Rea 0035-2004 1910 Num 12 1 1610
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Rea 0035-2004 1910 Num 12 1 1610
Blanchet Adrien. Une nouvelle théorie relative à l'expédition des Cimbres en Gaule. Examen et réfutation . In: Revue des
Études Anciennes. Tome 12, 1910, n°1. pp. 21-46;
doi : https://doi.org/10.3406/rea.1910.1610
https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1910_num_12_1_1610
EXAMEN ET RÉFUTATION
1. Der Goldslaterfund von Tayac-Liboarne, ein Dokument des Cimbern- und Tiguriner-
zuges von 113-105 vor Chr.; extr. du Jahrbach der Ges. f. lothringische Gesch. und
Altertumskunde, t. XIX, 1907 (paru en août 1908); mémoire réimprimé dans
l'ouvrage intitulé Keltische. Numismatik der Rhein- and Donaulande, Strassburg, 1908 (p. 3i6
à 343).
a. Voy. la bibliographie que j'ai donnée dans mon Traité des monnaies gauloises,
1905, p. 56i, n* 95.
3. P. 3o4 à 3i5.
4. Voici comment M. Forrer apprécie son propre travail (p. 3 16): « Das war vielfach
völlig neues, bisher vielfach unbekanntes... »
23 REVUE DES ETUDES ANCIENNES
D'ailleurs, j'aurai à discuter plus loin quelques points de sa
classification et il suffira de dire ici qu'on ne saurait définir
exactement le territoire des Helvètes dans la seconde moitié
du deuxième siècle avant notre ère ' ; et c'est la principale
raison qui me fait penser qu'un classement rigoureux des
monnaies d'or du territoire correspondant à la Suisse actuelle
ne saurait être que prématuré2.
Examinons donc seulement le trésor de Tayac. On sait qu'il
fut porté au Musée de Bordeaux, qui fit l'acquisition de
plusieurs objets et monnaies. D'autres monnaies entrèrent dans
la collection d'Emile Lalanne, à Bordeaux3; quelques-unes me
parvinrent. L'orfèvre J. Fontan, de Bordeaux, qui en avait
acquis la plus grande partie, fondit à peu près les trois
cinquièmes de la trouvaille et céda le reste à deux antiquaires de Paris.
L'une de ces maisons (MM. R. et F.) en obtint environ soixante
et en possède encore une quarantaine. L'autre (M. B.) en fit
passer quelques exemplaires dans une vente publique et céda
quatorze statères du type bellovaque et soixante- cinq des
autres types à M. R. Forrer4.
En somme, la composition du trésor peut
être donnée de la manière suivante : Un
torques «à tampons» de 762 grammes, en trois
fragments; un fil tordu de 53 gr. 4o; une
barre plate, ovale, de 55 gr. 5o ; une barre
quadrangulaire de 17 grammes; soixante-treize
Fig. 1. flans circulaires, sans types, pesant en moyenne
7 gr. 60; enfin environ trois cent vingt -cinq
statères dont quelques-uns frappés d'un seul côté (fig. i) ;
1. Il y avait aussi sept ou huit quarts de statère «arvernes» (E. Lalanne, Congrès
intern, de Numism. à Parie, en 1900, procès-verbaux et mémoires, 1900, p. 87). Je n'en ai
vu aucun exemplaire et M. Forrer paraît en avoir ignoré l'existence. Le Musée de
Bordeaux a acquis le torques «à tampons», qui est restauré maintenant; la spirale;
le lingot ovale; deux flans sans types; deux, frappés d'un seul côté; un statère
bellovaque et dix des autres types. Le torques a été publié par M. Emile Cartailhac,
avec la provenance de Coutras, dans l'Anthropologie, t. VIN, 1897, p. 585, fig. M. Forrer
l'a reproduit (Fig. 517 de son travail).
Selon M. Leurtault, de Coutras, le trésor aurait été composé de plus de cinq
cents statères.
2. Je reviendrai plus loin sur ^ette question.
3. Cf. S. Reinach, in Rev. archéol., 1888, II, pp. 280 et s.
4. J'ai mis en évidence cette loi du système monétaire celtique, dans mon Traité
des monnaies gauloises, pp. 68-69 e* passim.
24 REVUE DES ETUDES ANCIENNES
préparation des flans1. M. Forrer n'y voit qu'un fragment de
spirale à moitié fondu. Quant aux lingots ou flans de 7 gr. 60,
épais et portant de chaque côté un gros globule qui occupe à
peu près la moitié de la surface (fig. 2),
Laianne pensait qu'il s'agit de flans
préparés pour la frappe. Mais M.
Forrer, s'appuyant évidemment sur le
passage de M. Cartailhac, y reconnaît
Fig. 2. des spécimens du monnayage des
Boïens ou Rhétiens, analogues aux
pièces du grand trésor de Podmokl (Bohême). M. Forrer est
déjà obligé de reconnaître que les lingots de Tayac sont plus
épais et moins larges que les statères de Podmokl. Je ne
saurais trouver une identité parfaite d'aspect entre les flans de
Tayac et ceux de Podmokl, car ces derniers offrent
certainement un embryon de type mal venu à la fonte.
Des statères bellovaques que j'ai pu voir, les plus nombreux
sont d'un style relativement bon et assez proches du spécimen
que j'ai reproduit ailleurs2. Quelques variétés, dont une est
figurée par M. Forrer3, sont de types plus dégénérés. L'or
des statères bellovaques de Tayac est d'une couleur jaune
orange et d'un titre très élevé ; le poids varie entre 7 gr. 26 et
7 gr· 75·
L'autre groupe de monnaies est constitué par des statères
qu'on peut partager en deux séries. M. Forrer les distingue
surtout par la couleur, « jaune orange » pour les uns, «jaune
citron» pour les autres4, et déduit du nombre d'exemplaires
arrivés entre ses mains que les premiers étaient aux seconds
dans la proportion de quatre à un. Le calcul me paraît sujet à
caution et je dois signaler des causes d'erreur que M. Forrer
1. Je mets à part les pièces bellovaques, dont il n'est pas question dans le
calcul.
20 REVUE DES ETUDES ANCIENNES
deux séries portent, en plus ou moins grand nombre, des Π
à l'exergue, souvenir de la légende du statère grec1.
Des exemplaires des deux séries présentent sous les chevaux
un différent assez mal dessiné, mais où l'on reconnaît
néanmoins facilement un trident. Il est remarquable que plusieurs
exemplaires du type négroïde (coll. Forrer3 et Blanchet)
présentent, au revers, une bavure de métal qui oblitère le type,
diagonalement, à travers l'aurige, les chevaux et l'exergue
(fig- 3).
Les statères de couleur jaune citron (7 gr. o5 à 7 gr. 60; 5oo
à 580/1000 de fin) sont d'un travail meilleur. La couronne de
laurier de la tête est mieux formée ; les cheveux apparaissent
mieux massés; le visage est plus féminin, quoique les traits
soient gros ; le cou est orné d'un collier de perles ; devant la
bouche apparaît un ornement à deux volutes. Au revers, sous
les chevaux, il y a un triquetrum ou triskeles sous lequel on voit
un croissant ou torques (?) et, sur beaucoup d'exemplaires, un
signe « ressemblant à une feuille ou à une souris »3, avec une
longue tige ou queue. Je reviendrai plus loin sur ce différent,
dont la grande importance a complètement échappé à M. R..
Forrer. Celui-ci, décrivant les statères de couleur citron,
déclare qu'ils ne
présentent aucun reste de
lettres4. C'est une erreur,
qui prouve que M. Forrer
n'a pas vu assez de pièces
de la trouvaille de Tayac
pour en parler en pleine
Fig. 6. connaissance de cause.
Voici, en effet, le dessin
d'un statère de la série en question, provenant de Tayac et qui
1. On sait bien du reste que l'or des minés est toujours allié d'argent, plus ou
moins fortement.
2. Pour donner une idée de la témérité de M. R. Forrer, je cite la phrase suivante :
«Von den Arvernern kam diese Spezialform dann rhoneaufwärts zu den Helvetiern
und wanderte von diesen weiter nordwärts an den Rhein zu den Rati rachern. Hier
hat sich das Triquetrum, wie ich oben (Kap. LXXVI) zeigte, zu einem besonderen
Stammeszeichen entwickelt, um dann nordwärts Basels, bei dem Elsässer Stater von
Schirrhein, fig. 5o8, in einen Hahn umgewandelt zu werden. » Le statère de.
Schirrhein est fort intéressant; mais je ne saurais croire que le coq, représenté au revers,
soit venu du triquetrum. Les lois de la morphologie monétaire me permettent
d'affirmer que la forme incomplète du triquelrum n'a pu engendrer la forme complète du coq.
3. M. Forrer ignore évidemment ce que j'ai écrit sur la question.
4. M. George Macdonald {Catalogue of Greek coins in the Huníerian Collection, t. I,
i8()9, p. a36, n° i34, pi. XVII, i3), cité par M. Forrer, ne décrit pas la pièce comme
un statère. Le poids indiqué (4 gr. 22) prouve le contraire. D'ailleurs il est facile
d'examiner la monnaie dans les collections de tous les pays.
a8 REVUE DES ÉTUDES ANCIENNES
le nom de Philippe, mais la légende ΣΓΡΑΚΟΣΙΩΝ. Or, nous
savons que des statères de Tayac au triquetrum portent des II,
souvenir du nom de Philippe. La conclusion est facile à tirer :
le demi-statère de Syracuse ne saurait avoir servi de prototype
aux statères analogues à ceux du dépôt de Tayac.
Aussi bien, c'est encore une hypothèse gratuite de dire,
avec M. Forrer, que l'or, le triquetrum et l'aspect féminin des
statères de couleur citron sont des raisons pour en reporter la
patrie vers le nord de la Suisse occidentale; que cette tête est
particulière aux monnaies des Helvètes des nc et iei siècles
av. J.-C, et, enfin, que cette série de pièces provient du
territoire des Rauraques, entre Baie et Belfort1.
Les pièces de couleur orange appartiennent, suivant
M. Forrer, à une patrie située plus au sud-ouest% chez les
Ambarres, entre Genève et Lyon. Reconnaissant que le groupe
présente des variétés assez nombreuses, M. Forrer accorde
que quelques pièces peuvent appartenir à des voisins des
Ambarres, aux Allobroges et même aux Helviens. Il revient
sur la question des deux pièces attribuées aux Pannoniens
dans un passage de l'article de M. Cartailhac, et comme il
a déjà posé en principe que les flans de 7 gr. 60 de la
trouvaille étaient des monnaies des Boïens, il admet, sans plus
chercher, que les deux spécimens précités sont des statères
scyphates des Rhétiens ou des Boïens.
Ainsi donc, en peu de lignes, M. R. Forrer a établi des
classifications et il arrive aux résultats suivants : le trésor
comprend quatre groupes de monnaies : le premier, celui des
statères « scyphates » des Boïens, appartient à la Bavière ou
1. J'accorde qu'il y a quelque analogie entre les pièces de couleur citron,
trouvées à Tayac, et le statère d'or blanc, présumé trouvé à Aarau (coll. Forrer,
fig. 437). Mais il y a aussi des différences dans le faciès du droit, dans les chevaux et
la roue du revers. D'ailleurs ce seul rapprochement no su Hit pas pour affirmer une
origine.
2. A propos d'un rapprochement avec des pièces dites « arvernes » par quelques
numismates, M. Forrer cite une division de statère dont le visage est traversé par
une barre et il dit que le graveur de ce type a dû copier servilement un modèle
marqué par un coin cassé (p. 327). L'explication est rationnelle. Mais M. Forrer nc
sait pas ou oublie que le n° 365g du cabinet de France, cité par lui, est un statère
analogue avec la « balafre » (voyez mon Traité, p. 21 3, fig. 55, où j'ai dit, d'accord
avec M. Changarnier, que ces pièces n'étaient pas arvernes). Il est donc probable que
le type de la balafre a été voulu, puisqu'il existe, à la fois, sur des slatères et sur des
divisions.
UNE NOUVELLE THEORIE RELATIVE A l'eïPEDÎTION DES CIMBRES 2φ
à la Bohême; le deuxième, celui des monnaies bellovaques,
nous conduit sur la frontière méridionale de la Belgique; le
troisième groupe, celui des statères des Rauraques, nous
transporte près de Bàie; et le quatrième, celui des monnaies
des « Ambarres-Arvernes », appartient à la région moyenne
du cours du Rhône. Le lieu de la trouvaille, Tayac, près de
Libourne, à côté de l'Océan Altantique, vient encore
compliquer le problème.
M. Forrer se dit que les monnaies ont dû voyager beaucoup,
qu'elles sont usées sensiblement de la même manière, comme
si elles avaient fait ce long voyage côte à côte. Son avis est
que le dépôt ne peut avoir été la propriété d'un marchand ou
d'un monnayeur, parce qu'on n'y trouve pas de pièces bien
conservées, ni de pièces des régions voisines du lieu de la
trouvaille. Le mélange d'espèces devrait être plus varié et les
groupes moins unis. Je reviendrai plus tard sur divers points
de cet exposé qu'il vaut mieux résumer immédiatement.
M. Forrer est d'avis qu'il s'agit d'un trésor de guerre, de la
la caisse d'une tribu errante où avaient afflué les espèces des
villes qui s'étaient rachetées du pillage1. Ce serait la seule
explication possible pour cette masse de monnaies
accompagnées d'un torques et de lingots d'or.
M. Forrer est, en outre, d'avis que les émissions représentées
dans le dépôt ont eu lieu à la fin du πβ siècle avant notre ère,
c'est-à-dire à l'époque de l'émigration des Cimbres, Teutons,
Boïens et Helvètes, de n3 à ιοί av. J.-C.
Après s'être établis dans la Forêt Noire, les Cimbres et
Teutons, refoulés, se dirigèrent sur la Norique3. Le consul
romain Cn. Papirius Carbo les attaqua à Noreia (Carinthie);
mais il fut écrasé. L'invasion remonta chez les Boïens du
Danube, puis chez les Helvètes, qui habitaient alors la Forêt
Noire. Les Tigurins s'unirent aux Cimbres et sous la conduite
de l'Helvète Divico, marchèrent contre les Gaulois de la Bel-
1. César, B. G., 11, ag, 4. J'ai admis ici, pour ne pas rompre tout le système de
M. Forrer, que l'expédition chez les Belges avait eu lieu à cette époque. Mais, si
Augustin Thierry est de cet avis (Hist, des Gaulois, t. II, p. 6), on a cependant des
doutes au sujet de la date de l'établissement de cette « colonie » (cf. G. Jullian,
op. cit., t. III, p. 69-70).
a. Tite-Live, Epit., 65; César, B. G., I, ia. Après d'autres, M. Camille Jullian
émet des doutes au sujet de la région où Cassius fut défait (op. cit., t. III» p. 63, n. 5).
3. Strabon, VII, a; Orose, V, i5-i6.
UNE NOUVELLE THEORIE RELATIVE A L'EXPEDITION DES CIMBRES 3l
de lingots et d'un torques dont la forme appartiendrait plutôt
au nord de la Gaule.
Ces conclusions étant posées, M. Forrer reprend la question
de l'âge des monnaies de Tayac et trouve naturellement que
la date en devient très précise. La bataille de Noreia ayant eu
lieu en n3 av. J.-C, aucune des monnaies du trésor ne peut
être beaucoup plus ancienne ; elles furent plutôt émises entre
1 13 et 109, cette dernière date étant celle de la bataille d'Agen1.
Les soixante -treize flans, supposés statères des Boïens, sont
considérés par M. Forrer, comme le reste d'une rançon perçue
en Bohême ; ils pesaient en moyenne 7 gr. 60 et avaient sans
doute atteint 7 gr. 70; donc, toujours selon M. Forrer, ils
appartiennent à la série la plus lourde des statères scyphates,
sans type, et l'on doit les dater maintenant de n3 environ
avant notre ère. Résultat important, car c'est la première fois
qu'on peut arriver à dater ces pièces d'une manière aussi
précise! M. Forrer rappelle le célèbre trésor de Podmokl, découvert
en 1771a, et composé de statères de 7 gr. 5o à 7 gr. 80, et il
tient pour vraisemblable que ce dépôt fut enfoui au moment
du retour des Cimbres et des Teutons, en 11 3. Ensuite les
envahisseurs, après avoir recruté les Tigurins, se dirigèrent- sur la
Gaule belgique, qui fut pillée, et c'est alors qu'une tribu des
Cimbres, — les 6,000 Aduatuques, — fut laissée à la garde du
butin. Le trésor de Tayac contenait une grosse3 somme en
statères bellovaques, qui devaient provenir d'une rançon levée
sur le pays et permettent de fixer le point atteint au sud-ouest4
par les Cimbres5. Comme ces statères sont des mêmes types,
1 . J'accepte les dates données par M. Forrer. Elles sont douteuses ; mais il ne peut
y avoir qu'un écart de deux ou trois années. Il y a aussi, dans son exposé des faits
historiques, quelques menues erreurs que j'ai corrigées dans mon propre texte.
a. Il parait ignorer l'évaluation de 5,ooo pièces, qui a été fournie d'après des
documents nouveaux, par ¿M. Ed. Fiala (Voyez mon Traité des monnaies gauloises, p. 446).
3. Je conserve, autant que possible, les expressions de M. Forrer.
4. Il serait préférable de dire nord-ouest, puisqu'il est ensuite question de Tayac.
5. César (B. G., II, 4, i) dit que les Belges prétendaient avoir repoussé les
Cimbres. M. Foirer ne craint pas de corriger l'auteur ancien : la présence des
monnaies bellovaques lui fait supposer que ce n'est pas la bravoure, mais plutôt l'or
des Belges qui amena la retraite des Cimbres. Je ne tente pas de discuter cette
question ; mais il me semble qu'il y eut deux époques, où les Cimbres se trouvèrent
en contact avec les Belges. On admet que César est fort sujet à caution, et j'incline
vers cette opinion; mais encore il faudrait poser nettement la question, quand on le
prend à partie.
3a REVUE DES ÉTUDES ANCIENNES
poids et métal, et qu'il n'y a pas de variétés anciennes, dit
M. Forrer, on doit conclure que la frappe de ces monnaies
bellovaques a précédé de peu le paiement de la rançon aux
Cimbres et que l'émission ne peut être postérieure à Tan in.
Les statères des Boïens et des Bellovaques, enfouis à Tayac, ne
formeraient, d'ailleurs, qu'une partie des sommes recueillies.
De Belgique, les pillards retournèrent vers le Rhin,
probablement par Metz, « afin d'atteindre la Gaule méridionale par
la grande porte des peuples entre Bâle et Belfort » I.
Le dépôt de Tayac démontre l'exactitude de cet itinéraire,
puisqu'il contenait soixante-cinq statères des Rauraques dont
« la capitale était Augusta Rauracorum » 3.
Si M. Forrer n'ose pas dire que l'expédition passa à l'est ou
à l'ouest du Jura, il croit toutefois qu'elle suivit le cours
moyen du Rhône. Il accorde qu'on ne saurait affirmer que les
statères, dits des Ambarres ou Arvernes, appartiennent à ces
peuples plutôt qu'aux Séquanes méridionaux ou aux Helvètes
du Sud. Quant à l'âge, la solution est plus simple : ils ne
peuvent être postérieurs à la bataille d'Agen, naturellement!
A l'aide de déductions analogues, M. Forrer arrive
logiquement à dater le torques de la seconde moitié du ne siècle et il
établit que vers ii5-no av. J.-C, le statère d'or pesait
sensiblement 7 gr. 60 à 7 gr. 70, qu'il eût été émis dans le sud-
ouest de la Gaule, chez les Helvètes, chez les Belges ou en
Bohême.
Après la bataille d'Agen, les Cimbres continuèrent leur
marche vers l'Ouest; ce n'est pas l'histoire qui nous le dit,
c'est le trésor de Tayac qui le prouve! Comme la bataille
1. «Zurück an den Rhein, um durch das grosse Völkertor zwischen Basel und
Beifort Südfrankreich zu erreichen » (Joe. cit., p. 335).
a. «Ihre Hauptstadt war Augusta Rauracorum. » Ai-je besoin de dire qu'en m
av. J.-C. il ne saurait être question de cette ville, car la colonie romaine de Raurica
fut fondée par L. Munatius Plancus, en &a av. J.-C. -seulement. Le fait qu'on y
a trouvé des monnaies celtiques ne prouve rien. D'ailleurs, ces monnaies sont-elles
des statères prétendus des Rauracif
M. R. Forrer est coutumier de cette sorte d'erreurs qui consiste à supposer
l'existence, en no av. J.-C., de villes connues par des textes postérieurs. Ainsi, plus loin
(p. 336), il suppose que les Cimbres furent attirés vers l'embouchure de la Garonne
par les bons vins de Bordeaux (Burdigala) et les trésors de cette ville. On sait
qu'aucun texte ne fait mention de vignobles en Gaule, à cette époque reculée de
notre histoire (Cf. C. Jullian, Hist, de la Gaule, t. II, p. 270), et Burdigala est
mentionnée pour la première fois par Strabon, qui écrivait sous Auguste.
UWE NOUVELLE THÉORIE RELATIVE A L 'EXPÉDITION DES CIMBRES 33
d'Orange est de l'an io5, l'enfouissement a dû avoir lieu
vers 106. La cause de cette cachette ne paraît pas certaine
à M. Forrer; mais il croit, d'ailleurs avec quelque timidité,
que, parvenus au point le plus éloigné de leur course, les
Cimbres et les Tigurins enterrèrent ce trésor, afin d'avoir
les mains libres pour de nouveaux pillages à exercer en
revenant vers la Provence. Cette situation aurait une grande
analogie avec celle de l'établissement des Aduatuques chez les
Belges, comme gardiens d'un dépôt. M. Forrer, reprenant
confiance dans son explication, croit même que les gardiens
de cette nouvelle station étaient des Tigurins1, car ceux-ci
s'étaient séparés des Cimbres et Teutons et retournèrent chez
eux après la bataille d'Orange3. Et, lorsqu'en 58 av. J.-C, les
Helvètes3 avaient l'intention de se rendre dans le pays des
Santons, en passant par celui des Séquanes et des Éduens,
c'est parce qu'ils connaissaient les cachettes de butin faites par
les Tigurins. Le trésor deTayac peut n'être qu'un des nombreux
dépôts enfouis alors. On a trouvé des statères scyphates des
Boïens chez les Santons et le trésor de Courcoury, près de
Saintes, serait un dépôt analogue à celui de Tayac et de la
même époque. M. Forrer cite encore le trésor de Sankt Ludwig,
près de Bâle4, comme apparenté à ceux de Podmokl, de Tayac
et de Courcoury : ces dépôts formeraient en quelque sorte les
anneaux d'une même chaîne.
M. Forrer suppose encore qu'une tribu de l'expédition a pu
se séparer du groupe et s'établir dans la région ou fut
découvert le trésor de Tayac. Il lui vient à l'esprit que les monnaies
d'argent des trouvailles de Pomarez et d'Eyres ressemblent
beaucoup aux pièces des Boïens 5. Il n'y reconnaît pas un
Fig. 7. Fig. 8.
1. C'est ce que j'ai dit dans mon Traité des monnaies gauloises, p. aio, pi. I, 16.
1. Traité, p. 21 3, n. 5.
UNE NOUVELLE THEORIE RELATIVE A L'EXPEDITION DES CIMBRES £5
débris du trident, et plusieurs II1. Ce bref signalement est
cependant assez clair pour qu'on n'hésite pas à reconnaître
des pièces analogues à celles de Tayac.
Ainsi, les statères de ce type ont été recueillis, isolés ou en
nombre, près d'Agen, près de Libourne et près de Bergerac,
c'est-à-dire aux trois angles d'un triangle dont le plus grand
côté n'a guère qu'une centaine de kilomètres. Mais, par contre,
aucun exemplaire semblable n'a été recueilli sur les bords
du Rhône.
J'ajoute que je considère ces pièces comme dérivant d'un
prototype voisin du statère de Pons, localité qui se trouve
seulement à 80 kilomètres environ de Tayac.
J'arrive donc à cette conclusion que les statères les plus
nombreux (fig. 3 à 5) et probablement les plus anciens a du dépôt
de Tayac ont été émis dans la région où ils ont été trouvés.
Les pièces, plus pâles, au (riquetrum et à l'épi (fig. 6),
appartiennent à une région plus septentrionale, mais assez voisine.
Quant aux statères bello vaques, ils ne forment assurément pas
un tout homogène avec les autres groupes. Mais les
relations commerciales des Gaulois étaient assez développées,
vers 100 av. J.-C, pour qu'on puisse admettre le transport
de statères bellovaques vers le pays des Santons et des Bitu-
riges Vi visques. La route du commerce passait
vraisemblablement déjà par Genabum, qui, au temps de la conquête
romaine, était, comme on le sait, un grand centre
commercial3. Je rappelle qu'à Orléans, dans la Loire, près de
l'ancien pont, vis-à-vis de la rue Sainte -Catherine, on a
recueilli, parmi de nombreuses pièces gauloises, une monnaie
d'or des Bellovaques *.