Discours Ensemble Pos
Discours Ensemble Pos
Discours Ensemble Pos
Préambule général
§ 62. Le communisme
§ 63. Le socialisme
§ 64. Théorie positive de la propriété
§ 65. Divergences entre le communisme et le positivisme
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 4
Le Discours sur l'esprit positif se présente comme une oeuvre de propagande, tout
comme le Discours sur l'ensemble du positivisme (1848) et le Catéchisme positiviste
(1852).
Ces trois ouvrages, qui gagnent à être lus dans l'ordre chronologique de leur
parution, instituent un programme d'enseignement universel commun à tous et
tendent à créer une association de philosophes, ou nouveau pouvoir spirituel.
Les pages que nous publions concernent la supériorité de l'esprit positif sur l'esprit
métaphysique et sur l'esprit théologique et développent les principales affirmations
comprises dans la loi des trois états.
Tous ces obstacles ont poussé Comte à publier séparément ce véritable Discours
préliminaire au Système, afin de tenir le public au courant des nouveaux
développements du positivisme. Par rapport au premier discours de 1844, ce Discours
préliminaire de 1848 fait intervenir l'action des femmes auprès des prolétaires,
préconise la pratique des beaux-arts en vue du développement des sentiments sociaux,
surtout présente la religion de l'Humanité comme appelée à dominer l'ensemble des
sociétés régénérées. Et, comme l'annonce Comte, « cet écrit est surtout destiné à
constater que le positivisme, toujours poussé par sa réalité caractéristique, constitue
enfin un système complet et homogène, où tous les aspects humains convergent
spontanément vers une entière unité, à la fois objective et subjective » (Préface, p.
VII). Femmes et prolétaires sont les appuis naturels du pouvoir spirituel qu'ils peuvent
aider à « reconstruire les opinions et régénérer les mœurs afin de réorganiser les
institutions ». Ces trois éléments sociaux que sont les femmes, les prolétaires et les
philosophes ou prêtres de l'Humanité - ne l'oublions pas - restent étrangers au pouvoir
politique et fondent la force morale de la société.
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 6
PRÉAMBULE GÉNÉRAL
spirituel, à la fois plus consistant et plus progressif que celui dont le moyen âge tenta
prématurément l'admirable ébauche.
C'est ainsi qu'une philosophie, d'abord émanée des plus hautes spéculations, se
montre déjà capable d'embrasser sans effort, non seulement la plénitude de la vie
active, mais aussi l'ensemble de la vie affective. Toutefois, pour manifester entière-
ment son universalité caractéristique, je devrais encore y signaler un complément
indispensable, en indiquant enfin, malgré des préjugés très plausibles, sa profonde
aptitude à féconder aussi ces brillantes facultés qui représentent le mieux l'unité hu-
maine, en ce que, contemplatives par leur nature, elles se rattachent au sentiment par
leur principal domaine, et à l'activité par leur influence générale. Cette appréciation
esthétique du positivisme sera directement ébauchée dans la cinquième partie de ce
Discours, comme suite naturelle de l'explication relative aux ,femmes. J'y ferai,
j'espère, entrevoir comment la doctrine nouvelle, par cela même qu'elle embrasse
réellement l'ensemble des rapports humains, peut seule combler une grande lacune
spéculative en constituant bientôt une vraie théorie générale des beaux-arts, dont le
principe consiste à placer l'idéalisation poétique entre la conception philosophique et
la réalisation politique, dans la coordination positive des fonctions fondamentales de
l'humanité. Cette théorie expliquera pourquoi l'efficacité esthétique du positivisme ne
pourra se manifester par des productions caractéristiques que quand la régénération
intellectuelle et morale se trouvera assez avancée pour avoir déjà éveillé les princi-
pales sympathies qui lui sont propres et sur lesquelles devra reposer le nouvel essor
de l'art. Mais, après ce premier ébranlement mental et social, la poésie moderne,
investie enfin de sa vraie dignité, viendra, à son tour, entraîner l'humanité vers un
avenir qui ne sera plus ni vague ni chimérique, tout en rendant familière la saine
appréciation des divers états antérieurs. Un système, qui érige directement le
perfectionnement universel en but fondamental de toute notre existence personnelle et
sociale, assigne nécessairement un office capital aux facultés destinées surtout à
cultiver en nous l'instinct de la perfection en tous genres. Les étroites limites de ce
Discours ne m'empêcheront pas d'ailleurs d'y indiquer que, tout en ouvrant à l'art
moderne une immense carrière, le positivisme lui fournira, non moins spontanément,
de nouveaux moyens généraux.
62. - Le communisme.
Ils ont déjà fait, à cet égard, un pas spontané, dont l'importance est encore trop
peu sentie. Une célèbre utopie, qui s'y propage rapidement, leur sert, faute d'une meil-
leure doctrine, à formuler aujourd'hui leur manière propre de concevoir la principale
question sociale. Quoique l'expérience résultée de la première partie de la révolution
ne les ait point désabusés entièrement des illusions politiques, elle les a conduits à
sentir que la propriété leur importait davantage que le pouvoir proprement dit. En
étendant jusque-là le grand problème social, le communisme rend aujourd'hui un
service fondamental, qui n'est pas neutralisé par les dangers temporaires inhérents à
ses formes métaphysiques. Aussi cette utopie doit-elle être soigneusement distinguée
des nombreuses aberrations que fait éclore notre anarchie spirituelle, en appelant aux
plus difficiles spéculations des esprits incapables ou mal préparés. Ces vaines théories
sont si peu caractérisées, qu'on est conduit à les désigner par les noms de leurs
auteurs. Le communisme, qui ne porte le nom de personne, n'est point un produit
accessoire d'une situation exceptionnelle. Il y faut voir le progrès spontané, plutôt
affectif que rationnel, du véritable esprit révolutionnaire, tendant aujourd'hui à se pré-
occuper surtout des questions morales, en rejetant au second rang les questions
politiques proprement dites. Sans doute, la solution actuelle des communistes reste
encore essentiellement politique, comme chez leurs prédécesseurs, puisque c'est aussi
par le mode de possession qu'ils prétendent régler l'exercice. Mais la question qu'ils
ont enfin posée exige tellement une solution morale, sa solution politique serait à la
fois si insuffisante et si subversive, qu'elle ne peut rester à l'ordre du jour sans faire
bientôt prévaloir l'issue décisive que le positivisme vient ouvrir à ce besoin fonda-
mental, en présidant à la régénération finale des opinions et des mœurs.
républicaine les dispensera même d'une telle qualification, en leur offrant une
désignation équivalente, d'ailleurs exempte de pareils dangers. Loin de redouter le
communisme, la nouvelle philosophie espère donc des succès prochains chez la
plupart des prolétaires qui l'ont adopté, surtout en France, où les abstractions ont peu
d'ascendant sur des esprits pleinement émancipés. Ce résultat s'accomplira nécessaire-
ment à mesure que le peuple reconnaîtra l'aptitude fondamentale du positivisme à
mieux résoudre que le communisme le principal problème social.
63. - Le socialisme.
Retour à la table des matières
Une telle tendance s'est déjà manifestée clairement, depuis la publication initiale
de ce Discours, par la nouvelle formule qui a spontanément prévalu chez nos prolé-
taires. En adoptant l'heureuse expression de socialisme, ils ont à la fois accepté le
problème des communistes et repoussé leur solution, qu'un exil volontaire semble
écarter irrévocablement. Mais les socialistes actuels n'évitent réellement le com-
munisme qu'en restant passifs ou critiques. S'ils obtenaient l'ascendant politique avant
que leurs idées se trouvent au niveau de leurs sentiments, ils seraient nécessairement
conduits bientôt aux anarchiques aberrations que réprouve aujourd'hui leur instinct
confus. C'est pourquoi la rapide, propagation du socialisme inspire de justes alarmes
aux classes dont la résistance empirique constitue maintenant l'unique garantie légale
de l'ordre matériel. En effet, le problème posé par les communistes n'admet aucune
autre solution que la leur, tant que persiste la confusion révolutionnaire entre les deux
puissances spirituelle et temporelle. Ainsi, l'unanime réprobation qu'inspirent ces
utopies doit partout disposer au positivisme, qui désormais peut seul préserver l'Occi-
dent de toute grave tentative communiste. Fondant enfin la politique moderne sur une
digne systématisation de l'admirable division ébauchée au moyen âge, le parti
constructeur vient aujourd'hui satisfaire les pauvres tout en rassurant les riches. Sa
solution normale rendra bientôt inutiles ces dénominations passagères. Définitive-
ment purifiée, l'antique qualification de républicains suffira toujours pour désigner les
vrais sentiments régénérateurs, tandis que le titre de positivistes caractérisera seul les
opinions, les mœurs, et même les institutions correspondantes.
Il faut admettre aussi leur critique fondamentale des économistes, dont les
maximes métaphysiques interdisent toute régularisation sociale des fortunes person-
nelles. Cette aberration dogmatique, suscitée, comme la précédente, par de vicieuses
interventions, est directement contraire à la saine philosophie, quoiqu'elle semble s'en
rapprocher en reconnaissant l'existence des lois naturelles 'dans les phénomènes
sociaux. Les économistes ne paraissent adhérer à ce principe fondamental que pour
constater aussitôt combien ils sont incapables de le comprendre, faute de l'avoir
d'abord apprécié envers les moindres phénomènes avant de l'étendre aux plus élevés,
car ils ont ainsi méconnu radicalement la tendance de l'ordre naturel à devenir de plus
en plus modifiable, à mesure qu'il se complique davantage. Toutes nos destinées
actives reposant sur une telle notion, rien ne peut excuser le blâme doctoral que la
métaphysique économique oppose à l'intervention continue de la sagesse humaine
dans les diverses parties du mouvement social. Les lois naturelles auxquelles ce
mouvement est, en effet, assujetti, loin de nous détourner de le modifier sans cesse,
doivent, au contraire, nous servir à y mieux appliquer notre activité, qui s'y trouve à la
fois plus efficace et plus urgente qu'envers tous les autres phénomènes.
Sous ces divers aspects, le principe fondamental du communisme est donc néces-
sairement absorbé par le positivisme. En le fortifiant beaucoup, la nouvelle philo-
sophie l'étend davantage, puisqu'elle l'applique aussi à tous !es modes quelconques de
l'existence humaine, indistinctement voués au service continu de la communauté,
suivant le véritable esprit républicain. Les sentiments d'individualisme comme les
vues de détail ont dû prévaloir pendant la longue transition révolutionnaire qui nous
sépare du moyen âge. Mais les uns conviennent encore moins que les autres à l'ordre
final de la société moderne. Dans tout état normal de l'humanité, chaque citoyen
quelconque constitue réellement un fonctionnaire publie, dont les attributions plus ou
moins définies déterminent à la fois les obligations et les prétentions. Ce principe
universel doit certainement s'étendre jusqu'à la propriété, où le positivisme voit sur-
tout une indispensable fonction sociale, destinée à former et à administrer les capitaux
par lesquels chaque génération prépare les travaux de la suivante. Sagement conçue,
cette appréciation normale ennoblit sa possession, sans restreindre sa juste liberté, et
même en la faisant mieux respecter.
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 12
Mais c'est là que cesse toute concordance réelle entre les saines théories sociolo-
giques et les inspirations spontanées de la sagesse populaire. En acceptant l'énoncé
communiste, et même en l'agrandissant beaucoup, les positivistes écartent radicale-
ment une solution aussi insuffisante que subversive. Celle que nous lui substituons
s'en distingue surtout par l'introduction des moyens moraux au lieu des moyens politi-
ques. Ainsi, la principale différence sociale entre le positivisme et le communisme se
rapporte finalement à cette séparation normale des deux puissances élémentaires, qui,
méconnue jusqu'ici dans toutes les conceptions rénovatrices, se retrouve toujours, au
fond de chaque grand problème moderne, comme seule issue finale de l'humanité. En
caractérisant mieux l'aberration communiste, cette appréciation l'excuse davantage,
d'après sa similitude essentielle avec toutes les autres doctrines maintenant accré-
ditées. Quand presque tous les esprits cultivés méconnaissent ainsi le principe fonda-
mental de la politique moderne, pourrait-on blâmer l'instinct populaire d'avoir subi
jusqu'à présent cette influence universelle de l'empirisme révolutionnaire?
Je ne dois pas entreprendre, surtout ici, l'examen spécial d'une antique utopie,
solidement réfutée, depuis vingt-deux siècles, par le grand Aristote, qui annonçait
ainsi le caractère organique de l'esprit positif, même dès sa première ébauche. Une
inconséquence décisive suffirait d'ailleurs pour manifester à la fois la complète irra-
tionalité et l'honorable source sentimentale du communisme moderne. Car il diffère
essentiellement de l'ancien, représenté surtout par les rêveries de Platon, en ce que
celui-ci joignait à la communauté des biens celle des femmes et des enfants, qui en
constituerait, en effet, une suite indispensable. Quelques connexes que soient ces
deux erreurs, l'utopie n'est plus comprise ainsi que chez un petit nombre de lettrés,
dont l'esprit mal cultivé trouble le cœur trop peu actif. Noblement inconséquents, nos
prolétaires illettrés, seuls communistes dignes d'attention, n'adoptent, dans cette
indivisible aberration, que la partie relative à leurs besoins sociaux, en repoussant
avec énergie celle qui choque nos meilleurs instincts.
Le
« Système de
politique
positive »
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Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 14
Tandis que le Cours de Philosophie positive devait pour Comte « mieux caracté-
riser la supériorité intellectuelle du positivisme sur un théologisme quelconque », le
Système de politique positive est appelé à « manifester la prééminence morale de la
vraie religion ». Tandis que le Cours est une oeuvre de recherche, le Système est une
œuvre d'exposition. Aussi les méthodes elles-mêmes vont-elles se modifier: à la
méthode objective et de discussion du Cours succède et fait place la méthode sub-
jective et de réflexion du Système. Le résultat théorique du Cours est la source de la
construction synthétique du Système.
Pour définir l’œuvre elle-même, disons que le premier tome, qui reproduit le
Discours sur l'ensemble du positivisme, comprend en outre une Introduction fonda-
mentale à la fois scientifique et logique exposant comment « la philosophie positive
se décompose en philosophie sociale et philosophie naturelle, dont la seconde sert de
préambule fondamental à la première, seul objet définitif de nos spéculations
réelles ». Le second tome contient la statique sociale, le troisième la dynamique so-
ciale selon les lois du mouvement intellectuel et social, enfin le quatrième tome donne
les systématisations finales du culte, du dogme et du régime avec la théorie fonda-
mentale du Grand-Être. C'est l'avenir humain que, Comte systématise en cinq
chapitres étendus qui concourent à l' « élaboration directe de l'harmonie relative » : la
situation qu'il considère ne peut encore exister. Une unité relative se dégage des
quatre tomes : parce que le premier a déduit une systématisation de la logique positive
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 15
SYSTÈME DE POLITIQUE
POSITIVE : TOME II
CHAPITRE II
APPRÉCIATION SOCIOLOGIQUE
DU PROBLÈME HUMAIN;
D'OÙ THÉORIE POSITIVE
DE LA PROPRIÉTÉ MATÉRIELLE
Dans cet état fictif, le classement fondé sur le mérite personnel dominerait sponta-
nément celui qui résulte d'une prépondérance matérielle qui ne se développe qu'en
vertu des nécessités correspondantes. Mais la hiérarchie naturelle qui place la supério-
rité morale au-dessus de la prééminence physique, et même intellectuelle, s'y trouve-
rait aussi mieux appréciable et moins contestée. Le gouvernement y serait d'abord
spirituel bien plus que temporel. On peut même assurer que le sexe actif et spéculatif
s'y subordonnerait volontairement au sexe affectif, quand l'excellence féminine aurait
assez éclaté dans une situation qui n'en comprimerait jamais le développement spon-
tané. Ce doux empire serait d'autant moins contesté qu'il se consoliderait alors par
l'ascendant mental, d'après la direction esthétique des principaux efforts intellectuels,
qui se rapporteraient davantage aux émotions que les femmes apprécient et expriment
le mieux.
Quant à l'évolution nécessaire d'une telle société, la loi fondamentale des trois
états s'y trouverait profondément modifiée, surtout en ce que l'âge intermédiaire y
disparaîtrait presque entièrement. Rien n'y pourrait dispenser de l'initiation fétichique,
qui serait même plus pure et plus prolongée, puisque l'activité matérielle y troublerait
peu la prépondérance spontanée du sentiment. Néanmoins, je n'hésite pas à prononcer
que l'avènement du positivisme final y deviendrait plus rapide et plus facile. Pour
dissiper cette apparente contradiction, il suffit de regarder, d'après le chapitre précé-
dent, le théologisme proprement dit comme une longue transition, d'abord polythéi-
que, puis monothéique, du fétichisme au positivisme. Or, j'ai déjà noté qu'un tel
intermédiaire est surtout exige par les conditions sociales, qui, dans notre hypothèse,
perdraient cet ascendant. Sous le seul aspect intellectuel, qui prévaudrait alors, j'ai re-
présenté le positivisme comme pouvant immédiatement succéder au fétichisme, chez
les populations convenablement soumises à une évolution systématique. Or, cette
aptitude s'étendrait jusqu'à l'évolution purement spontanée, pour le cas hypothétique
que j'achève d'apprécier. Il prolongerait davantage la naïve croyance aux volontés
directes, parce que l'esprit scientifique s'y trouverait moins stimulé. Mais il permet-
trait plus aisément de, la transformer en la conception finale des lois naturelles, sans
aucune grave interposition des dieux et des entités. Quoique l'intelligence fût alors
dépourvue des principales impulsions pratiques, qui ont tant secondé notre essor
positif, son propre exercice naturel la conduirait finalement à distinguer assez l'activi-
té spontanée d'avec la vie proprement dite. Or, il n'existe, au fond, aucune autre diffé-
rence théorique entre le fétichisme et le positivisme, dont la succession deviendrait
ainsi directe. Cette conclusion spirituelle se trouve beaucoup fortifiée par l'apprécia-
tion temporelle, si l'on considère que, quoique la vie industrielle fût alors peu pronon-
cée, l'existence militaire qui la précède y manquerait de toute stimulation intense et
durable. Aucun grave conflit habituel n'y pouvant troubler profondément l'évolution
sympathique, elle s'élèverait bientôt de la Famille jusqu'à l'Humanité, sans s'arrêter
longtemps à la Patrie, principal domaine du théologisme. Cet avènement plus prompt
du sentiment suprême devrait d'ailleurs accélérer la concentration intellectuelle
correspondante, dont le propre essor serait déjà facilité directement.
corriger plus facilement les dangereuses illusions et les impulsions vicieuses qui nous
conduisent si souvent à prendre les moyens pour le but.
Les besoins irrésistibles auxquels notre activité doit toujours pourvoir étant néces-
sairement personnels, notre existence pratique ne saurait immédiatement offrir un
autre caractère. Il s'y développe à la fois de deux manières, l'une positive, l'autre
négative, en excitant les instincts égoïstes et comprimant l'essor sympathique. Outre
que les tendances bienveillantes ne correspondent point à un tel but, tant qu'il reste
individuel, elles ont trop peu d'énergie naturelle pour imprimer d'abord une suffisante
impulsion.
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 21
SYSTÈME DE POLITIQUE
POSITIVE : TOME Il
CHAPITRE IV
THÉORIE POSITIVE DU LANGAGE HUMAIN
C'est surtout à la religion que le langage doit être directement comparé, puisque
l'un et l'autre se rapportent spontanément à l'ensemble de notre existence. Ils surgis-
sent pareillement des fonctions mêmes qu'ils sont destinés à régulariser. Leur émana-
tion s'y accomplit semblablement, d'après deux sources naturelles, l'une morale qui
dirige, l'autre intellectuelle qui assiste, complète et développe. En effet, le langage est,
comme la religion, inspiré par le cœur et construit par l'esprit. C'est ainsi qu'il tient
d'abord à la famille et ensuite à la société, bases respectives de l'essor affectif et du
progrès mental. Destiné surtout à communiquer nos émotions, il s'applique de préfé-
rence, comme la religion, aux impulsions sympathiques, seules pleinement transmis-
sibles. L'élaboration intellectuelle s'y subordonne naturellement à l'inspiration morale,
soit pour exprimer les affection& senties, soit afin de mieux satisfaire aux besoins
éprouvés.
Il faut ici remarquer enfin l'admirable harmonie qui existe naturellement entre
l'institution du langage et la transformation radicale de notre activité. En effet, le
langage, comme la religion, convient à la fois à l'existence individuelle et à l'existence
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 22
collective. Mais c'est surtout celle-ci qui lui fournit, encore plus qu'à la religion, sa
principale destination et sa source naturelle. Directement relatif à la vie sociale,
jamais le langage ne se rapporte normalement à la vie personnelle que d'après leur
intime connexité. Cette grande institution est donc spontanément conforme à la trans-
formation nécessaire de notre existence pratique, dont elle annonce réellement le
caractère altruiste pendant la plus forte prépondérance du régime égoïste. Aussi la fin
de ce chapitre démontrera-t-elle que le principal essor du langage humain appartient,
sous tous les aspects, à l'ordre positif, où notre activité permanente doit devenir
essentiellement collective, d'après une libre culture habituelle des affections directe-
ment bienveillantes.
Je dois d'abord circonscrire l'ensemble d'un tel examen avec plus de précision
philosophique qu'on ne put le faire sous le régime préparatoire, qui ne distingua
jamais, à cet égard, l'étude sociologique et l'analyse biologique. Cette confusion habi-
tuelle explique aisément la contradiction décisive où conduisait une étrange théorie
qui, niant le langage des animaux, méconnaissait pourtant les principaux caractères
qui en séparent la langue humaine.
Pour dissiper radicalement ces ténèbres métaphysiques il faut ici remonter jusqu'à
la vraie définition générale des signes qui composent un langage quelconque. Elle
consiste à concevoir tout signe proprement dit comme résulté d'une certaine liaison
habituelle, d'ailleurs volontaire ou involontaire, entre un mouvement et une sensation.
D'après une telle connexité, tantôt chaque mouvement reproduit objectivement la
sensation correspondante, et tantôt le retour cérébral de celle-ci représente subjective-
ment le mouvement d'où elle émana d'abord. C'est ainsi que le cerveau traduit au-
dehors ses diverses impressions intérieures par la relation mutuelle des deux appareils
nerveux qui lui sont extérieurs. La communication suit d'ailleurs la même marche
essentielle, soit que l'appareil moteur et l'appareil sensitif appartiennent à un seul
individu, ou à deux être distincts.
En tant que volontaire, celui-ci est toujours artificiel, même chez les animaux, qui
tous en modifient, de la même manière que nous, l'institution habituelle. Car, ils
savent aussi changer, conformément à leurs exigences, extérieures ou intérieures, la
liaison ordinaire entre le mouvement et la sensation dont le concours produit chacun
de leurs signes. L'institution de ceux-ci ne peut cependant devenir jamais arbitraire,
sous peine de manquer sa destination principale, même comme moyen de liaison
personnelle, et surtout quant à la communication domestique ou sociale. Ma théorie
cérébrale indique comment ces signes volontaires acquièrent naturellement la fixité
convenable, d'après leur origine élémentaire dans les signes involontaires, graduelle-
ment décomposés et simplifiés, sans cesser d'être intelligibles. C'est ainsi que s'établit
nécessairement la liaison normale entre la vraie théorie sociologique du langage et sa
simple théorie biologique. En effet, les signes volontaires sont toujours de véritables
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 24
Tous les vrais naturalistes, et surtout Georges Leroy, ont d'ailleurs reconnu que ce
langage volontaire et perfectible se développe aussi chez les autres animaux supé-
rieurs. Chaque espèce y institue, suivant son organisation et sa situation, sa langue
naturelle, toujours intelligible essentiellement pour les races plus élevées, et même
comprise aussi par les êtres moins éminents, quant aux degrés communs de vitalité.
Un tel langage se perfectionne graduellement d'après l'essor successif des impulsions
intérieures et des influences extérieures qui déterminèrent sa formation. Il ne parait
immobile chez les animaux que faute d'un examen assez approfondi. Toutefois, en
tant que toujours subordonné à la socialité correspondante, il comporte nécessaire-
ment les mêmes limites naturelles, et subit aussi de semblables entraves artificielles.
Or, j'ai assez expliqué, dans le premier volume de ce traité, l'irrésistible fatalité qui
borne à notre seule espèce la plénitude du développement social. L'essor spontané des
autres sociétés animales se trouvant donc arrêté bientôt par la prépondérance
humaine, il en doit être ainsi de leurs propres langues. Chacune d'elles a presque tou-
jours atteint maintenant, et souvent depuis longtemps, l'extension compatible avec
l'ensemble des obstacles qui dominent l'espèce correspondante. Mais, puisque notre
suprématie constitue ordinairement la plus puissante de ces entraves, on conçoit que,
en la supposant supprimée ou même assez suspendue, un progrès appréciable ne
tarderait pas à démentir cette immobilité chimérique des langues et des sociétés ani-
males. Tout concourt donc à démontrer que la vraie théorie générale du langage est
essentiellement sociologique, quoique son origine normale soit nécessairement biolo-
gique. Elle doit, par conséquent, se construire surtout d'après le cas humain, qui, outre
son intérêt prépondérant, peut seul assez dévoiler les lois correspondantes, comme
pour toutes les études cérébrales.
A cet égard, plus encore qu'à tout autre, la connaissance positive de l'homme
fournit l'unique moyen de pénétrer finalement la vraie nature des divers animaux.
Mais il ne faut jamais oublier que la religion fut longtemps inverse entre ces deux
études réelles. Sans les lumières irrécusables que nous fournit l'animalité, on n'aurait
jamais écarté les vaines spéculations des métaphysiciens sur le langage humain, qu'ils
se bornaient à considérer, d'une manière absolue, dans sa dernière complication, sauf
quand ils lui cherchaient une source surnaturelle. Toutes ces questions insolubles se
transforment ou se dissipent aussitôt qu'on cesse d'isoler l'humanité de l'ensemble des
espèces qu'elle domine. Mais, outre ce grand service préliminaire, la comparaison
zoologique comportera toujours un précieux office pour la théorie positive du langage
humain, qu'elle peut seule rattacher convenablement à sa souche biologique. Car les
signes volontaires puisent nécessairement leurs vraies racines dans les signes involon-
taires, dont l'étude doit même s'accomplir d'abord envers les moindres degrés
d'animalité, où elle se trouve mieux dégagée de toute complication étrangère.
borne toujours à préparer la plus compliquée, d'où elle doit ensuite attendre la seule
résolution décisive que comportent les principaux problèmes de la vitalité. Quand la
théorie positive du langage humain sera suffisamment construite, elle imprimera
bientôt une féconde impulsion à l'ensemble des études, précieuses quoique empiri-
ques, de la philologie actuelle. Or, la pleine maturité des notions obtenues ainsi ne se
trouvera vraiment constatée que d'après leur aptitude nécessaire à faire surgir de
nouvelles lumières sur les moindres langues animales. C'est seulement alors que la
philologie prendra finalement sa véritable constitution encyclopédique, par son
indissoluble incorporation à la science universelle. Mais un tel point de vue ne doit
habituellement prévaloir que dans le dernier volume de ce traité. Ici je me borne à
fonder la théorie sociologique du langage sur sa théorie biologique, d'où il me reste
encore à faire spécialement dériver la construction graduelle des signes volontaires
d'après leurs racines involontaires.
Tous les signes artificiels dérivent primitivement, même dans notre espèce, d'une
simple imitation volontaire des divers signes naturels qui résultent involontairement
de l'existence correspondante. Cette origine spontanée peut seule expliquer à la fois
leur formation et leur interprétation. Les mouvements qui les constituent doivent
ordinairement, pour annoncer au-dehors les impressions intérieures, s'adresser de
préférence aux sens susceptibles d'être affectés de loin. On serait ainsi conduit à
distinguer trois sortes de langage, concernant respectivement l'odorat, la vue, et l'ouïe.
Mais le premier sens est trop imparfait chez l'homme pour y susciter aucun véritable
système de signes. Les espèces mieux organisées à cet égard ne pourraient même
instituer un tel langage, faute d'en obtenir assez commodément les odeurs élémentai-
res, qui devraient presque toujours être puisées au-dehors. C'est donc seulement
quand la communication se trouve interdite par toute autre voie que l'on peut, en cas
d'urgence, recourir à l'olfaction. Alors, notre espèce, suppléant, par sa supériorité
intellectuelle, à l'imperfection de son odorat, institue, en effet, d'ingénieux artifices
pour transmettre ainsi jusqu'aux simples nuances du sentiment, lorsque ce commerce
s'établit entre deux êtres assez sympathiques. Le langage des fleurs, encore usité chez
les Orientaux, ne s'adresse pas seulement à la vue, comme on le croit d'ordinaire, mais
aussi et surtout à l'odorat. Néanmoins, je ne devais ici mentionner un tel système de
signes que pour mieux caractériser, par un contraste spontané, la condition fondamen-
tale de tout véritable langage, la reproduction assez facultative de ses éléments
naturels d'après des mouvements liés primitivement aux passions communiquées.
Pour mieux apprécier cette prépondérance finale de l'expression vocale sur l'ex-
pression mimique, il importe d'y remarquer aussi deux propriétés essentielles, trop
méconnues ordinairement, l'une statique, l'autre dynamique. La première consiste
dans l'intime dépendance de l'appareil correspondant envers le cerveau, d'où provien-
nent directement ses principaux nerfs. Aucune autre partie du système musculaire
n'est autant liée au centre nerveux. Elle était donc la plus propre à fournir des signes
capables de bien exprimer nos émotions et nos pensées, même les Plus délicates.
Nulle espèce supérieure ne dut éprouver beaucoup d'embarras à découvrir une telle
aptitude, spontanément indiquée déjà par les cris qu'arrachent la douleur et la joie. En
second lieu, je dois ici rappeler, d'après mon premier volume, le privilège évident,
quoique inaperçu jusqu'ici, que présente l'expression orale, comparée surtout à
l'expression mimique, de comporter naturellement un véritable monologue, où chacun
s'adresse à lui-même. Cette propriété complète l'ensemble des caractères qui motivent
la prépondérance presque universelle d'un tel système de signes chez tous les
animaux supérieurs, et d'après laquelle les autres modes de communication ne sont
qualifiés de langage que par une extension métaphorique. On conçoit, en effet, com-
bien un tel avantage permet de se familiariser profondément avec un procédé
d'expression qui comporte seul un exercice solitaire. Par là se trouve bientôt compen-
sée la moindre spontanéité qu'offrait d'abord le mode musical, comparativement au
mode mimique.
C'est ainsi que, parmi toutes les populations humaines, le langage visuel, qui
d'abord prévalait, finit par devenir un simple auxiliaire du langage auditif, comme
chez la plupart des animaux supérieurs. Tel devait être l'état normal du système
d'expression le mieux adapté à une existence où, l'affection dominant toujours l'intel-
ligence, les signes qui conviennent le plus à celle-ci doivent se subordonner à ceux
que l'autre préfère. Mais, outre cette assistance continue, le langage visuel a primiti-
vement exercé sur le langage auditif une réaction plus profonde et moins sentie, qui
concourt puissamment à la constitution définitive du langage humain, dont elle
fournit le meilleur caractère distinctif.
A mesure que notre évolution sociale développa notre esprit, théorique ou pra-
tique, et diminua la prépondérance initiale de l'affection, le sens qui fournit le plus à
l'intelligence dut graduellement modifier le langage relatif au sens le mieux accessible
au sentiment. Cette influence nécessaire à dû rendre la langue primitive plus
analytique et moins esthétique, afin de pouvoir embrasser les notions qui concernent
l'ordre extérieur et notre constante réaction sur lui. Une telle modification à même
agrandi beaucoup le premier domaine de l'art, quoiqu'en diminuant son énergie. En
effet, le vrai langage musical ne saurait comporter directement ce vaste champ d'ex-
pression qui comprend les images proprement dites, toujours liées d'abord à des
impressions purement visuelles. Il faut donc que cette langue trop synthétique se
décompose assez pour admettre des nuances susceptibles de s'associer convenable-
ment à de telles sensations, en suppléant à l'observation par l'imagination. Rien n'em-
pêche, au fond, que des sons puissent rappeler commodément des formes, pourvu que
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 28
Le
« Catéchisme
positiviste »
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Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 30
En tant que philosophie définitive, et selon les propos paroles de Comte, le posi-
tivisme se fonde sur l'espérance que « les serviteurs théoriques et les serviteurs
pratiques de l'HUMANITÉ viennent prendre dignement la direction générale des
affaires terrestres, pour construire enfin la vraie providence, morale, intellectuelle, et
matérielle » (Préface, p. 1). Construire, tel est le mot essentiel, mais construire avec le
« véritable esprit de notre temps ». Critiquant l' « état arriéré » des conservateurs
autant que la « simplicité » des révolutionnaires, Comte réaffirme l'efficacité du posi-
tivisme.
Comte explique ainsi l'emploi du terme religion pour désigner sa doctrine, alors
qu'elle rejette toute croyance surnaturelle - le terme religion, indiquant l'état de com-
plète unité qui doit caractériser notre existence, équivaut au terme synthèse : « La
religion consiste donc à régler chaque nature individuelle et à rallier toutes les indivi-
dualités ». Le dogme de cette religion est la connaissance de l'ordre, objectif et sub-
jectif, auquel tous les événements sont soumis. Le culte est, non pas théorique et lié à
l'intelligence comme le dogme, mais affectif, tandis que notre régime est pratique :
vie spéculative, vie affective et vie active s'harmonisent mutuellement.
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 31
Partie Entretien nº
CATÉCHISME
POSITIVISTE
ENSEMBLE DU DOGME
La Femme. Je comprends ainsi, mon père, ce qui m'a fait suspendre au début votre
enchaînement hiérarchique, que je vous prie maintenant de poursuivre jusqu'au bout,
sans craindre aucune interruption nouvelle, qui m'empêcherait de saisir assez la filia-
tion générale.
Le Prêtre. Votre objection, d'ailleurs très naturelle, sert ici, ma fille, à mieux mar-
quer notre premier pas encyclopédique, type nécessaire de tous les autres, qui dès lors
s'accompliront plus rapidement, comme envers une échelle quelconque. J'espère que
vous descendrez sans effort de chaque science à la suivante, sous la même impulsion
qui vient de vous conduire de la morale à la sociologie, en consultant toujours la
subordination naturelle des phénomènes correspondants.
Entre ces trois premières sciences, il existe une telle connexité que le nom de la
moyenne me sert à désigner leur ensemble, dans le tableau encyclopédique que j'ai
composé (voyez le tableau ci-après) pour vous faciliter l'appréciation générale de la
hiérarchie positive. Car la sociologie peut être aisément conçue comme absorbant la
biologie à titre de préambule, et la morale à titre de conclusion. Quand le mot Anthro-
pologie sera plus et mieux usité, il deviendra préférable pour dette destination collec-
tive, puisqu'il signifie littéralement Étude de l'homme. Mais on devra longtemps
employer ici le nom de sociologie, afin de caractériser davantage la principale supé-
riorité du nouveau régime intellectuel, consistant surtout dans l'introduction encyclo-
pédique du point de vue social, essentiellement étranger à l'ancienne synthèse.
Les êtres vivants sont nécessairement des corps, qui, malgré leur plus grande
complication, suivent toujours les lois plus générales de l'ordre matériel, dont l'immu-
able prépondérance domine tous leurs phénomènes propres, sans toutefois annuler
jamais leur spontanéité. Un troisième pas encyclopédique, pleinement analogue aux
précédents, subordonne donc la biologie, et, par suite, la sociologie avec la morale, à
la grande science inorganique que j'ai nommée COSMOLOGIE. Son vrai domaine
consiste dans l'étude générale de la planète humaine, milieu nécessaire de toutes les
fonction supérieures, vitales, sociales, et morales. Elle serait donc mieux qualifiée par
le mot Géologie, qui présente directement une telle signification. -Mais l'anarchie
académique a tellement dénaturé cette expression que le positivisme doit renoncer à
l'employer, jusqu'à la prochaine élimination de la prétendue science qu'on en a
décorée. Alors on pourra mieux suivre les lois du langage, -en appliquant, à l'ensem-
ble des études inorganiques, une dénomination plus exacte, dont la nature concrète
doit même rappeler davantage le besoin d'apprécier chaque existence dans le cas le
moins compliqué.
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 34
Abstraite, ou Étude
fondamentale de
ÉTUDE DE LA TERRE ou
l'existence universelle
1º MATHÉMATIQUE
(d'abord numérique, puis
ou PHILOSOPHIE NATURELLE
COSMOLOGIE
géométrique, et enfin
SCIENCE PRÉLIMINAIRE
mécanique).
céleste, ou ASTRONOMIE
(Ordre extérieur.)
générale, ou
Concrète ou Étude directe PHYSIQUE
2º PHYSIQUE
de l'ordre matériel terrestre (proprement dite)
spéciale, ou
DIVISION DOGMATIQUE
DIVISION HISTORIQUE
CHIMIE
Préliminaire,
ou Étude
3º BIOLOGIE
ÉTUDE DE L'HOMME ou SOCIOLOGIE
générale de
l'ordre vital
SCIENCE FINALE ou
Finale, ou humain.)
Étude directe
de l'ordre
humain
individuel. 5º MORALE
AUGUSTE COMTE,
Auteur du Système de philosophie positive et du Système de politique positive. (10,
rue Monsieur-le-Prince.)
Quoi qu'il en soit, vous devez reconnaître la nécessité de descendre jusque-là pour
trouver à l'échelle encyclopédique une base spontanée, qui puisse ériger son ensemble
en prolongement graduel de la raison commune. En effet, la physique elle-même,
beaucoup plus simple que les autres sciences, ne, l'est point encore assez. Ses induc-
tions propres ne peuvent être systématisées qu'à l'aide de déductions plus générales,
comme partout ailleurs ; seulement ce besoin logique et scientifique s'y fait moins
sentir. Ce n'est qu'en mathématique qu'on peut induire sans avoir d'abord déduit,
d'après l'extrême simplicité de son domaine, ou l'induction devient souvent inaperçue
; au point que les géomètres académiques n'y voient que des déductions, dès lors
inintelligibles, faute de source. Il ne peut exister nulle part de convictions vraiment
inébranlables que celles qui reposent finalement sur cet immuable fondement de toute
la philosophie positive. Telle sera toujours la terminaison nécessaire de l'enchaîne-
ment subjectif d'après lequel chaque bon esprit animé d'un cœur honnête pourra sans
cesse instituer, comme je viens de le faire, la série fondamentale des cinq principaux
degrés encyclopédiques.
La Femme. J'attribue, mon père, à cette réaction du sentiment sur l'intelligence la
facilité que j'éprouve à suivre une telle opération, que j'avais tant redoutée d'abord.
Constamment préoccupé de la morale, seule base solide de sa juste influence, mon
sexe attachera toujours beaucoup de prix à lui procurer enfin des fondements systé-
matiques, qui puissent résister aux sophismes des mauvaises passions. Aujourd'hui
surtout, nous sommes alarmées en contemplant les ravages moraux déjà produits par
l'anarchie intellectuelle, qui menace de dissoudre prochainement tous les liens
humains, si des convictions irrésistibles ne préviennent enfin son ascendant spontané.
Les vrais philosophes peuvent donc compter sur le secret concours et l'intime recon-
naissance de toutes les dignes femmes, quand ils reconstruisent la morale sur des
fondements positifs, afin de remplacer irrévocablement ses bases surnaturelles, dont
la décrépitude est trop évidente. Celles qui sentiront, comme je le fais maintenant, la
nécessité de descendre pour cela jusqu'aux sciences les plus abstraites, sauront appré-
cier convenablement ce secours inespéré que la raison vient enfin procurer à l'amour.
Je comprends ainsi pourquoi le tableau encyclopédique que je vais étudier procède en
sens inverse de l'exposition qu'il résume. Car il faut surtout se familiariser avec cet
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 36
Si les théories morales étaient autant cultivées que les autres, leur complication
supérieure les exposerait, vu cette indiscipline spéciale, à des divagations plus fré-
quentes et plus nuisibles. Mais le cœur vient alors guider mieux l'esprit, en rappelant
davantage l'universelle subordination de la théorie à la pratique, d'après un titre heu-
reusement ambigu. Les philosophes doivent, en effet, étudier la morale dans la même
disposition que les femmes, afin d'y puiser les règles de notre conduite. Seulement
leur science déductive procure aux inductions féminines une généralité et une cohé-
Auguste Comte (1848), Discours sur l’ensemble du positivisme : préambule général 37
Une heureuse ignorance dispense aujourd'hui votre sexe des démonstrations phi-
losophiques par lesquelles le positivisme s'efforce de convaincre les hommes que l'on
ne peut apprendre à raisonner qu'en raisonnant, avec certitude et précision, sur des cas
nettement appréciables. Ceux qui sentent le mieux que tout art doit s'apprendre par le
seul exercice, écoutent encore les sophistes qui leur enseignent à raisonner, ou même
à parler, en ne raisonnant ou parlant que sur le raisonnement ou la parole. Mais,
quoiqu'on vous ait appris la grammaire, et peut-être la rhétorique, on vous a du moins
épargné la logique, la plus ambitieuse des trois études scolastiques. Dès lors, votre
propre raison, heureusement cultivée sous votre cher Molière, a bientôt apprécié les
deux autres puérilités classiques. Fortifiée maintenant par des convictions systéma-
tiques, vous n'hésiterez point à railler convenablement les Trissotins qui voudraient
vous enseigner l'art déductif, sans en avoir jamais fait eux-mêmes le moindre usage
mathématique. Chaque partie essentielle de la méthode positive devra toujours s'étu-
dier surtout dans la doctrine scientifique qui la fit d'abord surgir.
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