Skye 108201
Skye 108201
Skye 108201
Céline E. NICOLAS
Cet ouvrage est une fiction. Toute référence à des évènements ou des
lieux réels ne sont utilisés que pour servir cette histoire. Tous les
noms, personnages et évènements sont le produit de mon imagination.
Toute ressemblance avec des personnes, et des évènements serait
totalement fortuite.
Droit d’auteur
Céline E. Nicolas, 2020
Tous droits réservés
William Anderson
Table des matières
Prologue
Chapitre 1 : Le dragon de New York
Chapitre 2 : La team Anderson
Chapitre 3 : Le périple
Chapitre 4 : Skye
Chapitre 5 : L’hôte
Chapitre 6 : Haggis
Chapitre 7 : Joyeux anniversaire
Chapitre 8 : Staff’ In the Rock
Chapitre 9 : Un travail prenant
Chapitre 10 : Tonnerre de Zeus
Chapitre 11 : La cathédrale
Chapitre 12 : Portree
Chapitre 13 : La règle
Chapitre 14 : The Old Man of Storr
Chapitre 15 : Le piège
Chapitre 16 : A love story
Chapitre 17 : Nouveau souffle
Chapitre 18 : La bibliothèque
Chapitre 19 : Kilt Rock and Mealt Falls
Chapitre 20 : Autant en emporte le vent
Chapitre 21 : Ma muse
Chapitre 22 : Le dernier chapitre
Chapitre 23 : L’avis
Chapitre 24 : L’appel
Chapitre 25 : Royalton
Chapitre 26 : La cérémonie
Épilogue
Playlist
Remerciements
Notes de l’auteur
Du même auteur
Prologue
Il y a 6 ans…
William
Aujourd’hui…
Emmy
— Debout Emmy !
— Mmm
— Lève-toi ! Tu vas encore être en retard et le dragon ne va pas te
louper !
— Juste cinq petites minutes…
— Non Emmy, il faut que tu te lèves maintenant. Ça fait déjà trois
fois que tu me dis que tu te lèves dans cinq minutes. Tu ne crois pas
que tu abuses ? Une heure trente pour émerger, c’est beaucoup quand
même !
J’ouvre doucement les yeux, m’arrachant à la douceur de mon lit,
dont la température est idéale, la douceur de mes draps et la bonne
odeur d’assouplissant.
— T’es vraiment pas cool…
— Je le suis plus que ton dragon, et je préfère te sortir du lit que te
ramasser à la petite cuillère ce soir quand tu rentreras du boulot !
Il faut avouer que les arguments de Cathy sont de poids. Je repense
à ma patronne, Sandra Lewis, dit, le dragon. Sous son air de petite
brune aimable qu’elle réserve aux auteurs, c’est un véritable tyran. Elle
nous parle comme si nous n’étions que des dégénérés consanguins.
C’est d’ailleurs le terme qu’elle a employé plusieurs fois, pour parler de
nous lors de la dernière réunion « Anderson ».
Tendant mollement la main, je me saisis de mon smartphone et
commence à me balader sur les réseaux sociaux, tentant d’émerger
doucement. Mes rideaux fermés laissent passer les rayons du soleil
matinal de Harlem, dans ma petite chambre de cinq mètres carrés. Ici,
ma vie tient dans un mouchoir de poche. Un lit, un bureau minuscule,
sur lequel est installé mon ordinateur portable et une petite penderie
intégrée dans le mur qui contient tous mes effets personnels. Cette
colocation qui ne devait durer que le temps de mon stage de fin
d’études est devenu mon chez-moi. Un jour, je trouverai mieux, quand
j’aurai le temps de chercher un autre boulot et que je ne travaillerai
plus pour cette prestigieuse, mais horrible maison d’édition. « Chez
nous, le maitre mot est l’excellence, rien de moins ! ». Quand on voit
les livres que sort l’auteur star, c’est d’un déprimant…
Soudain, je réalise. Merde. Nous sommes le dernier jeudi du mois, le
[1]
jour du meeting « Anderson ». Nom d’une paupiette ! Tout le
bureau va être complètement hystérique et la dragonne sera d’une
humeur massacrante. Je n’ai pas intérêt à faire un pas de travers. Nous
devrions recevoir le dernier manuscrit de la star, que je vais devoir
lire, malheureusement. Pourquoi n’ai-je pas été prise dans la petite
maison d’édition spécialisée dans la romance ? De jolies histoires
d’amour, ça c’est mon truc !
Comme si j’avais le diable aux fesses, je saute du lit, fonce droit dans
la douche, puis avale un café rapidement. Pas le temps de réfléchir à
une tenue sophistiquée, tant pis. Ça sera jean et teeshirt. De toute
façon, c’est la tenue la mieux adaptée à mes journées de boulot qui se
suivent et se ressemblent. Depuis que j’ai démarré cet emploi de
[2]
community manager chez Talshay Publishing, j’ai l’impression
d’être emportée dans un quotidien qui me dépasse. Plus d’un an que je
travaille dans cette boite, menant un train de vie complètement fou.
Au point que je me demande si je travaille pour vivre ou l’inverse.
J’embrasse à la va-vite ma sauveuse qui m’a sortie du lit à temps. Un
rapide coup d’œil à la chambre voisine de la salle de bain. La porte de
Matt est ouverte. Il n’est pas encore revenu du travail. Sa chambre est
dans un ordre parfait, chaque chose bien rangée.
— À ce soir ma belle !
— Oui à ce soir Cathy. Merci de m’avoir sortie du lit.
Mon amie me lance un de ses sourires maternels. Que ferais-je sans
elle ? Nous nous sommes rencontrées alors qu’elle terminait ses études
de notaire, dans une école qui se trouve dans ma petite ville. Une fois
son diplôme en poche, elle a trouvé rapidement du travail dans un
[3]
cabinet de la grosse pomme . C’est pour ne pas me séparer d’elle que
j’ai choisi de faire mon stage à New York. Pour elle et pour mes envies
de vivre une vie plus trépidante que celle de mon petit patelin de
moins de trois-mille habitants. Je rêvais de cette vie qu’on voit à la
télé. Que mon quotidien soit de marcher sur ces avenues aux noms
célèbres, me promener dans Central Park et peut-être même y
rencontrer l’amour, comme dans les romans. Elle avait trouvé cette
colocation, idéalement située à une petite demi-heure du cœur de
Manhattan en transport en commun. Une véritable aubaine. Certes,
pour le prix de la location, j’aurais un emprunt pour une immense
maison dans mon village natal, comme la plupart de mes amis
d’enfance, mais c’est le prix de la vie à New York.
Matt venait de racheter ce logement à ses parents. C’était sa maison
d’enfance et il ne voulait pas s’en séparer, c’est un sentimental. Pour
payer les charges, il l’a légèrement transformé pour y faire trois
chambres, un salon/cuisine et une salle de bain. Malgré la très longue
liste de potentiels colocataires, il nous a choisies toutes les deux. Je
pense que le diplôme de notaire de Cathy et notre longue amitié était
un gage, pour lui, d’être payé et de ne pas avoir deux furies qui se
crêpent le chignon chaque matin.
Nous travaillons tous à des horaires différents et ne faisons que nous
croiser, mais nous nous complétons bien. La colocation se passe
généralement agréablement. Matt est arrangeant, facile à vivre,
ordonné et c’est un véritable cordon bleu. Cathy a ce don de mettre de
la bonne humeur à toute heure du jour ou de la nuit et moi… je suis le
mouvement.
Dans le métro, je me prépare psychologiquement à ma journée de
travail. Les gens qui m’entourent tirent une tête de six pieds de long.
Je pensais vivre une vie palpitante à New York, je ne m’attendais pas à
ça. J’ai quitté le calme de ma petite ville du Vermont, pour entrer dans
ce tourbillon éreintant de la course à la performance.
J’arrive au pied du building dans lequel je travaille. En plein dans le
Midtown East, le quartier d’affaires de Manhattan. Il y a des gratte-
ciels à perte de vue, tout de verre et d’acier. Tout ici est source de bruit,
de lumière ou d’odeur, à croire que les New Yorkais sont terrorisés par
le calme. Je me laisse porter par le flux de la foule de travailleurs en
costumes sombres, ne sortant du rang que pour entrer dans le hall de
l’immense immeuble, avec une poignée d’autres passants.
Je passe mon badge pour déverrouiller l’ouverture du petit portillon
sous l’œil mauvais du vigile qui nous observe tous comme si nous
étions des terroristes en puissance.
Autour de moi, je reconnais chacun des visages que je croise le
matin, le midi ou le soir, pourtant, je ne connais le nom d’aucun
d’entre eux. À Royalton, tout le monde se connaissait. Je trouvais ça
horrible, à l’époque, car tout le monde était au courant de tout, mais
ici, nous vivons dans une étrange proximité anonyme, chacun vivant
dans sa bulle sans se soucier des autres. Je suis persuadée que si je
m’écroulais à même le sol dans cet ascenseur, les autres occupants me
marcheraient dessus, sans me venir en aide, pour ne pas nuire à la
productivité de leur journée.
Douzième étage. J’arrive enfin au bureau de Talshay Publishing.
Sous ce nom rutilant, un grand open space. Huit rangées de six
bureaux, plus le mien. J’ai été ajoutée en bout de ligne,
précipitamment, ce qui fait que mon siège est en plein dans le passage
et que chacun peut voir ce que je fais. C’est clair, cet endroit n’a pas été
aménagé par un architecte d’intérieur feng shui.
Tout au fond, deux bureaux vitrés, dont celui de la dragonne, et la
salle de réunion. Juste à côté se trouvent les toilettes qu’ils utilisent le
moins possible, comme si le fait d’aller faire pipi était un manquement
professionnel. On y va que quand vraiment on ne peut plus tenir. On
ne quitte notre poste de travail qu’à la demande de la dragonne ou
pour manger vite fait le midi.
Mes baskets couinent sur le sol en simili parquet, authentique
plastique. Mes chers collègues me lancent des regards réprobateurs.
On se croirait dans une bibliothèque. Le silence est de mise et seul le
bruit des claviers et des sonneries de téléphone est acceptable. Nous
ne communiquons entre nous que par mail ou en chuchotant.
Aujourd’hui, l’ambiance est encore plus lourde et extrêmement
tendue. Pas de doute, c’est un jour « Anderson ». Un parfum
d’excitation flotte dans l’open space, ainsi qu’une vieille odeur de
transpiration provenant de Harry, le comptable aux cheveux gras.
Je m’installe à mon bureau, rangeant mes affaires dans mon tiroir. Il
fait déjà une chaleur étouffante. Le soleil crée un effet de serre et
malheureusement, je suis loin des deux petits climatiseurs censés nous
rafraichir.
— Emmy, tu es prête pour la réunion avec l’équipe marketing, qui a
lieu dans trente minutes ?
Dès le premier jour, Leslie m’a prise sous son aile. Âgée d’une petite
quarantaine d’années, elle a vendu son âme à cette maison d’édition,
au grand désarroi de son mari et de ses deux enfants. Elle m’a aidée à
ne pas me faire dévorer par le reste de l’équipe, ce dont je lui suis
particulièrement reconnaissante. Elle est totalement accro aux livres
édités par cette entreprise. C’est une grande fan de thrillers. Elle qui a
l’air si douce et joviale, je ne comprends pas comment elle peut aimer
lire des horreurs pareilles.
— Oui, je suis prête.
De toute façon, vu ce que veut dire « community manager » dans
cette entreprise, je ne peux qu’être prête. Mon poste est bien différent
de ce que mon école de communication m’avait vendu. Je me voyais
gérer l’image de la société sur les réseaux sociaux, étant source de
propositions et insufflant des idées novatrices, mais la réalité m’a bien
vite rattrapée. J’ai signé ici pour mon stage, puis on m’a proposé une
place, c’est comme ça que je me suis retrouvée à ce même bureau
depuis plus d’un an, regardée d’un mauvais œil par mes collègues, qui
voient en moi la petite jeune payée à se balader sur le web, poster des
messages et des blagues rigolotes sur Internet.
— Tu crois que ça va être pour aujourd’hui ? J’ai tellement hâte !
Je ne comprends absolument pas l’enthousiasme de l’équipe pour
les romans de l’écrivain star de cette boite : William Anderson. Un
vieux qui doit avoir au moins soixante ans, qui écrit des trucs sinistres
et flippants. C’est vrai que cette maison d’édition est spécialisée dans
les thrillers, et que cet auteur représente les meilleures ventes dans le
style, mais moi je ne m’y fais pas. Je suis obligée de lire tous ses livres,
car je suis chargée de répondre à ses fans sur les réseaux sociaux, en
me faisant passer pour lui. Même mes répliques ont été savamment
préparées par l’équipe marketing. Je dois piocher parmi un catalogue
de trois-cents réactions types pour ses fans. Tout est classé par
catégories : questions, remerciements, demandes en mariage…
Il semblerait que quand on est un auteur connu, on n’ait plus à
s’abaisser à répondre au petit peuple que représente son lectorat. Je
trouve ça pathétique. Ces pauvres gens envoient des messages
passionnés et lui n’en prend jamais connaissance. Il n’en lit aucun et il
s’en fout comme de l’an quarante. Non, en fait, je crois qu’il s’intéresse
plus à l’an quarante qu’à ses lecteurs.
Personne n’a le droit de chercher à le contacter, tout passe
uniquement par la directrice de la maison d’édition : Sandra Lewis.
Elle doit être l’unique personne à être digne de lui parler. D’ailleurs,
ici, personne ne l’a jamais rencontré.
Il écrit généralement deux livres par an. Nous sommes toujours en
attente du tout dernier. Il a près de deux mois de retard, mais pour
monsieur Anderson, nous nous plions à ses petits caprices. Un autre
auteur se serait fait virer, mais pas lui.
J’ai à peine eu le temps de faire le point sur les derniers mails reçus
que Leslie me fait signe.
— Allez Emmy, c’est l’heure !
— Une interview ?
— Et pour dire quoi ? Que nous n’avons pas la moindre trace d’un
manuscrit en main ? C’est drôlement malin ! Personne n’est capable de
me pondre une idée valable dans ce groupe ? Emmy ! Au lieu de
dessiner des arcs-en-ciel sur votre carnet, vous n’avez pas une idée
lumineuse ? Si vous n’êtes pas plus utile que ça lors de nos réunions, je
pourrais tout aussi bien poser une plante verte sur votre siège, elle
aurait au moins le mérite de décorer joliment l’endroit !
Les larmes me montent aux yeux. Comment puis-je me laisser
blesser aussi facilement par cette femme ? Merde. Je dois les ravaler le
plus vite possible. Ici, être faible c’est être morte. J’ai toujours rêvé de
travailler dans une maison d’édition, je ne peux pas laisser échapper
mon rêve.
Les mains tremblantes et la voix aigüe, je tente d’exposer une idée.
— Nous pourrions organiser un nouveau shooting photo pour
préparer quelques tranches de vie. Les lecteurs en sont friands. Des
clichés dans son bureau par exemple. On pourrait peut-être montrer
qu’il est en plein processus de création et que le prochain roman est
tellement incroyable qu’il met plus de temps à l’écrire.
Le dos vouté, je me prépare à entendre les moqueries de toute
l’équipe, mais rien ne vient.
Sandra me regarde, les yeux ronds. Ce qui pourrait s’apparenter à
un sourire ou à un rictus de douleur lié à une crampe d’estomac se
dessine très légèrement sur ses lèvres.
— Ça me plait ! C’est parti. Vous contactez Robert Walter, réservez le
[5]
studio et on fait le shooting ASAP !
Aussitôt sa phrase terminée, nous déguerpissons telle une envolée
de moineaux et courrons vers nos tâches respectives. Pour la première
fois, le dragon a accepté une de mes idées. J’en suis complètement
stupéfaite. L’œil mauvais de mes collègues m’inquiète un peu. Je sens
qu’elles vont me le faire payer au centuple…
De mails, en publications sur les réseaux et en surveillance de l’e-
réputation de la société et de ses auteurs, la journée passe à une vitesse
folle. J’ai à peine le temps d’avaler un sandwich le midi. Comme à mon
habitude, je vais au Starbucks du coin pour m’acheter le café qui me
servira de dessert et profiter de leurs toilettes. Oui, c’est idiot, je sais,
mais c’est mon quotidien dans ce monde de cinglés.
Les lecteurs semblent aussi attendre le nouveau livre avec la plus
grande impatience et les messages pour Anderson n’arrêtent pas de
tomber. Entre ça et les appels à textes, les messages destinés aux
auteurs ou à Sandra, j’ai l’impression d’être une cyber hôtesse
d’accueil, transférant les messages à chacun.
Je remarque qu’il commence à y avoir un petit buzz sur notre petit
nouveau. Le numéro deux vient de lancer son troisième roman chez
nous et vu le nombre de partages, je crois qu’il est important d’en
informer Sandra. Je ne me risquerai pas à aller la voir en personne
pour lui annoncer la nouvelle. Je me contente de lui envoyer un mail
pour la tenir informée. Commençant à la connaitre, je lui apporte des
faits et vais droit au but. Je lui donne les chiffres, les liens et lui crée
même un petit histogramme du nombre de visites sur le compte
Instagram de ce nouvel auteur.
Évidemment, elle ne me répondra jamais et enverra un mail groupé
à l’équipe « Whiteheart » en s’appropriant le travail de recherche et
d’analyse que j’ai fait pour elle. Je me retiens de toute mes forces de
me lever de ma chaise pour aller lui dire ma façon de penser. Leslie
sent que quelque chose ne va pas et me fait un petit sourire qui me
laisse entendre qu’il faut que je laisse couler. J’inspire et expire
profondément une dizaine de fois, jusqu’à retrouver mon calme
intérieur.
Lorsque la journée se termine, je reçois un mail m’informant que
dès demain 10 h, nous commencerons le shooting photo avec Robert
et que nous ferons des prises de vue toute la journée au studio.
Je réalise soudain que demain je passerai presque toute la journée
au studio photo, loin du dragon et que le soir même je serai en
vacances. Dès samedi, je prends la route avec Cathy, direction le
Vermont, pour fêter mes vingt-cinq ans comme il se doit. Avec toute
ma famille et mes amis qui ont préparé une fête spécialement pour
moi. Byebye New York, bonjour Royalton ! Je n’ai pas eu une seule
journée de repos en dix-huit mois et je compte bien profiter de ma
semaine de vacances.
Chaque bureau devant rester parfaitement en ordre, je range mes
affaires, attrape mon sac et quitte le bureau rapidement, nez au sol et
tentant de me faire la plus invisible possible. Il est 20 h et pourtant,
certains semblent se préparer à dormir ici. Il ne faut pas être le
premier à quitter le bureau au risque d’être mal vu. Rester tard le soir
est un signe d’engagement professionnel et personne ne compte ses
heures.
La tombée de la nuit apporte un peu de fraicheur dans les rues
toujours bondées. Cette ville ne dort jamais, c’est ce qui m’attirait à
l’origine. Aujourd’hui, je trouve ça déprimant. Jours, nuits, semaines,
mois et saisons s’enchainent à une vitesse étourdissante ne laissant
que peu de répit pour reprendre son souffle.
Dans le métro, je constate que la population de travailleurs semble
être la même que celle de ce matin. Un grand wagon d’anonymes
quotidiens qui semblent à peine tenir debout alors qu’il n’est pas si
tard.
Quand j’arrive finalement à l’appartement, je peine à monter les
trois étages de l’immeuble. Je me traine.
Une bonne odeur de nourriture italienne flotte dans l’escalier.
Immédiatement, mon pas se fait plus léger et plus rapide. Pourvu que
ça vienne de mon appartement ! Plus je monte, plus je reconnais le
délicieux parfum des pâtes fraiches, de la sauce bolognaise qui a
mijoté avec amour et de la viande. Je salive d’avance lorsque j’ouvre la
porte et c’est l’arôme de toute l’Italie qui a envahi le logement.
Spaghettis à la bolognaise !
Matthew et Cathy ont déjà mis la table et m’attendaient pour
manger.
— Je me suis dit que pour une journée Anderson, c’était une bonne
idée de te préparer ton plat préféré…
Les petites attentions de mes colocataires me feraient monter les
larmes aux yeux. Ils ont même prévu un énorme sachet de parmesan
râpé rien que pour moi.
— Je t’ai cuisiné ta sauce préférée, ma belle. Fais-toi plaisir.
Je jette mes affaires sur le canapé et m’installe avec gourmandise
devant mon assiette.
Parfois, je m’inquiète d’avoir un tel colocataire. Le jour où il
trouvera quelqu’un, notre colocation s’arrêtera. Nous devrons trouver
un nouvel endroit pour vivre et retrouver un colocataire comme lui
sera bien difficile.
Ses grands yeux bleus me scrutent attendant mon verdict sur sa
recette du jour. Comme d’habitude, elles sont délicieuses et la tonne de
fromage que j’ai mis dessus fond délicatement.
— Matt ! Elles sont délicieuses !!!!
Je pousse un soupir de plaisir. Rien que cet instant me donne une
bonne raison de tenir ce rythme de folie New-Yorkaise.
— Tu vois, je te l’avais dit qu’il fallait lui faire des spaghettis.
Maintenant elle est bien.
La soirée continue en douceur. Chacun racontant ses aventures du
jour ou de la nuit pour Matt. Il est maïeuticien, et fait naitre des bébés
chaque nuit, accompagnant les parents dans l’arrivée du nouveau
membre de leur famille. Je me doute que ses grands yeux bleus
doivent rassurer les mamans chaque nuit. J’ai l’impression qu’il vit
chaque naissance comme s’il s’agissait de la mise au monde de son
propre bébé. Je n’ai jamais vu un homme qui aime autant les enfants
que lui.
Lorsqu’il me raconte la dernière naissance de la nuit, il me
dégouterait presque de mon assiette pleine de sauce pourpre.
Presque… mais on ne rigole pas avec les spaghettis !
Cathy est tout son inverse. Pour elle, c’est tout décidé. Elle ne veut
pas d’enfant. Sa carrière prime avant tout. Elle ne se voit pas élever un
bébé, d’ailleurs, elle n’aime pas les « gosses ». Pour elle, c’est bruyant,
ça coute cher et tu n’as aucune garantie de retour sur investissement.
— Aujourd’hui, j’ai accueilli une famille pour un décès. Les
descendants se sont limite étripés dans mon bureau pour savoir qui
récupèrerait les affaires du vieux. Vous imaginez, ils ne sont jamais
venus le voir dans sa maison de retraite, et là, ils se battaient pour
savoir qui aurait l’écran plat. Ils ont pourtant hérité d’une belle somme
chacun, mais non, il leur en faut toujours plus.
— Mais toutes les familles ne sont pas comme ça… Regarde, j’ai pu
racheter cet appartement, et j’ai même donné une part à ma sœur, tout
s’est bien passé…
— Oui, mais sache que ça n’est pas le cas pour tout le monde.
Quand je pense à mes collègues de bureau, je crois qu’ils seraient
prêts à tout pour récupérer mon dévidoir de ruban adhésif.
Malheureusement, il me semble que Cathy a raison, il y a peu de belles
personnes dans cette ville. Heureusement que mes amis sont là pour
contrebalancer un peu l’égoïsme général de cette ville qui vous avale,
vous digère et vous recrache quand vous n’êtes plus bon à rien.
Demain s’annonce être encore une journée éprouvante,
heureusement que je vais pouvoir revoir l’une des belles personnes qui
illumine mon quotidien de travail.
Chapitre 2 : La team Anderson
Emmy
— Vois avec Mary pour les formalités de ton trajet, je ne suis pas une
agence de voyage non plus ! Et n’oublie pas de prendre l’un des
ordinateurs portables du bureau.
Sous le choc, je me retrouve à sortir du bureau de Sandra, je me
demande même si ça n’est pas elle qui vient de me sortir en me
poussant hors de son antre sacré.
Devant moi, Mary, sa secrétaire de direction m’invite à la suivre avec
un air contrit.
— Je suis désolée Emmy…
Elle tire une chaise pour que je m’assoie à ses côtés.
**
William
C’est pas possible que Sandra me fasse un coup pareil ! Je suis
absolument hors de moi. Je suis venu ici pour qu’on me foute la paix,
c’est si difficile à comprendre ?
J’avale une grande gorgée de café noir, le huitième de la journée,
pour passer mes nerfs. C’est amer, et brulant, mais ça n’est pas grave,
ça a au moins le don de me ramener sur terre.
Qu’elle m’envoie une New-Yorkaise en colis express me rend dingue.
On a toujours été d’accord sur le fait que je n’aurai jamais à me
montrer ni à parler à des gens, et elle m’envoie une de ses putains
d’assistantes !
Je vais planquer la crème pour qu’elle se fasse bouffer par les
midges. Je ne vais surement pas lui montrer Skye sous son meilleur
jour. Elle va en chier.
Sandra m’a vraiment fait une vacherie sur ce coup-là…
— Maggy ! T’es là ?
Immédiatement elle entre dans la pièce. Sa jolie chevelure d’un
blanc immaculé, coiffée d’un chignon duquel s’échappent quelques
mèches ondulées, tranchant avec sa vieille tenue de tous les jours. Une
blouse bleue au motif floral, des bas de contention et des crocs à
moumoute roses. Depuis le temps que je la connais, je sais qu’elle met
en priorité le pratique sur l’esthétique.
— Oui, tu as besoin de quelque chose ?
— Il y a une New-Yorkaise à aller chercher à l’aéroport, demain à
11 h. Tu peux t’en occuper ? Elle arrive à Glasgow…
Je lui sors mes yeux de merlan frit auxquels elle n’arrive que
rarement à résister.
— Je ne peux pas y aller… J’écris… Je dois rendre mon manuscrit…
Son regard inquisiteur me fixe. Elle cale ses poings serrés sur ses
hanches. Merde, je suis grillé.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ?
— C’est mon éditrice qui l’envoie. Je n’ai pas le choix. Elle va rester
ici pendant quelques temps.
— Et elle vient de New York ? Elle ne pourra jamais coucher ici. Elle
va être perdue. Il faudrait la loger dans une belle maison…
C’est vrai qu’ici c’est le trou du cul du monde. Elle ne va jamais
s’habituer au silence et au vent quasi permanent qui souffle sur la
maison.
— Ne t’en fais pas Maggy, on va l’installer dans la petite chambre
d’amis qui est à côté de la salle de bain.
Comme ça je vais pouvoir l’emmerder la nuit en tirant la chasse
d’eau pour la réveiller. Mes insomnies vont pouvoir me servir à
quelque chose pour une fois !
— C’est la plus petite chambre, on pourrait la mettre dans la bleue,
celle qui a une vue sur le mont Trotternish ? Elle est plus confortable.
— Non, la petite est mieux, elle aura une jolie vue face à la mer…
Le vent souffle constamment sur cette façade et les vitres en
tremblent parfois dans un vrombissement assourdissant. Elle ne va
pas tenir une semaine l’américaine ! C’est d’ailleurs la seule chambre
qui est de ce côté de la maison, ça n’est pas pour rien. Et pour ne rien
gâcher, c’est aussi la plus éloignée de la mienne.
Maggy abdique.
— D’accord. Par contre, ça n’est pas moi qui vais la chercher. J’ai le
repas à faire pour déjeuner. Il faudra se débrouiller autrement.
— On va trouver une solution… Ah et pour son arrivée, je crois que
ça serait bien de lui cuisiner un plat local.
Rien que le fait de faire appel à ses talents de cuisinière, son regard
s’illumine.
[6]
— Tu pourrais lui préparer ton merveilleux haggis !
Manifestement, elle se doute que je prépare un mauvais coup. Elle
ne me quitte pas des yeux pour tenter de comprendre où est le piège.
— Personne ne résiste à ton plat, Maggy. Avec tes purées de pommes
de terre et de rutabagas, c’est sûr, elle va adorer. Ça va la changer des
hamburgers américains !
— Oui tu as raison ! Quoi de mieux pour découvrir l’Écosse que de
manger un bon repas traditionnel, fait maison ?
Mon plan se déroule à merveille. Plus qu’à attendre mon invitée…
Chapitre 3 : Le périple
Emmy
Une fois passé le choc de tous ces évènements, j’ai installé ma valise
sur le lit me demandant ce que je devais mettre à l’intérieur. L’Écosse,
c’est au Royaume-Uni… Donc déjà, il n’y aura pas la barrière de la
langue, c’est un bon point.
Je jette un coup d’œil au dossier que m’a préparé Mary. Je n’ai
même pas l’adresse exacte de l’endroit où je dois me rendre, si ce n’est
le nom de l’ile. Si William Anderson est un tueur en série, il pourra me
torturer un mois sans que personne ne s’inquiète de ma disparition.
Il faudra que je dise à Cathy que si elle n’a pas de nouvelles de moi
dans les vingt-quatre heures suivant mon arrivée, qu’elle appelle la
police.
Un petit coup d’œil sur internet afin de savoir deux ou trois choses
sur ma destination. Je découvre des photos époustouflantes de
l’endroit. C’est une ile, mais reliée à la terre par un pont, composée de
montagnes, de falaises donnant sur la mer et divers lacs éparpillés un
peu partout. Je dois absolument prendre mon appareil photo, je vais
faire des clichés de folie.
Plus je regarde les images défiler, plus j’ai l’impression qu’aller là-
bas risque d’être finalement une bonne idée. J’ai même hâte d’y être
maintenant.
Il semble qu’il y fasse assez froid, environ quinze degrés en ce
moment, je prévois donc mes vêtements de randonnée que j’emporte
habituellement pour aller en balade avec mon père dans la forêt
nationale de Downer. J’emporte aussi mes chaussures de marche, si je
peux m’échapper pour visiter l’endroit, je ne gâcherai pas mon plaisir.
Après tout, Sandra m’a dit que je devais le prendre comme mon
cadeau d’anniversaire !
Repensant à ce que ma famille a préparé pour le weekend, je
téléphone immédiatement à ma mère pour qu’elle annule la fête.
— Coucou Maman, c’est Emmy.
— Matthew m’a dit que tu n’avais pas le moral, mais dis donc, tu as
le sourire et tu as la tête d’une femme prête à conquérir le monde.
— C’est vrai que tout à l’heure, j’étais encore sous le choc de ce qui
m’est tombé sur le coin du nez, mais maintenant, je suis motivée. Je
vais aller en Europe ! Voilà une bonne raison pour une Américaine
[7]
d’avoir le sourire. Je suis une descendante du Mayflower madame !
Je retourne sur la terre de mes ancêtres !
Cathy se marre.
— Je ne savais pas que tu étais membre de la « General Society of
Mayflower Descendants ».
— Je ne le suis pas, mais je suis sure que c’est parce qu’ils ont oublié
d’enregistrer ma famille ! Et puis, tout bon Américain qui se respecte
devrait clamer haut et fort qu’il est un descendant du Mayflower.
L’ambiance est maintenant plus légère. Il me reste moins d’une
heure pour boucler mes bagages avant que le taxi passe me prendre.
Heureusement que j’avais déjà préparé toute une partie de mes
affaires pour mes vacances, j’ai seulement dû revoir la composition de
ma valise, avec des vêtements plus chauds et confortables. De toute
façon, je vais chez un papi, donc même si je suis habillée comme un
sac, je m’en contrefous.
Je me demande si Tinder fonctionne aussi sur Skye. Qui sait, je
[8]
pourrais me trouver un plan cul d’un soir avec Jamie Fraser . J’ai
pris l’habitude d’utiliser cette application pour passer du bon temps.
Ici, nous sommes tous tellement overbookés que nous n’avons pas
vraiment d’occasions de faire des rencontres amoureuses. D’ailleurs, je
suis trop jeune pour chercher le grand amour, pour le moment je
préfère juste prendre du bon temps et profiter de la vie.
Cathy et Matthew me donnent chacun un paquet cadeau. Celui de
Matthew a une forme qui me laisse penser que c’est un livre,
probablement le broché de la dernière romance sur laquelle je
louchais. Le paquet de Cathy est plus long et lourd. Je n’arrive pas à
deviner ce que c’est, l’objet doit être bien calé dans son coffret, même
en le secouant, il ne fait aucun bruit.
— Tu ne devras pas ouvrir tes cadeaux avant dimanche. C’est pour
ton anniversaire ma poulette ! Si tu peux, on s’appellera.
Je glisse mes deux paquets enveloppés de papier brillant dans mon
sac à dos pour ordinateur portable, qui sera mon seul bagage à main
m’accompagnant en cabine. À l’intérieur j’ai tous mes documents de
voyage, mes papiers d’identité, ma carte bancaire, mes chargeurs et
mon roman en cours de lecture. Tout le reste se trouve dans ma valise.
Lorsque le taxi vient me chercher, j’ai l’impression de quitter Cathy
pour toujours, elle pleure comme une Madeleine, à croire que je ne
reviendrai plus. Matthew la serre dans ses bras pour la consoler et
c’est le cœur lourd que je monte dans le véhicule qui va me séparer
d’eux pour un mois. Quand le taxi m’emporte, je me retourne et les
vois tous les deux me faire de grands signes jusqu’à ce que je
disparaisse totalement de leur vue. Je sais que Matthew s’occupera
bien de Cathy. J’ai confiance. Elle est entre de bonnes mains.
De mon côté, pour la première fois, mon quotidien est bousculé et
maintenant que le choc est passé, je sens mon cœur battre la chamade.
Une excitation que j’avais oubliée me sort de cet abrutissement dans
lequel je vivais depuis de nombreux mois.
Mon chauffeur me dépose à l’aéroport JFK. J’ai deux heures
d’avance sur le départ de mon vol, j’ai donc le temps de faire mon
enregistrement des bagages tranquillement. L’ambiance est très
différente de Manhattan. Des touristes marchent tranquillement ne se
pressant pas et déambulant joyeusement dans l’aéroport. La femme de
l’accueil est aimable. Elle enregistre mon billet et prend ma valise tout
en s’émerveillant de ma destination finale. J’ai un petit moment de
stress quand elle la pèse, mais tout est en ordre. Elle me rend mon
précieux billet, ainsi que mon passeport, m’indiquant la porte
d’embarquement et comment y accéder.
Furieuse, je promets sur tous les dieux grecs que Cathy va me payer
cher la rencontre avec « Zeus » !
Avec toutes ces péripéties, il me reste moins de trente minutes pour
m’acheter un panini et l’avaler rapidement avant l’embarquement. Moi
qui comptais me balader dans la zone duty free pour faire un peu de
shopping, c’est raté. J’ai juste le temps de gober mon sandwich quand
j’entends que les passagers de mon vol sont appelés.
Heureusement que j’ai mis une tenue confortable et des baskets, je
cours dans tous les sens. Déjà une longue file d’attente s’est formée
pour monter à bord de l’appareil. Un Airbus A330. Je jette un coup
d’œil sur mon billet, j’espère y lire « Classe business » ou « Premium
Economy », mais malheureusement, je vois que je suis en
« Economy ».
En file indienne, nous cherchons sagement nos sièges. Je suis en
plein milieu de la rangée centrale, entourée de quatre inconnus. À ma
droite, une vieille dame qui sent la pastille à la menthe et à ma gauche
un gros monsieur qui sue, et qui n’a pas l’air d’aimer beaucoup les
voyages en avion, vu son regard désespéré. Son teint blanc ne me dit
rien qui vaille et j’ai peur qu’il ne me vomisse dessus.
L’hôtesse de bord se charge immédiatement de fournir tout ce qu’il
faut pour que mon voisin ne repeigne pas notre espace, ce qui me
rassure un peu, alors que la petite mamie commence déjà à me souler
de paroles en me racontant sa vie. Je sens que ce voyage va être très
long. C’est parti pour une nuit complète d’avion, les genoux encastrés
dans le siège du passager avant. J’espère m’endormir assez vite, ainsi
le voyage me paraitra plus rapide. Pour ça, il faudrait que ma voisine
arrête de bavarder.
Chapitre 4 : Skye
Emmy
— Oh ! ça va ma p’tite ?
— Oui oui… C’est juste le décalage horaire qui ne me convient pas
trop.
Fouillant dans ses affaires, il me sort une petite bouteille d’eau toute
neuve.
Celui qui a dessiné les routes de cette ile a l’air de n’avoir pensé qu’à
faire des circuits touristiques pleins de détours. C’est beau, mais c’est
très long et je dois avouer que je commence à avoir une furieuse envie
d’aller aux toilettes.
Nous finissons par traverser le minuscule village de Staffin et alors
que nous sommes proches d’en sortir, nous quittons la route
principale pour nous enfoncer dans des petites routes de campagne. Je
crois maintenant savoir à quoi correspond le trou du cul du monde.
La petite route semble interminable et ne mener nulle part. Sam
continue de m’expliquer tout ce qui nous entoure. Les montagnes, les
lochs, la mer, les cascades… Tout ça, je n’en ai plus rien à faire. Ce que
je veux, ce sont des toilettes !
Finalement la route s’arrête devant une barrière qui donne sur une
propriété privée.
— Nous voilà à destination !
Bon, j’avoue, la vue est incroyable. C’est une sorte de condensé de
l’ile en une seule vue. Mais ma vessie trop pleine m’empêche de
savourer ce moment.
Sam descend de la voiture pour ouvrir la barrière et faire entrer le
4X4 sur le chemin de terre. Il n’y a que deux maisons l’une à la suite de
l’autre et un champ avec quatre moutons.
Nous passons devant la première maison qui ressemble à toutes
celles que j’ai vues sur cette ile pour le moment, c’est à dire, un petit
cottage blanc, coincé entre la mer et la montagne.
Emmy
Je respire l’air froid et iodé de cet endroit, qui ne sent pas le mouton.
Le vent souffle fort. Mes cheveux volent dans tous les sens et je suis
heureuse d’avoir pris ma veste polaire.
Si j’ai bien compris, nous sommes dans la péninsule de Trotternish.
Le point le plus au nord de l’ile. Je me demande s’il peut y avoir un lieu
plus perdu que cet endroit.
Je remarque que la végétation est très rase partout autour de moi.
Le vent souffle si souvent que les pauvres pins, qui sont près de la
maison, ont poussé dans le sens des bourrasques, comme figés. Toutes
leurs branches sont orientées de la mer vers la terre, dans une position
étrange.
La petite maison dans laquelle il m’accompagne est un peu
différente des autres. Elle a l’air plus petite et très simple, mais
contrairement à toutes celles que j’ai vues jusqu’alors, elle est sur deux
étages.
— Je te dépose ici. Tu as juste à entrer sans frapper, Maggy va
surement t’accueillir. Tu as passé assez de temps avec un vieux
crouton comme moi. Tu as besoin de te poser un peu après ce très long
voyage, donc installe-toi tranquillement et on se retrouve pour le
diner.
Une pièce où me poser quelques heures me semble être le paradis
sur Terre après toutes ces heures dans des avions et sa voiture. J’ai
hâte de pouvoir poser mes valises et me rafraichir un peu. Aussitôt dit,
le vieil homme s’en va, me laissant seule face à la porte.
Je pénètre dans la maison. Dans ce petit sas, je vois des bottes, des
manteaux et des vestes chaudes. Sur un petit meuble à l’entrée,
quelques lettres ne sont pas ouvertes. Un banc permet de se
déchausser.
Motivée à prendre possession de ma chambre, j’entre. Face à moi,
un escalier en bois. À droite une porte ouverte donne sur un salon et la
porte de gauche est fermée.
— Bonjour !
Aucun bruit.
— Y a quelqu’un ?
— Entrez !
Une voix masculine, grave et légèrement agacée me parvient de la
pièce fermée. Je m’avance donc et jette un coup d’œil dans la pièce de
droite. L’endroit est adorable. Simple et douillet.
Le sol est en moquette crème un peu vieillotte. Un vieux canapé gris
qui a connu des jours meilleurs est placé face à la cheminée, dans
laquelle est installé un vieux poêle à bois. Il y a un petit coin télé et un
fauteuil judicieusement disposé pour profiter de la vue sur la
montagne et la rivière. Je crois que je vais me plaire dans cette petite
chambre d’hôtes.
Un parfum floral flotte dans l’air. Je patiente et ma vessie
s’impatiente.
Comme personne ne vient à ma rencontre, je m’approche de la porte
fermée. Je crois que c’est de là que provenait la voix de tout à l’heure et
frappe doucement.
— Excusez-moi…
L’individu qui est derrière semble s’agacer. Je crois que mon hôte
ronchonne. Tout de suite, l’endroit me semble moins accueillant.
**
William
William
**
Emmy
J’ai du mal à retenir mon rire. C’est drôle comme depuis qu’il est
sorti de la pièce, l’ambiance est plus sereine et détendue.
— Oh non. Je n’aime pas trop ses histoires. Moi, je suis une grande
lectrice de romances.
— Ça fait bien longtemps que je ne lis plus, mais j’ai eu aussi ma
grande période de romans d’amour.
Je n’ose pas lui dire que depuis Cinquante Nuances de Grey, la
littérature sentimentale a bien changé. J’imagine la tête de Maggy si
elle découvrait les scènes érotiques de mes romans. Finissant mon bol
de compote, je retiens un fou rire.
Naturellement, comme avec mes grands-parents, je l’aide à
débarrasser la table, faire la vaisselle et tout ranger. La cuisine semble
être figée dans les années soixante-dix. J’apprends sans grande
surprise que c’était la maison de Maggy et Sam autrefois et qu’ils ont
fait construire l’autre maison, plus petite et de plain-pied pour leurs
vieux jours, laissant la maison à étage avec plusieurs chambres à leur
fils, espérant y voir grandir leurs petits-enfants auprès d’eux. Malgré la
peine qu’ils ont eu de voir leur rêve s’évanouir, ils ont tout fait pour
aider leur fils à réaliser les siens et je les trouve absolument
merveilleux.
**
William
Retirant mon manteau blanc, qui permet de ne pas attirer les nuées
d’insectes voraces, je me décide à appeler Sandra pour remettre les
choses au clair avec elle. Je ne sais pas vraiment ce qu’elle attend de
cette nana et plus vite elle obtiendra ce qu’elle veut, plus vite elle
récupèrera son colis.
J’entre dans mon bureau, mon antre, le seul endroit au monde où
j’aime me réfugier et jette un coup d’œil à ma pendule qui m’indique
toujours l’heure de New York. Ce n’est que la fin d’après-midi chez
elle.
— Allo, Sandra ?
— Ah, William.
Je peux entendre qu’elle referme la porte de son bureau pour
pouvoir me parler sans être épiée.
— Tu as bien reçu mon colis ?
— Tu parles de la fille ?
— Évidemment, à quoi tu pensais ? Tu voulais que je t’envoie des
fleurs avec ?
— Tu m’emmerdes Sandra.
Même à plusieurs milliers de kilomètres l’un de l’autre, je l’entends
sourire à l’autre bout du fil.
— Je sais mon bichon, et tu adores ça. Bon, la petite est arrivée en
un seul morceau, elle n’a rien perdu en route ? Non, parce qu’elle peut
être tête en l’air parfois.
— Super, tu m’as envoyé ton pire boulet ?
Elle éclate de rire à l’autre bout du fil.
— Elle a du potentiel, sinon je ne l’aurais pas gardée, mais elle est
peut-être encore trop jeune. Tu aurais vu sa tête quand je lui ai dit
qu’elle allait partir en Écosse. J’ai cru qu’elle allait tourner de l’œil
dans mon bureau ! C’est limite si je n’ai pas dû la porter pour la faire
sortir.
— C’est ton nouveau souffre-douleur quoi…
— Je l’endurcis, ce n’est pas pareil.
Vu le ton de sa voix, je sens qu’elle prend un malin plaisir à faire
chier cette pauvre fille qui n’a pas le courage de se défendre. Voilà un
point commun que nous avons elle et moi, nous n’aimons pas les
faibles.
— T’es bien mignonne, mais j’en fais quoi de ta greluche, ce n’est pas
elle qui va rédiger mon livre.
— Bah, si justement !
— Quoi ?
Je me demande si elle n’a pas fini par péter les plombs cette fois-ci.
— Littéralement, c’est elle qui va taper ton livre ou plutôt le recopier.
Tu m’as dit que tu avais avancé sur l’écriture manuscrite, mais que tu
n’avais pas commencé à le saisir. Je te l’envoie pour qu’elle le tape
pour toi. Tu vas voir à la vitesse qu’elle tape sur un clavier, c’est fou.
Elle peut aller aussi vite sur un ordinateur qu’un téléphone portable. Y
a pas à dire, c’est une génération hyper connectée.
— Arrête, t’as à peine dix ans de plus qu’elle…
— Tu rigoles, elle fêtera ses vingt-cinq ans demain.
Cette information ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Voilà une
magnifique occasion de lui pourrir son anniversaire !
— Sache que quand je suis née, les smartphones n’existaient pas
encore ! À mon époque, le high-tech c’était le Nokia 3310. Et je te
signale que tu n’es pas beaucoup mieux que moi, tous les autres
auteurs n’écrivent plus rien à la main. Mon nouveau poulain a même
tapé son dernier roman sur son téléphone portable, tu te rends
compte ?
Sa réflexion me fait sentir, d’un seul coup, plus misérable et me
ramène à la dure réalité. Je n’ai plus d’histoire sous le coude et celle
que je prépare n’est probablement pas commercialisable. Une boule
s’est formée dans ma gorge et j’ai peur qu’elle ne se rende compte que
quelque chose ne va pas. Je préfère prendre les devants et terminer au
plus vite cette conversation.
— Je vais devoir te laisser. Il est tard ici et je voudrais me lever tôt
pour écrire demain.
Voilà l’argument auquel elle ne résiste jamais. Pourtant, je sais que
demain je n’arriverai à rédiger seulement quelques mots, avec
difficulté.
— Ça va ? Tu as l’air étrange tout à coup ?
— Non, non, ça va. J’ai juste une étrangère chez moi, il faut que je
m’habitue.
Un bon mensonge doit toujours être à moitié vrai. Ce qui me ronge
le plus, c’est d’avoir perdu mon inspiration, mais la présence de cette
fille me perturbe aussi un peu. Surtout en ce moment. J’ai peur qu’elle
ne foute encore plus la merde dans ma vie.
— Allez, va te reposer. On se tient au courant. Tu m’appelles s’il y a
quoi que ce soit. J’ai hâte de lire tes premiers chapitres.
Si elle savait, elle ne me les réclamerait pas tant.
— Pas de soucis.
Installé sur mon fauteuil en cuir, je regarde la nuit qui est tombée
sur la crête de Trotternish, pour quelques heures.
Je monte les escaliers. C’est un sentiment étrange que de savoir que
je ne suis pas seul ici. Un léger filet de lumière passe sous sa porte. Elle
ne dort pas encore.
Maggy est, comme chaque jour, passée pour ranger mes vêtements
propres dans mon armoire. J’attrape un teeshirt et un caleçon et vais
dans la salle de bain.
C’est étrange de me déshabiller alors qu’elle est de l’autre côté de la
cloison. Moi qui étais capable de me foutre à poil devant tout le monde
lors de mes soirées, je serais presque gêné de me mettre nu, dans ma
salle de bain, alors qu’une femme dort sous mon toit. Putain, j’ai bien
changé. Je réalise qu’il faudrait que je demande à Sam de réparer la
serrure de cette porte. Tant que j’étais tout seul, ça ne posait pas de
problème qu’elle ne ferme pas à clé, mais là… La situation pourrait
être embarrassante.
Je vois qu’elle a rangé une trousse de toilette sur le petit meuble qui
est près du lavabo. Ça provoque en moi des sentiments étranges que je
ne saurais pas encore définir. Ça m’agace, ça m’amuse ? Dans la
douche, elle a laissé trois flacons de produits : un shampoing, un gel
douche à la vanille et un troisième produit que je saisis. C’est quoi ce
truc ? « Gel douche intime ». Oups ! Je remets la bouteille là où je l’ai
trouvée. Pourquoi est-ce que je me sens aussi perturbé ? On dirait un
puceau. D’un autre côté, ça fait longtemps que ma main droite et moi
vivons une relation exclusive et passionnelle. Rien que d’imaginer
qu’elle s’est trouvée nue, ici, voilà peu de temps, fait monter ma queue
au garde à vous. Je n’ose même pas me masturber de peur qu’elle ne
m’entende. Comme un con, je me suis fait prendre à mon propre
piège. Le mur de sa chambre est si fin qu’elle risque d’entendre un
bruit suspect. Laissant couler l’eau chaude sur mon dos, je commence
à me laver.
Un détail attire mon regard : quelques cheveux trainent autour du
trou d’évacuation d’eau de la douche. Beurk ! Elle n’a pas intérêt à me
laisser trainer ses cheveux bruns partout ! Au moins, elle a réussi à me
faire passer mon envie en quelques secondes. Me voilà suffisamment
calmé pour pouvoir me laver sans pensées perverses.
Lavé et frais, je me glisse dans mes draps, pour ce qui va encore
probablement être une nuit épuisante. Demain, je voudrais avancer
sur mon manuscrit. Presque sans le vouloir, je fais le point sur tous les
documents dont j’aurai besoin pour pouvoir avancer dans l’écriture.
Chapitre 7 : Joyeux anniversaire
Emmy
Cathy : Je t’embrasse.
Me préparant tranquillement à descendre, je reçois un nouveau
message.
Matt : Joyeux anniversaire. J’espère que mon cadeau te plaira.
Bises.
Son cadeau ! Je n’y pensais même plus. Je me jette avec avidité sur
ma valise et retrouve le joli petit emballage brillant. Je l’arrache, étant
totalement dépourvue de patience, et savoure avec grand plaisir le tout
dernier roman de mon auteure préférée. Quel bonheur ! J’ai bientôt
fini le roman que j’avais emporté pour le voyage. Je vais pouvoir
démarrer celui-ci dès demain, du moins, si j’en ai le temps.
Je lui renvoie un message rapide pour le remercier de son attention.
Je suis tout à fait consciente de la chance d’avoir des amis comme eux.
Il me faut de longues minutes pour que mon message soit envoyé ce
qui me fait réaliser qu’hier, ce sauvage de William ne m’a pas laissé
son code wifi. Je n’ai pas reçu de mail de Sandra. Il faut absolument
qu’il me le donne pour que je sache ce qu’elle attend vraiment de moi.
Je sais que je suis ici pour l’aider à écrire, mais comment faire ? La
connaissant, elle doit avoir un plan précis qu’elle me communiquera
de long en large dans un mail très détaillé, que je devrais suivre à la
lettre.
Motivée à récupérer le précieux sésame qui me reconnectera au
monde moderne, je me lève, fais ma toilette et m’habille comme
chaque jour, sans chichi particulier pour l’odieux personnage qui
m’héberge.
Dans la maison, pas un bruit. J’en profite pour fureter un peu. Dans
le couloir, la moquette étouffe le bruit de mes pas. Les portes des
chambres, aux couleurs de chêne clair, sont ouvertes. Je passe la tête
dans la première qui est dans le prolongement de la mienne et lui
ressemble presque en tout point, mais en bleue et plus spacieuse. Elle
est encombrée de quelques machines pour faire du sport : un tapis de
course, qui me semble être une hérésie, vu l’endroit où est situé cette
maison. Un banc de musculation et quelques haltères sont disséminés.
La vue à la fenêtre est magnifique. Face à moi se dresse la majestueuse
montagne, crête ou plateau, je ne sais plus comment ils l’appellent. À
son pied, une large rivière coule paisiblement. Le bêlement des
moutons qui sont autour de la petite maison me rappelle
définitivement que je suis bien loin de New York. Ma petite inspection
terminée, je passe à la chambre suivante.
Nous entamons une sorte de guerre des nerfs, lui, me fixant l’air de
m’ordonner de sortir de son bureau et moi me tenant fièrement devant
lui. Il finit par baisser les yeux en soupirant.
Emmy : 1 - Le connard arrogant : 0 !
Le pire, c’est que je commence même à prendre un malin plaisir à
nos joutes verbales. Moi, qui d’habitude ne sais pas quoi répondre,
avec lui, ça me vient tout naturellement et me fais un devoir de ne pas
le laisser gagner.
De l’index, il me montre un recoin, au fond de la pièce. J’entre. Ça
pue la clope froide et la poussière. C’est probablement l’endroit le plus
crasseux de la maison et il est parfaitement encombré de dossiers,
feuilles volantes, dictionnaires et encyclopédies en tout genre. Bref,
c’est un bordel sans nom. Si Sandra voyait ça, je ne crois pas qu’elle
serait heureuse et même ça, ça me met le cœur en joie.
Contorsionnée, j’arrive à prendre une photo de la clé wifi qui est
inscrite sur le modem. C’est malin, mes mains sont pleines de
poussière maintenant. Je les essuie sans grâce sur mon jean et lorsque
je me retourne, je capte qu’il était en train de me reluquer les fesses.
Rouge, il se racle la gorge.
— C’est bon, tu as fini ton exploration spéléologique ou tu as besoin
que j’envoie les secours ?
Pour toute réponse je lui offre une grimace puérile.
— Et pour information, tu as une grosse tache sur les fesses.
Voilà ce qu’il regardait avec attention, non pas mes fesses, mais la
tache qui se trouvait sur mon pantalon.
Satisfaite de voir qu’il est agacé, je sors de son bureau et m’en vais
dans la cuisine.
À peine suis-je entrée que j’y retrouve Maggy.
— Bonjour Emmy, je te prépare une omelette ?
Son regard se teinte d’un voile triste. Je vois à quel point cette
femme s’inquiète pour son protégé et je me demande ce qu’il fait pour
mériter autant d’attention de sa part. Dehors, le vieux Sam bricole une
clôture.
**
William
Mais c’est quoi cette fille ? Elle n’a aucune limite pour m’emmerder.
Personne n’a le droit de rentrer dans mon antre, même pas Maggy
pour y faire le ménage, sauf une à deux fois par an. Là, elle se ramène,
comme si elle était en terrain conquis et en plus je la laisse entrer pour
aller toucher à mon modem.
Et qu’est-ce qui m’a pris de regarder son cul ? Il faut dire qu’elle était
penchée en avant, et que son pantalon lui moulait incroyablement les
fesses. Moi qui voulais juste me retourner pour me foutre encore un
peu d’elle, je me suis retrouvé face à son postérieur offert. Je n’y avais
pas forcément prêté attention hier, mais elle est plutôt bien foutue.
Non, il faut que je me reprenne et que je ne commence pas à avoir ce
genre d’idées, surtout pas avec elle.
Il me semble maintenant évident que j’ai fait une belle connerie en
l’hébergeant directement chez moi. Je pensais pouvoir mener la danse,
mais il faut croire que j’ai perdu la main.
En plus, je ne peux me retenir de tendre l’oreille pour savoir ce que
Maggy est en train de lui raconter et l’odeur de sa délicieuse omelette
commence à me chatouiller les narines. Je pourrais les rejoindre et
manger un bout ? Ça fait déjà quelques heures que je travaille et mon
bras est totalement engourdi.
C’est stupide, je sais, mais je ressens ce besoin de souffrir
physiquement de ma création. Je veux avoir mal à force de rédiger,
sentir ce que me coute chaque mot, chaque page, chaque chapitre.
Taper sur un clavier est facile, mais je n’y retrouve pas cette sorte de
douleur salutaire que me procure l’écriture manuscrite. Je ne m’arrête
que quand mon bras ne peut plus tenir un crayon. Maintenant que
mon bras me fait mal, je peux aller manger. Mais d’un autre sens, elle
va croire que je veux la rejoindre… Je n’aime pas le fait que sa
présence perturbe mes séances de travail.
Pourtant, sans vraiment le vouloir, je me lève et me laisse
transporter jusque dans la cuisine où je les retrouve toutes les deux en
grande conversation.
— Ça sent bon…
Maggy lève la tête vers moi, l’air sincèrement heureux.
Emmy
Depuis trois jours, que je suis arrivée, William continue son petit
train de vie, sans se soucier de moi. Il s’enferme maintenant à clé dans
son bureau pour que je ne vienne plus le déranger. Si, au départ, la
situation me convenait, car je partais sur de courtes explorations,
appareil photo en main et mitraillant le paysage, aujourd’hui, ça ne
m’amuse plus.
La dragonne m’envoie de très nombreux mails en pleine nuit, que je
découvre à mon réveil, me demandant ce que j’ai fait et si William me
laisse l’aider, mais la réponse est toujours la même : non. Je suis d’une
inutilité navrante. Dans son dernier message, elle a été claire. Elle ne
commandera mon billet retour qu’une fois mon travail achevé. Tout
est déjà prêt pour faire une demande de visa, au cas où mon séjour
durerait plus de quatre-vingt-dix jours. Plus de deux mois ici, à
tourner en rond ? Non, impossible.
Dans la cuisine, je donne un petit coup de main à Maggy, épluchant
tout un tas de légumes que Sam fait pousser amoureusement dans le
potager. Pomme de terre en main, nous discutons de ce qui me
tracasse.
— Ça m’ennuie, William ne me laisse pas faire mon travail. Je suis
prise entre deux feux ici. D’un côté, ma patronne qui veut que je le
pousse à écrire, de l’autre il ne me laisse pas retranscrire ses
manuscrits sur ordinateur.
— Tu sais, ma belle, ça le bouscule un peu dans ses habitudes de te
voir ici. Ça fait plus de quatre ans qu’il travaille seul. Il déteste être
dérangé pendant ses séances de travail.
— Je n’avais pas particulièrement envie de venir ici moi non plus. Je
n’ai pas eu le choix.
— Et tu es malheureuse ?
Voilà une bonne question. Est-ce que je suis malheureuse de ne plus
courir dans les bureaux de Manhattan, travaillant le profil
complètement factice d’un auteur sur les réseaux sociaux. Mon emploi
n’est que du mensonge, je me fais passer pour William auprès de ses
lecteurs passionnés, utilisant les photos d’un autre pour illustrer mes
publications. Je cours dans tous les sens pour gagner un salaire de
misère qui me permet à peine de payer ma colocation et participer à
nos frais. Si j’arrête de travailler, je ne peux plus payer mon loyer, si je
perds mon logement, je ne pourrais pas retrouver de travail. J’ai
l’impression d’être coincée dans une spirale infernale. Ici la vie est plus
simple.
J’observe avec tendresse ma voisine qui commence à découper les
légumes en petits morceaux. Chaque fois qu’elle vient, elle apporte sa
belle valise de couteaux professionnels, que son fils lui a offert et
qu’elle utilise avec fierté. Certes, sa vie n’a pas été facile, mais au
moins, elle a pris le temps de vivre chaque jour, tandis que moi, je me
suis laissée dévorer par le quotidien. Est-ce que j’ai réellement vécu
ces dix-huit derniers mois ? Clairement, non. Je ne me suis pas
épanouie, bien au contraire. Cette ville m’a rongée petit à petit, jusqu’à
ce qu’elle fasse de moi, un membre à part entière de son armée
d’esclaves, brisés par un quotidien trop éreintant.
De ma petite ville qui m’a vue grandir, je m’imaginais sortir tous les
soirs, aller voir des comédies musicales à Broadway, aller à des
concerts, visiter des musées… La réalité est tout autre.
L’investissement personnel de chaque jour amène à un épuisement tel
que la seule chose à laquelle j’aspirais avec envie, c’était du calme et du
repos. J’aurais pu vouloir changer de travail, mais où que mon regard
se pose, je voyais le même vide dans le regard des gens tout autour de
moi, voire pire : du désespoir et de la résignation.
**
William
Je suis surpris par le calme de la maison. Ça fait un moment que je
ne l’ai pas entendue monter les marches comme un éléphant, tenter
d’ouvrir ma porte ou hurler à travers la cloison.
Son sourire en coin me laisse entendre qu’elle sait très bien celle que
je cherche. Inutile de lui mentir, elle me connait mieux que ma propre
mère.
— Elle est où Emmy ?
Posant son linge sur la table de la cuisine, elle commence à le plier
devant moi, en prenant tout son temps pour me répondre.
— Elle est partie avec Sam pour récupérer ma commande de
provisions à Staffin.
L’un comme l’autre, nous savons très bien que Sam s’arrête
systématiquement chez Tom pour boire un coup avec ses copains, et
qu’il y a probablement emmené Emmy. L’idée qu’elle rencontre ce
hipster à deux balles me hérisse les poils sur tout le corps.
— Pourquoi tu l’as laissée partir là-bas ?
— Parce qu’elle n’a rien de mieux à faire ici. Elle errait comme une
âme en peine. Il semblerait que tu ne lui aies pas encore donné de
travail à faire si je ne me trompe.
— T’étais où ?
Ma voix ne peut pas être plus cinglante et je m’en veux aussitôt. Elle
est surprise et j’ai éteint en moins d’une seconde la lueur qui brillait
dans ses yeux.
— Dans la petite ville d’à côté pour faire quelques courses.
Elle lance un regard complice à Sam, qui vu mon humeur s’est vite
faufilé dans la cuisine. Elle me toise comme si elle venait de passer une
super journée et qu’elle n’en avait rien à battre de ma mauvaise
humeur.
— Dans mon bureau ! Maintenant !
Droite dans ses bottes, elle me répond, le menton levé.
— Tu as un ordinateur portable ?
— Évidemment.
Visiblement très remontée, elle ne ressemble plus à la fille
rayonnante qui est arrivée tout à l’heure. Elle est froide et distante.
— Tu vas taper le premier chapitre de mon roman.
Du bout des doigts, je pousse vers elle le petit tas de feuilles
griffonnées.
— Tu es tenue au secret professionnel, tu as interdiction de parler de
ce que tu vas lire à qui que ce soit, même pas à Sandra, c’est compris ?
Pour essayer d’avoir moins l’air d’un connard, j’essaie de lui parler
un peu moins brusquement, ce qui n’a pas l’air d’être très efficace.
Elle attrape le paquet de papier dans ses mains et lis le titre.
— « La noirceur en héritage ». Visiblement, tu ne te lances toujours
[11]
pas dans le « feel good »… Ne t’en fais pas, je ne vais pas en parler
à qui que ce soit, parce que, premièrement, je déteste ce que tu écris, et
deuxièmement, je ne connais personne qui aime ce que tu fais.
Là-dessus, elle fait demi-tour emportant mon travail dans ses bras et
me laissant comme un con dans mon bureau, mon orgueil battu par
KO.
Chapitre 9 : Un travail prenant
Emmy
William
Emmy
William
Sur ce coup-là, j’ai déconné. Elle s’est fait bouffer par les midges. Ce
qui était une blague, pour me faire rire à ses dépens, m’a finalement
fait me sentir merdique et coupable. Je la revois les yeux larmoyants et
sa peau se couvrant de petites rougeurs par dizaines. Je sais à quel
point chaque petite piqure peut être douloureuse.
Quand elle a levé les yeux sur moi, j’ai vu à quel point ma petite
vacherie l’avait blessée. À force de rester enfermé dans ma bulle de
noirceur, j’en oublie la sensibilité des autres… Non en fait, je m’en fous
des autres, du moins c’était le cas jusqu’à présent.
Je ne sais pas comment, mais elle me fait un bien fou. Elle m’agace,
me rend dingue et me fait rire. Je suis plus vivant depuis qu’elle est là.
Je retrouve quelques petites bribes d’émotions, que je me refuse
depuis longtemps. Être heureux, ça n’est plus pour moi. Je gratte du
papier et point barre. Tant mieux si ça fait délirer certaines personnes
de se plonger dans ce que j’écris. Je ne veux même pas recevoir les
lauriers de mon travail.
En haut, je n’entends plus un bruit depuis un moment. Elle m’a fait
tellement pitié tout à l’heure que je n’ai pas pu me retenir de lui passer
ma bouteille d’huile qui apaise un peu les piqures de midges. Le
produit n’est pas miraculeux, mais c’est toujours mieux que rien.
Toutefois, je m’inquiète… Si ça se trouve, elle est allergique ? Et si elle
était en plein malaise ?
Pour une fois, je me fais du souci pour quelqu’un d’autre. Je dois
vérifier. Je monte silencieusement les marches, je ne voudrais pas
qu’elle se rende compte que je m’inquiète pour elle. Sur le palier, la
douche est grande ouverte et plus un bruit.
Tendant l’oreille, j’écoute à sa porte. J’espère juste percevoir un
signe qui me montre qu’elle va bien. Mais le son qui me parvient est
loin d’être celui auquel je m’attendais. Distinctement, un petit
vrombissement se fait entendre. Qu’est-ce qu’elle fout là-dedans ?
William
Fier de moi, un pancake calé entre les dents, je me lève pour mettre
ma tasse dans le lave-vaisselle et sors, glorieusement, de la cuisine.
C’était vache et même pas justifié. Je n’aime pas les gros seins. Je me
suis tapé tellement de filles siliconées, que je préfère une jolie petite
poitrine naturelle comme la sienne. Les gros obus, ce n’est plus mon
truc depuis longtemps. Mais la mettre en boite était trop drôle.
William : 1 — Emmy : 0
Complètement KO, je la laisse seule dans la cuisine face à son café.
Elle n’a rien vu venir. C’est en chantonnant que je retourne vers ma
chambre pour préparer mes affaires et prendre une bonne douche.
Cette journée démarre bien.
**
Emmy
« Les murs sont très fins »… Il n’aurait quand même pas… Il était
dans son bureau, il n’a pas pu m’entendre… Je n’ai pas fait tant de
bruit que ça tout de même ? À moins qu’il soit remonté entre temps ?
Mais je ne l’ai pas entendu… En même temps, je ne percevais plus
grand-chose vu l’état dans lequel m’a mise Zeus. Je ne suis pas
certaine que j’étais encore sur la même planète que lui.
Complètement choquée à l’idée qu’il ait pu assister à ma première
utilisation d’un sextoy, je suis morte de honte. Moi qui ne fais jamais
ce genre de choses habituellement…
Seule dans la cuisine, le nez dans les pancakes, je remarque le petit
mot de Maggy. William passera la soirée seul, je suppose qu’il sera
bien content de se débarrasser de sa voisine perverse.
Toute cette histoire m’a coupé l’appétit. Je remonte honteuse dans
ma chambre tout en prenant soin de passer discrètement devant le
bureau de William, qui me lance un coup d’œil, avec un sourire
narquois.
— Tu viens récupérer un chapitre après ?
— On est samedi, je ne compte pas travailler aujourd’hui.
Si Éva May savait que son livre allait être lu par William Anderson
en personne, je me demande dans quel état elle serait. J’ai eu la
chance de la rencontrer sur un salon, et cette fille est tellement humble
et douce qu’elle frôlerait surement la crise cardiaque.
Je redescends, mon livre calé contre mon cœur et le tend à William.
— Attention, j’y tiens !
— Oh… Je te promets d’en prendre soin !
Il regarde la couverture, amusé. Bon, j’avoue, elle n’est pas très
originale. On ne voit que le buste dénudé du héros, en contrejour et le
titre est écrit en lettres gothiques.
— Je crois qu’on tient là un chef-d’œuvre.
— Tu es magnifique.
J’attends la phrase assassine qui arrive habituellement après, mais
elle ne vient pas. Mon cœur bat la chamade et je m’empourpre.
Trois coups sont donnés à la porte du sas d’entrée.
— Ton chevalier servant est arrivé sur son destrier on dirait.
Je m’avance vers la porte tandis qu’il ne me lâche pas du regard.
C’est stupide, Thomas est la garantie de passer une super soirée,
pourtant, ce n’est pas avec lui que j’ai envie d’aller tout de suite…
Lorsque j’ouvre la porte, mon superbe cavalier du soir m’offre un
sourire qui peut illuminer toute la péninsule de Trotternish. Habillé
d’un blouson de moto en cuir brun, d’un jean faussement négligé et
d’une paire de bottes, il est vraiment beau à voir.
— Bonsoir Emmy ! Prête pour notre petite virée ?
— Bonsoir ! Oui je suis prête !
J’enfile rapidement ma veste en jean, attrape mon petit sac
bandoulière de cuir brun et croise son regard souriant.
— Tu es vraiment en beauté.
Le compliment me va droit au cœur, surtout que je me suis préparée
rapidement. J’ai toujours du mal à accepter les compliments et ne sais
pas trop quoi répondre, rouge d’embarras.
Derrière moi, un bruit d’étouffement me parvient. Thomas et moi
tournons le regard vers William, qui est apparu comme par magie
dans l’entrée.
— Bonsoir William. Tu vas bien ?
Il affiche à nouveau, cet air de connard arrogant que je lui connais si
bien.
— Oui oui. Juste que je ne m’attendais pas à être aussi proche de toi
sur la selle. C’était l’effet de surprise, mais c’est bon, on peut y aller.
Un dernier coup d’œil à la fenêtre de William et son expression finit
de me fendre le cœur. J’ai l’impression d’abandonner un cocker sur le
bord de l’autoroute.
La moto démarre, le son particulier et grave de son moteur me
donne déjà des ailes. Merde à la culpabilité ! Après tout ce qu’il m’a fait
subir, j’ai bien le droit de me faire plaisir lors d’une petite soirée. Il ne
va pas en mourir !
Nous passons le portail et je pourrais presque sentir son regard
lourd dans mon dos.
Chapitre 12 : Portree
William
Ce moment, elle ne le vit pas avec moi, mais avec Thomas Lawrence.
Le mec prétentieux qui se la joue, avec son air d’ami de la nature. Ce
qui me soule le plus avec lui c’est qu’il se fait passer pour un gars
simple, mais en réalité il ne porte que des marques de luxe, je les
reconnais assez bien pour les avoir achetées si souvent, dans ma vie
d’avant. Il a payé un décorateur d’intérieur pour retaper son petit bar
et le rendre accueillant, mais il n’a rien fait par lui-même. Tout le Skye
l’aime bien. Je suis sûr qu’il est comme tout le monde, le revers de la
médaille est certainement moins reluisant que la façade qu’il offre à
tous les habitants de Skye. Je ne mets quasiment jamais les pieds dans
son troquet, sauf quand je m’y fais trainer de force par Sam, « pour
m’aérer la tête ». Maggy s’étonne toujours que lui et moi ne soyons pas
amis, mais je n’ai rien en commun avec ce trou du cul, à part notre âge
qui est à peu près le même, et notre arrivée sur l’ile pour échapper à
une pression trop importante.
Comme un con, je reste à regarder par la fenêtre, espérant les voir
revenir. Ils sont partis voilà moins de cinq longues minutes et je dois
me faire une raison.
Je ne suis pas bon pour écrire ce soir, donc je vais lire. Depuis
plusieurs mois, le roman du numéro deux de « Shaltay Publishing »,
trône sur ma table de chevet sans en bouger. Ce pavé chiant à mourir.
Si Sandra espérait me mettre un électrochoc en m’envoyant le bouquin
de « la relève », comme elle l’appelle parfois pour m’emmerder, c’est
raté.
Devant moi, le roman qu’elle m’a passé. Elle m’a mis au défi de lire
un livre d’amour alors soit. Je vais aller au bout. Bon, pour le moment,
je dois avouer que l’histoire n’est pas trop mauvaise. Ça se lit plutôt
bien, et j’ai avalé plus de dix chapitres sans même m’en rendre
compte. J’ai eu du mal au départ avec la narration au présent et du
point de vue des deux héros, mais finalement, c’est plutôt agréable, ou
du moins, pas trop chiant.
Le démarrage me semblait être un peu bateau. Une fille brisée qui
retourne dans sa ville natale pour une raison obscure et retrouve son
amour d’enfance, que la vie n’a pas épargné non plus. L’écriture est
sombre, les personnages sont vraiment bien représentés, et je
comprends mieux ce qu’elle voulait dire en parlant des émotions. Là,
ce sont elles qui portent toute l’histoire, et non les actions. Autant dire
qu’être plongé dans la tête de ces deux cabossés de la vie, c’est…
émotionnellement intense.
Mon choix est fait, je vais me mettre en condition. Tout d’abord, je
dois manger. Si Maggy se rend compte que je n’ai pas touché à mon
assiette, elle va tout cafter à Sandra. Consciencieusement, j’avale
l’espèce de gratin qu’elle avait préparé. Pour faire bonne mesure, je
prends aussi la part d’Emmy. Le ventre plein, je monte prendre ma
douche, et me mets en calbut dans mon lit.
Bien installé, j’attrape « The Darkness of Love » et reprends ma
lecture. Je me demande bien ce qu’il va se passer quand ces deux-là
vont se rapprocher… Rien que cette idée me donnerait envie de me
foutre des claques, mais il faut avouer que ça fait bien longtemps que
je n’avais pas eu autant de plaisir à ouvrir un roman.
**
Emmy
Je dois avoir l’air d’une touriste, mais j’ai le cœur qui bat à toute
allure et les yeux qui brillent. Je crois que je suis en train de tomber
amoureuse de cette ile qui m’émerveille et de ses adorables habitants.
— Ça te plait ?
— Eh comment ?! C’est vraiment magnifique. J’ai l’impression qu’il
y a des surprises à chaque coin de rue. Et les gens sont tellement
gentils.
Un serveur aimable vient prendre nos commandes et revient
rapidement avec les Cocas qui nous serviront d’apéritif.
Il me raconte alors toute l’histoire de Portree, de ce port et
m’explique quels sont les endroits à visiter absolument ici.
— Nous n’aurons pas le temps ce soir, à cause des midges, mais si ça
te dit, nous pourrons revenir une autre fois ?
Rien que le souvenir de ces sales petites bêtes me donne des
démangeaisons.
Nos plats finissent par arriver. Nous avons tous les deux pris la
spécialité du chef, un magnifique saumon accompagné d’un riz
parfumé et d’une sauce qui a l’air absolument délicieuse.
Dès les premières bouchées, je tombe en extase. La cuisson est
parfaite, le poisson fond dans la bouche et c’est un véritable festival de
saveurs sur mes papilles.
Pendant que je suis absorbée par mon plat, lui m’explique qu’un peu
plus haut se trouve la « Free Church of Portree », un bâtiment ancien
et somptueux ayant une vue imprenable sur le loch. Complètement
envoutée par mon saumon, je ne l’écoute que d’une oreille.
— Tu sais que tu me fais un peu penser à cette église ?
Ah non ?! Pas deux fois dans la même journée ! Je prends alors un
air renfrogné, qui le surprend et continue son laïus.
— Tu es belle et tu dégages beaucoup d’élégance. Une aura
romantique que la majeure partie des femmes ont perdue.
Fourchette suspendue en l’air, je suis estomaquée. Je m’attendais à
une petite blague et finalement c’est un compliment. Bien que ce qu’il
me dit soit très joli, ça me laisse de marbre. Alors que William m’avait
fait sortir de mes gonds, je reste comme une andouille devant lui. Je
crois que je m’étais tellement préparée à une vacherie que son
compliment glisse sur moi comme la pluie sur un canard. Au moins, la
version de William me faisait réagir. Un peu embarrassée, je ne sais
pas trop quoi lui répondre et mon attitude semble le surprendre.
— J’ai eu peur que tu me fasses la même blague que William ce
matin.
— Une blague sur une église ?
— Oui, enfin, pas vraiment…
Je lui raconte alors le jeu de mots. Lui est horrifié, alors qu’en la
racontant moi-même, je la trouve plutôt drôle. C’est vrai que je n’ai
pas beaucoup de poitrine et un peu d’autodérision ne fait pas de mal.
Finalement, cette blague n’est pas si nulle et je finis même par en rire
sous le regard désolé de Tom.
— Tu habites chez le seul connard de Skye.
Je ne sais pas pourquoi, je prends cette réflexion à cœur et je me
sens obligée de justifier son comportement d’odieux personnage.
— Il n’est pas facile, mais il a surement ses raisons.
Le souvenir de son regard de chien battu à la fenêtre me fait
culpabiliser d’être ici. Il avait l’air d’être tellement malheureux.
Pourtant, je l’ai vu souffrir en travaillant, rester dans sa bulle des
heures durant, s’enfermant dans un monde de noirceur, mais cette
peine-là, je ne l’avais encore jamais vue dans ses yeux.
— Je ne pense pas que quoi que ce soit puisse vraiment excuser son
comportement hautain. Il nous prend tous pour des moins que rien ici.
Il ne se mélange pas à nous et n’adresse la parole à personne.
— C’est parce que tu ne le connais pas. Il n’est probablement pas si
horrible. Tu as déjà lu ses livres ?
Pour la première fois, ses traits sont détendus. Il a l’air d’un enfant
qui dort. Sur le dos, vêtu uniquement d’un boxer, je ne peux me retenir
de profiter du spectacle qui s’offre à moi. Il est carrément renversant.
Sa musculature est juste comme je les aime. Ni trop ni trop peu. Et que
dire de ses mains ? L’une est posée sur mon livre, l’autre est sur le
matelas. Elles sont viriles et pourtant d’une grande finesse. Je
m’amuse des petites taches d’encre qui sont sur sa main gauche.
— Emmy, non…
Sa voix grave et sexy résonne jusqu’au fond de mon cœur.
J’hallucine ? Est-ce qu’il vient de prononcer mon prénom en
dormant ? Il rêve probablement que j’ai encore fait une grosse bêtise et
il est fâché.
— Emmy… reste…
Bouche bée, je l’observe se tordre dans une position fœtale qui n’a
plus rien de sensuel, mais qui me pince le cœur. Il se dégage de lui une
telle souffrance que mon excitation s’est évaporée et a laissé place à
une profonde pitié pour lui.
Les coudes repliés vers le ventre, sa main droite repose paume vers
le plafond et me laisse voir ses bras larges et musculeux. Un détail me
surprend. Habituellement, il ne porte que des pulls et des teeshirts à
manches, et de gros bracelets de cuir ne permettant pas de voir ses
bras. Soudain, l’évidence me saute aux yeux. De larges cicatrices
zèbrent son poignet. L’une d’elles semble encore fraiche, la peau étant
encore d’un rose clair. Un mot sonne comme une alerte dans mon
esprit : Tentative de suicide.
Faisant le lien avec le désespoir que j’ai pu lire dans ses yeux tout à
l’heure, la noirceur de ses romans et son caractère aigri, je comprends
que l’homme qui est face à moi, a entamé depuis longtemps, un tango
macabre avec les ténèbres.
Comme si sa peine m’aspirait, j’avance sans m’en rendre compte
vers lui. Toujours prostré, il gémit, étreint d’une intense souffrance.
Malgré moi, je glisse mes doigts dans ses cheveux et lui souffle
quelques mots à l’oreille.
— Je suis là William, n’aie pas peur.
Dans un long soupir, tout son corps se détend. À nouveau, il respire
lentement et a retrouvé l’air serein à mon arrivée. J’ai l’impression
qu’il basculait dans la noirceur et que mes quelques mots l’ont attiré à
nouveau vers la lumière.
Qu’a-t-il pu vivre pour devenir comme ça ?
C’est décidé, à partir de demain je démarre ma petite enquête.
Chapitre 13 : La règle
William
**
Emmy
Comme s’il avait le diable aux fesses, William vient de fuir pour se
réfugier dans la chambre bleue. Je me doute qu’il va faire un peu de
sport, mais ça me surprendrait qu’il le fasse uniquement vêtu d’un
boxer.
Un malaise clairement perceptible a flotté entre nous. Est-ce qu’il
aurait pu être réveillé par ma présence cette nuit ? Non… Il dormait
profondément… À moins qu’il soit très bon comédien, ce qui ne
m’étonnerait même pas de lui.
Descendant les marches, je sens déjà la bonne odeur du café de
Maggy. J’entre dans la cuisine et c’est une femme sérieuse, les mains
sur les hanches qui m’accueille. Oups. Visiblement, je vais me prendre
un savon.
— Bonjour Emmy.
— Bonjour Maggy…
— Il faut qu’on discute toutes les deux !
Houla… ça commence mal…
— J’aurais dû te prévenir avant, mais je ne pensais pas que ce serait
utile de t’informer de cette règle : William ne doit JAMAIS rester seul.
Enfin, il peut rester seul dans sa maison, mais il doit pouvoir nous
appeler à l’aide rapidement, de jour comme de nuit.
Ce qu’elle me dit me stupéfait.
Merci de ta réponse.
Emmy »
Satisfaite, je clique sur le bouton envoyer. Il doit être environ trois
heures du matin à New York, elle le lira donc, au mieux dans quatre
heures.
J’en profite pour lire les messages que Cathy m’avait envoyés
pendant toute la nuit. Avant d’aller me coucher, je l’avais informée que
finalement, ça n’avait pas été plus loin avec Thomas, puis j’ai éteint
mon téléphone, me doutant qu’il sonnerait de nombreuses fois. Il y a
plus de soixante-dix messages non lus dans notre fil de discussion.
« Mais pourquoi ? », « Il était trop canon », « Tu déconnes ! » et de
nombreux smiley et GIF de désespoir.
Elle n’a pas pu entendre que ça n’a pas matché entre nous. Que
même pour un coup d’un soir, ce n’était pas possible. Visiblement, elle
s’est bien défoulée et lassée de ne pas avoir de réponse, elle a
abandonné. Le décalage horaire aura au moins cet avantage.
Taquine, j’ai bien envie de lui répondre, juste pour faire sonner son
smartphone. Je m’apprête à composer mon premier message lorsque
mon téléphone sonne et un nom s’affiche à l’écran : « La dragonne ».
Mais elle ne dort jamais ?!
Toute penaude je décroche.
— Allo…
— Emmy, bonjour, Sandra à l’appareil.
— Bonjour Sandra…
— J’ai reçu ton message, et en effet, je crois qu’il est important que
tu sois mise au courant de deux ou trois petites choses. Ça pourrait
nous éviter à tous de gros problèmes.
Sa voix est dure et elle parle rapidement, à croire qu’on est en plein
milieu de l’après-midi. Il est impossible de déceler la moindre marque
de fatigue chez elle. Je finis même par me demander si elle n’est pas
une sorte de mutant alien qui n’a pas besoin de dormir.
— Je t’écoute.
Au bout du fil, je l’entends prendre une grande inspiration.
William
— Tu as parlé à Maggy ?
Pourquoi je lui pose cette question ? C’est un autre sujet que je ne
veux pas aborder…
— Oui… Et à Sandra aussi…
Bordel de merde. Je ne m’y attendais pas à celle-là. Du moins pas
tout de suite. Devant mon air inquiet, elle se dépêche d’ajouter
quelques mots.
— Ne t’en fais pas, elle n’est pas au courant que tu es resté seul hier.
Je suis désolée, je ne savais pas.
— Tu n’as pas à être désolée d’avoir une vie. Ça a été avec trou duc ?
Est-ce que c’est la playlist un peu triste, en fond sonore, qui me
pousse à poser à haute voix toutes les questions auxquelles je n’ai pas
envie d’entendre les réponses ? Si c’est le cas, il faut que je pense à la
supprimer fissa. Elle me rend complètement con.
Emmy rougit, et son petit sourire en coin fait monter ma tension. Je
ne sais même pas pourquoi je lui demande ça. Comme si ça
m’intéressait… N’importe quoi.
— Oui, il est gentil. Nous avons passé une agréable soirée, mais…
D’un coup, son « mais » retient toute mon attention.
— Je ne sais pas… Il est…
— Un trou du cul prétentieux et égocentrique ?
— Non je n’irais peut-être pas jusqu’à dire ça, mais en gros, c’est
l’idée.
Comme si elle venait de retirer un lourd poids de mon estomac, je ne
peux retenir un grand éclat de rire. Pour la première fois, nous rions,
ensemble et de bon cœur. Pour la première fois, son visage s’illumine
pour moi et je la trouve encore plus belle.
**
Emmy
Quand il est redescendu dans son bureau, je suis sortie sur le palier,
en toute discrétion, pour pouvoir écouter s’il ne faisait pas un malaise.
J’avoue, j’ai pensé que c’est ce que Sandra voudrait que je fasse.
Garder un œil sur sa poule aux œufs d’or, et m’assurer qu’elle se porte
toujours bien.
J’ai entendu qu’il tournait et virait dans son antre. Quand une
mélodie m’est parvenue, j’ai pris ça comme un signal. Pour l’instant, je
ne l’ai jamais entendu avoir besoin d’un fond musical pour travailler.
Donc, comme demandé par ma patronne, j’ai pris la décision de lui
faire prendre l’air. J’ai l’impression de le trahir, mais d’un autre sens,
nous désirons toutes les deux la même chose : qu’il aille assez bien,
pour écrire. Quand ma mission sera accomplie et qu’il aura terminé
« La noirceur en héritage », je pourrai rentrer à la maison.
**
William
Entassés dans le vieux 4X4 de Sam, nous voilà partis pour le site
touristique de l’Old Man of Storr. Pour l’instant il fait toujours beau,
plus qu’à espérer que les reins de Sam se trompent.
Nous arrivons rapidement au pied de la montagne. D’ici on peut
remarquer le petit sentier qui serpente jusqu’à l’Old Man of Storr, ce
rocher noir qui ressemblerait au visage d’un vieil homme. Pour moi,
on dirait un immense menhir noir. D’ici il a l’air tout petit.
Nous sommes équipés comme si on allait attaquer le mont Everest.
Comme le sommet est dans les nuages, nous avons prévu des pulls, et
des imperméables. Chacun de nous a pris un sac à dos. Je pensais
qu’Emmy viendrait avec ses petites baskets, mais elle est mieux
équipée que moi. Elle porte la parfaite tenue du randonneur : pull
polaire, pantalon de toile respirant et imperméable, chaussures de
marche et casquette, de laquelle elle a laissé dépasser sa queue de
cheval. Même son sac à dos à l’air d’avoir été fabriqué par la NASA. Il a
des poches partout et je n’arriverais même pas à dire en quoi est fait ce
tissu noir, qui a l’air très fin et pourtant solide. J’ai l’air d’un touriste
avec mon jean, mon gros pull en laine, mes baskets et mon lourd
imper, roulé en boule dans mon vieux sac de toile kaki.
D’un autre sens, il semble que la marche ne soit pas trop difficile. Il
[20]
n’est pas utile d’être équipé comme un pro du trekking . Il faudrait
compter environ deux heures pour faire l’aller-retour. Ça grimpe, mais
étant sportif, ça ne devrait pas être trop difficile.
Elle pourrait avoir l’air moche dans ces fringues, mais pourtant, elle
est toujours attirante. Elle fait partie de ces nanas qui pourraient
s’habiller n’importe comment, tout leur va. Pourtant, ce n’est pas un
mannequin, mais elle a beaucoup de charme. Ses grands yeux vairons
se régalent déjà de ce panorama fabuleux. Elle ne ressemble
absolument pas aux nanas qui m’intéressaient à New York. J’imagine
comme ce petit bout de femme devait dénoter dans les bureaux de
[21]
Sandra, au milieu de toutes ces « working girls » coincées.
À ce qu’il parait, c’est LA randonnée à parcourir à Skye. Des gens du
monde entier viennent ici pour en prendre plein les yeux. Il y aura
deux Américains de plus sur le chemin, qui est déjà bien encombré.
— Tu es prête ?
Elle sourit jusqu’aux oreilles et moi je crois que je dois avoir la
même tronche. À vrai dire, je m’en fous de cette randonnée. Si j’avais
voulu le visiter, je serais venu avant.
— Et comment ! J’ai hâte ! C’est tellement beau. Tu es déjà venu ?
— Non jamais.
— Pourquoi ?
Merde, c’est parti, on n’a pas encore quitté le parking que
l’interrogatoire vient de commencer.
— Parce que je travaillais.
Sans me soucier de savoir si elle me suit, je commence à m’engager
sur le chemin. J’ouvre la petite barrière et au moment où je m’apprête
à passer le portail, elle me passe devant en me narguant. Surpris, je
reste la bouche grande ouverte et plusieurs personnes en profitent
pour entrer et sortir tandis que je joue le portier de l’Old Man.
— Tu prends racine ?
Piqué au vif, je referme le portail devant une vieille bonne femme,
qui m’insulte copieusement, et la suis sur le chemin de terre noire. Il
est large et gravillonné. Bien qu’il monte un peu, l’avancée est facile.
J’avance rapidement alors qu’Emmy prend plus son temps. Moi qui la
pensais bonne marcheuse, je suis un peu déçu.
Un panneau nous informe que le site est une forêt exploitée et que
les arbres ont étés rasés voilà quelque temps et donne un aspect de
désolation à l’endroit. C’est dommage, j’imagine que ce sentier au
milieu des bois, ça devait être sympa. Quelques troncs d’arbres sont
encore éparpillés. Des touffes d’herbes marron se dressent au-dessus
d’un tapis vert. C’est un paysage impressionnant mêlant lac, bras de
mer, montagnes abruptes de roches noires et collines verdoyantes. Le
vent souffle déjà assez fort.
Nous marchons depuis quinze minutes et déjà Emmy s’arrête. Elle
sort de son sac à dos son coupe-vent, qui semble extrêmement fin, et
un gros appareil photo.
— Attends, je vais prendre quelques clichés. Ça ne te dérange pas ?
— À ce rythme on n’est pas rentrés avant la nuit…
— Allez monsieur Ronchon, je n’en ai pas pour longtemps.
Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas envie qu’elle voie que je suis
heureux d’être là. Alors je fais mine de ne pas être content. C’est
complètement stupide et elle ne semble même pas dupe. C’est comme
un jeu entre nous maintenant, et j’ai du mal à me défaire de ce rôle.
Je prends aussi le temps de sortir mon manteau de mon sac, qui
semble maintenant presque vide comparé à celui de ma coéquipière de
marche.
Prévoyante, Emmy a même pris le temps d’imprimer un guide pour
mieux comprendre ce que nous allons voir sur notre chemin. Je n’y ai
même pas pensé.
Le paysage mitraillé, nous reprenons notre ascension et arrivons à
un croisement. Grâce à son document, elle m’indique qu’il faut
prendre le chemin où il y a le plus de monde, celui de droite. Certaines
parties montent plus fort et je suis surpris de fatiguer aussi vite.
Heureusement que je me suis adapté à son rythme, je n’aurais jamais
tenu jusque-là haut. Quand le chemin devient plus pentu, la petite
brune ne monte plus en ligne droite, mais avance en zigzags sur le
large chemin. Au début, je me fous d’elle puis rapidement, je
comprends que sa méthode est moins fatigante que la mienne.
— Oui peut-être, mais tu sais, les gens qui envoient les messages, ça
n’est pas à cause des photos qu’ils ont vues, ou des interviews insipides
et lisses que Sandra a fait répéter à Robert Walter. Ils s’intéressent à
tes livres, ce que tu écris et ça, je crois que c’est ce que les gens aiment.
— Tu parles, ils se repaissent de ma noirceur. Ils aiment que je
vomisse ma haine, mon dégout de moi-même et de la société.
— Honnêtement, je ne crois pas. Jusqu’à présent, je détestais tous
tes livres. Excuse-moi de ma franchise. Maintenant que je te connais,
je les perçois différemment. Je ne dis pas que j’aime pour autant, mais
je crois que je comprends mieux. Il y a beaucoup plus de toi dans tes
romans que ce que Sandra laisse penser.
— Les histoires ont toutes été inventées…
Sur notre droite, le Old Man nous surveille au milieu des autres
rochers.
Le sentier devient un petit chemin plein de rochers et boueux par
endroits. Il y a beaucoup moins de monde maintenant. Il faut dire que
le ciel devient bien gris. On dirait que des nuages sont emprisonnés en
haut de la montagne et n’attendent que nous pour lâcher des trombes
d’eau.
Elle porte l’une des tenues les moins sexys du monde et pourtant,
j’ai l’impression d’avoir devant moi, le véritable joyau de l’ile de Skye.
Cette petite brune qui semblait être un petit être fragile et qui
maintenant est un véritable diamant qui brille de mille feux. Pourtant,
je sais que l’embrasser a été une épouvantable erreur. Elle va bientôt
découvrir celui que je suis réellement et après elle partira. Quand
j’étudiais Shakespeare à l’école, ces histoires de Roméo et Juliette, ou
de Macbeth qui déconnait à plein tube parce que son cœur avait pris le
dessus sur sa raison, je me disais que tout ça n’existait pas. Que ça
n’était pas plus réel que la science-fiction. Je confondais désir et
amour. Maintenant, je crois que je connais la différence et que celle-ci
me précipitera vers ma fin.
Décidé, je sais que je dois mettre un terme à ce moment. Nous
devons laisser la magie de cet instant ici et remettre les pieds sur terre,
en redescendant cette foutue montagne.
Les rochers sont plus glissants qu’à l’aller. À certains endroits, je lui
donne la main pour éviter qu’elle ne dérape. Chaque fois que je touche
sa peau, et que nos regards se croisent, mon cœur s’emballe et je ne
sais plus comment réagir. Jamais aucune fille ne m’a fait cet effet-là.
J’ai les mains moites et mon cœur semble défier ma raison, mais je ne
faiblirai pas. Mon éducation me servira au moins aujourd’hui.
Connaitre le prix d’un sacrifice pour atteindre un objectif. Eh bien
voilà, je sacrifie cet embryon de relation pour atteindre mon objectif :
qu’elle souffre moins à la fin.
Le retour est tout en descente et se fait en une demi-heure sans
souci. Je me hâte et tente d’éviter d’ouvrir la bouche pour ne pas dire
une connerie, que je risquerai de regretter après. Cette histoire est une
impasse dans laquelle je ne dois pas m’engager. Je tente donc de
reprendre le rôle que je connais le mieux : celui du connard arrogant
qui se fout des autres.
— Bon, tu te bouges ? J’en ai marre de jouer les touristes.
Elle est déstabilisée par mon brusque changement d’attitude. Je
sens la peine que je lui cause et pourtant, chaque vacherie est une lame
de rasoir que j’avale. Je serre les dents et prends soin d’avoir l’air de
celui qu’elle avait rencontré le premier jour. William Anderson,
l’auteur de thrillers au caractère de merde.
Plus nous nous approchons du parking et plus je me blinde. Fini les
petits gestes pour éviter qu’elle ne trébuche, ou les petites attentions.
Je vais même jusqu’à faire mine de lui ouvrir les portes, pour
finalement les laisser se refermer juste devant elle, tout en me foutant
grassement de sa gueule. Oui, une véritable attitude d’enfoiré.
Ce que je lui fais me rappelle le bouquin qu’elle m’a passé : « The
Darkness of Love ». Quel paradoxe ! Là, je la vois bien la noirceur de
l’amour. Finalement, comme le héros du livre, j’utilise la douleur de
mes sentiments naissants envers elle pour la blesser. Moi qui trouvais
que la réaction du personnage principal n’avait aucun sens,
finalement, ça n’est pas si débile.
Curieux, je pense que je vais finir de le lire ce soir, après manger. On
va bien voir si lui s’en sort mieux que moi. Vu que c’est une romance,
je me doute que tout se finira bien, ça ne sera pas le cas pour moi.
Chapitre 15 : Le piège
Emmy
J’ai été très perturbée par ce qui s’est passé entre nous hier, lors de
la marche à l’Old Man of Storr. Je crois que j’ai traversé toutes les
palettes d’émotions. Je ne peux que reconnaitre que William m’attire
énormément. À chaque pas qui nous approchait du sommet, je le
voyais changer, comme devenant plus lui-même et laissant tomber ses
barrières une à une. Cet homme-là, je l’apprécie sincèrement. Il est
incroyablement sensible, drôle et quand il me regarde, les yeux
brillants, je crois que le monde s’arrête de tourner. À travers son
regard, j’ai l’impression d’être moi, en beaucoup mieux. Là-haut, tout
était simple et sincère. La tension qui régnait entre nous m’a rendue
folle. Mon cœur battait si fort que j’ai eu peur qu’on puisse l’entendre
en écho sur des centaines de kilomètres. Je ne m’attendais vraiment
pas à ce baiser, et je crois que lui non plus d’ailleurs. Jamais je n’aurais
cru possible qu’il puisse ressentir pour moi autre chose que du mépris.
Pourtant, dans ce baiser, il y avait tellement de fougue, de tendresse et
de désespoir que je n’arrive pas à croire que c’était faux.
Pour une raison que j’ignore et que je n’arrive pas à comprendre, il a
regretté ce geste et pour moi, ça a été le coup de massue. Je me suis
sentie profondément blessée. Plus nous redescendions la montagne,
plus il se montrait distant et plus je me sentais honteuse. Je ne sais
même pas vraiment pourquoi.
C’est bien simple, il ne m’a pas adressé un mot sur toute la route du
retour et une fois arrivés, il s’est enfermé dans son bureau et moi j’ai
foncé dans ma chambre pour pleurer silencieusement. Je n’ai pas eu
envie de lui donner la satisfaction de savoir à quel point son attitude
me faisait mal. J’ai diné seule et quand je suis allée me coucher, il a
fini par monter se mettre au lit, lui aussi, en prenant soin de ne plus
me croiser. Entre l’envie de mettre les choses au clair et de lui arracher
les yeux mon cœur balance. Je suis sincèrement en colère. Comment
a-t-il pu jouer avec mes sentiments ?
Ce matin encore, il s’est enfermé dans son bureau. J’entends un peu
de musique. Je reconnais immédiatement Knockin' On Heaven's Door
de Bob Dylan. Vu son comportement, il peut y frapper longtemps à la
porte du paradis, ils ne sont pas près de lui ouvrir !
Sans gêne, j’ouvre son bureau sans le prévenir. Il se comporte en
goujat, soit, il va gouter à son propre venin. Je suis moi aussi capable
d’être une véritable peste.
Surpris, il lève les yeux sur moi. L’espace d’un tout petit instant, je
crois revoir l’homme que j’ai quitté en haut de la montagne, puis il
disparait derrière le masque de cet écrivain odieux. Il est assis à sa
table, le visage sévère et déterminé, au lieu de pages noircies, je
remarque qu’il a griffonné un tout petit texte ou un poème.
Rongée par la curiosité, je me rapproche, le menton haut et gonflé
d’orgueil. Je tente de lire quelques lignes de son papier, mais
immédiatement, il place sa main sur la feuille pour me couper dans
mon élan.
Déstabilisée, je fais mine de n’en avoir strictement rien à faire.
— Tu peux me donner des chapitres à taper ?
Je commence à bien connaitre sa méthode de classement. La feuille
sur laquelle il travaille est devant lui, puis il les met sur un premier
paquet à sa droite, qu’il relira. Une fois fait, il fait un deuxième tas, qui
est celui qu’il est prêt à me donner au compte-goutte. J’ai remarqué la
semaine dernière que mon paquet diminuait plus vite que le sien ne
montait, mais ce matin, il n’y a que quelques dizaines de feuilles pour
moi et plus aucun autre tas. Il semblerait que depuis ce matin, il ne
soit que sur cette feuille de quelques lignes.
Il tire nerveusement sur son teeshirt pour cacher ses poignets. Je
sais maintenant que c’est une marque de stress chez lui.
Ma question l’agace et sans même me répondre, il me donne le petit
paquet de feuilles qui m’est destiné. Son bureau parait maintenant très
vide. Est-ce que je dois m’en inquiéter ? Il a l’air encore plus triste et
torturé que d’habitude.
— Prends-ça. Et ferme la porte en sortant.
**
William
Toujours rien, le vide, le néant absolu. Incapable de rédiger une
seule ligne. Ça ne m’était pourtant jamais arrivé. Panne complète.
Pourtant, j’ai tout. Le plan, les détails, l’histoire complète, mais
quand je veux commencer à coucher ces putains de mots sur le papier,
ma main est comme paralysée.
Juste pour voir, j’ai tenté de composer un poème à la con. Il m’a
fallu du temps, mais j’y suis arrivé, mais dès que je veux reprendre le
travail de ce putain de récit, ça bloque. La bile me monte à la gorge, j’ai
envie de gerber depuis mon réveil. Je me doute que c’est à cause de
cette histoire, pourtant je dois me faire violence et aller au bout.
— Non.
— Si.
— Non.
Elle commence déjà à poser tout son matos sur les papiers qui sont
juste à côté de moi.
Emmy
Je n’aurais jamais cru qu’il aurait plongé aussi facilement dans mon
petit piège. J’ai vraiment eu chaud aux fesses. Au sens propre comme
au figuré d’ailleurs. J’ai un peu joué avec le feu pour tâter le terrain et
voir s’il restait quelque chose de ce que nous avions échangé sur la
montagne. Vu son regard lubrique, je ne le laisse pas indifférent, j’ai
vraiment joué ce jeu au bluff pourtant. Sentir son regard réveille le
désir qui sommeille en moi. Quelle idée d’avoir un corps pareil. Il
aurait pu faire du mannequinat sans souci. Pour ne rien gâcher, il a un
esprit aussi affuté que ses muscles saillants.
Le plus important est qu’il doit continuer d’écrire, quitte à ce que
cela impacte l’avancée de la retranscription de « La noirceur en
héritage ». Sandra en a de bonnes. J’ai fait avec les moyens du bord…
De la romance.
— Vas-y.
— Bon, au départ j’ai mes deux protagonistes, lui est un boss
milliardaire. Elle, jeune diplômée qui vient d’arriver dans l’entreprise.
Pour l’originalité, on repassera… Mais je n’ai pas franchement envie
de lui couper l’herbe sous le pied.
— Pour pouvoir avoir un contrat avec un client conservateur, il doit
aller à un rendez-vous avec sa conjointe. Je parle d’un très gros
contrat, plusieurs millions sont en jeu. Pour ça, il demande à la petite
nouvelle, qui est plutôt jolie, de simuler leur histoire d’amour. Elle a
juste à jouer la plante verte et laisser faire l’artiste.
William est enthousiasmé par son idée. Le voilà parti dans un long
monologue m’expliquant comment ses deux héros se retrouvent pris
dans un énorme quiproquo, les obligeant à faire semblant d’être un
couple pendant environ un mois, le temps de la signature. Alors que
nous avons fini de manger depuis un bon moment, il continue de me
parler, comme si les scènes naissaient dans sa tête au fur et à mesure
qu’il m’expose ses propositions, qui ne cessent de se modifier.
Je ne suis même pas certaine qu’il se rende compte que je me
contente de lui dire oui ou non de temps en temps. Lui, est déjà parti
ailleurs. Il passe d’une idée à l’autre à une vitesse incroyable. Je ne sais
même plus s’il parle du début, du milieu ou de la fin du livre.
C’est étrange. Il est avec moi, me parle, et pourtant il semble
ailleurs. Il parle encore et toujours sans discontinuer.
— Quoi ?
— Il est plus de deux heures du matin et je suis crevée.
La saisie de son document m’a vidée de toutes mes forces, et je lutte
contre le sommeil depuis un moment déjà.
— Ah oui ! Tu as raison, il est tard.
On croirait qu’il aurait un peu trop forcé sur les boissons
énergisantes.
— Bon, demain tu pourrais me sortir des fiches personnages ? Je
crois que je dois avoir un modèle quelque part.
**
William
Emmy
— Tu as dormi ?
— Oui, deux heures je crois.
— Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— J’ai travaillé mon plan toute la nuit.
— Hein ?
Abasourdie par ce qu’il me dit, et encore trop vaseuse pour tout
comprendre, il commence déjà à me souler de paroles par flux
industriel. J’arrive juste à capter qu’il a besoin de moi pour mettre de
l’ordre dans ses idées. Et comme hier soir, le voilà reparti dans un
monologue infernal.
— Stop !
Surpris, il se fige.
— J’ai pas pris mon café. Pas un mot avant au moins trente minutes,
c’est jouable ?
Il approuve d’un geste de tête et me suit comme un gosse qui attend
qu’on lui donne son cadeau. Dans la cuisine, il s’assoit devant moi en
me regardant boire mon café. Je n’aime pas ça. Il me colle la pression.
— Tu devrais aller dormir.
— Après.
— Tu as vu ta tête ? Tu fais peur à voir.
— T’inquiète, toi aussi. Mais la différence entre nous, c’est que moi
je me suis brossé les dents !
Il est mort de rire et mon cerveau rame trop pour trouver un truc à
redire. J’ai l’impression de fonctionner sous Windows 95.
— Tu me le paieras !
— Va te reposer un peu.
Tel un zombie, il monte dans sa chambre et s’étale face contre son
matelas, avant de tomber dans un profond sommeil. Il va vraiment
falloir qu’il prenne un autre rythme parce que là, il ne va pas tenir
quinze jours…
Chapitre 18 : La bibliothèque
William
Elle se tient là, avec son petit air malicieux et je ne peux m’empêcher
de lui sourire comme un débile.
— « Insectes et scène de crime ».
— Tu n’en auras plus besoin ?
— Honnêtement, ça fait plusieurs années que je n’y ai pas touché et
il va bien falloir qu’on fasse un peu de place pour notre toute nouvelle
bibliothèque.
Comme moi, elle vient de tiquer sur le « notre ». Je vais un peu vite
en besogne, elle doit partir d’ici quelques semaines. Je m’attends à ce
qu’elle m’en fasse la remarque. Au lieu de ça, elle me lance un regard
plein d’affection qui réchauffe mon être gelé.
Emmy
William
**
Emmy
Depuis que nous avons quitté la maison, j’ai droit à un William qui
n’a que deux modes de fonctionnement : celui qui ne dit rien, plongé
dans ses pensées et celui qui parle de son livre. En gros, il ne décroche
pas du matin au soir. Il tente bien par moment d’essayer de me faire
croire qu’il est avec moi, mais il n’est pas franchement convaincant.
Quand je lui parle, il ne m’écoute que d’une oreille distraite, le regard
perdu dans un univers qui m’est inaccessible.
William
Écrire sur mon passé, avec du recul et tourner en ridicule celui que
j’étais me procure un bien fou. Me replonger dans la superficialité de
cette vie m’amuse. Mes priorités de l’époque me semblent vraiment
stupides. Le paraitre et le prestige… Avoir plutôt qu’être. Quelle
connerie ! Pour une fois, je cherche à me rappeler, avec une certaine
gourmandise, des petits détails grotesques de celui que j’étais.
Repenser au passé sans souffrir, voilà encore une nouveauté pour moi.
Et puis il y a mon héroïne : Émilia. Petit bout de femme qui fout un
sacré bordel dans la vie et les croyances de John. Elle est issue d’un
milieu modeste, et donc n’est censée être « personne ». Pourtant, à ses
yeux elle est bien quelqu’un. Elle le fascine. Elle n’est pas riche
d’argent, mais d’humanité, d’intelligence et d’une joie de vivre qui lui
semble si facilement accessible, se satisfaisant des petits bonheurs de
la vie, et faisant de ses erreurs et galères, une force.
J’avoue que je m’inspire beaucoup d’Emmy pour elle. Celle que je
méprisais à son arrivée est en train de me changer foncièrement.
Dehors le vent commence à souffler fort et certaines bourrasques
semblent vouloir arracher le toit de la maison. La pluie fine qui avait
commencé voilà quelques minutes s’est maintenant transformée en
véritable déluge. L’un des inconvénients de la péninsule de
Trotternish, c’est le changement de météo qui peut s’avérer
particulièrement violent. Malgré cela, je n’ai pas envie de m’arrêter
d’écrire. La tempête m’inspire. Devant mon écran, mes doigts glissent
sur les touches à la même vitesse que mes idées s’envolent. Je me tiens
à mon plan comme à un fil d’Ariane, que je ne dois lâcher sous aucun
prétexte, au risque de perdre le contrôle de mon récit, laissant mon
esprit dériver vers une histoire inconnue.
Mon chapitre terminé, j’appelle Emmy pour qu’elle y jette un coup
d’œil. Son avis compte énormément pour moi.
La nuit commence déjà à tomber et je me doute que la petite brune
va m’ordonner d’aller au lit une fois nos corrections faites, ce qui peut
prendre plusieurs heures. Cette fois, j’ai un peu la boule au ventre. Ce
chapitre est différent des autres. Mes personnages couchent ensemble
pour la première fois. J’avoue que trouver tous les synonymes
possibles pour parler de pénis et de vagin a déjà été toute une
aventure, mais savoir qu’elle va lire ces mots me rend franchement
mal à l’aise. Que va-t-elle penser de moi ?
Du bas des escaliers je l’appelle.
— Emmy !
Sa petite voix me répond de sa chambre.
— Oui ?
— Tu peux venir voir ? J’ai fini un chapitre et je voudrais que tu y
jettes un coup d’œil, si tu veux bien.
Ni une ni deux, la souris se transforme en éléphant et court à travers
la maison pour pouvoir lire la suite de mon histoire. Elle descend les
escaliers, vêtue d’un débardeur et d’un minishort Alice au Pays des
Merveilles. Depuis le début, je crois que mon travail est à la hauteur de
ses espérances, et j’en suis fier. C’est fou comme j’aime la voir
s’énerver après mes personnages, ou au contraire avoir pitié d’eux.
Elle ne fait pas que lire, elle vit la romance en même temps que John
et Émilia.
Nous nous installons côte à côte devant mon écran. Nos corps se
frôlent comme si aimantés l’un par l’autre nous ne pouvions échapper
au contact de nos peaux. Son délicieux parfum chatouille mes narines.
Je dois me faire violence pour retenir le geste naturel que mon corps
réclame : passer mon bras autour de ses épaules pour la garder au plus
près de mon cœur.
Je ne sais pas vraiment si c’est d’écrire qui me rend comme ça, mais
à chaque fois que je la regarde, j’ai l’impression de m’attacher toujours
plus à elle. Mes sentiments ont décidé de faire leur vie sans se
préoccuper de ma raison qui hurle que c’est une idée de merde, parce
que je vais souffrir.
Ses yeux sont posés sur l’écran et je savoure chacune de ses
expressions. Le « O » que forment ses lèvres alors qu’elle découvre que
la scène commence à chauffer. Ses sourcils qui se froncent quand il se
laisse aller à l’embrasser et ses joues rougissent quand la scène torride
commence.
Mes livres ont probablement été lus par les plus grands critiques
littéraires et pourtant, jamais l’un d’eux n’a eu plus d’importance
qu’elle en a maintenant. Elle a ce drôle de petit tic de caresser l’ongle
de son majeur avec le pouce quand elle est concentrée, et je trouve ça
craquant. Doucement, elle mordille sa lèvre et déclenche
involontairement un incendie dans mon âme. Je veux la gouter à
nouveau. Mon cœur bat à tout rompre et mes neurones partent en
vrille. Une seule idée tourne en boucle dans ma tête, j’ai envie d’elle.
Je suis stupéfait.
— C’est très bizarre de discuter de ça avec toi…
— Dis-moi ce qui cloche.
— Disons qu’au départ on vit vraiment l’histoire en immersion, et
dès que ça chauffe, tu t’es mis en retrait. Comme si on voyait la scène
de loin. Les lectrices veulent vivre cette scène torride. Pas juste en être
spectatrice à travers un trou de serrure. Enfin, si je peux me permettre.
— Tu as un exemple ?
Sa peau a pris une délicieuse teinte écarlate et je savoure cette
adorable retenue qui s’est glissée entre nous, alors que nous parlons de
relations intimes.
— Là, tu vois, on est de son point de vue à elle, et John glisse ses
doigts dans son sous-vêtement pour la caresser, mais tu t’arrêtes là
avant qu’ils ne passent à l’acte.
L’air incrédule, je cherche à comprendre ce qu’elle dit tout en
essayant de garder un minimum mon sang dans mon cerveau au lieu
de mon boxer. Malheureusement, c’est peine perdue.
— J’aimerais qu’elle nous dise ce que lui procure la sensation de sa
main, les frissons, le cœur qui bat, le désir qui monte… Et puis
pourquoi pas rajouter un peu de piquant avec un cunnilingus ?
Au moment où elle prononce ce mot, mon cerveau n’est
définitivement plus irrigué. Ses yeux brillent et elle ne cesse de se
tortiller sur sa chaise croisant et décroisant les cuisses.
— Ou peut-être nous décrire qu’elle le caresse aussi… Vu leur
position, c’est tout à fait envisageable. Elle pourrait commencer par
masser doucement son boxer et…
Elle n’a pas le temps de terminer sa phrase que je me suis jeté sur
ses lèvres. Immédiatement elle me rend mon baiser, ses doigts
fourrageant outrageusement dans mon cuir chevelu. On ne fait pas
que s’embrasser, on se dévore littéralement. Elle est accrochée à ma
nuque comme si je pouvais l’en détacher à tout moment. Aucun risque,
plutôt crever que de perdre le contact de sa peau. J’ai besoin d’elle plus
que de n’importe qui au monde. Elle est mon souffle, mon air, mon
oxygène.
Ma main glisse sous son vêtement et mes paumes trouvent la place
qui leur semblait due depuis toujours, ses seins, délicieusement ronds
et doux. Le contact de ses mamelons dressés me confirme qu’elle en a
autant envie que moi. Je ne peux retenir un soupir rauque, la
sensation me rendant complètement ivre de désir.
D’un geste elle tire mon teeshirt par-dessus ma tête, le faisant
ensuite voler dans le bureau. Je veux plus d’elle, j’ai besoin de la sentir
contre moi. Je retire son débardeur et savoure la vue de son buste
dénudé. J’ai tellement envie d’elle que j’en ai mal. Elle est
incroyablement belle, ses yeux me dévorent et m’appellent à
continuer. Apparait pour la première fois dans son regard une partie
de sa personnalité que je ne lui connaissais pas. La Emmy ardente,
sauvage et guerrière. Je me lève et me débarrasse rapidement de mon
jean. Je la veux maintenant. Ça n’est pas uniquement faire l’amour, je
veux me perdre en elle jusqu’à ne plus jamais me retrouver. Je veux
m’oublier définitivement dans son être.
D’un élan, je l’attrape par les fesses et la soulève pour l’assoir sur
mon bureau. Ses jambes s’enroulent autour de mes hanches, son corps
blotti contre le mien et pour une fois, je me sens bien. Je suis au bord
de la combustion, mais je m’en fous, je veux la rendre dingue. Ma
bouche parsème sa peau de milliers de baisers trouvant leur propre
chemin dans son cou, sur ses épaules et sa douce poitrine.
Ses petites mains cherchent mon membre, mais je me dégage,
sachant éperdument que si je la laisse faire, je ne tiendrais pas
longtemps vu l’état d’excitation dans lequel elle me met.
Le vent souffle plus fort dehors et des éclairs zèbrent le ciel. La
tempête à l’extérieur est presque aussi intense que celle qui embrase
nos corps. J’ai besoin de la toucher, d’entrer en elle. Doucement, mes
caresses partent en direction du sud, font glisser son mini-short, alors
j’introduis une première phalange en elle. Son intimité trempée me
rend complètement fou et l’expression de plaisir qu’elle m’offre au
rythme de ses gémissements me fait totalement perdre la tête. Dans un
équilibre précaire sur ce bureau qui a vu se déverser ma part la plus
sombre, elle est l’image même de la sensualité. Cambrée, les yeux
brillants de plaisir, je veux graver dans mon âme cette image jusqu’à la
fin de mes jours.
J’embrasse son cou, ses seins, jouant avec ses tétons, puis continue
ma descente au paradis, alors que son corps se crispe et se relâche au
rythme de son excitation, ses jambes remontant au fur et à mesure.
Ses cuisses sur mes épaules, je lui jette un regard pour confirmer son
envie d’aller plus loin, son regard ne trompe pas et ses lèvres me
soufflent sa soif d’en vouloir plus. D’un coup de langue, j’embrase son
intimité, me rapprochant du point le plus sensible de son corps, ce qui
lui fait lâcher un gémissement rauque. Maitre de son plaisir, je joue de
son corps comme un musicien avec son instrument, savourant ses
soupirs, ses regards lascifs et la sentant approcher de l’extase.
La foudre tombe près de la maison et soudainement, nous sommes
plongés dans le noir le plus total. Seul l’écran de mon ordinateur
portable nous éclaire et sublime les courbes de son corps.
Chacun des petits bruits qu’elle fait me rend dingue. Elle pourrait
bien crier aussi fort qu’elle le voudrait, personne ne nous entendrait.
Nous sommes seuls. Je veux l’entendre encore et encore. Alors je la
harcèle de mes doigts, ma langue et mes dents jusqu’à l’orgasme tant
attendu. Je l’admire accueillir cette sensation folle qui m’émerveille et
m’excite au plus haut point.
Pantelante, et encore la tête dans les étoiles, elle est belle.
— Je vote pour le piquant du cunnilingus ! souffle-t-elle hors
d’haleine et souriante jusqu’aux oreilles.
Emmy
**
William
Emmy
— J’ai bientôt fini les révisions, tu pourras les reprendre d’ici la fin
de la journée.
Étrangement, j’ai l’impression que les corrections de sa romance
sont redevenues le dernier de ses soucis.
— Tu ne veux pas me dire ce qui te travaille ?
— C’est avec cette plume que j’ai signé la vente de toutes mes parts
de l’entreprise. J’étais actionnaire majoritaire, je l’ai vendue, pour la
moitié de son prix, mais à un acheteur en accord avec mes valeurs,
socialement et écologiquement responsable. Pour moi il n’était plus
envisageable de supporter de toucher un centime provenant des actes
de ma famille. J’ai donc pris contact avec différentes associations. Les
descendants de familles spoliées et déportées, des musées de guerre,
ainsi que sur l’esclavagisme et le commerce triangulaire. C’est comme
ça que j’ai rencontré Sandra Lewis. Je lui ai fait un gros chèque pour
son association des descendants des victimes des camps
d’extermination. Ses deux grands-pères Tal et Shay y sont morts tous
les deux. Leurs femmes ont pu s’enfuir vers l’Amérique avec leurs
enfants, se sont battues pour survivre et offrir un avenir meilleur à leur
progéniture.
Soufflée par cette révélation, je comprends soudain le nom de son
entreprise « Talshay Publishing ». Tout comme William, elle vit à
travers le poids de cette histoire familiale horrible, pourtant terminée
depuis trois ou quatre générations.
C’est ainsi que j’apprends qu’ils se sont étrangement liés d’amitié.
L’une, descendante des victimes et l’autre héritier des bourreaux. Il
avait alors décidé de mettre fin à ses jours après la redistribution de
tout l’argent de sa famille et Sandra l’en a empêché. Par un heureux
hasard, elle a découvert qu’il avait un talent inné pour l’écriture et elle
lui a proposé de continuer à aider des gens, en écrivant, et
redistribuant les bénéfices à des associations diverses et variées : Aide
aux personnes défavorisées, médecins internationaux, et mêmes
associations de protection de la nature.
— Tu sais, la réussite a un gout amer si elle a été obtenue au
détriment, ne serait-ce que d’une seule personne.
Je suis entièrement d’accord avec lui. On ne peut pas être fier de soi,
si on a dû écraser d’autres personnes pour atteindre ses objectifs.
William
— Attends…
Mon cœur tambourine à tout va dans ma poitrine. Je crois que je
vais crever sur place si elle ne me dit pas ce qu’il se passe.
Complètement chamboulée, elle lève les yeux sur moi. Je ne sais
même pas comment interpréter son expression. Yeux écarquillés
comme des soucoupes, bouche grande ouverte, elle est pâle comme
linge.
— Merde Emmy ! Dis-moi ce qu’il se passe !
— C’est Alysson… Elle a fini ton livre…
Mon visage prend soudainement la même expression que la sienne.
Je me suis toujours foutu éperdument de ce que pensaient les
chroniqueurs de mon travail, mais là, j’ai envie de rendre mon petit
déjeuner que je viens d’avaler. J’ai les jambes en coton, les mains
tremblantes et le cœur coincé dans la gorge. Vu la réaction choquée de
ma belle, je doute que la réponse soit favorable et je commence à me
sentir vraiment mal.
— Elle… Elle…
Ses yeux sont emplis de larmes. Merde, je l’ai déçue et j’en suis
complètement retourné. La colère commence à remplacer la trouille de
savoir ce que cette fille a pu penser de mon livre. Non pas parce que je
veux être le meilleur, mais parce qu’elle a mis Emmy dans un état de
choc particulièrement éprouvant pour moi.
Des larmes commencent à glisser sur ses joues. C’en est trop, d’un
bond, je me lève et la rejoins pour la serrer fort dans mes bras.
— William… Elle a adoré ! Elle l’a lu ton livre d’une traite jusqu’à 4 h
du matin ! Alysson veut savoir qui tu es et chez qui tu seras publié !
Elle saute de sa chaise et sautille dans tous les sens jusqu’à atterrir
dans mes bras. Le soulagement que je ressens à l’instant dépasse
toutes mes espérances. Emmy me regarde avec une expression
d’immense fierté qui me fait complètement basculer.
Je me fous complètement de savoir si ce livre se vendra ou non. Tout
ce que je veux, c’est revoir les yeux d’Emmy remplis de contentement
et la rendre heureuse.
Comme pour me nourrir de son bonheur, je l’embrasse, y mettant
tout mon cœur, mon âme et mes espoirs d’un avenir plus lumineux.
**
Emmy
Il se place dans mon dos, en cuillère et je peux sentir son regard sur
mes fesses qu’il semble aimer tant. Ses mains caressent mes seins,
s’agrippent à mes hanches, me rapprochent de lui jusqu’à ce que mon
dos soit plaqué contre sa poitrine, comme s’il avait besoin de me sentir
encore contre lui. Lorsqu’il me pénètre en douceur d’abord, puis de
plus en plus fort. J’aime toutes les facettes de cet homme compliqué.
Ses coups de reins réguliers me procurent un plaisir intense. Soudain,
je sens qu’il bouge près de moi et je comprends qu’il attrape Zeus.
Sa bouche contre mon oreille, il me chuchote ces quelques mots.
— Tu as envie d’essayer ?
Je ne sais pas ce que j’ai fait de mes neurones, mon savoir-vivre ou
mes bonnes manières, mais dans ses bras, je me sens en confiance et
j’ai envie de tester ce « plus » qu’il m’offre. Je n’arrive qu’à lui souffler
un « oui » à peine audible.
Le vrombissement grave de l’appareil démarre, et avec une précision
chirurgicale, alors qu’il est toujours en moi, il pose la pointe de Zeus,
mis à sa puissance minimale, exactement au bon endroit. Je n’arrive
qu’à m’accrocher aux draps. La vibration ne remplace pas la sensation
de William, mais au contraire la décuple, comme si cette petite partie
de mon anatomie était en réalité le bouton « booster » de toute mon
intimité et démultipliant le plaisir de chacun de ses mouvements en
moi. L’onde de plaisir est totalement la plus folle que je n’ai jamais
connue, mon esprit semble se faire la malle avec toute forme de
pudeur. Je gémis sans retenue me foutant complètement de la
potentielle proximité de Sam ou Maggy dans le jardin.
En cadence avec ses coups de reins, il augmente l’intensité de
l’appareil. Il n’a pas le temps de passer le troisième niveau,
qu’agrippée comme une furie aux draps, je hurle son prénom, de
plaisir, et explose dans un orgasme totalement fou dans lequel il me
rejoint en quelques secondes.
Complètement vidée, j’ai l’impression de ne faire plus qu’un avec le
matelas. Je ne suis plus en état de penser, de bouger ou de faire quoi
que ce soit, planant joyeusement dans un monde de licornes et d’arcs-
en-ciel. Près de moi, William sourit aux anges, heureux de m’avoir
encore fait découvrir autre chose.
— Alors, heureuse ? chantonne-t-il à la façon d’un acteur porno des
années 80.
Son air idiot me fait partir dans un fou rire incontrôlable, à moins
que ce soit le léger abus d’endorphines dues à notre folle partie de
jambes en l’air.
Soudain je réalise la chance que j’ai d’être avec lui, cet homme beau
comme un dieu, sensible, drôle, et prêt à toutes les folies. Je n’ai
jamais eu peur comme aujourd’hui. Jusqu’à présent, je n’ai jamais rien
eu, alors je n’avais rien à perdre. Mais dans ses bras, j’ai l’impression
d’avoir remporté la loterie de la fille la plus chanceuse du monde, et
j’ai peur que ma chance ne tourne.
Chapitre 24 : L’appel
William
Emmy
Tout ici est fait pour me changer les idées, les montagnes, et forêts
sont verdoyantes. Mon logement est petit, mais me convient
parfaitement. Salon, cuisine, salle de bain et deux chambres, le tout
dans un style assez typique du Vermont. Dans la rue, tout le monde me
connait et me salue gentiment. Je réalise qu’il était idiot de croire
qu’une grande ville m’apporterait le bonheur. Ici je ne suis plus une
anonyme. Ma vie est à Royalton, je le sens maintenant. Le bonheur est
plus accessible et simple, la vie moins stressante. Pourtant, il m’a fallu
perdre une part de moi pour m’en rendre compte et c’est moitié vide
que je déambule dans cette nouvelle vie. J’ai l’impression de crever de
froid à l’intérieur. J’arrive à cacher ma peine sous un masque de
jovialité, mais chaque jour est un enfer.
Alors que je descends faire quelques courses, je passe comme à mon
habitude devant la vitrine de la librairie et y jette un coup d’œil avec
intérêt. Quand tout à coup, j’ai l’impression de me prendre une gifle.
Fièrement mis en avant, ce livre. En couverture un buste d’homme et
ce titre qui me broie le cœur « The real wealth » de William Anderson
Jr. Sachant que je vais me faire plus de mal que de bien, je ressens le
besoin irrésistible de le tenir dans mes mains et de le caresser, comme
si ce contact allait me rapporter un peu de réconfort. J’entre dans la
boutique et me dirige vers le présentoir des nouveautés.
Sa couverture noir et bleu ne reflète pas vraiment l’histoire,
d’ailleurs, le modèle choisi ne ressemble pas du tout au personnage
principal, ils lui ont même collé un faux tatouage mal fait, alors que
John, le héros n’en a aucun. J’ai l’impression que mon cœur va sortir
de ma poitrine quand je me saisis du roman. Je suis impressionnée
par son poids, je ne l’ai lu que sur ordinateur et je me rends compte
maintenant qu’il est beaucoup plus épais que ce que je pensais. Les
larmes aux yeux, la gorge nouée, je suis sur le point de m’effondrer,
encore.
Lorsque je retourne le livre pour lire le résumé, je n’arrive plus à
respirer. En quatrième de couverture, une photo de William, le vrai.
Ses yeux d’un vert si sombre, un sourire charmeur aux lèvres, qui ne
remonte pas jusqu’à sa fossette et ce je ne sais quoi de profondément
triste dans le regard. Mon chagrin refait violemment surface quand
Selma arrive près de moi.
— Tu vas bien Emmy ?
Me rattachant à ma colère ou mon désespoir, je tente de reprendre
un air impassible.
— Je vois que tu es tombée sous le charme de la nouvelle star de la
romance ?
Si seulement elle savait…
— Cet écrivain est incroyable. C’est le fils de l’auteur de thrillers
William Anderson. Il vient de se lancer dans la romance et le moins
que l’on puisse dire c’est qu’il a du talent. Son livre vient de faire le
meilleur démarrage de l’année. Avec le physique qu’il a, il va faire
tomber toutes les lectrices sous son charme.
Alors que mon visage reste souriant et impassible, je me brise
intérieurement. Chaque phrase qu’elle prononce me ramène à ces
souvenirs merveilleux dont je n’arrive pas à me défaire.
Sans que je ne sache vraiment pourquoi, j’achète ce roman, qui me
brule les doigts et dont la photo au dos me perturbe profondément.
Mon cœur bat à tout rompre. Tant pis pour mes emplettes, je retourne
à toute vitesse chez moi pour me nourrir un peu de celui que j’ai aimé,
à travers ces pages.
Jetant mes affaires dans l’appartement, je me m’installe sur le vieux
fauteuil marron, dont l’assise grince, près de la fenêtre, et commence
la lecture. Chaque mot me fait horriblement mal, me ramenant à des
souvenirs douloureusement délicieux, et pourtant, j’y trouve un plaisir
malsain. Au moins, je me sens vivante. J’ai mal donc je suis.
Pendant trois jours, je m’alimente à peine, j’évite les visites de mes
amis et de ma famille et je me terre dans mon chagrin, avec pour seule
compagnie ce livre, espérant trouver dans cette thérapie pourrie, la
force de remonter la pente par la suite. Malheureusement, lorsque je
lis le mot fin, il n’en est rien. Au son de Leave the Light On de Marissa
Nadler, j’ai le moral au plus bas. J’ai toujours aussi mal et le trou béant
dans ma poitrine ne s’est pas refermé.
Des questions idiotes se bousculent dans ma tête. Est-ce qu’il pense
à moi parfois ? Est-ce que je lui manque au moins un peu ?
Vu la façon dont il m’a éjectée de sa vie, je ne devrais pas lui
accorder autant d’importance, car il ne le mérite pas, mais je n’y peux
rien, c’est plus fort que moi.
Les remerciements ne font aucune allusion à mon aide. Ils sont
d’une banalité navrante, je me demande même s’il les a réellement
écrits. Je m’attendais à quoi ? Une déclaration d’amour enflammée en
dernière page ? Je suis trop romantique, la vraie vie ça n’est pas ça. Le
monde réel ce sont des claques dans la figure, des rêves brisés par
milliers et des destins piétinés. Voilà que je deviens, amère. Mon cas
ne s’améliore pas.
Soudain, mon téléphone sonne. Étrange coïncidence, c’est le nom de
Maggy qui s’affiche à l’écran. Les sonneries passent alors que je me
demande si je dois décrocher ou non. Finalement, je me dis que cette
femme n’est en rien responsable de ce qui s’est passé et qu’elle n’a pas
à faire les frais de ma colère envers William.
— Emmy ?
Sa voix est étrangement crispée et retenue.
— Oui. Bonjour Maggy.
D’un seul coup, elle éclate en sanglots à l’autre bout du fil. C’est à
peine si elle arrive à reprendre son souffle pour me parler. Je
comprends immédiatement qu’il s’est passé quelque chose de grave.
Elle semble totalement perdue.
— Emmy, il est mort…
Ces mots résonnent dans l’écouteur me frappant de plein fouet.
— Quoi ?
— Il est mort. Les secours sont arrivés trop tard, on n’a rien pu faire.
Chacune de ses larmes est autant de gouttes d’acide qui perlent sur
mon cœur. Comme figée, mon esprit semble imperméable à
l’information qu’elle répète en boucle.
— Son état s’est détérioré après ton départ. On l’a vu, mais il nous
disait qu’il allait bien… Il nous a caché la vérité et on a accepté de
croire à ses mensonges.
Une boule se forme dans ma gorge. Je n’arrive même plus à
articuler. Cette phrase tourne en boucle dans ma tête. « Il est mort ».
— Je t’appelle pour te demander si tu pouvais venir à l’enterrement,
il aura lieu dans trois jours. Même s’il ne t’a pas connue longtemps, il
tenait énormément à toi, tu le sais.
La simple évocation de son enterrement, me ramène à la réalité de la
chose. Emportée par un premier sanglot, mes larmes finissent par
accompagner celles de Maggy, pourtant à l’autre bout du monde.
— Quand est-ce arrivé ?
— Ce matin à l’aube. On a retrouvé son corps dans la remise. Il est
mort seul Emmy… Je m’en veux tellement, j’aurais dû être là. On a
besoin de toi. Si tu savais…
L’appel au secours de cette femme me fend le cœur. William a
finalement réussi son projet. Écrire un dernier livre et tirer sa
révérence. Je suis complètement bouleversée. Maggy tente de
continuer de me parler, mais elle pleure tellement que je ne suis pas
certaine de comprendre tout ce qu’elle me dit.
— C’est Sandra qui m’a donné ton numéro. Elle a même offert de
payer tes billets pour venir.
La générosité de mon ex-patronne me surprend, mais après tout, je
sais qu’elle a un cœur, fait de pierre, mais qui existe tout de même.
Bien que sa voix sonne d’une façon douce et amicale, je réalise que
cette femme est abominable. Mais ce n’est pas le moment de faire un
esclandre. Il y aura au moins quelques personnes qui tenaient à lui à
son enterrement.
Chapitre 26 : La cérémonie
Emmy
Le vol m’a paru durer une éternité. Tant pis si les gens m’ont
regardée comme une folle. Je n’ai fait que pleurer tout du long, mes
écouteurs vissés sur les oreilles, ma playlist collant parfaitement à
mon humeur. J’ai l’impression d’avoir failli à ma mission. Je l’ai laissé
se noyer dans sa noirceur, sans même me battre. Je suis partie comme
il me l’a demandé, sans chercher à aller plus loin. Je me dégoute.
Maintenant, le sol écossais semble triste. Même quand je suis
montée dans l’hélicoptère, je n’ai pas réussi à m’émerveiller des
paysages que nous survolions. Je ne suis pourvue que d’une seule
émotion : le chagrin, violent et dévastateur.
Habillée d’une simple robe noire, je ne suis même pas maquillée et
j’ai relevé mes cheveux en un chignon approximatif, dont des mèches
s’échappent constamment. Depuis trois jours je pleure, j’ai les yeux
bouffis, le nez rouge, et irrité par mes mouchages incessants.
Je sais que l’église n’est pas très loin de la plaine où l’hélicoptère
vient de me déposer. Les bourrasques causées par les pales ont fini de
ruiner les dernières traces d’apparence à peu près présentable que je
pouvais espérer avoir. Tant pis. À mon soulagement je vois que mon
taxi m’attend.
Je me sens au bord de l’évanouissement. Je tremble. Depuis
combien de temps n’ai-je rien avalé de solide d’ailleurs ?
— Mademoiselle Johnson ?
— Oui.
Je dois avoir vraiment une sale tête, mon chauffeur n’ose même pas
me regarder en face. OK. Mon nez dégouline… Mais je n’en ai plus rien
à faire.
— Je vous emmène jusqu’à l’église où aura lieu la cérémonie, elle
démarre dans une demi-heure. Je vous laisse ma carte, dès que vous
aurez besoin de moi, il suffira de me rappeler pour que je vienne vous
chercher.
Tout ça à l’air trop concret, trop réel. Un planning, une arrivée, une
cérémonie, un départ… L’après me terrorise.
Notre voiture noire se gare à quelques mètres et je suis surprise de
voir qu’il y ait autant de monde. Ce sont plus d’une centaine de
personnes qui se pressent autour du lieu de culte. Beaucoup sont en
larmes se blottissent les uns contre les autres et discutent avec un air
sincèrement désolé.
La situation est très différente de ce à quoi je m’attendais. Mouchoir
en main et cœur en miettes, je m’avance vers la foule qui attend à
l’extérieur, espérant croiser une personne que je connaisse. J’ai beau
scruter l’assemblée, je ne reconnais aucun visage familier. Je me sens
seule, perdue et vide.
Soudain je réalise que personne ne m’a jamais dit qui était décédé.
J’ai tiré mes conclusions hâtives toute seule.
— J’ai cru que c’était toi…
— Sandra t’a envoyée pour m’enterrer ? Tu arrives un peu trop tôt. Il
faudra que tu fasses la queue. La file d’attente des personnes qui
attendent que je crève est longue, il va falloir prendre un ticket.
Je ne comprends rien à ce qu’il me dit. Je perçois toute sa colère et
sa haine de lui-même dans chaque mot qu’il prononce.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je ne viens pas de New York,
mais de Royalton. J’ai quitté la ville en rentrant. Je ne me voyais pas
reprendre le travail à Talshay… Je me suis pris un petit appartement
pas très loin de chez mes parents dès mon retour et j’ai créé ma propre
entreprise, pour accompagner les commerçants du coin sur Internet.
Je sais maintenant que ma place n’était pas à New York. Je suis plus
heureuse à Royalton.
Comme si je venais de lui révéler une énigme à résoudre, ses yeux
me scrutent intensément. Il est si tendu et me regarde avec tant de
rancœur que je me demande s’il ne va pas me sauter à la gorge.
— Après tout ce que tu as fait avec Sandra ? Tu t’es donné beaucoup
de mal pour pas grand-chose au final.
Il me répond avec dureté et son attitude transpire le mépris.
— Attends, je ne te suis pas…
— Sandra t’a envoyée auprès de moi pour me « remonter le moral »,
et me pousser à écrire. Tu lui transférais tout au fur et à mesure.
Une ombre déçue et pleine de dégout passe sur son visage. Soudain,
tout s’éclaire. Il a cru que notre relation était commanditée par la
dragonne !
— Elle ne m’a jamais demandé de te séduire pour te changer les
idées ! Tu me prends pour qui ? Et je ne lui ai pas transmis ton
manuscrit, l’ordinateur que j’utilisais lui appartenait, elle avait installé
un virus qui lui permettait d’accéder à tout ce qu’il contenait en temps
réel. Je te rappelle qu’à l’origine, je ne venais que pour taper ton
manuscrit, je ne savais même pas que tu étais… Toi !
Je lui crie dessus. Je suis hors de moi. Comment a-t-il pu croire que
tout ce que nous avons vécu n’était que du cinéma. Et d’ailleurs, il
pense que je suis quoi ? Une salope opportuniste ? Je me doute que
dans sa petite cervelle, cette version de l’histoire lui convenait mieux.
C’était beaucoup plus facile pour lui à avaler que d’accepter que
quelqu’un puisse l’aimer.
La foule commence à rentrer dans l’église alors que nous réglons nos
comptes sous l’arbre aux feuilles rouges. Ce que je lui raconte semble
faire son chemin dans son esprit. Les yeux pleins de larmes, son
attitude change totalement. De la rancœur, il passe à la surprise puis
au regret. Et maintenant, c’est moi qui suis furieuse.
— Merde Emmy… J’ai tout fait foirer ! J’ai cru…
— Tu n’as pas eu confiance en moi. Tu as préféré croire ce qui
t’arrangeait. Il aurait juste suffi que nous discutions !
Soudain, dans ses yeux verts, je retrouve l’ombre de celui que j’aime
tant. Il n’arrive même plus à retenir ses larmes.
— Emmy… Excuse-moi…
N’en pouvant plus de toutes ces émotions, j’éclate en sanglots.
Triste, humiliée, joyeuse, en colère… Tout est trop flou. Je ne sais plus
où j’en suis. Alors que je m’écroule à genoux sur le sol, épuisée, il
s’accroupit près de moi. Il a l’air sincèrement désolé du merdier qu’il a
foutu.
Les larmes coulent abondamment sur mes joues. D’une caresse, qui
se répercute directement dans mon cœur, il les essuie avec douceur.
J’ai besoin de lui, comme il a besoin de moi. C’est une réalité à laquelle
nous ne pouvons échapper.
Nos regards sont comme ancrés l’un à l’autre. Je ne sais pas lequel
de nous deux fait ce premier geste, mais nos lèvres se rejoignent enfin,
dans un baiser d’une désarmante tendresse. Beaucoup trop émue, je
n’arrive plus à réfléchir correctement. La chaleur de sa peau, la
douceur de ses lèvres et l’évidence de mon besoin de lui l’emporte sur
toute forme de raison.
— Je suis désolé… J’ai cru que tu m’avais manipulé… Que tout ce
que nous avions vécu n’était qu’une mascarade de plus, organisée par
Sandra pour me faire tenir…
— Non, tout était sincère William.
Peut-être pressée par cette cérémonie qui nous rappelle que la vie
est trop courte, ou les larmes de Maggy qui a perdu son seul amour, je
lui redis, ces mêmes mots qui ont tournés dans ma tête pendant un
mois.
— Je t’aime William.
Cette confession fait redoubler le torrent de larmes qui nous assaille.
Comme s’il s’agissait d’un besoin vital, il me serre contre lui, et je me
blottis dans ses bras, m’abreuvant de tout son être qui m’avait tant
manqué.
— Je t’aime aussi Emmy, si tu savais comme je t’aime…
Nous sommes émus de nous retrouver. Bien que les circonstances
soient terribles, nous retrouvons l’un et l’autre la force de tenir et
d’avancer.
**
William
Emmy
Deux ans plus tard…
Je ne sais pas depuis combien de temps il est assis à cette table, mais
c’est vraiment impressionnant, il enchaine à un rythme fou les
dédicaces. L’immense file de ses lectrices ne désemplit pas et je ne
peux que ressentir un immense sentiment de fierté quand je vois tout
le chemin accompli.
William Anderson, signe en son propre nom des centaines
d’autographes, et accueille les regards brillants de ses lectrices avec
une bienveillance et une humilité désarmante. Chacune a droit à un
petit mot, une attention, ou un sourire. L’auteur lugubre et ronchon de
Skye est bien loin.
La sortie de sa cinquième romance est un véritable succès, il est
heureux. Depuis deux ans, nous avons trouvé notre rythme dans notre
vie commune dans le Vermont.
Je reste tapie dans les coulisses, légèrement cachée par les panneaux
publicitaires de ses romans et profite discrètement de ce spectacle qui
me réchauffe le cœur.
Sandra ne cesse de m’envoyer des messages pour savoir comment il
va. J’ai fini par comprendre qu’il y avait une véritable amitié entre ces
deux-là. Tout ce qu’elle a fait pour lui, c’était pour le sauver de lui-
même, et presque involontairement elle a réussi. Elle a vu son ami
perdre pied et Maggy lui a confirmé qu’il s’était passé quelque chose
entre nous. La dragonne restant elle-même, elle a utilisé la tragédie du
décès de Sam, pour en faire une occasion de me renvoyer près de mon
écrivain, telle une bouée de sauvetage, dans un geste désespéré.
Comme elle le dit souvent « un problème est une opportunité qui
n’avait pas encore été envisagée ».
William reste tel un funambule, marchant sur un fil, à l’équilibre
fragile, mais je suis près de lui, et je le soutiens à chaque pas.
J’apprends à composer avec ses phases d’excitations alors qu’il a une
nouvelle idée, ou les petites angoisses de fin d’écriture, lorsque la peur
du vide l’envahit. Je respecte son besoin de s’isoler quand il écrit et le
soutiens dans chacun de ses moments de doute. Je suis toujours là,
œuvrant de tout mon amour dans l’ombre.
Il ne veut pas décevoir ses lectrices, pourtant, je vois bien qu’il a
besoin d’une petite pause. Alors discrètement, je me glisse derrière un
des agents de sécurité pour lui demander de bloquer la file un petit
quart d’heure.
— Ça va ? Tu tiens le coup ?
— Oui, toujours quand tu es là. Tu as vu la fille de tout à l’heure ? La
jolie rousse ?
— Celle avec la robe à fleurs ?
Tout d’abord je voudrais te remercier, toi, qui tiens ce livre entre tes
petits doigts. Si si… Je sais que tu me lis et ça me touche beaucoup. Je
suis toujours surprise que mes histoires puissent t’intéresser et
pourtant, tu es là, au rendez-vous et tu as lu ce livre jusqu’au bout. La
preuve, pour en arriver à lire les remerciements, c’est que tu n’as pas
du tout envie de lâcher ce roman. Pourtant, il va bientôt le falloir. Il est
terminé.
Tu te demandes peut-être comment je fais pour écrire plusieurs
romans par an ? Eh bien c’est très simple. Je suis entourée de
personnes absolument merveilleuses qui m’aident chacune à sa
manière.
Tout d’abord, il y a mon premier fan, mais aussi mon critique le plus
difficile : mon mari Grégory. Il me soutient du mieux qu’il peut, me
fait les gros yeux quand je me laisse dévorer par l’écriture, me fait
gagner beaucoup de temps. Comme tu as pu le lire, être le conjoint
d’un auteur n’est pas une chose facile, mais j’avoue que quand je vois
comme il est fier de moi, je me dis que le jeu doit en valoir la
chandelle.
Mon amie Katia, ou Aki I. Elle corrige mes romans depuis le
premier. En plus d’être une excellente correctrice, elle est d’un soutien
infaillible.
Maëlys, qui m’aide à préparer tous les jolis visuels que tu vois sur les
réseaux sociaux. Elle qui ne lisait pas souvent, la pauvre, s’est
retrouvée propulsée dans les dévoreuses de livres. En plus, elle me fait
tout un tas de petits cadeaux, elle est trop mignonne. Oui Emmy c’est
aussi un peu elle.
J’ai rencontré pour la première fois Maya Aasri de M.A. VISION qui
a créé, avec ses petites mains de fée, cette incroyable couverture et la
bannière Facebook. C’est vraiment une fille incroyable et hyper
talentueuse. Je suis heureuse d’avoir croisé son chemin.
Pendant l’écriture, j’ai fait appel à des filles incroyables. Virginie
Cansier, qui comme toujours m’encourage à chaque mot écrit. Ne lui
dis pas, mais je crois bien qu’elle pense que je suis une sorte de
licorne… Elle vient de sortir le tome 4 de la saga des frères Chandelin,
Ian, il est trop canon… Il faut absolument que tu le lises… C’est
l’histoire de quatre frères trop beaux qui ont chacun un pouvoir et…
Ah mince, je m’égare… Pardon. Pour info, tu peux retrouver sa saga
sur Amazon.
Donc je reprends, dans celles qui m’ont soutenue pendant l’écriture
il y a eu Sarah, qui a fait des études pour être Community Manager, et
qui m’a beaucoup inspirée, elle aussi pour l’Emmy du début. Mélissa,
qui est chroniqueuse et c’est une bêta lectrice incroyable. Sur Skye, elle
a fait ses premiers pas en alpha lecture et j’avoue que je suis fière
qu’elle ait fait ça avec moi. Il y a aussi Maly, qui habituellement relit
les manuscrits d’auteurs que j’admire. Je ne sais pas trop comment
elle est arrivée là… Mais je ne lui dis rien pour ne pas qu’elle reparte.
Et il y a mes petites bêtas lectrices, qui m’ont fait leurs retours :
Manuella, Carine, Charline, Nadine (que des noms en ine) et pour la
première fois Koko, Émilie et Virginie. Je crois que sans elles, je
deviendrais totalement dingue quand le livre sort. Chacune m’a
beaucoup aidée.
Une pensée particulière pour mon mentor qui continue de me
supporter, mais je ne sais pas bien comment il peut faire.
Il y a aussi des personnes qui jouent un rôle important après la
sortie du livre. Je pense aux chroniqueuses. Elles me suivent depuis le
tome 1 de Méandres et je trouve ça incroyable. Il y a les
Instagrammeuses et les modératrices de groupes sur Facebook.
Mais_lis_ça, Lectures de Ber0se, Plume de Laine, La citadelle de mes
lectures, Les avis livresques du phénix, MJey, Cobooks and Co, Ln
Fraser Evans, Mélody Melot… Je ne peux pas citer tout le monde, ce
serait trop long, mais elles sont vraiment incroyables.
Romance paranormale
Saga Méandres :
– Méandres — Tome 1 : Le lien
– Méandres — Tome 2 : Asanawa
– Méandres — Tome 3 : Entraves
– Méandres — Tome 4 : Athamé
[1]
Réunion
[2]
CM ou animateur de communautés web, est un expert des communautés en ligne. Son
rôle est de fédérer une communauté d’internautes autour d’un intérêt commun et d’animer les
échanges sur ce thème, tout en veillant au respect des règles de bonne conduite au sein de la
communauté. Le community manager a pour mission principale de développer la présence de
l’organisation dont il se fait le porte-parole (marque, association, personnalité…) sur les
médias sociaux.
[3]
New York doit son surnom de « Big Apple » (la « grosse pomme ») à un célèbre
journaliste sportif américain des années 20. John J. Fitz Gerald couvrait pour le New York
Morning Telegraph les courses hippiques, très populaires à l’époque.
[4]
Personnage de fiction issu du légendaire de la Terre du Milieu créé par l’écrivain
britannique J. R. R. Tolkien.
[5]
As soon as possible : aussitôt que possible.
[6]
Ou panse de brebis farcie, est un plat traditionnel écossais consistant en une panse de
brebis farcie d’un hachis à base de viande, traditionnellement des abats de mouton, et
d’avoine.
[7]
Les passagers et les pèlerins du Mayflower sont souvent considérés comme faisant
partie des premiers colons à l’origine de ce qui deviendra les futurs États-Unis.
[8]
Jamie MacKenzie Fraser est un personnage de fiction issu de la saga littéraire
Outlander de Diana Gabaldon, qui se déroule en Écosse.
[9]
Cette référence ne sert à rien. Regardez sur Internet…
[10]
Il s’agit en fait du Loch Duich
[11]
Tendance littéraire réjouissante. Le roman feel good s’impose aujourd’hui comme le
genre permettant aux lecteurs d’entrer dans une parenthèse positive, comme une
échappatoire au quotidien. Littéralement, on peut parler de « livre qui fait du bien ».
[12]
Partie la plus occidentale de la Guinée.
[13]
Traduction : Je ne suis pas fou, ma réalité est juste différente de la vôtre.
[14]
Traduction : La noirceur de l’amour.
[15]
Sillon interfessier. Creux qui sépare chacune des deux fesses, formant un arc médian
suivant la courbure du sacrum et du coccyx, s’étirant entre le périnée en bas, et en haut la
région sacrée haute.
[16]
Les fans du Seigneur des anneaux ont probablement compris la référence à Gollum.
[17]
Personnage de fiction inspiré par le roman de Dodie Smith, « The One Hundred and
One Dalmatians » et adapté par les studios Disney en 1961 dans le long métrage d’animation
Les 101 Dalmatiens.
[18]
Dans la mythologie grecque, les Muses sont les neuf filles de Zeus, qui présidaient aux
arts libéraux.
[19]
Muse de la rhétorique, donc de l’éloquence. On lui prêtait la faculté d’inspirer les aèdes
et auteurs des poèmes et des récits les plus admirables.
[20]
Randonnée pédestre dans des régions montagneuses difficilement accessibles.
[21]
Femme ayant une carrière professionnelle particulièrement développée, surtout dans
le domaine des affaires et dont la vie personnelle passe en second plan.
[22]
Créature des ténèbres de l’univers de la saga littéraire Harry Potter. Considérée
comme la plus abjecte qui soit au monde. Les Détraqueurs se nourrissent de la joie humaine,
et provoquent par la même occasion du désespoir et de la tristesse sur quiconque se trouve à
proximité. Ils sont aussi capables d’aspirer l’âme d’une personne, laissant leur victime dans un
état végétatif irréversible.
[23]
Personnage de fiction du roman 1984 de George Orwell. L’expression « Big Brother »
est depuis utilisée pour qualifier toutes les institutions ou pratiques portant atteinte aux
libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus.
[24]
Personne qui n’est pas noble.
[25]
Traduction : La véritable richesse.