Cours de Contentieux Administratif 2024

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CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

Faculté : Sciences Juridiques et Politiques


Département : Droit Public
Programme : Licence 3 Droit
Option : Droit Public – Université Général Lansana CONTÉ de Sonfonia,

Cours de Kalil Aissata KEITA


Docteur en Droit public
Avocat au Barreau de Guinée

Année universitaire : 2023-2024

1
Licence 2 Droit public – Droit du contentieux administratif (2023-2024) – UGLCS
Cours de Dr Kalil Aissata KEITA
OBSERVATIONS PRÉALABLES
NB : ce syllabus peut faire l’objet de modification
I – Avant-propos
Ici les enseignements consistent à expliquer aux étudiants de licence 3 la possibilité donnée à
tout justiciable de pouvoir contester les actes des autorités administratives par la voie des
recours contentieux, notamment le recours pour excès de pouvoir, le recours de plein
contentieux, le recours en urgence.

Dès lors, l’efficacité de l’enseignement du contentieux administratif réside dans la délimitation


de ses contours et pourtours même si les échanges peuvent porter sur des aspects théoriques
sciemment exclus.

Aussi, la maitrise du cours de contentieux administratif passe par des connaissances préalables
en droit interne, dans une large mesure il implique d’avoir des prérequis pluridisciplinaires.
Par ailleurs, l’objectif du présent cours vise à maîtriser les définitions du contentieux
administratif en France et en Guinée et son évolution graduelle. Il vise aussi à mieux poser les
principaux problèmes spécifiques à la connaissance contentieuse ; à maîtriser les différents
paradigmes du procès administratif ; développer les capacités d’analyse des phénomènes
sociaux dans leurs rapports contentieux.

Méthodes d’enseignement et modalités de validation


L’examen terminal représente 50% de la moyenne générale. La nature de l’épreuve sera au
choix entre dissertation, commentaire d’arrêt, cas pratique pour une durée de 3 heures, pas de
document autorisé.

Le contrôle continu, celui-ci représente l’autre 50% de la moyenne générale. Il se reparti en 2


catégories : galop d’essai qui représente 50% de la note du contrôle continu et devoir de maison,
participation et interrogation (contrôle sur table) représentent 50% et sont composés comme
suit 25% pour la note d’interrogation et 25% pour la note de devoir de maison et participation
(orale).

Bref rappel sur les méthodes : Commentaire d’arrêt, dissertation et cas pratique
- Bref rappel sur la notion de juridiction administrative
- Analyse des documents
- Exercices et thèmes de réflexion
2
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INTRODUCTION

Sources. Il s’agit de rappeler les sources, c’est-à-dire les normes de référence du contentieux
administratif. Ces sources ou normes peuvent être écrites et non écrites. Les premières font
allusion aux bases constitutionnelles, internationales, législatives et réglementaires. Les
secondes, quant à elles, c’est-à-dire les sources non écrites, s’intéressent aux normes
jurisprudentielles, aux principes généraux du droit à la coutume et même à la doctrine dans
l’élaboration des décisions du juge.

Définitions. Le contentieux administratif désigne l’ensemble des règles relatives à


l’organisation et au fonctionnement des juridictions administratives, dans le système français
où coexistent deux ordres de juridiction : judiciaire et administratif. Mais dans le système
guinéen où prévaut l’unité de juridiction et dualité de contentieux, il désigne l’ensemble des
règles relatives à l’organisation et au fonctionnement de la juridiction faisant fonction de
juridiction administrative. Ainsi, le contentieux administratif désigne le procès administratif qui
s’intéresse à la compétence du juge, son statut.

En France comme en Guinée, le contentieux administratif est l’ensemble des litiges dont la
connaissance est dévolue en principe aux juridictions administratives. Il s’agit de l’ensemble
des juridictions intervenant dans le litige opposant un particulier et une administration centrale,
déconcentrée et décentralisée ou une personne privée habilitée à gérer un service public. Il peut
tout aussi être des litiges résultant des rapports entre les administrations publiques elles-mêmes , 1

c’est-à-dire entre une collectivité locale et l’État ou entre les collectivités locales ; ce qui est le
2 3

cas notamment des litiges relatifs au droit de l’urbanisme , des litiges en matière de police
4

administrative . Dans tous les cas, ces litiges sont ceux du droit administratif et relèvent de la
5

compétence du juge administratif si les rapports entre ces personnes publiques ne font pas naître
entre elles des litiges de droit privé auquel cas seul le juge judiciaire demeure compétent.

1
Voir la loi L/2018/025/AN du 3 juillet 2018 portant organisation générale de l’Administration publique.
2
Idem.
3
Voir le Code Révisé des collectivités locales de la République de Guinée 2017.
4
Voir le Code Foncier et Domanial guinéen promulgué par l’ordonnance n°/92/019 du 30 mars 1992.
5
Voir le Code Révisé des collectivités locales de la République de Guinée 2017.
3
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PARTIE I – LA JUSTICE ADMINISTRATIVE

Titre I – La consécration progressive de la justice administrative en France

Plusieurs étapes marquent l’évolution progressive de la justice administrative. Elle s’est


construite graduellement et progressivement.

I – Une origine révolutionnaire

L’Assemblée constituante issue de la Révolution française de 1789 est saisie de deux


propositions tendant à soumettre l’administration au contrôle juridictionnel. Elle a rejeté toutes
les deux.

A – Première proposition rejetée


L’Assemblée constituante a rejeté la proposition de soumettre l’administration aux tribunaux
judiciaires. Cette proposition fut rejetée par la loi des 16 et 24 août 1789 sur l’organisation
judiciaire. Elle interdit aux tribunaux judiciaires de « troubler de quelque manière que ce soit
les opérations des corps administratifs ». Elle affirme ainsi la séparation des autorités
administratives et judiciaires. Malgré sa clarté, elle fut difficilement respectée. Elle va alors être
réitérée par le Décret-loi du 2 septembre 1795 (décret-loi du 16 fructidor An III) qui dispose
que : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux judiciaires de connaître des actes
d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».

Les révolutionnaires ont avancé deux raisons pour justifier leur refus de soumettre
l’administration au « droit commun ».

La première résidait dans le fait que l’action administrative, lorsqu’elle se manifeste comme
puissance publique, ne doit pas être jugée par le juge judiciaire. Il en découle une interprétation
de la séparation des pouvoirs, par conséquent de la séparation des autorités administratives et
judiciaires. Or, selon la théorie de séparation des pouvoirs, aucun des pouvoirs ne doit empiéter
sur la compétence des autres. Dès lors, les révolutionnaires ont estimé que placée
l’administration sous le contrôle des tribunaux judiciaires était assimilée à une immixtion du
pouvoir judiciaire dans le domaine de compétence du pouvoir exécutif.

La seconde raison résidait dans la crainte des révolutionnaires de voir se renouveler les abus
des Parlements de l’ancien Régime qui ne manquaient pas de paralyser l’action du pouvoir

4
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exécutif. Pourtant, ces textes révolutionnaires qui écartaient les tribunaux judiciaires des litiges
administratifs, ne créaient pas pour autant de tribunaux administratifs.

B – Seconde proposition rejetée


L’Assemblée constituante a également rejeté la proposition de créer de juridiction
administrative compétente pour connaître le contentieux impliquant l’administration. Pour les
révolutionnaires, cela impliquait la création de juridictions d’exception.

II – Les conséquences du double refus des révolutionnaires

Les révolutionnaires écartaient les tribunaux judiciaires des litiges administratifs, mais ils ne
créaient pas de tribunaux administratifs pour autant. En l’absence de toute juridiction
compétente, c’est donc à l’administration elle-même qu’il revenait de juger ses propres litiges.
Ce système de « juge et partie » a été qualifié de système de l’administrateur-juge.

A – Le système de l’administrateur-juge
Le système de l’administrateur-juge, donnait compétence aux autorités administratives le soin
de se juger. Ainsi, les directoires de département et de districts, autorités exécutives locales,
sont juges des affaires locales. Le Conseil des ministres, présidé par le Roi, puis les ministres
eux-mêmes pour ce qui concerne les affaires de leur compétence sont appelés à régler les litiges
auxquels leurs services sont impliqués. C’est la théorie du « ministre juge ». Les
révolutionnaires ont estimé que ce système ne violait pas le principe de séparation des pouvoirs,
car ils ont pensé que l’action de juger les litiges administratifs était le prolongement naturel de
l’action d’administrer, autrement dit que « juger l’administration, c’est encore administrer ».
Mais au fil du temps, des institutions de conseil, qui deviendront plus tard de véritables
juridictions, ont été mise en place pour les assister.

B – Une apparition progressive des juridictions administratives


Un Conseil d’État est en effet institué par la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre
1799), cependant que dans chaque département la loi du 28 pluviôse an VIII crée un « conseil
de préfecture ». C’est la théorie de « justice retenue ».

Le juge administratif, s’il n’est plus tout à fait l’administration, n’en demeure pas moins à son
service. Il faudra attendre la loi du 24 mai 1872 pour confier la « justice déléguée » au Conseil
d’État. L’article 9 de cette loi dispose que le Conseil d’État « statue souverainement sur les
recours en matière contentieuse administrative et sur les demandes d’annulation pour excès de
pouvoir formés contre les actes des diverses autorités administratives. » La nouveauté ici est
5
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cette souveraineté. L’organisme qui juge, en devenant souverain, devient de fait supérieur à
l’Administration et est donc extérieur à elle. Mais ce n’est finalement qu’en 1889, par le célèbre
arrêt Cadot, que le Conseil d’État met fin à la théorie du ministre juge . 6

Victime de son succès, il est bientôt menacé d’engorgement. C’est pourquoi on transfère sa
qualité de juge de droit commun en premier ressort à des « tribunaux administratifs », en
remplacement des conseils de préfecture. Le Conseil d’État devient pour l’essentiel un juge
d’appel. Devant son encombrement renouvelé, il s’avère nécessaire de créer des « cours
administratives d’appel » qui seront des juges d’appel de droit commun.

III – Une consolidation par la réorganisation

Ø Prudent, le Conseil d’État choisit néanmoins de s’incliner devant le fait accompli


jusqu’à l’évolution des mentalités et de la situation politique. Et ce n’est finalement
qu’en 1889, par le célèbre arrêt Cadot, qu’il met fin à la théorie du ministre juge
(CE 13 déc. 1889, Cadot, GAJA).
Ø Progressivement, grâce à une série de « grands arrêts », le Conseil d’État, renforce son
indépendance par rapport au pouvoir exécutif.
Ø Victime de son succès, il est bientôt menacé d’engorgement = c’est pourquoi on
transfère sa qualité de juge de droit commun en premier ressort à des « tribunaux
administratifs », qu’un décret du 30 septembre 1953 crée en remplacement des conseils
de préfecture, qui n’étaient que des juges d’attribution.
Ø Le Conseil d’Etat devient pour l’essentiel un juge d’appel = devant son encombrement
renouvelé, il s’avère nécessaire de créer des « cours administratives d’appel ». Tel est
l’objet de la loi du 31 décembre 1987, qui leur transfère sa qualité de juge d’appel de
droit commun.
Ø Depuis lors, le Conseil d’Etat est donc devenu essentiellement un juge de cassation,
même s’il conserve d’importantes compétences d’attribution en tant que juge de premier
et dernier ressort et en tant que juge d’appel.
Ø A partir de cette date, le CE va énoncer un certain nombre de principes : définitions de
travaux publics, services publics, responsabilité pour faute, responsabilité sans faute.

6
CE 13 décembre 1889, Cadot, GAJA.
6
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IV – Une consolidation par la constitutionnalisation

Il faut attendre certaines décisions du Conseil constitutionnel pour constitutionnaliser les


juridictions administratives et le droit administratif.

Décision du 22 juill. 1980 en se référant à la loi du 24 mai 1872 pour affirmer que
l’indépendance, donc l’existence de la JA. est au nombre des « PFRLR », et qu’elle a donc
valeur constitutionnelle (Cons. const. 22 juill. 1980, Lois de validation, GDCC).

Par une décision du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel, affirme en effet, selon un mode
de raisonnement classique, que figure au nombre des « PFRLR », à valeur constitutionnelle, le
principe (assorti d’exceptions) selon lequel « relève en dernier ressort de la compétence de la
juridiction administrative l’annulation ou la reformation des décisions prises, dans l’exercice
des prérogatives de puissance publique », par les autorités administratives (Cons. const. 23 janv.
1987, Conseil de la concurrence).

Par une décision du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel affirme l’existence de deux
ordres de juridiction reconnus par la constitution (création jurisprudentielle).

Aujourd’hui, la juridiction administrative s’est étoffée. Il existe des tribunaux administratifs,


des cours administratives d’appel. Le statut de juge n’est plus contesté au Conseil d’Etat,
pris dans sa formation contentieuse. L’existence de cet ordre juridictionnel a contribué
d’une façon majeure au développement d’un droit original, le droit administratif.

V – Consécration du système de la dualité de juridiction

A – Le partage de compétence entre les deux ordres de juridiction


En France, cette question soulève celle du partage de compétence entre juge administratif et
juge judiciaire.

Si les critères de répartition des compétences administratives et judiciaires sont l’œuvre de la


loi et de la jurisprudentielle, toutefois, les critères de compétence juridictionnelle, dégagés par
la jurisprudence, ne sont applicables qu’en l’absence de lois. Autrement dit, en cas de
chevauchement, c’est la loi qui prime. Pour le partage de compétence, on applique l’adage « la
compétence suit le fond », selon lequel la nature du droit en cause détermine l’ordre de
juridiction compétent. Au juge administratif le droit administratif, au juge judiciaire le droit
privé. Même si on admet quelques cas d’exception.
7
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Par détermination législative. Si la répartition des compétences au sein de l’ordre
administratif, savoir si c’est la compétence du Tribunal Administratif en première instance ou
du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort, est une matière qui relève du pouvoir
réglementaire, celle relative entre les deux ordres de juridictions entre le judiciaire et
l’administratif, est assuré par le législateur. Et depuis la cinquième République de 1958, cette
mission est confiée au législateur au titre des droits civils et des garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. C’est ainsi que l’attribution
législative a assez souvent été opérée au profit des juridictions judiciaires, et les lois qui
attribuent compétence aux juridictions judiciaires pour connaitre le contentieux administratif
sont innombrables. A titre d’exemple, ce fut le cas pour la responsabilité des accidents survenus
aux élèves de l’enseignement public (art. L. 911-4 du Code de l’éducation), pour les accidents
de véhicule, par la loi du 31 décembre 1957, etc. Il n’y a que 3 lois à ce jour pour les juridictions
administratives :
- La loi du 28 Pluviôse An VIII : qui instaure les préfets ainsi que les conseils de
préfecture qui sont les ancêtres des tribunaux administratifs qui ont été instaurés en
1953. L’article 4 prévoit 4 chefs de compétences au profit des conseils de préfecture :
o Le contentieux des travaux publics : que ce soit un contentieux contractuel ou
extracontractuel
o Le contentieux des ventes d’immeubles de l’Etat
o Le contentieux des contributions directes (impôt sur le revenu, sur les sociétés)
o Le contentieux de la grande voierie qui confère la répression des contraventions
de la grande voierie qui confère aux conseils de préfecture un juge pénale pour
les contraventions concernant le domaine public.

Par détermination jurisprudentielle. Si la jurisprudence ne peut intervenir qu’en l’absence


d’une détermination législative, il faut convenir qu’elle est la difficile car on ne peut la dégager
que si on a une vision d’ensemble du droit administratif. Si plusieurs critères ont été
expérimentés, d’emblée le CE a refusé de retenir organique, clair mais simpliste, que
l’administration avait tenté de promouvoir sous la Révolution. Selon ce critère, tout litige
intéressant une personne publique ou mettant en cause l’un de ses agents devait échapper aux
tribunaux judiciaires. Ce refus a amené le CE à rechercher des critères matériels, c’est-à-dire
des critères tenant à la nature ou aux modalités de l’activité administrative.

8
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Ainsi, de l’an VIII à 1873, plusieurs critères ont coexisté : le critère de l’Etat débiteur, le critère
de l’acte d’autorité, le critère de la gestion publique qui met en opposition les deux grands
critères à savoir le critère de SP et celui de la prérogative de puissance publique.
- Le critère de l’Etat débiteur : il est le simple des trois, il se fondait sur une loi du 8 aout
1790 en vertu de laquelle toutes les créances de l’Etat sont réglées administrativement.
Cela voulait dire que seules les autorités administratives et les juridictions
administratives lorsqu’elles ont existée, étaient exclusivement compétentes pour
condamner l’Etat à payer une somme d’argent aux victimes de dommages. En dehors
de ces litiges, la compétence des JJ était complète.
- Le critère de l’acte d’autorité : selon ce second critère, les actes de l’administration
peuvent être répartis en deux catégories. Ceux qui comportent utilisation de la puissance
publique, c’est-à-dire de privilèges exorbitants du droit commun, sont des « actes
d’autorité », alors que ceux qui n’en comportent pas sont des « actes de gestion ». Les
premiers (parmi lesquels les AAU) relèvent du juge administratif et du droit
administratif, les seconds (les contrats administratifs) du juge judiciaire et du droit privé.
- Le critère de la gestion publique : ce troisième critère est l’œuvre du célèbre arrêt
Blanco. Pour certains, il s’agit du critère du service public, pour d’autres c’est plutôt
celui de la prérogative de puissance publique. Dans tous les cas l’arrêt Blanco a été
confirmé par plusieurs autres arrêts . 7

B – Cas entrainant la compétence judiciaire pour connaitre des décisions administratives

Fondement constitutionnel. Selon le Conseil constitutionnel, il existe des matières « réservées


par nature à l’autorité judiciaire », il existe aussi des zones de gestion privée et, au titre de la
séparation des pouvoirs, il faut séparer ce qui relève du fonctionnement du service public
judiciaire de ce qui relève de son organisation.

- Pour les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire :


o Les atteintes les plus graves à la liberté individuelle et à la propriété privée (art.
66 C.)
o L’emprise irrégulière : prise de possession irrégulière (momentanée ou
définitive) d’une propriété immobilière par l’administration.

7
Terrier du CE 6 févr. 1903 ; Sté des granits porphyroïdes des Vosges du CE 31 juillet 1912 ; Bac d’Eloka du TC
22 janvier 1921 ; Théron ; Epx Bertin du CE 20 avr. 1956 ; Caisse primaire « Aide et protection » du CE, ass. 13
mai 1938 ; Narcy du CE sect. 28 juin 1963 ; Compagnie Air France c/ Epx Barbier du TC 15 janv. 1968.
9
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o La voie de fait : dans deux hypothèses alternatives : exécution forcée irrégulière
d’une décision même régulière portant atteinte au droit de propriété ou à une
liberté fondamentale (v. conditions d’exécution d’office TC 2 déc. 1902, Sté
immo. de St. Juste). La seconde est en elle-même « manifestement
insusceptible » d’être rattachée à l’exécution d’un texte législatif ou
réglementaire.
- Les hypothèses de gestion privée
o Gestion du domaine privé de l’Etat
o Les contrats de droit privé
o SPIC
- Distinction entre l’organisation et le fonctionnement du service public judiciaire (TC,
27 nov. 1952, Préfet de la Guyane)
o Compétence du JJ pour les actions mettant en cause le fonctionnement du service
public judiciaire (CE, 15 févr. 2006, Garde des Sceaux, Min. de la Justice c/
Consorts Maurel-Audrey
o Compétence du JA pour les actions mettant en cause l’organisation du service
public judiciaire

Titre II – La consécration progressive de la justice administrative en Guinée

En Guinée, depuis l’indépendance, le système judiciaire s’est formé progressivement de sorte


que plusieurs textes ont été adoptés pour mettre en œuvres plusieurs modèles. Cependant,
jusqu’à l’indépendance, comme dans les autres pays africains issus de la décolonisation
française, c’était le système juridictionnel français qui était en vigueur.

I – Une origine coloniale

Ainsi, la réforme entreprise dans le secteur de la justice après l’indépendance a dans un premier
temps supprimé la dualité des juridictions de droit traditionnel et de droit écrit. Au terme de
l’ordonnance n° 047/PRG/60 du 29 décembre 1960, les juridictions de droit local ont été
supprimées.

En effet, l’article 23 de la Constitution guinéenne du 10 novembre 1958 soustrayait au contrôle


et à la censure de l’autorité judiciaire les actes de l’administration, en disposant que « Le

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président de la République nomme les ministres par décret. Aucun membre du Gouvernement
de la République ne peut être arrêté ni poursuivi sans autorisation préalable du président de la
République ». Plus explicite encore dans le décret n° 498/PRG/64 du 19 novembre 1964,
modifié par le décret n° 310/PRG/68 du 23 août 1968, interdisant formellement au juge
judiciaire de statuer dans les contentieux impliquant l’administration. Son article 7, disposait
clairement que les actes émanant du chef de l’État échappaient à tout recours contentieux.

Mais cette interdiction expresse et absolue de tout contrôle juridictionnel contre les actes édictés
par le chef de l’exécutif, voulue par le constituant et le pouvoir règlementaire guinéens,
emportait-elle la conclusion que ces actes étaient également insusceptibles du recours pour
excès de pouvoir ? Aucune réponse n’en était donnée à l’époque, ni par le législateur, ni par la
jurisprudence. Pourtant, la Constitution guinéenne de 1958 proclamait théoriquement la
création d’un État de droit.

Peut-être en soustrayant de la compétence du juge judiciaire les actes des autorités


administratives, ce texte a voulu les confier à un autre organe juridictionnel autre que le juge
judiciaire, en l’occurrence le juge administratif, comme le Tribunal Supérieur de Cassation créé
par l’ordonnance n° 018/PRG/59 du 21 février 1959 et qui est resté en vigueur jusqu’à 1984.
Ce tribunal était la plus haute juridiction administrative et les règles de procédure devant lui
avaient été définies par l’ordonnance n° 38/PRG/59 du 9 juillet 1959. Quelques années plus
tard, il sera créé par le décret de 1964 un Tribunal administratif compétent pour connaître des
litiges d’ordre administratif. En application de l’article 5 de ce décret, le juge administratif
guinéen, comme en France, était compétent « d’une manière générale de tous les litiges entrant
dans le cadre du contentieux administratif ». Par ailleurs, il ressort de l’interprétation extensive
de l’ordonnance n° 046/PRG/60 du 29 décembre 1960 créant les justices de paix à compétence
étendue au niveau des Régions administratives, que celles-ci pouvaient connaître au premier
degré les matières administratives.

En Guinée, ce décret 1964 créant le Tribunal administratif, créait au même moment un Tribunal
des conflits à l’image de la France. Dans sa volonté affichée de doter à la Guinée un système de
dualité juridique et juridictionnelle, le législateur dotera ce Tribunal des conflits des
compétences pour trancher les conflits d’attributions pouvant opposer un juge judiciaire et le
Tribunal administratif.

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Pendant cette période, la Guinée a connu et pratiqué une coexistence de deux ordres de
juridiction comme en France. Certes, on pouvait noter de la dépendance politique et
administrative et le défaut de professionnalisme. Car, le Tribunal administratif était rattaché
organiquement à la présidence de la République ; souvent dépourvus de formations requises,
ses membres étaient nommés, au sein des instances du Parti-État (titulaires, suppléants et
greffiers) par le président de la République. Selon les dispositions du décret de 1964 modifié en
1968 : « tout membre du Tribunal qui manque aux convenances de son État peut être relevé de
ses fonctions par le président de la République sans préjudice, s’il y a lieu, des sanctions
disciplinaires prévues dans le statut de la fonction publique ».

Finalement, pour plusieurs raisons, ce système de dualité juridictionnelle, inspiré de l’ordre


juridique colonial, sera abandonné, au profit d’autres modèles. Avant la mise en place définitive
du modèle d’unité juridictionnelle à la base et de dualité contentieuse au sommet le modèle de
dualité fonctionnelle et d’unité juridictionnelle a d’abord été expérimenté.

II – Le modèle de dualité fonctionnelle et d’unité juridictionnelle

La réforme entreprise dans le secteur de la justice par le Comité Militaire de Redressement


National (CMRN) après sa prise du pouvoir par coup d’État le 3 avril 1984 a introduit d’abord
8

le modèle de dualité fonctionnelle et d’unité de juridiction par l’ordonnance n° 115/PRG du 14


juillet 1984. Ainsi, « en exécution des recommandations issues de la Conférence nationale des
cadres de la Justice, tenue du 10 au 17 juin 1984 à Conakry » , cette ordonnance a supprimé les
9

tribunaux de pouvoir révolutionnaire local (PRL) et d’Arrondissement ainsi que l’appellation


de « tribunaux populaires ».

Ce nouveau système, voulait faire développer le contentieux administratif dans l’unité


juridictionnelle en imaginant la solution de la double compétence du juge judiciaire : le même
juge est à la fois juge judiciaire et juge administratif. C’est ce qui ressortait en substance de
l’article 21 de l’ordonnance de 1984. Ainsi, le juge judiciaire désormais dédoublé
fonctionnellement, devrait comprendre et posséder toute la connaissance juridique aussi bien
en droit privé qu’en droit public. Il devrait pouvoir faire coexister deux édifices jurisprudentiels

8
Christophe BOUTIN, Frédéric ROUVILLOIS (dir.), Le Coup d’État : recours à la force ou dernier mot du
politique ? Paris, François-Xavier de Guibert, 2007, 419 p.
9
Hassane DIALLO, La réforme de la justice guinéenne. Défis et stratégie, op. cit., p. 16.
12
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différents (jurisprudence civile et jurisprudence administrative). Le même juge bénéficiait d’une
double casquette à la fois administrative et judiciaire.

Justement, cette question de formation et de spécialisation conduira à l’abandon de cet autre


système au profit d’un tout autre, celui d’unité juridictionnelle à la base et de dualité
contentieuse au sommet.

III – Le modèle d’unité juridictionnelle à la base et la dualité contentieuse au sommet

Ce tout modèle en vigueur est l’œuvre de l’ancienne loi organique de 1991 prise sur le 10

fondement de l’ancienne Loi Fondamentale de 1990. Elle va réorganiser la justice


administrative sur la base du principe du double degré de juridiction en soumettant
formellement les actes de l’administration au contrôle juridictionnel. Elle sera donc le
précurseur des réformes dans le secteur de la justice guinéenne en servant de base aux
différentes réformes postérieures. Ainsi, la réforme intervenue en 1995 , rendra plus effectif ce
11

modèle d’unité juridictionnelle à la base et de dualité contentieuse au sommet. Cette loi de 1995
sera modifiée par celle de 1998 qui elle-même sera amendée par le décret de 2001 . Donc, à
12 13

l’issue de toutes ces réformes, la nomenclature juridictionnelle en matière administrative en


République de Guinée se conçoit comme suit. Il n’y a qu’un seul ordre de juridiction coiffé par
une Cour suprême. Ainsi, cette nomenclature est confirmée à quelques nouveautés près, par la
loi de 2015 et par la loi organique de 2017 .
14 15

En somme, le système judiciaire guinéen en vigueur est celui du monisme dans lequel des
chambres et sections administratives sont créées au sein des juridictions de fond et de cassation
où sont affectés des magistrats qui n’ont eu souvent que de formations essentiellement centrées
sur le droit privé. Ces chambres (au sein de la Cour suprême et de chacune des deux Cours
d’appel) et sections administratives (au sein de chacun des Tribunaux de première instance)

10
La loi organique L. n° 091/008/CTRN du 23 décembre 1991, portant attribution, organisation et fonctionnement
de la Cour Suprême. Cette loi est désormais remplacée par la nouvelle loi organique L/2017/003 du 23 février
2017.
11
La loi L/95/021/CTRN du 6 juin 1995 portant réorganisation de la justice en République de Guinée.
12
La loi L/98/014/AN du 16 juin 1998 portant amendement de la loi L/95/021/CTRN du 6 juin 1995 portant
réorganisation de la justice en République de Guinée.
13
Décret n° 031/PRG/SGG du 17 mai 2001 portant organisation et attributions du Tribunal de première instance
de Conakry.
14
La loi n° 2015/019/AN du 13 août 2015 portant organisation judiciaire en République de Guinée.
15
Loi organique L/2017/003 du 23 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour
Suprême.
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Licence 2 Droit public – Droit du contentieux administratif (2023-2024) – UGLCS
Cours de Dr Kalil Aissata KEITA
sont compétentes lorsque le droit administratif est appliqué. Il s’agit alors du contentieux
administratif.

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