Mobutisme Droit Regne
Mobutisme Droit Regne
Mobutisme Droit Regne
MOBUTISME
GUERRE
FROIDE, PIL-
LAGE ET CIE
Les relations Suisse-Zaïre de 1965 à 1997
MOBUTISME
GUERRE FROIDE, PILLAGE ET CIE
Les relations Suisse-Zaïre de 1965 à 1997
SOMMAIRE
1.1. Introduction 13
1.2. Comment trouve-t-on des diamants? 13
1.3. La création des comptoirs et le rôle des petits chercheurs
de diamants 14
1.4. Comment Kabila a coupé les vivres à Kinshasa 14
2. La dissolution des pouvoirs de l’Etat débouche sur un totalitarisme
bénéfique aux entreprises 15
I. PREFACE
par Christian Grobet 1
J’aimerai remercier l’Action Place financière Suisse - Tiers Monde (AFP) d’avoir
rédigé un rapport aussi bien documenté sur le « mobutisme » et les relations entre la
Suisse et l’ancien dictateur. Il s’agit de faits qui doivent être rendus publics afin que
l’on sache comment le pillage d’un pays du Tiers Monde a pu être réalisé et pour que
l’on prenne conscience de l’impérieuse nécessité de modifier profondément des pra-
tiques intolérables.
Au même titre que la Suisse et son système bancaire portent une responsabilité
accablante pour leur collaboration durant la dernière Guerre mondiale avec le régime
nazi et la façon dont le problème des fonds en déshérence des Juifs a été traité,
agissements qui ont gravement porté atteinte à la crédibilité de notre pays, celui-ci
est coupable aujourd’hui d’avoir favorisé le recel et le blanchiment de fortunes mal
acquises de dictateurs, dignitaires et politiciens corrompus d’Etats étran- gers, no-
tamment du Tiers Monde.
Depuis l’époque de l’argent caché des nazis dans nos banques, puis celle de la
fortune expatriée de l’ex-dictateur Trujillo en passant par les fonds colossaux de Fer-
dinand Marcos, la liste des dépôts bancaires ayant fait l’objet de demandes
d’entraide judiciaire d’Etats étrangers est longue. Le manque de curiosité de nos
banques à l’égard de l’ouverture de comptes manifestement suspects et la complicité
dans des transferts de sommes souvent énormes – s’agissant de détenteurs de
fonds qui sont des personnes physiques – ne sont plus acceptables, surtout lorsque
ces transferts visent à cacher cet argent.
Outre le fait qu’il n’a pas force légale, le code de bonne conduite des banques
suisses n’est visiblement pas respecté. Après toutes les affaires mettant en cause
les banques, il est temps que celles-ci soient enfin soumises, en vertu de la loi, à un
devoir de diligence dont le non-respect serait sanctionné pénalement.
Notre système d’entraide judiciaire doit être rendu véritablement efficace. La
Suisse doit montrer l’exemple et ouvrir d’office des enquêtes pénales dès que ses
autorités suspectent que de l’argent mal acquis, notamment par des actes de corrup-
tion, est transféré ici dans le but de le cacher et le soustraire à la souveraineté de
son pays d’origine. Nos autorités ne doivent pas se contenter de bloquer les avoirs,
mais elles doivent procéder à des investigations sur les relevés de comptes pour re-
tracer la destination de virements effectués pour blanchir de l’argent d’origine dou-
teuse.
Cela est particulièrement vrai dans le cas de l’ex-dictateur Mobutu, dont on sait
que la fortune représente des milliards de francs, mais dont seuls quelques millions
ont été bien tardivement bloqués en Suisse, sur décision prise en 1997 par le Con-
seil fédéral.
Notre pays ne peut pas proclamer sa solidarité envers les pays du Tiers Monde
et sa volonté de les aider à sortir de la pauvreté, s’il ne mène pas simultanément une
lutte déterminée contre les actes criminels commis par ceux qui s’approprient délic-
tueusement des richesses qui devraient revenir aux populations spoliées.
Espérons que le message convaincant de l’AFP sera entendu et plus particuliè-
rement par celles et ceux qui sont aux responsabilités dans notre pays.
II. INTRODUCTION
par Mascha Madörin et Gertrud Ochsner 2
1. Avant-propos
Ce dossier sur les relations entre la Suisse et le Congo/Zaïre n’est qu’un pre-
mier inventaire. On n’a guère l’habitude ici d’effectuer des recherches systématiques
sur ce type de sujet. La plupart du temps, les scandales sont traités de manière ra-
pide et superficielle et les choses en restent là, dossier classé. La version complète
(en allemand) de cette documentation devrait donc servir d’instrument de travail
permettant de poursuivre des recherches plus approfondies.
Il s’agira ainsi de poursuivre nos activités dans le domaine de l’entraide judi-
ciaire – que la Suisse accorde apparemment contre son gré au Congo – et celui des
dettes immenses que feu le dictateur zaïrois et ses acolytes ont laissées, et qui con-
tribuent à accentuer le marasme économique du pays. Il s’agit surtout de ne pas
laisser le rideau retomber pour les 50 années à venir sur les responsabilités de la
Suisse dans le pillage du Zaïre par Mobutu.
2. Résumé3
Les chapitres 1 et 2
a) éclairent la politique cynique de maraudage et de défense d’intérêts privés
pratiquée aux dépens du Congo/Zaïre par des gouvernements et leurs représen-
tants, des multinationales et des hommes d’affaires grâce à l’aide de Mobutu et de
sa clique;
b) démontrent qu’au plus tard à la fin des années 80, les protagonistes de cette
économie de pillage – en tout cas ceux du Congo – étaient connus. Mieux, il existe,
depuis 1993, une liste de délinquants économiques congolais établie sous le gou-
vernement Tshisekedi par la «Commission de la Conférence nationale souveraine
pour l’instruction sur les biens mal acquis», première structure démocratique congo-
laise depuis la colonisation. Cette liste fut ignorée par les gouvernements occiden-
taux concernés. Nos recherches montrent qu’aucune poursuite n’a été engagée par
la Suisse pour blanchiment d’argent contre les personnes figurant sur cette liste re-
vue et corrigée par le gouvernement de Laurent Kabila;
c) illustrent à quel point le Congo a été secoué et appauvri et quels soutiens ont
été nécessaires à la dictature pour en arriver là 30 ans après la prise du pouvoir par
Mobutu. Au cours de la dernière décennie, plus de 10 milliards de dollars ont été in-
vestis par la Banque Mondiale et la Banque pour le développement africain dans ce
2 Collaboratrices de la Place financière Suisse-Tiers Monde, elles ont conçu et dirigé ce dossier.
3 Les numéros de chapitre mentionnés dans ce résumé sont ceux de la version allemande; ils ne corre-
spondent pas à la présente version française. La version allemande complète contient en outre, dans le
second volet du chapitre 2, une étude systématique et méthodologique sur les relations entre les Etats
factieux et les multinationales intitulée Conflits et droits de l’Homme en Afrique: le rôle des multinationales,
par Emmanuel KABENGELE MPINGA. Il est secrétaire général du « Comité pour la Démocratie et les
Droits de l’Homme dans la république du Congo ». Nous avons renoncé ici, pour des raisons de place,
à reproduire ce texte qui sera fourni in extenso en français à tous celles et ceux qui le souhaiteront.
Le chapitre 3
a) dresse un bilan chronologique des sources d’information. Dans les années
70, les médias suisses, y compris la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), fournissaient des
informations assez claires sur le mobutisme lui-même. Mais les acteurs extérieurs
échappaient à l’attention. La chronologie (complète dans la version allemande) dé-
montre que certaines affaires essentielles des sociétés suisses et occidentales qui
commerçaient avec le Zaïre non pas été présentées au grand jour. Reste que, ma l-
gré tout, la presse s’est fait l’écho des pratiques économiques et juridiques souvent
choquantes entre Mobutu et la Suisse;
b) présente les agissements de la Suisse officielle. La Confédération helvétique
est loin d’avoir été le seul pays à s’être comporté de façon très complaisante envers
Mobutu. La politique des USA, de la France ou de la Belgique n’était guère moins
condamnable. Les autorités suisses se sont cependant distinguées par un traitement
particulièrement injuste des réfugiés congolais, surtout dès 1985. La politique inhu-
maine de la Suisse est démontrée en comparaison internationale. Le taux de refus
des demandes d’asile des Congolais est le plus bas parmi les requérants les plus
mal lotis, ceux d’Afrique. La formule est empirique, mais fonctionne: la suspicion gé-
nérale envers les réfugiés est multipliée par le racisme dirigé contre les Africains et
amplifiée par la sympathie pour le dictateur de Kinshasa.
Ce qui est monstrueux, c’est que la Suisse a renvoyé des réfugiés au
Congo/Zaïre alors que l’on savait depuis longtemps avec quelle cruauté Mobutu trai-
tait ses opposants s’il ne réussissait pas à acheter leurs faveurs. Malgré cela, en
1985, 59 réfugiés furent expulsés de Suisse et enchaînés dans un avion (ce qui est
contraire à toutes les conventions internationales de l’aviation) de Swissair. Et mal-
gré les rapports du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNH-
CR), le délégué aux réfugiés d’alors, Peter Arbenz, n’a pas hésité, trois ans plus tard,
à renvoyer de façon scandaleuse les deux réfugiés les plus célèbres de Suisse, Ma-
thieu Musey et Alphonse Maza.
Le chapitre 4
a) recense les interventions parlementaires relatives au Congo/Zaïre depuis
1970. On trouve dans la version allemande une chronologie précise de la valse-
hésitation que nos autorités ont effectuée en 1997 lorsqu’il s’est agi de bloquer les
avoirs de Mobutu en Suisse sur demande du nouveau gouvernement;
b) présente (dans la version allemande seulement) les protagonistes jouant un
rôle important dans le débat sur le blocage de la fortune de Mobutu. Il s’agit du Con-
seil fédéral, des banques et autres intermédiaires financiers, de l’Association suisse
des banquiers, de la Commission fédérale des banques, du Tribunal fédéral et des
organisations non-gouvernementales;
c) prouve que dans plusieurs phases du développement de l’affaire Mobutu, on
aurait disposé d’une marge de manœ uvre bien plus large. Il aurait cependant fallu
avoir la volonté politique d’exploiter cet avantage. Celle-ci semble encore manquer
en Suisse aujourd’hui. Dans un Etat qui se réclame de la démocratie et des droits de
l’Homme, les autorités ont-elles le droit d’interpréter les lois au profit d’un dictateur et
de sa clique et aux dépens des réfugiés ?
Il semble que la Suisse a été l’un des centres logistiques et financiers essen-
tiels dans le système de pillage de Mobutu et de son entourage. Le dictateur décédé,
les personnes de son clan sont toujours là. Celles qui ne sont pas liées à sa famille
par des liens étroits peuvent entrer et sortir de notre pays et continuent à faire des
affaires comme bon leur semble, malgré le fait qu’avec leurs petits salaires de cadres
gouvernementaux, elles soient devenues millionnaires, voire même milliardaires. Du
reste, les rares chiffres disponibles officiellement (datant de juin 1997) et la chrono-
logie de ce dossier donnent toutes raisons de douter des déclarations selon lesquel-
les il ne resterait que quelques millions de francs de l’entourage de Mobutu à bloquer
en Suisse.
On sait depuis 1979 que Mobutu ne se contentait pas de détourner des fonds
de la Banque centrale du Zaïre – de préférence des devises attribuées par des insti-
tutions financières publiques et internationales –, mais qu’il accordait des avantages
certains à ses clients étrangers. Sans oublier qu’il possédait une planche à billets de
luxe permettant de fabriquer de faux dollars5.
4 L’auteur est journaliste, basé à Bruxelles. Il travaille depuis des années sur la question du
Congo/Zaïre, et a écrit notamment pour l’hebdomadaire zurichois Die Wochenzeitung (WOZ).
5 Vous trouverez dans l’original en allemand toutes les références ainsi que les listes de noms des per-
sonnes impliquées dans ce chapitre. Nous renonçons ici, faute de place, à donner tous les détails.
2. Le système Mobutu
Dans les années 70, le Zaïre a fait l’objet de nombreuses études. Il faut dire
que la Banque du Zaïre, pratiquement en cessation de payement depuis 1974, ne
pouvait guère invoquer la chute du prix du cuivre sur les marchés internationaux et
qu’on se demandait comment un des pays les plus riches en minerais du monde
pouvait être en faillite ou presque. C’étaient les projets mégalomaniaques de Mobutu
et de son entourage qui coûtaient trop cher. Dans un remarquable dossier du Monde
diplomatique de mai 1977, Benoît Verhaegen, alors recteur de l’université de Kisan-
gani, établit la liste d’un bon millier de ministres et de secrétaires d’Etat qui tous, ont
pu, en ne passant parfois que quelques mois au pouvoir, mettre de côté de quoi finir
confortablement leur existence en puisant dans les caisses étatiques.
On aurait aussi pu reprendre une excellente recherche de David Gould qui, en
1980, a publié une somme encore inégalée sur la corruption bureaucratique et le
sous-développement dans le cas du Zaïre.
Mais comment fonctionne ce pillage ? Il aura fallu plusieurs étapes avant
d’arriver à réunir entre les mains d’une petite élite les principales sources de fortune
au Congo. Petit à petit, à coups de réformes juridiques – pour quitter l’ère coloniale,
puis pour nationaliser les biens, voire pour garantir les investissements étrangers –,
on a dégradé tant l’économie locale que l’économie d’exportation,
Mobutu n’a pas distribué les richesses et créé de bourgeoisie nationale. Seuls
quelques amis, les barons du régime, se sont enrichis de manière extravagante. Le
principe consistait à introduire les propriétés saisies aux colons ou aux entreprises
au sein du holding CELZA qui appartenait à la famille Mobutu. Les meilleures planta-
tions revenaient toujours au chef de l’Etat (friand de biens tangibles) et son ami
Bemba Saolona a pu amasser là – en se «contentant» d’entreprises ou de finance-
ments – de quoi devenir « l’homme le plus riche du Zaïre ».
Mobutu a aussi tiré profit de nombreux crédits internationaux: si la dette exté-
rieure du Zaïre était de 4 milliards de $ en 1980, alors que depuis 1974, l’Etat était en
banqueroute virtuelle, on se demande comment en 1990, l’Etat zaïrois devait 10,5
milliards de $ et 7 ans plus tard, à la mort du tyran, 14 milliards de $!
ser les mines et créer des barrages plus proches. Mobutu et sa clique ont profité
grassement de cette construction; le Zaïre n’a payé qu’un partie infime de la facture
(prise en charge par la garantie publique à l’exportation américaine) et Morrison-
Knudsen, le grand bureau américain responsable du projet, n’a pas dû fermer bouti-
que.
Dans la même veine, Alusuisse a failli créer un fonderie d’aluminium. Proche
des mines de bauxite et avec le courant bon marché d’Inga, l’affaire promettait d’être
juteuse. La chute du prix de l’aluminium, l’incapacité de l’Etat mobutuesque à agran-
dir un port en eau profonde à Banana, ont fini par enterrer le projet en 1976. Reste
que pendant des années, des bureaux d’ingénieurs suisses ont planché sur ce grand
projet et ont gagné leur pain.
Ainsi à coups de grands projets, Mobutu arrosait assez utilement ses amis
étrangers et ces derniers ne manquaient pas de lui renvoyer l’ascenseur chaque fois
qu’il demandait un crédit auprès d’une institution internationale. Comme Mobutu avait
des comparses bien placés dans des grandes entreprises industrielles, financières et
commerciales, les décideurs ont laissé son clan s’enrichir.
Voici quelques acteurs des malversations orchestrées par Mobutu et les siens:
–Les intermédiaires : on leur accorde des gratifications pour faire usage de
leurs bons réseaux de relations. Les deux côtés passent à la caisse : les hauts digni-
taires du régime et les entreprises désirant vendre aux Zaïrois n’importe quels tech-
nologies, services ou pièces de rechange.
–Les vendeurs des firmes occidentales : ils sont intéressés à se débarrasser de
leurs excédents plutôt que de faire des investissements rentables seulement à long
terme.
- Les conseillers de tout poil : bureaux d’études et d’ingénieurs, avocats
d’affaires, ils livrent des rapports favorables concernant les investissements en ques-
tion, en camouflant habilement l’absurdité économique de certains projets sous des
tonnes d’arguments d’une haute technicité pour finir bêtement par vanter les compé-
tences des sociétés étrangères et zaïroises cherchant des fonds.
- Les banques privées : sur la base des rapports élogieux des précédents, elles
acceptent de financer des affaires et pourront toujours compter sur la gestion des
pots-de-vin pour tirer profit de ces opérations risquées dans lesquelles elles se lan-
cent après des évaluations très superficielles.
- Les institutions publiques : elles garantissent les crédits à l’exportation comme
l’ExImbank aux USA, la COFACE en France ou la «garantie des risques à
l’exportation» en Suisse.
- Les gouvernements étrangers : ils ont toujours été prêts à refinancer et ré-
échelonner la dette du Zaïre au moyen de crédits obtenus par le biais d’institutions
multilatérales.
Ces amis étrangers voulaient bien aider Mobutu, mais il fallait des retombées
concrètes. Une partie de l’argent des caisses noires de Mobutu (les frais de corrup-
tion oscillant entre 25 et 45% suivant le type d’affaire) revenait ainsi au pays de dé-
part, sans que personne ne s’en offusque, le fait de pouvoir déduire les montants
versés « au noir » dans les frais fiscaux aidant à polir certains bilans.
De plus, on avait depuis longtemps la certitude qu’il ne s’agissait pas seulement
d’aléas du développement africain dus à la corruption locale, mais qu’une bande or-
ganisée de gangsters était à l’œ uvre. Ainsi, à la fin des années 70, la brigade des
stupéfiants belge a arrêté à la douane, après une enquête sur les membres de la
famille Mobutu, Honoré Ngbanda avec un gros chargement de haschich. Ce dernier
n’a jamais été inquiété, aucune enquête ouverte, alors que le moindre petit vendeur
de rue était condamné à plusieurs années de prison ferme s’il possédait plus de vingt
grammes de cette substance en poche. La guerre du Liban avait en effet déplacé à
Kinshasa des vendeurs de stupéfiants qui, se prenant d’amitié avec le clan Mobutu,
purent rapidement mettre la main sur le commerce des diamants. (voir chapitre IV).
Deux traits de caractère de Mobutu – tous ceux qui l’ont connu l’admettent – ont
guidé son « activité économique » : sa mentalité de chasseur-cueilleur et son rapport
naïf à l’argent.
Un commerçant zaïrois résume crûment : « Il était incapable de faire un bilan
(fondamentalement), parce qu’il n’avait jamais eu besoin d’en faire un. Son idée du
financement consistait à prendre le téléphone, d’appeler Seti Yale (un proche devenu
très riche grâce aux largesses du président, ndlr) et de lui dire: ”Envoie-moi deux mil-
lions.”»
Mobutu amassait des biens immédiatement réalisables, car il n’a, semble-t-il,
jamais compris la fonction de l’argent et ses relations avec la finance. Il ne savait
pas, par exemple, au début de son règne, que faire des grandes mines. Sans
conception, il a nationalisé, notamment la plus grosse entreprise du pays, l’Union
minière du Haut-Katanga (UMHK). Mal lui en a pris, les Belges lui ont coupé les cré-
dits, les prix sont tombés et pour obtenir leur savoir-faire, il a dû signer un contrat
assurant aux anciens actionnaires « la plus grande somme de dédommagement j a-
mais versée suite à une nationalisation » selon Davis Gould. Il voulait toucher deux
milliards de dollars et tout de suite, histoire de les montrer.
Le clan de Mobutu coûtait aussi très cher: en 1970, on estimait ses dépenses
quotidiennes à 50'000 francs suisses. La part réservée aux dépenses présidentielles
représentait alors 21,3 % du budget total de l’Etat (soit au cours officiel d’alors, 160
millions de $). 10 ans après, Mobutu a pris une seconde femme, ce qui a multiplié le
nombre de personnes faisant partie de la suite. La seconde épouse a passé la vi-
tesse supérieure: elle dépensait en une journée l’équivalent du budget d’un mois,
simplement en faisant les bijouteries.
Tout cela, sans oublier la ferme dans la ville natale du chef, Gbadolite, ce Ver-
sailles de la jungle où 170 vaches suisses carburent à l’air conditionné et le taureau
primé Vihar du Simmental menace d’étouffer s’il n’est pas arrosé tous les jours à 14
heures…
Mais la famille n’explique pas la perte de richesses à elle toute seule, ni l’attrait
de Mobutu pour l’immobilier (ses propriétés au moment de sa mort sont estimées à
quelques 100 millions de $). Car il fallait aussi payer cash tous ceux qui savaient que
les billets zaïrois ne valaient pas pipette. Ainsi, les marabouts et autres féticheurs
que Mobutu affectionnait furent très souvent payés en lingots d’or. Le Sénégalais
Kébé, son principal conseiller en occultisme, est devenu ainsi un des plus gros pro-
priétaires terriens de Dakar.
Son cercle d’intimes n’a que peu évolué et on retrouve toujours les mêmes
noms: Nimy M. Ngambi, Bisengimana Rwema, André Atundu Liongo, le beau-frère
Bolozi (surnommée l’équarrisseur), l’homme de main Honoré Ngbanda Nzambo
(surnommé Terminator), sans oublier celui qui a accumulé une des plus grosses for-
tunes du Zaïre, Seti Yale, et l’homme le plus riche de la nation, Bemba Saolona.
Ces barons avaient, bien sûr, eux aussi un cercle de fidèles à entretenir. S’il a
été possible de financer pendant la première décennie du régime les appétits de ces
milieux, la chute des prix des matières premières a mis fin à cette période euphori-
que. Pour se refaire, Mobutu et sa clique ont dû trouver d’autres sources de revenus.
Certes, le soutien des USA à la guérilla angolaise (l’UNITA de Jonas Savimbi) a
permis d’utiliser le marché de l’armement et de la logistique militaire (importation de
carburant, de véhicules, etc.) pour combler les trous. Ajoutons que le commerce du
diamant avait été «privatisé», ce qui donnait l’occasion d’empocher de coquettes
commissions (voir chapitre IV). L’entourage militaire et «de sécurité» de Mobutu est
aussi déterminant dans ce cadre. Le nombre de soldats, souvent augmenté fictive-
ment sur les listes des effectifs, passe de 24'000 en 1965 à 60'000 au milieu des an-
nées 70 pour culminer à 120'000 hommes dans les années 80. Ce qui fait beaucoup
de gens à entretenir…
Tous les dirigeants s’arrangeaient pour tirer leur épingle du jeu et, si l’on faisait
artificiellement gonfler les effectifs, les responsables encaissaient pour ces soldats
fictifs des salaires de l’Etat pour mieux se les approprier.
Dans un autre registre, deux exemples frappants ont infecté, au propre comme
au figuré, le système de santé au Zaïre:
– « Mama » Bobi Mobutu s’est assurée, en volant des stocks de médicaments,
une part importante du marché noir des produits pharmaceutiques.
– Pour soigner leurs bobos dans les cliniques les plus chères de Vevey ou de
Wiesbaden, des ministres de la santé ont dépensé des fonds destinés à des campa-
gnes de vaccination.
3.3. La belle-famille
qu’il s’agissait d’un règlement de comptes interne à la famille, le plus âgé des fils de
Mobotu, Niwa, ayant tenté de s’approprier de l’or mis de côté par son père …
On retrouve ce fils dans un des deux groupes d’entreprises utilisés pour dé-
tourner des fonds:
– le groupe Yoshad, composé du copain Seti Yale, de l’aîné Niwa, du beau-
frère Bolozi et du cadet Kongulu. Ils se spécialisèrent un temps dans les réseaux de
prostitution de luxe et les faux papiers. Cette « entreprise » avait ouvert un compte à
l’Union de Banques Suisses de Martigny, qui a procédé jusqu’en mai 1997 à des
transactions portant sur plusieurs millions de francs pour Kongulu; on a appris cela
peu après que la Commission fédérale des banques (CFB) ait déclaré qu’il ne restait
plus d’argent de Mobutu en Suisse, « sauf peut-être un compte d’épargne d’une de
ses filles ».
– le groupe Mandova: sous couvert de ce groupe, Manda, un autre des fils,
s’est occupé de trafic d’ivoire et se payait le luxe d’offrir des animaux rares aux zoos
européens (un couple d’okapi pour 500'000 $ par ex.). Sur place, il affectionnait de
dévaliser les entrepôts de la zone portuaire de Matadi les armes à la main.
La liste des méfaits est longue et le principe toujours le même: on utilise les
structures officielles pour s’enrichir. On peut cependant se demander pourquoi, alors
que depuis le début des années 80 un bonne partie du clan et des barons de Mobutu
faisait l’objet d’enquêtes poussées de la part des polices du monde occidental, au-
cune de ces investigations n’a abouti à des condamnations. Et pourtant, entre la
traite des femmes, la distribution d’héroïne, le faux monnayage, la fraude fiscale et
douanière, le commerce illégal d’armes et les faux dans les titres, on aurait pu espé-
rer que certaines juridictions interviendraient.
4. Les faux-monnayeurs
En avril 1983, la Zambie voisine accuse pour la première fois le Zaïre de fabri-
quer de la fausse monnaie. Fausse alerte ? Pas vraiment, car on trouvera dans
l’appartement bruxellois de Bemba Saolona, un fidèle baron de Mobutu, une
« quantité gigantesque » de faux dollars pas tout à fait terminés. Le FBI attesta de
l’excellente qualité de ces ébauches de billets de 100 $. Bemba prétendit alors que
les six valises pleines à craquer avaient été déposées dans son appartement, fort
bien surveillé, à son insu !
Comment dès la fin de années 80, l’Etat du Zaïre est devenu, grâce à Mobutu
et ses comparses, le plus grand faux-monnayeur de la planète ? En achetant en Al-
lemagne une presse à billets de haute précision neuve auprès de la maison spéciali-
sée Giesecke & Devrient (G&D, qui a fourni pendant longtemps des billets à la ban-
que centrale zaïroise) et en se procurant en Suisse l’encre verte nécessaire à fabri-
quer des dollars américains par l’intermédiaire de l’entreprise helvétique Security
Printing, une filiale bien dissimulée de G&D. Le vert dollar US est l’un des secrets les
mieux gardés du monde par le détenteur de la licence, qui fournit sa technologie à la
maison SICPA de Chavornay (VD), spécialiste des encres pour papiers-valeurs. Il a
ainsi été possible pour le clan Mobutu de produire au Zaïre non seulement des billets
locaux, mais aussi suffisamment de dollars pour ne plus avoir de soucis jusqu’à la fin
de ses jours.
5. On solde
En 1992, on retrouve la SICPA qui fonde une société, la SWIPCO. Ses action-
naires font partie du gratin de la haute finance internationale : Hélie de Pourtales et
Jean Guyot (actionnaires principaux de Lazard frères), Edgar Bronfmann (Seagram,
MCI, Universal Studios), Stefen Robert (du brooker new-yorkais Oppenheimer & Co)
et Charles Evans (un des plus gros spéculateurs immobiliers de New York). En cette
(bonne) compagnie, la SICPA entend fournir toutes sortes de conseils et prestations
de gestion pour des investissements et garantir en outre leur sécurité. Les propriétai-
res de SICPA (valeur estimée: environ 1 milliard de frs) sont Philippe et Maurice
Amon.
Est-ce un hasard de retrouver, en 1995, la SWIPCO en train de négocier avec
le Zaïre la privatisation de toutes les entreprises d’Etat ? Contre un remboursement
des dettes de l’Etat, la SWIPCO et les membres d’un consortium huppé (formé entre
autres de Nicholas Oppenheimer, un ancien d’Anglo-American, une mutinationale
minière, principal décideur chez le diamantaire De Beers) et Marc de Lacharrière (un
ancien de l’Oréal travaillant pour la holding FILAMAC) espéraient obtenir ainsi
l’exploitation exclusive de toutes les richesses du sous-sol zaïrois.
Mais cet habile échange de bons procédés n’a pas pu être réalisé, malgré les
efforts du premier ministre d’alors, Kengo wa Dondo. Cela ne l’empêcha pas de res-
tructurer comme le demandait le FMI les chemins de fer zaïrois, en laissant un
consortium belgo-sud-africain s’emparer du gros de l’affaire. Les mines étatiques
(GECAMINES et Kilo-Moto) furent partiellement dispersées à l’encan, des conces-
sions étant octroyées à des intérêts étrangers contre payement d’arrhes sur les bé-
néfices à venir. Des sommes qui n’apparaîtront jamais au budget de l’Etat.
Ce même Kengo a finalement quitté rapidement le Zaïre juste avant la fin du
régime Mobutu en mars 97, en emportant les derniers 40 millions de dollars restés
dans la caisse de l’Etat, prétextant sauver l’argent pour lutter contre Kabila et ses
rebelles. Cet individu se promène encore en Europe avec un passeport diplomatique.
Lorsqu’il a passé à Genève, le 11 avril 1997, les autorités helvétiques n’ont pas bou-
gé le petit doigt. Aucune autorité européenne n’a daigné lui demander comment la
presse à billets, livrée alors qu’il était premier ministre, a fonctionné.
6 Ce texte est extrait d’un ouvrage à paraître qui analyse deux holdings sud-africains domiciliés en
Suisse, la De Beers Centenary (Lucerne) et la Compagnie financière Richemont (Zoug).
1.1. Introduction
Les diamants, contrairement à bien d’autres matières premières tels que le pé-
trole, le charbon, les métaux, etc., peuvent souvent être extraits sans devoir recourir
à une lourde infrastructure minière. Dans les régions diamantifères, il suffit parfois de
tamiser le sable et le gravier dans certaines portions de rivières pour subsister. Issus
de forces volcaniques, ces pierres très pures et hyperstables sont principalement
localisées dans les couches dites de «Kimberlit», où elles côtoient le quartz moins
noble. Puis, emportées par l’érosion, on les retrouve dans les sédiments fluviaux.
C’est là que les chercheurs travaillent avec leurs pelles et leurs tamis. Ainsi, au ha-
sard des fouilles, les tamiseurs trouvent, bon an mal an, entre 5 et 45 millions de
francs de diamants bruts de grand format (qualité bijouterie) en Afrique chaque an-
née. Mais la majeure partie de la récolte est composée de diamants de moins de 0,2
grammes (soit 5 carats, qualité industrielle).
Mais cela ne suffit pas à faire fortune. Seule une exploitation systématique et
mécanique à grande échelle des couches sédimentaires situées en dessous des
cours d’eau permet réellement d’envisager une accumulation de richesses. Car
l’exploitation artisanale, si elle permet à une petite minorité de s’enrichir (la philoso-
phie du «get rich quick» fait là aussi des ravages), ne permet pas de financer à long
terme l’exploitation des champs diamantifères.
Rappelons que ces pierres ont une valeur énorme par rapport à leur grosseur.
Cela implique qu’elles peuvent très facilement être dissimulées pour passer des fron-
tières en fraude. Il faut ainsi renforcer les mesures de sécurité (armée ou police) pour
garantir les bénéfices à ceux qui exploitent les champs diamantifères. Cela implique
la présence d’un Etat capable d’imposer une discipline, à la fois pour empêcher les
vols et pour contrôler le niveau de la production.
Mobutu a été le premier à creuser la tombe de son Etat lorsqu’au milieu des
années 80, il a autorisé et même encouragé la quête des diamants et d’or en dehors
des territoires concessionnés. Il souhaitait alors s’emparer des revenus issus du tra-
vail de fourmis des chercheurs de diamants. Les « comptoirs » de revente où il était
obligatoire de livrer les diamants devaient verser leur tribut aux généraux, aux gou-
verneurs des provinces et bien sûr au président. On payait ensuite les chercheurs en
billets zaïrois sans valeur aucune. Selon les estimations de l’époque, au cours des
dernières années du régime, le chiffre d’affaires du commerce des diamants – très
rarement enregistré – était supérieur à l’ensemble des autres activités économiques
zaïroises.
La « gemnocratie » fonde son pouvoir politique sur le contrôle – physique
d’abord, puis organisationnel et commercial – des voies de distribution et de plus-
value depuis les champs diamantifères jusqu'à Anvers, où les quatre-cinquièmes des
diamants du monde sont commercialisés. C’est là que les pierres précieuses arra-
chées à la terre par des chercheurs isolés apparaissent pour la première fois dans
les statistiques commerciales. Le chiffre d’affaires mondial, toutes catégories con-
fondues, tourne autour de 12 milliards de dollars. La valeur des diamants
« artisanaux » dépasse actuellement la valeur des pierres extraites par la multinatio-
nale De Beers qui, grâce à son entreprise de marketing centralisée nommé Central
Selling Organisation, détermine, pour l’instant encore, le prix des diamants en contrô-
lant les fluctuations sur le marché.
Cette privatisation larvée des tâches de l’armée, qui se drape dans le secret dû
à toute entreprise commerciale, est une des conséquences néfastes pour la dém o-
cratie de la dérégulation. On décrète qu’il est inutile ou peu efficace de confier certai-
nes tâches relevant de la sécurité intérieure à l’Etat; des entreprises privées sont
alors chargées, sans aucun contrôle du peuple, de veiller au bien des entreprises,
comme celui des multinationales du diamant dans le cas du Zaïre. On crée de la
sorte des entités incontrôlables, axées uniquement sur l’exploitation des richesses au
profit des multinationales, sans que le pays pillé puisse garder les moyens de se dé-
velopper.
Chronologie Suisse-Zaïre
Economie Politique Divers/Privé
1965 25.11. – Second putsch de
Mobutu (le premier avait
échoué en sept. 1960): instau-
ration d’un régime militaire, la
Constitution et le parlement
sont abolis, les partis politi-
ques interdits.
1966 Mandat à des 31.12. – Le nouvel ambassa- 1.12. – Séminaire de forma-
sociétés ita- deur de Suisse à Kinshasa, tion de journalistes à Kinshasa
liennes pour la Théodore Curchod, remet ses organisé par la Fédération des
construction de lettres de créance à Mobutu; il journalistes. Le cours est don-
la première souhaite à cette occasion que né par Regula Renschler (Ta-
phase du la Suisse augmente son aide ges Anzeiger) et Marcel A.
grand barrage technique et humanitaire au Pasche (Feuille d’Avis de
d’Inga, devisé Congo, et que l’amitié helvéti- Lausanne). Mobutu est pré-
à 130 millions co-zaïroise s’approfondisse sent lors d’un cours.
$; le coût final chaque jour.
sera 125%
plus élevé.
7 L’auteure est journaliste est conseillère en communication. A propos de cette recherche, elle déclare:
«Pour moi journaliste, la confection de cette chronologie a été captivante, quoique douloureuse – je ne
trouve pas d’autres mots pour décrire mes émotions. Dans le cas du Zaïre, la Suisse a une fois de plus
mal choisi son camp. En tant que citoyenne de ce pays, je le regrette profondément.»
8 Vous trouverez dans l’original en allemand toutes les références sur les interpellations parlementaires,
les coupures de journaux (principalement la NZZ) et les citations de rapports, livres et autres ou-
vrages qui étayent cette chronologie. Nous renonçons ici, faute de place, à donner plus de détails.
périence de prisonnier au Zaïre sous Mobutu lui a montré que les opposants politi-
ques du président sont souvent accusés de détournement de fonds publics. Le Tri-
bunal fédéral décide en juillet que Losembe ne doit pas être remis aux autorités zaï-
roises. Mobutu affirme alors que la Suisse est un refuge pour les escrocs. 13 août:
ouverture du procès Losembe à Kinshasa, en l’absence de l’intéressé. Il est
condamné le 23 août à vingt ans de travaux forcés. Epilogue en décembre 1974:
Losembe retourne au Zaïre après avoir été gracié par Mobutu.
1987 1.4. – David Finch, un 31.10. – Le gouvernement 8.9. – Procès contre des
des principaux cadres zaïrois en exil se constitue escrocs zaïrois à Bâle qui
dirigeants du FMI, démis- à Bex (VD) et déclare qu’il n’ont jamais livré du cobalt
sionne. Motif: les USA ont cherche à déterminer payé d’avance. Un des fils
trop influencé le FMI. La l’ampleur de la fortune de Mobutu semble mêlé au
Maison Blanche a accor- Mobutu. Les opposants au trafic. La peine: 27 mois de
dé des crédit au Zaïre et régime rappellent que le prison et 8 d’ans
à l’Egypte, bien que ces FMI avait tancé certaines d’expulsion pour le principal
deux Etats ne remplissent entreprises suisses en accusé.
pas les conditions techni- 1979 pour leur attitude face
ques et économiques au Zaïre. 24.11. – Visite de travail de
pour pareil octroi. Mobutu en Suisse chez
14.11. – Le Zaïre va verser Pierre Aubert; Mobutu dé-
En 1987, le commerce en 4 tranches les dédom- clare qu’il a des comptes en
helvético-zaïrois flanche. magements prévus. Selon Suisse, «mais pas des mil-
Il ne s’élève plus qu’à le DFAE, les modalités ont liards». La question des
27,3 mios frs, soit un tiers pu être réglées en septem- droits de l’Homme est évo-
de moins en un an. bre. quée.
Sulzer annonce un con-
trat de 3 mios pour des
pompes destinées aux
mines. Brown Boveri es-
time que le Zaïre est un
très petit marché (voir
journées Zaïre du MODS,
10/11 juin 1988). Ce sont
les seules entreprises
avec Landis & Gyr ayant
répondu aux questions
des enquêteurs.
1988 Livraison d’une presse à 26.2. – Le Zaïre a versé les Alors que Musey et Maza
imprimer les billets par la 1,824 mios frs, explique le sont expulsés, les anciens
maison Giesecke et De- CF en réponse à une inter- colons suisses ne restent
vrient (Munich). Date pas pellation du CN Philipona. pas inactifs:
établie. Cela permet à 26.3. – Ils écrivent au roi de
Mobutu, dès 1991, 22.9. – Question du CN Belgique pour réclamer une
d’imprimer des faux billets Rolf Seiler: les réfugiés rente qui leur serait due par
de diverses monnaies. sont-ils muselés? Pourquoi les Belges.
le Ministère public a-t-il 29.5. – Ces Suisses du
promulgué une interdiction Congo accusent en bloc la
de critiquer le chef d’Etat Belgique et la Suisse de les
zaïrois pour les opposants avoir spoliés. Principale
à Mobutu résidant en cible nommée en Suisse: le
Suisse? conseiller fédéral Nello Ce-
lio.
Janvier 1988 – février 1989: L’affaire Musey-Maza, une honte pour la Suisse
Le 11 janvier au petit matin, la police vient enlever - en hélicoptère - à son domicile
Matthieu Musey, opposant zaïrois et porte-parole des exilés, et l’expulse. Il vit depuis 1970
en Suisse et il enseigne à l’Université de Fribourg depuis 1975. Le Zaïre annonce cinq se-
maines plus tard que Musey va bien, mais qu’on ne sait pas où il se trouve… .
Fin février, un autre opposant bien connu, Alphonse Maza, quitte «volontairement» la
Suisse après s’être dissimulé pendant quelque temps. Selon la Berne officielle, Maza repré-
sente «un danger pour la sécurité du pays» (Mobutu s’apprête-t-il à attaquer?). Suite à ces
curieuses pratiques, treize questions urgentes, principalement posées par les Verts et la
gauche, sont déposées au Parlement. La Commission de gestio n des Chambres fédérales
devra se pencher sur l’affaire. Le MODS appelle à une manifestation à Savigny, devant la
villa de Mobutu: 250 personnes défilent pacifiquement le 13 avril.
Rappelons que trois ans auparavant, Musey avait fait l’objet d’un article injurieux dans
le Blick qui prétendait qu’il étudiait aux frais de la princesse depuis quinze ans. Ce journal
avait dû retirer se allégations devant le tribunal cantonal bernois (le journaliste incriminé,
Jürg Mosimann, est entre-temps devenu porte-parole officiel de la police cantonale ber-
noise). En juillet, le conseiller fédéral Felber rassure les autorités jurassiennes: la famille se
porte bien à Kinshasa, rapporte La Suisse. La Wochezeitung interviewe en décembre Musey
qui estime être menacé de manière latente; il aimerait rentrer en Suisse.
Début 1989, Musey publie un livre où il explique avoir été expulsé à cause de la cou-
leur de sa peau. Son expulsion aurait coûté plus de 110'000 frs au Département fédéral de
Justice et police dirigé par Elizabeth Kopp. La Commission de gestion annonce qu’à son
avis, la police fédérale a outrepassé ses droits et violé la souveraineté des cantons du Jura
et de Berne dans cette affaire. Toute à sa hâte de se débarrasser d’un opposant voyant, elle
a empêche de réévaluer la situation et de légaliser définitivement, par exemple, le séjour de
cette famille. Le délégué aux réfugiés Peter Arbenz est aussi vivement critiqué dans cette
affaire. Rappelons que Musey et Maza n’étaient pas venus en Suisse pour y demander
l’asile (la loi n’existait même pas à l’époque), mais pour y terminer leurs études!
1990 Après évacuation des 5.10. Le Parlement adopte Au Zaïre, en mai, une
ressortissants étrangers un crédit de 25 millions de émeute a été matée par la
et la mise en place d’un frs pour les rentiers suisses force à l’Université de Lu-
éphémère gouvernement du Congo. bumbashi. On évoque plus
présidé par E. Tshiseke- de 150 morts.
di, on semble arrivé à la Après 2 mois de troubles
fin de l’époque où Mobutu en août et septembre, les
s’est servi du Zaïre paras zaïrois se révoltent
comme d’un magasin aussi car ils ne touchent
self-service. Les troupes plus de solde depuis des
franco-belges se retirent mois.
fin octobre.
1991 1.2. – Analyse du rôle de Le mensuel Politik und
Jacques de Groote, diri- Wirtschaft fait des supposi-
geant du FMI qui a tions: si Mobutu vient finir
travaillé auparavant ses jours à Savigny (dans
comme conseiller de la sa villa achetée pour 1,7
Banque nationale du mios frs en 1970), il pourra
Zaïre. Selon le Wall toujours se faire inviter à
Street Journal, il a manger chez son voisin
intrigué pour que le Zaïre Pierre Graber. N’a-t-il pas
reçoive des fonds du FMI en son temps invité ce der-
alors que les experts re- nier à partager sa table?
commandaient de rejeter Ce même journal affirme
les demandes de Mobutu. (novembre) qu’en temps
De Groote n’était même normal, les affaires avec
pas responsable pour le Mobutu sont correctes pour
Zaïre au sein du FMI. 19.12. La Suisse demande les entreprises suisses,
1.11. – Ngoma Ngambu, au Zaïre de réduire le per- citant Nestlé, Hoffmann-La-
70 ans, président des sonnel de son ambassade Roche, Ciba-Geigy, Wan-
Démocrates chrétiens à cause de l’endettement der, ABB, Sulzer, Landis &
fédéralistes, un des rares trop élevé de cette repré- Gyr, Bühler, Castolin,
politiciens zaïrois intègre, sentation. Schindler et Mettler, repré-
déclare que le Zaïre n’a sentés sur place par une
besoin d’aide internatio- filiale de la maison zuri-
nale que pour récupérer choise Desco von Schul-
les milliards de Mobutu. heiss.
1992 19.12. Au Zaïre, manifesta-
tions violentes contre Mo-
butu
1996 20.8. Mobutu s’est instal- 23.9. – Interpellation ur- 2.11. – La Ville de Lau-
lé en grande pompe à gente du CN Jean Ziegler sanne regrette, en tant que
Lausanne au Royal Sa- sur le séjour de Mobutu en ville abritant le Comité
voy. Sa présence réjouit Suisse. olympique international, de
les hôteliers qui attestentRéponse du CF: il est en ne pas avoir été consultée
de sa simplicité. visite privée, son visa a été en ce qui concerne la pro-
délivré en fonction de cri- longation du visa de Mobu-
18.9. – Rien qu’à Ge- tère médicaux. tu. Sa présence nuit à la
nève, les dettes de Mobu- réputation du chef-lieu vau-
tu sont estimées au mi- dois.
nimum à 1,5 mios frs et à
2,5 mios frs pour toute la 3.11. – Un journal dominical
Suisse. rappelle qu’un exilé zaïrois
avait été promené de can-
5.11. – Mobutu quitte ton en canton et avait fini
Lausanne pour s’installer par mourir en Argovie, faute
à Nice de soins médicaux.
Année 1997
24.2. Un journaliste suisse est expulsé du Zaïre pour avoir écrit des reportages trop criti-
ques.
19.3. Question du CN Remo Gysin sur les démarches que le gouvernement entend entre-
prendre dans la question des fonds Mobutu. Quelle est le montant estimé de la for-
tune du dictateur en Suisse?
Réponse du CF: il résume les événements et indique simplement qu’une enquête de
la Commission fédérale des banques (CFB) est en cours.
20.3. Kabila déclare que l’un des objectifs majeurs de son mouvement es t de récupérer les
sommes énormes que Mobutu a volées à son pays.
Motion du CN Christian Grobet et de 33 cosignataires: vu la mauvaise réputation de
la Suisse (fonds juifs, etc.), le CF devrait prendre des mesures pour bloquer les
comptes de politiciens que l’on soupçonne d’avoir détourné des fonds publics. Le se-
cret bancaire ne devrait pas s’appliquer dans ce cas, car les personnes concernées
avaient des fonctions officielles.
Réponse du CF: la CFB va vérifier si la convention de diligence a été respectée. Le
CF n’entend pas créer de nouvelles règles applicables aux personnalités politiques,
qui ne seraient plus considérées comme de simples citoyens. Cela serait contraire au
droit international.
9.4. La Commission des affaires étrangères du Conseil national a créé un groupe de tra-
vail pour renforcer l’image de la Suisse à l’étranger.
16.4. Il serait naïf de croire que les banques vont répondre aux questions qu’on leur pose
sur les avoirs de Mobutu, estime le pénaliste Mark Pieth. Il existe de nombreuses
manières de cacher des valeurs. Parallèlement, Pieth soupçonne que les sommes in-
criminées sont depuis longtemps parties sous d’autres cieux.
17.4. Le CF explique que la Suisse ne va pas bloquer les comptes de Mobutu, car il n’y a
pas de demande d’entraide juridique et qu’aucun autre pays n’a décidé de blocage.
18.4. Une lettre signée Swissaid, Pain pour le prochain, Action de Carême, Helvetas et
Caritas (Suisse) dénonce l’attitude moralement condamnable du CF, son argumenta-
tion ainsi que son interprétation étroitement juridique de la situation.
11.5. Le fils du dictateur, Kongolo Mobutu (il a étudié dans un collège privé de la Gruyère
dans les années 80) disposait de comptes à l’Union de Banques Suisses (UBS) à
partir desquels il a effectué des virements pour plusieurs millions de francs. Daniel
Zuberbühler de la CFB affirme que la première enquête de la commission (qui n’avait
pas fait état de ces comptes) n’était en fait qu’un sondage informel, qui n’avait pas
été approfondi. Le réseau financier du régime dictatorial était plus puissant que la
CFB veut bien le faire croire.
14.5. Kongulu Mobutu rencontre Gilbert Debons, président de Sion et du comité local pour
la promotion des jeux olympiques Sion 2006. Kongulu aurait assuré que son père al-
lait soutenir fermement la candidature valaisanne. Debons lui a alors remis un livre
sur le canton pour son père.
15.5. Le Conseil fédéral a ordonné à la CFB d’effectuer une enquête systématique sur les
comptes Mobutu dans les banques, à l’exception des caisses Raiffeisen.
La Déclaration de Berne et l’Action place financière suisse écrivent à la CFB pour sa-
voir de quels outils juridiques celle-ci dispose pour intervenir dans des cas comme
celui de Mobutu.
Mobutu n’est plus au pouvoir. Le CF, se fondant sur sa compétence en matière de
politique étrangère, a promulgué une ordonnance bloquant tous les fonds de Mobutu
et de sa famille en Suisse.
16.5. Le DFJP et le DFAE indiquent que la villa de Mobutu à Savigny sera saisie, à titre
préventif.
23.5. On doit admettre que le clan Mobutu a eu le temps de déplacer ses avoirs (ou en tout
cas un bonne partie de ceux-ci). La Banque Nationale et la CFB enquêtent sur une
«augmentation inexplicable» des billets de mille francs pour un montant de quelque
700 millions de francs.
30.5. Le nouveau ministre de la justice du Congo, Celestin Lwangi, suppose que 11 sur 20
milliards de la fortune de Mobutu sont en Suisse.
3.6. La CFB indique que l’enquête ordonnée par le CF auprès de 406 banques suisses
est terminée. Des avoirs pour un montant de 4'786'570 francs ont été annoncés.
12.6. Le CF répond aux œ uvres d’entraide en expliquant que les intérêts de la place finan-
cière suisse doivent être défendus, vu les attaques nombreuses qu’elle subit. En ou-
tre, le CF précise que les avoirs recherchés de Mobutu ne sont pas clairement dési-
gnés, ce qui a empêché qu’on puisse les bloquer à titre préventif.
9.8. La Suisse refuse une demande d’entraide judiciaire concernant une douzaine
d’anciens collaborateurs de Mobutu. Une première enquête a révélé que les valeurs
qu’il faudrait bloquer ne sont pas décrites assez précisément, de sorte que des mesu-
res préventives ne sauraient être prises.
21.8. Un million de francs supplémentaire appartenant à Mobutu a été retrouvé sur des
comptes suisses.
1.12. L’Office fédéral de la police (OFP) annonce qu’il a partiellement répondu à la de-
mande d’entraide du Congo. Les conditions pour l’octroi de l’entraide sont donc rem-
plies.
5.12. Franco Galli, porte-parole de l’OFP, déclare au Financial Times qu’il est possible que
les banques aient livré des informations erronées. En effet, il semblerait qu’un com-
plément d’enquête a été ordonné auprès de six banques genevoises sur pression des
autorités congolaises. La somme totale des sommes nouvellement bloquées n’est
pas connue de F. Galli.
Les clients étrangers des banques suisses qui nous intéressent ici ont (ou ont
eu) souvent des fonctions officielles au service de leur Etat et un accès à des fonds
pu- blics. Ils ont ainsi la possibilité de détourner d’importants montants et de les
utiliser à leur propre profit, souvent en usant de corruption directe ou indirecte. Pour
faire fructifier cet argent, ils sont à la recherche d’endroits où ces fonds seront bien
gérés et discrètement protégés des éventuelles poursuites intentées dans leur pays.
Ce type de clients finit souvent par recourir aux services des banques ou
d’instituts financiers suisses, le secret bancaire étant un des arguments-massues
pour attirer et rassurer les fraudeurs.
Les banques suisses ont intérêt à protéger leur source principale de revenus:
les dividendes tirés de la gestion des fonds privés placés sur des comptes off-shore.
Rappelons que les instituts bancaires suisses gèrent le tiers des fortunes privées
mondiales et qu’elles tirent deux tiers de leurs bénéfices de ce genre d’opérations.
De plus, il ne faut pas oublier que les pouvoirs publics profitent indirectement de
ces bénéfices, en encaissant quelque 4 milliards de francs par an en impôts fédé-
raux, cantonaux ou communaux versés par les banques.
Comme les organismes professionnels des banquiers luttent pour que leurs en-
treprises soient très peu surveillées, la place financière suisse est soumise à une
imposition aussi favorable que possible, le secret bancaire demeure quasiment intact
et de nombreuses mesures annexes sont prises pour le protéger. Certes, les ban-
ques ont leur code de bonne conduite, qui n’a cependant que le caractère d’un ac-
cord privé dépourvu de contraintes légales; les éventuelles sanctions (avertissement
en général) à l’égard des membres de l’Association suisse des banquiers (ASB) sont
décidées par une commission de surveillance interne, dont la seule obligation con-
siste à informer la Commission fédérale des banques (CFB) de ses activités. Pour
faire bon poids, les membres de cette commission de surveillance sont eux aussi
soumis au secret bancaire, selon l’article 47 de la loi fédérale sur les banques.
La CFB pratique une culture de la discrétion qui n’a rien à envier à celle des
banquiers: on liquide les affaires entre soi, quitte à se justifier maladroitement par la
suite si le résultat d’enquêtes s’avère erroné. Un exemple flagrant: après avoir affir-
mé en avril 1997 que Mobutu n’avait plus un sou en Suisse, la CFB s’aperçoit qu’il
reste malgré tout 6 millions de francs. Elle précise que le fait de gérer des fonds du
dictateur n’est pas compatible avec les dispositions du droit bancaire. Mais, l’audace
ayant ses limites, personne n’a jamais su le nom des banques incriminées… A en
croire la CFB, le «problème» est inhérent au système helvétique; elle se retranche
donc derrière des réglementations pour expliquer son inaction. Résultat: au pire, les
banques recevront un blâme de la CFB.
On a beaucoup dit, dans le cadre des fonds Mobutu, que depuis l’affaire des
fonds Marcos détenus par des banques suisses, celles-ci avaient mis au point un
système plus strict de surveillance. Le devoir de diligence auquel il est souvent fait
référence, est une simple recommandation émise en 1987 par la CFB, suite aux af-
faires des fonds Duvalier et Marcos. Ce texte recommande aux banques d’améliorer
leur surveillance interne et de repenser leur structure décisionnelle; cela signifie que
le maintien de relations bancaires avec des potentats devait désormais être approu-
vé par les plus hautes sphères dirigeantes des banques. Reste que cette «soft law»
n’a aucune valeur contraignante pour les institutions financières.
pas défini exactement pour que les poursuites s’ensablent durablement dans les ma-
récages des recours.
Quant aux aspirations du peuple zaïrois , vivant dans un pays sinistré au niveau
social, économique et politique, elles n’ont guère pesé dans la balance. Qui a plaidé
en leur faveur? Pour tenter de récupérer les sommes dissimulées en Suisse, le gou-
vernement Kabila doit engager des procédures coûteuses et fort longues. Ce qu’il
n’a, à l’évidence, pas les moyens de faire pour l’instant. Pendant ce temps, les délais
pour porter plainte courent.
En bref, les intérêts privés des clients des banques à ce que le secret soit main-
tenu sur leurs relations commerciales sont entièrement protégés. En revanche, les
institutions officielles bafouent les intérêts des populations helvétique et zaïroise qui
souhaitent voir la Suisse pratiquer une politique bancaire et financière respectueuse
des droits de l’Homme, fondée sur des principes d’égalité et de transparence.
2. Questions de droit
En tenant compte des intérêts divergents recensés plus haut, des conflits juridi-
ques peuvent survenir à trois niveaux:
a) les conditions d’une demande d’entraide judiciaire internationale, notamment
l’interdiction des «fishing expeditions» (recherche de preuves basée sur la présomp-
tion de culpabilité d’un titulaire de compte);
b) la procédure particulière suivie par les autorités suisses;
c) l’application de la loi sur le blanchiment d’argent sale en Suisse et les lacu-
nes du droit international en matière de lutte contre la corruption.
Pour qu’une demande d’entraide judiciaire soit acceptée, il faut tout d’abord que
le Zaïre ouvre une procédure judiciaire contre l’ancien chef d’Etat. Ainsi, pendant
longtemps, le Conseil fédéral a pu dire qu’il attendait une demande d’entraide étayée
pour bloquer les fonds Mobutu en Suisse. Ayant enfin reçu pareille demande (incom-
plète selon certains juristes), les autorités helvétique ont tout d’abord saisi la villa de
Mobutu à Savigny. Puis, suite à deux demandes d’entraide mieux fondées, l’Office
fédéral de la police (OFP) a alors admis qu’il pouvait bloquer – pour les avoirs de
Mobutu et sa famille uniquement – l’accès aux fonds déposés dans des banques
suisses.
La rédaction d’une demande d’entraide est un exercice juridique difficile. Il faut
que les délits concrets reprochés à Mobutu soient aussi condamnables en Suisse,
préciser où et quand les actes incriminés se sont déroulés, et finalement préciser à
quel endroit pourrait se trouver l’argent détourné. Il faut donc indiquer, selon les di-
rectives de l’OFP, au moins une banque où des dépôts suspects seraient localisa-
bles. Sinon, a précisé le Tribunal fédéral (ATF 103 Ia 211), on court le risque de
chercher des preuves de manière répréhensible («fishing expeditions»), ce qui n’est
pas possible dans le cadre de l’entraide judiciaire internationale.
Mais peut-on demander à un pays dont les institutions étatiques sont corrom-
pues et ruinées de fournir ce genre de précisions? Ne serait-il pas indiqué que la
Suisse prenne des dispositions pour fournir quelques indications à l’Etat demandeur,
pendant le délai de trois mois– extrêmement court pour un gouvernement en recons-
truction – qui lui est imparti pour préciser les motifs de sa demande d’entraide. Cer-
tes, les autorités suisses ont allongé le délai de deux mois. Mais il reste que si, d’un
point de vue formel, on peut admettre l’exigence faite aux nouvelles instances zaïroi-
ses de s’en tenir aux pratiques en vigueur en matière de droit international, elles au-
raient au moins pu leur communiquer les résultats des enquêtes internes effectuées
par la CFB. Rappelons que lorsqu’il s’agissait de fournir des garanties à l’exportation
ou d’autres formes de soutien financier à l’économie vacillante du Zaïre, la Suisse
officielle ne s’est jamais embarrassée de vérifier si le gouvernement zaïrois respec-
tait les règles du jeu international!
Ainsi donc, tout en respectant l’interdiction des «fishing expeditions», la Suisse
aurait pu, comme elle l’a fait dans le cas d’une demande d’entraide provenant du
Mali, mettre à disposition son savoir-faire et ses moyens humains pour aider à pré-
senter une demande d’entraide aussi complète que possible.
Autre fait marquant: les autorités suisses ont agi lentement, attendant que le
dictateur soit déchu pour utiliser leur compétence constitutionnelle (art. 102, chiffre 8)
et prendre la décision de bloquer provisoirement pendant un an les avoirs de Mobu-
tu. Cette ordonnance donne aux institutions bancaires et parabancaires l’ordre
d’annoncer au Département fédéral des finances tous les avoirs gérés ou détenus
pour le compte de Mobutu et des siens. Cependant, si certains instituts financiers ne
s’annoncent pas, personne ne va les poursuivre pour autant: la nouvelle loi sur le
blanchiment d’argent n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 1998 et l’organe de
surveillance prévu n’a pas encore donné de la voix. On peut craindre qu’il soit aussi
discret que la CFB…
Le fait d’avoir attendu la chute de Mobutu est éthiquement indéfendable et mon-
tre la faiblesse et le manque de volonté politique de nos autorités. Depuis longtemps,
des demandes de gel était sur le bureau du gouvernement. De plus, le fait de ne blo-
quer les comptes que de la famille Mobutu revient à ignorer la liste dite des Biens
mal acquis, soit des 149 personnalités zaïroises corrompues publiée en 1993 et
celle, plus précise, de 83 personnes transmise aux autorités du monde entier en
1997. En bloquant de manière préventive les avoirs de ces gens, la Suisse aurait pu
faciliter la tâche du gouvernement congolais cherchant à récupérer la fortune natio-
nale.
On sait désormais que pendant des décennies, des banques suisses ont
accepté, géré et placé des sommes importantes pour Mobutu. On peut dès lors se
demander si le délit de blanchiment peut être retenu contre ces banques. Mais il
manque dans ce cas une victime directe, au sens du droit pénal, qui puisse avoir
qualité pour déposer plainte. Bien que l’argent en question soit issu de pratiques de
corruption, le fait ne constitue pas en lui-même un délit en Suisse: si un ressortissant
suisse corrompt un fonctionnaire, il n’est pas punissable selon la jurisprudence
helvétique. Mieux les sommes ainsi «investies» peuvent même être déduites des
impôts au titre de frais! Cette disposition est cependant en train d’être rediscutée aux
Chambres. Et les discours officiels clament qu’il faut lutter au niveau international,
édicter des normes au sein de l’OCDE. Reste que ces normes ne sont pas encore
ancrées en droit suisse.
En l’état actuel de la législation, il est donc impossible d’attaquer directement
pour blanchiment les banques qui détiennent des fonds de dictateurs.
Signalons encore une particularité bien helvétique: il n’est pour l’instant pas
prévu (sauf dans trois cantons – GE, FR et VD – pour les affaires de drogue) que
l’argent blanchi et séquestré soit retourné aux pays ou aux personnes spoliés. Les
sommes saisies sont versées dans les caisses cantonales, sans autre forme de di s-
tinction. Il est donc indispensable de prévoir des dispositions sérieuses sur
l’affectation finale du produit des opérations de blanchiment dans les lois cantonales
et fédérales. Sinon, on court le risque de voir le peuple suisse profiter indirectement
des sommes soustraites à l’étranger par des potentats sans scrupules!
Relevons aussi que la coopération entre diverses autorités fédérales (CFB, Of-
fice fédéral de la police et le Conseil fédéral lui-même) n’est guère développée. Les
quelques directives existantes ont plutôt pour effet de brouiller les pistes. Ainsi,
lorsque la CFB effectue une enquête informelle auprès des banques sur les fonds de
Mobutu, cela revient à mettre la puce à l’oreille de ces dernières qui ne manqueront
sans doute pas de conseiller à leurs clients de placer leurs avoirs sous des cieux
moins menaçants.
1. Introduction
Les réfugiés des pays d’Afrique jouissaient d’un taux de reconnaissance de leur
statut inférieur à celui des autres réfugiés, et parmi les Africains, les Zaïrois se trou-
vaient encore au-dessous de la moyenne. C’est d’autant plus surprenant que la
cruauté et les violations des droits de l’Homme du régime despotique de Mobutu
étaient chose connue. Il produisait précisément le type de réfugiés qui corres-
pondaient le mieux à la définition de ce terme11.
Peu après l’indépendance du Congo, les premiers Zaïrois sont arrivés en
Suisse pour perfectionner leur formation. Ils se sont inscrits aux universités de Ge-
nève et Fribourg. Parallèlement, les premiers réfugiés, comme Cyrille Adoula ou
Moïse Tschombé, sont arrivés ici. De même, les plus connu d’entre eux, Musey et
Maza, étaient des intellectuels venus terminer leurs études dans une haute école
romande.
2. Evolution statistique
La question que nous tenterons d’élucider ici est assez simple à formuler: les
autorités helvétiques chargées d’appliquer la politique d’asile ont-elles traité les réfu-
giés zaïrois en moyenne de manière plus sévère que des réfugiés originaires
d’autres régions ? Pour y répondre, il faut se pencher sur le taux d’acceptation de
leur demande d’asile. En comparant depuis 1978 (lorsque 8 réfugiés venant du Zaïre
demandèrent l’asile et que 5 l’obtinrent), les taux d’acceptations des réfugiés zaïrois,
africains et du monde entier, on s’aperçoit que le taux d’acceptation des ressortis-
sants du Zaïre, s’il a été élevé la première année (62,5%), est tombé l’année sui-
vante à 0% ! Cela, alors que la Suisse ouvrait encore ses portes à plus de 60% des
1882 personnes ayant demandé le statut de réfugié.
La tendance oscille ensuite pendant les cinq années suivantes, entre un taux
d’acceptation de 0,1% et de 0,9% pour les Zaïrois. La moyenne d’acceptation inter-
nationale est alors descendue en dessous de 10%; la Suisse a serré la vis pour tout
le monde, mais les victimes du mobutisme ont droit à un tour supplémentaire. Ce
taux d’acceptation est le plus bas des réfugiés africains, bien que les Zaïrois repré-
sentent, pour ces vingt dernières années, le groupe africain de loin le plus nombreux
à vouloir habiter provisoirement en Suisse, à l’exception des Angolais en 1987 et des
Somaliens en 1992.
Relevons en outre que le nombre de demandes passe de 25 (1979) à 1005
(1983) pour redescendre pendant cinq ans, puis flamber jusqu’en 1991, année re-
cord où 1426 personnes ont déposé une demande d’accueil en Suisse. Puis
10 L’auteure est collaboratrice du « Mouvement pour une Suisse ouverte et solidaire » et du « Conseil
des femmes pour la politique extérieure ».
11 Les tableaux chiffrés relatifs aux réfugiés zaïrois en Suisse figurent tous dans la version complète
allemande de ce texte.
3. Résistance en Suisse
Restent les protestations des groupes suisses de soutien aux réfugiés. Le Mou-
vement pour une ouverture démocratique en Suisse (MODS) note en 1988 que « les
autorités helvétiques s’informent auprès de l’ambassade à Kinshasa sur les ressor-
tissants zaïrois demandeurs d’asile ». Signalons l’existence de trois groupes fondés
parallèlement en 1984 à Bâle, Berne et Zurich, appelés Freiplatzaktion für Asylsu-
chende, qui seront suivis en Romandie par la création du Comité Suisse de défense
du droit d’asile et du groupe Aktion für abgewiesene Asylbewerber (AAA). Puis en
1986, ce fut au tour du MODS de voir le jour. Après cette floraison d’associations,
force est de constater que le mouvement s’est essoufflé dans les années 90 et que
la répression a pris le dessus : « Les réfugiés zaïrois ont de moins en moins de
chance d’être acceptés chez nous », note, sur un ton résigné, une brochure consa-
crée en 1989 à l’expulsion des réfugiés.
directrices Nord-Sud » (chap. 14) et dans les « Lignes directrices de la DDC sur la
promotion des droits de l’homme et la coopération au développement», approuvées
l’année dernière. Celles-ci précisent notamment: « L’ensemble des mesures gouver-
nementales à l’égard d’un pays partenaire – coopération au développement, politique
commerciale, politique relative aux migrations, promotion des exportations et des
investissements, autorisations d’exporter du matériel de guerre, etc. – doit viser des
objectifs cohérents si l’on veut qu’elle s’inscrive dans une politique des droits de
l’homme crédible et efficace.»
La présente étude sur les relations que la Suisse a entrenues avec le régime de
Mobutu montre que pendant longtemps, cette exigence de cohérence n’a pas été
remplie. L’histoire, et le cas du Zaïre de Mobutu en particulier, nous enseigne que la
Suisse, si elle veut être crédible, doit s’efforcer de réaliser d’une manière décidée la
cohérence de sa politique en matière de droits de l’Homme, de migrations, de com-
merce et d’investissements, de finances et de développement.
La corruption – l’un des cancers du régime Mobutu – a été l’un des plus grands
obstacles au développement et la cause de nombreux échecs du pays. Outre les
mesures anticorruption dans le pays même – telles que les réformes de
l’administration et la justice, les clauses anticorruption dans les contrats de droit pri-
vé, les programmes d’enseignement de l’éthique organisés notamment par les Egl i-
ses –, les pays industrialisés sont tenus à prendre chez eux une série de mesures
d’ordre fiscal, pénal et de politique de développement. Les priorités, pour la Suisse,
sont les suivantes:
a) La possibilité de déductions fiscales sur les pots-de-vin est scandaleuse. Le
rapport sur cette question et les propositions de la commission du Conseil national
de l’économie et des redevances a été bien accueilli par le Conseil fédéral, mais il
semble qu’on tergiverse à nouveau. Nous demandons instamment au Conseil fédéral
et au Parlement d’approuver ces mesures rapidement.
b) Le 17 décembre 1997 a été signée à Paris la Convention internationale sur le
caractère punissable de la corruption de fonctionnaires étrangers par tous les Etats
membres de l’OCDE, y compris la Suisse. L’OCDE espère que les Etats commenc e-
ront en avril 1998 déjà à intégrer ces dispositions dans leur droit national. En Suisse,
une consultation ne sera menée, vraisemblablement, que l’été prochain. Nous de-
mandons là aussi au Conseil fédéral et au Parlement d’ancrer sans délai dans le
droit suisse le caractère punissable de la corruption de fonctionnaires étrangers.
c) La Direction de la coopération et du développement a commencé à introduire
dans ses contrats de coopération au développement des clauses anticorruption.
Nous saluons cette démarche, car elle accroît la crédibilité de notre coopération au
développement. Dans le cas du Zaïre, l’aide des œ uvres privées et des missions est
cependant plus importante que l’aide de l’Etat. Pain pour le prochain examine actuel-
lement la question des clauses anticorruption pour les œ uvres d’entraide privées et
les missions.