La Souffrance: Revue Québécoise de Psychologie (2005), 26 (2), 5-7

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LA SOUFFRANCE

Présentation
Quel psychologue n’a pas été confronté à la parole de personnes
exprimant leurs incompréhensions face à notre travail en lien avec la
souffrance? « Comment faites-vous? Ça doit être tellement exigeant
d’entendre la souffrance d’individus exprimée à la journée longue? » Ce
commentaire peut sembler sans importance, voire banal. Toutefois,
comment le psychologue clinicien, qui écoute la souffrance d’une personne
en détresse psychologique, arrive-t-il à donner un sens à cette souffrance?
Comment peut-il, en accueillant les blessures de l’autre, l’apaiser,
s’apaiser et donner un sens à leur existence respective? Voir l’autre
souffrir et être envahi par la souffrance peut rendre le psychologue
impuissant devant l’intensité de la douleur dont il est témoin. Que faisons-
nous avec cette impuissance et comment module-t-elle nos interventions?
Quel est notre seuil de tolérance à la souffrance psychologique? Comment
nous limite-t-elle dans nos interventions et dans notre rapport à l’autre?
Comment pouvons-nous la définir?

Nous sommes témoins, entre autres, des pleurs, des angoisses, du


non-sens à la vie, du deuil, du désir de mort, des réactions (ou des peurs)
devant une mort imminente, de la douleur qu’expriment en silence ou en
paroles nos clients. Comment cela nous touche-t-il? Comment
transformons-nous ces pulsions de mort en pulsions de vie? Comment
établissons-nous un cadre thérapeutique permettant à l’autre de s’exprimer
en toute sécurité et qui, en même temps, nous permet de recevoir ces
souffrances de manière paisible? La souffrance psychologique se guérit-
elle ou s’apprivoise-t-elle? Comment est-il possible de la rendre plus
supportable? Quel sens peut-on lui donner? La souffrance est-elle
différente chez un mourant, un psychotique ou un obsessif-compulsif?

Quoi qu’il en soit, le psychologue, peu importe son domaine


d’intervention et la clientèle avec laquelle il travaille, fait face à des
individus qui ressentent et expriment de la douleur et de la souffrance, et
ce, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. Le
psychologue doit affronter quotidiennement la souffrance, et il doit
composer avec elle, et dans son rapport à l’autre, et avec lui-même. Il est
marqué à sa façon par la souffrance et colore ses interventions ou ses
recherches en fonction de la compréhension qu’il a de cette
problématique. Après avoir accueilli la souffrance, le psychologue a-t-il
assez d’humilité pour demander d’être écouté à son tour?

Dix articles constituent ce dossier thématique. Les auteurs, provenant


de différents milieux de pratique et de disciplines diverses, nous

Revue québécoise de psychologie (2005), 26(2), 5-7


Présentation

présentent la souffrance sous différents angles et nous interpellent. Plus


précisément, ils ont tenté de définir et de conceptualiser la souffrance, de
donner des pistes d’interventions adaptées à des populations spécifiques
et à des problèmes où la souffrance est en avant-plan. Ils se sont attardés
aussi aux répercussions de la souffrance sur les professionnels traitants.

Le premier article, Le concept de souffrance en médecine : un modèle


théorique, son application et son intérêt, écrit par Marco Musi, fait la
distinction entre les concepts de douleur et de souffrance et expose les
implications de la prise en charge du souffrant pour le soignant.

Pour sa part, Arnaud Plagnol, dans son article intitulé Souffrance et


espace subjectif, distingue en des termes plus psychologiques la notion de
douleur de celle de souffrance et démontre comment la souffrance est
étroitement liée à la mémoire subjective du patient. De plus, l’auteur
exploite la notion d’espace thérapeutique comme notion essentielle à
l’analyse de la souffrance.

Le troisième article, écrit par Véronique Lussier et Serge Daneault,


nous entraîne dans l’univers de la souffrance telle qu’elle est vécue par
des patients atteints de cancer. Plus particulièrement, Le sujet en
souffrance au sein de l’espace médical : au-delà des effractions de la
maladie, les effets désubjectivants de la déshumanisation des soins nous
amène à l’aide d’extraits de verbatims à ressentir la souffrance de
personnes atteintes de maladies incurables dans une ère où l’exercice de
la médecine occidentale suscite des inquiétudes.

L’article suivant, Le fil d’Ariane de la souffrance, écrit par Ghislaine


Legendre et Nayiri Tavlian nous transporte dans l’univers de l’immigrant.
Ces auteures nous démontrent comment le processus d’immigration peut
être souffrant et laisser des traces intergénérationnelles dans les familles.
De plus, elles prennent soin d’expliciter des approches pouvant faciliter
l’intervention auprès des populations immigrantes en souffrance.

Le cinquième article, Compréhension de la douleur et de la souffrance


en cancérologie du sein : approche freudienne, écrit par Angélique
Bonnaud Antignac, explicite selon l’approche psychanalytique le
processus de réinvestissement du corps chez des patientes atteintes du
cancer du sein. Cette auteure, à l’aide d’une histoire de cas, nous
démontre la fonction défensive de la douleur et de la souffrance face à la
maladie.

Intitulé À propos de la souffrance et du suicide : la théorie de


E.S. Shneidman, l’article de Frédérick Dionne et de Réal Labelle nous
transporte dans le monde de la suicidologie. Ces auteurs font ressortir les
principaux points de la théorie de Edwin S. Shneidman permettant une

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meilleure compréhension du phénomène de la souffrance chez les


personnes suicidaires. De plus, les auteurs, tout en se référant à cette
même théorie, proposent des pistes d’intervention.

Naomie Adelson, quant à elle, fait prendre une tout autre forme à la
souffrance. Dans son article La souffrance collective : une analyse
anthropologique de l’incarnation d’injustice, elle nous propose d’examiner
la souffrance collective et les solutions possibles en s’attardant au contexte
autochtone du Canada. Nous y verrons ici les liens qui unissent
souffrance, culture et collectivité.

Sophie Gilbert et Véronique Lussier, dans le huitième article, nous


proposent de regarder les enjeux narcissiques et identificatoires
d’intervenants confrontés à la souffrance de jeunes adultes itinérants.
L’aide en itinérance : l’interface de deux souffrances nous permet de
mettre en relief les défis que pose à l’intervenant l’écoute de la souffrance.
Le texte empreint de verbatims nous rend bien les propos de l’auteure.

De son côté, Hubert Marcoux se questionne sur les enjeux éthiques


que peuvent soulever les cliniciens souffrants. Dans son article La
réflexion éthique : une source de soulagement pour le clinicien souffrant,
l’auteur précise la notion de souffrance qu’il met en lien avec la relation
thérapeutique. Il se propose ensuite de nous expliquer comment le Souci
de soi, le Souci d’autrui et le Souci de l’autre, dimensions de l’action
clinique et éthique, sont en lien avec certaines composantes de la
souffrance du clinicien.

Enfin, le dixième article, La souffrance des intervenants : perte d’idéal


collectif et confusion sur le plan des valeurs, écrit par Lucie Biron, fait état
de la souffrance des intervenants tiraillés entre le modèle productiviste et
par les idéaux éthiques. L’auteure nous fait réfléchir sur le sens et le non-
sens de la souffrance, du bonheur, des valeurs qui guident nos
interventions. Elle nous amène à réfléchir sur le traitement de la
souffrance, sa prise en charge, et ce, dans nos institutions en constant
changement.

En terminant, j’aimerais remercier Robert Letendre, pour son soutien


tout au long de ce processus, ainsi que Véronique Lépine et Christelle
Aymard pour leurs attentions si précieuses.

En vous souhaitant une très agréable lecture.

Frédéric Doutrelepont
Centre de santé et de services sociaux Jeanne Mance –
CLSC des Faubourgs

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