ElMahi 00601500 2022
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POR
MARIE-THÉRÉSE URVOY
' Cfr. M. Th. Urvoy, "Le genre 'Manaqib' comme auto-analyse collective", Arabica, sous
presse.
2 'Abd al-$amad Zayn al-Din: Al-Gwahir al-saniyya fí-l-karamat wa-l-n.usba al-
ah+madiyya (ouvrage terminé en 1068/1657-8), éd. le Cah·e 1302/1884-5. I...'édition utilisée est
celle de l'lmprimerie Mul)ammad 'Ali $ubayJ:¡, le Caire, sans date. Les deux passages en ques-
tion sont respectivement aux p. 36-38 et 86-88.
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1) Le rituel d'affiliation 3
3 Donné d'apres Yünus b. 'Abd Allah dit Uzbak al·$üfi. Ce personnage ne semble pas etre
connu par ailleus. Un historien égyptien contemporain du phénomene al)madi, S. 'ASür, le situe
entre ai-Sa'rani (897/1491-973/1565) et 'Abd al-$amad lui-meme (Al-Sayyid AfJmad al-Badawi,
Sayj wa ~ariqa, le Caire, s. d., p. 40).
RITUALISME ET MAGIE DANS LE SOUFJSME POPULAIRE 369
parmi tout le monde, pour queje sois ton guide pour le bien. Moi, de
mon coté je t'ordonnerai de faire le bien et je t'interdirai de faire le
mal. Je serai ton aide dans la connaissance sprirituelle (ma'rifa) et le
savoir supreme. Tu as choisi d'entrer dans la ruq'a de Sídí Al¡.mad al-
Badawi, et d'avoir pour maltre le cheikh des cheikhs Anas b. Malik; ils
sont tous voués au Prophete. Tu acceptes de m'écouter et de m'o-
béir". Quand le novice a répondu a tout cela: "Oui (trois fois) Sidi", le
cheikh lui dit alors:" Je t'accepte (trois fois), pardonner réellement,
tandis que le cheikh n'est lui-meme qu'intermédiaire entre Dieu et
Son serviteur. Car, de meme que Dieu a donné une cause pour toute
chose, de meme il a donné le cbeikh comme cause pour guider les no-
vices dans la connaissance de la voie qui mene a Dieu.
don pour la faute queje ne connais pas, car Il connait ce qui est caché.
Mon Dieu, je Te demande, Toi qui pardonnes, de remettre leurs pé-
chés a tous, nous-memes, tous les Musulmans et les Musulmanes, les
croyants et les croyantes, qu'ils soient vivants ou morts, dans Ta misé-
ricorde, Toi le plus miséricordieux, le Seigneur des mondes". Puis il
invoque Dieu en disant: "Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricor-
dieux" Puis il récite trois fois la Fatif[a, en disant entre chaque
récitation:
"C'est une chose queje fais pour Dieu, mon seigneur et mon maí:tre! C'est
une chose que je fais pour Dieu, nos seigneurs et nos maí'tres dans la Voie!
C'est une chose queje fais pour Dieu, mon seigneurs l'Envoyé de Dieu!
Notre but est Dieu".
[Le pacteJ
Apres cela, le novice met sa main dans cel!e de son cheikh, pla~ant
son pouce droit sur le pouce droit du cheikh, qui luí dit: "Ecoute ce
qu'a dit Dieu Tres-Haut dans l'engagement:" Tenez vos serments, car
c'est un acte dont on a ií rendre compte. En effet, ceux quite pretent
serment le font ií Dieu, la main de Dieu étant sur leur main. Et celui
qui rompt son serment, ille fait vis a vis de lui-meme, et celui qui tient
ce qu'il a promis a Dieu re~oit une grande récompense. En effect,
Dieu a éte satisfait des croyants qui t'ont preté serment sous l'arbre. Il
a su ce qu'ils avaient dans leur coeur. Il a fait descendre sur eux la sé-
rénité et les a récompensés par un prompt succés" 4 • Ecoute, mon
frere, ce pacte ('ahd) de Dieu entre toi et moi, que nous faisons sur le
Livre et la Sunna. Nous sommes freres en Dieu et dans la ruq'a du
p6le (qu(b) de notre temps, le secours de tous les temps, le bien-né
Abu-1-'Abbas Al;tmad al-Badawi, notre seigneur. Notre modele est le
cheikh des cheikhs Anas b. Malik, serviteur du Prophete. Celui d'en-
tre nous qui est sauvé le jour de la résurrection tend la main ií son
frere. Quant ií nous, s'il plait a Die u Tres-Haut, nous sommes du nom-
bre des gens qui se reposent dans la miséricorde de Dieu Tres-
Haut".
5 Panni les mystiques, l'arrivée d'un nouvel "élu de Dieu" supprime définitivement le pou-
voir de ceux qui l'ont précédé; par opposition au monde poli tique oü monde politique oü l'abais-
sement d'un puissant peut n'etre que temporaire.
6 Bidayatfln wa nihayat;an wa fan,lM 'an kifáyatin. La notion de fanj hifaya est celle du devoir
collectif, a accomplir par la communauté dans son ensemble, par opposition au devoir individue!
de chaque croyant. Il semble done que ce terme ne concerne pas ici la personne qui demande
pardon, mais la communauté toute entiere dont elle sollicite l'absolution. Cette formule est répé-
tée trois fois en deux pages (56 et 57). Cfr. aussi p. 74 etc.
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Dans ce qui précede, on voit que, m eme aux moments ou l'on parle
de savoir, c'est la puissance thaumaturgique qui l'emporte. Le thiíme
de la soumission au saint est ainsi, tout naturellement amalgamé a des
thiímes merveilleux purement laYes, tres proches des Mille et Une
Nuits: on le voit en particulier dans les deux récits suivants qui met-
tent en scene deux personnages éminents déjil mentionnés ci-dessus:
le grand-cadi et le sultan lui-meme.
A) "Taqi-1-Din b. Daqiq al-'Id était grand-cadi d'Egypte. Il avait
entendu parler de Badawi. Il alla le rencontrer dans la náf¡iya de
Tanta et lui dit: "O AJ:¡mad, cet état ou tu es n'est point louable; il est
contraire ala loi sainte, car tune pries pas et n'assistes pas aux prie-
res publiques. Cela n'est guere la voie des bommes de bien". Badawi
se retourna vers lui et dit: "Silence! ouje fais voler ta farine (daqiq) 7".
Il le poussa d'un coup, et l'homme ne reprit ses sens que dans une
grande ile qu'il ignorait completement. Il se mit il se faire des repro-
ches, étonné et hébété, se répétent: "Qu'ai-je fait de m'opposer aux
saints de Dieu? Il n'y a de force et de puissance qu' en Die u Tres-
Haut". Il se mit il pleurer, a appeler au secours et il implorer Dieu.
Alors qu'il était dans cette situation, lui apparut un hamme majes-
tueux qui le salua. Illui rendit son salut et se leva vers lui pour lui bai-
ser les mains et les pieds. "Quelle est ta difficulté?" Lui fit-il, et le cadí
lui canta son histoire avec Badawi. "Tu t' es mis dans de beaux draps!
Sais-tu a combien tu te trouves du Caire?" -"Non". -"Il y a soixante
ans de voyage entre toi et la ville". Son malheur et sa douleur augmen-
terent, ainsi que sa crainte: "Qui pourrait me délivrer de cet ennui?
Nous sommes il Dieu et nous revenons il Lui". Il se précipita vers
l'homme, le pria de le guider. -"Ne t'inquiete pas, il ne t'arrivera que
du bien, s'il plait il Dieu". -"Comment cela?" lile conduisit alors par
la main vers une grande coupole et lui dit: "Tu vois cette coupale, vas-
Y et installe toi dedans, car Sidi al-Badawi y fait la priere du 'A~r avec
un groupe d'hommes. Quand ils se quittent, chacun va a ses affaires.
Si tu pries avec eux, accroche-toi a Badawi; mets-toi entre ses bras,
baise ses mains et ses pieds et découvre-toi la tete en lui demandant
s'installer en Egypte et oU elle est restée lors de son départ pour ceHe-ci.
RITUALISME ET MAGIE DANS LE SOUFISME POPULAIRE 375
4) La chafne d'affiliation
"Si quelqu'un qui est victime d'une injustice (ma?lam) dresse une baniere
sur la coupole ou le minaret de Badawi contre son oppresseur en le dé signan
ille vainc et Dieu abandonne ce méchant. Un groupe d'habitants des locali-
tés constituées en waqf au profit du sanctuaire de Badawí dresserent une
banní8re sur sa coupole pour @tre garantís contre les méfais d'un homme
pervers (mufsid) qui leur avait infligé toutes sortes de maux. La banniere
tomba de sa place, et on nota l'heure de sa chute. Elle correspondait a celle
de la mort de cet homme: il avait été décapité, brillé et dépecé par les sol-
dais de l'islam" (p. 83).
"Le jour de la résurrection m'a été présenté: j'étais debout dans le lieu de
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u Fatii: ce terme possede ici trois sens a la fois: -le sens ordinaire de "jeune homme", -le
sens mystique de "novice", ~le sens de l'appartenance a la futuwwa. L'identification du novice
avec le saint est ainsi complete.