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DLL Cinéma: Cahiers

Ce numéro des Cahiers du cinéma contient de nombreux articles et critiques de films. Le document fait le point sur le Cinémascope, une nouvelle technique cinématographique, et présente les opinions divergentes des auteurs à ce sujet. Il annonce également le décès de Poudovkine, un grand cinéaste, dont la carrière sera évoquée dans le prochain numéro.

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Ce numéro des Cahiers du cinéma contient de nombreux articles et critiques de films. Le document fait le point sur le Cinémascope, une nouvelle technique cinématographique, et présente les opinions divergentes des auteurs à ce sujet. Il annonce également le décès de Poudovkine, un grand cinéaste, dont la carrière sera évoquée dans le prochain numéro.

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CAHIERS

Dll CINÉMA

N° 25 • REVUE DU CINÉMA E T DU TÉLÉCINÉM A • JU ILLET 1953


CAHIERS DU CINÉMA
REVUE -M EN SU E LLE DU C IN ÉM A ET DU TÉLÉ C I N É M A .

146, CHAMPS-ELYSÉES, PARIS (8«) ÉLYSÉES 05-38


R É D A C T E U R S EN C H E F : LO D U C A , J . D O N I O L - V A L C R O Z E ET A . B A Z I N
D I R E C T E U R - G É R A N T : L. KEIGEL

TOME V ' N° 25 JUILLET 1953

SOMMAIRE
XXX....................... E d i t o r i a l ................................. ........................................................ 1
Pierra Michaut Joris Ivens ............................................................................ 5
Gavin Lambert « L'Elégante mélancolie du crépuscule » ................. 12

LE C IN E M A S C O P E .
Lo D u c a .................................. Quelques n o te s .........................................................................20
François T r u f f a u t .......... En avoir plein la v u e ............................................................. 22
J.J, Richer et Michel De rsday Dimensions et proportions ............................................. ....23
*
Chris Marker . . Lettre de H o lly w o o d ............................................... « . . . 26
Je a n -Jac qu o s Kir Les dessins animés en r e l i e f ............................................. .... 35
André Martin . . Films d'animation au Festival de C a n n e s .....................38
XXX......................... Nouvelles du Cinéma ...................................................... ....40
Michel Dorsday Situation de l'A m é riq u e .................................................... ....41

LES FILMS
Maurice Scherer Génie du christianisme ffurope 51) ............................. 44
Miche! Dorsday L'ordre des choses (Pâques Sanglantes) ...................... 47
André Martin . . Film incomplet mais Grimault intégral (La Bergère et
le Ramoneur) ..................... .......................................... 49
André B a z i n ............... Le Réel et l'imaginaire (Crin Blanc} ........................... 52
François T r u f f a u t .......... Terre année zéro (Fîve) .......................... . ..................... 55
A.B., M.D., F.T. e t F.L Notes sur d'autres films (Femmes en cages, Le Renne
Blanc, Le Quatrième Homme, Docteur Cyclope, La
Main de la Momie, Miracle à Tunis, J'ai vécu deux
fois) ............................................................................. 57
J.D.V., A.B. et F.L. Livres de Cinéma (Le Surréalisme au Cinéma d'A.
K yro u, Dieu au Cinéma d'A. Ayffre, Une grasse
légume d'O. Welles, L'Index de la Cinêmato. 1953) 60
XXX Table des matières du Tome I V .................................... 62
*
Nous so mme s au r e g r e t d ' a v o ir d û aj ou rne r la Tribune d e la Fédéra tion Français e des Ciné- Clubs,
« RECHERCHE DU C INE M A », d o n t nous r e p re n d ro n s la publicatio n régu liè re dans n otr e pr oc ha in num éro.
Les p h o to g ra p h ie s q u i illustrent c e numéro sont d u es à l ' o b l i g e a n c e d e : G e rm a in e Krull, Elie Lotar,
Chris Marker, Pierre Michaut, Lux-Films, 201h Century Fox, A. G.D.C., Gaumonf-Dîs trîb ufîon, Films
« Les Gem e au x » e t C o lu m b ia .

Les articles n ' e n g a g e n t q u e , leurs a u t e u r s - Les manuscrits ne so nt p a s r e n d u s .


Tous droits réserva - Copyrinhl hy LES EDITIONS DE L'ÉTOILE, 2 5 , Bd Bonne-Nouvelle, PARIS (2«J
R. C. Seine 33fi.525 B.

NOTRE COUVERTURE

Ingrid Bergman dans Europe 51, de Roberto Rossellini.


E ditorial

Nous apprenons la mort de Poudovkine


au moment de mettre sous presse. Nous
évoquerons dans notre prochain numéro
la carrière de ce grand cinéaste. Cette nou-
velle fera peut-être paraître notre éditorial
bien léger. Nos critères y sont pourtant la
probité, le talent, la rigueur et Vamour du
cinéma, toutes qualités qu incarnait
Vsevolod Poudovkine avec une souriante
sérénité.
Ysévolod Poudovkiue

Nous avons donc vu le Cinémascope. Nous savions bien déjà de


quoi il retournait, mais rien ne vaut Vimpression personnelle. Plus
loin dans ce numéro vous pourrez lire à ce sujet des opinions opposées
Nous serons ici plus mesuré. Q u il y ait là un progrès technique et un
élargissement de la vision du spectateur est indiscutable. I l y a des
scènes d’extéiieur, des mouvements de foule, des séquences entières
de film s qui gagneront considérablement à être tournées ainsi. Pour
le reste le procédé exige encore des perfectionnements. Si le Cinémas­
cope se généralisei ce qui est fort possible, nul doute que tous les pro­
blèmes matériels seront résolus. Si le format standard était arbitraire,
celui-là Fest aussi qui nous donne de Vunivers une vision en longueur.
A u delà de la technique demeurent Vesthétique et les secrets de la
création artistique. L ’excellence d’un tableau ne dépend pas du format de
la toile. Le Cinémascope n’est donc pas une révolution, mais une simple
évolution technique dictée par la nécessité économique* une extension
des surfaces et des volumes sonores de Técran dont Inefficacité dépendra
de Vintelligence des réalisateurs. Le Cinémascope a en tout cas à nos
yeux un avantage sur les différents procédés actuels de l'elief : celui de
ne pas nous imposer un univers en plans successifs qui n existe pas dans
'M arilyn M onroe, p r e m iè re vedette « c in ém asco p iq u e » d a n s IIo w to M arty a MiZIionfiatre.

la réalité. Paradoxalement le cinéma en relief va contre le réalisme ciné-


matographique, le Cinémascope lui — compte tenu de Vexcellence de
son écran et de ses perfectionnements sonores — peut lui donner des
chances supplémentaires.

Sous le titre « Une gloire d’aujourd’hui », Guermantes consacre


son article de première page du F i g a r o du 16 juin 1953, à Don Camillo,
Fernandel, Guareschi et Cie. Il signale Vexistence authentique du curé
Nosate qui a servi de modèle à Camillo et dit « Entre Nosate et le
roman de M. Guareschi, il doit y avoir la différence de la réalité au
romanesque; entre le roman et le film , il y a les accommodements de
récran. Cette double transposition verse dans une convention éprouvée,
celle de L’Abbé Constantin et de Mon curé chez les riches, un aspect
politique des mœurs contemporaines, » Encore que certains cinéastes
rigoureux ignorent « les accommodements de Vécran » (cf. Bresson et Le
Journal d’un curé de campagne) le processus habituel de fabrication
des film s est bien celui que décrit Guermantes. Ce n’est pas obliga­
toirement la seconde transposition auquel fait allusion le chroniqueur
qui comproînet la qualité des film s : tout en déplorant le manque de
fidélité, à Radiguet et à Dreiser, du Diable au corps ou de A Place in
the Sun on ne peut nier qu’il s’agit de bons film s. La bassesse de la
série Don Camillo ne vient pas de là mais des intentions sournoises qui
président à V élaboration de ces sortes d ’entreprises. Il est tout à fa it
légitime que Vindustrie du film recherche les succès financiers qui
conditionnent son existence même; la supercherie est ailleurs, qui
consiste à nous faire croire à la valeur artistique et humaine de l’opé-
A q u a n d V o n C a m illo en C iném ascope ?

ration. Si plus de modestie ou de franchise présidaient au second tour


de piste du curé-boxeur, qui trouverait à redire à ses exploits ? Les
écus qui roulent dans la caisse d ’un producteur font en fin de compte
d u bien à toute la corporation et remonter la confiance à la grande
Bourse du cinéma. Dix Camillo finissent peut-être par aider involon­
tairement à la naissance d’un film comme Les Vacances de Monsieur
Hulot. Il serait simplement préférable que Camillo accepte de concourir
dans sa propre catégorie : celle de La Tournée des grands ducs ou de
L’Ile aux femmes nues? ce qui éviterait au Pape de recevoir M. Fernandel
en audience et à Guermantes de lui consacrer une chronique. Il y a
confusion sur la soutane. Celle de Camillo est apocryphe et cest le
méconnaître que de Vexposer au Vatican ou en première page du F i g a r o .
Une confusion d ’ailleurs en entraîne une autre. Après avoir souhaité
à Fernandel de ne pas se laisser troubler par cette immense fortune. Guer­
mantes conte Vanecdote suivante : « Mme Greta Garbo montre, à ce q u o n
dit, une humeur hautaine et décevante. Récemment. m ’a conté un
témoin de la chose, un musicien de grande réputation„ en Amérique,
lu i demanda, après un dîner à Hollywood. une dédicace pour sa fille
au bas d’un portrait. Mme Greta Garbo lui répondit q u elle n en donnait
jamais. — Votre signature ? — Pas plus ! — Une croix, si vous ne savez
pas signer ? — Rien / Et elle se détourna, lointaine. A u sortir du dîner,
la belle s’en allait; mais le musicien la suivit et, sans explication, il lui
botta ce que vous pensez. Mme Greta Garbo fu t surprise de ce traitement
inhabituel, se tut et finit par sourire. » A supposer que cette anecdote
ne soit pas imaginaire, elle indignera profondément ceux qui aiment le
cinéma qui, quand il est envisagé comme un mythe, demande à être
aimé en bloc. Greta Garbo existe plus comme élément de ce mythe que
comme personne privée et, à ce titre, a droit à tous les égards, quelques
irritantes ou injustifiées que puissent être par ailleurs les bizarreries de

3
Ne tou ch ez p a s à la D ivine !

sa conduite. Le « musicien de grande réputation » n e st q iiu n grossier


personnage. Si Greta Garbo ne veut pas donner d’autographe cest
son affaire... elle ne pourrait d’ailleurs signer que : La Divine, et cela
ne peut s’inscrire sur le carton glacé. Sa signature est son rare sourire,
pour le reste le quidam a botté le vide. Le cinéma comme les déesses
n existe que dans Vespace. Sa meilleure chance de survie artistique face
aux révolutions techniques est justement de n’offrir de prise que sur
le plan, de Vart. A ce stade olympien les lampes de télévision, les crises
de croissance de Vécrans la multiplication des lunettes et les culbutes de
Camillo apparaissent comme une agitation lointaine... le démiurge
impassible qui supporte la compagnie que des archanges — tels
Murnau ou Eisenstein et maintenant Poudovkine — en retiendra ce
qu’il voudra.

4
Pierre Michaut

JORIS
IVENS

J o r is Iv ens

Le nom de Joris Ivens fut révélé aux am ateurs français de « vrai cinéma »
par la présentation dans les salles spécialisées de ses deux prem iers films :
Le Pont d ’Acier et Pluie sur A m sterdam . C’étaient deux courts films de
notation pittoresque et d ’effets visuels, point entièrem ent dégagés d’un esprit
de recherches formelles, portés m êm e parfois jusqu’à F esthétisme. O n y
découvrait une personnalité, un tem péram ent d’artiste, m arqué de rigueur
et de réserve, épris de sim plicité ’ et de dépouillem ent jusqu’à l’abstraction.
Ces deux films furent to u t de suite rem arqués, signalés, vantés : on en louait
le sûreté rem arquable de la com position de l ’image, le sens du rythm e dans
le montage. On. y voyait de m erveilleux exemples de ce que pouvait être un
style ciném atographique, créateur dans l ’âme du spectateur d ’émotions p ar
ses moyens propres, p a r le seul jeu des rapports et des « valeurs » des
séquences d’images. Ainsi considéré, le cinéma devient un art autonome, un
art m ajeur, sans em prunts à la littératu re ni au théâtre. Ivens, systéma­
tiquem ent, s’écartait de la scène jo uée ; il p re n ait ses images dans la rue,
sur le chantier, dans l’atelier ; p a r la science raffinée des éclairages, il trans­
posait, il idéalisait cette réalité. E t le goût de H ium ain, et un authentique
lyrisme intérieur, le préservaient de toute sécheresse.
Certains aspects de ce Pont d*Acier lancé sur la Meuse, ou de cet après-
m idi de Pluie sur A m sterdam , reparaissaient p a r m oments dans le montage,
ainsi que des leit m otive. scandant comme des « repères » le développem ent

5
du film. Ainsi était évitée, dans la présentation de ces deux sujets d’am pleur
lim itée, toute m onotonie, à laquelle un opérateur m oins habile n ’aurait sans
doute pas pu échapper. Loin de donner une im pression statique, ces deux
films, qui ne sont en vérité qu’un déroulem ent d’images m uettes, sans action
et sans personnage agissant, paraissent au contraire animés et vivants. Ce
n ’étaient nullem ent des Documentaires au sens usuel du m ot ; profondém ent
im prégnés d ’éléments hum ains, ces films sont riches, variés et très attrayants.
Pluie m êm e est animé par une sorte de gaîté intim e qui contraste avec la
relative m élancolie du sujet.
Le Pont (printem ps 1928) n ’était pas pour Ivens un exploit de m étal­
lurgiste. Cette énorm e construction en fêr, cet édifice géant fait de poutres,
de traverses, de rivets, de câbles, était le tra it d’union qui réu nit les deux
rives du fleuve : c’est la. « vie » du pont qui l ’intéresse. Il filma longuem ent
d ’en haut, d’en bas, le lent levage du tab lier entre les de\rx tours, le m éca­
nisme des treuils et des contrepoids, grim pé dans les charpentes, jxicfié sur
les tours, agrippé aux éléments suspendus en cours d ’assemblage. Le Pont
d ’acier, com parable à la Tour de René Clair (1928), le dépasse cependant.
De Pluie, un écrivain hollandais écrivit à l’époque des premières p ré­
sentations du film : « On y voit la pluie telle qu’elle tom be sur la ville
hollandaise et dans l ’esprit hollandais. R arem ent p o u r les Hollandais elle
est u ne tornade ou une trombe... ; ils la voient sous u n ciel gris tom ber
goutte à goutte dans le chéneau d ’une m ansarde. Cette pluie-là fait partie
de l ’atm osphère et du clim at hollandais et m êm e de l’esprit de clocher de nos
grandes villes >>, E t les Iswestia russes d iro n t u n peu plus tard : Pluie
m ontre de quelle m anière fine et pénétrante Ivens observe la nature. Le fond
dxi film est simple. Le vieil Amsterdam est baigné de lum ière ; m ais le ciel
se couvre de nuages et la pluie commence à tom ber, ce qui change l’aspect
de la ville. Les tuyaux regorgent ; vu à travers les vitres mouillées le m onde
sem ble triste. La pluie déterm ine l’aspect de toutes choses. Vers la fin le
soleil réap p araît et la ville revient à sa vie habituelle. Le film, m erveil­
leux et court, réu nit le pittoresque et le m usical, to u t en s’élevant à
la h au te u r du m eilleur art ciném atographique ». L’agencem ent des noirs, des
gris et des blancs, animés p ar le m ouvem ent et les rythm es, p renait la valeur
d ’une véritable architecture lumineuse et p a r sa sobriété, la rigueur sévère
d e .l’ordonnance, Pluie (1929) tendait au film pur.
De la même époque date Brisants (1929), que Joris Ivens enregistra dans
l ’île de K atw ijk, avec deux de ses amis Jef Last auteu r d’une nouvelle qui
servit le thèm e au film et Manus. F ranken qui avait déjà réalisé à Paris Jar­
dins du L uxem bourg et, dans les petits ports hollandais, Sauvetage', Jo h n
F erno était l’assistant ; Jef Last joua l’un des rôles... C’est un film n a rratif ;
m ais l ’histoire, nous disait alors M. Ivens, est secondaire dans le film. Le
chômage oblige un m arin à porter chez le p rê te u r les quelques objets q u ’il
possède. Q uand elle com prend qu’il est devenu pauvre, son am ie l ’abandonne ;
le soir de la kermesse du village, il la voit accepter du prêteur quelque parure...
Un coup de colère lui m et le couteau à la m ain ; m ais il com prend que « la
m e r seule peut le détacher de ses liens avec la terre » ; toutes voiles au vent
il prend le large. A vant tout, c’était un film d’observation : Ivens avait
voulu saisir ce qui constitue l ’atm osphère de la vie des m arins de cette région :
la succession rapide des images et des im pressions déterm ine dans l ’esprit du
spectateur une sensation d’ordre presque musicale.

6
J o r i s Iv en s : P lu ie s u r A m ste rd a m -

Après ces prem iers films, la réputation d ’Ivens grandit rapidem ent :
aussi l ’Union générale néerlandaise des Travailleurs du B âtim ent, à l’occasion
de son Jubilé, le chargea-t-elle de réaliser un film transposition m oderne de
l ’antique tradition des « tableaux de corporations » qui furent un des thèm es
favoris des peintres hollandais. Tous les Syndicats célèbrent leur ju bilé par
de grandes fêtes ; mais les m em bres de la C orporation du B âtim ent, pour
m arq u er leur esprit m oderne, choisirent de faire réaliser un film. Cette
nouvelle œuvre fut présentée sous le titre Nous construisons (1929). Presque
aussitôt repris, amplifié, développé, principalem ent dans ses parties tech­
niques (procédés.de construction des digues, etc...), le film rep aru t (1930) sous
l’aspect d ’un long m étrage (3.000 m.) intitu lé Zuydersée. Enfin, modifié à
nouveau, sonorisé avec une partition de Hans Eisled, et le montage ayant été
rem anié sur le mode épique par Ivens, assisté p a r Mlle H élène van Dongen,
le film N ouvelle Terre p rit sa forme définitive. A l’origine, nous disait Joris
Ivens, le film détaillait les divers métier», « exaltant la fierté du travail à la
m ain, la dignité d’un travail essentiellement constructif ». Mais les différentes
parties étaient effacées devant le final, consacré au grand œuvre de l’assè-
cliem ent du Zuydersée. Très vite, on sut que le cinéma venait de produire un
chel’-d’œuvre : en Hollande, la vogue de Nouvelle Terre fu t immense et l’on
parla d ’un « m onum ent national ».
On en revoit parfois, dans des séances de ciné-clubs, une version tronquée,
rem aniée, raboutée...; dans sa forme originale le film était à proprem ent parler
une épopée nationale hollandaise. La lu tte de l’hom m e hollandais contre son
ennem ie traditionnelle, la m er, qui a m arqué le caractère dom inant de la race
et du pays, y est figurée sous une form e dram atique et grandiose. Le cinéaste
a su donner l’impression de la puissance aveugle du flot vaincu par l’effort
m éthodique et acharné de l’homme, secondé p a r ses machines. La tâche, qui

7
dépasse à la fois l ’in térê t individuel dès ouvriers e t leur personne, les inspire
inconsciemment. Les travailleurs qui paraissent dans le film sont confondus en
une vaste équipe innom brable qui concrétise la notion abstraite de l’Homme.
C’était d’abord un reportage, une visite des différentes parties des
chantiers et des activités diverses : le fonçage des pieux, la préparation des
risbermes, vastes claies tressées qu’on coule en m er à l’em placem ent de la jetée
future en l ’im m ergeant et la chargeant de pierres perdues puis de terre glaise.
Des pelles à vapeur montées sur des bateaux puisaient la glaise dans des cha­
lands ; guidées p ar le mécanicien, elles laissaient tom ber leur charge à
l ’endroit précis.
Les vues sem blaient prises, ici ou là, comme au hasard de la prom enade,
et reprises plusieurs fois ; et ces répétitions reconstituaient le lien et le rap p o rt
de cause à effet entre les opérations en apparence décousues. Une séquence
im portante présentait la construction des écluses d ’évacuation d es. eaux : la
bétonnière gigantesque, le m ontage des coffrages et la préparation des fers,
la coulée du béton, le transport des énormes portes métalliques, leur mise en
place... Ivens saisissait m aints détails, faisant apparaître leu r place et le u r
rôle dans l ’énorm ité de l ’ensemble collectif et leu r valeur, que les ouvriers
eux-mêmes ne rem arquaient pas en les accomplissant. L ’alternance des sccnes
de travail m anuel individuel et de travail m écanique avait son rôle dans
la proge^sion dram atique du film. E t l ’on songeait que les pyram ides
d ’Egypte et les jardins suspendus de Babylone sont à présent dépassés...
Des scènes d’enfants en train de jo u e r apportaient au film, à la fois u n ins­
tan t de détente, et le saisissant symbole de l’avenir mêlé inconsciemment au
grand effort du présent ; car on savait que la H ollande avait exécuté ce
travail sans recourir à l’em prunt, donc sans charger le futur... Le casse-croûte
suspendait par m om ents l ’anim ation du chantier : chacun s’asseyait à terre,
regards inertes, et cette im m obilisation générale contrastait avec l’activité
du travail. Il avait confié à E li L otar son opérateur, sa belle cam éra D ebrie
120 m ètres qu’il venait d’acheter, hésitant à s’en servir et à abandonner son
antique et fidèle K inam o qui lui était plus familière.
Une émotion se dégageait de cette constante transposition de l’individuel
au général ; le pittoresque s’enrichissait des valeurs dram atiques du travail
aux prises avec les forces aveugles de la nature, d u pathétique qui naît spon­
taném ent de la présence de l’homme.
Mais le m om ent culm inant était la partie du film intitulée (le film
com portait des sous-titres) le Travail à Wieringen. ; présenté comme un
véritable drame. Il s’agissait de la ferm eture de la grande digue de 35 kilo­
m ètres, qui devait séparer ïa m er intérieure de la m er libre. H ne restait pins-
qu’une passe étroite entre les deux éléments avancés de la digue. Le flot
appelé par la différence de niveau en tre la m er intérieure et la m er lib re
form ait u n to rren t im pétueux qui déportait les chalands chargés de glaise,
balayait les terres de rem blai : jo u r après jour, heu re après heure, le
passage cependant se resserrait. B ientôt le travail n ’est plus possible qu’aux
temps très brefs de la m er étale ; m ais les vents du large et les cou­
rants sévissaient toujours et poussaient le flot tum ultueux infatigable. Enfin
la passe ptit être ferm ée et de chaque côté de la digue on vit s’apaiser
la m er spudain calmée et comme domptée. Ivens filma cette d ern ière
scène en avion et à b o rd d’un canot à m oteur se rapprochant progrès-

8
sivement de la passe : la caméra enregistrait le grandissem ent croissant
machines. La m usique de Eisler, en grande partie écrite pour percussion et
m êlée de bruits de moteurs, de treuils, de trom pettes des guetteurs, était'celle-
même qui convenait à ce drame.

D’où venait ce jeu ne cinéaste qui, d’emblée, prenait ainsi possession des
ressources de son art et de sa technique, en jouait avec cette habileté, ayant
su, sans m aîtres, pén étrer le sens psychologique secret de l’image anim ée ?
Quelle m aîtrise dans le jeu de la cam éra et quelle sûreté de l’œ il et de la
m ain pour saisir l’aspect, l’angle, la perspective les plus propres à créer dans
notre esprit une ém otion ?
Joris Ivens est né à Nimègue en 1898. Son père dirigeait à Am sterdam l’im ­
portante maison Capi qui vend des appareils et des fournitures photographiques.
Capi c’est la combinaison des trois intitiales Ca-P-I ; trois ou quatre magasins
Capi sont installés dans les Pays-Bas où leur im portance est égale à celle des
établissements K odak en d ’autres pays. Les Ivens, originaires de Nimègue, sont
une vieille fam ille du p atricial com m erçant hollandais. Joris Ivens était
directeur technique auprès de son père. II avait suivi les cours de l’éco’e
supérieure d’Economie de l’Université de R otterdam (avec une suspension en
1917-18 due à un appel à l’armée) ; puis en 1923 il fu t envoyé à B erlin où il
s’inscrivit aux cours réputés de photo-chimie de la Technische Hoclischule de
l’Université de'C harlottenbourg, Une
très raisonnable pension en florins
envoyée par son père lui assurait, en
ces temps d ’inflation, une existence
de nabab...; il connut la vie intense
intellectuelle et artistique de B erlin
à cette cpoquc, surtout dans lé
domaine du spectacle, les films dé
Ruttm ann, M urnau, Pabst, les mises
en scène théâtrales de P iscator au
Volkstlieater... Il continua sa form a­
tion aux usines Ica et E m em an n à
Dresde, et chez Zeiss, à Iéna.
R entré en H ollande, il apparut
bientôt que ce directeur technique
n ’avait pas la vocation commerciale;
il s’intéressait au cinéma dont il
voulut d ’abord considérer la valeur
éducative et sociale. H créa en Hol­
lande diverses organisations et notam ­
m ent un m ouvem ent en faveur du
cinéma éducateur qui, dans les
années 1925 et 1926 était actif et
puissant. Ce n ’était là encore q u ’une
p art de son activité; sans cesse én
Jo ris Ivens to u r n a n t P lu ie s u r A m s t e r d a m . ,

9
m ouvem ent il courait d’Am sterdam à Londres, à P aris et à B erlin: déjà
saisi par cet app étit de mouvement, cette « bougeotte » qui est un trait de
«on tem péram ent (1).
C’est en 1927 qu’il tourna son prem ier film. Il p arta it seul le samedi et le
dim anche, où pour un bref raccord pendant ses heures de travail il abandonnait
son b ureau à sa secrétaire... Il enregistrait ses séquences selon l’état de Fatmos-
ph ère, choisissant longuem ent ses points de vue, la lum inosité, l’afflux de la
foule ou les instants de solitude, épiant sur L e Pont d ’Acier les change­
m ents de l ’éclairage sur le ciel ou sur l ’eau, le passage de l ’équipè d’entretien
d e la voie ferrée, la course des trains accourant du loin tain horizon plat. Parfois
i l se faisait accompagner p a r un petit bonhom m e de 12 ans, Johny F ernh au t,
devenu M. John Ferno, cinéaste de l’O.N.U. Il faisait son découpage ou son
m ontage le soir, dans les ateliers et les laboratoires de l’entreprise p ate r­
nelle. C’est ainsi qu’il réalisa les prises de vues de son film Pluie, après de
longues déam bulations, de patientes stations dans les rues, sur les quais, aux
carrefours de la ville.
P o u r présenter ses films, pour affirmer leur valeur, pour surm onter une
opposition sourde qui tenta dès le d é b u t, de se dresser contre ces films si
.nettem ent étrangers an conformisme général, Joris Ivens et quelque-uns de
ses amis -— le philosophe M enoter B raak, l ’écrivain Scholte — fondèrent u n
jo urn al et le club Film Liga, qui' réunit bientôt to u t un groupe d’intellectuels
« t de jeunes, et dont l’action s’étendit rapidem ent au dehors des frontières du
pays. Ils discutaient les principes et les possibilités artistiques du film, les
théories et les dogmes sur l’essence du cinéma pur, absolu, c’est-à-dire « non
jo u é », faisant p araître seulem ent des gens simples ou des objets animés p ar le
rythm e et la m élodie visuelle. Ils étudiaient les innovations de l’avant-garde
française et russe d ’alors ; ils invitèrent en H ollande René Clair, Jacques
F eyder, G erm aine Dulac, H ans R ichter, les russes Poudovkine et Eisenstein.
Sous l’œil réticent de la police ils passaient La Mère de Poudovkine et les
productions de l’avant-garde de Paris et de B erlin. Us tentaient de reform er
le goût du public trop attaché aux formules d u cinéma m élodram atique
d o n t s’enchantaient la foule, et inspirées p ar l’im itatio n tro p servile du théâtre.
Us voulaient aussi relever le niveau de l’inspiration des scénaristes confinés
dans une littératu re trop directem ent populaire. Ils voulaient affirmer la
valeur esthétique du cinéma et prouver que ce nouveau moyen d’expression,
« encom bré de m écanique » disait Léon D audet, est capable de produire des
ceuvres d’art.
Le succès de ses prem iers films l ’aida à surm onter les hésitations de sa
fam ille ; et to ut en dem eurant directeur technique de Capi auprès de son
père, il p u t se livrer à sa vocation de cinéaste. Avec l’appui de son frère et
disposant de toutes les ressources que lui offrait la firme paternelle, il constitua
u ne société de production placée sous sa direction personnelle, m ais revêtant
la form e fam iliale traditionnelle. Son père ad m ettait cette activité « à côté »,
sensible m algré to ut aux éloges que recevait son fils, considéré comme un des
plus m arquants cinéastes de l ’époque. Mais il continuait à reg retter que ce
fils aîné n ’ait pas été un m eilleur com m erçant !
(à suivre ) P i e r r e Mi c h a u t

(1) Joris Ivens a donné, récemment à Henri Langlois son prem ier essai
d’enfant, Branclende Straal (Flèche ardente) (1911), tourné à 13 ans, avec ses
parents et ses frères déguisés en Peaux-Rouges, jouant dans le jardin paternel.

ÎO
Joris Ivens : Les Brisants (Branding) (1929).
Gavin Lam bert

“ L’ÉLÉGANTE

M É L A N C O L I E DU C R É P U S C U L E ”

« L’élégante mélancolie du crépuscule »... Chaplin prononce ces


mots une première fois dans le film comme une parenthèse nostalgique
à une rêverie du vieil article de music-hall sur la rencontre des
jeunes amoureux. Ils reviennent dans la scène finale sur un ton
d’ineffable tristesse. Ils expriment avec précision toute l’atmosphère
sous-jacenté de Limelight : il y a bien longtemps l’aurore se leva*
puis vint l’éclat de midi et m aintenant le soleil a pâli- partout les
ombres s’allongent...
Le « discours » mélodramatique du film semble avoir déconcerté
certains, ce qui me paraît assez incompréhensible. Nos souvenirs ont
sans doute tendance à nous donner de Chaplin une image trop confor­
table, celle de l’homme qui nous a fait le plus rire. Il n’y a guère
longtemps cependant la reprise de City Lights devait nous rappeler
la mélancolie profonde inhérente à toute l’œuvre de Chaplin dont
on peut déceler auparavant bien d’autres marques. Ce fût* en 1919, ce
court épisode, émouvant et délicat, de The Vagabond; en 1918, c’était
Life, entrepris comme long métrage pour Essanay et abandonné sur
la demande des producteurs au profit de courts métrages comiques;
puis il y eut, en 1919, Sunnyside, pastorale extatique et, bien entendu,
A Woma/i m Paris qui date de 1923. Le côté sérieux de l’existence-
avait, en fait, préoccupé Chaplin depuis longtemps et, chose curieuse,,
cela fût remarqué pour la prem ière fois en France. Après The Kid,
en 1922, Louis Delluc écrivit dans sa monographie de Chaplin : « Je
reste effaré de l’immense tristesse de Chaplin. Cet homme aura de la.

12
chance s’il ne m eurt pas dans un asile d’aliénés. » Le temps peut encore,
à ce sujet, avoir son mot à dire.
La formule « Le clown qui veut jouer Hamlet » appliquée à
Chaplin, a toujours été déplacée. Certains personnages, Hamlet compris,
ont reçu assez de dons pour jouer les deux rôles. IL y a trente ans
Chaplin avait réalisé la tragicomédie dans une pureté de formes et de
sentiments uniques au cinéma. Aussi bien, d’un point de vue strictement
historique, les qualités et les caractéristiques de Lim elight sont-elles
parfaitem ent logiques; ce qui l’est peut-être moins c’est la profonde
réussite avec laquelle ces qualités ont été renouvelées. A soixante-trois
ans, Chaplin vient de tracer un portrait plein d’imagination de l’artiste
qui vieillit et dém ontrer de surcroît, que son pouvoir créateur touchait
à son apogée. Le cinéma épuise vite les grands talents et cependant
Limelight a la vitalité d’inspiration et la sûreté d’exécution, des meil­
leures œuvres de Chaplin. Ses nouveaux aspects en font aussi une
expérience. L’analyser c’est un peu comme vouloir saisir un miracle...
mais il faut bien le tenter.

« The evening of Life brings with it its lamps » (le déclin de la


vie apporte avec lui sa propre lumière). La lum ière de Chaplin est
une image de la jeunesse, une vision pensive et radieuse. Il semble que
Chaplin ait longtemps gardé cette vision en son for intérieur et que
maintenant elle le liante, consolation triste et brillante, symbole de la
nature de la vie, sans cesse éphémère, niais sans cesse renouvelée. A
l’époque de Chariot, The Kid et City Lights traduisirent cette vision
de la façon la plus parfaite. Limelight se rapproche de ces films par
la construction dramatique et la manière dont sont traitées les situations
respectives des personnages. Les rapports sont d’abord ceux d’un
protecteur et d’une protégée puis soudain se trouvent renversés. Autre
point commun entre The Kid et Lim elight : leurs apothéoses, d’une
part le rêve du paradis, d’autre p art le ballet final. Mais alors que dans
City lights l’histoire de Chariot et de la jeune fille aveugle est le prolon­
gement de celle de Chariot et du Kid, Lim elight fait accomplir un
pas en avant à cette situation dramatique.
On peut considérer chacun de ces trois films comme étant dans
une certaine mesure des variations sur un même thème, mais Limelight
se révèle comme la plus complexe et la plus subtile de ces variations.
Nombre d’antithèses sont approfondies au cours des rencontres de
Gal ver o, l’artiste en déclin, et de Terry, la ballerine qui monte : celle
de la vieillesse et de la jeunesse, de l’expérience et de l’innocence, de
l’échec et du succès, de la résignation et du désespoir, celle enfin de la
manière de donner et de la m anière de recevoir. Par delà cette histoire
particulière, il y a toute la généralité de la « vie », cette grande
abstraction que Chariot nous suggérait inconsciemment et que Chaplin
parvenu à une profonde m aturité commence à entrevoir en pensant
à lui-même...

13
L’unité poétique de Limelight est l’émanation calme et inéluctable
d’une tristesse dont le « motif » se répète constam m ent Le film débute
de façon classique. Après la première image de la rue de Londres
avec son orgue de barbarie et ses gosses attroupés, nous sommes
jetés en plein dans le drame. Derrière la caméra, nous pénétrons dans
le garni* puis dans la chambre où la jeune fille est étendue sur le lit,
la fiole de poison dans la main et le gaz ouvert. Ensuite nous nous
retrouvons dans la rue où arrive Calvero, ivre et joyeux. La découverte
de la jeune fille p ar le vieil artiste, son vif désir, ni touchant ni absurde,
de l’aider à revenir à la vie bien qu’il se sache ivre, montre combien
ce geste l’a affecté, encore plus profondément qu’il ne le croit. Les'
dialogues des premières scènes, les affirmations passionnées de Calvero,
rempli lui-même d’une autre sorte de désillusion, sur la beauté de
la vie et puis peu à peu le retour de Terry à la confiance et à l’amour
sont exprimés avec une force et une douceur merveilleuses. La m anière
exquise dont Calvero mime la rose qui veut pousser et le rocher qui
yeut rester inébranlable, l’aveu hésitant que fait Terry de ses malheurs,
le trio nocturne des musiciens des rues, le flirt comique traditionnel
avec la propriétaire énorme,, tout cela est d’une telle richesse et d’une
telle diversité qu’on pense au mot de Taine sur Dickens : « le m aître
du cœur hum ain ». Parfois on a l’impression d’être dans la même
chambre que les personnages en train d’écouter Calvero parler et
philosopher, tout en jetant de temps en temps un coup d’œil à la jeune
fille étendue sur le lit pour noter ses réactions. Le prem ier rêve de
Calvero, la comédie extraordinaire du dompteur de puces et les contor­
sions pathétiques qui la terminent, placent bientôt l’action sur un
autre plan : celui de la rencontre de deux êtres dans des circonstances
exceptionnelles et à un moment particulier. Ce fait doit être analysé
sous tous les angles. De même que l’expérience et la sagesse de Calvero
attirent Terry, de même elles le feront plus tard s’éloigner de lui.
Comme l’échec de Calvero éveille l’instinct protecteur de la jeune fille,
sa réussite comme ballerine isolera le vieil artiste. P ar lui elle retrou­
vera la joie de la jeunesse mais aussi le besoin de la partager avec
quelqu’un de son âge. Après avoir revécu sa propre jeunesse à travers
elle, Calvero n’en sera que plus convaincu de son appartenance irré­
médiable au passé. Tout ce qui les rapproche en même temps les
sépare.
La mise en scène rivalise de simplicité délibérée avec l’histoire,
aussi formelle à sa manière que celle du b a lle t Chaplin situe son
film dans le Londres post-victorien de 1910 encore plein des souvenirs
de Dickens. (Somerset Maugham note dans A W r ite fs Note Book,
après une rencontre avec Chaplin en 1922 : « P our lui les rues du sud de
Londres sont le théâtre d’une gaîté folâtre et d’aventures extraordi­
naires... Je pense que la seule maison qu’il pourrait jam ais considérer
comme étant vraiment la sienne serait un second étage sur la cour,
dans Kensington Road ».) L’héroïne elle aussi, avec sa beauté effrayée
et sa sensibilité fragile, ressemble beaucoup à celles de Dickens.
Remarquons en passant l’exactitude de la reconstitution de Londres»
La perfection de l’argot de music-hall, le personnage de la gérante
du restaurant où Terry et le jeune compositeur vont déjeuner, le décor

(4
C laire Blooni ot C h arles C h a p lin d a n s Limeli(/Jît.

du garni, tout cela concourt à mettre en relief la vivacité du souvenir


que Chaplin a gardé de Londres qui fut le théâtre de s& jeunesse pauvre
et malheureuse. Quand il tourna Lim elight Chaplin n ’y était pas-
retourné depuis vingt ans.
III
Dans Limelight, l’exposition limpide des sentiments a rencontré des­
détracteurs, comme il s’en' trouve toujours en pareil cas. Il est assez:
facile d’écrire au sujet du Chaplin actuel qu’il est sentencieux (Dickens,
ne l’était-il pas ?) qu’il s’attendrit sur son propre- sort (Hamlet ne le
fait-il pas ?) qu’il est infatué de lui-même (n’est-ce pas encore un des
traits d’Hamlet ?), mais de telles accusations ne traduisent-elles pas le
refus « essentiel » de comprendre ce film plutôt qu’une véritable réfu­
tation ? Ces critiques n ’ont pas vu l’élément le plus im portant à savoir
la passion, mobile et justification de Lim elight. Rien ne pouvait
être plus vrai en lui, la seule différence est dans le point de vue de-
ridentification, Chariot le vagabond, l’anarchiste était le symbole de.
l’homme en général, or Chaplin depuis The great Dictator a cessé d’être-
cela. Dans ses vrais derniers films, il est devenu un individu. Le fait
que The Great Dictator et Monsieur Verdoux ne réalisèrent pas-
complètement la transition et qu’ils sont manifestement des filins
imparfaits, peut expliquer la mauvaise volonté de beaucoup à saisir ce-
que Chaplin a essayé de faire. Parce que Chaplin raconte l’histoire
de Limelight en termes simples et superficiellement désuets, on a cru
que les émotions contenues dans ce film étaient également désuètes.
On a adressé le même reproche à Stroheim et, d’une manière plus
justifiée, à Griffith. Il est certain que Chaplin, Stroheim et Griffith,
les trois grands maîtres du cinéma muet américain, partagent à Tégard
de la vie une attitude morale qui procède du xixe siècle. De même, ert
tant qu’auteurs de films, ils ont utilisé souvent les méthodes de récit
des romanciers du siècle dernier. Mais vouloir les condamner pour cela,,
ne fait que refléter l’illusion naïve consistant à croire que chaque
époque se suffit à elle-même, artistiquement, et, que le véritable art
« contemjjorain » doit se libérer de toute méthode traditionnelle. L’ar-

IS
tiste « révolutionnaire » n ’est pas le seul valable. Ce qüi compte sur
le plan personnel, c’est l’imagination et la technique propres de l’artiste,
•qu’elles trouvent un stimulant dans la tradition ou qu’elles s’en écartent,
Alors que les films de Chaplin rappellent souvent Dickens et ceux de
Stroheim Balzac, il faut reconnaître que du point de vue de l’imagi­
nation, Griffith ne dépasse pas toujours le niveau de Ouida ou tl’Har-
rison Ainsworth. Néanmoins la conception (VIntolérance reste coura­
geuse et universellement valable même si le pouvoir créateur ne s’y
hisse pas toujours au même niveau. L’analyse des mobiles sexuels dans
The W edding March ou dans Greed est irrésistiblement individuelle. La
base dramatique de Limelight est, spécialement pour le cinéma, extrê­
mement osée, d’abord p ar la nature des relations de Calvero avec la
jeune fille et, ensuite par l’analyse pénétrante qui en est faite.
IV
Certes, le film apparaît comme une sorte de longue lamentation
sur la vie qui fuit et l’amour qui passe. Mais cette lamentation d’un
être qui trouve tout cela profondément triste et qui a commencé à faire
avec lui-même une paix difficile, revêt ici une expression aussi riche
•que variée. Si nous mettons à p a rt les scènes où seuls sont en présence
•Calvero et Terry, parmi lesquelles les plus puissamment construites
et les plus chargées d’émotion, sont celles où la jeune fille s’aperçoit
-qu’elle marche et celle de leur rencontre après l’échec de l’un et le
succès de l’autre, quand Terry ne peut plus dire : « Je vous aime » mais
seulement : « Je ferai n’importe quoi pour vous rendre heureux », le
film se déroule sur deux registres différents. Il y a d’abord la longue
•séquence de ballet qui présente une analogie poétique avec la situation
<lu film lui-même et où Chaplin, dans le rôle du clown appelé au chevet
dè Colombine mourante pour l’égayer, fait une création touchante;
puis le spectacle de variétés dont une partie n ’est rien d’autre qu’un
tel spectacle et l’autre (le numéro du « Printem ps » dansé par Terry)
P expression des sentiments propres de Calvero. L’histoire elle-mêmè,
ne contient aucune trace de slctps.tick, mais plutôt “une certaine dose
<lè comique traditionnel, tout comme le dialogue contient peu d’ironie.
Le véritable monde du clown se retrouve dans les deux scènes de
■music-hall. A sa manière, Lim elight a beaucoup plus d’unité que
.Monsieur Verdoux qui passait sans cesse de la farce au sentiment et
de la satire à la caricature, perdant ainsi, à mon avis, l’imité que son
sujet réclamait. Limelight nous révèle un Chaplin metteur en scène
aussi génial que Chaplin acteur. Dans l’utilisation du dialogue et du
«on, nous retrouvons la virtuosité dont il fit preuve dans la mise en
scène de ses films muets, à l’apogée de sa carrière, pour City Lights
p ar exemple. En tant que m etteur en scène, les talents de Chaplin ont
été souvent sous-estimés. Ses meilleurs films ont toujours été soigneuse­
m ent construits, la simplicité de leur continuité est le fruit d’une
discipline et l’usage qu’il fait de la cam éra pour rapporter Faction
-est à sa façon tout aussi rem arquable que celui Id’un Stroheim ou d’un
Pabst, Loin de m anquer d’intérêt cinématographique, certains de ses
prem iers films, tels que The Vagabond, The Pawnshop, Easy ^Street,

1"c
Claire Blooiu et C h arles C h a p lin d a n s L im e lig h t.

comme d'ailleurs les longs métrages, en sont des exemples parfaits.


Les adieux à la jeune bohémienne dans The Vagabond, la fabrication
du moule à gâteau dans The Kid (film tourné en deux mois), la danse
des petits pains dans The Gold Rush et la scène finale de City Lights
furent réalisés avec une perfection et une précision que le jeu génial
de Chaplin a peut-être eu trop tendance à faire passer au second plan.
Les angles de prise de vue, le « tempo », le montage sont « du » grand
cinéma ou je ne m ’y connais pas. De toutes ses œuvres importantes
seuls M odem Times, The Great Dictator et Monsieur Verdoux out un
style qui est loin d’être aussi parfait. Ils seront considérés, je crois,
avec le recul du temps, comme une période de transition dans la
carrière de Chaplin. En effet, l’élimination progressive du personnage
de Chariot relève d’un processus très intellectuel, reflétant surtout dans
l’amertume parfois aiguë de Monsieur Verdoux ce manque d’abri émo­
tionnel qu’il a su retrouver dans Limelight. Il existe même dans ce
film des passages de cinéma descriptif qui sont en avance sur tout ce
qu’a fait Chaplin dans le genre : ainsi la prise de conscience de la
salle déserte à la fin du numéro de dressage de puces, la scène de.
l’audition de Terry, la j>rise de vue plongeante du changement de décor
pendant le ballet et ce moment exquis de la dernière scène lorsque
Terry danse au prem ier plan et cache un instant le corps de Calvero,
gisant sur une civière dans les coulisses. On raconte que lors du pre­
mier tour de manivelle de Monsieur Verdoux Chaplin déclara : « Pas
de chichis photographiques, genre Hollywood » et qu’afin d’éviter
ce genre de « chichi » il utilisa des procédés périmés, mais dans
Lim elight il a reconnu la qualité d’une photographie composée et
harmonisée d’une m anière expressive. Beaucoup des images de Karl
Struss, notamment dans la séquence du ballet, ont du charme et du
style.
On a reproché aux dialoguès d ’être conduits de façon théâtrale,
mais justement, les dialogues de Chaplin n ’ont pas ce caractère idioma­
tique et naturaliste traditionnel sur l’écran, c’est pourquoi ils corres­
pondent à un débit rapide et uni. Tout cela demande du temps et la
narration a cette ampleur et cette maladresse fortuite des romans

17
O
du xix?. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de s’étendre sur les m ala­
dresses, elles sont manifestes et relativement peu importantes. Néan­
moins, il est dommage que Chaplin ait coupé la scène splendide entre
Calvero et Claudius « L’homme sans bras », car dans une œuvre dé
longue durée et à multiples rebondissements, on rem arque les vides
dè façon plus nette. La continuité en est rompue et nous ne sommes
plus en présence dans la version actuelle que d’un personnage secon­
daire, mal dessiné. De plus, le premier des longs dialogues entré
Calvero et Terry, débute assez brusquement : on sent qu’il m anque
quelque chose.
V

Lim elight est dans la ligne de cette comédie sophistiquée qu’on


trouvait déjà dans Monsieur Verdoux, On nous fait prendre conscience
de deux conventions : d’une part le style du vieux music-hall londo­
nien et d’autre p a rt celui de la pantomime de Chaplin qui en dérive*
La dernière séquence avec Buster Keaton, toujours abstraite à la
manière classique, est le moment du film où le comique est le plus.
« direct », avec ses gags accumulés dans le déroulement de l’action et
dans l’utilisation de la caméra, mais même alors, ce violoniste démo­
niaque incarné par Chaplin, parodiant en quelque sorte la valse de
Méphisto, suggère une diversion. La différence semble venir du fait
que l’humour de Chariot était celui d'un personnage devenu un symbole
universel, alors que dans Limelight, pour s’harm oniser avec le reste
du film, la comédie est une comédie de caractère. Calvero n ’est pas
Chariot, mais tel comédien particulier. Certes, il y a en lui des rém inis­
cences de Chariot mais rien, que le maquillage suffit' à nous faire com­
prendre, que ces réminiscences font partie d’une convention et ne sont
point un retour en arrière. Il est intéressant de com parer la scène où
Chaplin joue du violon dans Limelight et une scène analogue de The
Vagabond. L’un des gags au moins (celui où « l’acteur joue de sa
moustache ») est exactement le même, mais l'effet fortuit et peu
appuyé dans The Vagabond devient au contraire délibéré et em phatique
dans Limelight. Limelight nous montre le nouveau masque de Chaplin.
On a fait à propos du masque de Chariot, toutés sortes de comparaisons*
depuis les estampes japonaises jusqu’à Durer, mais comme l’écrivit
Delluc : « Il est son propre peintre, son seul vrai peintre ». Dans
Lim elight le masque est celui de Calvero. en clown ou plutôt, de Charlie
Chaplin en clown. Tout ceci suscite bien des souvenirs, car on ne peut
s’empêcher de penser qu’il y a derrière ce masque non seulement
Calvero-Chaplin mais aussi, à la limite, le vieux Chariot. Comme ce
masque est indépendant du reste, qu’il se forme et s’estompe a la fois
au cours de l’action, il fait l’effet, extraordinaire, d’un fantôme. Bien
que l’ensemble des acteurs soit excellent, c’est le jeu de Chaplin qui
parvient à la plus grande perfection. Il possède une m aîtrise et une
gamme d’expressions dont on pouvait se douter mais qui néanm oins
vous coupe le souffle. Il y a trois gros plans qui sont parm i les plus
beaux jamais réalisés : d’abord dans la loge du théâtre lorsque après
l’échec de son retour Calvero essuie son maquillage et en fixant sort

18
miroir rencontre l’image de l’échec; celle de Calvero en dompteur de
puces dans son rêve contemplant la salle vide dont au même moment
l’image s’estompe pour laisser voir le visage torturé de l’artiste dans
sa chambre à coucher; enfin le gros plan de Calvero mourant, la tête
immobile les yeux fixes et la bouche qui se crispe spasmodiquement.
Le personnage est merveilleusement dessiné, jusque dans les moindres
détails. Ajoutons que le choix p ar Chaplin de Claire Bloom fut heu­
reux : elle fait son héroïne <x très Dickens » une tendre et délicate
création.
VI
La comparaison avec Dickens s'impose à nouveau non seulement
à cause des affinités de style mais encore de correspondances plus
profondes. Même enfance londonienne pauvre et jamais oubliée, même
identification avec les proscrits, même crainte de voir le talent s’épuiser,
même souvenir d’une jeune fille adorée (Hetty Kelly pour Chaplin et
Mary Hogarth pour Dickens) et perdue avant d’avoir été possédée,
souvenir qui les poursuivit tous deux et qu’on retrouve portraits exquis ;
et surtout mêmes gravité et désenchantement grandissants qui les
accablèrent face à la société et à eux-mêmes, « the Old unhappy loss or
want of something ». A bien des égards, Limelight tout comme Our
Mutual Friend ressemble à un dernier mot.
Cependant le Chaplin que nous connaissons n ’a j>as .rintention
de s’arrêter là. Peut-être même exprime-t-il le mieux son dessein dans
la scène du café où Calvero et Terry se retrouvent quand il lui dit
que tout n’est pas fini mais a seulement changé. Elle lui demande alors :
« Pourquoi ne voulez-vous pas revenir ? » La réjîonse est triste, mais
aussi ironique et peut-être prophétique : « Je ne peux pas. Je dois aller
de Vavant. C'est cela le progrès. »

G av in L ambert

(Extrait, avec l’autorisation de l’auteur, de Sight and Sound, n “ 3 de


Janvier-Mars 1953.)

19
Le Cinémascope

L e film large de F iloteo A lb crin i, 1914 (g ra n d e u r nature).

LO DUCA : QUELQUES NOTES


Une bonne moitié de l ’Europe ciném atographique, d’Helsinki à Rome*
de B erlin à Paris, s’est trouvée réunie dans T « am éricanerie » architec­
turale qu’on nom m e Rex, La dém onstration du cinémascope (on voudrait
in tro d u ire la graphie « CinémaScope », avec ce goût dictatorial qui avait
réussi à imposer aux im prim eries allem andes une fusion spéciale pour les
deux lettres SS) attirait indiscutablem ent tous ceux qui sont soucieux de
l ’avenir du cinéma. Je sais bien qu’il est de bon ton de chercher cet avenir
dans des recettes techniques, mais le m oindre bon sens veut qu ’un « mauvais
film dem eurera tel, sur n’im porte quel écran et à travers toutes les dimensions
dont on se plaira de l’enrichir ».
Nous avons donc assisté à cette « grande nouveauté technique » et nous
devons en tirer quelques conclusions :
1°) Le cinémascope ne présente en aucune façon des images en relief.
P o u r la vérité, si la propagande orale a parlé de relief assez fréquem m ent,
la 20th C entury Fox n ’en a jam ais fait état. Les profondeurs de cham p,
obtenues p a r lentilles spéciales ou p a r éclairage soutenu des différents plans,
donnent ^Tne apparence de relief plus frappante.
2°) L’écran large ne doit pas être considéré comme une innovation destinée
à bouleverser les règles de « mise en page » du cinéma. Personne ne p ren drait
au sérieux le peintre qui « inventerait » de présenter un quinze m arine de
travers ! Ces dimensions, aussi extravagantes qu’elles soient, ne changent rien
à l ’affaire, à p art quelques effets qu’on p o u rrait rechercher dans des cadres
particuliers et où certains docum entaires p ou rraient trouver leur profit. Mais
ces effets seraient aussi saisissants sur un simple écran large (du type qu’on peut
voir souvent à Paris, au « P aris » et au « G aum ont Palace »), et combien
plus harm onieux !
Les inconvénients de cette énorm e bande en largeur sont trop consi­
dérables pour être escamotés sous prétexte de l’effet de surprise. Chacun sait
qu’il y a déjà u n léger décalage d’atten tion à la lecture d’u n sous-titre, p a r
rap p o rt à l’image qui se déroule en m êm e tem ps; qu’on im agine une scène
intim e de 22 m de large ! La dispersion d ’attention aux deux extrém ités
poussera sans doute les m etteurs en scène, si ce procédé a de l’avenir, à inventer
des caches qui lim iteront le champ et ram èneront l ’image au rapport 3/4.

20
Une des conséquences les plus im m édiates de l’adoption d’un tel écran’
est le ralentissem ent du rythm e qu’il exige. Seul un ralentissem ent du montage,
en effet, peut perm ettre de compenser la dispersion d ’attention provoquée
chez le spectateur à la recherche d ’un cham p visuel adapté à ses yeux. P ra ti­
quement, toute véritable intensité dram atique devrait être abolie à l ’avantage
d ’une surface qui n ’est qu’un décor, rarem ent essentiel aux fins du conte.
3°) La stéréophonie tellem ent vantée de ce procédé m ’a paru assez
norm ale, par rap p o rt à nos connaissances et à nos expériences actuelles.
J ’ajouterai même que la stéréophonie de W alt Disney (Fantasound, 1940)
était indiscutablem ent supérieure. De toute façon, il n ’y a ni nouveauté,
ni am élioration. E n un certain sens, il y a même régression, car le procédé
du D r F letcher et de ses collaborateurs perm ettait de m élanger h u it pistes
distinctes sur trois pistes sonores différentes. Dans Fantasound, il y avait
aussi possibilité de « compression » du volum e du son, avec « expansion »
à la projection. P o u r ce qui concerne la reproduction du son « en relief »,
Fantasound disposait de trois groupes de haut-parleurs derrière l ’écran et
d’autres plus petits distribués dans la salle; les groupes principaux com ptaient
36 unités; les haut-parleurs supplém entaires variaient selon l’am biance (le
Broadway T h eater de New-York avait 2 groupes de 22 haut-parleurs).
Le cinémascope présente aussi quelques défauts proprem ent dits, tels
le flou assez fréquent de ses images (j’ai reconnu avec difficulté Lauren Bacall
dans des fragm ents de H ow to marry a m illionnaire), la parution fréquente
à l’écran du schéma lenticulaire qui rend l’image du cinémascope striée verti­
calement, sans com pter de» détails qui peuvent être attribués à la projection.
Dans cette affaire du cinémascope, il y a aussi une chose qui m e frappe
désagréablem ent : le silence très curieux et très « b u reau de publicité » sur
l’ancêtre de l’expérience, à savoir Claude A utant-Lara, auteu r de Construire
un fe u , réalisé justem ent par ce procédé. On oublie aussi de rap peler que ces
effets « cinémascppiques » étaient déjà atteints, et parfois dépassés, dès 1900,
par le film large de Louis Lumière, p ar l’adm irable cinéram a de Grimoin-
Sanson (qui plongeait, à la lettre, le spectateur au centre d ’un panoram a
circulaire) et p ar le film large réalisé p a r Filoteo A lherini, « alter ego » de
Lum ière en Italie, ancêtres de Grandeur, Magnafilm, Natural Vision et autres
innom brables « dimensions » brevetées. Il fau t saluer en passant Abel Gance
et ses solutions efficaces et cohérentes d ’un trip le écran en largeur. L’astuce
géniale du Professeur Chrétien devient presqu’anecdotique dans l ’ensemble
de cette histoire, où film large et grand écran se confondent, d’autant plus
que le système lenticulaire qui perm et de « tasser » l ’image sur la pellicule
habituelle est désormais dans le domaine public.
Avec le « cinémascope » et les « 3 D », le cinéma reprend son rôle,
somme toute légitime, d ’attraction foraine, auquel le porte ta n t de penchants
de l’exploitation. C’est là d’ailleurs le côté positif de l’expérience : son
côté publicitaire. Toutes ces curiosités peuvent avoir l’avantage de secouer
les habitudes du public et de le ram ener pour un temps dans les salles
obscures. Si sous prétexte de stéréophonie ou d’écran large on réussit à
convaincre l’exploitant d’am éliorer son installation anti-diluvienne et à ren ou ­
veler la toile poussiéreuse qui lui sert habituellem ent d’écran, ce sera déjà
une victoire considérable pour le cinéma. Mais ne parlons pas, de grâce, d ’art
ciném atographique et d’horizons nouveaux.
Lo D uc a

21
Le Cinémascope

The R obe {La T u n iq u e ), p re m ie r film en ciném ascope, d 'H e n ry K oster.

FRANÇOIS TRUFFAUT : EN AVOIR PLEIN LA VUE


S’il eut été parm i nous ce m atin-là, notre regretté ami Jean George A uriol
n ’au rait pas été le moins enthousiaste, lui qui, toujours, s’asseyait au prem ier
rang de l’orchestre en disant « au cinéma, il faut en avoir plein la vue ».
Mot adm irable, adm irable exergue que justifie pleinem ent le Cinémas­
cope. À m esure que l ’on fréquente davantage les salles de cinéma, on
éprouve le besoin de se rapprocher de l ’écran pour pallier à Fhaïssable objec­
tivité critique que procure l ’habitude, faisant de nous des spectateurs blasés
donc de m auvais spectateurs.
Yoici que ce rapprochem ent à quoi certains se refusaient encore, vient
à nous de lui-m êm e, pulvérisant les limites arbitraires de l’écran et leu r
subtituant celles, quasi idéales, de la vision panoram ique.
L ’erreu r fu t grande de la p art des journalistes -— et il ne faut pas
chercher ailleurs les causes de la déception de quelques-uns •— de cen trer
la publicité du Cinémascope sur un effet de relief en réalité inexistant
et dont nous n ’aurions que faire. Avec l’écran large, le cinéma réinvente, et
pour son p ropre compte, le bas-relief, mode essentiel de la n arratio n en
sculpture, et comme lui, accorde à la « profondeur » la prim auté sur le
« relief » dont nous avons vu, avec les récents films à lunettes polaroïdes, q u ’il
va à l’encontre des objectifs recherchés n ’ayant rien d’autre à nous offrir
q u ’une vision du m onde naïvem ent monstrueuse et totalem ent irréaliste. La
tlièse d’A ndré Bazin selon quoi « l’écran est un cache » '(de m êm e que pour
J.-P. Sartre : « parler c’est passer les mots sous silence ») est toujours valable
avec le Cinémascope ; le cinéma demeiire une fenêtre sur le m onde m ais
l ’architecture m oderne n ’a-t«elle point supprim é la fenêtre, verticale, au
profit du m ûr-fenètre, baie-vitrée, de forme oblongue ? (Les buildings ; le
Corbusier ; la Corde, etc...) On peut rappeler ici que le cinéma est u n art
de la vue, que notre vision naturelle est panoram ique et que nos deux yeux,
sont l ’un à côté de l ’autre et non pas l ’un au-dessus de l’autre ; ils se co m ­
plètent dans l ’horizontal et ne se sont d’aucun secours l ’un l’autre dans la
vision verticale.

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Tous les problèmes que l’on se pose lorsque l’on réfléchit au Cinémas­
cope : la survivance des gros plans, l’efficacité de mouvements d ’appareils,
etc... se trouvent dissipés et to ut à la fois résolus devant le fait accompli.
Les gros plans de Victor M ature dans La T unique sont tou t à fa it convain­
cants : le flou est £ait autour des visages comme dans Notorious ; une longue
scène avec L aureen Baccal nous assure de la persistance du plan am éricain et
de son accroissement d’intérêt.
Toute œuvre est plus ou m oins l’histoire d’un hom m e qui m arche et l’on,
m archera beaucoup dans le Cinémascope.
Il est agréable de songer ici aux films que l’on aime et de constater que
l’appartem ent étiré en longueur de La Corde, les voitures d'Europe 51 et les
évolutions du Carrosse d ’Or gagneraient ici une fascination supplém entaire.
Il est certain, et les extraits présentés le prouvent, que les prem iers filins
en Cinémascope seront très médiocres. Comment le plus génial des directeurs
d’acteurs, le plus inventif des m etteurs en scène, pourraient-ils im proviser
le m oindre détail original sur un plateau où — se jo u an t l’argent de tout
Hollywood — il ne s’im pressionne pas dix mètres de pellicule que douze
messieurs en h u it reflets ne donnent leu r avis et ne refassent les comptes.
Il faudra attendre que le tournage d ’un film en Cinémascope soit un
acte aussi n atu rel que le tournage d ’un film plat et en noir, et que les m etteurs
en scène jouissent d’une égale liberté. Il faut adm ettre que si le Cinémascope
est une REVOLUTION commerciale, il est aussi une EVOLUTION esthétique.
Si l ’on convient que tout perfectionnem ent doit aller dans le sens de l’effi­
cacité p ar l ’accroissement de réalisme, le Cinémascope est un perfectionne­
m ent, le plus im portant depuis le parlant.
Nous entrons dans l’époque de la vision large. Nous retournerons au
cinéma et nous « en aurons plein la vue ».
F r a n ç o is T r u f f a u t .

JEAN-JOSË RICHER ET MICHEL DORSDAY :


DIMENSIONS ET PROPORTIONS

Les voies du progrès sont im pénétrables. E t qui saura jam ais dans ce
dom aine jouer à coup sûr les prophètes ? Toujours est-il que le scepticisme,
voire la défiance qui accueillaient le plus souvent les réalisations de la
science, à la fin du siècle d ernier encore, ont fait place, devant les « m iracles »
de la prem ière m oitié de celui-ci, à une adoration aveugle chez les uns, à une
adhésion de principe chez les autres plutôt dictée p ar la crainte de jouer
les dupes retardataires que p ar l’enthousiasme. Aussi bien la menace du ridicule
plane-t-elle plus que jam ais sur les pronostics réticents à l ’égard des joujoux
scientifiques de plus en plus perfectionnés qu’on nous offre, et préfère-t-on
sacrifier un sens critique trop souvent pris en défaut aux exigences incondi­
tionnelles d’une attitude « m oderniste ».
Ces considérations ne peuvent cependant nous em pêcher de penser que
le Cinémascope semble assez loin de nous faire faire ce décisif pas en avant
vers le cinéma total, le « cinéma de l’espace », qu’on attend toujours. E t
d’ailleurs la question ne semble pas, à priori, d ’être pour ou contre le Ciné­
mascope, mais de déterm iner dès m aintenant l'importance de cette décou­
verte, ses possibilités, ses limites et son éventuelle influence, — en d ’autres

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term es de discerner si l ’on a affaire à une curiosité de Concours Lépine, à une
révolution du cinéma ou à une bouée de saxivetage commerciale.
Du moins, avant toute autre considération, peut-on p o rter au crédit de
l ’invention du Professeur C hrétien son absence to tale de rapports avec les
procédés stéréoscopiques de toutes sortes que les firmes hollywoodiennes ont
cru devoir lancer (et relancer) sur le m arché au cours de la confuse et peu
convaincante offensive « 3 I) » qu’elles ont déclenchée pour ten ter de sortir
d’une impasse commerciale. Ces procédés, loin- d ’ap po rter un élém ent supplé­
m entaire de réalisme, comme l’a clamé une publicité basée sur u n désopilant
contre-sens, conviennent bien plu tô t aux fantasm agories du genre « Cabinet
des figures de cire », ou aux fantaisies poétiques d ’u n M ac Laren par
exemple.
Ici, point d ’autre relief que celui qui n aît des perspectives classiques de
l’image plate, — sim plem ent paraît-il accusé p ar l’am pleur panoram ique des
horizons sur lesquels se détachent plus vigoureusem ent les prem iers plans.
Ceci dit, il n ’y a pas de différence fondam entale entre l ’écran « m iracle »
du Cinémascope et l ’autre. Seules sont changées les dim ensions et les propor­
tions. Dans le prem ier tiers de la salle, où les conditions de vision, de « p arti­
cipation », sont p ou rtan t les plus favorables, où l’on pénètre véritablem ent
dans l ’univers ciném atographique, l’image ciném ascopique ne couvre pas
com plètem ent le champ de la vision du spectateur, laquelle, entre parenthèses,
n ’a jam ais été carrée ni rectangulaire, mais circulaire ou plutôt ovale. À moins
peut-être d ’être totalem ent « absorbé » p a r l ’image, au prem ier rang, le
spectateur est donc placé devant une fenêtre qui po u r être un peu plus la r­
gement ouverte que la traditionnelle, n ’en constitue pas m oins u n cadre à
l’in térieu r duquel ap paraît im fragm ent « isolé » de l’univers qui foisonne
auto u r de lui. Cinémascope ou pas, com m ent parvenir à oublier, à ignorer
que l’image est coupée p ar les contours de l’écran, que ce bras, ce pied ou ce
geste ne s’arrêten t pas brusquem ent dans le vide n oir qui les environne.
Le cache, à propos duquel A ndré Bazin a développé sa théorie, est une conven­
tion et le restera, tan t qu’on ne placera pas le spectateur à l’intérieu r même
de r univers ciném atographique pour lui en m ettre définitivem ent et totalem ent
« plein la vue ». E t sif en l'occurrence, cette convention, est sans doute moins
déroutante que ne le serait celle du m êm e écran placé verticalem ent par
exemple (susceptible, d’ailleurs, d’ouvrir le cham p à de cocasses exercices...),
il lui est impossible de se dép artir à nos yeux de son essentiel caractère
arbitraire. Il est bien évident que la vision hum aine est plus étendue dans le
sens latéral qu’en hauteur. Il n ’empêche que personnellem ent, nous avons
éprouvé une certaine gêne à voir l’image non pas « tassée », le m ot Gérait
tro p fort, m ais « arrêtée » au-dessus de la tête des protagonistes (dans la
vision naturelle, on a toujours le recours conscient ou non d ’u n rapide coup
d ’œ il vers îe haut po u r s’assurer de la présence du ciel, du plafond ou de la
n u it). D’ailleurs, plus loin de l ’écran ou se trouve, plus précisém ent doit se
confirm er cette im pression d’observer le m onde à travers u ne sorte de m eur­
trière horizontale sem blable à celles des blockhaus et des chars d’assaut par
lesquelles tiren t les m itrailleuses.
De toute m anière, si l’on n ’a aucune in ten tio n de décrier ici une prouesse
technique rem arquable susceptible, dans certaines conditions, d’un em ploi plein
d ’intérêt, on ne saurait accorder à l’événement le caractère de nécessité inhérent
à toute révolution profonde, telle que le fu t l’adjonction de la parole, p ar exem-

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pie, qui com blait une lacune, alors que l ’élargissem ent de» côtés de l ’image, q u i
peu t être parfois souhaitable (ainsi que l’aération qu’il entraîn e), peu t to u t
aussi bien conduire, dans certains cas, à un vain remplissage latéral de l’écran.
L ’on a voulu ici se réclam er du seul point de vue esthétique; c’est
pourquoi, u n e fois admis que la fenêtre subsiste, to ut se ramène-t-il à la
question de sa forme et de ses proportions, affaire subjective entre toutes-
et justiciable des goûts et du tem péram ent de chacun.
On peu t cependant se dem ander quel sort est exactem ent réservé à la
m ise en scène dans l’aventure cinémascopique. De deux choses l’une : ou,
comme d ’aucuns le prétendent, le Cinémascope constitue un progrès nécessaire
vers une vision du spectateur plus naturelle, plus libre, plus souhaitable en
même tem ps que plus rationnelle, et alors, il n ’v a pas de problèm e nouveau
de mise en scène, ,1e réalisateur bénéficiant seulem ent d ’une ouverture plus large
sur le m onde qu’il se contentera de dévoiler un peu plus, — où les proportions
et la form e de cet écran étant arbitraires (et moins équilibrées que celles
du cinéma actuel), le m etteur en scène devra m odifier ses m éthodes, ses
compositions, ses cadrages, en un m ot travailler pour le Cinémascope en
fonction de l’image qu’il im plique, et l ’on peut se dem ander si, cette fois,
l’art n aîtra de la contrainte. Peut-être sera-t-on amené à concevoir une mise
en scène « couchée », des images: lignes de force horizontales, com m e
semble d éjà le faire présager les quelques séquences de Negulesco et de
ICoster, l’un en allongeant ses héroïnes sur des chaises-longues, l’autre en
faisant tendre le bras le plus souvent possible aux acteurs dans les plans
rapprochés. Q uant au couronnem ent de la reine d’Angleterre, ses défilés
et ses cortèges o nt fourni, on s’en doute, la m atière prem ière rêvée pour l’écran
« m iracle ». Les gros plans enfin constitueront-ils sans doute un nouvel écueil, à
moins de les abandonner progressivement, de revenir aux caches à l’in té rie u r
de 1’écran chers à Griffith, ou de se résoudre à laisser diluer l’expression intim e
d’un visage dans les brum es latérales d ’un écran géant.
L’on a livré spontaném ent ces réflexions hâtives : il ne faudrait pas,
po ur autant, les confondre avec uii jugem ent définitif. Il faudra attendre, e t
surtout revoir.
Jean-José R i c h e r
M ic h e l D orsday,

B ande du C hrono Brevet Gaum oiit-


Dem ony, 1909- (Grandeur nature).

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Chris Marker

LETTRE DE HOLLYWOOD
Sur trois dimensions et une quatrième

Hollywood, ju illet 1953

Nous croyions que c’était Père atomique. Mais point. C’est l ’âge stéréos­
copique. Tout-à-l’heure, en passant sur Hollywood Boulevard, j’ai vu qu’u n
restaurant affichait des « 3-D Dinners ». Je me dem ande bien... Dans son
program m e de la Télévision, Bob H ope se chausse le nez de lunettes P olaro id
lorsqu’on lui présente une demoiselle au buste affirmatif, et le 3-D perm et un
nom bre indéfini de plaisanteries où se trouve m êlé le nom de Jane Russell.
Enfin, tout Los Angeles raconte l’histoire du m onsieur qui en tre dans un
3-D cinéma au m ilieu d ’une séance, et se trouve gêné p ar le dos considérable
d ’un personnage assis devant lui. « Ne pourriez-vous vous m ouvoir quelque
p eu » dit-il polim ent en lui frap p an t sur l’épauîe, « vous m e bouchez la vue »,
E t l ’autre : « Je peux pas, je suis dans le film. » Cette belle hu m eu r est
m éritoire dans une ville investie, ravagée p ar la famine, et qui attend au fond
avec anxiété les résultats de son arm e secrète pour savoir si elle survivra,
tandis que les antennes de TY, perchées stir les toits comme des vautours,
attestent la menace, et la promesse de la curée.
Yiïîe m orte. Il se to u rn e en ce m om ent vingt-six films sur Hollywood (y
com pris les co-productions et les films réalisés à l’étranger). Les studios W arner
ont fermé. MGM p ro d u it deux films, 20th Century Fox deux égalem ent,
P aram o un t un, RICO un. Le chômage dans l’ensemble de l’industrie est estim é
à 80 récupéré ên faible partie p ar la télévision (qui porte ainsi le com ble
à ses m aux en s’en m o n tran t le rem ède). Pourtant, autant qu’on puisse le
savoir, il semble que la désertion des salles avait atteint son... plancher, et
qu’on pouvait espérer, après les lunes de m iel du public et de la télévision,
u n e bénéfique saturation suivie de reflux. Mais Hollywood n ’a pas voulu, ou
pas pu, attendre, en face des chiffres : sur 23.344 cinémas aux Etats-Unis,
5.033 ont fermé depuis la fin de la guerre, et selon une progression accélérée qui
perm et de craindre pour la fin de cette année un chiffre double. B ien q u ’ils
T ecourent m aintenant autom atiquem ent à des industries de com pensation telles
que la vente intensive des confiseries, 33 % des cinémas ordinaires et 28 %
des drive-ins (cinémas p o u r autos) ont perdu de l ’argent en 1952 (ce qui prouve,
en passant, qu’en d épit de ce qu’on laissait entendre, 28 % au m oins des
couples fréquentant les drive-ins faisaient attention an film). Enfin, le C ouncil
of M otion Picture Organizations nous a mis sous le nez cette équation la p i­
daire : lorsque la vente des postes de télévision m onte de 2 %, le chiffre
•d’a/ïaires des cinémas baisse de 1 %.
Sur quoi il se trotive ici comme p artout des gens p o u r vous dire d ’un
a ir mauvais : « Si seulem ent Hollywood com prenait qu’il faut faire de bons
filins... » L ’argum ent m e p araît faible, car le dernier film de série B sem ble
du Bresson à côté de l ’alim ent m oyen du téléspectateur. A tout prendre, il est
peut-être encore préférable que Hollywood ait engagé la bataille sur le terrain
de la forme plu tô t que sur celui du contenu. La sottise et la paresse des
program m es de télévision am éricaine sont incom m ensurables, pour ne rien
dire d ’une image en tapioca, ni des ravages psychologiques de ce m onstre
sournois qui ram ène les apparences de Vintimité en en détruisant l’essentiel.
Bref, Hollywood a décidé qu’à défaut de raisonnable il fallait du neuf, et
que le neuf c’était le relief. E t puisqu’il s’agissait de chiffres, les chiffres
sem blent dire que Hollywood n ’avait pas tort. E n ses trois prem iers jours
d’exclusivité à New-York, House of Wax, le grand cheval de la W arner, a
Tamassé 75.000 dollars — 26 m illions de francs et quart. E t depuis, de chaque
nouvelle ville où il apparaît, le 3-D envoie ses bulletins de victoire.
S’ensuit une levée en masse de nouveautés. Lorsque la technique n’en
fournit plus, on sollicite le vocabulaire. Tel cinéma qui a rem placé son écran
par un plus neuf en profite pour suggérer, p a r le term e d ’ « écran m agique »
ou de « dernier cri de la projection » que ce r em eublem ent a quelque chose
à voir avec le 3-D. Ou ressort les anaglyphes de 1935 en les présentant comme
u n perfectionnem ent. On compose des programmes avec 10 m inutes de 3-D
et deux features à bon m arché, de telle façon que les affiches laissent penser
que le program m e entier est en relief (un de ces films est généralement une
histoire de jungle, afin de créer une assimilation de la m ém oire avec Bwana
Devil, etc.). P arm i les procédés réellem ent neufs, Natural Vision et Paravzsion
soulignent qu’ils détiennent le véritable relief, tandis que le Cinémascope
en tien t pour le relief psychologique, et se flatte de, lui, se passer de lunettes.
Il y a encore l’Audioscope, le Tri-opticon, le Polaram a, le Trioram a. E t au
sommet, le Cinérama, qui continue d’avoir ses places louées trois semaines à
l’avance, et qui vient de p lanter son fanion à Hollywood même. (On a ’m erait
bien savoir ce que devient dans tou t cela le procédé d ’un au tre Français,
Sinibaldi, qu’on nous avait annoncé voici deux ou trois ans comme îa grande
m erveille). Bien entendu, les plus astucieux des exploitants utilisent dialec­
tiquem ent ce tin tam arre pour faire ressortir à leu r to u r les filins plats.
A lbert Margolies, distributeur, a jugé le m om ent opportun pour ressortir un
film m uet : T he Freshman, avec H arold Lïoyd (1925). E t il le présente en ces
term es : Ce film révolutionnaire renvoie acteurs et spectateurs à leurs places, les
uns sur l ’écran et les autres sur leurs sièges. Des savants, utilisant les dernières
méthodes de calibration, ont déclaré que Vécran du cinéma « Paris » était
particulièrement bien adapte à la projection de ce film . E n présence du
problème de découvrir un écran qui ne soit pas plus convexe que concave
et réciproquement, les hommes de science se sont aperçus par des tests que
Vécran du « Paris », étant tout p la t, se prêtait parfaitem ent au 2-D, procédé
utilisé dans « T he Freshman ». Cela veut dire q u i l ne sera pas nécessaire de
reconstruire la salle, Cela veut dire qu’il n ’y aura pas de lions sur vos
genoux, de haut-parleurs dans les coins, à Vintérieur des chandeliers, sous
votre siège ou dans» les lavabos... Vous pourrez jouir d u film confortable­
ment;, en sécurité... Et, incidem m ent : c’est un bon film . »
On ne saurait en dire autant des prem iers films du nouvel âge qui nous
sont passés devant la lunette. On s’étonne m êm e que, dans cette ville où tout
est possible, personne ne se soit avisé qu’il p ou rrait être drôle de faire un
bon film en 3-D le risque n ’était pas grand ; le succès, dû à la nouveauté du

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procédé, assuré; le public venait pour chausser des lunettes et voir des gens
d'ans l’espace, le reste ne com ptait guère, on pouvait to u t se perm ettre, même
une histoire, u n dialogue, que sais-je, même du talent, personne n ’au rait
tiqué. Mais sans doute les gens de talent se méfient-ils, et laissent-ils essuyer
les plâtres p ar d ’autres. Il est frap pan t de voir la désertion actuelle de
Hollywood par les m etteurs en scène de prem ière grandeur, et sym bolique
que les deux seuls hommes im portants en activité, Zinnem an et H us ton, soient
précisém ent en tra in de tourner hors du pays, l’un à H aw aï et l’autre à Londres.
A ucun réalisateur de quelqxie im portance ne s’est encore compromis avec le
relief. Seule exception : Hathaway, qui va dirig er pour la 20 tli Century
Fox Prince Valiant en Cinémascope, Mais depuis Niagara, nous savons
qu’H athaw ay a pris le parti de se m oquer du m onde, et qu’il le fait avec
beaucoup de talent.
A défaut d’hom m e de génie, c’est à A ndré de T o th (1) qu’est revenu
l’honn eur de p orter le prem ier coup aux films plats, avec House of Wax.
Chronologiquem ent, la priorité appartenait à A rch O boler et à cette chose que
vous avez vu à Paris, et qui s’appelle Bwana Devil. E n dépit de (ou plutôt,
si l ’on y mesure le temps gagné, et conséquem m ent l ’argent, grâce à) son
grandiose m épris des incidences .photographiques du nouveau procédé,.
Bw ana Devil a été une bonne affaire. Mais l’événem ent, le C hanteur de
Jazz de l’âge stéréoscopique, c’est House of W ax, A vant de ferm er ses
portes, la W arner a soigneusement concerté son jeu, et to u t mis de son
côté : technique satisfaisante, compagne de publicité terrifique, et parfaite
adéquation du sujet. L’idée d’aller déterrer un classique de l’horreur,
le Cabinet des Figures de Cire, n ’est anachronique qu’en apparence.
L’h o rreu r est ce qui se porte le plus aux Etats-Unis en ce m om ent. Cela se
juge dans n ’im porte quel rayon de magazines, en, p ano ram iq uan t devant ces
radiogram m es de l’inconscient am éricain que sont les comic hooks. Ils ont
bien changé depuis notre jeune temps : Lil’l Abner, Dick Tracy, Dagwood et
Blondie sont repliés dans les coins, T erry et Steve Canyon sont mobilisés
en Corée, il y a le contingent habituel d’histoires d’am our à vous recoudre
le cœur, mais la grande vente, celle qui s’étale sur deux étagères au m oins,
est celle des histoires de terreur, de» cauchem ars, de morts-vivants, où les
couvertures et les scénarios renchérissent dans le seul dom aine où nulle censure
ne croit devoir intervenir. On peut se dem ander ce qui se passe dans l’esprit
dix lecteur (et je ne pense pas seulement aux enfants : l’adulte frustré est
beaucoup plus dangereux) que l’on rencontre à chaque station d ’autobus, .à
chaque restaurant, m éditant devant le gros plan d’un visage d’hom m e enterré
jusqu’aux yeux et cerné par d’énormes fourmis rouges, ou d’un zombie aux
chairs dégoulinantes qui tend ses griffes vers un e fille hurleuse. Ce sont des
dizaines de visages déformés p ar la peur, scalpés, aveuglés, torturés. (Et on ne
s’étonne plus de trouver, dans l’une de ces publications, un e série anthologique
des moyens de torture à travers les âges, avec dessins fort précis). La clef
en est peut-être justem ent dans cette peur, et cette nécessité de la fixer. E t
pour com prendre son apparition en ce m om ent p articulier, il suffit de des­
cendre d’une étagère, et de retrouver les mêmes visages tourm entés, convulsés,
sur les couvertures des War comics, consacrés en partie à la guerre de Corée,

(1) A noter que André de Toth qui est borgne est le seul homme de Hollywood
à qui soit interdite la perception du relief stéréoscopique.

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Jo s e p h Turkall, Colcen M iller, Irèn e A n d crs d a n s Mon Crazij, d ’Irving L crn er.

en p artie à la « prochaine guerre m ondiale » (avec l’avertissem ent d ’usage,


comme dans le fameux num éro spécial de C olliers : c’est en nous y p ré­
p aran t que nous l’éviterons,..). La chose la plus frappante est que ces têtes
de m onstre ne sont pas prêtées uniquem ent à l’ennemi. Combat Casey est le
héros am éricain 1953 : il a certainem ent la touche du Prussien à barbe rousse
des caricatures de la guerre de 14, il em broche le chinois avec un grand
rire barbare, essuie le sang sur sa baïonnette d ’u n air- hagard, et en coince
la lam e entre ses mâchoires de prim ate lorsqu’il repart en patrouille. Car
d.ans l ’im agerie am éricaine d ’aujourd’hui, l’hom m e au couteau entre les dents,
c’est le G. I.
Je pense que cela compose un tableau cohérent du clim at dans lequel
tom be House of Wax. E t si timides que soient les outrances de l’écran à côté
de celles de l’im prim é ou de l’im agination, on n ’en pouvait rêver de plus appro­
priées. Certes, on en a pour son argent : bagarre au m ilieu d ’un incendie, lente
défiguration des m annequins fondants, m orts qui se relèvent dans la morgue,
strangulations de l’hom m e noir, génie m alfaisant, géant idiot, et autres sur­
prises que vous avez vues. Depuis des semaines, de petits stéréoscopes en
boîtes, suspendus à la porte des cinémas, donnaient au public u n avant-
goût des scènes les plus sanguinolentes du film. La grande prem ière a eu lieu
à m inuit, à Hollywood et à Los Angeles, avec des projecteurs verdâtres qui
décom posaient d ’avance le spectateur.^ A une heure et demie du m atin,
nous rentrions tous chez nous, cherchant vaguem ent de l’ectoplasme sous la
descente de lit, en nous dem andant si nous avions vécu une soirée historique.
Le sadisme avait en sa part. E t le cinéma ?
E h bien, il fau t reconnaître que c’est du travail soigné, à peu près sans
faute. P lus d’effets de gigantisme et de distortions à la Bwana Devil, une

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définition satisfaisante, un procédé de couleur efficace (W arnercolor). T out cela:
aurait pu n ’être pas négligeable. Mais il s’agissait de rem porter une vic­
toire totale, et p ar conséquent, selon une tactique éprouvée à Hollywood, de
frap p er au niveau le plus beau. Le scénario s’adressait au sadisme du spec­
tateur, la réalisation s’adresse à sa bêtise.
Car on ne saurait com parer le spectateur d’avant-le-relief, et celui d’après-
le-relief, au spectateur d’avant ét d ’aprcs le son, et moins encore à celui d’avant
et d ’après le cinéma lui-même. La simple vue des images bougeantes sur u n
écran pouvait longtemps se suffire et émerveiller. Les entendre parler appor­
ta it to ut de même un sacré bouleversem ent. Les voir à trois dimensions... Là„
l ’am plitude est beaucoup plus faible, puisque n otre esprit reconstruit de lui-
même le relief, et qu’au m ieux le 3-D le soulage d’une opération constante-
plutôt qu’il ne lui apporte une révélation. Il suffit de ferm er un œil sous la
lunette polaroïd pour s’en persuader. Le relief en lui-mêinè n ’est rien, il est
beaucoup moins que le son, m oins que la couleur. Il ne peut commencer-
à être que par l’usage qu’on en fait. H sera esthétique ou ne sera pas (mais,
pour l’instant, il est plutôt convulsif). E t le seul problèm e sera de donner le
sentim ent de l’espace, de jou er dé l ’espace. P o u r donner le sentim ent d’un
vase de fleürs, il y a deux procédés : m ettre en valeur ses formes et ses couleurs,-
par des moyens esthétiques — ou bien vous le casser sur la tête.
Sans hésiter, de T o th est allé d ro it au plus facile. E t la fonction fonda­
m entale du 3-D, po u r l’instant, semble être de flanquer à travers la figure
du spectateur la plus grande variété d’objets. C’est un jeu de massacre à
l’envers. Dans House of W ax, on attrape ainsi successivement plusieurs m an ne­
quins, un m ort, une hallebarde, des balles sur une raquette (héritées d’un numéro-*
des anaglyphes, et qui n ’ont rien à faire dans cette histoire), un squelette,
des coups de poing, le pied des danseuses du Con-Con, des meubles... Est-il
utile dé dire qu’on se lasse plus vite de cette surprise à répétition que de-
tout le reste, et qu’en fin de com pte c’est là où l’efficacité n’est pas cherchée,,
qu’elle opère ? Reconnaissons un effet qui porte, lorsque la surprisé opère-
cette fois d’avant en arrière, et qu’un personnage apparaît sans crier gare-
en prem ier plan, en se levant de dessous le cadre : là, il se lève réellem ent
devant vous, et vous sursautez. Mais on s’y fera aussi. Alors que des deux
films en 3-D présentés à ce jour, le seul instant prom etteur pour l’avenir-
du procédé est un plan de Man in the D ark (où on prend dans la figure u n
oiseau, un pot de fleur, un chariot de montagnes russes et plusieurs détectives...)
où il ne se passe rien : une femme m arche dans la rue, elle sort d’un m agasin
et porte deux paquets. E t soudain, p rem ier repos dans ce passage à tabac-
d ’images, on s’aperçoit qu’oh sent le m u r éloigné d’elle, qu’on sent le volume-
des paquets, qu’on sent le modelé de son visage et de ses épaules. Cela ne d ure
pas, deux m inutes après ils sont encore à se lan cer des choses à la tête, mais,
nous avons eu, enfin, le sentim ent de l ’espace, et nous savons que ce p o u rra
être une valeur ciném atographique, lorsque les réalisateurs auront fini de jouer-
à se faire peur.
E t après tout, ce sentim ent de l’espace, il est bien dans la logique des-
choses. Sous sa confiscation et sa caricature actuelle, le relief n ’est-il pas
l ’aboutissement de notre très chère profondeur de champ ? Les recherches
du côté de la mise en scène en profondeur n ’exprimaient-elles pas cette-
im patience, et ce trou blant phénom ène p ar lequel des créateurs qui croient
poursuivre un b u t particulier p articip ent de la respiration et du développe-

30
C h ristin e W h itc et N eville B ra n d d a n s Mail Crazy, d ’I rv ia g Lei'ncr.

m ent collectif d’un art, obéissent aux lois qu’ils s'im aginent inventer ?
Citizen Kane sera-t-il au 3-D ce que la Passion de Jeanne d 9Arc était au film
sonore — le couronnem ent de toutes les techniques présentes, et l’im patience
de ïa suivante ? P eu im porte alors que ce soit p ar tel ou tel procédé que la
m étam orphose s’effectue, si elle doit se faire* Je n ’ai guère confiance, dans
les lunettes, p a r une sorte de préjugé, il faut bien le dire, réactionnaire : ce
serait la prem ière fois qu’une form e d ’art a pour prem ière condition de se
m ettre u n corps étranger sur le nez. Mais comptons sur la science pour
résoudre ce problèm e, fût-ce en créant des bébés aux yeux naturellem ent
polarisés. Il y en aura bien d’autres, à commencer p a r la dim ension des écrans
et la disposition des salles. Dans l’état des choses, le spectateur placé près de
l’écran perd considérablem ent de la définition, et participe à un m onde
gazeux — placé loin, l’écran lui app araît comme une espèce d ’aquarium d ’où
s’échappent de temps à autre des fusées qui viennent se perdre dans le
no m a n s land. Car le film à deux dimensions a ses limites, celles de l’écran,
reconnues et admises. Mais la troisièm e dimension n’a pas de lim ite. Pas
de cadre en avant ni en arrière. P o u r la prem ière fois, dans un m oyen de
représentation, l ’infini fait son apparition. La balle de tennis qui échappe
à ses deux seules destinations possibles : être avalée par le bord inférieur
de l ’écran, ou vous arriver dans l ’œil, se perd, cesse d ’être. Un m onde à trois
dimensions sans rien de tactile est un m onde de fantômes, nous y sommes
aussi étrangers que les m orts de Sartre, plus étrangers que dans le monde,
admis, des images plates. Nous adm ettrons sans doute un jo u r le réalisme
du relief, niais il fau t toujours un temps d ’incubation. Le réalisme ne va pas
forcément de pair avec le perfectionnem ent de la représentation. Il ne vient
pas de l’im itation de la réalité, m ais de la référence à une représentation

31
adm ise de ladite. Le côté « actualités » des films italiens l’illustre assez
.bien, et il n ’est que de penser à un film comme T he Quiet One, où le fait d’être
agrandi de 16 en 35 et de présenter en conséquence u n grain plus apparent,
•assimilait l ’im age à la photo de journal, et tira it précisém ent de son im per­
fection technique un surcroît de crédibilité. C’est peut-être pourquoi chaque
progrès technique s’accompagne d’abord d’u n recul esthétique.
Mais les choses vont vite, dans la vie du ciném a, et les m arges s’y recou­
pent. Tandis qu’en dépit de ses prétentions le 3-D to u rn e le dos au réalisme,
le film p lat arrive enfin à s’y établir comme en son dom aine privilégié. D ernier
bastion, le film am éricain lui-même y passe. E t l’événem ent de ce dernier
m ois p o u rrait bien être, en dépit de House of Wax et de ses trom pettes en
relief, la présentation discrète de Man Crazy, d ’Irving Lerner. « Moi, j ’ai
trouvé une quatrièm e dimension : j ’ai une histoire » fait dire à u n p ro ­
d u cte u r la dernière anecdote à succès. Lërner- n ’avait que deux dimensions,
m ais il avait une histoire.
Voici quelques années, dans une petite ville am éricaine, u n docteur
so rtit le soir, laissant sa maison à trois baby-sitters (jeunes filles qui se louent
p o u r garder les enfants pendant l’absence des p aren ts), lycéennes de 16 à
18 ans. L ui p arti, elles décident de jo u er à se costum er, e t au cours de leurs
fouilles découvrent une bôîte contenant 17.000 dollars. Du coup l’on se
désintéresse du baby à sitter et l’on s’en va m ener une débauche sans
fantaisie à New-York en s’offrant de jolips robes, des nightclubs pour avoir
l ’occasion de les m ettre et des garçons pour avoir l ’occasion de les ôter.
M ais l’h ô tel est pris de soupçons, un des galants s’enfuit avec la clef d u
coffre public où les tounettes avaient déposé l’argent, la police arrête to u t le
m onde, et le plus attrapé est le m alheureux docteur, qui n ’avait pas porté
plainte. Cet argent provenait principalem ent d ’avortem ents, et il le cachait
p o u r le soustraire au fisc. Scandale. Suicide du docteur et em prisonnem ent
<ies petites filles, coupables d’avoir cru ce qu’on leu r d it tous les jours sous
différentes formes : que l’argent est la clef de to u t, et que s’il est m éri­
to ire de ramasser une épingle tombée, il l ’est d ’au tan t plus de ramasser
17.000 dollars lorsqu’on bute dedans.
P h ilip p e Y ordan et Sidney H arm on se sont inspirés de ce fa it divers p o u r
écrire M an Crazy, qu’ils ont financé eux-mêmes po u r pouvoir le traiter sans
concessions, et dont ils ont confié la réalisation à Irving Lerner. L erner est
u n hom m e du docum entaire. I l a été le cam éram an de F lah erty pour T h e
Land, le m onteur de Van Dyke p o u r Valley Toiva. Il a fait, pendant la
guerre, en compagnie de R obert R iskin et de P liillip Dunne, de YO. W. I.
Overseas B ranch un des m eilleurs centres de p roduction de courts métrages.
On lu i doit A Place to Live (1941), le film sur Toscanini et l ’hym ne des
N ations à la fin de la guerre, et l ’adroit et ironique Muscle Beach. Il cher­
ch ait l’occasion de traiter un e « histoire » en docum entariste, lorsqu’on lu i
proposa de to u rn er Man Crazy. Avec des moyens réduits (moins de 200.000 dol­
la rs), en 16 jours de tournage (11 pour l ’essentiel de l’action, 5 pour le reste,
y com pris u ne très belle « présentation de Hollywood » en p u r ciné-œil), tout
en décors naturels (une quarantaine de lieux différents) et en utilisan t un
seul acteur expérim enté parm i des débutants ou des am ateurs, aidé p ar la
virtuosité de Floyd Crosby, vétéran lui aussi du docum entaire, mais dont
l’éblouissante ren trée dans H igh Noon a fait le cam eram an le plus dem andé de
Hollywood (c’est lui qui a dirigé la photographie de M an in the Dark...),
Irving L erner qui se trouvait dans les conditions mêmes du « néo-réalism e »
en a tiré un film qui m érite toutes les vertus attachées généralem ent à cette
étiquette.
Bien sûr, il ne suffit pas de to u rn er eu dehors des studios pour être
réaliste» et Jules Dassin nous a prouvé qu’on pouvait p arfaitem ent faire de
l ’expressionnisme en décors réels. Mais ici l’utilisation du vrai drugstore, des
vrais appartem ents et des vraies rues de Hollywood s’inscrivait dans un parti-
pris autrem ent décisif. La clef en éta it la lib erté totale laissée au réalisateur :
de to u t ce que j ’ai vu de films am éricains ces temps-ci, se dégage l ’im pres­
sion d’œuvres am phibies, où le film conçu p a r le réalisateur se m élange au!
film conçu p a r le pro ducteur et aux retouches apportées p a r différentes p er­
sonnes physiques ou morales, chacun de ces films dom inant les autres p o u r
u n m om ent avant de retom ber dans la mêlée. L ilian Ross nous a éclairés là-
dessus avec son histoire de R e d Badge of Courage. Cette différence éclate dans
la caractérisation des personnages. Je ne dirai pas que les acteurs de .Man
Crazy sont « m eilleurs » que ceux des filins am éricains habituels : il n ’y en
a pas de m eilleurs. E t qu’ils soient des acteurs de second p lan renforce
plutôt leu r crédit. C’est une loi, qu ’à Hollywood il n’existe pas de mauvais
seconds rôles. La m édiocrité est u n privilège des vedettes. D ’ailleurs, pour
une Lana T u rn e r ou une M arilyn M onroe, la grande m ajorité des stars est
composée d ’extraordinaires bêtes de ciném a qui font corps avec leu r per­
sonnage à ce point qu’après une habitude prise de films am éricains, et étant
entré p ar je ne sais quelle sehnsucht dans u n cinéma où l ’on donnait Justice
est Faite, je suis resté béant devant le nom bre de ces messieurs et de ces
dames qui récitaient leur rôle. Mais cette élite d’acteurs ne peu t rien contre
tous les tabous qui m inent leurs personnages de l’intérieur, e t leu r infligent
de tels soubresauts psychologiques q u ’à la fin la statue s’écroule. Ce. qui frappe
dans M an Crazy, c’est la parfaite conform ité de ce que disent et font les
personnages avec ce qu’ils sont, socialem ent et physiquem ent. Sans doute
vaut-il m ieux ne point trop décortiquer ce film avant sa sortie en France,
que nous souhaitons. Mais je crois que l ’on se souviendra longtem ps de cette
étonnante poignée de gosses : Colîeen M iller, Irèn e Anders avec sa sensua­
lité veule, Joseph Turkal, sorte de G érard P hilipe m échant. Neville B rand
qui apporte dans cette histoire l ’accent de la santé, sans jam ais to u rn er au
redresseur de torts. E t dans le rôle d u pharm acien volé, l’acteur Jo h n Brown.
E t plus que toute autre, C hristine W hite... — q u i sont aux teenagers d ’Am é­
rique ce que les enfants de Sciusda étaien t à ceux d’Italie.
E t c’est là que le film court un danger. Dès qu’on parle de réalisme, nous
nous attendons plus ou m oins consciem m ent à voir des gens qui se com por­
ten t comme des Italiens. T out ce que la réalité am éricaine renferm e de super­
ficiel, d ’inachevé, de paresseux risque d ’être porté au com pte du film dans
l ’exacte m esure où il lui sera plus fidèle. I l n ’est pas exclu que l ’A m érique elle-
m êm e refuse de se reconnaître dans ce m iro ir trop _ plat. Ce m anque de
style, d ’accent, qui em pêche la p lu p art des adolescents am éricains d’avoir
l ’éclat de leur vitalité, fa it p artie de l ’ascèse du constat. Un peu plus de
folie dans l ’em ploi que les trois filles font de leu r finance re n d ra it peut-
être ce passage plus « agréable » m ais tra h ira it la vérité, e t m êm e' la vrai­
semblance, de leu r enthousiasm e frigide. Il est rem arquable que, p o u r ne pas
désespérer de leurs personnages, p o u r garder du m oins du fond de cette
anecdote un élan vers la vie, deux sous d ’espoir, les auteurs ont été obligé

33
3
d ’inventer, d’ajouter t in rôle, de laisser à la fin (et d ’u ne façon trop h ab ile
p o u r que je la dévoile) une chance à la pureté. L a réalité ne laissait aucun
espoir, elle était sim plem ent sordide. Je ne pense pas que Y ordan et H arm on
soient moins . honnêtes, et L erner moins « réaliste », en ayant ainsi refusé
de faire du naturalism e un alibi à la contagion du désespoir.
G’est que dans le réalisme, l’am our de la vie jo u e u n aussi grand rôle
que sa représentation. En' m êm e temps que le choix d ’u n langage, il est une
attitu d e de l ’esprit, une volonté. Cette volonté précisém ent qui m anque à
Hollywood, au m ilieu du concours des moyens les plus p ro p re s à lu i donner
un e expression, au prem ier signe. Une p atiente et géniale investigation de
tous les moyens de représentation de la réalité, depuis les incendies de fo rêt
ju sq u ’aux incertitudes du cœur, est en ch antier depuis des années dans cette
grande raffinerie, sous des prétextes m oins ascétiques. De là vient qu’il
n ’est presque pas de film de Hollywood, si b ête ou odieux qu’il paraisse,
où ne vous frappé au passage une trouvaille, un nouveau m atériau à soigneu­
sem ent enregistrer po u r un jo u r en faire un m eilleur usage. Le b ru it du coup
de corne qui cloue José Greco à la barrera-, dans cette grosse m achine p ré te n ­
tieuse qu’est Sombrero, vaut à lui seul quatre-vingt deux m inutes d’exaspéra­
tion. E t faute de trouver assez d’alim ents à sa faculté de traduction, Hollywood
en est arrivé u n jour, comme Je renard de L ili qui po ur offrir une fo u rru re
engage la sienne, à se déchirer soi-même, à faire ad m irer son style de dissec­
tion sur son propre cadavre, et ç’a été Sunset Boulevard.
Si l’opération 3-D devait ne pas réussir, où si elle condam nait le ciném a
à s’enfoncer de plus en plus dans le genre H ouse o f Wax, si Hollywood éta it
réellem ent condam né à m ort, il serait m oral de voir cette extinction coïncider
avec tous les signes d’une floraison promise. L’existence de Man Crazy, celle
de Sait of the Earth, le film sur les m ineurs entrepris avec l’appui du C.I.O.
m ais saboté p a r la brigade antirouge et peut-être term iné m algré to u t au
M exique, les œuvres de W yler, de W ilder, de George Stevens (qui nous donne
en ce m om ent, avec Shane qui m ériterait à lu i seul un article, le p rem ier
w estern , réaliste), tém oignent d’une incroyable possibilité de grand cinéma.
U ne théorie qui a cours ic i veut que si la télévision est victorieuse, ta n t m ieux :
la TV deviendra le mas s m édium , et le ciném a relaiera le th éâtre dans iui
secteur de divertissem ent plus élevé. O utre que le p rix d ’u n film le fa it m al
concevoir autrem ent que su r une base de succès populaire, il y a dans cette
notion des « masses » joyeusem ent abandonnées aux jeux du cirque p en dan t
que l ’élite se tape la cloche du cinéma p u r, quelque chose de fort déplaisant.
Q uoiqu’il en soit, ce sont les m ois'à venir qui vont nous dire si Hollywood, qui
ne fa it pas lè m eilleur cinéma du m onde, aura été . du m oins l ’en d ro it du
m onde où le m eilleur cinéma était possible, m ais rien que cela — et si
l’A m érique est décidém ent la terre des richesses gaspillées et des espoirs
déçus.

- Ch r is M arker

34
Jean-Jacques Kim

LES D E S S I N S A N I M É S
EN RELIEF
OU

U invention d ’un nouvel espace

Nos lecteurs verront sans doute que certains des problèmes posés par
Chris M arker dans sa « Lettre d ’H ollyw ood » au su jet du relief débouchent
directem ent sur ceux évoqués ici par Jean-Jacques K im , d ’où la place de cet
article dans la composition de ce numéro. (N.D.L.ït.)

L a photographie et le cinéma ont doté n o tre œil d’une seconde n atu re


et l’ont h abitué à reconnaître le geste dans la vision plate. C’est pourquoi,
au lieu de nous sem bler plus naturelle, la vision d’u n film- en relief nous
oblige à un e nouvelle transposition qui nous in tro d u it d ’em blée dans le
m onde d ’une nouvelle dim ension où nous nous trouvons provisoirem ent
désorientés.
Mac L aren a p arfaitem ent com pris à quelle gym nastique notre œ il allait
être soumis. Dans ses dessins animés il ne cherche pas à nous restituer le
réel, m ais il se sert tou t sim plem ent d u relief en magicien, créant un autre
univers, u n univers jam ais vu, u n univers non représentatif.

35
Qu’on nous présente les bords de: la Tam ise où un savant conférencier,
aussitôt notre im agination, à l’occasion du faux-relief cinégràphique, reproduit
u n m onde qui nous est fam ilier et nous croyons à la proxim ité ou à l ’éloi-
gnemeni. C’est de proxim ité et d’éloignem ent qu’il s’agit et le relief reste
extérieur à nos actes. La m eilleure preuve de cette extériorité est cette m inute
d ’adaptation nécessaire au débu t de chaque projection, m inute p en d an t
laquelle se pro d u it une im pression étrange q u i donne son caractère aux des­
sins animés en relief de Mac L arèn : car dans ses œuvres nous sommes
com plètem ent dépaysés et nous n e risquons pas cette assim ilation consentie
aux paysages et aux personnages.

Nous restons spectateurs en, face d ’u n tab leau à plusieurs plans, d’une
œuvre qui tien t le m ilieu entre le rêve et la géom étrie pure, semblable à ces
dioramas, tableaux ou hoîtes magiques que nous regardons se m ouvoir à
travers m ie vitre, à ces boules de verre où tom be inlassablem ent sur u n
village baigné de liquide une neige insaisissable.

Les mouvements du personnage-arabesque qui se catapulte dans u n


m ilieu intouchable nous entraînent sans ém otion dans un. m onde d u m o u ­
vem ent et de la dimension pure. .

L’espace du dessin anim é en relief ne ressem ble pas à notre espace


fam ilier. Dans la vie courante je saisis LE m ouvem ent en exécutant U N
mouvement. Je sais de quelle pro fo nd eu r est constitué m on entourage en y
essayant u n pas ou une danse, je m esure la profondeur d’une rivière en
y plongeant la m ain ou le corps to u t entier. {Comme je pourrais le faire au
bord de la Tamise or. dans le b u reau d u conférencier.) A u contraire l’espace
du dessin animé en relief est u n espace dans lequel je n ’agis pas, une sorte
d ’espace négatif sem blable à l ’Etre-N on de la m étaphysique chinoise. Je
sens que je n e peux pas aller y m ettre les m ains, q u ’il n ’y a pas de v itre
à casser p o u r « en trer dedans ». C’est u n univers dans lequel tout m ouvem ent
devient dilatation et contraction, m utatio n de forces inhum aines, assez sem ­
blables en cela aux dimensions évasives de nos rêves où nous sentons dix fois
plus — ou dix fois moins -—: de tem ps q u ’il ne nous en fau t réellem ent p o u r
tom ber d’un to it ou gravir les degrés d’un p erro n inaccessible.

Nous sommes dans le cinéma p u r où il n ’y a que du mouvement, u n


m ouvem ent privé> je le répète, de références à n o tre action quotidienne.

Si les ballets abstraits de Mac L aren sont au fém inin ou au m asculin,


le spectateur n ’entre jamais dans le bal. L’espace du film en relief ne déborde
pas derrière lui. La troisièm e dim ension n ’est pas la sienne. C’est une dem i-
troisième-dimension qui n ’a rien de com m un avec la nôtre. Une troisièm e
dim ension qu i n ’est jam ais celle de la salle obscure ou du fauteuil. Celle
de nos jam bes engourdies et de nos paupières closes.

Ce n ’est pas l’espace qui nous est enfin donné, rendu, m ais nous qui, de
notre fauteiiil, sommes sollicités de nous abandonner aux dimensions abso­
lum ent nouvelles d ’u n m ouvem ent inhum ain, contre^nature, - pro p rem en t
cinégràphique.

36
C’est précisém ent pourquoi nous ne saurions décrire les films de Mac
L aren avec notre vocabulaire commun. Il nous fa u t utiliser, p o u r trad uire
ces textes visuels et auditifs, une sym bolique au confluent de la géométrie,
de la poésie et de la m ystique.

J eaïv-Jàcques K im

Note. — Dans Noiv Is T h e T im e, Mac Laren utilise ïa m usique syn­


th étiq u e directem ent dessinée sur la bande sonore. E t nous assistons p o u r
l’audition exactem ent au même phénom ène que p o u r la vision d u « dessin
anim é en relief » que l’on devrait plutôt appeler « m ouvem ent en espace ».
L a T.S.F. et le film sonore ont h ab itu é le spectateur à une sorte de
« m usique plate » qui se différencie p ar son m anque de profondeur de _
l’au d itio n d’un orchestre dans une salle. Im pression que ne nous restitue
pas la m usique synthétique. Celle-ci fait jaillir outre des tonalités inattendues,
des notes qui éclatent dans l ’espace, des sons qui se m euvent du proche au
lo intain comme l’écho de l ’orgue dans une cathédrale, nous frôlent pour
ensuite nous échapper à la m anière des météores. U n peu comme si la
source m usicale se déplaçait dans l ’espace m êm e du film. J e ne vois que
l’enregistrem ent à l ’envers de la p artitio n de Jau b e rt pour Carnet de Bal et,
peut-être, certains accents de la trom pette du jazz am éricain pour nous avoir
fa it pressentir cette intensité gothique de la m usique dessinée.

N ous avons reçu quelques lettres d ’abonnés s'étonnant que nous n a yo n s


p u b lié sur le Festival de Cannes qu’un seul article d ’ordre général. Nous
avouerons tout à nos lecteurs : il nous reste au « marbre, » un com pte rendu
détaillé de tous les film s présentés à Cannes de plus d ’une vingtaine de pages !
Les débordem ents de Vactualité nous ont em pêché jusqu'ici de le publier
et nous hésitons m aintenant à le faire avec un tel retard. Néanmoins, encouragé
par ces réclamations, voici déjà Favis d ’A n dré M artin sur les dessins animés
présentés au Festival, avis q u i n ’est pas déplacé après l’article de K im . Par
ailleurs que Monsieur Gieure se rassure : nous parlerons aussi du film Japonais,
Les E nfants d ’Hiroschim a, un des plus beaux film s présentés à Cannes.
(N.D.L.R.)
A ndré M artin

FILMS D ’ANIMATION AU FESTIVAL DE CANNES


Presque tous les film s sont tournés au rythm e mécanisé et normalisé de
24 images par seconde. Il s’agit là d ’une évidence technique que personne ne
prend m êm e plus la peine de considérer. Pourtant cette utilisation de la caméra
et d u f ilm, bien qu étant la plus répandue, n ’en est pas moins q u u n e des
nombreuses possibilités offertes par Vimprimerie-cinéma.
De tous les film s présentés au Festival de Cannes seul, celui de B u n u el E l
(Tourments) . a osé bouleverser un instant avec un naturel parfait la pares­
seuse et sacro-sainte succession mécanique des 24 images-seçonde pour im ager
les réjouissances et inconvenantes hallucinations du héros. Ainsi que b ien
entendu les œuvres de quelques partisans décidés de cet aventureux ciném a
d ’anim ation. pour qui un film , qu’il soit dessin-animé, film de poupées animées,
ou m êm e dè prise de vue directe, ne peut être autre chose qu’une œ uvre sentie
et agencée image par image. A la rencontre internationale de Cannes, les film s
d ’animation ont com me toujours désarçonné les amateurs et fait parler de travers
les spécialistes. Encore une fois, annonces, communiqués, affichettes, fiches tec h ­
niques ont avec allégresse tout confondu, marionnettes et dessin animé. Dès q u i l
s’agit de film d ’animation, q u ’ils soient anglais ou japonais les traducteurs ne
connaissent plus leur langue èt s’abandonnent à un m ême espéranto incom pétent.
A u fon d il n ’est pas grave que les amateurs de ciném a les plus passionnés n ’y
regarde pas de si près, et confondent dans une même indifférence ém erveillée
des foim es d ’écritures totalem ent différentes, des mondes de possibilités co m ­
plètem ent séparés. Cependant com m ent peut-on aimer tellem ent le Ciném a, à
quoi cela peut-il servir de voir TOUS les film s, si Von est incapable de voir
et. de suivre TOUS les Cinémas.
P eter Pan, le dernier long métrage de W alt Disney séduira im m anq uable­
m ent ceux q u i n ’ont jamais rien vu et que la médiocrité industrielle séd u it
toujours si elle se présente sous des apparences impeccables. La niaiserie
attendrissante de certains passages est assez grosse pour que les parents ne
doutent pas un instant que ce film est « pour les enfants ». Parm i les réédi­
tions de vieilles tournures, com iques élimées et de faux paroxysmes dra m a ­
tiques surnagent, quelques trouvailles qui rappellent le: conte de James B a r rie.
Par contre Disney continue à apporter une sollicitude particulière à la
série << C’est la vie ». Pour O iseaux A quatiques, le réalisateur B en p arp stein
a bénéficié d ’un choix de docum ents sensationnnels venus de tous les p o in ts d u
monde. Mais c’est surtout lé traitem ent dè ces éléments q u i a doitnê au
film son caractère. Après un prem ier montage, un montage plus précisém ent
musical a augmenté la consistance chorégraphique des plans. C’est alors
q u ’est intervenus une équipe d ’animateurs de dessin-animé (plusieurs o n t
travaillé à P eter P a n ), ainsi que Ub hverk, Vun des créateurs du « cartoon »
musical.
Considérant chaque image des plans de prise de vue directe séparém ent
com mé des dessins d ’animateurs, ils les ont réanimés. Doublant, trip la n t les
images ils ont collé étroitem ent le m ouvem ent visuel sur les silences, les
im m obilités et les accélérations de la musique. Placé sous le signe d e la
science naturelle et de la Seconde Rhapsodie Hongroise de Liszt, cette bande

38
par son synchronisme chaleureux et primaire, 1*anthropom orphism e dansant
des anim aux produit un effet considérable. Bien que basé sur des docum ents
en prise d e vue directe, Oiseau A quatique devient finalem ent un dessin-
animé, com m e W alt Disney ne prend plus la peine de les faire faire.
L e « N ational Film Board » du Canada avait envoyé un dessin-animé
de Colin Low, Sport et T ransport qui a remporté le Prix du F ilm d ’A n im a ­
tion. Ce court métrage avait à retracer avec m inutie l’histoire des m oyens de
transports au Canada, du prem ier canoë de trappeur à la soucoupe volante.
E n suivant ce programme rigoureux Loiv n a pas retrouvé Félan et le style
des film s qu’il a réalisé avec Georges Dunning (Cadet Rousselle par exem p le).
I l n ’est pas étonnant de lé retrouver sur des positions de replis qu i fo n t J?e
charme voyant de Bosustow : économie de m ouvem ent devenant un style
un peu trop ostensible, em prunt au vocabulaire linéaire sim plifié des comics
américains. Cependant ce film sans rythm e ni proportion contient des
« fonds » don t Fhumour graphique et la fraîcheur de couleur ne se contente
pas d'em prunter au talent des illustrateurs de « Vogue » et du « H arpers
Bazaar ».
Plus original, mais m alheureusem ent moins parfait, et par conséquent
moins prim able, Ivujira (La B aleine), film japonais d ’anim ation de Noburo
O fhuji nous donne une prem ière idée de cette im portante production de
dessins-animés japonais dont on ne sait rien. Illustrant une jolie historiette
pleine d ’un érotisme sage et légendaire, ce film dont les m ouvem ents ne semblent
pas toujours totalem ent contrôlés fait preuve dans ce?'tains m ouvem ents fluides
d ’une agilité ju sq u ’alors inusitée.
D eux film s seulem ent de marionnettes tournés image par image ont été
présentés. Gazouly p etit oiseau, court métrage français de Starewitch et Sonika
Bo. Encore un film qui conviendra à la sensibilité mal éveillée de certains
parents, pour qui les pires bêtasseries se parent d’une pureté enfantine, U aven­
ture éculée d ’un petit oiseau maladroit, plongé sur une m usique laide, dans
un m ontm artrism e vieillot est illustrée par la stupéfiante adresse de Starewitch,
l’un des plus habile anim ateur de marionnettes de m onde} qu i, peut-être pour
cela rFa jam ais été capable de donner un style à ses film s, n i de se constituer
une équipe de secours, afin qu’il y en ait un tout de même.
Figure H ead (Figure de P r o u e ) est une expérience des réalisateurs b rita n ­
niques John Haïas et Allan Crick. Ce petit film en Technicolor com bine des
décors solides et des marionnettes avec des éléments de dessin-animé. L ’utili­
sation au tournage (Fun « écran polaroïd » perm et la superposition de ces deux
mondes d ’animation. On retrouve dans les m ouvem ents Féconomie et la rigueur
plaisante des film s de la série « Charley », mais sans le m ême élan ni la m êm e
conviction.
E n fin , avec M arionnette de Toone, Jean Cleinge n ’a pas fait un film d ’ani­
mation, mais a fixé le bien curieux spectacle d ’une troupe de marionnettes
flam andes interprétant « Le Bossu ». L e son de la voix du commentateur,
im ita n t toutes les voix, dans un charabia-patois où les m ots français se prolon­
gent d ’étonnantes résonnances nasales accorde au film une aptitude soutenue
au dépaysem ent qui semble être un effet de Fart.
M alheureusem ent aucun film ne représentait à Cannes, Trnka, Georges
Dunning, N orm an Mac Laren et Paul Grimault. Leur absence d ’une sélection
annuelle de. film d’animation suffit à donner Fimpression que Fart de Fimage
par image est en deuil.
A ndré M a r t in

39
NOUVELLES DU CINEMA
FRANCE interprètes, citons : Alba A rnova,
Andréa Checchi, De Sic a, Elis a C egani,
• V oici les films français en p rép a ­ Lea Padovani, Marcello Mastroiani, D a -
ration : Les A ventures de Figaro, Bar­ nièle Delorine, Yves Montand, D a n y
bier de Séville (avec Luis Mariano, Robin et F rançois Périer.
Carmen Scvilla), Mam’zelle N itou ch e
(Max Ophüls, avec F ernan del), Les • Ettorë Giannini tourne —- en c o u ­
H o m m es en blanc (René Clément), Le leurs aussi — Carrousel Napolitain
P rêtre ou vrier (Henri Calef), Les A v en ­ avec Yvette Chauviré, Leonide M assine
tures d ’Arsène L u p in (Christian-Jaque, et les ballets du marquis de Cuevas.
avec Gérard P hilip pe), L ’Affaire Mau-
rizius (Julien Du viv ier), Charmants • Ricardo Freda va donner b ien tô t
Garçons (Christian-Jaque, avec Martine le prem ier tour de m anivelle de T h é o -
Cârol); Don Quichotte (Marcel Pagnol), dora, Im pé ratrice de B y za n ce, a v e c
Le Village Magique (Le Chanois, avec ' Georges Marchai, Irène P apa et G.M.
Robert Lamoureux), Le G rand Jeu Canaïe.
(Robert Siodmack, avec Gina Lollobri-
gida). • Luchirio Visconti co m m en cera en
août . Se/iso avec Alida Valli, F a r le y
• Carlo Rim a term iné récem m ent le Granger et Massimo Girotti.
tournage de Virgile dont il est, b ien
entendu, le scénariste. Ses interprètes
sont : Robert Lamoureux, Yves Robert, ETATS-UNIS
R osy Varie, Geneviève Kervine et Satur­
nin Fabre. • Deïmer Daves tournera p r o c h a in e ­
• La Cinémathèque F ran çaise lance m ent The S to ry of D em etriu s suite de
un appel pour que soient retrouvés trois The Robe, d’Henry Koster, qui mar^
films qui lui manquent pour p osséder quera les débuts de Susan H a y w a r d
l’œ uvre com plète de Jacques Feyder. dans le Cinémascope. Son p a rten a ire
Il s’agit de Visage d ’enfants (1923) sera Victor, Mature qui tenait le r ô le
tourné en Suisse, L'Image (1924) tourné p rin cipal dans le film de Koster.
en Autriche et T hérèse R aqu in (1927)
tourné en Allemagne. • F in juin ou début juillet, W a lter
Lang com m encera la réalisation de
• Sacha Guitry donnera à Versailles, . T here’s no Business L ik e S h o w B u si-
le 6 juillet p rochain, le p rem ier tour ness, prem ier Cinémascope m u sica l en
de m anivelle de Si Versailles m ’était T echnicolor, adaptation cin é m a to g r a ­
conte en Gévacolor. La distribution phique d’une célèore opérette d’I r v in g
excep tionn ellem en t brillante com pren­ Berlin.
dra : Jean Marais (Louis XIII), J.-P.
Aumont (le Cardinal de R ohan), Michel • Les prises de. vues de Hondo — ïe
Auclair (le duc de St-Simon), E dw ige prem ier film réalisé en r e lie f et en
F euillère (Madame de Montespan), W arnercolor avec la n ou v elle ca m é r a
Charles Vanel (Monsieur de Leyrie), dite « tous p rocédés » — ont c o m m e n c é
Sacha Guitry (Louis XIV vieux), Georges au Mexique. Réalisateur : Joh n Fairrow.
Marchai (Louis XIV jeune), Gino Cervi, Vedettes : Géraldine Page, Jo h n W a y n e ,
Charles Laughton. Ward Bond et Robert Arthur.
ITALIE
• Après avoir terminé, au M ex iq u e
• Un Festival du film agricole aura (décidém ent très en vogu e), B low ing
lieu à Rome du 3 a u 12 octobre dans Wild avec Gary Cooper, R uth R o m a n
le cadre de T E x p o sitio n A gricole (juin et Anthony Quinn, Barbara S ta n w y c k
à octobre). va commencer son, prem ier film en
relief : Moon lighter. R éalisateur :
• Allessandro Blasetti a com m en cé Joseph Bernhardt. P arten a ire : F red Me
T em p s actuels en couleur. P arm i les Murray.

40
Michel Dorsday

Situation
de l'Amérique
M arilyn Monfoe d a n s T r o u b le z -m o i ce soir.

Lorsque Stendhal voulait situer et com prendre un pays, il se penchait sur


les chroniques et les histoires. Nous allons au cinéma. Plus précises que les
récits, les images lim iten t notre im agination. Nous n ’avons plus guère que les
ressources de l’exégèse. Encore faut-il qu’elle soit justifiée par de constants
appels aux souvenirs. Si le film favorise le rêve, il est aussi — sur bien des
points — la base de notre enseignement. C’est un lieu com m un qu’il faut rap ­
peler. Un réfrigérateur com pliqué dans un in térieur m odeste est plus évocateur
que dix pages sur l’am biguité du progrès. Sans même p arler ici de l’influence
extérieure : où passe notre cinéma, nous vendons plus de nos produits, disait
le président Hooer. L’affaire d ’ailleurs — à l’origine — n ’est pas prém éditée.
Si d’autres pays, d ’autres peuples o nt voulu, veulent (et quelques-uns avec
raison et honnêteté) être les prem iers, les plus grands du monde, les Etats-
Unis p ar contre, le sont m algré eux. Seul, de posséder leur a donné l’envie
de posséder plus encore.
Le citoyen K ane reçoit beaucoup d’argent et conquiert sou prem ier journal.
Il se doit d’accroître sa fortune et de tru ster la presse de son pays. Il lui faut
alors un château à la m esure de cette puissance. Ainsi de suite. Il ne peut
que se h eu rte r à sou pro pre personnage. C’est bien là qu’est le drame. Il ne
lu i reste q u ’un incom préhensible regret celui de son enfance. H ne l’a pas
connue. Il se trouve projeté sans transition dans un immense dom aine où,
tout puissant, il lui fau t avancer coûte que coûte. Qu’il aille n ’im porte où,
il ne voit plus jam ais que lui-même. La grandeur et la souffrance de I*Amérique
est de jouer, et de vivre sans cesse la scène finale de T he Lady from Shangdi.
Elle n ’a jam ais pour com pagnon que son pro p re m iroir. C’est le récit angoissant
•de ce dialogue qu’elle nous offre chaque jour. Voilà déjà une réponse à ceux
•qui la disent prim itive et rétrograde. Car ce dialogue est d’une étonnante
richesse. Il peut même ten ter de la lib ére r ; il donne alors au double un
visage qui n ’est plus exactem ent h um ain : T he Day the Earth stood Still (Le
jo u r où la terre s’arrêta) de R obert Wise, W hen Worlds Collide (Le choc des
mondes) de R udoph Maté, Destination Moon (Destination lune) de Irving
Pichel ne sont pas des jeux. A travers leurs anticipations, les Etats-Unis espèrent.
Ils ne sont plus seuls.
Cette solitude d’abord collective (de la solitude n aît la méfiance, n aît
la haine) sera bientôt particulière à chacun, mais, phénom ène capital, n ’engen­
d rera jam ais le désespoir définitif. A u cinéma, ce n ’est pas seulem ent une
solution conform iste de happy end. Si les Etats-Unis on t conscience de m al

41
4
com prendre le m onde (et comment p ourrait-il en être autrem ent ?), ils ne
se sont pas résignés au m alheur, ils cherchent: ce doit être dans le soleil, d it
le vieil Amberson. Il leur arrive de trich er : leurs personnages som brent’ dans
les paradis artificiels. Justem ent, ce ne sont pas pour- eux des paradis.
L’alcool ne les soulage pas. Quels rêves pourrait-il leu r appo rter ? Ils ne
peuvent retou rn er qu’en eux-mêmes, et ils ont «n passé trop récent.
'Ray M illand, après son week-end désemparé, comme Joan Fontaine, dans
Som ething to live for de George Stevens, reto u rn en t à la santé il leur faut
trouver ailleurs Fexutoire de la révolte. Il sem ble le trouver d’abord contre
leu r système. Des conditions de travail (The Grapes of W rath, — Les raisins de
la colère, de Jo h n Ford, ou Death of a Salesman, — M ort d ’un Commis-voyageur,
de Laslo B enedeck), de l’am our introuvable (Three Secrets — Secrets de
fem m e — de R obert Wise, Come back little Sheba — Reviens petite Sheba*
de D aniel M ann) jusqu’aux conditions des arts et du journalism e en
particu lier (Dreamboat — Un grand séducteur — de Claude Binyon, B ig
Car n iva l.—- Le gouffre aux chimères -— de B illy W ilder, Deadline U.S.A. —
Bas les masques — de R ichard Brooks, T h e Sound of Fury, Fureur sur la ville,
de Cyril Endfield) peu de choses sont épargnées. Mais si Ton y réfléchit bienT
le système s’est imposé à eux — on est tenté de dire contre eux. Leur morale
le veut parfait. Ils le défendent donc avec énergie, m ais inconsciemment, s’y
reconnaissent peu. Le système est seul un symbole. Leurs affaires les inté­
ressent beaucoup plus. Dans le m iroir, le double de R ita H ayw orth à l’agonie
garde son regard dur. C’est contre lui qu’il convient, po u r eux, de se révolter.
Mais cette révolte p ren d le nom différent de folie. Le fou n ’est jam ais qu’à la
désespérante recherche de lui-même. Il veut traverser le m iro ir et se confondre
avec l ’image. Les films américains de plus en plus nom breux portent tém oi­
gnage de cette étrange tentative qui ne m anque pas de grandeur et qui est
exem pte de toute hypocrisie.
Nous n’en prendrons que deux exemples. B lanche, dans A Streetcar named
Desire (Un tramway nom m é désir) de E lia K azan, est poursxiivie par la
hantise de se construire un passé. Quand on dem ande : qui es-tu, c’est beau­
coup plus qui étais-tu que l ’on veut dire. À cette dernière apostrophe, les
A m éricains ne peuvent exactement répondre et l’on sait combien ils en souffrent.
On im agine très bien l’impossible passé de B lanche sur des airs de Mozart.
P o u r symboliser cette grâce, ils n ’ont que les airs désuets du prem ier folklore
sur lesquels on dansait. La nostalgie d ’u n Jo h n F o rd est de cet ordre. Il nous
m ontre toujours les mêmes bals qu’il regrette visiblem ent de toujours devoir
situer vers 1880. B lanche cherche de l ’aide. Mais pour l ’aider, qui trouve-
t-elle ? Un grand garçon, une femme toute simple. F igure de l’Am érique que ce
garçon, fort, terriblem ent fort. Il semble sim ple ; ses réactions sont brutales,
mais brusquem ent nous pouvons découvrir u ne grande finesse dans ses inten­
tions, une com préhension subtile de la situation. P ou rtan t, jam ais il ne pourra
aider Blanche : si son corps est fort, son âm e ne l ’est pas: Son âme est à
faire. L ’autre femme choisit une situation différente : elle fuit. Le garçon
reste hébété. L’A m érique consciente est à terre. Elle dem ande grâce. Elle-
se résigne. Nous ne voulons croire qu’en u ne résignation m om entanée. Dan&
son cerveau les batailles se sont faites tro p violentes. Il a fallu qu’elle crie.
Connaîtrons-nous les résultats de ces cris ?
Peut-être. Un autre film nous vient. D o n t bother to knock ('Troublez-moî
ce soir) de Roy Baker. Il n ’a plus d’am biguité. L’A m érique se symbolise dans
sa plus belle fille, sa plus attirante, celle qui est la plus nim bée p ar sa sexuaïité-

42
trè s praticulière : M arilvn Monroe.
On ne l’habille pas de robes voyantes.
Elle il’est presque pas m aquillée. La
reconnaissance est évidente. Elle a le
visage de l’innocence. Il ne fau t pas
q u ’on puisse la craindre. On lui confie
les enfants. On lui parle comme à
une personne digne de foi et sur
laquelle on peut compter. Ses répon­
ses sont sensées et bonnes. Trop bon­
nes, nous devrions déjà y prendre
garde. Il est caractéristique que la
prem ière alerte vienne de l ’exaspéra­
tion de son désir. Mais personne ne
veut l’assouvir. Le plaisir porterait
une trop grande peur, une trop
grande responsabilité. M arilyn, au tre­
fois adulée, choyée, angoisse ceux
qui l’approchent. Le tem ps n ’est pas
venu de la réflexion. Ne pouvant
trouver l’équilibre dans cette passion
tou te prim itive qu’elle réclam e au
fond de son corps (et qui deviendrait
le centre de l’univers comme pour M arilyn M onroe d a n s T ro u b lez-v io i ce soir.
le» danseuses tahitien n es), elle le
cherche dans le m eurtre. Elle a déjà essayé ce m eu rtre sur elle-même, mais
elle n ’a pas réussi. Elle est trop forte. Sa décision de tu er l ’enfant — les enfants
—- n ’est pas fortuite. Quelle délivrance ! Au sommet de l’hystérique puissance,
q u ’elle soit donc déçue et seule ! Mais que sa solitude soit absolue et contre tous.
Q u’elle soit une fin en soi. C’est le m assacre des innocents. Les compagnons
lucides de M onroe se rendent compte. Il est bon que ce soit l’asocial, le bandit,
le m échant, ]’ancien m échant qu’est R ichard W idm ark qui se penche sur elle.
Il y découvrira les raisons de sa hain e et de son m al. Il connaîtra le bon
chem in. (On veut garder l’espoir !), Il apaise la jeune femme. Comme les petits
renards celle-ci redevient douce et se laisse caresser. On la persuade (on est là
dupe jusqu’au bout) qu’elle n ’a pas voulu tuer l’enfant. Elle reprend l’ancien
air de l’innocence. Si, un m om ent, nous avons pu croire que to u t s’écroulerait,
tout m ain ten an t revient dans l’ordre. Les cris nous ont sim plem ent alertés. H
n ’y a d’autres solutions que celles de la fraternité, m ais les fous ne sont
pas fraternels.
L’A m érique se situe, réellement, dans ce que j ’aim erais appeler, fort mal,
« une inconscience responsable ». La p lu p art du temps, elle nous offre, très
consciemment, un regard to u t autre. Nous verrons le mois prochain, qu’à
travers les figurés de femmes en particulier, les films am éricains prennent
presque toujours le visage de la v ertu comme la p eu t refléter le sourire de
P ie r Angeli dans T he Light Touch (Miracle à Tunis) de R ichard Brooks.
Mais comme il est réconfortant d’au tre part, de voir, avec vérité et justice,
com m ent s’incarne l’Europe. R oberto Rossellini, à travers Europe 51. film
sublim e, lui donne l ’auréole de la sainteté. Le mot de folie est aussi prononcé.
Mais c’est une folie qui veut sauver les enfants et qui ne se refuse jam ais aux
forces du progrès. Ingrid Bergm an sourit et son sourire nous redonne confiance.
Michel D o r s d a y .

43
LIS FILMS

I n g rid B ergm an d a n s E u ro p e 51 de Roberto R ossellini.

GÉNIE DU CHRISTIANISME
EUROPE 51, film italien de R o b e r t o R o s s e l l i n i . Scénario : R . R ossellini,
M. Pannunzio, S. de Feo, I. P erilli, A. Pietrangeli. Images : Aldo Tonti. Musique :
Renzo Rossellini. I n ter p réta tio n : Ingrid Bergman, Alexander Knox, Ettore
Giannini, Giulietta Masina, Sandro Franchina, Teresa Pellati. Production. :
Ponti-de-Laurentis, 3952. D istr ib u tio n ; Lux Film s,

Il m e plaît, d’abord, d’associer dans lèle ne m e serait apparu com m e non se u ­


un m êm e homm age Eu rope 51 et le lement possible, mais nécessaire. Ici
Carrosse d ’Or de Renoir, p en sa n t qu’à com m e là, une femme oppose à la gri­
la lum ière de ce seul, et sans doute m ace du monde la grâce de sa v o cation ;
étrange, rapprochem ent, au delà des à la mécanique du geste appris, à sa
mots et des preuves, le génie d es deux bestialité ou sa pauvreté de bon ton
plus grands cinéastes d’aujourd’h u i ne elle substitue, là, l ’innocence, la liberté
laissera pas s ’im poser d’em blée sa de la nature, ici, le m iracle d’une ch air
fulgurante évidence. Ces deux œ u v r es transfigurée : l’âme se montre au jour,
n e seraient-elles Tune et l’autre qu’un noie le corps dans sa lumière, le form e
admirable chant sur le thèm e de la à son image, le cerne d’une aura de
solitude m orale qu’un semblable paral­ clarté qui d é c o lo r e /t e r n it tout à so n
approche. La cérém onie sociale, ses inventé de plus apte à garantir l’huma­
rouages m is à vif, tourne au grotesque nité, la tolérance de ses arrêts. N’y
ou au sordide. Et dans la. com édie de a-t-il pas là com m e une rém iniscence
Renoir, com m e dans le drame de R ossel­ du p rocès de Socrate (2) qu’épargnèrent
lini, un mêm e respect de l’hom m e, de les Trente et que la dém ocratie co n ­
la créature, m aîtrise la satire, sans, damna ?
toutefois, rém ousser. La p rem ière en Mais au delà de cet aspect hum ain
l ’ironie de sa « morale », rendant au et com bien actuel d ’Eu rope 51, je décèle
théâtre ce qui lui appartient dans l ’ex ­ en ce film une am bition plus haute,
pression du sentim ent le plus vrai, dore com m e si, non content d ’exp oser les
le théâtral apprêt de la vie com m e d'une méfaits d’un matérialism e d e doctrine
seconde ingénuité — si b ien que nous ou de fait, il se proposait parR à seule
nous prenons à regretter la con ven tion force de ce qu’il oîfre aux yeu x, les
d’un siècle qui savait s’offusquer. De regards, l’attitude, l’être physique de
même, dans une bouleversante dernière cette fem m e et de ceux qui l ’entourent,
image, la secon de offre la vision de de prouver l’ex istence de l’âme même.
nos inquisiteurs et p harisiens m odernes L’œ uvre de R o ssellin i est si profond é­
s’éloignant lentement, le dos courbé ment im prégnée de la sym bolique
sous le poids, sinon d’un rem ords, du chrétienne que l ’apparence la plus
m oins d’un doute, tandis que là-haut im m édiatem ent sensible s’y laisse spon­
dans la cellule aux murs blancs où ils tanément d iviser en ce qui, en elle,
enfermèrent la Sainte, les plus belles participe à la chair et ce qui participe
larmes qui furent jamais versées sur à l ’esprit. J’ai em ployé le mot de sy m ­
un écran — larmes de joie, de p itié, bole, n’en possédant pas d’autre : un
de peine, de pardon — sem blent briller tel art est m étaphorique com m e celui
pour eux com m e la prom esse d ’un des vitraux et des cathédrales, mais,
salut. de son im puissance à expliciter le rap­
port du signe à l ’idée, de l ’invisible au
visible, il tire cet extraordinaire pou­
voir de donner l’intensité d ’une év i­
Ce film a donc pour sujet la solitude dence à c e qui n ’est, ailleurs, que pres­
d’une âme aux prises avec l’in co m p r é­ sentim ent, fugace im pression. C’est'
h ension bornée des uns, la co n d esc en ­ peut-être parce que, de tous les arts
dante sollicitude des autres. A travers d’im itation, il est le plus rudimentaire,
les pièges des faux devoirs, des fausses le plus proch e de la reproduction m éca­
doctrines, de la fausse religion (1), de nique que le ciném a est à mêm e de
la fausse scien ce, cette âme s ’ouyre une cerner de plus près l ’essence m étaphy­
v oie vers la charité et, au terme de son sique de l’homme ou du monde. Simple
éch ec hum ain, accèd e à la sainteté. outil, la caméra ne rend que ce qu’on
Nouvelle Jeanne d ’Arc, v oire n ouvelle exige d ’elle. Soyez athée, elle vous
Anti^one, elle parcourra les étapes d’u n offrira le spectacle d ’un m onde sans
procès v ieux com m e le monde. Ce ne D ieu où il n'est d ’autre loi que le pur
sont plus ici les sollicitations de la m écanism e de la cause et de l’elFet,
chair, l ’aVeuglement d ’une foule {je univers de cruauté, d ’horreur, de bana­
pense au Miracle, à S trom boli) qu’elle lité, de dérision. L’originalité de R ossel­
aura à affronter, m ais ce que notre lin i est d’être parti de cette v ision
société m oderne considère peut-être même, et jamais travail de m ise en
com m e sa plus estim able conquête, les sc èn e ne fut plus délibérém ent objectif,
règles d’une certaine h ygièn e m orale plus grossièrem ent docum entaire, ue
pour laquelle l’excep tio n n’est pas tant refusa avec une telle rigueur de se
v ice ou erreur que m aladie à soigner plier à ce jeu, dit-on subtil, qui, par
et à guérir. Ce que R ossellini d én o n ce l’interférence de l’effet et de l’intention,
ici ce n’est pas (com me ta n t d ’auteurs un plus ou m oins savant dosage de ce
qui se prétendent à l ’avant-garde de qu’on m ontre et de ce qu’on suggère
leur temps) tout ce que notre justice se targue de nous faire accéder aux
peut encore garder de préjugés, de mystères d’une vie intérieure qu’en son
cruauté co n scien te ou d’h y p o crisie, p rin cip e il nie. L’im m anence refusée
mais b ien ce qu’elle croyait avoir postule une transcendance. Les larmes

(1) A ce propos, regrettons les coupures de la version présentée à Paris.


(2) Un S ocrate fut au nom bre des projets de Rossellini.

45
Eu ro p e S i de R oberto R ossellin i,

d ’Ingrid Bergmann n’ont rien de cette clame au nom bre de ses dogmes l ’exis>
beauté épurée que les tragédiens ou les tence d’une « chair spirituelle » peut
poètes surent donner à l ’expression des se satisfaire des insuffisances, des exi~
nobles sentim ents : elles sont de la bête gences d’un m oyen d ’expression pour
tout autant que de l’ange et même, lequel, au delà du réel, il n’est pas de
dirai-je, participent à la grimace de frontière entre p o ssib le et im possible,
cette com édie qu’elles dénoncent. Et pour lequel il est m oins difficile de
pourtant... Là est l'incom préhensible, le prouver le m iracle que d ’expliquer
m ira c le : com m ent expliquer puisque l ’explicable. Qu’une danseuse paraly­
c ’est ce m iracle en tant que tel qui tique guérisse par la pratique d ’une thé­
nous est m ontré ? rapeutique m entale fort en vogue, cela
vaut à tel film récent ses scènes les plus
touchantes, mais, tout en mêm e temps,
nous fait déplorer l ’im pu issan çe du m et­
E u ro p e Si, les F io re tli, le Miracle, teur en scèn e à exprim er par des
nouvelles p ierres de cette cathédrale moyens propres à son art le pouvoir
que la chrétienté ne cesse de dresser de la pensée sur le corps du con scien t
à la gloire d’un Dieu qui n ’est pas mort sur l ’in con scien t. Car en apparence,
dans son cœ ur. De mcm e que la beauté quelle différence avec le dressage d’un
de l ’art gothique ne nous est sensible chien ? ■—- i l est vrai que, dans tel
que par le truchement du sentiment autre, peut s’en faut que l ’on ne donne
religieux et prouve, par là-même, le une âme ait dit ch ien ! — Le génie de
génie de l ’id ée qui l ’inspira, de même Rossellini est, com m e celui de la reli­
les derniers films de R ossellini nous gion à laquelle il se réfère, de savoir
perm ettent enÛn d’entrevoir, les limites découvrir une si étroite union et en
de cet aim able athéism e auquel le ciné­ même tem ps u ne si infinie distance
ma contem porain doit en général ses entre le royaum e des corps, son m até­
œ uvres les plus admirées. Et, dépassant riau, et celu i de l’esprit, son objet,
dans le paradoxe, la thèse célèbre de que les effets les plus éprouvés d’un
Chateaubriand, j’oserai prétendre que, art déjà vie u x — et dont il use avec
p our l ’art qui nous co n ce rn e ic i, en quelle autorité, quel raffinement — se
dehors d’une p h ilosoph ie, d’une morale, trouvent tout naturellem ent accéder à
d ’une p sych ologie, d'une poétique, di­ la dignité d’une signification combien
rectem ent ou indirectem ent nées du plus ‘ nouvelle, plus riche, pins pro*
ch ristianism e, il n’est pas pour lui dè fonde.
salut ; que seule une religion qui pro­ M a u r ic e S c h é r e r
Une scène de to u rn ag e de P âques S a ng lantes etc G* de Santis.
On re co n n aît R&lf Y allone et L ucîa Bose.

L ’ORDRE DES CHOSES


NON C’E PACE SOTTO GLI ULIY1 (PAQUES SANGLANTES), film italien
d e G i u s e p p e d e S a n t i s . Scénario : Gianni P uccini, Giuseppe de Santis, Libero
d e Libero, Carlo Lizzani, Images ; Piero Portalupi. Musique : Goffredo Petrassi.
In terp réta tio n : Lucia Bose, Ralf Vallorie, Folco Luïli. P ro d u ctio n : Davanzati-
Lux F ilm s, 1950.
Quand à la fin de ma chronique sur mêm e interprète, Lucia Bose nous res­
S tazione Term ini, j’âi dit que le ciné­ titue l ’angoissante atmosphère (elle eut
ma italien n ’existait que par deux créa­ dans le film son prem ier rôle) et c ’est
teurs, Vittorio de Sica et Roberto par elle qu’il co n vient de se laisser
R ossellini, j’entendais b ien sûr le cin é­ guider.
ma italien en tant que phénom ène c o l­ Si le film, second d’ime trilogie qui
lectif, en tant que participant essentiel com prend Chasse tragique et R i z amer,
au m ouvement général des idées. Mais p articipe avec ces derniers des mêmes
si des créateurs ont le rare bonheur de thèm es sociaux et révolutionnaires, il
faire par leurs phrases ou leurs images n’en a ni le mêm e style, ni la même
la synthèse de leur temps, comme un chaleur. Il est construit com m e une
Sartre par exem ple dans la littérature tragédie où la fatalité n’interviendrait
française contem poraine, il appartient pas. Voilà qui peut-être nous gêne :
ii d ’autres, com m e un Maurice Pons nous avons l’habitude d ’un tragique où
avec Métrobate, d’avoir le mérite tout la volonté des hom m es a moins d’im ­
aussi rare d’œuvre exceptionnelle et portance. Nous com prenons moins bien
parallèle. Au cinéma, Michelangelo le déroulement tout aussi impitoyable.
A ntonioni nous l’a bien montré avec Nous som mes pleins d’étonnement. Nous
Cronaca d i un A m ore, et c ’e s tnbien, je ne som mes plus clans une situation de
crois, ce que nous montre Giuseppe de prière, mais dans une situation d’ac­
Santis avec ces Pâques sanglantes, film cusés, d’accusés-accusateurs. Le narra­
étrange que nous voyon s en retard et teur pourtant a la v o ix de l ’objectivité.
dans de très mauvaises conditions. Si L’écoutant, nous pensons im m édiate­
tout com m e la Chronique, les Pâques m ent à Stendhal et nous n ’avons pas
son t en proie à la m alédiction, une tort, semble-t-il : voilà bien une cliro-.
nique italienne. Mais le récit est m oins tuer. Je signale l ’insolite érotism e de
sim ple, obéit à trop de ressorts, la scène du meurtre. Guiseppe de Santis
Stendhal se p enche rarement sur les s ’y révèle atroce et très pudique. II
paysans : leur ironie n’aime pas les répugne à l ’effet. D’autre part, quand
mots. Et pourtant, F olco Lulli traîne nous voyons la mort, nous la recon ­
Lucia Bose à l ’église pour l’épouser naissons tout de suite. A découvrir le
devant tout le village qui sait bien que cadavre de la fille qui est encore si
c ’est malgré elle. Paraît Maria, qu’il a belle, les bergers ne montrent aucun
violée, et qui réclame justice. Lucia Bose étonnement. Pourtant le destin ne joue
très sim plem ent enlève son petit voile pas. Cela correspond à une n écessité
blanc, le jette à terre. Les parents s’as­ naturelle. La justice aussi /devra être
soient et pleurent d’hypocrisie. Folco naturelle et non pas prim itive (ce n ’est
Lulli est giflé par sa mère. On attend pas du tout « œ il pour œ il, dent pour
le drame. Il y a un silence très lourd : dent »). Quand Folco Lulli, rapace et
on devine la chaleur et les m ouches. assassin, est obligé de se p récip iter du
A ce moment-là, sans un m ouvement, haut de la muraille et de mourir, tout
tout le village éclate de rire. La noce est bien. On est tranquille désormais.
s ’enfuit. Mais bientôt la chaleur n e favo­ Il n’y a plus qu’à rentrer à la m aison.
rise ni l ’épopée, ni l ’ironie. Elle devient La mort, la justice, l’amour m êm e,
plus pesante, elle favorise la ruse. La et le plaisir sont dans l’ordre d es choses.
ruse est un des principaux thèmes du C’est un trait commun des p ays où b rille
film. Il est plus juste de penser m a in ­ fort, et chaud, le soleil. Il n ’y a plus
tenant à Mérimée. Les personnages du de drame, ou plus exactem ent plus de
drame sont extérieurs. Leurs âmes conflit. Voilà bien ce qui explique le
nous sont données en lignes sim ples. malaise que j’ai à vous parler du film.
L’ambiguïté naît des heurts de ces Parler de quoi ? Je ne puis vous
lignes. L’étouffement vient de ces v i­ parler — ce que j’ai fait — que de ce
sages qui se heurtent dans le silence. que l ’on nous y explique. Le conflit
Le long du film, Lucia Bose parle peu, n ’est pas dans l ’explication, dans la
mais ses lèvres se contractent en un lutte : les choses s’arrangent. .(Grâce
p li dur, ses yeux se cernent d’un à la volonté des homm es bien sûr :
farouche entêtement. La figure de Val- mais Santis est un optim iste, cette
lone au contraire se creu se d’ombres : volonté — mêm e tardive — se m a n i­
nous savons alors qu’il ne mourra pas. feste toujours.) Alors ? Le conflit naît
Hiératique, il s’affirme. (Il est dommage d’un envoûtement. Celui qui se porte
qu’il ait toujours à la bouche, m êm e sur les personnages, celui qui se p orte
quand il souffre, un - air de peut-être des personnages vers nous. G’est là que
sourire ; il est vrai que cela peut cor­ se révèle la p ro fo n d e u r de Santis. C’est
respondre ici à la v oix du narrateur qui là qu’il échappe à une accusation qu’on
dit, Chantant presque : « ils sont ainsi, lui pourrait porter avec honnêteté :
les paysans de mon pays, on les com ­ celle d’être, au fond, un styliste un peu
p rend mal, mais ils savent rire.., ») vain. Il organise ses scènes autour de
Nous disions Mérimée, En effet, cette vertus purem ent incantatoires. Il lui
Galabre a un curieux air d’Espagne. faut donc u ne forme rigoureuse, com m e
Les habitants en sont retors et leur dans l’étrange danse du désir que
fraternité est hésitante. Le thème, là, danse l ’hom m e avide et riche autour
est ambigu. On connaît Giuseppe de de Lucia Bose qu’il s’apprête à ach e­
Santis. On sait que la volonté du p eu ple ter. Les images peuvent alors passer
finira par avoir, heureusement, le pas pour sèches, Giuseppe de Santis est
sur la volonté des exploiteurs. conscient du magique que porte chaque
Il n ’em pêche que ces bergers pauvres in dividu — fut-il le plus m isérable.
m ettent bien longtemps à secourir leur C’est ce côté qu’il lui plaît de d éco u ­
frère m alheureux. Il leur faut le temps vrir sans nous en donner les clefs. Le
du pour et du contre. G'est en hésitant magique peut se trouver sordide. Il y
que l ’on perd les révolutions. Et ils a là une originalité !
sont bien prêts de la perdre. Peut-être On n’est pas très loin — et ce sera
n ’est-ce qu’une im pression. A ne nous notre troisièm e référence littéraire,
m ontrer les bergers que de loin, Santis pour un film qui n e l ’est pas, au fond
peut nous avoir fait oublier leur ardeur, — du m ystère claudélien. Cette terre
leurs passions dissim ulées. Il retrouve aride, ces moutons, ces pères tyran­
cette passion dans l ’amour furieux niques, ce s fiancés abusifs, ce s filles
et animal qui lie la jeune fille à soum ises, cette mère qui rétablit la loi
celui qui l ’a violée et qui finit par la de Dieu, nous les reconnaissons. Sim ­

48
plement, les hommes cherch en t des solu­ Santis n ’est jamais indifférent. Et ne
tions terrestres. On reconnaît là, au nous étonnons pas trop g u ’il n'y ait
moins et encore, le plus russe des jamais de p a ix sous les oliviers. Lucia
réalisateurs d’O c cid en t Bose est trop belle. Son visage porte
Pâques sanglantes est une tentative. trop de tourments. Lucia Bose est trop
La dire réussie ou non serait dérisoire. maligne, trop lointaine, trop solitaire.
On peut tout au plus juger déjà de son Lucia Bose garde irrém édiablem ent
importance. Elle semble grande (elle le pour elle l ’intem porelle beauté de
serait plus encore si le film n’était pas ' Lucia Bose.
maudit), influente (sur le Christ in te rd it.
en particulier), hésitante. Ce que fait^ M ic h e l D o r s d a y

FILM INCOMPLET, MAIS GRIMAULT INTÉGRAL


LA BERGERE ET LE RAMONEUR, dessin animé de long métrage de P a u l
Scénario : Jacques Prévert et Paul Grimault. Dialogues ; P ierre Prévert.
G r im a u l t .
Musique : Joseph Kosma. Anim ation .- Equipem ent Les Gémeaux S.A. Vora: de :
Pierre Brasseur (l’Oiseau)* Serge Reggiàni, Anouk Aimée. Co-production : André
Sarrut-Les Gémeaux et Glarges Production, 1952.

Le pharam ineux projet de La Bergèrè: et sa p h ilosoph ie prend aux résumés


et le Ram oneur a laissé aux im patients aide-mémoire du Baccalauréat leur
le temps d’aiguiser leur curiosité. L o r | sécheresse. Prouvant ainsi qu’i l est d if­
des dernières années d’attente, qui ficile de planter ses ch ou x à Vence et
furent les plus alarmantes, on ne par­ de suivre la croissance d’une aussi déli­
lait des disputes; procès, séparations cate bergère que celle de Grim ault
de corps et biens que pour tuer le
temps. Maintenant tout est changé. Le~s Ensuite il y a Kosma, qui, pour ce
chef-d’œuvre conscient, a écrit une
aigres avertissements du générique ter­ musique m édiocre, absente, qui n ’ac­
minés, c ’est La B ergère... que Ton voit:; croche pas plus l ’attention que l’ani­
et com m e dirait Prévert, l’affaire est mation. La sonorisation (en particulier
dans le sac. D ’autres prolongeront là celle du robot) est souvent plus orga­
querelle en discutant sur la propriété nisée, et par là plus m usicale que la
artistique et le libre arbitre. Les pliis partition. Mais Renoir a bien supporté
risibles iront mêm e jusqu’à « im aginer Kosma. II fait partie de la famille. P uis
ce que le film aurait pu être si... vient Sarrut, le deuxièm e Gémeau de la
Pour ma part, je me contenterai de
considérer La Bergère e t le R a m o n e u r légende ; celu i qui fait com m uniquer
les chiffres ineffables de la p o ésie des­
comme un film que j’ai vu, et qui lùe sinée avec ceux des coffres-forts. Et
semble considérable. encore Lacam, Savitry, AUignet, Juillet...
une belle équipe inégale, subtile, ora­
geuse ; où chacun est aussi timide, aussi
susceptible, aussi sûr de soi que son
Dans ce long-métrage dessiné, m al­ voisin. Où tous sont aussi limités, talen­
gré le tangage, les m utilations et pas tueux et irremplaçables.
mal de brumes involontaires, se trouve
tout Grimault, le vrai, celui qui a Six En Angleterre, John Halas peut pour
têtes et vingt bras, et autour de lui une un de ses « Poet and Rainters Sériés »
tribu aux coudes serrés com m e une travailler avec des artistes de l ’im por­
famille de Goupi. On peut faire setn- tance de John Minton du de Henry
blant de les énumérer. Grimavilt- Moore sans qu’il ne se passe rien que
Prévert ne form ent pas u ne association de profitable. En T chécoslovaquie, Jiri
m ais donnent un alliage où l’on ne peut Trnlka peut confier l ’animation du héros
pas distinguer les deux sources. Ë ix de son P rin ce Bajaja à un jeune réali­
ans de films publicitaires, de risettç à sateur prometteur Bratislav Pojar ; tout
contre-cœur à des clientèles exigeantes, naturellement les talents s ’augmentent,
les ont retranchés dans un goût id e n ­ les forces se concentrent, battant des
tique pour la b onne vie, les gens rigo;los records de perfection. En France, les
et la révolte hum oristique. Dans La B e r­ attirances sont plus subtiles, m agné­
gère, Prévert ressasse ses aphorism es, tiques, risquées, inexplicables.

49
P a u l G rim au lt : L a Bergère et le R a m o n e u r .

Aussi vaut-il m ieux prendre les film d’animation de Mac Laren sont des
équipes telles qu’elles sont, sans croire incursions hardies et voyantes, au cours
<[H’il est possible de ch oisir et de sépa­ desquelles ces robustes novateurs arpen­
rer quelque chose de ces délicieux tent le jamais vu avec une ingéniosité
•capharnaiims et accepter les échafau­ p o lytech n icien n e, mais en évitant adroi­
dages fragiles, m enaçants, m ais uniques tem ent la fatigue et le risque. Moins
de leur création, rapide, le génie de Paul Grimault se
m eut avec la m obilité précautionneuse
La Bergère et le R am oneur ne cor­ d’un propriétaire terrien qui n ’a1jamais
respond pas seulem ent à Grimault, mais fini d ’inventorier les gigantesques res­
aussi à son œ uvre, ainsi qu’à tontes sources d’un petit jardin, lim ité seule­
les expériences, travaux et acquisitions ment en apparence. Il est le titulaire à
de l’équipe des Gémeaux depuis 1936. v ie de la liberté poétique dessinée, de
Dans Les Passagers de la Grande Ourse, l’assym étrie vivante, de l’andante. Au
le chantier désert et inhumain annon­ m ilieu de ses rythm es et de ses thèmes
çait le château im possible, l'ascenseur indispensables, Grimault, stupéfiant
délirant de La Bergere... ; le robot, valet inventeur de form es et de mouvements,
•de chambre, n’était que le m odèle m é­ reproduit une fois de plus son miracle
n a g er du m onstrueux engin du roi, et paradoxal : ce troubadour solide et mas­
l ’aéronef futuriste préfigurait le moyen sif com m e un horse-guard s’exprim e
de locom otion de la p olice des afrs ; avec une p o ésie m inutieuse et transpa­
cette mêm e p olice à moustache que Le rente de chat qui danse sur du cristal.
Voleur de Paratonnerre définissait en Chaque d écor : architecture calembour
m êm e temps que les étonnants pouvoirs ■ du château — lu xurian ce Folie-Yersail-
que Grimault sait donner à la perspec­ laise des grandes salles -—■ fuites des
tive et aux horizons des toits. Le luxe tours, toits et ch em in ées clans une bru­
délicat des appartements secrets du roi, me matinale, retiennent Tattention par
l e v id e décoratif des couloirs du châ­ leur p récieu se perfection. . Parfois la
teau étaient dans L a Flûte Magique. couleur entre dans le mouvement, et
Cette fidélité à quelques thèmes n’est une trappe m eurtrière en s ’ouvrant dé­
pas une preuve de com plaisance, mais couvre un rouge en fusion qui éclate
la réponse profonde à line nécessité qui dans l’obscurité p rop ice d’une chambre
•oblige Grimault à enchaîner ses réali­ secrète.
sations avec une prudence d’explora­ Car, au-dessus des formes, règne le
te u r qui ne se risque pas inutilement. m ouvem ent. Avec u ne agilité unique,
Les dessins anim és de Trnka, chaque Grimault m et en joue la perspective,

50
accélérant les effets de Téloignement, tion de la p ellicu le sensible et de la
donnant au vide et à la distance, aux caméra, celui capable de la plus grande
chutes et apparitions une vertigi­ plénitude, des plus hautes acceptions.
neuse. éloquence qui n ’appartient qu’à Mais il' est aussi pour cela la plus ex i­
lui. Partout où Grimault a pu s’en assu­ geante, la plus épuisante forme de cin é­
rer, son rythme délié et contracté, son ma. Les m oindres défaillances sont
anim ation m inutieuse distribue des im pitoyablem ent soulignées, car les p i­
accélérations et des ralentis imprévus, rouettes du style, du beau langage et
qui dem eurent devant notre émotion de la culture générale ne peuvent rien
com m e les secrets m otives et insaisis­ contre l ’infernale m ultiplication des
sables des personnages dessinés, comme efforts et des décisions créatrices. Le
leur p o id s poétique. L’embarras du Dessin Animé de long métrage, en poin­
p ein tre du Roi arrivant au moment où tant ces difficultés à l’infini, devient
il va lui falloir peindre les yeux lou­ une épreuve redoutable. Walt D isney
chons du monarque — la scène de la s'est préservé de ces dangers par une
chasse — la danse du chef de la police organisation m ilitaire, centralisée, fonc­
évitant les trappes en damiers — le tionnelle, prévoyant des renforts et dès
brusque et inoubliable départ du Roi troupes fraîches. En France, Jean
fâché sur son trône-scooter, en sont Image, incapable de réunir un sem­
de parfaits exem ples. Certains gestes de blable arsenal, s’est contenté d ’accum u­
rO ïseau-Père, unç prodigieuse sortie de ler, avec une sereine naïveté et une o p i­
fauves et surtout le Roi tout entier, sont niâtreté digne d’éloge, le - bâclé et le
des réussites sans équivalent dans l ’art prem ier jet.
de ranim ation. L’entreprise colossale des « Gé­
En donnant sa v oix au Roi, Fernand meaux » a mal fini. Collaborateurs et
Ledoux a encore accru la force du per­ financiers se sont épuisés à la tâche.
sonnage. Grimault est le prem ier dessi- Mais nous ne pouvons mesurer exacte­
nam éiste qui ait perm is a des héros de ment l ’im prudence de Grim ault Un
dessins anim és de parler autrement Grimault finissant La Bergère, plus
qu’en am éricain nasillé, sans qu’ils sim ple, plus rapide, plus économique,
p erd en t cette truculence qui a fait le ce serait un autre créateur sans rap­
su ccès d’un Donald. Dans L ’Epouvan- port avec l’original ; de mêm e que La
tail, le héros principal avait tout une Bergère terminée, pom ponnée, n aurait
tirade : « Des Oiseaux. Mais les oiseaux peut-être pas été exactem ent cette per­
quand ils me voient, ils se sauvent ». fection non saisie qui fait rêver les
Cependant, le personnage de l ’Ois&au- critiques insatiables.
bavard perd beaucoup de son agré­ Après la réalisation de ce film, tel
ment, par la faute de Pierre Brasseur qu’il est présenté, Grimault demeure
qui a le tort d’aller au bout de sa v o ix celu i qui a le plus et le m ieux risqué
et de côtoyer constamm ent la limite sur les p ossibles du D essin Animé. Le
au delà de laquelle il ne peut plus rien film a coûté cinq cents m illions, mais
faire. pour ce prix Grimault a entrepris et
m ené un film qui, dans son état actuel,
Certes, le film a eu des malheurs. Il représente autre ch ose qu’un long m é­
com porte des trous dans lesquels dispa­ trage de Walt Disney. On s ’aperçoit
raissent des personnages et des scènes m aintenant que, P în n o c h io mis à part,
entières. Certains plans finissent en et Blanche-Neige m ise en tête, les
queue de poisson, et d’optim istes car­ longs métrages de Walt D isney étaient
tons fixes rem placent les scènes finales. en trom pe-l’œil. Le Dessin Animé
Mais il est im possible de croire que le vit en ce m om ent son époque tchèque ;
« Gémeau » Sarrut n ’a terminé le film les films publicitaires, et mêm e les réali­
dans des conditions aussi excessives sateurs russes vienn en t aux joies pures
que pour faire quelques économ ies, et du style graphique et de l’expression­
qu’il s ’en est vraiment « donné à cœur- nisme. Les Tchèques (Trnka mis à part)
joie » com m e l’affirmait un critique auront demain la place enviable que
p articulièrem ent imaginatif. Walt D isn ey va perdre. Malgré son
Le D essin Animé est une formidable im portance, Grimault ne doit pas p en ­
entreprise. Pas un mouvement, couleur ser à cette succession. Sa sérénité clas­
ou notation qui ne parte d’une feuille sique, son dynam ism e discret le dési­
vide, où le créateur doit fixer progres­ gnent pour une place unique, in dispen ­
sivem ent son idée. C’est justement parce sable, prophétique et exem plaire en
qu’il est création totale que le dessin pure perte, semblable à celle de Patt
anim é est de tous les modes d’utilisa­ Sullivan, l ’inventeur de F é lix le Chat,
et de Max Fleischer, père de K o k o le com m e un produit de manufacture, o u
Clown, contem porains de D isn ey, que mêm e d’atelier, et laissé pressentir ce
M ickey Mouse a grossièrem ent d issi­ que serait l ’im possible épanouissem ènt
mulé. d ’un art, dont l’approche m alheureuse­
Avec La Bergère et le R am oneur, ment ne peut qu’être accidentelle et
Paul Grimault et son équipe ont réussi catastrophique.
le PREMIER LONG METRAGE D E DES­
SIN ANIME qui ne soit pas con d itio nn é An d r é M a r t in

LE RÉEL ET L’IMAGINAIRE
CRIN BLANC, film français d ’ALBERT L a m o r is s e . Images : Edm ond Séchan.
Musique : Maurice Le Roux. In te r p ré ta tio n : Alain Emery. P rodu ctio n : F ilm s
Montsouris. Distribution : A.G.D.G., 1953.

D es exceptionnelles qualités du film qu’elle n ’était point inoffensive : La


de Albert Lamorisse, il a été déjà beau­ F ontaine est un moraliste cynique et la
coup écrit. Cela nous dispensera de Comtesse de Ségur une diabolique
revenir sur les plus évidentes d’entre grand’mère sado-masochiste. Il est d é­
elles pour souligner davantage un sorm ais admis que les contes de P er­
aspect particulier quoique essen tiel de rault recèlent les plus innom m ables
l’œuvre. sym boles et il faut bien avouer- que
Précédem m ent déjà, avec B im le p e t i t l ’argumentation des p sychanalystes est
âne, A. Lamorisse avait affirmé l’ori­ difficilement réfutable. Au dem eurant,
ginalité de son inspiration. B im est point n’est besoin de recourir à leur
peut-être avec Crin Blanc le seul vrai systèm e pour apercevoir dans A lice au
film pour enfant que le ciném a ait P a ys des Merveilles ou dans les Contes
encore produit. Certes il en 'existe d ’Andersen, la profondeur d élicieuse et
d ’autres — pas si nom breux du reste terrifiante qui est au p rin cipe de leur
—- convenant à des degrés divers à de beauté. Leurs auteurs ont une p u issa n ce
jeunes spectateurs. Les Soviets ont fait de rêve qui rejoint par sa nature et
dans ce dom aine un effort particulier, son intensité celle de l’enfance. Cet
mais il me semble que des films com m e univers im aginaire n’a rien de puéril.
Au loin une voile s’adressent déjà à de C’est la pédagogie qui a invente p our
jeunes adolescents. La tentative de pro­ les enfants les couleurs sans danger,
duction spécialisée de J.A. Rank a mais iï n ’est que de voir l’usage qu’ils
totalement échoué, économ iquem ent et en font pour être fixé sur leur vert
esthétiquement. En fait si l’on voulait paradis peuplé de monstres. Les auteurs
constituer une ciném athèque ou un cata­ de la vraie littérature enfantine ne sont
logue de programmes convenant à un donc qu’accessoirem ent et rarem ent
public enfantin, on n ’y pourrait mettre éducatifs (Jules Yernes est peut-être le
que quelques courts métrages sp éc ia le­ seul). Ce sont des poètes dont l’im agi­
ment réalisés avec un bonheur in égal et nation a le privilège d’être restée sur
un certain nombre de films co m m er­ la longueur d’onde onirique d e l ’en­
ciaux — parmi lesquels des dessins fance.
animés — dont l’inspiration et le sujet C’est pourquoi il est toujours aisé de
sont d’une suffisante puérilité : certains soutenir qu’en un certain sens leur
films d’aventures en particulier. Mais œ uvre est néfaste et qu’elle ne co n v ien t
il ne s ’agit pas d’une production spé> en réalité qu’aux adultes. Si l’on veut
cifique, sim plem ent de films in telli­ dire par là qu’elle n ’est pas édifiante,
gibles par un spectateur d’un âge m en ­ on a raison, mais c ’est un p o in t de vue
tal inférieur à 14 ans. On sait que les pédagogique et non esthétique. Au
films am éricains ne dépassent pas sou- contraire, le fait que l’adulte y trouve
vent ce niveau virtuel. Ainsi en va-t-il aussi un plaisir, et peut-être p lus co m ­
des dessins animés de Walt D isney. plet que l ’enfant, est un signe de l ’au­
Mais on voit bien que de tels films thenticité et de la valeur de l’œ uvre.
n’ont rien de com parable à la vraie L’artiste qui travaille spontaném ent
littérature enfantine (pas abondante du pour l’enfance rejoint sûrem ent l ’u n i­
reste). Jean-Jacques Rousseau avant les versel.
disciples de Freud s’était déjà avisé C’est en ce sens, le plus noble : celu i

52
d’une certaine qualité de poésie, qu’on D ans tous les cas ils s’opposent au
peut tenir Crin Blanp pour un film romanesque du film de fiction.
d’enfant. Il est l’équivalent ciném ato­ Pour des raisons qui paraissent
graphique d’un conte d’Andersen (plus d’abord accidentelles et stupides, on
peut-ctre que de Perrault). Albert assim ile- généralem ent en F rance la
Lamorisse a su im aginer un m y th e notion de documentaire à celle de court
sim ple et beau dont les affinités avec métrage. Ce malentendu se révèle pour­
le ciném a sont particulièrem ent heu ­ tant instructif dans le cas de Crin
reuses. Il est évident, en effet, que Blanc, Ce serait en effet trahir le film
l ’art du film est, m ieu x que tous les de Lamorisse que de le considérer
autres, capable de rendre sensible la com m e u ne œuvre de pure fiction, au
poésie de l’enfance et celle du cheval. m êm e titre que Le R ideau Cram oisi par
L’écran a donné aux m ythes centau- exemple. Sa crédibilité est certainem ent
resques une réalité qui surpasse celle liée à sa valeur documentaire, Les évé­
de la sculpture et de la littérature nem ents qu’il représente sont partiel­
antiques. Mais dans le w estern, par lem ent vrais. Le paysage de Camargue,
exem ple, le cheval reste encore subor­ la vie des éleveurs et des pêcheurs, les
donné à l’histoire, il n’en est qu’un élé­ m œurs des manades, constituent la base
ment. Dans Crin Blanc, il est l ’objet de la fable, le p oin t d ’appui solide et
même, la m atière du m ythe, c ’est lui irréfutable du mythe. Mais sur cette
qui détermine la ligne sim ple et m élo­ réalité se fonde justement une dialec­
dique du conte jusqu’à la métamorphose tique de l’im aginaire dont le dédouble­
finale, du cheval en Hippocam pe. m ent de Crin Blanc est l ’intéressant
Et à ce propos, une réflexion que symbole. Assurément, la réalisation du
j’emprunte à Roger Leenhardt me sem ­ film a exigé de nombreuses prouesses.
ble mériter une m éditation critique. Le. Le gamin recruté par Lam orisse n’avait
paradoxe, remarquait devant nous l ’au­ jamais approché un cheval. 11 fallut lui
teur des D ernières Vacances, c ’est que apprendre à monter à cru. Plus d’une
la beauté de l ’histoire, sa crédibilité scène parm i les plus spectaculaires ont
m êm e soit liée au fait qu’Albert Lamo- été tournées presque sans trucage et en
rissc ait dû em ployer deux chevaux tous cas au mépris de périls certains.
confondus pour le spectateur par le Et £>ourtant il suffit d’jr réfléchir pour
subterfuge du montage. com prendre que si ce que m ontre et
D ’abord stupéfiante cette affirmation signifie l ’écran avait dû être vrai, effec­
apparaît, si l’on y prend garde, d’une tivem ent réalisé devant la caméra, le
évidence féconde. E lle éclaire les rap­ film cesserait d’exister car il cesserait
ports du réel et de l’im aginaire à du m êm e coup d ’être un mythe,
l ’écran. C’est la frange de trucage, la marge
On peut en effet poser en postulat de subterfuge nécessaire à la logique
critique le paradoxe suivant : le réa­ du récit qui perm et à l ’im aginaire, à la
lism e de l’im age cinématographique fois d’intégrer la réalité et de s ’y sub­
m ultiplie ses pouvoirs d’illusions. C’est stituer, S’il n’y avait qu’un seul cheval
dans la mesure mêm e où l ’écran s ’ap­ sauvage péniblem ent soumis aux ex i­
proch e davantage de la réalité qu’il gences de la p rise de vue, le film ne
satisfait m ieux que tout autre m oyen serait qu’un tour de force, notre intérêt
d ’expression l ’im agination humaine. n ’irait plus qu’à l ’acrobatie des inter­
L ’objet de celle-ci n’étant autre en effet prètes : on voit b ien ce qu’il y perdrait.
que de rivaliser avec le m onde sensible, Ce qu’il faut pour la p lénitude esthé­
et d’une certaine m anière s’y substituer, tique de l ’entreprise, c ’est que nous
le cinéma est évidem m ent l ’art qui puissions croire à la réalité des évé­
accom plit le plus parfaitement, au delà nem ents en les sachant truqués. P oin t
du roman et m ieux que lui, ce projet n ’est besoin certes au spectateur de
fondamental. Il serait trop long de savoir expressément qu’il y avait deux
disserter ici sur cette prop osition, que ch evaux ou qu’il fallait tirer sur les
le lecteur- je pense, acceptera v o lo n ­ naseaux de l’animal avec un' fil de
tiers. Remarquons seulement qu’elle nylon pour lu i faire tourner la tête à
fond e la distinction traditionnelle entre propos. Ce qui im porte seulement c ’est
les films « à scénario » et les docu­ qu’il p uisse se dire, tout à la fois, que
mentaires, Ceux-ci sont habituellement la m atière prem ière du film est authen­
con sid érés com m e, soit une pure et tique et que, cependant, « c ’est du
sim ple reproduction de la réalité, soit, ciném a ■». Alors l ’écran reproduit le
à la rigueur, com m e sa reconstitution. flux et le reflux de notre im agination

53
Les deux liéros de Crin lilanç ; Folco (A lain E m ery) et u n des... « C r i n s Bltmcs ».

qui se nourrit de la réalité à' laquelle du cheval et d e l ’enfant. Un panora­


elle projette de se substituer, la fable mique ou un travelling arrière le pou­
naît de l’expérience qu'elle transcende. vait. Cette sim ple précaution eut a u th en ­
Mais réciproquem ent il faut que l’im a­ tifié rétrospectivem ent tous les plans
ginaire ait "sur l ’écran la densité spa­ antérieurs tandis que les deux plans
tiale du réel. Le montage ne peut y su ccessifs de F olco et du cheval en
èire utilisé que dans les limites p ré­ escam otant une difficulté, devenue p our­
cises, sous peine d ’attenter à l’ontologie tant b énigne à ce m oment de l ’épisode,
même de la fable cinématographique. vienn en t rom pre la belle fluïditc spa­
Par exemple, il n ’est pas permis au tiale de l’action. Tout le problèm e
réalisateur d’escamoter par le champ esthétique de ce genre de film est là :
con tre-cham p la difficulté de faire voir quand peut-on ou ne peut-on pas p a s­
deux aspects simultanés d’une action. ser au m ontage ? Fait « au m ontage »
Albert Lamorisse Ta parfaitement com ­ le film de Lam orisse n ’existerait pas,
pris dans la séquence de la chasse au m ais sans le m ontage il ne pourrait pas
lapin où nous avons toujours simulta­ exister. Si l ’on s ’efforce m aintenant de-
ném ent dans le cham p le cheval, l ’en ­ com prendre pourquoi et com m ent, il
fant et le gibier, mais il n ’est pas loin m e semble qu’on pourrait poser là en
de commettre une faute dans celle de loi esthétique le p rin cip e suivant :
la capture de Crin Blanc quand l ’enfant « Quand l’essentiel d’un événem ent est
se fait traîner par le cheval au galop. dépendant d’une présence sim ultanée de
II n'importe pas alors que l ’animal que deux ou plusieurs facteurs de l’action,
nous voyon s de loin traîner le petit le m ontage est interdit ». Il reprend
F olco soit le faux Crin Blanc, pas même ses droits chaque fois que le sens de
que pour cette opération périlleuse Faction ne d épend plus de la con ti­
Lamorisse ait lui-même doublé le gamin, guïté p hysiq u e m êm e si celle-ci est
mais je suis gêné qu’à la fin de la im pliquée. P ar exem ple, Lam orisse
séquence, quand l ’animal ralentit puis p ouvait m ontrer ainsi qu’il l’a fait, en
s’arrête, la caméra ne me montre pas gros plan, la tête du cheval se retour­
irréfutablement la proxim ité physique nant vers l ’enfant com m e pour lu i faire.-

54
obédience, mais il aurait dû dans le est-il tout à la fois le vrai cheval qui
plan précédent lier par le même cadre broûte encore l’herbe salée de Camargue
les deux protagonistes. et l ’animal de rêve qui nage éternelle­
C’est aussi pourquoi les films de m ent en com pagnie du petit Folco. Sa
F lalierty ne peuvent et ne doivent réalité cinématographique ne pouvait se
presque pas recourir au montage. La passer de la réalité documentaire, m ais
séquence de la p êch e au crocodile dans il fallait pour que celle-ci devint vérité
Louisiana S to ry est manquée pour cette de notre im agination qu’elle se détruise
seule raison. et renaisse dans la réalité elle-même.
J’ai parlé de deux chevaux. Il y en
eut en fait plusieurs. Ainsi Crin Blanc A n d r é B azin

TER RE ANNÉE ZÉRO


FIVE (LÈS CINQ SURVIVANTS), film am éricain d ’ARCH O b o l e r . Scénario :
A r c h Oboler. Images : Sid Lubow. Musique : Henry Russell. In terp rétation :
W illiam P hipps (Micliael), Susan Douglas (Roscanne), James Andcrson (Eric),
Charles Lampldn (Charles), Earl Lee (Mr. Barnstaple). P ro d u ctio n : Arch Oboler
(1952). D istribution : Columbia.

V o ici enfin une œuvre de celles qui assure les plus gros tirages, époque aussi
affirment la raison d’être du « Cinéma dont les moralistes n ’ont point d’autre
d’Essai ». conduite à nous dicter que de m archer
Nul doute, en effet, que Five n ’au­ dans la vie, une vipère au poing.
rait p o in t trouvé d’exploitants, le cin é­
ma d ’essai ne l ’eût-il programmé.
Il faut rappeller que Five est le p re­ F ive prend pour sujet la survivance
m ier film de Arch Oboler, le suivant de cinq personnes sur la terre après
étant le prem ier 3 D à lunettes pola- l ’explosion de la bom be atomique. Trois
roïdes : Bw ana deu il. Arch Oboier, d’entre elles meurent et l ’histoire de
com m e jadis Orson Welles, est un la terre recom m en ce avec le couple.
h om m e de radio. Auteur de quatre cents D ’avoir vécu l ’cre atomique sera leur
p ièces, il a rallé tous les prix radio- p é c h é originel et c ’est par le thèm e
plioniques. d’Adam et Eve que se clôt le film ou,
si l ’on veut, celui de Noé survivant au
déluge p rim itif et com m e tel purifica­
teur.
F ive est très exactem ent un film On sait que ce genre d’histoires est
d’avant-garde si l ’on admet d’étiqueter le type m êm e du faux bon scénario.
ainsi un film conçu et réalisé à l’écart A partir de l ’idée trouvée^ il faut tout
de toutes considérations commerciales, inventer et savoir résister aux tenta­
avec les m oyen s qui sont ceux du tions que ne m anque pas d’offrir un
ciném a d’amatèur, sur un sujet peu univers vierge d e toutes conventions.
com m ercial et m aladroitement fait, C’est ici, m ieux que nulle part ail­
com m e il se doit. leurs, qu’il convient de recréer le
« L’esprit 16 m/m. » que loue si fort m ond e et de savoir « jusqu’où l ’on
Cocteau présida, sans nul doute, à la peut aller trop loin ».
réalisation de ce film que sa conception Arch Oboler a su parfaitem ent cons­
techn iqu e rapproche de Après le c r é ­ truire son scénario jusqu’à le rendre
pu scu le vien t la nuit, le Silence de la vraisemblable. L’extrêm e rapidité des
m e r et les filins américains d ’avant- scènes et leur sobriété dans l ’outrance
garde ; mais il n’a pas la folle préten­ leur donnent une p leine efficacité. Les
tion de ceux-ci, l ’esthétism e attardé de difficultés ne sont jamais escam otées et
ceux-là, défauts à quoi se substitue ic i je n ’ai souvenir de rien de plus terri­
la seule générosité. fiant que cette scène où la folie s’em­
F ilm d ’une grande probité, d'une sin ­ pare de l’alpiniste en voyant sur sa
cérité égale et d’une naïveté authen­ p oitrin e les signes de la radiation m or­
tique, F ive im pose à notre esprit la telle ; il crie et part en titubant au
notion de sym pathie, ce qui est bien m ilieu des squelettes épars çà et là dans
agréable à notre époque où haïr sa mère la ville morte et disparaît dans la
est un gage d’élégance, tuer son père « prem ière rue à droite ».

55
S u san D ouglas d a n s F in e d ’Arcli Oboler.

Il faut signaler la grande beauté de est le charme essentiel, il semble que


l'héroïne dont les joies et les p ein ès cette pauvreté de moyens pouvait seule
s’inscrivent sur son visage, donnant à assurer la réussite, et l ’on songe avec
ce film l’aspect d'actualités d'après effroi au ratage qu'eût été cette entre­
Père atomique. C'est là, d'ailleurs, qu’est prise, conçue et réalisée suivant les
le m iracle de ce film ; à aucun m o ­ norm es de la production am éricaine
m ent l ’on ne songe à une reconstitu­ qui devient m édiocre et prétentieuse
tion ; le film semble réellem ent avoir dès qu’elle tente de s ’évader des thèmes
été tourné après l' « explosion » avec traditionnels qu’elle sait traiter royale­
du m utèrieï et âe la p ellicule m iracu ­ ment.
leusement réchappés. F r a n ç o is T r u f f a u t
Dans la m ise en scène apparaît tout
ce qui caractérise le cinéma d’ama­
teur : photographie floue et piquée, A près u n e exclusivité de six j o u r s , F iv e
q u itte l ’nfflehe. J ’é tais donc d a n s l ’e r r e u r en
visages blafards (dus à l'em ploi de d é c la r a n t a u d é b u t d e cet a rticle : « Voici enfin
floods au lieu de projecteurs), travel­ u n e œ u vre q u i affirm e l a r aiso n d ’être d u
lings tremblés, cadrages insolites, angles « Ciném a d ’E ssa i » ».
F a u t - il ra p p e le r que l ’in térêt d u « Ciném a
rares, dém arche lente, « très 16 m /m > d ’E ssa i » est de p o u v o ir révéler des film s
et jeu des acteurs assez lim ité et presque in té r e s s a n ts que la m odestie de le u r s ta n d in g
dépourvu d’inventions (1). c o n d a m n a it à (l’in co m préh en sio n.
C’est l ’A ssociation de la C ritiqu e F ra n ç a is e
voilà bien les défauts qui nous em ­ q u i a créé le « Ciném a d ’E ssa i » et q u i éta­
pêchent de prendre au sérieux les essais b l i t l a p r o g ra m m a tio n a p rè s v isio n des film s
en 16 m /m ou en 35 m /m où des proposés.
C’est d onc à la C ritique et p a r tic u liè re m e n t
com m entaires emphatiques et des p ar­ a u x c ritiq u es des qu o tid ien s q u ’il a p p a r t e n a i t
titions empruntées à Bach et V ivaldi de ratifier leu r p r o p re choix et de s o u te n ir
ne pallient jamais à la pauvreté de l'ins­ ce film.
Fiuc a te n u six j o u r s et rien n ’a p a r u d a n s
p iration (presque toujours pédérastique, la presse.
p sychanalytique, démesurée en regard Sign alons p o u r te r m in e r que le « C iném a
de la pauvreté de m oyens). d ’E ssa i » a « lan cé » E lle n ’a danse q n ’iin
se u l été (six m o is d ’ex clusivité), B onqolo et
Mais dans ce film, dont la m o d estie a u t r e s E scales dtc désir.

(1) Des im puretés sur l'image révèlent que l ’on om it quelquefois de nettoyer
l’objectif !

56
NOTES SUR D ’AUTRES FILMS
FEMMES EN CAGES, filin américain Il ne l ’était pas en effet. Sur un sujet
de J o h x C r o h w e l l . — Les mois de plus ou m oins heureusem ent rebattu,
mai et juin auront été fertiles, en celui de la m alfaisance m orale et sociale
program m es sabotés par . une* distri­ des prisons con çu es de façon pure­
b ution assez sotte poxir ne pas même ment répressives, Èrom w ell a su adop­
s a v o ir ’ p ro fite r.. de ses atouts gratuits. ter un t o n . qui force d e nouveau l ’at­
En effet, sont sortis presque clandes­ tention. La rigueur du -scénario tout
tinem ent au cours de ces dernières d’abord est assez inhabituelle : on
sem ain es des films co m m e Pâques San­ prend l ’héroïne à son entrée en .prison,
glantes de De Santis et Le Compagnon on la quitte à la sortie. D ’une, fem me
S ecret d’après Joseph Conrad. Le pre­ quasi- innocente,, condam née à un an
mier est passé uniquement en version pour avoir fait le guet pendant un
doublée dans une petite salle des bou­ cambriolage où son m ari fut tué, un
levard s com m e s’il s’agissait effective­ régime de co ercition im bécile et in té ­
ment du quelconque mélo paysan assai­ rieurement pourri a fait im placable­
son né d ’érotîsnie dont il a d ’un certain ment . une future crim inelle que ,des
côté les apparences. Or, quoi qu’on com plices attendent déjà à la porte
pense du film,, il est évident qu’il devait dans une luxueuse voiture le jour de
obtenir, m êm e dans ces conditions, l ’at­ sa relaxation. Certes, com m e i f s’agit
tention ' de la critique. Celle-ci est cou­ d ’un petit film aiix m oyens visiblem ent
pable 'd’avoir besoin ■ de stimulants, limités, le traitement de détail n ’est
mais elle n ’est pas sans excuses quand pas-sans faiblesses. Les situations,et les
les films sortent à la sauvette sous des personnages sont’ parfois con vention­
titres parfois m éconnaissables (Rappe- nels : telle l ’opposition facile de la
Jez-vous W alk in the snn devenu Com­ bonne d irectrice qui voudrait bien
m a n d o de la Mort) dans des salles appliquer, de m eilleures méthodes, et
in habituelles. Le cas du Compagnon de; la ’ m échante gardienne en chef
S ecret est plus typique encore ; pas­ vénale,- cruelle et protégée par d’abom i­
sant en bouche-trou avec L ’Enigme du nables politiciens. Mais on pardonne
Chicago E xpress, le filin n ’était même aisément ces con cessio n s' du scénario
p a s an non cé à l ’extérieur. La critique pour la vérité de la m ise en -scène où
n ’a reçu à son sujet aucune docum en­ se.retrouve la patte un peu lourde peut-
tation alors qu’elle devait avoir à p r io r i être mais honnête et convaincante de
iin préjugé favorable pour une adap­ John Cronnvell. Des cadrages presque
tation de Joseph Conrad. Mais comment toujours en plans rapprochés, mettant
Taurait-elle su... pour peu qu’elle m an­ essentiellem ent en scène, sur les visages,
quât seulem ent le générique. D ’ailleurs une image grise et dure épurée jusqu’à
la form ule de' deux m oyens métrages l ’ascétisme de toute beauté plastique,
était originale : rien non plus ne la une direction d’acteurs dans le même
soulignait. C’est de cette façon que la style, donnent au film une unité de ton
m eilleure adaptation dé Graham Greene, qu’on ne rencontre pas si ■ souvent.
B righto n R ock, est passée inaperçue Caged méritait en tous cas m ieu x que
sous le titre im b écile de : Gang clés. le silence. Allez le v o ir s’il passe à votre
Tueurs. portée."— A.B.
Aussi p erso n n e n’a-t-il eu l’idée d’aller
voir F em m es en Cages. Qui aurait osé LE RENNE BLANC (VALKOINEN
affronter un titre pareil, confirmé par PEUTAh film, finlandais d’EiUK B lom-
une p u b licité qui semblait elle-même üerg.
en avoir h onte ? Pour ma part, c ’est le
dernier jour seulement que, m’avisant Voilà une saga finlandaise. La jugèr
qu’il s ’agissait d’un film de John avec nos habitudes n’est pas possible.
Crom well, je m ’y suis tardivement pré­ Il faut s’y refuser ou participer à sa
cipité. Car enfin un film du réalisateur magie. Car c ’est bien de m agie qu’il
de Abe L in coln in Illinois et Le Cottage s’agit. Une jeune fem m e se trouve
enchanté, avait tout de mêm e des envoûtée et, sous la form e d ’un majes­
ch a n ces de n ’être pas indifférent. tueux renne blanc, attire les chasseurs

57
5
pour les perdre. Ils c h o y e n t (Tailleurs Dr. CYCLOPS (DOCTEUR CYCLOPE),
étrangement en eux cette attirance. On film am éricain de E r n e s t B. S c h o e d -
sent qu'elle correspond à un in ten se SACK.
besoin de ra ce solaire — so la ire du
soleil: polaire, du soleil de m inu it, d’au­ Le D o cteur Cyclope est un film p a s­
tant plus pur. On peut aussi rêv er sur sionnant. Nous sommes au Pérou où
l'ambiguïté de la scène où le m ari qui des Pérologues-etats-unisiens (?) v ie n ­
vient de tuer enfin le renne y reco n n a ît nent je ne sais plus quoi faire.
l’enveloppe charnelle de sa fem m e et Ils auront affaire à un v ila in b o n ­
surprend son propre plaisir du meurtre. hom m e qui est bien un savant, m ais
La forme, le style est souple, r e c o n ­ de ceux qui mettent leur scien ce au
naît dans les neiges les leçon s suédoises. service du mal. Aussi, après avoir
Ne boudons pas trop notre agrém ent. réduit un clieval à 30 cm de haut, c e
Yoici, pour u n e fois, un exotism e qui docteur, surnommé Cyclope autant pour
n'est pas frelaté. Il est réel et serein. sa m yopie morale que p hysique, com p te
Il joue sur les m ythes et les a n cien n es bien faire subir le m êm e sort à se s
croyances. N ’oublions pas que le c in é ­ hôtes. Il y parvient d’ailleurs et v o ic i
ma finlandais produit chaque année cinq personnes (dont une charm ante
une trentaine de films. Le ch a rm e de fille) réduits à une taillé de quinze c e n ­
celui-ci, s’il peut nous sem bler quel­ timètres, lâchés dans la nature, m an­
quefois un peu long, peut nous faire, quant être bouffés par un gros ch at
espérer quelques heures agréables de et poursuivis par le D octeur C yclope
dépaysement. -— M.D. - qui lès fourre dans un filet à papillons.
Comme on l’aura vu, tout cela ne
m anque pas d’être assez extraordinaire.
LE QUATRIEME HOMME, film a m é ­
r i c a i n de P h il Ka r l so n . Ce film, aux couleurs incertaines, a
dix ans d’âge. C’est aussi son âge m en ­
Ce quatrième hom m e ne .vaut guère . tal. Dans ces films, ou les savants so n t
mieux que son prédécesseur ; j e dirai fous et ou l ’on se marie à la fin, rare­
même qu’il est plus m auvais puisq ue ; ment un seul baiser est échangé. U n e
rien, à quoi prend part Orson W elles, sim ple pression sûr le bras tient lieu
ne nous est indifférent. D ans ce de faire part.
film, le cinéma est escam oté. Tout C’est par ces deux idées : la vanité
se passe à droite, à gauche ou au- de la science sans co n sc ien ce et le
dessous de l ’écran et toujours hors resp ect de la femme, que ces petits
de notre vue. On dit que' des critiques films de série Z rejoignent le grand
ont reproche au film le « sad ism e gra­ ciném a adulte que représentent H itc h ­
tuit ». Même gratuit, le sa d ism e ne cock, Renoir et Rossellini, sans passer
m ’eût pas gêné; mais com m ent n om m er par les vils interm édiaires que Jean-
ainsi ces astuces de bande son ore, ces Pierre Barrot nomme sans rire : « La
yeux savamment beurrés au n o ir par tradition de la qualité » et que je
d’habiles maquilleurs, ces co u p s de con sid ère pour ma part com m e l’âge
poing dans le vide. Toutes les bagarres ingrat du cinéma avec ce que cela
sont faites au montage com m e l ’eût pu.- com porte de basses plaisanteries, d ’h y ­
faire le prem ier écolier venu. pocrites méchancetés.
Les mérites de ce film sont en dehors C’est par ce qu’ils exprim ent de q uo­
du film m êm e : tidien que m ’attachent les films « fan ­
1°) Scénario très anti-flic ; tastiques
2°) P lu sieurs fois m alm ené par la L’évidente beauté d’un bras nu, le
censure ; velouté d’un corsage ou la rugosité de
3°) Le plus joli slogan p u b lic ita ire : , son tissu, la fraîcheur d’un gen ou vierge
« Le film le plus invraisem blable de de tout nylon, seuls, à part H itchcock ,
l’année ». R ossellini, Renoir (toujours eux), Elmer
4°) Une fille, pas très jolie, prépare Clifton, Douglas Sirk, Ida Lupino et
son droit, mais ses yeu x p la id en t déjà quelques autres savent l ’exprim er.
en faveur de l ’amour, ex e rc ic e qu’elle Cette haute notion de la fem m e et
semble avoir très: envie de pratiquer du respect qui lui est dû, est; le b ien le
pour m eubler les- longues so irées de plus précieux du ciném a tant du p o in t
vacances dans cette île, qui n ’est pas de vue de la morale que de celui de
sans évoquer Keij Largo que l ’o n p lagie l’érotisme.
au passage. Le Quatrième, h o m m e ou Cette extrême retenue, cette d élica ­
cinq nigauds dans une île ? — F.T. tesse des sentiments sont com parables

68
à celles des magazines de notre enfance. changer de ton. Sans elle, le film serait
D ans l’uii d’eux j ’appris le 'plus beau inexistant ; avec elle, tout soudain se
mot. du m onde : le mot idylle. — F .T. justifie, y com pris les invraisem blances
et les fautes de goût. C’est une histoire
qui aurait ç u lu i arriver, pense-t-on en
Ti-IE MUMMY’S HAND (LA MAIN la voyant jouer si mal si bien. Voilà
DE LA MOMIE), film américain de
Ch r is t y Cabanne.
une forme de néo-réalisme sentimental
qui n’est pas indifférente. — F.L.
La m om ie dont il est question a la
m ain facile. Vivant depuis 3.000 ans MAN IN THE DARK (J’AI VECU
sous l’influence d’un fluide, Kliaris, DEUX FOIS), film am éricain en relief
inom ie ni mâle ni fem elle, garde jalou­ binoculaire (procédé N a tu r a l vision) de
sement le tombeau de la p rincesse L knv L a n d e i \ s . .
Ananka (17e dynastie des Pliaraons) sur
qui, précisém ent, des égyptologues am é­ C’est devenu un lieu commun en
ricains aim eraient bien jeter un coup même tem ps qu’une vérité prem ière
d’œil. P réoccupé que j’étais de la que de constater que les films en 3 D
consistan ce du corsage de la d octo­ .(lunettes polaroïdes) aboutissent au ré­
resse - exploratrice - égyptologue - améri­ sultat contraire de celui recherché : ces
caine, j’ai tout à fait oublié de suivre films en relief nous apportent une sen­
l’histoire, m ais qu’im porte puisque cette sation nouvelle : celle du plat, et, visant
dame épousera son com pagnon de à un surcroît de réalisme, nous intro­
voyage, lequel, en dédommagement, duisent dans un univers naïvement
sera nom m é : « Directeur d’uu im por­ insolite, parfaitem ent imaginaire.
tant musée ». Il est bien évident que, dans la vie,
N ’oublions pas de .dire que ce film nous ne voyon s pas « en relief » ;
réalisé par un élève de Griffitli, demi- notre vue s’assujettit tour à tour -sur
angle de la « Triangle est très ce qui nous occup e et de voir nette­
ennuyeux et que seuls les Benayoun, les ment sur tous les plans quelle que soit
Kirou et autres Adonis pourront se leur profondeur n ’est pas le m oins
l'annexer pour gonfler un peu le bien déroutant. C’est cette excessive netteté
m ince dossier du ciném a surréaliste qui p rocure la p énible im pression de
(malgré lui). — F.T. « découpage suivant le pointillé ».
Silhouettes plaquées devant le décor.
THE LIGHT TOUCH (MIRACLE A Il faudra réinventer le flou, sans quoi
TUNIS), film am éricain de R i c h a r d la crédulité ne saurait aller.
B r o o k s .. — Pier Angeli ou la vertu Il est amusant de noter que la seule
récom pensée. Brooks n ’a plus ic i les scène efficace du point de vue de la
arêtes aiguës de D ead L in e , mais ü a subjectivité est celle du scéuic-railw ay
fort bien com pris qu’avec cette jeune tournée avec une caméra ordinaire, à
fille, pour qui le film est fait, il fallait l’aide d’une transparence... — F-T.

S9
LIVRES. DE CINÉMA
Ado Kyrou : LE SURREALISME AU CINEMA (Editions Arcanes, 1953).
Voici le prem ier livre de langue française — à ma connaissance — c o n s a - ■
cré au rôle du surréalisme dans le cinéma. Il est écrit par un surréaliste, c ’est-
à-dire sur le ton pamphlétaire et p assion né qu’André Breton çou ssa si so u v en t
à la perfection. Kyrou — q u i- a perdu la m oitié de son prénom dans l ’o p é ­
ration — ne possède pas encore les secrets d'écriture qui rendent in co m p a ­
rables les différents « Manifestes du surréalisme », ou « Nadja ■$>, ou « Les
pas perdus », et son étiule eut gagné, à mon sens, à être écrite plus sim p le ­
m ent et avec.un m oindre souci des form ules classiques du genre. Pourtant ce n ’e s t
là que détail, la sincérité,, le naturel, la franchise, la persuasion r e m p o r te n t
sur la légère irritation que peut procurer cette orthodoxie. Mais Kyrou c h e r c h e
aussi à irriter et y parviendra auprès de certains. Ceux, comme votre se r v i­
teur, que fascinent tout Tirrécl de l ’univers cinématographique, ne se la isse n t
pas prendre à cette astucieuse dentelle : ils franchissent cette barrière p o u r
nigaud e t su ive n t Kyrou dans une passionnante croisière. Passé avec lui, e t
Hutter, le fameux pont, ils v ienn en t tons à notre rencontre : le comte Zarbtt* e t
le docteur Moreau, Peter Ibbetson et Mary, Pandora et Laura, Louise Brooks e t
Marlène, Reri et Matahu, Pantomas et Juclex, Betty Boop et Chaplin, L a n g d o n ,
et Bunuel, Lia Lys et le facteur Cheval. La partie sur les films su rréalistes
entrepris com m e tels est la m oins convaincante, Bunuel excepté bien enten du .
Kyrou lui-même se passionne m oins pour Dreams that Money ean bay que p o u r
Ombres blanches.
Oui, il faut rem ercier Kyrou pour cette promenade. Nous ne nous fo rm a ­
liserons pas d e - la p réface de Jean F erry qui ne coiivainct pas en o p p o sa n t
Tod B row ning à Orson Welles et con fond Boris Vian et Jean-Paul Sartre. L es
injures à l ’égard de Bresson tom bent dans le vide : il n’est expliqué nulle p a r t
p ourquoi Les Dames du Bois de Boulogne serait un m auvais film. Cela ne n o u s
gâche pas la ballade parm i tout ce qui nous attache au ciném a : l’am o u r,
.. l ’humour, la poésie. — J. D.-V.

A mêdée Ayfre : DIEU AU CINEMA. Problèmes esthétiques du ciném a r e li­


gieux. P réface d’Etienne Souriau. (Privât, éditeur, Presses U niversitaires d e
France).
A. Ayfre n’est pas un in con nu des lecteurs dés C a h ie r s puisqu'ils ont pu.
lire dans le numéro 17 « néo-réalism e et phénom énologie », p r é c isé m e n t
em prunté aux bonnes feuilles de ce livre. Il né s’agit pas seulem ent de la
prem ière étude d’ensemble fortem ent et clairem ent pensée sur les p la n s d e
la théologie et de l ’esthétique d’un aspect du cinéma parm i les p lu s o r ig i­
n au x dé l’après-guerre, mais, à prop os des problèmes particuliers au cin é m a
religieux, d’un travail critique extrêm em ent intéressant sur l ’art du film en
général. .

60
Si les chapitres intitulés « D ans et par l’histoire », « Dans et par la vie
so cia le 2>, valent surtout par la justesse de la description et de l ’analyse d’une
certaine production, le chapitre III, « Dans et par la p sych o log ie » introduit
déjà des notions critiques pénétrantes et originales sur les rapports de l’inter­
prétation et de la m ise en scène ciném atographiques avec la réalité psychologique.
Mais c ’est surtout au chapitre IV, « Dans la perspective pliém énologique »,
que l’auteur avance les idées, les plus fécond es et les plus neuves, aussi bien
du point de vue religieux qu’esthétique. Ces vingt dernières pages constituent
la m eilleure exégèse qui ait été faite du nouveau ciném a italien.
Nous donnerons parfaitem ent le ton m odeste, pénétrant et honn ête de cet
ouvrage en citant son exergue : « Il est d’usage de mettre en exergue au début
d’un livre, une phrase, autant que p o ssib le en langue antique ou étrangère, en
tous cas provenant d’un texte peu connu, et résumant dans une co n cisio n à la .
fois énigmatique et évocatrice, l’esprit d’ensemble de l ’œuvre...
Si cela eut été techniquem ent possible, j’aurais aimé en tête de ces quelques
pages consacrées au ciném a religieux, reproduire une séqu en ce ou au m oins
quelques plans d’un film particulièrem ent caractéristique.
J’aurais choisi, je crois, au début du Chem in du Ciel, ce curieux travelling
latéral le long d’une muraille percée d’ouvertures à grilles, derrière lesquelles
on suit la m arche hésitante d’un hom m e . qui, avec une lanterne, cherche à
reconnaître sur le inur opposé, à travers une suite de peintures naïvem ent reli­
gieuses, les traces de Dieu. » ;
A n mue Bazix

O n s on W elles : UNE GROSSE LEGUME {Gallimard, Editeur — Collection


« L’Air du Temps »).
Nous, aimons bien Orson W elles p arce qu’il est un grand cinéaste et c ’est
pourquoi nous p arlons ic i d’un rom an qui, à prem ière vue, n ’a pas de
rapport avec le ciném a. U n e g r o s s e lég u m e est un roman hum oristique qui
conte les aventures, dans une petite île im aginaire, d’un représentant d’une
boisson genre Coca-Cola qui... etc..., mais peu im porte l ’intrigue : en filigrane
apparaissent les exp ériences personnelles d’un Am éricain — l ’auteur — aux
prises avec la vieille Europe.' Disons-le franchem ent : malgré une bonne
traduction de Maurice Bessy, il y a dans l’ouvrage quelque chose de bâclé.
On a l ’im pression d’être devant le récit « rom ancé » hâtif d’un bon synopsis
ou un brouillon de roman pas encore relu. En tant que scénario on voit très
bien ce que cela pourrait devenir à l ’écran traité dans le style de La D ame de
Shangaï : ce film com ique et picaresque que W elles a toujours d ésiré faire.
En tant que livre on p erçoit aussi, très bien, en exam inant les passages qui font
penser à M osq u ito de Faulkner, ce que cela aurait pu être. Mais tel quel,
à cheval entre le découpage technique et le reportage hum oristique, ce récit,
quoique plein de verve, nous laisse sur notre faim. Ce n’est pas pourtant que
nous doutions des possibilités littéraires de \Velles : il suffit pour s’en convaincre
de relire les extraits du dialogue de The Magnifîceiït  m berson s publiés dans le
numéro 3 de La R ev u e d u . Cinéma. — F.L.

INDEX D E LA CINEMATOGRAPHIE FRANÇAISE, 19.53 (Edition Société


Nouvelle du Journal « La Cinématograpliie F ran çaise »).
Il faut nous excuser auprès de nos lecteurs pour n ’avoir pas encore signalé
la parution du six ièm e In d ex de la Ciném atographie Française, indispensable
outil de travail pour tous ceux qui s ’in téressent au ciném a d’une façon ou
d’une autre. 11 con tien t les analyses de tous les films nouveaux présentés en
France de novem bre 1949 à novembre 1952, ccs analyses sont précédées de tous
les films projetés depuis juillet 194G : 2.600 grands films, 3.500 courts métrages.
On y trouve aussi la liste des films en distribution en France (saison 1953) et
celle des réalisateurs, cliefs-opérateurs et interprètes français et étrangers
dont les œ uvres ont été projetées en F rance depuis le 31 juillet 1946. Inutile
d’insister sur le sérieux de la com position, de la documentation et sur la clarté
de présentation de cet ouvrage, lès « cinem an es » savent à quoi s ’en tenir : ■
« L’Index de la Cinémato » est unique. — J. D.-Y,

61
TOME IV — DU NUMERO 19 (Décembre 1952) AU NUMÉRO 24 (Juin 1953)

BARBIN Pierre
Des journées pour le cinéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° 22 P. 4 6
BAZIN André
Les films changent, la censure demeure. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° 19 P. 26
Mina... trop Béyle (Mina de Yanghel) . . . . . . . . . . . . . . . . . ............ N° 27 P. 55
A propos de Cannes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . i . . . . . . . ............... .. N5 22 P. 5
Pour un festival à trois dimensions ............... ___ ____. . . . . N° 23 P. 5
BOSCHET Michel.
Des journées pour le cinéma ............ .. .................................... . N* 22 P. 46
C HA RENSOL G e orges
Naissance d'un film .......................................................................... ............................. N5 20 . P. 5
COCTEAU J e a n '
Hommage à J e a n Epstein ........................... . . . ............................ .. N3 24 P. 3
DOMARCHI J e a n
Présence de F. W. Murnau . . . . . ............ . . ^ . .................................... N3 21 P. 3
DONIOL-VALCROZE J acques
La noblesse du soleil (Viva Zapata) . ................... .................. ....................... . . . N0 19 P. 50
Bientôt Cannes ................................................... ....................... ................ N° 21 P. 40
■ Le voyage de Nice .................... ............................................ .. ............ . Nô 21 P. 41 .
Camilla et le Don (Le Carrosse d'Or) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 P. 44
Feuillets soviétiques ( I ) ............................. ................................ .. ......... N° 22 P. 19
Je u x interdits ...................................... . . . . . . . . . . ........... .................. ....................... N° 2 2 P. 23
J us qu'a u bout de s seins (Un caprice de Caroline chérie) ...........— . . . . ; N° 22 P. 50
Les bottes de Pierre (Pierre /e Grand) .......................................... ............. N° 22 P. 52
Feuillets soviétiques (111 . . .......... ................................ ...................................... N° 23 P. 33
Les époux terribles (Corne Back Liftle Sheba). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° 23 P. 48
Le Roî Trnka (L'amour et le dirigeable, le cirque, le chant de la prairie) . . . . N° 23 P. 60
Feuillets soviétiques (III) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Na 2 4 P. 41
DORSDAY Michel
- Misogynie du cinéma américain ( I ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Na 19 P. 4
Symphonie nuptiale f Clash by nighf, The Marryinq Kind) ........................... .. N° 1 9 P. 41
Mîsogynîe du cinéma américain [fin) ........................ .. N0 2 0 P. 10
Soleils de Bunuel (Suèider al Cielo, Suiana) .................................................... . N0 2 0 P. 54
Les sortilèges e t l'amour d'une petite fille (The Medium) ................................ N’ 21- P. 59
Jeunesse des hommes (Tam 5rov/n's Schaoldays) .................. .. N5 2 2 P. 56
C om édie-b allet dans le go û t français (Rue de l’Estrapade) . . . . . . . . . . . . N° 2 3 P. 54
Les amants d'O ccîdent. (Sfaiione Terminr) .................................................. ........ Na 2 4 P; 46
Zimbaldone (Alfrî Tempî) .................................. à • N° 2 4 P. 51
EISNER Lotte H.
A la second© vision (Der Verlorene) ................................................................... .. Na 2 0 P. 57
FRANK Nino
Lettre de Rome ................................ ............ N° 23 P. 41
GABERT Roger
C orre sp ond ance .............................................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N” 1 9 P. 63
GANCE Abel ‘
Hommage à Jean Epstein . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .v. . . . . . . . . N° 2 4 P, 4
KAMENKA Alexandre
Souvenirs sur Epstein ........................................................................................................ ....... ^ ^
HAST Pierre
Un technicolor pa sc a l i e n ....................... . .................. . . . . ____ . . . . . . . . . . . . . . Na 19 P. 20
Passeport pour Erewhon (The Importance of Being Barnest) ................ . . . . N' 19 P. 52
' Léonard e t les cinéastes (Léonard de Vinci) ..................................................... .. N3 21 P. 48
American W ay of Death (Deafh of a Salesman) ................................................... N5 21 P. 54
Un grand film athée (Le Salaire de ta P e u r ) .......... ............................ ................. . N° 23 P. 51
KIRSCH Florent
Le prix Canudo . ........................... .................. .... ............................................. .. N° 20 P. 62
LANGLOIS Henri
Je a n Epstein ............................................ ................ .. ..... N" 24 P. 8
L’HERBIER M arcel
Marcel L'Herbier conclut ................. ................................... .. N° 20 P. 33
LO DUCA
Rencontres au tour du documentaire ................................................................. . . . . N° 22 P. 15
MAGE David
L'exploitation des films européens aux Etats-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° 22 P. 41
MARKER Chris
Lettre de Mexico ............................................................................................................. N° 22 P. 33
MARTIN André
Des journées pour le cinéma ........................................................................... N° 22 P. 46
Serge Prokofieff ( La ■ musique rencontre le cinéma) ...................... Nc 23 P. 24
MAYOUX Michel
Eastern (Le chevalier à l'éfoile d'or) .......................................................................... N° 22 P. 5 4 ’
MITRY J e a n
Thomas H. Ince, premier dr amaturge de l'écran (I) ............................. ............ N° 19 P. Il
Thomas H. Ince, premier dramaturge de l'écran (II) ........................................ N° 20 P. 20
Thomas H. Ince, premier dra matu rg e de l'écran (III) ................. ................... N° 21 P. 12
MYRSINE Je a n
En a tte n d an t Barnum (The Bîggesf Show on f arik) ......................................... . N° 21 P. 58
NOBECOURT Ja c ques
Les fiis du troisième homme (The deYÜ makes three) . . . . . . . . . . . . . . . . . . _Na 19 P. 45
PAINLEVE J e a n
Castration du do cumentaire (Tribune de la F. F. C. C.) .................................... N'1 21 P. 27
PARMI ON Serge
Enfin Tati revient (Les Vacances de M, Huloi) ............ ................................... N° 22 P. 49
RiCHER J ean-José
L'âge de la p r o p a g a n d e (The Sound of Fury) . . . *................................................... N° 19 P. 44
L'écran diabolique (Le rideau cramoisi) ............ ................................. N° 21 P. 51
Bibi Fricote (The üappY Time) .................................. .................. .................. ............ N“ 23 P. 59
Convention et originalité (The Sun Shines Brsght) . . ................... ................ , Nc 24 P. 49
RIM Carlo
Réponse à Marcel L'Herbier ......................................... ................................................ N° 19 P. 33
RlYETTE. Ja c ques
Un nouveau visage de la pude ur (Un été prodigieux) . . . . . . . ............... N° 20 P. 49
Génie de Howard H a w k s .......... ................ ....................... .............. N° 23 P. 16
ROSSI André
Filmographie de F. W. Murnau . . . . . . . . .......................................................... * * * 23 P. 43
Filmographie de J e a n -Epstein .................................. ............................ .. N° 24 P. 32
SABANT Philippe
U. R. S. S. et statistiques ............................. ........................................................... N° 22 P. 18
SCHERER M aurice
La revanche de l'O ccïdent (Tatou,) ............ .. N3 21 P. 46
TALLENAY J ean-Louis
Pagnol avait raison (Manon des Sources) ................. ............................................. N" 20 P. 51

63
TORLETSKY Michèle
On assassine toujours los poètes (La minute de Vérité) . . . . . . . . . . ; . . . . . N3 1.9 P. 47
- Essai d'une objectivité (Roma, ore fl) ........................................................... .. N3-1.9 P. 49
Triste comme un dimanche (Something fo Live For) . . . . . . . . . . . . ï . . . . . N3 19 P. 54
TRUFFAUT François
Les extrêmes me touchent (Sudden Fear) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... N3 21 P. 61
La neige nfest pas sale (The Snows of Kilimandgaro) . . ............ N° 23 P. 57
De À jusqu'à Z (Le bistrot du péché. L'énigme du Chicago Express) . . . . . . . . . . N? 24 P. 53
WEINBERG Herman G.
«. Eisenstein « de Mary* Seaton . N° 19 P. 62
Lettre d e New-York ......................................... ... . . . . . ... . . . . . . . . . N° 20 P. 38
Lettre de New-Yorlc ........................................................................................................ HJ 2.1 P. 25
Lettre de New-York ...................... ................................... ............................ ................. N5 24. P. 35
ZAVATTSNI Ce sare
Saiut à Chaplin .......... ........................................................................................ ............ N3 20 P. 4
CHRONIQUE DE DOLMANCE . . . . . . . ___ . . . . . . . . . . . ............. ................ N3 22 P. 25
EDITORIAL . . . . . . . . . . . . ................................................. ; ............................... N3 22 P. 4
LIVRES DE CINEMA ___ _ , . . . . . . . . N’ 19 P.. 62
J.D.V. « Sept ans de cinéma français » . N’ 21 P. 61
J.D.V, « Marcel Carné » de B. S . L a n d r y ........................ . . . . . . . . . . . . . . N3 24 P.. 61
F.T., L.H.E., A.R. . . . . . . . . . . . . . . . . . . ______. . . . . . . ............... W 21 P. 64
NOTRE ENQUETE SUR î.A CRITIQUE. Les auieürs .......................................... .. N3 20 P. 41
Les. auteurs (fin) ....................................... ............................. ................... .................... NV 21 P. 32
NOTES SUR D'AUTRES FILMS
J.J.R., M.D. et J.D.V. Sensualita, Mara~Maru, 3e//es on Thair Toss, The Bvllfighter
and the Lady, Paris est toujours Paris, Rayé des vivants, La fête à Henriette,
. Invanhoé ............. ' ............. ..................................... .......... . N5 19 P. 55
M.D., M.T., D.V.A. et A.B. Elle et Moi, Dennîng Drives North, If Growns on
Trees, Le grand Concert, Lone Siar, I! camino délia Sperania, The Mask of
Dimîtrios, The Planter's Wsf e . . . ............ ............■ - - ■ . . . . . . . . . . . . . . . . . . N0 20 P.. 60
F.L,, M.D. SzàrâmôüzHe. The Snipper. Jeunesse de Chopin. Un trésor..de
femme. Histoires interdites ...................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . N3 21 P. 63
M.D., F.T., F.L. Le boulanger de Valorgue. Affair in Trinidad. The Hour of 13.
Diplomatie Courrier. La Couronne noire ............................................................. WJ 22 P. 57
M.D., D.V., F,T. Dreamboat. W e Were not Married. Pat and Mike. Le Grand
Méfiés. Les amours finissent à • l'aube. Dead Liné ...................... N’ 23 P. 62
J.D.V. The Secret Sharer, Carrie . N° 24 P. 55
NOUVELLES DU CINEMA . . . . ................................................................ .. . . . . . N : 19 P. 30
— —- ............. .......;....... ............... N3 20 P. 30
— . — ............................. ........................................................................ N3 21 P. 23
— • — .....................................- i .......................................................... N3 22 P. 30
— — .......... .............................. ................ ........................................... N 23 P. 46
— — ................................................ .............. N3 24 P. 56
PALMARES DE CANNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... N’ 23 P. ... 4
REVUE DES REVUES
: N.F. .......... . . . . . . . .......... ................. .. . . N’ 19 P. 57
F.L. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .............................................................. ........................... N” 20 P. 64
F.L. . . . . . . . . . . . . . . . . ................. .......... . . . . . . . . . ___________ ____ N5 22 P. 59
F.L, J.D.V., A.B., F.K., F.T. .v . . . . . . . . . . . . . . . N3 24 P. 5.8
TRIBUNE DE LA F. F. C. C.
Recherche du Cinéma ................................................................................................... N0 19 P. 37
— . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. . : . N° 20 P. 34
— — ...................... ......... ... ; ....................... .................................... N° 22 P. 36
— — ................................................................................................... N° 23 P. 38
^ — . . . ____. . . . . . . . . ____ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N’ 24 P. 38
UNE ENQUETE DE SIGHT AND SOUND . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N3 19 P. 58

64
r RENÉ JEANNE e i CHARLES FORD

HISTOIRE
ENCYCLOPÉDIQUE DU

" L'élude la plus complète et la plus pratique que nous ayons ''
(CLAUDE MAURIAC, FIGARO LITTÉRAIRE)
" Elle présente l'avantage sur les au très ouvrages de ce
genre que ses auteurs ont véritablement vu à peu près tous
les films dont ils par/en/
(DENIS MARION, ALMANACH DES LETTRES!
" Tout en ne négligeant rien, en pro po rtionn an t □ 'c h a ­
cun exactement la place qui fui revient, /es auteurs ont
su faire la place au pj'/foresque, à /'anecdote, au détail
concret, à révocation personnelle
(GEORGES CHAREMSDL, NOUVELLES LITTÉRAIRES)
" L'impartialité et la documentation de René Jeanne et Çhar-
les Ford rend3n/ /eur ouvrage prodigieusement attachant
fJEAN FAYARO. OPÉRA)
"C e f ouvrage moni/menfaJ se lit comme un roman
(PIERRE LAROCHE, TRIBUNE DES NATIONS)
Xiîeôy V ^ IE TOME 11 VIENT DE PARAÎTRE : t>00 p a g e s , 1 2 0 p h o lo ï, 2 .4 0 0 F ^

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Printed in France PRIX DU NUMÉRO : 250

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