillon,
désigne quelqu’un qui prend des risques 24. Quand on lit l’histoire de la

23 Entretien avec Mellody Hobson, 12  mai 2015 et discours d’ouverture à l’USC, le 19  mai
2015. (Mellody Hobson est présidente du fonds d’investissement Ariel, et accessoirement
l’épouse de George Lucas, NdT).
24 Richard Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général (1730) ; voir aussi James
Surowiecki, “Epic Fails of the Startup World”, The New Yorker, 19 mai 2014.

22 Osez sortir du rang !


prodigieuse ascension de Warby Parker, on ne peut qu’en être convaincu.
Comme tous les grands créateurs, innovateurs et vecteurs de changement,
ces quatre-là ont transformé le monde parce qu’ils y croyaient à fond.
Après tout, pour gagner un pari, il faut d’abord parier.
N’est-ce pas ?

_____

Six mois avant le lancement de Warby Parker, un des fonda-


teurs était assis dans ma classe, à Wharton. Grand, affable, les cheveux
bouclés noirs, à la fois calme et énergique, Neil Blumenthal avait été
élevé dans un milieu de bénévoles et il aspirait sincèrement à changer
le monde. Quand il me présenta son projet, je lui dis, comme beaucoup
d’autres sceptiques, que l’idée était intéressante, mais qu’on imaginait
mal les gens commander leurs lunettes en ligne.
Ce dont j’étais sûr, c’est qu’avec une clientèle de base réfractaire,
faire décoller son entreprise demande un effort herculéen. Et quand
j’appris à quoi Neil et ses amis passaient leur temps pour se préparer,
j’eus le noir pressentiment qu’ils allaient dans le mur.
Handicap numéro un, j’ai dit à Neil, ils étaient encore tous à
l’école. S’ils croyaient vraiment en Warby Parker, ils devaient tout arrêter
et consacrer chaque minute de leur temps à leur projet.
« On veut protéger nos arrières », répondit-il. « Nous ne sommes
pas sûrs que ce soit une bonne idée, on ne sait absolument pas si ça
va marcher, du coup on y travaille pendant le temps libre que nous
laisse notre scolarité. On était amis avant de se lancer là-dedans et on
a pris l’engagement que bien se comporter les uns avec les autres était
plus important que réussir. Mais Jeff a reçu une bourse d’été qui lui a
permis de se consacrer au projet à plein temps. »
Et les trois autres ? « On a tous trouvé des stages », reconnut
Neil. Moi, j’étais dans un cabinet de conseil, Andy dans un fonds
d’investissement et Dave dans le secteur médical.
Peu de temps à consacrer à leur projet, une attention éparpil-
lée, leur site web n’était toujours pas construit et il leur avait fallu six
mois rien que pour se mettre d’accord sur le nom de la société. Handicap
numéro deux.
Avant de cesser définitivement de m’intéresser à eux, je me souvins
qu’ils terminaient tous leur cursus à la fin de l’année, ils pourraient

Destruction créatrice 23
donc enfin se consacrer à fond à leur projet. « Eh bien… pas vraiment »,
tempéra Neil. « On a assuré nos arrières. Au cas où ça ne marcherait pas,
j’ai accepté un poste à plein temps après la remise des diplômes. Et Jeff
aussi. Et pour être sûr d’avoir le choix, Dave a fait deux stages différents
cet été et il est en pourparlers avec son ancien employeur. »
Ça faisait trois. Ils étaient out – et moi aussi.
J’ai refusé d’investir dans Warby Parker parce que Neil et ses amis
me ressemblaient trop. J’étais devenu professeur parce que j’étais pas-
sionné par l’exploration des nouvelles idées, le partage des connaissances et
l’enseignement à de nouvelles générations d’étudiants. Mais en étant honnête
avec moi-même, je me rendais compte que j’appréciais aussi la sécurité qui
allait avec un poste de titulaire. Jusqu’à trente ans, je n’aurais jamais eu
assez confiance en moi pour lancer une société. Et si c’était arrivé, je serais
certainement resté à l’école et j’aurais pris un boulot pour me couvrir.
Les choix faits par les membres de l’équipe Warby Parker ne col-
laient pas avec ma représentation mentale des entrepreneurs à succès. Neil
et sa bande n’avaient pas les tripes de se lancer à fond, du coup, j’ai mis en
doute leur conviction et leur engagement. Ils ne prenaient pas leur rôle de
futurs entrepreneurs au sérieux : ils ne risquaient pas assez leur chemise.
Selon moi, ils allaient échouer parce qu’ils la jouaient trop prudente au lieu
de risquer tout. Mais en fait, c’est exactement pour ça qu’ils ont réussi.
Je veux débusquer le mythe qui veut que l’originalité exige une
prise de risque extrême et vous persuader que les innovateurs sont en
fait bien plus ordinaires qu’on ne le pense. Dans tous les domaines,
affaires, politique, sciences ou arts, les gens qui font avancer le monde
avec des idées nouvelles sont rarement des parangons de conviction et
d’engagement. Remettant en question les traditions et l’état des choses,
ils peuvent apparaître audacieux et confiants en surface. Mais quand
vous grattez un peu, la vérité c’est qu’ils sont eux aussi confrontés à la
peur, à l’ambivalence, au doute. On les imagine brûlants d’un feu inté-
rieur, mais ils sont souvent poussés, et parfois forcés, par les autres.
Et même s’ils semblent aimer le risque, en réalité, ils préfèrent l’éviter.

_____

Dans une étude passionnante, les chercheurs en management


Joseph Raffiee et Jie Feng posaient une question simple  : quand on
lance une entreprise, vaut-il mieux garder son boulot ou le quitter ?
Entre 1994 et 2008, ils ont suivi un groupe de cinq mille personnes

24 Osez sortir du rang !


âgées de 20 à 60  ans et représentatives de la population américaine,
qui avaient lancé leur entreprise. Qu’ils gardent ou pas leur emploi pré-
cédent ne dépendait pas de leur situation financière  : un gros salaire
dans le foyer ne rendait ni plus, ni moins susceptible de démissionner
pour devenir entrepreneur à temps plein. Un questionnaire montrait
que ceux qui avaient fait le grand saut aimaient prendre des risques et
débordaient de confiance. Les entrepreneurs qui s’étaient couverts en
lançant leur société tout en restant employés avaient beaucoup moins
le goût du risque et étaient beaucoup moins sûrs d’eux-mêmes.
Si vous pensez comme la majorité, vous accorderez un net avan-
tage à ceux qui ont pris des risques. Et pourtant, l’étude démontra
exactement le contraire  : les entrepreneurs qui gardaient leur emploi
avaient 33 % moins de chances d’échouer 25.
Si vous n’aimez pas les risques et que vous avez des doutes sur la
viabilité de votre projet, il est probable que votre entreprise sera bâtie
pour durer. Si vous aimez flamber, votre start-up sera bien plus fragile.
À l’image de l’équipe de Warby Parker, les entrepreneurs dont
les compagnies ont dominé les derniers classements des sociétés les
plus innovantes établis par Fast Company ont généralement conservé
leur emploi après le lancement. L’ancienne vedette de l’athlétisme Phil
Knight 26 a commencé à vendre des chaussures de course en 1964, dans le
coffre de sa voiture, et a continué à travailler comme comptable jusqu’en
1969. Après avoir inventé le premier ordinateur Apple I, Steve Wozniak 27
a lancé la société du même nom avec Steve Jobs en 1976, mais conservé
son poste d’ingénieur chez Hewlett-Packard jusqu’en 1977. Et bien que
les fondateurs de Google, Larry Page 28 et Sergey Brin, aient compris
dès 1996 comment on pouvait sérieusement améliorer les recherches sur
Internet, ils n’ont pas suspendu leurs études à Stanford avant 1998. « On
a bien failli ne pas lancer Google », raconte Page, « parce qu’on avait trop
peur de ne pas finir notre doctorat ». En 1997, constatant avec inquié-
tude que leur moteur naissant empiétait sur leurs études, ils tentèrent
de vendre Google pour moins de deux millions de dollars en cash et en
actions. Heureusement pour eux, l’acheteur potentiel refusa leur offre.

25 Joseph Raffiee et Jie Feng, Academy of Management Journal 57 (2014) : 936-63.


26 Bill Katovsky et Peter Larson, Tread Lightly: Form, Footwear, and the Quest for Injury-Free
Running (Skyhorse Publishing, 2012) ; David Thomas, Readings and Cases in International Mana-
gement (Sage Publications, 2003).
27 Jessica Livington, Founders at Work: Stories of Startups’ Early Days (Apress, 2007).
28 Entretiens avec Larry Page, 15 et 16 septembre 2014 ; Discours d’ouverture de Larry Page,
université du Michigan, 2 mai 2009.

Destruction créatrice 25
Cette habitude de garder son emploi ne se limite pas aux entre-
preneurs qui ont réussi. Beaucoup d’esprits novateurs ont conservé leur
travail ou continué leurs études même après avoir perçu des revenus de
projets importants. La réalisatrice de Selma, Ava DuVernay 29, a fait ses
trois premiers films tout en continuant à travailler dans la publicité ;
elle n’est devenue réalisatrice à plein temps qu’au bout de quatre ans
et après avoir remporté plusieurs récompenses. Brian May 30 était à mi-
parcours d’un doctorat en astrophysique quand il a commencé à jouer de
la guitare pour un nouveau groupe, mais il lui fallut plusieurs années
pour se décider à rester à plein temps avec Queen. Peu de temps après,
il composa « We Will Rock You ». John Legend 31, lauréat d’un Grammy,
a sorti son premier album en 2000, mais a continué à travailler comme
consultant en management jusqu’en 2002, préparant ses présentations
PowerPoint dans la journée, se produisant en concert le soir. Le maître du
frisson Stephen King 32 a travaillé comme professeur, gardien et employé
de station-service pendant sept ans après avoir écrit sa première his-
toire, ne démissionnant qu’un an après que son premier roman, Carrie,
eut été publié. Scott Adams 33, l’auteur de Dilbert, a continué de travail-
ler pour une compagnie de téléphone pendant sept ans après que ses
premiers comics eurent été publiés dans les journaux.
Pourquoi tous ces originaux jouèrent-ils la prudence au lieu de
tout risquer ?

4. Gérer les risques


comme un portefeuille d’actions
Il y a un demi-siècle, Clyde Coombs 34, un psychologue de l’uni-
versité du Michigan, développa une théorie des risques originale. À
la bourse, si vous voulez faire un investissement risqué, vous devez
vous protéger en étant prudent ailleurs. Coombs suggéra que dans leur
vie quotidienne, les gens qui réussissaient faisaient la même chose

29 “With Her MLK Drama Selma, Ava DuVernay is Directing History,” Slate, 5 décembre 2014.
30 Laura Jackson, Brian May: The Definitive Biography (Little, Brown, 2011).
31 Tiffany McGee, People, 6 novembre 2006 ; USA Today, 28 juillet 2005 ; The Huffington Post,
20 mai 2014.
32 Lucas Reilly, Mental Floss, 17 octobre 2013.
33 Scott Adams, Dilbert 2.0: 20 Years of Dilbert (Andrews McMeel Publishing, 2008).
34 Clyde H. Coombs et Lily Huang, Journal of Experimental Psychology 85 (1970) : 23-9 ; Clyde
H. Coombs et James Bowen, Perception & Psychophysics 10 (1971) : 43-6 et Journal of Mathema-
tical Psychology 13 (323-37).

26 Osez sortir du rang !


avec les risques qu’ils prenaient, les équilibrant comme dans un porte-
feuille d’actions. Quand on se met en danger d’un côté, on équilibre sa
prise générale de risque en faisant plus attention ailleurs. Si vous vous
apprêtez à parier gros au black-jack, vous allez peut-être conduire plus
doucement en allant au casino.
Cette répartition des risques explique pourquoi des gens sont
souvent précurseurs dans un secteur de leur vie, tout en restant conven-
tionnels dans d’autres. Le propriétaire d’une franchise de baseball Branch
Rickey 35 donna à Jackie Robinson l’opportunité de briser la barrière
raciale, mais il refusait d’aller au stade le dimanche, de dire des gros
mots ou de boire une goutte d’alcool. Grande œuvre de T.  S. Eliot, La
Terre vaine [The Waste Land] a été saluée comme un des poèmes les
plus importants du xxe  siècle. Mais après sa publication en 1922, Eliot
conserva son poste dans une banque de Londres jusqu’en 1925, pour
ne pas prendre de risque professionnel 36. Comme le notait le romancier
Aldous Huxley après lui avoir rendu visite au bureau, Eliot était « le
plus employé-de-banque de tous les employés de banque ». Quand il
finit par quitter son poste, Eliot ne se mit toujours pas à son compte.
Il passa les quarante années qui suivirent à travailler pour un éditeur,
garantissant ainsi sa stabilité financière, la poésie restant un à-côté.
Comme le remarquait Edwin Land 37, le fondateur de Polaroid, « personne
ne pourrait être original dans un domaine de sa vie s’il ne possédait
la stabilité émotionnelle et sociale que procurent des comportements
bien définis dans tous les domaines autres que celui où il est original ».
Mais ces emplois n’empêchent-ils pas de donner le meilleur de soi-
même ? La croyance commune veut qu’aucune grande création ne puisse
naître sans de larges plages de temps et d’énergie, et qu’aucune entre-
prise ne puisse prospérer sans un travail acharné. Des hypothèses qui ne
tiennent pas compte du principal bénéfice que procure un portefeuille
de risques équilibré : être rassuré d’un côté rend libre d’être original de
l’autre. En assurant son assise financière, on s’évite la pression de devoir
publier des livres à moitié finis, vendre des œuvres d’art de moindre
qualité ou se lancer dans des aventures commerciales sans préparation.
Lorsque Pierre Omidyar 38 lança eBay, c’était juste un hobby ; il continua
à travailler comme programmateur pendant neuf mois, ne quittant pas
35 Lee Lowenfish, Branch Rickey: Baseball’s Ferocious Gentleman (University of Nebraska
Press, 2009).
36 Paul Collins, Mental Floss, 8 décembre 2013.
37 Victor K. McElheny, Insisting on the Impossible: The Life of Edwin Land (Basic Books, 1999).
38 Adam Cohen, The Perfect Store: Inside eBay (Little, Brown, 2008).

Destruction créatrice 27
son emploi avant que sa plateforme d’échange ne lui rapporte davan-
tage. « Les meilleurs entrepreneurs ne maximisent pas les risques »,
explique Linda Rottenberg, PDG et cofondatrice d’Endeavor, après des
décennies passées à former de nombreux entrepreneurs, parmi les plus
grands de ce monde. « Leur façon de prendre des risques, c’est de ne
pas en prendre 39. »
Maintenir un portefeuille de risques équilibré ne signifie pas néces-
sairement se maintenir dans la moyenne en prenant des risques limités.
Les novateurs qui réussissent prennent des risques extrêmes dans un
domaine et les annulent en étant extrêmement prudents ailleurs. À vingt-
sept ans, Sara Blakely 40 eut l’idée originale de créer des collants sans pied.
Elle prit un gros risque en investissant l’intégralité de ses économies, soit
5 000 dollars. Pour contrebalancer, elle conserva son emploi à plein temps
de vendeuse de fax pendant deux ans, passant ses nuits et ses week-ends
à mettre au point son prototype – économisant au passage de l’argent en
rédigeant elle-même sa demande de brevet, sans passer par un avocat.
Elle finit par lancer Spanx et devint la plus jeune self-made-milliardaire.
Un siècle plus tôt, Henry Ford 41 avait démarré son empire automobile alors
qu’il était encore ingénieur en chef pour Thomas Edison, ce qui lui permit
de tester en toute sécurité ses nouvelles inventions pour voitures. Il conti-
nua à travailler pour Edison pendant deux ans après avoir construit un
carburateur, et un an après avoir obtenu un brevet pour cela.
Et que dire de Bill Gates, qui a arrêté Harvard pour lancer
Microsoft ? Quand Gates, alors en seconde année, vendit son programme
de nouveau logiciel, il attendit une année entière avant de quitter
l’école. Et même là, il n’abandonna pas complètement, équilibrant les
risques en faisant une demande de congé, officiellement approuvée par
l’université –  et en se faisant financer par ses parents. Comme le note
l’entrepreneur Rick Smith 42, « loin d’être un des plus grands risque-tout
de la planète, Bill Gates est plus exactement un des plus grands répar-
titeurs de risques du monde ».

39 Jane Bianchi, LearnVest, 22 octobre 2014 ; Marco della Cava, USA Today, 15 octobre 2014 ;
“Myths About Entrepreneurship”, Harvard Business Review Ideacast, octobre  2010 ; Linda
Rottenberg, Crazy is a Compliment: The Power of Zigging When Everyone Else Zags (Portfolio,
2014).
40 Claire O’Connor, “Top Five Startup Tips from Spanx Billionaire Sara Blakely”, Forbes,
2 avril 2012.
41 “Henry Ford Leaves Edison to Start Automobile Company,” History.com.
42 Rick Smith, The Leap: How 3 Simple Changes Can Propel Your Career from Good to Great
(Penguin, 2009).

28 Osez sortir du rang !


C’est ce type de répartition des risques qui a permis la réussite
de Warby Parker. Deux des fondateurs, Neil Blumenthal et Dave Gilboa,
sont devenus co-PDG. Ignorant les recommandations à suivre la norme et
ne désigner qu’un seul chef, ils ont estimé qu’il était plus sûr d’avoir un
tandem à la tête de l’entreprise – et de fait, les exemples montrent qu’avoir
deux co-PDG suscite une réaction favorable des marchés et accroît la valo-
risation de l’entreprise 43. Depuis le départ, leur priorité numéro un a été
de réduire les risques. « Warby Parker n’était pas le panier dans lequel je
voulais mettre tous mes œufs », raconte Dave. Après le lancement de la
société, il continua de s’intéresser à d’autres possibilités de business, cher-
chant parmi les découvertes scientifiques du campus celles qui avaient un
potentiel commercial. Ces solutions de repli donnèrent aux fondateurs le
courage d’appuyer leur modèle sur l’hypothèse fragile que les gens étaient
prêts à acheter leurs lunettes en ligne. Au lieu de se contenter de recon-
naître cette incertitude, ils s’employèrent à la minimiser. « Nous parlions
constamment de comment réduire les risques », rapporte Neil. « Tout au
long du processus, nous nous sommes assurés qu’il n’y avait pas d’obstacle
rédhibitoire. À chaque étape, on avait des garde-fous. »
Dans cette lutte contre les risques, les quatre amis suivirent
ensemble un cours d’entreprenariat et peaufinèrent pendant des mois leur
business plan. Pour que les clients soient plus à l’aise avec l’idée de com-
mander des lunettes sur Internet, ils décidèrent de proposer des retours
gratuits. Mais dans les enquêtes et entretiens de groupe, les gens étaient
toujours hésitants. « Beaucoup étaient définitivement réfractaires à cette
idée. Ça nous a fait douter du concept même », se souvient Neil. « Ça a
été un grand moment de doute. Ça nous a ramenés au point de départ. »
Après avoir abondamment discuté du problème, l’équipe eut une
idée – un programme d’essai gratuit à la maison. Les clients pouvaient
commander les montures seules sans engagement financier et il leur suf-
fisait de les renvoyer si elles ne leur plaisaient pas. Ça revenait moins
cher que les retours gratuits. Si un client achetait la monture avec les
verres, puis qu’il les retournait, Warby Parker perdrait beaucoup d’argent,
les verres étant adaptés à chaque client. Mais si les clients n’essayaient
que les montures puis les retournaient, la société pouvait les réutili-
ser. À présent, Dave était confiant et impliqué : « Au moment où nous
étions prêts à lancer et où il fallait que je décide si on allait faire ça
à plein temps, ça n’avait plus l’air risqué. Je n’ai pas eu l’impression de

43 Matteo P. Arena, Stephen P. Ferris et Emre Unlu, The Financial Review 46 (2011) : 385-412 ;
voir aussi Ryan Krause, Richard Priem et Leonard Love, Strategic Management Journal (2015).

Destruction créatrice 29
faire un grand saut dans l’inconnu. » Le programme d’essai gratuit ren-
contra un tel succès que Warby Parker dut le suspendre quarante-huit
heures après son lancement.
De plus en plus de données suggèrent que les entrepreneurs
n’aiment pas plus que les autres prendre des risques – et c’est la conclu-
sion inattendue à laquelle sont finalement parvenus de nombreux
économistes, sociologues et psychologues. Dans une étude portant sur
plus de huit cents Américains, on demanda à des entrepreneurs et à des
salariés de choisir parmi les trois projets suivants :
a. le premier générait un bénéfice de cinq millions de dollars avec
une probabilité de succès de 20 % ;
b. le deuxième générait un bénéfice de deux millions de dollars
avec une probabilité de succès de 50 % ;
c. le troisième générait un bénéfice de 1,25 million de dollars avec
une probabilité de succès de 80 %.
Les entrepreneurs furent significativement plus nombreux à
choisir la dernière option, la plus prudente. Et ce quel que soit le revenu,
le niveau de richesse, l’âge, le sexe, l’expérience en tant qu’entrepreneur,
le statut conjugal, le niveau d’éducation, la taille du foyer et les espoirs
de succès pour leurs autres projets. « Ce que nous avons trouvé, c’est
que les entrepreneurs évitent davantage les risques que la moyenne de
la population », concluent les auteurs de l’étude 44.
Il s’agit simplement de préférences dans le cadre d’une étude,
mais quand on étudie le comportement des entrepreneurs dans le monde
réel, il est clair qu’ils évitent les trop grandes prises de risque. Des
économistes ont découvert que, quand ils étaient adolescents, les entre-
preneurs à succès avaient presque trois fois plus de chances que leurs
semblables de ne pas respecter les règles et de braver les interdits.
Pourtant, quand on regarde de plus près les comportements concernés,
on comprend que lesdits adolescents prenaient simplement des risques
calculés. Quand des psychologues étudièrent des jumeaux américains ou
des citoyens suédois, ils obtinrent des résultats identiques 45.

44 Hongwei Xu et Martin Ruef, Strategic Organization 2 (2004) : 331-55.


45 Ross Levine et Yona Rubinstein, National Bureau of Economic Research document de travail
19276 (août 2013) ; Zhen Zhang et Richard D. Arvey, Journal of Business Venturing 24 (2009) :
436-47 ; Martin Obschonka, Hakan Andersson, Rainer K. Silbereisen et Magnus Sverke, Journal
of Vocational Behavior 83 (2013) : 386-96 ; Marco Caliendo, Frank Fossen et Alexander Kritikos,
Journal of Economic Behavior & Organization 76 (2010) : 45-63.

30 Osez sortir du rang !


A B L E T
D E S M A T I È R E S

Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Chapitre 1
Destruction créatrice
Aller à contre-courant, une entreprise risquée . . . . . . . . . . 9
1. Chercher l’erreur dans le défaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2. Les deux visages de l’ambition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
3. L’étoffe des héros . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
4. Gérer les risques comme un portefeuille d’actions . . . . . . . . . . 26
Chapitre 2
Aveuglement des inventeurs,
myopie des investisseurs
L’art et la manière de reconnaître les idées originales . . 37
1. Avancer au hasard sur la corde raide de la création . . . . . . . . 40
2. Embrasser des grenouilles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3. Prisonniers des stéréotypes et des préférences paroissiales . . 47
4. L’expérience, épée à double tranchant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
5. Les hasards de l’intuition :
comment Steve Jobs s’est trompé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
6. Les dangers de la passion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
7. Des lentilles correctrices pour sélectionner les idées . . . . . . . 63

Table des matières 265


Chapitre 3
Avancer à découvert
Dire la vérité aux puissants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
1. Le pouvoir sans le prestige . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
2. Montre ce que tu as de pire : l’effet Sarick . . . . . . . . . . . . . . . . 75
3. La différence nourrit le rejet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
4. Quitter avant de partir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
5. Se faire entendre en tant que femme
et le double danger des doubles minorités . . . . . . . . . . . . . . . . 91
6. La voie restée libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Chapitre 4
Coup de foudre et conséquences
Bon tempo, procrastination stratégique
et inconvénient d’être le premier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
1. L’autre code de Vinci . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
2. La discipline du retard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
3. Une impro et une prière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
4. Les pionniers et les colons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
5. Les deux cycles de la créativité :
les jeunes génies et les vieux maîtres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Chapitre 5
Boucles d’Or et le cheval de Troie
Faire exister des alliances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
1. Les nuances narcissiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
2. Le radicalisme mesuré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
3. Allie-toi avec tes ennemis plutôt qu’avec de faux amis . . . . . 134
4. L’habitude fait fondre les cœurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
5. La conquête de l’ouest . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
6. Unis vers l’uni :
créer des alliances qui traversent les lignes . . . . . . . . . . . . . . .147

266 Osez sortir du rang !


Chapitre 6
Une bonne raison de se rebeller
Comment proches et mentors favorisent l’originalité . . 151
1. Né pour se rebeller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
2. Choisir son créneau : concourir sans concourir . . . . . . . . . . . .161
3. La pente savonneuse d’une éducation stricte . . . . . . . . . . . . 164
4. Les grandes explications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167
5. Persona non grata, ou pourquoi les substantifs
valent mieux que les verbes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
6. Pourquoi les parents ne sont pas les meilleurs exemples . . . 174
Chapitre 7
Repenser la pensée commune
Mythes des cultures fortes, sectes
et avocats du diable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
1. Un modèle tombé du ciel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
2. Souffrances progressives :
le mauvais côté du modèle engagé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
3. La culture « penser autrement » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
4. Le diable qu’on connaît . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
5. Trouver le canari dans la mine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
6. Quand les principes s’opposent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
7. Le moment de vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
8. Les sculpteurs du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
Chapitre 8
Semer le trouble et garder le cap
Gérer l’angoisse, la résignation,
l’incertitude et la colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
1. Le pouvoir positif des pensées négatives . . . . . . . . . . . . . . . . 215
2. Don’t Stop Believin’ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
3. Délocaliser l’inspiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

Table des matières 267


4. La force des petits nombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
5. La plateforme brûlante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
6. Le spectacle doit continuer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
7. Entretenir la flamme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

Agir pour compter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .245


Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

268 Osez sortir du rang !


« Extraordinaire, follement divertissant... Un point de vue nouveau et fort. »
J. J. Abrams, réalisateur

« Vous aidera à inspirer la créativité et le changement. »

Adam Grant
Richard Branson, fondateur du groupe Virgin

« Une nouvelle approche du monde, merveilleusement perspicace,


par un de mes penseurs préférés. »
Malcolm Gladwell, auteur bestseller du New York Times pour Outliers
et The Tipping Point

Comment défendre ses idées et ses valeurs sans risquer de tout perdre ?
Adam Grant nous montre comment améliorer le monde en réfléchissant d’une
façon nouvelle, en combattant les conformismes, et en rejetant les traditions
dépassées.
À l’aide d’études surprenantes et d’anecdotes tirées du monde de l’entreprise, de
la politique, du sport, du cinéma ou de la télévision, Grant dénonce la croyance
populaire selon laquelle les anticonformistes qui réussissent sont des leaders-
nés qui n’hésitent pas à prendre tous les risques. Au lieu de cela, son ouvrage
explore la façon dont on reconnaît une bonne idée, comment on la défend sans

Osez sortir du rang !


être réduit au silence et comment on identifie les pistes de changement.
Parmi différentes trajectoires édifiantes de novateurs, Osez sortir du rang  !
raconte les histoires d’un entrepreneur à succès qui présente les raisons de ne
pas investir dans ses projets ; d’une femme qui a remis en cause une décision
de Steve Jobs, alors qu’elle était trois échelons plus bas dans la hiérarchie
d’Apple ; d’un agent de renseignement qui a remis en question la politique du
secret à la CIA ; d’un gourou milliardaire de la finance qui licencie les employés
qui oublient de le critiquer et celle du producteur de télévision qui a évité à la
série Seinfeld d’être enterrée prématurément.
Osez sortir du rang ! propose des pistes d’inspiration inédites sur les façons de
rejeter le conformisme et explique ce qui caractérise réellement les esprits originaux.

Adam Grant figure, en tant qu’auteur, au palmarès du New York Times


des meilleures ventes et a été, pendant quatre ans, le professeur le
mieux noté de l’université Wharton, l’une des meilleures business
schools au monde. En tant que consultant et conférencier, il a pour
clients Google, Disney Pixar, Johnson & Johnson, etc. Malcolm
Gladwell en a fait un de ses auteurs scientifiques favoris et Business
Week l’a consacré comme un de ses professeurs préférés, ainsi que
parmi les quarante meilleurs enseignants de moins de quarante ans
dans le domaine de l’entreprise.

ISBN : 978-2-8073-0642-4

www.deboecksuperieur.com
Prix TTC : 22,50€

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