Cahiers: #48 - Revue Du Cinéma Et Du Télécinéma - #48
Cahiers: #48 - Revue Du Cinéma Et Du Télécinéma - #48
Cahiers: #48 - Revue Du Cinéma Et Du Télécinéma - #48
N ° 48 • R E V U E D U C IN É M A E T D U T É L É C I N É M A • N ° 48
Cahiers du Cinéma
NOTRE, COUVERTURE
SOMMAI RE
Dans l ’ancienne a Revue du cinéma », des années 1928-30, de notre regretté ami
Jean George Auriol, il y eut un bel article nous parlant de « la magie blanche » des
films scandinaves en opposition à « la magie noire » des films possédés des Alle
mands. E t il semble avoir ce côté quansi-transcendental, voué au pur mysticisme, dans
ce Copenhague aux contours bien découpés où le sobre brique rouge se mêle au doux
vert cuivré des toits et des tours devant un ciel limpide nordique qui en fait sortir
les lignes saillantes. Curieux exemple de cet équilibre de l ’au-delà et du bourgeois
qui y voisinent : Benjamin Christensen qui créa la fascinante et ambivalente Sorcel
lerie à 7 'ravers les âges est propriétaire d ’un gentil cinéma des faubourgs et Cartl
Theordor Dreyer, créateur de l ’envoûtant et ténébreux Vampire possède au sein même
de la ville l ’un des cinémas les plus élégants, ^e « D agmar Teatret », car au D ane
mark les cinéastes de mérite reçoivent de l }E ta t en remerciement la concession d ’un
cinéma, comme en France, pays de la régie, les vieux militaires, les fonctionnaires à
la retraite ou leurs veuves reçoivent des bureaux de tabac.
Ainsi je vais au « Dagmar Teatret d pour voir dans son bureau qui ne sei dis
tingue guère de tous ces bureaux à la fois sobres et cossus d ’hommes d ’affaires, le
grand metteur en scène de La Passion de Jeanne d 1Arc que nous aimons tant. Depuis
le 10 janvier on joue au « Dagmar Teatret », le now eau film de Dreyer, Ordet (La
Parole) ; toutes les critiques en ont été enthousiastes, et le public afflue. Dreyer a
pu réaliser en 1 9 5 4 le film dont il rêvait depuis longtem ps; car Dreyer n ’étant pas
obligé de vivre, comme beaucoup de cinéastes, du produit de ses réalisations, ne
tourne de films que quand un sujet le tente. Il n ’a tourné d ’ailleurs depuis 1920 que
douze films en tout, et entre son avant-dernier film important Jour de colère, tourné
en 1 9 4 3 , et son nouveau film, il y a plus de dix ans d ’attente. Comme Gustav Molan-
der en Suède, vers 1 9 4 3 , il a tiré Ordet de la pièce célèbre dans tous les pays S c a n
dinaves de K aj Munk, poète fervent, jadis pasteur dans une paroisse de Jutland,
patriote intrepide que les Nazis ont abattu en 1 9 4 4 . « Ordet », la pièce, fut jouée
la première fois en 1932 et Dreyer me raconta son émotion devant ce drame de la
foi : dans un pays où le témoignage de Dieu n ’est pas le seul privilège du sacerdoce,
Munk nous montre un vieux fermier riche qui pendant sa longue vie a fait preuve
1
d ’une croyance chrétienne évaluant d;ms
la joie, doctrine radieuse qu'il oppose au
fanatisme religieux d ’un tailleur qui a
rassemblé autour de lui des zélateurs
aussi ténébreux que lui. Mais le vieux
fermier, touché par la grâce d ’un ciel qui
permet le bonheur sur terre, devient une
sorte de Job : un de ses fils, « celui qui
ne croyait p as.» perd Inger, sa femme,
en couches ; celui qui croit trop fièvreuse
ment devient fou, se pend pour Jésus-
Christ, et le troisième, être jeune encore
malaxable, se sent attiré par la fille du
tailleur fanatique. Drame de la foi où la
croyance intense qui ne se marchande pas
sort victorieuse : le fou Johannes (i), re
devenu sain, reproche aux affligés, de
vant le cercueil d ’Inger, leur manque de
foi et prononce la parole du Christ
« Femme ressuscite ». Inger rouvre les
yeux et se lève de son cercueil.
Discrétion de Dreyer : nous ne voyons
d ’abord ce miracle de la résurrection que
grâce au visage plein de tâches de rous
seur d ’une petite fille confiante : cette
frimousse anxieuse, intense, comme cris
pée, se détend, s ’irradie lentement, bou
Ordet de Cari Dreyer.
che et yeux sourient avec bonheur. D is
crétion de Dreyer : il nous a montré sur
le visage du médecin un léger signe de doute, de surprise à la vue de la morte
dont les traits sont inaltérés. Catalepsie qui s’efface ou résurrection miraculeuse ?
Dreyer dont l ’esprit religieux ne fait aucun doute, laisse le choix de l ’explication à
J'esprit plus ou moins récalcitrant de chaque spectateur, et sauve ainsi cette scène du
chromo et du conformisme.
Parlons de cette scène-clef qui a tout du Dreyer que nous aimons : dans la
grande salle aux cierges allumés et dont la lueur se mélange à des effluves presque
aussi brumeuses que l ’atmosphère énigmatique dans laquelle évolue Le Vam pire ,
dans cette salle vaste aux multiples rideaux se détache, noir et blanc, auprès des
endeuillés en habits noirs sur leurs chaises noires. Gammes du blanc, gris et noir
dans toute la variété qu ’aime le Dreyer du Jour de colère, sa palette s’épanouit vers
des nuances infiniment subtiles. Pendant un temps très long, lourd comme l ’éternité,
Dreyer nous montre le haut du cercueil, le visage du cadavre, de telle façon q u ’il nous
présente le dessous du menton et le cou légèrement gonflé ; et nous pensons au plan
de la tête de David Grey dans son cercueil à vitre, pris en contreplongée.
J ’affirme à Dreyer que pour la première fois (si l ’on excepte la fugue d ’orgue
retentissante du triptyque du Napoléon de Gance), j ’ai senti l’extrême nécessité,
l ’intense efficacité de l’écran large. Car Ordet a été conçu primordialement, esthéti
quement pour l ’écran large ; rien n ’y est truqué, la vaste composition, le rythme épi
que, solennel, de l ’action, le lent mouvement de la caméra, ce mélange savant 'de
plans moyens et éloignés que Dreyer aime nommer « des gros plans glissants », les
(1) Le fou Johannes est joué par Preben Lersdorff Rye qui, onze années auparavant, avait
incarné le jeune fils amoureux de sa belle-mère dans Jour de co?ère. Inger, la jeune femme
enceinte, a été jouée par une jeune actrice, Brigitte Federspiel, qui attendait réellement un
bébé. Pour les scènes de l'accouchement, elle a insisté pour que Dreyer fasse enregistrer ses
propres gémissements à la clinique. Autre aspect néoréaliste : des paysans et fermiers de
Veders ont joué de petits rôles.
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figures qui se figent parfois telles des statues dans toute leur plastique ou semblent
à d ’autres moments, perdre de leur volume et se transformer en gravures sur bois,
telles les rêves de Masereel, exigent un immense espace. Jusqu’à aujourd’hui nous
admettions l ’écran large surtout pour les extérieurs : ici même dans une vaste salle
de ferme aux lourds meubles jutlandais, épars, la largeur de l ’écran devient un
impératif catégorique : il la faut pour remplir cette ambiance paysanne où l ’épique,
l'héroïque émanent de cette tension a psychologique » qui se développe lentement et
où les relations humaines obscures, confuses, qui vont d ’un personnage à i'autre, la
retenue des âmes en mal d ’expression et dont chaque figure semble enveloppée, ont
besoin de ce grand espace qui a quelque chose d ’infini. E t si dans un de ces inté
rieurs l ’une des personnes va vers une autre ou sort lourdement de la pièce, il faut
cette longue attente d ’un passage qui cache en lui beaucoup plus de a suspense » que
bien des « thrillers ».
Que Dreyer ait trouvé pour ses extérieurs, tournés d ’ailleurs comme il le précise,
dans la paroisse même de Kaj Munk, à Veders, pour ces dunes étendues où frémit le
vent qui brosse les longues tiges d ’herbe, une impression de largesse expressive, qui
s ’en étonnera ? Inoubliable aspect : violemment, comme un coup, mais terriblement
lentement quand même passe sur toute la largeur de l ’écran, devant une mer secouée
d ’épis trop hauts, au-dessous d ’un ciel balayé de nuages blancs, le corbillard avec
ses chevaux, tout noir, bas, comme allongé, encore vide, et son cocher étrangement
bossu sous sa houppelande drapée, au visage invisible, ressemble comme un frère au
cocher de la calèche fantôme qui zigzague dans Nosferatu, cet autre vampire. Moment
décisif où cette image sur écran large nous coupe le souffle.
Dreyer me parle de ces effets, de la composition savante de ses plans où il a
désiré atteindre une perfection telle que sa vision imprègne tout entière l ’âme de ses
3
spectateurs. S ’il avait choisi pour Vampire une maison, une grange véritables, déla
brées à souhait, cette fois-ci au contraire il n 'a voulu tourner que les extérieurs dans
une ferme jutlandaise authentique.
— De cette ferme je n ’ai fait venir que des meubles, puis mon décorateur habi
tuely E rik Aaaes gui f u t également celui de Calvaleanti, a feuilleté avec moi des
vieilles revues d 'il y a trente ans, époque où se situe le sujet. J 'y ai trouvé des illus
trations des vieilles demeures du Jutland d ’autrefois.
Aussi loin va le désir d'authenticité de Dreyer qu'il n ’a pas voulu tourner dans
des intérieurs d'aujourd'hui, même modifiés. Ensuite il a procédé comme pour Jour
de colère : il a fait installer les meubles jutlandais exactement où il fallait, avec son
goût sur de la composition ornementale (dans le bons sens du mot, il ne s'agit pas d ’un
décoratif stylisé.
— Je veux que totit s'adapte dans la composition d'une image, que tout soit à sa
place. J ’aime un blanc intense qui est apte à faire ressortir certains demi-tons.
■ Voilà un de ses secrets. Les problèmes de la couleur le hantent d’ailleurs depuis
longtemps.
— ■ J 'a i toujours , de-puis des années , voulu tourner un film sur le Christ en P ales-
Une. D'abord j'ai rêvé de le faire en noir et blanc , c'est-à-dire ce que j'entends -par
ce 'procédé : avec toutes les nuaticcs de gris possibles à la maniéré de la gravure sur
bois, large , à grands traits. Aujourd'hui je pense à utiliser la couleur.
Dreyer me tend la traduction anglaise d ’un article sur la couleur où il a fixé sa
théorie.
—- I l ne fa u t utiliser les couleurs d'une maniéré soi-disant « naturaliste v. La
nature a d ’ailleurs trop de variétés infinies , tous ces demi-tons que l'œ il intercepte
malgré lui et sans trop s'en apercevoir ne sont jamais rendus dans ces film s aux cou
leurs « naturalistes ». Qui, sauf les Japonais , a pensé aux effets émotionnels de la
couleur , qui à ce que j ’appellerai les constellations de couleur, le rythme de la cou
leur ? I l fa u t aussi comprendre que le mouvement joue son rôle : dans des plans
glissants les couleurs vont se mélanger. H fa u t savoir monter un film en coideur d'une
manière nouvelle pour ne pas en déranger Vharmonie.
De nouveau on sent le Dreyer, grand compositeur des effets picturaux de La
Passiffn de Jeanne d'Arc, où le gros plan est conçu dans un dynamisme égalé seule
ment par Murnau. Dans Ordet, comme dans Jour de col'ere, Dreyer vise à une com
position quasi statique, même dans le mouvement, ce qui intensifie efficacement
l ’atmosphère. (Je repensais à son sens inné de l ’architectural, quelques jours plus
tard à Elseneur dans le château de ICronberg que n ’a jamais hanté le fantôme de
Hamlet. Ici, dans ces vastes salles longues, aux proportions parfaites, où toute la
beauté consiste dans la régularité^ harmonieuse de la rangée des arches latérales où
s’intercalent les larges fenêtres, et où le blanc uni des parois correspond à la perfec
tion de la lignée des poutres sombres qui seules en ornementent la largeur et en accen
tuent la pure clarté, je pense aux exigences de l ’harmonie du clair et sombre comme
les formuîe Dreyer.
—* S i je tourne mon Christ en Israël, j'utiliser ai très peu de couleurs ; il ne fa u t
jamais oublier que le blanc et le noir doivent être les couletirs prépondérantes dans un
film en couleur. Grâce à quelques couleurs le blanc semblera plus blanc et le noir plus
noir. C'est pourquoi je ferai ce film en couleurs à la maniéré des gravures sur bois.
Je ne veux pas le faire, et le sujet comportera toujours ce danger, en a Oeldruckma-
nier « (Ici Dreyer utilise le mot allemand pour le genre « chromo ».
J ’essaie de parler à Dreyer de la composition de son Quatrième Alliance de la
Dame Marguerite (1921) qui me semble contenir déjà toute cette perfection d'h arm o
nie entre personnages, meubles, parois lisses, où tout s’équilibre, est a à sa place d.
Dreyer ne veut rien savoir de ces films anciens, ni de l ’humour de cette œuvre, ni de
celle du Maître du Logis (1925), cela ne lui dit plus rien. Il n ’y a q u’un seul de ses
films avant La Passion de Jeanne d '1Arc qu ’il aurait voulu revoir : c ’est Michael,
*4
Ordet de C ari Dreyer.
tourné en 1924 en Allemagne d’après le roman d ’un auteur d ’une nostalgie étrange,
Hermann Bang. qui m 'a toujours semblé porter en lui la tristesse d ’un Stiller ou
d ’un Murnau.
— Michael était un véritable Kammerspielfilm, je voudrais savoir s’il est perdu
à jamais ?
Dreyer m ’interroge sur mon impression de la version sonorisée de La Passion de
Jeanne d ’Arc.
— Je savais que mon rythme serait détruit, ce n- est pas le rythme de la musi
que d 'un Bach, d'un Beethoven. (2). Cela m ’effraye que le texte véritable du procès
ne serve plus de « pause rythmique », car dans le film muet les titres étaient plu’A
qu’une explication, ils étaient encastrés organiquement, tels des pilastres dans un bâti
ment. J'aimerais qu'une copie muette, tel que ce film fu t conçu, soit gardée dans son
intégrité a la Cinémathèque françase, une copie sans coupure.
Mais Dreyer aime aussi aller de l ’avant.
— Je voudrais faire des essais en Cinémascope. Z>’ailleurs qui nous dit que ce
procédé exige la couleur 1 N e serait-il pas aussi bien pour un film ~?toir et blanc ?
Il s ’agit évidemment du noir et blanc à la manière de Dreyer.
L O T T E H . E IS N E R .
(2) Dreyer sait ce q u ’il dit : pour Orde£, il n’a pu faire composer la musique par le
compositeur qui avait si parfaitement su accompagner les images de Jour de colère, car Paul
Schierbeck était mort entre temps. Mais Dreyer a trouvé dans les papiers laissés par Schierbeck
des morceaux d ’une partition qui lui a semblé adéquate à l’atmosphère à'Ordeb et il les a
utilisés.
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DU FESTIVAL CONSIDÉRÉ COMME UN ORDRE
p a r André Bazin
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La fraternisation C habrol-K yron fut le g ra n d scandale du festival (en h a u t à gauche) ;
Domol-Valcroze et R icher av a ie n t pris le parti d’en rire (en h a u t à droite) ; q u an t à
Youtkevitch, Litvack, Lydie D.-V. et Dignim ont, ils a v aien t d ’au tres sujets de distraction.
costume foncé posai des problèmes. Je les ai eus céder les uns après les autres. Il y a eti
Vannée de V emprunt, celle du smoking du copain trop étroit et aux revers démodés, puis
finalement Ventrée dans VOrdre. A ujourd'hui non seulement toute la presse a adopté Vuni
forme mais il lui paraît tout naturel. Quant à moi je Vauoue sans fausse honte, le smoking
m’aüanfage, surfouf le b farte / Quoique le nœud de cravate me pose foujoars des problèmes.
9
M ais Vhabit seul ne fait pas le moine, la cléricature nous est conférée par la machine
électronique dispensatrice des cartes inimitables permettant de franchir la clôture. Une fois
7
dans les lieux saints cependant, une autre hiérarchie se manifeste ou, si Ton préfère, une
différenciation fonctionnelle. L es journalistes ont leurs stalles réservées à Vorchestre entre
le sixième et le dixième rang. Les laisserait-on libres, qu'ils s’y dirigeraient en connaisseurs.
Us méprisent le balcon trop éloigné de Vécran et tout juste bon pour les jurés et les oedcites.
C ’est pourtant vers le balcon que conüergent tous les regards. En oain du reste car l’archi
tecture du Palais de Cannes est un défi aux mœurs festivaliennes. Celles-ci veulent que le
spectacle soit d ’abord dans la salle et même dès son accès. Ceux du Palais cannois sont
ridiculement exigus et font de l’entrée et de la sortie une incroyable bousculade. L es années
de mauvais temps, le piétinement sous la pluie des invités qui ne peuoent entrer assez vite!
est le tombeau des robes du soir. Venise l’a bien compris qui a fait construire un immense
oüant-palais où Von a tout le loisir de se regarder. A Cannes au contraire on a négligé un
Vaste terrain vague pour coller le Palais à la Croisette de façon à rendre son absurdité irré
médiable. Quant à l ’intérieur il faut lui accorder une harmonie certaine des /ormes et des
couleurs, mais la position du balcon par rapport à l’orchestre prive les spectateurs payants
du principal plaisir qu’ils viennent y chercher. Ce qui ne laisse pas de donner aux journa
listes un sentiment supplémentaire de supériorité. E ux, les blasés, qui ne jettent q u u n coup
d 'œ il distrait à Lollobrigîda quand ils ont la faveur bénigne de la voir comme je vous voist
savourent le sérieux qui les fait différents de ces pauvres publicains prêts à tout pour
apercevoir leur idole. Pour nous qui savons que la religion a besoin de ces pompes specta
culaires, de cette liturgie dorée, nous savons aussi où est le vrai D ieu et si ces manifestations
nous suggèrent plus de pitié condescendante ou amusée que de révolte purificatrice, c ’est
que nous savons que tout en définitive tourne à sa p/os grande gloire.
Vers minuit et demi, on se retrouve sur la Croisette où J e petits groupes se constituent
bientôt dans les bars d ’alentour pour discuter devant un citron pressé des film s de la journée.
Une heure après on va se coucher. A 9 heures on frappe, c’est le petit déjeuner et le rituel
du nouveau jour.
A u programme que je viens de décrire s’ajoutent les fêtes. Il en est d ’ordinaire trois ou
quatre notables dont deux importantes. L e voyage aux Ilest avec la soupe, à la rouille,
et l’épisode traditionnel du streap-tease de la starlett de Vannée sur les rochers et l e souper
de clôture. L e s accessoires étant les réceptions Unifrance, Umtalia et parfois la Mexicaine
ou VEspagnole. Chacune de ces réceptions-soupers donne lieu à de petits drames kalfkaïens
car une partie de la colonie journalistique se voit mystérieusement oubliée. L es élus feignent
la compassion indignée et pestent aoec les victimes contre la mauvaise organisation qui ne
peut qu’être responsable d’une aussi maladroite l a c u n e , secrètement fiers au fond d ’être pour
cette fois de ceux qu on ne néglige pas, L e comble du genre fu t atteint la première année
aoec la mémorable réception soviétique dont les invitations avaient vraisemblablement été
tirées dans un chapeau. L e Figaro en était mais S ad oui n en était pas. Je laisse à penser
à quelle exégèse politico-diplomatique on occupa Vaprès-midi.
D u point de vue liturgique, la plus importante de ces fêtes est pourtant la balai lie de
fleurs qui se situe à la moitié du Festival, quoiqu’elle constitue, surtout pour les critiques,
un après-midi de détente qui leur permef de fuir le Festival. C ’est q u e lle marque en fait
un changement sensible du rituel quotidien. Jusqu’alors le rythme des séances et des festi
vités est resté relativement calme. Il se précipite brusquement à la mi-temps. L es présen
tations privées commencent généralement à ce moment-là et la plupart de ceux qui n ’ont que
cinq ou huit jours à consacrer au Festival viennent dans la seconde partie, la sachant la
plus animée. D ès lors Vépreuve est constante et quotidienne et c’est alors et surtout que le
journaliste mène une vie monastique.
Quinze ou dix-huit jours de ce régime suffisent, je Vassure, à dépayser un critique
parisien. Quand il réintègre son logement et reprend son travail habituel il lui semble bien,
je Vassure, retenir de loin et avoir vécu longtemps dans un univers d ’ordre, de rigueur, et
d ’obligation qui évoque bien davantage le souvenir d ’une retraite à la fois brillante et
studieuse dont le cinéma constituait Vunité spirituelle que d ’avoir été l ’heureux élu de
Vimmense partouze dont il retrouvera avec ahurissement Vécho dans Ciném onde ou dans
M atch. A n d r é B azin .
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EPHEMERIDE CANNOIS
L und i 25 Avril
9
M a r d i 26 A v r i l l’air- La bande à Kyrou se compose de lui-
même (grec), des duettistes persans Gaffari-
A l'heure de l’apéritif, conférence de presse Hoveyda et d ’une charmante vamp suédoise,
de Vittorio de Sica. Présenté avec éloquence Astrid. A cette joyeuse tablée viendront se
par Denis Marion, l’illustre interprète dé joindre au fil du Festival : Bataille (Radio-
Madame de présente à son tour une magnifi Alger) et ses deux compères puis Martin, Bar-
que jument émeraude à crinière rousse : bin et Boschet (Les Journées du Cinéma),
Sophia Loren, puis commente L ’Or de /Va- deux a psychologues », Marin et Brahm (dont
pies. Il s’est rendu compte de la froideur le beau-frère s’appelle Chopin (sic), un nor
avec laquelle son film a été accueilli hier malien de L ’E x p r e s s et Guyonnet de L ’In
soir, et tente de convaincre l’assemblée que f o r m a t i o n . Passages épisodiques de Jean -
L 'O r de Naptes comme Umberto D. a besoin Pierre Chartier, Janick Arbo.s, Pierre Kaat...
d’être médité pour être apprécié. plus évidemment quelques numéros paranoïa
ques de Joachim Jon Robin devenu photo
A 15 h. projection d ’l/n dimanche matin, graphe pour la circonstance.
moyen métrage polonais se déroulant en au
tobus à Varsovie. Les couleurs et le com
mentaire d ’H. Magnan sont très jolis. M ercredi 27 Avril
Voici ensuite Les A m ants Crucifiés, de
M'izoguchi, d ’après une pièce du célèbre Chi- Journée calme. A 15 h. Stefla, film grec
kamatsu. Bien que dépourvue des prestiges de M. Cacoyannis déjà remarqué l’année der
de la couleur, cette très belle histoire d ’amour nière pour son Réueii du dimanche. Son nou
puni ne laisse pas d ’être fort impressionnante. veau film est loin d ’être indifférent. C’est un
Si l’exotisme a encore son mot à dire, c ’est mélodrame mais subtilement fait et non dé
plutôt comme difficulté supplémentaire bril pourvu d 'u n agréable érotisme. L'héroïne Me-
lamment surmontée que par un pittoresque lina Mercouri, qui fut souvent l’interprète
facile. A u bout de dix minutes, l'adhésion est d’Achard, est belle et passionnée- L ’épisode
totale, le temps et l ’espace abolis, et de sé final assez délirant est excellent. Dommage
quence en séquence, un nouveau tour d ’écrou qu'il soit trop long.
emprisonne davantage l’émotion. Mizoguchï A 21 h. L es Têfes de Chien (Tchécoslova
paraît décidément une personnalité de tout
premier plan, au style paradoxalement sobre quie), récit ingrat d ’une révolte paysanne au
XVtl®, Couleurs, réalisation et interprétation
et plein de lyrisme. L ’accompagnement musi
cal, presque tout en percussions, est d ’une fort honnêtes.
hardiesse et d ’une efficacité peu communes.
Mais c’est là le contraire d ’un film de festival Jeudi 28 Avril
{Mizonruchi non plus n’est pas un auteur pour
festivals), et l’accueü d ’une salle à moitié
vide ne manque pas de réserve. Chabrol, A 10 h. séance du Club Cendrillon (Soni-
puceau en festivals, ayant dem andé pour- ka Bo).
auoi les rangs de la presse étaient presque
déserts, se fait accueillir par le ricanement Vers midi départ pour le traditionnel dé
ironique d ’un vieux festivalier. jeuner aux Iles de Lerens. Habituelles dan
ses folkloriques. Déjà un honnête contingent
En soirée, il y a beaucoup de monde, si de vedettes et de personnalités : Clouzot et
les robes sont déjà un peu plus courtes Vera venus en voisins, Brigitte Bardot ravis
qu’hier. Après deux courts métrages : Sur sante, Barbara Rutting, Margrit Saad, Eddie
les pointes (Hollandais — fa’.ble) et /mages Constantine... etc- Bazin et Doniol-Valcroze
Préhistoriques (Français — intéressant), an rencontrent pour la première fois Dassin qui
voit Un homme est passé, de John Sturges, les embrasse comme du bon pain.
western moderne en CinémaScope, interprété
par Spencer Tracy. Le génériaue, très bril A 15 h. 45, La Colline 24 ne répond plus,
lant, se fait applaudir, mais la suite est, film israélien réalisé par l’Anglais Thorold
hélas f aussi ennuyeuse qu’un film de Zinne- Dickinson. C ’est une œuvre de grande q u a
man. 11 s’agit d ’une allégorie politique aux lité qui conte quelques épisodes de la guerre
symboles très (trop) astucieux, assez coura israélo-arabe avec sobriété et rigueur. U est
geux puisqu'elle s’attaque violemment au émouvant d ’y sentir battre le cœur d ’une jeu
maccarthysme, mais dont l’affabulation est ne et courageuse nation. C’est le souffle d ’aîr
décourageante de déjà vu et de fadeur. Et le plus pur qui passera sur le festival. De
les éléments de cette allégorie sont tellement plus le film révèle une belle et insolite actri
subtils (les_ auteurs sont courageux, mais pru ce, Haya Hararit. qui va faire la conquête de
dents) q u ’ils passent en définitive par-dessus tous par la gentillesse et la fière discrétion de
la tête d’une bonne moitié des spectateurs. son comportement.
Bref, Un homme? est passé entre dans la ca En soirée après L'histoire de la lumière
tégorie particulièrement irritante des mauvais (court métrage hollandais qui serait excellent
films dont il est nécessaire de parler longue s’il ne rappelait trop un certain Story of
ment, Il en sera de nouveau question à sa Time), on voit Les Héros de Chîpka, film
sortie. bulgare réalisé par le Russe Serge Wasiliev
Après minuit chez <c Magali », la bande (qui fit jadis Tchapated). Grande fresque his
à Kyrou et le gang des CAHIERS font table torique, très belle de couleur. Les batailles
commune. Il y a de [a fraternisation dans sont admirables-
10
La Colline 24 ne répond f>lust de T hôrold Dickinson.
n
des quiproquos, des déguisements, des enas- suite un morceau éblouissant : Le duel et la
sés-croisés, et dont chaque plan contient un mort de Mercutio-
motif d'admiration ; c'est un mélange de
Marivaux et d ’excellent scénario pour Danny Lundi 2 Mai
Kaye, interprété avec une fraîcheur et une
libellé délicieuses. Pour \e3 amateurs de tech Les jurés sont invités à déjeuner par le
nique : quelques raccords de mouvements maire de Cannes au <t Drap d ’Or ». Litvack
comme Kazan ne sait pas les faire, des plans et Youtkevitch parlent en russe des problè
impossibles sur charrette en marche, dans des mes de l’écran large ; D^gnîmont s’extasie
arbres et autres facétieux endroits, couron sur les capacités respiratoires des plongeurs
nés par un travelling de cent mètres, à flanc q u ’on a vus la veille au soir dans Les Trésors
de coteau, avec panoramique de 360° ; tout de la Mer Rouget : « La jeune femme, dit-il,
cela rigoureusement invisible et étonnamment reste dix minutes sous l’eau sans appareil »•
efficace. Certains, paraît-il, ont trouvé Liiiom- O n a beau lui expliquer q u ’au montage on
fi lourd : c’est juger à la légère. En sortant, pour donner l’illusion que... etc., il ne veut
Georges Sadoul, à qui rien de ce qui est dé pas en démordre. Cet entêtement amuse b e au
mocratiquement populaire 1 n ’est étranger, coup J. A. Bardem, qui en rira jusqu’à la
explique que ce Monsieur Makk sort de 1T.D> fin du Festival, mais pour qui connaît le
H.E.C. hongrois et que Lïliomfi est son pre genre d ’humour à froid de « Dig » il n ’es|
mier film. Place aux jeunes ! pas sûr que ce ne soit pas lui qui se fiche
En soirée d’abord Les Trésors de la Mer de nous et s’amuse de notre crédulité.
Rouge. Le cas de ce film n’est pas banal. Il L ’Allemagne d e l’Est présente de bon m atin
devait être présenté à ia Commission de (10 heures — c'est tôt pour qui se couche à
sélection à Paris comme long métrage fran l’aube) et hors festival, un film en couîeurs
çais (ce qu’il est) puis, au dernier moment, Le Moulin du Diable, dont les solides q u a
s’éclipsa. II nous revient aujourd’hui, amputé lités lui permettaient à coup sûr d ’entrer en
d’une bobine, comme court-métrage israélien- compétition. C’est une truculente et pittores-
Comprenne crai voudra. C’est "une réalisation aue légende moyennageuse, très germanique
honnête et le Cinépanoramic est bien em d ’inspiration et très soigneusement réalisée.
ployé... dans les vues sous-mannes on triche Un bon film..
tout de même un peu en nous montrant des Gratiné, par contre, est La flamme, le film
vues uniformément claires, en nous disant norvégien- C ’est l'histoire d ’un gros monsieur
qu’elles ont été prises à de très grandes pro qui, « par manque de chaleur huipaTne »,
fondeurs ; si c’était le cas on verrait juste troque « la bouteille pour les allumettes » et
ce qui est dans le pinceau des projecteurs et devient pyromane, tout en exerçant l'h o n o
l’obscurité autour (cf. les * Cousteau »), rable profession de journaliste. II chipe les
Puis c’est Roméo ef Juliette (U.R.S-S.) Il allumettes de son rédacteur en chef (le cas
faut dire q u ’après l'écran large les images est fréquent aux CAHIERS) et s’enflamme pour
paraissent petites. Pourtant les décors du U ne psychanalyste à qui il apporte tous les
début sont très beaux... Ce sont d ’ailleurs matins une demi bouteille de lait pasteurisé
bien les seuls car ce qui choque dans ce eh gage d’amour. Ce dangereux m aniaaue est
« film dansé » original et attachant c’est interprété paT un quadragénaire dont l a pu
l’esthétique très discutable des costumes et blicité affirme non sans queloue humour q u ’il
des décors. On pourrait se plaindre de ce bat sur leur propre terrain Charles Lauejhton
que Mme Oulanova — remarquable danseuse, et Harry Baur réunis. Cet homme laid no-
— îve soit plus tout à fait assez jeune pour vé<?ien s’appelle Claes GilL
le rôle (a--.quinze ans, oh Roméo I Vâge de Fort heureusement, la soirée s’achève par
Juliette /»)... mais Kirsgsten Flagstad était Un bon film Louis II de Bavière, d'H elm u n t
bien une Yseult inoubliable, la cinquantaine Kautner. La prodigieuse histoire du roi ro
passée... Notre ami Michaut reparlera de ce mantique est contée dans un style certes un
film en balletomane averti. Signalons tout de peu sage, maïs au moins infiniment gracieux.
12
Bien sûr, on pense à ce que Welles eût fait — l'intimité, la collusion, 'Kyiou-Chabiol. La
d'un pareil sujet, ou Gance- Le registre de pnoto reproduite page 7, véritable document
Kautner est de moindre envergure, mais le üe cinémathèque digne de figurer un jour au
soin apporté aux détails {malgré quelques tru Musée du Cinéma, coupera le souffle du lec
quages grossiers qui trahissent une insuffi teur le plug blasé.
sance de moyens matériels) et l’habileté du Quels sortilèges ém anent donc, des îestivals
découpage offrent quelques séquences bien pour susciter d ’aussi aberrants phénomènes î
près d ’être remarquables. Le décor extra Le fait est là. Le pape des papistes et le pape
ordinaire des châteaux bavarois, l’intéressante des antipapistes ne se quittent plus. Chabrol
composition ' de O.W . Fisher, et surtout la fait du déviationnisme à jet continu. L ’ortho
subtilité de l’analyse font de Louis II une doxie hitchcocko-ha'wk sienne semble encore
œuvre parfaitement digne de figurer au pal intacte, mais les dogmes se liquéfient à vue
marès. C’est là un film peut-être sans génie, d ’œil (par exemple celui des grandes nations
mais d ’une intelligence et d ’un goût plus productrices). L ’on entend le champion de Ta
q u ’estimables. métaphysique hitchcockienne vanter tel film
Dans la journée on aura vu deux bons grec ou israélien et réclamer à hauts cris le
courts métrages : L ’Ile Saf^haline (U-R.S.S.) Grand Prix pour u n 'film maggyar... 11 se jus
de E. Riasanov et V. Katanian, hélas trop tifie m exiremrs par une extension audacieuse
de la « politique des auteurs ». Mais com
ment peut-on être hongrois, grec ou chinois..-
et auteur V C’est ce que n 'a pas prévu le jan
sénisme primitif de la théorie.
Quoi qu’il en soit, l’heure n'est pas aux
ratiocinations : tout au plue peut-on se de
mander, avant d ’être soi-même emporté dans
le tourbillon général, quelle génération jde
jeunes critiques naîtra, dans dix ans, d ’un
hymen aussi étrange-..
Par le train du matin est arrivé Jean-José
Richetr qui va rejoindre les Chabrol en tu Mé-
diterrannée ». P ar contre, par le train du soir
Lydie D.-V. s’en va... la mise en page du
n° 47 des CAHIERS ne peut attendre.
M a rd i 3 M ai
Lè Norvégien A rne Skouen, réalisateur de
}a Flamme, donne une conférence de presse.
On s’y rend dans 1*esRoir de débattre — allè
grement — de ce sujet rarement porté à
l'écran q u ’est la pyromanie.
C’est un jeune homme blond au cheveu
rare et fou qui s ’exprime en anglais avec
Roméo et Juliette (U.R.S.S.).
13
gravité : il parle de documentation médicale W am pe (projeté au premier Festival de Biar
.scrupuleuse, d ’une polémique ouverte autour ritz) ; on y voyait les héros entrer dans une
de son film avant la sortie — dans la crainte bouche de métro, prophétique symbolisme de
d ’une éventuelle recrudescence d ’actes incen la clandestinité qui allait être désormais la
diaires* etc. 11 est décidément p.us « séneux » condition de lutte des militants communistes :
que son film ne le laissait prévoir. Même, il la résistance entrait sous terre.
se prend au sérieux. Finalement surgit la Le dernier film de Dudow nous conte pré
question attendue : les sous-titres français ont- cisément leur lutte dans la nuit. C ’est le ré
ils été fidèles aux dialogues orig.naux ? (Leur cit du travail de quelques militants commu
ton naïf et ridicule, les caiembours et les nistes avant et pendant la guerre. Film plus
à peu près qui y foisonnent ont été en gran que sobre, austère sans aucun effet de mise
de partie responsables de l’accueil hilare- du en scène, visant seulement à montrer et à
public), convaincre. Mais à convaincre par des moyens
Peine perdue : Arne Skouen prend à son d ’une parfaite rigueur intellectuelle et d ’une
compte et sous son entière responsabilité les haute dignité sentimentale. Plus fort que lu
sous-titres qu il a, paraît-il, contrôlés étroite nu'.i est d 'u n e tenue morale incomparable
ment.., Rien à taire pour rire un peu. Ii avec tous les films militants que nous avons
faut croire que l’humour n ’est pas norvégien. vus originaires des démocraties populaires. Il
Ainsi, tel un pétard mouillé, ceite conférence ne suppose chez les spectateurs qu’il veut
de presse sur Ja pyromanie s'éteint-elle avant convaincre ni la naïveté, ni la débilité m en
de s’être allumée... (Ceci pour donner au tale, ni l ’amnésie. A ce point de vue la com
lecteur un échantillon de la subtilité des sous- paraison avec le film tchèque du Festival est
titres). écrasante. O n sent derrière ce film des hom
M. Erlanger du quai d ’Orsay offre à déjeu mes qui savent ce qu'est îe cinéma et chez
ner au jury à Auribeau, Champêtre et agréa qui, d ’autre part, [a résolution idéologique ne
ble, Tout le monde se tient bien, y com sacrifie jamais l’intelligence.
pris les chahuteurs : Perdrix et Raguis, A 11 h. 30 inauguration par M. Guy Des
A 15 heures projection d'Une Grande Fa son de l’exposition a L ’architecture décorative
mille (U.R.S.S.) de Iossif Heifitz. C’est l’his dans le film »- Très intéressant. Il y a là lea
toire d'une famille qui travaille sur un chan maquettes de tous les plus grands décorateurs
tier maritime : problème des différentes gé actuels.
nérations devant les nouvelles méthodes tech Le premier des quatre longs métrages (!J
niques et les conflits psychologiques. L 'hu en compét.tion aujourd'hui est égyptien et
mour et la liberté thémat que assez grande témoigne des progrès considérables accomplis
indiquent le tournant de l'ère Malenkof- La à l'om bre des pyramides. Vie ou Mort est
couleur est d e premier ordre, l’interprétation un film hautement visible, sorte de suspense
simple et savoureuse, la mise en scène pleine néoréaliste assez amusant, avec deux ou trois
de verve. gags franchement drôles. L ’intrigue a déjà
A 18 h. réception Israélienne, la belle Haya servi (une erreur de pharmacien qui confie
Hararit est la plus charmante des hôtesses, à une petite fille un flacon empoisonné), mais
A 21 h> 30, premier film anglais... de Dmy- deux ou troÎ 3 développements ne doivent rien
tryk : The End oj the Affair d’après un ro à personne (tel le poivrot qui chipe la bou
man de Graham Greene, CeJa rient Je coup teille que tient l'enfant et va pour la boire
juqu’au moment où s'entrouve la porte de au fond d ’un garage). Et la promenade à tra
l’église... c'est-à-dire environ vingt minutes. vers Le Caire, bien que desservie par une
Devorah Kerr, malgré la difficulté et les in photographie vraiment trop rudimentaire, ne
vraisemblances d e son rôle, est remarquable. manque pas de pittoresque-
Le film australien qui lui succède, Jedda,
M ercredi 4 Mai de Charles Chauvel, décourage vite les meil
leures volontés. L ’aborigène recueillie par le
Présentation hors Festival le matin de Plus couple blanc et qui, sur ses dix-huit ans,
jori que la nuit (Allemagne de l'Est) de Du- sent monter en eLe l’appel de la tribu sous
dov. Chaque Festival démontre un peu plus le3 traits d ’un fier-à-bras local somptueuse
l’intérêt de sa partie officieuse, c’est-à-dire ment tatoué, cette aborigène est certes char
des projections privées qui permettent de voir mante avec sa langue rose et ses dents blan
d’autres films que ceux de la sélection offi ches- Mais l’incroyable puéril té des situations,
cielle et de compléter ainsi quelquefois de des dialogues et du découpage, la hideur vé
façon décisive notre information. Quelle idée ritablement prodigieuse des couleurs, lassent
aurions-nous par exemple de la production vite les plus ardents cinéphiles qui à mi-film,
espagnole 1954 d ’après le seul Marcelino, Pan s’ébranlent lentement vers un cinéma voisin
y Kmo, si La Mort d ’un cycftsfe ne nous en goûter Les sept fem m es de Barbe-roussc.
avait livré l'autre pôle. Sïnging in the Pain a marqué avec assez
L ’intérêt est plus décisif encore quand il d ’éclat les débuts de Stanley Donen aux
s’agit de pays non-participants comme la Chi côtés de Gène Kelly pour que l’on se soit
ne ou l'Allemagne de l’Est. Ceux qui eurent précipité à la projection hors compétition du
le courage de se lever un peu plus tôt pour dernier film de ce jeune réalisateur, Les Sept
aller voir le film de Dudow, Plus fort Que la Femmes de Barbe-Rousse, au Cinéma ff Le
rmii, ne l'ont certes pas regretté. On se sou Club » qui ne tarda pas à devenir, par la
vient peut-être de la dernière image de Külhet valeur des oeuvres qui y furent projetées
14
(French Cancan, Les Sept Femmes de Barbe- aux quelques sous qu’ils ont pu récolter
Rousse, MorS d 'u n Cycliste, etc.), le concur s'achètent du cirage et une caisse vide» Ce
rent direct et triomphant d u Palais du Fes oint de départ est à coup sûr meilleur que
tival. ien d ’autres. Las 1 au tiers du film, les deux
E n dépit des positions acrobatiques impo mignons se perdent l’un l’autre dans la ville
sées aux spectateurs de l’orchestre par un cruelle et passeront le reste de notre temps
écran perché à dix mètres au-dessus de leurs à se croiser sans se voir, comme dans ce
crânes, cette séance a bien été l’un des m o vieux Shirley Temple où le papa sortait d ’u n
ments les plus attrayants de tout le Festival. ascenseur quand le chérubin bouclé montait
dans l'autre. Les deux jeunes interprètes de
D ’un bout à l’autre, le fini exprime le cette médiocre marmelade sont un jeune gar
délire. Mais à la différence des délires de çon sympathique, un peu lymphatique et une
toutes sortes qui ont agité l'écran du Palais fillette extraordinairement horripilante, m é
de A VEst d ’Eden à La Flamme — délires lange de petite vieille et de singé savant.
bouffons, délires tristes, faux délires et déli T out cela produit par le génial jeune premier
res grand-guignolesques — celui-là seul rendît —i metteur en scène — producteur hindou
le son plein d ’une truculence et d'une turbu Raj Kapoor, qui semble connaître à fond le
lence érotique, — d ’ailleurs plus explosive que moyen de faire son beurre.
subtile. La verve débridée de S.anley Donen
devait s’accommoder pleinement d ’un tel su Après la projection du soir Bazin et Doniol
jet : sept barbus du Far-West tombant un jour vont boire un coup avec Thorold Dickinson.
sur Plutarque décident de reconstituer pour C ’est un homme distingué, affable, avec un
leur propre compte l'enlèvement des Sâbines humour froid ét un peu mélancolique. Il ra
sur le territoire a e la commune voisine. C’est conte le® circonstances difficiles dans les
là le point de départ d ’une comédie musicale quelles a été réalisé La Colline 24 et aussi
burlesque qui souffre de quelques alanguis ce qu’il a voulu faiïe avec le fameux Secr<el
sements sporadiques quand elle sacrifie, çà et People, film quasi maudit et toujours inédit
là, aux recettes de l ’opérette traditionnelle. en France.
Mais il V a des séquences proprement sen
sationnelles : la danse de séduction, le ballet Jeudi 5 Mai
des mâles tristes, le rapt, etc. Jamais Ciné
mascope n ’avait été mené sur un tel rythme.
A i l h,, présentation hors Festival de
Des barbes aux décors, la dominante fauve French Cancan de Jean Renoir. Cette pré
de la couleur s’accorde admirablement avec sentation était prévue. La sortie à Paris étant
les thèmes ; le voilà bien le véritable film récente, ce fut pour beaucoup de confrères
sur la fjyromanie, la vraie, l’unique, celle qui français et étrangers le premier contact avec
consiste à mettre le feu aux filles... le film. Succès énorme qui laisse à penser
A 21 h, 30, deux films. D ’abord La Sam que présenté dans la sélection française, le
ba Fantastique (Brésil) de Manzon. Précédé film pouvait^ prétendre au Grand Prix. 11
d ’une publicité têtue et adroite, ce long et n ’est bien sûr pas question de regretter que
fastidieux documentaire sur la modernisation French Cancan ait été présenté à Cannes,
du Brésil ne justifie que bien indirectement c’était en soi une chose excellente et néces
son titre. Selon un procédé assez primaire saire, maïs il n ’est pas mauvais de faire re
et didactique, les divers aspects de la réalité marquer que l’opération n'a pas heureusement
brésilienne sont censés fournir les thèmes pu tourner à la manœuvre. î'Jul n’ignore que
d’inspiration à un compositeur de samba. Le si French Cancan n’a pas été sélectionné
jrétexte aurait du reste peu d ’importance si c’est e n raison des exigences peu admissibles
J a matière était bonne, mais le film n ’est
u’une interminable série publicitaire sur le
de son producteur ou si l’on préfère de son
refus de se soumettre à la règle commune.
g résil, Etat moderne. A l’en croire il n ’y
aurait plus un moustique sur l'Amazone et
Mais cette fois la presse était assez bien in
formée pour ne pas donner dans le panneau
la forêt vierge serait ramenée aux dimensions et soulever un prétendu scandale de la com
d ’une réserve pour Indiens tout nus et paci mission de sélection. Je puis bien révéler au
fiques et le paysage industriel ferait songer surplus que si le film n ’a pas eu le Prix de
à la vallée de la Ruhr. Si ce n ’est exacte la Critique internationale, c’est parce que les
ment ce que le film affirme, c’est d u moins journalistes délégués ont admis qu’il n’y avait
Ce qu’il suggère par l'absence de tout le pas de raison d ’aider un producteur qui avait
reste, c’est-à-dire des 999 millièmes de cet ad- dédaigné le Festival. On n ’allait pas remplacer
mirage et passionnant pays. A u demeurant, la Palme d ’Or par celle du martyre.
le film est .en noir et blanc, ce qui pour le Conférence de presse de Renoir à 17 h. au
documentaire est devenu presque redhibitoi-
re. Son auteur est un journaliste français ? Carlton. Etant donné les conditions délicates
Ça n ’est pas une raison, suffisante t dans lesquelles le film était présenté à Can
nes, on pouvait s’attendre à ce que Renoir
A côté de la Samba pour Baedeker, le film demeurât dans les généralités gentilles. Mais
hindou qui clôt cette rude journée, Boot Î1 avait manifestement fait un très bon repas
Polish, fait presque figure de valeur. Et et contre toute attente on le vît déchaîné. 11
pourtant ! Cette fois, deux petits enfants, commença par remercier la critique d ’un ac
terrorisés par une marâtre qui les envoie m en cueil qui le persuadait que son film devait
dier à coup de taloches bien appliquées, res décidément être bon puisque Jean-Jacques
sentent l’indignité de leur travail, et, grâce Gauthier était seul à en avoir ait a u mal.
15
Puis le voilà parti dans une violente diatribe réponse de Renoir est celle qu'on espérait et
— dont la critique dramatique fit accessoire qui permettait de déduire le mouvement in
ment les frais — contre le 'cerveau. Notre térieur du film. Au commencement était le
époque crève de penser ! Auguste Renoir ne Can-Can. Le schéma dynamique du scénario
protesta qu’une fois contre le titre qu'on vou fut et demeura : créer le Cancan. Le film
lait donner à un de ses tableaux : k La pen n ’est que l’histoire de sa conception, son
sée ». Il s’indigna : « Mes modèles ne pen attente et, en dépit de difficultés surmontées,
sent pas a. Suit naturellement une apologie son apothéose finale.
d e la sensualité : « J’aime les sens, le goût, Emoustillé par la bataille de fleurs, les
le toucher », puis toute une série de remar festivaliers se pressent au film de Sir Carol
ques catégoriques en faveur de l’acteur con Reed : L ’Enfant et la Licorne. L ’enfant est
sidéré comme pivot non seulement de la mise un brun poupon bouclé, et la licorne une
en scène mais même du scénario. A qui lui chevrette dégénérée qui fait des miracles.
demande s’il ne préférait pas tourner en Celia Johnson raccommode des fonds de cu
France, Renoir répond par quelques aphoris
mes sur les frontières, lesquelles ne sont pas lottes, et deux jeunes amants — u n e blonde
toujours celles des Etats mais davantage cultu marvlinée aux jambes arquées et un Apollon
relles et sociales. de quartier qui ne veut pas faire de catch
pour ne pas abîmer ses muscles dorsaux •—
Sur la couleur, Renoir répète ce que nous rompent et se rabibochent dans le seul endroit
savions déjà être sa pensée : le seul problè du coin où les locomotives peuvent leur offrij
me est de placer devant la caméra des élé un bain turc régulier et gratuit, rompent et
ments coloriés dont le mariage soit heureux, se rabibochent, il faut le dire, avec des yeux
s ’il est bon pour l ’œil il est bon pour la pelli >étillants d'intelligence. En ajoutant un tail-
cule. Dans French Cancan il a souvent fallu
in extremis changer des corsages dont les
{eur philosophe et un rabbin déchu qui traîne
un gramophone dans une voiture d ’enfant, au
couleurs sur le plateau se révélaient inharmo centre du populeux et Commerçant quartier
nieuses. Renoir redit à ce propos q u ’il ne juif de Londres, nous nous trouvons, on le
peut se passer de l'improvisation finale quelle devine, en plein© poésie. Un dialogue rado
qu’ait été la préparation préalable, a C’est le teur agrémente un récit basé sur la répétition
contact avec la réalité du dernier moment qui systématique de la même situation. Q uant à
donne la qualité, n la mise en scène de Sir Carol Reed, elle té
Bazin lui demande s’il pense que le décou moigne du plaisir malsain que celui-ci éprou
page par plans fixes q u ’il pratique aujour ve à mettre la caméra derrière quelque chose,
d ’hui au lieu des pivotements si caractéristi sous quelque chose, sur quelque chose : ah J
ques de naguère est une conséquence de la belle virtuosité que voilà ! Gïnéma anglais
l’emploi de la couleur et notamment de la pas mort !
caméra technicolor volumineuse et difficile
à déplacer, réponse : a J’avais déjà évolué
dans ce sens avant Le FletiüC. L ’Homme du V en d red i 6 m ai
Sud était déjà découpé dans ce style, »
Vn inconnu dans VEscalier, film mexicain
Q uelqu’un pose des questions sur le scé de Tulio Demicheli, n ’a pas été apprécié à
nario de French Cancan. A-t-il été construit sa juste valeur. C ’est une sorte de pastiche
à partir des personnages, des situations 7 La
pince sans rire des films noirs ; le décalage
entre les situations et le ton du film lui donne
toute sa saVeur. Le dialogue dans sa précision
frise l’obscénité ; et les éléments du mélo
drame étant toujours à la limite du ridicule,
le léger coup de pouce d ’un réalisateur h u
moriste les fait doucement couler dans le gro
tesque- L ’interprète principal en est Arturo
de Cordova dont les rictus sensuels, les oeilla
des libidineuses et les gloussements égrillards
sont pour beaucoup dans la réussite de cette
étrange entreprise. Quant à la blonde Vénus
qui lui fait perdre la tête jusqu’à vouloir
assassiner son patron au son des marteaux-
piqueurs, en compagnie de laquelle il se dé
nude pour faire trempette dans l’océan (a On
y va ? » — « Allons d ’abord nous baigner »).
son nom, cher Dolmancé, t’est un program
me : Sylvîa Pinal.
18 heures. Aux Ambassadeurs, réception
américaine. Il y a ceux qui sont venus pour
le vvhislcy, ceux qui sont venus pour les affai
res, et puis il y a ceux qui sont venus pour
is femmes (devinez lesquels). A l'entrée,
me brochette de vedettes serre sagement les
nains des arrivants qui défilent à la queue
leu leu- Parmi elles, Grâce Kelly, Betsy Blair,
Marcelino, Pain el l'in. Dawti Adams, Terry Moore.
■16
L ‘affluence est immense, le grouillement senté à Cannes — hors compétition d ’ailleurs
étourdissant et les buffets, comme à l’accou — un opéra intitulé les Amaurs de Liang
tumée, assiégés- Chang Po et de Chu Hing Toi.
Reste à redécouvrir dans cette jungle de Gros succès de curiosité au départ, gras
visages les héroïnes matérialisées d'H it ch, de succès tout court à la sortie. Si l ’exotisme et
Preminger et autres... le pittoresque y ont quelque part, ce n ’est
On y parvient : Grâce Kelly, royale dans pas la plus grande, loin de là. La beauté des
une robe de dentelle blanchie, confie un ins voix (toutes féminines), le charme de la mu
tant aux yeux de ses interlocuteurs l’étincel- sique, des couleurs, et surtout l’exquise sou
lement des siens, qu’aucun écran, fût-ce celui plesse d ’une interprétation toute en nuances,
de Rear Window, ne saurait reproduire. L 'a n en font une œuvre brillante et fort sédui
glais incertain q u ’on lui parle ne décourage sante pour un Occidental. Le nouveau ciné
pas le moins du monde sa conversation char ma chinois révèle ici son attachement à la
mante et enjouée. Dawn Adams, par contre, culture classique, et c’est seulement dans le
parle français d ’une voix grave, un peu gut choix du sujet q u ’on décèle les intentions des
turale, assez envoûtante. Ses yeux verts abri moralistes et sociologues modernes (thèmes de
tés derrière une voilette noire révèlent une la féodalité, de l’analphabétisme, du patriar
sûreté de soi, une détermination un peu cat, de la condition féminine). Celui-ci ra
froide aue ne tempère aucun, frémissement. conte les avervtuf&s d ’un Roméo et d ’une Ju
Betsy Blair reste identique à elle-même depuis liette chinois sur un ton tantôt léger, tantôt
le début du Festival ; simple, naturelle, sans attendri, finalement tragique. La poésie et
maquillage, regard clair et mutin. Terry l’humour courent constamment en filigrane
Moore enfin, qui fut la troublante adoles dans ce récit fondé au départ sur une équi
cente que l’on, sait dans Come Bach Little voque pleine de grâce subtile et malicieuse :
Sheba, aborde semble-t-il avec moins de bon la jeune fille, pour se faire admettre dans
heur les rivages de la maturité. l’Université où elle veut étudier, a dû se
déguiser en garçon ; et c’est entre elle et son
Le whisky aidan,t, Hoveida, Gaffari et compagnon de chambre qui, pendant le6 trois
Richer s’exhortent mutuellement à l ’enlève quarts du film, ne se doute de rien, que naît
ment de quelques-unes de ces Sabines, mais, cette singulière idylle...
pusillanimes, ils se bornent à quelques entre
tiens en forme d ’interviews.. A 15 h. East of Eden d ’Elia Kazan en Cine-
maScope. Scénario décousu, mise en scène ta-
En soirée, après un excellent dessin animé ageuse. Kazan a du talent mais des tas de
soviétique. L’antilope d’or d’Atamanov. The érauts, ceux de tous ses films sont ïfc'i réu
Counlry Cirl (U.S.A.) de George Seaton. Dé nis ; James Dean copie Marlon Brando à un
ception. Le conflit à trois imaginé par Clifford point qui est difficilement supportable, Ju
Odets est fastidieux. Grâce Kelly est belle lie Harris est gracieusement ingrate, Ray
et sincère, mais qui ne la préferrait dans Rear mond Massey roule des yeux et tremble des
W indow ? yeux comme s ’il se croyait à l’Odépn de la
belle époque. A l’actif du film une scène très
Sam edi 7 Mal drôle sur la mobilisation américaine en 1917.
A 16 h. réception sur le « H-M.S. Shef-
A 15 h. 30 Le Signe de Vênus (Italie) de field a, croiseur anglais ancré dans la rade
Dino Risi, comédie banale et sans intérêt. On de Cannes. Beaucoup d ’allure, rien n ’est plus
se demande ce que ce film fait dans la com séduisant q u ’un bateau de guerre.-- ten temps
pétition. Franca Valeri obtient pourtant un de paix. De la plage arrière du navire, entre
succès personnel. les midships affables et les actrices parées, le
spectacle du soleil déclinant avec majesté
Marcelino, pan y oino, de Ladislao Vajda, dans la mer, a quelque chose de privilégié.
a le rare mérite de montrer enfin sur l’écran Ce sera un des plus jolis moments du Fes
de ce festival un enfant qui ne soit pas ridi tival-
cule ou monstrueux. Son j e u est P o u r une fois
d’une authentique spontanéité. Le film lui- Avant le long métrage du soir : La Grande
même présente le danger de n ’être compré Pêche d ’Henri Fabîani qui, sur un sujet re
hensible qu’aux croyants ; c’est un produit battu, a réussi à faire un très beau film,
typique du catholicisme, du mysticisme espa dense, complet, émouvant. La séquence de la
gnols. Il n ’est en tous cas à aucun moment tempête est magnifique.
scandaleux, ne serait-ce que parce qu’il n’est
en rien apologétique ; et le sujet présente Ensuite voici Racines (Mexique) de Benito
plusieurs points ^assez attachants. Rossellini Alazraki. Les quatre parties, qui composent
(quj n ’en est d ’ailleurs plus là) en eût sans ce film à la gloire de l’élément a indien »
doute fait un chef-d’œuvre ; Ladislao Vajda sont très inégaux, mais l’ensemble est au
n ’en a su tirer qu’une très honnête imagerie. thentique et émouvant. Richer avait déjà
parlé de ce film à l’occasion de Venise l ’an.-'
née dernière et nous y reviendrons quand il
D im anche 8 Mai sortira à Paris. Le premier et le dernier epeo
tacle sont les meilleurs; le troisième a Lé
Borgne « tant vanté, déçoit un peu à seconde
A u Vox, à 10 h. 30, la salle est comble vision. E t évidemment la technique du film
pour la projection du seul film chinois pré est sommaire, mais le tout est fort attachant'.
17
2
■ ■ MHBajpjÉ
Racines, de Benito Alfizniki.
Àprès minuit réception mexicaine aux A m ravissante Auberge du CasteJ de la Colle des
bassadeurs. Bunuel se dépense ^sans compter Juges, au nom délicieusement compliqué,
pour placer ses invités puis s éclipse discrè commande, de son perchoir, un des p.us beaux
tement avec Bazin et Doniol pour aller ba panoramas de l’arrière pays cannois. Mais
varder devant des -whiskys. ce paradis de boissons fraîches et d e fem
mes en fleurs ne se laissa atteindre q u ’après
un long purgatoire d ’erreurs de parcours, de
Lundi 9 Mai marches à pied, d ’attentes et de transborde'
ments réglés par un poste de police volant
A 10 h. 45, hors festival, présentation ^ de installé à bord d ’une voiture radio. Kafka
La mort d’an cycliste de J.A. Bardem- L ’ab en pleine garrigue...
sence de sous-titre empêche de porter un ju Finalement Janine et André Bazin, Doniol
gement définitif sur cette œuvré qui semble et Richer arrivèrent la gorge empoussierée,
d’une grande densité romanesque et drama l’œ il éteint et la cheville flasque, un quart
tique mais, quoiqu'il en soit, du dialogue, le d ’heure à peine avant la fin des opérations :
film s’impose comme tout à fait remarquable; les verres commençaient à manquer, les m a
pour beaucoup ce sera le meilleur du Festi quillages à couler, ]es starlettes tenaient la
val il y a des images fulgurantes, des en pose avec plus d ’alanguissement devant des
chaînements étourdissants, des influences cer photographes en nage, Cocteau ,s’en allait...
tes mais aussi une palpitation interne qui est Restaient, par un hasard heureux, quelques
la marque des grandes oeuvres. De surcroît amis groupés autour d ’un Bardém 'détendu,
la beauté de Lucia Bose y est sombrement tout rayonnant de son succès du matin, et in
éclatante. finiment plus à l’aise dans sa peau de réali
Après ce film, assez long, trop de gens sateur heureux que dans. celle, morne, de juré
partent sans voir La marée* sera haute à seize de service. Il fallut vite abréger ce séjour
heure, court métrage inégal, mais original et bucolique : l’heure passait : Italia K 2 et
courageux de Michel Drash- la sinistre Mouche battaient, au Palais du
T ènant du rallye automobile, du jamboree, Festival, le rappel de la séance de 15 heures.
du çross-country et du parcours du soldat, la A 15 heures, Italia K2 {Italie}' de Marcello
rêçeptton française visait à une singularité Baldi Mario Fautin. Dans le genre ascension
que- personne ne chercha à lui contester. Le Hymalienne on a vu mieux, mais pour la pre
but proposé était certes plein de charme : la mière fois a été filmée l’arrivée au sommet.
18
La suite est triste : La Mouche, écrit et_ Bravo mademoiselle de cette leçon donnée à
réalisé par Walter Reisch (un beau nom), toute la cohorte mercantile des soi-disant réa
fait penser aux films de la U .F.A. dont nous lisateurs et autres épiciers en gros de la pelli
fûmes submergés sous l’occupation. C'est à cule-
coup sûr le plus mauvais film du festival. A une heure, déjeuner improvisé des
On se demande qui, de W alter Reisch scéna CAHIERS DU C inÉUA à Auribeau dans un décor
riste ou de Walter Reisch réalisateur va sur de western mexicain. Autour de Bunuel, in
passer l’autre en puérilité et en maladresse. vité d ’honneur, Jacques Mage, Léonide Kei-
Ils arrivent dead head. Voici un fùm équi gel, Bazin, Doniol, Richer, Chabrol, 'Kast,
libré. Chartier, Jann.k Arbois, Janine Bazin, Agnès -
A 18 heures, réception soviétique... la vodka Chabrol (très en beauté) une vraie fête de
qui y coule fera couler bientôt quelques pleurs famille.
et beaucoup d ’encre, A 15 h. projection de Princesse 5 en (Japon)
A 21 heures, le deuxième film français, Le de Kinugaza (projection redevenue possible
Dossier Noir d ’André Cayatte. L ’impression depuis que le producteur a fait des excuses
générale est à la déception. Pendant les scè pour ses paroles mal interprétées et fait une
nes d'interrogatoires quelqu'un dans la salle donation importante à une fondation cultu
crie a Censure ! » Des cris de d Policiers 1 y relle franco-japonaise). Le film cherche en
lui répondent vain à retrouver la réussite de La Porte de
Mardi 10 Mai L ’Enfer; c'est à peu près la même chose,.,
mais le charme ne passe pas-
A 1I h. hors festival présentation de Voya En soirée, après De Sable et de Feu, court
ge oui bout d'un rêve de Marc O., court m é métrage français sur les vitraux, on voit le
trage poétique dant les couleurs charment dernier film de la compétition. Continent per
même ceux qu’interdit sou ésotérisme, puis du. de Bonzi, Craveri, Lavagnino, Moser et
de La Pointe Courte d ’Agnès Varda. Nous Ënrico Gras, fLm italien dans l’esprit de
reviendrons plus en détail sur cette tentative, Magie verte mais cette fois sur la Malaisie.
très intéressante à plusieurs points de vue. Triomphe du CïnémaScope dans le documen
Le contrepoint entre le tf document » sur un taire (voir article de Bazin sur le C'mérama,
village de pêcheurs et l’itinéraire sentimental page 45). La première partie est souvent admi
des deux héros n ’arrive jamais à trouver tout rable. peut-être est-elle due davantage à En-
à fait son point d ’éauilibre mais l’ensemble rico Gras ^qui faisait partie de l’équipe, mais
rend un son insolite des plus appréciables et la seconde a tout gâché. Les cinéastes renr
la qualité des dialogues d'A gnès Varda est daient visite aux coupeur de têtes, plusieurs
chose rare sur les écrans du Cinématographe■ séquences évidemment reconstituées faussè
m m m w m
Cl
19
tographier, ou approcher Dorotby Dandridge,
la Carmen noire, qui doit accompagner son
metteuT en scène. Celui-ci, détendu et sou
riant, annonce en arrivant que la vedette
sera en retard. La conférence de presse dé
marre plutôt difficilement devant une assis
tance apathique et, au demeurant, mal in
formée, puisaue presque personne encore n’a
vu le film dont la projection doit clore le
Festival dans quelques heures.
Avec beaucoup d'hum our, Preminger ré
pond dans un cocasse mélange d ’anglais et de
français, mais une fois épuisée la fameuse
Continent perdu (Italie). question de l'interdiction du film en France
et dang les quelques autres pays régÎ9 par la
Convention de Berne •— et celle, traditionnelle,
rent tout à coup l'esprit du reportage en in des projets (deux films en noir et blanc, for
troduisant des effets d’une pénible démagogie mat normal, qu’il produira lui-même, et dont
sentimentale. Ainsi y voyait-on un charmant l’un sera l’adaptation de Bonjour, tristes se)
petit ourson fétiche de l'équipe sur lequel on — la discussion tombe. Dans un moment
apitoyait le public depuis une demi-heure at creux, Chabrol demande à Preminger pour
taqué par un énorme serpent python. Il avait quoi il n'a pas engagé pour Carmen Jones
évidemment fallu attacher l’animal et ame son opérateur habituel, Joseph La Shelle
ner le serpent à pied d'œuvre, le tout devant (réponse : pour des raisons tout à fait bana
la caméra. Qui peut encore tromper ce genre les de contrats et d'engagements antérieurs).
de supercherie? EspèTe-t-on que le spectateur La question paraît ici d 'u n ésotérisme extrê
croira au caractère fortuit de la rencontre. me...
Le vrai documentaire ne commencer^ que
lorsque le serpent bouffera le cameraman, Carmen se fait toujours attendre : Prem in
ce qu’on n ’a jamais vu sur un écran et pour ger commence à s amuser franchement :
cause. La bassesse morale du procédé révolte « Allons, dit-il, tenez encore un peu. Quel
Bazin qui de sa place, hurle : « Salauds », ques little questions more, et vous aurez
surpassé par Kyrou q u ’on entend proférer le sotne chances de LA voir... Give H ER le
superlatif : e. Papistes » ! temps d'arriver... »
Vers une heure du matin des rumeurs com Finalement, LA voilà... Remous général...
mencent à circuler : un incident aurait éclaté Place aux photographes... Ici s’arrête le pré
au sujet du Dossier Noir. Trois jurés, venant sent compte rendu. Voir cliché ci-contre.
de la réception soviétique, seraient arrivés en Le soir à 21 h. 30, soirée de clôtures. Défilé
retard et l’un d ’eux, souffrant, aurait dû d’athlètes portant des drapeaux, quelques
quitter la salle... tout ça à cause d e cette incidents comiques : quand Marcel Pagnol
sacrée vodka ! Les responsables du film veut prendre la parole le micro s’avère muet,
voudraient donc le retirer de la compétition. celui qui marche est à ras du sol, Pagnol
s’agenouille, Isa Miranda et Ichac se préci
M e r c r e d i 11 M a i pitent, se bousculent..- etc.
L ’incident Dossier Noir éclate au grand Enfin voici le PALMARÈS :
jour. M. Guy Desson, président du Conseil
d ’administration du Festival/ reçoit une lettre « Le jury chargé des films de long m é
de M. Safra, producteur du film, retirant le trage attribue : la PALME d ’ o r du Festival
film jde la compétition et spécifiant en,tre International du Film 1955 à : Marty (U.S.A.)
autres que les producteurs ayant engagé des pour l’ensemble de ses mérites et en parti
films ont le droit « à ce que tous les membres culier pour le scénario de Paddy Chaie-wsky,
du jury assistent aux projections, qu*ils voient la mise en scène de Delbert Mann et l’in
les films dans l’ordre normal des bobines et terprétation de Ernest Borgnine et Betsy
q u ’ils se trouvent tous en état d'exprimer un Blair- (Ce prix a été décerné à l’unanimité).
jugement raisonnable. » Mais cette démarche Le jury attribue ensuite les prix internatio
est sans espoir. Seul M. Jacques Flaud, direc naux suivants :
teur du C.N-C., est habilité pour retirer un P r i x s p é c i a l DU j u r y : Continent Perdu :
film envoyé à Cannes par le gouvernement. (Italie), pour la beauté et la poésie de ses
L'affaire va donc en rester là. (Signalons à ce images et l’utilisation remarquable du son. Le
sujet aue dès demain L e Figaro et M. Phi jury tient à féliciter l’équipe de cinéastes qui
lippe Bouvard vont faire preuve de leur bon l’a réalisé. (Ce prix a été décerné à l’unani
goût habituel en publiant un article sur l'in mité) .
cident de la bassesse duquel on aura une idée
en citant un des sous-titres : a Vodka et P r i x d e LA MISE ES s c è n e : le jury a classé
Mines de sel ». ex æquo : Serge Wassiliev pour sa mise en
Midi. — Le Hall de la Presse est envahi scène du film : L^a héros de Chipf^a (Bul
par une nuée d e photographes, de starlettes garie) et Jules Dassin pour la réalisation du
et de curieux venus on s'en doute, moins pour film Du R ijifi chez les hommes (France).
questionner Otto Preminger dont la plupart PRIX D’I n t e r pr é t a t io n : S p e n c e r T r a c y d a n s
ignore même le talent, que pour" lorgner, pho le film Un homme e sf p a s s é ( E ta ts - U n i s e t
20
Le fagot est prêt. F an t-il brûler Carmen Jones? se d em an d e Bazin (en h a u t à g a u c h e );
D orothy D andrige et O tto P rem in g er n ’o n t pas l'air inquier (en h a u t à droite) ; Iîav a
H a rra rit que l’on voit ici avec Thorold Dickinsou fut la fraîche révélation de ce festival
(en b a s à gauche) ; q u a n t à G râc e Kelly, sa b eau té était éblouissante (en b a s à droite).
l'ensemble des artistes du film Uns grande (U.R.S.S.) pour sa transposition cinématogra
famille (U.R.S.S-) phique du ballet et l’interprétation de Mme
Oulanova. (Ce prix a été décerné à l’unani-
P r ix d u h l m dramatique ; A l’Est d’Eden
mîté)-
(Etats-Unis) pour la maîtrise d'Eîia Kazan et En outre le nombre des prix ayant été li
l’excellence de l'interprétation. mité cette année le jury a décidé d ’accorder
P r ix du f il m LYRIQUE : Roméo et Juliette une mention spéciale à deux enfants : Baby
21
Naaz pour son talent exceptionnel dans Le de Cannes, Jamais opéra filmé ne l'a été
Petit Cireur (Inde) et Pabiito Calvo pour son avec cette intelligence et ce respect. A tel
talent exceptionnel dans le film Marcelin, Pain point que le livret primitif de l’œ uvre de
e? Vin (Espagne), ainsi qu’une mention au Bizet paraît dater d ’un autre siècle ! En tous
film La Colline, 24 ne répond plus (Israël) et cas, la qualité des chanteurs, la pureté de
à la pureté du jeu de son interprète Haya l’enregistrement musical en font une des olus
Hararit. admirables représentations de Carmen qu'il
Le jury chargé des films de court métrage m ’ait été donné de voir. 11 n ’est même pas
attribue : question d ’éplucher l’astuce des transposi
tions, l’habileté du nouveau livret : la classe
La PALME b’oR du Festival International du et la qualité sont ici év.dentes. Q uant au
film 1955 à : Blintyty Blang lCanada) de travail purement cinématographique de Pre-
Norman Mac Laven, en hommage à l’ima ninger. il est d ’une virtuosité sans tapage,
gination créatrice et à l’audace de l’ensemble aui font de Carmen Jones une de ses œ uvres
de son œuvre. (Ce prix a été décerné à l'una d ’une richessfe d ’inventions et d’une audace
nimité-) les plus marquantes. Et que d re de l ’inter
Le jury attribue ensuite les prix interna prétation de Dorothy Dandridge ? Comme si
tionaux suivants : sa seule présence n’était pas plus le signe
P r i x du m e il l e u r d o c u m e n ta ir e s u r écran du respect de l'oeuvre que celle des grosses
LARGE : Ile dç Feu (Italie) pour son authen prima donna de l’Opéra-Comique !
ticité dramatique. Tout est fini..- Cependant aucune voix n ’a
déclaré clos le Festival comme c’est l’usage,
P rix DU REPORTAGE FILMÉ : La Grands Pêche Pour l’instant, il se continue encore quelques
(France). heures au gala de clôture où, avant d ’aller
En outre le jury des courts métrages a dé enlacer les cavalières, on apprend q u e le
cidé d ’accorder une mention spéciale au Prix de la Critique Internationale (Fipresci)
film : L ’Anlilope d’or (U.R.S.S.), dessin ani est décerné^ ex æquo à Racines (Mexique) et
mé. pour la qualité de son animation. La Mor{ d ’un Cycl'ste (Espagne).
Après cet intermède, la présentat’on de Car L ’orchestre attaque une valse : Preminger
men Joncn a clos en beauté ce VIII0 Festival ouvre le bal avec sa Carmen...
Betsy B lair et E rnest Borgnine dans Marty, de D elb ert M ann, qui rem p o rta la palm e d’or.
22
LES MARX BROTHERS ONT- I LS UNE AME?
(Fin)
L E S M ARX AU TR A V A IL
Beaucoup d'am ateurs d 'a rt pensent, surtout à propos du Cinéma, que l'on n 'a
pas à se soucier des rapports qui s'établissent entre l ’effort artistique et ses résultats.
H onte au courage malheureux ! Que certains n ’arrivent à rien après un travail
acharné, et que tel autre éblouisse d ’un petit rien, ne regarde personne. Le profane
n 'a rien à faire dans les coulisses.
Heureusement, à l'opposé de ces réalistes, existent d'autres curieux, d'un tempé
rament plus généreux, qui, se plaçant sur un plan d ’émulation universelle, s'attachent
avec passion à tous les rapports efforts-résultats. Pour ceux-ci, les folies les plus
spontanées des Marx Brothers procèdent d ’un véritable idéal de travail cohérent,
soutenu et exemplaire, qui donne au burlesque marxien sa véritable valeur. Si l'on
cherche à évaluer l'am pleur de l'entreprise des frères Marx : faire des films marxiens
(il y en a treize et pas un de plus), on est obligé de considérer l'effarante somme de
travail et de talent qui a rendu possible une telle œuvre. Etre les Marx Brothers était
une tâche surhumaine, et il fu t presque impossible de trouver de l'aide. Les ennuis
de scénario et de dialogues ont poursuivi les Marx pendant toute leur carrière ciné
matographique. Ce fut surtout cette difficulté qui découragea et dissocia l'équipe
après vingt ans de travail en commun.
P a r ailleurs, le mode d ’expression des Marx exigeait une présence spectaculaire
qui confinait à l'héroïsme. Groucho et ses frères savaient que la comédie burlesque
était le plus dur des métiers, et l'avaient choisie en connaissance de cause.
Groucho a très lucidem ent expliqué : « Dès que l'on ap p araît sur scène avec un
m aquillage exorbitant et des vêtem ents comiques, une puissante résistance inconsciente
s'étab lit dans le public. L 'attitude du spectateur devient im m édiatem ent hostile :
« A h! vous êtes comédiens comiques! Eh bien faites-moi rire. Je vous en défie! » Si au
contraire vous apparaissez en vêtem ent de ville, les spectateurs ne s’atten d en t pas à
tom ber de leur fauteuil à votre prem ier mot. A la moindre chose drôle, ils sont surpris
et n ’e n rient que davantage, »
U ne fois dans sa vie. Groucho Marx interpréta au T héâtre de Lakewood Playhouse,
le rôle principal d ’une pièce de Ben H echt et Mac A rthur Vingtième siècle. Ce n ’é ta it
pas une comedie de slapstick, m ais une pièce sérieuse où Groucho se contenta de jouer
un rôle, sans retrancher ni ajouter une ligne au texte. Son succès e t la qualité de son
in terprétation su rp riren t beaucoup de gens de la profession qui ne l’im aginaient pas en
dehors des bacchanales coutumieres. Groucho ne fu t pas moins étonné p a r les facilités
du jeu « norm al ».
23
Chico a, lui aussi, sa façon bien personnelle de tirer des effets du piano; les
a chopsticks », rangaines paralysées "que renforcent des basses ratifiantes et des
arpèges dignes de Rachmaninoff. Il joue en gardant les doigts raides et l'index en
forme de canon de pistolet. Ces a fingers ballets » font grincer les dents des musi-
Comanes trop zélés, qui oublient que le divin Mozart lui-même, pianiste « zanni ». à
ses heures, prévoyait dans sa « T artine de beurre » d ’irrévérencieuses et clownesques
glissades pour deuxième doigt.
Il n ’est d ’ailleurs pas indispensable que les Marx aient un instrument dans les
mains pour paraître musiciens. L 'inoubliable chœur qui ouvre Monkey Business su ffit
à prouver que les arts de la voix, p ar exemple, ne leur sont pas étrangers.
■ — Mon capitaine, il y a quatre passagers clandestins dans la cale avant.
— Vous les avez comptés ?
'—• Non, mais ils chantent un quatuor
Groucho n ’a pas d ’instrument attitré. Tout son art musical tient dans sa voix
et dans sa tête. Mais ce q u ’il fait du chant est aussi original que l ’emploi de la harpe
ou du piano par ses frères. Pour vous en convaincre, rappelez-vous l ’incroyable récital
.qui; dans Une nuit à VOpéra, accompagne sa promenade de cabine en, cabine, juché
sur des valises roulées par un porteur. Dans Animal Crackers, les Marx exëcutent
un chœur curieusement atonal, un archi-bel canto, libre comme du plain-cbant,
soutenu par de rauques quintes médiévales, unique dans toute leur œuvre. Plus tard,
ils rechanteront, dans Go West, dans Un p u r au cirque, et leur rubato personnel
flottera toujours sur les mélodies, mais jamais ne réapparaîtra le mystérieux style
choral marxien entrevu dans Anim al Crackers .
- 1 Lè ballet Histérique de 'Duck Soup, le tango burlesque de Groucho dans M onkey
Business', ses quelques pas glissés dans Animal Crackers ont prouvé que les frères
Marx étaient aussi de. bons danseurs excentriques, qui conservent leurs dispositions
musicales, même dans les mouvements privés de musique. L ’opération de Margaret
Dumont sur la table chirurgicale mécanisée de U n jour aux courses, le siège final
de Duck Soup fonctionnent sur un tempo indéfectible et sans une mesure pour rien.
H arpo est aussi implacable qu’un métronome. Ses marches sur une jambe raide,
clochant à contre-temps, sous la tête qui dodeline, en démultipliant le tempo à une
fréquence proportionnelle, ont une précision d e 1grand virtuose. Parfois des fanfares
.raccompagnent, pour son arrivée de professeur, dans Animal Crackers, ou son entrée
de D uck S o u f au Reichstag (gesticulant, avec des moulinets de tambour-major, il
fait très exactement, à la ième mesure, tomber le grand lustre).
Les Marx introduisent enfin, dans leurs 'films, la qualité musicale la plus intime,
ia plus-rarement représentée : son pouvoir kinestesique e t auto-excitateur. Ils gardent
au rythme et au tempo leur pouvoir de contagion, ■ que seuls, Donskoï dans d ’adm i
rable scène de balalaïka, et Bunuel dans une séquence de E l (le mari jaloux devient
fôu en tapant avec .une tige de cuivre sur les barres de la rampe d ’escalier), ont su
faire apparaître (i).
LA P R E S E N C E D ’E S P R IT
Les années de tournées dans les vaudevilles ont appris aux Marx à tenir ferme
le gouvernail de l ’improvisation. Leur style de jeu est celui d ’interprètes qui, sur
.(I) Au cours d ’une poursuite désordonnée et crépitante dans Monkey B usiness, les
Marx s ’arrêtent brusquement dans un immense fumoir, se saisissent d ’instrum ents aban
donnés, et pour se donner une contenance, se lancent dans une improvisation inaudible,
mélcdiquement informe, mais dont le rythme reste impeccable. Puis ils s ’arrêtent tous en
même temps, tapent trois fois du pied en mesure et reprennent leur galopade floue. Dans
Une nu$t à l'Opéra, c ’est en se lançant, en mesure, les instruments et les partitions à la
fête, q u ’ils désorganisent tout un orchestre et transforment un prélude wagnérien en rangaine
populaire.
24
C h a n tan t en ch œ u r dans Animal Crackers, les Marx se m o n tren t disciples de Scluienhery.
Le m orceau term in é G roucho ajoute, en p a rla n t de H arp o : « Ou il a mis son maillot à
l’envers, ou il n'y a plus de centre de gravité d.
scène, .sont plus des rivaux que des acteurs, et parlent pour leur propre compte. Les
interminables conciliabules de Chico et de Groucho ne sont pas faits pour être lus,
ni pour être analysés, mais seulement pour être entendus à la bonne vitesse, et soute
nus par un sens de Timprovisation toujours en éveil. Cet effort technique, cet amour
du risque ot donné à Chico et à Groucho une trempe rarissime.
Les spectacles m arxiens ont toujours été très libres. Au cours des tournées les frères
Marx ne se privaient pas d’utiliser des détails passe-partout, e t de piquer dans leur
texte quelques-unes -de ces précisions locales que l ’on glane au restaurant, le m atin de
l’arrivée. A l’intérieur des improvisations, des formules éprouvées perm ettaient aux inter
prètes de se reposer, sans interrom pre le spectacle.
D ans le sketch des écoliers stupides : F un I n R i Skitle, que les Marx o n t promené
à travers l’Amérique, plusieurs années, Groucho jo u ait le rôle du m aître d ’école. E t
chaque fois que l’am biance refroidissait e t que l ’invention faiblissait, Groucho frappait
sur le bureau avec une règle et annonçait : E t m aintenant nous allons -préparer la fête
de l’école! Toute la troupe alors se réunissait, avec u n soupir de soulagement, devant la
rampe pour entonner une des centaines de chansons à la mode qu’ils connaissaient par
cœur.
25
A D L I B I T U M Q U AD NO A SC E N D A M ?
Groucho a jalousement cultivé sa présence d'esprit. Chaque soir, avant la repré
sentation, pendant que Chico courait après les demoiselles en compagnie de Milton,
il lestait dans sa chambre, fumant des cigares, jouant un peu de guitare et prépa
rant de nouvelles plaisanteries. Il est résulté de cet effort constant un talent unique
à utiliser les phrases courtes et à ridiculiser les plus nobles fonctions du langage.
— Un docteur! Un docteur! Vous êtes docteur?
— Oui, où est le cheval? (Monkey Business.)
— Un mot de plus et je vous m ets au fer, menace le Capitaine.
— Merci, je frise naturellement.
Passagers clandestins, Groucho s’installe avec Chico d ans la cabine
du Capitaine :
C h i c o ; J'ai faim. Je n ’ai pas m angé depuis trois jours.
G r o u c h o : Trois jours. Nous ne sommes sur le bateau que depuis
deux jours.
C h i c o : Je n'ai pas m angé hier, je n ’ai pas mangé aujourd'hui
et je ne vais pas m anger demain.
G r o u c h o : Allô! Envoyez le déjeuner du Capitaine,
C h i c o : Hep! Deux!
' G r o u c h o : Faites m onter aussi le dîner. Qui je suis? (Il retourne
la casquette qu’il avait prise sur la. table .et qu’il avait mise, à l'envers
sur sa tête, et regarde les galons.) Le Capitaine. Allô! Mécaniciens,
faites cesser le tangage, pendant que je déjeune.
D iabolus in musicpe, faisant fa de tout bois et fi des fois : les Marx. D ans Animal
Crackers, petit concert pour am u ser la société. Poursuivie, d a n s Monkey Business, la
famille au complet s’improvise saxophoniste, m ais respecte le tempo.
G roucho doit son inséparable cigare au conseil d ’un vieux com édien vagabond (presque
tous les vieux com édiens sont vagabonds, d irait G roucho) : « S i tu oublies une réplique,
ce que tu as de m ieux à faire, c'est de te fourrer un cigare dans la bouche, et de tirer
dessus jusqu'à ce que tu la retrouves. »
B r ig g s : Je sais, mais..,
G roucho : Vous brûlez! Elle aussi! Mais ne vous découragez pas.
Avec u n peu de travail vous irez très loin. Mais vous feriez bien de
p a rtir tout de suite.
B r i g g s (sortant son 6,35) : T u vois ce revolver?
G r o u c h o : Qu'il est mignon! C’est le père Noël qui vous l’a
apporté? Moi j'ai eu une locomotive.
B r i g g s : Ecoute, espèce d ’idiot, sais-tu qui je suis?
G r o u c h o : Oh ! ne me dites rien. Animal ou végétal?
B r ig g s (émet un grognement).
G r o u c h o : Animai!
B r i g g s : Ecoute, je suis Alky Briggs.
G r o u c h o : E t moi je suis le type qui parle tellem ent. Drôle de
rencontre.
B r ig g s : As-tu une dernière question à me poser avant que je te
descende?
G r o u c h o : Oui. J'aim erai vous poser une question?
B r ig g s : Vas-y?
G r o u c h o : Croyez-vous vraim ent que les f il le s aient tendance à
être déçues par un garçon, qui se laisse em brasser? Je veux dire,
vous-ne croyez pas que les filles qui sortent avec des garçons comme
moi se m arient avec l ’autre genre de type. Bon, ça va bien. Si vous
devez m e tuer, dépêchez-vous. J'ai un fortifiant à prendre à deux
heures.
B r i g g s : T u me plais. Je pourrais avoir besùin d ’un ty p e .d e ta
trem pe. Nous pourrions aller très bien ensemble.
G r o u c h o : Bien sûr, la première année nous aurions quelques
petites disputes. Mais c’est inévitable, ne croyez-vous pas ?
27
VI
Cette entrée comparée à celle de Groucho attendu' par toute la cour de Fiee-
donie dans Duck Soup éclaire une différence fondamentale entre les deux systèmes.
Ce qui chez: Fields est innocence et propriété naturelle devient chez les Marx éthique
volontaire et mode d ’action. Le monde caricatural mais presque normal sur lequel
ils appliquent leurs sacrilèges doit sentir passer le cyclone. Les films des Marxj sont
de vrais film s d'action, d ’infiltration, d ’accaparement des ressorts, leviers de com
mande et placés fortes. Dans le grand cirque de la struggle for life les Marx devien
nent chef d ’E tat, explorateur choyé, imprésario ou pique-assiette en haute sphère
28
Le poète Louis-Ferdinand Céline (qui ne peut s’empêcher de parîer des; îsraclites
comme Juvénal des Grecs), en décrivant les juifs, en général, dans Bagatelles-four
un massacre > nous donne des Marx un portrait précis et ressemblant : « ... avides,
voraces, larvaires, vautours arrogants ou limandes, se transformant, se frêgolinisànt
inlassableme?it dans la vie de tous les jours, selon les besoins de la conquête, u En1
écrivant ces mots, Céline ne pense pas à l'a rt des juifs dont l'agressivité ou les puis
sances convaincantes sont toujours dissimulées, mais à leur pratique de l'influence et
de l ’action. Les Marx sont les seuls poètes juifs, le Talmud et la Bible mis à part,
qui expriment avec une sérénité totale une intensité délirante, sous forme d ’aveux
frénétiques, le style terrifiant de l'efficacité judaïque
UN CO M IQ U E D 'E N T R E P R I S E
Il faudra un jour démontrer à tous ceux pour qui ce n'est pas évident que
l'humanisme chaplinien consiste moins dans l ’art de- tendre charitablement une main
efficace et compatissante que dans celui de tendre efficacement la main. Toute
l ’immense valeur du grand mime réside dans la clarté expressive et la virtuosité
miraculeuse de son exécution, mais nullement dans son univers apitoyeur, égoïste,
faussaire et illusoire. Les conduites impraticables de Buster Keaton et d ’H.arry
Langdon nous orientent, plus honnêtement, plus aisément, vers l ’illimité contestable
mais authentique des conduites mystiques. On peut aimer considérer les manèges fous
de Mac Sennett, comme une remarquable gymnastique suédoise de l'esprit de liberté.
Mais il fau t attendre les Marx, ces chers sophistes, pour trouver un cinéma comique
spontanément bâti sur une morale presque cohérente : en l ’occurrence, un superbe
climat matérialiste. Cabanis affirm ait doctrinairement : « L'homme est un tube
digestif^ » Dans Animal Crackers. Chico, arrivant au superbe manoir de. la richis
sime Mme Rittenhouse, se contente de dire, après quelques hâtives marques de
politesse : « Où est la salle à manger ? »
Dans leurs célèbres scènes de contrat, par leur façon de dire « money i, les
Marx ramènent tout à des questions de salaires, comme Marx (K arl), dans les meil
leures pages de son Capital.
Dans M onkey Business, u n gangster se prépare à engager Chico
et Harpo comme gardes du corps ;
— Etes-vous vraim ent durs?
C h i c o : Cela dépend de l ’épaisseur de la galette. Si vous payez
pas beaucoup, on e st pas très dur. Vous payez beaucoup, on est très
dur. Si vous payez trop, on est trop dur. Combien payez-vous?
H e t t o n : Je paye des tas...
C h i c o : Vous payez des tas! Nous vous prouverons que nous
sommes des durs. E t il se fa it démolir à coup de poing par Harpo.
— Qu’est-ce que mille dollars? De la nourriture pour la volaille!
disait Groucho, dans Cocoanuts, pour en obtenir 20.000 de plus.
P ar leur acharnement bien judaïque à ne jamais dissocier la rentabilité de toute
tentative, les Marx soulignent, moins, une symbolique de la puissance illimitée de
l'argent que l ’une des vérités clefs du matérialisme dialectique,: les idées ne naissent
pas dans l ’esprit de l'homme par cérébration pure, mais selon la façon dont il gagne
sa vie.
Depuis toujours les Marx Brothers ont accordé une place primordiale au travail
et à l'initiative, alors que les aventures Icolkosiennes, les biographies soviétiques
sérieuses, ou certains films américains commencent justement à nous familiariser
avec cette dramaturgie de l'action e t du social. Tous les films marxiens, construits
comme les aventures d'H ercule, se fragmentent en cinq ou six travaux conscients et
organisés. Chaque nouvel épisode commence toujours p ar un stade préparatoire de
reconnaissance, de discussion et de devis. Puis vient le moment des émissaires,; des
29
travestis et des infiltrations. Les Marx, s ’étant partagé les tâches, cherchent à
atteindre leur but, ne craignant ni les outils ni les obstacles. Leurs entreprises sont
réellement des travaux d'équipe : destruction pour le bon motif d 'u n spectacle lyri
que dans Une nuit à VOpéra, enquête policière de H a fp y Love, vente d ’un lotisse
ment dans Cocoanuis. Ce goût de l ’initiative forcenée a permis aux M arx de réussir
à l ’âge du cinéma sonore quelques films ayant la puissance comique des grandes
réussites muettes, et de révéler toutes les perspectives réjouissantes et les champs
nouveaux qu’offre à l ’imbroglio, au rire et au burlesque, cette dramaturgie de Faction.
Il ne faut pas s’étonner que, répondant toujours aux lois de cet ordre vécu, la cohé
sion fonctionnelle des Marx se soit affaiblie, et que leur famille ait succombé à
l ’évolution et aux cqntradictions qui détruisent forcément les groupes et les équipes.
LA R E V O L U T IO N C O U R O N N E E
30
H arpo p en d a n t son séjour à Moscou. P h o to s 1 e t 2 : A vant e t ap rès (pour les lecteurs
de a l'H um n n) ; Après et avant (pour les lecteurs du « Fiyaro »).
tables raisins de la colère sont toujours trop verts pour la censure: (Encore qup
certains abus de notre moderne société deviennent si flagrants et périmés que la
m a u v aise conscience elle-même doit abandonner leur défense). Il est une monumen
tale puanteur du monde actuel qu’on ne peut servir, à la table contemporaine, et
des cris justifiés qui ne peuvent être entendus. Parmi les minces possibilités offertes
aux hommes de dire efficacement ce qu’ils ont. sur .le cœur, sans se faire enfermer
ou matraquer, les Marx ont inventé des procédés de cours' divinement goguenards.
Il e st rare q u ’un homme puisse réunir les qualités du politique et les vertus des
prophétiques, le sens de l’installation et celui de .l’imprécation, le goût du sérieux
et celui de l ’audace. Seuls, les privilèges précis accordés de toute éternité aux fous
des rois rendent le compromis possible. E n camouflant leur satire dans des comé
dies musicales anodines, dans clés opérettes « nononarièttes », en invoquant et en
bénéficiant du statut des fous royaux, les Marx ont trouvé une formule de non-
conformisme aussi originale que les équations d?Einstein.
U N E M ISSIO N D E D E R IS IO N
Il est difficile, par nos jours maigres, de passionner les jeunes esprits pour
ia liberté de penser, d ’écrire et de vivre autrement que dans le cadre de commodités
dérisoires. Aussi, pour ce faire, il n ’est p a s . mauvais que de temps en temps la
race juive nous délègue quelque clown ou prophète vrai ou faux, afin d ’éveiller des
hontes et compréhensions salutaires. De Spinoza à Bergson et Shoenberg ces spécia
listes de la scission, ces inquiéteurs d ’énergie sont indispensables. Cela permet d ’a t
tendre avec moins d ’ennuis les spiritualismes nouveaux et les hiérarchies convain
cantes qui tardent à remplacer les religiosités usées et les harmonies détruites. Cette
31
vocation dangereuse et essentiellement juive du sarcasme et de l'apocalypse compense
l ’écœurement que nous procure cette autre vocation permanente des isréalites : l'enjô-
lage, le bêlement d ’amour, le messianisme à la noix, le néo-petit jésuisme bénéficiaire*
qui, des radios et télés publicitaires à Charlie Chaplin, nous rendraient vite antira
cistes si nous n ’étions pas équilibrés et prudents.
Apparemment certaines formes de grandeur d ’âme n ’ont pas l ’agrément des
Marx Brothers : la dignité tragique, les puretés ou les noirceurs exclusives. Ne
s’embarrassant ni de conviction ni de ferveur, les M arx ont la mauvaise foi de
Chaplin, mais sans sa fourberie ni ses fièvres inutiles. La perruque de H arpo est
toujours prête à tomber et on peut se demander si les moustaches de Groucho sont
« peintes ou accrochées à son cigare d. Jam ais ils n ’expriment le moindre déchi
rem ent, le moindre' sentiment contrarié, dont Chaplin tire des effets inoubliables
(séquence finale de City Lights). Capables seulement d ’un peu d ’abattement quand
cela va trop mal, la condition humaine leur apparaît comme une piste, un, terrain de
sport et non comme un prétexte à méditation et à vertige. I l est impossible de les
surprendre en train de faire leur M anfred, ou leur, Faust, même auprès des dames.
L a grandeur des roseaux pensants mâles ou femelles ne les impressionne pas. Les
berlues de Madame Bovary, les velléités d ’H am let sont des abîmes qui leur
demeurent étrangers.
Ce que Groucho pense, p a r exemple, des belles perspectives
combinées de l'arrivisme e t du courage :
— J ’ai réalisé un exploit! P a rti de rien j ’ai a ttein t la misère.
I j épopée de magazine, telle que l’encadrent les rédacteurs zélés de
2a grande presse e t la digère la crédulité populaire :
— Vous ne pouvez pas rester dans ce placard!
G h o u c h o : Vous ne pouvez pas! Ah! vraim ent je n e peux pas!
C’est aussi ce qu'on a d it à Thom as Edison, le grand inventeur, à
Thomas Lindberg, le grand inventeur, à Thomas Shipsky.
Il faut, avec les films des Marx, applaudir ou se résigner, car c’est le désordre
qui réussit. .L e ‘chemin de l ’honneur et de la logique devient celui de l ’échec et du
ridicule. La Société, que représentent Sig Ruman et la plantureuse milliardaire
Margaret Dumont (Mrs. Tedstale dans D uck Soup, Rittenhouse dans Animal
Crackers, et cætera.,.)' sert de repoussoir aux frères. Grâce à leur vigilante sollicitude
les magnifiques prestances", les distinctions naturelles et héréditaires, les poitrines
imposantes s’écroulent. Sans une mesure pour rien, le solennel opéra italien de
Une mtït a VOpéra se métamorphose en une rangaine agressive : Take me doimi to
the bail game. D ans U n jour au cirque, les Marx coupent les amarres d ’un piodium
flottant sur lequel un orchestre de cent musiciens, et son Stokowskl, partent à la
dérive, en jouant toujours du Wagner,
Richard Rowland remarque que si personne n ’est plus concupiscent que Groucho
(si ce n ’est H arpo). les films des Marx sont moins érotiques q u ’un documentaire
sur les oléagineux. Dans Une nuit à Casablanca, tournent autour de la belle espionne,
les valses de Strauss, les belles aimées, le champagne rose, les senteurs balsamiques
et, pour finir, Groucho. Tout y est sauf la séduction qui s’évanouit, trouvant que
l ’on ne la prend pas au sérieux ,
32
T out reste encore à dire des Marx, A-t-on signalé
ré to n n a n te ressem blance de Adolphe-Arthur-Harpo
M arx avec Françoîs-R ené d e C h ate a u b rian d , cet au tre
ch a n tre du m a l du siècle ? L a h a rp e a égalem ent
quelque chose de M m e de R écam ier.
33
Nacogdoche
Is full of roaches.
Nacogdoche est pleine de punaises.
The Jackass
Is the finest flower of Texas
Le b a u det est la plus belle fleu r du Texas.
Le tout entremêlé d'injures, comme : « Damné Yankee! ». Ces idioties spontanées
rem portèrent un succès stupéfiant. P ar la suite, il fallut reconnaître que ce genre de
plaisanteries ne réussissait pas également dans toutes les villes.
André M A R T IN ,
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
BEVUES
34
OtWAAGES
35
PETIT JOURNAL INTIME DU CINÉMA
p a r Robert Lachenay
36
D im a n c h e 8 M ai
Z u T ET ZUT. — L ’exploitant qui « saute i>
une bobine du -Carrosse d ‘Or mérite là pen
daison, c’est évident. Toute médaille a son
revers : j ’aime Le Rififi, ah ! oui, et j ’ai
l’intention de l’aller revoir souvent. Je re
mercie par avance Jes exploitants qui rac
courciront ou supprimeront complètement le
court métrage qui l’accompagne ; Braco, le
crétin 'sauvage.
J e u d i 12 M a i
— Mes petits amis, collègues
V i v e P a r is /
et confrères reviennent de Cannes, bronzés.
Je leur explique que je me suis fait en leur
absence mon petit Festival de Paris. Dans
ie même temps qu’eux à Cannes j’ai pu
choisir à Paris : M onkey Business, French
Cancan, L ’Envie, Voyagei en Italie, Allem a
gne année zéro, La Dame de Shangai, L ’E n
fer est à lui, Vera-Cruz, La Montée au Ciel,
Boudu, Le Carrosse d ’Or, Une Etoile est née
et Notorious. Je ne suis pas mécontent quoi
que non bronzé
V e n d r e d i 13 M a i
SoPHIfc. — A ndré Bazin dit plus loin ce
qu’il faut penser de L ’Or de l\aples, Je le
soupçonne d ’omettre l ’essentielle participation
de Sophia Loren qui est un morceau du di~
37
V e n d re d i 20 M ai
IMPORTANTE... déclaration de Jean Delan-
noy à France Air : « L ’excellence de la cui
sine est certainement, avec la gentillesse des
équipages et la: régularité des services, une
<£es trois raisons qui font que je choisis tou
jours .i4ir France. »
M a r d i 24 M a i
GRANDE ASSEMBLÉE... générale annuelle de
l’Association de la Critique de Cinéma et de
Télévision (C.C.T.V.). On procède à l’élec
tion des membres du bureau. Par surprise et
presque à son corps défendant Adonis Kyrou
est élu. En félicitant Kyrou, j ’espère le con
vaincre de mon existence réelle puisqu’il ne
m ’en prête une que fictive. Non, Robert La-
chenay n ’est pas une signature collective. Je
pense, donc je suis. Je ne sais sî mon exis
tence précède mon essence mais toujours est-
il que je suis pourvu de l’une et de l'autre.
D’ailleurs je connais bien Kyrou (de vue) et
ma photo lui permettra, je l’espère, de me
« remettre ».
M e r c r e d i 25 M a i
CHARABIA, — De Jean-Louis Tallenay
dans « Radia-Cinéma-Téléoision » fà pro
A yant term iné L es M auvaises R en con tres, pos de La pointe courte d ’Agnès Varda) :
que l’on espère voir au Festival de Venise, « Le cinéma français n’était jamais parvenu
A lexandre A struc étudie des sujets. Les jusqu’à présent à nous donner l’équivalent du
quels? Mystère. réalisme attentif à la vérité des êtres quon
irorjce ici ni la sensation d’une durée qui se
déroule au rythme de la oie intérieure, au
Bazin, se prend les pieds dans Ciftzen Kane lieu d’être soumise aux servitudes de l’action
et trébuche sur Le Journal d’un Curé de Cam* dramatique. » Comme dit Pierre Renoir dans
pagne. Par ailleurs, il est lassant de lire des La Marseillaise en commentant le manifeste
ouvrages de cinéma écrits par des auteurs qui de Brunswick : « Je n’aime pas ce style ! »
voient un film par mois. Il est évident que D'abord, tout réalisme est forcément « atten
Jean Leirens n ’a vu qu’une fois les films dont tif à la vérité des êtres » sans quoi il n ’est
il parle. C’est peu. Dans le domaine de l’hu- pas un réalisme. Ensuite une « durée » ne se
lographie on peut lire avec profit Hu/of par « déroule » pas, elle dure. Enfin si l'action
mi noos, de Geneviève Agel (même éditeur). dramatique est bien menée elle se trouve na
Voilà un livre d ’amoureuse ; ça fait plaisir. turellement synchrone si j’ose dire avec le
Et la dame connaît le film plan par plan.' k rythme de la vie intérieure ». Cette no
Bravo 1 Le Cinéma e£ UEnfance par Pol Van- tion de la « vie intérieure )> et du cinéma :
dromme (même éditeur) plaira davantage aux oc mouvement intérieur » est aujourd’hui bien
éducateurs qu’aux cinéphiles. II n ’en est pas galvaudée. S’il ne se passe pas grand-chose
moins attachant. dans un film on saute là-dessus pour n'avoir
rien à expliquer. Bref, cette phrase ne veut
M ercred i 18 m a i strictement rien dire. Espérons que le film est
bon quand même.
— Tous ces
M aintenant o n p e u t l e d i r e .
rix distribués aux courts métrages contri- J e u d i 26 M a i
ueront sans doute à l’amélioration de la
race. Fort bien. IVfais pourquoi ne pas divi PjRATERIE. — A la Majson de la Chimie,
ser les courts sujets en deux catégories : Jeanne au Bâcher de Roberto Rossellini.
ceux subventionnés ou produits à fonds per Beau film dont il a été déjà question ici et
dus à des fins publicitaires d ’une part, et dont il sera de nouveau question. Il y a quel
ceux de fiction d autre part ? Pourquoi en ques mois Bazin, Doniol and Co ont vu une
courager la S.N.C.F. ou )es Tissus Boussac version dans laquelle Ingrid Bergman se dou
à produire encore et toujours des films pu ble elle-même, avec son bel accent bourgui-
blicitaires _en les leur remboursant pratique gnon-lorrain. Cette fois, c’est une voîx banale
ment 7 Même signés Lucot, Paînlevé ou que j ’ai entendue, très « comédie-française ».
Vidal, ces apologies de l’acier-, des res Renseignements pris il s’agit de celle de Clau
sorts de montres ou des supports-chaussettes de Nollier. Les « pirateries » des marchands
nous lassent. Ces 150 millions de prix, les ne vont jamais dans le sens de l'intelligence
eût-on répartis entre les rares courts métra car je parie bien que la version doublée par
ges de fiction (bons ou mauvais) qu’ils pou- Bergman était non seulement meilleure mais
vaient faire de? miracles aussi plus commerciale.
38
S a m e d i 28 M ai ro b e m o u illé e colle à la p e a u . Le p è r e se
m eurt- Les b r a s , les co u d e s e t les g e n o u x
RELIEF, — L e s « h itch co k ien s » re g re tte n t
d e n ’avo ir p a s v u Dial M for Mtirder en. 3 D. s ’e n tr e m ê le n t g ra v e m e n t, n o r m a le m e n t o n est
en g u e rre , et rie n n 'e s t p o lisso n n i grivois,
sa u f n o tre a m i S c h é re r q u i p r é te n d av oir eu
c’e s t a in s i, F r a n c k L o v ejo y q u i a u r a it v o u lu
l a se n s a tio n d u re lie f p o la ro ïd e en se m a s
av oir u n e filie p r e n d un jo u r, co m m e ça,
q u a n t (en p artie) l ’œ i i g a u c h e avec d eu x
la m a in d e celle-là c o m m e il a u r a it p u faire
d oig ts.
au ssi b ie n Place d e l'E to ile , elle est fran ç aise
M a r d i 31 M a i au ssi, et cet id io t de Curtie s u rv ie n t, jalo ux
SÉRIEUSES RAISONS. — La Centrale Catholi et c o m p r e n d mal. L o v ejo y fait l e b lessé et
que (C.C.C.) communique : « Film pour adul v o u d r a it b ie n avoir la pea.u d 'u n ' ja p s p o u r
tes avec de sérieuses réserves ; à ne pas voir s ’e n fa ire d e s S partiates. Seins, cuisses, v e n
sauf pour de sérieuse,® raisons (4 B) ; « La tre, fesses c o m m e la p ie rre et h a u te s , m ise
Fille de Mata-Hari », Eh bien ! Robert La- en sc èn e e n fin irré p ro c h a b le . T o n y ^et Marie
chenay ira voir La Fille de Mata-Hari ! J’ai p a s se n t la n u it d a n s les h e r b e s . L ’a u b e les
pour cela une sérieuse raison : je veux me tro uv e e n lacé s c o m m e fil e t ch as, c h e v e u x
rincer l’oeil ! L ’œ il a ses (sérieuses) raisons e m m ê lé s , ils o n t a im é .
que la C.C.C. ne connaît pas, Robert LACHENAY.
J e u d i 2 Ju in
PoUTJQUE des Auteurs (nécessité de la). •—
André Bazin aime beaucoup Citizen Kane,
Lais .4 m hersons, un peu La Dame de Shan-
gàï et Othello, guère Voyage au Pays de la
Peur et Macbeth, pas du tout L e Criminel.
Cocteau aime beaucoup Macbetk mais non
Le Criminel. Sadoul aime assez Kane et les
Ambersons mais pas du tout Voyage au Pays
de la Peur et Macbeth. Qui a raison. } Malgré
le respect que je porte à Cocteau, Bazin et
Sadoul, je préfère me ranger à l’avis d ’As-
truc, Rivette, Truffaut et tutti quanti qui ai
ment sans distinction toü>s les films de Welles
pour ce qu’ils sont des films de Welles et ne
ressemblent à aucun autre, pour un certain
jeu d ’Orson qui est un dialogue shakespea
rien avec le ciel (le regard passant au-dessus
de la tête des comparses), pour une qualité
de l’image qui doit moins à la plastique qu’à
un remarquable sens de la dramaturgie des
scènes, pour une invention perpétuelle ver
bale et technique, pour tout cela qui crée un
style, ce « style Welles » qu’on retrouve dans
tous ses films qu’ils soient luxueux ou fau
chés, tournés vite ou lentement. Je n’aî pas
encore vu Monsieur Ar^adin, mais je sais
que c’est un bon film parce qu’il est d ’O r
son Welles et que même si Welles voulait
faire du Delannoy il n*y arriverait pas. Le
reste ne sera que papotages d ’ouvreuses.
D im a n c h e S Ju in « Fouillez-moi », sem ble dire Max Ophuls,
AUBE, — Stuart Heisler est de ces braves qu’on accuse b êtem en t de m a lm e n e r le
qui ne savent pas rater un film ; dans les condi budg et de Lola Montez. A vrai dire, ce
tions les pires il réussit quand même. C’est film com m e Frou-Frou, com m e Nagana,
pourquoi je suis allé voir dans un cinéma com m e Tam-Tam e t d’a u tre s encore, est
mal famé (c’est-à-dire fréquenté par les fem fiancé avec les seuls bénéfices de Pain,
mes) sa Patrouille Infernale que toujours je amour et fantaisie, alors !...
manquai. Admirable. Technicolor ensoleillé,
quadrichromique jaune, bleu, vert et oran F ra n ç o is T ru ffau t qui a vu des rushes de
ge ; pas beaucoup de dollars, ah ça non. Lola m ’assu re que c’est ce qu’on a fait
extérieurs 100 pour 100 et cinq acteurs- Une de m ieux en C iném aScope et je veux bien
île du Pacifique ou bien un bout du jardin le croire puisque d e La S ignora di Tutti
du producteur. Franck Lovejoy est sergent, à Madame de, e n p assan t p ar Lettres d’une
la quarantaine bien tassée. Tony Curtis go Inconnue, Les Désemparés, L'Exilé, La
mmé, l'âge dç Roméo. Marie Murphy égarée Ronde (oui, p arfaitem en t : La Ronde) et
là en robe bleue, celui de Juliette. Son nère
français se nomme Bouchard et va mourir.
Le Plaisir, la c a rriè re d ’O phuIs est jalonnée
La robe est déchirée, pardi, dans la brousse. de gran d s films, tous m éconnus.
Un soutien-gorge blanc se laisse Par éclairs L e signal de la réhabilitation de Max
entrevoir ; il faut passer des rivières ; la O phuls est donné, g are au x tra în a rd s !
39
lis mus
NAISSANCE DU CINÉMASCOPE
40
d é ra b le m e n t le to u rn a g e des film s a u x v e n ir à les r e n d r e ac ce p ta b le s m a lg ré
quels elle p a r tic ip a it. Aussi, e n 1950, la fa u sse té des p e rso n n a g e s q u ’ils i n
elle f u t su sp e n d u e p a r la M étro (1). S a c a r n e n t re p ré s e n te u n joli to u r de
n e u r a s th é n ie s ’a g g ra v a n t, elle t e n t a u n force. Il a été m ieu x aid é p a r J u d y
jo u r de se suicider. P u is ce f u t la r e n G a r la n d : c e tte a c tric e tr o p ig n o rée
c o n tre d ’u n im p ré sa rio , S y d n ey L u ft : jo u e au ssi b ie n qu’elle c h a n té , à la li
il l'é p o u sa e t e n t r e p r i t de la g u érir. Il m ite de la c a ssu re C u k o r lu i a c o n s a
la f it tra v a ille r, l’a s tr e ig n it à u n ré g im e cré deux lo n g s n u m é ro s m u sic a u x au ssi
sévère, p a r v in t à r é u n ir de gros c a p i p a s s io n n a n ts l’u n q ue l’a u tr e p o u r des
ta u x e t p r o d u is it p o u r elle A Star is ra is o n s e x a c te m e n t opposées. Le p r e
born. U n film n é sous de te ls au sp ices m ie r m e t en lu m iè re l ’a p p o r t d e G en e
p r o m e tta it d’ê tre d é lir a n t : il l’e s t en K elly à la com édie m u sic a le : o n n e
e ffet. p e u t s ’e m p ê c h e r de p e n s e r à Un jo ur à
N ew -Y ork e t s u r to u t à C hantons sous
la pluie. N ous som m es c e p e n d a n t loin
d ’u n quelconque d é m a rq u a g e ; C ukor a
p lu tô t réu ssi à d ég a g er d e l ’œ u v re d e
L>e sc é n a rio est m a lh e u r e u s e m e n t K elly les élé m e n ts p o u r l’é ta b lis s e m e n t
l’é lé m e n t le m o in s b o n : la d éc h é a n c e d ’u n e tr a d itio n du b a lle t film é. P a r
d ’u n alcoolique n ’éveille que des souve c o n tre , le d eu x ièm e n u m é ro , s a ra b a n d e
n ir s désagréables, de The Lost Week d éc h aîn ée , film ée en p la n s se rré s s u r
E nd à C ountry G ir ld ) . C ukor, c h a rg é de Ju d y G a rla n d , est tr è s n e u f : les idées
m e ttr e e n scèn e ce so m b re m élo d ram e, s ’y b o u sc u le n t à u n e c a d e n c e qui vous
a p ris le m e ille u r p a r ti, celui de p o u sse r coupe le souffle e t la v itu o sité de la c a
to u te s les scènes à le u r p a ro x y sm e : il m é ra vous d o n n e le v ertige. C ar, n e
e s t d o n c in d is c re t ju s q u ’à l ’in d écen ce, l’oublions pas, n o u s som m es d e v a n t u n
a u d a c ie u x ju s q u ’a u cu ïo t (3). Que nous C iném aS cope : p o u r ceux qui o n t vu
s u rp re n io n s les époux d a n s le u r in tim ité , la tr e n ta in e de C iném aS cop e p ro je té s
que n o u s assistio n s à u n e ex p lic a tio n à P a ris, p are ille souplesse de la c a m é ra
o rageuse, voire à u n e crise de n e rfs, sem ble rév o lu tio n n a ire .
n o u s av o n s c o n ta m m e n t l ’im p re ssio n
d ’ê tre a u b o rd d e l’in so u te n a b le . C ukor L ’é c r a n la rg e a d é jà été f a ta l à bo n
s a u r a it- il si b ien « ju s q u ’où o n p e u t n o m b re de r é a lis a te u rs , m ê m e p a r m i
a lle r tr o p loin » (4) ? Le scén ario, p a r les p lu s cotés : c e tte p ie rre d ’a c h o p p e
ailleurs, s ’am élio re su r la fin e t les d e r m e n t fe ra fa illir en co re p lu s d ’u n e r é
n iè re s séquences où la v e d e tte V icky p u ta tio n e t il n ’e s t p a s p o u r d é p la ire
L e ste r re n o n c e à sa r e tr a i te p o u r se q u ’O tto P re m in g e r so it l ’u n d es seuls à
d o n n e r à son p u b lic f o n t q u ’e n elle ê tre so rti in d e m n e de l’épreuve. C ukor,
n o u s re c o n n a isso n s u n e p e tite cousine lui, e n so rt victorieu x. Il a b o r d a it à la
d ’A m érique de la C a m illa du Carrosse fois la c o u leu r e t le C in ém aS co p e : les
d’Or ou de la N ini de French Cancan. d e u x lu i o n t se rv i d e tre m p lin .
T o u t ce q u i est c e n tré s u r J u d y G a r -
la n d est du re s te le p lu s c o n v a in c a n t.
Avec la couleur, il a re c h e rc h é s u r
Avec J a m e s M a so n e t J a c k C arson, to u t l’e ffe t d ra m a tiq u e , tr o u v a n t de
co m éd ien s m édio cres, Cukor nous nouvelles idées à ch a q u e p la n ; ja m a is
d o n n e u n e p re u v e s u p p lé m e n ta ire de n o u s n ’av io n s v u se m b la b le ric h e sse
ses dons de d ir e c te u r d ’a c te u rs : p a r d’in te n tio n . Avec l’é c ra n la rg e , so it il
(1) N’é ta n t plus en é ta t de travailler, elle fu t remplacée par B e t t y H u tto n dans Annie
la reine du cirque.
(2) On p eu t y trouver toutefois un e certaine résonance autobiographique, le drame de
l’acteur Norman Maine (James Mason) présentant quelque analogie avec le dram e personnel
de Judy G arland.
(3) A ce p oint de vue, la remise de l’Oscar à Judy Garland dans le film devient confon
dante. puisqu'elle visait l ’Oscar pour son interprétation dans A Star is b o m (elle f u t b a ttu e
d’une courte tê te p ar Grâce Kelly).
(4) Je n ’en veux pour témoignage ctue l ’étonnante scène de l ’enterrem ent
41
force l’a tte n tio n su r ses p e rso n n a g e s ta g e accéléré, les « te n m in u te s ta k e s
e n les e n v ir o n n a n t d ’u n e p é n o m b re où les m o u v e m en ts d’a p p a r e il les p lu s s a
n ’év o lu e n t que des s ilh o u e tte s confuses, v a n ts, les ra c c o rd s les p lu s osés, les
so it il se liv re à u n e v é rita b le d é b a u c h e c a d ra g e s les p lu s d ifficiles, to u t e s t là.
visuelle, a l la n t ju sq u ’à n o u s m o n tre r N ous av o n s e n fin la p re u v e m a té r ie lle
s im u lta n é m e n t u n m a tc h de boxe à la q u ’e n C iném aS cope t o u t est p ossible.
télévision, u n e .discussion e n tre iC harles Avec A S ta r is born, 2e C in ém a S c o p e
B ick fo rd e t J a m e s M a so n e t u n film de e s t né.
Lew is Seiler. E t re g a rd e z b ie n : le m o n C h a r le s B it c h .
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DEUX IEM E PA R T IE T R O IS IE M E P A R T IE
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d its so n t encerclés p a r les ju a ris te s qui a u t a n t que ce lu i-c i la re tro u v e p arfo is,
v e u le n t s’e m p a re r de l’or d o n t ils s a n s le savoir. L eu rs colloques so n t
c ro ie n t la diligence ch a rg ée . P o u r se p le in s de : « Ace H a n n a h a u r a it aim é
v e n g e r d u M a rq u is e t ré c u p é re r For, c e la » ou « Si Ace H a n n a h é ta it là il
to us s'a llie n t. s e r a it fie r d e n o u s ». E t lo rsq u ’ils se
23. — B a ta ille ra n g é e fin a le g ag n ée f â c h e n t : « A ce H a n n a h n 'a u r a it p a s
p a r les J u a ris te s. L a n c a s te r v a t r a h i r été a m i av ec to i — Cooper : Q ui te d it
1* comtesse, Cooper, les J u a r is te s et que J’a u r a is v o u lu l ’av o ir p o u r a m i ? »
p a r t i r se u l avec l ’or q u a n d C ooper le L a n c a s te r se c r o it l ’h é r itie r s p iritu e l
tu e p o u r re m e ttr e l’or a u x ju a ris te s aux de Ace H a n n a h m a is n o n Cooper. E n
côtés de qui il c o m b a ttra déso rm ais. fa it, Ace H a n n a h c’é t a it p ro b a b le m e n t
la ro u e rie de L a n c a s te r jo in te à l’i n
te llig e n c e d e C ooper. M ais le m o in s
c u rie u x n ’e s t p a s ceci : que to u s les
p e rs o n n a g e s de Véra Cruz, de la C om
C’est v o lo n ta ire m e n t que j ’ai ré d u it te sse à l’E m p e re u r, se d é fin isse n t p a r
ce sc é n a rio à so n o ssa tu re, p o u r en r a p p o r t à Ace H a n n a h d o n t ils ig n o
m ieu x rév é ler l'in g é n io sité ex trê m e . J ’ai r è r e n t to u jo u rs le p a ssag e d a n s ce
m ê m e dû. re n o n c e r à c e rta in s d étails m onde. T ous tr a h is s e n t to u t le m o n d e
im p o r ta n ts (1). O n a u r a re m a rq u é que e t son p è re , to u s m e n te n t e t s a v e n t
c h a q u e scèn e ju s tif ie r a it u n film à elle l’a r t de d e v in e r e t de d éc h iffre r les
to u te seule p u isq u e c h a c u n e possède s a visages. L a C om tesse p ré se n te L a n c a s
p ro p re c o n s tru c tio n d ra m a tiq u e e t se te r a u c a p ita in e du b a te a u . Ce d e r n ie r
re to u rn e , d ir a it S a rtre , com m e u n les la isse seuls. C’e s t alors que L a n c a s
g a n t. t e r g iffle l a Com.tesse à to u te volée :
« Ce type m 'a regardé com me on regar
M ais c e tte h isto ire de B o rd e n C hase de u n h o m m e qui va m ourir ; vous v o u
a d a p té e p a r R o la n d 'K ib b e e e t J a m e s liez vous débarrasser de m oi. »
R. W ebb, m ise e n scèn e p a r R o b e rt
A ld rich (2) est d a v a n ta g e q u 'u n m in u Véra Crus e s t-il u n w estern in te lle c
tie u x m é c a n ism e d ’ho rlo g erie. C’est tu e l ? (4). T o u jo u rs e s t-il q u ’il n o u s
ain si q u 'a u te rm e de la p re m iè re p a rtie , m è n e loin des a u tre s, du fa c é tie u x H igh
L a n c a s te r r a c o n te s a vie à Cooper. Son Noon ou d e s fa u s s e m e n t p ro fo n d s
p è re a é té tu é a u cours d ’u n e p a r tie de Sh a n e ou Trésor de la Sierra M adré.
c a rte s p a r u n c e rta in Ace H a n n a h (3) Véra Crus m ’a f a i t c o m p re n d re q u ’o n
qu i e n re v a n c h e a a d o p té l ’e n f a n t. Ce n e p e u t c o n d a m n e r les film s d ’H u s to n
m o u v e m e n t de faiblesse — le seul d a n s su r le u r p rin cip e, q u ’ils n e p è c h e n t que
sa vie — c a u sa sa p e r te puisq ue, lo rs p a r le sty le, l'in su ffisa n c e du sc é n a rio
q u ’il f u t assez g ra n d , L a n c a s te r le tu a . e t de là m ise e n scène c a r Véra Cruz
Ace H a n n a h é t a i t u n m o ra liste : « ne c 'e s t "exactem ent u n H u sto n qui s e r a it
rends jam ais un service si cela ne doit réu ssi.
pas te rapporter quelque chose ». etc. L a m ise e n sc è n e de R o b e rt A ld ric h
Le c o m p o rte m e n t de B u r t L a n c a s te r e s t u n p e u v o y an te, to u te en effets, les
e s t u n iq u e m e n t fo n c tio n de c e tte m o u n s ex cellen ts, les a u tre s su p e rflu s,
r a le e t il n ’a d m ire Cooper que p o u r m a is s e rt to u jo u rs le scénario.
(1) Véra Crus est con struit su r la répétition des thèm es. Deux encerclements par les
Juaristes, deux vols d u même portefeuille. Cooper e t Lancaster se sauvent la vie récipro
quem ent chacun u ne fois. J 'a i oté de mon récit le rôle de Nina q u i est p arfait ; a) elle
est prise au lasso par u n b a n d it ; b) Cooper la libère en a ttra p a n t au lasso l’imbécile ;
c) N ina vient rem ercier Cooper en l’em brassant su r la bouche ; d) m ais ce faisant, elle
lu i a volé son portefeuille ; e) comme il s’en va, elle lu i offre u ne pomme ; f) p o u r la
payer il cherche son portefeuille ; g) « Ne cherchez vas, M onsieur, c’est gratuit » ; li) plus
tard, ils se retrouvent ; Cooper lu i reproche le vol d u portefeuille : « L’avez-vous cherché ? »
Il l’a sur lui ! c 'e st elle q u i am ènera Cooper à la cause des Juaristes. I/avant-dem ier p la n
du film nous les m ontre m archand l ’u n vers l’auti'e. Au dernier plan on ne les voit plus.
(‘2) On lira u tilem ent dans le num éro 45 des Cahiers la critique, par Claude Chabrol,
de Bronco Apache qui est le prem ier film q u ’on a it vu à Paris de l ’équipe de Vera Cruz.
(3) Ace H annah {Hannah le Caïd). Curieux nom palindrom ique. D ans la version dou
blée, Ace H annah est devenu bizarrem ent Gégêne. Au prem ier degré. Gégène choque p a r le
côtêi Eugène üe Belleville. Au second degré, 11 évoque u n sage antique, peut-être à cause
de Diogène ? Si l ’on ne comprend: pas l’anglais, il est mieux de voir la version française.
(4) Aux Champs-Elysées, le public s'amuse et croit voir u n film n a ïf ( f) et u n peu
ridicule. Place Blanche, -au contraire, les spectateurs « m archent » très bien p end an t to u t
le film mais q u itte n t la saîe avec le sentim ent q u ’on s’est quelque peu payé leur tête. Ce
qui est u n p eu vrai, mais pas to u t à fait.
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A n d ré M a rtin , lo rsq u e d é b u ta la vo C’e s t p o u rq u o i l ’o n p e u t to u t a t t e n
g ue des B osustow , n o u s a p p r e n a it que d re des p ro d u c tio n s in d é p e n d a n te s q u i
to u s les d e s s in a te u rs de W a lt D isney se m u ltip lie n t à H ollyw ood e n m a rg e
p o u v a ie n t e n f a ir e a u t a n t e t que s’ils de la g u e rre des fo rm a ts . Les « Artistes
c o n tin u a ie n t à tr a v a ille r selon les n o r Associés > a n n o n c e n t p o u r 1956 des
m es de Blanche-N eige c ’e s t qu’on les productions de M ankiew icz, A ldrich ,
y c o n tra ig n a it. J ’a i le s e n tim e n t que H e c h t-L a n c a s te r, P re m in g e r, H aw ks,
T on p o u r r a it r e p r e n d r e ce ra is o n n e etc.
m e n t e t l'a p p liq u e r a u x sc é n a ris te s h o l O n p e u t r e g r e tte r q u e b e a u c o u p de
lyw oodiens, T o u s ou p re sq u e s o n t c a p a c o n frè re s so ie n t p assé s « à côté » de
bles d ’é c rire d e s sc é n a rio s e t d e s d ia lo Véra Cruz, c e r ta in s n 'y a y a n t rig o u re u
g u es à la m e su re d e celu i-ci m a is il se se m e n t r ie n co m pris, on décelé « p o m
tro u v e d a n s c h a q u e firm e des « ex e cu p ié rism e » e t e n fa n tilla g e s . E t co m m e
tiv e » d o n t le tr a v a il c o n siste e sse n tie l d it le p o ète : « Quels so n t tous ces e n
le m e n t à bosseler les sc rip ts ju s q u ’à ce fa n ts do nt pas un seul ne r it ? »
q u ’ils s ’in s c riv e n t d a n s le cercle vicieux
de l a r o u tin e (5). F ra n ç o is TR U FFA U T.
UN FEU TARD...
(5) Devant u n scénario am éricain m al co nstru it et Tûête (exemple : Les Femmes m ènent
le monde) on p e u t être certain que trois ou quatre très bons « traitem en ts » o n t été
refusés ou remaniés. D evant Thérèse R aquin ou Le Dossier noir, ces consolations sont
impossibles : ce pauvre Spaak donne là son « m axim um » !
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te lle so rte que la s u tu r e des é lé m e n ts M ais alo rs, d ir a - t- o n , q u 'e st-c e que
so it peu sensible. L a polyvision d ’Abel ce ré a lism e ? J e le d é fin ira i e s s e n tie l
G a n c e n ’a d o n c p a s que des ju s tif ic a le m e n t n o n p a r la r e s titu tio n d u re lie f
tio n s esth é tiq u e s, elle tro u v e u n alib i m a is p a r celle de l ’espace. P o u r la p r e
d a n s la te c h n iq u e m êm e. Loin de r e n m iè re fois, ou p resq u e (c e tte ré s e rv e
d re cad u q u es les idées du p ro p h è te du s’a p p liq u a n t à d e r a r e s im ages C in é m a
trip le é c ra n , le C in é ra m a , en co n firm e S cope d o n t je p a r le r a i t o u t à l'h e u r e ) ,
le b ie n -fo n d é. j ’ai p r is co nscience des lim ite s de to u te s
M ais je n e veu x p as re v e n ir su r le les im ages co n n u e s à ce jo u r et a u e
p ro b lè m e de la polyvision d o n t Abel to u te s é ta ie n t im p u issa n te s à r e n d r e
G ance n o u s a dé j à e n tr e tr e n u ici-m êm 3 l’espace se b o r n a n t à le tr a d u ir e p a r
e t je m e b o r n e r a i à c ritiq u e r le C iné- le sym bolism e g éo m étriq u e de la p e r s
r a m a p a r r a p p o r t a u p h é n o m è n e h is p ectiv e. L a p lace m e m a n q u e , e t la
to r iq u e m e n t le p lu s im p o rta n t, je veux co m p éte n ce aussi s a n s doute, p o u r a n a
d ire l’é la rg isse m e n t de l ’é c ra n . ly se r les causes de c e tte d é c o u v erte d e
S a n s do u te le C in ém aS cope a - t - i l l ’espace, m a is u n e a u m o in s m e p a r a î t
a m o rti le choc que d e v a it n o u s p r o c e rta in e , c’est l’an g le de vision. I l e s t
c u re r le C in é ra m a . E n u n se n s ce lu i-c i e n C in é ra m a de 146° d o n c se n sib le m e n t
n ’est q u ’u n é c r a n se n sib le m e n t p lu s ég a l à celui de la visio n n a tu re lle . A ussi
g ra n d q u e ce u x d é jà conn us. E t b ie n b ie n e s t-o n en e ffe t p h y sio lo g iq u e m e n t
des sé q u en c es d u sp e cta cle C in é ra m a in c a p a b le de fa ire la sy n th è s e de to u s
n e n o u s d o n n e n t p as d’a u tre im p re s les élé m e n ts de l ’im ag e : il f a u t y p r o
sion que d ’ê tre e n su p e r-C in é m a S c o p e, m e n e r son re g a rd , n o n se u le m e n t en
je p e n se p a r ex em p le à la r e p r é s e n ta r e m u a n t les yeux, m a is e n b o u g e a n t
tio n d’A ïda à la S c a la de M ilan . L a la tète.
h id e u r des décors, des co stu m es e t d e J ’ai f a it p lu s h a u t u n e réserve. C ’est
la c h o ré g ra p h ie n ’a rie n à e n v ie r à que j'a v a is eu e n e f f e t à u n d e g ré
n ’im p o rte quel C iném aS cope ju d é o - m o in d re u n e im p re ssio n a n a lo g u e d e
égyptien. S eu le la p e rfe c tio n de la s té v a n t tro is C iném aS cop es du F e s tiv a l
réo p h o n ie d o n n e u n in t é r ê t m o m e n ta de C annes. L a P êche au T h o n (U.S.A.),
n é à la sé q u en c e des p e tits c h a n te u rs I le d e fe u (Ita lie ) e t C o n tin e n t p e r d u .
d e V ienne. P a r r a p p o r t à l ’u tilis a tio n du C in é m a
M ais on n e p e u t s a n s m a u v aise foi Scope d a n s ces tro is film s, to u t ce que
c o n te s te r q u e c e rta in e s a u tre s so ie n t n o u s avions vu ju sq u ’a lo rs d a n s des
b ie n plu s que la m u ltip lic a tio n p a r u n film s ro m a n c é s é t a it p r a tiq u e m e n t
c e rta in c o e ffic ie n t des é c ra n s la rg e s in e x is ta n t. Il est sig n ific a tif q u ’il
d é jà co n n u s. J e fa is to u t p a r tic u liè r e s ’agisse d a n s to u s les cas (y co m p ris
m e n t a llu sio n a u voyage en av ion a u - le C in é ra m a ) de sp e c ta c le d o c u m e n
dessu s des E ta ts-U n is. C e tte fois l'é m o ta ire .
tio n est p u is s a n te e t in é d ite . J e v ais d o n c m a in te n a n t e x tra p o le r
U ne p re m iè re re m a rq u e s ’im p o se : à p a r t i r de ces ex p érien ces qu i m e
l'im p re ssio n d e re lie f ex iste e n f in (du se m b le n t p e r m e ttr e d ’esqu isser e n f in
m o in s q u a n d il y a d é p la c e m e n t d a n s u n e th é o rie des é c r a n s la rg e s. Les
Taxe de la p rise de v u e ) . M ais il est c e r m a le n te n d u s e n tre te n u s à le u r p ro p o s
t a in que c e tte im p re ssio n n ’e s t n u lle p ro c è d e n t de la c o n fu sio n e n tr e les
m e n t u n f a c te u r du ré a lism e : elle en d e u x n a t u r e s e sth é tiq u e s d e l’é c ra n .
e s t b ie n p lu tô t la conséquence. C e n e C elu i-ci p e u t e n e ffe t ê tre c o n s id é ré
f u t p a s se u le m e n t u n e escro querie co m e n t a n t que tr o u ou en t a n t que cadre.
m e rc ia le de p la c e r la c a m p a g n e p u b li Q u a n d o n d it p a r exem ple que l ’é c r a n
c ita ire p o u r les n o u v elles te c h n iq u e s e s t u n « ,trou de s e rr u re » (C o ctea u ) ou
de p ro je c tio n sous le sig n e des 3 D. « u n e fe n ê tre o u v erte su r le m o n d e »,
(pu isqu e le C in ém aS co p e n e r e n d p a s on a ffirm e sa c a p a c ité de d o n n e r à
le re lie f), ce f u t s u r to u t u n e e rre u r voir. M ais q u a n d o n p a rle d ’u n e im a g e
psychologique c a r c 'é ta it p re n d re l'e f b ien c o n s tru ite , d 'u n p la n éq u ilib ré, o n
f e t p o u r la cause. Ce qui p la ît d a n s c o m p a re l'é c ra n à u n ta b le a u d o n t im
le C in é ra m a c’est le réa lism e d u sp e c p o r te n t e s se n tie lle m e n t les p ro p o rtio n s
tacle, ré a lism e si g ra n d qu’il v a p a r d u cad re. Or, ü e s t v ra i e t ju ste , d ’a f f i r
fois ju sq u ’a u relief. M ais le re lie f p e u t m e r q u ’u n tro u p lu s g r a n d est... u n p lu s
f o r t b ie n n e p a s re s titu e r le ré a lism e g r a n d tro u . L a su p é rio rité d u C in é m a
e t c ’est ju s te m e n t ce qui se p a sse d a n s Scope e s t donc de ce p o in t de v u e u n e
le s film s sté ré o sc o p iq u es d o n t le public L ap a lissad e . P a r co n tre , il e s t a b s u rd e
n ’a p a s voulu. de p r é te n d re q ue le form at: « m a r i n e »
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e s t s u p é rie u r a u f o r m a t c a r r é c a r s a Le sp e c ta c le c in é m a to g ra p h iq u e n e
v a le u r est é v id e m m e n t re la tiv e a u s u je t se d é f in is s a n t p a s se u le m e n t e n lu i-
q u i s ’y in sc rit. C ette b a n a le c o n s ta t a m ê m e m a is au ssi p a r r a p p o r t a u p u
tio n n o u s livxe u n e clef c ritiq u e décisive. blic, to u t e s t p ro g rè s qui c o n trib u e à
Elle n o u s p e rm e t d e d é fin ir à p r io ri le la « p a r tic ip a tio n > d u sp e c ta te u r. N ous
se u l g e n re ou l’é la rg isse m e n t soit, p a r a v o n s vu que l’o u v e rtu re de l ’an g le de
essence, u n p ro g rè s : le d o c u m e n ta ire . vision y c o n trib u e ; o u v e rtu re évidem
Les c o rre c tio n s à fo rm u le r n e s o n t Que m e n t re la tiv e à la g r a n d e u r de l ’éc ran .
de d é ta il. I l e s t é v id e n t p a r ex em p le M ais cet an g le p e u t f o rt b ie n ê tre
que s i l ’o b je t d u d o c u m e n ta ire est p a r le m êm e p o u r d eu x é c ra n s de p r o p o r
n a t u r e exigu e t circ o n scrit, la la rg e u r tio n s d iffé re n te s . N ous co n n a isso n s des
de l'é c ra n est in d iff é r e n te ou m êm e, à salles q u i se s o n t équipées en C in é m a
l a lim ite , e n c o m b ra n te . M ais les a v a n S cope e n c o u p a n t e n d e u x le u r an c ie n
ta g e s g é n é ra u x s o n t co n sid érab les. é c r a n d a n s le se n s de la h a u te u r , d ’où
C ’e s t que d a n s le d o c u m e n ta ire p u r la u n sp e c ta c le p é n ib le m e n t exigu et
co m p o sitio n p la stiq u e e s t u n e p ré o c c u m o in s s a tis f a is a n t p o u r l ’œ il que l 'a n
p a tio n p a ra site . H est p e rm is p a r c o n cien é c r a n tr a d itio n n e l. Le v ra i p r o
tr e de rê v e r à ce que F la lie rty a v a it blèm e n ’e s t d o n c n u lle m e n t de f o rm a t
p u f a ir e d u C iném aS cope ou d u C in é m a is d e su rfa ce . Ce qui p ro b a b le m e n t
ra m a , lu i chez qu i les re la tio n s s p a c o n s titu e r a e n e f f e t u n e a c q u isitio n
tia le s de l ’h o m m e e t de la n a t u r e c o n s p o sitiv e de l ’a c tu e l b ra n le b a s te c h n iq u e
ti t u a i t l ’in f r a s tr u c tu r e de la m ise en c’e s t l ’a c c o u tu m a n c e à de g ra n d e s im a
scène. ges e t l ’exigence de n o tr e œ il à cet
D e là au ssi la d é d u c tio n de la s u p é é g a rd . Il s ’a g ira a lo rs de co u v rir de"
rio rité de T écran la rg e d a n s la m ise g ra n d e s su rfa c e s de fa ç o n te c h n iq u e
en scèn e « d e fic tio n » so it q u a n t le m e n t s a tis f a is a n te . D a n s c e tte voie la
s u p p o r t d u su je t est d o c u m e n ta ire , soit V istaV isio n c o n stitu e , sous b én é fice
q u a n d la m ise en scène e s t fo n d é e ju s d ’in v e n ta ire , le p ro cé d é le plus p r o
te m e n t s u r d es r a p p o r ts s p a tia u x . m e tte u r . J e p a r le de la v ra ie V is ta
L’é c r a n la rg e le u r laisse alors, e n d e V ision avec d é ro u le m e n t de la pellicule
h o rs du m o n tag e, u n p lu s lib re je u . e n lo n g e t qui p e r m e t d é jà p a r a î- il à
M ais d ’u n e m a n iè re g é n é ra le e t sous N ew -Y ork, u n e p r o je c tio n su r u n é c ra n
ces deu x réserves im p o rta n te s r é l a r au ssi lo n g que celui d u C in éram a ...
g iss e m e n t de l’é c r a n n e c o m p o rte ra it « m a is p lu s h a u t » !
p as de su p é rio rité e s th é tiq u e à p rio ri
a u tr e f a c tu r d’o rd re psychologique. A n d ré BAZIN.
NAPLES CRUELLE
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U o r de Naples de Vittorlo de Sica. La séquence de l'en terrem en t,
coupée dans la version projetée à P aris.
48
t i t e p a lm e d e fe r b la n c. E n fin le film je u de l'a c te u r. C ertes, se s « sketch.es
n e s o r t à P a r is q u 'a u p rix de l’a m p u ta p e u v e n t ê tr e co n sid érés co m m e d es
tio n d e d e u x su r six des sk e tc h e s o rig i « nou velles ». M a is le u r c o n s tru c tio n
n a u x , d o n t, n a tu re lle m e n t, le m e ille u r a d ro ite e t rig o u re u se le s p riv e à p rio ri
ou to u t a u m o in s le p lu s sig n ificatif. d e l ’in d é te r m in a tio n d r a m a tiq u e c o n s
E n tr e te m p s c e p e n d a n t, l a p o p u la titu tiv e du n é o -ré a lism e . L es é v é n e
r ité d e de S ic a com m e a c te u r n ’a cessé m e n ts e t les p e rso n n a g e s, p r o c è d e n t
d e c r o ître g râ c e à d es film s com m e d e l’ac tio n , ils n e la p r é c è d e n t p as. D e
P a in , a m o u r e t jalousie. S ic a a su e f fe c tiv e m e n t ré g é n é r e r l a
c o n s tru c tio n th é â tr a le o u ro m a n e sq u e
Il e s t d e b o n to n d a n s l a je u n e c ri p a r c e rta in e s a c q u isitio n s d u n é o - r é a
tiq u e d e t r a î n e r de S ica p lu s b a s que lism e. E n m u ltip lia n t les n o ta tio n s p i t
te r r e e t je v e u x b ie n qu’il p r ê te le to resq u es e t in a tte n d u e s , il e n ro b e so n
f la n c à quelques g rav e s ac cu satio n s. sc h é m a d r a m a tiq u e so u s u n r e v ê te
M a is il c o n v ie n d ra it t o u t de m êm e m e n t c o ra lie n de p e tits f a its q u i n o u s
a v a n t d e le c o n d a m n e r, d e s'ex p liq u er ab u se s u r la c o n s tru c tio n de l a ro c h e
p o u rq u o i les ju ry s de F estiv als, la m o i de b ase. Le n é o -ré a lis m e n i a n t p a r es
tié de l a c ritiq u e tr a d itio n n e lle e t le se n ce les c a té g o rie s d ra m a tiq u e s , d e
pu b lic e n g é n é ra l d é d a ig n e n t ou m é p r i S ica lu i s u b s titu e u n e m i c r o d r a m a tu r
s e n t — je n e d is p a s se u le m e n t ses gie q u i su g g è re l ’ab sen c e d’a c tio n . Ce
film s les p lu s a m b itie u x , com m e U m f a is a n t, il té m o ig n e se u le m e n t d ’u n e
b e r to D.t m a is ju s q u ’à ses p ro d u c tio n s p lu s g ra n d e ro u e rie .th é â tra le .
d e co m p ro m is co m m e S ta zio n e T e rm in i
e t L'O r de N aples. C’est p o u rq u o i d u r e s te le s k e tc h que
C a r c ’e s t là. le p lu s é tra n g e , m ê m e j l p ré fè re est p e u t - ê tr e ce lu i qu ’o n
q u a n d de S ic a se résig n e , p o u r des r a i t i e n t g é n é ra le m e n t p o u r le p lu s in d é
so n s tr o p é v id en te s, à f a ir e u n film à c e n t, je v e u x p a r le r de l a p a r tie d e
v e d e tte s e t à sketch.es, b â tis à co u p c a rte s, p a rc e q u e c 'e s t au ssi celui d o n t
d ’a s tu c e s e t d e m o rc e a u x d e b rav o u re, les sources sc én iq u e s s o n t les moin.s
to u t se p a sse co m m e s ’il a v a it visé e n cam ouflées. C e tte h is to ire d e b a ro n
core b e a u c o u p tr o p h a u t p o u r u n p u m a n ia q u e i n t e r d it d e je u p a r la b a
blic d e F e stiv a l. Les re p ro c h e s que j ’ai r o n n e e t r é d u it à jo u e r sa v este ou ses
e n te n d u lu i fa ir e à' C a n n e s n e s o n t p a s lu n e tte s avec le fils d e p n co n c ie rg e
d u to u t ce u x q u ’il m é rite . U O r de N a - e s t u n e fa rc e con çue p o u r les e ffe ts
p le s e s t u n f ilm p u ta in , soit, m a is c e tte d ’a c te u rs. L e g e n re e t so n p rin c ip e
p u t a in - là e s t e n c o re d e tro p g r a n d e s o n t d’u n e a m b itio n lim ité e , m a is ces
classe p o u r n e p a s p a r a îtr e b égueule e t lim ites s ’a v o u e n t e t l ’o n p e u t c o n s id é
e n n u y e u se a u x a d m ir a te u rs d e nos r e r que ce q u e d e S ic a y a jo u te e n r e
A d o ra b les C ré a tu re s ou d es d ra m e s lève c o n s id é ra b le m e n t l a v a le u r e s th é
b o u rg e o ise m e n t psychologiques d éco u tique. H v a u t to u jo u rs m ie u x te n ir
pés p a r n o s b o n s fa ise u rs. d a v a n ta g e q u e ce q u ’o n p r o m e t q u e
d ’a v o ir l'a ir d e s a tis f a ir e à des a m b i
T o u t d é p e n d d o n c d u c ritè re de r é tio n s fallacieuses.
f é r e n c e D a n s l'ab so lu o u s i l ’on v e u t
p a r r a p p o r t à lu i-m ê m e e t à ce que In v e rse m e n t, j ’a d m ire b ea u co u p ,
n o u s a im o n s d u c in é m a italien , de m a is je n ’a im e g u è re le s k e tc h q u i a
S ica , d a n s U O r de N avles, n ’a p a s sa n s d o u te l a p r é fé re n c e d es a u te u rs ,
h é s ité d e v a n t d es concessions d ép lo je v eu x p a r le r de l’e n te r r e m e n t d ’u n
rab le s. M ais p a r r a p p o r t à ce q u e le e n f a n t (su p p rim é, p ro v is o ire m e n t j ’es
p u b lic e t m ê m e so u v e n t l a c ritiq u e père, p a r le d is trib u te u r ). D e S ic a e t
c ro ie n t y voir, so n film est encore u n Z a v a ttin i o n t vou lu d o n n e r là u n gage
m o n u m e n t d ’austérité* a u n é o -ré a lism e . A l ’opposé d e s a u tr e s
su b tile m e n t c o n s tru its, c e lu i-c i se p r é
se n te co m m e u n e so rte d e séq u en ce
d ’a c tu a lité re c o n stitu é e . D e S ic a se
b o rn e à su iv re le convo i fu n è b re d ’u n
e n f a n t m o rt. L e c o m p o rte m e n t d e la
H f a u t b ie n e n e f f e t re p ro c h e r m ère, l a p a u v r e m ise e n scèn e q u ’elle
d ’a b o rd à d e S ic a de t r a h i r ici le n é o o rg an ise to u t a u lo n g d u p a r c o u rs
ré a lis m e e n f e ig n a n t de le servir. E n p o u r d o n n e r à l a d e r n iè re p ro m e n a d e
f a it, U O r d e N a v le s e s t u n film e ssen de so n e n f a n t u n e s o rte d e so le n n ité à
tie lle m e n t th é â tr a l. J 'e n te n d s au ssi la fois tr a g iq u e e t joyeuse, t o u t c e la
b ie n p a r la fo n c tio n de l ’in trig u e q ue q u i n e crista llise ja m a is e n « a c tio n »
p a r l ’im p o rta n c e d écisive ac co rd é e a u so u tie n t c e p e n d a n t d e b o u t e n b o u t
49
t
n o tr e in té r ê t. C et é to n n a n t m o rc e a u pouvoir, q u ’a u c u n e n o té d is c o rd a n te ou
d e b ra v o u re est e n p rin c ip e d e la m ê a p p ro x im a tiv e n e p e u t s u rg ir de l a
m e fa m ille e s th é tiq u e q u e la séqu en ce foule. D ieu efc le d ia b le s'y so u m e tte n t»
d u le v e r d e la b o n n e d a n s U m berto D. C e tte a s s u ra n c e to u c h e à l'o b s c é n ité
D ’où v ie n t m a g ên e ? S a n s d o u te d a n s l a p a r tie de c a rte s d u b a ro n . O n
d ’a b o rd de la c o n tra d ic tio n m o ra le e n a p u , a v a n t de Sica, fa ir e c a b o tin e r
tr e le s u je t e t l'a d re s se p re sq u e in d é d es e n f a n ts , m a is le gosse le m ie u x
c e n te de l a m ise en scèn e. U n te l c o n d o u é n ’e s t c a p a b le to u t d e m ê m e Que
tr ô le de ses m oyen s e t de se s effets d e d eu x ou tro is exp ressio n s q u e le
q u a n d l a m a tiè r e e t les p e rs o n n a g e s m e tte u r e n scèn e s’in g é n ie à ju s tif ie r .
a p p e lle n t la s y m p a th ie e t l a p itié, a P o u r l a p re m iè re fois o n v o it ici u n
q uelque ch ose d 'ir r it a n t. J e so n g e en g-osse de 10 ou 11 a n s e x p rim e r e n d ix
c o m p a ra iso n a u ly rism e sim ple, e ffi m in u te s u n e g am m e de s e n tim e n ts
cace e t sin c è re de D a ssin d a n s le r e d 'u n e v a rié té ég ale à, celle de so n p r o
to u r d u S té p h a n o is avec le g am in ! ta g o n is te a d u lte , e n l ’o c c u rre n c e -de
S ic a lu i-m ê m e . Q u a n t a u x a c te u rs p r o
fessio n n els ce n e s e r a it r ie n d e d ir e
que d e S ica e n ti r e le m e illeu r, il les
reco m p o se e n tiè re m e n t. N on p a r le tr o p
Ô n v oit que m es c ritiq u e s n e so n t fa c ile pro céd é qu i co n siste à le u r c o n fie r
p a s b énignes. E lles n e m ’e m p ê c h e ro n t u n rô le d if f é r e n t d e le u r em plo i h a b i
c e p e n d a n t p a s de r e c o n n a ître les m é tu e l m a is com m e en ré v é la n t e n e u x
r ite s de L ’Or de Naples d’u n p o in t de u n a u tr e ac te u r, p lu s d en se, p lu s p le in
vue r e la tif. S i le film n ’a p a s p lu à au ssi d e son p e rso n n a g e . A insi de l ’e x
C an n es, c 'e st to u t d e m êm e q u ’il r e t r a o r d in a ir e co m p o sitio n d e S ilv a n a
cèle q uelque c h o se d e bon e t d 'e s tim a M a n g a n o . M ais q u e d ire d e T o to d a n s
ble. H f a u t ex p liq u er le p a ra d o x e de l’h is to ire du « C a ïd t>? Q u a n d o n so n g e
son, échec n o n p a r le s d é fa u ts que je que c 'e st u n Heu co m m u n d e l a c r i
vien s de d ire qu i e u s se n t a u c o n tra ir e tiq u e fra n ç a is e d e v o ir d a n s n o tr e
c o n trib u é à son succès, m a is p a r le F e rn a n d e ! n a t io n a l u n a c te u r d r a m a
m a in tie n , a u c œ u r m ê m e du f a ir e - v a tiq u e tr o p r a r e m e n t b ie n em ployé, o n
loir, de quelqu es v a le u rs de fo rm e e t n e p e u t q u ’ê tre sa isi d 'u n e in te n s e
d e fo n d qu i ju s tif ie n t u n e c e r ta in e a d rig o la d e. L e m e ille u r des F e rn a n ,d e l
m ira tio n . n ’e s t q u ’u n e la b o rieu se p a n ta lo n n a d e
D ’a b o rd le m é tie r e s t le m é tie r e t a u p rè s d e la sim p licité e t de l 'i n t e l
a v a n t d 'e n c r itiq u e r l ’usage il n ’e s t p a s lig en ce d o n t faijt p re u v e ic i so n r iv a l
m a u v a is de s’e n apercevoir. O r, je m ’en ita lie n . D ieu s a it p o u r ta n t que le u r s
excuse a u p rè s d e n o s H itc h co c o - p itre rie s h a b itu e lle s se v a le n t b ie n .
H aw ksiens, m a is c ’e s t p ré c isé m e n t à A insi to u t se p asse com m e si d e S ic a
H itc h c o c k q u e je n e p u is m ’e m p ê c h e r a v a it le po u v o ir d e d o te r les i n t e r
d e p en ser. C e rtes l a m a îtr is e de de p r è te s n o n p ro fe ssio n n e ls d e la sc ien c e
S ica n e p o rte p a s s u r les m ê m es é lé d es a c te u rs c h e v ro n n é s e t les v e d e tte s
m e n ts de la m ise e n scène. L a co n s éprou vées d e la s p o n ta n é ité de l’h o m m e
tr u c tio n d e l’im a g e n ’y jo u e q u ’u n rô le d e l a ru e. J e n e p r é te n d s p a s c e rte s q u e
se c o n d a ire (encore q u ’il y a i t d a n s ce soijt l à m o n id é al p e rso n n e l m a is
L 'O r de N aples u n e tro u v a ille in o u b lia c 'e s t im p lic ite m e n t, a u moin.s, c e lu i
ble, celle de l'a sc e n s e u r de l a m a is o n a u q u e l a s p ire r a ie n t p re sq u e to u s le s
du b a ro n ). L a m ise e n sc èn e s’id e n ti m e tte u rs e n sc èn e s’il é t a it en le u r
fie p r a tiq u e m e n t ic i av ec l a d ire c tio n p o u v o ir d 'e n a p p ro c h e r. D e S ic a l'a c
d ’a c te u r, m a is o n p e u t c o n s id é re r q ue c o m p lit si p a r f a ite m e n t que le p u b lic
lé r é s u lt a t e s t le m ê m e e n ce se n s q u e h a b itu é à l ’à p e u p r è s e n é p ro u v e
r ie n n e sem b le y p o u v o ir é c h a p p e r a u p e u t- ê tr e p lu s de m a la ise q u e d e p la i
co n trô le d u m e tte u r e n scène. Y a - t- il sir.
c in q u a n te g a m in s d a n s le c h a m p , J e n e p e n s e p a s n o n p lu s q u ’o n a i t
é p a rp illé s co m m e u n e volée d e m o i g é n é ra le m e n t m e s u ré le s q u a lité s du
n e a u x , c h a c u n d ’eux, sem ble fa ire sc én a rio . Q uel que so it le ju g e m e n t
e x a c te m e n t à t o u t in s t a n t le g e ste p o r té su r le ch o ix des su jets, il d e m e u re
qu’il f a u t e t s u r to u t si le g este d o it q u e ce u x -ci p o u v a ie n t ê tr e t r a i t é s d e
ê tr e im p ré v u . I î l ’e s t d ’a ille u rs e t c’est diverses faç o n s, o r , l a c o n s tru c tio n d e
b ie n l'h a llu c in a n t. D e S ica co m p te évi c h a c u n des sk etch es, e t p a r tic u liè r e
d e m m e n t avec u n e c e rta in e m a r g e de m e n t le u r d é n o u e m e n t, e s t d ’u n e i n t e l
lib erté, de sp o n ta n é ité , de s a f ig u r a lig en ce s tu p é fia n te . E n rè g le g é n é ra le ,
tio n m a is, te l est c e t h o m m e e t so n c h a q u e h is to ire app elle u n e fin , d iso n s
50
à la M a rc e l P a g n o l, c 'e s t- à - d ir e fa u sse P ag n o l) ; V la p ro stitu é e u lc érée 4 a n s
e t a tte n d r is s a n te . N a tu re lle m e n t, u n son o rg u eil d e fem m e p ré fè re en c o re
ré a lis a te u r f ra n ç a is d e s ta n d in g m o y e n r e to u r n e r a u bord el, e n d é p it d e so n
y s u b s titu e ra it u n e f in à la C h a rle s rêv e d e c o n s id é ra tio n bourgeoise, d e
S p a a k , c’e stT à-d ire v é riste e t péssi-r c o n fo rt e t d e c h a s te té (fin à la S p a a k ) .
m iste. 'Le m e tte u r e n sc è n e a m b itie u x O r, a p rè s ç e tte a tro c e n u i t d e u-Qcçg, l a
r é p u d ie r a it à la fois la « b o n n e » e t fille s 'e n f u it puis, d a n s la ru e, r é f lé c h it
l à « m a u v a is e » f in et, su p rê m e a u d a ce , e t rev ie n t. J ’a i e n te n d u d o n n e r 4 e ç s ite
n e f in ir a it p a s, p e S ic a e t Z a v a ttin i trojsièfcie f in des e x p lic a tio n s psycholo^
lés m e tte n t' to u s d a n s le u r p oche. giques v a r ia n t a u to u r d e c e l l e s j
Ü h isto irg sem b le È pabord-V orienter vçrs s’-êtant e n fu ie sous le co u p 4 e r a m o u r *
1§ h a p p y - e n d ; n a tu r e lle m e n t o n a t te n d p ro p re blessé, la p a u v r e fe m m e se je »
u n e su rp rise , elle a r r iy é àv èç u n d é to u r tr o u v a n t seu le s u r le tr o tto ir, so u s l a
im p ré v u d e l’â ç tio n qui- n o u s f a i t cro ire pluie, ré a lise to u t ce q u 'elle v a p e r d r e
à l ’a b se n c e de d é n o u e m e n t. C 'est alo rs e t résig n ée, f a is a n t ta ir e s a •dignité, elle
qije d a n s leç d e rn iè re s seco n d es le r e v ie n t vers c e t o rd re b o u rgeo is s u î e s t
sc é n a rio d écou vre le d é n o u e m e n t, le l’id é a l d e to u te resp e ctu e u se , O r g s itç
p lu s im p ré v u e t le p lu s n éc e ssa ire , s y n e x p lica tio n sup pose q u ’o n a m a l r g g a rr
th è s e d ia lec tiq u e d e to u s c e u x flu’il s’e s t dé les d e u x d e rn ie rs p lan s- P ’a b p rd
refu sés, Ce n ’e s t p a s u n e in g é n io sité dé p a r c e que le visage de © ilv an a M a s*
s c é n ^ ristç in y e jiti! q u i c h e rc h e à n o u s g ano, so ig n e u sem en t, é c la iré p a r u n .
a v o ir à l a s u rp rise m a is u n e ré so lu tio n rév e rb è re , exp rim e to u t .un p ro ce ssu s dg
cpnstructjye qui éclaire to u te l'a c tip n se n tim e n ts d o n t le d e rn ie r n ’e s t n i l a
d'un 3pur p lu s ric h e , L e p ro c é d é "sup r é s ig n a tio n n i l'en v ie m a is la h a in ç , cg
pose u n e teHe exig en ce d r a m a tiq u e qui e s t en co re c o n firm é p a r la f a ç o n
q u ’elle é c h a p p e p a rfo is m ê m e a u sp ec d o n t elle fra p p e p o u r se fa ir e o u v rir. kg-
tateur attentif q u i n ’im a g in e p a s que seu le e x p lic a tio n (plausible e s t 4 o n c
l’a n tg ^ r a i t PU Viser s i h a u t . J ’a i cons que, p a r tie sous le co u p d e l a b le ssu re
t a t é p a r exem ple q u e le d é n o u e m e n t f a ite à sa d ig n ité de fem m e elle re v ie n t
d u s k e tc h in titu lé « T h é rè s e '» é ta it p o u r la m êm e raiso n , m a is ré flé c h ie jet
p resq u e to u jo u rs m a l in te r p ré té . C’est ap p ro fo n d ie. Elle a c o m p ris q u e ï a fu ite
l ’h isto ire q u a s i d o sto ïev sk ien n e d’u n é t a i t u n e so lu tio n d o u b le m e n t a b s u rd e
je u n e e t ric h e bourgeois n a p o lita in qui, p u isq u ’elle la p r iv a it à, la fois e t d es
p o u r se p u n ir d ’a v o ir la issé u n e je u n e .avantages m a té rie ls d u m a ria g ç e t des
fille m o u rir d ’a m o u r p o u r lu i, d écide c o n so la tio n s d e la v en g e an c e. iSon pe*
d ’ép o u ser u n e p ro s titu é e . Ce m a ria g e , to u r n ’est d o n c p a s ré sig n é n i servile,
q u i doit forcément selon lu i r u in e r so n il e s t u n e m a n if e s ta tio n , Plus h a u t e
bonheur, sa fortune et §a réputation, en co re que la fu ite , de s a f é m in ité : Plie
a Ijteu p an s q u e l a p a u v re fille a v a it c ru que m ê m e u n e p ro s titu é e
co m p re n n e lç ,ieu qu’on lu i f a i t jo u e r a v a jt le -droit d ’ê tr e aim£.é, çïle y a
(c’est en sueîctue &9 .rt§ l a s itu a tio n des p ro u v er m ieu x en co re : qu'elle e s t c a
D a m e s V u poi$ dç B o u lo g n e m a is ren-p p a b le de se venger* £ n s o rte q u e les
vergée)- Q u a n d ejle d éco u v re q u ’elle choses s ’o r d o n n e n t f in a le m e n t se lo n l a
n ’e s t là que p o u r r a p p e le r à son m a ri v o lo n té de l ’h o m m e mais, p o u r d es r^l-*
son p éch é, s o n d é p it est n a tu re lle m e n t sons m b ra le s e x a c te m e n t opposées à
terrible, pans sa démence masochiste celles q u ’il p e u t im a g in e r, t a fili? y a
l ’h o m m e n ’a v a it e n v isa g é ^ u ç u n e d e s p r e n d r e la p lace p ré v u e d a n s l'in v r a i
deujc h y p o th è se s h u m a h ie m e n t pom > sem blable m a c h in a tio n ; elle se c o n
t a n t les p lu s v ra ise m b la b le s : d ’a b o rd d u ir a à so n é g a rd selo n l'id é e c o n v e n
qjig s a p r o s titu é e p û t f a ir e u n e épo use tio n n e lle d e là p ro s titu é e p ré c is é m e n t
a im a b le e t douce,' n e fû t^ c e que p a r p a rc e q u 'elle a u r a cessé d e l’ê tr e p a s s i
re c o n n a iss a n c e , pji b ie n qu’elle p û t av o ir v e m e n t p o u r s ’a f f ir m e r fe m m e p a r s a
en ço re assez d§ d ig n ité fé m in in e p o u r h a in e . C o n fo rm é m e n t à so n d é^ ir ,eHé
rç /u s p r u n e (aussi o d ieu se pom édie. P r o fe r a d o n c ie m a lh e u r de l'h o m m e n o n
j e t a n t su r Je m o n d e s a v o lo n té de c h â p a r c e q u 'u n e p u ta in n e s e r a to u jo u rs
tim e n t, il n ’im a g in a it celle q u ’jl a v a it q u ’u n e p u ta in m a is d é lib é ré m e n t e t
choisie que c o n fo rm e à l’idée m o ra le p a r ch o ix si j ’ose d ire au ssi lib re m e n t
à p r io r i 4 e l a p u ta in , c’est-à-d ire- qu’une femme du monçie, On çonyj.çn~
com m e u n ê tr e d é m o n ia q u e e t m a lf a i dra que ce dénouement est .non seuier
s a n t, C e ïê s u m ê in d iq u e n e t t e m e n t le s m ent imprévu et brillant {pourvu du
d e u x fin s possibles > i g r h o m m e c h e r moins qu’on le discerne) mais surtout
c h a n t so n m a lh e u r tro u v e le b o n h e u r qu’il fait passer rétroactivement l’ac
m a jg r£ lu i avec u n e b ra v e fille (fin à la tion du plan primaire de la psychxn
sociologie, à c e lu i de la m o ra le e t m ê m e n é c e ssa ire avec la c r u a u té a u n sen s,
d e la m é ta p h y siq u e . m o ra l e t e s th é tiq u e , d a n s la m e s u r e où
la seule psychologie n ’e n r e n d p lu s
com pte. M e tr o m p é - je ? I l m e se m b le
que c e tte c r u a u té e s t m ê m e d a v a n ta g e
L ’Or de N apïes m e p a r a î t en co re re c é - le f a it de de S ic a q u e de Z a v a tti n i !
le r q u elq u es e n s e ig n e m e n ts im p o rta n ts .
D a n s la m e su re p e u t - ê tr e où le p ro p o s E n to u s cas, ce q u i m e p a r a î t a s se z
d e s a u te u r s e s t p lu s o u m o in s d élib é ré cla ir, c 'e st que le ta l e n t d u m e tte u r e n
m e n t im p u r, c e r ta in s a sp e c ts de la co n sc èn e p ro cè d e e s s e n tie lle m e n t d e so n
jo n c tio n Z a v a ttin i- d e S ica m ’a p p a r a is ta le n t d ’a c te u r e t q u ’il n ’e s t p a s , p a r
s e n t e n t o u t cas p lu s c la ire m e n t. J e n a tu re , n é o -ré a liste . S i l a c o lla b o ra tio n
r e m a r q u e r a i d ’a b o rd q u e U O r de N a Z a v a ttin i-d e S ic a a é té si féc o n d e, c ’e s t
z ie s e s t u n film c ru e l ( v o i r N ap le s m a is p e u t- ê tr e a lo rs ,p a r l’a s so c ia tio n d es
c o n tra ire s. D a n s ce m a ria g e , l ’é c riv a in
m o u rir} ). N ul d o u te d u r e s te que c e tte
c r u a u té n ’a it c o n trib u é à d é ro u te r le a u r a it a p p o rté le ré a lis m e et. le m e t
p u b lic d u F e stiv a l h a b i tu é à associer la te u r en scèn e u n e p ro d ig ie u se c o n n a is
b o n n e h u m e u r à la verv e m é rid io n ale. sa n c e d u fa ir e - v a lo ir th é â t r a l . M a is ils
N a p le s se d e v r a it d ’ê tre u n s u p e r- M a r - é ta ie n t tro p in te llig e n ts ou tr o p d o u és
seille ! J ’a i m o i-m ê m e il m e sem b le f a it p o u r a jo u te r l’u n à l ’a u tr e , ils l ’o n t
Jad is d ’assez n a ï f s d é v e lo p p e m e n ts s u r s u b tile m e n t co m b in é ou, si l ’o n m e
le b o n co&ur de de Sica. E t il e s t v ra i p e r m e t c e tte im a g e : é m u lsio n n é ; t h é â
q ue la s e n tim e n ta lité coule à p le in b ord tr a lité e t ré a lism e y s o n t si s u b tile m e n t
d a n s ses film s. M ais il lu i e n s e ra m êlés que le u r su sp e n sio n e s th é tiq u e
b e a u c o u p p a r d o n n é p o u r l ’a u th e n tic ité d o n n e l’illusion d ’u n c o rp s n o u v e a u q u i
d e s a c ru a u té . E n a r t j ’e n co n v ien s la s e ra it le n é o -ré a lism e . M ais s a s ta b ilité
b o n té e s t fa c ile m e n t ignoble. C h a rio t e s t in c e rta in e e t n o u s voyons b ie n d a n s
p e u t l'ê tr e e n e f f e t p o u r q ui n e d is U O r de N aples u n e g r a n d e p a r ti e d e l a
c e rn e p a s l'a m b ig u ïté de so n c œ u r. L a th é â tr a lité p r é c ip ite r a u fo n d d e l a
b o n té en e lle -m ê m e n e sig n ifie rie n , m ise en scène.
m a is so n a s so c ia tio n in tim e e t com m e A n d ré BA ZIN .
52
cu p e ici; il a é c rit a u s si ce u x d es A f f a - d r a m a tiq u e où les é v é n em en ts e t les
m e u rs e t -de la R ivière B o u g e , Ce g e n re a c te s s ’o r g a n is e r a ie n t e n u n e s tr u c tu r e
est, a u t a n t q u ’u n a u tre , tr ib u ta ir e d u avouée.
sc é n a rio a p p ro p rié , m a is p a s d a v a n E s t-c e à d ir e q u ’il n ’e s t d ’a u tr e v a
ta g e : o n n e p e u t c o n te s te r q u e les le u r ici q u e celle d 'u n sp e cta cle ? J e
d eu x p re m ie rs films n e s o ie n t l ’œ u v re n ’a im e p a s m e la isse r a lle r à u n sp e c
d ’A n th o n y M a n n , n i le tro isiè m e celle ta c le , q u elq u e a g r é m e n t q u ’il m e p r o
d e H o w a rd H aw ks. C e la e s t si v r a i p o se ; j ’a im e que q u elq u e chose d ’im
q u ’a u b o u t de dix p la n s se sig n a le à p o r t a n t se jo u e e n tr e l’h o m m e e t s a
co u p s û r u n w e ste rn de J o h n F ord , vie, d e p lu s im p o r ta n t que la p e r te d ’u n
d ’A n th o n y M a n n , de F r itz L an g . M ais c h ie n ou la possession d ’u n tr é s o r f a b u
vous m 'o b je cte re z p e u t- ê tr e que c e tte leux. L’h o m m e n ’est p a s m a îtr e d es
m a rq u e , v ite reco n n u e, d u r é a lis a te u r c irc o n sta n c e s, m a is l ’im p ré v u n ’a d e
n ’est a p rè s to u t q u ’u n e m a n iè re s u p e r v a le u r q u ’e n ce q u ’il le s u r p re n d e t
po sée à u n fo n d s co m m u n où l a p e r l’oblige à u n réflexe, à décider d’u n
so n n a lité d u s c é n a ris te s ’e ffa c e ra it p r é geste, d’u n a c te ou d ’u n e co n d u ite. E t
cisé m e n t d e v a n t les o rig in e s collectives q u e l a u tre , q u ’u n m e tte u r e n scène,
sig n a lé es to u t à l ’h e u re , e t n o n d e v a n t s a u r a it n o n se u le m e n t m o n tre r lo
la v o lo n té c ré a tric e d u m e tte u r en geste, m a is fa ir e s e n tir au ssi le p r o m p t
scène. J e p e n se a u c o n tra ir e q u e la p a r t d é b a t q u i p ré c è d e l a décision, c e tte
la p lu s a u th e n tiq u e d e la c ré a tio n , a p p ré c ia tio n in s ta n ta n é e des r a p p o r ts
celle d o n t l ’in ü u e n c e e s t décisive, r e m o u v a n ts ? L à où c e rta in s se re p o s e n t
v ie n t to u jo u rs a u m e tte u r e n scène. su r u n e g éo m étrie figée des ex pressio ns
L oin d e m oi, c e p e n d a n t, l ’id é e d e p r ô A n th o n y M a n n im p rim e u n d y n a m ism e
n e r d es fab le s dérisoires; m a is l ’origi é t o n n a n t à ces m o m en ts' critiq u es e t se
n a lité d ’u n scénario , e t c e lu i-c i e n e s t m o n tre u n d ire c te u r d ’a c te u rs que s a
ric h e , se m e su re f in a le m e n t à ce qu’il ric h e sse d 'in v e n tio n n e p riv e n i de lu*
exige p lu s d 'in v e n tio n du m e tte u r e n cid ité n i de c e tte in tra n s ig e a n c e so u
sc èn e (1). cieuse d ’a lle r à l ’essentiel. C ela m e s é
C o n sid éro n s donc le sc é n a rio de T h e d u it f o rt d a n s les w estern s de M a n n ,
fa r C o u n try d a n s ses ra p p o r ts avec d o n t l ’o rig in a lité s ’exerce a u re b o u rs
la m ise e n scène. S o n a llu re s u r p r e n a n te d e la p e n te ly riq u e p ré fé ré e p a r F o rd :
fra p p e d ’a b o rd , son ab sen ce de liaiso n s c ’est, a p r è s a v o ir re fu sé a u d ra m e d e
m o tiv ées; b ie n des p é rip é tie s m a n ré g ir la s tr u c tu re d e l ’ensem ble, c e tte
q u e n t de ju stific a tio n a p p a re n te , q u i en re c h e r c h e o p in iâ tre des v irtu a lité s du.
e u s s e n t a isé m e n t tro u v é. A c e la voyons d ra m e , c e t a f f û t des co n flits à le u r
u n d é d a in d élib éré p lu tô t q u ’u n e lé g è n a issa n c e .
r e té s ig n e d e m é d io c rité : d é d a in d e U n e te lle re c h e rc h e suppose des p e r
c e tte fa m e u se m ise en situ a tio n , rè g le , so n n a g e s com plexes. Ils le so nt, je les
d ’o r des m é ca n iq u es v ain e s —1 d é d a in d ir a i m êm e am b ig u s ; le lib re a rb itre
des o r n e m e n ts faciles, o r n e m e n ts parce p r e n d u n e p a r t décisive d a n s le u rs a c
que fa c ile m e n t o b te n u s — d é d a in d e tes, e t n o n l’en sem b le de co n v e n tio n s
c e tte a p p lic a tio n qu i c ro it te n ir lieu q u i c o n s titu e n t u n e mora.le collective.
d ’in v e n tio n . A n a ly s a n t e n s u ite le d é ta il Les é v é n e m e n ts n e su ffisen t p a s à les
d es scènes, o n s'a v is e ra d e n ’en d ire d é te rm in e r, e t la c o n n a issa n c e p ro
a u c u n e g r a tu ite et q u 'e n fin la d ésin v o l gressive que n o u s av o n s d ’eux n e les ,
tu r e a b r u p te d u sc é n a rio e s t le p lu s explique p a s, elle a jo u te à le u r c o m
c o u r t ch e m in q u i tr a c e e n tr e elles des plex ité. V oilà qu i e s t in a tte n d u : u n e
lie n s n éc e ssa ire s .tout en a s s u r a n t' à m o ra le se d égage ici, qu i n e d o it rie n
c h a c u n e s a v e r tu d ’im m é d ia t, d e d ev e a u x m y th e s n i à l’a g e n c e m e n t d u scé
n ir r e s tr e in t a u f u tu r le p lu s p ro c h e : n a rio , u n e m o ra le se dég age p a r le seu l
celu i d e l 'in s t a n t qu i v a suivre, où t o u t f a i t d e l ’a tte n tio n p o rté e à l ’h o m m e,
à n o u v e a u se jo u e ra . L a succession d e a u m o u v e m e n t de ses s u rsa u ts, à ses
ces p é rip é tie s d o n t c h a c u n e e s t u n p r é h é s ita tio n s d a n s l ’effort ou le d an g e r, à
s e n t aig u isé ju s q u 'à l'extrêm e, p o in te c e tte p a r t en fin d e lu i-m ê m e où se p è
d e lu i-m ê m e , e t se d o n n e p o u r telle, s e n t ses d ésirs e t ses actes.
e s t c o n tra d ic to ire à u n e p ro g re ssio n P h ilip p e D émonsablow.
(1) Seul u n m anque de confiance dans les pouvoirs de la mise en scène p u t cacher cette
vérité aux réalisations prétentieuses qui de High Noon à Shane, considérant les personnages
comme simplifiés p ar les lois du genre, cru re n t réagir contre cette nécessité supposée en in tro
d u isa n t un e co ntin uité dram atique entre les actes e t en développant u ne psychologie selon
l'analyse, sans p o u rta n t obtenir au tre chose q u ’u n appauvrissem ent des personnages d’avance
rendus stériles.
53
JACQUES AÜDIBERT1
BILLET VIII
54
\
E n ce qui concerne Pain, Amour e cosi via, toute espèce de doute ou de regret
n 'a rien d ’autre à faire qu’à s’écrouler en poussière, séance tenante, sous les trom
pettes hilares de toute la salle, de toutes les salles, débouchées par l ’irrésistible vis
comica de Vittorio De Sica. Je lui adresse, ici, l'expression de ma gratitude pour
l ’éclatant plaisir à pipe fendue que je lui dois.
Combinant, lui aussi, néoréalisme et théâtralisme conventionnels, ce maître d 'a r
mes répondait, enfin, à une attente qui, depuis longtemps, tracassait chacun l ’attente,
au cinéma, d'une drôlerie non déterminée par le contraste entre la pitrerie des person
nages et leur plausibilité sociale mais, au contraire, sécrétée p ar cette plausibilité
sociale photographiée telle qu'elle, sans cotillon ni carnaval, dans un choix d'inci*
dents et d'aperçus qui la rendit ridicule, sans toutefois, que P invite à se tordre appa
raisse jamais avec l'aveuglante véhémence d 'une enseigne lumineuse.
U n échantillon ? Quand De Sica, dans sa tenue numéro un de maréchal cara
binier, les cent quatre-vingts centimètres de la stature personnelle accrus des quarante-
cinq du bicorne et du plumet, se dispose à franchir un seuil, la tradition pitre exige
rait que le plumet ne passât point la porte ou qu'il s’accrochât au linteau. Dans
P ainy Amour, tout au contraire, pour le grand profit de notre allégresse, ce m aré
chal, dans son comportement physique'et dans son ajustement vestimentaire, est par
faitement normal, sans la moindre touche burlesque arbitraire, si bien que, d a n s la
bourgade où il opère, si, à l'occasion d'une halte automobile, nous lui demandions un
renseignement, rien de lui ne nous frapperait que sa correction, en vertu de laquelle,
sur le point de franchir un seuil, il ne manque jamais de se courber, le plumet en
avant. Cette précaution nous enchante jusqu'aux larmes. Car elle se raccorde avec
une désopilante précision à tout un petit monde d'attitudes de la même farine expri
m ant un caractère de mirliflore militaire et quinquagénaire qui veut séduire et ne
peut qu'attendrir.
E h bien ! Au risque d'avoir l'a ir de me plaindre que la mariée soit trop belle,
ou le maréchal doré à point, j'a i peur qu'avec ce doublé à la carabine pour aimable
qu 'il soit, nous entrions dans la période cinématographique où l'exploitation, défini
tivement, succède à l'exploit, et où même la généreuse virtuosité d ’un De Sica s ’ins
crit dans la cycloïde commerciale d'une intervention aussi digérée, désormais, que
la locomotive à vapeur.
Des films type D u R ifift chez les Hommes confirment ce pessimisme. E n aucune
manière, j'e n suis sûr, les auteurs ont résolu de se tenir à l'écart des pistes qui
mènent au chef-d'œuvre. Il est même obligatoire de constater q u ’ils ne suivent d'autres
pis tes que celles-là. Mais, invincible, l'idée s'impose que tout procède dans le pas
tiche et le simulacre. De minutieux collages d'angles et de mouvements n ’aboutissent
pas forcément à Tant qu'il y aura des Hommes.
L 'u n des mystères du cinéma, qui vaut, d'ailleurs, pour l'ensemble de l'a r t çréa-
teu r^est qu'une réussite s1acquiert au prix d 'u n juste plan et d 'u n labeur serré mais
q u 'il faut, en outre, que lui corresponde, de l'au tre côté de la rampe, un trou, un
vide, u n appel. Ainsi TLe Jour se levé ou TLa Chienne, et tant d'autres titres de
gloire de l'écran, comblaient, chacun, à l'irremplaçable instant, u n besoin, disens-le-
mot, qui ne se révélait que d'être satisfait.
E t ~VOr de N a fh s , lui-même, re-de Sica, pour un peu me consternerait. Ne
démontre-t-il pas que la prodigieuse fougue inventive de l'inépuisable magicien,, si
elle frappe à coup sûr, frappe au hasard. Suprêmement aisé, pour ainsi dire anato
mique, l'accord de l'artiste avec son outillage s'accompagne, on jurerait, chez De
Sica, d'u n certain manque d'intérêt, quant à la qualité de l'accueil du public rentable
de toute façon. Une comédie supplémentaire, la silhouette d 'u n champion de concours
hippique qui ne descendrait jamais de sa monture, la jument Caméra, où que ce
soit et quoi qu'il fasse, toujours gagnant, toujours heureux, toujours applaudi, escorte
et domine les quatre comédies dont Se compose V O r de 'Napïes. Réjouissantes au
possible, fanées, pourtant, sitôt fleuries, elles marquent, je le crains, l'entrée dé
Naples dans la Pompéi des villes mortes, mortes de rire, où mon ami Marcel Pagnol
ne cesse de célébrer les obsèques de feu Marseille.
Caro V-ittorio, sono d aw ero atterato de voir surgir dans une de ces rues de
Naples où, que ce soit ou non la faute des Bourbons, la stature humaine ne dépasse
jamais que d ’un rien le mètre cinquante-cinq, cette géante maquillée, Sophia Loren,
qui pulvérise sous sa masse colossale vos trésors d'observation attentive, sans parve
nir, en contrepartie à nous rendre claire ce qui voulait être, plus ou moins dans votre
esprit une allégorie de la vitalité napolitaine} la proue au vent et le derrière aérien.
M a légère amertume, que je souhaite passagère, ne n ’empêche pas de saluer la
beauté, dans ces films, L a S tad a étant hors concours, de maint fragment brillant, la
danse folklorique de Gina Lollobrigida dans Pain, la préparation du casse ' chez
M appin et Webb dans Le R ififi, les mines, d ’or, de Toto dans L'O r et, en la mie de
pain, la promotion aiguë de Silvana Mangano, dans un rôle de femme de maison en
train d ’en sortir, qui lui permet, comme actrice, d ’atteindre à une valeur moins
liée au soutien-gorge q u ’au talent.
Jacques A U D IB E 'R T I.
56
/
CINÉPHILE ET FILMOLOGUE
p a r Amédée Ayfre
Deux produits bien distincts de la culture cinématographique, aux aires d'expansion et aux
caractéristiques jusqu'ici soigneusement délimitées. On pouvait assez facilement cueillir l'un
daM les Champs-Elysées ou les Prés de Saint-Germain, alors que l'autre se rencontrait exclusi
vement dans le périmètre beaucoup plus aride de la Sorbonne et du Collège de France. A part
quelques rares croisements dus à l'artifice ou au hasard, le moins qu'on puisse dire est que
ces deux espèces semblaient dépourvues de toute attirance réciproque. Un botaniste hégélien
aurait dit qu'elles se posaient en s'opposant.
Pour le cinéphile, le filmologue était un vieil universitaire qui n’avait certainement pas vu
plus de cinq ou six films durant toute son existence mais qui découvrait brusquement, à la fin
de s a vie, s'il était spécialisé en philologie, que le cinéma pouvait être assim ilé’à un langage,
s'il était psych obi oî o g is te, qu'on pouvait le considérer comme un stimulus et étudier scientifi
quement les réactions du spectateur. N'importe-quelle pellicule pouvait alors servir de matériel
expérimental et aucune connaissance particulière en Histoire ou en esthétique cinématographi
que n'était requise. Ce qu'il fallait connaître c'était la philologie ou la psychobiologie. Ces
disciplines — et quelques autres peut-être, pourvu qu'elles aient leur chaire en Sorbonne —
allaient enfin montrer aux ignorants que tout ce que l'on avait dit ou écrit jusqu’alors sur le
cinéma — à supposer que l'on sache que quelque chose avait été dit ou écrit — était stricte
ment sans valeur, en tous cas devait être remis en question jusqu'à ce que les savants aient
apporté leurs conclusions. Nul ne pourrait désormais rien écrire de sérieux sur le cinéma s'il
n'était dûment diplômé de filmologie.
On comprend que le jeune cinéphile qui n'ignorait rien de la succession des diverses
écoles cinématographiques de Lumière à Clouzot, qui ne confondait pas Elia Kazan et Laslo
Benedeck, qui pouvait réciter par cœur le générique du. Jour se lève et la filmographie de
Poudovldne, qui avait lu tous les volumes parus de Sadoul, les éditions anglaises d'Eisenstein,
les textes majeurs de Bazin et qui était abonné aux Cahiers du Cinéma, on comprend, dis-je,
que le jeune cinéphile, devant cette image qu'il se faisait du filmologue, ne pouvait qu'avoir
conscience de s a supériorité. C'est lui qui avait la véritable culture cinématographique et non
ce nouveau venu pédant et ennuyeux, pseudo-savant qui ne prenait même pas la peine de
situer son sujet avant d'aborder l'aspect auquel il désirait consacrer s a recherche. Pascalien,
le cinéphile concluait en opposant l'esprit de finesse* à l'esprit de géométrie.
Mais pour le filmologue, le cinéphile ne pouvait jamais vêtre qu'un amateur. L'homme de
la rue connaît les noms et les rôles des grandes vedettes, le cinéphile y ajoute ceux des réa
lisateurs, scénaristes et autres techniciens, avec leur apport respectif, ce n'est jam ais qu'une
différence de degré. Il prétend également avoir des idées ou des intuitions sur l'esthétique
cinématographique, idées "ou intuitions a u nom desquelles il classe avep l'arbitraire d'un Souve
rain Juge, en bons ou m auvais les filins qu'il daigne aller visionner. Dans les ciné-clubs ou les
revues il distribue au profane cette culture qu'il possède é m in e m m ent. S'il se heurte à des
points de vue ou des appréciations divergentes, elles ne peuvent s'expliquer que p ar l'igno-
rance ou la sottise. Il ne soupçonne même pas que ces réactions peuvent avoir un sens qu'il
serait peut-être intéressant de connaître ou des causes qu'on pourrait chercher à déterminer.
H nB peut d'ailleurs pas faire autrement que d'introduire dans ses jugements des notions
psychologiques, sociologiques ou métaphysiques, mais quand ce ne sont pas des lieux communs,
ce sont des paradoxes, et les uns et les autres se formulent volontiers dans un langage hermé
tique qui permet toutes les imprécisions. Car la rigueur n'est pas son fort. Il ne sent pas poser
un problème, élaborer une méthode, peser des résultats. On ne peut rien en attendre d'autre
que de la littérature.
Car c'était là finalement le nœud de l'incompréhension. Le cinéphile était au filmologue
ce que le littéraire était au scientifique et les meilleures relations entre eux ne pouvaient
57
dépasser la condescendance réciproque. Telle était au moins - la situation, il y au ra bientôt
dix ans, quand M. G. Cohen-Séat posa les premières pierres de l'édifice filmologique. Il
accentua alors volontairement l'aspect sévère de la façade pour donner confiance aux gens
sérieux, ses collègues de I'Université. Un laboratoire n'est pas un lieu de plaisir. Un institut
de filmologie n'est pas un cinéma. Mais il connaissait trop bien d'autre part tous les autres
aspects du problème cinématographique pour ne p a s déjà noter l'impossibilité d 'une recherche
absolument désintéressée et la nécessité d'unir la théorie à la pratique.
Aussi a-t-il voulu que le récent Congrès International de Filmologie qui vient de se tenir
à Paris du 19 au 23 février dernier, réunisse tous ceux qui, à quelque niveau ou sous quelque
angle que ce soit, s'occupent de cinéma. Il y avait des savants bien sûr, physiciens, psycho-
physiologistes, sociologues, psychiatres... mais également des praticiens : éducateurs, critiques,
réalisateurs... Non que la filmologie ait abandonné son orientation strictement scientifique
maie tjn s'est rendu compte que le savant n’a pas à inventer des problèmes à priori. Ils
peuvent lui être naturellement posés p ar les hommes de métier en même temps que des hypo
thèses à vérifier. Il s'y efforcera grâce aux méthodes propres à la discipline dont il s'occupe,
ert les adaptant bien entendu à leur nouvel objet. Car les chercheurs sont les prem iers à
souligner la nécessité de celte adaptation comme ils sont également les premiers à mettra en
relief les limites et les insuffisances de leurs méthodes et à demander à ce qu'elles soient
vérifiées et corrigées par d'autres... Il est regrettable que la place manque ici pour donner
des exemples de l'intérêt., des travaux en cours et surtout de la conscience et de l'honnêteté
des chercheurs (1). On verrait alors que le filmologue n'est pas nécessairement le monstre
prétentieux et ignare qu'avait quelquefois cru voir le cinéphile, pas plus que ce dernier ne
s'avère aussi inutile à la recherche qu'on l'avait cru tout d'abord, fût-ce dans les domaines
ou il n'y a pas de compétence spéciale. Il en est certains d'ailleurs où les rapports mutuels
peuvent dépasser la simple coexistence pacifique î ceux de l’étude sociologique des contenus
p a t exemple ou ceux de l'analyse esthétique des formes. Il est peut-être regrettable d e ce
dem iér point de vue que le Congrès ait concédé à l'esthétique une place aussi restreinte ;
on craignait sans doute de Sa part je ne sais quel subjectivisme peu scientifique. M. Sôuriau
a pourtant parfaitement montré dans ses nombreuses études que cette discipline disposait
de procédés d'objectivation au moins aussi rigoureux que ceux de la sociologie ou d e la
psychologie. Cinéphiles et filmologues auraient pu y trouver un précieux terrain de rencontre
e t même dans certains cas de ftisîon, s'il est vrai que le * nouvel esprit scientifique »
n'exige nullement une pseudo-indifférence du savant à l'égard de l'objet de sa recherche, mais
au contraire une correspondance et une amitié qui seules lui permettent d 'en d égager le
véritable sens.
Il n'est donc p a s interdit au filmologue d'être également un cinéphile p a s plus q u 'au
diététicien d'être un gastronome. Quant au cinéphile, il dépend de lui de dépasser le roman
tisme de l'amour aveugle pour chercher à mieux connaître l'objet de sa passion.
A m é d é e AYFRE.
T E L E -C I N E
t a Revue des Cinéphiles
Analyses fihnographiques —• Essais critiques
10 numéros par an
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FILMS SORTIS A PARIS DU 2 7 AVRIL AU 31 MAI 1 9 5 5
FILMS FRANÇAIS
Escale à Or?y, film de Jean Dréville, avec Dany Robin, François Périer, Simone Réhant,
Dicter Borsche,_ Micheline Gary, Georges Lannes, Heinz Ruhmann. _— Le scénario est bien
connu des lectrices d ’ « E L L E ». Dréville a fait le maximum.
French Cüncan, film en Technicolor de Jean Rènoiï, avec jean Gabin, Françoise Arnôül,
Maria Félix* Edith Piaf* Dora Dcsll, Gaston Modot, Philippe Clay, Patachou. — Voir la cri
tique de Bazin dans notre n 01 47.
Pas de coup dur pour Johnny, film de Emile Roussel, avec Armand Mestral, Dominique
Wilms, le petit Johnny, Jean-Jacques Delbo, Julien Carette, Georgette Anys. — Etrange
mélange de série n o ire et de « Veillée des. chaUfriières ». A déconseiller pour to u s le s âges.
A foi de jouer.t. Callaghan! Film de W illy Rozier, avec Tony Wright* Lysiane Rey,
Colette Ripert, Paul Cambo, Gil Delamare, Yorick Royan, Robert Berri, Robert Burnier. —
Du Sbüs-Lfcinmy Caution tourné à peü dé frais de production... et d ’imagination. T ony W right
à beaucoup à apprendre et Eddie Constantine peut dortnir tranquille.
Les Dossier noir, film de A ndré Cayatte, avec Jean-Marc Bory, Nelly Borgèaud, Bernard
Blier, Danièle Delorme, Noël Roquevert, Antoine Èalpêtré, Léa Padovani, Henri Crémieux,
Paul Frankeur. —■ V oir notre compte rendu de Cannés*
Passion de fem m es, film de H. Herwig, avec Nadine Alari, Jean-Pierre Kérien, Micheline
Franceÿ, Paùl Dupuis. — Ce mélodrame assez larmoyant a attendu assez longtemps avant de
sortir. Laissons'lui sa chaiice,
Dix-huit heures d ’escale. film de René Jolîvet, avec Jean-Pierre Aumonlj, Geneviève
Kervine, Georges Marchai, Maria Mauban, Paul Démangé, Jean Muselli. — Amours éphé
mères dang les brumes du Havre. Le secret de ce genre de film esi perdu depuis un certain...
FILMS AMERICAINS
Marry m e Again {Epousez-moi encore), film de Franck Tashlin, avec Robert Cummings,
Marie Wilsftn. Ray W alker, Mary Costa, less Barker, Lioyd Corrigan. — U n ancien aviateur
ne veut plus épouser sâ fiancée parce qu'elle est devenue riche... maiE c*est une comédie, tout
s’arrangera. Le spectateur s’amuse un peu.
Rails inta Laramiè {Seul contre tous), film_ en Technicolor de Jesse Hibbs, avec John Paÿne,
Mari Blanchard, Dan Duryea, Joyce McKenzie, Barton McLane, Harry Shannon. — W estern.
Correct.
A Star is Born, (Une Etoile est née), film en CinémaScope et en Technicolor de George
Cukor, avec Judy Garland, James Mason, Jack Carson, Charles Bickford, Tom Noonan. —
Voir critique page 40.
Valley of the Kings (La Vallée des rois), film en Eastmancolor de Robert PirosYi, avec
Robert Taylor, Eleàrtor Parker, Carlos Thompson, (Kurt Kaszriar, Victor JÔry. — AmoUr çt
archéologie. Assez enfantin, mais q u ’EIeanar est jolie L
T he Roifal Ajrican R ifles (Complot dans la jungle), film de Lesley Selander, avec Louis
Hayward, Veronica Hurst, Michaël Pate, Angela Greene. — Aventures dans la jungle en
1914. Ça ne vaut pas A frican Q æ e n .
Blaal^ Tuesday {Mardi, ça saignera), film de Hugo Fregonese, avec Edward G. Robinson,
Peter Graves, Jean Parker. — Deux condamnés à mort s’évadent, Un rude film, bien fait,
tragique, efficace.
Appoint m ent in Honduras (Les révoltés de la Claire-Louise), film en Technicolor de
Jacques T o u r n e u r , avec Glenn Ford, A nn Sheridan, Zachary Scott, Jack Elam. — Du feuil
leton en costume mais de. qualité. Tourneur est un très bon réalisateur. Le coloriage est
charmant,
Prehistoric W om en (Femmes sauvages), film en Eastmancolor de Gregg Pallas, avec
Lorette Luez, A llân Nixon, Mara Lynn, Kerry Vaughna. ■— A l’âge d e pierre des jeunes
filles cherchent des mâles pour continu et la race. T rès divertissant.
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Vera Cruz, 61m en SuperScope et en Technicolor de Robert Aldrich, avec Gary Cooper,
Burt Lancaster, Denise Darcel, César Romero, George Macready, Ernest Borgnine, Santa
Montiel. — V oir critique page 42.-
Suzanne slept here (Suzanne découche), film en Technicolor, de Frank Tashlin, avec Dick
Powell, Debbie Reynolds, A nne Francis, •Alvy Moore, Glenda Farrel. — Si on aim e Debbie
Reynolds — qui est exquise — on aimera cette bleuette décousue, cette « drôle d e gosse » à
la sauce a série B> n.
World for Ransom (Alerte à Singapour), film d e Robert Aldrich, avec Dan D uryea, Gerse
Lockhart, Patrie Knowles, Reginald Denny, Nigel Bruce. — Scénario banal qui n ’empêche
pas Aldrich de prouver une fois de plus son talent, son humour, son sens d u rythme.
Sabre Jet {Les Corsaires de Vespacé), film en couleurs d e Louis King, avec Robert Stack,
Coleen Gray, Richard Arien, Julie Bishop, Léon Adames. — N’épouses: pas un pilote d'avion
à réaction sous peine d e connaître lea angoisses de ceïte héroïne. Sans cloute involontaire,
la terrifiante poésie de l’avion moderne est ici flagrante.
Dragnet (La Police esfi «tir les dénis), films en. Warnercolor d e Jack W ebb , avec Jack
W ebb, A nn Robinson, Ben Alexander, Richard Boone, Stacy Harris. — Drame policier conçu
dans l’optique de la Télévision et réalisé comme tel. Habile vu le peu d e moyens.
T h e Coüntry Girî (Une fille de la province), film d e George Seaton, avec Bing Crosby,
Grâce Kelly, William Holden, Anthony Ross, Gene Reynolds, Jacqueline Fontaine, Eddie
Ryder. —> A Grâce Kelly ce simili Lîmelight valut l’Oscar, Elle le mérite. Fera-t-elle s’inté
resser à l’histoire les Français que ceftte histoire déroute? Cela dit, c’est d u bon travail et
l’on sent dans l’entreprise des ambitions qui nous échappent. II faut croire aussi fermement
que les Américains au m ythe’ de la réussite pour s’émouvoir d s cette déchéance. U ne très
belle scène entre Grâce Kelly et W illiam Holaen dans un commissariat.
The Magnifiaient Obsession (Le Secref magnifique), film en Technicolor de Douglas Sirk,
avec Jane Wyman, Rock Hudson, Agnes Moorehead, Barbara Rush, Otto K rüger. —; V oir
critique dans notre prochain numéro.
Due? in the Jungle (Du;e7 e/ana la jungle), film en Technicolor de George Marschall, avec
Dana Andrews, Jeanne Crain, David Farrar. — Une enquête dans la jungle. Pa3 tre3 nouveau.
Dana Andrews et Jeanne Crain méritent mieux.
Secret of ihe Incas (Le Secret de3 Incas), fiïm en Technicolor de Terry H opper, avec
Charlton Heston, Nicole Maurey, Thomas Mitchell, Robert Young, Glenda Farrel, Y m a
Sumac. —> Un trésor incas, deux hommes qui le cherchent... ce qui fait du vilain. La distri
bution est bonne.
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Black. Widoxa {La Veuve noire), film en CmémaScope et en Technicolor, de N unnaîly
Johnson, avec Ginger Rogers, V an Heflin, Gene Tierney, George RaFt. Peggy A nn Garner,
Reginald Gardiner. — Drame policier original : c’est la victime qui, de la tombe, tend un
piège à son assassin présumé. La mise en scène est habile, rigoureuse et la direction d ’acteurs
de premier ordre.,, acteurs qui sont d ’ailleurs excellents.
FILM ANGLAIS
. Laughing A n n (Tropique dti désir), film en Technicolor (de H erbert W ilcox, avec Mar-
garet Lockwood, W endelï Corey, Forrest Tucker, Ronald,Sinne. — D ’après Conrad, paraît-il...
Malaga (La Rousse m ène Yenquête), film en Technicolor de Richard Sale, avec Maureen
O ’Hara, McDonald Carey, Binnie Barnes. — A part îe jeu de mot d u titre et la beauté de
Maureen O’Hara, cetite histoire de contrebandiers n’appelle aucune réflexion.
ParJz Plaza 605 (Doubla crime â minuit), film de Bernard Knowles, avec Eva Bartok, Tom
Conway, Sidney James. — Histoire policière tout à fait banale,
One: Good Ttîrrx {Plus om esf de fous..,), film de John Paddy Carstairs, avec Norman
iWisdom, Joan Rice, Shirley Abicair, Thora Hird. — Nous sommes fatigués de ces braves
garçons qui veulent offrir des jouets aux enfants» Une des pires tendances du cinéma anglais.
FILM ITALIEN
L a Fille d e Mata Harî, film en Ferraniacolor d e Carminé Gallone et R enzo Merusi, avec
Ludmilla Tcherina, Erno Crisa, Inkîjinoff, Milly Vitale, Frank Latimore, V alentine Tessier. —
11 faut le voir pour y croire. Cette alliance entre le débutant Merusi et le vieux Gallone a
donné d e piètres résultats.
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Gtouenftf OHa Sbarra (Jaortesse dépravée), film de F . Cerio, avec Massimo Serato, Isa
Barzizza, Délia Scala. — Toujours la jeunesse délinquante. Beaucoup de bons sentiments,
moins de talent dans la réalisation,
Dramma délia Casbah {Le Secret de la Casbah), film, de Edoardo Anton, avec George
Raft, Gianna-Maria Cahale, Massimo Serato, Irène Papas. — Le titre est tout un programme.
Médiocre.
FILM TCHECOSLOVAQUE*
FILM BRESILIEN
Naf^ed Amazon. (U A m a zon e nue), film en Eastmancolor d e Zygm unt Sulistrowski, com
mentaires de Marcel Bljstène. — Exploration au cœur de l’Amazone. Conçu à l'origine comme
film romancé; tout ce qui n ’est pas authentique choque. De bonnes choses mais: l’ensemble
irrite et déçoit.
FILM CHINOIS
Amours de Liang Shan-Po et d& Chu Y ing Tai, film en couleurs de Sang Hu et Huang
Sha, avec les membres de la troupe d ’Opéra Shao Siog et de l ’institut d ’A rt Dramatique. —
Une révélation tout à fait extraordinaire. Sadoul en a déjà parlé ici dans son étude sur le
cinéma chinois (nos 46 et 47), Richer en parle dans ce numéro à propos de Cannes... et nous
y reviendrons.
FILM ESPAGNOL
Marcalino, Pan y Vino {.Marcelin, pain et vin), film d e Ladislao Vajda, avec Pablito
Calvo, Rafaël Rivelles, Antonio Vico, Juan Calvo, José Marco Davo, Adriano Dominguez. —
Un des succès du Festival de Cannes, (Voir dans ce numéro page 17.)
FILM POLONAIS
Piatfya 5 VHicy Barsfcie/ (Les Cinq de la rue Barskçi), film en Aglacolor de Alexander
Ford, avec Aleksandra Slaska, Tadensz Janczar. — Excellent! film du meilleur réalisateur
polonais. Belle mise en scène large, ample, rigoureuse. Excellentes couleurs. Nous y revien
drons {Il s ’agit des aventures de cinq lascars lâchés dans la Varsovie nouvelle et qui ne com
prennent pas tout de suite que les temps ont changé ).
RECTIFICATIF
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JU IN -S E P T E M B R E
MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
(Avçnîie du Président-W.üson)
EXPOSITION
3 0 0 ANS DE C I N É M A T O G R A P H E
6 0 ANS DE C IN É M A
ORGANISEE PAR LA CfNEMATHEQUE FRANÇAISE ET LA FEDERATION INTERNATIONALE
PES ARCHIVES DU FILM
D ocum ents précieux de tous les musées de Cinéma du. Monde entier : m anuscrits de G riffith,
René Clair, Eisenstein, etc..., m aquettes de décors, de Caligaria, On th e W aterfront, costum es
de Chaplin, William H art, Asta Nielsen, etc... ; affiches d e film s de Dovjenko, Cabiria, p ar
titio n s d'Erik Satie, Jaubert, Britten, Shostalsovitch, études tïe mise en scène de Stroheim ,
de Ince, Viscontl, H uston, F ritz Lan g ; dessins de Méliës, Emile Cohl, correspondance de
Demeny, Marey, Lumière, Eisenstein, Fudoukine, etc...
D ans le cadre de cette exposition 90 films français retracero n t l’histoire de 25 années de film s
m u ets dç n o tre cinéma. 100 films choisis parm i les grands classiques du m u e t nous perm et
tro ns de découvrir le passé du ciném a 200 film s d ’avant-garde e t docum entaires y sero n t
projetés à p a rtir d u mois de juillet! La période p arlan te sera égalem ent représentée.
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GEORGES SADOUL
HISTOIRE
DE L ’ART
DU
CINÉMA
DE LO U IS LU M IÈRE A LA STRADA
(1895-1955)
LA SEULE HISTO IRE DU CINEMA COMPLETE EN UN VOLUME
15e m i l l e
FLAMMARIOIS
P R O F I L S
revue internationale
d'art et de littérature Au sommaire du n° n
J. ROBERT OPPENHEIMER
Persoedives des Arts et des Sciences
PARKER TYLER, CLAUDE MAURIAC, ROGER IEENHARDT
Le Cinéma et lis Arts plastiques
JEAN COCTEAU Court métrage
TENNESSEE WILLIAMS U s joueurs dé l’été
200 f.
2 2 4 PAGIS DONT 2 0 HORS-TEXTE EN NOIR ET EN COULEURS
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