Amal Ben Attou Livre20191022-119046-1pl9y70

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 28

Gouvernance et « Branding » des territoires touristique

L’Harmattan, ISBN : 978-2-343-16615-5, pp.83-112

Communication architecturale et durabilité touristique, quel


marketing territorial ? cas de Tétouan

Amal BEN ATTOU


Laboratoire LARLANCO
Université Ibn Zohr, Agadir
Courriel : aamalbenattou@gmail.com

Résumé

L’article est un essai sur la centralité de la communication


architecturale dans le projet touristique et le marketing territorial. A
travers l’architecture de l’Ensanche (Nouveau-quartier) de Tétouan,
l’analyse examine comment le dialogue architectural peut servir
comme instrument de base dans la gouvernance territorial et
l’élaboration d’un projet de durabilité touristique de masse.

Mots-clés : Communication, architecture, symbolique, tourisme,


gouvernance, durabilité, Tétouan, Maroc

Introduction

Nous entendons par architecture, non pas uniquement une


technique de tracée et d’urbanisme mais un véritable outil de dialogue
multidimensionnel. D’une part c’est tout un rapport patrimonial
universel ramené à l’échelle humaine ; d’autre part c’est le cachet
identitaire à la fiche promotionnelle et marketing de tout territoire quel
soit à l’échelle locale nationale ou internationale. L’approche de la
temporalité architecturale urbaine dans ses heures et malheurs permet
de traverser les civilisations dans le but d’ouvrir un débat de
positionnement sociétal : qui sont-nous par rapport à cette temporalité
productrice, appartenons-nous à ce construit civilisationnel ? Notre
territorialité est-elle féconde ? Si oui quel est notre part dans la
construction de la temporalité spatiale là où nous vivons ? Enfin quel
est notre héritage réel ? Le marketing territorial via le tourisme n’est
nullement un simple scénario d’attraction de tourisme et de
l’investissement. Certes, ce volet est intéressant, il est même
primordial mais en aucun temps, il s’agissait de vendre, aveuglement,
un simple produit de polarisation touristique. Lorsqu’on raisonne et
communique en modèle architectural, on instaure un dialogue partagé
avec l’autre en insistant sur l’universalité de notre patrimoine
civilisationnel et de notre apport à ce construit. Qui autre que
l’architecture, produit des hommes et de l’histoire dans sa diversité
comme dans ses moments de gloire, peut prétendre faire l’objet d’un
marketing territorial aussi dignitaire, complet, rayonnant et de
durabilité. Par le biais de la conception architecturale, il s’agit
parfaitement, d’interroger et surtout d’analyser la représentation
sociale, idéologique et économique des différents acteurs qui
contribuent implicitement ou explicitement dans la démarche
économique sur la base du territoire et tourisme.
Le marketing territorial via l’architecture, comme moyen
promotionnel, représente-t-il réellement un pouvoir d’identification
touristique durable à Tétouan ? Quel rapport entre l’architecture et
l’image touristique citadine ? Cette démarche territoriale elle-même
est-elle suffisamment imprégnée de l’importance de l’architecture
dans la durabilité touristique ? Plusieurs hypothèses se présentent à
cette démarche. L’usage de la communication architecturale entant
que support du marketing territorial, du dialogue économique et socio-
idéologique, de gouvernance territoriale aussi, nous interpelle à
rechercher de nouvelles méthodes d’approche et de valorisation. Le
marketing territorial est une porte d’entrée à la durabilité touristique si
et seulement si nous réussissons le chalenge, celui de communiquer
vrai, professionnel et responsable.
1- Le marketing territorial, le tourisme et l’architecture : une
recherche de durabilité à travers la communication

1-1- Le territoire, mise au point méthodologique et


conceptuelle d’un dispositif rien de bien défini
Avec la mondialisation le territoire n’est plus un simple espace
approprié par un individu ou une communauté urbaine ou rurale, non
plus, il ne se limite pas désormais à un espace délimité sur lequel
s’exerce l’autorité d’un Etat (Merlin et Choay, 1988) ou d’une
collectivité territoriale échelonnée. Au de-là du spatial, le territoire
une notion qui implique aujourd’hui plus que jamais une dimension
temporelle d’appropriation, de construction, d’appel aux
investissements et du charisme de l’acteur-transnational. Les
frontières d’un territoire ne résistent pas à l’activité transnationale qui
créent des Villes-régions ou des régions-nation qui peuvent
fonctionner sous le commandement des Etats-Nations comme sous
l’influence directe ou indirecte des multinationales. L’agriculture, la
pêche, le commerce, le Tourisme, les énergies renouvelables, l’activité
minière constituent les bases d’une économie mondiale d’abord,
territoriale ensuite. Le fonctionnement dans une économie du marché
globalisée marquée par l’avancée des IDE, la délocalisation
industrielle et la recomposition des investissements se déroule selon
des agendas et des timings définis par des appareils de décision qui se
placent au-dessus du raisonnement territorial. La frontière, le territoire
limitrophe, la concurrence territoriale, la complémentarité des régions,
la régionalisation elle-même n‘ont de sens, aujourd’hui, qu’à travers
leur capacité d’attraction des investissements pour le compte des
opérateurs étrangers d’abord, marocains ensuite.
Nous nous sommes plus d’un le cas de figure où l’on peut lire
aisément les terroirs d’un territoire. Les grandes surfaces des cultures
industrielles destinées à l’exportation la demande touristique
généralisée sur le balnéaire, l’étendu des panneaux solaires et éoliens,
la généralisation du cactus ainsi que du caroubier partout à travers le
Maroc ne permettent plus la dissociation des caractères physiques et
de l’aménagement agricole dans un territoire. Les terroirs mais aussi
les finages des communautés villageoises sont entrain de s’effacer
pour une configuration planifié d’en haut. Peu importe qu’il s’agit
d’un Plan vert ou d’un Plan bleu, la question des ressources
territoriales et de la durabilité s’impose avec acuité.
Le Maroc a adopté plus de sep découpages administratifs. Il a
hérité un maillage sécuritaire de commandement et non du
développement. Depuis l’indépendance, les découpages de 1959,
1971, 1980, 1989, 1992, 1997, 2015 n’ont pas pu instaurer un
découpage régional fonctionnel. Le Dahir du 1971 a voulu
institutionnaliser la région économique avant même que la région soit
elle même institutionnalisée (Constitution de 1992). Le Conseil
provincial comme organe de décision n’était pas en mesure de gérer
les problèmes accumulés d’aménagement du territoire. Le régime de
déconcentration administrative, pris pour une décentralisation de fait,
n’a pas non plus était à la hauteur de moderniser une administration
archaïque. Malgré une batterie de lois et d’institutions réservée à la
région économique, la réalité démographique, socio-économique et
administrative a montré l’insuffisance des découpages intérieurs à la
Constitution de 1992. Les sept régions adoptées en 1971, restèrent
déséquilibrées malgré l’instauration en 1984 d’un régime avancé
dotant la région du pouvoir constitutionnel et exécutif. Il fallait
attendre 1992 pour que la région soit institutionnalisée comme étant
une collectivité locale territoriale.
Or, entre la constitution de 1992 et celle de 2011, la région est
restée une subdivision administrative sous tutelle. Un contrôle
rigoureux fut imposé à toutes les échelles individuelles et collectives
pour éviter tout glissement des autorités décentralisées. Le rôle de la
région fut donc, plus consultatif que décisionnel. Le manque de
moyens humains et financiers, des attributions sur le papier,
l’interférence de l’autorité (Wali/Gouverneur/Maire), la résistance de
l’administration à la modernité, tout cela a fait que chaque organe de
l’Etat concevait la notion et le rôle de la région à sa manière.
La nouvelle vision du développement exprimée dans la
Constitution de 2011et confirmée par la nouvelle loi sur la
régionalisation avancée de 2014, semble allez dans le sens du
renforcement d’une régionalisation articulée sur une forte
décentralisation décisionnelle et économique sous la souveraineté
d’un Etat unifié qui régule le développement. Ainsi de nouvelles
attributions propres et en commun ont été accordées à la région dont le
président devient aussitôt, l’intendant territorial et le premier
responsable des actions du développement dans la région. Les
attributions organisationnelles, juridiques et financières se heurtent
avec les capacités en présence des ressources humaines de la région. A
force d’accélérer toute azimute, la mise en œuvre des prérogatives de
la régionalisation avancée et en avortant le processus de mise en place
d’une phase intermédiaire, des dysfonctionnements éclatent. Le cas
d’Al Hoceima minaret de la Méditerranée pour ne pas citer d’autres
cas, n’est qu’un aperçu. Il est certain que l’ambition du
développement anime toutes les instances territoriales, une région
socio-économique fonctionnelle est le souhait indéniable de tous les
marocains. Cependant, il y a lieux de préciser que le Maroc est un
pays émergent par le haut et non pas par le bas. Ceci est d’importance.
La nouvelle régionalisation, aspirent à réduire le nombre de régions
par la promotion de nouvelles plateformes ou pôles du
développement. Ceci n’est réalisable, concrètement, que de manière
verticale par les placements des investissements.
Avec tous les changements, le Maroc reste un appareil d’Etat
partiellement mis au service du Capital international qui prend dans
ses élans le capital de l’élite marocaine que ce soit par l’exportation,
par la délocalisation industrielle, les énergies renouvelables,
l’industrie touristique, secteur bancaire, etc. Nous sommes donc face à
deux démarches différentes. D’un côté c’est l’Etat qui détient la clé du
développement par le haut. Son rôle est de promouvoir
l’investissement. Un arsenal de textes législatifs et réglementaires a,
depuis une décennie, réussi à rendre le capital international plus fort,
plus direct, son champ d’intervention plus élargie1. Cette stratégie se
recoupe facilement, au sommet, avec les plans géostratégiques du
développement. Si non, pourquoi l’endettement du Maroc a atteint les
172.3 MMDHS2 en 2017. D’un autre côté, la régionalisation avancée
comme projet territorial s’inscrit dans un processus du développement

1
Rappelons que les changements sociaux et politiques des années 80 et 92 ainsi que
le printemps arabe n’ont pas infléchi l’action de l’Etat à l’égard du capital
international comme en Tunisie ou en Egypte.
2
D’après la DTFE, la dette publique marocaine en 2017 constitue l’encours des
emprunts extérieurs des établissements et entreprises publics se chiffre à 172.3
milliards de DH tandis que celui du Trésor relevant du Ministère de l’Economie et
des Finances a atteint 143.6 milliards de DH.
d’échelle qui nécessite au niveau d’un territoire : prospective,
reconversion, construction, innovation, valorisation, redécouverte.
La notion du développement territoriale durable au-delà c’est
donc le rapprochement de l’Etat et du territoire. Certaine l’on qualifiée
de la revanche du territoire (Bourron, 2011), L’Etat développe un
territoire porteur de projet d’urbanisme (Alami, 2008), d’acteur et du
développement. D’autre parlent de l’éveil du local, lorsque ce dernier
choisi de s’afficher à travers la démarche territoriale et participative
qui consiste à mobiliser les acteurs sous une logique de coopération-
coordination concrétisée par un système de gouvernance variés :
défirent des modes de régulation traditionnel, panoplie de modes de
régulation qui sont mobilisés par les acteurs pour faire émerger leur
espace en tant que territoire dynamique, la valorisation des ressources
latentes, gestion de l’environnement, conscientisation des citoyens.
En prenant le tourisme comme entrée du développement, le
marketing territorial est alors une formalisation pratique de moyens,
méthodes et instruments susceptibles de mettre en relief la ressource
territoriale mobilisée, revalorisée, gouvernée, patrimonialisée et mise
en benchmarking horizontal, compétitif et fonctionnel. Le but étant
d’augmenter la performance de l’entreprise pour l’insérée dans le
système monde. Celui régulé par l’Etat entrepreneurial. La durabilité
en matière de tourisme est à la fois un objectif à atteindre, une marque
d’attraction commerciale et une innovation territoriale à inventer sous
une démarche de ressource patrimoniale.
Le tourisme durable est donc, une affaire de pilotage au niveau
des acteurs dans leur diversité comme dans leur approche participative
par le biais de l’animation professionnelle dans le temps et par le biais
de l’adaptation collective des outils d’évaluation en fonction de
l’évolution des enjeux territoriaux. C‘est aussi une affaire de pilotage
au niveau du diagnostic touristique, des axes stratégiques (constat,
interprétation, objectifs prioritaires retenus pour le territoire), du plan
d’action (ciblage des moyens humains, financiers, partenaires, coûts,
délais d’exécution) et au niveau d’évaluation-capitalisation. En fin de
compte c’est d’une économie territoriale qu’il s’agit.
1-2- Portée théorique d’une communication architecturale
support d’un tourisme durable
L’architecture est une science vivante depuis des millénaires.
Nœud d’interférence entre l’acte savant d’entreprendre et la
symbolique de l’œuvre, l’architecture est à la fois une production
physique et une idéologie théorique et conceptuelle et la symbolique
élargie. A cheval sur la connaissance (des mathématiques à la
philosophie). L’interprétation d’un dessin devienne une forme
monumentale fortement appréciée sur le plan touristique. Déjà en
1956, lorsque (Valery, 1956 : 17) parlait de l’avenir monumental des
œuvres architecturaux, il faisait référence au tourisme. Selon lui, une
œuvre théoriquement analysée, suscite déjà en elle-même un acte
scientifique qui reflète toute une idéologie et une raison d’être
accompagnée d’un besoin de produire pour l’autre : le touriste. En ce
sens, tout acte architectural, est un dialogue conscient sur le vécu et le
savoir-faire humain. L’architecture enchâsse les sciences humaines,
les sciences dures et les expressions empruntées à la géométrie, à la
littérature, à l’histoire, à la philosophie et à la politique. Bien avant
Valery, (Vitruvius 1847 : 47) nous rappelle que l’architecture est une
science qui embrasse une grande variété d’études et de
connaissances ». C’est principalement cette caractéristique de
pluridisciplinarité qui met l’architecture en étroitesse avec les sciences
de l’information et de la communication. C’est souvent au niveau de
l’interprétation théorique que l’œuvre architecturale perd sa
symbolique touristique et sa durabilité en faveur de la banalité et de
l’ignorance touristique.
L’architecture et la communication sont des sciences miroirs,
pour la simple preuve que les deux utilisent un langage expressif
véhiculant un certain message pour une certaine audience. Le tourisme
culturel n’est accessible que pour une classe particulière de la société.
Tout l’enjeu territorial consiste dans la vulgarisation du contenu
architectural et de sa symbolique à différentes échelles et d’une
manière régulière aussi bien devant les monuments que dans les lieux
touristiques de masse (transports publics, espaces publics, ports-
aéroport, jardins publics et lieux de détente. Ainsi que dans les
espaces d’accueil touristique. L’Espagne andalouse a réussi à
promouvoir sa communication architecturale au sein du tourisme de
masse durable par la vulgarisation de la symbolique à différentes
échelles et par différentes moyens audio-visuels ; photographique et
cartographique. De la calligraphie à l’œuvre de Serda, un seul mot
d’ordre et une seul interprétation par monument. La durabilité
touristique n’existe pas dans le Charlatanisme, le mensonge et la
fausse interprétation quotidienne de faux guides (Agadir, Marrakech,
Fez, Tanger, Casablanca).
Une telle réflexion, nous achemine directement vers la théorie
d’Umberto Eco (1972) qui considère l’architecture comme un
langage à code syntaxique transmettant un message persuasif,
comportant des traits heuristiques et inventifs. D’après cette théorie,
l’architecture n’est pas seulement un langage codique mais au-delà,
c’est un récit social, historique et politique. Nous sommes ainsi dans
une dialectique architecturale qui, à travers ses formes visuelles et ses
codes syntaxiques, se projette dans un acte communicationnel par
excellence. Ces derniers, ne sont autres qu’un reflet des aspects
socioculturels et sociopolitiques désignant cette architecture entant
que paramètre et modèle de référence communicationnel. Le tourisme
aussi bien national qu’international reste, par excellence, le carrefour
d’une interprétation profonde des territoires d’accueil touristique. La
régulation touristique de l’Etat en termes de logistiques, de marketing
et d’idéologie doit épouser l’affichage territorial touristique selon son
image de marque et l’interprétation de son histoire via le monument
architectural selon un cahier de charges conforme avec la démarche
d’un Etat entrepreneurial. Un consensus est donc incontournable entre
l’Etat et le territoire. L’Etat régule, planifie le développement
touristique, attire les investissements ; le territoire affiche ses valeurs,
requiert les marchés et chaque entité bénéficie légalement d’une
ristourne touristique. En dehors, d’une pareille organisation entre
l’Etat et la région avancée, le tourisme restera l’aubaine du secteur
privé sans ristourne, ni équitabilité, sauf la loi du lobbying, du
balnéaire et le tourisme de dégradation.
L’architecture est plus qu’un langage c’est un fait de présence
(Portzamoarc, 2005 : 297). Ceci figure l’architecture en tant que
communication, par le fait que l’architecture est présente dans un
espace-temps précis ; elle communique donc des idéologies et des
images au monde. Nous sommes dès lors, face à une science de
communication vivante, qui parle et qui s’exprime. Une science qui
façonne l’imagerie mentale du monde de jadis, d’aujourd’hui voire
même de demain. Elle brise les frontières de philologie,
d’architectonie pour raconter l’histoire de l’humanité à l’humanité.
Dans un univers touristique d’aujourd’hui marquée par l’effacement
identitaire de la globalisation, l’architecture en elle-même est un label
touristique de durabilité.
1-2-1 Une théorie de la communication : L’approche
triangulaire de la sémiotique de Peirce et son
instrumentalisation dans le tourisme durable
Les trois pôles d’analyse sémiotique selon Peirce (2009) sont :
l’interprétant, l’objet et la représentation. Nous avons choisi de les
présenter sous forme triangulaire vu la relation à la fois hiérarchique,
interdépendante et interactive entre les trois éléments. La
représentation des signes fournis par un objet est différente selon
l’interprétant. Une création architecturale par exemple peut énoncer
ou diffuser des signes relatifs à son contexte spacio-culturel, ce qui
place cette interprétation dans une situation polysémique. La
compétence culturelle étant une force déterminante de l’interprétation
ou scientifiquement appelé de la sémiotique.
Autrement dit, pour lire un objet architectural, il est
indispensable de faire preuve d’une connaissance culturelle
importante en impliquant l’objet lui-même ; mais en introduisant
également d’autres paramètres sociaux qui produisent l’image de
l’objet en question. L’interprétation s’établit à travers la culture à la
fois individuelle et collective, le vécu social et la technicité employée.
Nous pouvons donc lire sémiotiquement un objet architectural
comme un mécanisme qui produit une signification à partir de la
sémiotique visuelle, qui de nos jours devient une signification
universelle, et/ou une interprétation globalisée, empruntée d’une
culture de masse. La revanche du territoire ici c’est l’affichage
symbolique localement interprétée et communiquée dans le cadre d’un
tourisme solidaire-durable. C’est ce que nous appelons communément
marketing territorial, mettant en relation le système monde avec le
système local en passant par la régulation d’un Etat entrepreneurial.
Le Portugal a enfin réussi à faire la jonction entre les deux systèmes. Il
ne s’agit donc pas uniquement d’une opération banale de vente d’un
produit touristique pour la création de richesse.
En effet, les signes transmis par l’architecture, sont des
déclencheurs de l’image représentative. Cette organisation
perceptuelle graduelle (interprétant, objet, représentation) d’un
monument architectural, délivre une profusion d’images ; chose qui
engendre une interprétation voire représentation cossue d’indices
matériaux, d’imagerie mentale et d’idées. La lecture sémiotique d’une
architecture aussi riche que celle du Maroc, un pays de brassage
civilisationnel, diffère selon les séquences perceptives de l’objet et
l’activité qui l’accompagne. Les séquences perceptives, nous donne
l’impression d’une métaphore des effets cinématographiques car elles
sont liées à la position visuelle par rapport à l’objet comme est le cas
en cinématographie (Champs-contre champs/Plongée-contre
plongée...), sans oublier aussi le jeu de lumières dans l’objet lui-
même. Des composantes qui nous rapproche à la fois esthétiquement
et techniquement d’une lecture sémiotique à la fois éternelle et
changeante, puisque l’être humain, la vie ou l’interprète selon son
traçage historique et l’exploitation qu’il en fait. Les jeux de la lumière
comme symbolique dans l’architecture de la reconstruction d’Agadir
sont fondamentaux.
Plus nous nous rapprochant de l’objet architectural, plus il
s’élargit, plus les détails sont visibles ; jusqu’à l’instant où nous
embarquons profondément dans ses signes, à ce moment là cette
création architecturale commence sont récit sémiotique en racontant
l’histoire de ses précurseurs et transmet les racines à sa relève. Une
histoire racontée par les images mentales transmis par l’outil de l’objet
et ses composantes géométriques fixées par le regard symétrique du
représentent, Ceci peut signifier le passé, le présent mais aussi
l’avenir. La polysémie de la lecture sémiotique d’un objet
architectural est enrichie par son audience multiculturelle. Que ça soit
par un contact direct avec l’objet où par une communication
mondialisée, cette lecture sémiotique se transpose en interactivité qui
dépasse l’espace-temps. Cette dimension universaliste de la lecture
sémiotique de l’architecture, en fait d’elle un pivot des débats sociaux,
politiques, économiques, idéologiques ... etc. Nous constatons donc
que l’architecture englobe une panoplie de signes qui à travers leurs
iconicités, communiquent toute une histoire de l’existence humaine.
C’est ainsi que le modèle touristique espagnole a pu se projeter dans le
temps. Par l’intensité de cette présence universelle, l’architecture
demeure en perpétuelle mutation selon le lien socioculturel et
historique de l’homme avec le lieu de l’objet architectural lui-même.
Ce qui veut dire que l’interprétation de l’image architecturale, met en
jeu le pluralisme de l’Homme, la polysémie de l’objet et les
spécificités du contexte spatio-temporel. Nonobstant, que cette
relation entre l’architecture et son interprétation (sa sémiotique) ne se
limite pas aux objets et aux signes ; elle implique également l’esprit
des personnes. Bougnoux (2001) disait que :
« L’agir communicationnel ne met pas en relation le sujet
et l’objet (couple technique), mais le sujet avec le sujet
(couple pragmatique). C’est l’homme agissant sur les
représentations de l’homme par le détour des signes ».
L’objet architectural conçu par l’homme à la fois marque le
territoire et communique des idéologies et images propres au créateur.
La lecture de cette représentation architecturale est complexifiée par
l’influence de l’individu sur le groupe et vice ver ça. C’est pourquoi
cette complexité en elle-même représente une richesse
communicationnelle pour l’interprétation architecturale. À partir du
schéma communicationnel triangulaire de la lecture sémiotique à
savoir : Interprétant, objet, représentation ; nous transmutant avec
l’architecture à un schéma plus élargie où l’individu et le groupe entre
en relation pour construire une approche sémiotique de l’objet
architectural comme support d’un tourisme durable.
Figure : 1 Modèle théorique de la trilogie de la sémiotique de Pierce

Source : Conception personnelles d’après les travaux de Pierce et d’Umberto Eco.

1-2-2-Les théories du territoire : la redécouverte et les


milieux innovateur
La synthèse des théories territoriales des 30 dernières années
qui se sont inspirées de l’Economie d’Echelle de Marchal (1919), rime
sur la construction et la valorisation des ressources territoriales3. Etant
donné que la notion de ressource est relative, c’est-à-dire, elle n’existe
que révélée comme valeur d’usage d’une société ou d’un individu
dans un territoire. C’est la société qui attribue à tel ou tel élément, une
valeur d’usage permettant de le considérer comme ressource. Cette
dernière est donc relative au contexte spatial et temporelle qui l’a vu

3
A titre indicatif, on peut citer les travaux de Samson, 2004, de Perqueur 2006, de
Gigou 1997, de Carrado, 2007, de Brunet Rerras, 1992, de Philippe Aydalot, 1982, de
Camagui et Maillot, 2006, de Tabaries, 2005, Lipetz, 1995, Greff, 1984, Khan, 2007 et
de Peyrache, 1999.
naître et/ou redécouverte. C’est pourquoi, on affirme souvent que la
ressource et comme le territoire, un produit social. Autrement dit, il
s’agit d’une notion incluant une dimension de construction sociale à
l’intérieur d’un projet de développement qui tout en mobilisant la
ressource, la valorise territorialement. Cette valorisation passe
nécessairement par la coordination-coopération des acteurs non
résolument économiques qui mettent en place des systèmes de
gouvernance variés différents du mode de régulation du marché pour
aboutir à une dynamique territoriale. Il est important que le territoire
repose sur la valorisation des ressources latentes, de préférence
spécifiques, non transférables, identifiées et activées par la
mobilisation des acteurs. La ressource touristique via la
communication architecturale, s’apprête bien à cet enjeu territorial.
Dans la démarche territoriale, le retour au local est une
condition préalable à tout projet de territoire. Le découpage
administratif sécuritaire et même le système de la régionalisation
avancée ne peuvent contribuer à la mise en place d’une région
fonctionnelle sans le retour au local, le droit à la ville et à la
citoyenneté. La mobilité, le besoin de sédentarité, la perte de l’identité
nationale face à la montée du régionalisme et la mondialisation des
marchés qui redonne une valeur aux produits locaux bio, tout cela
interpelle le retour du local. Ce retour est important mais, il ne faut
pas croire qu’on va créer un système territorial totalement opposé au
fordisme pour prévaloir l’ancrage spatial. Car, le système
d’investissement, la régulation politique et commerciale, en dépit de la
régionalisation avancée, reste un dispositif extraverti. La redécouverte
du local, de la science régionale, de l’économie territoriale et même
d’une certaine législation régionale ne sont pas suffisantes. Le
territoire est ainsi un autoproduit par une régulation locale instituée
par les acteurs (Greffe, 1984 : 24). Cependant, les espaces ne sont pas
homogènes ce qui affaiblit la position du territoire comme pouvoir
régulateur de l’espace à l’échelle nationale et mondiale. C’est alors
que l’innovation prend toute son ampleur. Le territoire doit créer ses
milieux d’innovation que certaines chercheurs en action sur le terrain
appellent « Zones ateliers de développement durable ». C’est-à-dire
des zones de développement territorial qui prennent en considération
l’interférence des écosystèmes, des géo-systèmes et des socio-
systèmes. Des zones capables de réconcilier développement local,
demande mondiale et système de régulation politique (Etat et ses
prolongements). Dans ce sens, Khan (2007) affirmait que : « Le
territoire s’impose à la fois comme un concept économique avec une
organisation de plus en plus territorialisée des processus productifs,
épistémologiques avec l’accroissement des travaux et des
conceptualisations théoriques sous-jacentes à ce nouveau paradigme
et comme un cadre pertinent pour la mise en place des politiques de
développement ». La ressource touristique est donc une ressource
territoriale qui peut être redécouverte dans le sens d’un
développement durable. Car, elle est parfaitement inscrite dans le
système d’innovation territoriale.
2- Le modèle architectural interprété et ou communiqué : Cas
de Tétouan
Le langage architectural est un langage conflictuel entre un
classicisme devenu à travers le temps doctrinant et un modernisme qui
refuse l’idolâtrie classique considérée comme un dogme sclérosant
fortement gardé par les tabous culturels et les inerties qui entravent la
compréhension des messages contemporains4 via le langage de
l’énumération et de la réintégration. Ce débat houleux argumenté de
part et d’autre ne cache cependant pas la seule vérité qui est la qualité
architecturale et les mutations en perspectives des paysages urbains
que cela relève du classicisme, de la modernité ou de la temporalité de
l’espace. La qualité architecturale s’insère bien dans une démarche de
réflexion collective organisé autour de la recherche des formes
d’action les plus appropriées et les plus réalistes en faveur de la
qualité constructive urbaine et paysagère inspirée des héritages
matériels et culturels et orientée dans une perspective de
développement touristique durable, pluriel et participatif.

4 Le premier courant classique est représenté par les bâtisseurs du paléolithique, les
maîtres de l’antiquité tardive et du moyen âge et les maniéristes ; le second est
représenté par les architectes –urbanistes de la révolution architecturale comme Michel-
Ange, Borromini, les protagonistes de Art and Crafts, de l’art nouveau, Wright, Loos,
Le Corbusier, Gropius, Miess, Aalto, Scharoun et les théoriciens comme Summerson,
Pevsne et Tafuri qui ont jugé la politique par une lecture urbanistique et
architectonique. Pour plus de précisions voire : Bruno Zevi, 1979 : Il fascismo in
architettura, In Dixhtomy, Vol.3, n° 1, Venise pp.144-147.
2-1- Pourquoi le modèle architectural de Tétouan et comment
interpréter l’architecture en faveur du tourisme ?
A vrai dire, l’architecture de cette ville s’inscrit dans une
approche patrimoniale de la qualité architecturale. C’est ce que Zevi
(2016) qualifie de dernier langage de l’architecture : la réintégration :
édifice-ville-territoire. En effet, l’architecture de cette ville léguée par
une colonisation, elle-même ayant accepté l’orientalisme architectural
a produit (dans le même style orientaliste) des édifices, un Ensanche et
des monuments, que le plan d’architecture de l’Indépendance a intégré
dans la ville et dans le territoire par l’appropriation et l’usage
populaire. La ville et l’architecture constituent plus un objet de
sensibilité qu’un champ d’intérêt économique, social, culturel ou
professionnel. En effet, leurs héritages et leurs significations
symboliques appellent une mobilisation valorisante de divers points de
vue. C’est sur la qualité architecturale et la symbolique de cette ville
que le tourisme culturel et de citadinité, notamment autour de l’art
collinaire et de l’évènementiel, commence à nicher dans aussi bien
dans la médina et dans l’Enchanche.

Photo 1- Place El Feddan reliant la médina à l’Ensanche


Source : Tetuán: Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 154
Ce n’est pas le fait du hasard non plus, que cet espace
d’intégration architecturale abrite le Palais Royal et le Mechouar. Un
modèle d’intelligibilité adéquat se dégage du rapport ville-
architecture-usagers. Comme on peut le constater le langage
architectural nous invite à renouveler l’approche conceptuelle que l’on
a de la ville, de l’architecture et des citadins. La place El Feddan
résume bien un style architectural d’intégration territoriale où
l’édifice, la temporalité, la centralité de la ville sont parties
indissociables du plan d’architecture.
Il ne s’agit pas de transformer toute la société urbaine par
l’architecture et l’urbanisme, une telle préoccupation jadis a montré
ses déviances. Ni Le Corbusier ni personne ne peut espérer estomper
les fractures sociales par le plan d’urbanisme. Nous ne sommes pas
dans la récupération politique. Le modèle de Tétouan a réussit parce
que son urbanisme et son architecture répondent à une double
exigence de l’urbanisme : combiner le fonctionnel avec le relationnel.
La vision du territoire avec laquelle ont travaillé les administrations
coloniale et Indépendante ont orienté le marché foncier dans une
logique de territoire de commandement avant et de développement
après. A Tétouan, on peut passer de la médina vers la nouvelle-ville
(Ensanche) sans coupure ni spatiale ni sociale. Ici la double
pénalisation qu’a subit le vernaculaire, semble sans effet, au contraire,
son impact sur la production architecturale moderne en termes de
qualité est bien visible. Il faut préciser que l’urbanisme et
l’architecture de Tétouan furent l’apanage des architectes espagnoles
les plus confirmés et les moins connus, il est aussi le fait de l’élite
locale marocaine et juive qui finançait un bon nombre de monuments
surtout dans la deuxième phase de la colonisation caractérisée par
l’architecture dite républicaine (1931-1936).

2-2- Le classicisme architectural de Tétouan 1917-1936 ou


comment lier l’architecture ou tourisme transnational.
On distingue deux phases dans cette période du classicisme : la
première phase traditionnelle (1917-1931) et la deuxième phase
républicaine (1931-1936). La première est le fait de l’administration
militaire relative à la création de l’Ensanche par les architectes
municipaux comme Lescura et Ovilo. La logique de l’architecture
répond ici à une sorte de transposition du plan d’urbanisme espagnol
marqué par un conservatisme et une décoration exagérée répondant à
un classicisme extrême qui exprime la pression des organisations
syndicales et des milieux culturels ibériques.
Le seul avantage de ce type de classicisme est l’harmonie de
l’édifice-ville-territoire. Tétouan comme territoire d’intervention des
Jbalas devait symboliser le pouvoir de commandement territorial de la
colonisation face à Tanger Internationale.
Ce type de classicisme ordonné au niveau des hauteurs, des
frises chronologiques, de l’équilibre du vide, de l’alignement des
réduits sous forme d’axes verticaux, de l’interférence des arcades, des
arcs et des balcons. Il faut reconnaître l’influence de l’architecture
andalouse sur le plan d’urbanisme espagnol. L’édifice de la gare
ferroviaire Tétouan-Sebta construit en 1918 est l’exemple typique
d’un plan d’urbanisme qui réuni, savamment, les principes d’une
architecture fonctionnelle européenne avec les éléments de
l’architecture musulmane et locale.

Photo 2- Exemple des travaux de Juan de Talavera Photo 3- L’emprunte


andalouse dans l’architecture espagnole
Source : Tetuán : Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 :114 et 132.
Photo 4- La gare ferroviaire Tétouan-Sebta. Presque la totalité du plan
d’urbanisme de la période 1917-1931 fut réalisée par
l’Architecte Carlos Ovilo.

Source : Tetuán: Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 94

La deuxième phase se caractérise par ses activités urbaines et


culturelles.lle correspond au temps de la IIème république espagnole.
Pendant cinq ans, le système colonial va créer l’époque la plus fertile
de son protectorat en termes d’urbanisme et d’architecture. A cette
époque, le classicisme commence à s’ouvrir sur les nouvelles
tendances du mouvement progressiste instaurant à la modernisation.
Photo 5. L’architecture rouge comme Symbole de changement et d’ouverture
(Source : Tetuán: Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 107et 131).

Photo 6. L’éclectisme
classicisme dans
l’architecture républicaine espagnole à Tétouan (Source : Tetuán: Guía de
Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 107et 131).

Une nouvelle génération d’architectes commence à transformer


l’Ensanche. Il s’agit notamment de Gatepac. Le plan d’urbanisme
commence lui aussi à intégrer des propositions composées et une
manière de faire à l’instar de l’architecture européenne moderne.
L’exemple le plus expressif est l’ancien Club Israélien de Tétouan sur
l’Avenue Mohamed V. La deuxième république espagnole avait soif
au changement. Fasciné par les courants progressistes, elle a permis
une grande ouverture devant l’architecture européenne pionnière en
matière de modernité.
Le réseau de voirie et le parc résidentiel de l’Ensanche de
Tétouan est le fait de cette époque. L’élévation des immeubles jusqu’à
4 étages avec le respect du plan d’urbanisme de l’époque précédente a
donné à la ville un aire de modernité. On peut identifier plusieurs
monuments de l’époque 1917-1936 : Place Moulay El Mehdi (Ovilo et
Lescura) ; la Cathédrale catholique, Les immeubles El Ouahda, Ben
Arrouch, Sidi Mandri, Youssouf Ibn Tachefine, le Dispensaire
indigène, Cinéma victoria, l’Hôpital militaire etc.

2-3- L’architecture de l’époque franquiste à Tétouan ou le


patrimoine inversé (1939-1956)
Juste après la guerre civile espagnole, le gouvernement
franquiste s’est intéressé davantage à Tétouan. Ses premières
interventions sur l’Ensanche furent respectueuses envers le plan
d’urbanisme initial. L’architecte Mouguroza, l’architecte d’Etat, lui-
même reconnaît l’harmonie de l’Ensanche. Cependant, le suivi des
travaux publics par des architectes absentéistes dirigeant les
opérations depuis Madrid5 ont fini par relâcher relativement
l’harmonie urbaine de la médina, l’Ensanche et les monuments
publics.

Photos 7-8. L’architecture franquiste : l’affichage idéologique.

5
Il s’agit de Shaw, De la Torre, Bostendoui, Zalzido et d’autres.
Source : Tetuán : Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 120 et 130.

Le langage architectural de l’époque franquiste n’a donc pas


répudié la planification et l’intégration territoriale républicaine, mais il
rejette en partie la planification classique, l’exagération des motifs et
le tendanciel dans le plan d’urbanisme. La planification classique
signifie à cette époque toute opération d’aménagement ou de
réaménagement non fondé sur l’énumération, les dissonances, la
vision anti- perspective, la décomposition, l’espace temporalisé et la
coordination organique. A vrai dire, le fait que le franquisme provient
d’une guerre civile contre le pouvoir aristocratique et l‘ordre de la
grandeur, affaiblie le classicisme pour une architecture politique certes
mais popularisée.
La codification du langage franquiste a débouché sur un
nouvel académisme dont l’ampleur et l’exécution vont interpellé une
énumération qui investit les fonctions, le programme de construction
et les comportements sociaux. Le discours architectural franquiste
s’exprime en dissonance ou en décomposition quadridimensionnelle.
Autrement dit, plus encore que l’architecture, l’urbanisme doit naître
d’un dialogue fondé sur les hypothèses ouvertes, que la société (ici le
peuple) peut soutenir, modifier et réorienter.
Au début, la production architecturale franquiste semblait être
désarticulée et en déphasage avec le discours sur l’énumération et la
dissonance. L’édifice Fenix sur l’avenue Mohamed V, symbolise en
effet l’urbanisme commercial des villes espagnoles mais aussi l’ordre
de grandeur et de cosmopolitisme du négoce. La symbolique est ici
plus forte que la valeur matérielle réelle du bâtiment. D’autres édifices
monumentaux ont meublé les espaces publics de Tétouan de l’époque.
Après une brève expérience d’une volonté de séparation des
choix architecturaux : civiles espagnols d’un côté, arabes de l’autre,
les choix d’influence classique d’une part les choix rationnels d’autre
part, les architectes de la période franquistes ont fini par associés tous
les choix réunis dans un modèle architectural tout en insistant sur le
monumentalisme. L’édifice Equitativa (Ben Larbi torres et Mohamed
El Khatib) symbolise à la fois la modernité et l’architecture
multifonctionnelle modèle du centre ville qui doit regrouper
commerce, résidences et bureaux de haut niveaux. L’architecte
Fernandez Shaw cherchait l’accumulation de références en partant des
principes de la composante du rationalisme moderne emprunté tantôt
de l’architecture historique espagnole, tantôt de l’architecture
musulmane.

Photos 9-10. Tour de l’église Nuestra Sra de las Victorias de la place


Moulay Mehdi (photo à gauche) et Type de la façade d’un immeuble
résidentiel (photo à droite).

Source : Tetuán: Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 05 et 17

Photo 11. L’édifice Equitativa


Source : Tetuán: Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956 : 75
Ainsi un ensemble d’unités architecturales sont apparues
comme les tours, les balcons, les frises géantes, les arcades, les
couloirs, les terrasses et autres unités empruntées au courant moderne.
L’architecte Mougouroza et puis Ochoa se sont distingué le long de
cette période franquiste. La bibliothèque générale, le Fenix, le marché
principal, la gare routière, sont autant de monuments représentant un
choix rationnel sur un fond musulmane ou espagnol popularisée
(quartier Malaga à Tétouan).

Les architectes ont compris que le passage vers la modernité


est une nécessité. Plus, ils ont saisi surtout que la transition vers la
qualité architecturale ne peut se faire pour le cas de Tétouan (pour tout
le Maroc d’ailleurs) sans se référer à la tradition. Celle-ci n’est pas
forcément et obligatoirement qu’un épisode de l’histoire ancienne ;
mais un champ fertile à redécouvrir et à adapter. Comme le note
justement (Fathi, 1970 : 45) « La tradition n’est pas forcément
ancienne mais peut très bien s’être constituée récemment…Le
modernisme non plus ne veut pas forcément dire vie et l’idéal ne naît
pas toujours d’un changement ».
En effet, le jeu frontal de l’architecture franquiste à Tétouan,
reproduira en partie l’image de l’urbanisme du centre de Sebta
occupée. Au delà du message idéologique colonial qui investit la
hauteur à l’instar du Fenix, le fait d’intégrer les principes de
l’architecture moderne et progressiste européenne avec les éléments
de l’architecture andalouse a permet de garder l’harmonie globale de
la ville (exemple de l’artère principale de l’Ensanche, photo 12).
La redécouverte du vernaculaire monumental (Photo 13)
incrusté dans le plan d’urbanisme moderne, coupa totalement avec le
principe de départ de l’architecture franquiste qui essaya de dissocier
le popularisme espagnol, du mouvement rationnel et du style arabo-
musulman. Au contraire, l’influence capitalistique des maitres
d’œuvres maroco-juifs de Tétouan, l’enracinement et l’adaptation de
la philosophie du creuset andalou dans l’architecture de la noblesse
espagnole et même dans l’architecture populaire, ont rapidement
inversé la tendance. Plus de tour, plus de frises, plus d’arcades
inspirées du modèle local caractérisé par la tuile verte comme élément
d’identification profonde. Ainsi l’architecture de Tétouan s’inscrira
dans un processus de renouvellement dans la continuité
(dégradation/renouvellement). Ceci donna à l’architecture une valeur
inestimable de récupération architecturale et d’innovation du plan
d’urbanisme. Les œuvres de Juan Talavera (photos 13 et 14), offre
l’un des exemples les plus pertinents concernant l’architecture des
édifices publics. En effet, le centre médical de Tétouan témoigne d’un
grand savoir-faire stylistique conjugué aux principes du mouvement
moderne avec des éléments de la tradition arabe. Arches en fer à
cheval, fenêtres doublées, corniches en tuiles vernissées, tour
imposante relevant de l’urbanisme de préfecture. L’école des
infirmières construite en 1924, symbolise l’identité locale profonde. Il
s’est érigé comme modèle architectural pour les constructions
postérieures. Son mode ornemental, ses arcs blancs doublés, la
multiplication des détails et des motifs purement locaux, les frises, les
volets de portes, les galeries, la tannerie, tout cela témoigne d’une
fusion acceptée d’un compositivisme traditionnel authentique.

Photos 12-13. Exemple de l’architecture des édifices publics, œuvres de


Juan Talavera.

Source : Tetuán : Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956.


Photo 14-15. Le centre médical (photo à gauche) et l’école des
infirmières l’œuvre de Juan Talavera.

Source : Tetuán: Guía de Arquitectura del Ensanche 1913-1956:32-33-34-89.

Un autre exemple non moins important concerne l’architecture


militaire. En effet, l’ensemble du Groupe résidentiel Varela sur
l’avenue Zerktouni est très significatif. L’architecte Arrate, réalise un
groupe résidentiel militaire de 250 appartements sur une superficie de
12000 m² avec des caractéristiques morphologiques singulières. Pour
la première fois l’édifice militaire communique avec l’extérieure sur
lequel il est ouvert en forme C, complètement pourvu de jardins
intérieurs (3500 m²) symbolisant le style de la renaissance moderne
espagnole.

Conclusion
En 1956, les espagnols ont légué un ensanche qui semble
présenter la particularité d’une extraordinaire richesse des patrimoines
architecturaux, urbanistiques et paysagers qui attirent une foule de
touristes sans pour autant réussir à mettre en œuvre une
communication architecturale authentique capable de s’inscrire dans
le tourisme de masse sur lequel la vision 2020 établie tout un
pronostic. La communication architecturale est désormais une
composante essentielle dans le projet touristique en amont au cours et
en aval pour les touristes étrangers comme pour les migrations de
loisirs marocaines. Si l’histoire relève du passé, pour une ville,
l’histoire se fait tous les jours d’après ses édifices, le déroulement de
la vie quotidienne dans ses quartiers et à travers ses monuments.
La coopération touristique avec le gouvernement de
l’Andalousie pour la valorisation du patrimoine est un grand pas mais,
à elle seule, elle n’est pas suffisante pour prétendre s’inscrire dans une
durabilité touristique. Le Ministère de la culture, non plus, elle n’est
pas en mesure d’assurer la durabilité touristique dans le temps. Le
projet touristique est avant tout, un projet de territoire qui doit être
approprié par la société qui est une composante essentielle du
territoire et du projet touristique. Si cette société élargie aux élus, aux
académiciens et aux professionnels-investisseurs-dirigeants ou
exploitants n’est pas imprégner de son projet touristique car elle ne
dispose pas d’un plan de communication architecturale, entre autres,
sur sa ressource territoriale (ici le tourisme) ; il est difficile de
raisonner ni en durabilité ni en marketing territorial. Nombreuses sont
les villes marocaines où le plan d’urbanisme et l’architecture sont
considérés comme des luxes superflus ou des réalisations verticales où
le citoyen ne trouve pas son compte et la seule fois qu’il s’identifie par
rapport au plan et à l’architecture, il le fait par besoin, souvent
psychologique, de promotion sociale apparente. C’est pourquoi dans
ce cas tout se traduit sur le paysage urbain par l’absence de toute
cohérence ou unité.
Selon l’expression d’Akalay (2013), « Tétouan est une ville
exportée ». En effet, elle symbolise la vague la plus importante de la
présence espagnole dans le nord marocain. L’Ensanche est une
diversité architecturale espagnole, européenne, arabo-musulmane et
spécialement andalouse. L’ensemble architectural de la ville
symbolise l’équilibre entre les différentes expressions architecturales
regroupant le courant arabisant (l’orientalisme), l’art déco, l’élément
local et le courant moderne. Ces expressions ont été utilisées dans les
mosquées, les marchés, les écoles, les gares routière et du chemin de
fer, les édifices administratifs, résidentiels, militaires, les places
publics, les cinémas et les bibliothèques et le théâtre. Il est rare qu’on
trouve une telle richesse réunie dans une ville de manière ordonnée,
homogène et fonctionnelle sur une période aussi longue.
Le langage architectural tétouanai est un double langage
traditionnel et moderne. Il constitue un patrimoine universel il y a
longtemps déjà que la Médina et l’Ensanche devaient, gracieusement,
être inscrit patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Aujourd’hui, plus
que jamais, la communication et l’interprétation architecturales à
propos de ce bijou civilisationnel à l’échelle humaine, se doit d’être
considérée comme une composante incontournable du projet
touristique. De l’apprentissage à l’école à la pratique de la
gouvernance territoriale, l’héritage comme message de paix d’abord à
travers la coexistence civilisationnelle du tracé architectural se doit
d’être communiquer, partager, perçue, assimiler et approprier. La
construction territoriale c’est la valorisation de la ressource
territoriale. Comment valoriser alors une ressource telle que l’héritage
architectural, dans la promotion d’un territoire si on ignore (et/ou en
boude) totalement ou partiellement l’existence de cette ressource
banalisée par la vue quotidienne (de l’individu au groupe passant par
les élus). Si le langage architectural est un langage de communication
et d’interprétation par excellence, il est temps qu’on repense le projet
touristique et le marketing territorial à juste valeur.

Bibliographie

Akkalay N,. M., (2013). El ensanche de Tetuán: síntesis de su historia


arquitectónica, Revista de Patrimonio AKROS n° 12, pp.33-39.
Almi S., (2008). Tendances générales de l’urbanisme nord africain,
SFU-AAUA, pp. 3-5.
Ben Attou M., (2015). La apropiación del suelo y la producción del
territorio urbano colonial, In Alejandro Muchada A., (Direc).. La
ciudad colonial y la cuestión de la vivienda, Tetuán-Larache 1912-
1956, Colección KORA n° 27, Edit. Universidad de Sevilla,
pp.177-182.
Bougnoux, D. (2001). Introduction aux sciences de la communication.
Paris : La Découverte.
Bourron Y., (2011). Un migrant acteur du développement, la
revanche du territoire, Paris, publisud.
Caruana F., (2009). PEIRCE et une introduction à la sémiotique de
l’art , Paris, L'Harmattan, coll. « Ouverture philosophique ».
De Molina J., Malo R., Dominguez F., (1994). Tetuan, El ensanche :
Guia de Arquitectura 1913-1956. Andalucia, Consejeria de Obras
Publicas y Transportes, ed III.
Fathi H.(1970). Construire avec le peuple, Edit. Symbad.
Khan M., ( 2007). Governance, economic Growth and development
since the 1960s, DESA Working n° 54 ST/ESA/, 22 p.
Merlin P., Choay F., (1988). Dictionnaire de l’urbanisme et de
l’Aménagement, Edit. Puf.
Valery P., (1956). Eupalinos ou l’Architecte » dans, Eupalinos :
L'âme et la danse ; Dialogue de l'arbre. Gallimard, Université de
Wisconsin, Madison.
Vitruvius P., (1847). L’architecture de Vitruve : Volume1, Traduction
de Ch.L. Maufras, Panckoucke, Université du Michigan.
Umberto E., (1984). La structure absente : Introduction à la recherche
sémiotique, Mercure de France.
Zevi B., (1979). Il fascismo in architettura, In Dixhtomy, Vol. 3, n° 1,
Venise pp.144-147.
Zevi B.,, (2016). Le langage moderne de l’architecture, pour une
approche anticlassique, Collection Eupalinos, Edit. Parenthèses,
Marseille.

Vous aimerez peut-être aussi