Du Cinéma: Cahiers

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CAHIERS

DU CINÉMA

84 4 REVUE MENSUELLE D E CINÉMA • J U IN 1953 * 84


N O T R E C O U V ER TU R E
Cahiers du Cinéma
J U IN 1958 T O M E X IV . — N« 84

S O MMA I R E
André Bazin et
Charles Bitsch ___ Entretien avec Orson Welles ......................... 1
O rso n W elles v o u s p a r le b r i è ­
v e m e n t d a n s ce n u m é r o -c i —. Federico Fellini ........... Mon métier ......................................................... 14
e t n o u s v o u s p a r le r o n s Ion*
g u e m e n t, d a n s n o tr e p ro c h a in André M artin ............. Condoléances et surprises de l’anim ation .. 36
n u m é ro — de son n o u v e a u
c h e f - d ’œ u v r e , LA S OI F DU
MAL, p r o d u i t p a r A lb e r t Z u g - CANNES 1958 .................................................................................................... 22
s m i t h e t q u ’i n t e r p r è t e n t , a u x par André Bazin, Jean Béranger, Charles Bitsch, Renc Guyonnet,
c ô té s d e W elles, C h a r l t o n H es-
André M artin et François Truffaut.
t o n , J a n e t L eig h , M a rlè n e D ie-
t r i c h e t A k im T a m iro f f. ( U ni -
versal),

Les Films

Jacques Rivette .. <___ L'âme au ventre (Sommarlek) ................. 45

Philippe Demonsabloai. Visconti joue et gagne (Nuits blanches) . - 47

Claude Beylie ............... La pesanteur et la grâce (Mon Oncle) ___ 50

François T ruffaut ___ te Si votre Techniramage,.. » (Barrage


t contre le Pacifique) ........................................ 52

Notes sur d’autres films (Hold Back t h e N i g h t , Pari3 Holiday) ---- 55

P etit Journal du Cinéma ..................................................... *......................... 42

Films sortis à Paris du 23 avril au 20 mai 1958 ..................................... 56

Table des Matières des Tomes X III et XIV ............................................ 58

C A H IE R S DU CINEMA, re v u e m e n s u e lle d u Clném p.


146. C h a m p s-E ly sé es, P a r is (S"} - E ly sées 05-38 - R é d a c t e u r s e n chef :
Ne m a n q u e z p a s > d e p r e n d r e A n d r é B a zin , J a c q u e s D o n io l-V alcro z e e t E ric R o h m e r .
p ag e 44
LE CONSEIL DES DIX Tous droits réservés — Copyright by les Editions de i'-Etoile
ENTRETIEN
AVEC
ORSON
WE L L E S

par André Bazin


et Charles Bitsch

. . . . I l y a longtemps que les CAHIERS espéraient s'entretenir avec Orson Welles. L'occasion
s'en présenfa au cours du Festival de Cannes, auquel il assista trois jours. La multiplicité des
réceptions, conférences de presse et autres cocktails fit que cet « entretien » dut être réalisé en
femps limité; aussi avons-nous renoncé à parler de tous ses films et hésité parfois à insister sur
certains points çuj aurcrïenf pu prêter à plus longs développements. Toutefois, W elles devant
venir dans nos studios rejoindre l'équipe des Eacines du ciel où il s'est vu confier un rôle, nous
essaierons de donner à ce texte une suiîe parisienne, qu’accompagnera une télé-théâtro-filmo-
graphie complète, dont nous avons différé la publication pour en combler certaines lacunes et
en vérifier les sources.
Puisqu'il éfaif nécessaire de nous fixer des limites, nos premières questions furent axées sur
la période qui suivit Mislei Arkadin, celle-ci éiant la moins bien connue. Quelle avait été Yactï-
vité exacte cfOrson W elles à la féiévision ef au théâtre, ou l'on savait qu'il avait monté
* Ofliello », < Moby Dick » et * Le Roi Lear », telle lut notre entrée en matière.

J'espérais que vous alliez me parler du cinéma en général et non pas de mon
travail, parce que le drame est que je n'aime pas parler de mon travail. Peut-être
est-ce pourquoi je ne travaille pas assez ! Enfin... Au théâtre, vous venez d'énoncer
tout ce que j'ai fait ces trois dernières années. Au cinéma, vous savez ce que j'ai
fait, en dehors de ceux de mes films qui ne sont pas encore distribués ou terminés,
et ceci comprend mon Moby Dick, mon Don Quichotte et ma propre version d’un
film intitulé Lcr Soif du m al, car le montage de La Soif du mal, tout comme celui
d'Arkadin, a en définitive été refait derrière mon dos.

1
— Moby Dick est un film tiré de Ja pièce ?
— Exactement.
— Et ce film est-il passé sur les antennes de Ja télévision anglaise ?
— Non, pas encore.
— Il est terminé, monté ?
— Presque monté.
— £spérez-vous Je terminer prochainemenf ?
— Cela dépend des directeurs de la chaîne de télévision. Nous tous, qui travail­
lons dans cette industrie du divertissement, faisons un bluff prodigieux : nous préten­
dons toujours être les maîtres de notre destinée, et les journalistes, sérieux ou légers,,
collaborent à ce bluff. Le fait est que nous ne décidons pas de ce que nous allons,
faire : nous courons sans cesse autour du globe pour essayer de trouver des fonds,
afin de faire quelque chose. Je crois qu'en ce qui me concerne, j'ai atteint un âge
où il est inutile de continuer à prétendre que je contrôle le moins du monde ces.
choses, puisque c'est faux. Sans arrêt, les journalistes me demandent : « Est-ce que
vous avez l'intention, etc, etc. ? » L'intention, évidemment I Je l'ai toujours.
— Outre Moby Dick, vous avez entrepris d'autres films pour la ' télévision ; en
particulier, on avait parlé de vous en Fiance au moment de ïatiaire Dominici.
— Oui. Ce film-là est loin d'être achevé. Maintenant, je vais, terminer un film sur
le cinéma italien, sur Lollobrigicla.
— Un documentaire ?
— Un documentaire dans un style tout à fait particulier, avec des dessins de
Steinberg, beaucoup de photos fixes, des conversations, des petites histoires... En.
fait, ce n'est pas du tout un documentairè : c'est un essai, un essai personnel.
— Un essai à base factuelle ? 1.*
— Factuelle, non. -C'est factuel comme tous les essais, mais... cela ne prétend
pas à être factuel _simplernërfi-:.cekt_.ne,m.ent pas. C'est dans la tradition d'un journal ;
c'est moi sur un sujet donné : Loîlobrigidaf et non pas ce qu'elle est en réalité. Et
c'est plus personnel même qu'un point de vue : c'est vraiment un essai.
— Cet essai part d e iaits d'actualité; tout comme votre film sur l'affaire Domi­
nici ; est-ce également un essai ?
— Oui, un essai sur l'eau. Pour moi, la substance de cette affaire Dominici est
l'histoire de la difficulté d'avoir de l'eau. On ne peut dire que mes idées sur les pays
secs et le problème de l'eau puissent convenir à un documentaire factuel sur les
Dominici.
— Comment l'histoire des Dominici peut-elle être l'histoire de l'eau ?
— La réponse à cette question est mon film ; si je vous la donnais, je dilapiderais
donc mon film : et c'est tout ce que j'ai. Il faudrait bien des mots pour expliquer
cela, mais le faire en anglais, en français ou en n'importe quelle langue serait déloyal
envers mon film. C'est l'histoire de l'eau parce que c'est la nuit où l'eau coulait à flots
dans la ferme des Dominici que le crime eut lieu : c'est le rôle de l'eau dans l'histoire
d'une famille telle que celle-ci qui me fit m'y intéresser. Il me faudrait un discours
d'au moins une demi-heure pour vous répondre, alors qu'en images je peux le faire
en quinze minutes. Vous ne seriez pas surpris si, au lieu d'un film, il s'agissait d'un
livre d'André Gide, par exemple, et si vous y lisiez que le meurtre eut lieu à cause
de l'eau ; mais vous attendez d'un film qu'il soit factuel. Je me passionne pour les
films qui, tout en tournant le dos à la fiction, ne sont pas du genre : « Voici la vérité,
c'est la vie, etc. », mais sont tout d'opinions, l'expression de la personnalité et des.
idées de leur auteur.
. — Votre Don Quichotte est en trois épisodes ?

2
Mis/er A rka d in : le g ran d angulaire en extérieurs (R obert Arden et Paola Mori). j

— Non, c'est inexact. Le film sera présenté en une seule fois,


— C'est un Don Quichotte moderne ?
— Oui, en un sens. L'anachronisme entre Don Quichotte et son époque a perdu
toute efficacité maintenant, parce que les différences entre le XVI'' et le XIV0 siècles
ne sont pas très claires dans les esprits. Cet anachronisme est donc simplement tra­
duit en termes modernes : Don Quichotte et Sancho Pança, eux, sont éternels. Dans
le second volume de Cervantes, lorsque Don Quichotte et Sancho Pança arrivent dans
quelque endroit, les gens disent toujours : « Tiens ! Voilà Don Quichotte et Sancho
Pança : nous avons lu le livre sur eux. » Cervantes leur a donc donné une dimension
amusante, comme s'ils étaient tous deux créatures de fiction et plus réels que la vie
même. Mon Don Quichotte et mon Sancho Pança sont exactement et traditionnelle­
ment tirés de Cervantes, mais contemporains.
— Ce film dure une heure et demie ?
— Une heure et quart pour l'instant. Une heure et demie quand il sera terminé
ei que j'aurai tourné la scène de la bombe H.
— Il a probablement éfé tourné plus vite qu u n îilm ordinaire ?
— Non, pas plus vite, mais avec un degré de liberté que l'on chercherait en
vain dans les productions normales, parce qu'il fut fait sans découpage, sans même
un fil narrateur, sans même un synopsis. Chaque matin, les acteurs, l'équipe et moi-
même nous retrouvions devant l'hôtel, et nous partions et inventions le film dans
la rue, comme Mack Sennett. Voilà pourquoi c'est passionnant, parce que c'est une
véritable improvisation : l'histoire, les petits incidents, tout est improvisé. Ce sont
des choses que nous avons trouvées dans la seconde, dans un éclair de pensée, maïs
après avoir répété Cervantes pendant quatre semaines. Car nous avons répété toutes
les scènes de Cervantes, comme si nous allions lès jouer, de façon à ce que les
acteurs connaissent leurs personnages ; puis nous sommes sortis dans la rue -et

3
« P o u r La Soif du m a l aussi...

avons joué, non pas Cervantes,, mais une improvisation étayée par ces répétitions, par
le souvenir des personnages. C'est un film muet,
— Resteia-t~il m uet avec seulement un accompagnement musical ?
— Non, je dirai un commentaire. Il n'y aura pratiquement pas de postsynchro­
nisation, juste pour quelques mots.
— Ésf-ce que vous jouez dans ce Hlm ?
— J'apparaîs en tant qu'Orson Welles : je n'interprète pas un personnage. Il
y a aussi Patty MacCormack : c'est une actrice extraordinaire ; elle joue une petite
touriste américaine, dans l'hôtel.
— Pourquoi avoir opié pour cette méthode de l'improvisation ?
— Parce que je n'avais jamais fait cela : c'est la seule et unique raison. Je pour­
rais bien inventer une raison, une raison esthétique, selon laquelle un film doit être
tourné de cette manière et dire qu'il n'y a pas d'autre façon de faire des films, etc.
Mais la véritable raison est que c'est une méthode de tournage que je n'avais jamais
pratiquée et que je savais que certains des chefs-d'œuvre du muet avaient été réalisés
ainsi. J'étais sûr aussi que cette histoire serait plus fraîche et plus intéressante si
j'improvisais réellement, et elle l'est, c'est certain. Il faut évidemment avoir une
confiance absolue dans les acteurs : c'est une méthode de travail très spéciale,
presque impraticable pour les films commerciaux.
— Ce/te méthode de travail a sans doute limité vos recherches plastiques et, de
ce point de vue, votre Don Quichotte est probablement très différent de vos autres
iilm s ?
— Non, pas du tout. C'est très stylisé, beaucoup plus que tout ce que j'ai fait
auparavant : stylisé au point de vue des cadrages, de l'emploi des objectifs.

4
— y utiJîsez-vous encore les objectifs à court foyer, le 18,5 min ?
— Oui, tout est au 18,5. Pour La Soif du mai aussi, pratiquement tout est au 18,5.
Il y a des possibilités insoupçonnées avec cet objectif !
— J'ai revu Arkadin récemment à Paris. Vous y avez utilisé le 18,5 pour tous
les-plans ?
— Non, pas pour tous les plans, mais pour la majorité. Dans Don Quichotte-
tout est au 18,5.
— Quel a été le temps de tournage pour Don Quichotte ?
— Une fois deux semaines, une autre fois trois semaines.
— Plus la préparation.
— Oui, la préparation des acteurs, qui fut tout à fait spéciale. Il me resie à faire
les deux dernières scènes. l'ai dû m'arrêter de tourner parce que Aklm Tamiroff
devait travailler sur un autre film, puis j'ai dû jouer dans Les Feux de l'été pour avoir
de l'argent pour mon Don Quichotte, et il en a été ainsi tout le temps : nous attendions
le moment où les acteurs et moi serions libres simultanément.
— Parce que vous avez tait Don Quichotte avec votre argent ?
— Oui, naturellement. Personne ne m'aurait donné cette chance.
— En est-il de m êm e pour le film sur Gina Lollobrigida ?
— Aussi, oui. C'est peut-être une entreprise légèrement plus commerciale !... Je
n'ai pas de chance autrement : il m'est très difficile de trouver du travail.
— On a d'aitteurs dit que c’était un peu par accident que vous aviez fait La Soif
du mal ; quelqu'un d'autre devait Je faire ?

...pratiquement tont e st'm i 18,5 » (Ja n et Leigh et C h arb o n Heston)

5
— Non. Mais il y a dans ce film des scènes que je n'ai ni écrites ni dirigées,
dont je ne sais absolument rien. Il y a dans les Amberson trois scènes que je n'ai
ni écrites ni dirigées l
— Vous avez fait La Soif du mal parce que rien d'autre ne se présentait ?
— C'était ie huitième !... Vous savez, je travaille depuis dix-sept ans, j'ai mis
en scène huit films et je ne suis l'auteur du montage que de trois d'entre eux.
— Citizen Kane ?...
— Othello et Don Quichotte, en dix-sept ans !
— Et La Dame de Shanghaï ?
— Non, pas le dernier montage. Vous discernez encore mon style de montage,
mais l'état final n'est pas du tout le mien. On m'arrache toujours la pellicule des
mains, violemment.
— Pensez-vous qu'il y a de grosses différences entre votre version de La Soif
du mal et celle du studio ?
— Pour moi, presque tout ce qui est baptisé mise en scène est un vaste bluff.
Au cinéma, il y a très peu de gens qui soient vraiment des metteurs en scène, et,
parmi ceux-ci, il y en a très peu qui aient jamais l'occasion de mettre en scène. La
seule mise en scène d'une réelle importance s'exerce au cours du montage. Il m'a
fallu neuf mois pour monter Citizen Kane, six jours par semaine. Oui, j'ai monté les
Amberson, en dépit du fait qu'il y avait des scènes dont je n'étais pas l'auteur, mais
on modifia mon montage. Le montage de base est le mien, et, lorsqu'une scène du
film tient, c'est parce que je l ’ai montée. En d'autres termes, tout se passe comme
si un homme peignait un tableau : il le termine et quelqu'un vient faire des retouches,
mais il ne peut évidemment rajouter de la peinture sur toute la surface de la toile. J'ai
travaillé des mois et des mois au montage des Amberson avant qu'on ne me l'arra­
che : tout ce travail est donc là, sur l'écran. Mais pour mon style, pour ma vision
du cinéma, le montage n'est pas un aspect, c'est l'aspect. Mettre un film en scène
est une invention de gens comme vous : ce n'est pas un art, tout au plus un art pen­
dant une minute par jour. Cette minute est terriblement cruciale, mais elle n'arrive
que très rarement. Le seul moment où l'on peut exercer un contrôle sur le film est
le montage. Or, dans la salle de montage, je travaille très lentement, ce qui a tou­
jours pour effet de déchaîner la colère des producteurs qui m'arrachent le film des
mains. le ne sais pas pourquoi cela me prend tellement de temps : je pourrais tra­
vailler éternellement au montage d'un film. En ce qui me concerne, le ruban de
celluloïd s'exécute comme une partition musicale, et cette exécution est déterminée
par le montage, de même qu'un chef d'orchestre interprétera un morceau de musique
tout en rubafo, un autre le jouera d'une façon très sèche et académique, un troisième
sera très romantique, etc. Les images elles-mêmes ne sont pas suffisantes : elles sont
très importantes, mais ne sont qu'images. L'essentiel est la durée de chaque image,
ce qui suit chaque image : c'est toute l'éloquence du cinéma que l'on fabrique dans
la salle de montage.
— Le montage paraît en effet essentiel dans vos derniers films, m ais dans Citizen
Kane, les Amberson, Macbeth, etc., vous aviez beaucoup de plans-séguences.
— Mark Robson était mon monteur pour Citizen Kane. Avec Robson et Robert
Wise, qui était assistant, nous avons travaillé près d'un an au montage. C'est donc
faux de croire qu'il n'y avait rien à monter parce que j'avais fait beaucoup de plans
longs : nous pourrions y travailler encore maintenant. Vous pouvez remarquer qu'au
cours de ces dernières années, les films que j'ai tournés sont plus volontiers en plans
courts, parce .que j'ai moins d'argent et que le style du plan court est le plus écono­
mique. Pour un plan long, il faut énormément d'argent afin de pouvoir contrôler tous
les éléments face à la caméra.
— Othello est en effet en plans courts.

6
Un plan-séquence exem plaire, celui du bal de La S p le nd eu r des A m b erso n (Tim Iiolt,
A nne B axter et, en arrière-plan, Joseph Cotten).

— Oui, parce que je n'avais jamais tous les acteurs en même temps. Chaque
fois que vous voyez quelqu'un le dos tourné, une capuche sur la tête, soyez sûrs
que c'est une doublure. Il m'a donc fallu tout faire en champs contre-champs, parce
que je n'arrivais jamais à réunir Iago, Desdémone, Roderigo, etc,, devant la caméra.
— 11 m e semblait qu'ij en avait été de même pour Arkadin, mais, après l'avoir
revu, je crois que non ; les raccords sont très exacts.
— Mais dans Othello aussi les raccords sont exacts ; j'ai simplement tourné le
film sur différentes sortes d'émulsions. Le raccord a beau être rigoureusement exact,
si vous tournez sur de la Dupont, de la Kodak française, de la Kodak américaine et
de la Ferrania, vous avez fatalement des heurts de tonalité lorsque vous les mélangez
au montage. Pour Arkadin, de nouveau, je n'ai pas fait de plans longs, parce qu'un
plan long nécessite une équipe technique très importante, très habile : il y a très
peu d'équipes européennes capables de mener à bien un plan long, d'hommes, de
techniciens qui puissent y parvenir.
— Dans Othello, il y a tout de même, par exemple, Ja scène entre Othello et
îago, sur la terrasse.
— C'est vrai, mais c'est un plan réalisé très simplement, avec "une jeep. Ce plan,
c'est une jeep et deux acteurs. Et combien de plans en jeep pouvez-vous faire dans
un film ? Dans La Soif du mai par exemple, j'ai fait un plan qui se déroule dans
trois pièces, avec quatorze acteurs, où le cadre passe de l'insert au plan général, etc.,
et qui dure presque une bobine : eh. bien, ce fut de loin la chose la plus coûteuse
du film. Donc, si vous remarquez que je ne fais pas de plans longs, ce n'est pas que
je ne les aime pas, mais c'est qu'on ne me donne pas les moyens de me les offrir.
C'est bien meilleur marché de faire cette image, puis cette image et encore cette
image, et de chercher à les contrôler plus tard, dans la salle de montage. Je préfère
évidemment contrôler les éléments qui sont devant la caméra tandis qu'elle tourne,
mais cela exige de l'argent et la confiance de vos bailleurs de fonds.
— L'idée de montage paraît liée à celle de plans courts ; si l'on s'en réfère à
ïexpérience soviétique, il semble qu'on ne puisse faire jouez Je montage à plein
qu'avec des plans courts, N 'y a-t-il pas une contradiction entre l'importance que vous
accordez au montage et le tait que vous aimiez les plans longs ?
— Je ne crois pas que la somme de travail au montage soit fonction de la briè­
veté des plans. C'est une erreur de croire que les Russes travaillaient beaucoup au
montage parce qu'ils tournaient en plans courts. On peut passer bien du temps sur
le montage d'un film en plans longs, parce qu'on ne se contente pas de coller une
scène après l'autre.
— Q uel but poursuivez-vous en usant systématiquem ent du 18,5 et en poussant
si loin le montage ?
— Je travaille, et ai travaillé, avec le 18,5 uniquement parce que les autres
cinéastes ne s'en sont pas servi. Le cinéma est comme une colonie ; il y a très peu
de colons : lorsque l'Amérique s'ouvrait toute grande, que les Espagnols étaient à la
frontière mexicaine, les Français au Canada, les Hollandais à New York, on pouvait
être sûr que les Anglais arrivaient là où il n'y avait encore personne. Je ne préfère
pas le 18,5 : je suis simplement le seul à avoir exploré ses possibilités ; je ne préfère
pas improviser : simplement personne ne l'avait fait depuis longtemps. Ce n'est pas

S u r les rem p arts de M ogndor, un e jeep et deux a c teu rs : O rso n W elles et Michaël
MaGLiamnnoir

8
R o bert C oote et Michaël M acLîam m oir, R oderigo et la go, dans Othello.

une question de préférence : j'occupe les positions qui ne sont pas occupées parce
que, dans ce jeune moyen d'expression, c'est une nécessité. La première chose dont
il faille se souvenir, à propos du cinéma, est sa jeunesse ; et l'essentiel pour tout
artiste responsable est de défricher ce qui est en friche. Si tout le monde travaillait
avec de grands angulaires, je tournerais tous mes films au 75 mm., car je crois
très sérieusement aux possibilités du 75 ; s'il y avait d'autres artistes d'un baroque
extrême, je serais le plus classique que vous ayez jamais vu. le n'agis pas ainsi par
esprit de contradiction, je ne veux pas aller à l'encontre de ce qui a été fait, mais
occuper un terrain inoccupé et y travailler.
— Puisque vous utilisez Je 18,5 depuis longtemps, vous devez avoir déjà exploré
une Jbonne partie de ce terrain, et pourtant vous y persistez. N 'y a-t-il donc pets quelque
affinité entre vous et cet objectif ?
— Non, je continue à travailler avec cet objectif parce que personne d'autre ne
le fait. Si je voyais sans cesse sur les écrans des plans filmés au 18,5, mon œil s'en
fatiguerait. J'essaye toujours de faire dans mes films des images dont je ne sois ni
fatigué, ni saturé. Si les gens usaient et abusaient du 18,5, je n'y toucherais jamais :
je serais lassé de cette distorsion caractéristique et je chercherais quelque autre lan­
gage pour m'exprimer. Mais je ne vois pas assez de ces images pour en être fatigué :
je peux donc regarder d'un œil frais cette distorsion. Ce n'est pas du tout une
question d'affinité entre le 18,5 et moi, mais uniquement de fraîcheur du regard.
J'adorerais faire un film au 100 mm. où l'on ne quitterait jamais le visage des acteurs :
il y aurait des millions de choses à faire ! Mais le 18,5 est une nouvelle invention
capitale : il n'y a guère plus de cinq ans que l'on trouve de bons. 18,5, et combien
de gens s'en sont-ils servi ? Chaque fois que je le donne à un chef opérateur, il est
terrorisé : à la fin du film, c'est son objectif préféré. Peut-être suis-je maintenant sur

9
le point d'en finir avec ce grand angulaire : il m'arrive de penser que, pour moi.
Don Quichotte marquera la fin du 18,5... ou peut-être pas !
— Accordez-vous également une si grande importance au montage parce qu'il
est un peu négligé ces temps-ci, ou bien parce qu'il est réellement pour vous le
.fondement m êm e du cinéma ?
— Je ne puis croire que le montage ne soit pas l'essentiel pour le metteur en
scène, le seul moment où il contrôle complètement la forme de son film. Lorsque je
-tourne, le soleil détermine quelque chose contre quoi je ne peux lutter, l'acteur fait
.intervenir quelque chose à quoi je dois m’adapter, l'histoire aussi ; je ne fais que
m’arranger pour dominer ce que je peux. Le seul endroit où j'exerce un contrôle
absolu est la salle de montage : par conséquent, c’est alors que le metteur en scène
est, en puissance, un véritable artiste, car je crois qu'un film n'est bon' que dans la
mesure où le metteur en scène est parvenu à contrôler ses différents matériaux et
:ne s'est pas contenté de les mener simplement à bon port.
— Vos montages sont-ils longs parce que vous essayez différentes solutions de...
— Je cherche le rythme exact entre un cadrage et le suivant. C'est une question
d'oreille : le montage est le moment où le film a affaire avec le sens de l'ouïe.
— Ce ne sont donc pas des problèm es de narration ou de tension dramatique
qui vous arrêtent ?
— Non, une forme, comme Je chef d'orchestre interprétant un morceau de musi­
que avec rubafo ou non. C'est une question de rythme et, pour moi, l'essentiel c'est
cela : le battement.
— Quelle est votre position face aux ressources de J'écran Jarge ou de la cou­
leur ? Pensez-vous que c'est plutôt du côté du petit écran et de lcr pauvreté de la
télévision qu'il vaille mieux s'orienter ?
— Je suis persuadé que lorsque l'écran est assez grand, comme dans le cas du
Cinemiracle ou du Cinerama, c'est aussi une pauvreté, et j'adore ça : j'aimerais faire
un film avec l'un de ces procédés. Mais entre le Cinemiracle et l'écran normal, i l
n'y a rien qui m'intéresse. La pauvreté de la télévision est une chose merveilleuse.
Le grand film classique est évidemment mauvais sur le petit écran, car la télévision
est l'ennemie des valeurs cinématographiques classiques, mais pas du cinéma. C'est
une forme merveilleuse, où le spectateur n'est qu'à un mètre cinquante de l'écran,
m ais ce n'est pas U n e forme dramatique, c'est une forme narrative, si bien que la
télévision est le moyen d'expression idéal du raconteur. Et l'écran géant est aussi
une forme merveilleuse, parce que, comme la télévision, c'est une limitation, et l ' o n
. ne peut espérer déboucher sur la poésie qu'en composant avec des limitations, c'est
clair. J'aime aussi beaucoup la télévision, parce qu'elle me donne ma seule chance
de travailler ; je ne sais pas ce que j'en dirais si j'avais aussi l'occasion de tourner
des films. Mais quand on travaille pour quelque chose, il faut être enthousiaste !
— Travailler pour la télévision, cela implique un point de vue particulier dans
Ja communication ?
— Et aussi une certaine richesse, pas une richesse plastique, mais une
richesse d'idées. A la télévision, on peut dire dix fois plus en dix fois moins
de temps qu'au cinéma, parce qu'on ne s'adresse qu'à deux ou trois per­
sonnes. Et, par-dessus tout, on s'adresse à l'oreille. Poux la première fois, à la télévi­
sion, le cinéma prend une réelle valeur, trouve sa réelle fonction, du fait qu'il parle,
car le plus important est ce que l'on dit et non pas ce que l'on montre. Les mots ne
sont donc plus les ennemis du film : le film ne fait qu'assister les mots, car la télévi­
sion n'est en fait que de la radio illustrée.
— La télévision serait en quelque sorte une façon de ramener le cinéma à vos sour­
ces radiophoniçues ?

10
« Le seul film que j’aie jam ais écrit du prem ier au dernier m o t et Jju m ener à bonne fin
est Citizen K ane »

— Surtout un moyen de satisfaire mon penchant à raconter des histoires, comme


les conteurs arabes sur la place du marché. Pour ma part, j'adore ça : je ne me lasse
jamais d'entendre raconter des histoires, vous savez, aussi je commets l'erreur de
croire que tout le monde a le même enthousiasme ! Je préfère les histoires aux dra­
mes, aux pièces de théâtre, aux romans : c'est une caractéristique importante de mon
goût. Je lis avec une peine extrême de « grands » romans : j'aime les histoires.
— Le public n'est-il pas - moins attenüt à la télévision qu'au cinéma?
— Plus attentif, parce qu'il écoute au lieu de regarder. Les téléspectateurs écou­
tent ou n'écoutent pas, mais s'ils écoutent si peu que ce soit, ils sont bien plus attentifs
qu'au cinéma, car le cerveau est plus engagé par l'ouïe que par la vue. Pour écouter,
il faut penser ; regarder est une expérience sensorielle, plus belle peut-être, plus
poétique, mais où l'attention a une moins grande part.
— Pour vous, la télévision est donc une synthèse entre le cinéma et la zadio ?
— Je recherche toujours la synthèse : c'est un travail qui me passionne, car je
dois être sincère envers ce que je suis, et je ne suis qu'un expérimentateur. Ma seule
valeur à mes yeux est que je n'édicte pas de lois, mais suis un expérimentateur ;
expérimenter est la seule chose qui m'enthousiasme. Je ne m'intéresse pas aux
œuvres d'art, vous savez, à la postérité, à la renommée, seulement au plaisir de l'expé­
rimentation elle-même : c'est le seul domaine où je me sente vraiment honnête et
sincère. Je n'ai aucune dévotion pour ce que j'ai fait : c'est réellement sans valeur à
mes yeux. Je suis profondément cynique envers mon travail et envers la plupart des
œuvres que je vois dans le monde : mais je ne suis pas cynique envers l'acte de tra-

11
voilier sur un matériau. C'est difficile à faire comprendre. Nous qui faisons profes­
sion d'expérimentateurs avons hérité d'une vieille tradition : certains d'entre nous
ont été les plus grands des artistes, mais nous n'avons jamais fait des muses nos
maîtresses. Par exemple, Léonard se considérait comme un servant qui peignait et non
pas comme un peintre qui aurait été un savant. Je rie voudrais pas vous faire croire
que je me compare à Léonard mais expliquer qu'il y a une longue lignée de gens
estimant leurs œuvres selon une hiérarchie différente des valeurs, presque des valeurs
morales. Je ne suis donc pas en extase devant l'art : je suis en extase devant la fonc­
tion humaine, ce qui sous-entend tout ce que nous faisons avec nos mains, nos
sens, etc... Notre travail une fois terminé n'a pas autant d'importance à mes yeux qu'à
ceux de la plupart des esthètes : c'est l'acte qui m'intéresse, non pas le résultat, et je
ne suis pris par le résultat que lorsqu'en émane l'odeur de la sueur humaine, ou une
pensée.
— Avez-vous des projets précis de mises en scène ?
— Non, je ne sais pas. J'envisage sérieusement d’arrêter complètement toute acti­
vité cinématographique et théâtrale, d'en 'finir une fois pour toutes, car j'ai eu trop de
désillusions. J'cd fourni trop de travail, trop d'efforts pour ce qui m'a été donné en
retour, je ne veux pas dire en argent, mais en satisfaction. J'envisage donc d'aban­
donner le cinéma et le théâtre, puisqu'en un sens ils m'ont déjà abandonné. J'ai des
films à terminer : je vais finir Don Quichotte, mais je n'ai plus envie de me lancer
dans de nouvelles entreprises. Cela fait maintenant cinq ans que je songe à quitter
le cinéma, car j'y passe 90 % de mon existence, et de mon énergie, sans y avoir une
fonction d'artiste, et, tandis qu'il me reste encore un peu de jeunesse, je dois essayer
de trouver un autre terrain où je puisse travailller, arrêter de gaspiller ma vie à tenter
de m'exprimer par le cinéma : huit films en dix-sept ans, ce n'est pas beaucoup.
Peut-être ferai-je d'autres films ; parfois, le meilleur moyen de faire quelque chose
que l'on aime est de s'en éloigner, puis d'y revenir. C'est comme une histoire senti­
mentale : vous pouvez attendre devant la porte d'une fille qu'elle vous laisse entrer,
elle ne vous ouvrira jamais sa porte; mieux vaut partir, elle vous écrira ! Non, ce
n'est rien de dramatique, vous savez : ce n'est pas que je sois aigri ou quoi que ce
soit, mais je veux travailller. Maintenant, j'écris et je peins : je cherche quelque
moyen de dépenser mon énergie, car j'ai passé la plus grande partie de ces quinze
dernières années à chercher de l'argent, et si j'étais écrivain, ou surtout peintre, je
n'aurais pas à le faire. J'ai aussi un grave problème avec ma personnalité d'acteur :
j'ai une personnalité d'acteur à succès, ce qui encourage les critiques du monde
entier à penser qu'il serait temps de me décourager un peu, vous savez : « ce qui lui
ferait du bien serait de lui dire qu'en fin de compte il n'est pas si bon que ça ». Mais
cela fait vingt-cinq ans qu'ils me disent ça ! Non, j'ai vraiment passé trop de mois,
trop d'années à chercher du travail, et je n'ai qu'une seule vie. Donc, pour l'instant,
j'écris et je peins. Je jette tout ce que je fais, mais peut-être ferai-je finalement quelque
chose d'assez bon pour le conserver : il le faut. Je ne peux pafe passer mon existence
dans les festivals ou les restaurants à mendier des fonds. Je suis sûr que je ne puis
faire de bons films que si j'en écris le scénario : je pourrais faire des thrillers, évidem­
ment, mais je n'en ai aucune envie. Le seul film que j'aie jamais écrit du premier au
dernier mot et pu mener à bonne fin est Citizen Kane; eh bien ! il s'est écoulé trop
d'années depuis que me fut donnée cette chance. Puis-je attendre encore quinze ans
que quelqu'un veuille bien à nouveau me faire une confiance absolue ? Non, il faut
que je trouve un moyen d'expression meilleur marché... comme ce magnétophone l
— Et vous n'espérez pas monter quelque chose au théâtre ?
— A Londres, peut-être, mais je ne sais pas. Quoi que je fasse au théâtre à l'ave­
nir, il faut également que je l'écrive. Donc, en tout cas, je dois m'arrêter et écrire, et
non pas monter simplement sur les planches pour jouer ou mettre en scène, car trop
de gens de talent ont fait montre, pour leur plus grande gloire, de leur virtuosité de
metteur en scène de théâtre. Il faut donc que j'apporte au théâtre mes idées et non
pas ma virtuosité : et si je fais ma rentrée au théâtre, ce que j'espère, je m'efforcerai de le

12
faire avec ce que j'ai à dire et non pas avec la manière dont j'ai à le dire, parce que
j’ai trop négligé, au cours de ces juinze dernières années, ce que j'ai à dire.
— Et Shakespeare ?
— J'aimerais me tourner vers Shakespeare, mais ma façon de voir Shakespeare
ne correspond pas au goût du jour : je suis d'une tout autre école. C'est une lutte
sans espoir, parce qu’il y a actuellement, dans le monde, une école shakespearienne,
que je respecte beaucoup, mais qui n'est pas la mienne, et il ne semble pas y avoir
de place pour la mienne, ou bien quand je parviens à trouver une place, c'est un tel
labeur 1 Je ne suis plus en état maintenant de m’offir beaucoup d'autres défaites. Il
faut que je trouve quelque terrain sur lequel mes chances de perdre ne soient pas
supérieures à mes chances de gagner. Et mes chances de perdre avec Shakespeare,
j'ai pu les apprécier à New York, avec « Le Roi Lear ». Je crois que le spectacle
était très bon ; peut-être était-il mauvais, mais s'il était aussi mauvais que l'ont dit les
critiques, alors il ne me reste plus qu'à me retirer, parce qu'il n'y a aucun point de
contact. Le critique du N ew York Times a écrit : « Orson W elles est un génie sans
talent » / Je crois que le décor était vraiment d'une beauté extraordinaire et personne
n'en a parlé, ni pour, ni contre 3
— L'accueil a été meilleur à Londres pour « Othello » ?
— Oui. Comme chaque fois que je fais quelque chose, il y avait des gens contre,
mais j'avais tout de même quelques partisans.
— Et combien de temps avez-vous joué « Le floi Lear » ?
— Quatre semaines, dans mon fauteuil roulant. C'était le maximum de ce que je
pouvais faire et tout le monde a détesté mon spectacle. Alors, pourquoi insister ?

(Propos recueillis au magnétophone par André BAZIN eî Charles BITSCH.)

13
FEDERICO FELLINI

MON MÉTIER
Celte année, Federico Fellini a été reçu plusieurs fois an Centre Expérimental de Cinë-
matographie de Rome. A l'occasion d’une rétrospective de ses films, il a bien, voulu répondre
aux nombreuses questions des élèves du Centre sur son œ uvre de metteur en scène. Notre
conirère B ia nc o e N e r o a recueilli ses réponses au magnétophone et nous le remercions de
nous avoir autorisés ' les reproduire.

Une leçon d’humilité

Une première série de questions se rapportait à sa collaboration avec Rossellini.

Le principal enseignement que j ’ai reçu de Rossellini, a été, je crois, une leçon d ’hum i­
lité, c ’est-à-dire, face à la réalité, une attitude de grande simplicité, la volonté de ne jamais
interposer ses idées, ss culture, ses sentim ents personnels. Lorsque j’ai rencontré Rossellini,
je n ’étais absolument pas attiré par le cinéma, je faisais du journalisme, d ’autres choses m 'in ­
téressaient, je faisais des caricatureSj je n ’imaginais vraiment pas que ma voie soit le cinéma.
J ’avais déjù écrit des sujets, des scenarii, mais ma collaboration au cinéma restait toujours
très extérieure et manquait d ’enthousiasme véritable.
Lorsque j ’allais sur un plateau pour accompagner une actrice ou un ami, ou parce que
le metteur en scène qui était en train de réaliser un de mes scenarii m ’avait invité, j’étais
toujours mal à l ’aise et je n ’arrivais jamais à comprendre exactement ce que tout ce monde
était en train de faire. En somme, la vie d ’une équipe de tournage et la manière dont se fai­
sait le travail me semblaient si peu voisines de mon tempérament, q u ’elles ne réussissaient
absolument pas à me passionner ni m êm e à m ’intéresser vraiment. Je ne pensais donc pas du
tout devenir un jour m etteur en scène. Lorsque j ’ai rencontré Rossellini, j’ai tout de suite
entrevu un monde tout à fait nouveau, ce regard plein d ’amour dont il enveloppait les choses-

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et qui inspirait chacun de ses plans, c ’est cela — comment dire — c ’est cette attitude qui m ’a
fait penser que, finalement, le cinéma était une chose qui pouvait se faire sans fards, sans
présomption et sans toujours penser à envoyer de tous côtés, à droite et à gauche, des mes­
sages bien définis ; c ’est-à-dire que l ’on pouvait regarder quelqu’un ou quelque chose, une
situation ou des personnages, avec une extrême simplicité, en essayant seulem ent de dire ce
que l ’on avait vu.
Voilà quel a été l’enseignement le plus important que j'ai reçu de Rossellini et qui a étév
je le répète, une leçon d ’humilité. Naturellement, en entretenant avec lui des rapports de
véritable amitié (la plus « vitelionienne » mais aussi la plus profonde et la plus riche quf
soit), j'ai appris beaucoup d ’autres choses ; et en faisant à ses côtés ma prem ière expérience
d ’assistant metteur en scène, je compris que je pouvais moi-même réaliser mes scenarii,
puisqu’il n ’y avait aucune difficulté particulière au fait de tourner, c ’est-à-dire que tout l ’appa­
reil cinématographique n ’avait rien de si mystérieux, de si technique, q u ’il ne réclamait pas-
une initiation spéciale, mais seulement de savoir dire avec simplicité ce que l ’on avait
regardé.
Pour Païsa, j ’ai fait le scénario èn collaboration avec Amidei, puis j ’ai suivi le film
comme assistant-metteur en scène. Mon apport personnel à l'œ uvre de Rossellini a été tout
à fait secondaire, car Rossellini avait des idées très précises, il savait exactement ce q u ’il
voulait, et nous étions comme deux amis qui bavardent et échangent leurs opinions : peut-
être ai-je parfois attiré son attention sur certaines situations, ou l ’ai-je orienté dans quelque
direction, sans plus, P ar exemple, à Maiori (qui est un petit village sur la côte Amalfitaine), au
moment où Rossellini était en train de tourner ie prem ier épisode de Paisa, je découvris
un petit couvent franciscain, et comme, lorsque j ’étais petit, on m ’a souvent mis dans des
pensions religieuses, j ’y suis entré avec grand intérêt et j ’y ai rencontré une atmosphère
d ’une grâce infinie, presque celle d ’un pastel. Il y avait cinq ou six moines très pauvres
et extrêmement simples, je ne me rappelle plus exactement si l ’idée de cet épisode existait.

Fellini et son équipe, p en d an t le tou rn age d ’une scène d ’extérieurs pour Les N uits de
Cabiria.

15
déjà dans l ’ensemble du scénario, ou bien si elle est venue de cette visite. Je me rappelle
en tout cas avoir obligé Rossellini’ à venir dîner un soir dans ce petit couvent et avoir
commencé à lui suggérer rid é e q u ’il pourrait s ’en inspirer pour une de ses séquences. Au
début, ce devait être une rencontre entre des aumôniers am éricains et des moines italiens,
c’est-à-dire une rencontre entre deux manières de religion, une foi active comme pouvait
l ’être celle des prêtres-soldats et cette foi si méditative et faite seulem ent de prières,
qui existe dans certains petits couvents médiévaux que l ’on trouve en Italie. Il y avait
cette idée, mais Ja séquence elle-même n ’existait pas encore. Je ré c riv is pendant un séjour
que je fis dans ce couvent.
Vous , m ’avez demandé si je me considère comme un m e tteur en scène néo-réaliste. Ma
réponse est oui, mais il faut d ’abord se mettre d ’accord su r le sens de ce mot. Selon moi,
le seul auteur véritablement néo-réaliste est Rossellini, le seul à mon avis qui se soit
exprimé avec puissance (j’ai revu Paisa il y a quelques jours et je trouve que c ’est une
chose vraiment grandiose), le seul qui ait réussi à s ’exprimer avec efficacité et d ’une manière
inimitable. La qualité de ce regard posé sur la réalité a peut-être donné naissance à un
certain courant, lequel aurait subi des influences diverses et se serait trouvé orienté dans
des sens différents, mais ce serait trop long d ’en parler ici. En somme, si par « néo-réalisme »
on entend sincérité vis-à-vis des thèmes envisagés ou des personnages dont on veut raconter
l ’histoire, je suis, à mon avis, un auteur néo-réaliste.

Adapter le personnage à l ’acteur

Parmi les questions posées à Fellini, beaucoup eurent traitr naturellement, à sa méthode
de travail. Jusqu’à quel point construit-il le personnage sur Vacteur ? Quel est le dévelop­
pem ent de. son processus de création ? Quelle est l ’importance de Giulietta Masina dans
ses film s ? Pourquoi demande-t-il toujours à N ino Rota d ’écrire sa musique ?

Si je pense aux films que j'ai tournés avec Giulietta, je peux dire que la construction
de mon personnage est basée entièrement sur ses possibilités d ’actrice. En général,
lorsque je pense à une histoire, je sais déjà assez exactement quels seront les interprètes
de mes principaux personnages. Par exemple, I VUteUonî furent écrits sur m esure pour
Sordi, pour Trieste, pour Interlenghi, pour mon frère... Le seul personnage dont, au moment
où j’écrivais mon scénario, je ne savais pas par qui il serait interprété, fut confié à Franco
Fabrizzi. Je fis de nombreux essais et finalement je me décidai pour Franco. Ainsi, lorsque
j ’écris une histoire, je sais déjà à quel acteur je demanderai de jouer tel rôle. Mais il arrive
parfois que, lorsque le scénario est terminé et que je suis prêt à tourner, l ’acteur auquel
j ’avais pensé ne soit plus libre, c 'est ce qui est arrivé pour 11 Bidone. En écrivant mon
scénario, j ’avais pensé à Humphrey Bogart, mais au dernier moment — ce serait trop
long de raconter exactement pourquoi — cet acteur n ’était plus disponible ; je dus alors
m e décider pour Broderick Crawford, que je ne connaissais d ’ailleurs que par des photo­
graphies, puisque je n ’avais pas vu Les Fous du Roi, film que je me fis projeter lorsque
Crawford arriva en Italie. Il y a donc eu là, de ma part, une adaptation du personnage
à Crawford, à ses possibilités d ’acteur et à sa silhouette massive, tout à , fait différente
de celle de Bogart qui, vous vous en souvenez, était plutôt semblable à un loup affamé,
avec un visage creusé, et qui aurait exprimé avec peut-être plus d ’efficacité le désespoir
d ’une vie mal dépensée. En somme, la mélancolie profonde de Bogart aurait été proba­
blement plus efficace que celle de Cra'wford. Pour Crawford, j’ai dû faire quelques trans­
positions, ce que je fais toujours assez volontiers, car je crois que l ’imprévu, l ’imprévisible,
est parfois un élément positif pour la réussite d ’une œuvre. Quand je ne peux pas trouver
Facteur que je veux ou quand je ne réussis pas à trouver un visage tel que mon imagination
l’avait conçu, je me tourne avec une assez grande désinvolture vers une nouvelle solution.
En somme, je voulais dire ceci : que je ne commets jamais (et peut-être est-ce là le
seul système qu’on puisse découvrir dans ma méthode de travail) l ’erreur — car cela me

16
Fellini m édite en nrpentiuït le décor de la boîte de nuit, en tre deux prises de vue des
N uits de Cabiria.

semble une erreur — d ’adapter l'acteur au personnage, mais je fais toujours le contraire,
c’est-à-dire que je m ’efforce d ’adapter le personnage à l ’acteur. Je ne demande jamais
non plus à l ’acteur un effort d ’interprétation particulier, c ’est-à-dire que je ne m ’obstine
jamais à faire dire mes répliques sur un ton donné- Le cas de Giulietta interprétant Gelsominn
est le seul exemple que j ’aie jamais obligé une actrice qui a un tempérament exubérant,
agressif, voire pyrotechnique, à jouer le rôle stylisé d ’une créature écrasée de timidité,
avec une lueur de raison et des gestes toujours à la limite de la caricature et du grotesque.
Ceci m ’a demandé un très grand effort et dans ce cas particulier, Giulietta, contrairement
à ce q u ’elle a fait pour Cabiria, a dû faire un effort d ’interprétation très grand, car Gelsomina
est une <c interprétation » tandis que « Cabiria » était beaucoup plus dans ses cordes, avec
son agressivité, son caractère presque un peu halluciné, sa prolixité.
Lorsque je dirige mes acteurs, en général je mime complètement l ’action et j ’essaye de
donner moi-même aux répliques l ’intonation qui me paraîtra la bonne. Mais parfois, pour ne
pas risquer de l ’influencer, pour ne pas obliger l ’acteur à m ’imiter, je veux voir ce q u ’il
ferait de lui-même. A ce propos je peux vous dire une chose, c’est que mon inspiration en
ce qui concerne rinterprétajion des comédiens m ’est donnée principalement entre les prises
de vue, c ’est dire pendant les moments où l’acteur va s ’asseoir sur une chaise, q u ’il demande
son casse-croûte, qu’il fait la cour à une figurante, q u ’il va téléphoner ou q u ’il s ’endort.'
Il est toujours difficile de rem onter jusqu’à la source de l ’inspiration, mais je pourrais
raconter à ce propos comment est née la fin des Notti di Cabiria. Elle n ’est d ’ailleurs pas
n ée simplement en tant que fin mais comme l ’idée génératrice de tout le film. Lorsque
certain journal de gauche m ’a accusé d ’avoir une attitude évasive devant la réalité, d ’éluder
cette réalité, de ne jamais suggérer dans mes histoires une solution, un point de vue précis,

17
je me suis efforcé de faire acte d ’humilité sans tenir compte de l ’agacement que j ’avais
éprouvé à lire des choses auxquelles je ne m ’attendais vraiment pas, et Je me suis dit :
effectivement, Zavattini et de Sica suggèrent l ’inscription à un parti (je ne dis pas cela
pour faire de l’esprit), ainsi suggèrent-ils quelque chose à leurs personnages, ils leur don­
nent une direction, et ceci parce q u ’ils ont une certaine foi que moi je n ’ai pas, du moins
dans un sens précis. C ’est pourquoi, à la fin de leurs films, leurs histoires et leurs p e r­
sonnages donnent plus de satisfaction que les miens. Alors je me suis dit : peut-être que
ces m essieurs ont raison. Moi, à mes personnages, je n ’arrive pas à dire à la fin du film :
u Vous avez bien compris, il faut acheter tel journal, ou bien il faut vous marier, ou bien il
faut aller à l'église... » Je n ’arrive à rien le u r dire.
Au fond c ’est là une attitude assez inhumaine de la part d ’un auteur envers ses person­
nages. Alors, y mettant toute ma bonne volonté, (comme si j ’étais enfin résolu à dire à mon
personnage : « Tu as bien compris, tu feras ceci ou cela ») je me suis demandé : « Q u'est-ce
que je vais lui dire ? » Et après y avoir pensé pendant longtemps, je me suis aperçu que je
ne savais rien lui suggérer, parce que je ne sais rien me dire à moi-même. Donc à m es per­
sonnages, qui sont toujours si malheureux, la seule chose que je pourrais offrir serait ma
solidarité : et ainsi je pourrais par exemple dire à l ’un l ’eux : « Ecoute, je ne sais pas t ’ex ­
pliquer ce qui ne va past mais en tous cas, je t ’aime bien et même je t'offre une sérénade. »
Et aintü, pour L e Notti di Cabiria, j ’ai pensé : je veux faire un film qui raconte les
aventures d ’une malheureuse qui, en dépit de tout, espère confusément, naïvement, en des
rapports meilleurs entre les hommes, simplement en des rapports meilleurs ; et à la fin
du film je veux lui dire : <c Ecoute, je t'ai fait passer par toutes sortes de malheurs, mais tu
m 'e s si sympathique que je veux te faire donner une petite sérénade. » Et puis, su r cette
idée peut-être un peu naïve, j ’avais imaginé une scène. Il s ’agissait d ’une femme, d ’un
personnage malheureux qui, à la fin d ’une aventure plus terrible encore que les autres,
devait perdre de manière si absolue et définitive sa confiance dans l ’humanité qui l ’entourait,
q u ’il ne pouvait en sortir que détruit complètement. Et je me suis alors demandé : pourquoi
ce personnage, à un moment donné, ne peut-il se convaincre qu’il y a quelqu’un qui lui dit
gentiment et avec sympathie : « Tu as raison » ? Et ainsi ce personnage est devenu Cabiria.
et ses aventures sont devenues celles d ’une prostituée qui vit comme une petite souris dans
un milieu épouvantable, continuellement écrasée par la réalité, mais qui traverse la vie
avec innocence et cette mystérieuse confiance. A la fin du film je lui fais rencontrer un
groupe exubérant de très jeunes gens, c ’est-à-dire d ’une humanité au seuil de la vie, qui
gentiment, en se moquant un peu mais avec candeur, lui exprime sa gratitude en lui chan­
tant une chanson. C ’est de cette idée que, finalement, est né tout le film.
En ce qui concerne ma collaboration avec Giulietta, je peux dire que Giulietta n ’est
pas seulement J’interprète de m es films m ais q u ’elle en a été également l ’inspiratrice ; je
n ’entends pas par là que l ’aide q u ’elle m ’apporte soit semblable à celte de Pinelli, de Flaiani,
de Rondi, je veux dire l ’inspiratrice dans un sens beaucoup plus profond, à la manière d ’une
muse. C ’est-à-dire que la vie avec Giulietta — ce que j ’en pense, l ’idée que je me suis fait
d ’elle, de ce que peut être son hum anité, de ce que peut être son sens dans ma vie — m ’a
inspiré La Strada et Le Notti di Cabiria.
Ma prédilection pour Rota comme musicien vient du fait q u ’il m e paraît lui-même assez
voisin de mes thèmes et de mes histoires et que nous travaillons ensemble (je ne parle
pas des résultats, mais de la façon dont se fait notre travail) de manière très heureuse. Ce
n ’est pas moi qui lui suggère le s.thèm es musicaux, puisque je ne suis pas musicien. C epen­
dant, comme j ’ai des idées assez claires du film que je suis en train de faire, dans tous
ses détails, le travail avec Rota se fait exactement comme pour l ’élaboration du scénario.
.Je me tiens près du piano où Nino s ’est installé et je lui dis exactement ce que je veux.
Naturellement, je ne lui dicte pas les thèm es, je peux seulement le guider et lui dire exac­
tement ce que je désire. Parmi tous les musiciens de cinéma c ’est lui qui, à mon avis, est le
plus humble, car il fait une musique qui, d ’après moi, est extrêmement fonctionnelle. Il
n ’a pas la présomption du musicien qui v eu t faire entendre sa propre musique. U sait que
la musique d ’un film est un élément marginal, secondaire, qui ne peut tenir la prem ière
place q u ’en de rares moments et qui en général, doit se contenter de soutenir le reste.

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Le petit malade de La Strada

De la méthode de travail, la discussion aboutit à l'œuvre* Quel est, parmi ses films,
celui que Fellini préfère ?

Je n ’arrive pas à être objectif devant mes films pour une raison bien simple : je ne
me considère pas comme un m etteur en scène professionnel, c ’est-à-dire dont les films soient
seulement l'expression d ’un homme qui exerce un métier. Je crois être un conteur d ’histoires.
Je fais des films, parce que j ’aime bien raconter des mensonges, inventer des histoires et
raconter les choses que j ’ai vues et les personnes que j ’ai rencontrées. J ’aime surtout me
raconter moi-même. Donc, en définitive, je fais des films en racontant des éléments de ma
vie, avec une telle sincérité q u ’elle atteint parfois l ’indiscrétion et que mes confessions
risquent de mettre mal à l ’aise, car elles sont excessives et même peut-être importunes.
Cette attitude qui est à l ’origine de mes œuvres m ’empêche de les juger avec objectivité,
car c’est comme si vous me demandiez : « Que préférez-voust votre mariage, ou le service
militaire Que préférez-vous, votre troisième au Lycée, ou votre première aventure amou­
reuse ? » Je ne saurais le dire, parce que je préfère tout, parce que, comme il s ’agit là uni­
quement d ’épisodes de ma vie, iis me paraissent tous mériter le plus grand respect, c’est-à-
dire que je suis pris par une forme de respect paralysant pour tout ce qui me concerne, et
par conséquent pour mes films. Tout ceci pourra vous paraître un peu excessif, mais je
vous avoue que je suis sincère. Toutefois, d ’un point de vue sentimental» je peux dire que
le film auquel je suis le plus attaché est La Strada. Avant tout, parce que je crois qu’il est

Fellini en discussion ;ivec A nthony Q uinn, le fameux Z am pano de La Strada.

19
mon film le plus représentatif, le plus autobiographique et également pour des motifs
personnels et de nature sentimentale, parce que c ’est le film que j ’ai eu le plus de peine
à réaliser et celui qui m ’a donné le plus de difficultés au moment de trouver un producteur.
Parmi les personnages c ’est naturellement Gelsomina que je préfère.
Toujours dans le même ordre d ’idées, je voudrais répondre m aintenant à la question :
d ’où v ie n t-l’idée, dans La Strada, du petit garçon malade découvert par hasard par Gelso-
mîna ? C ’est un souvenir d ’enfance tel quel. Quand j ’habitais à Gambettola {j’ai passé une
grande partie de mon enfance à la campagne) un petit village à côté de Rimini, chez m a
grand-mère, je m ’aventurai un jour en compagnie de petits paysans, dans une ferme située
de l ’autre côté de la colline, une ferme qui autrefois avait été un couvent. Ayant pénétré
dans cette extraordinaire bâtisse, pleine d’endroits mystérieux, de couloirs, de souterrains,
nous découvrîmes dans un grenier, entre les pommes étalées pour m ûrir et les sacs de
maïs, une sorte de couche qui n ’était même pas un lit, un grabat sur lequel se trouvait un
enfant idiot que les paysans, avec cet instinct de défense qu’ils ont vis-à-vis de ceux qui ne
travaillent pas, et par conséquent envers les créatures qui naissent anormales, avaient presque
éliminé, espérant peut-être q u ’il mourrait d ’inanition. C ’est une chose qui me frappa, elle
me fit une impression énorme et je l ’ai mise dans La Strada. Quelle importance cet épisode
a-t-il dans l ’ensemble du récit ? Je l’y ai mis probablement pour donner à Gelsomina la
conscience exacte de sa solitude ; à la ferme il y a une fête, et Gelsomina, qui finalement
est une créature qui aime à se trouver en compagnie des gens et qui veut prendre part aux
chants et à la gaîté générale, est entraînée par cette nuée d ’enfants qui la m ènent à
grands cris voir le malade. C ette apparition d ’une créature si isolée, en proie au délire,
— par conséquent située dans une dimension extrêmement mystérieuse — il me semble
que, étant unie au gros plan de Gelsomina qui vient tout de suite après et dans lequel
elle le regarde avec curiosité, elle puisse souligner avec une assez grande force de sugges­
tion, la solitude de Gelsomina.
Vous me demandez pour quelle raison, selon moi, Lo Sceicco Bianco et II Bidone
n ’ont pas obtenu un grand succès auprès du public. Lo Sceicco Bianco, mises
â part' des raisons d ’ordre pratique telles que la faillite de la maison de distribution
juste avant q u ’elle ne distribue le film et aussi le fait que le générique n ’offrait aucune
vedette susceptible d ’attirer le public) étant un lîlm contre les ciné-romans (et je ne parle
pas des ciné-romans comme expression particulière du journalisme, mais bien comme
expression d ’une attitude, d ’une coutume), a probablement déconcerté une certaine partie
du public qui va justem ent au cînéma pour y trouver l ’image d ’u n e réalité conventionnelle
et de nature sentimentale. Lo Sceicco Bianco, parce q u ’il réagissait contre cette représen­
tation de la réalité (que justem ent le public désirait voir), a eu à cause de cela un sort
malheureux. En ce qui concerne 11 Bidone, je n ’ai pas encore compris pourquoi ce film
n ’a pas été un succès commercial. En y repensant, je crois que son insuccès a été dû à
ceci : le public, attiré par le titre, pensait aller voir une histoire pleine d ’hum our qui leur
montrerait quelques joyeux farceurs bien sympathiques, et non pas des malfaiteurs endurcis
Comme j’ai tente de les représenter. De là est venu, je pense, que les gens ont été
déconcertés et déçus. De plus, il y avait le ton du film qui, je crois, ne faisait pas beau­
coup de concessions aux conventions attachées au récit de la vie d ’un mauvais homme de
la part duquel on attend, qui sait pourquoi, la rédemption.

Les aventures de Moraldo à la ville.

Pour terminer,„on demanda à Fellini quels ont été en général ses rapports avec les pro
ducteurs, et q uels'so nt ses projets.

Jusqu’à présent, je peux dire que je n ’ai jamais été empêché de faire librement ce
que je voulais faire. J ’ai toujours réussi, en tolérant parfois certaines choses, peut-être,
mais en ne renonçant jamais à rien, pas même à un seul plan, à faire ce que je voulais.

20
Il est vrai que le producteur tente toujours de justifier sa présence au moins par des
suggestions, mais pour nous, il s ’agit d ’être convaincu de ce que l ’on veut faire, de rester
le plus possible fidèle à soi-même et de bien savoir une chose : du m etteur en scène
ou du producteur, c’est toujours le m etteur en scène qui a raison. Si l ’on est bien convaincu
de ceci (sans marques extérieures inutiles) si, en toute objectivité, on sait avoir certaines
qualités et un inonde â exprimer, on doit avoir la ferme conviction que, de toute l ’équipe
de tournage on est le plus fort, que ce que l ’on a en tête doit être réalisé jusqu’au bout
et que, une fois le tournage commencé, on ne doit écouter les conseils de personne, parce
que, à ce moment-là, le conseil le mieux intentionné se trouve finalement être importun et
mauvais.
Lesquels, parmi mes personnages pourraient-ils se prêter à des développements ulté­
rieurs ? Je m ’attache facilement aux personnages de mes films, et après avoir terminé
un film je me mets à imaginer d ’autres histoires. Mais le personnage qui pouvait le plus
se prêter à un développement ultérieur es* Moraldo. J'avais pensé à ce personnage pour
un film qui se serait intitulé justement Moraldo in città et qui aurait été une suite des
Vitelloni. II s ’agissait des aventures de Moraldo à Rome et c ’étaient les aventures d ’un
jeune homme à la recherche de lui-même, d ’un jeune homme sans foi, sans idéal, sans
préjugés, absolument libre tel un petit animal qui pour la première fois s'aventure dans un
bois à la recherche d ’un sens de la vie. Et puis je n ’ai pas tourné le ülm et je crois que
je ne le tournerai pas, parce que ce sen s de la vie je ne l ’ai pas encore trouvé moi-même
et j ’ignore donc quelle peut être la conclusion de l ’histoire de Moraldo. Le jour où j ’aurai
l ’impression d ’avoir trouvé' une conclusion en ce qui me concerne, et en quelque manière
une conclusion que je puisse suggérer aux autres, alors probablement, je tournerai Moraldo
in Citta.
Federico FELLINI.

(Traduit de Vitalien par Laura Dumoulin.)

Fellini donne une indication de jeti à F ran ca Marzï, la plantureuse


voisine de C abiria

21
CANNES 19 S 8

PALMARÈS

P A L M E D’O R : Quanti passent le s cigognes, de Michail Kalatozov, pour l ’ensemble


de ses qualités artistiques et hum aines. Le Jury t.ent à souligner l'apport
exceptionnel de l’interprétation de T atian a Samoïîova.

P R IX SPEC IA L D U JURY : M on Oncle, de Jacques T ati, pour l’originalité et la


puissance comique de son oeuvre.

P R IX D ’IN T E R P R E T A T IO N M A SCU L IN E : Paul Newm an, dans Les F eux de


l’été, de Martin Ritt

P R IX CO L L E C T IF D ’IN T E R P R E T A T IO N FEM IN INE : E va Dahlbeck, Ingrid


T h ulin, Bibi Andersson et Barbro Hiort af Ornas, dans A u seuil de la oie,
d ’Ingm ar Bergman.

P R IX DE L A MISE EN SCENE : Ingmar Bergman peur son film A u seuil de la oie.

P R IX D U M EILLEUR S C E N A R IO O R IG IN A L : aux auteurs de Jeunes Maris, de


M auro Bolognini,

P R I X E X A E Q U O D U JU R Y : Goha, de Jacques Baratter, pour son originalité poé­


tique et ia qualité exceptionnelle du com m entaire et des dialogues de Georges
Schéhadé.
Visages de bronze, de B ernard T aisant, pour la probité et l ’authenticité de
sa réalisation et pour la sim ple beauté de ses images.
P rix DE LA COMMISSION SUPÉRIEURE TECHNIQUE : L ’A r c et la flû te r d ’A rn e Sucksdorff,
Q uand passent les cigognes, M on Oncle,

COURTS M ETRAGES

P A L M E D ’O R ; Ex aequo : L a Seine a rencontré Paris, de Joris Ivens.


L a Joconde, de Henri Gruel.

P R IX SPEC IA L : A u x sources de la vie, de Fritz H eydenrich,


Com menf Pfiomme esf monfé au ciel, d e Jiri Brdecka.

J'ai vu trop de Festivals pour juger celui-ci avec une passion que rien du reste ne
justifierait. S'il est vrai qu'il fut décevant, c'est malgré sa perfection, et cet échec relatif est
doublement exemplaire. Des semaines à l'avance, la direction du Festival avait tenu conférence
de presse pour avertir les journalistes qu'il ne devaient plus se faire d'illusions, La faveur
qui leur avait été faite jusqu'ici de leur réserver quelques rangées de fauteuils d'orchestre, ne
pouvait être considérée comme un droit. Le Palais du Festival n'étant pas extensible et les
demandes de places de 3a profession s e multipliant d'année en année il fallait raréfier la critique.
T ntiana Snmoïlovn dans Q uand passent les cigognes de Michail lvalatozov

Aussi bien toute une presse corporative, nullement démentie par les personnalités responsables,
s'employa-t-elle à développer un singulier sophisme. Le Festival de Cannes était financé par les
exploitants, donc il leur appartenait en priorité. Cette thèse était si bien admise au Comité d'Admi-
njslraîion du Festival qu'elle servit à justifier le huis-clos du * Grand Prix d'Eurovîsion », toléré
par les exploitants à la seule condition que les films de Télévision fussent retransmis dans le plus
grand secret et interdits au public et à la presse. L'inutilité de cette mesure devait naturellement
apparaître à l'usage. On ne conjugue pas impunément la stupidité de Gribouille à la sottise de
l'autruche. Mais je ne veux retenir pour l'instant que sa signification politique : l'exploitation
serait en quelque sorte l'autorité de tutelle du Festival de Cannes. Et pourquoi ? Parce que la
plus grosse partie du financement du Festival provient du Fonds d'Aide, lequel est naturellement
alimenté p ar les caisses des cinémas. Singulière logique qui confond la trésorerie du percepteur
avec l'argent du contribuable. Il n'y a qu'un mécène et c'est le public ! Le Festival de Cannes
n'est donc fait ni p ar ni pour les exploitants, il est fait par et pour le public. le sais bien que
cela ne veut rien dire et que nous nageons en pleine abstraction. Quand le directeur de salle
dit « mon public * il ne sait p as plus de quoi il parle que le journaliste qui s'aventurerait à dire
i mes lecteurs * ? Du moins pourrai-je {aire remarquer qu'en droit le représentant théorique
dudit public, son truchement, son porte-parole, s a bouche d'or, c'est le critique, non l'exploitant.
Si la théorie ne répond pas à la réalité, du moins se rapproche-t-elle davantage de l'idéal que
l'hypothèse qui supposerait une exploitation assez intelligente, non seulement pour connaître les
goûts du public, mais encore pour les diriger et les améliorer au mieux du progrès de l'art cinéma­
tographique.

Mais trêve d e plaisanterie, Réprouve à peine plus de goût à plaider pour ma corporation
qu a attaquer celle des directeurs de salle. Je connais d'ailleurs d'excellents exploitants et de bien
mauvais critiques. L'essentiel est de défendre et d'illustrer le cinéma. C'est le rôle des Festivals.
Il m'est arrivé naguère dans celte revue de justifier leur aspect mondain et publicitaire p ar un
argument théologique. 11 ne suffit p as d'honorer le cinéma, il faut encore le glorifier. Toute celte
liturgie du scandale, cette réquisition des vedettes, ces célébrations spectaculaires entretiennent

23
et confirment le catholicisme du cinéma. Chaque entrée du Palais, le soir, a le rituel d'une
procession. Bon, je l’admets, et je veux bien même me déguiser en enfant de chœ ur pour avoir
le droit de me glisser dans la cohorte. Mais tout ce cérémonial n 'a de sens que si le dieu du
cinéma est présent. Et c'est justement ce que nous avons bien vu cette année, quand s a grâce nous
a manqué. Du point de vue de l'organisation et des mondanités, ce XIP Festival de Cannes aura
été le plus réussi que nous ayons connu depuis des années. En dépit des craintes de la direction
et pour des raisons difficiles à prévoir, la fréquentation des séances s'est révélée en parfaite
harmonie avec les dimensions de la salle. Tant et si bien que les journalistes retrouvèrent de
facto leurs anciens privilèges. Pas de scandales diplomatiques, du moins du fait du Festival. Un
va-et-vient de vedettes très honorable et qui assura chaque soir la garniture du balcon. Enfin
un nombre de films * raisonnable » qui permit à chacun de courir s a chance dans les meilleures
conditions psychologiques. En bref, je crois que ce Festival échappait à presque toutes les cri­
tiques formulées au cours des années précédentes. Même le jury jugea bien : son palm arès fut
le premier que personne ne siffla depuis au moins cinq à six ans.

. Si donc, ce Festival fut tout de même l'un des plus décevants depuis 1950, c’est qu'il lui
manquait quelque chose : le cinéma. On s'est beaucoup plaint de l'excès du nombre de films
présentés dans les Festivals et c'est contre cette abondance que Venise a réagi en modifiant son
règlement. Et il est sûr que la projection d'une quarantaine de films en u ne quinzaine de jours
condamne Je jury et la critique aux travaux forcés. Pourtant l'expérience semble décidément
prouver que le nombre fait quelque chose à l'affaire : 1956 et 1957, années pléthoriques aux
programmes surchargés, laissèrent aussi un hilan particulièrement riche. l'adm ets, bien sûr, le
jeu des circonstances et des coïncidences. Le Festival de Bruxelles a provoqué un écrémage sup­
plémentaire de la production 1957-1958. Il était naturel que le programme de Cannes s'en ressen­
tît, Il n'est p as fatal non plus qus toutes les années soient aussi bonnes. Le film, de Satyajit Ray
présenté cette fois-ci n'était qu'un médiocre film indien, sans rapport apparent avec Pather
Panchali ou Aparajilo ; Fin de crédii nous a révélé un Cacoyannis encore talentueux, mais beau­
coup moins passionnant que celui de la La Fille en Noir et de Stella. M. Favre Le Bret ne peut pas
inventer les bons films qui n'existent pas. Toutefois il pourrait essayer d'avoir les meilleurs. Je
pense bien qu'il s'y efforce, mais peut-être pas avec toute l'autorité et la ténacité nécessaires.
Pour l'autorité, parce que la direction du Festival n ’est conseillée p a r aucun aéropage officiel
ou officieux dont l'information et la compétence critique garantissent la meilleure prospection
possible. C'est le Comité d'administration du Festival qui remplit, dans une certaine mesure, cet
office auquel rien ne le désigne (sinon, pourquoi ne pas nommer ces administrateurs jurés à vie ?)
Pour la ténacité, parce que les convenances diplomatiques et les atouts mondains priment trop
souvent les stricte intérêts d e l'ari. Entre un ülm et une vedette, on aimerait être sûr que l'on
ne préfère pas la vedette. C’est cette année, p ar exemple, la seule explication à la présence de
l'impossible Désir sous les ormes, mais il garantissait Sophia Loren. Le retrait p ar les Polonais du
Huitième jour de la semaine, d'Alexandre Ford, était-il tolérable et n'aurait-on pu amener Varsovie
à envoyer un autre film, Heroïca, p a r exemple ? Je sais bien que je parle peut-être légèrement
des choses que je ne connais pas. Mais justement cette ignorance me gêne et l'impression qu'elle
me laisse de n'étre pas sûr de me trouver en présence du meilleur programme de Festival possi­
ble ou, au moins, du moins mauvais. Dieu sait que les deux premières expériences de Venise
nouvelle formule n'ont pas été brillantes, mais les conditions de la sélection vénitienne ne prêtent
le liane à aucun reproche : elle est faite p ar des commissaires compétents, choisis pour cette
fonction. S'ils n'ont pu faire mieux, c'est que vraisemblablement il n 'y avait guère mieux à faire.
Ce que je demande seulement, c'est que Cannes se batte avec autant d'imagination et d e patience
pour avoir les meilleurs films que pour les plus célèbres vedettes.

D'autres détails me laissent sur ce point incertain, notamment la façon dont sont traités les
films en compétition. Ceux-ci devraient être systématiquement reprojetés à quelques jours de leur
programmation officielle, d'abord pour permettre aux journalistes invités pour la deuxième semaine
de voir les films présentés en leur absence, et aux scrupuleux de vérifier leur première
impression. Celte année, p ar exemple. Quand passent les cigognes, programme le deuxième
jour du Festival, n 'a pu avoir d'autre projection, sinon pour l'usage assez scandaleusement privé
de Picasso lequel mobilisa pour lui seul toute une salle. Certains films repassent néanmoins, mais
visiblement à l'initiative des producteurs ou distributeurs les plus tenaces ou les plus débrouillards,
non à celle de la presse et de son information. Je suppose que cette pratique se heurte à une
difficulté matérielle : le Palais ne dispose que d'une salle de travail supplémentaire, au lieu des
trois ou quatre du Lido. Il est vrai que ce n'est pas la seule absurdité de ce Palais, fort mal
conçu à d'autres points de vue. Mais ne pouvait-on, en attendant mieux, louer une salle de la
ville qui deviendrait pendant quinze jours une annexe de Palais ? Je ne méconnais pas
toutes les complications que de telles dispositions représentent, mais je dem eure convaincu qu'elles

24
ne sont pas insurmontables et qu'on les résoudrait, si l'on y appliquait l'ingéniosité sollicitée par
les difficultés mondaines qui sont le pain quotidien du secrétariat général.

Mais le succès du Festival 1958 ne s'est pas joué au Palais. Les autres années, l'intérêt du
rassemblement cannois s'était également manifesté au hasard des projections privées, dans les
salles commerciales de la ville. Charles Bits ch vous en parle d'autre part. Elles auraient pu pallier
heureusement les vides de la programmation officielle. Ce ne fut malheureusement pas le cas,
à l'exception glorieuse du Seau Serge. Pourquoi ? Parce que cette foire aux films officieuse n'est
plus qu'une foire et qu'elle a totalement perdu son caractère d'exposition. On y voit programmer
trois ou quatre fois, au cours du Festival, des films commerciaux de trente-sixième ordre et pour
le seul usage des acheteurs étrangers. Il n e s'agit pas de critiquer cette activité commerciale mar­
ginale de la manifestation cannoise, mais seulement de lui conserver ce qui y subsistait d'informa­
tion artistique désintéressée. Là encore, il me semble que la direction du Festival pouvait agir
officieusement pour convaincre les délégations étrangères de l'inîérêt moral, sinon commercial,
d'apporter quelques films dans leur valise. J'en prendrai cette année deux exemples significatifs.
L'Allemagne de l'Ouest a présenté officiellement une opérette plaisante, mais de portée très limitée,
L'Auberge de Speissart. J'ignore pourquoi, à déferai du film de Staudle sur la légion étrangère,
évidemment inopportun, nous n'avons pas eu droit à Jonas. Peut-être peur une bonne raison régle­
mentaire, mais rien n'empêchait de voir le film en projection privée. Le cas de la Pologne est
encore plus net. Si Hezolca ne pouvais décidément être substitué au film de Ford, il pouvait même
sans sous-titres être présenté à la presse. Mais de telles initiatives ne sent plus prises, si la vente
du film n'est pas en cause. C'est contre quoi il faut réagir. En présentant Heroïca la délégation
polonaise se fût évité le ridicule d'une présence à vide. Un peu astucieuse, la délégation d'Alle­
magne Fédérale, en présentant le Huitième jour, produit en co-production, aurait damé le pion
à la Pologne. Ce Festival officieux indépendant des sujétions diplomatiques et des lourdeurs
administratives pourrait souvent corriger et compléter le Festival officiel, C'est parce qu'il a fait
défaut cette année que notre déception fut sans remède.

Tout n'est pas la faute, bien sûr, du gouvernemeni et ce serait d'abord aux délégations ciné­
matographiques étrangères de mieux comprendre leur propre intérêt. Il demeure, je pense, que
cela est aussi une question de climat et qu'il dépend de la direction cannoise de le modifier. Il
faut que l'on sente au Festival, et que l'on comprenne à l'étranger, que ce qui importe en premier
lieu, ce sont les films. Que le Festival est d'abord fait pour eux, qu'ils y sont sollicités et honorés.
C'est ce qui nous a manqué cette année et la preuve a été faite que dix vedettes ne remplacent
pas un bon film de plus.
André BAZIN.

QUAND PASSENT LES CIGOGNES mettre convenablement en images l'admirable


féerie des tendressss naissantes. Nous avons
Comment deviner que Michail Kalaiozov était assez vu d'amoureux de cinéma se poursuivre
capable de réaliser un film aussi beau. Bien sur l'écran en riant fort et faux pour être suf­
sûr, cette déchirante histoire de deux jeunes fisamment stupéfiés par l'intime justesse des
amoureux séparés p ar la guerre n 'a pas été galopades de nos deux héros qui, le soir venu,
racontée sans quelques schématisations édi­ ne peuvent plus se quitter. Que les yeux de
fiantes. Le scénario fait de Boris, le jeune Tatiana Samoïlova, l'interprète principale du
homme qui monopolise toutes les vertus civiles film, s'ouvrent ou se ferment, cela suffit à mo­
et humaines, un technicien modèle, tandis qu'il tiver un plan. On ne sait si l'on doit la vérité
réserve à un apprenti pianiste tous les attributs des mouvements infimes, des notations indes­
de la veulerie et de l'indélicatesse. Mais le criptibles à l'interprète ou au réalisateur.
film, n'étant pas un ouvrage de mobilisation Il est en tout cas certain que cette jeune
directe, laisse apercevoir quelques combinards comédienne fait de son personnage quelque
bénins qui utilisent au mieux les facilités^ de chose à laquelle les venus tés triées sur lô
l'arrière. Ces détails révélateurs seraient évi­ volet et les biographies de kermesse de nos
demment impensables dans un de ces canti­ actrices n'aboutissent pas. La spontanéité des
ques patriotiques dont les Russes n'ont malheu­ élèves de l'Actors'Studio est encore le pro­
reusement pas le secret. Mais pourquoi chica­ duit d'une culture raffinée du jeu spectaculaire
ner ? On ne peut pas trop attendre d'un Etat à côté des élans naturels de la jeune Véro-
maître à penser. nika du film. Tatiana fonde sans doute son
Reste à ne pas perdre la grâce de quelques interprétation sur une conception du travail et
entractes biologiques autorisés et notamment à de la vie personnelle de l'acteur très dtffé-

25
rentes de celles qui animent nos * bêtes de films vus au Festival. Une véritable complicité
cinéma ». Dans ces conditions la direction des a uni le réalisateur et son opérateur Ourous-
interprètes peut alors devenir plus qu'une sim­ sevsky, ajoutant aux images ce que l'ampleur
ple mise en lumière d'une personnalité conve­ du décor, ce que les mouvements de la foule,
nable : une réelle capture d'être. ce que le dynamisme de la caméra n'auraient
De plus, Quand passent les Cigognes nous pu produire seuls. Parfois, jl faut supporter une
répèle, une fois encore, ce que les meilleurs ou deux surimpressions « artistiques » de trop
réalisateurs russes nous rappellent acciden­ ou un montage qui fait penser à ce que La floue
tellement mais obstinément : la valeur tou­ a de ridicule. Maïs cela nous vaut, le plus sou*
jours actuelle de certaines formes visuelles vent, des fastes visuels auxquels nous n'étions
abandonnées à la mort du cinénta muet. On plus habitués, nous autres, pauvres contem­
attribue volontiers aux progrès inévitables de porains du plan séquence. Pourquoi se prive­
l'expression cinématographique ces disparitions rait-on, après Dovjenko ou Donskoi des enchaî­
dues à une regrettable et radicale division des nements lyriques d'images, comme dans cette
compétences créatrices exigée p ar les nouvel­ scène où Boris mourant imagine ce qu'aurait
les complications techniques du cinéma sonore. pu être son mariage. A-t-on souvent l'occasion
Et ces obsèques se font sans plus de regret de voir, comme dans la séquence du bombar­
ni de tentatives d ’adaptation, comme s'il s'agis­ dement, un événement matériel, p ar simple ré­
sait de formules périmées. pétition rythmique des éclairs visuels et so­
nores devenir pur orage mental. U serait dom­
Les images du film de Kalatozov sont actives mage que Poudovkine seul ait poussé le flou
contrairement à la plupart de celles des autres visuel dans le relevé des mouvements rapides
jusqu'aux limites d ’une stroboscopie expres­
sive. Rares sont les réalisateurs qui, ne man­
quant ni de qrues ni d'ascenseurs sur mesure
pour réaliser leur film, pensent aux avantages
de la cam éra au poing et qui, avec un travel­
ling à la main, tirent .d'une ample figuration
des im ages comparables à celle de la foule
dans l'adm irable séquence finale. Face à un
cinéma impotent et non moins calculé, le retour
de Kalatozov et Ouroussevsky à ces vieux
sans-gêne fructueux méritait la Palme d'Or.
— A. M.

A'U SEUIL DE LA VIE

Ayant achevé les prises de vues des Fraises


Sauvages dans les studios de la * Svensk fil-
mindustrie », Ingmar Bergman entra en pour­
parlers avec la société * Nordisk Tonefilm »
qui avait acquis les droits d'adaptation ciné­
matographique d'une nouvelle d'Ulla Isaksson
dont l'action se déroulait dans une clinique
d'accouchement. Bergman, qui avait montré
brièvement le comportement de femmes en­
ceintes dans plusieurs de ses films, s'enthou­
siasm a à l'idée d'analyser en détail les réac­
tions de trois femmes, de caractère et de milieu
social différent, dans les minutes mêmes où
elles s'apprêtent à enfanter.
Le récit de UUa Isaksson était centré sur
les réactions de Cécïlia (dans le film Ingrid
Thulin) en proie à une dépression nerveuse
lorsqu'elle croit deviner que son mari ne l'aime
pas, et de Christina, parfaitement heureuse en
ménage, mais qui accouche d'un enfant mort*
né.
Pendant plusieurs semaines, Bergman étudia
T atinnn Samoïlovn dans Q uand passent les sur place l'atmosphère d'une maternité. Par
cigognes de Michni! Kalntozov. souci d'équilibre — et aussi, naturellement,

26
Ingrid Thulin et Bibi A ndersson d an s A it seuil de la vie d’Ingniar Bergm an.

pour utiliser le talent de Bîbi Andersson qui à la scène eî à la T.V., Bergman est plongé
depuis deux ans et après Harriet Andersson dans un sommeil artificiel depuis trois sem ai­
partage son intimité — Bergman inventa de nes.
toute pièce un troisième personnage, celui de Dans quelques mois, il entreprendra la réa­
Hjordis, petite midinette au comportement ins­
lisation d'une comédie fin de siècle — dans
tinctif. Tirant toute la leçon du désespoir de le style Sourires d'une nuit d'été — qui existe
ses deux compagnes de chambre, Hjordis, qui
déjà en ébauche, dans ses projets.
d'abord n'envisageait d'autre solution à s a
grossesse involontaire que I'avortement, pren­ Grâce à la rétrospective organisée p a r la
dra conscience de s a chance et décidera avec Cinéniaf&èque Française nous pourrons consa­
une fierté radieuse d'assumer s a condition de crer dans le prochain numéro des CAHIERS
fille-mère. une longue étude à l'œ uvre d'Ingmar Bergman
dont A u Seiiil de la vie m arquera l'une des
Bergman rédige son script très rapidement el plus prestigieuses étapes, non seulement par
d'une seule traite. Au tournage il ne modifie l'émouvante simplicité du propos, mais encore
jamais le dialogue, mais bouleverse volontiers p ar la maîtrise qu'y manifeste un cinéaste
le découpage technique. Après s'être approché que nous admirons chaque fois davantage, —
le plus près possible de l'amour dans les I. B.
iilms de sa première période, le plus près pos­
sible de la mort dans Le Septième Sceau, Berg­
man capte la vie à s a source en se penchant
ici sur le mystère de l'enfantement. GOHA LE SIMPLE

Malheureusement il n 'a pu obtenir de ses La diificulté, lorsqu'il faut parler de Gaha.


zftédecins l'autorisation d'accompagner ses in­ c'est de s'entendre ! De quel film s'agit-il, de
terprètes à Cannes. Surmené par l'écriture et
Goha le Simple ou de Goha tout court, de la
la mise en scène de dix-neui Iilms en treize version parlant arabe, français ou mixte ? Du
ans, la rédaction de deux scénarios pour Sjo-
premier bout à bout ou du troisième montage ?
berg, deux scénarios encore pour Gustav
Molander, plusieurs mises en scène théâtrales Qu'importe, après tout ! Il y a aux CAHIERS

27
autant de farouches détracteurs de Goha que que Jacques Baratier, au dernier moment, est
d'acharnés supporters, les uns et les autres revenu aux CAHIERS remplacer le premier
parlant, malgré tout, du même film. texte par celui que vous avez lu. Tout Bara­
Commercialement l'entreprise est absurde et, tier est là-dedans : c'est un homme à qui il
de ce seul point de vue, c'était le film à ne faudrait arracher la pellicule des mains sitôt
pas faire ! Dépenser plus de cent vingt mil­ impressionnée, sans quoi, enfernié dans une
lions pour raconter en couleurs et sans ve­ salle de montage, il est capable de faire un
dette une légende tunisienne poétique douce- malheur !
amère, voilà bien de la folie, Mais nous D'avoir écrit sur Baratier me donne envie
n'avons pas, aux CAHIERS, à juger cette folie- de revoir son film ; espérons qu'il sortira bien­
là ; nous devons même la défendre, quand elle tôt. — F. T.
s'appelle Lola Montés, Ssnso ou Le Chant du
Siyrène. Il n'en demeure p as moins que le plus
sage des savetiers-financiers, Robert Aldrich, VISAGES DE BRONZE
le grand Bob lui-même1, décréterait nettement
que Goha devait être tourné pour trente mil­
lions de francs en couleurs ou pour douze en Le documentaire spectaculaire de long mé­
noir et blcmc, afin de constituer une affaire trage a été illustré par deux films d'esprit
saine et rentable ! assez différent, mais qui présentaient des ca­
ractères communs, si on les compare aux plus
Esthétiquement, Goha représente à peu près
célèbres réalisations de ces dernières années
ce que Becker voulait faire d'Ali Baba avant et notamment aux Continent Perdu et autres
de se laisser broyer dans l'engrenage cyclo- Empire cfu Soleil.
péen : une tendre mélodie, paresseuse et en­
soleillée. Le point fort du film, c'est un certain Il faut féliciter le jury d'avoir récompensé
Ion qui lui a valu d'ailleurs une juste récom­ Visages de Bronze, plutôt que L'Arc et fa îlûte,
pense car effectivement il y a plus de poésie bien que ce film ait exigé beaucoup plus
dans Goha que dans les autres films montrés de travail et qu’il témoigne d'un métier ciné­
au festival. matographique très supérieur. Mais c'est uns
entreprise plus sympathique et qu'il valait
On ne peut aimer Goha en bloc, tant il y mieux encourager que celle de Sucksdoïf. Pro­
entre d'éléments douteux, à commencer p ar la
duit par un tout jeune (quoique barbu) produc­
mise en scène qui manque tout à l a fois de
teur suisse et réalisé p ar un non moins jeune
simplicité, d'invention et de rigueur. Incapable
technicien français, Bernard Taisant, Visages
de bâtir une mise en scène classique, BaratLer
de Bronze ne fait en somme pas autre chose
aurait eu intérêt à l'inventer au fur et à me­
que de reprendre le propos de L'Empiie du
sure, à l’improviser complètement, même si son
SoJeif, moins la malhonnêteté. Moins aussi il
Montage s'annonçait démenliel. De foutes m a­
est vrai le talent plastique, l'éclat spectaculaire
nières, démentiel il l'est, mais chichement, par
d'Enrico Gras. Ce n'est donc pas un film gé­
manque de matériel, par trous de scénario et
nial, mais il a le mérite de bien rendre sen­
trous de découpage.
sible p ar comparaison l'ignominie de l'autre. Il
Sans doute faut-il défendre Goha, mais non prouve que l'italien aurait pu faire aussi beau
contre le public qui le boude ou le boudera, sans trahir la réalité. Mieux, qu’il a négligé
car une histoire si personnelle, racontée dans par cynisme et rouerie l'une des plus sûres
un style si neuf à l'écran (celui de Shéhadé, preuves de cette réalité, je veux dire sa vérité.
auteur de l'adaptation et des dialogues) devait — A. B.
se transmettre plus directement, plus simple­
ment, pour que le contact s'établisse.
Il y a donc beaucoup de fantaisie de la part L’ARC ET LA FLUTE
de Shéhadé et pas mal de bâclag e du côté
Baratier, c'est-à-dire une fantaisie seconde qui L'Arc et la Flüfe d'Am e Sucksdorf est un
nuit presque à la première. Toutefois, Baratier documentaire partiellement reconstitué ou du
aura mis tellement d'acharnement à « monter moins organisé sur la vie d'une tribu indienne,
l'affaire », tant de désintéressement et de pas­ les Maurias, dont l'un des problèmes quotidiens
sion aussi, qu'il était bien l'homme de ce film, est de se défendre (avec pour seules armes
le Père de Goha, sinon son frère. la flèche, la lance ou le piège) contre les ti­
Le mois dernier, répondant à notre invita­ gres et les léopards qui pullulent dans la jun­
tion, Jacques Baratier nous apporte un texte gle environnante. Le film est en couleur et en
concernant son film. Spirituel, gai, désinvolte, CinémaScope. Il appelle à mon avis tout à la
très agréable à lire. Deux semaines plus fois de sévères réserves et la reconnaissance
tard, rentrant de Cannes, je m'apprête à relire de quelques qualités importantes ? Des réser­
son texte, cette fois imprimé ; morne, triste, pré­ ves puisque Sucksdorf a soumis son entreprise
cautionneux, officiel. Je m'informe et apprends à des critères spectaculaires et plastiques.

28
O m ar C hérii d an s C oha de Jacq u es Baratier.

beauté des cadrages et de la couleur, qui a p ­ ques traces quasi symboliques dans les char­
parentent L'Arc ef la Flûte au Confinent Perdu, mantes séances de massage amical qui parais­
et dans le documentaire il faut savoir ce qui sent occuper les longues soirées d'hiver. Mais
prime : la réalité ou la beauté. Ce ne peut enfin si Sucksdorf évite ou néglige de traiter
être que la réalité : sans doute s'àgiî-ïl de complètement son sujet — au bénéfice de la
rendre sa beauté, mais seulement p ar la re­ plastique et de l'anecdote — il semble qu'il
cherche du réel. Si l'on vise a priori à la ne mente p as positivement. Son film est incom­
beauté, on lui subordonne finalement la ré a ­ plet ; ii n'est pas impudemment iaux comme
lité et l'on obtient L'£mpire du Soleil. Confinent Perdu. Et je ne lui ferai même pas
Mais il est juste à partir de cette critique grief des trucages relatifs que la critique lui
de basa de foire dss hiérarchies. Sucksdorf, a reproché avec une sévérité que l'on aurait
à la différence d'Enrico Gras, ne pêche que aimé voir se manifester plus tôt et en des
p ar omission. On peut certes reprocher à mon circonstances autrement scandaleuses. 11 est
reportage de laisser dans l'ombre p ar igno­ vrai que les chasses au tigre ou au léopard
rance, pusillanimité ou prudence, des facteurs recourent à certains moments aux subterfuges
essentiels de l'histoire et de la sociologie des du montage. J'ai trop souvent dénoncé et a n a ­
Mourias. Il serait p a r exemple indispensable lysé ici les trucages du changement de plan
de savoir pourquoi la vie de cette tribu a pu en des domaines où cette facilité est inadmis­
conserver caractère aussi primitii, comme sible pour montrer de l'indulgence ; mais je
en marge de l'évolution de l'Inde, ou encore justifierai, sur ce point de vue, totalement Suck­
pourquoi ces hommes continuent à se défendre sdorf, parce que son recours au * montage »
contre les fauves avec des armes préhistori­ n’est pas une supercherie ni une impuissance.
ques, alors que le fusil permettait à la petite Il se situe, non en deçà, mais au-delà du
Mme Sucksdorf de détruire les tigres p ar dou­ « découpage ». Le réalisateur suédois a suffi­
zaines. D'un autre point de vue, il se trouve que samment prouvé, notamment dans La Grande
LES TEMPS MODERNES nous ont révélé n a ­ Aventure, qu'il était capable de saisir le com­
guère (janvier 1956), dans un célèbre article portement d'un animal en liberté surveillée
d'ethnologie sociologique, les étranges coutu­ p ar la caméra, à la fols dans s a continuité
mes sexuelles des Mourias dans leurs maisons spatiale et dans sa continuité dramatique. Si
communes appelées * ghotuls >. De cet aspect le Tigre ici ne tue pas vraiment l'homme, c'est
des choses, Sucksdorf ne nous dit rien, tout au parce que nous n'en sommes plus à L’Afrique
plus le spectateur informé peut-il deviner quel­ vous parle et au nègre réellement manqé p a r
le lion. Le problème en ces matières n'est pas goût et surtout, surtout, de sa platitude ! — il
nécessairement que l'événemeni représenté ait faut reconnaître les mérites du travail de
effectivement eu lieu devant la caméra. La Giono.
reconstitution est parfaitement admissible à
L'identification de Pascale Audret à la Du­
certaines conditions esthétiques, logiques et rance était une idée facile, mens les prolon­
surtout morales qui sont ici parfaitement rem­
gements que lui donne l'homme des < G rands
plies. Reste que l'entreprise, comme je l'ai dit,
Chemins » sont subtils et variés avec raffine­
pêche dans son principe même, et je ne pense
ment. Il y a, dans ce film, une tenue littéraire,
pas que le documentaire doive s'orienter dans un ton juste, qui donnent une idée assez
cette direction. — A. B.
exaltante de ce que pourrait apporter dans le
cinéma français un homme comme Giono (dont
on comprend parfaitement qu'il préfère la
L'EAU VIVE niaise fidélité de Villiers à la roublardise de
Pagnol) collaborant avec un Roger Leenhardt,
un Jacques Demy, ou encore un Baratier dont
Pour vous présenter cinq des jeunes nou­ l'intelligence des formes et des paysages n'est
veaux réalisateurs français, le mois dernier jamais en défaut.
nous avons usé d'une précaution oratoire qui
vous aura, j'espère, mis la puce à l'oreille. C'est peut-être pour remercier François Vil-
« C'esf à dessein que nous avons demandé à lïers d'avoir produit le petit film de montage
chaque réalisateur de nous présenter Jui-méme concernant l'Algérie et qui fut, lui aussi, imposé
son film, pensant que nos lecteurs sauraient aux directeurs de salles en complément des
deviner l'homme à travers sa prose, le cinéaste « Actualités », il y a quelques semaines, que
à travers l'homme, le film à travers le ci­ L'Eau Vive a été l'invité de la dernière heure.
néaste. » François Villiers apparaît donc réellement
comme « le cinéaste qui s'impose ».
Le texte de François Villiers étant tout à la
fois impersonnel et publicitaire, il était naturel L'Eau V ive? Un livre qu'il faut lire. Ensuite,
que L'Eau Vive présente les mêmes caractéris­ un film qu'il faut voir, mais tout de même,
tiques. Il s'agit, en effet, non d'un film de voilà bien du gâchis ! — F. T.
fiction, mais d'une commande de l'Electricité
de France — la subvention ne fait pas forcé­
ment le larron — mystérieusement imposée à L’HOMME DE PAILLE
Cannes en lieu et place du Beau Serge chabro-
lesque. Le film de commande est dangereux,
car les auteurs chargés de bâtir une fiction M algré son nom Luisa délia Noce est tout à
autour de quelques impératifs croient avoir fait sérieuse, bonne épouse, benne mère. Son
sauvé la situation, lorsqu'ils en arrivent au mari, Pietro Germï, va à la chasse, mais c'est
point de leur travail où lesdits impératifs sont elle qui perd sa p la c e; bientôt il s'am ourache
suffisamment intégrés à la fiction postérieure d'une jeune femme, fiancée à un soldat. Le
pour qu'un esprit non prévenu ne se rende film est le récit de cet adultère mélancolique.
plus compte qu'il s'agissait bel et bien d'une Franca Bettoja, la jeune femme, aussi belle et
commande. prestigieuse que l'Ingrid de Noiorious, envoie le
fiancé a u bain. Germi expédie femme et fils
Or, en réalité, cela ne suffît pas et il fau­ à la campagne. Idylle, brève rencontre con­
drait que L'Eau Vive s'imposât dans l'esprit du sommée.
public comme un vrai film ce qui n'est p as le Et puis, c'est le retour de la femme et de
cas. Tout est dans la façon de poser la ques­ l'enfant. Il faut expliquer le rouge à lèvres
tion. Le cinéaste subventionné ne doit pas dire
dans le cou, quelque griffure : « C'est en me
à ses amis : « Veuillez bien lire ceiie histoire
rasant », du parfum : < Ce doit être le coif­
que j’ai dû inventer pour illustrer les méiaits
feur » et, de mensonge en mensonge, on arrive
de l'alcoolisme » car ils le féliciteront forcé­
à la mort accidentelle d'un petit chien innocent
ment, mais : « J'avais un sujet, là, au fond de
et au suicide d e la fille.
mon cœur, que j'avais besoin de jeter sur le
papier ; qu'en pensez-vous ? » S'ils lui disent : Tout cela sonne triste et un peu désuet.
« Mon vieux, îon fruc ne fient pas debout, on Mais ce Germi tout de même apporte dans
dirait que (u aspires à te faire décorer du ses films une santé naïve, une solidité, une sim­
mérite agricole », il n 'a plus qu'à recommencer plicité qui sont estimables. Souvent les films
son pensum jusqu'à réussite complète. italiens foutent le camp de tous les côtés, dé­
goulinent et s'empêtrent. Pas ceux de Germi,
Toutes ces réserves formulées — comme il
serait facile d'accabler davantage François Vïl- carrés comme des lits d'adjudants. Du cinéma
direct, au premier degré, franc, net, presque
liers en parlant de s a non-direction d'acteurs,
de son aptitude à mettre la cam éra partout sans bavures.
ailleurs qu'au bon endroit, de son mauvais En tant qu'acteur, déjà, Pietro m'enchante

30
Pletro G erm i et F ranca Bettoja d a n s L 'H o m m e de paille tïe P ietro Germi.

par sa conviction crispée et cette énergie vi­ taculaire. Mon allergie aux vertus du cinéma
rile de l'honnête homme à la Gabin, avec tout britannique me laissera également sans pitié
de même les éclairs passionnés de Robert Le et sans phrases à l'égard de Orders io kill
Vigan. d'Anthony Asquith dont le scénario passionnant
Le film étant centré sur lui, le personnage est saccagé par la fausse intelligence et une
féminin. paraît irréel, symbolique, insatisfai- rouerie qui ne recule pas néanmoins devant
sant. On voudrait en savoir davantage : quels l'invraisemblance la plus grossière (celle qui
rapports au juste avec ce fiancé pioupiou, consiste à faire parler tout le monde en an­
comment est-elle devenue amoureuse de ce glais), Des Chardons du Baragan. j'écrirai,
Germi si peu assorti à son teint ? Mais c'est après Simone Dubreuilh désolée : < c'est trop
Pietro qui importe ; il ne quitte pas l'écran et mauvais, on est obligé de le dire, » Je ne suis
pourtant la facture du film est précise, acquittée pourtant pas insensible aux qualités de Daquin
par lui, de surcroît producteur. et je ne méprise nullement Les Frères Bouquin-
guanf ou Bel Ami. Mais qu'esi-il allé faire dans
Et l'enfant, celui-là même qui nous parut ce scénario lyrique où la poésie devait l'em­
monstrueux en petit Ferroviere, dans un rôle porter sur le » réalisme socialiste » ? — A. B.
mieux intégré cette fois, n'en continue pas
moins, génial petit cabot, à voler chaque
scène à ses parents. Mais, après les gamins
paralysés du Cerf VoJant du bout du Monde. LA VENGEANCE
celui-ci nous séduit jusqu'en ses grimaces de
dessins animés. — F, T. Ce n'est pas un secret d'Etat que la rédac­
tion de cette revue est divisée sur Bardem :
nous l'avions généralement défendu en vertu
MIETTES du principe qui nous fait préférer les critiques
positives aux . éreintements, et il voudra bien
Le courage me manque, ou l'imagination, me faire l'amitié de croire que c'est la mort
pour parler de certains iilms comme l’inénar­ dans l’am e que je me charge aujourd'hui
rable Voyage des trois mers, lourde coproduc­ d'écrire du mal d'un film où il a mis la convic­
tion indo-soviétique en CinémaScope et cou­ tion et l'amour que l'on sait. Mais, comme pour
leurs, conjuguant les défauts de la superpro­ Daquin, < on est obligé de le dire ». La Ven­
duction russe à l'ennui du cinéma indien spec­ geance me paraît cumuler des erreurs si nom­

31
breuses qu'il faut beaucoup de mémoire pour quement allemand de cette opérette où la
ne pas leur accorder de valeur rétroactive. bonne humeur est trop lourdement sollicitée ?
Je distingue d'abord toute une série d'erreurs De toute manière, il convient, me semble-
contingentes, relatives sans doute à la genèse t-il, de surveiller Kurt Hofman du coin d e l'œil,
du film. Il y a quelque paradoxe à prétendre car, à force d'admirer Lubïtsch, il finira peut-
s'inspirer du néo-réalisme et à faire de la plus être p ar lui ressembler. Peut-être serait-il astu­
contestable coproduction. On pourrait déjà cri­ cieux de se déplacer dans les quartiers pour
tiquer Bardem de faire jouer (et mal jouer) ses voir PiroshJca, en attendant l'éventuelle sortie
paysans espagnols par des acteurs, mais que des prometteuses Confessions de l'aventurier
faut-il penser, quand ces acteurs sont italiens Félix Kiü U ? — F.T.
et français ! Je suppose aussi que la préca­
rité des conditions de travail espagnoles n'est
pas étrangère aux incertitudes du découpage/ ROSAURA A DIX HEURES
Sa platitude, son recours perpétuel aux facilités
du montage ne permettent plus de reconnaî­ Moins prétentieux que La Maison cfe l'Ange
tre le réalisateur souvent précieux et quelque­ maïs non moins intéressant. Hosa u ra à dix
fois trop adroit de CalJe May or et de-Mort d'un
heures, plutôt que Jeunes Maris, méritait le
cycliste. Prix du meilleur scénario. Il n e s'agit p as d 'au ­
Mais m o u s lui pardonnerions des faiblesses tre chose que d'un hommage fervent à Piran­
plus graves, si La Vengeance ne péchait plus dello avec cette histoire qui illustre la rêverie
essentiellement et dans s a conception même. Ce d'un brave Argentin moyen, digne et humble,
film est une synthèse ou plutôt une addition. à la Buster Kealon. D'une putain qu'il visitait
Il est la somme de toutes les bonnes intentions tous les jeudis, il a fait un portrait idéalisé. A
de Bardem à l'égard du Cinéma et de l'Espa­ la pension de famille où il loge, il s'envoie à
gne. Parti de la psychologie bourgeoise qu'il lui-même des lettres d'amour parfumées. Tout
peignait avec justesse, parce qu'il la connais­ cela, le pauvre idiot, pour attirer l'attention
sait bien, Bardem s'aventure de plus en plus d'une des trois femmes de la pension dont il
dans le cinéma d'utilité et de message. Ici le est aimé, sans le savoir.
magnifique, mais dangereux modèle du cinéma Un jour, Rosaura, le modèle, la putain, ra p ­
italien l'égare. Le néo-réalisme n'est pas la plique et tout se précipite avec un e fatalité
combinaison de certains sujets (documentaires cocasse èl atroce digne de Luigi déjà nommé.
et sociaux) avec la prise de vue en extérieur,
il répond à bien d'autres critères. Si le néo-réa­ Voilà bien le petit film de Festival, honnête
lisme italien est effectivement un cinéma « utile et moyen ; si la sélection des films était plus
à l'homme », c'est dans son résultat, non dans rigoureuse, une bande de ce genre devrait
son principe. Bardem v a au néo-réalisme un quand même être retenue, étant admis qu'aucun
peu comme d'autres vont au peuple. Il pré­ autre film ne serait accepté, inférieur à celui-
tend aussi sans doute rendre compte de l'Espa­ ci. Ce qui est anormal,, ce n'est p as que Ho-
gne : à la fois de ses traditions culturelles saura méritait un Prix qui ne lui fut pas attri­
(Don Quichotte) et de ses besoins actuels, maïs bué mais qu'il méritât réellement un Prix. —
comme il est gêné p ar la censure, ces réfé­ F. T.
rences sont à la fois métaphysiques, allusives
et néanmoins didactiques. Il faut des clefs pour LA PIERRE PHILOSOPHALE
comprendre La Vengeance, mais je ne le vois
que trop, ce film est un trousseau de clefs.
J'aimais mieux quand Bardem n'essayait pas Après deux ou trois bobines de Pafer Pan-
d ’entr ouvrir autant de portes, maïs que je me chah', je soupçonnais fortement Satyajit Ray
sentais chez lui. — A. B. de fadeur européanisée. La Pierre PhifosophaJe
confirme définitivement cette impression pre­
mière. Un employé de banque trouve une
L’AUBERGE DU SPESSART pierre qu'il suffit de cogner contre n'importe
quel objet métallique pour le transformer en
or. L'argent entre dans sa vie et la transforme
• Il y a un mystère! Une solide histoire de comme vous pensez. Un soir d'ivresse, notre
brigands avec beaucoup d'humour, un peu homme dévoile son secret ; le lendemain, il
d'amour, l'exquise Liseloîte Pulver déguisée en doit fuir. Son secrétaire, après un chagrin
garçon, une excellente mise en scène, des cou­ d-'amcur, avale la pierre, espérant ainsi se sui­
leurs superbes, des chansons et de l'entrain, cider. La police veut le faire opérer pour la ré­
que demanderions-nous de plus ? Et pourtant, cupérer. Mais, p ar radiographies successives,
cela ne * passe » pas l'écran, en tout cas pas on assiste à la digestion de la pierre, s a dis­
celui du Palais cannois avec ses hortensias à solution dans l'estomac. Tout finit bien.
gogo pour gogos. Baser un film sur une aussi « fausse bonne
Sans doute faut-il incriminer le caractère typi­ idée » n'est point absolument déshonorant, si

32
La Vengeance, de .T.A. Bardem

l'on vise la fable. Tout dépend du parti que bourgeoisie grecque à qui sa famille ruinée
l'on, tire de ce postulat. Ray a réussi à dépas­ veut imposer un riche niariage un pale drame
ser en banalité, en platitude et en pauvreté bourgeois à la de Curel, compliqué d'effets
d'invention la plus minable comédie anglaise. mélodramatiques et d'une fin aux allures mys­
Les trois malheureux gags répartis dans le tiques. Cacoyannis s'élève vivement contre ces
iilm à raison d'un p ar demi-heure sont direc­ reproches. Il souligne qu'il n'a pas le moins
tement repris de L'Homme au complet blanc de du monde cherché à attendrir sur les malheurs
sinistre mémoire. La pierre philosophale trans­ de Chloé, maintenant constamment une ambi­
forme en or tout ce qu'elle touche. Les Anglais guïté du personnage, et que la participation
ont occupé les Indes. L'humour anglais aïfadïl de la jeune fille au pèlerinage final n'est p as
tout ce qu'il approche, transforme le vin en une indication qu'elle s'est mise à croire ‘ au
flotte. Fritz Lang en André Lang, Le Septième miracle : elle respecte séulement le v c b u de
Sceau en Septième Voile puis en Septième s a vieille servante Katerina, cette fidélité à
Ciel, Tristan Bernard en Raymond Bernard... Katerina étant d'abord fidélité à elle:même.
Aucune fantaisie donc dans ce film de fan­ Ainsi peut-on voir dans Chloé une soeur de
taisie, rien que la sécheresse d'un cinéaste in­ Stella et de la Fille en Noir, qui s'élève aussi
dien contaminé par la Tentation de l'Occddent. contre la pression de groupe pour être une
Pouah ! — F. T. * femme libre », Cette pression prend ici la
forme de la respectabilité bourgeoise. C'est
moins neuf que les règles puritaines de la com­
FIN DE CREDIT munauté insulaire de La Fille en Noir, mais
d'une part il n'y a aucune raison de faire un
préjugé misérabiliste et de refuser tout inté­
Habilué du Festival de Cannes (Le Réveil du rêt à une histoire bourgeoise, et d'autre part
Dimanche, 1954, SfeJJa, 1955, La Fiiie en Noir, cet arrière-plan donne lieu à des scènes de
1956), le Grec Michel Cacoyannis n'y a ja ­ grande classe comme la mort de Katerina.
mais obtenu de récompense. Ce forum lui a
cependant permis d'obtenir une audience in­ Fin de Crédit a été tourné avec quinze mil­
ternationale et de voir sortir en France SieJJa lions. Cela n 'a pas empêché Cacoyannis de
et La Fille en Noir. Fin de Crédit était ainsi garder s a spontanéité d'écriture et mis à part
très attendu. On espérait y retrouver la passion le beau quadragénaire dont Chloé est amou­
individualiste de SfeHa, le sens tragique et reuse (Michel Nikolanikos) et qui n'est qu'un
l'épaisseur sociologique de La Fille en Noir. bellâtre, l'interprétation est très bonne. Il n'au­
L'accueil a été partagé. Certains ont vu dans rait pas été injuste de donner à Elli Lambethî
l'histoire de cette jeune fille de la grande le prix d'interprétation féminine. — R. G.

33
La Fleur de jer (t§ Ja m o s Hersko e t R o m a n c e du ja u to u r g de Zbynek Brynych.

L’AMOUR OUTRE-RIDEAU DE FER depuis vingt ans ou plus, le cinéma d’obédience


communiste, libre aujourd'hui d'aborder le su­
L'un© des déceptions de ce Festival, en jet de front et avec franchise, le faisait non
l'absence de film polonais, aura été la produc­ seulement avec sincérité, mais indépendam­
tion des démocraties populaires : Hongrie et ment des conventions de jeu et de scénario qui
Tchécoslovaquie. Précisons toutefois que si le se sont constituées dans le liberté du cinéma
film thèque, systématiquement démarqué de occidental. Les gestes, les paroles, le compor­
la technique néo-réaliste est irrécupérable, lé tement des amoureux du cinéiria tchèque, hon­
film hongrois Lcr Fleur de fer n'est pas sans grois ou soviétique peuvent être moins aud a­
qualités et qu'il confirme de même les vertus cieux que ceux des films de Vadim, mais ils
incontestables de cette production. Je voudrais sont sûrement plus imprévus. Paradoxalement,
pourtant, à défaut d'autre critique, dégager un la nouveauté des thèmes amoureux entraîne
élément commun à ces deux films et même a ici la fraîcheur et la vérité de leur mise en
scène. — A. B.
Quand passent les cigognes. J'ai été frappé
de constater que dans ce Festival les meilleures
scènes d'amour figuraient dans des œuvres
d'outre-* rideau de fer ». L'intrigue sentimen­ LA FOIRE AUX FILMS
tale de La FJeur de fer, notamment, est d'une
curieuse subtilité, échappant souvent aux caté­ André Bazin a déjà dit combien fut décevante
gories habituelles de la dramaturgie cinémato­
cette année la Foire qui se déroule parallèle­
graphique, Même dans l'assez conventionnelle ment au Festival ; on nous y proposait soit des
Romance du faubourg, ce qu'il y a de meilleur
filins déjà trop bien connus, tels Les Misérables,
réside dans l'élément sentimental. Dans le film
Les Œuîs de l'autruche, Sois belle ef tais-toi.
russe, enfin, chacun a été frappé et boule­
Le Désordre et la nuit ou Le Désert de Pigalle,
versé par la force de la jeunesse et la convic­
soit des inédits peu encourageants, tels Clara
tion des sentiments. Ce qui ne signifie pas
et les méchants, d'André, ou Si fe floi savait
d'ailleurs leur liberté. Au contraire, il est ap ­ ça, de Canaille, Par acquit de conscience, je
paru à la lumière de ces scénarii, où l'amour
me suis risqué à quelques films inconnus, mais
constitue enfin le véritable ressort de l'action,
sans avoir la chance de faire « la » découverte.
que la morale sociale des pays en cause était
incroyablement « petite bourgeoise ». Romance Déception japonaise avec Le Champion et la
do faubourg nous montre un ouvrier jeune et danseuse, de Takashi Matsuyama, qu'on ne
sympathique épouvanté en découvrant qu e sa supporte jusqu'à la fin que parce qu'on y re­
fiancée a un enfant. Il n'accepte cette abomi­ trouve deux interprètes de Passion juvénile,
nable réalité qu'au terme d'un laborieux débat le frère aîné, Yujiro ïshihara, et la jeune
de conscience. Même le film russe repose sur femme, Miye Kitahara, plus ravissante encore
un assez inattendu postulat : l'héroïne ne sau ­ en couleurs qu'en noir et blanc.
rait éviter d'épouser le séducteur qui abusa
Autre déception avec Merry Andrew (Le Fou
d'elle pendant un bombardement.
du cirque), première mise en scène du choré­
Mais la morale sociale est une chose et la graphe Michael Kidd, où l'on a la d ésagréa­
vérité des sentiments une autre. Tout se passe ble surprise de ne voir aucun ballet : à peine
. comme si, frustré de la peinture de l'amour un© timide esquisse d'entrechat. Dany Kaye

34
n 'y e s t pets a u m e ille u r d e s a form e e t P ie r leur goût de la construction classique. Quant
A n g e li s o u tire v isib le m e n t d 'a v ita m in o s e . a u Beau Serge, on sait qu'il s'en iallut de peu
Nachts wenn der Teuiel ram (Quand le dia­ qu'il passât sur l'écran du Palais : quelques
ble s'en mêle), de Robert Siodmak, n'est pas millions de la R.A.T.P. ou bien... de l'E.D.F. au­
une révélation, mais tranche un peu sur la mé­ raient suffi ; mais le sujet ne se prêtait pas
diocrité du reste. La mise en. scène se voudrait aux subventions. Cette projection fut une belle
langienne : seul le scénario y parvient. Dans revanche pour Chabrol : enthousiasme una­
l'Allemagne de 1944, un inspecteur recherche nime dans la salle. Occupant la position déli­
un vampire étrangleur de femmes ; tout cate de juge et partie, je ne saurais mieux par­
d'abord, la Gestapo collabore à son enquête, ler du film que ne le fit son auteur dans noire
maïs lorsqu'elle apprend que le monstre exerce dernier numéro et, faute de trouver un autre
ses ravages depuis l'avènement du nazisme, angle d'attaque, renvoie le lecteur à ce texte.
elle décide d'étouffer l'affaire et d'exécuter un — Ch. B.
bouc émissaire, car il est impossible d'admettre
ofiiciellement qu'un être pareil ait pu exister CIC1
dans l'Allemagne hitlérienne ; l'inspecteur rétif
est discrètement expédié sur le front de l'Est. Rarement film, surtout de Minnelli, laissa
L'histoire de cette lutte sans espoir entre la
aussi perplexe : on en sort à la fois ravi et
justice d'Etat et la justice de bonne foi n'est
insatisfait. Ravi parce que dans Gigi, plus qup
malheureusement pas contée avec assez de
dans nul autre de ses films, Minnelli a poussé
conviction pour nous rendre sensibles à la m a­
chination dont son héros est la victime. Si nous à leurs extrêmes limites ses recherches déco­
ratives sur les costunles, les décors, les harmo­
y croyons quand même, c'est grâce à la qualité
de l'interprétation. Le maniaque est particuliè­ nies de couleurs : gammes de rouges, de verts,
de sépias charpentent son univers visuel. In­
rement réjouissant : sa ressemblance avec
Marlon Brando est accentuée du fait qu'il satisfait parce qu'on ne peut s'empêcher, en
dépit de cette débauche de bon goût, de re­
s'am use à en parodier tous les tics.
gretter l'époque du Pirate, de Bandwagon ou
Au cours d'un programme de courts métrages. de La Roulotte du plaisir. L'excès en tout est
Le Chant du styrène, d'Alain Resnais, fulgu­ un défaut, et chaque plan de Gigi nécessita
rant essai sur les matières plastiques, éblouit une telle mise en œuvre, non pas tellement
p ar sa rigueur. Fleurs moulées, théories de ca­ technique, car la mise en scène reste apparem­
nalisations, abstractions industrielles, la scien­ ment simple, mais * artistique », que les ima­
ce-fiction devient adulte. Le commentaire en ges gagnent en sécheresse ce qu'elles perdent
vers de Raymond Queneau, trop canularesque, en fraîcheur : le style minnellien se sclérose,
détonne devant la gravité des images. s'académise, le jeu des acteurs est plus méca­
nique qu'autrefois.
Seule séance de choix, celle où l'on vit Le
Beau Serge, de Claude Chabrol, précédé d'une * Un homme de goût, quand il est technicien
version en 600 mètres des Mistons, de Fran­ si habile, réussirait à nous faire croire que le
çois Truffaut. Les * mistonphiles », dont je suis, bon goût tient lieu de tout », disions-nous il y
regrettent ces dix minutes de coupure et, en a quatre ans. Le bon goût demeure, entier, il
particulier, la disparition de tout l'épisode sur n'y a même plus que lui sur l'écran ; le techni­
l'amour, la femme et l'homme-enfant qui, à la cien habile n 'a rien perdu de son savoir-faire.
fois poids et contrepoids, équilibrait si bien le Mais dans les derniers films de Minnelli s'es­
iikn de Truiiaul. Ceux que Les Misions n'avaient tompe peu à peu le petit Kesle d'onirisme qui
guère séduits préfèrent celte version réduite faisait une bonne part de leur charme, pour
dans la mesure où, cernant de plus près la mettre de plus en plus en lumière leur seule
nouvelle de Maurice Pons, elle satisfait mieux vanité. — Ch. B.

%
Ce co m pte rendu du Festival de Cannes a é té rédigé par A nd ré Bazin, ]ean Béranger,
Charles BUsch, René Guyonnet, André Martin e t François T ru ffau t.
CONDOLEANCES
ET S U R P R I S E S
DE L’ANIMATION

par André; Martin


Afin d’être mieux inform é de to u t ce qui
concernait La Joconde, notre collaborateur
A ndré M artin a pris, dans le film de Gruel,
u n rôle au sérieux.

Les occasions de rencontre et de discussions offertes aux créateurs et amateurs


de films d’animation sont trop rares pour que l'on ne se réjouisse pas de voir
Le Festival de Cannes devenir, avec les Journées In terna tion a les du C iném a
d’Anim ation, qui se .répéteront m aintenant tous les deux ans, le terrain biennal
d’entente et de contacts qui manquait aux cinéastes de l’image par image. Car
ces rencontres sont indispensables, si l’on veut que soient réunies les inform a­
tions, effectués les échanges indispensables, au moins les adresses sinon le plus
secret du talent.
Les projections des Secondes Journées Internationales du C iném a d 'A n im a tio n
ont voulu rendre compte de ranim ation 1957-1958 et faire le point. Elles ont
permis de constater que, si l'essor des arts de l’animation est certain, sa trajec­
toire n ’et pas simple. L’apport des pays « attendus », des paradis de l’anim ation :
Etats-Unis, Canada, Tchécoslovaquie fu t plutôt mince et les surprises vinrent de
nations productrices nouvelles comme la Pologne, la Yougoslavie ou de réalisa­
teurs et de producteurs indépendants.

COTE PAMPLEMOUSSE

Il apparaît que la crise générale qui affecte actuellement le ciném a améri­


cain n’a pas épargné l’industrie complémentaire du dessin-animé et que ses

36
La Joconde d’H enry Grue! : to u t ce qu’on
p eu t faire avec une Joconde, m êm e la
P alm e d ’O r du C ourt M étrage 1958.

effets dans ce domaine sont même beaucoup plus radicaux. Les grands ateliers
ferment leurs portes les uns après les autres.
L es n o u v e lle s p r o d u c tio n s d e la T e rry -T o o n s (F leh u s d e E riis t P in to f f , L e J o n g l e u r d e
N o tr e -D a m e d e Al K o u s e l, o u m ê m e u n e b a n d e d e se c o n d o r d r e c o m m e L a Va?np E le c tr iq u e
d e C o n n ie R a s in s k i, d e l a s é rie c o n s a c ré e à u n p e r s o n n a g e d e co n cierg e C lim b C lo b b er)
a v a i e n t a p p p o r té l'e s p o ir d ’u n r e n o u v e a u . L a s i m p lif ic a tio n o u t r a n c iè r e , l ’é c o n o m ie a p p a r e m ­
m e n t lo u f o q u e m a i s e n r é a l i t é e x t r ê m e m e n t in g é n ie u s e , la p a ra d o x a le d é s in v o ltu r e avec
la q u e lle ces b a n d e s v isa ie n t d u c a d r a g e o u d u t r a i t c a r i c a t u r a l s e m b la ie n t a p p o r t e r d e s
s o l u t i o n s in g é n ie u s e s a u x n o u v e lle s c o n d i t i o n s f a ite s a u d e s s in a n im é e n A m é riq u e . C e t
e f f o r t s é d u i s a n t r i s q u e d e n e p a s a v o ir d e s u i t e .
S ig n ific a tif s d e c e t t e g r a n d e p é n u r ie , les en v o is d e S te p h e n B o s u sto w : d e u x f ilm s i n d i ­
g e n t s e t i m p o t e n t s d e l a s é r ie « H a m a n d H a t t i e » n ’o n t p lu s r i e n d e c o m m u n av ec les
M agoo, B o in g B o in g e t C h r i s t o p h e r d e la b o n n e é p o q u e . C h a c u n d e s f ilm s d e c e t t e sé rie
c o n s a c r e av ec é q u i t é u n e m o itié d e l a b a n d e à l ’u n des d e u x p e r s o n n a g e s : H a ttie , u n e p e t i t e
f ille m ise e n im a g e p a r L ew K e lle r e t H a m i l t o n H a m , u n s é m il l a n t c h a r l a t a n d o n t se c h a rg e
F r e d C re p p e r. D a n s S aiïïm fr e t V illa g e B a n d c o m m e d a n s T re e s e t J a m a ïc a Dad-dy (p ré s e n té
e n c o m p é titio n ) les t r o p s im p le s m o u v e m e n ts d e f o n d s , les a n i m a t i o n s é lé m e n ta ir e s e s s a y e n t
v a i n e m e n t d e m o n t e r en é p in g le t r o i s f o is r i e n s u r u n e m u s i q u e b e a u c o u p tr o p e n jo u é e p o u r
ce q u e m o n t r e l ’im a g e . S u i v a n t u n u s a g e a b u s i f e m p r u n t é a u x sé ries d e l a té lé v is io n , d e u x
g é n é r iq u e s t r è s b i e n a n im é s p r é c é d e n t c h a q u e p a r t i e e t u n f i n a l b r i l l a n t c lô t l'e n s e m b le ,
m a is ce s f r a g m e n t s s e r e t r o u v e n t , p r e s q u e i d e n tiq u e s , d a n s c h a q u e b a n d e . E t l e u r e n t r a i n
r é p é t é n e f a i t q u e m ie u x r e s s o r t i r la p a r a ly s ie d e l ’œ u v r e o rig in a le . 11 e s t p r o b a b le q u e l a
U .P.A. c o n c e n tr e a c t u e l l e m e n t t o u s se s e f f o r t s s u r A r a b ie N ig h t , u n lo n g m é tr a g e e n c o u rs
d e r é a lis a tio n , q u i a u r a M o n s ie u r M agoo p o u r v e d e tte .

De nouvelles techniques : caméra et animation électronique, traçage et colo­


riage photographique, en perm ettant de répondre avantageusement à la boulimie
indifférenciée de l’ogre télévision, vont achever de rendre impensable en Améri­
que, le travail classique du dessin animé. Alors que le Cinéma, dans une certaine
mesure, profite finalem ent du nouvel état de choses, il semble que pour le dessin

37
animé, l’apparition de ces nouvelles conditions signifie la mort de l'anim at ed
cartoon, tel que nous l’avaient fait aimer Disney, Fleischer, Walter Lantz et Tex
.Avery.
Pour aviver nos regrets Walt Disney, qui ne produit pratiquement plus de
cartoons était représenté à ces Journées de l’Animation, par l’antique F an fa re
de MicJcey (1935) qui, à la surprise générale de tous ceux qui n'ont vraiment pas
de mémoire, a révélé une fraîcheur et une richesse d’invention toujours actuelles
qu’agrémente maintenant une patine d’époque, celle des œuvres qui « resteront ».

AUTRES ABSENTS ET QUELQUES RETARDATAIRES

A rapprocher de cet avis de décès : une absence : celle de la Tchécoslovaquie


dont les réalisateurs majeurs sont actuellem ent aux prises avec de grandes œuvres
(Trnka ne finira pas cette année Le Songe d ’u n e N uit d ’Eté, Hofman achève sa
Création du M onde tirée des dessins de Jean Effel, Zeman n ’a terminé son
In v e n tio n D estructrice, inspirée par Jules Verne que pour le Festival de Bruxelles
et Pojar organise son propre studio). Avec La Chèvre e t le Lion du nouveau réali­
sateur Wladimir Lehky, fable indienne jolim ent décorée, sans doute remarqua­
blement adaptée aux auditoires enfantins, mais en tout cas longuette et sans
intérêt, la Tchécoslovaquie a dû se contenter d’une participation symbolique. La
Petite Histoire am usante de l’aviation de Jiri Brdecka présentée en compétition,
ingénieuse comme son auteur, est plus un excellent film de documents qu’un film
d’animation,
Le Canada présentait deux œuvres intelligentes et économes de moyen qui,
avec un humour serviable, illustraient des problèmes sociaux ou techniques :
C’est u n crime de Wolf Koenig consacré au travail d’hiver, et R em ain V.F.R. de
René Jodoin, réalisé pour l'aviation canadienne que caractérise une remarqua­
ble ironie du traitement et un recours original à des couleurs harmonieusement-
ternes. Les qualités certaines de ces productions, qui peuvent être rapprochées
d’une autre réalisation récente de l’O.N.F. Le Poisson se m ange frais, de Gerald
Potterton, n'égalent pas celles du H u ff and P u ff de Grant Munro, ce c h e f-
H’œuvre du court-métrage dessiné utilitaire, d’ailleurs refusé par les gradés qui
l’avaient commandés. Quant au dernier McLaren Le Merle, il nous attend1 en
compétition au Festival de Bruxelles.
La Russie Soviétique, en cette année de spoutnik, fa it un bon de cinq ans
en avant grâce à trois de ses plus vieux animateurs. Les sœurs Brumberg,
ancêtres du cinéma d’animation russe, auteurs de courts-métrages somnifères
(La Fleur a u x Sept Couleurs, En R o u te pour la Lune) retrouvent avec La
Réalisation de ses V œ u x la veine de Feda Zaitzev, nous offrant en plus d'une
anim ation allègre et parfois inventive, des personnages humains agréables, ce
qui n est pas tellem ent courant en dessin animé. Quant à Alexandre Ivanov,
animalier habituellement privé «'humour (Le R enard Maquillé, Dans les Bois,
La Pipe et l’Ours) il nous propose avec La M erveille (un éloge du maïs gouver­
nem ental) dont le dynamisme musical, lors de la danse des mauvaises herbes
et les prestes métamorphoses du finale devraient, pour le moins, jouer dans
l'évolution du dessin animé russe le rôle que SeJceleton Dance et Flowers a n d
Trees ont joué dans le cartoon américain.
■Jusqu'ici quelques rares exceptions venaient contredire l'indigeste abondance
des dessins animés russes, intim idant les m écontents auxquels, en toute justice,
pouvaient échapper quelques complexes impératifs légitimes de race, de mljieu
ou de moment. Mais depuis certaines séquences de Brumberg ou de Gromov, et
surtout depuis les films de Pastchenko et Diojkine (Le P etit C hat Désobéissant,
Le M atch E xtraordinaire), à travers certains moments de La Merveille de Ivanov
11 apparaît que tout de même, en Russie, quelques créateurs savent ce qu'est
l’animation. Mieux, si certains dessins animés russes sont bons ne serait-ce
pas que les autres soient mauvais, fabriqués dans de trop grands ateliers où
le zèle est plus fréquent que le talent et l’ardeur au travail moins rare que
l’enthousiasme et le sens de l’animation.

38
Un Solitaire, œuvre crépitante et m agistrale de VatrosJav M! 111 ica, une
révélation parm i toutes celles que nous réservait le ieune, et déjà
im portant, cinéma d’anim ation yougoslave.

ET LE NOUVEAU
De toute façon, si les usines à images se prennent les pieds dans leurs
planning, ranim ation ne manque pas, dans le monde, de défenseurs intrépides
et solitaires. Comment désespérer de cette année choisie par Len Lye (avec
Free Radicals) et par Paul Grimault (avec sa Faim du. Monde) pour ressusciter.
Celle où Norman McLaren vient à Cannes.
Ces journées nous ont valu de retrouver sur l ’écran deux revenants de
l'animation française. Tout d'abord Paul Grimault, dont nous avons vu la
Faim du Monde, une petite bande d'animation destinée à compléter un ensemble
audio-visuel de l'Exposition de Bruxelles. Pour montrer l’inégale répartition
des ressources alimentaires dans le monde, Grimault entreprend' une histoire
allégorique de la faim humaine qui prend l’œ uf pour étalon et un coquetier
à réaction pour véhicule. A travers quelques tableaux aquarellés, des cactées
et un chantier gigantesque qui rappellent Les Passagers de la G rande Ourse,
nous retrouvons le trait, la transparence de Grimault, mais non son animation
qui exige malheureusement d'autres moyens.
Autre retour, celui d’Arcady qui, après avoir consacré plus de dix ans à
mettre au point les tables de prise de vue les plus perfectionnées d’Europe,
réalise, selon un procédé d'animation kaléidoscopique, trois films publicitaires
excitants, groupés sous le titre général : Derrière le Miroir.
Il faut également citer un étonnant court-métrage allemand présenté en
compétition et qui fut d’ailleurs primé : Les Sources de la Vie réalisé par le
Dr Fritz Heydenrich et animé par Fritz Brunsch, qui pour expliquer la photo­
synthèse a recours à, l’animation afin de pénétrer au cœur des feuilles et dans
les molécules de chlorophyle.
Je n ’ai pas la compétence suffisante pour juger de l’im portance relative de la fonction
glÿcogénique et de la transform ation de l’énergie solaire par les cellules vivantes e t ne p eu t
dire si cet exposé est réellem ent scientifique ou s'il s ’agit d’un, film de propagande pour le
sucre. Mais je suis certain, que rarem ent la représentation forcém ent conventionnelle des
molécules et des cellules en pleine vie (obtenue ici avec de magistrales anim ations m ultipla-
nes d ’éléments décorés sur verre et à quelques combinaisons de m aquettes e t de dessin animé)
f u t aussi captivante et attractive.

39
P o u r Je h éros dés A v e n tu re s d ’irn *, réalisé p a r Jo h n Hubley, q u ’il soit astérisque bondis­
sant ou bébé étonné, le m onde est une passionnante aventure visuelle.

COUP D’ETAT ET SOLITAIRES

Je n ’aurai pas assez de lignes pour parler en détail de l’invasion yougoslave


à Cannes. Toute une équipe unie et passionnée était venue au complet confronter
modestement ses travaux à ceux des autres. Et les plus blasés s ’étonnèrent
devant cette production aussi abondante que riche en qualités artistiques. De
cette production nationale avec laquelle il faut m aintenant compter et dont
chaque nouveau titre pourra être attendu avec impatience il faut détacher :
Nikola Kostelac à qui Ton doit La Première (qui pourrait être un très bon
Bosustow), D ans un e Prairie dont la sombre et opportune grandeur est peut-
être plus originale ; Vastrolav Mimiça dont LrE pouvantail annonce les dons de
rythmiciens épanouis dans Un Solitairet film d’une étonnante unité poétique
et qui ne demande son expression qu'au dessin et au mouvement visuel ; ainsi
que Dusan Vukotic dont il faut citer le film Abracadabra.
La lumière vint aussi de quelques indépendants et de solitaires.
En Amérique, si le court-métrage dessiné survit à la transform ation des
grandes équipes en ateliers de films rapides pour la T.V. ce sera en tan t qu’art
exceptionnel et accidentel, comme le prouve Fœuvre si neuve de 'John Hubley :
Les A v e n tu re s-d ’u n * ; neuve par son apparence plastique (aux teintes plates
et cernées du dessin animé se substituent des textures en m ouvem ent), comme
par son sujet qui oppose directement, sans artifice de scénario, la vision ém er­
veillée d'un enfant à l’observation du réel par un adulte sans enthousiasme.
Pour beaucoup ces Journées ont été l’occasion d’une première rencontre
avec les animateurs polonais Walerian Borowczyk et Jan Lenica dont les
film s II était u n e fois et La Maison retrouvent la liberté im aginative d’Emile
Cohl, renouent avec l’esprit d’avant-garde perdu depuis Le C hien Andalou,
même par Bunuel, et en supportant la comparaison. En compétition nous
avons vu La Joconde d’Henry Gruel, magistral bric-à-brac qui tém oigne d’une
même furie im aginative e t d’un sens peu commun du désordre de précision.
Une Palme d’Or est venue, à l'occasion de ce film, consacrer la m aîtrise indus­
trieuse de Gruel.
En compétition, le Roumain, Ion Popesco Gopo, après sa Courte H istoire du
monde qui obtint l’an passé la Palme d’Or du court-métrage présenta celle
des Sept Arts, oeuvré d’une épineuse généralité, qui, malgré quelques défaillances
de la couleur et du dessin, confirme des qualités de concisions et d’humour
cosmique originales.
L A P E T I T E ILE

Richards Williams nous avait apporté sa P etite lie . Ce film qui dure
35 minutes est non seulement le second dessin animé de long-métrage produit
en Grande-Bretagne, mais aussi le plus important jamais conçu et réalisé par
un artiste travaillant isolément, sans le secours d'aucune grande compagnie.
Ces records sympathiques mis à part, La P etite Ile est un dessin animé
au sens classique du terme (coloris plats et contours tracés) mais qui donne à
l’animation sur cellulo une durée, une valeur de développement qui fait penser
parfois au P etit Cadeau de Trnka.
CËuvre « a d u l t e » ce film , i l l u s t r e av ec u n e ir o n ie s u p e r b e e t d e s p e rs o n n a g e s a llé g o r iq u e s
b u r le s q u e s , l ’a b s e n c e d e c o m p r é h e n s io n e n t r e le s I n d iv id u s , e n s e m o q u a n t d e l ’in to lé r a n c e ,
d é la fo lie d e p r ê c h e r e t d u d o g m a tis m e . I l f a u t v o ir le b e a u t e n t e r d e c o n v a in c re p u i s de
m o rd re , v o ir l a l u t t e d es b o u c h e s c r itiq u e s p a r l a n t t o u t e s e n s e m b le , le g a lo p d e s B e a u x -A rts
c o u r u s u r l ’o u v e r t u r e d e G u i l l a u m e T ell d é c o u p é e e n ro n d e lle s, la b o n té r o u g i r d e ra g e e t
se c ro ise r p o u r le b o n m o tif , p o u r s e n t i r la p o r t é e q u e c e t t e a m b itie u s e « s a t i r e g é n é ra lis é e
d u m o n d e q u i n o u s e n t o u r e » a c c o rd e à r a n i m a t i o n .
p a r l ’o r ig in a lité d e s o n id é o g r a p h ie p l a s ti q u e e t d y n a m iq u e c e tte a llé g o rie q u i , lo r s d e
la b a ta ille f in a le s ’a g r a n d i t a u x d im e n s io n s d e l ’é c r a n C in é m a sc o p e , c o n s t it u e à l a fo is u n
r e m a r q u a b le ex e m p le d e s c e p tic is m e a c t i f e t d ’a n i m a t i o n m o d e rn e , ce q u i e s t p e u t - ê t r e la
m ê m e chose.
La perfection de cette œuvre, la première d’un jeune animateur de vingt-cinq
ans est un peu menaçante. C’est qu’elle annonce le cinéma plastique d’une
génération qui tournera les obstacles à son avantage et se contentera des
conditions qui lui sont faites, tirant d'une animation « deux par deux » ou
d’une succession abrupte d'extrêmes des effets expressifs aussi impressionnants
que ceux obtenus avec les animations déliées et coûteuses d’antan.
C’est aussi qu’elle annonce le cinéma d'animation d’une génération qui,
encouragée par les précédents épars de McLaren ou de Trnka, sans rien
demander à personne, surtout en fuyant le patronage des éducateurs comme
l'aide des industries somptuaires, osera se servir à une image près de la durée,
du son et du dessin sur le film, considérant le cinéma d’animation comme un
moyen d’expression illimité. L'animation est un grand art qui existe presque.
Cinq voix nouvelles comme celle de Richard Williams et la confrérie sera au
point et trouvera tout ce qu’il faut de suiveurs, d'échos et de commentateurs.
Si je me suis bien fait comprendre, le lecteur de ces notes conclura que
pour un partisan du cinéma image par image, les Journées de Cannes 1958
n ’ont pas été dépourvues d'enseignement. André MARTIN

S u r La P etite Ile de R ich ard W illiams, la Bonté, 5a V érité et la B eauté « s’expliquent »,


devenant ainsi l’occasion d’une rem arq u ab le dém onstration de scepticism e actif et
d’anim ation m oderne.

41
O SAISONS ! O CHATEAUX ! form e de la pudeur. Ce qui, dans le ciném a
Français d u m o m ent m ’irrite le plus, c ’est de
Plus je vols ce court-métrage d ’Agnès V ard a sentir l'effort, le labeur, l’obstination poussive,
plus je l’aime, A Cannes, il fut acclamé par la p e u r d e filmer. R ien de tel chez A g n ès
le public et c’est justice. O n y trouve fantaisie, V a rd a qui s’am use en tournant ses films, afin
?oût, intelligence, intuition et sensibilité, cinq q u e nous puissions nous am user en les voyant.
vertus d ont aucune ne devrait jamais faire
d éfaut d an s les films. Grâce à A gnès V arda,
on peut m esurer quel serait l ’apport au ci­
n ém a oie quelques fem m es dotées de certaines DEJEUNER DES CAHIERS
qualités q u 'u n hom m e ne saurait posséder sans
rougir. Plus sim plem ent, je veux dire que le A u cours du dernier Festival de C annes,
bon goût, m asculin, d ’un Becker ou d ’un nom breu se et brillante assistance au tradition­
V a d im ne résiste pas à la comparaison var- nel d é je u n e r des C A H IE R S . P arm i les convi­
desque. L e seul hom m e qui puisse selon moi ves, o n reconnaît plusieurs m em bres des jurys :
rivaliser de raffinement, de légèreté et d'inso­ Cesare Zavattini, Serge Youtkevltch, N orm an
lence ésotérique avec A gnès V arda est Norman M cLaren, H elm ut K âutner, Jacques de
M cLaren lequel précisément, en tant que Saroncelli ; et aussi Nicole Bercer, R oger
ju ré des courts-métrages, milita bruyam m ent L een h ardt, Jacques Baratier, Claude Chabrol,
contre O Saisons! O Châteaux ! les deux vedettes suédoises, Ingrid T h u lin et
Je n ’ignore pas que l'aisance d ’A gnès V arda Bibî A ndersson.
rencontre bien d ’autres adversaires; ceux-là, Les questions sur Ingm ar Bergman, d écidé'
je crois, n ’ont que le tort de ne pas deviner m en t très à la m ode, pleuvent. O n s'inquiète
que la préciosité et la désinvolture sont ici une d e sa santé, car, selon les bruits qui courent,
B ergm an est au plus m al. Ses interprètes nous
rassurent : souffrant d 'u n e sorte d'u lcère à
l’estomac, ;1 fait d e fréquents séjours en clini-
ue où il trouve le calm e propice à l’éclosion
3 e ses scénarios. De la conversation se dég age
p e u à p e u le « cycle du Bergm an » : chaq u e
auto m ne, lassé du ciném a, il se consacre au
théâtre et m onte des pièces à Maltnoe (les
dernières ? « P eer G ynt » et <t Faust »), m ais
dès les prem iers beaux jours, i( est pris d ’u ne
furieuse envie de faire d u cinéma, entre en
clinique, écrit d ’un seul jet u n o u deux scén a­
rios aux q uels il n ’apporte ensuite presque a u ­
cune retouché, puis se m et -à tourner ju sq u ’à
la fin de l ’été ; et ainsi d e suite.
L es questions s’orientent plus précisém ent
sur A u S e u il de la oie ; six sem aines de to ur­
nage, 30 millions. Les films suédois sont très
bon m arché, l ’équipe de tournage étant là-bas
réduite à son strict m inim um . L e devis de
Sourires d 'u n e nuit d'été, film cher, atteignait
La scène coupée p ar Ingm ar Bergman dans à p e in e les 80 millions. O n ap p ren d encore
Au seuil de la vie. qu u ne scène d u film a été coupée par B erg­

42
Le d éjeu ner des « Cahiers ». On reconnaît de gauche à droite : Jean de Baroncelli, Bibi
Andersson, Georges Sadoul (de dos), Serge Y outkevitch, Nicole Berger, A n dré Bazin,
Mme C. Sadoul.

m an lui-m ême : on y voyait la doctoresse et L es A gap es, L a Fille aux jacinthes, Le Chat
un jeune docteur conversant en présence de blanc, L e L o u p noir, Gabfielle et Entrée
Hjordis (Bibi A ndersson), devant une tasse de privée !
café et un gâteau couronné d ’une cigogne en 3° Ingm ar Bergm an est en tête d u peloton,
sucre portant un bébé. A la fin de cette scène, cela est vrai, mais le peloton existe et je
Hjordis, avant de quitter la pièce, du doigt connais d ’excellents films suédois signés :
noyait le b é b é dans la crème. G u m m ar Hellstrom, A lf Kjellin, H am pe
O n s’étonne égalem ent de la liberté dont Faustm an. Gosta W erner, Kjellgren, Gosta
jouit Bergman, car aussi bien L e S eptièm e Folke et K en n e Fant.
Sceau q u 'A u S&uil de la oie ne sem blent guère
tenir compte des goûts du public tant ils se 11 appartient aux « Ciném as d ’Arts et
refusent à tout compromis. Mais l'u n comme d ‘Essai » de faire venir des copies de ces
l’autre, le second surtout, sont de gros suc­ films et d ’organiser, peut-être, une sorte de
cès commerciaux. — Ch. B. p ano ram a qui satisferait notre curiosité sué­
doise. — J.B.

LES FRERES D’INGMAR


HITCH : VERTICO
Les cinéphiles parisiens vont avoir, au cours
des mois prochains la bonne fortune de d é ­ C om m e dans tous ses autres films, H itch­
couvrir plusieurs des douze films d 'in gm ar cock apparaît brièvem ent dans Vertigo. Tout
B ergm an encore inédits en France. C ’est par­ d ’abord il envisageait de traverser l’écran en
fait, mais n ’oublions pas non plus les autres portant une m aquette de paq uebot entre ses
grands cinéastes suédois. bras. Craignant ensuite de p rend re trop d ’im­
portance et de « voler la scène » à ses inter-
1° Des q uinze films mis en scène par rètes, il décida plus sim plem ent d e déam -
Sjoberg, les distributeurs français n 'ont dif­
fusé que L e C h em in du Ciel (1942), Tour­
E uler prestem ent au milieu d 'u n chantier
naval. Les plus fidèles hitchcockiens de nos
m ents (1944; scénario : Bergman) et M ade­ fidèles lecteurs auront d ’eux-m êm es inter­
moiselle Julie (1950). Réclam ons donc, à cor prété la signification de cette apparition :
et à cri. L a Chasse R oyale (1944), V oyage au A lfred nous annonce q u ’il va enfin concréti­
loin (1945), Iris et le c œ u r d ’un lieutenant ser un vieux rêve, filmer le naufrage d ’un
(1946), Kten q u 'u n e m ère (1949), Oiseaux sau­ paquebot en m er, p o u r la M .G.M . — F .T .
vages (1955), et L e D efnier Couple qui court
(1957).
2° Nous ne connaissons le grand m etteur Nous avens omis d e signaler à nos lec ­
en scène H asse E k m an que comme acteur teurs que les photographies illustrant l ’ar­
pour l ’avoir vu séduire Harriett A ndersson ticle d ’Eisenstein, publié da n s le num éro
d ans L a N uit des Forains. Pourquoi ne pas 82 des C a h i e r s , sont inédites et pro­
nous m ontrer à Paris quelques-uns des trente- viennent, non pas d u film lui-même, mais
deux films q u ’il a mis en scène? Signalons de chutes négatives ou positives, remises
essentiellem ent : C hangem ent de train, Une à Georges Sadoul p ar M m e Eisenstein.
D ynastie de caî>oiinsf Prom enade sous la lune,

Ce p e tit jo u r n a l a été lé d ig é par J e a n B É R âNGER, CHARLES BlTSCH e t FRANÇOIS TRU FFA U T.

43
C O TATION S
• I n u tile d e s e d é r a n g e r
$ à v o ir à l a r i g u e u r
** à v o ir
LE CONSEIL DES DIX à v o ir a b s o lu m e n t
**** c h e f s - d 'œ u v r e
C ase v id e : a b s t e n t i o n o u : p a s v u .

Henri André J e a n de Robert Charles Pierre Ja c ques Ja oa ucs Eric Georges


T itr e J des film s L ks D ix su— *. AgeJ Bazin Baroncelli Benayoun Doniol-
Bitsch B raunberger Valcroze Rivette Rohm er Sadoul

Nuits Blanches (L. Visconti) ................... ★ ★ * ★ :k * * * ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ * ★ ★ ★ k k ★ k k

Sommarlek (l. Bergman) .............................. ★ ★ ★ ★ k * ★ k ★ * ★ ★ * ★ * * ★ ★ ★ ★ k k ★ k k

★ ★ * * ★ * ★ ★ ★ ★ • * ★ ★ ★ * * ★ k k ★ ★ k k ★ k k k

Barrage contre le Pacifique (R. Clément) ★ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ ★ ★ * •k ★ * k k k * ★ k * k ★ ★ ★ k

Pique-N ique en py\ama (S. Donen) '


* * k ★ -k k k ★ * k k k

Les Frères Karamazov (R. Brooks) .... ★ ★ * ★ ★ k k • k k • ★

• ★ ★ * ★ k k • *

Hommes en guerre (S. Vassilico) . . . . . . ★ ★ * • • k k

Sois belle e t tais-toi (M. Allégret) .... * ★ • ★ k k k •

Bataillon dans la nuit (A, Dwan) .............. ★ ★ k

• • ★ • k

Le Désordre e t la nuit (C. Cranzier) . . # ★ • • k


. ’

Sachez nue : A le x a n d re A s tru c , M a u ric e E essy, C la u d e C h a b ro l, R o b e rt C h a z a l, J a c q u e s D em y, J e a n D o m a rc iïi; M ax


F a v a lle lli, J e a n -L u c G o d a r d , M a u ric e L e R o u x , E d o u a r d M o lln a ro , J e a n V alère, H e rm a n . g . W e ln b e rg y o u s r e c o m m a n d e n t .d 'o res,
e t d é jà e t c o m b ie n c h a le u r e u s e m e n t T ouçh of Evil d ’o r s o n W e lle s q u ’il s e r a i t p r é f é ra b le t o u t d e m ê m e d e v o ir p r o j e t e r s u r é c r a n
n o rm a l.
LIS FILMS

L’âme au ventre
SOMMARLEK (JEUX D’ETE), film suédois d ’iNGMAR B e r g m a n . Scénario :
Ingmar Bergman et Herbert Grevenius. Im ages : Gunnar Fischer. Musique : Erik
Nordgren. Interprétation: M aj-Britt Nilsson, Birger Malmsten, Alf Kjellin, Anna-
lisa Ericsson, Georg Funkqvist, Stig Olin, Mimi Pollack, Renée Bjorling, Jon
Botvid, Gunnar Olsson. Production : Svensk filmindustri, 1950.

iLa critique n ’est le plus souvent que comment placer les acteurs l’un par
l’analyse des apparences. Mais le mou­ rapport à l’autre, comment la caméra
vement de tout grand cinéaste n’est-il par rapport à eux; mais il se refuse
pas d’abord de mettre en question les à, s’en poser sur ce que disent ces ac­
apparences, et de les dompter par la teurs, qui est pour lui un absolu. Berg­
synthèse? man met en question ses personnages
Un Sjoberg, par exemple, se pose des mêmes. Si Olivier prend Shakespeare
questions de metteur en scène : étant comme donnée pour un spectacle, Wel-
donnée telle réplique de Strindberg, les l’interroge avec passion, le se_

45
couant, l’écartelant jusqu'à lui arra­ est sans cesse niée par la mobilité
cher le mot d’une énigme que le pre­ de la caméra, qui fait vite disparaître
mier ne soupçonne même pas. Sjoberg, le rectangle des bords de l’écran, les
Nilsson se contentent d’affirmations éléments se soum ettent tous à l’ordre
anarchistes puériles; ils ont la bonne de la méditation, celle de l’auteur.
conscience de leur révolte et, à l’image Quelles questions nous pose-t-il, a
de nos surréalistes, s’y installent en travers eux ? Les plus simples : qui
' bourgeois confortables. Mais Bergman sommes-nous, où allons-nous, quel est
non : non moins destructeur ou révolté le sens de cette comédie ; bref une
qu’eux, sa révolte est aussi mise en beauté métaphysique. JDe même film e-
cause. Quel est le sens de cette inter­ t-il m oins des actions que des états :
rogation? Chacun peut répondre à sa l’humiliation, le désir, le regret, tous
guise, mais si chacun de ses films a de ceux qui, loin d’être détruits par
un sens, c’est celui de l’interrogation. le tem ps de l’acte, se renouvellent per­
Bref, ce n ’est point vers Ibsen ou le pétuellement, et aussi bien par ce qui
premier Strindberg qu’il nous entraîne, devrait les résorber : l’assouvissement,
mais vers celui de « La Sonate des la lucidité, l’orgueil. Cercles vicieux
spectres s>, ou vers Beckett. dont aucun de ses héros ne peut sor­
Il est également facile de distinguer, tir que par effraction ou faux sem ­
parmi les metteurs en scène, deux fa­ blant.
milles d’esprit : rangeons d’un côté S i Bergm an échappe enfin totale­
Clair, Fellini, Wyler, Tati sous le signe m ent aux pièges du baroque, c’est évi­
de l’analyse. Gardons de l’autre les demment par un sens de la chair qui
génies synthétiques : Lang, Renoir, rejette au pur spiritualisme tout le
Rossellini, Welles. Fellini s’ouvre : les reste du ciném a ; ou, plus exactement,
éléments communs du néo-réalisme sens de la peau, de l ’épiderme, que
s’étalent dans ses films comme sur un m agnifient presque toujours l’eau, ou
éventail, et jusqu’à son découpage les larmes, le fard, la sueur ; c’est
participe de ce mouvement de scis­ l’écorce qui l’attache d’abord, et le gros
sion. Rossellini se ferme comme un plan ne se nourrit d’aucune certitude
poing : tout s’y joint et retourne à sur son contenu. Plus la caméra se
l’un. Si Welles, dans Citizen Rane, rapproche, plus l’ambiguité éclate, plus
décomposait encore les moments de l’apparence est pure apparence. Sa lu ­
sa dialectique, si, tout en admirant mière est le plus souvent celle du
comment les pièces du puzzle s’emboî­ crépuscule : heure incertaine où le oui
taient pour finir par former une fi­ peut devenir non, le non signifier oui,
gure, on pouvait regretter que le des­ où tout semble possible, sans que l’on
sin de celle-ci soit brouillé par la grille puisse espérer sortir jamais du cycle
arbitraire des découpures, il y renonce fatal des journées.
justem ent grâce au morcellement du
découpage, qui n’est plus là que pour Et cependant, au-delà du repli sur
permettre et faire valoir le grand souf­ soi, ses héros découvrent toujours le
fle synthétique qui unifie tous ces second mouvement de leur conscien­
fragments : ce mouvement devenant ce : celui de l’épanchement, qui ne
aussitôt idée, mais idée de mouvement. trouve qu’en lui-même sa justification.
Comme chez Stroheim, les scènes se
Reconnaissons que Bergman accu­ prolongent par plaisir, outrepassent
mule souvent dans ses films tout ce toutes les lim ites de la nécessité dra­
qui pourrait à bon droit nous dé­ matique, et deviennent littéralem ent
plaire : et non seulement ces plans extraordinaires par cette seule conti­
de ciel et d’eau, ces amorces, ces dé­ nuation ; celle-ci n ’étant même pas
marrages de plan sur objet ou détail renouvellement ou variations, mais ra­
qui sont ailleurs bien démodés, mais dotage : les paroles, les actes tournent
aussi tout un bric-à-brac décoratif, en rond, les agaceries, les onomatopées
sentim ental, érotique, poétique, dont le bêtifiantes des amants comme les pro­
compte avait, sem ble-t-il, été réglé pos des ivrognes, les regrets stériles
vers les années 30 par tous les Pabst des barbons ; les plans eux-mêmes,
ou les Sternberg des ciné-clubs. Re­ parfois, tirent leur beauté, leur sens,
connaissons que cet attirail retrouve de la seule durée. Et cette obstination
brusquement une fraîcheur, une sa­ est aussi une morale : un de nos amis
veur inattendues, car cela aussi est, au n ’hésite pas à retrouver dans S o m -
fur et à mesure, détruit par autre cho­ m a rlek le grand thème spinozien de
se. Comme la recherche des cadrages la persévérance de l’être. La seule pré­

46
sence charnelle est déjà une victoire. être abordé désormais que suivant les
Bergman, tire ses plus sûrs effets d ’un perspectives de l’ensemble. L’un et
conflit entre la densité des choses ou l’autre haussent la confession la plus
des êtres, et l’artifice des figures dans impudique, la plus obstinée au niveau
quoi il les compromet : conflit dans le­ d’une éthique, éthique du moins de
quel les secondes capitulent toujours l’œuvre, c’est-à-dire d’une esthétique ;
sous le poids de la réalité. Beauté m é­ le vrai seul est aimable ; c’est lui qu’au
taphysique ? mais d’abord ontologique. terme de ses embardées les plus aven­
tureuses dans les terres de l’onirisme
Il est impossible de parler séparé­ ou de la technique transcendantale,
m ent de tel film de Bergman, chacun Bergman retrouve toujours.
n’ayant de sens que dans son rapport
avec tous ceux qui le précèdent et La morale de Simenon est le plus
qui le suivent : ce qui nous oblige à souvent celle de l’enlisé ; la morale de
rapprocher notre cinéaste de Sime­ Bergman, celle du noyé : qui s’aban­
non. Chez l’un comme chez l’autre, donne au flot, aux courants divers, se
nous trouvons ce même prolongement, laisse entraîner, puis couler peu à peu
d’une œuvre à l’autre, des mêmes ob­ vers les profondeurs, agrippant molle­
sessions, la dernière reprenant tou­ m ent au passage un lambeau d’algue,
jours tel thème, ou tel acteur, esquissé, quelque épave flottant entre deux eaux,
mal venu ou autrement utilisé dans mais, une fois arrivé au fond, trouve
une œuvre précédente ; chacune, tout dans un dernier sursaut de désespoir
en conservant sa tonalité propre, en­ la force de donner le coup de talon
gendrant celle-là, ou y trouvant ses qui le renvoie brusquement à la sur­
correspondances. On peut, au nom de face. Bergman est un optimiste irré­
ses préjugés ou de ses goûts, refuser ductible : « Il faut », dit le vieux Sjüs-
le premier roman, le premier film de trom. au dénouement de Till Gladje,
l’un ou l’autre que l’on lit ou que l’on « il faut que vous chantiez la joie. Non
voit ; pour peu que l’on prenne un se­ la joie ordinaire ; mais la félicité qui
cond volume, que l’on aille voir un au­ se trouve de l’autre côté de la dou­
tre film, on ne peut plus se refuser à leur. »
la cohérence de l’œuvre, sa force d’en­ La critique idéale d’un film ne pour­
voûtement, sa sincérité. Tous deux, au­ rait être qu’une synthèse des ques­
teurs de premier jet, élèvent l’écriture tions qui fondent ce film : donc une
automatique à la hauteur de techni­ .œuvre parallèle, sa réfraction dans le
que romanesque ou cinématographi­ milieu verbal. Mais le défaut de celle-
que. Libre ensuite à chacun de nous ci est d'être encore faite de mots, sou­
de préférer celui-ci ou celui-là des mis à l’analyse et aux contours. La
fragments de la mosaïque, Les Suici­ seule critique de S o m m a rlek a pour
dés ou Touriste de bananes, Prison ou titre le S ep tièm e Sceau ; la seule cri­
So m m arlek : c’est retomber dans les tique véritable d’un film ne peut être
goûts personnels, et il va de soi que qu’un autre film.
chaque film, chaque roman ne peut Jacques RIVETTE,

Visconti joue et gagne


LE NOTTI BIANCHE (NUITS BLANCHES), film italo-francais de L u c h i n o
Scénario : Luchino Visconti et Suso Cecchi d’Amico, d’après la nouvelle
V is c o n ti.
de Fedor Dostoiewski « Les Nuits blanches de Saint-Pétersbourg ». Im ages : Giu-
seppe Rotuno. M usique : Nino Rota. Décors : Mario Chiari. In terp réta tio n : Maria
Schell, Jean Marais, Marcello Mastroianni. Production : Franco Cristaldi - Inter-
mondia-Films, 1957. D istribution : Rank Organisation.

En adaptant les Nuits blanches, Vis­ d’étendue de l’ouvrage original (une


conti nous offre le plus satisfaisant nouvelle d’une cinquantaine de pages,
des films inspirés à ce jour par Dos­ plus propre qu’un long roman à une
toïevski. Et s’il me faut tempérer cette transposition intégrale), et rappelant
louange, je vais me faire tout de suite son peu de poids dans l'œuvre du
l’avocat du diable, soulignant le peu romancier (une esquisse, sur le mode

47
aimable, de quelques thèmes approfon­ au metteur en scène, de qui la fa n ta i­
dis après les années de bagne). En sie souveraine donne le départ à des
d'autres termes la nouvelle laissait développements parfaitement rigou­
au metteur en scène une grande li­ reux comme l’attestent le choix et le
berté, dont il a d'autant mieux su traitement des .œuvres qui jalon n en t
profiter qu'il la cherchait sans doute : sa double carrière théâtrale êt cin é­
traitant assez hautainem ent les pro­ matographique.
blèmes d'adaptation, Visconti du même
coup nous dispense de nous y arrêter, Mais ce parti de jeu présent dans tous
comme s’en dispensaient aussi les ses films, contrarie l’exercice de la
amateurs de peinture qui pouvaient critique sociale et de l'analyse qu’on
.apprécier une façon neuve de traiter est fondé à, trouver dans La T erra
Vénus anadyom ène ou S a in t Jérôm e tré m a et Senso. "Willy Achër, qui l’a
au désert sans invoquer plagiat ni fi­ bien senti, fait remarquer (1) que Vis­
délité. conti conduit toujours l'analyse en
Dans la seconde nuit de ce récit que termes dramatiques et non seulem ent
Dostoïevski sous-titre « Souvenirs d’un dialectiques : c’est admettre sinon re­
rêveur », le narrateur explique avec connaître la primauté de la mise en
exaltation le sentim ent qu’il a de sa scène sur la critique. Et je crois que,
vie et de sa place au milieu des hom ­ si un peu d’ingéniosité suffit à déceler,
mes : «...cette vie, c’est u n m élange exprimées par quelque biais, des in ­
de quelque chose de p u re m e n t fa n ta s ­ tentions critiques dans Ossessione et
tique, de fu rieu sem en t idéal et, en Bellissima, nulle trace par contre n ’en
m ê m e tem ps, de p la te m e n t prosaïque subsiste dans Les N uits b lanches qu’il
e t ordinaire, pour ne pas dire d’invrai­ faut donc aborder du seul point de vue
sem blablem ent vulgaire... Regardez ces de la mise en scène.
fa n tô m es féeriques qui se fo rm e n t de­ C’est pour de plus pures solutions
v a n t lui, enchanteurs, capricieux, lar­ de mise en scène que se justifiait- la
gem en t e t sans bornes, en u n tableau transposition, dans l’époque contem ­
a n im é fantastique... Il est lu i-m êm e poraine, de la nouvelle de Dostoïevski
l’artiste de sa vie et il la crée à chaque — transposition aussi discrète et sty ­
in sta n t selon sa nouvelle fantaisie... lisée qu'était minutieuse dans S e n sa
Comme si en vérité to u t cela n ’était la reconstitution de l’époque 1860. Le
pas illusoire ! V ra im en t on est prêt à dédale de ruelles et d’étroits canaux,
le croire, à certains m om en ts, que to u ­ vite devenu familier, ne vise d’autre
te cette vie n ’est pas u n e excitatio n des but que proposer des trajets aux ac­
sens, u n mirage, u n e trom perie de teurs, de sorte que le film s’écarte le
l’im agination, m ais quelque chose de moins possible d'un schém a abstrait
réel, de vrai, d’exista nt / » que tous ces détails s'appliqueraient
'Cette confession indique le ton du à tracer à nouveau. Et l’obsédante n o ­
film qui, m ettant davantage l'accent tion d’itinéraire fermé et sans cesse
sur le rêve et moins sur la rêverie, en parcouru, si fréquente chez le rom an­
objective le contenu par les seules ver­ cier russe, se retrouve ici posée com­
tus de la mise en scène. Les person­ me principe de la mise en scène. Mais,
nages se dégagent à peine de la nuit l'obsession a disparu avec la réalité
qui les entoure, et leurs contours, im ­ des personnages qui restent ici au ni­
précis comme d'un fusain, se fondent veau de l’abstraction. La première ren­
dans le noir des murs d'où ils semblent contre de Mario et Nathalie définit
tenir leur substance ; la neige n'aide leurs rapports ultérieurs qui seront
à préciser les silhouettes qu'au moment toujours d'espace et de m ouvem ent :
où, leurs rapports se dénouant, chaque car l’espace et le mouvement suffisent
personnage s'évanouit hors de l’œuvre ici à définir les personnages, dont l’é ­
à qui seule ils devaient d'exister. Les volution ne peut être faite que d é v o ­
comparses ajoutés par Visconti traver­ lutions. Ferait fausse route qui cher­
sent le champ en des mouvements cherait des aperçus sur l'âme ou le
aquatiques et complètent la descrip­ cœur humains dans ces variations bril­
tion d’un monde inventé. Ce climat lantes où seule intervient l’apparence
irréel et logique évoque « la rigueur à proportion de son efficacité specta­
de la fantaisie manzonnienne » chère culaire.

(1 ) P o u r sa lu e r V is c o n t i , C a h i e r s du C in é m a , n .0 5 7 .

48
Marcello Mastrôiaimi et Maria Scliell dans Nuits blanches de Luchino Visconti.

Ainsi Visconti, parlant des ' acteurs, relier, sinon certaines obsessions de
les considère comme « u n m atériel h u ­ l'auteur trop clairement révélées par le
m a in avec lequel on crée des h o m m es choix des acteurs. Autrement Visconti
nouveaux qui, parce qu’ils la v iv e n t, y brûle fort peu de lui-même, donnant
d o n n en t naissance à une réalité n o u ­ plutôt libre cours à un goût affirmé
velle ». L'existence même de l’acteur de l’aventure esthétique. Me reproche­
apporte une caution décisive à l’art ra-t-on d’évoquer à son sujet l’aristo­
du metteur en scène : l’idée n ’est pas crate milanais, l’homme de la Renais­
neuve, on peut même assurer que le sance qu’il est en effet ? Puissent ces
théâtre trouva en elle son origine. mots un peu faciles marquer par quoi
L’idée neuve est que cette caution ou­ il s’oppose à l’image plus romantique
vre droit de cité à l'artifice donné que notre siècle s’est formée de l’ar­
comme tel, et en cela Visconti rejoint tiste : par une conception humaniste de
Kazan ; dans la réalité nouvelle, la l’esthétique. A tout artiste se pose la
nouveauté importe plus que le réel. Et question du renouvellement : Visconti
à la lumière de ses films les plus ré­ y répond en faisant de chaque œuvre
cents, nous voyons mieux ce qu’il en­ une expérience, profitant bien sûr de
trait de représentation dans le réalis­ l’acquis des expériences précédentes,
me des premiers ; dans les scènes mais tentée dans une tout autre voie
d’errance nocturne de La Terra tré m a si celles-ci furent satisfaisantes.
comme dans celle qui ouvre Les N u its « Exercices de doigts, exercices de
blanches, la durée même n ’est-elle pas doigts, disait à Max Ophuls son pro­
représentée plutôt que ressentie ? fesseur de piano, longtem ps seulem ent
L’œuvre de Visconti est de celles qui après les exercices de doigts v ie n t la
se prêtent le moins à une vue d’en, mélodie. » Avec Les N uits blanches, il
semble. Chacun de ses films appelle me semble mieux entendre la mélodie
des vues particulières et l’on discerne de Visconti.
mal, au premier abord, ce qui peut les Philippe DEMONSABLON.
La pesanteur et la grâce
MON ONCLE, film franco-italien en Eastmancolor de J a c q u e s T a t i . Scénario :
Jacques Tati. Im ages : Jean Bourgoin. Musique : Norbert Glanzberg, Alain
Romans, Franck Barcellini. Décors : Henri Schmitt. M ontage : Suzanne Baron.
Collaboration artistique : Jacques Lagrange, assisté de Jean L’Hote. In te rp ré ta ­
tio n : Jacques Tati, Jean-Pierre Zola, Adrienne Servantie, Alain Becourt, Lucien
Fregis, Dominique Marie, Betty Schneider. Production : Specta Films - Gray
Films - Alter Films - Film Del Centauro, 1958. D istribution ; Gaumont.
A quinze jours de sa sortie, j ’ai vu quement, nous nous reconnaissons en
à six reprises M on Oncle, et je suis pour eux ; mais nous inquiètent-ils aussi,
en parler dans le même désarroi qu’à la par ce qu’ils ont dé détachés absolu­
première vision. Par quelle brèche atta­ m ent de la terre, de dégagés de toute
quer cette œuvre ferme et lisse comme référence à une société moyenne. Parti
un mur de béton, à quel moment précis du comique d’observation, Tati atteint
déceler le gag révélateur qui nous donc le fantastique pur, et cela sans
éclairera sur les lois secrètes régissant recourir jam ais au truquage, ni à l’an ­
cet univers, quelle clef enfin allons- thropomorphisme. Il nous force à rêver
nous adopter, d’entre toutes celles que émerveillés (« l ’absurdité comique, dit
Tati nous propose, pour fracturer cette Bergson, est de même nature que celle
boîte magique dont la résistance exté­ des rêves »), nous montrant enfin ce
rieure n ’a d’égale que sa suprenante que nous serions, débarrassés de toutes
légèreté interne ? nos scories, de tout ce qui dans notre
conduite quotidienne entrave le libre
Comme dans Les Vacances, et plus jeu de notre expression corporelle. Et
encore sans doute, ce qui nous frappe de cette image zigzaguante de nous-
dès l’abord est la justesse de l’obser­ mêmes, étrangement légère tout à
vation, Nul geste qui ne soit puisé à coup dépouillée de ses ornements inu­
sa source la plus quotidienne et la plus tiles, nous rions mais non sans malaise,
véridique, pas un détail de ce monde secrètement terrifiés.
étrange qui n ’ait son répondant exact
dans notre monde à nous, pas de fan­ Et Hulot ? Hulot a perdu, avec le
taisie plus enracinée dans le réalisme. temps, toute trace de caricature, il est
Non certes que les caractères ici des- presque intégré à ce monde cauche-
sinés, du chef d’entreprise, du contre­ maresque comme la personnalité du
maître, de la maîtresse de maison, de rêveur peut l ’être, par moments, à son
la femme du monde en visite, du ba­ rêve. Observons et admirons, combien
layeur de rues, de la concierge, épuisent Tati, de plus en plus, s’efface. Dans
absolument toutes les virtualités de ces Jour de Fête il polarisait toutes les
personnages. Ils n’en sont pas l’image situations comiques. Sans lui, le film
composite, le portrait-robot auxquels n ’existait pas, ou presque. Son arrivée,
les cinéastes traditionnels ont recours, très attendue, déclenchait autom ati­
par je ne sais quel souci maniaque de quement le rire, puisque nous savions
vérité psychologique superficielle ; mais qu’il allait être par excellence le trou-
plutôt, par la grâce de Tati, comme le ble-fête, l’idiot du village. Tati se
schéma simplifié, l'abstraction pudique pliait alors normalement à la loi berg-
qui ne conservent d’eux que l’expres­ sonienne qui veut que le comique ne
sion la plus infinitésimale, la trajectoire produise son ébranlement qu’à la
spirituelle si je puis dire. Tout se passe condition de tomber sur une surface
comme si nous avions affaire à des calme, indifférente. Le charbon gros­
ectoplasmes vivants, surgis tout habil­ sier avec lequel était crayonné le per­
lés de l’im agination médiumnique pro­ sonnage, contrastant avec le naturel
digieuse de l'apprenti-sorcier Tati. Ils ambiant, renforçait cette impression.
tiennent au réel par toutes leurs fibres, Dans Les Vacances, la démarcation est
puisque issus d’un cerveau qui, patiem­ beaucoup moins nette. N’était l’Hamil-
ment, laborieusement (et tendrement), car pétaradante qui l’annonçait de loin,
regarde le monde, mais passés au pres­ Hulot aurait presque pu passer ina­
soir d’une projection d’idéalité qui les perçu. Le contraste avec les autres
décante de toute leur humaine pesan­ estivants naissait surtout de sa morale
teur. Aussi nous touchent-ils profon­ et de sa manière de vivre, mais organi­
dément, par certains traits où, brus­ quement il était presque adapté. Hulot

50
Mon Oncle : la séquence de l'usine.

en tout cas ne faisait plus rire comme gré, de revenir à des idées très sim­
le facteur, tout au plus suscitait-il ples, qui tiennent à l ’essence même du
autour de lui, et involontairement, des rire, et à sa signification. Nour rions,
déflagrations comiques. Avec Mon habituellement, de ce qu’un raidisse­
Oncle, la métamorphose est achevée. m ent mécanique vient se superposer au
On se passe très bien de Hulot, on rit libre travail du vivant. La tentation est
non plus d'un personnage-catalyseur, grande pour un mime, un clown, un
mais d’un microcosme où ce person­ acteur comique de s’en tenir à cette
nage gravite encore, à la manière d’un expresion élémentaire. Tati lui s’y re­
virus un peu plus gros dans un bain fuse délibérément. Premièrement, il
microbien. Gageons que l'évolution fu­ brouille les cartes en faisant de cette
ture de Tati se fera de plus en plus lutte du mécanique et du vivant le
sentir dans ce sens. A la limite — il l'a sujet même de son film, donnant à cela
confié dans son « Entretien » — nous une extension quasi cosmique.. L’homme
aurons un film sans Hulot. Hulot, ce ne moderne nous est montré prisonnier
sera plus que Tati présidant, de l’autre des bruits et d’un mécanisme outran-
côté de la caméra, aux ébats gracieux cier qui le broie : moteurs, briquet, aspi­
de son monde imaginaire. Déjà nous rateur, bout de fer au talon, grelots,
avons ici le sentim ent très net de per­ rasoir électrique, etc. (notons au pas­
sonnages téléguidés. De sa villa de sage la richesse invraisemblable de la
Saint-Maur, ou par le biais d’un fil bande sonore), culminant avec l ’éton­
téléphonique, même pas : d'un indi­ nante séquence de la « symphonie des
catif musical obsédant, Hulot se mani­ bruits » ; stérilisation, ventilation...
feste à distance, aussi invisible et (L’irréalisme est ici flagrant : le soupir
pourtant autant efficace, aussi néces­ excédé de M. Arpel s'identifie à un
saire et libre que l’air dont tous ont bruit de ventilateur.) Mais deuxième­
besoin. ment, Tati parvient à supprimer, de
Et c’est Ici qu’il faut poser le pro­ l’être vivant ainsi soumis à la toute-
blème du mécanique et du vivant. Car puissance du moteur-roi, tout raidis­
M on Oncle nous impose, bon gré, mal sement, toute contracture auxquels il

51
semblait pourtant doublement voué : ble éclairer singulièrement l’évolution
de par sa nature comique et de par la du comique de Tati. Je veux parler du
situation horriblement privilégiée où sport. C’est par là, peut-être, qu’il se
il est placé. Car il arrive ceci d’étour­ distingue fondamentalement de tous
dissant que les deux mécaniques, l ’hu ­ les autres comiques de l’écran. Buster
maine et l'autre, en se heurtant, s’a n ­ Keaton, Chaplin, Harry Langdon sont
nulent. Davantage : l’une et l ’autre, tous, plus ou moins, des faibles que le
l’un par l’autre dirait-on, homme et monde écrase, et qui se vengent en fa i­
machine, retrouvent comme dialecti­ sant des pirouettes. Tati c’est d’abord
quement une merveilleuse élasticité, le sportif, le champion toutes catégo­
une grâce de tous les instants qui ef­ ries. Le monde, il ne saurait en avoir
face définitivement toute disharmonie. peur, puisqu'il le tient dans ses m ains,
Loin que leur rencontre provoque un qu'il jongle avec. Ses premiers films,
grincement, d’où naîtrait le rire, comme on le sait,' exploitent largement le th è­
à-.l’accoutumée, elle n ’est chaque lois me sportif : tennis, boxe, escrime, vé­
qu'élégant pas de deux, consentement locipède, course à pied y ont la pre­
attendri, entente miraculeuse. Si le vi­ mière place. D’où vient que dans M on
vant est mécanisé, la mécanique à son Oncle le sport semble avoir com plète­
tour est vivifiée, et de leurs entre­ ment disparu ? Mais a -t-il vraiment
croisements quasiment amoureux naît disparu ? N’est-il pas au contraire à
un accord parfait. Le mécanique n ’est la racine du moindre geste, des a ttitu ­
plus plaqué sur le vivant, il joue à des les plus dégagées en apparence,
cache-cache avec lui, de connivence ils et ne préside-t-il pas à cette aisance
se donnent la main, comme l ’homme superbe qui est celle de tous les per­
et l’enfant. Aussi bien le rire devra-t-il sonnages ? Nous ne le voyons pas car
progressivement décroître aussitôt que il est gratuit, éloigné de toute te n ta ­
cette complicité des deux ennemis sera tion de record. On a tôt fait de par­
décelée, pour faire place, non certes ler de ballet, d’arabesque des corps.
à l’amertume, mais à un émerveille­ Nous assistons bien plutôt, me sem ble-
ment. silencieux : comme devant un t-il, et la chose mériterait d'être ana­
monde ayant enfin retrouvé son har­ lysée physiologiquement, à une subli­
monie préétablie. De là cette impres­ mation du sport par la danse. Aussi
sion de jaillissement naturel que l’on l’efficacité est-elle totale, em pruntant
éprouve de plus en plus violemment à au premier sa force et à la seconde sa
chaque vision nouvelle de M on Oncle : grâce. Gymnastique et chorégraphie
le comique paraît couler de source, trouvent enfin leur naturelle concilia,
comme l'eau bleue du jardin. De là tion, nous faisant toucher du doigt la
aussi l’ultime paradoxe qui fait que racine de l’art aussi bien que de l ’acti­
tout semble naître de son propre vité corporelle : la quintessence du
fond, par une parfaite spo n ta n éité à rythm e.
l’égard de soi-même, et cependant Jamais film ne nous aura donné à
avec une parfaite co nform ité aux cho­ ce point l’impression d’une création ex
ses du dehors. On voit que je fais allu­ nihilo, tout en restant aussi près de
sion à la Monadologie : Tati (comme l’homme. Tati, c'est véritablement le
le Renoir d’Êîena, le Rossellini de La triomphe de l’art, c’est-à-dire de l’ar­
Peur, l’Ophuls de La R onde, et je n ’en tifice, en même temps que du ciném a
sais pas d’autres) réussit à créer cet grandeur nature. Je crois enfin que
« automate spirituel ou formel, mais faisant taire toutes nos critiques, nous
libre » que les philosophes ont si sou­ devons admirer également en lui l'ar­
vent rêvé. chitecte et l’être goétique, le sportif et
Il est un autre secteur que je n'ai le poète, l’acrobate et le danseur.
pas exploré, et qui pourtant me sem ­ Claude BEYLIE.

“ Si votre techniramage...”
THIS ANGRY AGE (BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE), film italien en
Technirama et Technicolor de René Clément. Scénario : Irwin Shaw et René
Clément, d’après le roman de Marguerite Duras « Un Barrage contre le Pacifi­
que », Im age : Otello Martelli, Musique : Nino Rota. Décors * Mario Chiari.

52
Montage : Léo Catozzo. In te rp ré ta tio n : Silvana Mangano, Anthony Perkins,
Richard Conte, Jo Van Fleet, Alida Valli, Nehemiah Persoff, Yvonne Sanson, Shu
Shao Chusin. Production : Dino de Laurentiis, 1957. D istribution : Columbia.

René Clément pratique un cinéma corps, sans doute parce qu’il ajme tra­
contre lequel, aux C a h i e r s , nous lut­ vailler à résoudre des problèmes. Si,
tons. Tout au long du Barrage contre grâce à Gervaise, Clément peut de­
le Pacifique on perçoit très nettem ent mander cent millions de salaire pour
que le metteur en scène conduit sa le Barrage et les obtenir, encore veut-
carrière plutôt qu’un film. L’essentiel il les mériter et nous pensons qu’il les
pour Clément est que le film qu'il est mérite car il a effectivem ent quinze
en train de tourner coûte plus cher fois plus de talent que Jean Dréville
que le précédent et moins que le pro­ qui torche A pied, à cheval et en spout­
chain. Il ne s’agit plus, comme avec n ik pour sept briques, et vive le cinéma
La Bataille du rail, de tourner un film français !
à son idée en espérant que le public Et qu’on ne vienne pas parler ici de
entrera dans le jeu, mais, d’emblée, distanciation brechtienne ; les-person­
d’entrer dans le jeu du public en lui nages du Barrage ne sont pas mépri­
offrant de l’exotisme à peine plus or- sés par Clément, mais ils sont ignorés
.gueilleux qu’à l’ordinaire et beaucoup de lui, totalement, qu’ils dansent, qu’ils
de vedettes. mangent ou qu’ils aiment. Le style de
René Clément, en travaillant jour et jeu de Kazan, imité ici, froidement,
nuit, longtemps, courageusement, ne et sans inspiration aucune, devient vite
tournait pas Barrage contre le P acifi­ risible et c’est tellement compréhensi­
que, il le sauvait car il jouait la (mau­ ble si l'on mesure la fantaisie qu'il
vaise) difficulté, il plaidait coupable à suppose, la fantaisie étant la chose
chaque plan, conscient de l’absurdité précisément qui manque le plus à Clé­
de l’entreprise. René Clément était lit­ ment. Les références à A VEst d'Eden
téralement embringué, tout comme sont flagrantes, mais aucune compa­
Vadim en Espagne, mais lui ne renon­ raison de valeur n'est possible entre le
çait pas, il prenait son film à bras le film de Kazan qui a influencé tant

S ilv an a M a n g a n o e t A n th o n y P e r k i n s d a n s B a rra g e c o n tr e le P acifique.

53
de metteurs en scène et celui de Clé­ C'est, je crois, la meilleure scène du
m ent qui n’influencera personne, non film. Echange de regards entre Alida
seulement parce qu’il vient cinq ans Valli et lui. Jeux de doigts. Alida Valli
après, mais surtout qu'il est négatif. quitte la salle flanquée de son étrange
amant ; par un dernier regard, elle in­
Si la sécheresse de cœur de Clément vite Perkins à les suivre, il se lève.
est une réalité, sa fatuité est une lé­ Clément coupe et enchaîne « eut »
gende qu’il entretient volontiers, en sur Perkins, seul au volant d’une
déclarant par exemple aux inter- luxueuse voiture américaine suivie de
vlewers de F r a n c e - O b s e r v a t e u r que sa vieille guimbarde à lui, où ont pris
l’on connaît mal les significations se­ place Alida Valli et son am ant !
condes de ses films parce qu’il est
« discret et n ’aime pas révéler ses ef­ Une ellipse de cette audace était
fets ». Clément, qui a décidément plus inconcevable au stade du découpage
d’un point commun avec Clouzot, m é­ et, renseignem ents pris, j’en ai eu la
prise les journalistes à qui il ne confie confirmation : la scène intermédiaire
que ce qu’il souhaite voir imprimé. A a été tournée et supprimée au mon­
ses intimes, par contre, il ne fait pas tage, Clément l’ayant jugé ratée. Je ne
mystère de sa déception devant l’œu­ vois aucun inconvénient à ce que l’on
vre achevée ; il était satisfait de Gfer- admire l’audace de cette ellipse mais
vaise, il aimait Ripois mais le Barrage il n'empêche que le spectateur qui est
l’a accablé et il se rend seul responsa­ en moi déplore l’absence de la scène
ble de l’échec commercial internatio­ réellement importante : comment s’y
nal de cette dernière œuvre qui, à prend Alida Valli pour imposer à son
l’instar de M on Oncle et des Bijoutiers, am ant ivre un gigolo élu à la minute
est présentée dans chaque pays sous précédente et comment s’effectue l’é­
un montage différent. change de voitures.
(Notons au passage ce phénomène Si je ne parle pas du sujet c’est
amusant : plusieurs films typiquement parce qu’il est trop évident que Clé­
français ont trouvé un très grand suc­ m ent ne s ’y est pas intéressé; l’auteur
cès en Amérique : Et Dieu créa la fe m ­ de Ripois est parfaitem ent à l’aise dans
me, Gervaise, Les Vacances de M on­ la peinture des sentim ents troubles et
sieur Hulot et Les Diaboliques. Les pro­ équivoques car la marge de réussite
ducteurs ou réalisateurs de ces films, y est plus grande ; il suffit d’adopter
dans l'espoir de décupler ce succès im­ un style et de s’y tenir ; cela c'est la
prévu, ont œuvré immédiatement après force de 'Clément. Par contre, sitôt que
pour l’Am érique et ont échoué parce nous disposons d’une référence précise
qu’ils négligeaient la meilleure raison et que 'Clément cherche la vérité, son
du succès initial, l’exotisme. C’est un échec est flagrant : le seul mauvais
fait que les Américains boudent Les épisode de Ripois est celui sur la faim,
les enfants de Jeu x in terd its sont aber­
Bijoutiers, Mon Oncle, Les Espions et rants et dans tous ses films l'amour
probablement Le Barrage, fabriqués est escamoté purement et simplement.
cependant pour eux.)
Au fond et si l’on veut bien regarder
René Clément est certainement, les choses en face, convenons qu’il y a
comme on le dit, le meilleur technicien dans le ciném a beaucoup de bons met­
français, mais si la technique pure, teurs en scène et peu d’artistes ; Clé­
celle qui vise à l’efficacité, rate son m ent selon moi n'est pas un artisto
but et laisse également de glace le même s'il dispose de m oyens intellec­
spectateur de Los Angelès, celui de tuels, d’une énergie m entale et phy­
Rome et celui de Paris, quelle valeur sique que bien des artistes de l’écran
attribuer à ce titre ? René Clément pourraient lui envier. C'est pourquoi il
monts son film lui-même en le tordant ne nous donnera jamais un vrai mau­
désespérément comme une barre de vais film, jam ais non plus un chef-
fer et l’on s'est extasié sur le courage d’œuvre.
qu'il lui fallut pour n'insérer dans son
montage final que trois minutes de ty­ Le film, qu’en ce troisième dim an­
phon malgré un matériel considérable. che après la Pentecôte, j’opposerai au
Clément, lucide et exigeant, sabre im ­ Barrage contre le Pacifique est celui de
pitoyablement dans son film, aboutis­ Visconti, N u its blanches dont on de.
sant à d’impressionnantes ellipses . a vrait parler avec plus de simplicité
posteriori. parce qu’il est la simplicité même,
avec plus d’art car il est le film d'un
Anthony Perkins est au cinéma. artiste, Pas une défaillance, pas une

54
erreur, c’est un pur joyau. Luchino éléments ont la même valeur dans une
Visconti que j’ai longtemps méconnu, même perfection, reliés seulement par
a su faire de cette œuvre (de circons­ ce fil d'or qu'est l’humour des sérieux.
tance elle aussi), un chef-d’œuvre de Pourquoi parler ici des N uits blan­
circonstances favorables et de fluidité ches ? Parce que Visconti, plutôt que
poétique. Si tous les autres films inter­ Clément, me paraît justifier la com­
prétés par Maria Schell, Jean Marais paraison avec Elia Kazan et soutenir
et Mastroianni étaient mauvais, Maria la concurrence, parce que N uits blan­
Schell, Jean Marais et Mastroianni ches n'est pas seulement le plus intel­
mériteraient le paradis des acteurs ligent des films actuellement visibles
pour avoir donné avec cet abandon, mais aussi le plus beau et que nous
l’une ses yeux, r autre ses rides et le aimons parler dans ces C a h i e r s de la
troisième ses larmes, à cette œuvre gé- beauté des films.
nialem ent contrôlée, dominée, terri­
blem ent exacte et vivante, où tous les François TRUFFAUT.

NOTES SUR D’AUTRES FILMS


verve de Slightly Scarlet. Les f ilm s de guerre
Le co m p le x e d ’in fé rio rité sont presque toujours des films féministes :
les m etteurs en scène, accablés par une
HOLD BACK THE NIGHT (Le B ataillon m atière des plus ingrates, se déchaînent
dans la nuit) , film américain cL’Axlan Dwah. lorsque, en tren te ou quarante plans, le
Scénario ; Jo h n D. Higgins e t W alter Do- découpage se m et à leur sourire.
niger. Images : Ellsworth Fredricks. Inter­ Luc MOULLET.
prétation : John Payne, Mona Freeman,
Audrey Dalton. Production ; Allied Artiste,
1956. Distribution : Les Artistes Associés.
G uerre de Corée. Production Allied Artists,
V acances s a n s v a c a n c e
donc pas de scènes de combat. Dwan alterne
les plans très généraux où l'on ne voit rien, PARIS HOLIDAY (A Paris, to u s les
et les plans très rapprochés, dix fois ironi­ deux), film am éricain en Technirama, et
quem ent répétés à travers le temps et l'es­ Technicolor de Gerd Oswaijj. Scénario :
pace, qui. donnent l’impression d ’une com­ Edm und Beloin et Dean Riesner d’après un
position préméditée : très beaux jeux de sujet de Robert Hope. Images : Roger
noirs, de blancs et de fumées. Hubert. Musique : Joseph L. Lilley. Inter­
prétation : Fernandel, Bob Hope, Anita
La m ajeure p a rt est consacrée aux impé­ Ekberg, M artha Hyer, Preston Sturges, An­
ratifs de combat et aux déplacements de dré Morell, Je an M urât, Maurice Teynac,
Jo h n Payne à l ’intérieur du m ètre carré que Yves Brainville, Alan Gifford. Production :
sa fonction de com mandant lui réserve. Tolda Productions (Robert Hope), 1957. Dis­
T out cela n ’a rien de bien attrayant, mais tribution : Les Artistes Associés.
la m inutie de Dwan, à chaque mouvement, Tout film de Gerd Oswald m ériterait une
à chaque geste, nous attache au film, par longue critique. Si nous nous limitons à une
son inutilité même. L’intérêt que Dwan simple notice, c’est que Paris Holiday est
accorde à son travail étonne le spectateur très probablement son œuvre la moins ache­
et le frappe d'un complexe d'infériorité, vée. Nous eussions préféré qu'Oswald fasse
qu’il cherchera à surm onter tout au long son entrée p ar la grande porte, c ’est-à-dire
de la projection. Peut-être le style doit-il via le Kiss Before Dying que nous atten ­
plus à la tradition qu’à l’auteur. Mais u n dons toujours. Mais Paris Holiday nous a
film de Dwan est d’au tan t plus personnel déjà délivré d’un doute qui nous m inait
qu’il semble l ’être le moins. Hold Back the depuis quelques mois : Gerd Oswald repré­
N ight pourra séduire p ar l’humour bon sente autre chose que le m ythe du cinéaste
en fa n t du scénario (cf. le leitmotiv) e t des inconnu mais génial, qui so rt d’on ne sait
dialogues. Mais ceux-ci ne valent vraiment où et dont on ne pourra jam ais vérifier ni
que p a r le refus de leur exploitation : l ’hu­ l’existence n i le talen t (aujourd'hui, c’esfc
m our réel n a ît d ’un certain contraste entre A rt Napoléon, voire Akos von Ratonzi, de­
le texte des dialogues et le détachement des m ain Paul Wendkos).
acteurs et de l'auteur. L ’on y parle de
choses sérieuses sur le même ton que l ’on La qualité première de Paris Holiday est
parle de la guerre. l ’abondance de ses défauts : Gerd Oswald
est m etteur en scène, et c’est tout. Il se
Signalons pour finir les trois intermèdes moque de ce qui n ’est pas essentiel. Dès les
sentim entaux, où Dwan retrouve toute la premiers plans, l’on s’aperçoit qu’Oswald

55
respecte les données du genre dans lequel il constante, ce ton détaché et moqueur. Les
■œuvre, et c'est le genre le plus éculé, le gags sont repris, retournés dans tous les
plus faux qui puisse être : la comédie inter­ sens possibles, présentés comme sur un pla­
nationale avec transatlantique e t parisia- teau et rehaussés par la monotonie de F ar­
nade, Technïrama' et couleurs impossible- rière-plan. Ils ne sont pas drôles : c’est
m ent criardes. Il suffit de voir Souvenir l’invention qui fait rire et non son résultat.
d’Italie pour adm irer Paris Holiday. Le fond Le véritable film comique n ’a rien d ’un
reste exactement le même : à quoi bon en exercice de style ; il nécessite un ap p o rt
parler ? L’intérêt que l'on accorde à u n personnel que ne saurait lui apporter l’ex­
film postule la soustraction de tous ses trêm e composition des scènes, d’une sim pli­
défauts : il n ’est pas de meilleure objec­ cité hitchcockienne.
tivité. Sachons voir et ne pas voir. Principales directions dans lesquelles
Une centaine de trouvailles justifie notre s ’oriente Oswald : le réalisme au oœur de
attention. Trouvailles d'intellectuel, de fort l ’invraisemblable, du féerique ou de l’oniri­
en thème, d'artiste touche-à-tout. G erd Os- que (cf. les scènes purem ent spectaculaires),
■wald est très conscient des ressources de l’inquiétant à travers le plus superficielle­
son a rt (cf. C a h i e r s , n » 70) et prend son m ent comique (cf. la séquence d u carrou­
bien, où il le trouve : d’où l ’apparente diver­ sel), le jeu incessant du heu rt des langages,
sité de ses films e t de leurs thèmes, des la plaisanterie au second degré, la mise en
séquences à l'intérieur du film. Les rup tu­ boite assez féroce de nos deux cabotins,
res de ton sont fréquentes, -passage du comi­ devenus ici, par delà le mépris am usé du
que au tragique, de la farce à l’ironie. Seule réalisateur, comédiens de génie. — L.M.

FILMS SORTIS A PARIS


DU 23 AVRIL AU 20 MAI 1958
3 FILMS FRANÇAIS

Chéfi, jais-moi peur, film de Jaclt Pinoteau, avec D arry Cowl, Sophie D aum ier. T ild a
T h am a r, Pierre Mondy. — Nous excuserions J. P inoteau de poursuivre la série Darry Cov/l, si
c h aq u e film m arquait un progrès sur le précédent. C ’est m alheureusem ent le contraire qui
se produit.
L e Désir m èn e les hom m es, film de Mick Roussel, avec Magali Noël, P hilip p e L em aire,
Christian Marcmand, G érard Blàin, R ay m o n d Bussières, Noël Roqucvcrt. — L e scénario est
à celui de la F ureur de vivre, ce qu e M agali Noël est ici à Sophia Loren : sa caricature. Mise
en scène de Mick Roussel mieux que consciencieuse. Excellents décors, G érard Blain, em ployé
contre son tem péram ent, parvient c ep en d ant à tirer son épingle du jeu.
L e Désordre et ïa rnrif, film de Gilles G rangier, avec Jean G abin, Danielle D arrieux,
Nadja Tiller, P aul Frankeur, Roger H a n in , Hazel Scott, R obert Manuel, R obert Berri. —- L a
série continue. Dans son film Je plus « a m b ’tieux », G rangier atteint le niveau d u d e rn ie r
Bromberger. D ans les adaptations de Michel A u diard, Sim enon et Jacques R obert se valent.
Un H om m e se penche, sur son f>assê, film de W illy Rozier, avec Jacques Bergerac, B arb ara
Rutting, Pierre D udan. — Le premier film avouable de "Willy Rozier est encore plus fade que
les précédents.
Mon Oncle. — V oir critique de C laude Beylie, dans ce numéro, page 50.
N i uir, n{ connu, film d ’Yves R o b ert, avec Louis d e F un ès, Noëlle A d am , M oustache,
Colette Ricard, Pierre M ondy, Claude R ich. — Poussiéreuse adaptation de « L ’A ffaire Blai­
re au » d ’A lphonse Allais, où l’esthétique d e la Rose R ouge rejoint celle du théâtre de p a tro ­
nage. C e n ’était déjà plus drôle il y a dix ans.
Q uan d sonnera midi, film d ’E d m o n d T . Gréville, avec D any Robin, Georges M archai,
José Lewgoy, Pascale Robert», Marcel Lupovici, Pierre D u d an , R oland Bailly, Jean-Roger
Caussimon. — D ans u n e petite dictature im aginaire d ’A m ériqu e d u Sud, Marchai, arrêté a rb i­
trairem ent^ doit être fusillé le len dem ain à midi. Dans la conviction naïvè que le postulat
suffit à créer le suspense, les scénaristes n ’ont pas pris la peine de chercher des idées inter­
médiaires. Gréville essaie m aladroitem ent de plagier F ern andez!
Sots belle et tais-ioi, film de Marc A llégret, avec Mylène Demongeot, H enri V id al, D arry
Co'wl, Béatrice Altariba, A n n e Colette, R oger H anin, R en é Lefèvre. — Com édie policière
dont les auteurs o n t cru, bien à tort, q u e {'accumulation et la complication des épisodes
compenseraient l ’absence d'invention. E n dirigeant Mylène Dem ongeot selon les m êm es cri­
tères que Brigitte Bardot, Marc A llégret dém en t sa réputation de bon directeur d ’acteurs.

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5 FILMS AMERICAINS
Day o f ihe Bad M an [La Journée d es Dtofenis), film en C inem aScope et en Technicolor
d e H ariy Keller, avec Fred McM urray, Joan W eldon, John Ericson, R ob ert M iddleton. —
W estern de série. Sur un scénario très ban al (nième reprise du thèm e de High Noon), Keller
fait preuve d ’un m étier q u i ne nous su rpren d plus.
T h e Girl m ost LiJçely {U ne fille qui promet), film en R.K .O .S cope et en Technicolor
d e Mitchell Leisen, avec Jane Pow ell, Clift Robertson, Keith A n d es, T o m m y Noonan, —
Plaisant remake, sous form e d e com édie m usicale, du Tom , D ick a nd Harry d e Garson K anin.
E n deux décors et avec une distribution de circonstance Mitchell Leisen nous rappelle son
savoir-faire. U n num éro m usical original, où les danseurs barbottent avec u n e belle conviction.
H old Bach the N ig h t [Bataillon dans la nuit). — Voir note de L uc M oullet dans ce num éro,
page 55.
T h e L o n e R a nger (Le Justicier solitaire), film en W arnercolor de Stuart Heisler avec
Clavton Moore, Jay Silverheels, Lyle Bettger, Bonita Granville. — W estern pou r jeudi après-
miai, d 'a p rès u n e série à succès de la T .V ., avec le vengeur m asq ué et la panoplie d ’indiens
de circonstance. Du brio, mais aucune invention.
Paris H oliday [A Paris tous les detéx). — V oir note de Luc Moullet dans ce num éro,
page 55.

3 FILMS ANGLAIS
Across ihe Bridge (Frontière dangereuse), film de K en A nn ak in , avec Rod Steiger, David
Knight, M arta L andy. — D ’après G raham G renne. U n quatrième hom m e traq ué à la fron­
tière du M exique.
Docior at Large (T ou b ib en liberté), film en VistaVision et en T echnicolor de R alp h
Thom as, avec Dick Bogarde, Muriel Pavlov/, Donald Sinden, Jam es Robertson Justice. —
Les T oubibs se suivent et se ressem blent, si ce n ’est que Brigitte Bardot est rem placée par
Muriel Pavlow.
l'il M et by M oonlight (Intelligence seroice), film en VistaV ision de M ichael Powell et
Emeric Pressburger, avec Dick Bogarde, Marius Goring, David Oxley. — Se passe en Crète,
en 1944. Conté avec toute l'absen ce d e verve dont peut faire preuve le couple PoWell-Press-
burger.

2 FILMS SOVIETIQUES
Gveroite na Chipl^a (Hom m es en guerre), film en Sovcolor de Serge Vassiliev avec I.
Prerverzer, G. Y oum atov, P . Kartovkovsky, À . Karamitev, — Episode d e la guerre des Bul­
gares contre les T urcs. Participe de cette esthétique où la mise en scène se jauge au nom bre de
figurants.
Les Spoutniks, film en Sovcolor de V . Klouchantzev, L, Presniakova et G. Tzvetkov. —
Documentaire sur un sujet d'actualité,

2 FILMS ITALIENS
Le Notti bianche (Nuits blanches). — V oir critique de Philippe D em onsablon dans ce
num éro, p a g e 47.
T h is A n g ry A g e (Barrage contre le Pacifique). — Voir critique de François Truffaut dans
ce numéro, page 52.

1 FILM MEXICAIN
A n d a n y Eüa (A d a m et Eve), film en Eastmancolor d ’Alberto Gout, avec Christiane Martel,
Carlos Baena, — M êm e cadrée m oins serré, Christiane Martel n ’était pas faite po ur ins­
pirer Alberto G out aussi bien que N inon Sevilla.

1 FILM ALLEMAND
L ’^m Ot/r, comm e la fe m m e le désire, film de W . Becker, avec Barbara Rutting, — Un
digne témoin d u renouveau d u ciném a allem and qui concurrence dangereusem ent nos L éonïde
Moguy dans l ’esthétique porte-jarretelles.

I FILM AUTRICHIEN
M ayerling, film en Eastm ancolor d e Rudolf Jugert, avec R udolf Prack, Christian Horbîger-
Wessely, W in n ie M arkus, Lil Dagover. — Contentons-nous de recopier le slogan publicitaire :
« Le dernier am our d u fils de Sissi » !

1 FILM SUEDOIS
Sommarlelç (Jeux d ’été). — V oir critique d e Jacques Rivette dans ce num éro, page 45.

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T ABL E DES MATIÈRES
TOMES X I I I et X IV , du numéro 73 ( ju ille t 1957) au num éro 8 4 .{ju in 1958)

AMENGUAL Barthélémy
Marilyn chérie .................................................................................................................................. ........ 73/19
ANGER K enneth
L ’O lym pe ou le com portem ent des dieux ......................... .................................................... ........76/8
Hollîywood ou !e com portem ent des mortels (II) ......................................................................77/34
Les dieux aux enfers (fin) ............................................................................................................. ........79/27
BARATIER Jacques
L 'av e n tu re d u film arabe ........................................................., — . ................................................. 83/21

BAZIN A n dré f
U n 'western exem plaire (Sept h o m m es à abattre) ............................................................... ........74/45
V e n ise 1957 .................................................. ..................................................................................... ........75/35
Cabiria ou le voyage au bout d u néo-réalisme . ..................................................... ............ ........76/2
Bto-filmographie de Jean R enoir .......................................................................................................78/59
H a u te infidélité [Le r o n t d e la riüière Kwdt) ................. .................................................... ........80/50
E n tretien avec Jacques T ati ......................................................................................................... ........83/2
Les Périls de Perri (Perri) ....................................................................................................................83/50
E ntretien avec Orson W elles ....................................................................................................... ....... 84/1
Cannes 1958 .................................................................................................................................................84/22
BERANCER jean
Les trois m étam orphoses d 'In g m ar Bergman ........................................................................ ........74/19
Cannes 1958 ......................................................................................................................................... ........84/22

BËYLIE Claude
T raité d e bave (Note sur Les Maîtres fous) ............................................................................ ........79/58
Renoir le constructeur ..................... ........................................................................................... ........8 0 / 1
T h éâtro g raph ie et A d d e n d a filmographiques ........................................................................ ....... 81/24
Rétrospective M ax Ophuls ..................................................................................................... ............. 81/13
L a pesanteu r et la grâce (M on Oncle) .............................................................................................84/50
BITSCH Charles
E ntretien avec Vincente Minnelli .........................................................; ..................................... ....... 74/4
Rétrospective Max O p h u l s ................................................................................................... ................... 81/13
Rétrospective M iz o g u c h i............................................................................................................................81/31
L ’ennem i public n° 1 (Note sur L e Bal des Maudits) ..................................................................83/59
E ntretien avec Orson W elles ....................................................................................................... ....... 84/1
Cannes 1958 ................................................................................................................................................ 84/22

BRESSON Robert
Propos ................................................................................................ .................................................... ....... 75/3

BROOKS Richard
E n film ant les K aram azov ................................................................................................................... 83/31

CARSON Fred
U n film de métafiction (F orhidden Pîanet) ......................................................................................73/48
U n film de scénariste (Note sur L ’Ombre) ...................................................................................... 75/60

CHABROL Claude
L a pe au , l'air et le subconscient .................................................. ...................................................83/22

COCTEAU Jean
L es D am es d u Bois de Boulogne (Dialogue 1) ...................................................................... 75/6
L es D am es d u Bois d e Boulogne {Dialogue II) ....................................................... ............ ....... 76/28
Les Dam es du Bois de Boulogne (Dialogue, fin) .................................................................. .......77/23

58
CQLPI Henri
Un roi à Saint-Cloud ........................................................ ............................................................. 75/25

DEMONSABLON Philippe
V erdoux réconcilié {La Vie criminelle d ‘A rch ib a ld de la Crtiz) ....................................
Plus de lumière {La R u e de la honte) ...................................................................................... 77/50
L e second souffle (L ’Esclave libre) .......................................................................................... 60/55
Visconti joue et gagne (Les Nuits blanches) ......................................................................... 84/47

DOMARCH1 jea n
Le luxe suprêm e (L e s Trois fo n t la paire) .............................................................................. 73/42
Hum iliés et offensés {Vioa Villa) .............................................................................................. 73/53
Entretien avec Vincente Minnelli .............................................................................................. 74/4
V en ise |957 ........................................................................................................................................ 75/35
L ’Emigrant ............................................................................................................................................ 77/11
L a Métamorphose (Funny Face) ................................................................................................. oV
U ne comédie modèle (Designing W om an) .............................................................................. >,%
La divine (note sur L a Belle de Moscou) .............................................................................. 80/62

DON IOL-VALCROZE Jacques


Léonide Keigel .................................................................................................................................. e.
Guitry, cinéaste de la dernière heure ...................................................................................... 74/36
U n cinéma de îa naïveté (5 .0 .5 . Noronha) .............................................................................. 74/48
U n e épa:sse parabole {La Loi d u Seigneur) ..................................................................... ... 74/56
U n e robe de tulle bleu ciel {Le A m ic h e ) .............................................................................. 75/53
Le parfum du scandale (Note sur T h e Girl o n the R e d V elvet 5tumg') ....................... 75/59
Eisenstein, vu par Marie Seton .................................................................................................. 76/20
Ouinze ans, o Roméo (La Maison de l’A n g e) ..................................................................... 76/58
P lein de bruit et de fureur [Un h o m m e dans la /o«/e) .................................................... 77/46
D im anche prochain {Toro) ........................................................................................................... 77/55
L a prisonnière Lucia (Note sur Toute la m ém oire du monda) .................................... 77/59
BLo-iilmogiaphie d e Jean Renoir .............................................................................................. 78/59
Tati sur les pattes d e l’oiseau ................... ................ ................................................................. 82/1
T ro p prudent (Note sur L e Dos au mur) .............................................................................. 82/59
L a fiancée du soldat (Note sur K iss th em for me) ............................................................. 82/61
Q u a n d on est orfèvre (Note sur L e s Bijoutiers d u Clair de lune) ............................. . 83/58

DOUCHET Jean
L e vrai coupable '{J’ai le droit de vivre) .................................................................................. *81/53

DUPONT Jacques
U n film est un pari .............................................. ......................................................................... 83/25

EISENSTEIN S.-M .
L ’unité organique et le pathétique dans la composition du Cuirassé P otem kin e .. 82/11

EISNER Lotte H.
V enise 1957 ........................................................................................................................................ 75/35
L ’énigm e des deux Nosferatu ....................................................................................................... 79/22

FELLINI Federico
M on métier .......................................................................................................................................... 84/14

C1VRAY Claude de
Si Jules V ern e m ’était conté (Le T o ur du, m on de en 80 jours) .................................... 73/54
U n e chasse à peine tragique (La dernière chasse) ............................................................. 74/55
L es éternels marris {The Teathouse of the A ugust M oon et T h e Bachelors’ Party) 75/56
L'H itchcock a l'âne (Retour d e manivelle) .............................................. .......................... 76/60
Autocritique (Note sur L e Coup du berger) ......................................................................... 77/60
Bîo-filmographie de Jean Renoir .............................................................................................. 78/59
Je suspense donc je suis (Les Fûnafûjiies) .......................................................................... 79/53
B.B. sans son contexte (Note sur Une Parisienne) ............................................................. 79/55
Blake Edwards le Pirate {Note sur M ister Cory) ................................................................. 79/56
Faire un w estern (Du sang dans le désert) .............................................................................. 81/51
A plat de couture (Note sur T h e G arm ent Jungle) ............................................................. 82/60
L es mille visages d ’A d a m (Note sur M an o f a thousand faces) .................................... 82/60

59
GODARD Jean-Luc
Des preuves suffisantes (Sait-on jamais...) ................... ................................................................. 73/35
L e cinéaste bien-aimé (Le Brigand bien-aim é) ..................................................................... ........74/51
Bio-filmographie de Jean R enoir ............................................................................•................... ....... 78/59
A u-delà des étçiles (Biffer Victofy) .......................................................................................... ........79/44
U n b on devoir (Note sur T h e Killing) , .........................................................................................80/61
Rétrospective Max O phuls ........................................................................................................... ........81/13
U ne bonne copie {Note sur Les Naufragés d e l’autocar) ........................................................81/58
Esotérisme farfelu (Note sur Le T e m p s des œ u fs durs) ................................................ ........82/58
Sym pathique (Note sur Rafles sur la ville) ......................................................................... ........82/59
Saut dans le vide (Montparnasse 19) ...................................................................................... ........83/56
GRENIER Richard
Malaise en terre promise (Les Sensuels) ............................................................................... ....... 81/56
CUYONNET René
Cann&s 1958 ................................................................. ...................................................................... ....... 84/22
HAINE Raymond
Bonjour Monsieur K ubrick .......................................................................................................... ....... 7 3 /1 0
HERMAN jean
Rossellini tourne India 57 ............................................................................................................ ....... 73/1
Renaissance indienne (Aparajito) .............................................................................................. .......79/45

HOVEYDA Fereydoun
La Science-Fiction à 1ère des Spoutniks ............................................................................... .......80/3
U n coup d ’essai de m aître {Prisonnier de la peur) ....................................................................80/53
L a romance d ’u n tricheur (Note sur T é m o in à charge) .................................................. .......81/57

KAST Pierre
T en Y ear Itch ......................................................................................................................................... 7 7 /2
LABARTHE A ndré S.
Le tem ps qui passe (La N u it des forains) ............................................................................. ....... 77/48
LOINOD Etienne
T en d re Japon [La Harpe de Birm anie) ................................................................................. .......73/53
Chéri, je m e sens rétrécir (Note sur U n A m o u r de poche) ........................................... .......79/57
U n e tragédie de l’humiliation (Note sur L e G rand Chantage) ....................................... .......80/60
A iché m enu (Note sur Tam ang o) .............................................................................................. .......80/61

M AMBRINO Jean
T rad u it du silence (Le Sep tièm e sceau) ................................................................................. .......83/43

MARCORELLES Louis
K autner le d a nd y ........................... ............................................... - ............................................... ...... 73/26
L ’amour plus fort que la Révolution (Le Quarante et unièm e) .......................................... 73/40
L a génération de la télévision ........................................................... *....................................... ...... ^4/29
Si p eu que rien (Dieu seuî le sait) ................................................................................................. 74/53
U ne affaire non classée {Elle ef Ltii) ............................................................................................ . 76/56
L ’impossible gageure (Monsieur P a n tfl/a et son ualet Matti) .............................................. 77/52
Bio-filmographie d e Jean R enoir .............................................................................................. ...... 78/59
T o u rs 1957 ......................................................................................................................................... ...... 79/24
Cuisine sans sel (A H atful of ratn) ........................................................................................ ...... 79/51
Rétrospective Max O ph u ls ........................................................................................................... ...... 81/13
Rétrospective Mizoguchi ............................................................... ............................................... ......81/31
U n certain ton (Kanal) ................................................................................................................... ...... 82/54
Terpsichore chez les Soviets (Note sur L es Ballets Bolcho'i) ................................. .............. 82/62
MARS François
Loréléardî est m ort ......................................................................................................................... 75/31
Fausse cruauté (Note sur A b a n d o n Ship) ............................................................................... ...... 75/58
L ’œil gauche et l’œ il droit (Les A ve n tu re s d e Hadji) .................................................... ...... 81/55
M A R TIN A ndré
G uerre sans fraude (Pafrotriffe de choc) ................................................................................ 74/50
B ande annonce .................................................................................................................................. 77/7

60
î x i (Norman M cLaren I) ............................................................................................................. ........ 79/5
i x i (Norman M cLaren II) ................................................................................................................... 80/27
i x i (Norman M cLaren III) .................................................. . ...................................................... ........ 81/41
i x i (Norman McLaren fin) .......................................................................................................... ........ 82/34
Cannes 1958 ........................................................................................................................................ ........ 84/22
Condoléances et surprises d e l ’anim ation .......... ...........................................................................84/36
MASON Jam es
Les infortunes d ’un scénario .................................... ................................................................... ........ 81/21
MOLINARO Edouard
Jouer un jeu .................................................. ........................................... ................................................ 83/27
MOULLET Luc
L ’instinctif et le réfléchi (Men in W a r ) ............................................................................................73/50
Le sial et l’éther (L e s D ix C om m andem ents) ..................................................................... ........ 80/57
P o u r contribuer à u n e film ographie de Kenji Mizoguchi ............................................ ............ 81/37
Rétrospective Mizoguchi ............................................................................................................... ........81/31
Cache-cache (Note sur L a Chronique des pauores. amants) .....................................................81/59
L ’extrêm e sincérité {Som ething o f Vaine) ........................................................................... ........82/57
Le com plexe d ’infériorité (Note sur H o ld B ack the Night) ............................................ ........ 84/55
Vacances sans vacance (Note sur Paris Holiday) ................................................ ............ ........84/55

OPHULS Max
Mon expérience ..........................................................................................................., .................... 81/2
Les infortunes d ’u n scénario .................................... ......................................................................... 81/21
PARM10N Serge
A riane d e sa vieillesse {Loue in the j4/fernoon) ............................................................. . 73/51
PLAZEWSKI Jerxy
L e jeune cinéma polonais : I. Jerzy Kawalerowicz ................................................................... 80/18
Le jeu ne ciném a polonais : II. La période d e Sturm, und D rang alla pollaca . . . . 82/21
RENOIR Jean
Ce bougre de m on d e nou veau .............................................................................................................78/4
Carola ou les cabotins (extrait) .......................................... ............................................................... 79/55

RIVETTE Jacques
En atten d an t les Godons (Saînfe Jeanne) ......................................................................................73/38
La m ain {/nürai'semfc/abfe vérité) ................................................................................................ ........76/48
Nouvel entretien avec Jean R enoir .......................................................................................... ........ 78/11
Bio-filmographie d e Jean R enoir .............................................................................................. ........ 78/59
Q ue V iva Eisenstein ..................................................................................................................... ........ 79/20
Mizoguchi vu d ’ici ....................................................................................................................................81/28
Rétrospective Mizoguchi ....................................................................................................................... 81/31
Sainte Cécile (Bonjou»' Tristesse) — . ...................................................................................... ........ 82/52
Good Bye (Note sur Sayonara) .................................................................................................. ........83/59
L ’âme au ventre ( S o m m a r ^ ......................... ...................................................................................84/45

ROHMER Eric
Universalité du génie [Les -<4manfs crucifiés) ....................................................................... ........73/46
V enise 1957 ........................................................................................................................................
L ’art de la caricature (La Bfonde explosive) ................................................................................76/45
Mélodie désaccordée (Porfe des Lilas) ............................................................................................ 76/51
Bio-filmographie de Jean R enoir ................... ......................................................................... ........ 78/59
Prem ier accessit {Note sur i4scens«iir pour Véchafaud) ........................................................... 80/59
Rétrospective Mizoguchi ............................................................................................................... ........81/31
La Quintessence d u genre (Les Girls) ............................................................................................ 83/46

SÉMOLUÉ Jean
Les personnages de R obert Bresson ..................................... ..........................................................75/10

ViLLIERS François
U n symbolisme discret .........................................................- ...................................................... ........83/29
TRUFFAUT François
Clouzot a u travail ou le règne de la terreur ......................................................................... ........77/18
Parlons-en [ {Note sur D ouze h o m m es en colère) ............................................................... ........77/57

61
U n e parodie de Gervaise (Note sur Pof-Boaille) ............................................................... .......77/58
Nouvel entretien avec Jean R enoir .......................................................................................... .......78/11
Bio-filmographie d e Jean R enoir .............................................................................................. .......78/59 '
Positif, copie zéro ...................................................................................................................................79/60
Rétrospective Max O phuls ........................................................................................................... .......81/13
Rencontre avec R obert A ldrich ..........................................................................................................8 2/4
Entretien avec Jacques T ati ................................................................................................................83/2
Si jeunes et des Japonais (Passion juvénile) .................................................................................83/53
C annes 1958 ........................................................................................................................................ .......84/22
« Si votre T e c h n ira m a g e ... » (Barrage contre le Pacifique) ................................................... 84/52
USTINOV P eter
L a plus petite m ontre d u m ond e ............................................................................................ .......81/10
WEINBERC Herm an G.
Lettre d e N ew York ....................................................................................................................... .......73/55
Lettre d e New York ....................................................................................................................... .......76/36
Lettre d e N ew York ...............................................................................................................................83/35
BIO-FfLMOCRAPH!ES
V incente Minnelli ........................................................................................................................... .......74/15
Robert Bresson ................................................................................................................................. .......75/24
CONSEIL DES DIX
7 3 /34 _ 74/44 — 75/52 — 76/44 — 77/45 — 79/43 — 80/49 — 81/50 - 82/51 —
83/60 — 84/44
COURRIER DES LECTEURS
81/60
LISTE DES FILMS SORTIS DANS LE MOIS
73/58 _ 74/62 — 75/61 — 76/62 — 77/62 — 79/63 — 80/63 — 81/62 — 82/63 —
83/61 — 84/56

LES LIVRES
Jean Mitry ; « Chariot » et la « Fabulation chaplinesque » ................................................73/57
Henri A g el : « E sthétique d u ciném a » .......................................... .............................................74/57
C laude Mauriac : « Petite littérature du cinéma » ....................................................... ............. 74/58
E dgar Morin : œ Les Stars n .............................................................................................................. 74/59
Pierre L eprohon : « Présences contemporaines du ciném a » ........................................ ....... 74/60
PETIT JOURNAL DU O N E M A
7.1/30 — 74/38 — 75/47 — 76/40 — 77/43 — 79/38 — 80/42 — 81/47 — 82/48 —
■ 83/37 — 84/42
PHOTO DU MOIS
T h e Q uiet amefican, par R aym ond Jean ............................................................................ ....... 73/32
F rank Tashlin, p ar Je a n -L u c G o dard ............................................................................................ 74/42
Jirt Trn]%a, p a r A n d ré Martin ....................................................................... .................................... 74/43
Une vie, p a r Charles Bitsch .............................................................................................................. 75/51
S o u th Pacific, nar Jean-Luc G odard ........................................................................................ ....... 76/43
Jet Pilot, p ar François Truffaut ................................................................................................ ........80/47
L e Beau Serge, p ar Charles Bitsch .......................................................................................... ........81/49
L e B el Indifférent, par Eric R ohm er ...................................................................................... ....... 82/50
REVUE DES REVUES
74/61
LES CAHIERS DU CINÉMA
o n t pub lié dans leurs p récéd en ts num éros :

ENTRETIENS
avec Jacq u es B eck er ............................................................. .. N° 32
Je a n R e n o i r ........................................................................ N os 34-35-78
L u is B u n u el .................................................................... N° 36
R oberto R ossellini ....................................................... ...N° 37
Abel Gance .........................................................................N* 43
A lfre d H itch c o ck ................... . . ................................. ...N oa 44-62
J o h n F o rd ........ ..................................................................N° 45
J u le s D assin .......................................................................N os 46-47
Cari D r e y e r ......................................................................... N° 48
H o w ard H aw k s ............................................................. ...N° 56
R o b e rt  ld ric h .................................................................N os 64-82
J o s h u a L o g an ..................................................................... N° 65
A n th o n y M ann ....................... ..................................... ... N* 69
G erd O sw ald ................................................................. ... N° 70
M ax O p h u ls ................................................................... ... N° 72
S ta n ley K u b rîc k ........................................................... ... N° 73
V in cen te M in n elli ................................ ........................... N° 74
R o b e rt B resso n ................... ............................................. N° 75
Jacq u es T a ti ........................................................................N° 83

T ous ces num éros sont encore disponibles à nos b u re au x et peuvent vous être
adressés contre la som m e de 250 francs et de 400 francs pour le n° 78,

63
AU SOMMAIRE
DE NOS PROCHAINS NUMÉROS

André Bazin et Charles Bitsch . . ................... ........... ......Entretien avec Orson Welles (suite)

Charles Bitsch et Jacques Rivette ................................... ......Entretien avec Cene «Kelly.

Jean Cocteau ............................................................................. ......Le testament d’Orphée.

S. M. Eisenstein ........................................................................ ......En tournant Ivan le Terrible.

Matsutaro Kawaguchi ........................................... ....................Mon a m i . Mixoguchi,

Kenji Mizoguchi ..............................................................................Réflexions sur mon métier.

A n dré M a r t i n ..................................... .. ......................................... Portrait de Buster Keaton.

John Schm itï ............................................................................. ......Rencontre avec Buster Keaton.

François Truffaut ........................ ............................................. ......La fièvre de Jean Vigo.

King V j d o r ....................................................................... ................ Un arbre est un arbre.

NOS RE L I UR E S
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Nous rappelons que notre système de reliure est souple, résistant, d'un
maniement facile et que nous le proposons à nos lecteurs au même tarif
Q u e l ’a n c i e n m o d è l e .

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64
MARIO, le coiffeur d e . . . TOUTES LES M I M I PINSON

On reconnaît ci-dessus les principaux lôles féminins


de MIMI PINSON, le film que vient de terrain er
Robert Darène

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C A H I E R S DU C I N E M A Revue mensuelle du cinéma


Rédacteurs en Chef : A. BAZIN, J. DONIOL-VALCROZE e t ERIC ROHMER

Tous droits réservés


Copyright by « Les Editions de l'Etoile »
146, Champs-Elysées - PARIS (8e)
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Prix du numéro : 2 5 0 Frs (Etranger : 3 0 0 Frs}


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Etranger ................................... 1.800 Frs Etranger ................................... 3 . 6 0 0 Frs
T arif s spécieux pour étudiants et ciné-clubs

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146, Champs-Elysées, PARIS-8' (ELY. 05-38).
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Les articles n ’engagent que leurs auteurs. Les m anuscrits ne sont pas rendus.

Le G é r a n t : J a c q u e s D o n io l-V alcro z e
I m p r im e r ie C e n tr a le d u G r a is s a n t, P a ris . — D é p ô t lé s a i : 2* t r im . 1958
ARTS «

L’hebdomadaire
littéraire et artistiq u e
«gui a c c o r d e l a plus
grande place au cinéma

CA H IE RS DU CINEMA, P R I X DU NU M ER O : 250 FRANCS

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