Republique Democratique Congo Droits Humains Fra

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La République

Démocratique
du Congo
Les droits humains, les conflits
et la construction/destruction de l’Etat

Coordination : Mbuyi Kabunda | Toni Jiménez Luque

Université
de Lubumbashi
La République
Démocratique
du Congo
Les droits humains, les conflits
et la construction/destruction de l’État

César Nkuku Khonde | Mbuyi Kabunda


Germain Ngoie Tshibambe | Toni Jiménez Luque
David Bondia Garcia | David Querol Sánchez

Photographies : Alfons Rodríguez

Université
de Lubumbashi
Édition :
Fundació Solidaritat UB et Inrevés

Auteurs :
César Nkuku Khonde, Mbuyi Kabunda, Germain Ngoie Tshibambe,
Toni Jiménez Luque, David Bondia Garcia, David Querol Sánchez

Photographies :
©Alfons Rodríguez

Coordination du projet et l’édition :


Mbuyi Kabunda, Toni Jiménez Luque

Dessin et production : Inrevés

Impression: Planobal

Dépôt légal: PM 3.011-2009

ISBN: 978-84-937023-1-1

Imprimé sur papier recyclé


3

Le Congo, l’Afrique, une question pendante

On a souvent dit que l’Afrique était le continent oublié, un continent sans avenir. Il est vrai qu’il
a été et qu’il est encore soumis à des situations qui le frappent et l’ont frappé très durement :
d’abord l’esclavage et la colonisation, puis les guerres civiles, les famines, la déstructuration des
sociétés traditionnelles, la spoliation des richesses naturelles. Mais il existe aussi une Afrique dont
la vie repose sur l’espoir, l’initiative de ses habitants, la capacité et la formation de ses jeunes, la
récupération de la culture traditionnelle, la mise en marche de nouvelles formes d’activité sociale
et économique.

La République Démocratique du Congo est un recueil de toutes ces situations. Elle a souffert d’une
des pires colonisations du continent. D’abord soumise à l’initiative spoliatrice privée du roi des Bel-
ges, Léopold II, livrée ensuite au pillage colonial de l’État belge, elle a pris le chemin de l’indépen-
dance après un processus sanglant marqué par l’assassinat de l’emblématique Patrice Lumumba et
l’arrivée au pouvoir de Mobutu Sese Seko qui a instauré une dictature longue et cruelle jusqu’à son
départ en exil en 1997. Mobutu a changé le nom du Congo pour celui du Zaïre et il a littéralement
vendu le pays aux sociétés étrangères qui, pendant des décennies ont exploité librement les immen-
ses ressources naturelles du pays, alors que les Congolais restaient dans la misère.

Après la chute de Mobutu, en 1997, la République Démocratique du Congo s’est vue plongée dans
la série de guerres et de conflits qui ont touché l’Afrique centrale et orientale, en particulier avec
la guerre civile et le génocide du Rwanda. Les nombreux groupes armés congolais ont participé au
conflit qui a opposé et oppose encore des secteurs des ethnies hutues et tutsies au Rwanda, au Bu-
rundi et au Congo lui-même. En même temps, des troupes et des intérêts d’Ouganda, du Rwanda,
du Burundi, du Zimbabwe, d’Angola, sont intervenus en République Démocratique du Congo, à
tel point que les affrontements qui ont impliqué tous ces pays ont été appelés la 1ère Grande
Guerre africaine, établissant un parallélisme avec la 1ère Guerre mondiale, la Grande Guerre, qui a
principalement touché l’Europe. Les ravages de ces décennies de conflits extrêmement sanglants
sont bien visibles, avec des centaines de milliers de morts, de déplacés, de réfugiés, de mutilés...
Des conflits qui ont connu le déploiement des formes les plus exécrables de la guerre : le recrute-
ment d’enfants soldats, le recours généralisé aux viols comme pratique de guerre. Les champs ont
été détruits, les populations dispersées cherchant refuge dans les épaisses forêts vierges, le virus
du VIH et d’autres maladies infectieuses et de transmission sexuelle se sont extraordinairement
propagés.

La construction d’une culture de paix à partir de l’Université

L’Université de Barcelone a commencé il y a plus de 10 ans à concevoir une stratégie de travail dans
les domaines de la construction de la paix, de l’étude des causes des conflits, de leur résolution et
de la protection des Droits de l’homme, avec la création de l’Observatori Solidaritat de conflictes i
Drets Humans, de la Fondation Solidarité UB. Pendant ces plus de dix ans d’existence, l’Observatoire
s’est consolidé comme un instrument d’étude et de diffusion des conflits et des processus de paix
entamés dans différentes régions du monde, avec des apports aussi innovateurs que le programme
Paula [“pau a l’aula” (paix en classe)], le portail de ressources sur Internet d’éducation pour la paix,
élaboré en collaboration avec l’Institut des Sciences de l’éducation de l’Université de Barcelone, ou
les cours en ligne sur la protection des Droits de l’homme réalisés dans le cadre de l’offre de forma-
tion virtuelle de l’UB.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

De même, des actions ont été menées à terme, en collaboration avec Món-3 et l’Institut des Droits de
l’homme de Catalogne, dans des zones de conflit, portant sur l’amélioration des conditions de vie et
la protection de populations réfugiées et déplacées, sur la mise à la disposition de différents acteurs
d’instruments pour la défense et la protection des Droits de l’homme, sur le soutien direct apporté
aux organisations de défense des Droits de l’homme, ou sur la contribution à la reconstruction de
zones en situation d’après-conflit.

Par toutes ces actions, l’Université de Barcelone et les organisations qui collaborent avec elle préten-
dent contribuer à la construction d’une culture de la paix dans le monde, à partir du domaine qui
lui est propre, celui de l’enseignement, de la recherche et de la transmission de connaissances, en
rapport avec d’autres acteurs, à l’intérieur et à l’extérieur du monde de l’enseignement. C’est pour-
quoi nous vous présentons ce livre, pour faire connaître la réalité de la République Démocratique du
Congo en ce qui concerne la situation des Droits de l’homme et pour contribuer aussi à leur promo-
tion et à leur protection dans cette partie de l’Afrique.

Xavier López i Arnabat

Directeur de la Fondation Solidarité


de l’Université de Barcelone

4
5

Introduction

Les deux dernières décennies sont caractérisées par la prolifération de publications sur la Républi-
que Démocratique du Congo (RDC). La réalité complexe de ce pays y est abordée à partir de différen-
tes approches, certaines à titre d’information, d’autres avec des orientations idéologiques déclarées,
d’autres enfin pour dénoncer la dérive qui s’installe de manière permanente. Cet ouvrage, tout en
reprenant certains de ces aspects, entend aller au-delà du simple constat et des apparences souvent
trompeuses, adoptant une analyse structurelle dans laquelle le passé rejoint le présent et annonce
l’avenir. Pour cela, il s’attèle à la déconstruction des discours, privilégiant la mémoire historique et
l’objectivité, le tout étant motivé par le seul souci d’élucider les raisons du passage tragique de ce
pays, de l’ « anomalie géologique», pour paraphraser Jean-Pierre Tuqoui, à l’« anomalie de la culture
de la débrouille, de la démission et de la mort», en un mot de l’absentéisme. De toute évidence, la
situation de la RDC, critique et d’une actualité brûlante, fait souvent l’objet de clichés qui rendent
sa saisie difficile. Les auteurs de ce livre sont à la fois des chercheurs congolais et espagnols. Cette
combinaison permet d’obtenir des vues contrastées mais pertinentes en ce qui concerne la réalité
du cas étudié.

Triste sort que celui de la RDC, ce pays auquel les observateurs avisés vouaient une grande desti-
née et un avenir de puissance politique et économique africaine, car réunissant tous les facteurs:
sa géopolitique au cœur du continent africain, son immense richesse en ressources naturelles, un
poids démographique important avec une population majoritairement jeune et dynamique. Mais
hélas, ironie du destin, c’est le contraire qui s’est produit dans cette terre bénie des dieux devenue
une terre maudite.

Les prévisions positives ne tenaient pas compte du fait que ces facteurs constituaient, en réalité, son
talon d’Achille, des bombes à retardement, déjà annoncés voici un siècle, par Joseph Conrad dans son
roman-fiction à titre évocateur « Au cœur des ténèbres », métamorphosé aujourd’hui en « ténèbres
dans les cœurs », pour avoir engendré des convoitises et des rapines dont la principale victime est
le peuple congolais, condamné à vivre dans des conditions d’époques révolues et qui défient toute
imagination. Mobutu avait promis de sortir le Congo du sous-développement, en 1980. Il l’a laissé
dans le peloton des pays les moins avancés. Un retour à la case de départ. La culture du Bula Ma-
tari et du Serkali, poussée à l’extrême, semble anesthésier ce pays précisément à cause de l’héritage
d’autoritarisme et de pillage laissé par les colonisateurs et maintenu par leurs successeurs. À cela, il
faut ajouter la corruption tolérée officiellement ou officieusement.

Tout est à refaire. Ce pays, aujourd’hui à la dérive, est victime des bases fragiles sur lesquelles il a
été érigé : une colonie vouée à l’exploitation entre les mains des entreprises concessionnaires, une
décolonisation bâclée, qui n’a pas su préparer une classe politique responsable, à même de s’occuper
de la gestion d’un pays à la dimension d’un sous-continent. Cette culture de violence et d’affairisme,
maintenue par les différentes classes politiques, en particulier à l’époque du régime de la 2e Républi-
que, entretenant à fond un clientélisme prédateur et accrochée à l’appât du gain avec des ministres
peu responsables, explique pourquoi ce pays n’arrive pas à s’en sortir. Le triste constat qu’on peut
faire aujourd’hui, c’est que la RDC, quand elle ne fait pas du sur place, recule, n’ayant accordé au
peuple congolais que les fruits amers de l’indépendance mal gérée : des guerres civiles et ethniques
à profusion, la longue dictature mobutiste, la transition manquée et les guerres d’invasion ou par
segmentation nées de la libération kabiliste (le conflit continental, la guerre du coltan..), un pouvoir
venu de l’Est et dont les principales menaces proviennent essentiellement de l’Est lui-même ou de
la région des Grands Lacs.

Ces épisodes dramatiques font l’objet d’une analyse dans le présent ouvrage, de la part de cher-
cheurs, sans passion et avec sérénité. Ces auteurs rappellent des scènes tragiques dont a été ou est
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

encore victime ce pays à l’histoire mouvementée et tourmentée, depuis les violences de l’époque
léopoldienne et de la colonisation paternaliste belge, en passant par les guerres postcoloniales
jusqu’aux violations massives des droits humains et autres errements dans sa politique africaine,
au demeurant non clairement définie à cause des faiblesses et de l’inconsistance de sa classe politi-
que, donnant l’image d’un pot de terre entouré de pots de fer. Soit « le ventre mou de la région ». La
colonie « modèle » ou la « plus moderne de toute l’Afrique intertropicale », avec une indépendance
préparée dans la hâte, est aujourd’hui la risée du monde entier, en particulier des pays voisins qui la
considèrent comme une terre conquise.

Il est vrai que tout n’est pas perdu. Cette affirmation n’est pas une consolation et ne doit pas ca-
cher le fait que les Congolais ont du pain sur la planche et ne doivent pas baisser les bras. La vraie
solution, prenant le taureau par les cornes, passe par une vaste restructuration culturelle et écono-
mique, pour surmonter la corruption, l’anarchie et le phénomène de chefs de guerre, sans oublier
que le développement économique est une conséquence du développement culturel et qu’il doit
s’accompagner d’une panoplie de changements politiques, économiques et socioculturels. Sans
doute faut-il réfléchir à la création d’un climat propice à la décentralisation, déjà en cours, et qui
court aussi le risque, si elle n’est pas bien mise en œuvre, d’être utilisée à des fins de politique po-
liticienne et servir de bouillon de culture aux intentions séparatistes à l’état embryonnaire dans
certaines provinces.

Le but de cette brève analyse est de montrer que la RDC est dans une période de transition difficile
et chaotique, de passage d’un pays exsangue ou synonyme de faillite à un État de droit, en rupture
avec la gestion patrimoniale des décennies passées et en passe de devenir un État respectable dans
le concert des nations.

Hier, aujourd’hui et demain, ce qui crève ou crèvera les yeux, c’est l’impuissance totale de la commu-
nauté internationale –ce qui est extrêmement surprenant étant donné les preuves accablantes sur
les crimes politiques et économiques commis dans ce pays et à sa portée – à promouvoir réellement
la récupération de ce pays en évitant sa descente aux enfers. Cette communauté, sans complexe
de culpabilité postcoloniale et plus soucieuse d’affairisme que de considérations humanitaires, a
confié aux pays voisins le soin de donner la dernière estocade à cette contrée, saignée à blanc par les
étrangers et par les Congolais eux-mêmes. C’est-à-dire un déni de réalité qui mine l’avenir et même
l’existence de l’État congolais. Cette situation est intenable et une nouvelle ère de partenariats a
sonné, aussi bien avec les pays de la communauté internationale qu’avec les pays voisins, pour maî-
triser les facteurs exogènes.

La génération qui a pris le pouvoir depuis l’indépendance est aujourd’hui hors course, sans projet ni
légitimité, et il appartient maintenant à la jeunesse congolaise, et aux Congolais en général, autant
que faire se peut, d’opter pour une véritable réconciliation et une gouvernance transparente, base de
l’unité nationale et de la construction durable du développement du pays.

La phase de démocratisation dans laquelle se trouve le pays, bien que méritoire, est encore fragile à
cause de zones d’instabilité chronique surtout dans la partie orientale et de la paupérisation d’am-
ples couches de la population, avec un niveau de vie qui laisse à désirer.

Il est vrai qu’il n’y a pas de « peuple heureux » en permanence et que l’histoire des peuples est faite
de moments heureux et de moments malheureux. Force est de constater que le peuple congolais
est un de ceux qui ont le plus souffert et a connu l’enfer sur terre. Pourtant, le Congo réunit tous les
atouts, peut-être pas pour être le paradis, mais pour se hisser au faîte du développement et de la
puissance, à condition de récupérer le temps perdu moyennant la construction de bases solides pour
le développement et la démocratie, qui passe par l’adoption de règles de bonne gestion et la capacité
des Congolais de se charger de leur destinée et même de l’inventer.

6
7

L’heure est révolue où les forces néocolonialistes et externes pouvaient multiplier manœuvres et
pressions pour imposer des dirigeants à la solde des intérêts financiers étrangers. Il est plus que
temps d’adopter un système basé sur la compétence, le mérite et la participation de la société civile
forte et indépendante, pour en finir avec l’instabilité politique, économique et sociale. Le défi est à
la hauteur des priorités : un nouveau contrat social et un nouveau projet de société, à la recherche
de solutions politiques et non militaires aux problèmes avec la population et les pays voisins, par la
voie démocratique, en donnant priorité à la justice sociale.

La recherche de la véritable indépendance économique et politique de la RDC pour récupérer son


rôle de puissance de l’Afrique centrale devient de plus en plus une urgence incontournable. Et elle a
en les moyens, tout en restant vigilante quant aux interférences étrangères qui ont laminé ou érodé
ses efforts de construction nationale et sa quête de puissance, sans sous-estimer les responsabilités
internes qui ne lui ont pas permis de conserver les quelques magnifiques infrastructures réalisées
par la colonisation, pour ne s’en tenir qu’à cet exemple.

Sans jouer aux Cassandres, les auteurs (et non des moindres) soulignent la nécessité des change-
ments réfléchis pour remettre ce pays sur les rails de la croissance interrompue depuis des lustres,
sans perdre de vue qu’un gâchis peut en cacher un autre. Il y a peut-être là un pas qu’il serait fort
imprudent de franchir.

En définitive, un tableau pas très flatteur des Droits de l’homme et, sans adopter une attitude des
donneurs des leçons «droits-de-l’hommiste », il convient de ne pas reléguer au second plan les pro-
grès réalisés dans la lutte contre la domination étrangère, les efforts faits pour résoudre les conflits
internes et la résistance face aux humiliations infligées par les pays voisins du fait de la présence de
leurs troupes sur le territoire congolais. La seule préoccupation des auteurs de ce livre est leur contri-
bution intellectuelle à la mise en œuvre de la renaissance d’un Congo démocratique et prospère. Le
parcours est long et plein d’embûches et connaîtra peut-être des ralentissements inéluctables, en
commençant par la résolution de ses propres contradictions internes pour surmonter la maladie de
jeunesse et les débats infructueux du passé et atteindre plus de pragmatisme. Le peuple congolais
en a les vertus et les capacités. Le temps de la distraction n’est plus au rendez-vous de l’histoire, de
cette histoire qui s’accélère dans le contexte de la mondialisation.

Prof. MBUYI KABUNDA

Professeur à l’Institut International des Droits


de l’Homme de Strasbourg

Directeur de l’Observatoire d’Études sur les Réalités Sociales


Africaines de l’Université Autonome de Madrid - Fondation
Charles d’Anvers de Madrid
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Table des matières

Avant propos par Xavier López i Arnabat .................................................................................................03

Introduction par Mbuyi Kabunda ...............................................................................................................05

Table des matières ........................................................................................................................................... 08

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial :


exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus . ..................................................... 10

Introduction .................................................................................................................................................................... 12
1. Abus des droits de l’homme : le fait d’un système au Congo colonial.................................................... 13
2. Différents faits ou formes d’abus des droits de l’homme .......................................................................... 15
3. Les conséquences des abus des droits de l’homme......................................................................................25
4. Des voix se sont levées .......................................................................................................................................... 26
5. Réponse aux accusations : justice mal rendue, laxisme et usage du mensonge.............................. 28
Conclusion....................................................................................................................................................................... 28
Bibliographie................................................................................................................................................................... 29

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale :


du scandale géologique au scandale des guerres à répétition ........................................................30

Introduction.....................................................................................................................................................................32
1. Le fond des conflits de la RDC, de l’indépendance à nos jours.................................................................. 34
2. Les conflits de la RDC entre 1960 et 1990 ........................................................................................................35
3. Les guerres des années 90 et 2000 : guerres de nationalités,
contre le mobutisme et de déprédation............................................................................................................... 42
4. Vérités et contrevérités sur le pillage des ressources naturelles
de la RDC par les pays voisins...................................................................................................................................50
Conclusion....................................................................................................................................................................... 54
Bibliographie................................................................................................................................................................... 56

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la


faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines .........................................................58

Introduction................................................................................................................................................................... 60
1. La RDC : le soi et la projection de soi sur la scène africaine.........................................................................61
2. La Première République : un État mort né sous oxygène d’autrui.......................................................... 62
3. La deuxième République : tentative de reprise de l’autonomie de soi.................................................. 65
4. La troisième République : difficile gestion du joug et de la tutelle d’autrui........................................69
Conclusion........................................................................................................................................................................ 71
Bibliographie....................................................................................................................................................................72

8
9

Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo


et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir .......................... 74

1. Origines du conflit......................................................................................................................................................77
2. Début du conflit armé des Grands Lacs............................................................................................................ 78
3. Violations des droits de l’homme en République Démocratique du Congo....................................... 82
4. Le problème de l’impunité ................................................................................................................................... 83
5. Instabilité politique dans les pays de la région.............................................................................................. 85
Conclusions ....................................................................................................................................................................88
Bibliographie...................................................................................................................................................................89
Webgraphie.....................................................................................................................................................................89

Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme


en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique . .............................................. 90

Introduction.................................................................................................................................................................... 92
1. La réalité dramatique des droits de l’homme en République Démocratique du Congo.................94
2. La constatation de la réalité sur la situation des droits de l’homme
en République Démocratique du Congo..............................................................................................................98
3. Considérations finales........................................................................................................................................... 103

David Querol Sánchez | Les enfants des rues à Kinshasa . ...............................................................104

Considérations finales par Toni Jiménez Luque..................................................................................... 112


10
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État
11

Droits de
l’homme
au Congo
colonial :
exposé et
analyse de
quelques
faits et
témoignages
des abus
Dr César Nkuku Khonde
Professeur d’Histoire
de la Université de Lubumbashi
(République Démocratique du Congo)
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Introduction sur la situation des droits de l’homme au Congo


sont l’œuvre de plusieurs chercheurs, mission-
naires, auteurs et autres défenseurs des droits
L’expression des droits de l’homme semble de la personne et du citoyen. Nous allons tirer
être toute récente, mais elle était déjà d’actua- profit de l’abondante littérature qui existe sur
lité dans l’Antiquité. Ce concept, à l’apparence ce sujet au Congo colonial pour exposer quel-
de nouveauté, selon lequel tout être humain ques faits et témoignages d’abus perpétrés à
possède des droits universels, inaliénables, cette époque. Ce chapitre sera donc essentielle-
– l’homme, en tant que tel et indépendamment ment constitué de témoignages, déclarations et
de sa condition sociale, a des droits « inhérents observations issus de la littérature soigneuse-
à sa personne, inaliénables et sacrés » et donc ment sélectionnés.
opposables en toutes circonstances à la société
et au pouvoir – a été combattu ou éclipsé aux En premier lieu, il convient de signaler que
XIXe siècle et XXe siècle (même au XXIe siècle) les abus commis sont le fait d’un système : on
par d’autres doctrines ; le présent chapitre y faisait prévaloir le droit du plus fort, mais éga-
consacrera d’ailleurs une partie. Il serait ainsi lement que ces abus ont eu des conséquences
particulièrement intéressant de mener une très néfastes sur la société. Globalement, rete-
étude sur les droits de l’homme au moment nons les formes d’abus suivants : cultures obli-
de la grande colonisation de l’Afrique par l’Eu- gatoires, travaux forcés, expéditions punitives,
rope. Rappelons d’ailleurs que l’actuelle Répu- prises d’otages, emprisonnements d’innocents,
blique Démocratique du Congo a été colonisée usage de la torture, exécutions sommaires, hu-
de 1885 à 1960 par la Belgique. miliation, injustices sociales, recrutements for-
cés, mauvaises conditions de travail, violences
Au cours de cette période, d’innombrables écrits faites aux femmes et aux enfants.

12
13

1. Abus des droits de l’homme : le fait « Novembre 1894 au lac Tumba (District de
d’un système au Congo colonial l’Équateur, période de l’E.I.C. : Sjöblom circule
dans la contrée, il constate que les villages sont
déserts et qu’il y a des cadavres sur les rives.
La colonisation de l’Afrique centrale a véritable- Au poste de Bofiji, il remarque une centaine de
ment débuté à la fin du XIXe siècle avec la Confé- mains coupées. Elles ont été jetées dans la ri-
rence de Berlin de 1885 qui partagea l’Afrique aux vière… Un caporal noir raconte à Sjöblon qu’un
différentes puissances européennes de l’époque. officier blanc lui a ordonné, deux jours aupara-

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
L’espace actuel de la République Démocratique vant, de jeter 160 mains à la rivière. En effet, les
du Congo a été acquis par le souverain belge de soldats doivent justifier l’emploi de cartouches
l’époque, le Roi Léopold II sous la dénomination de par le nombre égal de mains droites. » 3
l’État Indépendant du Congo, l’E.I.C. Comme toute
colonie, l’E.I.C devait jouer le rôle de fournisseur de Au lieu d’établir des rapports cordiaux, basés sur
matières premières. Par la suite, bien que l’admi- la collaboration et la convivialité entre l’adminis-
nistration fût différente, c’est la même philosophie tration et la population, coloniaux (et agents et
qui persévérait avec la période du Congo Belge à leurs soldats) et population autochtone se consti-
partir de 1908. Là, la colonie devait être plus ren- tuent en deux parties ennemies. À la moindre
table ; exigeant ainsi sa mise en valeur. Les atroci- résistance de la population, on use de la force,
tés, la violence, les contraintes etc. constituent les comme le décrit Daniel Vangroenweghe :
éléments du système mis en place pour atteindre
les objectifs que les coloniaux devaient relever. Les « Le premier contact entre soldats et indigènes est
abus enregistrés dans l’administration coloniale rarement amical. Les soldats envahissent les vil-
ne sont pas seulement des excès d’individus dou- lages, tuent un certain nombre de noirs, arrêtent
teux, à la personnalité profondément perturbée, ceux qui n’ont pu fuir, pillent les huttes, volent le
mais ils répondent davantage au système d’ex- menu bétail et d’autres objets de valeur, incen-
ploitation en vigueur à l’époque . 1 dient les maisons et détruisent les plantations. » 4

En 1906, F. Cattier mentionnait dans ses écrits Comme le rapporte ce témoignage, ces faits sont
sur l’E.I.C. que «les articles que l’État du Congo commandités et tolérés par les chefs blancs. Le
prépare et répand dans la presse pour justifier récit ci-dessous émanant du Missionnaire Jo-
sa politique reproduisent avec moins de fran- seph Clark montre en effet comment les blancs
chise et de force, les idées que développaient, il y coloniaux protégeaient leurs agents :
a plus de cent ans, devant la Chambre des Com-
merces et la Chambre des Lords, les porte-parole «Le chef de Lokolo Longanga se plaignit auprès
des planteurs : sans l’esclavage, les colonies sont de Müller et Deisser parce que des soldats lui
condamnées à la ruine ; le nègre ne travaille que avaient pris ses femmes et tout ce qui lui était
sous le fouet ; il n’a pas de besoins » .2 cher…. Son propos s’en prenant à la terreur
cruelle des soldats. Le Blanc mit le chef en fuite
Les exécutants de la salle besogne agissent sur comme un chien, frappant du pied le sol de la
ordre de leurs supérieurs. Eux-mêmes ainsi que véranda et le traitant de menteur.»5
leurs chefs sont tous des officiels. Ce sont des
soldats, des surveillants ou des capitas.
3| VANGROENWEGHE, Daniel, (1986), Du sang sur
les lianes : Léopold et son Congo, Didier Hatier,
Le témoignage du missionnaire Sjöblom est
Bruxelles, p. 59
très illustratif :
4| LAGERGREN, D. (1970), Mission and state in Congo.
A Study of the relations between Protestant mis-
sions and the Congo Independant State authori-
1| VANGROENWEGHE, Daniel, (1986), Du sang sur ties with special reference to the Equator district,
les lianes : Léopold et son Congo, Didier Hatier, 1885-1903, Uppsala, pp 117-118
Bruxelles, p. 12
5| CASEMENT, Roger, (1985), Rapport de R. Case-
2| CATTIER, F., (1906), Étude de la situation de l’E.I.C., ment, Consul britannique, sur son voyage dans le
Bruxelles, p.248 Haut-Congo (1903), Enquête et Documents d’His-
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Il va sans dire que c’est la loi du plus fort qui à son arbre résiste pendant trois jours avant
règne à cette époque. Aux antipodes du slogan de mourir. » 7
Congo, conquête pacifique présenté par le Roi
Léopold II à la face du monde pour justifier la Le témoignage ci-dessous relate la cruauté de
mission coloniale qu’il s’était assignée – slogan René Permentier :
qui ne sert qu’à masquer la réalité – celui qui
a le pouvoir colonial est le grand détenteur de « Lorsqu’il est en tournée d’inspection… Lui arri-
tous les droits ; c’est lui le plus fort et peut donc ve-t-il de trouver une petite feuille sur la cour ré-
en abuser. En fait, la mission coloniale n’était cemment balayée, il s’écrie ’’ les femmes prison-
qu’une longue conquête sanglante… La violen- nières n’ont pas bien balayé ; elles doivent être
ce était la norme parce qu’on retrouve à la base punies ’’. Alors ses soldats décapitent une dou-
de toute occupation coloniale le droit du plus zaine d’entre elles. Trébuche-t-il en forêt, c’est
fort, et donc la sous-évaluation de la population le signe que les routes ne sont pas bien entrete-
autochtone qui justifie la colonisation dans son nues. Conséquence : en mesure de représailles,
infériorité. un enfant est tué dans le prochain village… » 8

La violence était la norme : les coloniaux La dénonciation faite par l’organisation phi-
avaient conquis en effet un pays gigantesque lanthropique Le Secours Rouge International
sans moyens financiers pour l’organiser et l’ex- (SRI) confirme l’implication du système colonial
ploiter. Ces moyens, c’était les indigènes eux- dans les exactions commises même à l’époque
mêmes qui devaient les produire par leur tra- du Congo Belge :
vail 6. Aucune collaboration n’avait même été
conclue avec les chefs indigènes. « Les Impérialistes belges ont caché jusqu’ici
leur tyrannie au Congo d’une façon très habile.
A l’époque de l’E.I.C., les atrocités du genre Ils disposent à cet effet d’une presse puissante
étaient particulièrement violentes dans le et bien organisée. Sous le couvert de la civilisa-
District de l’Equateur. Quelques chefs de poste tion, ils masquent des procédés scandaleux. Non
blancs furent un exemple manifeste de cruau- seulement ils ne se contentent pas d’exploiter les
té. Citons notamment : René de Permentier, of- indigènes d’une façon inouïe, ils répriment tout
ficier à l’Equateur de 1894-1901, Raoul Van Cale- mouvement qui tend vers une organisation de
ken, chef de poste de Baringa. classe… » 9

Le récit suivant illustre la façon d’agir de Van Ces conditions laissaient libre cours à toute
Caleken : sorte d’abus. Il serait alors intéressant de
connaître d’abord les circonstances et faits qui
« Les chefs Ilongo et Efomi des Isute sont al- conduisirent aux abus avant d’en déterminer
lés à Baringa dans le but d’exprimer leurs do- les différentes formes.
léances au substitut et à Dhanis au sujet des
amendes et d’une foule d’autres irrégularités.
7| VANGROENWEGHE, D., op. cit., présente à la page
Raoul Van Caleken, le chef de poste de Barin- 103 de la tournée de Dhanis, Administrateur de
ga, les met sous les verrous et les fait recon- l’ABIR (Anglo-Belgian India Rubber and Explo-
duire le 27 juin à Ingunda. Là, ils sont liés nus ring Company) dans plusieurs postes du District
à un manguier dans la cour intérieure de la de l’Equateur où sa compagnie commercialise le
caoutchouc.
résidence d’un Blanc. Efomi, toujours attaché
8| HULSTAERT, G, “Le voyage au Congo d’un officier
danois, in Enquête et documents d’histoire afri-
toire Africaine, p. 174 et VANGROENWEGHE, Da- caine, 4 (1980) et VANGROENWEGHE, D., op.cit.,
niel, (1986), Du sang sur les lianes : Léopold et son p.60
Congo, Didier Hatier, Bruxelles,
9| KANKU Bona-Mmudipanu, « Les communistes
6| Lire la préface de Jan Vansina de l’ouvrage de belges face au problème de la révolution au Congo
Daniel VANGROENWEGHE, (1986), Du sang sur Belge (1929-1931) : quelques documents inédits »,
les lianes : Léopold et son Congo, Didier Hatier, in Likunduli – Enquêtes d’Histoire Zaïroise, 1 (1972-
Bruxelles, p.11 1973), p. 20

14
15

2. Différents faits ou formes d’abus des Ikoko (District de l’Equateur) mérite d’être men-
droits de l’homme tionné :

«…une fillette mutilée avait été retrouvée par des


Plusieurs faits ont favorisé les abus des droits travailleurs, couchée près du cadavre de sa mère
de l’homme. Ceux-ci sont de plusieurs ordres. assassinée par des soldats. Elle était à peine âgée
Citons notamment l’imposition des cultures de deux ans et demi. Clarck la transporta chez le
et la livraison obligatoire de certains produits docteur Reusens à Irebu. Ce dernier l’opéra, mais

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
agricoles, l’institution des travaux forcés, des elle mourût quelques mois plus tard.Le gouver-
expéditions punitives, l’usage de la torture, neur général chargea un juge de mener une en-
de la peine de fouet, des exécutions sommai- quête suite aux accusations du missionnaire… Les
res, des humiliations, des atteintes à l’amour conclusions de cette enquête avaient été qu’il ne
propre, des faits démoralisants, des injustices s’agissait pas d’un acte d’une bande armée, qui
sociales, de la restriction des libertés, les re- aurait agi sur ordre, mais d’un méfait perpétré
crutements des travailleurs issus des milieux par un seul individu. Suite à cela, le soldat Basusu
ouvriers, aux mauvaises conditions de travail du poste de Bikoro comparut devant le tribunal
et de vie, les violences faites aux femmes et et s’entendit condamné à cinq ans d’emprisonne-
enfants, la justice mal rendue, le laxisme et ment. Il avoua les faits et affirma avoir malmené
l’usage du mensonge. la fillette par vengeance envers son père… » 11

Afin d’augmenter la production de caoutchouc,


a) Les cultures et cueillette obligatoires et la de telles méthodes terroristes étaient courantes
livraison des produits agricoles et, semble-t-il, contrôlées et même encouragées.

Les abus de droits de l’homme sont observés Les vivres (chikwange, poisson, bois de chauf-
dans les cultures imposées et la cueillette de fage pour bateau à vapeur, matériaux de
certains produits agricoles frisés par l’éco- construction) destinés aux Blancs et le caout-
nomie coloniale comme le caoutchouc. C’est chouc étaient imposés dans les régions ad-
l’époque du fameux système de cultures ministrées par l’État et dans celles contrôlées
forcées, un système économique particuliè- par les compagnies de commerce qui se char-
rement ingénieux introduit par le gouver- geaient de la récolte de caoutchouc. Leur prix
neur de Java. Il imposait aux populations des ne dépassait pas le quart des prix du marché,
cultures de café, de sucre et d’indigo, que le le tout, à titre d’impôt alimentaire. 12
gouvernement hollandais rachetait à bas prix
pour les commercialiser avec un bénéfice très
appréciable. Bénéfice qui non seulement cou- b) Les travaux forcés
vrait les frais de l’administration coloniale,
mais laissait même un surplus important af- Le système de travaux forcés, bien qu’en vi-
fluant dans les caisses de l’État hollandais. 10 gueur dans l’E.I.C., est également observé au
Congo Belge. Nombreux sont les témoignages
Pendant la période de l’E.I.C., les revenus princi- relatifs à l’imposition de la récolte du caout-
paux de l’État étaient basés sur le caoutchouc. chouc à l’Equateur et ceux relatifs à l’effort de
La non-livraison de ce produit par la population guerre imposé au cours de la deuxième guerre
indigène constituait un motif d’abus et d’atro- mondiale (1940-1945). L’effort de guerre comme
cités : dans tout le district de l’Equateur, les la récolte du caoutchouc n’est pas un mal en soi
hommes voyaient leurs mains coupées ; fem- dans le sens où il répond à une préoccupation
mes et enfants n’étaient pas épargnés. L’exem-
ple poignant d’une fillette mutilée en juin 1895, à
11| Archives de American Baptist Missionnary
Union, lettres de Joseph Clark, extrait repris par
10| STENGERS, J., « Léopold II et le modèle colonial hol- VANGROENWEGHE, D., op. cit., p62
landais », Tijdschtft voor Geschiedenis, 90 (1977) p.
46-47 12| VANGROENWEGHE, D., op. cit., p. 207-208
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

ou à une action collective qui permet de résou- guerre, d’autre souci que celui de la libération
dre un problème qui survient au sein d’une de notre pays (la Belgique) et de la victoire des
communauté. Le problème se trouve dans son Alliés » 15
caractère contraignant faisant appel à toute
sorte d’abus. Les populations locales s’investirent dans l’ef-
fort de guerre, travaillant sans relâche pour
En 1894, dans le district de l’Equateur, les sol- sauver la métropole et sortirent totalement
dats sont casernés dans les villages pour y for- appauvries, ayant abandonné leurs travaux
cer les indigènes à cueillir le caoutchouc. Les de subsistance. Un autre phénomène qui s’est
récolteurs sont obligés de parcourir parfois de produit lors de la rupture entre le Congo et la
longues distances. Si un soldat remarque qu’un Belgique fut la dévaluation au Congo. Celle-ci
indigène est resté au village au lieu de cueillir le eut lieu en juin 1940, elle provoqua l’augmen-
caoutchouc, il l’abat sans ménagement.13 Dans tation du coût de la vie… Elle diminua le pou-
d’autres contrées dudit district, on coupait les voir d’achat des Noirs, à l’opposé des Blancs qui
mains de tous les contrevenants. Les soldats s’étaient vu réajuster leurs salaires.
doivent en effet justifier l’emploi de cartouches
par le nombre égal de mains droites.14 Dans
d’autres régions encore, les peines de prison c) Des expéditions punitives
pour insuffisance de livraison de caoutchouc
sont improductives, on a donc recours au sys- La répression était très prisée au Congo colo-
tème de prises d’otages. nial. A la moindre insoumission, toute résis-
tance doit être réprimandée par la terreur. A
C’est le gouverneur général et le secrétaire gé- chacune de ces occasions, une expédition pu-
néral de l’E.I.C. qui encourageaient les pratiques nitive constituée des soldats de la Force Publi-
douteuses des prises d’otages pour exiger tou- que est organisée. Le corps expéditionnaire agit
jours plus de caoutchouc. Les femmes en sont le donc, et efficacement. Le village devait être in-
plus souvent victimes. Elles étaient incarcérées cendié, il disparaît de la carte ; de larges stocks
jusqu’à ce que leur famille ou leur village four- d’aliments sont confisqués.
nissent la quantité manquante de caoutchouc
(cf. lettre du 4 mai 1901 du commissaire de Dis- A titre illustratif, reprenons le témoignage de
trict adressée au directeur de l’ABIR en Afrique). Charles Lemaire, premier commissaire du dis-
trict de l’Equateur (1886-1893) ; repris dans son
Au déclenchement de la deuxième guerre mon- journal de voyage et d’inspection territoriale,
diale, l’effort de guerre fut imposé au Congo qui se félicite avoir fait tuer deux hommes
Belge. La colonie était coupée de la métropole. dans les villages de Bolenge et Mobanga-Wan-
Les activités coloniales avaient pour mot d’or- ga, et notamment le chef de Bolenge au titre de
dre : représailles à la suite des tirs essuyés par son
navire en janvier 1892. Il a aussi jeté son dévolu
« l’intérêt des actions noires devait céder le pas sur un autre village, Ikoyo, a ravi une femme
à l’intérêt supérieur de la collectivité. Il ne peut d’Ifeko et refuse de la libérer. Par ailleurs, il ne
être question actuellement d’autres préoccupa- se gène pas de présenter des abus qu’il a per-
tions que celle de la participation absolue à la sonnellement commis lors d’expéditions puni-
tives préalablement organisées :

13| LAGERGREN, D. (1970), Mission and state in Congo. «Pendant mon séjour au Congo, … pour récolter
A Study of the relations between Protestant mis- du caoutchouc dans le district (où aucun pré-
sions and the Congo Independant State authori-
ties with special reference to the Equator district,
1885-1903, Uppsala, p. 119
15| ILUNGA Kalenga M. (1980), Les activités du Comité
14| CASEMENT, Roger, (1985), Rapport de R. Casement, d’étain du Congo Belge et du Ruanda Urundi 1940-
Consul britannique, sur son voyage dans le Haut- 1945, d’après les sources d’archives régionales du
Congo (1903), Enquête et Documents d’Histoire Shaba à Lubumbashi, Travail de fin d’Etudes en
Africaine, p. 48 Histoire, UNAZA –Campus de Lubumbashi, p. 36

16
17

paratif n’avait été décidé), on devra couper des Mwembu établit un répertoire de la popula-
mains, des nez et des oreilles. Je ne crois pas que tion congolaise destinataire de ces peines : les
nous ayons chassé les brigands arabes pour que délinquants, les porteurs noirs, les ouvriers,
nous prenions leur place » 16 ceux qui refusent la civilisation, ceux qui n’exé-
cutent pas le travail obligatoire, ceux qui se
Au Congo Belge, les grèves des travailleurs et dérobent du paiement de l’impôt…19 . A cette
les mutineries des soldats faisaient aussi l’ob- liste il conviendrait d’ajouter également des
jet de répressions sanglantes. Le témoignage innocents.

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
de Duduri décrit la répression sanglante
d’une grève de l’Union Minière du Haut-Ka- Daniel Vangroeweghe rapporte les sanctions
tanga subie par les travailleurs noirs : prises par l’ABIR (une entreprise de l’E.I.C. qui
s’occupait de la récolte du caoutchouc dans le
«Avec la crise économique des années 1940, les District de l’Equateur) : « Lorsque les livraisons
ouvriers exigèrent, à l’instar de leurs collègues de caoutchouc ont été insuffisantes, les bas-
européens, des augmentations de salaires. Le tonnades et flagellations au moyen des nerfs
Gouverneur de Province autorisa une fusillade d’hippopotame, la fameuse «chicotte» de triste
pour réprimer ces grèves qu’il qualifia de sau- mémoire, sont monnaie courante. Le « tarif » ha-
vages. Bilan officiel 70 morts… Le souvenir de la bituellement de 50 coups, peut monter jusqu’à
répression est resté vivace parmi la population 100 ou 200 coups en une séance » 20
congolaise.» 17
Voici ce dont les missionnaires Whiteside et
En second exemple, un autre témoignage, Stannard furent témoin le 1er mars 1906, dans
peu connu, a été rapporté par un journal pro- un village près de la Lokongo (Equateur) :
gressiste sud-africain Umsebenzi, le 27 juin
1930 : « Une grève des Nègres marins à bord « Devant la maison du chef influent Lofanza-
du vaisseau belge Léopoldville fut réprimée fanza, sur une plate-forme haute de 3 mètres,
il y a quelques temps avec grande brutalité. chaque contrevenant est flagellé puis exposé
A la fin du mois passé, ce vaisseau arriva à au soleil, jusqu’à ce que sa famille ait payé la
Anvers …les Noirs grévistes furent emprison- rançon, exigée par le surveillant. Beaucoup de
nés… » 18 villageois sont tués, pendus, torturés à mort au
moyen du copal brûlant ou flagellés. L’assis-
tant du bourreau trouve un horrible plaisir à
d) Usage de la torture – la peine de fouet – Exé- verser le copal sur la tête d’un prisonnier ligo-
cutions sommaires té, puis à y mettre feu. Le copal dégouline tout
brûlant sur le visage et les épaules de la victi-
me, qui succombe lentement dans d’affreuses
souffrances. » 21
Ces trois expressions évoquent presque la
même chose. Il s’agit du châtiment corporel Par ailleurs, Jespersen apprend en 1899 d’un
qu’on faisait subir à tout contrevenant à l’ins- agent, d’origine anglo-belge, qu’il ne tire ja-
truction coloniale, principalement dans le ca- mais sur les Noirs, mais qu’il les emploie com-
dre de la réalisation d’un programme de mise me punching ball. C’est aux visages défigurés,
en valeur économique de la colonie. Dibwe dia aux oreilles meurtries, aux nez aplatis, aux
yeux exorbités, qu’on reconnaît la population
de son district.
16| LEMAIRE, Ch. (1908), Belgique et Congo, p64
17| DUDURI R.(1973), La grève des ouvriers noirs à 19| DIBWE dia Mwembu, « La peine de fouet au
l’U.M.H.K. (1941), Mémoire de licence en Histoire, Congo Belge (1885-1960), in Les cahiers de Tunisie,
UNAZA-Campus de Lubumbashi, p.5 Tome XXXIV (1986) 135-136, pp.129-135
18| “White workers support black saillors and de- 20| VANGROENWEGHE, D., op. cit., p. 115
mand Independance of the Congo”, in Umsebenzi,
27 juin 1930, n° 620, 2 21| Ibidem
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

D’autres amusements familiers des agents de le manque de considération de la part des


l’ABIR peuvent être soulignés : les indigènes blancs constituent aussi des souvenirs dont
sont parfois obligés de grimper dans de hauts les contemporains de cette époque ont long-
vieux palmiers tout branlants et d’en redes- temps gardé dans leur mémoire. Parmi tant
cendre la tête en bas ; exercice au cours duquel d’autres faits, on peut signaler celui subi par
nombreux sont ceux qui se brisent le cou ; ou le chef de Lokolo Longanga dont des soldats
bien ils sont ligotés l’un à l’autre et jetés ainsi lui avaient pris ses femmes et tout ce qui lui
dans la rivière et servent alors de cible pendant était cher. Le Blanc mit le chef en fuite comme
qu’ils flottent. 22 un chien, frappant du pied le sol de la véranda
et le traitant de menteur.24 On mentionnera
Beaucoup d’innocents furent également victi- d’autres amusements familiers des agents de
mes de ces tortures. Des témoignages probants l’ABIR : ils aimaient particulièrement humi-
le prouvent. Pour besoin d’illustration, nous lier les chefs indigènes, notamment en leur
nous voyons obligés de reproduire ici un récit rasant le crâne.
suivant déjà évoqué plus haut :
Pendant le Congo Belge, les milieux ouvriers
«En 1904, le poste de Lingunda des chefs indigè- développaient, dans une certaine mesure, des
nes qui voulaient plaider pour la cause de leurs attitudes et comportements qui portaient at-
communautés en sont sortis victimes. En effet, teinte à l’amour propre des ouvriers. C’est ainsi
les chefs Ilongo et Efomi des Isute sont allés à que plusieurs travailleurs refusaient de renou-
Baringa dans le but d’exprimer leurs doléances veler leur engagement, préférant regagner leur
au substitut au sujet des amendes et d’une foule milieu d’origine. Cette attitude était motivée
d’autres irrégularités. Raoul Van Caleken, le chef en grande partie par le climat d’insécurité, de
de poste de Baringa, les met sous les verrous et les terreur morale et de nostalgie causée par le
fait reconduire le 27 juin à Ingunda. Là, ils sont nombre de morts enregistrés dans les camps de
liés nus à un manguier dans la cour intérieure travailleurs. Rien, en effet, n’était plus démora-
de la résidence d’un Blanc. Efomi, toujours atta- lisant que de voir mourir tous les dix jours des
ché à son arbre résiste pendant trois jours avant compagnons de travail, des voisins de chambre,
de mourir.Il y a eu plusieurs autres assassinats, des amis ou des parents.
meurtres, des amendes énormes infligées aux
indigènes qui n’apportent pas le caoutchouc, Certains travailleurs étaient également déçus
des arrestations et des détentions des femmes par le peu de considération accordée aux fem-
et d’enfants qu’on affamait en prison… ont été mes. Ils affirmaient que mieux valait se faire
rapportés dans la contrée. » 23 engager célibataire, car les femmes étaient pres-
que communes à tout le monde au camp et la
A l’époque du Congo Belge, il convient de men- société ne prenait aucune mesure disciplinaire
tionner les répressions sanglantes des grèves pour enrayer l’adultère. L’époux trompé tâchait
et d’autres mutineries. On se rappellera ce qui a de se faire justice lui-même en se battant avec
été évoqué pour la grève de l’Union Minière du l’homme qu’il avait surpris avec sa femme.
Haut Katanga déjà évoquée plus haut.

f) Injustices sociales - restrictions des libertés


e) Des Humiliations – atteintes à l’amour pro-
pre – faits démoralisants Le système colonial exerçait un contrôle et une
surveillance totale sur les populations colonia-
Des humiliations des chefs indigènes et les. Elles étaient victimes de plusieurs injusti-
ces sociales et ne pouvaient jouir de toutes les
libertés reconnues à tout citoyen d’un pays.
22| Ibidem
23| Un extrait du récit sur le voyage de Dhanis, Ad-
ministrateur de ABIR dans le Haut congo, reprit 24| VANGROENWEGHE, D., op. cit., présente à la page
par VANGROENWEGHE, D., op. cit., à la page 103 103

18
19

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

En premier lieu, nous évoquerons le système si bien travaillé pour la métropole et se pose la
du sauf-conduit pour les déplacements vers question de savoir ce qu’il peut accorder comme
d’autres villages, surtout vers les centres ur- récompense à ces Noirs. Finalement, il prend la
bains, système imposé aux indigènes. Il était décision d’augmenter le salaire des indigènes
question avant tout de garder dans chaque comme récompense. Mais Mgr De Hemptine, Ar-
village le nombre requis de travailleurs, sys- chevêque du Katanga s’oppose farouchement à
tème rappelant fâcheusement le principe ce projet… :’’ Les indigènes sont riches assez, l’un
médiéval du serf attaché à la glèbe. L’armée d’eux ayant même 35000 frs à la caisse d’épar-
a été fréquemment engagée pour poursuivre gne. Si les salaires étaient augmentés ces indi-
des fugitifs et les ramener. La ségrégation est gènes en outre pourraient s’acheter plusieurs
une autre forme d’injustice de cette époque ; femmes » 26
elle avait d’autres corollaires ayant trait à la
restriction des libertés. La déclaration ci-des- Tout cela voudrait simplement dire que le noir
sous, quelque peu banale illustre bien notre n’a pas le droit de profiter de sa vie ni de l’orga-
propos : niser, ni de prétendre à une promotion sociale ;
il doit demeurer esclave. Tout cela contribue aux
« En 1950, il n’y avait pas de marché au Camp mécontentements exprimés par des grèves et
Maramba de BCK (Société de Chemin de Fer mutineries. Le témoignage suivant est très illus-
opérant à l’est du Congo Belge), ses résidents se tratif :
rendaient de temps en temps au marché réservé
aux Blancs. Ces derniers faisaient leurs achats «… nous (soldats congolais) étions mécontents
de 7h00 à 11h00. Les Noirs ne pouvaient s’y ren- de la façon dont nous traitaient les Blancs. Ils
dre qu’après 12h00. La police surveillait l’entrée. nous considéraient comme des véritables es-
Aucun noir, excepté les domestiques des blancs, claves : corvées, injures et surtout l’injustice. Les
reconnus par leur accoutrement, ne pouvait en- Noirs ne pouvaient jamais dépasser le grade de
trer aux heures réservées aux Blancs »25 premier sergent major » 27

Les milieux ouvriers furent le grand théâtre des Le phénomène de dévaluation enregistré au
injustices sociales. Les populations locales por- commencement de la guerre de 1940 va dans
taient tout le poids de la mise en valeur de la co- le même sens que la situation d’injustice évo-
lonie, et cela dans des conditions inhumaines, à quée ci-dessous. Cette dévaluation provoqua
l’exemple de l’effort de guerre à laquelle elles l’augmentation du coût de la vie…, diminua le
s’adonnèrent corps et âme, puis totalement pouvoir d’achat des Noirs, contrairement aux
ruinées, ne reçurent aucune récompense. Au Blancs qui voyaient leurs salaires se réajuster.
contraire, les récompenses étaient attribuées à
la population blanche résident dans la colonie A ce sujet, le Commissaire du District (C.D.D.) du
tel que nous le découvrons dans une déposition Lualaba écrivait en 1940 :
de justice faite à Elisabethville en 1943 suite à la
grève des travailleurs noirs de l’Union Minière « …l’augmentation dans tout le district du coût
du Haut-Katanga : de la vie de 30 à 50 %, est un phénomène de l’état

«Après l’immense effort de guerre fourni par les


populations congolaises, le Gouverneur Général 26| A.R.S.L., Dossier n°7. Projustitia, Dépositions de
P. Ryckmans est content pour les Noirs qui ont Mutombo Paul devant le Commissaire de police
Lardinois, Ellisabethville, le 1er février 1944
27| Témoignage de Kalenga Simon, av. Itimbiri, n°
25| Témoignage de Kabesa Mwanabutu recueilli le 7 Katuba, lubumbashi, recueilli le 24 mai 1981
12 novembre 1998 par MADIANTANGU Ndumba par MWANGANDO, Bembiso Adabimoni (1982),
Tabala I Mwan’y, Fidèle, (1999), Conditions de vie La Mutinerie de Luluabourg du 20 février 1944,
dans les Camps de travailleurs de BCK – Lubum- d’après les archives régionales du Shaba à Lubum-
bashi : une autoévaluation des résidents (1950- bashi), Mémoire de Licence en Histoire, Univer-
1980), Mémoire de Licence en Histoire, Université sité Nationale du Zaïre, Campus de Lubumbashi,
de Lubumbashi, p. 48, inédit inédit

20
21

de guerre. Pour les Européens, les réajustements hommes… Beaucoup n’avaient que 13 ou 14 ans
de salaires pratiqués par tous les employeurs en- et étaient enrôlés comme soldats pour une du-
traînent en grande partie la disparition de l’as- rée de sept ans. Les moins valides devenaient
pect critique que revêt cette hausse pour les sa- travailleurs de l’État. Les recrues étaient donc
lariés ne touchant que de modestes traitements. habituellement des adolescents, mais aussi
Pour les Noirs, il n’y a eu aucune adaptation en parfois des femmes, et étaient généralement
1940, ce sont donc eux qui subissent intégrale- envoyées dans un autre district ; empêchant de
ment toutes les conséquences de la diminution ce fait la désertion.

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
de leur pouvoir d’achat … Malgré le loyalisme
remarquable dont font preuve toutes les caté- Que ce soit au cours de la période de l’E.I.C.
gories de natifs au cours de l’année 1940, cette comme à celle du Congo Belge, les conditions
réduction massive de leur standing de vie peut de travail peu optimales entraînaient une forte
si elle se prolongeait, constituer un réel danger mortalité chez les ouvriers. Dans les mines du
politique et économique » 28 Katanga ; force est de constater qu’il ne leur
était pas facile de s’adapter à un rythme de tra-
Ce même sort fut également réservé aux sol- vail très contraignant, que seules les bêtes de
dats noirs ayant pris part aux combats : somme pouvaient supporter :

« … nos soldats sont allés se battre et ont reçu « …Nous avions deux équipes de travail : la pre-
des souliers, des vêtements, des mouchoirs… dès mière travaillait de 7h à 3h, la seconde de 3h à
qu’ils reviennent, on leur enlève cela comme s’ils 11h du soir pendant une semaine ; la semaine
étaient des voleurs alors qu’ils ont servi » 29 suivante, l’équipe du matin travaillait le soir et
celle du soir le matin. Non, il n’y avait pas de re-
pos et on ne nous donnait pas à manger au lieu
g) Recrutements forcés – mauvaises condi- de travail… » 30
tions de travail et de vie
Toujours à l’Union Minière du Haut-Katanga,
Outre l’interdiction aux travailleurs noirs dans sa note du 13 avril 1928 adressée à la Di-
d’avoir, de créer et d’adhérer à des associations rection Générale, le Département de la M.O.I.
ouvrières et les réprimandes des grèves ouvriè- (Main-d’œuvre Indigène) déclara à propos des
res, le monde ouvrier fut un autre cadre particu- travailleurs de Kivu Maniema que « Ces tra-
lier d’abus de droits de l’homme. C’est dans ces vailleurs P.O. sont intelligents, s’adaptent assez
milieux que furent observés des recrutements rapidement au travail, mais s’acclimatent ma-
forcés, des conditions de travail inhumaines et laisément ». Les difficultés de ces travailleurs
bien d’autres intolérances. étaient en fait celles de l’acclimatement, du
transfert loin de leur milieu et du changement
Pendant l’E.I.C., il existait trois manières de re- d’alimentation. Tous, concentrés au camp de
cruter les soldats. Habituellement, on exigeait l’Etoile, étaient confrontés aux mêmes diffi-
par village un certain nombre d’hommes en si- cultés et particulièrement à celles ayant trait à
gne de soumission à l’homme blanc. Par contre, l’alimentation peu conforme à leurs habitudes
les villages rebelles devaient, le plus souvent et qui provoqua la mort de plusieurs d’entre
après soumission, en livrer davantage… Une eux.31
troisième manière consistait à acheter des

30| Témoignage de Asani Rajabo, recueilli le 24 fé-


28| A.R.S., Note synthétique du C.D.D du Lualaba, vrier 1973 à Katuba (Lubumbashi) par YOGOLELO
cité par TSHIBANGU Kabet, « la situation sociale Tambwe Ya Kakisimba, (1973), Mission de recru-
dans le ressort administratif de Likasi pendant la tement des travailleurs de l’UMHK au Kivu-Ma-
guerre 1940-1945 », in Etudes d’Histoire Africaine, niema (1926-1928), Mémoire de Licence en His-
VI, 1974, p. 282 toire, Université Nationale du Zaïre – Campus de
Lubumbashi, p. 102, Inédit
29| A.R.S.L., Dossier n°7, Projustitia. Déclaration de Ka-
lubi Lievin devant le Procureur du Roi a.i. Declerk 31| A.D.P., Note à la Direction Générale, 13 avril 1928,
Etienne, Elisabethville, le 1er février 1944 dans C8, D13
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

La mortalité dans ces milieux était tellement de mauvaise qualité, nous les vendions fraudu-
élevée qu’elle effrayât les travailleurs qui ne leusement à la cité indigène. A la place, nous
croyaient pas pouvoir sortir vivants de cet en- allions nous en procurer de bonne qualité au
fer : magasin de Bakoa… » 34

« … Oui, nous avons perdu beaucoup des nôtres à Le récit sur la préparation de la farine de maïs
Ruashi : les uns mouraient par accidents de tra- plus bas décrit la mauvaise qualité de l’alimen-
vail, les autres, la plupart, de la diarrhée. Atteint tation destinée aux travailleurs :
aujourd’hui de cette diarrhée, le malade succom-
bait après deux ou trois jours. Nous tous, nous ne « … Pour enlever sa teinte jaunâtre, son odeur et
souhaitions qu’une chose : terminer notre contrat sa saveur âcre et en faire une nourriture saine,
et rentrer le plus tôt au pays – tellement nous les femmes avisées laissaient cette farine de
étions effrayés par le nombre de gens qui mour- maïs dans l’eau pendant deux ou trois jours.
raient tous les jours ». 32 Ensuite, après l’avoir séchée au soleil, elles la
pilaient et la tamisaient à nouveau. Alors seule-
Le témoignage suivant appuie le précédent, ment, la farine du maïs devenait plus ou moins
mais montre également que les travailleurs blanche et sa pâte était mangeable. Préparée
étaient placés dans des mauvaises conditions telle qu’elle était reçue en ration, cette farine du
d’existence. L’alimentation qu’on leur four- maïs – importée de Rhodésie – donnait à la cuis-
nissait était, loin d’être adaptée : soit avariée son une pâte de forme bizarre qui exhalait une
soit non-conforme ; sinon comment expliquer odeur repoussante – ce qui provoquait la diar-
la forte morbidité qu’elle provoquait après rhée et la mort de plusieurs gens. Les ouvriers
consommation : célibataires avaient toutes les peines pour se
préparer une nourriture convenable, bien cuite
« C’est à Ruashi que plusieurs gens du Manie- et digérable… » 35
ma sont morts par accidents de travail, mais et
surtout de la diarrhée. Atteint de la diarrhée et Ils étaient tellement devenus des mouroirs
conduit à l’hôpital, le malade (homme, femme qu’on enregistra beaucoup de cas de refus de
ou enfant) succombait quelques jours plus tard. réengagement :
Nous avions beaucoup à manger, mais la nour-
riture qu’on nous donnait n’était pas adaptée au «Je n’ai pas voulu renouveler mon contrat parce
régime alimentaire de chez nous : haricots très que j’étais effrayé par la mort de mes compatrio-
secs, petits pois, beaucoup de « Kakontwe », fa- tes, et par nostalgie. D’ailleurs, beaucoup d’hom-
rine de manioc très rarement, du riz – rarement mes souhaitaient voir la fin de leur contrat,
aussi, viande de bœuf, arachide…, mais jamais tellement la mortalité était accentuée… Nous
de bananes ou du manioc » 33 n’avions même pas la possibilité ni le droit d’en-
terrer nous-mêmes nos morts » 36
Mal nourrir ses travailleurs semblait être une
option adoptée dans beaucoup d’entreprises, Outre la mauvaise alimentation et les condi-
pour des raisons qui restent à élucider. Le court tions inhumaines de travail, les conditions de
récit ci-dessous indique que cette pratique était logements n’étaient pas toujours optimales tel
également de mise à la BCK : que le décrit Yumba Kalala, ancien ouvrier de la

«… la farine et le sel qu’on nous donnait étaient


34| Propos de Kabesa Mwanabutu recueilli le 17 no-
vembre 1998 par MADIANTANGU Ndumba Taba-
la I Mwan’y, Fidèle, (1999), Conditions de vie dans
32| Témoignage de Mr Lungumbu Saidi, recueilli le les Camps de travailleurs de BCK – Lubumbashi :
14 avril 1973 à la cité Karavia – Lubumbashi par une autoévaluation des résidents (1950-1980),
Yogolelo, op.cit. Mémoire de Licence en Histoire, Université de
33| Témoignage de Bwana Muzuri Samilondo rec- Lubumbashi, p. 33, inédit
cueilli par Kekambezi Kyelu à Shabunda (Sud 35| Témoignage de Lungumbu Saidi,
Kivu) le 23 janvier 1973 et repris par Yogolelo,
op.cit. 36| Ibidem

22
23

BCK, Compagnie de Chemin de Fer opérant au Lofomu parmi lesquelles plusieurs sont très
Congo Belge dans la partie est : âgées, de vrais squelettes (quelques-unes y
sont déjà depuis 4 ou 5 mois)
«… dans l’intelligence de l’homme blanc, en
construisant les camps des travailleurs, il pen- • Depuis le 1er juin : 9 garçonnets âgés de 5 à
sait qu’un Noir devait avoir seulement une pe- 10 ans. Ils sont entravés pour avoir livré trop
tite chambre pour dormir, un très petit salon peu de caoutchouc à la place de leur père, et
pour mettre une tablette et quatre chaises et sont affamés. 39

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
une chambre pour tous : parents et enfants … Il
était difficile qu’un travailleur de BCK logé dans D’autres enquêtes faites dans la région corro-
un camp s’achète du mobilier… » 37 borent ces faits. C’est le cas de celle menée par
le missionnaire Dhanis à cette même époque :

h) Des violences faites aux femmes et aux en- « il y a eu des assassinats, des meurtres, des
fants amendes énormes infligées aux indigènes qui
n’apportent pas le caoutchouc, des arrestations
Les violences faites aux femmes, fortement et des détentions de femmes et d’enfants qu’on
décriées de nos jours existaient également à affamait en prison… Je ne parle que des choses
cette époque : femmes et enfants étaient aussi vues ou avouées par le chef de poste après ac-
violentés ; les recrues pour faire le travail des cusations des indigènes… Les peines de prison
blancs et même comme soldats étaient géné- pour insuffisance de livraison de caoutchouc
ralement de grands enfants, mais aussi parfois sont improductives, de sorte que petit à petit,
des femmes ; beaucoup n’avaient que 13 ou 14 celles-ci sont remplacées par des prises d’ota-
ans, ils étaient enrôlés comme soldats pour une ges… Les femmes en sont le plus souvent victi-
durée de sept ans. Les moins valides devenaient mes. Elles sont incarcérées jusqu’au moment
des travailleurs de l’État. 38 où leur famille ou leur village peuvent fournir
la quantité manquante de caoutchouc. Cela
Lors du boom du caoutchouc, femmes et en- ressort d’une lettre du commissaire du District
fants servaient d’otages afin de rentabiliser la adressée en date du 4 mai 1901 au Directeur
récolte et la livraison de ce produit tant recher- d’ABIR en Afrique. » 40
ché par les maisons commerciales et l’État.
Un autre rapport de mission d’enquête indique
La liste des prisonniers établie par Dhanis que les enfants prisonniers sont envoyés dans
lors de sa visite, en 1904, dans la prison de la les « colonies scolaires » ou mis au travail com-
Mongala est parlante. Elle est essentiellement me boys dans un poste d’État. Les femmes sont
constituée de femmes et d’enfants qui ser- rendues à leur mari contre le paiement d’une
vaient uniquement d’otages : rançon à moins que les soldats ne les gardent
pour eux ou que leurs officiers blancs ne les ré-
• Depuis le 1er juin 1904 : 5 femmes d’Evoloko, clament pour leur servir de concubines. 41
dans le secteur de Bekombe. Elles ont été ar-
rêtées parce que leur mari a fui.

• Depuis le 3 juin et le 15 mai : 11 femmes de 39| Un extrait du récit sur le voyage de Dhanis, Admi-
nistrateur de ABIR dans le Haut congo, repris par
VANGROENWEGHE, D., op. cit., p. 104
37| Propos de Yumba Kalala recueilli le 30 janvier 40| Un extrait du récit sur le voyage de Dhanis, Admi-
1999 par MADIANTANGU Ndumba Tabala I nistrateur de ABIR dans le Haut congo, repris par
Mwan’y, Fidèle (1999), Conditions de vie dans les VANGROENWEGHE, D., op. cit., p. 103
Camps de travailleurs de BCK – Lubumbashi : une
autoévaluation des résidents (1950-1980), Mémoi- 41| LAGERGREN, D. (1970), Mission and state in Congo.
re de Licence en Histoire, Université de Lubum- A Study of the relations between Protestant mis-
bashi, p. 33, inédit sions and the Congo Independant State authori-
ties with special reference to the Equator district,
38| LEMAIRE, Ch. (1908), Belgique et Congo, p64 1885-1903, Uppsala, pp 117-118
24
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État
25

3. Les conséquences des abus des droits la rive gauche du fleuve, ne comptait plus, en
de l’homme 1903, que 7 000 à 8 000 habitants. Lukolela a
vu sa position tomber de 5 000 en 1887 à 600
en 1903. Quand à Irebu, qui en avait compté 3
Le bilan des abus de droits de l’homme était 000, ce village a disparu de la carte et dans les
très lourd. Ces abus sont à l’origine de maladies, agglomérations autour du lac Tumba, la popu-
famines, d’une forte mortalité, de la désertion lation est réduite de 60 à 70 %... »43
des villages, du dépeuplement de certaines ré-

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
gions comme le mentionne Jan Vansina pour Le déplacement non contrôlé des populations
la période de l’E.I.C. : devait certainement avoir des répercussions
sur la santé de la population. Il en est de même
« La région de l’Equateur était un enfer vert… pour les mauvaises conditions de travail. Mala-
Des destructions considérables et leur cortège de dies rime bien entendu avec mortalité.
famine et, travail forcé et d’expulsions, ainsi que
l’introduction involontaire de la variole et de la A l’E.I.C., ce sont la maladie du sommeil et la
maladie du sommeil parmi d’autres nouvelles variole dont on parle le plus. En outre, on ré-
maladies ont, de 1880 à 1920, réduit la popula- pertorie la mortalité infantile et les différentes
tion au moins de la moitié…. » 42 maladies pulmonaires dont souffrait la popu-
lation.
Le dépeuplement des régions est le résultat des
populations obligées de fuir leur milieu habi- Dans les milieux ouvriers du Congo Belge, la
tuel pour aller se réfugier ailleurs, là où elles situation est très préoccupante. De 1925 à 1928,
échapperont au système inhumain des impôts la mortalité des travailleurs de l’Union Mi-
indigènes, aux cultures obligatoires, aux recru- nière du Haut-Katanga était respectivement
tements forcés et autres tracasseries et imposi- de 51,05 %o, 53,48 %o, 45,29 %o et 32,58 %o44.
tions de l’homme blanc. Une situation qui de- Les conditions de travail dans les carrières et
venait de plus en plus grave jusqu’à emmener les conditions hygiéniques dans les camps de
certaines notabilités coloniales à proposer des travailleurs ainsi que la mauvaise alimenta-
réformes. Casement en faisait partie et décrivit tion imposée par les sociétés d’exploitation
la situation dans certaines contrées à l’E.I.C. coloniale en étaient les causes principales. Il
comme suit : ressort des procès-verbaux des réunions Dé-
partement M.O.I. / Service Médical de l’Union
« Le dépeuplement de Bolobo dont les habi- Minière du Haut Katanga que la pneumonie et
tants effrayés se sont réfugiés sur la rive fran- la dysenterie étaient les causes principales de
çaise de fleuve, est dû selon lui à ce système mortalité.
barbare. Il craint pour l’avenir du peuple Bo-
lobo. Quelques mois plus tard, il précisera que La pneumonie se contractait surtout pendant
le récent recensement a relevé dans la région la saison sèche et à cause du travail de nuit. Le
un millier d’habitants, alors qu’à son premier Dr Thomas, alors médecin hygiéniste adjoint
passage ici, il en avait compté 10000. Des villa- au médecin provincial du Katanga, avait fait
ges qu’il connut prospères et fort peuplés ont remarquer aux responsables du Département
cessé d’exister, ou sont devenus méconnaissa- de la MOI que «la durée de prestation de travail
bles à la suite du dépeuplement. A Tshumiri, (8 heures d’affilée) était trop longue pour cer-
la population des villages qui était encore de taines races d’indigènes et que le travail du soir
5 000 habitants en 1887, est tombée à 500. Bo-
lobo, qui comptait jusqu’à 40 000 habitants,
43| CASEMENT, Roger, (1985), Rapport de R. Casement,
principalement des Bobangi, et qui avait tou-
Consul britannique, sur son voyage dans le Haut-
jours été un des endroits les plus prospères de Congo (1903), Enquête et Documents d’Histoire
Africaine, p. 174 et VANGROENWEGHE, Daniel,
(1986), Du sang sur les lianes : Léopold et son
Congo, Didier Hatier, Bruxelles,
42| Voir sa préface du livre de VANGROENWEGHE, D.,
op.cit. p.11 44| A.D.P., Rapports annuels M.O.I. 1926-1928, C4
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

(finissant à 23h00) était néfaste aux races des dynamiques. À l’époque coloniale, il a fallu
districts chauds » 45 compter sur certaines oppositions politiques,
idéologiques, doctrinales et sociales : les mis-
Les témoignages recueillis à ce sujet abon- sions protestantes moins favorisées par l’État
dent. En voici quelques-uns, en commençant colonial face aux missions catholiques ap-
par celui de Lungumbu : pelées à accompagner l’administration ; les
partis d’opposition face à ceux au pouvoir, le
« … Oui, nous avons perdu beaucoup des nôtres communisme face au capitalisme.
à Ruashi : les uns mouraient par accidents de
travail, les autres, la plupart, de la diarrhée. At- Les missionnaires protestants furent les
teint aujourd’hui de cette diarrhée, le malade premiers à émettre des critiques sévères à
succombait après deux ou trois jours. Nous l’égard de la politique domaniale de l’E.I.C.. Ils
tous, nous ne souhaitions qu’une chose : termi- incitèrent certains milieux à réclamer des en-
ner notre contrat et rentrer le plus tôt au pays quêtes relatives aux atrocités commises dans
– tellement nous étions effrayés par le nombre les exploitations de caoutchouc, et tout parti-
de gens qui mourraient tous les jours ». 46 culièrement dans le district de l’Equateur. Ils
dénoncèrent ces abus grâce à des conférences
Cet autre témoignage appuie le précédent : et dans les journaux et lettres de certains co-
loniaux.
« C’est à Ruashi que plusieurs gens du Manie-
me sont morts par accidents de travail, mais et Pendant la période du Congo Belge, ce sont
surtout de la diarrhée. Atteint de la diarrhée et des partis de l’opposition et autres mouve-
conduit à l’hôpital, le malade (homme, femme ments associatifs anticolonialistes, comme
ou enfant) succombait quelques jours plus tard. Les jeunesses communistes de Belgique, Le se-
Nous avions beaucoup à manger, mais la nour- cours rouge international, la ligue contre l’im-
riture qu’on nous donnait n’était pas adaptée périalisme…48, sur lesquels le pouvoir colonial
au régime alimentaire de chez nous : haricots devait veiller. Ce dernier a dû s’organiser de
très secs, petits pois, beaucoup de « Kakontwe façon à contrecarrer leur propagande anti-co-
», farine de manioc très rarement, du riz – ra- loniale. La SEPES (Société d’Etudes Politiques,
rement aussi, viande de bœuf, arachide…, mais Economique et Sociales) fut l’un des organes
jamais de bananes ou de manioc » 47 de cette propagande. Elle avait son siège à
Anvers, en Belgique, possédait un office de
documentation, des cercles d’études, des pu-
blications occasionnelles et un bulletin pé-
riodique bimensuel, au ton violemment an-
4. Des voix se sont levées ticommuniste qui fut publié régulièrement
entre 1925 et 1940. En effet, la Sûreté belge
avait déjà remarqué, entre 1929 et 1931, l’in-
De nos jours, la dénonciation des abus de térêt des communistes belges pour le Congo
droits de l’homme s’organise autour des or- : ils s’efforçaient d’établir des alliances avec
ganisations non gouvernementales pour les les mouvements de protestation au Congo. Ils
droits de l’homme où les activistes sont très stigmatisaient l’exploitation du prolétariat,
le travail et les recrutements forcés ainsi que
d’autres brutalités coloniales. En outre, ils se
45| A.D.P., Procès-verbal de la quatrième séance du 9
juillet 1928 de la Commission U.MHK.-Gouverne-
ment, C8, D13 48| Les Jeunesses Communistes de Belgique étaient
46| Témoignage de Mr Lungumbu Saidi, recueilli le une filiale de l’Internationale Communiste des Jeu-
14 avril 1973 nes (SRI), Le Secours Rouge International était une
organisation philanthropique révolutionnaire, La
47| Témoignage de Bwana Muzuri Samilondo re- Ligue contre l’Impérialisme regroupait des com-
cueilli par Kekambezi Kyelu à Shabunda (Sud munistes et sympathisants ainsi que d’autres
Kivu) le 23 janvier 1973 adversaires du colonialisme

26
27

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
proposaient de mener une campagne contre Fiévez, Commissaire du District de l’Equateur :
les recrutements forcés et de soutenir et ca-
naliser tous les mouvements d’opposition qui « En juin 1895, à Ikoko, une fillette mutilée
pourraient surgir parmi les noirs mécontents avait été retrouvée par des travailleurs, cou-
du sort que leur imposait le régime colonial.49 chée près du cadavre de sa mère assassinée par
La Sûreté belge avait même intercepté une des soldats. Elle était à peine âgée de deux ans
lettre adressée à Simon Kimbangu, le prison- et demi. Clarck la transporta chez le docteur
nier- martyr noir, par la section belge du se- Reusens à Irebu. Ce dernier l’opéra, mais elle
cours rouge international.50 mourût quelques mois plus tard. » 51

Leurs récits furent tellement poignants qu’ils Les réactions ne se sont pas fait attendre.
n’ont pas manqué d’attirer l’attention de cer- Daniel Vangroeweghe rapporte que le Gou-
tains cœurs sensibles à l’exemple de la lettre verneur général chargea un juge de mener
Joseph Clark repris ci-dessous adressée à Léon une enquête suite aux accusations du mis-
sionnaire… Cette enquête menait à la conclu-
sion suivante : il ne s’agissait pas d’un acte
49| Archives Régionales du Shaba, Dossier de la Sûre-
té : Rapport sur de la SEPES, DS III : « Rapport sur la d’une bande armée, qui aurait agi sur ordre,
situation coloniale, élaboré par le Comité Exécutif
du SRI
51| Archives de American Baptist Missionnary
50| Idem : Dossier La section belge du SRI à Simon Union, lettres de Joseph Clark, extrait repris par
Kimbangu, Bruxelles, le 1er décembre 1930 VANGROENWEGHE, D., op. cit., p. 59
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

mais d’un méfait perpétré par un seul indi- Le récit qui suit démontre comment les agents
vidu. Suite à cela, le soldat Basusu du poste de coloniaux usaient du mensonge et dissimu-
Bikoro comparut devant le tribunal et s’enten- laient la réalité :
dit condamné à cinq ans d’emprisonnement.
Il avoua les faits et affirma avoir malmené la «En décembre 1904, pendant le séjour de la
fillette par vengeance envers son père. 52 commission d’enquête à Baringa, les membres
de ladite commission voulurent se détendre en
Certains milieux influents ainsi que des in- désirant visiter un villageindigène, mais les
tellectuels réclamèrent le changement de agents de l’ABIR affirmaient que ce serait cou-
politique coloniale, à l’instar de Grenfell53 qui rir un certain danger et qu’il faudrait une bon-
proposa, en août 1903 au gouverneur général ne escorte armée. Les membres de la commis-
de réformer le système inhumain des impôts sion demandèrent l’avis de Harris, pour lequel
indigènes. il n’y a aucune crainte à avoir, et finalement,
seuls deux agents de police accompagnèrent
L’observation de P. Ryckmans mérite égale- la commission durant la visite d’un village.
ment d’être signalée : Les villageois ont revêtu leurs beaux habits et
leurs chaînes dorées étincellaient au soleil. A
« Il faut s’apitoyer sur le sort des pauvres in- son retour, la commission était suivie par une
digènes sacrifiés malgré eux à une guerre de centaine d’indigènes enthousiastes, qui lui ap-
Blancs qui ne les concerne pas, exploités à fond portèrent des fruits, des légumes, des oies, des
pour alimenter la bataille sans souci de dé- lances et d’autres cadeaux ; l’uniforme blanc
veloppement moral et social du bien-être, de que portaient les membres de la commission
civilisation remise à de problématiques lende- tait couvert de poudre rouge du ngola. » 55
mains » 54

Conclusion
5. Réponse aux accusations : justice
mal rendue, laxisme et usage du men-
songe Nous assistons aujourd’hui à un redéploie-
ment des activistes des droits de l’homme,
travaillant, collaborant ou militant au sein
Plusieurs commissions avaient été envoyées des organisations non gouvernementales
à l’E.I.C. pour enquêter sur les abus du caout- pour les droits de l’homme. La préoccupation
chouc. Ces abus furent même dénommés « humanitaire sur les droits du citoyen est un
du sang sur les lianes » et parfois représentés phénomène très ancien ; aucune époque n’y a
par des noirs avec des mains coupées. Comme échappé. Le Congo colonial a par ailleurs en-
nous venons de le voir ci-dessus, les autori- registré des faits et circonstances ayant abou-
tés coloniales acceptèrent que les personnes ti à des abus des droits de l’homme. Plusieurs
incriminées comparaissent devant les tribu- témoignages et des rapports ont été produits
naux. Malheureusement, laxisme et menson- à ce sujet.
ge accompagnèrent ces jugements ; dans la
plupart des cas, le jugement était mal rendu. Comme l’a mentionné plus haut Jan Vansina,
la violence était la norme parce les coloniaux
avaient conquis un pays gigantesque sans
52| Idem, p.61 moyens financiers pour l’organiser et pour
53| GRENFELL., G., « Travels of the SS . Peace on the l’exploiter. Ces moyens, c’était les indigènes
Congo and affluents”, Journal of the Manchester eux-mêmes qui devaient les produire par leur
Geographical Society, 1886
54| RYCKMANS, P. (1945), Messages de guerre, Maison
Ferdinand Lacier, Bruxelles, p. 172 55| VANGROENWEGHE, D., op. cit., p. 129

28
29

travail. Aucune collaboration, et tout particu- Bibliographie


lièrement au début, n’avait été souhaitée, pas
même avec les chefs indigènes.
CATTIER, F., (1906), Etude de la situation de l’E.I.C.,
Parmi tant d’autres, les faits suivants ont fa- Bruxelles.
vorisé les abus des droits de l’homme : l’im-
position des cultures obligatoires et la livrai- DIBWE dia Mwembu, «La peine de fouet au Congo
son obligatoire de certains produits agricoles, Belge (1885-1960)», Les cahiers de Tunisie, tom XXXIV

Dr. César Nkuku Khonde | Droits de l’homme au Congo colonial : exposé et analyse de quelques faits et témoignages des abus
l’institution de travaux forcés, la mise en (1986) 135-136.
valeur de la colonie, les guerres, l’emploi, etc.
Ces circonstances ont conduit à des expédi- DIBWE dia Mwembu, (2001), Histoire des conditions
tions punitives, à l’usage de la torture, à des de vie des travailleurs de l’Union Minière du Haut-
exécutions sommaires. Hommes, femmes et Katan,ga / GECAMINES (1910-1999), Presses Universi-
enfants, personne n’échappa à la violence. On taires de Lubumbashi, Lubumbashi.
comptabilisa auprès des populations africai-
nes des humiliations, des atteintes à l’amour HULSTAERT, G, «Le voyage au Congo d’un officier da-
propre, des injustices sociales et la restriction nois », Enquête et documents d’histoire africaine, 4
des libertés. (1980).

À la base d’une mortalité élevée, ces atrocités KANKU Bona-Mmudipanu, «Les Communistes bel-
ont facilité l’extension et la diversification de ges face au problème de la révolution au Congo Belge
la morbidité, le dépeuplement de certaines (1929-1931) : quelques documents inédits», Likunduli
contrées. Ces conséquences n’ont pas man- – Enquêtes d’Histoire Zaïroise, 1 (1972-1973).
qué d’attirer l’attention de certains milieux
influents, des opposants au colonialisme et KISONGA Kasyulwe et NKUKU Khonde, «Problémati-
d’autres cœurs sensibles, qui ont conduit pro- que de stabilisation d’une population rurale flottante :
gressivement à l’amélioration de la situation, l’expérience coloniale belge à Sakania (R.D.C)», Likun-
surtout après la deuxième guerre mondiale, doli, Enquêtes d’histoire congolaise, número especial,
bien que le laxisme et l’injustice voire l’usa- 2003.
ge du mensonge soient restés présents dans
l’administration judiciaire et dans la plupart NEYSSE,Th , (1924), Le régime du travail au Congo Bel-
des milieux coloniaux du Congo. ge, Goemaers, Bruxelles.

NKUKU Khonde, «Evolution de l’État d’esprit de la po-


pulation et transformation des relations sociales et
de rôle politico-communautaire au Congo Kinshasa»,
Likundoli, Histoire et Devenir, 9 (1998) 1-2.

TSHIMANGA Kabet Musas, «Transformations internes


dans les colonies africaines pendant la seconde guerre
mondiale», Bulletin du Centre d’Exécution des Problè-
mes Sociaux et Economiques, CEPSE, núm. 114-115 (1976).

VANGROENWEGHE, Daniel, (1986), Du sang sur les lia-


nes : Léopold et son Congo, Didier Hatier, Bruxelles.

YOGOLELO Tambwe ya Kisimba, «Recrutement des


travailleurs de l’Union Minière du Haut-Katanga
au Kivu-Maniema de 1926-1928 », Bulletin du Centre
d’Exécution des Problèmes Sociaux et Economiques,
CEPSE, núm. 114-115 (1976).
30
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État
31

La République
Démocratique
du Congo
postcoloniale :
du scandale
géologique
au scandale
des guerres à
répétition
Mbuyi Kabunda
Professeur à l’Institut International des Droits
de l’Homme de Strasbourg

Directeur de l’Observatoire d’Études sur les


Réalités Sociales Africaines de l’Université
Autonome de Madrid - Fondation Charles
d’Anvers de Madrid
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Introduction La dénommée “crise du Congo” (née d’un


changement exceptionnellement rapide et
brutal) a été le parfait prétexte pour imposer
Le 30 juin 1960, le Congo accède à l’indépen- un État centralisé et autoritaire pendant plus
dance en pleine euphorie. Ce pays que l’ex- de trente ans, aux mains du général Joseph-
plorateur Henry Morton Stanley a qualifié Désiré Mobutu (devenu par la suite maré-
de “scandale géologique ” et auquel plus d’un chal Mobutu Sese Seko), considéré en pleine
analyste a prédit un avenir meilleur en raison guerre froide par l’Occident comme l’homme
de ses ressources naturelles considérables et fort nécessaire pour la stabilité et l’unité, des
enviables, de sa position stratégique au cœur aspects dont le capital international et péri-
de l’Afrique et de sa population caractérisée phérique avait besoin pour l’exploitation du
par une riche diversité culturelle, s’est effon- pays.
dré quelques semaines après avoir obtenu
la souveraineté nationale et internationale. Le système Mobutu, basé sur la cleptocratie,
Actuellement, en raison du mauvais gouver- le népotisme et la répression2, a été si désas-
nement et de la gestion catastrophique, de treux qu’il a non seulement fini par ruiner le
l’effarant marasme économique, des guerres pays pendant son exceptionnelle longévité,
et des pillages, par les pays voisins et par les mais qu’il est aussi tombé, par son désir de
Congolais eux-mêmes, le Congo présente ce s’accrocher au pouvoir, dans l’inédite capacité
contraste : un pays potentiellement très riche de destruction et d’autodestruction en créant
avec une des populations les plus pauvres du les bases de sa chute et le bouillon de culture
monde. à l’invasion du Congo par les pays voisins
agressés pendant des dizaines d’années par le
Le manque de préparation de cadres compé- régime de Mobutu, dans son rôle de sous-im-
tents pour prendre la relève de la colonisation périalisme de relève ou de pompier pyromane,
belge — qui en vue de se perpétuer a favorisé en encourageant les ethnocides contre les eth-
la création d’associations culturelles ou eth- nies favorables à l’opposition pour discréditer
niques au détriment de véritables partis po- le processus de démocratisation, comme cela
litiques1 avec des devises du type “pas d’éli- s’est produit au Katanga et au Kivu au début
tes, pas de problèmes”, “ventres pleins, noirs des années 90. Selon Braeckman3, il a ressus-
contents”—, qui a eu la spécificité d’être une cité les vieux fantômes séparatistes du début
colonisation privée et paternaliste aux mains des années 60 et a créé le chaos dans son pro-
des entreprises et de l’église ; le processus de pre pays et dans les pays voisins, dans le but de
décolonisation chaotique mené à terme dans conserver le pouvoir et de se présenter devant
la précipitation totale ; le bicéphalisme inadé- l’opinion internationale comme la seule voie
quat du pouvoir exécutif calqué sur le systè- de salut.
me politique belge avec la Loi fondamentale
imposée comme Constitution, au mépris total
2| Le mandataire congolais a instauré un pouvoir
des réalités locales ; la prolifération des forces inspiré de l’autorité coloniale, en particulier du
centrifuges armées agressives, instrumenta- système de Léopold II avec le culte à la personna-
lisées de l’extérieur ou par les leaders locaux, lité, à l’image des régimes communistes, de type
la division de la classe politique congolaise coréen, en plus de la récupération déformée de
l’autorité traditionnelle. Le tout par l’institution
entre les partisans du modèle d’État centra- du parti unique, le Mouvement Populaire de la
lisé et ceux du fédéralisme, entre les modérés Révolution (MPR), de l’idéologie de l’Authenticité
pro-occidentaux et les nationalistes radicaux, africaine basée sur un faux nationalisme politi-
sont les facteurs qui expliquent l’effondre- que et économique. Cf. WILLAME, J.-C., L´automne
d´un despotisme. Pouvoir, argent et obéissance
ment.
dans le Zaïre des années quatre-vingt, Karthala,
Paris, 1992, p. 13-38.
3| BRAECKMAN, C., Les nouveaux prédateurs. Politi-
1| Ils n’ont été autorisés qu’à partir de 1959, soit que des puissances en Afrique centrale (édition re-
quelques mois avant que le pays n’obtienne son vue et élargie), Les éditions Aden, Bruxelles, 2009,
indépendance. p. 62.

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Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition

Dans les cinquante dernières années, comme La présente analyse se propose d’étudier les
le précise le professeur Benoît Verhaegen4, le conflits armés successifs qui ont caractérisé
Congo a été et est encore la scène des guerres l’histoire de ce pays pendant cette période, en
civiles, des crises politiques (également écono- mettant l’accent sur leurs motivations (sou-
miques, sociales et intellectuelles), des inva- vent inavouées), leurs conséquences et les
sions et des occupations par les troupes étran- principaux acteurs directs et indirects. Il s’agit
gères, entraînant l’appauvrissement de vastes des sécessions des provinces du Katanga et
couches de la population. du Sud-Kasaï (1960-1963), des rébellions pay-
sannes marxistes-lumumbistes (1963-1964),
des dénommées guerres du Shaba (1977-1978)
4| VERHAEGEN, B., “Principes et pratiques de
l´Histoire immédiate en Afrique”, in Le Zaïre à
avant de s’étendre sur les conflits des années
l´épreuve de l´histoire immédiate (dir. : Jean Ts- 90 et 2000.
honda Omasombo), Karthala, Paris, 1993, p. 293.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

1. Le fond des conflits de la RDC, de restres, qui rend impossible la défense du


l’indépendance à nos jours territoire national ;

• L’effondrement de la principale industrie


Tous ces conflits de la RDC ont de profondes ra- d’extraction minière, la GECAMINES6, en rai-
cines historiques et actuelles comme : son du règne de la prédation et de la corrup-
tion instaurées par le régime de Mobutu qui
• La construction par la colonisation belge a asphyxié la poule aux œufs d’or ;
d’une supposée “supériorité” de certaines
ethnies sur d’autres dans toute la région des • La prise du pouvoir par les armes de l’AFDL
Grands Lacs, exacerbant les différences racia- (Alliance des Forces Démocratiques de Libé-
les et les haines ethniques entre les Balubas ration du Congo), de L. D. Kabila, avec le sou-
et les Luluas au Kasaï, entre les habitants tien de troupes rwandaises et ougandaises,
du Kasaï et les natifs du Katanga, entre les en échange du pillage des richesses de la par-
Bakongos et les Bangalas au Bas Congo, ou tie orientale de la RDC (or, diamants et sur-
entre les membres des groupes hutu et tutsi tout le coltan) ;
au Rwanda voisin ;
• La transition démocratique du début des an-
• La politique maladroite de décolonisation nées 2000, dirigée par des personnes impli-
qui n’a pas préparé de cadres compétents quées dans des crimes de guerre et de lèse-
pour administrer ce sous-continent, une ma- humanité, caractérisée par de “hauts niveaux
ladresse qui s’explique aussi par l’irresponsa- de violence physique et structurelle”7.
bilité des classes gouvernantes congolaises ;
En définitive, la combinaison de tous ces fac-
• La manipulation des forces centrifuges, à la teurs a créé le bouillon de culture de la dépréda-
fois par l’ancienne métropole et par les puis- tion de cet immense et riche pays par les pays
sances de l’époque de la guerre froide, pour voisins au cours des dix dernières années. Ils
contrôler les ressources naturelles de ce pays ont également été utilisés par les mouvements
convoitées et se servir de son exceptionnelle de rébellion de ces pays : l’Union Nationale pour
position stratégique au centre de l’Afrique ; l’Indépendance Totale de l’Angola (UNITA) ; les
ex-Forces Armées Rwandaises (FAR) et les inte-
• Le néocolonialisme occidental instauré pen- rahamwes du Rwanda ; les Forces de Défense
dant la longue dictature de Mobutu et son de la Démocratie (FDD) du Burundi ; l’Armée de
rôle de “gendarme de l’Occident” avec l’inter- Libération du Seigneur (LRA), l’Alliance des For-
ventionnisme conséquent dans les pays voi- ces Démocratiques (ADF) et l’Armée Nationale
sins, créant plus tard des effets boomerang5 ;
6| Cette entreprise gouvernementale, héritière de
• La décomposition de l’État dans les années
la multinationale belgo-canadienne, l’Union Mi-
90, la disparition de l’autorité de l’État dans nière du Haut Katanga (UMHK, selon son sigle
de vastes régions du territoire national et la français) a été longtemps la vache à lait de l’éco-
désorganisation de l’Armée zaïroise, encline nomie congolaise. Depuis 2006, elle est en voie de
à la corruption ; restructuration et de privatisation avec le renvoi
conséquent de quelque 10 500 employés (près
de la moitié du personnel), ce qui implique une
• La détérioration des infrastructures de trans- augmentation des tensions politiques, sociales et
port, en particulier des communications ter- ethniques au Katanga qui pourraient déboucher
sur de futurs conflits entre “autochtones” et “al-
lochtones ou immigrants”.
5| La chute du mobutisme, en partie en raison de 7| VLASSENROOT, K et RAEYMAEKERS, T., “Le retour
l’influence croissante des pays voisins, a modifié du léopard ? Patrimonialisme et crise post-transi-
la tendance des décennies précédentes au cours tion en République Démocratique du Congo”, in
desquelles son gouvernement intervenait mili- Revista Académica de Relaciones Internacionales
tairement en Angola (1975), au Tchad (1984) et au nº 6, UAM-AEDRI, Madrid, p.1 (http://www.rela-
Rwanda (1990). cionesinternacionales.info), 2007

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de Libération de l’Ouganda (NALU), etc. Ils ont qui ont été appliqués dans le pays dans les an-
tous souvent utilisé le territoire d’un État ou nées 80 et qui ont eu de graves conséquences
d’un autre pour attaquer leur pays d’origine, ce comme : l’affaiblissement de l’État, l’augmen-
qui a provoqué en retour l’intervention de ces tation des problèmes de sécurité, la détério-
pays pour éliminer ces groupes qui menaçaient ration des conditions de vie de la population

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
leur sécurité, en état de violation flagrante du et la dégradation des infrastructures. On ne
Droit international. prétend pas minimiser pour cela l’importance
de la mauvaise gestion de la chose publique,
Le problème de fond, comme le souligne Pour- la criminalisation de l’État et l’instabilité éco-
tier pour expliquer les conflits des dix dernières nomique et politique interne chronique aux
années, c’est que la région des Grands Lacs et la mains du régime de Mobutu.
RDC ont toujours fonctionné comme un systè-
me fermé8. Il suffit de rompre l’équilibre fragile Pour résumer et en accord avec le professeur
entre les différents groupes ethniques dans un Ndaywell12, l’histoire de ce pays a toujours
pays pour que des effets domino se produisent été caractérisée par une succession de vio-
et que tout le système soit déstabilisé. Depuis lences : à la violence de l’État succède gé-
les années 50, les conflits au Rwanda et au Bu- néralement la violence populaire qui finit
rundi ont toujours eu des répercussions sur les par une violence armée, c’est-à-dire une si-
pays voisins. Par conséquent, la pacification de tuation de violence permanente, dont nous
la RDC passe forcément par la résolution des rappelons et analysons ci-dessous les princi-
tensions récurrentes en Ouganda, au Rwanda, paux épisodes.
au Burundi et au Congo lui-même9. Si on ajoute
à cela la convoitise des pays voisins des res-
sources naturelles de la RDC, cela nous conduit,
jusqu’à récemment, à la stabilisation des fronts
dans la région10. En cinq ans de guerre (1998- 2. Les conflits de la RDC entre 1960 et
2003), même les pays agresseurs (Rwanda, 1990
Ouganda, Burundi) ne sont pas parvenus à
neutraliser les groupes rebelles ou à arrêter les
responsables du génocide de 1994. Les Armées 2.1. Les sécessions du Katanga et du sud du Ka-
alliées ou “invitées” par le Président Kabila saï (1960-1963)
(Zimbabwe, Angola, Namibie) n’ont pas réussi
non plus à expulser les agresseurs du territoire Le 27 juillet 1960, profitant de l’intervention
congolais. des troupes belges pour protéger leurs conci-
toyens après les mutineries des soldats de
Il convient de signaler aussi le rôle négatif des l’Armée Nationale Congolaise (ANC), dans les
programmes d’ajustement structurel (PAS)11 principales villes du pays, Moïse Tshombe, le
président régional de la riche province méri-
dionale du Katanga et leader de la CONAKAT
8| POURTIER, R., « Afrique des Grands Lacs-Congo : (Confédération Nationale du Katanga), procla-
la guerre est-elle fatale ?», in Questions Interna- me l’indépendance de la province.
tionales n° 5, Paris, 2004, janvier-février, p. 32-34.
9| HUGO, J-F., La République Démocratique du Congo.
Une guerre inconnue, Michalon, Paris, 2006, p. 115.
qui a favorisé un climat social qui a été le bouillon
10| KABANDA KANA, K. A., L´interminable crise de culture du génocide. Cf. PÉRIÈS, G. et SERVENAY,
du Congo-Kinshasa. Origines et conséquences, D., Une guerre noire. Enquête sur les origines du gé-
L´Harmattan, Paris, 2005, p. 163. nocide rwandais (1959-1994), La Découverte, Paris,
2007, p. 230-244.
11| Au Rwanda, c’était à peu près la même situation :
la libéralisation du commerce, la privatisation du 12| NDAYWELL È NZIEM, I., “Du Congo des rébellions
secteur public, la suppression des subventions aux au Zaïre des pillages », in Cahiers d´Études Afri-
agriculteurs et le renvoi des fonctionnaires, des caines nº 150-152 (Disciplines et déchirures. Les
mesures imposées par le FMI et le BM ont eu des formes de la violence), Éditions de EHESS, Paris, p.
conséquences draconiennes sur le paysannat, ce 418-419.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Au Katanga, doté d’un statut spécial pendant tif étant de priver le gouvernement de Lumum-
la colonisation (la création de l’unique poste ba, accusé d’être communiste et anti-belge, des
de vice-gouverneur général dans la province recettes provenant du Katanga et de maintenir
après celui de gouverneur général siégeant à par la même occasion la province dans sa zone
Léopoldville) et avec une importante présence d’influence.
de colons belges en contact avec les régimes ra-
cistes blancs de l’Afrique australe, la sécession Les États-Unis qui agissaient par le biais de
a été financièrement et militairement soute- l’ONU, considèrent Lumumba, dans le cadre
nue par la multinationale belge chargée de de la guerre froide, comme un allié de l’Union
l’exploitation minière dans la province, la puis- soviétique, qui devait être affaibli ou éliminé,
sante Union Minière du Haut Katanga, créée en politiquement et physiquement, pour obtenir
1906. ensuite la réconciliation entre les leaders pro-
occidentaux de Léopoldville –aujourd’hui Kins-
Le gouvernement central, aux mains du tan- hasa- (le célèbre “groupe de Binza”13, détenteur
dem rival, le Président Joseph Kasavubu du véritable pouvoir et formé par Mobutu, Nen-
(conservateur et fédéraliste) et le premier mi- daka, Bomboko, Ndele et Kandolo) et ceux d’Éli-
nistre, Patrice Lumumba (nationaliste radical sabethville (capitale de la province du Katanga,
et progressiste), face à cette violation de la sou- actuellement Lubumbashi), pour un Congo uni
veraineté, procède à la rupture des relations et pro-occidental14.
diplomatiques avec la Belgique et demande à
l’ONU de rétablir l’intégrité et l’unité du pays, La France, pour élargir son pré carré de l’Afri-
en exigeant le retrait des troupes d’occupation que francophone, dans sa lutte contre les
belges. États-Unis et la Belgique, soutint les leaders
sécessionnistes en leur accordant des facilités
La sécession du Katanga qui a la sympathie des en tout genre, depuis la mise à leur disposition
puissances occidentales (Belgique, États-Unis, de mercenaires et de chasseurs bombardiers
France et même du secrétaire général de l’ONU, Fouga-Magister jusqu’au blocage des résolu-
Dag Hammarsjöld), fut la conséquence d’une tions du Conseil de sécurité contre eux.
coalition d’intérêts locaux et internationaux.
Avec l’appui des puissances externes et, en
Les colons belges, soucieux de sauvegarder particulier, celui de la Belgique, le Katanga
leurs intérêts dans la province, encouragèrent s’est doté d’un embryon d’armée (la célèbre
la création d’un nationalisme katangais sépa- Gendarmerie Katangaise), armée et entraînée
ratiste qui sert de bouillon de culture à la séces- par les “affreux” ou les mercenaires belges,
sion, en s’appuyant sur les ambitions person- français ou provenant d’Afrique du Sud ou de
nelles des élites locales auxquelles fut vendu le Rhodésie.
projet de la communauté belgo-congolaise.
Face à la passivité des Nations unies, déter-
Les leaders katangais (Moïse Tshombe, Go- minées à poursuivre des négociations infruc-
defroid Munongo et Jean-Baptiste Kibwe), tueuses avec les dirigeants katangais décidés
frustrés de ne pas avoir été nommés à des à atteindre leurs objectifs en utilisant tous les
postes importants au gouvernement central, subterfuges pour gagner du temps, Lumumba
étant donné l’importante participation de la menaça d’appeler les troupes soviétiques.
province au budget national, trouvèrent dans Cet épisode a fait passer le premier ministre
leur exclusion du gouvernement central le
prétexte parfait pour consolider leur projets
13| Qui doit son nom au fait que ses membres vi-
sécessionnistes en proposant d’abord un État
vaient ou se réunissaient dans le quartier de Bin-
fédéral avant de miser clairement pour la sé- za-Ndjelo, à Léopoldville.
cession.
14| Par conséquent, du point de vue idéologique, les
membres du gouvernement de Léopoldville et les
La Belgique a soutenu la sécession, par son “as- sécessionnistes étaient alliés, par leur anti-com-
sistance technique”, et même militaire, l’objec- munisme primaire et viscéral.

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congolais pour un allié de l’Union soviétique et moyen de pression et de chantage contre le


a donc contribué à sa diabolisation. gouvernement de Léopoldville, en particulier
contre Lumumba.
Tout le monde s’est mis d’accord pour éliminer
Lumumba, considéré comme un obstacle à la ré- La sécession du Sud-Kasaï a presque suivi la

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conciliation entre Léopoldville et Élisabethville. même trajectoire. Le 8 août 1960, presque un
La crise constitutionnelle et institutionnelle, mois après la déclaration de sécession du Ka-
avec la révocation mutuelle entre le président tanga, Albert Kalonji, — un dissident du parti
Kasavubu et le premier ministre Lumumba15, de Lumumba, le Mouvement National Congo-
a servi de prétexte à l’arrestation de ce dernier lais (MNC) —, proclame l’“État autonome et mi-
par le groupe de Binza et sa livraison, sur la dé- nier du Sud-Kasaï”, en se proclamant mulopwe
cision de Kasavubu et Mobutu16, à ses pires en- ou empereur Albert Ier.
nemis du Katanga où il a été assassiné, avec ses
collègues Mpolo et Okito, le 17 janvier 1961. Cette sécession, justifiée par la persécution des
immigrants Balubas dans d’autres provinces
L’élimination de Lumumba n’a pas servi non ou villes du pays (Luluabourg, Katanga) avec
plus à la réconciliation entre Léopoldville et Éli- leur retour massif conséquent vers leur région
sabethville. Étant à bout de patience, le Conseil d’origine, le Sud-Kasai, est née de différents fac-
de sécurité qui avait déjà ordonné l’usage de la teurs presque similaires a ceux qui ont conduit
force le 24 novembre 1961 a autorisa l’ONUC à a la sécession katangaise : le soutien de l’en-
passer à l’offensive, ce qui eut lieu entre le 5 et treprise belge, la Forminiere (Societe miniere
le 18 décembre 1962 et entre le 28 décembre et de Bakwanga), soeur de l’UMHK et chargée de
le 21 janvier 1963, pour obtenir la reddition de la l’exploitation des diamants dans la province,
province, entraînant le départ en exil de Moïse et derrière elle, les groupes financiers et poli-
Tshombe et de nombre de ses gendarmes qui tiques belges ; la collaboration des sécession-
se sont réfugiés en Angola17, alors colonie por- nistes katangais dans leur stratégie d’avoir des
tugaise, par peur des représailles. allies dans le pays, attirés par leur exemple ;
l’exclusion des leaders Balubas, Albert Kalonji
En définitive, selon la précision pertinente de et Joseph Ngalula, du gouvernement de Lu-
M´Bokolo18, l’UMHK et la Belgique ont soutenu mumba.
la sécession du Katanga pour disposer d’un
L’“opération Bakwanga”, menée à terme par
l’armée nationale, dirigée par le général par-
15| Avec la révocation mutuelle, le 5 septembre 1960, tisan de Lumumba, Victor Lundula, contre les
entre le président et le premier ministre, il a été milices balubas pour mettre fin à la sécession,
créé deux autorités dans le pays qui donnaient se termina par une véritable tragédie avec le
des ordres contradictoires.
massacre de la population civile, que certains
16| Face à la crise entre les deux mandataires, Mo- observateurs qualifièrent de “génocide des Ba-
butu est intervenu pour la neutralisation et la lubas”, ce qui provoqua l’indignation de l’opi-
création de l’ordre des commissaires généraux,
constitué par les jeunes étudiants, les apprentis, nion publique internationale.
et d’autres technocrates. Mais ce fut une étrange
neutralisation, car elle a supposé la liberté de Le Président Kasavubu profita de l’occasion,
mouvements et de déclarations de Kasavubu et dans le sens des pressions occidentales, pour
la résidence surveillée pour Lumumba.
destituer son rival, le premier ministre Lumum-
17| Pendant la colonisation portugaise, les gendar- ba, considéré comme le principal instigateur de
mes katangais, appelés “diabos” ou “tigres”, sont cette tragédie, alors qu’en réalité le responsa-
devenus des “forces spéciales”, utilisées par les
ble direct était le général Mobutu, chef d’état
colonisateurs portugais dans leur lutte contre la
guérilla des mouvements de libération angolais. major de l’armée. Cette destitution entraina la
crise politique mentionnée entre les deux per-
18| M´BOKOLO, E., “Le séparatisme katangais”, in
Au cœur de l´ethnie. Ethnie, tribalisme et État en
sonnalités. La sécession éphémère du Kasaï fut
Afrique (Jean-Loup Anselme et Elikia M´Bokolo), réprimée dans le sang, entraînant la fuite d’Al-
La Découverte, Paris, 1999, p. 220. bert Kalonji vers Élisabethville, avant d’entrer
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

au gouvernement central de Léopoldville. 2.2. Les soulèvements paysans au Kwilu-


Kwango et dans le Haut-Congo (1963-1964)
Les sécessions de ces deux provinces réinté-
grées dans l’ensemble congolais se terminè- Les partisans de Lumumba, poursuivis sur tout
rent par la voie militaire : la première par l’opé- le territoire national après l’assassinat de leur
ration militaire de l’ONU et la deuxième par leader, se regroupèrent au Congo Brazzaville19
celle de l’armée congolaise. voisin, où ils fondèrent le Conseil National de Li-
bération (CNL) chargé d’organiser la lutte armée
En définitive, les sécessions du Katanga et du
Sud-Kasaï ont été des mouvements séparatistes
19| Ils profitèrent du changement survenu dans ce
encouragés de l’extérieur pour créer ou mainte- pays, où les soulèvements populaires des 13, 14
nir les intérêts néocolonialistes économiques, et 15 août 1963 (les “Trois Glorieuses”) ont fini par
commerciaux et financiers occidentaux et bel- renverser le gouvernement conservateur de l’Ab-
ges en particulier, en tirant parti des frustrations bé Fulbert Youlou, le seul qui ait visité le Katanga
sécessionniste auquel il exprimait clairement sa
des élites locales et du système d’un État unitaire sympathie, un gouvernement remplacé par un
et centralisé qui excluait les spécificités locales. autre, de type progressiste, dirigé par le syndica-
liste, Alphonse Massamba-Débat.

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au Congo. D’autres se replièrent à Stanleyville katangais (estimés à environ 18 000 soldats)


(aujourd’hui Kisangani), devenue un véritable d’Angola et les mercenaires, pour les incorporer
fief et où ils proclamèrent la République popu- à l’Armée nationale, avec le consentement de
laire du Congo présidée par l’ex-vice-premier mi- Mobutu qui n’avait pratiquement pas d’armée,
nistre de Lumumba, Antoine Gizenga20, obtenant et organiser la contre-offensive contre la rébel-

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
d’importants appuis au Kwilu-Kwango, où Pierre lion marxiste-lumumbiste, avec d’importants
Mulele, ex-ministre de l’Éducation de Lumumba, appuis nord-américains.
Léonard Mitudidi et Thomas Mukwidi étaient en
train d’organiser une rébellion paysanne contre La désorganisation des guérilleros, comprenant
le pouvoir central, tout comme Laurent Kabila, les indisciplinés, les drogués et les frustrés qui
leader du Parti de la Révolution du Peuple (PRP) a s’attaquèrent aux classes moyennes et à la pe-
dirigé une guérilla lumumbiste dans le triangle tite bourgeoisie locale (instituteurs, infirmiers,
Fizi-Baraka-Uvira avec son fief à Hewa Bora, au petits fonctionnaires…), pour venger l’assas-
Kivu. C’est dans ce fief que L.D.K. reçut, en mars- sinat de Lumumba plus que pour mettre en
novembre 1965, la visite de Che Guevara. œuvre le projet révolutionnaire du CNL (sur le
programme du CNL, voir Martens, 1987 : p. 162-
En quelques mois, les mouvements lumumbis- 168), avec des exécutions d’une brutalité iné-
tes, soutenus financièrement et militairement dite et les propres divisions de leurs leaders21
par les pays du bloc de l’est et les pays africains entre prochinois et prosoviétiques, entre ceux
progressistes (l’Égypte, l’Algérie, le Ghana, le du front de l’est (Kivu et Stanleyville) et ceux
Mali, la Tanzanie), réussirent à contrôler de vas- de l’ouest (Kwilu-Kwango), et autres opportu-
tes territoires au Congo, en menaçant sérieuse- nistes, a entraîné le retrait de l’appui et de la
ment le pouvoir central. Partout, les guérilleros sympathie populaires de ceux qui en tiraient
“simba” (lions en swahili) ou “mayi mayi” (eau, avantage au départ.
pour transformer les balles ennemies en eau),
avec leurs fétiches traditionnels, réussirent à La prise d’otages européens, à Stanleyville, ser-
mettre en déroute les troupes gouvernemen- vit de prétexte à une “intervention humani-
tales dirigées par le général Mobutu et totale- taire”, en fait une opération militaire aéropor-
ment démotivées pour les combats. tée belgo nord-américaine (opération Dragon
Rouge ou Ommegang), constituée des merce-
Face à l’inefficacité de l’armée nationale, le Pré- naires blancs et des gendarmes katangais, sur
sident Kasavubu, sous les pressions occidenta- Stanleyville et Paulis, le 24 novembre 1964, avec
les et avec l’approbation du groupe de Binza, des massacres indiscriminés de la population
dut appeler Tshombe, qui revint de son exil civile, en représailles.
madrilène pour former le gouvernement de
“salut public”, avec la mission de mettre fin à la Tshombe, alors leader de la CONACO (Conven-
situation économique catastrophique du pays tion Nationale Congolaise) sort renforcé de ces
et à la rébellion armée de différents territoires succès économiques et militaires au point qu’il
du pays. obtint la majorité absolue aux élections législa-
tives du printemps 1965. Ce fut donc une sérieu-
Le nouveau premier ministre (juillet 1964-1965) se menace pour le Président Kasavubu en vue
et ex-leader sécessionniste, appelé “M. Tiroir- des élections présidentielles annoncées pour le
caisse”, parce qu’il maniait beaucoup d’argent mois de mars 1966. Il a donc pris les devants, en
pendant la sécession du Katanga, Tshombe a s’appuyant sur le groupe de Binza pour desti-
considérablement amélioré la situation éco- tuer son premier ministre en octobre 1965 sous
nomique du pays et appelé ses gendarmes prétexte qu’il avait bien rempli la mission pour
laquelle il avait été nommé à ce poste. C’est ain-

20| Deux républiques ont ainsi été créées au Congo : la


République du Congo-Léopoldville et la République 21| Parmi eux : Antoine Gizenga, Christophe Gbenye,
populaire du Congo, chacune avec sa capitale, son Gaston Soumialot, Thomas Kanza, Laurent Kabi-
gouvernement et sa représentation diplomatique. la, Nicolas Olenga, Antoine Mandungu Bula Nyati
Cf. NDAYWEL É NZIEM, I., op. cit., p. 420. etc.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

si que commença une nouvelle crise politique Dans le même sens, Carlo Caranci24, qui parle
dont profita le général Mobutu pour réaliser d’une “révolution sans révolutionnaires”, attri-
son coup d’État, le 24 novembre 1965, et le nou- bue son échec au manque d’orientation idéo-
veau départ en exil de Tshombe22. logique (qui se limitait à l’anticléricalisme et
à la mobilisation des masses rurales), de poli-
Les véritables raisons de l’échec de ces rébel- tique de développement clairement définie,
lions, que certains auteurs ont qualifiées de vé- de coordination entre les différentes ethnies
ritables “révolutions paysannes” ou de simples et régions, et au fait d’avoir privilégié l’activité
“révoltes paysannes” (jacqueries paysannes), militaire au lieu de la politique.
ont été : le manque de formation idéologique
des paysans, plus enclins à tuer ou à se venger
qu’à promouvoir des changements en fonction 2.3. Les guerres du Shaba (1977-78) ou les tenta-
d’un projet de société clairement défini, les di- tives de déstabilisation du régime de Mobutu
visions au sein de la direction politique, et les depuis l’Angola
ambitions personnelles de certains de leurs
leaders, comme Christophe Gbenye, soucieux Le 8 mars 1977, les “Diabos” ou “tigres” (ex-
de son prestige personnel et de sa promotion gendarmes katangais) du Front de Libération
individuelle au détriment de ses collègues et Nationale du Congo (FLNC), fortement armés
du programme politique du CNL, et le caractère et dirigés par le général Nathanaël Bumba, sor-
extrêmement agressif de l’impérialisme dans tent de leur refuge angolais pour occuper tout
sa détermination de sauvegarder le régime né- le sud de la province du Shaba (Katanga) ou les
ocolonialiste de Léopoldville. Martens23 pense localités de Dilolo, Kasaji, Kapanga, Sandoa et
que la révolution a été écrasée par la supériorité Mutshatsha jusqu’aux abords de la ville mi-
militaire des troupes belges et des mercenaires nière de Kolwezi, sans rencontrer aucune résis-
(avec des avions de combat et des armes mo- tance de la part de l’armée de Mobutu.
dernes), et que les propres erreurs des chefs et
des soldats révolutionnaires (sans stratégies de Cette guerre, connue sous le nom de “guerre
guerre de guérillas ou de tactiques appropriées des 80 jours” ou “Shaba I”, a été une réponse du
et armés de flèches, de lances et de fétiches), gouvernement d’Agostinho Neto (Angola) qui,
l’ont privée du soutien du peuple. face à l’appui fourni par le régime de Mobutu
aux mouvements rebelles angolais (FLNA et
UNITA pro-occidentaux), dans leur lutte contre
le MPLA, a décidé de lui rendre la monnaie de
22| La véritable raison du coup d’État était d’empê-
cher la victoire prévisible de Tshombe aux élec- sa pièce en armant les gendarmes katangais du
tions présidentielles, qui préoccupait le groupe de FLNC et en encourageant l’invasion de la pro-
Binza. En fait, profitant du soulèvement des gen- vince du Shaba-Katanga.
darmes katangais incorporés à l’armée nationale
et mécontents de l’élimination politique de leur
L’Occident a opté pour sauver le pouvoir de
leader du gouvernement central et du coup d’État
de Mobutu, ses troupes, soutenues par les merce- Mobutu25, en particulier la France qui a réussi
naires, ont procédé à leur élimination totale avec
l’exécution de leurs chefs, pendant l’été 1966,
comme les colonels Chimpola et Nawej. Les sur- 24| CARANCI, C., “Congo: el difícil camino de la inde-
vivants ont réussi à fuir en Angola et au Rwanda. pendencia”, in Historia Universal, tome 28, Edito-
Il y a donc eu des attaques en septembre 1967, rial 16, Madrid, 1985, p. 78.
au Katanga et au Kivu, à partir de l’Angola (sous
occupation portugaise) et du Rwanda (sous le 25| Le gouvernement mobutiste a présenté cette in-
mandat de Grégoire Kayibanda) respectivement, vasion comme une agression soutenue par les
par les mercenaires du Français, Bob Denard et du troupes angolaises, cubaines et soviétiques, dans
Belge, Jean Schramme, que l’armée congolaise, le cadre de l’offensive du communisme interna-
restructurée et motivée, a réussi à expulser du tional. C’est pourquoi, il a été prouvé par la suite
territoire national. que les cadavres des Européens entassés dans une
villa de la ville où s’étaient réunies les victimes
23| MARTENS, L., La voie de Patrice Lumumba et pour se protéger, était l’œuvre de militaires de
Pierre Mulele. L’insurrection populaire au Congo- l’armée mobutiste et non des “envahisseurs ka-
Kinshasa. 1960-1968 (mimeo), SF, p. 9. tangais” auxquels le gouvernement l’a attribuée

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41

à mobiliser les troupes des pays francophones Les parachutistes du 2e REP (Deuxième Régi-
(Sénégal, Gabon, Cameroun…) dirigés par le ment Étranger de Parachutistes, dont le quar-
Maroc, pour expulser les gendarmes katangais, tier général se trouve à Bastia), dirigés par le
présentés par ce pouvoir, sans preuve, comme colonel Erulin, sautent directement le 19 mai
au service de l’invasion armée propulsée par les sur Kolwezi pour libérer les otages européens

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troupes soviéto-cubaines à partir de l’Angola. aux mains des guérilleros du FLNC et aussi
maintenir Mobutu au pouvoir29. De son côté,
Le 13 mai 1978, la scène précédente s’est repro- le corps expéditionnaire marocain dirigé par
duite. Les gendarmes katangais, évitant l’im- le colonel Loubaris resta deux ans de plus
portant dispositif militaire de l’armée congo- pour la consolidation de la paix. Pendant
laise à la frontière avec l’Angola, au sud du les deux épisodes, les gendarmes katangais
Katanga, et passant par la localité de Mukunga, procédèrent à l’exécution de certains alloch-
à l’extrême nord de la Zambie et à la frontière tones (considérés comme “collaborationnis-
entre les trois pays, assiègent par surprise la tes”) et des dignitaires du régime mobutiste
ville minière de Kolwezi, initialement infiltrée, dans la ville, surpris par la rapidité de l’atta-
entraînant la déroute de l’armée de Mobutu26. que. De même, la répression, par les militai-
L’objectif était de détruire les industries miniè- res mobutistes qui se sont conduits comme
res de cette ville qui constituait la vache à lait une armée d’occupation, contre les peuples
du régime, et donc de le renverser. La guerre, de la province a été brutale, en particulier
connue sous le nom de “Shaba II”, a duré 6 contre les Lundas.
jours, car la France27 et le Maroc28 sont à nou-
veau intervenus. Les guerres du Shaba, en cette occasion utili-
sées par les forces progressistes, tentent de
mettre un terme à la dictature de Mobutu, à
officiellement. L’objectif était, face à la réticence partir du particularisme katangais, cette fois
de l’Administration Carter et du gouvernement avec un objectif national et non sécessionnis-
belge, d’obtenir l’intervention des troupes occi- te, en récupérant la même stratégie que celle
dentales et, du même coup, de sauver le régime.
qui a permis la victoire des forces conservatri-
26| Le manque de motivation de l’armée pour com- ces ayant dominé la vie politique du pays en-
battre s’explique par la concentration par le ré- tre 1960 et 1963, en cette occasion par les forces
gime de toutes les armes sophistiquées et de tous
les avantages matériels sur la Division Spéciale progressistes30.
Présidentielle (DSP), des troupes d’élite formées
par les militaires provenant du clan et de la ré- Ces guerres ont d’importantes conséquen-
gion de Mobutu, les seuls à jouir de sa confian- ces : elles montrèrent la faiblesse du régi-
ce et chargés de sa sécurité. En fait, la purge de
me autoritaire de Mobutu ; son apparente
l’armée en 1976, après le célèbre “coup monté et
manqué” des officiels originaires des provinces ouverture politique sous la pression de ses
du Bandundu, du Kasaï et du Shaba-Katanga, a alliés occidentaux31 ; la naissance de mou-
privé l’armée de ses valeureux éléments formés
dans les meilleures écoles de guerre.
27| Cette intervention a été précédée par une allocu- 29| Les troupes belges se sont limitées à évacuer leurs
tion télévisée dans laquelle le Président Valéry concitoyens et ont refusé de participer aux opé-
Giscard d´Estaing annonçait l’envoi des troupes rations de rétablissement de l’ordre pour ne pas
françaises au Congo-Zaïre, présenté comme le contribuer au renforcement du régime de Mo-
premier pays francophone du point de vue de la butu.
superficie et le deuxième du point de vue démo-
graphique et indiquait qu’il ne pouvait pas rester 30| M´BOKOLO, E, op. cit., p. 222.
indifférent, assumant le rôle de “gendarme d’Oc-
cident en Afrique”. 31| Le rétablissement du bicéphalisme, interrompu
le 26 octobre 1966 avec la destitution du général
28| Pour sa part, le roi Hassan II considérait l’invasion Léonard Mulamba comme premier ministre, et
du Shaba-Katanga comme faisant partie d’un la désignation du professeur Mpinga Kasenda au
vaste programme de déstabilisation du continent poste de chef du gouvernement (“premier com-
par le communisme international qui nécessitait missaire d´État”), la relative séparation des pou-
une réponse du monde libre et en particulier du voirs et l’élection des députés du parti (“commis-
Maroc. saires du peuple”) au suffrage universel.
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vements internes de protestation à l’image 3. Les guerres des années 90 et 2000 :


de la lettre des treize parlementaires qui guerres de nationalités, contre le mo-
défièrent la dictature en en dénonçant les butisme et de déprédation
dérives et la responsabilité dans le marasme
économique ; la rencontre à Brazzaville, avec
la médiation de Marien Ngouabi, entre les Au cours de dix dernières années, différents
Présidents Mobutu et Neto qui ont renoncé conflits se sont succédés dans le pays32 et ils ont
à appuyer leurs mouvements de déstabi- constitué la plus grande tragédie de l’humanité
lisation respectifs, ceci entraînant donc la depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
reconnaissance par Mobutu du gouverne- Leur bilan, malgré leur courte durée (entre
ment du MPLA ; la forte implantation de août 1998 et avril 2007) est de 5, 4 millions de
l’influence de la France dans le pays, à titre morts, pour la plupart civils, victimes directes
de récompense, les entreprises françaises et indirectes de la guerre. C’est-à-dire cinq fois
(Thomson-CSF, CGE, Péchiney, Pallas-Stern, le nombre de victimes du génocide du Rwanda
Castel, Bolloré) contrôlant les secteurs-clés de 1994, des victimes qui se sont produites non
de l’économie, l’intensification des rivali- seulement, en raison des violations des droits
tés néocoloniales entre la France et la Bel- de l’homme par les troupes d’invasion des pays
gique dans ce pays. Le ministre belge des voisins et les milices des seigneurs de la guerre
Affaires étrangères de l’époque, M. Van présents sur le territoire congolais, mais aussi
Eslande, l’a bien précisé quand il déclare par la misère, les famines, les maladies et la
le 20 avril 1977 : « Nous avons toujours dit destruction du tissu économique.
que la Belgique doit laisser la France tran-
quille dans les régions qui sont dans sa zone La longue dictature de Mobutu qui a entièrement
d’influence. Nous demandons à la France détruit et ruiné le pays, son refus de s’impliquer
qu’elle adopte la même attitude vis-à-vis de dans le processus de démocratisation entamé au
nous ». début des années 90 et le génocide du Rwanda de
1994, entraînant une vague de réfugiés hutus au
Les deux guerres de Moba (Moba I, décembre Kivu, l’usure du régime mobutiste et la décompo-
1984 et Moba II, janvier 1985), une ville du sition de son armée aux mains de généraux plus
nord du Shaba-Katanga, sur les bords du lac enclins à se consacrer aux affaires et aux activités
Tanganyika, sont dans la continuité des pré- illégales qu’à la défense du territoire national, et
cédentes, mais avec un impact moins impor- la remise en question de la nationalité des ba-
tant. La guérilla du PRP de Kabila, à partir de nyarwandas dans les provinces du Kivu, ont créé
la Tanzanie, a organisé des attaques sporadi- le bouillon de culture des conflits successifs33 que
ques contre l’armée de Mobutu, sans parvenir ce pays a connus dans la deuxième moitié de cet-
à inquiéter le régime qui a limité son exten- te décennie, jusqu’à nos jours.
sion jusqu’à obtenir son extinction, obligeant
Kabila à se réfugier dans les pays de l’Afrique Le professeur Gauthier De Villers34 résume
orientale, jusqu’à sa réapparition en 1996
avec la lutte régionale contre la dictature de
Mobutu. 32| Nous excluons de la présente analyse les violen-
ces et pillages sporadiques des principales villes
Au cours des treize dernières années, trois du pays par certaines unités de l’armée nationale
guerres ont eu lieu en RDC : la guerre de li- entre 1991 et 1993, les représailles contre les étu-
diants de l’université de Lubumbashi (11 et 12 mai
bération de l’AFDL (1996-1997), la dénommée 1990) ou des chrétiens qui protestaient dans les
“Première guerre mondiale africaine” (1998- rues de Kinshasa (16 février 1992). Sur ces événe-
2003), et la guerre du général dissident tutsi, ments, entre autres, voir NDAYWELL É NZIEM, I.,
Laurent Nkunda, (2004-2009). C’est-à-dire des op. cit., p. 427-428.
guerres dans lesquelles étaient impliqués les 33| Cf. LANOTTE, C., Guerres sans frontières en Répu-
acteurs locaux, nationaux, ceux de la région blique Démocratique du Congo, GRIP-Éditions
des Grands Lacs ou régionaux et les acteurs Complexe, Bruxelles, 2003, p. 15 et les suivantes.
internationaux. 34| Voir Le Soir du 9 septembre 1997.

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43

mieux la personne et le mandat de Mobutu, et Les extrémistes hutus de l’entourage du Pré-


sa responsabilité dans les guerres des dix der- sident Juvénal Habyarimana, refusent l’ap-
nières années quand il déclare : « sa conception plication des accords d’Arusha (août 1993) qui
personnelle du pouvoir s’est exprimée très tôt. prévoient l’instauration d’un gouvernement de
Il appartenait à ce type de self-made-man qui, à transition ouvert aux Tutsis du Front Patrioti-

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partir de rien a fini par confondre sa gloire per- que Rwandais (FPR).
sonnelle et celle de son pays (…). Ce sont surtout
les mercenaires qui ont vaincu les rébellions... En avril 1994, l’attentat contre le Président Ha-
Il n’a absolument jamais voulu bénéficier le byarimana du Rwanda sert de prétexte aux
pays avec son génie politique. Si c’était le cas, il massacres programmés et planifiés dans tout
aurait fait ce saut vers la démocratie à laquelle le pays des Tutsis et des Hutus de l’opposition
aspirait la société zaïroise ». modérée par les extrémistes hutus, les milices
interahamwes de l’ex-parti unique (MRND) et
Mobutu a éliminé, politiquement et physi- les militaires des Forces Armées Rwandaises
quement, tous ses adversaires potentiels ou (FAR).
réels pour imposer sa dictature et confisquer
le pouvoir pendant plus de trente ans : Patrice Au même moment, la guérilla du FPR, dirigée
Lumumba, Moïse Tshombe, Joseph Kasavubu, par les Tutsis et sous le commandement de
Pierre Mulele, Evariste Kimba, Alexandre Ma- Paul Kagame, envahit le Rwanda à partir de
hamba, Jérôme Anany, Emmanuel Bamba, An- l’Ouganda. Après trois mois de combats, les
dré Lubaya, Léonard Mulamba, etc. rebelles conquièrent Kigali et l’ensemble du
pays, entraînant la chute du régime hutu. Le 17
À tous ces facteurs, il convient d’ajouter la géo- juillet 1994, la formation d’un nouveau gouver-
politique et la géoéconomie de la RDC et sa nement ratifie la victoire du FPR et met fin aux
position géostratégique au cœur du continent, massacres. Néanmoins, il se produit une vague
en particulier la fragilité des structures de de déplacement des réfugiés (2 millions de Hu-
l’État congolais et la porosité de ses frontières tus), infiltrés et commandés par l’armée et les
qui l’exposent aux invasions armées des pays milices vaincues s’orientant vers les pays voi-
voisins et aussi à l’utilisation de son territoire sins, en particulier vers les camps de réfugiés
comme sanctuaire par des mouvements in- du Kivu, dans ce qui était alors le Zaïre.
surrectionnels hostiles aux régimes des pays
voisins. La communauté internationale mit en place
dans les camps de réfugiés du Kivu, entre juillet
1994 et 1996, la plus vaste opération humanitai-
3.1. La première guerre de la RDC (1996-1997) : re dans la région des Grands Lacs, en faveur des
l’extension du génocide du Rwanda et la guer- 2 millions de réfugiés hutus. La somme consa-
re régionale contre la dictature de Mobutu crée aux réfugiés pendant les deux années et
demie de l’opération est estimée à 810 millions
Ce conflit naît de l’effet domino du génocide de dollars, soit un million de dollars par jour.
du Rwanda de 1994 et de l’exportation vers ce
pays des guerres civiles et des conflits des pays En octobre 1996, éclate la rébellion des Banya-
voisins35. mulenges (Tutsis zaïrois d’origine rwandaise
installés depuis plusieurs dizaines d’années au

35| Dans le pays lui-même, la voie sans issue dans


laquelle se trouvait le processus de transition,
annoncée le 24 avril 1990, en raison des obstacles conduit à cette guerre. Cf. DE VILLERS, G. (en col-
en tout genre et du refus du Président Mobutu laboration avec Jean OMASOMBO TSHONDA), J. ,
et de ses partisans de s’impliquer dans la Confé- Zaïre. La transition manquée. 1990-1997, Cahiers
rence nationale souveraine (1990-1992), en créant Africains nº 27-28-29, Institut Africain-CEDAF
des institutions parallèles et en encourageant – L´Harmattan, Tervuren-Paris, 1997 ; NZONGO-
des révoltes militaires et populaires, et les eth- LA-NTALAJA, G. From Zaire to the Democratic
nocides organisés par le pouvoir au Katanga et Republic of the Congo, Nordska Afrikainstitutet,
au Kivu, ont été les facteurs qui ont directement Uppsala, 1998.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Kivu), dont la nationalité est remise en ques- les autres. En février, le Conseil de sécurité des
tion par le gouvernement zaïrois. Elle reçoit le Nations unies demande la fin des hostilités et le
soutien militaire du Rwanda, de l’Ouganda et retrait du territoire zaïrois de : « toutes les forces
du Burundi, et des autres opposants au régime étrangères, mercenaires compris ». Cependant,
du Président Mobutu, qui se regroupent dans les rebelles contrôlent de vastes territoires du Zaï-
l’AFDL36, dirigée par L.D. Kabila. Entre octobre et re et leurs ressources minières entraînant la si-
décembre, l’AFDL, avec le soutien militaire du gnature de contrats entre l’AFDL et les entreprises
Rwanda, détruit les camps de réfugiés rwan- étrangères en échange des fonds dont elle avait
dais infiltrés par les ex-FAR et les milices inte- besoin pour financer sa guerre de libération. Les
rahamwes, responsables du génocide de 1994, médiations des États-Unis et de l’Afrique du sud
ce qui donne lieu à une nouvelle catastrophe pour trouver une transition pacifique échouè-
humanitaire37. rent. Kabila, sûr de ses alliances externes (Rwan-
da, Ouganda, Burundi et Angola) et conscient
Au début de 1997, la guerre continue sans aucune de l’effondrement de l’armée de Mobutu, refuse
résistance de la part des Forces Armées Zaïroises le cessez-le-feu et exprime sa détermination de
(FAZ) avec la chute des provinces les unes après conquérir Kinshasa. Au mois de mai 1997, Mo-
butu fuit en exil après trente deux ans de pouvoir
dictatorial (et meurt à Rabat au mois de septem-
36| Les Tutsis congolais ou “les autochtones rwando- bre). L.-D. Kabila se proclame Président de la RDC.
phones du Congo”, les Banyamulenges, consti-
Cette guerre a fait des milliers de morts.
tuèrent le gros des troupes de l’AFDL, créée le 18
octobre 1996 dans le bureau du colonel James Ka-
barebe, à Kigali, pour exiger la reconnaissance de Un facteur à ne pas perdre de vue et que sou-
leur nationalité congolaise et pour répondre aux ligne Gauthier De Villers, c’est que « Kabila n’a
attaques dont ils ont été victimes sur leurs terres pas pris le pouvoir, mais a été placé au pou-
fertiles du Masisi, de la part des ethnies originai-
res du Kivu auxquelles se sont jointes les ex-FAR voir » par les pays voisins, en particulier par
et les milices interahamwes, entre juillet 1994 et le Rwanda38. Cette donnée est fondamentale,
juillet 1996, et face à la décision de les expulser du car, non seulement elle explique la confisca-
territoire congolais, prise par le gouvernement de tion de l’appareil de l’État par les Rwandais et
Mobutu. Par crainte que le Masisi ne devienne un
les Tutsis congolais, mais elle conduira aussi à
hutuland et que le génocide du Rwanda ne se re-
produise au Kivu, ils ont décidé de s’armer pour se la deuxième guerre. En effet, Kabila considéré
défendre. Kabila a récupéré le mouvement, cette comme peu fiable par ses alliés, a été soumis
fois, dans le but de renverser le régime de Mobutu. à une étroite surveillance par les Rwandais et
37| Face à l’incompétence de la communauté interna- les Ougandais qui projetaient de le remplacer à
tionale pour séparer dans ces camps (maintenus la première occasion par Déogratias Bugera, un
grâce à l’aide humanitaire des ONG internationa- Tutsi du Masisi, au Nord-Kivu, et secrétaire gé-
les) les véritables réfugiés des génocides, l’AFDL, néral de l’AFDL39. Kabila s’en est rendu compte
avec la collaboration du Rwanda, envahit ces
camps pour poursuivre les milices extrémistes
hutues qui menaçaient leur sécurité à partir du 38| L’AFDL, dirigée par Kabila, qui a pris le pouvoir le 17
territoire congolais. Selon Braeckman, une véri- mai 1997, était une organisation hétéroclite, sans
table armée s’est installée aux portes du Rwanda idéologie et sans programme de gouvernement
avec des incursions et des activités de commando clairement définis. Non seulement, elle a saisi
pour éliminer les témoins gênants, les survivants Kabila, mais elle l’a aussi empêché de prendre
tutsis et les autorités locales qui collaboraient les contacts nécessaires avec l’opposition interne
avec le nouveau gouvernement. BRAECKMAN, et la population qui ont créé, en raison de leur
C., “La campagne victorieuse de l´AFDL”, dans AA. longue résistance à la dictature mobutiste, des
VV. Kabila prend le pouvoir, GRP-Éditions Com- conditions internes d’affaiblissement et la chute
plexe, Bruxelles, 1998, p. 67. La partie orientale du régime de Mobutu. Sur le système instauré
de la RDC est devenue une menace, à la fois pour par Kabila, après sa prise du pouvoir, le 17 mai
Kagame (Rwanda) et pour Museveni (Ouganda). 1997, on peut consulter WILLAME, J-C., L´odyssée
Ces derniers, pour des intérêts géopolitiques ou Kabila. Trajectoire pour un Congo nouveau?, Kar-
de sécurité et économiques (les secteurs miniers thala, Paris, 1999, p. 65-75.
et agroindustriels rentables du Kivu), ont décidé
de contrôler cette région. Cf. WILLAME, J.C., “Kivu: 39| BRAECKMAN, C., Vers la deuxième indépendance
la poudrière”, in AA. VV. Kabila prend le pouvoir, du Congo, Le Cri-Afrique Éditions, Bruxelles-Kins-
GRP-Éditions Complexe, Bruxelles, 1998, p. 45. hasa, 2008, p. 78.

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45

et a voulu prendre les devants en renvoyant les interahamwes, les ex-FAR et les milices congo-
troupes rwandaises et ougandaises en juillet laises mai-mai (ou mayi-mayi), soutenues par
1998, ce qui a entraîné la deuxième guerre qui l’Angola, le Zimbabwe et plus tard par la Nami-
l’a opposé à ses alliés d’hier. bie et le Tchad ; d’autre part, les faction rebelles
congolaises, rivales entre elles, soutenues selon

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les circonstances et les intérêts changeants,
3.2. La deuxième guerre du Congo ou la « Pre- par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.
mière Guerre mondiale africaine »
Il s’est alors produit une rupture des relations
En quelques mois, comme cela a été indiqué, entre les deux anciens alliés et Kabila a été sau-
les relations entre Kabila et ses anciens alliés vé grâce à l’intervention militaire de l’Angola42
se sont détériorées. Le nouveau mandataire (pour éviter l’utilisation du territoire congolais
s’oppose à la domination de l’appareil de l’État par la guérilla de l’Unita), du Zimbabwe (inté-
par les Tutsis d’origine rwandaise. ressé par les concessions minières et la récupé-
ration du statut de leader régional par Mugabe)
À Kigali, Kampala et Bujumbura, le change- et de la Namibie (par amitié de Sam Nujoma
ment de régime de Kinshasa n’a pas signifié pour Kabila, une amitié qui date de l’époque de
la fin de l’utilisation du territoire congolais par la solidarité des mouvements de libération des
les ex-FAR, les interahamwes, les groupes anti- années 60 et 70).
Museveni et les groupes rebelles hutus burun-
dais pour attaquer respectivement le Rwanda, Les combats se sont étendus sur le territoire
l’Ouganda et le Burundi. D’où la décision de congolais produisant un début de partage du
Kagame et Museveni de changer à nouveau le pays : le gouvernement de Kabila ne contrôlait
régime de Kinshasa face aux déclarations d’in- que la moitié occidentale du pays et le reste
dépendance de Kabila40. était aux mains des mouvements rebelles. En
août 1999, un accord de cessez-le-feu a été si-
En août 1998, une nouvelle rébellion des mi- gné à Lusaka, qui demande aux forces étrangè-
litaires banyamulenges regroupés au sein du res de retirer leurs troupes et le désarmement
Regroupement Congolais pour la Démocratie des différentes rébellions du pays. Pour attein-
(RCD), déçus par le nouveau régime de Ka- dre cet objectif, le Conseil de sécurité a créé la
bila41, qu’ils ont mis au pouvoir en 1997, éclate Mission des Nations Unies au Congo (MONUC)
au Kivu. Il reçoivent le soutien du Rwanda, de qui, avec 17 600 casques bleus et un budget d’1
l’Ouganda et du Burundi et cela débouche sur milliard de dollars (3 millions de dollars par
une guerre régionale avec l’implication de sept jour), est devenue l’opération de paix la plus
pays et deux grandes coalitions sur le territoire coûteuse du monde. Mais les combats se sont
congolais : d’une part, les troupes gouverne- poursuivis, ce qui a donné lieu à une confusion
mentales de Kabila, les milices rwandaises politique et militaire avec le changement des
alliances entre le Rwanda et l’Ouganda qui se
sont affrontés dans la ville diamantifère congo-
40| La décision de Kabila de s’appuyer sur les Ba- laise de Kisangani en 1999, 2000 et 2002.
lukats, son ethnie, au détriment des Tutsis ba-
nyamulenges qui l’ont mis au pouvoir, a été En janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila a été as-
interprétée comme une volonté du nouveau man-
dataire de s’émanciper de la tutelle du Rwanda et sassiné, dans des conditions non éclaircies, et il
de l’Ouganda qui ont opté pour sa destitution ou
sa substitution. Cf. KAMBA, P., Violence politique
au Congo-Kinshasa, L´Harmattan, Paris, 2008, p.
396-397. 42| Depuis la partie orientale (Goma), les rebelles,
sous les ordres du général James Kabarebe, ont
41| Ils ont accusé Kabila de les écarter en faveur des organisé un pont aérien jusqu’à la base militaire
Katangais et surtout de n’avoir pas résolu le pro- de Kitona dans le Bas-Congo, à environ 2000 km,
blème de leur nationalité congolaise remise en l’objectif étant d’asphyxier Kinshasa, et donc de
question par les autres groupes congolais, un faire tomber Kabila, avec la coupure du courant
problème pour lequel ils ont fait la guerre qui l’a électrique provenant de la centrale hydroélectri-
conduit au pouvoir. que d’Inga.
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a été remplacé comme chef d’État par son fils, Kabila a promulgué la Constitution de transi-
Joseph Kabila, qui s’est montré moins intransi- tion qui devait se terminer par la tenue d’élec-
geant que le père en acceptant sans résistance tions législatives et présidentielles en juillet
ni remords le partage du pouvoir avec les mou- 2006, des élections “libres, transparentes et
vements rebelles et l’engagement dans le pro- démocratiques”, financées par la communauté
cessus de démocratisation. internationale à raison de 397 millions de dol-
lars. C’est-à-dire, les premières élections dans le
À la fin 2002, les troupes étrangères se sont offi- pays depuis 40 ans.
ciellement retirées de la RDC. Mais, dans la par-
tie orientale, les combats et les massacres entre Le deuxième tour qui a eu lieu le 29 octobre
les milices de lendus et Hemas en Ituri (au bord entre Joseph Kabila (58,05%) et Jean-Pierre
du lac Albert) se sont intensifiés pour le contrôle Bemba (41,95%) a donné la victoire au premier,
des terres, des conflits entretenus par le Rwan- qui avait en sa faveur le fait d’avoir négocié la
da et l’Ouganda qui, par guérillas interposées, paix et le retrait des troupes étrangères après
continuent à contrôler les ressources naturelles dix ans de guerre.
de cette partie du territoire congolais.
Le Chef de l’État élu, M. Joseph Kabila, centre son
Sous les pressions de la communauté interna- programme de gouvernement des cinq années
tionale et avec la médiation de l’Afrique du Sud, suivantes sur la reconstruction des infrastruc-
les principaux acteurs du conflit ont signé, en tures et l’amélioration des conditions sociales
avril 2003, à Sun City (Afrique du Sud), le pro- de la population. Néanmoins, des foyers de ré-
tocole de l’acte final du dialogue intercongo- sistance existent encore dans les provinces de
lais pour rétablir la souveraineté et la paix en l’Est de la RDC où les mouvements de guérillas,
RDC avec l’instauration d’un gouvernement de étrangers et congolais, sont encore actifs, ren-
transition (2002-2006) constitué par les repré- dant difficile le rétablissement de l’autorité de
sentants des principaux mouvements armés et l’État sur l’ensemble du pays.
de la société civile ou de l’opposition politique,
selon la formule de “1+4”43. Le Président Joseph Après les élections (imposées et financées par
la communauté internationale), caractérisées
par les exclusions en tout genre et les violences
43| Soit le Président Kabila et 4 vice-présidents : Yerodia
Abdoulaye Ndombassi (en représentation du gou-
vernement et chargé du secteur de la reconstruction
et du développement), Jean-Pierre Bemba (du Mou- des fondateurs du RCD qui a ensuite abandonné, et
vement de Libération du Congo – MLC – pour diriger donc sans une base réelle. C’est un espace intégré,
la commission économique et financière), Azarias selon Jean-Claude Willame, par certaines person-
Ruberwa (du Regroupement Congolais pour la Dé- nalités susceptibles de comparaître devant la justice
mocratie – RCD –, pour la commission politique), et nationale ou internationale comme criminels de
Arthur Zahidi Ngoma (représentant de l’opposition guerre, trois de ses membres provenant des mou-
non armée, auquel a été confiée la direction de la vements de rébellion. Cf. WILLAME, J.-C., Les faiseurs
commission sociale et culturelle). Cette formule s’est de paix au Congo. Gestion d´une crise internationale
révélée inefficiente, car elle a mis le pouvoir dans les dans un État sous tutelle, GRIP-Éditions Complexe,
mains des mouvements armés, responsables de la Bruxelles, 2007, p. 181. Voir aussi MWAKA BWENGE,
tragédie du pays qui, au lieu de gouverner, ont consa- A. et ATENGA, T., “Retour sur le référendum constitu-
cré l’essentiel de leur temps à passer des contrats léo- tionnel. La République Démocratique du Congo à la
nins avec les entreprises étrangères pour réunir des croisée des chemins », dans Diplomatie nº 19, Paris,
fonds dans le but de se doter de puissants appareils mars-avril 2006, p. 26. Pour résumer, des erreurs ont
électoraux en vue des élections générales, et même été commises avec la présence dans ce gouverne-
pour s’armer en vue d’une éventuelle confrontation. ment de Bemba et Ruberwa, respectivement “cin-
La formule “1+4” (“=0”), selon la rumeur publique, quièmes colonnes” d’Ouganda et du Rwanda. Ces
a signifié en fait le contrôle de 2 des 5 postes par le faits ont rendu le gouvernement de transition peu
gouvernement et un net isolement de la véritable représentatif, bien qu’il ait prétendu être incluant,
“opposition non armée” puisque l’UDPS d’Étienne et ont bloqué pendant toutes ces années la création
Tshisekedi (neutralisée, bien qu’ayant une forte re- d’une armée véritablement nationale, la recons-
présentation dans tout le pays et surtout dans les truction du pays et l’obtention de la paix dans la
deux provinces du Kasaï) a été exclue ou s’est auto- partie orientale du pays. Cf. BRAECKMAN, C., Vers la
exclue en faveur du professeur Zahidi Ngoma, un deuxième indépendance…, op. cit., p. 104-106.

46
47

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
(20 au 23 août et 7 novembre 2006, à Kinshasa, multinationales défini par l’OCDE, en RDC, il y a 4
entre les troupes des candidats), la RDC a été grandes banques (dont 3 sont belges) ; 17 petites
sauvée du partage par ses voisins. Néanmoins, entreprises minières (juniors miniers) nord-amé-
tous les problèmes qui ont conduit aux guerres ricaines, canadiennes, belges et britanniques ;
précédentes restaient intacts. 11 entreprises diamantifères belges, et plusieurs
dizaines d’entreprises peu connues installées en
Pour toutes ces raisons, le Conseil de sécurité Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. Les élections
a décidé, le 15 mai, de proroger jusqu’au 31 dé- n’ont pas résolu ce problème crucial du pillage des
cembre 2007 le mandat de la MONUC avec une ressources naturelles qui alimentent les conflits.
nouvelle mission post-électorale d’aide au gou-
vernement congolais dans l’instauration de la En définitive, la deuxième guerre du Congo a
sécurité, en particulier, la protection des civils, créé des alliances criminelles entre trafiquants
la sécurité du territoire, le désarmement et la d’armes, réseaux mafieux, entreprises privées
démobilisation des “forces négatives” ou de cel- et hauts postes publics, des pays agresseurs et
les venant des pays voisins dans les principales des pays “invités”. Tous ont collaboré en vue
zones de combats. d’atteindre un seul objectif : le pillage des res-
sources naturelles du Congo pour servir leurs
Malgré la tenue des élections, l’“économie de intérêts respectifs. Ces alliances expliquent que
guerre” s’est poursuivie, à la fois en Ituri et au tous les pays participant à ce conflit aient eu in-
Kivu, et au nord du Katanga, alimentée par la térêt à maintenir la dynamique de guerre pour
demande de matières premières stratégiques, tirer le maximum de profit du désordre ainsi
abondantes en RDC (coltan, cobalt, or, dia- créé. L’enrichissement personnel des oligarchies
mants, bois…), une économie sur laquelle la d’État des pays de la zone et des principaux ac-
communauté internationale continuait à fer- teurs directs congolais, a constitué la principale
mer les yeux. motivation de cette guerre. Les deux groupes
ont constamment entravé les initiatives de paix
Il convient de souligner que, selon le rapport des au Congo et dans la région des Grands Lacs44,
Nations unies sur l’exploitation illégale des res- pour les raisons mentionnées ci-dessus.
sources de la RDC, de 2001 et 2002, les 85 entre-
prises considérées comme ayant des activités
contraires au code de conduite des entreprises 44| KABANDA KANA, K.A., op. cit., p. 222-223.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

En ce qui concerne les fréquentes incursions tes au Congo48, il s’est plutôt consacré à dés-
du Rwanda et de l’Ouganda45 sur le territoire tabiliser en armant les deux parties du conflit
de la RDC au cours des dix dernières années, dans la province d’Ituri, les milices lendu (agri-
il convient de préciser les raisons qui condui- culteurs) et hema (bergers), en ravivant les
sent à ces interventions pour chacun de ces conflits entre les membres des deux groupes.
pays. Son attitude s’explique pour des raisons de sé-
curité, en particulier, son désir de neutraliser
En ce qui concerne le Rwanda, trois principales les mouvements rebelles qui agissent depuis
raisons prédominent : la survie elle-même du ré- le nord-est de la RDC, l’Alliance des Forces Dé-
gime du FPR qui doit intervenir au Congo pour mocratiques (ADF) et l’Armée de Résistance du
prévenir toute attaque des rebelles hutus (ex- Seigneur (LRA). De plus, l’élite politique, mili-
FAR et interahamwes intégrés dans les FDLR) à taire (et commerciale) ougandaise tentait de
partir de leur arrière-base congolaise ; l’enrichis- freiner la prédominance du Rwanda et de ses
sement de l’élite au pouvoir au Rwanda, grâce alliés congolais du RCD/Goma dans la région
au pillage des ressources naturelles, directement et de contrôler les richesses du Congo (or et
par le biais de ses troupes et par les mouvements diamants) grâce à ses liens avec des réseaux
rebelles congolais interposés ; l’allègement de commerciaux congolais ou avec des chefs de
la pression démographique (310 hab./km2) une guerre locaux. La participation de l’Ouganda
partie de sa population se maintenant dans la dans le conflit répond donc aussi à une com-
partie orientale de la RDC46. Le Rwanda a pour binaison de sécurité nationale et d’intérêts
objectif de maintenir cet excédent de population privés49.
dans les deux Kivus, composée principalement
de personnes qui étaient des enfants pendant le
génocide et qui ne peuvent pas être soumises à la 3.3. La troisième guerre du Congo (2004-2009)
justice rwandaise. C’est pourquoi, il est passé de ou le défi du Général Nkunda à la démocratie
l’occupation militaire à l’appui sur des divisions de la RDC
internes de la RDC pour maintenir et renforcer
son contrôle sur certains de ses territoires47. La troisième guerre (2004-2009), contraire-
ment aux deux précédentes, n’a eu lieu que
En ce qui concerne l’Ouganda, qui ne fait pas dans les deux Kivus, une zone riche en mine-
preuve des mêmes ambitions expansionnis- rais et en or, qui échappe en partie à l’autorité
du gouvernement congolais et où plusieurs
milices hutues rwandaises se sont réfugiées
après le génocide de 1994, de même que les
groupes paramilitaires ougandais. Néanmoins,
45| La première était ou est active dans l’exploitation
du coltan du Kivu et la deuxième dans celle de de même que pour les deux guerres précéden-
l’or et du bois d’Ituri. Les troupes des deux pays, tes, celle-ci a pour origine la crise du Rwanda
comme il est souligné, se sont même affrontées et le problème sans solution (jusque-là) de la
en territoire congolais pour le contrôle des dia- “nationalité” des rwandophones. De l’avis de
mants de la province orientale. Cf. WILLAME, J.-C.,
Les faiseurs de paix…., op. cit., p. 64-65. Tshiyembe Mwayila, ce sera la suite de l’éta-
blissement des comptes entre vainqueurs
46| Bien qu’ayant passé un accord de coopération, à la et vaincus : l’AFDL de J. Kabila50 appartenant
fin 2008 et au début 2009, avec le gouvernement
congolais, pour la lutte contre les FDLR, le Rwanda
n’a au fond aucun intérêt à ce que les rebelles hu-
tus reviennent étant donné les conditions de vie 48| L’Ouganda a adopté cette attitude moins agres-
difficiles de la majeure partie de sa population en sive, surtout après la condamnation de son oc-
raison du manque de terres, de travail, etc. C’est-à- cupation du territoire de la RDC et du pillage de
dire, l’impossibilité de réinsertion de ces combat- ses ressources par la Cour Pénale Internationale
tants. Cf. LANOTTE, C., op. cit., p.163-164. (CPI) de la Haye en 2005, avec les réparations per-
47| HUGO, J-F., La République Démocratique du Congo: tinentes.
une guerre inconnue, Éditions Michalon, Paris, 49| HUGO, J.-F., op. cit., p. 53-54.
2006, p 49- 50. Voir aussi WILLAME, J.-C., Les fai-
seurs de paix au Congo, op. cit., p. 99. 50| TSHIYEMBE, M., op. cit., p. 20.

48
49

aux premiers et Laurent Nkunda aux seconds. au 14 août 200453, et par l’adoption du fédéra-
En réalité, dans cette nouvelle guerre, entre lisme en RDC54, une proposition suspecte si on
août 2008 et janvier 2009, sur les territoires tient compte de ses affinités avec le Rwanda et
de Rutshuru et Kiwanja (au Kivu), trois princi- l’Ouganda.
paux acteurs se sont affrontés51 :

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
Avec l’adhésion au gouvernement central des
• L’armée congolaise appelée Forces Armées principaux commandants dissidents du CNDP,
de la RDC (FARDC), dont les effectifs estimés le 16 janvier 2009, Jean-Bosco Ntaganda55,
sont d’entre 100000 et 175000 soldats. Il après la décision du gouvernement congolais
s’agit d’une armée peu motivée et affaiblie de procéder, ce même mois, à la désarticula-
par le mélange de troupes provenant des dif- tion des bases des rebelles hutus des FDLR, a
férents mouvements armés ou rebelles. complètement affaibli Nkunda et entraîné sa
fuite au Rwanda. Pendant la même période,
• Les rebelles hutus rwandais des Forces Dé- deux accords importants ont été passés entre
mocratiques pour la Libération du Rwanda les gouvernements de la RDC, du Rwanda et de
(FDLR), constitués pour la plupart par les l’Ouganda. D’une part, les armées congolaise
ex-FAR, les interahamwes et les enfants nés et rwandaise, en application de l’accord signé
pendant l’exil congolais, en particulier sur les entre les deux gouvernements le 5 décembre
territoires du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. 2008, ont décidé de mener des opérations mili-
taires conjointes contre les FDLR et d’autre part,
• Les 5000 soldats, la plupart d’origine tutsie, les FARDC et l’armée ougandaise ont décidé de
du CNDP dirigé jusqu’à récemment par le mener les mêmes opérations conjointes contre
Général Nkunda qui, de 2004 à 2009, avec le les rebelles de la LRA retranchés dans le parc de
soutien du Rwanda, a infligé d’importantes la Garamba, au nord-est du Congo.
défaites aux troupes gouvernementales. Le
CNDP a servi d’avant-garde du Rwanda en Ces changements surprenants d’attitude de
territoire congolais, dans l’exploitation des ceux qui étaient jusque-là ennemis, pourraient
ressources naturelles et dans la lutte contre principalement tenir à deux raisons : les gou-
les FDLR, ou a été le responsable du “territoire
tampon”.
53| Dans ce camp de réfugiés situé au Burundi, à la
frontière avec la RDC, se sont réfugiés les Banya-
Laurent Nkunda, depuis son fief du Masisi, a mulenges, fuyant les conflits du territoire congo-
justifié sa lutte pour la défense de sa commu- lais, qui ont été assassinés par les milices du FDLR
nauté ou contre la discrimination des rwan- et mayi mayi, en créant la conviction de l’existen-
ce d’une coalition entre les autorités congolaises
dophones en général et de la minorité tutsie,
et du Kivu avec les rebelles hutus et les ethnies du
en particulier, menacée par la collaboration Kivu contre les Tutsis congolais.
du gouvernement et des groupes ethniques
54| L’objectif avoué consiste à rapprocher les différen-
congolais du Kivu avec les FDLR52, illustrée par
tes ethnies du pays et à éliminer ou réduire leurs
les massacres de Gatumba dans la nuit du 13 antagonismes. Cf. ANDREW SCOTT, S., Laurent
Nkunda et la rébellion du Kivu. Au cœur de la guer-
re congolaise, Karthala, Paris, 2008, p. 282. Le fédé-
51| Pour une information sur ces groupes, leurs ramifi- ralisme, adopté par la constitution congolaise, di-
cations, activités et stratégies, consulter SPITTAELS, vise le pays en 26 provinces qui contrôlent 40% de
S. et HILGERT, F., Cartographie des motivations der- leurs ressources, et il a été défendu, en particulier,
rière les conflits : le cas de l´Est de la RDC, IPIS-Fatal par Ruberwa, pour donner un espace d’expression
Transactions, Anvers, 2008, p. 6-15 ; FERNÁNDEZ- aux Tutsis congolais et donc la reconnaissance
PALACIOS, M.M., “Lo que pasa en el Congo oriental” de leur citoyenneté. Cf. BRAECKMAN, C., Vers la
(Ce qui se passe au Congo oriental), in Política Exte- deuxième indépendance…, op. cit., p. 105.
rior, Madrid, 2008, janvier-février, p. 156-159.
55| Avec un mandat de recherche de la Cour Pénale
52| Nkunda, fort de ses victoires politiques et mili- Internationale pour le recrutement d’enfants sol-
taires, est passé à l’étape suivante, renverser le dats et les crimes commis par ses milices, en Ituri,
gouvernement de la RDC, à l’image de l’AFDL, et quand il faisait partie de la guérilla de Thomas
refuser les contrats signés par le gouvernement Lubanga , aujourd’hui détenu par la CPI, pour cri-
congolais avec la Chine. mes de guerre.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

vernements de la zone, pour prendre les devants cières pour s’attaquer aux problèmes sociaux
sur les sanctions de la nouvelle administration de la population, dû à la mauvaise gestion des
nord-américaine de Barack Obama, hostile aux dizaines d’années précédentes et aux consé-
guerres de pillage qui au bout du compte créent quences des politiques d’austérité imposées
l’insécurité et donc le bouillon de culture du par les institutions financières internationales
terrorisme, ont décidé de créer eux-mêmes les (IFI), et surtout à l’absence d’une armée capa-
conditions pour le rétablissement de la paix dans ble de défendre le territoire national et d’impo-
la région ; les menaces de traduire les responsa- ser l’autorité de l’État.
bles des massacres devant les tribunaux interna-
tionaux avaient conduit les chefs militaires du
CNDP, impliqués dans les massacres de Kiwanja
de novembre 2008, à s’éloigner de Nkunda et se
rapprocher du gouvernement congolais avec la 4. Vérités et contrevérités sur le pillage
possibilité d’obtenir l’amnistie et l’impunité. des ressources naturelles de la RDC par
les pays voisins
De même qu’au début des années 60, le seul
obstacle à l’occupation de la partie orientale de
la RDC par le Rwanda et l’Ouganda ont été la Il ne fait aucun doute que le Rwanda et l’Ouganda
présence de la MONUC56 et les pressions inter- ont été, ces dix dernières années, les principaux
nationales sur les deux pays qui dépendaient bénéficiaires des conflits de la RDC, qui leur ont
largement de l’aide extérieure. permis de tirer profit du désordre et du pillage des
ressources du pays59. Ils ont maintenu et main-
En définitive, comme le souligne Misser et ses tiennent leur présence au Congo, directement ou
collaborateurs57, les problèmes agraires, les ri- par milices proches interposées, pour continuer
valités entre les différents groupes et les hai- à piller les ressources naturelles du Congo et dé-
nes profondes, la misère des combattants et de fendre leurs intérêts stratégiques dans la partie
leurs familles constituent les principales causes orientale de ce pays, en instrumentalisant les
des conflits de la RDC, alors que l’exploitation Tutsis congolais sous prétexte de les protéger60.
des ressources naturelles n’a servi que de com- Bien que ces pays aient retiré leurs troupes du
bustible, c’est-à-dire l’argent. Par conséquent, territoire congolais, en octobre 2002 (Rwanda) et
les ressources naturelles, sur lesquelles nous en mai 2003 (Ouganda), ils ont laissé derrière eux
reviendrons au chapitre suivant, plus qu’une des réseaux commerciaux qui leur ont permis de
cause de conflits, les alimentent pour que tous poursuivre leurs activités de pillage.
les adversaires s’en servent pour financer la
guerre ou pour augmenter leurs bénéfices. D’autres acteurs internationaux très impor-
tants ont été certaines multinationales occi-
Malgré la tenue des élections de 2007 au dentales dont les activités commerciales au
Congo, qui ont résolu le problème de la léga- Kivu ont été fondamentales dans la poursuite
lité du pouvoir et non sa légitimité, le nouveau des conflits en RDC.
pouvoir reste fragile en raison, de l’avis de
Braeckman58, du manque de ressources finan-
59| C’est le cas particulier du Rwanda, qui a retiré
56| Avec 4500 casques bleus déployés au Nord-Kivu d’importants bénéfices du pillage du coltan, de
(17600 dans tout le pays), la MONUC s’est engagée l’or et des diamants. Cf. BRAECKMAN, C., ibid, p.
à soutenir militairement l’armée congolaise, s’il le 246-249.
fallait, en plus de l’appui tactique et logistique déjà 60| Cependant, des Banyamulenges préoccupés par
fourni aux troupes de ce pays, pour faire face aux la politique ambiguë de Kigali (agressions et
attaques des bandes armées ou des pays voisins. pillage des ressources naturelles du Congo), et
57| MISSER, F. (avec la participation de Raphaël Sourt surtout parce qu’elle suscite l’hostilité des autres
et Nestor Bidadanure), op. cit., p. 21. ethnies contre eux, ont commencé à douter des
véritables intentions du Rwanda et à s’opposer
58| BRAECKMAN, C, Les nouveaux prédateurs…, op. ouvertement, même par les armes, à son hégé-
cit., p. 376 et les suivantes. monie au Kivu.

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Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
En plus des rapports successifs des experts des quées dans le commerce illégal, entre autres,
Nations unies sur l’exploitation illégale des du coltan.
ressources naturelles de la RDC, déjà mention-
nés, des rapports postérieurs d’organisations Le rapport le plus marquant est celui du
comme la sud-africaine South Africa Watch groupe d’experts des Nations unies sur
(SARW) ou la londonienne Global Witness—, l’exploitation illégale des ressources natu-
insistent sur la présence en RDC de plus de relles du Congo, du 16 avril 2001, qui a mis
deux douzaines de multinationales “prédatri- l’accent sur la façon dont les États, qu’ils
ces” (nord-américaines, belges, britanniques, soient “ennemis” ou “alliés” du gouverne-
allemandes, chinoises et rwandaises)61 impli- ment de la RDC se sont consacré au pillage
systématique et organisé de ses richesses,
en particulier des cinq ressources minérales
61| Il s’agit des entreprises suivantes : Commet
Uganda coltan trading (de Salim Saleh), Afri-
stratégiques : le coltan, les diamants, le cui-
mex (Grande-Bretagne), Armalgamated Metal vre, le cobalt et l’or. Dans ce sens, Catherine
Corp (Grande-Bretagne), Cabot Corporation tan- André62, mentionnait comment l’entreprise
talum processing (États-Unis), Cogecom coltan Ruanda Metals, contrôlée par l’armée rwan-
trading (Belgique), Euromet (Grande-Bretagne),
Finconcord SA (Suisse), Finmining (Antilles), H.C.
Starck GmbH & Co coltan processing (Allema- (Allemagne), Sogem (Belgique), Speciality Metals
gne), Kemet Electronics capacitor/manufacture Company SA (Belgique), Trademet SA (Belgique),
(États-Unis), Malaysian Smelting Cor. Coltan pro- Tinitechinternational Inc (États-Unis), Vishay
cessing (Malaisie), Nac Kazatomprom tantalum Sprague manufacture (USA/Israël), y Eagles
processing (Kazakhstan), Ningxia Non Ferrous Wings Resources coltan explotation (Rwanda).
Metals, (Chine), Pacific Ores Metals coltan trading
(Hong Kong/Chine), Raremet Speciality Metals 62| Collaboratrice de la Commission du Sénat belge
Company SA (Belgique), SLC Germany GmbH sur le pillage des ressources du Congo.
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daise, exportait quelque 1200 tonnes de col- elle-même (fonctionnaires, employés, pro-
tan —environ 80 à 100 millions de dollars ou fesseurs, étudiants…), appauvris par l’énorme
100 tonnes de coltan par mois en 2000—, ce inflation ou le non paiement de leurs salaires,
qui correspond au budget militaire du gou- à l’exploitation des diamants avant qu’ils ne
vernement rwandais pour cette année-là63. parviennent aux grands trafiquants et in-
dustriels et aux marchés internationaux, par
Quand le professeur Ernest Wambia dia Wam- les stratégies de survie quotidienne dévelop-
ba, alors président de la section dissidente du pées depuis le bas, depuis plusieurs dizaines
RCD a dénoncé l’exploitation illégale des res- d’années, face à la disparition des structures
sources naturelles de la RDC, à la fois par les na- de l’État, l’augmentation du chômage ou la
tionaux et par les étrangers, dans un contexte détérioration sociale, produisant une véri-
de disparition de l’État64, il a touché un aspect table dollarisation de l’économie. La “chasse
très important qu’on perd généralement de aux diamants”, moyennant l’exploitation
vue dans ce conflit, la participation des acteurs artisanale à grande échelle des gisements
nationaux au pillage, inauguré par Mobutu et qui s’étendent dans la savane et la forêt tro-
les dignitaires de son régime, le mandataire picale, de la frontière entre la RDC et la pro-
congolais étant devenu une des 10 plus grosses vince angolaise de Lunda Norte, où a lieu un
fortunes du monde et son peuple un des plus important trafic de diamants par les bana
pauvres de la planète. Lunda67, jusqu’à la frontière avec le Soudan et
la République centrafricaine, est devenue un
Dans le même ordre d’idées, le professeur Ste- véritable dynamisme de certaines couches de
faan Marysse65, en faisant référence au cas par- population congolaise ou de la puissante éco-
ticulier de l’Angola et du Zimbabwe, souligne nomie populaire “informelle”, pour survivre.
que ces pays ont dépensé plus que ce qu’ils ont
gagné avec l’intervention de leurs troupes au Au Katanga, en raison de la crise de la GECAMI-
Congo. NES, entre 40000 et 50000 petits trafiquants
se consacrent à l’exploitation artisanale du
En effet, ce que n’ont pas précisé tous ces rap- cuivre pour leur survie. On peut dire la même
ports (de l’ONU et des ONG internationales), chose de l’or du Nord-Kivu et de la province
c’est la participation des Congolais eux-mê- orientale ou de Kisangani, à la frontière avec
mes, depuis les membres des gouvernements l’Ouganda, exploité de manière frauduleuse et
successifs, en passant par ceux du gouverne- exporté à partir de Kampala, Kigali et Bujum-
ment de transition66 jusqu’à la population bura.

Nous faisons donc référence à un type d’exploi-


63| Cf. ANDRÉ, C., « Enquête sénatoriale belge sur le tation artisanale qui, grâce à la contrebande,
pillage au Congo : Constats et enjeux », in L´Afrique
des Grands Lacs, Annuaire 2002-2003, Centre
profite à toute une chaîne d’acteurs, locaux et
d´Études de la Région des Grands Lacs d´Afrique- surtout occidentaux68.
L´Harmattan, Anvers-Paris, 2003, p. 275.
64| Cf. WILLAME, J.-C., Les faiseurs de paix..., op. cit., p.
65. C’est aussi le point de vue du professeur Eli- Afrique Asie, avril 2006, Paris, p. 10-13.
kia M´Bokolo qui, sans nier la responsabilité des
grandes puissances, entreprises et fonctionnaires 67| Cf. DE BOECK, F., « Des chiens qui brisent leur
internationaux de l’UE et de l’ONU dans le pillage, laisse », in Cahiers Africains/Afrika Studies n° 45-
parle « de la corruption généralisée et de l’effon- 46 (Chasse au diamant au Congo/Zaïre), Institut
drement de l’État, et du pillage organisé, cette fois africain-CEDAF/Afrika Instituut-ASDOC-L’Har-
par les Congolais eux-mêmes », en particulier par mattan, Tervuren-Paris, 2000, p. 209-232.
les membres du gouvernement de transition. Voir 68| ABADIE, D., DENEAULT A., et SACHER, W., “Bal-
l’entrevue dans Afrique Asie du mois d’avril 2006, kanisation et pillage dans l`Est congolais », Le
p. 16-17. Monde diplomatique, Paris, décembre 2008, p.
65| Cf. Entrevue dans Alternatives internationales 21. Voir aussi l’étude du Netherlands Institute for
nº31, Paris, juin 2006, p. 14. Southern Africa qui parle de 50 000 à 60 000 pe-
tits exploitants qui se consacrent à l’exploitation
66| Voir ELONGUI, L., « Main basse sur le Congo », minière artisanale dans la province du Katanga.

52
53

Le récent rapport du Department for Interna- la stabilité politique et institutionnelle. Dans


tional Development (DfID) britannique montre ce pays, l’usage des armes, le pillage systé-
comment, en 2006, les exportations de cassi- matique des ressources et la destruction du
térite de la RDC ont été de 16780 tonnes bien patrimoine national sont devenus les sources
que seules 6748 tonnes apparaissent dans les d’enrichissement des uns, « les vainqueurs du

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
statistiques officielles des services douaniers conflit » : tous les groupes belligérants, congo-
du Kivu. De même, il signale que des 10 tonnes lais et étrangers, et même certaines couches
d’or exportées par la RDC en 2005, seuls appa- de la population locale et des fonctionnaires
raissent officiellement 600 kilos dans les doua- congolais, le CNDP (financé par les hommes
nes du Sud-Kivu et 9 kilos dans celles du Nord- d’affaires tutsis de Goma), retirent d’impor-
Kivu. Des réseaux de contrebande ne sont pas tants bénéfices de l’exploitation illicite des res-
nouveaux, ils datent d’avant la guerre : ainsi, sources de la RDC71. La même chose s’applique
des dizaines d’années avant la guerre, le café aux réseaux créés par les FDLR, alliées de Kins-
est exporté de façon frauduleuse vers l’Ougan- hasa, pour contrôler la production et la com-
da et le Rwanda par les hommes d’affaires du mercialisation de l’or et de la cassitérite dans
Kivu avec la complicité des fonctionnaires des les deux Kivus, avec le soutien des FARDC, ces
douanes. forces rebelles hutus touchant d’importantes
taxes sur ces minerais et facilitant leur expor-
Tout cela est résumé par Pourtier qui distingue, tation vers le Rwanda et l’Ouganda, en perce-
d’une part, l’exploitation de minerais comme vant au passage « l’impôt révolutionnaire pour
les diamants, l’or et le coltan et de l’autre, cel- la libération du Rwanda ».
le du cuivre et du cobalt. Dans le premier cas,
l’exploitation est faite à l’échelle artisanale et Kabila père avait déjà signé des contrats
en petites quantités69 par les petits trafiquants d’exploitation de ces minerais avec des en-
du Kivu et termine dans les réseaux mafieux treprises du Zimbabwe, d’Afrique du Sud,
internationaux à partir du Rwanda. Mais le de Finlande, des États-Unis et du Canada,
gros de l’exploitation des diamants et de l’or en échange des concessions minières, dans
est contrôlé par le gouvernement congolais par le but de réunir des fonds pour financer la
l’intermédiaire des entreprises d’État, la MIBA guerre. Continuant ces pratiques, le gouver-
(Mbuji Mayi) et la Société des Mines d’or de Kilo nement de transition signait des contrats
Moto (Ituri). léonins avec des entreprises étrangères pour
financer ses mouvements, comme l’a dénon-
En 2000, Leclercq70, déclarait déjà combien il cé le rapport Lutundula72 de la commission
était inaccessible et illusoire de mettre l’ex- parlementaire congolaise. Ce rapport met
ploitation à grande échelle des richesses ex- l’accent sur le fait que les élites congolai-
ceptionnelles de la RDC au service de la po- ses continuent à avoir des mentalités et des
pulation congolaise, car il manquait deux pratiques néopatrimoniales73. Pas seulement
conditions fondamentales : la paix civile et

71| Voir MISSER, F. (avec la participation de Raphaël


Et selon la même étude, le Président Joseph Ka- Sourt et Nestor Bidadanure) : 2009, « RDC : un
bila a financé son parti, le PPRD, et sa campagne pays contre lui-même » (Dossier), Afrique Asie,
électorale avec les ressources provenant de la GE- Paris, janvier 2009, p. 21.
CAMINES. Cf. Institut Néerlandais pour l’Afrique
Australe, L´ État contre le peuple. La gouvernance, 72| Cette commission, présidée par le parlementaire
l`exploitation minière et le régime transitoire en Joseph Lutundula et chargée d’examiner la va-
République Démocratique du Congo, NiZA,-Fatal lidité des contrats signés pendant les guerres de
Transactions-IPIS, Amsterdam, 2006, p.10-11. 1996-1997 et depuis 1998, considère que nombre
d’entre eux sont basés sur la corruption et le man-
69| La production annuelle d’or a atteint 5 tonnes et que total de transparence. Le rapport de la com-
celle de coltan, 1500 tonnes en 2001. mission met l’accent sur la cannibalisation du sec-
teur minier congolais par les membres et hauts
70| LERCLERCQ, H., « Le rôle économique du diamant fonctionnaires du gouvernement de transition.
dans le conflit congolais » , en Cahiers Africains/
Afrika Studies n° 45-46, op. cit., pp 71-72. 73| VLASSENROOT, K et RAEYMAEKERS, T., op. cit. p. 7
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

elles, mais aussi d’autres personnes comme communication européens et nord-améri-


les seigneurs de la guerre et des acteurs non cains (explication primordialiste), sont nés de
gouvernementaux en tout genre, des hom- crises générées depuis plus de vingt ans. Des
mes politiques locaux, des membres des crises dans lesquelles sont liées des logiques
institutions parallèles ou de réseaux crimi- de la globalisation (régionales et internatio-
nels, etc. Nombre d’entre eux se consacrent nales) et des logiques internes de fragmen-
à reproduire ce que Rymaekers qualifie de « tation (mauvaise gouvernance politique et
néopatrimonialisme sans l’État »74 . économique) et qui montrent d’importants
éléments de continuité avec les violences
Pour résumer, on a trop insisté sur le pillage successives que ce pays a connues : la colo-
des ressources du Congo par les pays voisins, en nisation belge, l’indépendance chaotique, la
négligeant la participation des gouvernements dictature longue et corrompue du régime de
congolais successifs et des petits exploitants Mobutu, la démocratisation non terminée
artisanaux dont la production est souvent non des années 90, l’effet domino du génocide du
comptabilisée dans les statistiques officielles. Rwanda avec ses effets déstabilisateurs dans
toute l’Afrique centrale ou l’Afrique médiane,
Ce qui est sûr dans toute cette affaire, ce sont selon le concept consacré par la géopolitique
les bénéfices personnels exorbitants obtenus classique76, les alliances régionales de Lau-
par les différents acteurs locaux, régionaux et rent-Désiré Kabila, le pillage des ressources
internationaux (élites congolaises, autorités re- naturelles par des pays voisins et la transition
belles et autorités militaires des pays interve- néfaste réalisée au début des années 2000. À
nants), fondamentalement par les élites congo- tout cela, il faut ajouter l’éternel problème de
laises et leurs alliés étrangers. la nationalité des Tutsis congolais d’origine
rwandaise (les Banyaruandas et les Banya-
mulenges).

Nous nous trouvons donc face à des conflits


Conclusion de caractère clairement politique autour de
l’accès au pouvoir et des ressources. Il s’agit
de luttes de pouvoir entre différentes forces
La RDC est caractérisée par une longue tradition politiques qui, avivées par la libéralisation
de violences qui remonte à l’époque de l’escla- de l’économie, rivalisent pour le contrôle des
vage et de la colonisation et qui s’est poursuivie ressources. Une rivalité dans laquelle sont im-
après la colonisation, en particulier sous le ré- pliqués d’innombrables acteurs, en haut et en
gime mobutiste, avec la parenthèse des mou- bas, à l’extérieur et à l’intérieur et qui, dans
vements sécessionnistes ou révolutionnaires. la ligne de la « politique du ventre » de Jean-
Cependant, les plus virulentes de ces violences François Bayart, s’affrontent dans une lutte
se sont manifestées dans les guerres des dix féroce pour l’accès aux richesses, mais s’arti-
dernières années étant donné le nombre de culent aussi autour de relations personnelles
victimes qu’elles ont fait. et collectives d’obédience et de solidarité et
tous les principaux acteurs sont caractérisés
Ces conflits, taxés d’une manière frivole et par l’utilisation massive des enfants soldats
erronée d’“ethniques”75 par les moyens de et par les violences sexuelles en masse com-
me partie d’une stratégie programmée d’hu-
miliation de l’adversaire.
74| RAEYMAEKERS, T. : 2008, op. cit. p. 14.
75| En réalité, il s’agit de conflits avec d’importantes
dimensions géopolitiques de lutte de pouvoir et Alternatives internationales nº 41, Paris, décembre
de recherche de contrôle de territoires, en par- 2008, p. 19. Voir aussi WILLAME, J.-C., L´odyssée…,
ticulier les problèmes agraires et identitaires, op. cit., p. 133.
en plus des commerciaux avec le pillage illégal
des ressources naturelles. Cf. VIRCOULON, T., « RD 76| LACOSTE, Y., Géopolitique. La longue histoire
Congo : la guerre des Kivus ne veut pas finir », in d´aujourd`hui, Larousse, Paris, 2006, p. 215.

54
55

Ce sont donc, l’exportation des tensions inter- Seigneur) du seigneur de la guerre ougandais
nes du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda, les Joseph Kony, les FDL (Forces Démocratiques
convoitises des richesses du Congo et les rivali- Alliées d’Ouganda), sans compter les troupes
tés politiques en tout genre qui expliquent glo- d’élite vaincues par le régime de Mobutu et ré-
balement ces guerres. Pourtier insiste aussi sur fugiées dans la forêt ou dans les pays voisins

Mbuyi Kabunda | La République Démocratique du Congo postcoloniale : du scandale géologique au scandale des guerres à répétition
le fait qu’il s’agit de guerres dictées par la sim- (Congo-Brazzaville et République centrafri-
ple prédation et dirigées par des prédateurs, caine). La présence de tous ces groupes armés a
déguisés en seigneurs de la guerre ou leaders transformé la RDC en une véritable poudrière.
politiques, mais décidés à s’emparer des riches-
ses du pays77. Le point de départ de la paix et de la stabilité de
la RDC doit être sa reconstruction économique
Il faut néanmoins tenir compte de l’existence et sociale et il est donc nécessaire de renforcer
d’autres facteurs, car un des principaux mo- l’État et la stabilité politique, à condition que
teurs de la première guerre (1996-97) —,prolon- cet État se mette au service du peuple et pas
gement du génocide du Rwanda—, a été l’auto- d’un clan ou d’un groupe social ou ethnique dé-
défense des Banyamulenges et la lutte pour terminé78. L’intervention coordonnée (politique
la libération de la dictature de Mobutu. Dans et économique) des acteurs locaux, nationaux,
la seconde (1998-2003), dans le prolongement régionaux et internationaux est également né-
de la première, le principal objectif, en plus du cessaire pour résoudre les problèmes diagnos-
pillage des ressources de la RDC par les pays tiqués dans la présente analyse.
voisins, était le renversement du régime de L.
D. Kabila. La troisième (2004-2009) est due à la De toute façon, et c’est tant mieux, la RDC, le
nouvelle tentative de domination/d’occupation Rwanda et l’Ouganda ont concrétisé les accords
du Kivu par le Rwanda, par guérilla de Laurent parrainés par les États-Unis pour le désarme-
Nkunda interposée. Elles ont toutes également ment et le rapatriement des Hutus des FDLR,
un fond de revendication de nationalité de la pour mettre fin à la lutte de Laurent Nkunda.
part de nombreux Tutsis congolais et de lutte C’est-à-dire qu’ils se sont eux-mêmes chargés
du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi contre de la résolution de leurs conflits. Le temps dira
leurs mouvements de rébellion respectifs qui si c’est efficace ou non79. Il est également vrai
agissent à partir du territoire congolais.

Tous ces conflits ont fait de la RDC le pays avec 78| RYCKMANS, F., “Kinshasa : les malentendus de
le plus de troupes et groupes armés au monde la `libération´´”, in Kabila prend le pouvoir
(coords : Marc Schmitz et Sophie Nolet), GRIP-
avec plus de 600 000 combattants : la MONUC Editions Complexe, Bruxelles, 1999, p. 133.
(Mission d’Observation des Nations Unies au
Congo), les FARDC (Forces Armées de la RDC), 79| Avec cette opération, le Rwanda a atteint tous ces
objectifs : éliminer la menace externe représentée
le CNDP (Conseil National pour la Défense des par les FDLR ; renforcer son statut de puissance
Peuples) de Laurent Nkunda, les milices pro- militaire régionale ; avoir une certaine influence
gouvernementales ou ethniques d’autodéfense sur le gouvernement de Kinshasa avec le chanta-
mai mai (ou mayi mayi) ou le Front pour la Li- ge qui consiste à utiliser à tout moment Laurent
Nkunda, réfugié sur son territoire, et qui « portait
bération de l’Est du Congo (FLEC) dans les deux atteinte à son image internationale » entraînant
Kivus et au nord du Katanga, les milices consti- le retrait de l’aide externe. Pour sa part, le gou-
tuées par des membres des groupes lendus, he- vernement congolais, qui a perdu le soutien de
mas, alurs et lugbaras en Ituri, les FDLR (Forces nombre de ses alliés hutus du Kivu, —dont celui
Démocratiques pour la Libération du Rwanda), du président du Parlement, Vital Kamerhe, qui a
démissionné de son poste pour désaccord avec le
les FNL (Forces Nationales pour la Libération Président Kabila sur l’intervention des troupes
du Burundi), la LRA (Armée de Libération du rwandaises sur le territoire congolais—, a obtenu
ce que son armée était incapable de faire, la paix,
et peut maintenant se consacrer aux problèmes
77| POURTIER, R., “L´Afrique centrale dans la tour- sociaux de la population et de la (re)construction
mente. Les enjeux de la guerre et de la paix au des infrastructures nationales avec le soutien
Congo et alentour », in Hérodote nº 11, Paris, 2003, de la Chine avec laquelle il a signé d’importants
4e trimestre, p. 27. contrats.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

que la menace de persécution internationale Bibliographie


des délits (détentions de certains des seigneurs
de la guerre) et les pressions diplomatiques de
certains pays du Nord ont eu des effets. ABADIE, D., DENEAULT A., et SACHER, W., “Balkani-
sation et pillage dans l’ Est congolais », Le Monde
Les souffrances du peuple congolais, en raison diplomatique, Paris, desembre 2008.
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sentiment d’unité nationale des Congolais, ANDRÉ, C., « Enquête sénatoriale belge sur le pilla-
surtout ceux de la partie orientale qui expri- ge au Congo : Constats et enjeux », en L´Afrique
ment de plus en plus leur volonté d’appartenir des Grands Lacs, Annuaire 2002-2003, Centre
à la nation congolaise80, contrairement aux d´Études de la Région des Grands Lacs d´Afrique-
plans qui ont surgi ces derniers mois comme L´Harmattan, Anvers-Paris, 2003.
le projet de partage du Congo défendu par
Jeffrey Herbst et Greg Mills 81, qui pense que ANDREW SCOTT, S., Laurent Nkunda et la rébellion
ce pays n’existe pas, ou la solution d’exploita- du Kivu. Au cœur de la guerre congolaise, Karthala,
tion des ressources minières et agricoles de la Paris, 2008.
RDC en collaboration avec ses voisins, dans le
cadre d’un marché commun, selon les sugges- BRAECKMAN, C., “La champagne victorieuse de
tions de Herman Cohen (sous-secrétaire d’État l´AFDL », en AA. VV. Kabila prend le pouvoir, GRIP-
chargé des affaires africaines de Bill Clinton) et Éditions Complexe, Bruxelles, 1998.
du Président Nicolas Sarkozy. La solution passe
par l’institution d’un État fort et de droit, res- BRAECKMAN, C., Vers la deuxième indépendance du
pectueux du droit des minorités et décentrali- Congo, Le Cri-Afrique Éditions, Bruxelles-Kinshasa,
sé. C’est la seule façon d’en finir avec le pillage 2008.
de ce pays, devenu, depuis le système de Léo-
pold II, en passant par la cleptocratie mobu- BRAEKMAN, C., Les nouveaux prédateurs. Politi-
tiste, jusqu’à nos jours, « un supermarché sans que des puissances en Afrique centrale (édition ré-
gardes ou surveillants », selon les termes de visée et augmentée), Les éditions Aden, Bruxelles,
Colette Braeckman. Pour l’instant, la coopéra- 2009.
tion semble remplacer la guerre. Pour combien
de temps ? CARANCI, C., “Congo: el difícil camino de la inde-
pendencia”, en Historia Universal, tomo 28, Edito-
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58
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État
59

La République
Démocratique
du Congo
postcoloniale :
la faillite de
l’État et la
tutelle dans
les relations
interafricaines
Germain Ngoie Tshibambe
Professeur au Département des Relations
internationales de la Université de Lubum-
bashi (République Démocratique du Congo)

Co-coordinateur du Centre d’excellence sur


l’étude de la démocratie locale (CEDEMOL)
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Introduction d’indépendance, la RDC ne s’est pas encore do-


tée d’une structure politique qui puisse aug-
menter la puissance de l’État à l’intérieur du
En raison de sa superficie, de ses potentialités territoire national. L’indépendance interne que
économiques énormes et de la masse de sa l’État congolais a peine à défendre s’épuise vite
population, la République Démocratique du et ce pays ne dispose pas de puissance externe.
Congo a la vocation d’être une puissance dans Il y a bien une corrélation entre puissance à
son environnement immédiat, voire sur la l’intérieur d’un État et projection de celle-ci
scène africaine. Sa superficie est de 2,234 000 sur le plan externe. Raymond Aron a su bien
Km² et la loge au deuxième rang du classe- traduire l’ontologie de l’État sur la scène in-
ment africain ; ses potentialités économiques ternationale lorsqu’il écrit : « L’unité politique
en font un pays considéré comme un scandale se pose en s’opposant. Elle devient elle-même
géologique. Il est doté de plusieurs ressources en devenant capable d’action au dehors3 ». La
du sol, du sous-sol et même de réserves hydro- capacité à agir à l’extérieur dépend fortement
électriques incommensurables. La population des ressources nationales et de l’habilité diplo-
de la RDC, évaluée à plus de 66 millions d’ha- matico-stratégique dont font preuve les hom-
bitants, malgré la longue guerre appelée à mes qui conduisent l’État dans leur rapport
juste titre « la première guerre mondiale afri- avec le monde extérieur. C’est le manque de co-
caine » qui a duré plus de cinq ans (1998-2003) hérence dans la gestion politique domestique
et en dépit de plus de quatre millions des per- qui a des conséquences sur la vie externe de la
tes en vie humaine qu’elle a dû endurer, n’en RDC. Ce déficit de cohérence politique interne
est pas moins classée parmi les cinq premiers se dénoue en prenant des formes de violences
pays les plus populeux de l’Afrique. Lorsque le extrêmes qui touchent et affaiblissent encore
Congo accède à l’indépendance en 1960, le Pre- davantage ce pays (Voir le chapitre du Prof.
mier Ministre de l’époque, M. Patrice-Emery Mbuyi Kabunda). Même si les conflits partici-
Lumumba, dans son programme de gouverne- pent de l’historicité de l’État, comme l’affirme
ment, levait l’option de faire jouer à ce pays un Charles Tilly en se basant sur l’expérience his-
rôle de pôle de rayonnement de puissance en torique européenne : « la guerre fait les États
Afrique1. Cette ligne de conduite procédait de (…). Les mobilisations majeures pour la guerre
la perception largement partagée par des ob- créent des opportunités importantes dans le
servateurs et Jean-Luc Vellut traduit bien cette contexte desquelles les États connaissent l’ex-
évidence lorsqu’il écrit : « La position du Congo, pansion, se consolident et créent des nouvelles
au centre de l’Afrique, ses dimensions, ses res- formes d’organisation politique4 ». Pour le cas
sources considérables dans les domaines éco- de la RDC, la guerre a été présente tout au long
nomique, industriel (…) faisaient et ont conti- de son histoire postcoloniale. Elle survient et
nué à faire du Congo une ‘grande puissance’ ne permet pas à cet État de renforcer des capa-
au milieu d’un entourage d’États petits et cités sociétales internes de gestion de conflit ;
pauvres2 ». Ce pays potentiellement géant est, au contraire, elle laisse des séquelles en affai-
à l’évidence et paradoxalement, un nain poli- blissant cet État. Selon les observations de Da-
tique sur la scène diplomatique africaine. Ce vid Francis, ces conflits conduisent seulement
pays n’a pas su convertir ses potentialités en à « l’effondrement de l’État et à la fragmenta-
une force suffisamment puissante pour jouer tion sociétale5 ».
un rôle considérable sur la scène africaine.

A l’orée de son cinquantième anniversaire 3| Aron, R., Paix et guerre entre les nations, Paris,
Editions Calmann Levy, 1962, p. 60.
4| Tilly, cité par Ayoob, M., The Third World Security
1| Voir Congo 1960, tome 1, Bruxelles & Léopoldville, Predicament, London, Lynne Rienner Publishers,
1961. 1995, p.22.
2| Vellut, J.-L., « La politique africaine du Congo », 5| Francis, D.J., Uniting Africa. Building Regional
in Cahiers Economiques et sociaux, vol. III, n°3, Oc- Peace and Security Systems, Aldershot, Ashgate,
tobre 1965, p.340. 2006, p.60.

60
61

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines
Dans ce chapitre, nous entendons analyser la 1. La RDC : le soi et la projection de soi
posture de la RDC sur la scène africaine de ma- sur la scène africaine.
nière à apprécier, d’une part, les défis auxquels
elle fait face et, d’autre part, la perception que
d’autres États africains en ont avant de pré- L’État congolais postcolonial est une structure
senter les pesanteurs qui obstruent l’élan de appelée à ordonnancer l’architecture de régula-
ce pays-géant qui ressemblent à Gulliver em- tion d’un territoire dont l’histoire est portée par
pêtré dans les marécages et cloué au sol par l’héritage de la Conférence de Berlin de 1884-
les Lilliputiens. Cette image, empruntée au 1885. Lors de ce forum qui a procédé à la par-
roman de Jonathan Swift, peut sembler être tition de l’Afrique, le territoire congolais a été
trop forte et démesurée : il n’en demeure pas consacré comme propriété privée de Léopold
moins vrai que ce pays a des allures, s’il se rat- II. Des concessions fondées sur le droit ont été
trape, de devenir une puissance dans sa région faites aux autres puissances européennes pour
et dans toute l’Afrique6. Le cheminement de qu’elles accèdent au territoire de cet espace et
notre réflexion va au-delà de la démarcation y fassent du commerce sans des restrictions
entre les affaires du dedans et les affaires du liées au traitement national. C’est la liberté de
dehors. C’est dans l’enchâssement entre les commerce dans le bassin du Congo qui a permis
deux niveaux que nous pouvons trouver les d’apaiser les appétits des grandes puissances
clés d’intelligibilité de la trajectoire ainsi que en pleine expansion coloniale. Dès cette pério-
des avancées et de ratés de cet État sur la scène de, deux données importantes vont marquer de
africaine. leur empreinte la trajectoire de l’historicité de
l’État congolais. La première concerne le carac-
tère international ou plutôt la nature interna-
6| Kodjo, E., …Et demain l’Afrique, Paris, Editions tionalisée de ce territoire. Avant même que l’on
Stock, 1985. ne parle de la mondialisation, le monde était
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

déjà imbriqué dans la politique de ce territoire espace ? Quelles sont les conditions internes
et le sort de ce pays était scellé dans sa relation et externes qui ont entouré la trajectoire de la
avec le monde. La deuxième donnée concerne construction de l’État en ce pays ? Tout en es-
la dissémination d’une « sorte de culture de la sayant de répondre à ces questions, il sied de re-
terreur et un espace de mort7 », ceci se rappor- lever que le conflit et la violence participent ré-
tant au mode d’extraction des ressources et de gulièrement au rendez-vous de la construction
traitement de l’habitant de cet espace. de cet État. Les trois moments dans lesquels on
distribue l’histoire du pays sont scandés par
Le roman de Joseph Conrad, The Heart of des conflits qui en donnent une orientation
Darkness, peint à merveille la tragédie qui ac- spécifique. Explorons ces trois plages.
compagne l’exploitation des ressources na-
turelles au Congo. Comme nous l’avions écrit
ailleurs : dans cette fiction, mi-tragique, mi-
dramatique, Conrad « décrit le bas côté sarcas-
tiquement inhumain qui est logé au cœur de 2. La Première République : un État
toute entreprise de mise en valeur des ressour- mort né sous oxygène d’autrui
ces de ce pays qui se fait au grand dam de la po-
pulation occupant cet espace8 ». Les différentes
révélations sur la politique de la main coupée Si la première République a duré cinq années,
appliquée par les agents coloniaux à l’époque il faut vite reconnaître que ces cinq années ont
de l’État Indépendant du Congo ne vont-elles été émaillées de conflits de toutes sortes. Ces
concourir à jeter un autre regard et attirer l’at- conflits ont pris la forme armée dans ce que l’on
tention sur le sort de ce territoire9 ? L’accession a appelé la sécession katangaise (juillet 1960)
de ce pays à la souveraineté internationale va et celle du Sud Kasaï (août 1960). Des conflits
permettre le ‘retour du refoulé’. Le retour de ce se sont manifestés sous une forme feutrée de
refoulé va se manifester quelques jours après crise institutionnelle au sommet de l’État. L’af-
la célébration des cérémonies de l’indépendan- frontement entre Joseph Kasavubu, Chef de
ce lorsque les forces de l’impérialisme qui cher- l’État et Patrice-Emery Lumumba, Premier mi-
chent à mettre au pas le Premier ministre du nistre, en septembre 1960, a entraîné une crise
premier gouvernement congolais réussissent institutionnelle qui a conduit à un premier
à déclencher la roue de la division, provoquant coup d’état au terme duquel le gouvernement
ainsi la sécession de la province du Katanga et central a dû cesser de fonctionner. Des jeunes
celle de l’Unité Kasaïenne. universitaires sans expérience ont été nom-
més pour constituer le Collège des commis-
Comment alors la classe dirigeante congolaise saires généraux10. L’assassinat de Lumumba
s’est-elle prise pour construire l’État dans cet au Katanga en janvier 1961 et la traque à Léo-
poldville systématiquement engagée contre
les politiciens partisans lumumbistes qui se
7| Taussig cité par Watts, M.J., « Petro-Violence : réfugient à Stanleyville où ils constituent un
Some Thougts on Community, Extraction and Po-
litical Ecology », p.9. disponible sur l’url : http:// gouvernement de la République Populaire du
repositories.cdlib.org/iis.bwep/WP99-1-Watts, Congo créent un contexte particulier qui met
accès le 3 Juillet 2009. en épingle les deux marqueurs constitutifs de
8| Ngoie, T., « La République Démocratique du l’historicité de la construction de l’État congo-
Congo et la quête d’une politique étrangère prag- lais postcolonial : la décomposition rapide de
matique », in Ngoie, T. (sous la direction de), Les l’État congolais et l’internationalisation de la
défis de la consolidation de la paix en République gestion de la crise en ce pays.
Démocratique du Congo, Africa Peace Research
Series, n°2, Bradford, University of Bradford Press,
2008, p.131. La décomposition rapide de l’État congolais ap-
9| Vangroenweghe, D., Du sang sur les lianes. Léo-
pold II et son Congo, Bruxelles, Didier Hatier, 1986 10| Les détails de tous ces événements sont bien re-
et Hochschild, A., Les fantômes du Roi Léopold. Un portés dans deux tomes de Congo 1960, Bruxelles
holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998. & Léopoldville, 1961.

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paraît par la faiblesse du gouvernement central de l’État. Cette crise institutionnelle créa un

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines
dont l’effectivité du contrôle sur tout le territoi- imbroglio institutionnel au sommet de l’État et
re national a commencé à se réduire face, d’une pour en sortir le pays, l’armée congolaise neu-
part à la sécession de la riche province minière tralisa les deux hommes d’État (le Chef de l’État
du Katanga et de la province riche en diamant Kasavubu et le premier ministre Lumumba).
du Sud-Kasaï et d’autre part à la prolifération Mais à l’évidence, on neutralisa réellement le
des poches de rébellions qui se répandent par- premier ministre Lumumba que les chancelle-
tout ailleurs au pays, la poche de rébellion la ries occidentales considéraient comme un na-
plus proche étant, avec Pierre Mulele, dans le tionaliste ayant des penchants pour le commu-
Kwilu, à quelques kilomètres de la capitale Léo- nisme : « En fait, avec cette éviction, le Congo
poldville. Benoît Verhaegen traduit bien cette devient ingouvernable. Cette délicate impasse
évidence dans son ouvrage : « La crise congo- politique conduit les autorités centrales de
laise ne date pas de la mutinerie militaire du 5 Léopoldville vers une dérive totalitaire mar-
juillet 1960. Elle débuta beaucoup plus tôt, pro- quée par la chasse contre les Lumumbistes et
bablement en 1957, l’année où la récession éco- nationalistes et la mise en congé du parlement
nomique commence à faire sentir les effets qui national…12 ».
se conjuguèrent avec un ébranlement profond
du système politique colonial. Un observateur Nzongola Ntalaja situe les raisons de la crise de
attentif aurait pu déceler dès cette époque les l’État congolais postcolonial dans la stratégie
signes avant-coureurs de la crise totale et dé- néo-coloniale de l’impérialisme dans les années
sormais inévitable d’un système colonial qu’on 60 : évincer de l’exercice du pouvoir les leaders
avait pu définir en deux mots : ‘paternalisme nationalistes13. Cette stratégie a bien réussi et
autoritaire’. Le 30 juin 1960, le Congo ne chan- a contribué à l’émergence d’une oligarchie bu-
gea donc pas de maîtres ayant perdu depuis reaucratique compradore dont quelques traits
plusieurs mois son maître colonial, il n’eut pas caractéristiques sont le parasitage sur les res-
l’occasion d’en connaître un nouveau. Les ins- sources du pays et le recours à la violence pour
truments du pouvoir firent immédiatement et étouffer toute expression de revendication. De
totalement défaut au gouvernement qui devait cette oligarchie, Mustapha Benchenane a fait le
recueillir l’héritage colonial : la force publique portrait suivant : « Cette oligarchie ne contrôle
se mutina, l’appareil administratif fut com- pas le procès de production, elle n’exploite pas
plètement disloqué par le départ de huit mille de travailleurs ; donc elle ne tire pas ses res-
fonctionnaires (belges) qui en constituaient sources de la confiscation de la plus-value. Elle
la tête et l’armature, les finances de l’État déjà s’est constituée grâce à l’activité politique et
compromises durant les dernières années de la administrative… L’oligarchie zaïroise apparaît
colonisation s’effondrèrent lors de la rupture donc comme un appendice de la bourgeoisie
avec la métropole et de la sécession du Katan- internationale… Elle favorise les ingérences
ga11 ». étrangères pourvu qu’elles lui profitent et elle
fera tout pour encourager l’implantation de
L’acte qui met en branle la roue de la déli- structures capitalistes14 »
quescence de l’État congolais postcolonial
commence avec l’éviction du gouvernement L’impact de l’internationalisation de la gestion
de Lumumba. L’éviction du gouvernement Lu- de la crise congolaise a des effets structurants
mumba provient d’une décision mal assumée
par le président Kasavubu qui révoque unilaté-
12| Ngoie, T., La République Démocratique du Congo
ralement le premier ministre alors que celui-ci dans les relations interafricaines. La trajectoire
a une majorité inébranlable au parlement. En d’une impossible quête de puissance, Lubum-
réaction contre cette révocation, le premier mi- bashi, Labossa, 2005, p.116.
nistre Lumumba suspendit également le chef 13| Nzongola, N., (sous la direction de), The Crises
in Zaire. Myths and Realities, Trenton, N.J., African
World Press, Inc., 1986, pp.265-271.
11| Verhaegen, B., « Dix ans d’indépendance », in
Revue française d’études politiques africaines, n° 14| Benchenane, M., Les coups d’état en Afrique,
57, septembre 1970, p. 18. Paris, Publisud, 1983, p.12
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

et déstructurants certains sur le devenir politi- dans la stabilisation de la situation pour éviter la
que de ce pays. L’opération des Nations Unies au balkanisation du pays, il sied de reconnaître que
Congo (ONUC) est déjà sur le terrain. L’effet dés- des États africains se sont impliqués très tôt en
tructurant de la présence de l’ONUC au Congo se mettant au chevet du Congo. Ainsi, alors que
a été d’empêcher le gouvernement Lumumba la crise amoncelait des nuages sombres sur le de-
de résorber rapidement, voire par la force, la sé- venir de ce pays, les discussions entre États afri-
cession du Katanga tout en accélérant la chute cains autour du Congo malade entraînaient des
de ce premier gouvernement congolais. En dissensions et des déchirements entre ces pays.
ayant réussi à écarter Lumumba du pouvoir et La fracture idéologique entre le Groupe de Braz-
à réduire le poids des éléments nationalistes de zaville et le Groupe de Casablanca qui marque la
prendre part au gouvernement central, l’effet scène diplomatique africaine entre 1960 et 1963
structurant du rôle de la communauté inter- se renforce en rapport avec la détérioration de la
nationale se déploie sous la forme de la mise situation au Congo. C’est Adekunle Ajala qui tra-
sous tutelle du Congo. Benoît Verhaegen rend duit le mieux cette évidence : « Si l’absence d’uni-
subrepticement compte de cette mise sous tu- té parmi les États africains sur la crise congolaise
telle du Congo comme il écrit : « L’incompatibi- a offert aux panafricanistes un cadeau de noël
lité entre l’action de l’ONU au Congo et l’exis- macabre en 1960, elle devait continuer à enta-
tence d’un gouvernement congolais réellement mer le panafricanisme aussi longtemps que la
indépendant était dès le début évidente. Après crise elle-même demeurait non résolue16 ».
deux mois de tensions et de conflits ouverts, le
premier gouvernement congolais fut éliminé Autant dire que le Congo en tant qu’État malade a
par l’action conjuguée des oppositions inter- contribué à la division des États africains exacer-
nes, des forces centrifuges, des pressions d’ori- bant leurs oppositions sur la scène diplomatique.
gine coloniale et étrangère et avec la complicité Les différentes crises qui ont émaillé les cinq pre-
de l’ONU. Il fallut huit mois encore avant que mières années du Congo postcolonial tiennent
l’ONU installe un gouvernement qui répondît du reste à la faiblesse de cet État : qu’il s’agisse de
aux deux exigences de l’organisation interna- la crise entre le président Kasavubu et le premier
tionale ; l’une politique : reconnaissance par les ministre Lumumba, de la crise au Katanga ou de
pays afro-asiatiques et l’autre technique : pos- l’approche pour résoudre les rébellions sévissant
sibilité de coopération sur place. Et l’auteur de à travers le pays. Il importe de rappeler que dans
conclure : l’unité du pays et la restauration des ce système diplomatique africain nouvellement
rouages essentiels de l’État –finances publiques, pluraliste, l’alignement pro-occidental de tous les
administration, armée, enseignement- avaient gouvernements qui ont succédé à Patrice-Emery
été acquises sous le régime Adoula grâce à l’ap- Lumumba assassiné a placé le Congo dans l’aile
pui de l’ONU, mais au détriment de toute vie et conservatrice ou modérée. A la suite de la crise
de structures politiques internes viables15 ». constitutionnelle opposant M. Kasavubu soutenu
par le Groupe de Binza qui en sort vainqueur à Pa-
Suivons bien ce raisonnement : lorsqu’il est trice Emery Lumumba, les dirigeants congolais en
vidé de toute vie politique et de structures po- viennent à construire uns schéma manichéen de
litiques internes viables, qu’est-il resté dans ce l’Afrique sous le prisme duquel ils distinguent les
pays ? Ce qui est resté, c’est ce que l’on constate « bons » des « mauvais » États africains. Les « mau-
aujourd’hui comme hier : l’incurie et la gabegie vais » États africains, soit ceux du camp radical/
d’une classe politique médiocre qui n’a d’yeux progressiste, ont eu des démêlés diplomatiques
que pour l’argent, qui ne recherche que l’accès avec les différents gouvernements congolais dont
à des ressources nationales et d’origine exté- certains n’ont pas hésité à expulser certains amba
rieure au grand dam de la population, laquelle ssadeurs africains de Léopoldville.
vit dans la pauvreté.
A ce sujet, d’après les observateurs de la vie po-
Si sur le plan interne, l’ONUC a joué un grand rôle
16| Adenkule, A., Pan-Africanism. Evolution, Pro-
gress and Prospects, London, André Deutsch Ltd.,
15| Verhaegen,B., art.cité, pp.19-20. 1973, p. 30.

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litique du Congo : « Avec le conflit entre Kasa- 3. La deuxième République : tentative

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines
vubu et Lumumba, l’Afrique allait se retrouver de reprise de l’autonomie de soi
divisée. Le Ghana, la Guinée, le Mali, le Maroc
et la République Arabe Unie soutinrent la lé-
gitimité du seul gouvernement Lumumba. Dès Une lueur d’espoir pointe à l’horizon lorsque
lors, se trouvait créée, dans le chef des gouver- le président Mobutu prend le pouvoir en no-
nements successifs du Congo, une tendance à vembre 1965 : cette lueur d’espoir augurait des
départager le monde et l’Afrique en deux blocs perspectives intéressantes pour que la paix ré-
irréconciliables : les pays « amis » et les pays gnant, on puisse consolider l’autorité de l’État
« ennemis ». Plus que tout autre, ce premier sur l’ensemble du territoire national. En fait, ce
moment de la crise conditionnera pour long- sont des contradictions internes découlant da-
temps encore la politique extérieure du Congo. vantage des faiblesses de la classe dirigeante
Les autorités de Léopoldville, représentée à du Congo qui conduisent les militaires à pren-
partir du 29 septembre 1960 par le Collège des dre le pouvoir. Ces contradictions se déploient
Commissaires généraux, entrèrent en guerre sur le plan africain lorsque le régime du prési-
contre les pays africains du Groupe de Casa- dent Kasavubu adopte ce que la presse appelle
blanca ; en septembre, les diplomates de la Ré- « le virage à gauche ». Le virage à gauche est
publique Arabe Unie étaient expulsés, suivis la traduction de la ligne de politique étran-
par ceux du Ghana, tandis qu’une constante gère impulsée par le gouvernement central
campagne de dénigrement était orchestrée à de Congo-Léopoldville qui a consisté dans son
l’endroit des gouvernements du Mali et du Ma- arrimage au camp des États africains progres-
roc, tous membres du Groupe de Casablanca, sistes qui voulaient que le Congo se débarrasse
à partir de l’année 1961. Dans le même temps, des mercenaires dont l’armée congolaise avait
les relations des autorités de Léopoldville avec fait le fer de lance pour reconquérir le pays
les autres pays africains ne furent pas plus face à la multiplication des poches de rébel-
cordiales mais pour une autre raison : l’appui lions à travers tout le territoire. Ce recours à des
que ces États apportaient à la sécession katan- mercenaires était mal interprété par les États
gaise. La complaisance des États du Groupe de africains progressistes, qui faisant pression
Brazzaville à l’égard de la sécession katangaise sur le gouvernement central, eurent raison de
ne pouvait leur rallier l’amitié des autorités de convaincre le Président Kasavubu à ce sujet.
Léopoldville17 ».
Par ailleurs, entre les années 1960 et 1965, l’état
En fin de compte, pour la première République, des rapports diplomatiques entre le gouverne-
la classe politique congolaise trop ‘comprado- ment central du Congo et les autres États afri-
risée’ par les forces du néocolonialisme n’a pas cains –des deux camps confondus : modérés et
su s’atteler à construire l’État tant leur marge progressistes- n’était pas au beau fixe. Des rela-
de manœuvre était étroitement contrôlée par tions diplomatiques entre la RDC et les autres
des forces externes. La présence de l’ONUC pays africains se sont détériorées au point que
sur le terrain a facilité ce travail de mise en la RDC s’est trouvée isolée sur la scène africai-
conditionnement de l’intérieur des différents ne. Cet isolement diplomatique s’est renforcé
gouvernements après la chute de Lumumba. lorsqu’en 1964-1965 Tshombé revient au pou-
L’État congolais s’est retrouvé sous perfusion voir comme Premier ministre congolais. Ce piè-
et sous une assistance externe poussée. Un soi tre bilan est bien traduit par le constat fait par
pris en charge par les autres, l’État congolais des analystes en ces termes : « Tant dans le do-
était beaucoup plus un objet qu’un sujet sur la maine des relations bilatérales que dans celui
scène internationale. de ses relations avec les regroupements politi-
ques africains, le bilan au terme de la première
législature (du Congo) est mince : la politique
africaine, ou plutôt la carence d’une véritable
politique africaine, a fini par l’isoler quasi com-
17| Voir Editorial, Etudes congolaises, 1964, n° 21, pp. plètement, le mettant en conflit avec tous ses
24-25. voisins immédiats et lui assignant une place
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

marginale au sein de l’Organisation de l’Unité « le refus du pouvoir partagé et du pouvoir


africaine18 ». Avant de cerner les nouvelles im- contrôlé21 ». Tant qu’il fondait la suprématie du
pulsions que le régime du président Mobutu Chef de l’État sur la prééminence reconnue au
donne au pays de manière à lui permettre de Président de la République sur les autres organes
retrouver sa place dans le concert des nations de l’État, le présidentialisme congolais a favorisé
africaines, il importe de relever des efforts qu’il la personnalisation du pouvoir22. De ce processus
fit pour asseoir l’autorité de l’État sur le plan de construction de l’État à travers la personnali-
interne. A cet égard, la constitution de 1964 qui sation du pouvoir, trois observateurs de la vie po-
régissait les institutions du pays fut suspen- litique du Congo sous le deuxième régime ont pu
due. Le 24 juin 1967 est promulguée la première écrire : « En 1965, sur le plan politique, on assiste à
constitution de la 2e République. La tendance à une tentative certaine de reconstruction de l’ap-
la centralisation-concentration du pouvoir sous pareil de l’État et de rétablissement du contrôle
le deuxième régime est amorcée avec d’une de cet appareil sur l’ensemble de la société. Cette
part la réduction du nombre des provincettes tentative se fait à partir d’un double processus.
ramenées à huit provinces et d’autre part la D’une part, on assiste assez rapidement à une
limitation du nombre des partis politiques à institutionnalisation du pouvoir militaire issu
deux (art. 1 et 4 de la constitution de 1967). Le du coup d’état sous forme de la création autori-
dédoublement institutionnel qui apparaissait taire par le haut d’un parti unique destiné à être
par la consécration des institutions du pouvoir l’instrument privilégié du contrôle de l’appareil
central et celles des niveaux provincial et local de l’État et simultanément de l’extension de ce
disparaît car au titre III consacré aux pouvoirs dernier sur la société. D’autre part, cette évolution
et institutions de la République, les seules insti- institutionnelle est réalisée à travers la consolida-
tutions dont parle ce titre sont celles du pouvoir tion progressive du pouvoir personnel du Chef de
central (art.19, constitution de 1967). l’État sur l’ensemble des institutions qui caracté-
risent le nouveau régime23 ».
Le régime qui s’instaure dès cette première
constitution du nouveau régime et qui va se La personnalisation du pouvoir sur le plan in-
consolider par la suite est un régime prési- terne a réussi et si bien réussi que le régime de
dentialiste « authentiquement africain » dans Mobutu a tenté de jouer un rôle sur le plan afri-
lequel les fonctions exécutives sont sublimées cain. Ce rôle, le régime va le jouer en cherchant
tandis que le parlement inoffensif est réduit à à améliorer les rapports bilatéraux avec presque
un rôle de « caisse de résonance19 ». Si les fonc- tous les pays voisins. Des rencontres diplomati-
tions exécutives sont sublimées, c’est bien au ques tri- ou quadripartites ont été ravivées, per-
profit du chef de l’État, ce « père de la nation », mettant de stabiliser les relations avec les pays
qui va jouir ainsi d’un « pouvoir incarné, fondé limitrophes. Cette perspective permet d’assurer
sur un homme, porteur d’un charisme, répu- la sécurité du régime Mobutu en évitant le scep-
gnant en tout cas au contrôle qu’implique le tre des attaques qui viendraient de ces derniers.
régime parlementaire, méfiant du droit, et plus L’Est du Congo étant une frange névralgique,
exactement des contraintes et des limites qu’il mais une marche facile qu’exploitent souvent les
impose au pouvoir20 ». rebellions, l’ère de la bonne entente se scelle bien
rapidement par la signature d’une organisation
Au Zaïre, il s’est imposé en fin de compte, la internationale de sécurité : c’est la Communauté
« sacralisation du pouvoir » avec en corollaire des pays des grands lacs (CEPGL) regroupant le

18| Editorial, Etudes congolaises, 1964, n° 21, p. 25. 21| Kamto, M., Ibidem.
19| Faure, Y.-A., « Les constitutions et l’exercice du 22| Young, C. & Thomas Turner, The Rise and the
pouvoir en Afrique noire », in Politique africaine, Decline of the Zairian State, Wisconsin, The Uni-
vol.1, n°1, Janvier 1981, pp.44-45. versity of Wisconsin Press, 1985, pp. 177-180.
20| Kamto, M., Pouvoir et droit en Afrique noire, Pa- 23| Bezy, F. et al., Accumulation et sous-dévelop-
ris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, pement au Zaïre. 1960-1980, Louvain-la-Neuve,
1987, p. 243. Presses Universitaires de Louvain, 1981, p. 61.

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Congo, le Burundi et le Rwanda. Des missions di- sous-régionaux avec certains des pays africains

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines
plomatiques des autres États africains sont ainsi limitrophes. Alors que l’Est du pays constituait
ouvertes dans la capitale du Congo tandis que l’espace névralgique d’incertitudes, le président
ce dernier fait la même chose en accréditant des Mobutu a mis dans un triangle stratégique des
ambassadeurs ailleurs en Afrique. États de l’Est d’où naissent des menaces contre
la RDC. Comme on peut le constater : « La sécu-
Les résultats de cette diplomatie offensive de rité à ses frontières a été renforcée. Avec les deux
charme firent de Kinshasa le point d’ancrage autres pays de l’Est qui faisaient partie, comme
d’intenses activités diplomatiques. A l’exemple, lui, des territoires coloniaux de la Belgique, le
qu’il suffise de citer la tenue dans la capitale Congo a institué une organisation internatio-
congolaise de la 4e session de la Conférence des nale dénommée la Communauté Economique
chefs d’état et de gouvernement de l’Organi- des Pays des Grands Lacs… Celle-ci a plus tourné
sation de l’Unité africaine en 1967. Le Président comme une machine sécuritaire…25 ».
Mobutu a fait une déclaration à ce sujet : « En
matière de politique étrangère, notre action s’est Après avoir constitué une armée dont les élé-
à ce point affirmée que le Congo dont la déléga- ments étaient formés dans certaines meilleures
tion, en 1964, s’était vue refuser l’accès à la confé- académies militaires en Belgique, en France, en
rence de l’OUA, parce que menée par un Africain Israël et aux États-Unis, le régime Mobutu s’est
anti-africain, a été en 1967, l’organisateur du 4e lancé dans la politique de la projection de puis-
sommet de l’OUA. Cette conférence marque sans sance pour soutenir des régimes africains alliés.
conteste le début d’une ère nouvelle dans l’his- Des troupes de l’armée congolaise ont été en-
toire des relations inter-africaines. Pour le Congo, voyées au Togo pour soutenir le président Eya-
le 4e sommet fut une réalisation de maître, une dema en difficultés, au Tchad, à la demande de la
victoire éclatante ; le triomphe sans bavure d’un France ou mieux pour engranger des ressources
Congo nouveau, d’un peuple ressuscité, sa ré- diplomatiques de la part des puissances occiden-
habilitation définitive devant l’Afrique, devant tales. La tentative de projection militaire d’enver-
le monde24 ». Au demeurant, la présence, dans gure fut celle menée en Angola en 1975 lorsque
la capitale congolaise, du Secrétaire général de les trois partis angolais se disputaient le contrôle
l’Organisation des Nations Unies, M. U Thant à de Luanda après le départ des Portugais. Le re-
la cérémonie de clôture des travaux de la confé- vers militaire induit de l’indiscipline des troupes
rence au sommet de l’OUA décrivit le renouveau congolaises dans des fronts à l’étranger a terni
de ce pays que l’on pouvait désormais compter l’image de ce géant aux pieds d’argile. A la re-
sur l’échiquier africain. Le prestige du Congo fut cherche de l’influence, le Congo s’est transformé
évident sur le plan diplomatique. en un pôle d’indifférence. Comme l’écrivent bien
à propos Constantin et Coulon, ce pays, comme
En ayant stabilisé le pays sur le plan intérieur, le la plupart des régimes africains, a un « leader
Congo, sous le président Mobutu, a tenté de jouer respecté, mais sans disciple fidèle26 ».
un rôle comme une puissance régionale sur la
scène africaine. Ainsi, pour stabiliser les rapports Il importe de rappeler que la scène diplomatique
avec les États limitrophes, le président Mobutu a africaine exerce un rôle structurant à effets posi-
adopté le principe de bon voisinage dans sa po- tifs ou négatifs sur les États africains. Le premier
litique étrangère. Ce principe lui a permis d’en- effet se lit sur la stabilité des États qui sont as-
granger des avantages diplomatiques certains surés ou du moins protégés contre les tentatives
en déniant aux différents opposants congolais de sécession. L’adoption du principe de l’intan-
de disposer des territoires-sanctuaires à partir
desquels ils pourraient s’organiser pour lui lancer
25| Ngoie, T.G., 2007, « La politique de bon voisinage :
des coups. Il a tenté de jouer ce rôle en prenant
analyse d’un principe de politique étrangère de la
des initiatives pour créer des regroupements RDC », in Congo-Afrique, n° 412-413, Février-Mars
2007, p.165.
24| Cité par Mulumba, L., la politique africaine du 26| Constantin, F. et Coulon, C., « La diplomatie
Congo, in Congo 1967, Bruxelles & Léopoldville, du dialogue », in Revue française d’études politi-
Editons du CRISP, 1968, pp.200-201. ques africaines, n°101, Mai 1974, p. 61.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

gibilité des frontières crée ainsi « le paradigme ford Young et Thomas Turner publiaient un livre
d’Addis Abeba » dont parle Luc Sindjoun27. Tant à titre retentissant sur le déclin de cet État, The
que le Congo du Président Mobutu a su capitali- Rise and Decline of the Zairian State31.
ser les bonnes relations diplomatiques avec des
pays limitrophes, il a bénéficié des avantages de Les performances économiques de l’État se sont
« l’intérêt de milieu », selon l’expression d’Arnold réduites à néant. Une crise économique rampan-
Wolfers28. Ces avantages se sont traduits concrè- te –le terme en anglais traduit bien celle-ci : « the
tement dans la sécurité du régime. Dans le unending crisis »- a sclérosé l’avenir du pays. La
contexte des États africains vulnérables, la sécu- mauvaise négociation du régime Mobutu face à la
rité s’entend en un double sens comme celle de demande sociétale de la démocratisation des ins-
la position du dirigeant au pouvoir et la garantie titutions politiques dans les années 90 a porté un
de la prévention d’éventuelles sécessions29. Le autre coup à la société congolaise, bloquée ainsi
rôle de l’échiquier africain a été important pour dans des contradictions internes interminables.
trouver des voies et moyens pour en finir avec le Pour se maintenir au pouvoir, Mobutu a miné de
régime décadent du Président Mobutu. S’étant l’intérieur l’instrument de force qui le porta à la
empêtré dans des contradictions sur le plan in- tête du pays. Les forces armées, outil de la diplo-
terne, le régime du Président Mobutu s’est es- matie de puissance, n’ont pas été bien organisées,
soufflé sur le plan de la construction de l’État. créant ainsi une image d’un État géant aux pieds
L’État fort dont le président Mobutu avait doté d’argile. Jacques Delpechin décode la mécanique
le pays après 1965 s’est révélé plus faible que ja- qui a conduit à affaiblir l’armée congolaise sous
mais : il a été seulement un site d’accumulation le règne du Président Mobutu : « Ayant conquis
des richesses nationales au profit de la classe le pouvoir par le biais de l’armée, Mobutu savait
dirigeante. L’État mobutien a été frappé d’une que le plus grand risque de le perdre surgirait
« décomposition avancée30 » tandis que Craw- probablement de ce côté-là. Consciemment ou
non, il a appliqué la maxime préférée de tous les
colonisateurs : ‘diviser pour mieux régner’, sur-
27| Sindjoun, L., Sociologie des relations internatio- tout au niveau où cette division était nécessaire.
nales africaines, Paris, Editions Karthala, 2002.
L’armée zaïroise ne deviendra jamais plus qu’une
28| Wolfers, A. cité par Barrea, J., Théories des re- force extra-policière de répression interne. Cha-
lations internationales, Bruxelles, Ciaco éditeur,
1994, pp.19-20
29| Ayoob, M., op. cit., pp. 139-145. pour une analyse », in Genève-Afrique, vol. XXVI,
n°2, 1998, pp. 75-90.
30| Monnier, L., « Rôle géostratégique du Zaïre dans
l’aire conflictuelle d’Afrique australe. Eléments 31| Young, C. et al., op. cit.

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que fois que l’efficacité de l’intervention de cette phraser Achille Mbembe34 : après une impossible

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines
armée fut nécessaire, il a fallu faire appel à l’in- transition vers la démocratisation des institutions
tervention des troupes étrangères32 ». C’est le dé- politiques scandée de violence politique de toutes
ficit d’une force armée congolaise qui devient le sortes, la crise socio-économique la plus désas-
créneau de vulnérabilité par la suite, ce territoire treuse a fini par plonger la population dans la mi-
devenant ainsi un espace sans puissance –un sère presque généralisée. Plus de 80 pour cent de
espace vide de puissance où d’autres puissances la population congolaise vivait avec moins de un
veulent s’engouffrer. dollar par jour. L’espérance de vie diminuait autant
: de 45 ans dans les années 1970 à plus ou moins
L’occasion est offerte ainsi lorsque, isolé sur le 40 ans après 1990. Lorsque Mobutu fuit Kinshasa
plan international, le régime du président Mobu- en mai 1997, « L’État congolais n’existe en effet plus
tu affronte une rébellion armée qui naît dans les qu’à l’état virtuel. Depuis 1985, le trésor public a été
montagnes de l’Est du Congo. Sans tomber dans dilapidé par les ponctions directes du pouvoir, qui
des controverses sur l’origine interne ou la dé- ne pourra plus honorer une dette abyssale large-
termination externe dans la naissance de cette ment induite par des investissements étrangers
rébellion33, une évidence vient à l’esprit : devant en trompe-l’œil. Il n’y aura bientôt plus de routes,
l’avancée des troupes rebelles soutenues par une plus de ponts, plus de banques, plus d’argent pour
grande coalition des troupes des États étrangers les écoles ou pour les soins de santé, plus de salai-
décidés à en finir avec le régime Mobutu, les res pour les fonctionnaires, et surtout plus d’armée
forces armées de ce dernier s’effondrent rapide- digne de ce nom, ses généraux étant devenus des
ment comme la neige au soleil. La chute du ré- commerçants. Le pays n’est plus qu’un objet non
gime Mobutu introduit une autre phase dans la identifié où l’on survit grâce à l’extraordinaire in-
trajectoire de la construction de l’État congolais ventivité de la ‘débrouille’35 ».
et la production d’une image de soi qui se projet-
te dans la faiblesse de l’État sans autorité sur des Dans ce contexte de désespoir, le changement
vastes pans de son espace tandis qu’il a peine à du pouvoir constituait une bouée de sauve-
relancer la reconstruction nationale. tage. La population plaçait beaucoup d’espoir
dans le nouveau régime ; elle entendait ajuster
son comportement pour donner une nouvelle
orientation à la manière de gérer la chose pu-
blique. Une certaine ‘discipline’ s’instaurait :
4. La troisième République : difficile elle fut en partie appuyée par la chicotte que
gestion du joug et de la tutelle d’autrui les militaires d’origine rwandaise omnipré-
sents au sein de l’armée de libération en RDC
administraient à des récalcitrants congolais.
Lorsque le Président Laurent-Désiré Kabila (L.-D.K.)
arrive au pouvoir à Kinshasa en mai 1997, il y a Sur le plan international, l’opinion soutenait le
deux opinions contradictoires qui prédominent à régime de L.-D. Kabila mais avec un autre agen-
son sujet. Sur le plan interne, l’opinion publique da. Le soutien de la communauté internationale
trop longtemps muselée et, par conséquent mar- à L.-D.K. était accompagné de plusieurs réserves,
ginalisée, sous le régime Mobutu car inepte à par- disons mieux encore : encore que la communau-
ticiper à la gestion de la chose publique appuie à té internationale le soutenait, « elle le soumettait
fond le président L.-D. Kabila. La population congo- à des tests de maturité diplomatique. Le pouvoir
laise passait des « temps de malheur », pour para- est sommé de lancer le dialogue avec les forces
politiques du pays pour créer un ordre politique

32| Delpechin, J., De l’État indépendant du Congo


au Zaïre contemporain (1885-1974), Paris, Editions 34| Mbembe, A., « A propos des écritures africaines
Karthala, 1992, p. 107. de soi », in Bulletin de Codesria, n°1, 2001.
33| Reyntjens, F., La guerre des grands lacs. Alliances 35| Willame, J.-C., Les ‘faiseurs de paix’ au Congo.
mouvantes et conflits extra-territoriaux en Afri- Gestion d’une crise internationale dans un État
que Centrale, Paris, Editions Harmattan, 1999. sous tutelle, Bruxelles, Editions GRIP, 2007, p. 195.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

pluraliste ; le régime reçoit des reproches sur des d’autres postes de décision importants furent pla-
violations massives des droits de l’homme et sur cés des partenaires alliés venant du Rwanda. Leur
les massacres perpétrés contre les Hutu sur le présence va leur servir d’ancrage pour connaître
territoire congolais lors de l’avancée des troupes les points névralgiques du régime de L.D.K. de sor-
combattantes de la rébellion anti-Mobutu. On te que lorsque l’ère de la fin des alliances sonna, ils
attend du nouveau chef de l’État qu’il facilite la surent contre-attaquer avec efficacité pour anéan-
tâche de la commission d’enquête internationa- tir le régime congolais en faisant des opérations
le sur des massacres perpétrés par les unités spé- militaires de profondeur en neutralisant les élé-
ciales de l’Armée Patriotique Rwandaise. Le chef ments armés congolais à l’Est avec une opération
de l’état est sommé de se définir par rapport à la aéroportée vers Kitona pour chercher à prendre
logique de la « tiers-mondisation », c’est-à-dire Kinshasa à partir de la province du Bas Congo.
être un chef de l’État docile et loyal serviteur des
oukases des grandes puissances, sans oublier le Ces opérations militaires déclenchent ainsi la
rôle de mise sous tutelle et d’allégeance à l’égard guerre d’août 1998, une guerre dont on n’a pas de
du Rwanda et de l’Ouganda36 ». peine à trouver le qualificatif. Il s’agit d’une guerre
d’agression montée par des pays voisins qui vou-
Ilconvient de partir de cette dernière opinion laient en finir avec cet allié encombrant, perçu
pour situer l’atmosphère dans laquelle le régime comme un « électron libre, non contrôlable ». C’est
décadent de Mobutu est tombé. Pour arriver à après quelques jours de combats que des « vitrines
bout du pouvoir de ce dernier, une grande coa- politiques » congolaises apparaissent, fabriquées
lition africaine a été constituée. Il s’agit de plu- de toutes pièces pour déclarer faire la guerre de
sieurs pays aussi divers que les limitrophes et les manière à chercher la démocratisation des insti-
lointains. Trois pays sont à la tête de cette coa- tutions du pays. Deuxième guerre de libération ou
lition : il s’agit du Rwanda, de l’Ouganda et du guerre d’agression ? A l’époque, on a passé trop de
Burundi. Cette coalition fait partie de ce que l’on temps à discuter sur cette question. Le Congo était
appelle l’initiative africaine et son intervention en péril. Le régime de L.D.K. était prêt de tomber
armée pour mettre de l’ordre dans les institu- devant l’avancée des troupes étrangères. Cette
tions politiques de la RDC met à nu les faiblesses guerre atteint la phase de la régionalisation avan-
de cet État dont, dans le subconscient, on a peur cée avec l’intervention du Zimbabwe, de l’Angola
tout en profitant de ce qu’elle est pour lui tenir la et de la Namibie pour soutenir le régime congo-
tête dans l’eau. Les conséquences stratégiques de lais de L.D.K. Cette intervention sauve le Congo et
« l’initiative africaine » dans l’effondrement du déroute les plans des États agresseurs.
régime du président Mobutu sont notamment
la mise en dépendance ou la démultiplication Pendant cinq ans, le territoire congolais s’est trou-
des allégeances de la classe politique de la RDC à vé divisé en plusieurs zones ayant des administra-
l’égard des États partenaires-parrains. tions différentes : l’Ouest est sous le contrôle des
troupes du gouvernement de Kinshasa, une par-
Porté au pouvoir par cette coalition africaine, le tie du nord sous le contrôle des troupes du Mou-
président L.-D.K. n’a pas su avoir une large marge vement national de libération du Congo (MNLC)
de manœuvre diplomatique pour desserrer l’étau appuyé par l’Ouganda, le nord-est est sous le
constitué par ces États limitrophes. L’État qu’il a contrôle d’une nébuleuses des mouvements ar-
tenté de reconstruire était « pénétré » jusqu’au més appuyés par l’Ouganda et le Rwanda tandis
plus haut niveau par des allochtones qui cher- qu’une grande partie de l’est de la RDC est sous
chaient à imprimer une orientation propre à leur le contrôle du Rassemblement congolais pour la
logique pour faire de la RDC un État mou, faible et démocratie (RCD) appuyé par le Rwanda. Ainsi
malléable à merci. La direction des forces armées les armées de ces deux pays limitrophes sont bien
de la RDC a été placée sous le commandement de omniprésentes dans cet espace. Avec cette parti-
James Kaberebe qui saura peser et soupeser de tion du pays, une nouvelle configuration de l’État
l’intérieur la force et les faiblesses de cet État. A émerge. Dans les différentes portions du territoire,
la dynamique des pillages des ressources nationa-
les s’est mise en marche tandis que du côté du gou-
36| Ngoie, T., op. cit., p. 201. vernement central, selon les termes du rapport de

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71

l’ONU sur les pillages des ressources naturelles en se trouve sous tutelle. Cette posture l’empêche

Germain Ngoie Tshibambe | La République Démocratique du Congo postcoloniale : la faillite de l’État et la tutelle dans les relations interafricaines
RDC, des réseaux de pouvoir se multiplient pour d’avoir des initiatives diplomatiques qui puissent
faire main basse sur les ressources du pays. Cette lui permettre de s’imposer sur la scène africaine. Il
logique d’accumulation des ressources a conduit est certes facile d’affirmer que la ‘première guerre
même à un affrontement armé entre les troupes mondiale africaine’ a entraîné la RDC dans la pos-
rwandaises et ougandaises dans la ville martyre ture basse actuelle ; mais il est aussi évident de
de Kisangani au nord-est du pays. noter que cette descente aux enfers procède des
conséquences de la pratique du pouvoir tel qu’il
S’il est évident de rappeler la logique de la politi- a été exercé par la classe dirigeante dans ce pays.
que de prédation mise en œuvre par les États qui L’État construit en RDC n’entend pas augmenter
ont envahi la RDC à partir de l’Est, il convient éga- la puissance de la société. « L’État contre le peuple
lement de souligner la « position ‘basse’37 » qu’a la congolais » : tel a été le titre d’un rapport présenté
RDC vis-à-vis des États alliés, dits invités, qui sont par le Netherlands Institute for the Southern Afri-
venus à la rescousse du gouvernement central. ca38. Ce titre traduit la logique de la production et
Des compensations en ressources minières ont de l’exercice du pouvoir politique dans cet espace.
été accordées au Zimbabwe, un pays qui a bénéfi-
cié des concessions pour exploiter le diamant dans Nous voulons reprendre des considérations sur
la province du Kasaï. La société Sengamines a été cette question que nous avions faites ailleurs39 :
créée dans ce cadre de l’exploitation du diamant.
Un homme d’affaires zimbabwéen a été placé à « Sur cet espace, l’effritement de l’État est tel qu’il
la tête de la Gécamines, la société exploitant les est possible d’envisager non pas que l’État en est
minerais de cobalt et de cuivre au Katanga. L’An- mort – une telle éventualité étant seulement une
gola a obtenu des facilités dans le secteur pétrolier bonne hypothèse d’école - mais qu’il s’y déploie
en RDC ; la Société Sonangol n’a pas fait long feu subrepticement une nouvelle configuration et
à Kinshasa. Sur le plan diplomatique, la RDC se un nouveau mode de production du pouvoir qui
trouve en position de faiblesse par rapport à ces fait que l’État en tant que technologie générale
alliés. Lorsqu’éclate l’affaire Kahemba, une por- de domination et de mise au travail de la popu-
tion du territoire congolais occupée par la police lation sur un territoire a échoué de fonctionner.
angolaise et de laquelle la population congolaise En fait, comme le notait Paul Veyne au sujet du
a été chassée, le gouvernement congolais s’est Bas-Empire romain, « quand les choses en vien-
trouvé dans l’embarras adoptant un profil bas vis- nent à ce point, il ne faut pas parler d’abus, de
à-vis de l’Angola. Aucune démarche diplomatique corruption : il faut admettre qu’on a devant soi
d’envergure n’a été adoptée par le gouvernement une formation historique originale40 », un mode
congolais pour clarifier cette question à la satis- bien spécifique de régir la conduite des popula-
faction de l’opinion publique congolaise. tions, de distribuer des pénalités et de disposer
des prestations selon les termes de Mbembe. Que
l’on ne tombe pas dans le travers pour supposer
qu’un tel État n’a plus de pouvoir du tout : pour
emprunter les propos de Paul Veyne41, un tel État
Conclusion
38| NiZa, L’État contre le peuple. La gouvernance, l’ex-
ploitation minière et le régime transitoire en Ré-
En fin de compte, sur la scène africaine, la RDC publique Démocratique du Congo, Amsterdam :
est dans une « position basse ». L’image qu’elle IPIS, 2006.
projette est celle d’un État faible. L’État congolais 39| Ngoie, T.G., « La privatizacion del Estado : el caso
de la Republica Democratica del Congo (RDC) », in
Cuadernos Africa-America Latina, n° 42, Primer Se-
37| Murhula, A.N.E., « L’avenir du Congo dans la ré- mestre 2007, pp. 57-58.
gion des Grands Lacs : paradoxes pragmatiques 40| Veyne, P. cité par Mbembe,A., art. cité. P.110.
autour d’une certaine communauté », in Tam-
bwe, K.E. et al., (sous la direction de), RD Congo. Les 41| Veyne, P. cité par Diouf, M., 2002. « Les poissons
élections, et après ?, Paris : Editions L’Harmattan, ne peuvent pas voter un budget pour l’achat des
p.140. hameçons. Espace public, corruption et constitu-
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

ne donne pas lieu à la production d’un « pouvoir Bibliographie


faible », mais bien à la production d’un « pou-
voir rusé ». Dans cet État à ‘pouvoir rusé’ et par
surcroît ‘criminel’, la notion de l’intérêt général Adekunle, A., Pan-Africanism. Evolution, Progress
et du bien public acquiert un autre sens articulé and Prospects, London : André Deustch Ltd, 1973.
à des rationalités sociales de multiples réseaux
clientélistes qui s’empilent et s’entrelacent sans Aron, R., Paix et guerre entre les nations, Paris : Edi-
jamais s’amalgamer. « Les réseaux d’élite », telle tions Calmann-Levy, 1962.
est l’expression utilisée dans le Rapport de l’ONU
sur l’exploitation illégale des ressources natu- Ayoob, M., The Third World Security Predicament.
relle au Congo : ils comprennent des autorités State Making, Regional Conflict and the International
politiques, des militaires, des hommes d’affaires System, Boulder : Lynne Rienner Publishers, 1995.
et des groupes criminels transnationaux42. Ce
nouveau mode de l’État invente ainsi son type Barrea, J., Théories des relations internationales,
d’appropriation, et selon les termes de François Bruxelles : Ciaco éditeur, 1994.
Misser et Olivier Vallée, « Pendant que l’intérêt
général se délite, la machine d’État ne s’effrite Benchenane, M., Les coups d’état en Afrique, Paris :
pas totalement : elle se recompose dans le service Publisud, 1983.
des intérêts particuliers […]. La criminalisation
n’est pas dans la contamination par le ‘mauvais Bezy, F. et al., Accumulation et sous-développement
autre’ d’un État souverain et arbitre […]. Elle ap- au Zaïre. 1960-1980, Louvain-la-Neuve : Presses Uni-
paraît comme la construction sur une base so- versitaires de Louvain, 1981.
cio-économique […] d’un régime d’accumulation
déconnecté de l’intérêt général43 ». Botte, R. « Introduction au thème. Vers un État illé-
gal-légal ? », in Politique africaine, n° 93, Mars 2004
C’est la faillite de l’État congolais dont on doit
constater des conséquences sur la scène africai- Braeckman, C., Vers la seconde indépendance du
ne. Ces conséquences sont la projection d’une Congo, Paris, Fayard, 2009.
image négative de soi et la réduction de la mar-
ge de manœuvre et d’initiative diplomatique. Congo 1960, tomes 1 et 2, Bruxelles et Léopoldville:
L’atonie diplomatique est le trait caractéristique Editions
du Congo postcolonial. Cet État manque d’outil
diplomatique devant servir de pilier pour une Congo 1967, Bruxelles et Léopoldville: Editions
politique étrangère crédible, il s’agit de l’ab-
sence d’une forte armée républicaine capable Constantin, F. et Coulon, C., « La diplomatie du
de défendre la souveraineté et l’intégrité du ter- dialogue », in Revue française d’études politique afri-
ritoire national. Appelé à jouer un rôle comme caines, n° 101, mai, pp. 57-70, 1974.
un pôle de puissance, le Congo a emprunté un
cheminement qui le conduit à être un pôle d’in- Delpechin, J., De l’État indépendant du Congo au
différence dans son espace africain. Zaïre contemporain (1885-1974), Paris : Editions Kar-
thala, 1992.

tion de l’Afrique comme objet scientifique », in le Diouf, M., 2002. « Les poissons ne peuvent pas voter un
Bulletin d’APAD, n° 23-24, 2002, pp. 33.
budget pour l’achat des hameçons. Espace public, cor-
42| Organisation des Nations Unies, Rapport final du ruption et constitution de l’Afrique comme objet scien-
groupe d’Experts sur l’exploitation illégale des res- tifique », in le Bulletin d’APAD, n° 23-24, 2002, pp. 33.
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du 16 octobre 2002, p. 6
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43| Misser, F. et Vallée, O. cités par Botte, R. « Intro-
duction au thème. Vers un État illégal-légal ? », in Afrique noire », in Politique africaine, vol.1, n°1, Jan-
Politique africaine, n° 93, Mars 2004, p. 20. vier 1981, pp.34-52.

72
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La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État
75

La République
Démocratique
du Congo et
la région des
Grands Lacs
d’Afrique :
entre
l’instabilité
politique et
l’espoir
Toni Jiménez Luque
Coordinateur de l’Observatoire des conflits
et des droits de l’homme de la Fondation
Solidarité de l’Université de Barcelone

www.observatori.org
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

La République Démocratique du Congo est un sentes dans le pays. On estime qu’il y a 242 lan-
pays d’Afrique centrale (appelé Zaïre entre 1971 gues parlées dont seules le kikongo, le lingala,
et 1997), situé dans la zone des Grands Lacs le tshiluba et le swahili ont le statut de langue
d’Afrique. C’est le troisième pays le plus grand nationale (le français étant la langue officielle).
du continent et il a une histoire riche et variée Malgré la colonisation, les guerres et les conflits
qui va du grand Royaume du Congo, au milieu armés, les usages et coutumes de la culture du
du XVe siècle, passe par une brutale colonisa- Congo ont réussi à conserver leur identité. Les
tion belge et parvient jusqu’à notre époque 60 millions d’habitants vivent pratiquement
avec la déclaration d’indépendance du Congo dans un environnement rural, mais 30% de
en 1960. ceux qui vivent dans les zones urbaines se sont
davantage ouverts à l’influence occidentale.
En ce qui concerne l’économie du pays, elle a
inexorablement chuté à partir de la moitié des Quant à l’Histoire récente de la République
années 80. Les deux conflits récents (la Pre- Démocratique du Congo en particulier et de la
mière et la Deuxième Guerres du Congo) qui région des Grands Lacs en général, elle n’a pas
ont commencé en 1996, ont réduit les recettes permis un développement politique très avan-
nationales et ont augmenté sa dette extérieure, cé en raison des conflits armés et des dictatu-
et ils ont entraîné des morts, la famine et des res. Néanmoins, au cours des dernières années,
maladies qui ont coûté la vie à 3,8 millions de de gros efforts ont été réalisés pour stabiliser
personnes. À partir de 2002 et avec le retrait de la région et étendre la défense et la promotion
nombreuses troupes d’armées d’invasion qui à la fois des droits humains et du système po-
se trouvaient en territoire congolais, la situa- litique démocratique. Cet article tente d’étu-
tion économique a commencé à s’améliorer et dier les conflits historiques qui ont sévis dans
le FMI et la Banque mondiale ont commencé la région et la situation actuelle des droits de
à mettre en place un plan économique qui n’a l’homme dans la région du nord-est de la Ré-
pas donné de grands résultats jusqu’à présent. publique Démocratique du Congo. Finalement,
l’article terminera par une brève analyse de la
Par ailleurs, parler de la République Démocra- situation d’instabilité au Rwanda, au Burundi
tique du Congo est synonyme d’une énorme et en Ouganda, et il suggèrera une série de me-
diversité culturelle, en raison des centaines sures et de nécessités en vue d’une résolution
d’ethnies et des différentes façons de vivre pré- pacifique des conflits de la région.

76
77

1. Origines du conflit évanouissement, a renversé le pot et l’a rendu à


moitié plein le jour suivant ; Gatutsi, de son côté,
est resté éveillé toute la nuit et a rendu le pot
Au VIe siècle, les agriculteurs hutus ont com- plein le matin suivant. Le roi a donc nommé Ga-

Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir
mencé à arriver dans la région qui correspond tutsi comme son successeur, en le libérant pour
actuellement au Rwanda et au Burundi. Plus toujours du travail manuel. En même temps et
tard, entre les VIIIe et IXe siècles, et les XIIe et en raison de son manque de contrôle, il a fait de
XIIIe siècles, ce sont les éleveurs tutsis qui se Gahutu l’éternel serf de Gatutsi et Gatwa a été
sont installés dans la région. Bien qu’au départ exilé pour avoir été avide”.
ils aient cohabité de façon pacifique, vers le
XVIe siècle les principautés tutsies ont entamé Ces différences ont augmenté au cours du XIXe
des campagnes militaires contre les Hutus et siècle et les meilleurs postes ont été occupés
ont tué leurs princes, donnant naissance aux par des Tutsis et elles ont été renforcées au XXe
premières oppositions socioéconomiques. siècle par les colonisateurs belges. Ces derniers
ont décrété que seule l’élite tutsie pourrait oc-
Malgré cela, il convient de signaler que ces dis- cuper des postes de pouvoir dans l’armée et
tinctions entre Hutus et Tutsis étaient plutôt l’administration et ont écarté les Hutus qui oc-
liées à des questions de classes sociales qu’à cupaient ces postes. En outre, ils les ont égale-
une différenciation entre ethnies. C’est ainsi ment exclus de l’éducation secondaire et seuls
que le terme tutsi s’utilisait pour faire référen- ceux qui ont étudié dans des séminaires reli-
ce à une personne riche, alors que celui de hutu gieux ont pu échapper à cette purge.
faisait référence à une personne qui était le
serf d’une autre. Cette différenciation de classe En conclusion, les Belges ont imposé un mono-
a fini par entraîner un manque de relations pole tutsi de la vie publique pendant les années
entre agriculteurs et éleveurs et, progressive- 20 et 30 et cela a eu une influence sur les géné-
ment, une série de caractéristiques physiques rations suivantes. En outre, ils ont obligé toutes
a été “confectionnée” qui a ensuite été utilisée les personnes qui naissaient à avoir une carte
pour justifier la ségrégation1. d’identité qui devait stipuler s’il s’agissait d’un
Tutsi ou d’un Hutu, de sorte que ce qui était au
En fait, c’est à partir de la sophistication des départ une ségrégation entre classes sociales
états que les différences entre les uns et les qui pouvait varier en fonction de la richesse
autres ont commencé à apparaître moyennant avant l’arrivée des colonisateurs est devenu
un discours qui prétendait légitimer cette si- une ségrégation ethnique et invariable.
tuation de classes sociales.2
De leur côté, les Hutus, écartés du pouvoir, ont
De cette façon, ont surgi des mythes et légen- commencé à créer leur discours d’opprimés et
des qui avaient la fonction de définir la cos- de victimes des Tutsis.
mologie des habitants de la région et qui nous
sont utiles pour analyser les relations entre les Dans cette situation, la révolte hutu ne s’est
Hutus et les Tutsis au cours de l’histoire : pas faite attendre au Rwanda et, profitant des
pressions auxquelles la Belgique a été soumise
“Le premier roi du Rwanda avait trois fils, Gatwa, de la part des Nations unies pour mettre fin à
Gahutu et Gatutsi. Pour pouvoir choisir son suc- la domination sur la région, les Hutus ont com-
cesseur, il a chargé chacun d’entre eux de garder mencé à gagner du terrain dans la vie publi-
un pot de lait pendant toute une nuit. Gatwa qui que, en occupant des postes de pouvoir. À cette
était un goinfre, l’a bu d’un trait ; Gahutu a eu un époque-là, les Tutsis voyaient le départ des
Belges comme un coup dur, car ils perdaient
leur soutien et la situation privilégiée dont ils
1| CHRÉTIEN, Jean-Pierre: L’Afrique des Grands Lacs : jouissaient, alors que, par ailleurs, les Hutus
Deux mille ans d’histoire - Paris : AUBIER, 2000. commençaient à radicaliser leur position parce
2| Human Rights Watch: Report – “Leave None to qu’ils voulaient arriver au pouvoir après des
Tell the Story: Genocide in Rwanda”. siècles d’oppression.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

C’est ainsi que le 1er novembre 1959 un mouve- Quant au Burundi, l’évolution historique est as-
ment révolutionnaire hutu a fait fuir du pays sez semblable à celle du Rwanda, mais avec cer-
quelque 200 000 Tutsis. taines différences. Tandis qu’au Rwanda la ma-
jorité des chefs tutsis appartenaient au même
Pour les Hutus, ce mouvement était légitime clan et étaient unis, au Burundi, il existait une
parce qu’il s’agissait d’un combat contre les grande rivalité entre les différents clans et ils
forces d’oppression (belges et tutsis) et parce étaient donc obligés de chercher le soutien des
qu’ils étaient la “grande majorité” ou “rubanda Hutus, ce qui réduisait les différences entre les
nyamwinshi”, qui avait le droit de gouverner la uns et les autres4.
minorité. Pour eux, la majorité ethnique signi-
fiait la majorité démocratique. Malgré cela, avec l’arrivée au pouvoir de la
majorité hutu au Rwanda et de crainte que la
En 1962, le Rwanda a obtenu son indépendan- même situation ne se produise au Burundi,
ce et Grégoire Kayibanda, Hutu, est devenu le la minorité tutsie de ce pays a opté pour une
premier président du pays après avoir gagné stratégie répressive qui a entraîné des sérieux
les élections. Dans les premières années de massacres.
son gouvernement, les Hutus ont eu accès à
l’éducation et le pays progressait, mais le mas- C’est ainsi que, entre son indépendance en 1962
sacre de 350 000 Hutus au Burundi en 1972 a et 1993, les Tutsis ont conservé le pouvoir et ont
faire croître encore davantage le sentiment pratiqué la répression contre les Hutus qui ont
anti-Tutsis et l’instabilité. En outre, le nouveau dû fuir le pays.
gouvernement continuait à étiqueter Hutus et
Tutsis, mais cette fois, les cartes d’identité qui Néanmoins, au début des années 90, on a vou-
servaient autrefois à garantir les privilèges des lu donner plus de poids aux Hutus en élaborant
Tutsis, servaient maintenant à les discriminer une nouvelle constitution et en légalisant le
dans le travail et l’éducation. parti hutu, Front pour la Démocratie au Burun-
di (FRODEBU) qui a remporté les élections de
En 1973, en raison de cette situation d’instabili- 1993, et Melchior Ndadaye a été élu Président
té politique et sociale, le Général Habyarimana du pays.
a fait un coup d’état et a opté pour l’intensifica-
tion de la politique de persécution des Tutsis.

Cette situation de répression contre les Tutsis


a conduit le Front Patriotique Rwandais (fondé 2. Début du conflit armé des Grands Lacs
en Ouganda en 1979) à envahir le pays en 1990,
ce qui a forcé les Hutus et les Tutsis à négocier
une sortie pacifique du conflit. (Il convient de S’il y avait une chance de trouver une solution
souligner que le FPR, en plus du soutien de pacifique au conflit dans la région, elle a dispa-
l’Ouganda, comptait aussi sur celui de la Gran- ru quand, le 6 avril 1994, l’avion qui transpor-
de-Bretagne et des États-Unis, alors que la tait les Présidents du Rwanda et du Burundi a
France et la Belgique soutenaient le Rwanda3). été abattu par un missile. C’est l’étincelle qui a
mis le feu aux poudres et qui a touché toute la
région des Grands Lacs.

3| C’est une guerre entre pays francophones et an- À partir de ce moment-là, au Rwanda, les mili-
glophones, car le gouvernement hutu du Rwanda
était francophone et le FPR, soutenu par la Gran- ces hutues se sont mises à tuer les Tutsis, en pro-
de-Bretagne, anglophone. voquant un horrible génocide, alors que le FPR a
Au mois d’octobre 2008, le gouvernement du fait la même chose avec la population hutue.
Rwanda décide que tout l’enseignement du pays
se fera en anglais et non en français. La version of-
ficielle est que cela est dû à l’intégration du pays
dans la Communauté anglophone de l’Afrique de 4| CHRÉTIEN, Jean-Pierre: L’Afrique des Grands Lacs :
l’Est. Deux mille ans d’histoire - Paris : AUBIER, 2000.

78
79

Quant à la réponse internationale, les Nations Une des premières mesures que Kabila a pri-
unies ont retiré le contingent de leurs troupes ses en arrivant au pouvoir a été de destituer les
qui se trouvaient dans la région et, par leur militaires et hommes politiques du Rwanda, du
action, ont facilité l’exécution des massacres5. Burundi et de l’Ouganda, mais ils ont refusé et

Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir
En outre, il a été décrété un embargo d’armes ont annoncé leur opposition armée contre le
contre le régime rwandais, alors que le FPR gouvernement de Kinshasa depuis le Kivu, en
continuait à en recevoir à partir de l’Ougan- créant la milice Regroupement Congolais pour
da6. la Démocratie (RCD), soutenue par le Rwanda,
et le Mouvement de Libération du Congo (MLC),
Finalement, en juillet 1994, le FPR a conquis avec le soutien de l’Ouganda. De cette façon,
le pays et a imposé au Rwanda le pouvoir de l’histoire s’est répétée et une offensive a été lan-
la minorité tutsie avec une armée d’une seule cée pour renverser Kabila, qu’ils avaient curieu-
ethnie. sement soutenu quelques mois auparavant.

Pendant ce temps-là, le Burundi est entré dans Mais cette offensive a été arrêtée grâce à l’in-
une dynamique de guerre civile : d’une part, tervention du Zimbabwe, de l’Angola et de la
les Hutus ont opté pour un plan d’autodéfense Namibie qui ont donné leur soutien à la Répu-
et d’attaques contre les Tutsis et en réaction à blique Démocratique du Congo.
cette politique, l’armée du Burundi, composée
à 98% par des Tutsis, a commencé à massacrer Finalement et après de nombreux affronte-
la population hutu, en particulier les dirigeants ments et de nombreuses morts, les accords de
politiques et administratifs du FRODEBU. Cette Lusaka ont été signés au mois de juillet 1999
situation s’est prolongée jusqu’en 1996, quand entre les six pays africains impliqués dans le
les Tutsis ont repris le pouvoir par le coup d’État conflit, et ont également été signés par la suite
de Pierre Buyoya, qui avait été vaincu aux élec- par le RCD et le MLC.
tions de 1993.
Un mois plus tard, le Conseil de sécurité des Na-
Par la suite, le 20 octobre 1996, l’Ouganda et tions unies a déployé quasiment une centaine
les nouveaux régimes tutsis qui contrôlaient d’inspecteurs dans le but d’appuyer l’applica-
le Rwanda et le Burundi ont décidé d’attaquer tion de l’accord de trêve. Pendant les mois sui-
les camps de réfugiés du Zaïre sous le prétexte vants, toutes les parties se sont mutuellement
de se protéger contre les incursions des milices accusées de violer l’accord, en provoquant
hutues sur leur territoire. toute une série d’incidents graves. Par exem-
ple, la tension entre l’Ouganda et le Rwanda a
Au même moment, une offensive était lancée augmenté progressivement jusqu’à ce que les
pour renverser le dictateur du Zaïre, Mobutu armées des deux pays s’affrontent dans la ville
Sese Seko. Sous la direction de Laurent Désiré de Kisangani au début du mois d’août.
Kabila, il a été constitué l’Alliance des Forces
Démocratiques de Libération qui luttaient Le 30 novembre 1999, le Conseil de sécurité a
contre la discrimination dont souffraient les autorisé, par la résolution 1279, le déploiement
Tutsis du Sud-Kivu. d’une force multinationale de 5537 casques
bleus et 500 observateurs (Mission des Nations
Cette alliance a pris le pouvoir en six mois seu- unies en République Démocratique du Congo :
lement et a changé le nom du Zaïre pour celui MONUC), dans le but de collaborer et de contrô-
de République Démocratique du Congo. ler l’application de l’Accord de Lusaka7.

Malgré ces forces de maintien de la paix des


5| REYNTJENS, Filip: La guerre des grands lacs : Al- Nations unies, les graves affrontements ont
liances mouvantes et conflits extraterritoriaux en continué, en particulier entre les forces de
Afrique Centrale, Paris, L’Harmattan, 1999.
6| PRUNIER, Gerard: The Rwanda Crisis: History of
Genocide. Columbia University Press, 1995. 7| http://monuc.unmissions.org/
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

l’Ouganda et du Rwanda à Kisangani pendant Toute cette dynamique de traités de paix entre
les mois de mai et juin 2000, et les efforts diplo- les principaux pays impliqués dans le conflit
matiques continus de différents pays et orga- a conduit le Mouvement pour la Libération du
nismes internationaux comme l’ONU, l’Orga- Congo, l’Assemblée pour la Démocratie congo-
nisation pour l’Unité africaine (l’actuelle Union laise et deux de ses factions, l’opposition poli-
africaine) et la Communauté pour le Dévelop- tique, des représentants de la société civile et
pement de l’Afrique australe n’ont pas réussi à des membres des milices Mai-Mai, à signer le
mettre fin à la crise. 17 septembre 2002 l’“Accord global et inclusif
de Pretoria” qui mettait fin au conflit et établis-
La situation semblait empirer quand, au début sait un programme chronologique précis pour
de l’année 2001, le Président Kabila a été assas- l’instauration d’un système démocratique
siné par un membre de sa garde personnelle au dans le pays9.
Palais présidentiel de Kinshasa. Cependant, son
successeur, son fils Joseph, âgé de 29 ans seule- Cet accord mettait fin au conflit connu sous le
ment, a assumé le pouvoir avec l’approbation de nom de Deuxième Guerre du Congo et a signi-
la communauté internationale en général et des fié le début d’un gouvernement de transition
États-Unis en particulier et, après s’être réuni en République Démocratique du Congo qui
avec Paul Kagame à Washington, les troupes de avait pour mission de désarmer les groupes
l’Ouganda et du Rwanda présentes sur le terri- armés et de les faire participer aux élections
toire congolais ont commencé un retrait partiel. générales prévues.

En 2002 et sous les auspices du président d’Afri- Finalement, après avoir surmonté de nombreux
que du Sud, Thabo Mbeki, des pourparlers de problèmes et retardé la date des élections, à la
paix ont eu lieu dans la ville de Sun City, dans le fin 2006, Joseph Kabila a remporté les élections
but d’établir les bases du République Démocra- et été élu Président du pays et cela a marqué le
tique du Congo unifiée, avec un système démo- début d’une nouvelle étape pour la République
cratique multipartis et des élections ouvertes. Démocratique du Congo.
Mais cet accord ne résolvait pas le problème de
l’armée, une question fondamentale pour le Malgré ces accords, les affrontements ont conti-
rétablissement de la paix qui est toujours sans nué en 2006 dans les régions du Nord-Kivu et
réponse aujourd’hui8. du Sud-Kivu et dans la province Orientale, et
ils perdurent aujourd’hui avec la menace d’une
En suivant cette dynamique, le 30 juillet de guerre civile dans le pays.
cette même année, il a été signé à Pretoria un
traité de paix qui devait mettre un terme à la En janvier 2008, l’“Accord de Goma” a été brisé
plupart des controverses entre la République qui comprenait des négociations entre le gou-
Démocratique du Congo et le Rwanda relatives vernement congolais, le Général rebelle Lau-
au retrait des troupes rwandaises du territoire rent Nkunda du Congrès National pour la Dé-
congolais et au désarmement des milices hu- fense du Peuple (CNDP) et les milices Mai-Mai,
tues interhamwes, un de principaux acteurs du et à la fin du mois d’août, la région a connu un
génocide rwandais et actives à l’est du Congo. climat de violence et de guerre quand le CNDP a
lancé une offensive contre des bases de l’armée
Par la suite, le 6 septembre, un autre traité de congolaise et est arrivé aux abords de Goma, la
paix a été signé, cette fois avec l’Ouganda par capitale régionale, au mois d’octobre.
lequel le gouvernement de Kampala s’enga-
geait à retirer ses troupes de Bunia et à renfor- Finalement, après de nombreux efforts diplo-
cer les relations entre les deux pays. matiques, une coopération politique a été éta-
blie entre Kinshasa et Kigali qui a débouché sur
un plan commun de désarmement des Forces
8| TSHIYEMBE, Mwayila : Géopolitique de paix en
Afrique médiane : Angola, Burundi, République
Démocratique du Congo, République du Congo,
Ouganda, Rwanda, Paris : L’Harmattan, 2003. 9| Ibid.

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Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir
Démocratiques pour la Libération du Rwanda partisans aux principaux postes de l’adminis-
(FDLR) et la signature d’un accord de paix avec tration, l’intelligence et la police, en retirant
le CNDP. les membres élus démocratiquement aux élec-
tions. Pour sa part, le mouvement des FDLR,
Cet accord entre le gouvernement de Kinshasa moins centralisé que le groupe de Nkunda et
et le CNDP prévoyait différents aspects comme aussi plus dispersé sur le plan géographique,
la transformation du groupe rebelle en parti avait moins de prétentions d’exercer un contrô-
politique et l’intégration de ses combattants le administratif, mais a quand même réussi a
dans la police et l’armée congolaises. En échan- tirer profit de l’exploitation des ressources loca-
ge, ils recevaient des concessions-clés comme les, des taxes commerciales et de l’extorsion de
la libération de prisonniers, la promulgation la population vivant près de ses bases.
de lois d’amnistie, la création d’un mécanisme
de réconciliation nationale et l’intégration des Quant à l’intégration des guérilleros du CNDP
dirigeants du CNDP dans l’administration du dans l’armée congolaise, elle s’est produite très
Nord-Kivu10. lentement et elle est très fragile. En outre, un
des principaux problèmes est le fait que les
Jusque-là, le CNDP avait établi une adminis- combattants du CNDP n’acceptent d’agir que
tration parallèle dans la région et avait mis ses dans les régions du Nord-Kivu et du Sud-Kivu,
justement là où nombre d’entre eux sont accu-
sés d’enfreindre les droits de l’homme vis-à-vis
10| Le processus de réconciliation qui est sensé avoir de la population locale qui devra maintenant
permis l’accord ignore les exigences judiciai- les retrouver, mais cette fois comme militaires
res. La loi d’amnistie promulguée le 7 mai 2009 de l’armée congolaise11.
par le parlement congolais exclut les crimes de
guerre et les crimes contre l’humanité, mais les
négociations ont eu lieu en secret pour envoyer 11| International Crisis Group: CONGO: FIVE PRIORI-
Nkunda dans un autre pays, ce qui lui permettrait TIES FOR A PEACEBUILDING STRATEGY, Africa Re-
d’échapper à la justice. port N°150 – Mai, 2009.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

3. Violations des droits de l’homme en munautés. Dans certains cas, les combattants
République Démocratique du Congo violent les femmes et les petites filles, même de
cinq ans, pendant une attaque plus générale au
cours de laquelle ils assassinent et blessent des
En ce qui concerne les abus contre les civils, civils et volent et détruisent leurs biens. Ils ont
tous les acteurs qui sont intervenus dans les pour objectif d’effrayer les communautés pour
dernières opérations au Nord-Kivu et au Sud- qu’elles acceptent leur contrôle ou de les punir
Kivu (CNDP, FDLR et armée congolaise) ont pour un soutien, réel ou supposé, aux forces de
enfreint les droits des civils congolais par des l’opposition13.
assassinats, des crimes de violence sexuelle, le
déplacement forcé, le vol, l’extorsion et la des- Par ailleurs, de nombreuses femmes et jeunes
truction de la propriété. filles sont également violées parce qu’elles se
trouvent dans les champs, sur les routes, dans
C’est pendant les affrontements entre Nkunda la forêt ou dans leurs maisons.
et l’armée congolaise, en novembre 2006 et en
août 2008, de même que pendant la campagne Depuis 2004, différentes agences des Nations
des brigades mixtes de combattants de Nkunda unies, des ministres congolais et des ONG du
et de l’armée, qu’il y a eu le plus de violations Congo et internationales ont collaboré pour
des droits de l’homme. fournir tous les types d’assistance – médicale,
psychologique, économique et légale – aux vic-
Le déploiement des brigades mixtes, au lieu times de violence sexuelle. Par exemple, en mai
de rendre la région plus sûre, a détérioré da- 2007, Louise Arbour, à l’époque Haut Commis-
vantage la sécurité et la situation des droits saire aux Droits de l’homme des Nations unies,
de l’homme. Les troupes mixtes ont assassiné a mis en marche un programme au Nord-Kivu
des civils accusés de collaborer avec les FDLR pour lutter contre le problème de la violence
et ce groupe armé a riposté en attaquant les sexuelle et l’impunité dont jouissaient la plu-
communautés qui ont accepté le contrôle des part des responsables14.
brigades mixtes, y compris celles avec lesquel-
les elles cohabitaient pacifiquement aupara- Une deuxième violation des droits de l’homme
vant12. qui caractérise la région est celle du déplace-
ment forcé de la population. Ce fait entraîne un
Quant aux crimes commis dans la région, ils énorme coût pour la région et touche surtout
sont beaucoup plus variés, mais un des princi- les femmes. Parmi ces coûts figurent les vies
paux et des plus frappants est celui de la violen- perdues en raison d’une alimentation inappro-
ce sexuelle. La prévalence de ce type de crimes priée, du manque d’eau, de l’absence d’assis-
reflète et perpétue le statut de subordination tance médicale pour les gens qui se déplacent
de la majorité des femmes au Congo. Bien que dans la jungle et dans la forêt et la perte pour
nominalement l’égalité soit garantie par la loi, l’économie en termes de productivité agricole
dans la plupart des cas les femmes ont bien et d’activité commerciale.
moins d’opportunités d’exercer un pouvoir po-
litique ou économique si on considère le pour- Comme nous l’avons déjà dit, ces violations des
centage des femmes dans la population. droits les plus fondamentaux de la population
sont commis par tous les acteurs, mais une
Ces crimes impliquent parfois différents atta- donnée de la MONUC surprend, qui affirme
quants et ce sont des attaques d’une grande que 40% de toutes les violations des droits de
brutalité qui ont des conséquences directes et l’homme enregistrées par ses sources dans tout
très profondes sur les vies des femmes et des le pays au cours du deuxième semestre 2006
jeunes filles agressées, et aussi sur leurs com-

13| Ibid
12| International Crisis Group: CONGO: FIVE PRIORI-
TIES FOR A PEACEBUILDING STRATEGY, Africa Re- 14| MONUC, “Monthly Human Rights Assestment:
port N°150 – Mai, 2009. May 2007”, 19 juin 2007.

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ont été commises par l’armée congolaise. En talement marginalisé et son commandement
ce qui concerne le Nord-Kivu, cette région n’est et sa structure ont été temporairement désor-
pas une exception et a également subi des as- ganisés. Malheureusement, jusqu’à présent, ce
sassinats, des détentions arbitraires, des empri- vide de pouvoir n’a été rempli ni par l’armée

Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir
sonnements, des crimes de violence sexuelle et congolaise, ni par la Mission des Nations unies
des vols de biens de la population réalisés par au Congo (MONUC), car la coordination entre
les Forces armées congolaises. Parmi les causes, ces deux acteurs est très pauvre et déficiente,
nous trouvons des soldats avec une préparation de sorte que les combattants des FDLR risquent
et une discipline très pauvres, de même que de de se regrouper15.
gros problèmes pour recevoir leurs salaires et
le matériel de base comme les vêtements et les Dans cette situation, Human Rights Watch a
aliments. indiqué qu’en février, les FDLR avaient réalisé
des attaques qui ont coûté la vie de près de 100
Enfin, nous ne pouvons pas parler de viola- civils au Nord-Kivu et que ces assassinats ont
tions des droits de l’homme dans le nord-est augmenté les mois suivants.
du Congo sans mentionner la problématique
des enfants soldats. Ils sont vulnérables en cas
de recrutement militaire et d’envoi au combat
en raison de leur manque de maturité, à la fois
émotionnelle et physique. Les enfants sont fa- 4. Le problème de l’impunité
ciles à manipuler et peuvent se voir impliqués
dans une situation de violence à laquelle ils
peuvent difficilement résister ou qu’ils ont du Ces faits font partie d’une problématique de
mal à comprendre. fond qui touche le pays en général et la région
du nord-est de la République Démocratique du
Les enfants qui ont le plus de possibilités de Congo en particulier : nous voulons parler de
devenir des enfants soldats sont les pauvres, l’impunité. Tous les crimes commis contre des
ceux qui sont séparés de leurs familles, loin civils que nous avons décrits précédemment
de chez eux, et ceux qui vivent dans les zones dans cet article – assassinats délibérés, violen-
de combat ou qui ont eu un accès très limité à ce sexuelle, entre autres formes de lésions, en-
l’éducation. lèvements, pillage et destruction de propriétés
et déplacement forcé – violent le Droit Interna-
Par ailleurs, une donnée significative fournie tional Humanitaire16.
par l’UNICEF dans un rapport de 2006 ayant
pour titre “Child Alert Republic Democratic of Ces crimes sont en outre interdits par le Code
Congo: Matin Bell Reports on Children Caught pénal congolais et par le Code pénal militaire
in War”, signale qu’un enfant soldat sur trois congolais et, par exemple, des crimes comme le
sont des filles. recrutement d’enfants de moins de 15 ans pour
des conflits armés viole le IIe Protocole addi-
Mais, même si ces éléments négatifs sont pré-
sents dans la région et s’ils continuent à se pro-
duire malgré la récente coopération commen- 15| Finalement, en avril, la MONUC et l’armée congo-
laise sont parvenues à un accord pour établir un
cée par les gouvernements de la République commandement conjoint pour lutter contre les
Démocratique du Congo et du Rwanda, cette FDLR, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Néanmoins,
collaboration entre Kinshasa et Kigali a éga- cette initiative s’est avérée peu fructueuse a pos-
lement donné des fruits positifs. Par exemple teriori en raison des tensions entre différentes
unités de l’armée et du manque de commande-
et en plus de l’accord de paix déjà cité entre
ment dans les unités constituées par des mem-
la République Démocratique du Congo et le bres du CNDP.
CNDP, le fait le plus important, c’est que, grâce
16| La RDC fait partie des quatre Conventions de Ge-
à l’opération Umoja Wetu, qui a commencé nève de 1949 et des deux Protocoles additionnels.
le 20 janvier 2009 contre les rebelles hutus Les Conventions de Genève ont été ratifiées par la
rwandais des FDLR, ce groupe rebelle a été to- RDC le 24 février 1961.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

tionnel des Conventions de Genève qui s’adres- manquent de ressources et de personnel com-
se aux acteurs gouvernementaux et non gou- pétent. Les magistrats sont mal payés et ont
vernementaux qui prennent part à des conflits une formation très succincte. De plus, l’ingé-
non internationaux. rence et la corruption politique déterminent
souvent la résolution des cas.
Par ailleurs, nous devons également rappeler
que, depuis le mois de novembre 2001, la Ré- Selon l’envoyé spécial des Nations unies
publique Démocratique du Congo fait partie pour l’indépendance des juges et des avocats,
du Protocole optionnel de la Convention des Leandro Despouy, qui a visité la République
Droits de l’enfant contre l’implication des en- Démocratique du Congo en avril 2007 : « l’inter-
fants dans les conflits armés qui fixe l’âge mi- férence de l’exécutif et de l’armée dans les pro-
nimum pour tout recrutement et toute partici- cessus judiciaires est très commune et le système
pation directe aux hostilités des États ou non judiciaire du Congo est très peu souvent effectif
à 18 ans. avec des violations des droits de l’homme géné-
ralement non punies18 ».
À titre d’exemple, la République Démocratique
du Congo fait également partie du Tribunal pé- Malheureusement, l’impunité pour des viola-
nal international qui définit à la fois le recrute- tions graves des droits les plus fondamentaux
ment des enfants de moins de 15 ans et leur uti- de la personne humaine ont été monnaie
lisation active dans les hostilités comme crime courante dans le pays. Seuls quelques respon-
de guerre17. sables ont été arrêtés et portés devant la jus-
tice ; des douzaines d’autres ont été promus
Les quatre Conventions de Genève et leurs à des postes plus élevés dans l’armée ou au
deux protocoles additionnels condamnent, im- gouvernement, un fait qui a poussé un avocat
plicitement et explicitement, le viol et toutes congolais à affirmer dans un rapport de Hu-
les autres formes de violence sexuelle comme man Rights Watch de 2008 : « Au Congo nous
des séries de violations du Droit humanitaire récompensons les assassins, nous ne les pu-
dans des conflits internationaux et internes, et nissons pas».
même un seul acte de violence sexuelle peut
constituer un crime de guerre. La situation d’impunité peut être une recet-
te dangereuse qui pourrait faire renaître les
De cette façon, le gouvernement congolais a conflits du passé. Mais pour que justice soit
décrété une nouvelle loi sur la violence sexuel- faite, ces cas doivent être basés sur des enquê-
le qui redéfinit le viol pour inclure toutes les tes solides, des preuves crédibles et des procès
formes de pénétration sexuelle et criminalise justes et impartiaux conformes aux normes
aussi d’autres formes de violence sexuelle com- internationales19. Une “justice injuste” en rai-
me l’esclavage sexuel, la prostitution forcée et son de l’interférence politique finirait proba-
le mariage forcé. De plus, ce fait a été suivi par blement par exacerber les problèmes de la
d’autres initiatives d’acteurs internationaux région.
pour motiver les victimes à intenter des ac-
tions judiciaires contre les violeurs, mais, mal-
gré cela, la plupart des cas de violence sexuelle
sont restés impunis. 18| Assemblée générale des Nations unies, “Report
of the Special Rapporteur on the independence
Une des causes de ce problème est le fait que, of judges and lawyers: Addendum – Preliminary
les systèmes judiciaires militaires et civils note on the mission to the Democratic Republic
of Congo”, A/HRC/4/25/Add.3, 24 mai 2007.
19| Le rôle que devrait jouer la MONUC est celui de
17| Statut de Rome du Tribunal pénal international, dénoncer publiquement les violations du Droit
O.N.U Doc. A/CONF.183/9, 17 juillet 1998, entré en international humanitaire et les Droits de l’hom-
vigueur le 1er juillet 2002, art. 8(2)(b)(xxvi) et 8(2) me, en plus d’apporter son soutien aux investiga-
(e)(vii), ratifiés par la République Démocratique tions de ces abus et de rendre publics leurs résul-
du Congo le 8 septembre 2000. tats.

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5. Instabilité politique dans les pays de Un autre élément négatif est le harcèlement et
la région l’étroite surveillance auxquels sont soumis les
défenseurs (hommes et femmes) des droits de
l’homme de la part de l’autorité. Toute dénon-

Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir
En ce qui concerne la région des Grands Lacs, ciation de violation des droits de l’homme im-
de nombreux pays sont impliqués et chacun de plique d’être jeté dans des prisons rwandaises
ces pays a ses propres conflits internes au ni- qui, selon le dernier rapport d’Amnistie inter-
veau politique, avec des guérillas à l’intérieur nationale (2008) sont toujours pleines de per-
du pays et des économies et des niveaux d’in- sonnes sans accusations qui sont en situation
justice qui font que l’instabilité nationale qu’ils de surpopulation et vivent dans des conditions
présentent s’étende à la région. extrêmement dures, soumises à un traitement
cruel, inhumain et dégradant.
Nous décrirons brièvement ci-après la situa-
tion actuelle dans trois des pays qui se trouvent Comme élément positif qui s’est produit au
dans la région des Grands Lacs : le Rwanda, le Rwanda ces dernières années, il convient de si-
Burundi et l’Ouganda. gnaler l’abolition de la peine de mort en 2007
et c’est le premier pays de la région des Grands
Lacs à l’avoir fait.
Rwanda

Au Rwanda, pour l’extérieur, on tente de Burundi


promouvoir l’unité et la réconciliation na-
tionale : on a créé un nouvel hymne et un En ce qui concerne le Burundi, la situation
nouveau drapeau pour le pays et différentes apparente de calme relatif est due au fait que
élections législatives et présidentielles ont toutes les milices ont été dissoutes22. Mais, mal-
eu lieu. Le pays a même participé à des mis- gré ces événements qui redonnent de l’espoir,
sions de paix comme celle qu’il a dirigé en la situation pourrait éclater à tout moment en
2004 au Darfour, pour consolider une cam- raison de l’augmentation de la rivalité entre
pagne de propagande internationale. les deux ethnies dans la répartition des postes
de pouvoir au gouvernement et dans l’armée.
Néanmoins, à l’intérieur, la réalité est très dif- Cette obsession du pouvoir par peur de l’autre
férente : les élections législatives gagnées par le ethnie pourrait entraîner un nouveau conflit
FPR et les présidentielles remportées par Paul au Burundi qui ferait exploser le calme tendu
Kagame ont été frauduleuses selon les observa- dans lequel vit actuellement le pays et qui tou-
teurs européens et, ce qui est plus grave, toute cherait toute la région.
dissidence ou critique contre le gouvernement
entraîne la prison sous l’accusation d’encoura- De plus, en ce moment, le pays traverse une cri-
gement du génocide et de la haine raciale. se politique dont les dimensions sont énormes
et qui peut compromettre les élections libres
La liberté d’expression20, d’association et de cir- et démocratiques prévues pour 2010 et mettre
culation n’existent pas et les services de sécu- ainsi en danger la stabilité du pays et de l’en-
rité ont tous les pouvoirs pour participer à des semble de la région.
violations des droits de l’homme en faisant un
usage excessif de la force et de la torture21. Le moment politique actuel a pour origine la
crise qui a atteint la direction du Conseil Natio-
nal pour la Défense de la Démocratie – Forces
20| Selon l’organisation Freedom House, dont le siège
se trouve aux États-Unis, en 2007, le Rwanda oc-
cupait le 181e rang sur un total de 195 pays en ce 22| En avril 2009, le dernier groupe rebelle du Burun-
qui concerne la liberté de presse. di, les Forces Nationales de Libération (FNL), ont
déposé les armes et sont devenues officiellement
21| Rapport d’Amnistie internationale sur le Rwanda un parti politique lors d’une cérémonie supervi-
de 2008. sée par l’Union Africaine.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) au Chambre basse qui, malgré le remaniement


début de 2007 et le refus du Président Nkurun- ministériel de novembre 2007, avec l’entrée de
ziza de passer un accord de gouvernement avec membres du FRODEBU et d’UPRONA au gou-
les leaders du Front pour la Démocratie au Bu- vernement, n’a pas permis de corriger la crise
rundi (FRODEBU) et de l’Union pour le Progrès de façon durable.
National (UPRONA).
De sorte que les tensions entre les partis poli-
En raison de l’éloignement d’Hussein Radjabu tiques ont augmenté à l’Assemblée nationale
de la direction du partie, le CNDD-FDD s’est et cette dernière se trouve maintenant dans la
divisé et le secteur qui est resté fidèle au Pré- capitale du pays où le climat d’insécurité, avec
sident Nkurunziza a perdu une majorité à la des attaques à la grenade contre des parlemen-

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taires de l’opposition, et de recrutement conti- Ouganda


nu de la part du Palipehutu-FNL est plus fort.
Nous sommes actuellement dans une situation
Au début du mois de juin 2008, le CNDD-FDD qui existe depuis quelques années avec des

Toni Jiménez Luque | La République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs d’Afrique : entre l’instabilité politique et l’espoir
a poussé la Cour constitutionnelle à remplacer conversations entre le Gouvernement d’Ougan-
22 députés dissidents par des éléments fidèles da et les rebelles de l’Armée de Résistance du
à la direction du parti. Le 5 juin, la Cour a ac- Seigneur (en anglais Lord Resistance Army, LRA)
cepté et le CNDD-FDD et ses alliés ont récupéré qui, malheureusement, n’en finissent pas et
la majorité de 2/3 à l’Assemblée Nationale. n’arrivent pas à mettre un point final à un des
conflits les plus brutaux d’Afrique qui a dévasté
Mais cela n’a pas résolu la crise, au contraire, le nord de l’Ouganda pendant deux décennies.
car c’est l’illustration d’une imposition de la
force contre l’opposition du gouvernement et Cette guerre de 20 ans est un conflit complexe
qui s’étend aux moyens de communication qui a pour origine, non seulement l’affronte-
et aux ONG des droits de l’homme et de lutte ment entre le mouvement LRA de Joseph Kony
contre la corruption23. et les forces gouvernementales, mais aussi les
revendications du nord du pays que se sent
Sans aucun doute, cette ambition autoritaire marginalisé depuis que le Président Yoweri
pourrait provoquer une radicalisation des par- Museveni est arrivé au pouvoir en 1986 après
tis de l’opposition qui pourraient être tentés de avoir renversé Milton Obote.
chercher des alliances avec le Palipehutu-FNL.
Leur participation aux prochaines élections 2005 a marqué la fin du mouvement LRA, car
pourrait déboucher sur une nouvelle “ethni- le gouvernement du Soudan qui avait apporté
sation” du discours politique à un moment où son soutien au groupe rebelle, a signé un accord
l’unité au sein des corps de défense et de sécu- de paix avec l’Armée Populaire de Libération du
rité est encore fragile et où l’autorité de la loi Soudan (SPLA) et a cessé d’envoyer des armes
fondamentale et celle de la Cour constitution- au LRA qui s’est retrouvé isolé et affaibli pour
nelle sont touchées. De plus, la rupture du dia- continuer sa révolte. De plus, le conflit a attiré
logue politique interne court le risque d’une une certaine attention internationale ces der-
perte prématurée de crédibilité et de faire per- nières années, ce qui a poussé le Tribunal Pé-
dre sa légitimité au scrutin, provoquant des nal International (TPI) à décréter la détention
débordements violents pendant la campagne de Joseph Kony et de cinq autres dirigeants du
électorale24. mouvement LRA en 2005 et les Nations unies à
rédiger deux résolutions (1653 et 1663) en 2006
Pour éviter que cela ne se produise, il faut re- lançant un appel à la Communauté internatio-
prendre le dialogue politique interne, préparer nale pour explorer des voies qui puissent met-
par consensus les évolutions constitutionnelles tre un point final au conflit d’Ouganda et à la
nécessaires à la recherche du processus de paix violence généralisée du nord du pays.
et établir un cadre adapté à la tenue d’élections
libres, crédibles et démocratiques en 2010. Et Dans ce contexte, les événements se sont précipi-
pour atteindre cet objectif, il est essentiel que tés et au mois de juillet 2007, une série de conver-
les partenaires régionaux et financiers du Bu- sations de paix historiques ont commencé qui
rundi, de même que la Communauté interna- allaient aboutir à la signature d’un engagement
tionale, fassent pression sur l’ensemble de la de trêve entre le gouvernement d’Ouganda et le
classe politique du Burundi. LRA, le 26 août. Mais, malheureusement, il n’a
pas été concrétisé, car Joseph Kony ne s’est pas
présenté à l’acte de signature, ce qui s’est à nou-
23| Human Rights Watch: Pursuit of Power - Political veau produit en 2008, avec un autre accord de
Violence and Repression in Burundi, 2009. paix qui est à nouveau tombé à l’eau.
24| International Crisis Group: Burundi: Restarting
Political Dialogue, Africa Briefing N°53, août En raison de cette situation, il est clair que l’ob-
2008. tention de la paix ne sera pas une tâche facile :
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

premièrement, parce qu’on ignore comment Kivu et dans la province Orientale. En outre, les
s’établiront les négociations avec un leader re- pays de la communauté internationale doivent
belle qui agit de façon irrationnelle et qui se dé- s’impliquer dans l’amélioration de la bonne
clare possédé par l’Esprit saint et deuxièmement, gouvernance de la République Démocratique
parce que la question-clé est de savoir comment du Congo et du Rwanda grâce à la transparence
traiter une amnistie possible alors que les prin- économique, la décentralisation et les élections
cipaux leaders du LRA sont recherchés par le TPI, locales, et dans le soutien à l’établissement de
accusés de crime de guerre. Ce sera sans aucun relations de stabilité politique pour la région.
doute un processus long et compliqué qui devra
être suivi avec attention ces prochains mois et il Par ailleurs, toute cette attention pour la Répu-
faudra le faire avec l’espoir d’arriver à une paix blique Démocratique du Congo et le Rwanda
historique pour le nord de l’Ouganda qui, sans doit s’étendre à deux pays de la région des
aucun doute, entraînerait une plus grande stabi- Grands Lacs, clés pour la stabilité de la zone.
lité dans la région. Nous voulons parler du Burundi et de l’Ougan-
da. Alors que le premier vit actuellement dans
un climat de confrontation et d’“ethnisation”
de la politique entre Hutus et Tutsis, le deuxiè-
me vit un des conflits armés les plus anciens et
Conclusions saignants de l’Histoire de l’Afrique et qui néces-
site l’implication internationale pour arriver à
une résolution pacifique.
D’une part, avec le panorama actuel, la cohabi-
tation entre Hutus et Tutsis dans les différents Pour apporter la paix et la stabilité dans la ré-
pays qui forment la région des Grands Lacs gion des Grands Lacs et dans chacun des dif-
africains ne sera pas possible sans une vérité férents pays que nous avons traités dans cet
complète sur le conflit et une reconnaissance article, un élément-clé est la défense et la pro-
des responsabilités de chacun qui conduisent à motion des droits de l’homme, parce que sans
la réconciliation. De plus, une attitude ferme et droits de l’homme, il ne sera pas possible d’at-
le soutien économique de la part de la commu- teindre la stabilité et la sécurité souhaitées et
nauté internationale sont nécessaire, de même encore moins le développement de la région. Il
que la révision de leurs politiques. Une révision s’agit d’une activité indispensable et nécessaire
qui passe par la non diabolisation d’une ethnie pour une région comme celle-ci qui sort d’une
déterminée et la possibilité pour les peuples série de conflits très durs et dramatiques et où,
africains d’avoir l’opportunité de se dévelop- malgré les efforts, la culture de la violence subie
per, en faisant usage des énormes ressources par les pays au cours des dernières années fait
naturelles qu’ils possèdent et de décider de qu’il y a un risque de raviver le conflit. Il est tout
leur propre avenir pour entamer une nouvelle aussi important de mettre fin à la guerre que
période dans la région où la justice amènera la de maintenir la paix. C’est pourquoi, des ini-
paix entre les différentes ethnies et où il sera tiatives qui encouragent le travail pour la paix
finalement possible de vivre en liberté. et la promotion des droits de l’homme dans la
région sont essentielles pour une future récon-
D’autre part et malgré les problèmes existants, ciliation et reconstruction sociale.
il s’est actuellement créé une situation per-
mettant d’obtenir la paix dans la région qu’il Nous pensons donc que l’implantation d’une
n’avait pas été possible de créer ces vingt der- culture de paix et la promotion des droits de
nières années. Il est maintenant temps que l’homme dans ce pays sont indispensables et
la communauté internationale soutienne et nous considérons que l’Université de Barcelone
travaille conjointement avec la République Dé- et l’Université de Lubumbashi ont une bonne op-
mocratique du Congo et le Rwanda pour établir portunité de faire connaître les Grands Lacs et, de
une stratégie de paix qui repose sur le désar- cette façon, de contribuer à la prolifération d’étu-
mement des groupes de rebelles hutus qui agis- des et d’échanges entre nos pays qui servent à
sent en toute impunité au Nord-Kivu et au Sud- promouvoir la paix et les droits de l’homme.

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Bibliographie : Webgraphie :

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90
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État
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La situation
des droits de
l’homme en
République
Démocratique
du Congo :
une réalité
dramatique
Dr. David Bondia Garcia
Professeur titulaire de Droit international
public de la Université de Barcelone

Directeur de l’Institut des Droits de l’homme


de Catalogne
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Introduction des guerriers hutus rivaux du Rwanda et du Bu-


rundi, des rebelles ougandais, des miliciens du
Congo fidèles à Kinshasa...
Depuis que Joseph Conrad a choisi le fleuve
Congo pour nous transporter au cœur des té- Les haines ethniques historiques et d’impor-
nèbres, cet État a été synonyme d’atrocité. Les tants intérêts économiques ont transformé la
conflits qui y sévissent sont comme les matrioch- région des Grands Lacs en un champ de bataille
kas russes : dans chacun d’eux, il y en a toujours sans trêve et, bien qu’il y ait encore des gens
un autre. C’est ainsi qu’en plus des conflits entre que ne veulent pas le voir, même après les ac-
les gouvernements de la région, il faut ajouter les cords de paix qui, en 2002, ont mis fin à quatre
guerres civiles de chacun des États de la région, et ans de guerre civile sanglante. Les principaux
dans chacun d’entre eux, il y a des guerres encore
plus odieuses, comme celles qui ont lieu contre
des opérations militaires contre la République Dé-
les enfants, fréquemment enlevés pour servir mocratique du Congo sur le territoire de cette der-
d’esclaves comme serviteurs ou dans guerres nière, en occupant l’Ituri et en apportant son soutien
des milices, et les femmes et les enfants victimes militaire, logistique, économique et financier aux
d’une violence sexuelle dont le degré dépasse forces irrégulières qui opéraient en territoire congo-
quasiment tout ce qu’on peut imaginer. lais, a violé le principe d’abstention de l’usage de la
force dans les relations internationales et le principe
de non intervention ;
Mais tout cela ne doit pas nous confondre et Déclare que, étant donné le comportement de ses for-
nous pousser à penser que la cruauté extrême ces armées, qui ont commis des assassinats et réalisé
est un produit autonome, car elle a été soigneu- des actes de torture et d’autres formes de traitements
inhumains contre la population civile congolaise, ont
sement cultivée pendant des dizaines d’années détruit des villages et des constructions civiles, n’ont
d’exploitation, d’anarchie et d’impunité. L’origi- fait aucune distinction entre les objectifs civils et les
ne de cette cruauté remonte à l’époque de la co- objectifs militaires et n’ont pas protégé la population
lonisation du Congo, où tous les records en ma- civile dans les affrontements avec d’autres combat-
tière d’aberration ont été battus, à une époque tants, ont soumis des enfants soldats à l’entraînement
militaire, ont incité au conflit ethnique et n’ont adopté
où les normes relatives aux droits de l’homme aucune mesure pour y mettre fin et n’ont pas adopté,
étaient pratiquement inexistantes. comme puissance occupante, de mesures pour respec-
ter et faire respecter les droits de l’homme et le droit
Bien que les rivalités ethniques soient ances- international humanitaire dans la région de l’Ituri, la
République d’Ouganda a enfreint les obligations qui
trales dans l’ancienne République du Zaïre, les étaient les siennes en vertu de la réglementation in-
tensions ont augmenté à partir de 1994, avec ternationale en matière de droits de l’homme et du
l’arrivée de plus d’un million de réfugiés hutus droit international humanitaire.
qui fuyaient la guerre civile et le génocide du Déclare que, pour les actes de pillage et d’exploita-
Rwanda. Nombreux sont les groupes opposés tion des ressources naturelles congolaises commis
par des membres des Forces armées ougandaises
aujourd’hui dans le secteur : les groupes rebel- sur le territoire de la République Démocratique du
les du Mouvement congolais pour la démocra- Congo et pour ne pas avoir rempli les obligations
tie (MDC) (MLC : Mouvement de Libération du qu’elle avait, en tant que Puissance occupante dans
Congo), soutenus par le Rwanda et l’Ouganda1 ; la région de l’Ituri, d’empêcher les actes de pillage et
d’exploitation des ressources naturelles congolaises,
la République d’Ouganda a manqué à ses obliga-
tions envers la République Démocratique du Congo
1| Ces soutiens et ingérences dans les affaires inter- en vertu du droit international ;
nes de la RDC ont été relevés par la Cour interna- Déclara que la République d’Ouganda a l’obligation
tionale de justice elle-même. Le 19 décembre 2005, vis-à-vis de la République Démocratique du Congo
la Cour internationale de justice a rendu publique de réparer les préjudices causés”.
sa sentence qui concernait l’affaire entre la Répu- M. Okello Oryem, Ministre d’État d’Ouganda char-
blique Démocratique du Congo et la République gé des relations internationales, a annoncé qu’une
d’Ouganda sur des “activités armées sur le territoi- équipe avait été formée pour négocier avec les
re du Congo” (République Démocratique du Congo autorités congolaises les termes de l’indemnisa-
c. Ouganda). tion financière que son État devrait payer à la Ré-
Dans le dispositif de la sentence, la Cour internatio- publique Démocratique du Congo, conformément
nale de justice : à ce qui a été établi par la sentence de la Cour inter-
« Déclare que la République d’Ouganda, en menant nationale de justice du 19 décembre 2005.

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Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique
foyers de violence se trouvent dans les régions moins 50 000 morts et plus d’un demi million
de l’Ituri et du Kivu qui ont été la scène d’af- de réfugiés ou de déplacés internes, selon les
frontements brutaux et de massacres tribaux chiffres d’Amnistie internationale.
pour le contrôle de ce secteur aux abondantes
ressources minérales. Il s’agit d’une zone avec Le cessez-le-feu signé l’été 2002 avec l’Ouganda
d’importants gisements de diamants, d’or, de et le Rwanda et le pacte interne du 17 décembre
pétrole, d’uranium et qui a été récemment su- pour la création d’un gouvernement de transi-
rexploitée en raison de l’existence du coltan tion ont mis fin au conflit qui est connu sous le
(colombite et tantalite), un métal utilisé dans nom de “Première guerre mondiale d’Afrique”,
le secteur des nouvelles technologies et parti- pendant laquelle sont morts plus de trois mil-
culièrement nécessaire pour la fabrication de lions de personnes dont la plupart étaient des
téléphones mobiles. C’est dans cet endroit de la civils et qui a aussi impliqué six autres pays
planète que se trouvent 80% des réserves mon- voisins : l’Angola, le Zimbabwe et la Namibie,
diales de ce métal très prisé. qui ont soutenu celui qui était alors Président,
Laurent Désiré Kabila ; et l’Ouganda et le Rwan-
Alors que la République Démocratique du Congo da, défenseurs des rebelles.
(RDC) apparaît comme une des nations les plus
pauvres du monde, autour des gisements, il En avril 2003, les factions opposées ont convenu
existe un complexe commercial dûment orga- de la formation d’un gouvernement d’unité
nisé pour se distribuer les richesses naturelles nationale qui a été légalement établi le 30 juin,
et leur exploitation. Les organisations des droits dans le but de stabiliser le pays en vue des élec-
de l’homme insistent sur le fait que les États- tions du 30 juillet 2006. Depuis lors, les organi-
Unis, l’Allemagne, la Belgique et le Kazakhstan sations internationales qui travaillent sur le ter-
– principaux destinataires du coltan, mais pas rain signalent les affrontements et violations
les seuls – et les multinationales qui en font le des droits de l’homme permanents qui conti-
commerce, sont, en définitive, ceux qui finan- nuent à se produire, même après le déploie-
cent le conflit, maintenu aussi par le commer- ment, en novembre 2003, de 45 000 militaires
ce illégal de diamants dans les zones du pays de la MONUC pour assurer la protection de la
contrôlées par le Gouvernement. Depuis 1999, population civile dans la zone de Bunia et ses
le conflit dans la région de l’Ituri a provoqué au environs. Après le massacre en juin 2004 d’une
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

centaine de civils au nord-est de l’Ituri, l’instabi- judiciaire indépendant et le manque de contrôle


lité s’est à nouveau manifestée dans la région. du pouvoir judiciaire sur les décisions du pou-
voir exécutif sont également lamentables. Il
Le passé du Congo peut nous sembler lointain, faut également ajouter les problèmes engen-
mais ce n’est pas le cas de son présent. En oc- drés par l’insécurité, la situation des femmes
tobre 2008, la démission du général Díez de et des enfants, le trafic et l’exploitation illicite
Villegas, l’Espagnol qui commandait le contin- des ressources naturelles et d’autres attentats
gent de 17000 casques bleus au Congo, trois se- contre les droits fondamentaux, dans d’autres
maines seulement après avoir pris la direction domaines. En définitive, le drame des réfugiés
de la mission, a énormément surpris. Plusieurs et des déplacés, la présence de groupes armés,
jours après sa démission, l’offensive des milices l’exploitation des ressources naturelles, le trafic
tutsies de celui qui s’est autoproclamé général d’armes et le recrutement des enfants soldats,
Laurent N’kunda a entraîné l’exode de 250 000 sont certains des facteurs qui font douter de la
personnes et une aggravation des atrocités viabilité d’un processus de paix réel et effectif.
contre la population civile2.

La situation des droits de l’homme continue à


être très préoccupante sur tout le territoire de
la République Démocratique du Congo, en par- 1. La réalité dramatique des droits de
ticulier dans les régions orientales (Ituri, Nord l’homme en République Démocratique
Kivu et Sud Kivu) et au nord du Katanga, où les du Congo.
milices et d’autres groupes rebelles, nationaux
et étrangers, de même que les Forces armées de
la République Démocratique du Congo (FARDC) La réalité dramatique de la situation des droits
et les Maï Maï, commettent en toute impunité de l’homme en République Démocratique du
des abus et d’autres violations massives des Congo ne permet pas de signaler, dans un ar-
droits de l’homme. Le massacre de la popu- ticle de longueur réduite, toutes les violations
lation civile, le pillage, le viol massif de nom- qui se produisent quotidiennement. Nous
breuses femmes et enfants et les exécutions nous pencherons sur certains cas qui peuvent
sommaires, entre autres, ont mis à l’épreuve les horrifier d’un point de vue occidental, mais qui
efforts réalisés par le gouvernement de transi- montrent aussi clairement le manque de colla-
tion nationale pour améliorer la situation. boration et une omission de la responsabilité
de protéger que la Communauté internationa-
Parmi les principaux problèmes, on peut consta- le devrait assumer en application du principe
ter le manque de consensus dans la gestion du respect de la dignité humaine partout dans
commune de la période de transition, de même le monde.
que la dégradation continue de l’ordre en Ituri
(province orientale) en raison des attaques répé- L’insécurité continue est la toile de fond de la
tées des milices armées. L’absence d’un pouvoir violation des droits de l’homme en République
Démocratique du Congo. L’insécurité est grande
2| La mission des Nations Unies (MONUC) a été dé-
et acquiert de l’importance à Kinshasa et dans
bordée, incapable de contenir les massacres. À toute la République Démocratique du Congo ;
certains endroits comme Kiwanja il a été docu- il est signalé tous les jours un assassinat, une
menté l’assassinat d’environ 160 civils désarmés agression, un vol à main armée, des viols de fem-
par les milices tutsies aux abords de la base des mes et d’enfants, etc. En 2005, le bureau du Haut
casques bleus pakistanais. Quelques jours plus
tard, en novembre 2008, le Conseil de sécurité a Commissariat pour les droits de l’homme et la
approuvé le déploiement de 3000 nouveaux cas- Division des droits de l’homme de la MONUC ont
ques bleus, mais tout le monde, Europe comprise, recueilli de nombreuses données sur la violation
a regardé ailleurs. Bien que le général N’kunda ait massive des droits de l’homme dans to ut le pays,
été arrêté, son second, Bosco Ntaganda, recherché
par la Cour pénale internationale pour des crimes
et différents attentats contre la vie. Cette situa-
comme celui de Kiwanja, a pris le commande- tion d’insécurité entraîne de graves violations,
ment des milices tutsies. parmi lesquelles on peut remarquer :

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a) La situation des femmes et des enfants. ont maintes fois été dénoncés. Le sort qui at-
tend les enfants doit éveiller le plus haut de-
Les actes de violence sexuelle se multiplient gré d’incertitude. La situation dramatique en
dans la plus absolue impunité. Des femmes République Démocratique du Congo n’a pas
enceintes, des personnes détenues et des mi- de limites et recouvre différents domaines
neurs sont victimes de violences individuelles qui devraient être pris en compte. En effet, les
et collectives. Comme présumés impliqués, on enfants sont utilisés dans les conflits armés,
trouve des membres de la police nationale, des abandonnés dans les rues, victimes de mas-
forces armées et des milices, soit par action, sacres et accusés de sorcellerie. Il semble im-

Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique
soit par omission. pératif d’éveiller la conscience de tout le pays
et d’obtenir le concours de la communauté in-
Les cas de violence sexuelle se produisent dans ternationale pour sauvegarder l’enfance qui
tout le pays, surtout dans les régions de l’est est l’avenir du pays et du monde.
tendues. Différents rapports de la MONUC et
du HCNUDH publiés en 2005 mettent l’accent
sur différents cas de viols, d’abus et de harcèle- c) L’exercice des droits civils et politiques.
ment sexuels dont sont généralement respon-
sables des hommes armés. Il s’est produit un fait historique avec la tenue
d’élections, mais cela n’a pas créé un élan de
Les dénonciations sont nombreuses qui sont changement. Il existe une nette intolérance,
résolues à l’amiable à la demande ou sous une répression violente des manifestations
l’autorité des chefs traditionnels ou des res- et des opposants politiques et des détentions
ponsables administratifs locaux. Cela est dû à illégales de journalistes et de défenseurs des
la faible proportion de femmes dans le person- droits de l’homme. Dans ces conditions, on ne
nel judiciaire, en raison de la prééminence de peut pas dire que les valeurs démocratiques
la culture patriarcale et d’une perception de la aient pris racine en République Démocratique
violence contre les femmes comme un fait nor- du Congo.
mal. Tout cela contribue à la prolifération de
“médiateurs” en République Démocratique du Il faut souligner qu’en 2005 il s’est produit un
Congo, surtout au Sud Kivu3. fait très important pour la reconstruction de
l’État de droit en RDC, l’approbation par une
On a également constaté le trafic d’influences, grande majorité du projet de constitution qui
l’abus d’autorité, l’usage inapproprié du pou- régira la vie nationale. Il convient de signaler
voir et d’autres formes de violence sexuelle en que pendant 45 ans de vie indépendante, la
milieu scolaire et universitaire contre des élè- République Démocratique du Congo a connu
ves et des étudiants : c’est ce qu’on appelle la deux référendums constitutionnels (en 1964
“qualification sexuelle transmissible”. et en 1967), quatre élections présidentielles (en
1960, 1970, 1977 et 1984), cinq élections légis-
latives nationales (en 1960, 1965, 1977, 1982 et
b) Le cas des enfants soldats et des enfants des 1987), deux élections législatives provinciales
rues. (en 1960 et 1965) et plusieurs élections munici-
pales et locales (en 1963, 1964, 1965, etc.).
L’enrôlement de mineurs comme combat-
tants et la situation des enfants des rues en Ainsi, le 18 décembre 2005, les Congolais ont
raison de la conjoncture d’instabilité et de été appelés aux urnes pour voter pour ou
dégradation économique dans laquelle se contre le projet de constitution qui leur avait
trouve la République Démocratique du Congo été présenté. Chaque bureau de vote compre-
nait cinq membres : un président, un secré-
taire et trois assesseurs. La Commission élec-
3| Comme aspect positif, il faut souligner que l’ad-
ministration a pu obtenir la preuve du médico-
torale indépendante, lors d’une conférence de
légale, grâce à l’adoption d’un certificat médical presse sur le déroulement du référendum, a
normalisé (ODHNU). indiqué qu’il avait été enregistré une partici-
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

pation d’au moins 60%, un taux considérable, la même façon, le droit au logement, le droit à
dans 8 des 11 provinces de l’État. De l’avis de l’alimentation et un niveau de vie digne, sont,
la plupart des observateurs et de la commu- pour le moment, inaccessibles.
nauté internationale, les élections se sont dé-
roulées sans gros problèmes. Néanmoins, des
déficiences et des limitations déterminées4 e) La situation des déplacés internes et des ré-
ont été signalées. fugiés.

Le 11 janvier 2006, la Commission électorale in- En République Démocratique du Congo, il y a


dépendante a publié les résultats définitifs du 6 millions de déplacés internes, répartis dans
référendum constitutionnel : 61,97% des 25 021 tout le pays, avec une prédominance des grou-
703 électeurs recensés ont participé aux élec- pes vulnérables : les enfants, les femmes et les
tions et 83,31% ont voté pour, alors que 15,69% personnes âgées. De nombreux réfugiés ont fui
seulement ont voté contre. À l’exception de la région orientale où les FARDC et les groupes
quelques incidents lamentables, le référendum armés s’affrontent.
s’est déroulé, selon les différents observateurs,
sans trop de problèmes. L’Union européenne, Différents faits indiquent que l’état de la sé-
par l’intermédiaire de son Commissaire au curité empire. Une attaque des FARDC contre
Développement et à l’Aide humanitaire – M. le chef maï maï, “Commandant Gédéon”, a en-
Louis Michel – a exprimé sa satisfaction de- traîné la fuite et le déplacement de plus de 160
vant la mobilisation et la participation de la 000 personnes au Katanga du nord ; cette po-
population au référendum constitutionnel. Il pulation est en situation d’absolue dénutrition
faut signaler que plus de 80 000 soldats et plus et de traumatisme psychique ; elle ne reçoit
de 70% des effectifs militaires de la MONUC se aucune aide humanitaire.
sont mobilisés pour l’occasion.
Le 27 décembre 2005, à l’Office de coordination
des affaires humanitaires (OCAH) de la Répu-
d) La garantie des droits économiques, so- blique Démocratique du Congo, il a été signalé
ciaux et culturels. le déplacement de plus de 10 000 civils qui
fuyaient le pillage et la violence des opérations
Étant donné la situation d’instabilité socioé- conjointes des FARDC et de la MONUC contre
conomique en République Démocratique du les rebelles des Forces démocratiques alliées
Congo, il est difficile de pouvoir garantir les (ADF) au Nord Kivu ; selon le porte-parole de
droits économiques, sociaux et culturels. Dans l’OCAH, il a été enregistré un total de 28 000
ce domaine, il est de plus en plus nécessaire de familles déplacées, dont 600 à Eringeti, 516 à
revoir les contrats sur l’exploitation des ressour- Kokola, 337 à Mayi Moya, 88 à Mukoko et 358
ces naturelles, en raison de la mauvaise gestion à Oicha.
du secteur. Un autre droit touché est le droit à
l’enseignement de base, car de nombreux en- Le Programme mondial des aliments (PMA) en
fants n’ont pas un accès aux écoles garanti. De Zambie a signalé que plus de 82 000 réfugiés
congolais et angolais qui résidaient en Zambie
couraient le risque de souffrir de dénutrition
4| En particulier : a) L’ouverture tardive de différents grave en 2006.
bureaux de vote, souvent pour des raisons de sé-
curité ; b) La nouvelle de la mort de dizaines de Selon le Bureau du HCNUR à Kinshasa, la Ré-
personnes en raison des émeutes de Rutshuru,
au Nord Kivu, au bureau de vote lui-même ; c) publique Démocratique du Congo occupe le
L’agression contre la présidente d’un bureau de troisième rang mondial comme pays d’ori-
vote à Mbuji-Mayi, au Kasaï oriental ; d) L’absence gine des réfugiés, avec 462 200 personnes,
d’observateurs dans différents bureaux de vote de derrière le Soudan (730 600) et l’Afghanistan
Tshela, au Bas Congo ; e) La détention de personnes
en possession de faux bulletins de vote ; f) La non
(2 084 900). Selon le HCNUR, il reste 150 000
participation aux élections, par manque de sécu- réfugiés congolais en République unie de
rité, de trois villages de Buthue, au Nord Kivu. Tanzanie.

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Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique
f) L’impunité et l’Administration de la justice. également faire référence au déploiement de
l’Équipe du Haut Commissariat des Nations
Le Président de la République Démocratique Unies pour les droits de l’homme pour éta-
du Congo, Joseph Kabila, s’est engagé, dans le blir une cartographie des violations graves du
sens où une de ses priorités sera la lutte contre Droit international des droits de l’homme et
l’impunité. Il faut dire que dans ce domaine du Droit international humanitaire entre 1993
peu de progrès ont été réalisés, au contraire, la et 2003.
situation a empiré. Il a été mis l’accent sur le
fait que des nominations ou des promotions La situation vécue au Nord Kivu est alarmante
de présumés auteurs de violations graves des où les violations des droits de l’homme ne font
droits de l’homme, surtout, dans le secteur des l’objet d’aucune investigation et où il se produit
forces armées, se sont produites. Cela est dû au des simulacres de procès, un fait qui implique
fait qu’il n’y a aucun mécanisme de correction une impunité flagrante. De nombreux dossiers
et qu’il n’est donc pas possible de destituer et procès en cours sont paralysés. Par ailleurs,
de leurs fonctions les personnes suspectées il faut signaler la tendance inquiétante des
d’avoir commis de tels actes. Il faut dire que de tribunaux militaires à affirmer systématique-
timides progrès ont été faits dans des domai- ment leur compétence sur les tribunaux civils
nes déterminés. Il convient, par exemple, de – un fait qui est contraire à l’article 152 de la
signaler le transfert de Thomas Lubanga – an- Constitution de la République Démocratique du
cien chef de la milice - et de Germain Katanga, Congo –. Cela obéit aux obstructions fréquentes
chef des Forces de résistance patriotique en à l’action de la justice dérivées de l’ingérence de
Ituri, à la Cour pénale internationale5. On peut la hiérarchie politique et militaire.

5| Actuellement, devant la Cour pénale internatio- des milliers de déplacés en Ituri. La cause est prin-
nale, deux causes sont en cours : la première est cipalement fondée sur le recrutement d’enfants
une cause contre Thomas Lubanga, ancien chef soldats pour participer aux hostilités. La deuxiè-
de la milice, qui a entraîné plus de 6000 morts et me cause concerne Germain Katanga.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

En ce qui concerne le système judiciaire, il est 2. La constatation de la réalité sur la


caractérisé par sa corruption systématique, situation des droits de l’homme en
dans laquelle l’indépendance et la capacité des République Démocratique du Congo.
juges est menacée par les faibles moyens fi-
nanciers qui leur sont consacrés. Cela entraîne
une situation claire d’insuffisance de moyens Bien que la République Démocratique du
dans le pouvoir judiciaire qui implique des Congo ait présenté son rapport national au
conditions de travail précaires pour l’ensem- Conseil des droits de l’homme conformément
ble du personnel judiciaire. Il faut dire que seul aux dispositions de l’article 15 a) de l’annexe de
0,75% des dépenses publiques est destiné aux la Résolution 5/ 1 de ce même Conseil6, il n’y a
infrastructures du pouvoir judiciaire. pas encore eu de réponse de la part du Conseil
pour mettre en évidence le fantastique rapport
Une autre des anomalies constatées repose sur sur la situation des droits de l’homme sur son
l’utilisation de la Constitution pour réduire la territoire élaboré par le gouvernement de la Ré-
capacité d’action du pouvoir judiciaire. Cette publique Démocratique du Congo. Néanmoins,
dénonciation a également été faite et réitérée la constatation de la réalité existante apparaît
par M. Leandro Despouy – Rapporteur spécial dans les observations finales faites par le Co-
sur l’indépendance des juges et des avocats –. mité des droits de l’homme 7, en 2006, car la
La pratique qui consiste à révoquer et à nom- situation n’a pas beaucoup changé ces trois
mer des magistrats sur la recommandation du dernières années.
Conseil supérieur de la magistrature (non en-
core constitué) est courante. Dans ces observations finales, le fait que la RDC
ait décidé, après plus de 15 ans, de reprendre le
Même si l’acceptation de la compétence de la dialogue avec le Comité et donc de présenter
Cour pénale internationale suppose une tenta- son troisième rapport périodique, a été accueilli
tive louable de lutter contre l’impunité qui do- avec une satisfaction particulière. Le manque
mine toutes les structures de l’État pour faire de présentation des rapports pertinents, pen-
face aux graves violations du Droit internatio- dant un laps de temps aussi long, constitue en
nal des droits de l’homme et du Droit interna- lui-même, de l’avis du Comité, un manquement
tional humanitaire, il faut tenir compte du fait aux obligations assumées par la RDC conformé-
que la Cour pénale internationale ne peut pas ment à l’article 40 du Pacte international rela-
s’occuper de tous les crimes et violations, car tif aux droits civils et politiques, constituant un
elle n’est compétente que depuis juillet 2002, obstacle pour une réflexion plus approfondie
date à laquelle est entré en vigueur son statut. sur les mesures qui doivent être adoptées pour
garantir une application satisfaisante des dis-
En ce qui concerne les dénonciations de viola- positions du Pacte.
tions d’avant le mois de juillet 2002, il existe la
proposition de l’établissement d’un tribunal in- Le Comité a reçu avec satisfaction les infor-
ternational spécial pour la République Démocra- mations fournies sur l’évolution politique et
tique du Congo, pour connaître les crimes com- constitutionnelle de l’État, de même que sur
mis depuis 1993, année à partir de laquelle les l’évolution du régime constitutionnel et de la
Nations Unies ont recueilli des informations et législation depuis 2002. Le même Comité a pris
de la documentation sur des infractions graves. note de la mention faite par l’État sur la com-
plexité des communications et les difficultés
Une autre proposition consisterait à créer propres aux régions de l’est de l’État en raison
des chambres pénales mixtes attachées aux du manque de contrôle effectif du gouverne-
cours d’appel internes, pour juger les person-
nes responsables d’actes de génocide d’autres
violations graves commises en République 6| NATIONS UNIES : A/HRC/WG.6/5/COG/1, du 23
Démocratique du Congo ou par un national février 2009.
de la République Démocratique du Congo sur 7| NATIONS UNIES : CCPR/C/COD/CO/3, du 26 avril
d’autres territoires. 2006.

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99

ment8. Néanmoins, le Comité rappelle au gou- avocats, y compris ceux qui exercent déjà leurs
vernement que les dispositions du Pacte inter- fonctions, sur le contenu du Pacte et des autres
national relatif aux droits civils et politiques, instruments internationaux relatifs aux droits
comme celles de tout autre traité international de l’homme qui ont été ratifiés par la RDC9.
concernant les droits de l’homme ratifié par la
RDC, s’appliquent à la totalité de son territoire, Le Comité observe avec satisfaction l’informa-
avec toutes les obligations qui en découlent. tion sur le fait que les juges auteurs de la com-
munication numéro 933/200 (Busyo et d’autres)
Les aspects positifs de ce rapport soulignés par pourront à nouveau exercer librement leur pro-

Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique
le Comité sont principalement la vision satis- fession et qu’ils ont reçu une indemnisation en
faisante de la transition Démocratique en RDC raison de la suspension arbitraire de leurs fonc-
depuis la signature de l’Accord de Pretoria du tions ; néanmoins, le Comité reste soucieux, car
17 décembre 2002, l’entrée en vigueur de la l’État n’a rien fait en ce qui concerne l’appli-
Constitution du 18 février 2006 et la perspecti- cation des recommandations réitérées conte-
ve des premières élections générales qui se sont nues dans de nombreux jugements approuvés
tenues au printemps 2006. Il remarque aussi la dans le cadre du Premier protocole facultatif du
coopération de l’État partie avec la Cour pénale Pacte [comme, en particulier, les jugements des
internationale, dans le cadre de l’investigation affaires numéros 366/1989 (Kanana), 542/1993
demandée à la Cour par le gouvernement de la (N’Goya), 641/1995 (Gedumbe) et 962/2001 (Mu-
RDC le 19 avril 2004. Il demande aussi que la lezí)].
RDC approuve le projet de loi relatif à l’incorpo-
ration du Statut de Rome à l’ordonnancement L’État partie doit appliquer les recommanda-
juridique national et ratifie et applique l’Accord tions formulées par le Comité dans les affaires
sur les privilèges et les immunités de la Cour pé- précédemment citées et l’informer immédiate-
nale internationale. ment. L’État partie doit aussi accepter une mis-
sion de suivi du Rapporteur spécial du Comité
Il accueille également avec satisfaction la créa- pour le suivi des jugements, dans le but d’exa-
tion, moyennant la Loi numéro 04/019, du 30 miner des modalités possibles d’application
juin 2004, de l’Observatoire national des droits des recommandations du Comité et d’obtenir
de l’homme, une institution nationale chargée une coopération plus effective avec le Comité.
de la protection et de la promotion des droits
de l’homme en RDC, indépendante d’autres Malgré l’information fournie sur différentes ac-
institutions de la République. tions pénales menées contre les responsables
de violations des droits de l’homme, le Comité
Comme de raison, ces observations finales met- constate, avec préoccupation, l’impunité avec
tent aussi l’accent sur les principaux motifs de laquelle ont été commises et continuent à l’être,
préoccupation et les recommandations. Le Co- des violations graves et nombreuses des droits
mité observe que, conformément à l’article 215 de l’homme sur le territoire de la RDC, même si
de la Constitution, les traités internationaux l’identité des responsables de ces violations est
priment sur les lois et que le PIDCP peut y être, souvent connue (article 2 du Pacte).
il l’est parfois, invoqué directement devant
la justice nationale. Je regrette de n’avoir pas L’État partie doit adopter les mesures appro-
reçu d’information précise sur la compatibi-
lité entre le droit coutumier qui est encore en
vigueur dans certaines parties du pays et les 9| Le Comité demande que dans le prochain rapport
périodique une information plus détaillée lui soit
dispositions du Pacte. Le Comité estime donc présentée sur les ressources effectives mises à la
que la RDC doit continuer et améliorer le pro- disposition des particuliers en cas de violations
gramme de formation des magistrats et des des droits de l’homme stipulées dans le Pacte,
que soient mentionnés des exemples concrets
des causes dans lesquelles les tribunaux auront
8| Région qui subit un embargo sur les armes en invoqué les dispositions du Pacte et que soient
vertu de la résolution 1493 (2003) du Conseil de données des explications sur le fonctionnement
Sécurité. des tribunaux de droit coutumier.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

priées pour garantir que toutes les dénoncia- police et par la sensibilisation et la formation
tions de violations des droits de l’homme por- de ses agents.
tées à sa connaissance fassent l’objet d’une
investigation pour que les responsables de ces Bien qu’il soit stipulé, selon l’article 15 de la
violations soient jugés et punis. Constitution, que les autorités publiques
doivent veiller à l’élimination de la violence
Le Comité observe avec préoccupation une pra- sexuelle, le Comité est préoccupé par le nom-
tique persistante de discrimination contre la bre d’actes de violence graves, y compris les
femme, dans les domaines de l’éducation, l’éga- actes de violence sexuelle et les nombreux épi-
lité des droits des conjoints au sein du mariage sodes de viol dont sont victimes les femmes et
et la gestion des biens de la famille. Le Comité les enfants dans les zones de conflit armé. Le
signale surtout la RDC, en particulier, son Ob- Comité observe aussi les dénonciations selon
servation générale numéro 28 (2000) relative lesquelles les fonctionnaires de l’opération de
à l’égalité des droits entre les hommes et les maintien de la paix en RDC (MONUC) auraient
femmes. Le Comité exprime sa préoccupation commis des actes de violence sexuelle (articles
pour le fait que l’État lui-même admet que les 3, 6 et 7 du Pacte).
femmes ne jouissent pas de leurs droits en tou-
te égalité avec les hommes en matière de par- L’État partie doit adopter les mesures nécessaires
ticipation politique et d’accès à l’éducation et à pour renforcer sa capacité en vue de garantir la
l’emploi (articles 3, 25 et 26 du Pacte). protection de la population civile dans les zones
de conflit armé et, en particulier, des femmes et
Dans ce sens, l’État partie doit, en premier lieu, des enfants. Il doit communiquer les directives
accélérer l’adaptation du Code de la Famille pertinentes à tous les membres des forces armées
aux instruments juridiques internationaux et de l’État partie et ils devront suivre des cours de
surtout aux articles 3, 23 et 26 du Pacte, en parti- formation obligatoires sur les droits de l’homme.
culier, pour ce qui fait référence aux droits res- L’État partie doit insister pour que les États qui
pectifs des conjoints au sein du mariage et à la participent à la MONUC dont sont originaires
quasi-impunité du mariage forcé. Et, en deuxiè- les fonctionnaires qui ont commis des actes de
me lieu, il doit faire un plus gros effort pour en- violence sexuelle, procèdent à des enquêtes et
courager la participation politique et l’accès de adoptent les mesures qui correspondent.
la femme à l’éducation et à l’emploi10.
Le Comité est toujours préoccupé par le taux
Le Comité est préoccupé par les dénonciations élevé de mortalité des mères et des enfants en
relatives à la violence domestique en RDC et RDC, dû, en particulier, au faible niveau d’accès
par les défaillances des autorités publiques en aux services de santé et de planification fami-
ce qui concerne le jugement pénal de ces actes liale et au bas niveau d’instruction. L’État doit
et la protection des victimes. Le Comité rappelle garantir une meilleure formation du personnel
que la spécificité de ces actes de violence néces- sanitaire.
site la promulgation d’une législation spéciale
(articles 3 et 7 du Pacte). Le Comité est aussi préoccupé par le nombre
élevé, sur tout le territoire de l’État, des dispari-
L’État partie doit adopter le projet de loi qui in- tions forcées ou des exécutions sommaires et/ou
terdit et sanctionne la violence domestique et arbitraires, commises par les groupes en conflit.
sexuelle. Il doit également établir un régime Ces actes de violence provoquent aussi des
adéquat de protection des victimes. L’État doit mouvements massifs de populations touchées
s’engager à juger et à punir ces actes de vio- et contribuent à augmenter constamment le
lence, en particulier, par la communication de nombre de déplacés, surtout dans les provinces
directives claires dans ce sens à ses services de de l’Ituri, du Kivu septentrional et méridional
et du Katanga (articles 6, 7 et 9 du Pacte).
10| L’État partie devra, dans son prochain rapport,
communiquer au Comité les mesures adoptées et L’État partie doit enquêter sur tous les actes
les résultats obtenus. de disparition forcée ou d’exécution arbitrai-

100
101

re dont il aura connaissance, juger et punir Pacte). L’État doit poursuivre ses efforts pour
comme il se doit les responsables de ces actes éliminer ces phénomènes11.
et concéder aux victimes ou à leur famille une
réparation effective, y compris une indemnisa- Le Comité constate aussi que, bien que ce soit
tion adéquate (articles 6, 7 et 9). L’État est égale- l’exception selon les dispositions des articles 17
ment invité à renforcer les mesures destinées à de la Constitution et 28 du Code de procédure
contenir le phénomène du déplacement forcé. pénale, la détention préventive semble plutôt
être la norme. Bien que la détention doive être
Le Comité déplore qu’une définition de la torture réalisée sur ordre du ministère public, il est fré-

Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique
n’ait pas été incorporée au Code pénal de la RDC. quent que des détentions soient réalisées sans
Il observe aussi avec préoccupation les dénon- cet ordre et, même si la détention provisoire sans
ciations de nombreux actes de torture présu- intervention judiciaire ne doit pas dépasser 48
més commis, en particulier, par des agents de la heures, il est fréquent qu’elle dépasse de beau-
police judiciaire, les services de sécurité, les for- coup ce délai. Le Comité signale aussi sa préoc-
ces armées et les groupes rebelles qui opèrent cupation parce que les services de sécurité civile
sur le territoire national (article 7 du Pacte). et militaire ont recours à des détentions dans des
lieux non autorisés ou secrets, et empêchent très
L’État partie doit définir, le plus rapidement pos- souvent les détenus de communiquer avec un
sible, le concept de “torture” et typifier la tortu- avocat ou leurs parents (article 9 du Pacte). Il faut
re comme délit. Il faudra enquêter sur toutes les donc fermer le plus rapidement possible les lieux
dénonciations de torture et les responsables de ou centres de détention non autorisés.
ces actes devront être jugés et punis comme il
se doit. Les victimes devront recevoir une répa- L’État partie doit veiller à ce que les conditions
ration effective, y compris une indemnisation de détention dans les établissements pénitenti-
adéquate. aires du pays soient compatibles avec les Règles
minimales des Nations Unies concernant le trai-
Bien que la Charte des droits de l’homme de la tement des reclus et que les reclus reçoivent une
RDC, adoptée en juin 2001, se prononce en fa- alimentation appropriée. Il faut procéder à la mo-
veur de l’abolition de la peine de mort, le Co- dernisation des établissements pénitentiaires
mité reste préoccupé par le nombre de procès, de l’État. La situation des prisons sur tout le ter-
surtout devant l’ancien Tribunal militaire, dans ritoire de la République Démocratique du Congo
lesquels la peine de mort est prononcée contre est lamentable et inhumaine et les conditions de
un nombre indéterminé de personnes, de réclusion sont précaires. Ces établissements sont
même que la suspension, en 2002, du moratoire loin de respecter les règles minimales concernant
des exécutions. le traitement des reclus : l’alimentation n’est pas
appropriée, il n’y a pas d’assistance médicale, il
L’État partie doit garantir que la peine de mort n’y a pas de séparation entre les différentes caté-
ne s’applique qu’aux délits les plus graves. Le gories de reclus ou de cellules, il y a une absence
Comité souhaite recevoir de plus amples infor- totale de conditions d’hygiène.
mations sur les condamnations à mort pronon-
cées par l’ancien Tribunal militaire et le nom- Le Comité est préoccupé par le maintien des orga-
bre précis des exécutions entre 1997 et 2001. nes de justice militaire et par l’absence de garan-
Le Comité demande à l’État qu’il supprime la
peine capitale et qu’il adhère au Deuxième pro-
tocole facultatif du Pacte. 11| Il est demandé que, dans le prochain rapport pé-
riodique, figure toute l’information concernant
les mesures adoptées par les autorités dans le but
Le Comité reste préoccupé par la traite des en- de juger les responsables de la traite des enfants
fants, surtout à des fins d’exploitation sexuelle et de mettre fin à l’enrôlement de mineurs dans
ou économique, de même que par l’enrôlement les forces armées et pour réhabiliter et protéger
les victimes, entre autres mesures, moyennant le
forcé de nombreux enfants dans les milices ar- renforcement des activités de la Commission na-
mées et, bien que dans une moindre mesure, tionale de démobilisation et de réintégration des
également dans l’armée régulière (article 8 du enfants soldats (CONADER).
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

ties de jugement impartial dans les actions de ces res ont pour objet, dans la plupart des cas, de faire
tribunaux. Le nombre manifestement insuffisant obstacle à l’exercice légitime des activités profes-
de magistrats en exercice en RDC est également sionnelles de ces représentants des moyens de
préoccupant, de même que leur faible rémuné- communication (article 19 du Pacte).
ration et la corruption qui en est la conséquence.
Le faible nombre de magistrats contribue au dé- Le Comité est préoccupé, car de nombreux dé-
veloppement de la délinquance et crée une situa- fenseurs des droits de l’homme ne peuvent pas
tion caractérisée par le manque de jugement des exercer leurs activités sans difficultés, car ils
actes délictueux (article 14 du Pacte). font l’objet d’actes d’intimidation, leurs décla-
rations sont interdites et ils sont même arrêtés
Il est donc demandé à l’État partie qu’il sup- ou détenus arbitrairement par les services de
prime la juridiction militaire pour les délits sécurité (articles 9, 21 et 22 du Pacte).
communs. Il faut réprimer la corruption du
pouvoir judiciaire, nommer et former un nom- Une autre préoccupation du Comité est la si-
bre suffisant de magistrats qui permettent de tuation de milliers d’enfants des rues, sans pa-
garantir une administration de la justice adé- rents, puisqu’ils sont morts, soit dans un conflit
quate sur tout le territoire de la République, de armé, soit du SIDA. Ces enfants sont souvent
lutter contre la délinquance et l’impunité, et victimes d’abus de la part des fonctionnaires
d’attribuer des fonds budgétaires suffisants à de police ou sont exploités à des fins sexuelles
l’Administration de la justice. (article 24 du Pacte).

On observe aussi avec préoccupation que de L’État partie doit augmenter et améliorer le
nombreux journalistes ont été jugés pour dif- programme de garde des mineurs sans famille,
famation ou ont été victimes de pressions, d’in- en particulier par l’intermédiaire des organis-
timidation, d’actes d’agression, de privation de mes publics. Il devra également punir tous les
liberté ou de mauvais traitements de la part des agents déclarés coupables de mauvais traite-
autorités de l’État. De l’avis du Comité, ces mesu- ments contre ces mineurs.

102
103

Le Comité est préoccupé par l’efficacité très 1) d’accélérer la procédure de désarmement


limitée du système de registres d’état civil de des Forces démocratiques de libération du
l’État partie, voire même l’absence de registre Rwanda (FDLR), les Interahamwe, les rates
d’état civil dans certaines localités (articles 16, et leurs alliés, les Maï Maï, et leur départ
24, alinéa 2, et 25 b) du Pacte). L’État doit conti- sans conditions du territoire du Congo ;
nuer à adopter des mesures adéquates pour
améliorer ou créer, selon les cas, un système 2) que le Ministère de l’Intérieur et la Com-
efficace de registres d’état civil, y compris pour mission électorale indépendante adoptent
les adultes et les enfants plus âgés qui n’ont pas des mesures qui permettent la participation

Dr. David Bondia Garcia | La situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo : une réalité dramatique
été inscrits à la naissance. active de toutes les tendances politiques au
processus dans le but d’obtenir la paix so-
Finalement, même en tenant compte des ob- ciale ;
servations de l’État partie sur la politique gou-
vernementale de conservation de l’identité 3) d’insister auprès des services de l’ordre pour
des différents groupes ethniques et des mino- qu’ils cessent de réprimer les réunions ou
rités, le Comité est préoccupé par la margina- d’autres manifestations, comme cela a été
lisation, la discrimination et, parfois, la persé- observé à diverses reprises ;
cution dont souffrent différentes minorités de
l’État, en particulier les Pygmées (article 27 du 4) de respecter les libertés publiques pendant
Pacte). tout le processus préélectoral et les élections,
d’établir des mécanismes de lutte contre la
culture de l’impunité et de veiller au fonc-
tionnement effectif de la Commission mixte
paritaire pour la bonne gouvernance, dans le
3. Considérations finales. but de combattre et d’éliminer la corruption
et la malversation des salaires des agents de
l’État et de la paye des militaires et de la po-
Dans ce bref écrit, nous avons pu constater lice ;
que la situation dénoncée par une partie de la
société civile, concernant les violations graves 5) de promouvoir, au niveau du gouvernement,
et réitérées des droits de l’homme en Républi- l’indépendance de la magistrature, d’assurer
que Démocratique du Congo a également été l’indépendance de la justice, en particulier
constatée par les différents organes des Na- en réformant la Loi sur le statut des magis-
tions Unies, dont le Comité pour les droits de trats, de même que la Loi sur l’organisation
l’homme. et le fonctionnement du Conseil supérieur
de la magistrature, et de doter l’appareil ju-
Pour sortir de cette situation, il faut encourager diciaire d’un budget qui garantisse son indé-
les efforts pour la reconstruction de l’État de pendance financière ;
droit en République Démocratique du Congo ;
sans État de droit, il n’y aura ni démocratie, ni 6) que le Ministre des Affaires Étrangères, le
paix, ni développement, ni garantie des droits Ministre des Droits de l’homme et le Mi-
de l’homme. Les mesures nécessaires sont nistre de l’Intérieur, en collaboration avec
nombreuses, mais, pour commencer, nous le Programme des Nations Unies pour le
partageons les initiatives proposées par Tinga développement (PNUD), le Bureau du Haut
Frédéric Pacéré – expert indépendant sur la si- Commissariat des Nations Unies pour les
tuation des droits de l’homme en République Droits de l’homme (HCNUDH) et le Bureau
Démocratique du Congo – en considérant qu’il du Haut Commissariat des Nations Unies
est nécessaire12 : pour les Réfugiés (HCNUR) accélèrent le
processus de retour des déplacés internes
et des réfugiés.
12| NATIONS UNIES : E/CN.4/2006/113, du 15 février
2006.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

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Les enfants
des rues à
Kinshasa
David Querol Sánchez
Étudiant de la Université de Barcelone
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Une des situations les plus méconnues de la pouvoir selon les termes de l’Accord de Pretoria.
République Démocratique du Congo est le pro- Les combattants provenaient de neuf nations
blème existant de ceux qui sont appelés les (et il existait aussi dans le pays vingt factions
“enfants des rues” dans sa capitale, Kinshasa. armées différentes), ce qui explique pourquoi il
Avec plus de neuf millions et demi d’habitants, est devenu le conflit continental africain le plus
Kinshasa, capitale actuelle de la République important à notre connaissance.
Démocratique du Congo, peut présumer néga-
tivement d’être la capitale du pays africain qui Également connue comme la Guerre mon-
a subi les deux Guerres mondiales africaines diale africaine, la Grande guerre d’Afrique ou la
les plus importantes. Guerre du Coltan, elle a entraîné la mort de 3,8
millions de personnes, la plupart de faim et de
La première a fini avec plus de 200 000 civils maladies prévisibles et pouvant être traitées.
morts, alors qu’elle n’a duré qu’un an, de 1996 Dans ces graves faits, cet épisode est considéré
à 1997. De plus, la guerre a entraîné le change- comme le plus important dans ce qui appelé le
ment de nom du pays qui s’appelait avant le génocide congolais. Ces chiffres tragiques ont
Zaïre et maintenant la République Démocra- fait de la guerre le conflit le plus mortifère de-
tique du Congo. Cette première guerre a été le puis la Deuxième Guerre Mondiale, sans comp-
détonateur de la Deuxième guerre du Congo ter les millions de réfugiés et de déplacés dans
ou Guerre du Coltan. Le conflit a commencé en les pays voisins.
1998 et s’est formellement terminé en 2003
quand un gouvernement de transition a pris le Ces antécédents de guerre ont fait que de nom-

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breux enfants des rues de Kinshasa, en plus de Cette pauvreté extrême, pour ne pas citer pour
souffrir psychologiquement en raison des si- l’instant les causes de déstructuration familiale,
tuations tragiques qu’ils ont vécues et d’avoir fait que le taux de scolarité a baissé de presque
été, pour nombre d’entre eux, soumis à des 50 pour cent. Des chiffres impressionnants qui
conditions extrêmes de survie aux conflits, se permettent de voir la crise de l’éducation com-
trouvent dans une situation de désarroi maxi- me une des principales difficultés en lettres ma-
mum après l’exode dans ces zones. juscules du développement de tout pays.

En lignes générales, telle est la situation connue Les Shegues ou enfants des rues de Kinshasa
ou qui pourrait être connue en raison des anté- sont en moyenne âgés de dix ans, parfois moins,
cédents politiques de la région. Malgré tout, il mais à cause du manque de recensement, ce ne
existe une autre réalité plus méconnue à Kins- sont que des estimations et ils peuvent être en-
hasa, étant donné qu’il y a 200 000 enfants core plus jeunes.
dans les rues et que les chiffres augmentent
de jour en jour, sans contrôle et sans estima- La guerre, le chômage et la crise économique
tion exacte (la donnée, c’est que la République ont fait que la déstructuration familiale qui
Démocratique du Congo est le pays où le plus augmente est un fait et qu’elle a poussé de
d’enfants sont apparus dans les rues après les nombreux enfants à abandonner leurs foyers,
guerres et les conflits). en raison de cette situation, par la force, par
manque de moyens et de ressources par rap-
Je fais référence à la réalité d’une société sou- port à d’autres parents plus âgés.
mise à la crise économique depuis avant 1985,
avec beaucoup plus de dix ans de crise à la- Penser qu’un enfant a une plus grande capacité
quelle il faut ajouter la crise mondiale actuelle de développement et la faim sont dans l’esprit
qui multiplie les situations de risque maximal de nombre des familles qui prennent ces déci-
qui fait que la situation est le reflet des enfants sions draconiennes.
dans la capitale congolaise.
Pour ne pas citer les autres types de déstructu-
Kinshasa, avec plus de 100 km de long, est une ration familiales qui font que les statistiques
capitale où on observe la réalité sur les marchés, des enfants des rues augmentent, comme les
dans les centres commerciaux, aux arrêts d’auto- divorces, les morts familiales, les mauvais trai-
bus, dans les hôpitaux, etc. C’est une réalité très tements et les erreurs de l’état en matière de
présente, criante et frappante, non pas tant pour politique familiale et d’intervention sociale.

David Querol Sánchez | Les enfants des rues à Kinshasa


qui réside dans la ville, mais pour qui la visite.
Un autre aspect, moindre, mais à la fois peu
Ceux qu’on appelle SHEGUES ou PHASEURS (en- connu, est la superstition des familles quant à
fants du Congo) sont des enfants qui sont arrivés l’intégration des mineurs dans les différentes
à cette situation pour différentes causes, palpa- religions que j’avais citées, de caractère ances-
bles quand on écoute leurs témoignages. Selon tral, le Palo Monte, Palo Mayombe, Palo Congo,
les données, entre 25 et 30 mille d’entre eux, Brillumba et Kimbisa. Nous devons penser que
pour survivre, se consacrent à la délinquance la population est à 80% catholique, 10%, pro-
urbaine, au pillage et à la recherche de la survie testante et presque 10%, musulmane, de sorte
par les moyens désespérés de la criminalité la qu’une minorité appartient à des religions de
plus légère, comme le vol pour manger. caractère natif ancestral, mais qui fait que les
familles refusent les mineurs qui ont été inté-
D’autres cherchent la protection d’églises in- grés dans ces religions et sont accusés de sor-
dépendantes de réputation douteuse, dont les cellerie et victimes d’application de techniques
prédicateurs utilisent l’innocence, l’analpha- d’exorcisme.
bétisme et l’ignorance du plus faible, l’enfant,
et ils finissent par être engagés et exploités par Les enfants des rues sont considérés à Kins-
ces prédicateurs dans différentes pratiques de hasa comme un problème à éloigner de la po-
prostitution, entre autres sorts. pulation et non comme un problème qui né-
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

cessite une intervention et une solution. C’est liale ou économique, répudiées ou celles qui
une conséquence de l’insécurité que provoque fuient une situation familiale pire pour mau-
dans la ville le fait d’avoir 200 000 enfants qui vais traitements, ne trouvent pas d’autre issue
ont faim et ont des problèmes de survie, ce que la prostitution. La prostitution qui leur fait
qui les poussent à faire tout ce qu’ils peuvent courir des risques absolus comme les petites
pour survivre au jour le jour, comme mendier, filles qui sont enceintes de plus en plus jeunes
utiliser des moyens picaresques, voler et la dé- (par manque de moyens pour mener à terme
linquance juvénile est donc en augmentation une grossesse dans ces circonstances et sur-
(principale cause de cette insécurité). tout pour la santé de la petite fille). Le risque
n’est pas le produit du manque d’information,
La délinquance se traduit par la violence, les mais du manque de moyens pour l’achat de
vols et les viols parmi les situations considé- contraceptifs pour prévenir les grossesses et la
rées comme les plus graves. Au détriment des transmission de maladies vénériennes comme
autres enfants qui peuvent être “exploités” l’HIV. C’est sur ce point que l’on voit le plus
par les leurs dans la prostitution et les travaux clairement combien la politique sociale est er-
forcés comme le transport des dits “Colis” au ronée, pas celle du gouvernement actuel, mais
port de Kinshasa (frontière avec la République celle du régime précédent, dirigé par le défunt
du Congo) supportant des poids inhumains. Si ex-président Mobutu et sa solution au problè-
pour une personne adulte, il est impossible de me des enfants des rues.
supporter le poids de ces Colis sur la tête et les
épaules et de les transporter sur ces distances, Il est également certain que le problème des
plus encore si ce n’est pas pour un salaire, mais enfants des rues est un des principaux argu-
pour quelque chose à manger. Tout observa- ments que les partis politiques utilisent pour
teur d’organismes internationaux des droits de faire de l’électoralisme, mais ce n’est que ça, et
l’homme le considérerait comme un des escla- depuis des années, ils ne sont que le reflet de
vages du XXIe siècle. l’oubli dans les programmes politiques et le
problème persiste et augmente. Le pays ne de-
La particularité de violence et délinquance ju- mande pas non plus d’aide aux autres pays de
vénile est due en partie aux guerres et à ceux la Société internationale pour régler un problè-
qu’on appelle les “enfants soldats” qui viennent me qui devrait avoir une solution, ou au moins
à la ville et ce sont eux qui, après avoir subi une solution partielle.
des situations extrêmes, physiques et psycho-
logiques, se consacrent à extorquer les autres Pourquoi ?
enfants, des différentes façons précédemment
citées, en utilisant la force et la violence qui leur Parce qu’il est certain que, à part les enfants
a été enseignée par ces situations vécues et qui des rues, à Kinshasa, nombreux sont les gens
leur ont fait décider de leur vie ou de leur mort. adultes désemparés dans la ville. Les enfants,
en raison du manque de possibilités de déve-
Il faut aussi indiquer que la plupart des enfants loppement, sont plus vulnérables. Plus encore
des rues de Kinshasa sont des hommes. Ceux dans une ville comme Kinshasa, non seule-
qui ne sont pas des délinquants travaillent dans ment pour son manque de moyens, mais aussi
la mesure du possible en faisant des travaux de pour les conditions sanitaires déficientes, par
bricolage ou en vendant et nettoyant des chaus- contamination, manque d’hygiène et d’eau po-
sures, mais nombre de ces travaux sont spora- table dans les rues et le fleuve, et le trafic, qui
diques et souvent insuffisants, et à des âges de font qu’il y a un risque imminent de contagion
plus en plus précoces, il trouvent dans la délin- de maladies et de ne pas pouvoir les vaincre, et
quance une issue comme complément, forcés que les enfants sont renversés, des statistiques
d’ignorer l’honnêteté pour leur propre survie. significatives au Kinshasa.

Les petites filles, par contre, restent à la maison, Il faut dire aussi que dans la capitale, il a exis-
réalisant des tâches domestiques et celles qui té et il existe des ONG internationales depuis
sont abandonnées en raison de la crise fami- des années, qui s’impliquent et travaillent de

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toutes leurs forces, mais avec peu de moyens Particularités à part, il faut signaler que la
pour faire face au problème, qu’il s’agisse de République Démocratique du Congo s’est in-
moyens financiers ou de ressources d’un autre corporée à l’Ordonnance juridique internatio-
type, comme le manque de centres d’accueil, de nale de la Déclaration universelle des droits de
centres de formation, etc. l’homme comprenant l’article 25 sur la protec-

David Querol Sánchez | Les enfants des rues à Kinshasa


tion spéciale de l’enfance. D’autres organismes
Après tout ce qui a été précédemment expli- ont également été créés à partir de la Déclara-
qué, une question se pose : où sont les droits tion, comme la Convention de l’ONU des droits
des enfants dans ce pays ? de l’enfant du mois de novembre 1989, ratifiée
par la République Démocratique du Congo le 16
Malheureusement, cette question rhétorique février 1998. À cette date, même si le pays était
ne devrait pas être posée uniquement à la Ré- en plein conflit belliqueux, la ratification est ef-
publique Démocratique du Congo, mais aussi à fective ou ne devrait pas cesser de l’être.
d’autres pays comme le Brésil, l’Inde, etc.
L’article 6 de la Convention des droits de l’enfant
Mais ce qui est curieux, c’est que les enfants stipule la garantie de survie et de développement
des rues de Kinshasa soient considérés juri- de l’enfant contrairement à la situation d’illéga-
diquement comme des illégaux. Un fait par- lité, de désarroi et de persécution. Pour ne pas ci-
ticulièrement significatif, car cette situation ter le paradoxe de l’article 31 où il est indiqué que
permet que les enfants soient poursuivis par la l’enfant a droit aux loisirs, au divertissement, au
police, même s’ils n’ont pas commis d’acte de jeu et à la participation à des activités culturelles,
délinquance, par la quantité d’enfants déplacés alors que les nécessités de base comme la faim
dans d’autres pays où il y a eu le même conflit, ou l’hygiène pour tenter d’éviter des maladies en
comme le Rwanda. tout genre ne sont même pas couvertes.
La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Par ailleurs, je crois qu’il convient de prendre • En troisième lieu et je crois que c’est la me-
des mesures qui puissent encourager ces en- sure la plus importante, la tentative de réso-
fants à pouvoir sortir de cette situation. Des lution du problème en prenant des mesures
mesures non seulement comme la création d’intégration familiales, comme des mesures
d’autres ONG, mais aussi d’autres mesures écologiques (concept qui fait référence à l’ha-
plus intéressantes qui, à mon avis, pourraient bitat du mineur) pour l’intégration de l’en-
permettre d’envisager le problème d’un point fant dans son milieu naturel, en sachant que,
de vue plus global, comme la création d’un dans ce cas, le meilleur développement émo-
“Centre de l’enfance à Kinshasa”. Un centre qui tionnel a lieu au sein de la famille. On peut
aurait pour principe général, l’application de y parvenir de deux façons : la recherche d’un
la Convention de l’ONU des droits de l’enfant parent ayant une grande famille ou l’accueil
et qui travaillerait en collaboration avec des par d’autres familles.
centres de mineurs qui existent déjà pour que
ces droits fondamentaux des enfants soient En ce qui concerne la première option, il fau-
appliqués, centré sur trois principales lignes drait établir un programme de recherche de
d’action de base comme : famille étendu et des programmes d’accueil fa-
milial pour la réintégration.
• En premier lieu, des mesures destinées à
encourager la pratique du sport, qui favori- En ce qui concerne l’accueil temporaire dans
sent l’interrelation et la socialisation avec d’autres familles, il faudrait l’appliquer aux en-
d’autres enfants et des adultes et qui retirent fants pour lesquels il est impossible de recher-
l’enfant des rues pendant qu’il fait du sport cher un parent parce qu’ils n’ont plus de famille
et le retirent donc de la marginalisation. (décès ou séparations).
Par ailleurs, l’enfant apprend à exercer des
activités en équipe avec des normes et des Dans le cas de cette dernière mesure, il s’agit de
règles de jeu et pratique une activité saine. faire comprendre au lecteur que la tâche d’inté-
Par exemple, le football, car c’est une activité gration au sein d’une famille est une manière
facile à réaliser, bon marché et rapide. efficace qui permet de couvrir les nécessités de
ces enfants à tous les niveaux, psychologique
• En deuxième lieu, viendraient les activités (émotions, habitudes, acceptation des règles) et
culturelles et la musique qui permettent personnel.
aussi de sortir de l’ambiance des rues, de
respecter les droits du mineur stipulés dans En outre, ces aspects ne sont pas seulement bons
les articles qui font référence au jeu, au di- pour les enfants, mais aussi pour la famille, les
vertissement et aux activités culturelles, et, adultes. En pensant logiquement qu’étant don-
à cause des différents facteurs de déracine- né que les enfants peuvent être plus influença-
ment, la musique est un moyen qui permet bles, il est possible de travailler les valeurs avec
au mineur de trouver une identité cultu- plus de chances de réussite qu’avec des adultes.
relle qui est propre à ses racines, souvent
perdues pour des circonstances diverses Le manque d’innocence de ces enfants se reflète
(comme la fuite de son propre pays). C’est sur leurs visages, dans leurs regards, car elle a
l’encouragement de la conscience sociale été interrompue par la lutte pour la survie, le
des enfants et de la société. Cela pourrait désespoir et la recherche de l’occasion qui pour-
être mené à terme en faisant que le centre rait leur permettre de prospérer, de se dévelop-
encourage la musique (il y a des exemples per un jour et de fuir la situation infrahumaine
comme ceux des favelas de Rio de Janeiro d’être considérés des enfants des rues.
au Brésil) avec des programmes et d’autres
activités culturelles qui peuvent être bien- C’est pour cette raison que je crois qu’il faut
faisants pour les enfants, même sur le plan donner un petit coup de pouce pour qu’ils puis-
psychologique et sous d’autres aspects, en sent y parvenir. Ce serait la façon de commen-
raison des situations terribles vécues par le cer à faire quelque chose pour éliminer ces si-
passé. tuations...

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La République Démocratique du Congo | Les droits humains, les conflits et la construction/destruction de l’État

Considérations finales

La lecture finale de cette publication met en évidence la richesse de ce document de recherche, car
il a été rédigé par des auteurs très différents : des chercheurs ayant des spécialités, nationalités et
perspectives différentes sur l’objet d’étude. Entre autres, nous avons eu la chance de compter sur la
collaboration de professeurs d’histoire, de relations internationales, de droit, ainsi que celle des mi-
litants des droits de l’homme, des coopérants et même des étudiants universitaires qui ont travaillé
ensemble pour élaborer cette publication dans une vision internationale et interdisciplinaire.

Malgré les différences de formation et de milieu des auteurs, en lisant attentivement le contenu
de cette publication, on constate qu’ils sont tous d’accord sur un point : en matière de droits de
l’homme, la situation de la République Démocratique du Congo (RCD) se trouve en pleine époque
de transition et il est nécessaire, voir impératif, que la RDC devienne un état de droit.

Malheureusement, cela ne va pas être facile, en raison d’un passé colonial qui leur a laissé un ba-
gage les conditionnant encore aujourd’hui et qui marque la vie politique et sociale du pays. En fait,
il ne faut pas négliger la volonté de quelques groupes sociaux (au niveau national et international)
soucieux de prendre le contrôle du pouvoir et de maîtriser les immenses ressources naturelles de la
République Démocratique du Congo.

L’analyse des différents articles qui composent ce document nous mène à affirmer que la Répu-
blique Démocratique du Congo est un État défaillant qui a cessé d’être un point de pouvoir pour
devenir un point d’indifférence, avec les risques que cela comporte pour la géopolitique de la région
en général mais, surtout, pour les droits de l’homme dans le pays.

Si nous tenons à la paix en RDC, il faut d’abord pacifier la région des Grands Lacs. Cet objectif ne
sera atteint que par la défense et la promotion des droits de l’homme (autrement, ni la stabilité ni
sécurité ne sera pas possible dans la région), ainsi que par l’implication de la communauté interna-
tionale dans les initiatives de coopération entre les pays de la zone.

En ce qui concerne la République Démocratique du Congo, il faut des efforts au niveau national et
international pour créer un véritable état de droit qui apporte la paix au pays, condition sine qua
non pour atteindre un développement durable à long terme qui améliore la vie de ses habitants.

Bref, nous pouvons affirmer que ce travail a voulu répondre au rôle des universités en tant que
centres de réflexion, de recherche et de débat. Car c’est comme cela qu’on trouve des applications
à la vie quotidienne des personnes, avec des propositions et des actions qui peuvent contribuer à
améliorer le développement humain et les conditions de vie des sociétés.

Nous espérons que cette publication ne sera que le début d’une solide coopération entre nos uni-
versités et nos pays. Cette coopération apportera son grain de sable pour atteindre ce profond désir
de paix durable en République Démocratique du Congo et les Grands Lacs africains à travers la
promotion et la protection des droits de l’homme.

Toni Jiménez Luque

Lubumbashi, le 10 décembre 2009

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«La République Démocratique du Congo: les droits de l’homme, les conflits et la construction / des-
truction de l’État»

Je te baptise:

• Au nom du partenariat entre l’Université de Barcelone et l’Université de Lubumbashi ;

• Au nom de tous les chercheurs dans le domaine des droits de l’homme, et

• Au nom de l’espoir d’une paix durable en République Démocratique du Congo.

Je te souhaite beaucoup de succès dans notre pays et au-delà de nos frontières.

Fait à Lubumbashi, le 10 décembre 2009 1

1| Avec ces mots a été effectué à l’Université de Lubumbashi le baptême de la publication que vous avez entre
vos mains et d’une partie d’un vaste projet qui a commencé il y a plus d’un an. Un projet mis en œuvre
entre des enseignants, des chercheurs et des militants des droits de l’homme de la Catalogne et en Républi-
que Démocratique du Congo, qui a conduit à la conclusion du séminaire et l’ouverture d’une exposition de
photos à Barcelone, une conférence interuniversitaire à Lubumbashi, et cette publication : «La République
Démocratique du Congo: les droits de l’homme, les conflits et la construction / destruction de l’État».

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