Les Addictions - FELDMAN G. (Armand Colin 2011)

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978-2-200-27182-4

© Armand Colin, Paris, 2011


Conception et mise en page : Dominique Guillaumin
http://www.armand-colin.com
Collection « 25 questions décisives »
La paupérisation des Français, Denis Clerc, 2010
L’avenir de l’automobile, Jean-Jacques Cornaert, 2010
La bioéthique, Gérard Feldmann, 2010
Les nouvelles adolescentes, Michel Fize, 2010
L’avenir de la santé, Marc Horwitz, 2009
L’avenir des retraites, Marc Horwitz, 2010
La guerre ou la paix demain ?, Philippe Moreau Defarges, 2009
Le Grand Paris, Philippe Subra, 2009
Sommaire
Introduction Addiction, un mot nouveau ? 5

Partie I. L’addiction en général

1 Qu’est-ce qu’une drogue ? 12

2 Où commence l’addiction ? 19

3 Existe-t-il un mécanisme neurobiologique commun aux addictions ? 26

4 « Psy » et traitement des addictions ? 30

5 Peut-on espérer guérir un addict ? 36

6 Comment est organisée la prévention des addictions en France ? 43

7 Les Alcooliques anonymes, association modèle ? 50

8 Addicts, cancers et maladies virales ? 57

9 Quel est le poids économique des addictions en France ? 61

Partie II. Drogues licites et illicites, un même problème de santé publique

10 Pourquoi le binge drinking est-il désormais si répandu en France ? 68

11 Femmes enceintes, pourquoi les protéger de l’alcool ? 75

12 Quelle attitude adopter face à l’alcoolo-dépendance des seniors ? 79

13 Boire ou conduire, faut-il encore choisir ? 84

14 Le baclofène, un médicament miracle contre l’alcoolisme ? 90


15 Fumer tue-t-il toujours autant ? 96

16 Arrêter de fumer, qui croire, que faire ? 102

17 Le cannabis est-il aussi dangereux qu’on le dit ? 108

18 Faut-il autoriser les centres d’injection supervisée ? 113

19 La lutte contre les drogues illicites est-elle perdue d’avance ? 118

Partie III. À société en mutation, des addictions nouvelles et en plein


essor

20 L’addiction au travail, une dépendance « positive » ? 124

21 L’addiction aux jeux de hasard et d’argent existe-t-elle ? 129

22 Cyberdépendance : l’addiction du XXie siècle ? 135

23 Les achats compulsifs : une addiction ? 141

24 L’addiction au sexe connaît-elle un renouveau ? 146

En guise de conclusion

25 Éthique et bioéthique de l’addiction 152

Lexique 158

Sitographie 159
Introduction

Addiction, un mot nouveau ?

DEPUIS QUELQUES ANNÉES DÉJÀ, on parle moins de « toxicomanie » ou de


« dépendance » à l’alcool, au tabac, au cannabis, aux médicaments… mais
d’« addiction ». C’est un terme dont les médias se sont emparés et qu’ils ont
vulgarisé auprès du grand public. Il s’est vu décliner. L’adjectif addict, par
exemple, est utilisé souvent à tort et à travers pour désigner tout individu
sous la dépendance d’une drogue ou que l’on croit être dépendant. Il ne faut
en effet pas oublier que les spécialistes – et pour une part, la loi –
reconnaissent une gradation entre usage, abus et addiction. On peut
également distinguer addiction simple, sans conséquence physique ou
psychique, et addiction pathologique, véritable maladie au sens médical.
Les médecins, hier encore « alcoologues » ou « tabacologues », sont
devenus, quant à eux, « addictologues ».
On aurait pourtant tort de croire que le terme « addiction », très «
tendance », est un mot nouveau ou seulement un anglicisme. En effet, «
addiction » a pour étymologie addictus qui, en bas latin, signifie « adonné à
». Ce terme était utilisé en droit romain pour désigner la situation du
débiteur qui, incapable de payer ses dettes, se trouvait « adonné » à son
créancier. Ce dernier avait alors le droit de disposer entièrement de sa
personne comme d’un esclave. Il s’agit, en quelque sorte, de la contrainte
par corps. Plus récemment, le terme addiction a fait son apparition dans le
monde anglo-saxon : il a servi, et sert toujours, à désigner la situation des
toxicomanes qui s’adonnent à la drogue. En France, ce mot commence à
être utilisé dans les années 1990 comme synonyme de dépendance. C’est en
effet à cette époque que le besoin s’est fait sentir parmi les professionnels
s’occupant d’alcoolisme, de tabagisme ou de toxicomanie (médecins
généralistes ou spécialistes, psychiatres, psychologues), d’utiliser un mot
générique, neutre, pour couvrir tous les aspects de la dépendance, que cette
dernière soit liée à la consommation pathologique de substances
psychoactives bien identifiées (alcool, tabac, cannabis, héroïne…), de
certains médicaments ou de produits sans support matériel (jeu, sexe, sport,
travail…).
Trois raisons, à nos yeux, expliquent la vulgarisation – voire le succès –
du terme « addiction » : une définition commune, un mécanisme
neurobiologique assez proche dans la plupart des formes d’addictions, mais
aussi une résonance plaisante à l’oreille et un mot facile à retenir.
L’« addiction » peut être définie comme le processus qui caractérise le
comportement d’un individu obtenant une jouissance dans la consommation
d’une substance, dans la pratique d’une activité dont il ne parvient pas à se
priver. Il s’y essaie pourtant de manière réitérée, parfaitement conscient que
cette consommation a des conséquences négatives sur sa santé d’abord, sur
son état psychologique, son comportement relationnel, familial et social
ensuite. En résumé, l’« addiction » est, pour reprendre l’image très parlante
de Pierre Fouquet (1913-1998), psychiatre internationalement réputé et «
père » de l’alcoologie française moderne, « l’impossibilité de s’abstenir de
consommer ». Nul doute que cette définition de l’alcoolisme s’applique
également aux autres addictions.
L’histoire des addictions est déjà ancienne, mais les problèmes posés par
les relations qu’entretient un individu avec la – ou les – drogue(s), ont été
véritablement pris en considération il y a deux siècles seulement avec
l’avènement de la société moderne et industrielle. Ils ont d’emblée mis en
présence la loi parce que la consommation de substances, licites ou illicites,
peut être un fléau pour le corps social d’une part et la médecine d’autre part.
En effet, cette consommation peut être à l’origine d’un grand nombre de
pathologies. Aussi les relations individu/drogue sont-elles modélisées dès
leur prise en compte par les spécialistes, sociologues, médecins… Ils en ont,
dans un premier temps, donné une explication simple : ce sont les drogues
qui « font » les toxicomanes. Elles sont ainsi à l’origine des désordres
pathologiques et psychologiques dont ils souffrent ainsi que des troubles
sociaux qu’ils créent. Cette conception qui prévaut au XIXe siècle, est remise
en cause au XXe. Très vite en effet, on inverse les deux termes de la
proposition : ce sont les toxicomanes qui « font » les drogues. Autrement
dit, la défaillance d’un individu, à la fois victime et responsable, explique
son incapacité à maîtriser sa relation avec la drogue et son impuissance à
s’en abstenir. L’une et l’autre de ces conceptions ont entraîné de la part des
responsables politiques des réponses, souvent excessives, vis-à-vis des
problèmes posés par la dépendance, allant de l’emprisonnement de la
personne à la prohibition des drogues.
La fin du XXe siècle voit apparaître un nouveau modèle : au modèle
binaire individu/drogue, se substitue un modèle à trois composantes.
L’influence du milieu dans lequel évolue l’individu prend de l’importance :
on ne se drogue pas « comme ça ». Il y a un âge, jeune, où l’on veut être
libre de tout goûter, tout essayer, un moment où consommer une drogue
peut permettre de passer un cap difficile. Cela ne veut pas dire pour autant
que la personne qui se drogue à un instant donné soit, in fine, victime d’une
addiction simple et plus encore d’une addiction pathologique.
Une recherche académique sur les addictions s’est développée tant en
France qu’à l’étranger. Celles-ci sont aussi l’objet de traités, de livres –
récemment ont même été publiés plusieurs abrégés d’addictologie – ou de
revues scientifiques spécialisées… sans compter le Livre blanc de
l’addictologie française. 100 propositions pour réduire les dommages des
addictions en France, paru en mai 2011 sous l’égide de la Fédération
française d’addictologie.
Les pouvoirs publics ont, de leur côté, pris conscience de l’intérêt qu’il
pouvait y avoir à regrouper sous une même entité tous les professionnels
s’occupant de la dépendance et ont mis en œuvre une vaste réforme pour les
unifier sous une même enseigne. Il reste pourtant à franchir une dernière
étape : l’addictologie doit trouver toute sa place parmi les disciplines
enseignées en médecine – ce n’est encore aujourd’hui qu’une matière
facultative dans le cursus des futurs médecins – ce qui suppose que l’on
crée de novo un corps d’enseignants. Rendre obligatoire l’enseignement de
l’addictologie lui donnerait ses lettres de noblesse, mais on en est encore
loin. Cela est regrettable parce que le caractère transversal des addictions
est évident et qu’elles accompagnent, quand elles n’en sont pas des causes
directes ou des facteurs d’aggravation, de très nombreuses pathologies.
PARTIE I

L’ADDICTION EN GÉNÉRAL
1

Qu’est-ce qu’une drogue ?

COMMENÇONS PAR LE COMMENCEment et essayons de savoir ce qu’est une


drogue. Pendant longtemps, elle est avant tout l’ingrédient, la matière
première employée dans les préparations pharmaceutiques. C’est ce sens
que conserve encore le mot anglais drug. Depuis un siècle, en français, le
terme drogue a pris une autre dimension puisqu’il définit une « substance
psychoactive exposant aux risques de dépendance ». Plus récemment, on a
distingué les drogues-produits comme l’alcool ou l’héroïne, et les drogues
sans produit, comme le jeu ou les achats compulsifs.
Il est évident que l’homme n’a pas attendu l’époque actuelle pour
consommer des substances psychoactives. Il l’a toujours fait que ce soit
comme médicament, pour respecter un rite religieux ou, plus simplement,
pour la jouissance, l’ivresse qu’elles peuvent procurer. Pendant longtemps,
l’homme use de drogues naturelles extraites de végétaux, au premier rang
desquelles l’alcool tiré de la vigne, du raisin, sous forme de vin ou d’eau-
de-vie. Il en consomme d’autres pour leurs propriétés médicinales et/ou
hallucinogènes comme la jusquiame, la belladone, la mandragore ou encore
le chanvre dont on extrait le cannabis, le pavot, l’opium ou le cocaïer, la
cocaïne. On pourrait donner de nombreux autres exemples, mais
contentons-nous de ne pas oublier le café et le tabac introduits en Occident
bien avant l’époque moderne.
Au XIXe siècle, les progrès de la chimie permettent d’isoler les principes
actifs (alcaloïdes) des plantes à partir desquels on élabore des drogues de
synthèse. L’une des découvertes les plus remarquables est, en 1804, celle de
la morphine, à partir d’un alcaloïde de l’opium : elle a des propriétés
narcotiques et antalgiques inédites, mais son usage médicinal va être très
rapidement détourné. Elle devient une drogue majeure du plaisir tout
comme la cocaïne connue pour être, en chirurgie, l’un des tout premiers
anesthésiques et utilisée ensuite à d’autres fins pour ses effets stimulants. La
fin du XIXe siècle est marquée par la synthèse d’un autre dérivé de la
morphine, l’héroïne, aux effets encore plus puissants. Mais c’est le
formidable essor de l’industrie pharmaceutique au XXe siècle qui aboutit à
proposer aux médecins – et par contrecoup aux consommateurs de
substances psychoactives –, un très grand nombre de molécules de synthèse.
Elles sont recherchées par les uns… et par les autres parce qu’elles
modifient, parfois profondément, le fonctionnement du cerveau et
entraînent des modifications psychiques et comportementales. Ainsi, si elles
peuvent avoir des effets bénéfiques sur le comportement, elles peuvent
également être à l’origine de graves troubles sanitaires et sociaux. Cette
dualité entre le « bon » et le « mauvais » – que l’on trouve déjà dans le
terme grec pharmakon qui a donné les mots « pharmacologie » ou «
pharmacie » – explique la difficulté que rencontrent les spécialistes à classer
les drogues selon leurs effets : elles sont à la fois « remèdes et poisons ».
C’est aussi la raison principale pour laquelle il est illusoire de vouloir
classer les drogues en « drogues dures » et « drogues douces » : toute prise
de drogue comporte un risque et tout dépend de la façon de la consommer et
d’en contrôler sa consommation. Avoir recours à la drogue parce qu’elle
procure une jouissance intense et instantanée (ou presque) revient, sans nul
doute, à jouer avec le feu.
Schématiquement pourtant, on distingue les drogues selon l’effet
principal qu’elles provoquent sur le cerveau et le psychisme. Certaines
molécules entraînent une dépression cérébrale : l’alcool, les opiacés
(héroïne, cocaïne), les tranquillisants (benzodiazépines…), les
anesthésiques… D’autres provoquent une stimulation du système nerveux
central : la nicotine, l’alcaloïde du tabac, la caféine, la cocaïne, les
amphétamines… D’autres enfin, perturbent le fonctionnement perceptif du
cerveau : le cannabis, des hallucinogènes extraits de plantes ou provenant
d’une synthèse chimique…
En réalité, les effets d’une drogue ne peuvent se résumer à des réactions
uniquement biologiques. Ces effets sont très variables d’un individu à
l’autre car ils dépendent de l’état physique et psychique du consommateur,
du contexte social dans lequel il évolue, de l’environnement qui est le sien
au moment de la prise de drogue. Ils sont fonction de la quantité
consommée et les circonstances de la consommation jouent un rôle d’autant
plus important que les effets d’une prise de drogue(s) sont potentialisés par
certaines associations : alcool et benzodiazépines, alcool et cannabis…
Mais la prise de drogue est-elle toujours malfaisante, pernicieuse ?
Certainement pas. On sait, de façon empirique et depuis longtemps, qu’elle
peut permettre de surmonter une fatigue, provoquer l’endormissement, aider
à l’insertion dans un groupe, lever une inhibition, effacer une angoisse…
Effets stimulants ou tout au contraire relaxants, les drogues ont ainsi des
vertus que l’on pourrait qualifier de « virtuelles ». De leur bon usage
dépend qu’elles ne deviennent pas vice. Et le pas est, hélas, vite franchi. En
réalité, les bénéfices que l’on peut retirer de la prise d’une substance
psychoactive ne sont que potentiels. Ils s’inscrivent principalement dans
deux domaines : le plaisir et la thérapeutique. Dans le premier cas, la
drogue modifie l’activité mentale en apportant le sentiment d’un plus grand
bien-être, assorti de sensations agréables. Pour la plupart des drogues, cela
s’explique par la modification des circuits biochimiques qu’elles
provoquent au niveau du système nerveux central. Dans le second cas, le
plus exemplaire et probablement le plus anciennement connu, drogues
d’hier et drogues d’aujourd’hui sont utilisées pour leurs vertus médicinales
comme antalgiques (lutte contre la douleur), anesthésiques, anxiolytiques
(lutte contre l’angoisse) ou pour combattre la dépression. Elles peuvent
ainsi contribuer à diminuer le stress ou/et à améliorer la confiance en soi.
Elles doivent être prescrites par un médecin, généraliste ou spécialiste,
psychiatre en particulier, mais elles sont souvent utilisées dans le cadre
d’une automédication, parfois abusive.
On retrouve, dans cette utilisation à bon escient plus que dans toute autre
circonstance, la dualité qui caractérise les drogues : plaisir et thérapeutique
sont étroitement mêlés puisque soulager ou supprimer une douleur
physique, tout comme atténuer ou vaincre une souffrance psychique,
entraîne un mieux-être physique et/ou psychique. Il y a cependant dans
toute consommation de drogue(s) un équilibre, fragile, une balance entre
satisfaction et insatisfaction. C’est le consommateur qui décide ce qui est le
mieux pour lui et quelles sont les limites qu’il ne doit pas dépasser… quand
il le peut. Au-delà de cette frontière invisible, les dangers pour l’usager sont
bien réels. Il est pratiquement impossible de déterminer des « seuils de
dangerosité » parce qu’une drogue peut toujours être toxique et que c’est
quelquefois dès la première prise qu’elle provoque des troubles majeurs.
Certes, il est utile de nuancer ce propos : si boire de l’alcool en grande
quantité en une seule occasion peut entraîner un coma éthylique sans
conséquence pathologique grave, boire de façon répétée, même
modérément, peut être, à terme, la cause de graves troubles somatiques,
hépatiques ou nerveux. Certaines drogues comme le tabac ou l’héroïne sont,
par ailleurs, clairement plus addictives que d’autres. Mais, une fois encore,
répétons que la dangerosité d’une drogue est surtout multifactorielle : elle
dépend de la drogue utilisée, des circonstances et des modes d’utilisation ou
encore de la vulnérabilité somatique et psychique, de la « réceptivité » du
consommateur et de son environnement social, familial, professionnel.
Définir ce qu’est une drogue, on l’a compris, ne peut jamais se faire sur
le seul critère de ses effets. Cela est d’autant plus vrai qu’un temps «
positifs », ils peuvent être suivis d’un contre-effet « négatif ». En effet, le
déséquilibre physiologique induit par la stimulation biochimique provoquée
par une drogue ne disparaît que progressivement. Aussi, le manque de
drogue, circonstanciel ou voulu (sevrage), est-il le plus souvent mal
supporté par l’usager qui cherche, de façon compulsive, à en éviter – ou du
moins à en limiter – les effets les plus néfastes et n’a, pour cela, qu’une
solution : augmenter les doses consommées.
S’il n’existe pas de classification médicale et scientifique simple des
drogues, il existe une classification d’une autre nature, « sociale » ou «
juridique », voire administrative. Les États, conscients des risques qu’elles
font courir à l’Homme et au-delà à la société, sont intervenus pour se
protéger. Ils ont adopté des législations qui autorisent ou tolèrent certaines
drogues – les drogues licites sont accessibles à tous avec ou sans restrictions
– et en prohibent d’autres – les drogues illicites sont inaccessibles aux
citoyens respectueux de la loi. Il ne faut cependant pas croire que les
premières sont moins dangereuses que les secondes ! Quitte à ébranler
certaines convictions et à mettre à mal bien des idées reçues, c’est même
l’inverse que l’on observe. En France notamment, les drogues licites,
l’alcool, le tabac ou encore les jeux d’argent et de hasard, sans compter les
antalgiques, les anxiolytiques et quelques autres produits délivrés, en
principe, uniquement sur prescription médicale mais parfois détournés de
leur usage, se révèlent plus « toxiques », socialement d’abord, que les
principales drogues illicites que sont la morphine, l’héroïne ou la cocaïne.
Quant au cannabis, il faut rappeler que sa vente, sa possession (5 g pour une
consommation personnelle) et son usage sont – quasiment – libres à 150
minutes de Paris (en TGV), les Pays-Bas, tout comme l’Espagne, ayant en
la matière une législation plus permissive que la France.
2

Où commence l’addiction ?

USAGE, ABUS – OU USAGE NOCIF –, addiction – ou dépendance –, il y a


trois « façons de consommer » des drogues, avec ou sans produit, qu’il ne
faut non seulement pas confondre, mais bien plus savoir repérer. L’usage,
occasionnel, n’entraîne aucun dommage, ni physique, ni psychique. Il n’est
pas « anormal ». En revanche, un usage réitéré, à des fréquences qui
peuvent être d’abord très variables, mais qui se font, au fil du temps, de plus
en plus courantes, peut avoir des effets directs sur le consommateur et/ou
son entourage. Quelle que soit la drogue, il y a toujours un risque à la
consommer régulièrement, à la consommer en quantité ou à la consommer
dans des circonstances particulières. La question est de savoir repérer ce qui
constitueun usage « à risques ». Concernant le vin, l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) estime qu’un adulte peut en boire sans risques pour sa
santé (à 10° d’alcool), trois verres par jour s’il s’agit d’un homme, deux
verres seulement s’il s’agit d’une femme et que, dans tous les cas, ils
doivent observer un jour d’abstinence totale par semaine. Au-delà de ce
seuil de consommation, le consommateur ou la consommatrice entre dans
une zone à risques. Ce seuil n’est donné qu’à titre indicatif et varie dès lors
qu’il ne s’agit plus de vin, mais de bière ou d’alcool « fort ». Il est
résolument différent pour une femme enceinte, pour une personne qui
souffre d’une maladie chronique ou qui prend régulièrement des
médicaments, des psychotropes en particulier. Ainsi, quantifier ne suffit pas
: la situation personnelle du consommateur et les circonstances entrent en
ligne de compte. Il peut être dangereux de conduire, de manipuler un engin
ou de se servir d’un outil après n’avoir bu qu’un seul verre de vin ! Il y a
aussi des drogues pour lesquelles on ne peut pas, on ne sait pas définir le «
seuil de consommation » : à partir de combien de cigarettes par jour risque-
t-on un cancer du poumon ? Personne, aujourd’hui ne s’aventure à donner
une réponse précise à cette question.
La marge, déjà étroite entre usage à risques et abus, l’est plus encore
entre abus et addiction. En effet, seule la sévérité des symptômes repérés
fait la différence, même si l’on retient un critère essentiel pour distinguer
consommation abusive et dépendance. Une consommation abusive est
longtemps réversible en grande partie parce que le consommateur peut
arrêter totalement ou réduire sa consommation de lui-même ou en se faisant
aider. Dans tous les cas, on observe une altération du fonctionnement et/ou
une souffrance, physique et psychique, cliniquement significative. La
dépendance, quant à elle, va plus loin que l’abus et se traduit par une envie
irrépressible de consommer – appelée craving – qui pousse le
consommateur à une recherche compulsive de « sa » drogue.
L’addiction apparaît ainsi comme un mode d’utilisation inapproprié d’un
produit – pas forcément matérialisé – entraînant des signes physiques et/ou
psychiques. Elle se manifeste par une accoutumance qui oblige le
consommateur à augmenter les quantités pour maintenir ou retrouver le
plaisir, le bien-être, le soulagement, la stimulation qu’il recherche. Si la
dose n’est pas suffisante ou s’il est privé de « sa » drogue, il se trouve en
état de manque, une situation qui correspond au syndrome clinique de
sevrage. Le consommateur dépendant, l’addict, est incapable de gérer sa
consommation et ses efforts pour la réduire ou arrêter restent vains. Pour
lui, seule compte la drogue : en trouver, la consommer et ensuite essayer
d’effacer les traces qu’elle laisse nécessairement (fatigue, maux de tête…).
Il est en perte de repères sociaux, met entre parenthèses toutes relations
familiales, amicales, professionnelles.
Il n’y a pas de frontière tranchée entre usage à risques, abus et
dépendance, mais un véritable continuum même si tous les usagers – fort
heureusement – ne suivent pas cette dangereuse pente. Les consommateurs
ne sont d’ailleurs pas « égaux » devant la drogue : le passage d’un état à
l’autre, souvent lent et progressif, dépend d’une part de la vulnérabilité de
chacun – on a parlé de facteurs de risque génétiques sans en avoir apporté
une preuve formelle jusqu’ici – et d’autre part, très habituellement, de
circonstances externes : une séparation, une perte d’emploi, un deuil, un
traumatisme affectif ou physique, la pression sociale ou tout simplement le
poids de la famille, du travail… La personne qui se trouve dans une
situation trop difficile à supporter pour elle, soumise à un stress, déprimée,
angoissée, victime d’un syndrome de culpabilité, cherche une solution
transitoire à son – à ses – problème(s). Elle consomme de l’alcool, des
substances psychoactives, s’adonne aux jeux en ligne… L’apaisement est
temporaire mais lui permet de faire face, de retrouver un certain plaisir de
vivre. Le mal-être, l’insatisfaction revient cependant (souvent) assez vite,
entraînant une augmentation de sa consommation, de sa culpabilité et de
son angoisse. Comme l’écrit justement le Dr Alain Morel dans L’aide-
mémoired’addictologie (Dunod, Paris, 2010), il y a un véritable cycle de
l’addiction. On peut ajouter que ce cycle, étudié et bien connu pour ce qui
est de l’alcoolo-dépendance, s’applique aux autres addictions, avec
quelques nuances sans doute.
Peut-on évoquer, à propos de l’addiction, un phénomène de masse ? La
multiplication des drogues, avec ou sans produit, les très nombreux usages
en cours et les difficultés à définir le moment où un usager ou un usager à
risques devient dépendant, victime du craving et confronté aux problèmes
du manque, incitent à la plus grande prudence. On sait par exemple, qu’en
France, si l’on compte 10 à 15 % d’abstinents primitifs – personnes n’ayant
jamais bu d’alcool – ou secondaires – personnes ayant arrêté de boire
volontairement à l’issue d’une prise en charge médicale et/ou
psychologique ou après participation à des groupes de parole au sein
d’associations comme les Alcooliques anonymes –, 60 % des adultes
boivent « normalement », c’est-à-dire qu’ils répondent, peu ou prou, aux
critères quantitatifs de l’OMS. 10 % sont des consommateurs à risques et 10
% des usagers abusifs d’alcool. Il n’y a cependant qu’environ 3 % de
personnes alcoolo-dépendantes, un pourcentage que l’on pourrait considérer
comme faible dans un pays réputé pour sa production vinicole, mais un
pourcentage atterrant quand on calcule que ce taux représente environ deux
millions d’adultes ! Pour ce qui est du tabac, on évalue le nombre de
fumeurs à au moins un tiers de la population française comprise entre 15 et
75 ans. On ignore où placer avec précision le curseur entre fumeurs
occasionnels et « gros fumeurs », mais on estime que la moitié des fumeurs
sont tabaco-dépendants.
Les données sur les autres addictions sont plus floues. Pourtant, certaines
études laissent à penser que 6 à 7 % des Français consomment du cannabis
occasionnellement ou régulièrement et qu’en 2005, 500 000 personnes
avaient consommé au moins une fois de l’héroïne, ce qui ne signifie pas
toutefois (et fort heureusement) qu’elles soient devenues dépendantes. Il
n’en reste pas moins vrai que la consommation de drogues illicites est loin
d’être négligeable en France et que si elle n’atteint pas les niveaux
enregistrés pour les drogues licites, jeux compris, elle est en augmentation
d’année en année.
Et qu’en est-il du nombre de personnes dépendantes ? Question sans
réponse puisqu’elle nécessite d’abord de repérer un addict qui s’ignore et
qui, le plus souvent, veut continuer à l’ignorer ! Ce n’est pas simple, mais
les spécialistes ont cependant à leur disposition quelques outils : rien ne
remplace un entretien, prolongé et répété, avec un psychologue spécialisé,
associé à un examen clinique minutieux par un médecin – de préférence un
addictologue – pour mieux connaître l’état de santé, physique et psychique,
d’un consommateur. Il faut néanmoins aller plus loin et tenter de distinguer
usage à risques, usage abusif et dépendance. Pour cela, des questionnaires
parfois très simples et des tests souvent plus sophistiqués, ont été mis au
point pour la plupart des addictions. Ils sont aujourd’hui très largement
utilisés. Leur interprétation doit toutefois toujours être faite avec
circonspection. À titre d’exemple, citons le questionnaire DETA
(Diminution, Entourage, Trop, Alcool) qui, en quatre questions seulement,
permet de dépister le degré d’imprégnation alcoolique.
– Première question : avez-vous déjà ressenti le besoin de diminuer votre
consommation alcoolique ?
– Deuxième question : votre entourage vous a-t-il déjà fait des remarques
au sujet de votre consommation alcoolique ?
– Troisième question : avez-vous eu déjà l’impression que vous buviez
trop ?
– Quatrième question : avez-vous déjà eu besoin d’alcool dès le matin
pour vous sentir en forme ?
Chaque question est affectée du coefficient 0,5. Un score égal à 2 signale
un usage à risques. Chaque fois que possible, le questionnaire DETA est
complété par des tests plus élaborés, à l’exemple d’AUDIT (Alcohol use
disorders identification test), très utilisé dans les pays anglo-saxons, ou de
sa variante FACE (Formule pour apprécier la consommation par entretien)
développée en France. Malgré tout, il reste mal aisé de situer exactement le
rapport que l’usager a avec sa consommation de drogue et de diagnostiquer
avec certitude un état de dépendance. En vertu du « sacro-saint » principe
de précaution – que l’on peut juger par ailleurs trop radical –, le soignant
garde, généralement, l’hypothèse « haute » et cherche, dans tous les cas, à
obtenir une abstinence totale ou au moins une réduction des risques qui
passe par une diminution significative de la consommation.
3

Existe-t-il un mécanisme neuro- biologique


commun aux addictions ?

SI LES ADDICTIONS SE MANIFESTENT sous l’angle somatique, il existe aussi


des manifestations psychiques dont les mécanismes mis en œuvre relèvent
de la neurobiologie. Cette discipline biologique, relativement récente, a
pour objectif de comprendre l’organisation et le fonctionnement des cellules
nerveuses, les neurones, dont le nombre avoisine 100 milliards.
L’organisation d’un circuit neuronal est globalement assez simple : il est
formé d’une suite de neurones séparés les uns des autres par une structure
particulière, les synapses, au nombre de 1 000 à 10 000 par neurones.
Fonctionnellement, les informations sensorielles – captées par nos cinq sens
– vont être collectées par le cerveau avant d’être transformées en ordre en
passant d’un neurone à l’autre grâce à des relais moléculaires, les
neuromédiateurs, localisés dans l’espace inter-synaptique. Ces molécules,
lorsqu’elles sont en excès, sont neutralisées par un système de recapture.
Les progrès réalisés depuis quelques années en neurobiologie sont en
passe d’élucider les mécanismes qui conduisent à une addiction. Ils nous
ont appris que le fonctionnement normal de certains circuits neuronaux est
mis à mal lorsque l’on consomme une substance psychoactive. Ce ne sont
plus des ordres moteurs qui sont délivrés, mais des informations psychiques
qui se forment en réponse à l’excitation sensorielle à travers un circuit
neuronal particulier, le circuit de la récompense. Ce circuit est responsable
de la sensation de bien-être, de plaisir et l’on commence à en comprendre la
raison : le comportement de la dopamine, le neuromédiateur clé de ce
circuit, est non seulement modifié après toute consommation de drogue
(alcool, tabac, héroïne, cocaïne, cannabis, médicament psychoactif…), mais
il l’est aussi lors de toute consommation sans support matériel, le jeu par
exemple. Dans tous les cas, la concentration de dopamine s’élève de façon
significative dans les synapses du circuit de la récompense et entraîne une
sensation de plaisir. Certaines drogues comme la cocaïne ne se contentent
pas d’augmenter la concentration de la dopamine : elles bloquent le système
de recapture du neuromédiateur, ce qui a pour effet un excès de dopamine et
de plaisir.
On a démontré expérimentalement chez l’animal de laboratoire, le rat, et
chez le primate, qu’il est possible de modifier le circuit de la récompense.
On peut ainsi spécifiquement stimuler les neurones dopaminergiques du rat
: la recherche compulsive d’une sensation de satisfaction prime alors sur
tout autre désir au point que l’animal peut se laisser mourir de faim. Chez le
singe, on peut conditionner les neurones dopaminergiques en lui faisant
assimiler des signaux annonciateurs de la récompense… sans aucun plaisir,
ce qui entraîne la frustration et le stress de l’animal.
On ne peut pour autant résumer l’addiction à un excès de dopamine. La
seule restauration d’un niveau normal de dopamine ne semble pas suffisante
pour combattre une addiction dont on peut comprendre la complexité du
mécanisme neurobiologique par le biais de deux exemples. Fumer
n’entraîne généralement pas un plaisir intense et pourtant le tabac est parmi
les drogues les plus addictives qui soient. À l’inverse, l’activité sexuelle
peut produire beaucoup de plaisir et cependant l’addiction au sexe est rare.
Les neurobiologistes ont établi que le circuit de la récompense ne peut pas
être isolé artificiellement d’autres circuits neuronaux et que la dopamine
agit en association avec d’autres neuromédiateurs. C’est particulièrement
vrai avec deux d’entre eux, la noradrénaline et la sérotonine. Étroitement
liés, ils interviennent tous les deux, mais de façon différente, dans le
contrôle des émotions et en particulier dans le contrôle des conduites
compulsives. Or, toutes les drogues psychoactives semblent capables de
rompre les liens neuro-cérébraux qui existent entre le circuit de la
noradrénaline et celui de la sérotonine, un « découplage » qui expliquerait,
par exemple, pourquoi le toxicomane perd le contrôle de ses émotions. Elles
altèrent ainsi un processus, le couplage des différents circuits neuro-
cérébraux, qui se met en place progressivement entre la naissance et la
puberté et qui peut être déjà fragilisé si, au cours de cette période, la
personne est soumise à des chocs psychiques. A contrario, un couplage qui
se fait sans heurts n’exclut rien. Cela a cependant pour conséquence une
moindre vulnérabilité du futur adulte. On sait ainsi que certaines personnes
sont moins sensibles que d’autres aux drogues psychoactives.
Chez l’animal, il est déjà possible de rendre à nouveau effectif le
couplage des différents circuits neuronaux. Ceci peut demander plusieurs
mois, voire un an. Dans l’avenir, sera-t-il possible de rétablir, chimiquement
ou biotechnologiquement, l’intégrité des circuits nerveux chez l’homme ?
On peut l’espérer. En attendant, les neurobiologistes s’intéressent de plus en
plus aux addictions. Leurs recherches ont pris, ces dernières années, une
nouvelle dimension grâce à la neuro-imagerie qui permet de visualiser les
différentes parties du cerveau. Associée à des tests fonctionnels, cette
technique non invasive a permis d’explorer certaines situations addictives.
Des modifications morphologiques et fonctionnelles ont été observées dans
le cortex préfrontal des patients alcoolo-dépendants. Ces altérations dans ce
qui est l’une des localisations cérébrales du circuit de la récompense, ne
semblent toutefois pas spécifiques de l’alcoolisme et peuvent s’observer
avec d’autres substances psychoactives, voire dans l’addiction au jeu. Dire
qu’il existe une imagerie cérébrale commune à toutes les addictions est
cependant prématuré tant les situations sont différentes. Néanmoins, la
neuro-imagerie constitue un outil essentiel : elle est amenée à devenir aussi
indispensable qu’irremplaçable dans le suivi des comportements addictifs.
4

« Psy » et traitement des addictions ?

DANS TOUTES LES ADDICTIONS, LA « composante » personnelle entre en jeu


et est souvent dominante. Le sujet – pour reprendre le terme consacré par
les « psy » – ne peut plus se maîtriser. Il a des comportements compulsifs
qui vont avoir des conséquences, souvent graves, sur sa santé, mais
également sur sa vie sociale, familiale et professionnelle. Il ne connaît
parfois plus qu’un seul moyen pour apaiser les tensions qui le tenaillent :
consommer. Dans un premier temps, cette consommation lui apporte du
plaisir, il en tire une certaine jouissance. Très vite, ce n’est même plus le cas
: boire, fumer, se droguer, jouer n’apaisent plus ses angoisses. Il a
quelquefois conscience de son mal-être et sait qu’il doit arrêter. Il peut
exprimer très clairement cette volonté sans pouvoir l’exercer. Une prise en
charge psychologique peut l’y aider. Comment l’orienter ? Qui consulter ?
Un psychiatre, un psychologue ou un psychothérapeute ? Le premier est un
médecin formé pour prendre en charge les maladies mentales, les troubles
psychiques. Il est le seul à pouvoir prescrire des médicaments et à faire des
feuilles de soins. Il peut exercer à l’hôpital où un patient sans mutuelle
complémentaire n’a à sa charge que le ticket modérateur. Le psychiatre peut
également être consulté en ville. Sa consultation est alors remboursée par
l’Assurance maladie (et les mutuelles).
Le psychologue clinicien – il existe en psychologie d’autres spécialités,
par exemple la psychologie sociale – n’est pas médecin et ne peut, par
conséquent, délivrer d’ordonnance. Ce n’est pas non plus un professionnel
paramédical comme peuvent l’être les infirmiers et infirmières, les
kinésithérapeutes ou les psychomotriciens. Il a en revanche suivi une
formation universitaire de cinq ans minimum après le baccalauréat et il est
titulaire d’un diplôme en psychologie. En France, l’exercice de la
profession de psychologue est protégé par la loi du 25 juillet 1985. S’il
n’existe pas d’ordre des psychologues, les principales organisations
représentantes de la profession ont adopté, en mars 1996, un Code de
déontologie. Les psychologues cliniciens qui traitent par l’écoute et la
parole les troubles du comportement, de l’angoisse et du stress, sont
essentiellement présents dans le milieu institutionnel, à l’hôpital ou encore
dans les Centres médico-psychologiques (CMP). Ils y ont désormais, pour
quelques-uns, une double compétence de psychologue et de
psychothérapeute. Les psychothérapeutes, justement, ont vu leur profession
réglementée en France en 2010-2011. Pour pouvoir se prévaloir du titre, il
faut satisfaire à des critères de formation très précis et en avoir reçu
l’autorisation par les autorités compétentes (les ARS : Agences régionales
de santé). La profession s’est structurée autour de grands courants de pensée
(psychanalyse, cognitivisme, thérapies familiales, approches humanistes…)
et a, elle aussi, un Code de déontologie.
Le psychanalyste a une place à part dans le « paysage psy ». Il peut être
médecin, psychiatre, psychologue, ou plus simplement « laïc ». Ce terme
utilisé par le « père » de la psychanalyse, Sigmund Freud, désigne une
personne qui n’est ni médecin, ni psychologue, ni psychothérapeute mais
qui a été « analysant », c’est-à-dire qui a fait une psychanalyse. Le
psychanalyste fait généralement partie d’une des très nombreuses
associations ou « écoles » (freudiens, lacaniens…) existantes en France (et à
travers le monde), dont il suit les règles éthiques et qui lui assurent une
formation « clinique » permanente.
Quelle forme de prise en charge psychologique doit privilégier une
personne dépendante qui, volontairement ou contrainte par la justice,
souhaite entreprendre une telle démarche ? Thérapie cognitivo-
comportementale (TCC), psychothérapie ou psychanalyse ? Dans tous les
cas, il est indispensable qu’elle trouve un intérêt à se prendre elle-même en
charge. Si une personne dépendante opte pour une TCC, il est essentiel,
pour que cette démarche ait des chances d’aboutir, qu’elle établisse une
relation de confiance avec le thérapeute et que les stratégies mises en œuvre
soient adaptées à sa maladie, à sa personnalité. Les techniques utilisées ont
pour priorité de diminuer les souffrances auxquelles la personne dépendante
est confrontée afin qu’elle reprenne le contrôle d’elle-même. Pour cela, elle
définit avec le thérapeute des tâches précises à effectuer chaque jour, des
tâches qui vont provoquer chez elle des renforcements positifs et lui
permettre de lutter contre son incapacité à arrêter de consommer
abusivement. Parallèlement à ce « volet » comportemental, la thérapie
comprend un « volet » cognitif. Pour que le patient dépasse ses blocages,
qu’il réduise son niveau d’anxiété, il doit imaginer et prévoir les difficultés
auxquelles il va être confronté dans son programme d’activités et entrer
dans un processus de restructuration cognitive. À terme, il trouve des «
chemins de traverse » qui consolident ses possibilités d’atteindre l’objectif
fixé : devenir abstinent ou, au moins, réduire significativement sa
consommation. Les TCC sont considérées comme des thérapies brèves et ne
durent généralement que quelques semaines, au plus quelques mois. Mais
ont-elles une efficacité durable ? Aucune publication ne vient répondre à
cette question, ce qui ne retire rien de leur intérêt même si beaucoup de
spécialistes estiment qu’on ne traite que les troubles sans s’attaquer à leurs
causes.
Dans ce domaine, l’approche psycho-analytique qui est à la base des
principales psychothérapies, permet d’aller plus loin. Reprenant les grands
principes théoriques de la psychanalyse, elle prend pour ligne directrice
qu’à l’origine d’une addiction, il peut y avoir des conflits non résolus dans
l’enfance, l’adolescence, dans la vie personnelle ou dans la vie
professionnelle. Dans des entretiens en tête-à-tête, la personne dépendante
parle de ses difficultés actuelles, cherche à les rapprocher d’événements
passés, « dit » ses émotions. Le psychologue – ou le psychothérapeute – qui
la reçoit, est « pro-actif » et « souligne » les schémas qu’elle fait et refait
jusqu’à ce qu’elle en prenne conscience et puisse « faire autrement ». Les
psychothérapies – intégralement gratuites dans les CMP – se déroulent
généralement sur une année au moins, parfois beaucoup plus, car il s’agit de
conforter la dynamique de changement qui se met (lentement) en place pour
prévenir les risques de rechute.
Et qu’en est-il de la psychanalyse ? Elle est différente parce qu’elle n’a
pas pour premier objectif de « guérir », mais plutôt de « connaître ses
difficultés, l’origine de ses souffrances et de vivre avec ». « Cure par la
parole », une parole faite de libres associations, elle permet la
reconnaissance du symptôme qui porte l’addict à avoir des comportements
compulsifs. Ce dernier va se livrer à une investigation de son passé, des
relations archaïques qu’il entretient – comme tout un chacun – avec la mère,
le père. Cette investigation de son inconscient peut l’aider à comprendre ce
qui le pousse, au-delà du plaisir instantané et momentané qu’il ressent en
buvant, fumant, se droguant ou jouant de façon excessive, à se détruire. Une
analyse est un travail sur soi qui demande un important investissement
personnel… et financier. Plus que toutes les autres démarches, elle requiert
également une rencontre avec son analyste. C’est une voie difficile, peut-
être élitiste, et en tout cas, toujours de (très) longue haleine.
Les « psy » écoutent, accompagnent et apportent ainsi, dès le début et
tout au long de la période d’abstinence, une aide indispensable à la
personne dépendante même quand son entourage est présent. Il est normal
qu’ils occupent une place essentielle (la première ?) dans la prise en charge
globale des addictions puisque, tous les spécialistes s’accordent sur ce
point, les facteurs psychiques – et psychosociaux – y jouent un rôle de
premier plan.
5

Peut-on espérer guérir un addict ?

CHEZ TOUT CONSOMMATEUR DE drogue, on peut distinguer trois niveaux


d’utilisation : l’usage, l’abus et la dépendance ou addiction. À partir de cette
distinction, la position de l’addictologue, qu’il soit médecin, psychologue
ou animateur de prévention, varie en fonction de différents éléments mais
avec un objectif : arriver à une totale abstinence ou du moins, si c’est
impossible, faire comprendre au consommateur que son intérêt est de
réduire sa consommation de drogue, de réduire les risques, en premier lieu
les risques sanitaires et sociaux. Aujourd’hui, le dogme qui a longtemps
prévalu en matière de toxicomanie et qui veut que l’on obtienne une
abstinence totale et stable, est largement remis en cause. La tendance
actuelle veut que l’on se contente d’une réduction des risques.
Que l’addictologue n’ait pas, en principe, à s’occuper de l’usage
occasionnel qui, a priori, n’a de retentissement ni sur le physique ni sur le
psychisme du consommateur, mérite d’être discuté : il a, en effet, un rôle
essentiel à jouer en matière de prévention. Il n’est pas rare que le
consommateur occasionnel de vin, de tabac, de cannabis ou d’opiacés,
demande au spécialiste le risque qu’il prend en buvant, de temps à autre, un
verre de vin, en fumant une cigarette après un repas ou du haschich au cours
d’une manifestation festive. Peut-il recevoir une réponse précise, sans
ambiguïté ? Rien n’est moins sûr car le seuil à partir duquel le
consommateur prend le risque de devenir addict est toujours difficile à
établir. S’il existe un consensus sur le nombre de verres de vin qu’un adulte
peut boire sans danger chaque jour, il en va différemment pour la
consommation de tabac : la littérature médicale abonde de cas de cancers du
poumon survenant chez des fumeurs modérés (moins d’une dizaine de
cigarettes par jour) ou des fumeurs qui ont arrêté le tabac depuis dix ans et
plus. En réalité, s’il n’y a jamais de réponse appropriée à la question d’un
consommateur occasionnel, c’est parce que deux facteurs essentiels entrent
en ligne de compte : d’une part, la situation dans laquelle il se trouve et
particulièrement sa vulnérabilité propre, tant physique que psychique ;
d’autre part, la dangerosité « addictogène » de la drogue consommée.
Conseiller à une femme enceinte de cesser toute consommation alcoolique
et tabagique est de bonne pratique, même si cette femme ne buvait et ne
fumait qu’occasionnellement avant sa grossesse. En effet, on connaît bien
les risques qu’elle court elle-même, mais également ceux qu’elle fait courir
au fœtus comme au futur enfant. On sait aussi que certains produits tels que
le tabac ou les opiacés entraînent plus facilement que d’autres une
dépendance et il est bon que le consommateur occasionnel en soit averti. Il
n’en reste pas moins vrai – et c’est tant mieux – que l’expérimentateur
occasionnel semble rarement passer à l’abus ou à la dépendance, ce qui veut
dire que finalement, à ce stade, le rôle de l’addictologue demeure limité.
En revanche, il est de première importance en cas d’abus ou de
dépendance avérée. Quelle que soit la substance psychoactive,
l’addictologue doit, dès le bilan initial, chercher à évaluer la motivation du
patient à changer de comportement. Rien n’est plus difficile mais ce n’est
qu’à partir de là qu’il sera en mesure d’opter pour l’une des voies qui
s’offrent à son patient : abstinence ou réduction des risques.
Mais qu’est-ce qui peut amener un usager abusif ou un usager dépendant
à « tourner la page » ? C’est parfois la prise de conscience que la recherche
et la consommation de drogue retentissent sur sa vie familiale, sur son
entourage amical et professionnel. Il consulte alors un médecin – et en
premier lieu son médecin traitant – ou demande aide et conseils auprès
d’une association néphaliste (une association d’entraide à l’image des
Alcooliques anonymes) ou d’un centre médico-psycho-social (spécialisé ou
non en addictologie). La plupart du temps cependant, c’est à la suite d’un
accident de santé (l’apparition de troubles pathologiques) ou social (le
regard que portent sur lui sa famille ou ses amis), voire professionnel (la
perte de son emploi), que l’usager abusif ou dépendant est mis dans
l’obligation de chercher des solutions à son problème d’addiction. En
pratique, c’est son médecin traitant, le personnel hospitalier du service où il
a été admis en urgence, son conjoint, un ami, qui peuvent l’amener à
consulter. Cela peut aussi être sur injonction judiciaire, à la suite d’un
accident de la route ou d’un épisode délictueux.
Contrairement à un patient « classique » qui, une fois informé de la
gravité de son état, suit en principe sans protester le traitement qu’on lui
propose, le consommateur de drogue n’accepte pas toujours, une fois le
premier contact établi plus ou moins volontairement, de se faire soigner. Il
est d’ailleurs libre de le faire ou de refuser. Pour se déterminer, il met en
balance le plaisir que lui procure la drogue et sa souffrance quand il en est
privé. Cela explique, au moins en partie, les très nombreuses rechutes qui
émaillent la vie d’un drogué. Elles sont d’autant plus fréquentes que la
drogue est addictogène et n’entraîne pas de sanctions sanitaires et sociales
immédiates. Le tabagisme illustre bien cette situation : on peut fumer
pendant de nombreuses années sans trouble patent et, depuis l’interdiction
de fumer dans les lieux publics, les fumeurs supportent sans trop de
récriminations le froid à la terrasse des cafés pourvu qu’ils puissent
continuer à fumer. Sauf nécessité absolue, un infarctus, un cancer du
poumon (et encore !), le fumeur n’est jamais prêt à arrêter. Ce n’est souvent
qu’après de nombreux entretiens individuels, pouvant s’étaler sur des
semaines, voire des mois, avec l’addictologue et son équipe, qu’il peut finir
par prendre conscience que, dans la balance, l’abstinence compte plus que
la consommation abusive. Ce n’est cependant jamais gagné !
Chaque moment que l’addictologue passe avec son patient a donc son
importance car il lui permet de cerner au plus près sa personnalité et
d’estimer sa capacité à changer son comportement. Certains éléments sont
factuels et plus faciles à recueillir que d’autres, comme par exemple les
voies d’administration de la substance et les quantités consommées. Encore
que, dans ce dernier cas, la sous-estimation soit la règle : on boit toujours
moins de verres de vin qu’on veut bien le dire ou s’en rappeler et l’on fume
toujours moins de cigarettes qu’on veut bien l’avouer. De même qu’on
minimise l’argent qu’on dépense dans les paris en ligne. La
polyconsommation est souvent oubliée et ne devient patente qu’à la suite
d’une recherche systématique. Elle est pourtant banale : alcool et tabac,
tabac et cannabis, jeu et alcool font, hélas, souvent très bon ménage… À
l’extrême, le déni de toute consommation de drogue peut exister,
constituant une défense psychologique qu’il faudra surmonter pour faire
admettre le changement de comportement. Le temps et la confiance que le
consommateur lie avec son addictologue permettent souvent de mieux
cerner la réalité. Tout aussi importante est la recherche des altérations
somatiques que la consommation de drogue provoque. Selon le type de
drogue, on fera dès les premiers contacts un bilan clinique et biologique
nerveux, pulmonaire, digestif, infectieux… L’évaluation
psychopathologique est plus difficile à cerner ; la comorbidité psychiatrique
est fréquente chez les consommateurs dépendants. L’anxiété, l’angoisse, les
troubles de l’humeur sont banals chez eux. Un psychologue, un psychiatre
si nécessaire, auront alors un rôle important à jouer pour aider la prise en
charge par l’addictologue. Enfin, on ne négligera pas d’analyser le contexte
social où se trouve le consommateur abusif ou dépendant. Son mode de
logement, son environnement familial, amical, professionnel seront pris en
compte par le travailleur social de l’équipe. Certaines situations engendrées
par la précarité sociale du sujet nécessitent en effet une prise en charge
urgente.
On l’aura compris : motiver un patient pour le changement n’est pas
simple et demande du temps. Cette démarche nécessite une approche
multidisciplinaire où médecin, psychologue, travailleur social se côtoient
dans un objectif commun, lui faire prendre conscience de son état pour
modifier son comportement et accepter un projet de soins. Cependant, c’est
là que l’addictologue référent a un rôle essentiel car il est le témoin de
l’histoire du patient, de son évaluation régulière, de son évolution clinique,
en particulier sous l’angle des rechutes et des réajustements thérapeutiques
nécessaires. De quels moyens dispose-t-il pour atteindre son but ? L’un des
premiers est l’entretien motivationnel. Celui-ci repose sur quelques
principes comme manifester au patient une compréhension de son état,
éviter de plaider pour le changement tout en lui faisant admettre de
nouveaux points de vue et, surtout, lui accorder du crédit dans ses capacités
et ses possibilités de changer. C’est à la suite de cet entretien, répété au fur
et à mesure des consultations, que l’addictologue pourra mesurer le progrès
de son patient et l’orienter vers l’abstinence complète ou, si les résistances
sont trop élevées, vers une réduction des risques. Toutefois, l’entretien
motivationnel individuel n’est pas la seule arme dont il dispose. À la
demande du patient, il peut lui associer un travail en groupe pouvant se
dérouler dans une association néphaliste ou dans un centre médico-psycho-
social. Certains centres ont particulièrement développé cette approche,
spécialement dans l’alcoolo-dépendance qui s’accompagne parfois de
troubles cognitifs sévères. Le thérapeute vise alors à renforcer une activité
gratifiante, réalisée en commun (des ateliers d’écriture par exemple) et non
liée à la substance, facilitant en principe une réinsertion sociale et
professionnelle. L’addictologue s’occupe enfin de la dimension familiale :
l’écoute systématique de la famille (conjoint, enfants…) lui permet de
mieux comprendre les interactions et les problèmes qui ont pu déclencher
l’addiction, aidant parfois à sa résolution.
Pour terminer, de quel médicament l’addictologue dispose-t-il pour son
projet thérapeutique ? Le médicament idéal serait celui qui empêche de
façon significative l’envie compulsive de consommer la drogue, élément clé
de l’addiction, libérant ainsi le patient de la contrainte de consommer. On
doit bien dire que l’arsenal thérapeutique actuel est faible et que l’on
dispose plutôt de médicaments de remplacement ou de « substitution »,
comme pour le tabac ou certains opiacés, plutôt que de vrais médicaments «
addictolytiques ». Une exception, l’alcool : il existe en effet des
médicaments supprimant l’envie de consommer et facilitant le sevrage.
Leurs effets restent modérés et discutés. On doit insister sur l’encadrement
qui doit prévaloir dans la délivrance de ces médicaments car, dans tous les
cas, il s’agit de traitements prolongés dont le suivi est essentiel.
6

Comment est organisée la prévention des


addictions en France ?

LA FRANCE NE CONSACRE QUE 0,35 % de ses dépenses de santé à la


prévention, mettant à mal l’adage « mieux vaut prévenir que guérir ». On ne
peut que le regretter et s’interroger sur le rôle des pouvoirs publics dans ce
domaine. Pour ce qui a trait aux addictions, les politiques mises en œuvre
sont en tout cas insuffisantes. Heureusement que le monde associatif pallie
ce manque d’engagement de l’État. Il serait pourtant essentiel car en
matière d’addictions, la prévention primaire est un impératif. Il s’agit en
effet de s’adresser à l’ensemble de la population pour prévenir les risques.
Pour cela, il faut légiférer et prendre d’abord des mesures administratives
qui ne requièrent aucune participation active des citoyens. Dans ces
conditions, on ne s’étonne pas que ces mesures, dans le cadre de la
prévention des addictions, ne soient pas toujours couronnées de succès.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille abandonner l’éducation pour la
santé et l’information de la population qui sont la base de la prévention
primaire. Au contraire. Les campagnes nationales, par voie d’affichage sur
l’espace public et dans les établissements de santé, l’édition et la
distribution de documents éducatifs, l’organisation de journées thématiques
ouvertes au grand public et la diffusion d’émissions à la radio et à la
télévision sont indispensables pour sensibiliser le plus grand nombre, pour
mobiliser les populations. Plusieurs ministères (Santé, Éducation nationale,
Justice, Jeunesse et Sport, Équipement…) sont concernés, mais ils agissent
essentiellement par le biais de deux organismes : la Mission
interministérielle de la lutte contre la drogue et les toxicomanies (Mildt) et
l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes).
La Mildt, créée en 1982, est placée sous l’autorité du Premier Ministre.
Elle coordonne et anime les actions de l’État, tant au niveau régional que
départemental, dans la lutte contre les drogues et les toxicomanies. Elle
intervient aussi bien dans les domaines de la prévention et de l’information,
du soin et de la formation des intervenants en toxicomanie. L’Inpes est,
quant à elle, placée sous l’autorité du ministre de la Santé. Elle prend la
suite du Comité français d’éducation pour la santé en 2002 et conduit des
programmes de prévention et d’éducation pour la santé dans des domaines
comme les consommations à risques (alcool, tabac, drogues), la nutrition,
les maladies sexuellement transmissibles. D’une façon plus générale, la
santé de la population, quel que soit son âge, est de son ressort.
Si l’on s’en tient aux addictions, il existe un plan gouvernemental contre
les drogues et la toxicomanie. Lancé par le Ministère de la Santé, la Mildt et
l’Inpes sur la période 2008-2011, il comprend plusieurs volets. Les
premières campagnes datent de 2009. L’une mettait l’accent sur le danger
des drogues (« Drogues : ne fermons pas les yeux »), l’autre rappelait d’une
part l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs et, d’autre part, les
conséquences dangereuses de la consommation des drogues (« La drogue si
c’est illégal, ce n’est pas par hasard »). En décembre 2010, après
consultation de nombreux experts, la troisième campagne, des spots
télévisuels, avait pour thème le rôle que les parents et les adultes en général,
peuvent jouer auprès des adolescents pour prévenir la consommation de
drogues (« Contre les drogues, chacun peut agir »). L’État encore, a créé un
service dédié aux toxicomanies, Drogues info service, joignable par le biais
de son site Internet (www.drogues-info-service.fr) ou grâce à un numéro de
téléphone gratuit (0 800 23 13 13). Un peu à part, la Sécurité routière est un
organisme interministériel qui a pour mission la prévention des risques
routiers. Faut-il rappeler que l’alcool au volant est responsable de plus de
30 % des accidents de la route et qu’on ne connaît pas exactement le
nombre d’accidents dans lequel la consommation de drogues illicites
(cannabis, cocaïne…) est en cause ?
On ne peut pas passer sous silence les mesures législatives prises depuis
une vingtaine d’années dans le cadre de la lutte contre le tabagisme et
l’alcoolisme. En dehors même des lois qui interdisent la consommation de
drogues illicites, de nombreux textes encadrent la vente et la publicité de
substances psychoactives licites comme l’alcool ou le tabac. C’est le cas de
deux lois devenues emblématiques. Celle du 30 juillet 1987, dite loi
Barzach (le Dr Michèle Barzach était alors ministre de la Santé) a institué le
fameux « À consommer avec modération ». Celle du 10 janvier 1991,
relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Évin (du nom
de Claude Évin, le ministre de la Santé qui l’a portée), a rendu obligatoire la
mention « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » sur toute publicité
concernant quelconque boisson alcoolisée et a imposé, de façon rigoureuse,
les premières normes de la consommation de tabac dans les lieux publics.
Depuis lors, l’État a fait adopter par le Parlement bien d’autres textes et
imposé des taxes de plus en plus importantes sur les alcools et le tabac avec,
pour objectif premier, d’en faire baisser la consommation. Ces mesures ont
aussi des répercussions – positives – sur les finances publiques, ce dont les
gouvernements successifs n’ont pu que se féliciter !
À côté des campagnes nationales institutionnelles, la prévention contre
les addictions s’organise sur le terrain. L’État assure le financement
d’actions locales (prévention de proximité) avec l’aide des caisses
d’assurance maladie, des collectivités territoriales et, plus récemment, des
Agences régionales de santé (ARS). Il confie la réalisation de ces actions de
prévention à des associations qui regroupent bénévoles et salariés
(animateurs de prévention, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux…).
Certaines de ces associations sont « généralistes » comme les Comités
d’éducation pour la santé (Codes), regroupés en une fédération, la
Fédération nationale des comités d’éducation pour la santé. Présents dans
pratiquement tous les départements français, ils relaient les programmes
nationaux d’éducation pour la santé, en particulier pour les addictions, et les
adaptent aux particularités locales. Ils assurent également la formation
initiale et continue des professionnels de santé et conduisent des actions de
proximité. D’autres associations sont plus spécialisées et ont une « triple
casquette », prévention et soin d’une part, formation des personnels d’autre
part. Il faut citer ici l’Association nationale de prévention en alcoologie et
addictologie (Anpaa), l’Association nationale des intervenants en
toxicomanie et addictologie (Anitea) ou encore les Centres de soins
spécialisés pour toxicomanes (CSST). Les pouvoirs publics ont d’ailleurs
décidé, en 2007, d’unifier l’ensemble de ces structures en créant les Centres
de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). En
place depuis 2010, les Csapa sont aujourd’hui plus de 450 sur le territoire
national.
La prévention primaire n’est cependant pas tout : il est nécessaire de
s’occuper aussi de la prévention secondaire, plus ciblée et surtout exigeant
une participation active des personnes concernées. Elle entre en jeu alors
que le mal est fait, lorsque la consommation de drogues est effective. Son
objectif est d’arriver à l’abstinence totale ou au moins à la réduction de la
consommation vis-à-vis des substances psychoactives consommées et, dans
le même temps, de chercher à empêcher le passage d’un usage à risques à
un abus, d’un abus à la dépendance. La prévention secondaire est souvent
centrée sur des populations ciblées, les jeunes pour la consommation
d’alcool et/ou de cannabis, les femmes enceintes pour les dangers du
tabagisme et/ou de l’alcoolisation pendant la grossesse.
En réalité, une politique de prévention des addictions relève
obligatoirement d’une double série d’actions : elle s’appuie sur les principes
et les moyens des préventions primaire et secondaire. Même si elle a une
dimension nationale, elle ne peut, pour atteindre ses objectifs et toucher tout
à la fois le plus grand nombre de personnes et les personnes directement
concernées, compter que sur des structures locales où le personnel, bien
formé, connaît parfaitement l’environnement. Ce personnel, des animateurs
de prévention ou des éducateurs spécialisés qui sont souvent « bac + 5 »
(master 2), intervient, à la demande et sous contrat, dans les établissements
scolaires (collèges, lycées, universités, grandes écoles), à l’occasion des
événements festifs et sur les lieux de consommation de drogues (bars…),
dans les auto-écoles et les entreprises publiques et privées. Il informe les
publics auxquels il s’adresse sur les dangers des drogues licites et illicites. Il
a aussi pour fonction de former des « personnes relais » – par exemple les
conseillers d’éducation ou les infirmières scolaires dans les établissements
d’enseignement, les membres des Comités d’hygiène, de sécurité sanitaire
et des conditions de travail (CHSCT) dans les entreprises privées –, pour
qu’elles assurent une (certaine) pérennité des messages de prévention. En
effet, pour se révéler efficaces, les actions de prévention doivent être
répétées à intervalles réguliers. Il n’est donc pas inutile de multiplier, tout
au long de l’année, les campagnes nationales et de choisir des slogans qui
interpellent (« Un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts »). Dans le
même temps, le législateur se doit de rester vigilant, en particulier face aux
lobbies des alcooliers ou des manufacturiers de cigarettes toujours prompts
à trouver des alternatives aux lois votées par le Parlement.
Malheureusement, on observe que l’État comme les collectivités
territoriales, pratiquent trop souvent des politiques à courte vue : les
financements ne sont pas encore assurés d’année en année, les contrats de
prévention passés avec les associations sont insuffisants et elles n’ont plus
de quoi payer leurs animateurs de prévention. Faute de moyens, elles
licencient un personnel souvent très compétent et avec une expérience
irremplaçable.
La prévention ne se comprend que comme une politique de longue
haleine et il est temps de lui redonner sa place, toute sa place. Les ARS, qui
sont en passe de devenir l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics
territoriaux et des associations pour la mise en œuvre des politiques
novatrices de prévention de l’addiction, auront-elles les moyens de leurs
ambitions ? Rien n’est moins sûr, le soin restant, en France, la priorité
absolue dans le domaine sanitaire. Dommage.
7

Les Alcooliques anonymes, association modèle


?

FACE AUX ADDICTIONS, LE MONDE associatif est particulièrement actif. Il


existe de nombreuses structures qui proposent une aide aux personnes en
difficulté et à leur entourage. Elles sont généralement dirigées – ou au
moins animées – par des militants bénévoles qui sont le plus souvent des
personnes elles-mêmes victimes d’une addiction et qui ont pu surmonter
leur(s) problème(s), se traiter et « guérir ». L’une des associations les plus
connues est sans aucun doute les Alcooliques anonymes (AA). Elle se
consacre aux personnes ayant un problème avec l’alcool et s’appuie sur le
principe suivant : « Qui mieux qu’un malade alcoolique peut comprendre
un autre malade alcoolique qui souffre encore ? » Les AA sont l’exemple
même de l’association néphaliste. Ce terme fait référence à une coutume de
la Grèce antique, les Néphalies, fêtes durant lesquelles on célébrait l’eau et
l’abstinence. Le contraire des Bacchanales en somme !
Même si ce n’est pas l’association la plus ancienne – les AA ont été créés
aux États-Unis en 1936 – ils sont aujourd’hui présents dans 162 pays. Les
AA, ce sont plus de 100 000 groupes qui rassemblent plus de 2 millions de
personnes. En France, on compte environ 600 groupes d’AA, ce qui en fait
la première association française. Il existe cependant au moins cinq autres
associations importantes qui interviennent dans le même domaine. Il en est
ainsi de la Croix Bleue, créée en 1877 à Berne (Suisse), active dans 40 pays
et bien implantée dans les pays africains francophones. On peut également
citer Alcool Assistance la Croix d’Or (AACO) qui, présente dans 80
départements, compte environ 10 000 adhérents et un peu plus de 400
sections locales. Elle est née en 1910, mais sa structure actuelle date de
1998. Le Mouvement vie libre (MVL) fondé en 1953 est, pour sa part,
implanté dans un peu plus de la moitié des départements français et compte
environ 11 000 adhérents. Ses représentations aux niveaux régional et
national assurent la bonne marche des structures locales. MVL a connu une
histoire parfois mouvementée et plusieurs associations qui avaient fait
scission dans les années 1960, se sont fédérées en 2000 pour donner
naissance à Alcool Écoute Joie et Santé qui est présente dans moins d’une
vingtaine de départements français. Enfin, La Santé de la Famille est
d’abord une association d’entraide professionnelle, historiquement
implantée chez les cheminots. Elle est aujourd’hui indépendante de la
SNCF et ouverte à tous. Il faut encore mentionner, en marge des
associations, des groupes familiaux, et en particulier Al-Anon qui s’adresse
aux membres adultes de la famille et aux amis des alcooliques. Alateen est,
quant à lui, dédié aux jeunes entre 12 et 18 ans, affectés par l’alcoolisme de
leurs parents. Ces groupes ne s’adressent pas aux alcooliques eux-mêmes
mais bien à leur entourage.
Toutes les associations fonctionnent-elles sur les mêmes principes ? Pas
tout à fait. Elles partent cependant toutes du même point de vue : il est
indispensable d’arriver à l’abstinence totale, seul moyen de guérir un
alcoolique. Pour y parvenir, elles ont, pour la plupart, une démarche théiste,
c’est-à-dire faisant référence à « une Puissance supérieure telle que chacun
la conçoit ». Une exception notable : le MVL. Chez les AA, la réunion du
groupe est souvent précédée d’une prière dite à haute voix. La référence à
Dieu n’est cependant pas toujours explicite et peut consister en une « prière
de la sérénité ». Les AA, en revanche, proposent toujours un programme en
douze étapes qui vise à la fois l’abstinence totale et l’amélioration de l’être
humain tant sur le plan moral que spirituel. Que la démarche soit théiste ou
non, aux AA comme dans toutes les associations, les groupes de parole
occupent une place importante. Sans inscription préalable obligatoire, ils
sont destinés à des personnes ayant manifesté leur désir de cesser de boire.
Chez les AA par exemple, chacun, quel que soit son sexe, son âge, sa
relation avec l’alcool, peut y assister, est libre de prendre la parole ou pas,
de revenir régulièrement ou ponctuellement. À l’inverse, à la Croix Bleue et
à l’AACO, des groupes spécifiques accueillent des femmes et des hommes,
des femmes seules ou des hommes seuls, des jeunes ou des personnes plus
âgées. Il existe aussi des groupes à thème et des groupes qui ne sont pas
seulement des groupes de parole, mais dans lesquels bien d’autres activités
sont organisées. Cependant, l’objectif est toujours identique : aider les
personnes malades de l’alcool à retrouver le goût d’une vie sans alcool.
Selon les moyens de l’association, les groupes se réunissent une fois par
semaine ou une fois par mois.
Le recours à un groupe de parole est souvent un « déclencheur », mais ce
travail n’exclut pas une rencontre individuelle et confidentielle avec une
personne compétente. Cette personne peut être une personne ayant eu elle-
même des difficultés avec l’alcool ou un professionnel. Si aucun spécialiste
en alcoologie ni aucun « psy » n’est présent lors des réunions des AA, cette
association ne prétend cependant pas se substituer à toutes les autres formes
de traitement et la médecine figure même parmi « ses alliés naturels ».
D’autres associations lient plus directement groupes de parole et prise en
charge médicale et psychologique. C’est le cas de la Croix Bleue dans les
centres médico-psycho-sociaux qu’elle gère, ou de La Santé de la Famille
dans ses deux grands établissements de soins pour alcooliques, l’un en
banlieue parisienne, l’autre en région.
Dans ces différents établissements, les personnes en traitement perdent
leur anonymat qui est pourtant l’une des règles intransgressibles chez les
AA et de nombreuses autres associations. Toutes, cependant, ne la
respectent pas. C’est le cas du MVL qui s’adresse aux buveurs guéris ou qui
ne boivent plus depuis au moins six mois et aux abstinents volontaires
proches (femme, mari, compagne, compagnon, amis…) qui ne boivent plus
pour aider la personne malade. Cette association estime qu’il n’y a aucune
honte à être malade et qu’il ne sert à rien de dissimuler sa situation derrière
l’anonymat si l’on veut que l’alcoolique (re)devienne un homme libre,
capable de résister aux pressions de la société.
L’action des associations est, généralement, bien plus large que la simple
mise en chantier de groupes de parole. Elles ont, en effet, toujours la
volonté d’aider les personnes alcooliques à ne pas s’isoler. Pour cela, elles
multiplient les colloques régionaux ou nationaux qui traduisent la présence
de forts réseaux d’entraide au profit des malades et de leur entourage. Elles
organisent aussi des manifestations culturelles, ludiques, festives car, dans
l’esprit des membres des associations, la fête peut aider à parvenir à
l’abstinence.
Les Alcooliques anonymes en tête, les associations, bien que pour la
plupart constituées de bénévoles, assurent la formation de leurs animateurs
et de leurs militants. Il en est ainsi du modérateur des réunions des AA et de
tous ceux qui s’engagent dans les actions de prévention et de conseil,
qu’elles aient pour cible les alcooliques ou les jeunes, élèves et étudiants
d’établissements publics ou privés. Cette « professionnalisation » est aussi
indispensable pour les personnes qui ont en charge les sites Internet ou qui
répondent au téléphone, les associations ayant presque toutes des « lignes
ouvertes » que l’on peut appeler 24 H/24 et où l’on peut être écouté
anonymement.
Le modèle des Alcooliques anonymes est aujourd’hui parfois contesté. Il
reste pourtant une référence, même si son principe de base « on aide bien un
alcoolique si on a soit même été un alcoolique », sans être dépassé,
rencontre des limites que l’association française a su, au moins en partie,
surmonter : d’abord, comme dans toutes les associations, le bénévolat
connaît quelques difficultés de recrutement et ensuite, il est essentiel de
pouvoir offrir aux malades alcooliques des services plus élaborés, plus
professionnels. Le modèle a, par conséquent, connu quelques évolutions.
Pour de meilleurs résultats ? Impossible à dire, en premier lieu parce qu’il
reste difficile d’évaluer la réalité de l’abstinence. Aux AA, on estime
cependant qu’au bout d’un an, environ 25 % des nouveaux membres
participent toujours à leur programme d’abstinence. Ce n’est pas
négligeable et c’est, de plus, tout à fait comparable aux autres formes de
traitements de l’alcoolisme. Avec des avantages certains : un appel au
militantisme, au bénévolat, à l’entraide entre humains, toutes valeurs
respectables. Est-ce ce qui explique la « viabilité » du modèle des
Alcooliques anonymes et des associations qui l’ont adopté dans le même
domaine, la dépendance à l’alcool, ou dans d’autres domaines, à l’image
des Narcotiques anonymes ? Cette association, fondée vers 1950 aux États-
Unis, se consacre aux toxicomanes. Présente dans plus d’une centaine de
pays, elle a ouvert ses premiers groupes de parole en France en 1983. Ils
sont réservés seulement aux drogués. Pour les familles, les amis des
consommateurs de drogues, il existe parallèlement une association
indépendante : les Nar-Anon. Enfin, une autre association, les Joueurs
anonymes, dont l’action vis-à-vis des joueurs compulsifs s’inspire des
principes des AA, s’est récemment implantée en France et dans les pays
européens francophones. Elle est largement concurrencée par plusieurs
autres associations dotées de moyens matériels et financiers importants car
financées par la Française des jeux, le Pari mutuel urbain, les casinos et les
cercles de jeux, sous la pression des pouvoirs publics au moment où ils
autorisaient, Europe oblige, les jeux et les paris en ligne. Le modèle
préconisé par les AA est-il une solution acceptable pour toutes les
addictions ? Pourquoi pas, mais ne faut-il pas plutôt souhaiter que la prise
en charge des personnes dépendantes soit de la responsabilité des pouvoirs
publics ? C’est déjà le cas pour les personnes reçues dans un centre médico-
psycho-social ou un établissement de soins, grâce aux caisses d’assurance
maladie, à la Mildt. Mais il faut aller plus loin. Si les associations d’aide
aux personnes dépendantes qui, pour la plupart, n’acceptent que de
modestes contributions des participants à leurs réunions et ne se font pas
rémunérer leurs services, bénéficiaient à nouveau des subventions dont elles
ont été en partie privées ces dernières années, elles seraient sans doute plus
efficaces encore. Elles pourraient notamment développer de nouvelles
campagnes de prévention ciblées. Tous les problèmes ne seraient pas
résolus, mais les choses avanceraient dans le bon sens.
8

Addicts, cancers et maladies virales ?

SUBSTANCES PSYCHOACTIVES, LES drogues – ou du moins la plupart d’entre


elles – ont des effets sur la sphère cérébrale. Elles exposent également à
d’autres pathologies, aux cancers et aux maladies virales en particulier. De
nombreuses études médicales et scientifiques mettent ainsi en évidence des
liens entre alcool, tabac, cannabis et cancer(s). On sait aussi que l’usage des
opiacés, mais également l’addiction au sexe, peuvent avoir pour
conséquence une contamination infectieuse, notamment par le virus de
l’immunodéficience humaine (VIH), le virus du sida, ou par les virus des
hépatites B (VHB) et C (VHC). Les addictions sans substance comme le jeu
ou la cyberdépendance n’ont pas les mêmes conséquences… sauf si elles
sont associées, comme c’est souvent le cas, à la prise de produits.
Les mécanismes qui entrent en jeu et qui provoquent des cancers
commencent seulement à être mieux connus. Même si la vulnérabilité est
variable d’un individu à l’autre – et cela est d’autant plus vrai qu’il peut
exister chez certaines personnes des prédispositions génétiques à des
maladies particulières –, l’alcool et les constituants chimiques du tabac
(dérivés de la nicotine, hydrocarbures, nitrosamines…) qui ont des
propriétés cancérigènes, « attaquent » des cellules cibles. Pour ce qui est de
l’alcool, c’est l’hépatocyte, la cellule du foie, qui est directement visé. À
terme, le foie devient incapable de compenser la disparition progressive des
hépatocytes, sa structure se modifie et évolue vers une cirrhose, un
processus qui demande quinze à vingt ans de consommation excessive et
qui prédispose à l’apparition d’un cancer hépatique. Ce n’est pas le seul
risque de cancer auquel s’exposent les personnes dépendantes de l’alcool.
En effet, une alcoolisation chronique – plus de vingt-et-un verres de vin
chez l’homme et plus de quatorze verres chez la femme par semaine, selon
les normes de l’OMS – peut aussi être à l’origine de la survenue de cancers
des voies aérodigestives supérieures (VADS), la cavité buccale, le pharynx,
le larynx ou l’œsophage. En 2001 – les chiffres sont anciens, mais donnent
une bonne idée du risque encouru –, 40 000 décès étaient la conséquence
directe ou indirecte de l’alcoolisation aiguë et chronique, ce qui représente
environ 7 % des décès annuels. Plus d’un décès sur deux était la
conséquence d’un cancer des VADS, un chiffre plus important encore en
cas d’association au tabac, mais en diminution constante grâce à la baisse
de la consommation d’alcool enregistrée depuis les années 1960.
Finalement, le cancer du foie est nettement plus rare : il ne touche que 15 à
20 % des consommateurs d’alcool qui ont une cirrhose. La
surconsommation alcoolique est aussi mise en cause dans le cancer du sein
ou le cancer colorectal mais les corrélations sont encore discutées. En
revanche, on peut exclure désormais un lien entre alcool et cancer de
l’estomac, du pancréas ou de la vessie. Il faut également savoir que l’alcool
déprime les défenses immunitaires. L’alcoolique chronique est ainsi exposé
à des infections à répétition ou à des septicémies parfois mortelles.
Pour ce qui est du tabac, les doutes datent de la fin du XIXe siècle, mais la
première publication établissant un lien entre tabagisme et cancer du
poumon date de 1929. C’est cependant une étude britannique de la fin des
années 1950 qui lève toutes les hypothèses. Le tabagisme a depuis lors fait
l’objet de très nombreuses études épidémiologiques et il est aujourd’hui
évident qu’il est un facteur de risque majeur de cancers non seulement du
poumon, mais également des VADS et de la vessie.
En France, les cancers pulmonaires, qui n’apparaissent généralement que
quinze à vingt ans après le début de l’intoxication, sont la cause du décès
d’environ 29 000 personnes chaque année : 90 % de ces décès sont dus au
tabagisme actif – celui des fumeurs –, 5 % au tabagisme passif – celui des
personnes qui vivent dans l’environnement de fumeurs – et le reste à des
associations telles que tabac et amiante par exemple. Les hommes sont
toujours les plus touchés même si l’on constate une singulière augmentation
de la mortalité chez les femmes qui, depuis une trentaine d’années,
consomment de plus en plus de tabac et commencent de plus en plus jeunes.
Cette observation vaut pour tous les milieux sociaux. Comme pour l’alcool,
la survenue d’un cancer chez un fumeur dépend de la précocité de son
tabagisme, de la durée de l’intoxication et du nombre de cigarettes fumées
quotidiennement. Contrairement à l’alcool cependant, il semble qu’il n’y ait
pas de seuil « acceptable » : dès quatre à cinq cigarettes par jour le risque
relatif de voir se développer un cancer du poumon est plus élevé chez le
fumeur que chez le non-fumeur. Quant aux usagers de cannabis, parce
qu’ils inhalent la fumée plus profondément et la gardent plus longuement
dans les poumons, ils doivent savoir que fumer un « joint » équivaut à
fumer cinq cigarettes. Cela revient à multiplier significativement les risques
de cancer du poumon.
Mais qu’en est-il des autres pathologies, directement ou indirectement,
liées à une addiction ? Leur apparition est souvent due à un manquement
aux règles élémentaires d’hygiène. C’est le cas notamment pour ce qui est
de l’usage des opiacés par voie intraveineuse. La non-stérilisation du
matériel d’injection et du petit matériel utilisé pour la solubilisation des
drogues avant injection, le partage des seringues et/ou des aiguilles
d’injection, favorisent la contamination par le VIH, le VHB et le VHC qui,
tous trois, se transmettent par voie sanguine. Les rapports sexuels non
protégés ont les mêmes conséquences. Fort heureusement, ces
contaminations sont en baisse significative depuis la généralisation, à partir
des années 1990, des programmes d’échange de seringues et la possibilité
de se procurer des kits d’injection et des préservatifs à prix acceptables dans
les pharmacies ou dans des distributeurs automatiques.
9

Quel est le poids économique des addictions en


France ?

LES ADDICTIONS COÛTENT CHER. Tout le monde le soupçonne


intuitivement, mais qu’en est-il ? Au risque de décevoir, nous n’allons pas
pouvoir répondre à cette question avec précision. Les études sont
nombreuses et souvent chiffrées et pourtant, rien n’est très clair dans ce
domaine. Et puis, il ne s’agit pas de jouer aux experts-comptables en
répartissant les termes de l’échange en deux colonnes : l’une pour les «
recettes » (taxes), l’autre pour les « dépenses » (prise en charge sociale et
médicale des personnes dépendantes, actions de prévention).
Mettons d’abord fin à une idée reçue : ce n’est pas la consommation des
drogues illicites (cannabis, héroïne, cocaïne…) qui coûte le plus cher à
notre société. Ce sont bien l’alcool et le tabac, deux drogues licites, qui sont
les plus grandes pourvoyeuses de dépenses. Pour le démontrer, on peut se
référer aux enquêtes épidémiologiques de l’Observatoire français des
drogues et des toxicomanies (OFDT) signées de Pierre Kopp et Philippe
Fenoglio. Les derniers chiffres qu’elles mettent en évidence, bien qu’un peu
anciens (2005), font encore référence. En France, c’est le tabac qui a le coût
social le plus élevé : plus de 47,7 milliards d’euros par an, soit une dépense
de 772 euros par habitant, ce qui représente 3,05 % du produit intérieur brut
(PIB). L’alcool vient en deuxième position avec un coût social annuel de 37
milliards d’euros, soit une dépense de pratiquement 600 euros par habitant
et 2,37 % du PIB. Le coût social des drogues illicites vient loin derrière : il
est estimé à 2,8 milliards d’euros, soit 45,50 euros par habitant et 0,18 % du
PIB. Au total, les drogues, toutes confondues, coûtent à chaque Français
plus de 1 410 euros par an.
Cette évaluation du coût social annuel des drogues, licites et illicites,
prend en compte en premier lieu les dépenses de santé : hospitalisation dans
un établissement public ou privé, consultations médicales… Si l’on entre
dans les détails, on constate que le tabac à lui seul représente 38 % des
dépenses de santé contre 25 % de la dépense pour les drogues illicites et
seulement 17 % pour l’alcool.
Les répercussions directes du tabagisme, de l’alcoolisme et de la
consommation de drogues illicites sur les finances publiques – et en
particulier sur le financement de la protection sociale par la perte des
prélèvements obligatoires – restent cependant modérées : 8 % environ pour
le tabac, un peu plus de 9 % pour l’alcool, 6 % environ pour les drogues
illicites. À l’inverse, les coûts indirects provenant à la fois des pertes de
revenus des consommateurs et des pertes de productivité sont très
importants : près de 63 % de la dépense totale pour l’alcool, 54 % pour le
tabac et 42 % pour les drogues illicites. En d’autres termes, les pertes de
productivité générées par l’absentéisme et le chômage des fumeurs et des
buveurs dépendants ou des toxicomanes, coûtent beaucoup plus chers à la
Nation que leur prise en charge médico-sociale.
Pour comprendre concrètement les répercussions de chaque addiction sur
la santé des Français, il faut se pencher sur d’autres chiffres. Même si
l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estime
que la consommation de tabac a significativement diminué en France au
cours des dernières années, il n’en reste pas moins vrai que la tendance
semble s’être inversée : entre 2005 et 2010, elle est en effet légèrement
remontée passant de 27 à 29 % de la population générale, soit pratiquement
15 millions de personnes ! Les fumeurs, occasionnels et gros fumeurs, ont
entre 15 et 75 ans. Ces chiffres expliquent qu’avec plus de 60 000 décès
chaque année, le tabac soit la première cause de décès prématurés dans
notre pays devant les maladies cardio-vasculaires et… l’alcoolisme. Cet
autre « fléau » touche 5 millions de personnes, 3 millions de
consommateurs à risques ou abusifs et 2 millions de consommateurs
alcoolo-dépendants. Il tue 40 000 personnes par an, dont plus de la moitié
meurt d’un cancer, principalement des voies aéro-digestives supérieures,
mais aussi du foie. L’alcool est aussi à l’origine d’un tiers des accidents
mortels de la route et d’un pourcentage difficile à évaluer, mais significatif,
des homicides volontaires. N’oublions pas qu’une femme enceinte qui boit,
fait encourir au fœtus des risques d’altérations cérébrales irréversibles, ce
qui n’est pas sans conséquences dramatiques sur la vie de l’enfant et de
l’adulte qu’il deviendra. C’est encore une lourde charge pour la société.
On comprend qu’il soit impossible d’évaluer le coût social des drogues
illicites puisqu’il est difficile d’avoir des informations précises sur le
nombre de consommateurs de ces drogues. Quelques enquêtes récentes ont
cependant mis en exergue que le cannabis est très largement consommé
chez les jeunes de 15 à 30 ans : ils seraient plus de 4 millions dont au moins
1,5 million de consommateurs réguliers. On estime par ailleurs que plus de
500 000 personnes consomment, ou ont consommé, des drogues que
d’aucuns qualifient de « dures » : héroïne, cocaïne, ecstasy… Ce sont
essentiellement les substances injectables qui ont des répercussions directes
sur la santé : elles sont d’importantes pourvoyeuses de maladies
sexuellement transmissibles comme le sida ou les hépatites B ou C. De plus,
l’héroïne en premier lieu, mais également la cocaïne et l’ecstasy, peuvent
provoquer des syndromes de surdosage (overdose) dont la mortalité, bien
qu’en diminution, avoisine encore une centaine de cas par an. Enfin, on
commence à s’intéresser de très près aux conséquences du cannabis sur la
santé mentale des consommateurs abusifs. Il s’agit de troubles qui
nécessitent parfois des hospitalisations et toujours un suivi médico-
psychologique sur le long terme.
Aucun des coûts induits par les « drogues licites » ne peut être compensé
par des recettes. Dans ce domaine, l’État et le système de protection sociale
– l’Assurance maladie en tête, mais également la branche Risques et
maladies professionnels – sont grandement perdants. Les taxes représentent
pourtant 90 % du prix d’un paquet de cigarettes, soit 4,75 euros pour le
paquet de référence de 20 cigarettes vendu 5,90 euros (après la hausse de
novembre 2010). Le fumeur qui consomme un paquet par jour dépense ainsi
près de 2 200 euros par an dont 1 980 sont reversés à l’État. Le tabac
rapporte ainsi plus de 10 milliards d’euros en taxes à ce dernier. C’est bien
loin de compenser les 47,7 milliards d’euros qui représentent le coût social
du tabac !
Les calculs sont plus complexes lorsqu’il s’agit d’évaluer ce que rapporte
l’alcool, seconde drogue licite. On ne peut que tenter une approche
s’appuyant sur la consommation de vin. On sait en effet qu’il existe sur le
territoire près de 40 000 exploitations viticoles qui produisent au moins 3
000 vins différents pour une production totale d’environ 47 millions
d’hectolitres (en 2009) et que, comme la plupart des autres produits, il est
soumis à une TVA de 19,6 %. Mais sur quel montant global s’applique cette
taxe ? Impossible de le savoir car une bouteille se vend entre 2,50 et 30
euros en moyenne (parfois beaucoup plus !). En outre, pour avoir une idée
du volume total de vin vendu en France, il faudrait aussi prendre en compte
la vente des vins étrangers. À cette TVA, il faut ajouter une surtaxe de 1,60
euro par litre ne concernant que les produits dont le taux d’alcool est
supérieur à 25 % (25°). Certains économistes estiment néanmoins que les
taxes imposées sur la filière alcool, prise au sens large (production,
consommation intérieure, exportation), équilibreraient les comptes : ce
qu’elles rapportent serait égal au coût médico-social de l’alcoolisme, mais
c’est sans doute sans inclure dans cette « comptabilité », le coût des
accidents de la route, des accidents du travail et les morts qu’ils provoquent.
Un dernier point cependant. Au grand jeu des addictions, l’État est
parfois gagnant. C’est ainsi que l’économie des jeux, sous toutes ses formes
y compris les jeux en ligne légalisés en France depuis une loi de 2010, se
porte bien. L’État a encaissé près de 3 milliards des 26 milliards d’euros
joués ou misés par des joueurs parmi lesquels seulement un très petit
nombre (1,5 % selon les estimations les plus fiables) sont des joueurs
pathologiques qui devraient ou pourraient bénéficier d’une prise en charge
médicale et sociale dans des structures publiques.
PARTIE II

DROGUES LICITES ET
ILLICITES,
UN MÊME PROBLÈME DE
SANTÉ PUBLIQUE
10

Pourquoi le binge drinking est-il désormais si


répandu en France ?

ALORS QUE, GLOBALEMENT, LA consommation d’alcool a diminué de façon


significative dans notre pays depuis 1960, on observe, depuis quelques
années, une nouvelle pratique qui se répand essentiellement chez les jeunes
de 18 à 25 ans : le binge drinking. Cet anglicisme textuellement difficile à
traduire, popularisé par la presse grand public et la télévision, exprime la
consommation de très grandes quantités de boissons alcoolisées sur une
(très) courte période, soit ponctuellement, soit de façon récurrente. Le binge
drinking, ce sont cinq verres (ou plus) d’alcool pour un homme, quatre
verres (ou plus) pour une femme, bus en deux heures de temps, entraînant
une alcoolémie de 0,8 g d’alcool par litre de sang au moins. C’est, dans tous
les cas, largement supérieur au taux autorisé pour conduire qui est, en
France, de 0,5 g/l !
En réalité, ce phénomène est bien moins nouveau qu’il n’y paraît. Il est
connu de longue date dans les pays anglo-saxons comme dans les pays
nordiques, et largement répandu depuis que l’homme boit et parvient à
l’ivresse, voire la dépasse, victime alors d’un coma éthylique. Jusqu’à
récemment encore, en France, cette consommation excessive d’alcool était
l’apanage d’adultes, alcooliques chroniques, qui, pour une raison ou une
autre, augmentaient leur consommation, de vin essentiellement.
Aujourd’hui, on note deux dimensions véritablement nouvelles du binge
drinking. D’une part, cette pratique est celle de filles – ce n’est pas neutre !
– et de garçons ne buvant habituellement pas. D’autre part, le vin n’est plus
le support de cette conduite à risques. Il a été remplacé par des alcools forts
comme le whisky ou la vodka. Le binge drinking, ce n’est pas tant une
hyperalcoolisation qu’une « défonce », une « biture expresse ».
Mais pourquoi le binge drinking. se répand-il aussi rapidement en France
? Les différentes enquêtes conduites par l’Observatoire français des drogues
et toxicomanies (OFDT) nous éclairent sur ce point. Il semble que l’on
consomme de l’alcool de plus en plus tôt, dès l’âge de 12 ans dans certaines
régions. À 17 ans, huit jeunes sur dix (82 % des garçons et 75 % des filles)
déclarent avoir consommé des boissons alcoolisées au moins une fois dans
le mois précédent. Une majorité de ces jeunes (les deux sexes confondus)
disent avoir déjà été ivres au moins une fois dans leur vie et, dans 10 % des
cas au moins, dix fois dans les douze mois précédents. Ainsi n’est-il pas
étonnant que le taux d’hospitalisation en urgence de jeunes en état d’ivresse
augmente régulièrement. Les dernières études nous apprennent aussi que 56
% des garçons et 36 % des filles de 17 ans ont connu au moins un épisode
de binge drinking dans les trente derniers jours. Certains (moins de 5 %)
déclarent avoir connu plus de dix épisodes de ce type. C’est une situation
que l’on peut rapprocher de celle qui a d’abord été constatée en Angleterre,
au Danemark ou aux États-Unis. Les étudiants y clôturent
traditionnellement leur semaine par des soirées « arrosées », toujours avec
un bon motif : intégration des nouveaux, début des cours, fin des cours ou
fin des examens… Ces soirées sont organisées par le Bureau des élèves ou
d’autres associations d’étudiants qui vendent l’alcool à très bon marché.
D’abord en vogue dans les écoles de commerce, ce mode de consommation
s’est banalisé. Il touche aussi les écoles d’ingénieurs, même les plus
prestigieuses et, à un moindre degré, les universités. Mais il est désormais
largement répandu parmi les jeunes, quel que soit leur sexe – les filles
cependant (un peu) moins que les garçons –, et quelle que soit leur situation
sociale, les jeunes ruraux autant que les jeunes urbains. De plus, il ne s’agit
plus seulement d’une pratique réservée aux fins de semaine puisque l’on
constate qu’un nombre non négligeable de jeunes est ivre jusqu’à dix fois
par mois !
Le phénomène a tendance à s’amplifier et les alcooliers ne sont pas
étrangers à cette amplification. Ils ont, avec les jeunes, un marché à leur
portée. Ainsi pratiquent-ils des politiques de prix bas en ayant parfois
recours à des moyens détournés, comme les open bars des fêtes qui
permettent de boire sans limite pour une somme forfaitaire (et abordable
pour les jeunes). Le développement des happy hours, lieux de
consommation qui offrent à tous la possibilité de boire plus sans dépenser
plus (second verre offert, 50 cl pour le prix de 25), est également un facteur
qui entre en ligne de compte. Il explique, en partie au moins, que
l’alcoolisation excessive soit plus fréquente et ne se limite plus aux fêtes de
fin de semaine, mais qu’elle s’observe pendant la journée, en dehors des
écoles et des universités. En fait, de plus en plus de jeunes apprécient non
seulement l’ivresse procurée par le binge drinking – qui, ainsi qu’ils le
disent, les « transporte » –, mais surtout la rapidité de son déclenchement.
Ils sont de moins en moins attachés aux produits qu’ils consomment,
négligent le vin ou la bière pour privilégier les boissons fortement
alcoolisées et les boissons alcoolisées à fort taux de sucre (les premix)
servant à dissimuler le goût de l’alcool que les jeunes (surtout les filles)
n’apprécient pas toujours.
Comme le montrent les enquêtes sociologiques, ces pratiques
d’alcoolisation excessive ont pour premier objectif la recherche de la
convivialité : l’alcool sert d’ouverture vers les autres, crée du lien social,
lève les inhibitions, fait oublier le stress des examens et, au moins
temporairement, un mal-être, la crainte de l’avenir ou du chômage malgré
un diplôme. Le binge drinking correspond bien, par ailleurs, aux goûts des
jeunes pour les sensations fortes, pour l’extrême, la prise de risques. En
cela, cette pratique peut être rapprochée de la consommation de substances
psychoactives, d’autant que le binge drinking lui est souvent associé.
Quelles en sont les conséquences ? Une alcoolisation élevée retentit
d’abord sur le buveur : il perd le contrôle de lui-même, peut s’endormir (ce
qui est un moindre mal) ou, au contraire, exercer des violences à l’égard
d’autrui comme de lui-même. Elle entraîne souvent une prise de risques
inconsidérés (paris stupides, bagarres, conduite en état d’ivresse…) qui
peuvent parfois provoquer des drames : accidents mortels, viols, rapports
sexuels non protégés, grossesses non désirées, syndrome d’alcoolisation
fœtal. On ne peut passer sous silence que cette pratique peut entraîner un
coma éthylique, mortel dans 3 à 5 % des cas. Les conséquences à plus long
terme de ces alcoolisations répétées sont tout aussi dramatiques : même si
elles sont séparées par des intervalles plus ou moins longs et qu’elles
disparaissent quand le jeune, arrivé à l’âge adulte, entre dans la vie
professionnelle, elles laissent des traces cinq à dix ans plus tard ! Pour
beaucoup d’addictologues – et même si le recul manque pour être tout à fait
affirmatif –, ce mode de consommation alcoolique semble faire le lit de la
dépendance à l’alcool. Par ailleurs, des travaux récents suggèrent que le
binge drinking pourrait altérer certains constituants essentiels du cerveau,
les noyaux gris centraux et la substance blanche. C’est dire la gravité de ce
phénomène qui a obligé les pouvoirs publics à réagir. Les campagnes et
actions de prévention visant les jeunes se sont multipliées au cours des
dernières années, à l’image de celle organisée par la Mairie de Paris en
2009 sur le thème « Boire, c’est le cauchemar » ou celle, initiée par le
ministère de la Santé, dénonçant les dangers des soirées bien arrosées dans
des spots télévisuels. Le législateur est également intervenu et a inscrit dans
la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) de 2010, l’interdiction
totale de vendre de l’alcool aux mineurs, l’interdiction des open bars et
l’interdiction d’offrir (gratuitement) de l’alcool à titre promotionnel.
Ces mesures coercitives peuvent-elles être réellement efficaces ? Très
clairement, non ! Un jeune adulte peut facilement acheter de l’alcool et les
étudiants, encore persuadés qu’il ne peut pas exister de soirée festive sans
que l’alcool coule à flot, sont prêts à tout pour contourner la loi. Dans ces
conditions, empêcher le développement du binge drinking est un défi. Il
paraît d’autant plus difficile à relever qu’il se heurte à deux obstacles
majeurs. Le premier tient au fait que les crédits accordés à la prévention
sont loin d’être à la hauteur des enjeux. Le second est une démission des
parents. Ils ne voient pas – ou ne veulent pas voir – les dangers de l’alcool,
estiment que, tout compte fait, boire est une habitude sociétale française,
oubliant que la façon dont boivent leurs enfants en 2011, n’a plus rien à voir
avec leur propre façon de consommer de l’alcool.
On ne peut naturellement pas se résoudre à ne rien faire et certains
n’hésitent pas à se lancer. Au fil des années, malgré toutes les difficultés
rencontrées, l’éducation sanitaire, unique moyen de parvenir à limiter le
binge drinking, a finalement fait son chemin. Les directeurs de quelques
grandes écoles ont proposé, dès 2007, une charte dans laquelle ils
s’engageaient à limiter la consommation alcoolique de leurs élèves. Depuis,
sur leur invitation, d’autres écoles les ont rejoints, mais il reste fort à faire
car ces établissements ne sont pas les seuls concernés. Il faut par
conséquent que, sur le terrain, pendant les fêtes organisées par et pour les
jeunes, des éducateurs spécialisés, des animateurs de prévention, des
bénévoles formés – car toute parole « moralisatrice » irait à l’encontre des
buts recherchés – multiplient les interventions. Il n’y a pas d’autre solution
que d’ouvrir le dialogue avec les jeunes consommateurs pour leur faire
comprendre les dangers qu’ils courent.
11

Femmes enceintes, pourquoi les protéger de


l’alcool ?

LES FEMMES ENCEINTES SOULÈVENT un problème spécifique puisqu’en


buvant, elles font courir des risques au fœtus. L’enfant à naître peut être
atteint de malformations graves qui auront des conséquences sur son
développement psychique et/ou psychomoteur. Cette attention particulière
portée aux femmes enceintes n’est pas nouvelle. Deux versets de l’Ancien
Testament en témoignent : « Et maintenant prends bien garde ; ne prends ni
vin, ni liqueur forte, et ne mange rien d’impur. Car tu deviendras enceinte
[…] », dit à la femme l’Ange de L’Éternel (Juges 13:4 et 13:5).
Il aura pourtant fallu quelques millénaires pour que cette
recommandation trouve un fondement médical et scientifique. En effet,
c’est en 1968 qu’un médecin français a signalé, dans une obscure revue
médicale, que les enfants nés en Bretagne de parents alcooliques
présentaient des malformations particulières, accompagnées de retard
mental. Nul n’est prophète en son pays et c’est sous la dénomination de «
syndrome d’alcoolisation fœtale » (SAF) que la description de ces
malformations nous est revenue d’Outre-Atlantique quelques années plus
tard. En France, ce syndrome touche, à des degrés divers, 7 000 à 8 000
enfants par an (1 % des naissances) et l’on peut affirmer que l’alcool est la
première cause de retard mental non génétique dans notre pays. Par
comparaison, ce taux est sept à huit fois supérieur à la prévalence du
mongolisme (ou trisomie 21) qui s’accompagne d’un important retard
mental congénital. La vulnérabilité du fœtus s’explique par le fait que
l’alcool ingéré par la mère passe intégralement la barrière placentaire. Il est
présent dans le sang fœtal avec une concentration à peu près identique à
celle du sang maternel. L’alcool n’est pas métabolisé par le foie du fœtus et
est ainsi toxique à tous les stades de la grossesse.
Le SAF est une pathologie dramatique et irréversible. Trois signes
permettent un diagnostic quand il est typique : un retard staturo-pondéral,
des malformations cranio-faciales caractéristiques et des troubles
neurocomportementaux dès la première année, associés à une diminution
notable du quotient intellectuel dans 50 % des cas. Le SAF est pourtant une
pathologie évitable à 100 %. Comment ? En tentant de le prévenir. Les
actions menées ne doivent cependant pas se limiter aux seules femmes
alcoolo-dépendantes. Dans notre pays, celles-ci seraient entre 500 000 et
700 000, soit entre un quart et un tiers des 2 millions de personnes ayant un
problème grave avec l’alcool. Toutes les femmes qui sont susceptibles
d’être enceintes – de 17 à 43 ans – doivent être ciblées pour une raison
évidente : on ignore le seuil de toxicité de l’alcool pour le fœtus. La seule
recommandation que l’on peut faire à une femme est de s’abstenir
totalement de boire de l’alcool dès qu’elle se sait enceinte, voire dès qu’elle
veut un enfant.
La deuxième règle à respecter, si l’on veut être efficace, c’est d’aller au-
delà du dialogue singulier entre la femme enceinte et son accoucheur ou sa
sage-femme. Certes, il y a là beaucoup à faire pour plusieurs raisons. En
premier lieu, on peut s’étonner de la retenue du corps soignant à interroger
une femme sur sa consommation (qualitative et quantitative) d’alcool au
quotidien : ce qui est devenu la règle pour la consommation de tabac, n’est
pas pris en compte pour l’alcool. Par ailleurs, malgré le secret de la
consultation, la dénégation des femmes enceintes reste forte : elles avouent
assez facilement le nombre de cigarettes qu’elles fument mais refusent de
dévoiler le nombre de verres qu’elles boivent. On comprend ainsi tout
l’intérêt qu’il y a à organiser des campagnes de prévention, tant au niveau
national qu’au niveau des régions, surtout quand la prévalence du SAF y est
importante (Nord-Pas-de-Calais, Bretagne…). Ces campagnes doivent
atteindre toutes les cibles car il s’agit, d’une part, d’informer ou d’éduquer
le corps soignant (médecins généralistes, gynécologues-obstétriciens, sages-
femmes, infirmiers et infirmières) et, d’autre part, de mettre en garde les
femmes enceintes. Il faut également penser aux enfants victimes de SAF qui
doivent bénéficier, le plus tôt possible, d’une prise en charge psycho-
éducative pour limiter les échecs scolaires, les difficultés à trouver un
emploi, les problèmes de délinquance, les polytoxicomanies…
De leur côté, les alcooliers doivent prendre leurs responsabilités et
respecter l’obligation imposée par le Parlement en 2009 : l’affichage sur
toutes les bouteilles d’alcool d’un pictogramme rappelant aux femmes
enceintes les dangers de l’alcool. Cette mesure, quoique louable, n’est pas
suffisante car le pictogramme, déjà difficile à interpréter, n’est pas
généralisé et lorsqu’il est présent, il est souvent tout petit et donc peu
visible. Le lobby alcoolier a « joué son rôle » et fait en sorte que
l’information soit donnée a minima. Sans doute devra-t-il un jour accepter
un affichage plus efficace comme l’a accepté, avant lui, le lobby des
manufacturiers de tabac.
Parce qu’en règle générale, les femmes sont plus sensibles à l’alcool que
les hommes, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de les protéger,
même contre elles-mêmes. C’est la meilleure façon d’éviter une partie des
problèmes que connaissent les enfants – et plus tard les adolescents puis les
jeunes adultes – victimes de l’alcoolisation de leur mère.
12

Quelle attitude adopter face à l’alcoolo-


dépendance des seniors ?

LA PREMIÈRE DES ADDICTIONS DONT sont victimes les personnes âgées est
l’addiction aux médicaments. Ils en prennent en toutes circonstances, sans
toujours respecter les posologies. Certes, ces médicaments ont souvent pour
premier effet de limiter leur douleur (physique) et leur souffrance
(psychique) ou, du moins, de leur permettre de vivre avec. Mais il s’agit,
dans de nombreux cas, d’un simple réflexe, d’un besoin, d’une sorte de (ré)
assurance. Il est évident que l’entourage et le médecin ont le devoir
d’intervenir. Ils parviennent généralement à leurs fins, même si ce n’est que
provisoirement et qu’ils doivent régulièrement réitérer leur intervention.
Les problèmes que soulève une dépendance à l’alcool sont plus
complexes chez les seniors et pour les professionnels de santé, comme pour
la famille ou les proches, la question est de savoir « pourquoi les priver de
ce petit bonheur, de ce dernier plaisir ? ». La réponse n’est pas simple et
relève de l’état physiologique et psychique de la personne concernée. De
son âge aussi, car il n’est pas certain que l’on doive intervenir de la même
façon selon que le senior a 65, 70 ou 85 ans. De plus, l’addictologue et le
gérontologue, deux spécialistes qui le plus souvent s’ignorent, n’adoptent
pas forcément la même attitude. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’âge, la
tolérance à l’alcool diminue même s’il existe des variations qui peuvent être
importantes d’une personne à l’autre. On constate pourtant que le sujet âgé
semble développer une fragilité particulière qui s’explique par une chute du
métabolisme hépatique. Cela n’a rien d’exceptionnel surtout avec l’avancée
en âge. Cette fragilité s’observe aussi avec la polyconsommation
médicamenteuse, en particulier de psychotropes. On ignore cependant le
moment où le catabolisme du foie décroît au point de ne plus pouvoir
détruire l’alcool. Cela implique que l’on ne peut pas – que l’on ne doit pas –
intervenir avant qu’apparaissent les signes d’alerte, sauf chez les seniors
intempérants de longue date – l’abus d’alcool ne disparaît pas avec l’âge –
ou devenus intempérants plus récemment. Ils sont alors considérés comme
des consommateurs adultes abusifs ou alcoolo-dépendants sans que l’âge
entre en ligne de compte. Les différences que l’on note – mais on manque
d’études épidémiologiques sérieuses centrées sur la consommation
alcoolique des seniors – résident dans le fait que, chez eux, l’ivresse est rare
et le binge drinking exceptionnel, pour ne pas dire accidentel. On observe
également que la consommation d’alcool chez les femmes âgées est en forte
augmentation au point que, compte tenu de leur espérance de vie plus
longue, le rapport habituel un tiers (de femmes) versus deux tiers
(d’hommes) de consommateurs abusifs ou alcoolo-dépendants est en train
de se modifier. On estime encore qu’après 65 ans, 10 % des hospitalisations
sont dues à l’alcool, un pourcentage qui diminue significativement après 75
ans. Enfin, la typologie de la consommation alcoolique chez les seniors est
comparable à celle de la population générale : ils boivent surtout du vin, peu
de bières fortement alcoolisées ou d’alcools forts.
Pour l’alcoologue, le gérontologue ou plus simplement pour le médecin
traitant, la mise en évidence d’un abus ou d’une dépendance à l’alcool chez
une personne âgée est davantage affaire d’appréciation personnelle que
d’appréciation médicale. Le diagnostic est difficile car les symptômes
généralement retenus sont malaisés à interpréter : confusion, troubles de la
mémoire ou repli sur soi, ne sont pas significatifs puisqu’ils peuvent avoir,
chez la personne âgée et très âgée, d’autres causes. De plus, les
questionnaires de dépistage, si utiles chez l’adulte pour suspecter un
mésusage de l’alcool, ne sont toujours pas validés chez le senior.
Une dernière question se pose aux soignants face au senior qui boit.
Pourquoi boit-il ? Pour les mêmes raisons sans doute que tous les autres
adultes. On remarque cependant que certaines personnes âgées jusque-là
abstinentes ont, tout d’un coup, recours à l’alcool. Retraite, ennui, perte des
contacts sociaux ou deuil en sont les principales causes. Une surveillance
est indispensable et pourtant, les professionnels s’accordent à penser que ce
n’est pas là une attitude suicidaire, qu’elle ne s’explique pas par l’approche
de la mort, que ce n’est bien évidemment pas une recherche de prise de
risques comme chez l’adolescent, qu’elle n’est pas due à un état dépressif et
qu’elle ne sert pas non plus à cacher une souffrance psychique. Le mystère
reste entier… On se gardera bien d’intervenir tant que la personne se sent
en bonne santé et qu’elle n’est pas en passe de devenir alcoolo-dépendante.
En pratique, que faire donc devant un senior que l’on soupçonne de trop
boire ? En premier lieu, lui faire comprendre les risques qu’il prend. Plus
que chez l’adulte, l’alcool, même à faibles doses, peut diminuer les
capacités cognitives, faciliter un état confusionnel qui favorise ainsi les
chutes aux conséquences parfois vitales ou les accidents aux conséquences
médicales et sociales graves. Après 65 ans, l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) estime que la consommation d’alcool sans risque ne doit pas
dépasser deux verres par jour pour l’homme et un verre chez la femme. Il
est évident que cette recommandation a un caractère général et qu’un
contexte physiologique ou pathologique dégradé, une atteinte
neuropsychique ou la prise de psychotropes, doivent amener à une
interdiction totale. Il n’en reste pas moins que, quelles que soient les
circonstances, contrôler la consommation d’alcool d’une personne âgée et
très âgée, n’est pas aisé. Si elle réside chez elle, l’entourage proche, les
aides à domicile, les auxiliaires de vie ou les soignants, peuvent avoir une
attitude positive à condition de ne pas nier – et dénier – le problème sous
prétexte qu’« à son âge, elle peut faire ce qu’elle veut et que boire un peu ne
lui fera pas de mal ». Il faut en effet s’inscrire en faux contre cette idée toute
faite qui voudrait qu’on « laisse les vieux boire », comportement qui
masque en réalité une absence de prise de responsabilités. C’est une attitude
que l’on retrouve aussi dans les établissements d’hébergement pour
personnes âgées – les maisons de retraite par exemple – quand la
consommation d’alcool n’y est pas rigoureusement prohibée par le
règlement. La difficulté, c’est qu’interdire complètement n’est pas la
solution. C’est même une atteinte à la liberté individuelle d’autant plus
regrettable qu’elle est souvent à l’origine de conflits entre les résidents et le
personnel. Ce qu’il faut, c’est accompagner. Si l’alcool doit effectivement
être interdit à une personne souffrant de troubles neurodégénératifs quel
qu’en soit le stade, le senior qui a « toute sa tête », quel que soit son âge,
doit seulement être mis en garde contre les risques qu’il prend pour lui et
son entourage s’il en abuse. Le plus souvent, cela l’amène à avoir, en toute
liberté, une attitude positive à l’image de la sagesse qu’il sait manifester
dans bien autres domaines.
13

Boire ou conduire, faut-il encore choisir ?

BOIRE ET CONDUIRE SONT TRÈS clairement deux comportements


parfaitement incompatibles. Il n’y a pas à choisir, pas plus d’ailleurs
qu’entre fumer (du cannabis) et conduire. Il n’y a qu’à consulter les derniers
bilans disponibles de l’Observatoire national interministériel de sécurité
routière (ONISR) pour en être convaincu. En 2009 (ce sont les derniers
chiffres connus), il y a eu en France métropolitaine, plus de 72 000
accidents de la route. Ils ont fait 3 956 morts « sur le coup » et 4 273 dans
les trente jours après l’accident. En matière de sécurité routière, la France,
qui occupait la queue des pays européens, a regagné bien des places dans ce
classement. On peut espérer que la baisse régulière enregistrée depuis
quelques années se poursuive. La nécessité impérative de ne pas baisser la
garde n’est contestée par personne et dans la politique de prévention du
risque routier, la lutte contre une consommation alcoolique excessive doit
être une priorité. D’après l’ONISR, 30 % des personnes tuées en 2009 l’ont
été parce le conducteur du véhicule avait un taux d’alcool égal ou supérieur
au taux légal, fixé à 0,5 g/l de sang ou 0,25 mg par litre d’air expiré. Dans
près de 90 % des cas, l’alcoolémie du conducteur impliqué dans un accident
mortel était même supérieure à 0,8 g/l et, dans un cas sur deux, supérieure à
1,5 g/l. Dans neuf accidents mortels sur dix où l’alcool est en cause, c’est
un homme qui conduit et dans près d’un quart de ces accidents (23 %), c’est
un homme jeune âgé de 18 à 24 ans. Les 25-64 ans représentent, eux, 63 %
des tués. Une analyse plus fine montre que dans 70 % des cas, c’est le
conducteur sous l’emprise de l’alcool qui est tué. Dans 17 %, c’est l’un de
ses passagers et dans environ 10 % des cas, la victime est le passager d’un
autre véhicule quand ce n’est pas un piéton (3 %). D’autres observations
démontrent la nécessité impérative de campagnes de prévention des
accidents de la route, ciblant les conducteurs qui consomment de l’alcool
avant de prendre le volant. Les accidents mortels ne surviennent pas à
n’importe quel moment de la semaine : près d’une personne sur deux est
tuée pendant la nuit et souvent pendant les week-ends ou les jours fériés.
Conséquence : les 18-24 ans paient un très lourd tribut et cela d’autant plus
que la pratique du binge drinking prend de l’ampleur. Une partie au moins
de cette population à risques a, en effet, pris l’habitude de s’alcooliser
massivement et en très peu de temps, sans respecter une règle qui devrait
être absolue : celui qui conduit, ne boit pas. On constate encore, à propos de
l’alcool sur la route, qu’un cyclomotoriste sur trois impliqué dans un
accident mortel présente une alcoolémie supérieure au taux légal. En
revanche, les conducteurs de poids lourds impliqués dans un accident
mortel ne sont que très rarement sous l’emprise de l’alcool. Quant aux
conducteurs de transports en commun – malgré la médiatisation de quelques
cas d’alcoolémie spectaculaire, en particulier chez les conducteurs de
transports scolaires –, ils ne transgressent qu’exceptionnellement la loi qui,
depuis 2004, fixe leur taux maximum d’alcool autorisé à 0,2 g/l. De
manière générale, ils respectent également les règlements intérieurs des
entreprises publiques comme la RATP, ou des entreprises privées qui ont
instauré le « zéro alcool au volant ». Il est à noter que, depuis le 1er janvier
2010, tous les autocars nouvellement immatriculés et servant au transport
d’enfants, doivent être pourvus d’un éthylomètre antidémarrage et que cette
mesure sera généralisée à tous les autocars d’ici 2015.
Dans l’absolu, si aucun des conducteurs présumés responsables d’un
accident mortel n’avait consommé d’alcool de façon excessive, ce sont plus
de 1 200 vies qui auraient pu être épargnées en 2009. Pour ce qui est de la
mortalité sur la route, l’alcool au volant dépasse ainsi nettement le non-
respect des vitesses maximales autorisées ou la non-régulation de la vitesse
en fonction des circonstances (trafic, météorologie, dégradation de la
chaussée…). Ces conduites à risques seraient la cause de 760 décès, ce qui
est déjà beaucoup ! On comprend dès lors que de très nombreux experts
souhaitent la mise en place de restrictions plus fermes que celle autorisant
jusqu’à 0,5 g d’alcool par litre de sang et plaident pour le « zéro alcool au
volant ». Leurs arguments sont connus et convaincants : il y a les morts,
bien sûr, mais il y a toutes les autres conséquences de l’alcool au volant, en
particulier le coût de la prise en charge, médicale et sociale, des blessés. En
2009 toujours, l’alcool a été à l’origine de plus de 6 000 accidents
corporels. Si l’on ne possède aucun chiffrage précis du coût économique de
l’alcoolisme au volant, on a calculé que l’insécurité routière a globalement
coûté au pays près de 24 milliards d’euros.
Que faire pour prévenir le risque routier ? En premier lieu, sensibiliser les
populations les plus fragiles et d’abord les 18-24 ans. C’est la mission de la
Sécurité routière qui multiplie les campagnes d’information à la radio et à la
télévision. Cette délégation interministérielle publie également de
nombreux documents pédagogiques. Disponibles sur son site Internet
(www.securite-routiere.equipement.gouv.fr ou
www.securiteroutiere.gouv.fr), ils sont aussi distribués à la sortie des
collèges, des lycées ou des établissements de nuit. Ils mettent, par exemple,
l’accent sur les effets de l’alcool : les premières perturbations peuvent être
constatées dès le premier verre et il faut au moins une heure pour que la
concentration d’alcool dans le sang diminue. Contrairement à une idée
reçue, il n’y a aucun moyen d’accélérer cette baisse. Dès 0,5 g/l
d’alcoolémie, les risques deviennent réels. En effet, la vigilance et la
résistance à la fatigue diminuent, ce qui accroît le risque d’endormissement.
Le champ visuel est modifié parce que la perception du relief et des
distances est moins bonne et la coordination des mouvements perturbée. La
Sécurité routière insiste sur les effets désinhibants de l’alcool et ses
conséquences : le conducteur sous-évalue les risques et surestime ses
capacités, multipliant ainsi par dix le risque d’accident mortel.
Au côté de la Sécurité routière, le mouvement associatif joue aussi un
rôle essentiel. Qu’il s’agisse d’associations néphalistes ou d’autres comme
l’Anpaa, elles délèguent sur le terrain leurs animateurs de prévention dans
les endroits festifs, les soirées organisées par les écoles de commerce ou les
grandes écoles, les bars à la mode. Des bénévoles – souvent des parents
d’élèves – les accompagnent, pour encadrer le jeune qui ne boira pas
pendant la soirée, souvent une jeune fille, et pourra ainsi reconduire ses
amis en toute sécurité. Elles souhaitent également former le personnel des
établissements de nuit, les barmans en particulier, pour qu’ils apprennent à
dissuader le consommateur excessif de reprendre le volant. Elles participent
encore à la mise à disposition d’éthylomètres pour que les personnes
puissent s’auto-évaluer avant de prendre la route. Parmi les préventeurs
enfin, il y a également les auto-écoles dont quelques-unes imposent à leurs
élèves un test généralement très instructif : ils les équipent de lunettes
reproduisant les effets d’une alcoolémie élevée (1 g/l) et leur demandent de
parcourir à pied un circuit défini au sol par des cônes.
Mais peut-on se résoudre à une politique qui ne serait que préventive ?
En effet, ce n’est pas en multipliant les tests de dépistage de l’alcoolémie au
volant (les forces de l’ordre en font plusieurs millions par an) que l’on
empêchera la récidive. Les pouvoirs publics ont donc aussi mis en place des
politiques répressives dont il est cependant difficile de mesurer l’efficacité.
Les tribunaux n’en sont pas moins, d’année en année, de plus en plus
intraitables avec ceux qui conduisent sous l’emprise de l’alcool. Ils
n’hésitent pas à les sanctionner sévèrement ce qui n’empêche pas, hélas, les
récidives. Pourtant, les tribunaux assortissent les contraventions, la perte de
points ou la suspension du permis de conduire, voire les peines de prison,
d’une obligation de soins. Ils exigent de la personne qu’ils condamnent,
qu’elle demande à être prise en charge par un addictologue ou dans un
centre médico-psycho-social spécialisé en alcoologie. De plus en plus
souvent, les juges ordonnent, notamment aux personnes considérées comme
alcoolo-dépendantes en état de récidive, qu’elles équipent leur véhicule
d’un éthylomètre antidémarrage.
Une question n’est toujours pas tranchée en France où les groupes de
pression du monde alcoolier et viticole ont une puissance certaine : doit-on
abaisser le taux légal de l’alcoolémie à 0,2 g/l, voire à 0 g/l, comme l’ont
fait certains pays européens ? Cette mesure difficile, sinon impossible, à
prendre – elle nécessite un vote des députés et des sénateurs dont beaucoup
sont les élus de départements dans lesquels la vigne est source d’emplois et
de richesses – est toujours à l’étude et risque bien de le rester encore
longtemps.
14

Le baclofène, un médicament miracle contre


l’alcoolisme ?

TOUT A COMMENCÉ EN 2008 AVEC la publication du livre d’Olivier


Ameisen (Le dernier verre, Denoël, Paris), un médecin alcoolo-dépendant
qui raconte sa propre histoire et sa guérison. À le lire, on apprend qu’il a
tout essayé : la fréquentation régulière des réunions organisées par les
Alcooliques anonymes, plusieurs cures de désintoxication, la prise répétée
d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, la consultation chez un addictologue
spécialisé en thérapie comportementale et cognitive dans l’espoir de
diminuer sa consommation puis de supprimer les situations émotionnelles
qui le poussaient à boire. Il a même essayé le disulfirame, l’ancêtre des
molécules anti-alcool, aujourd’hui peu utilisé à cause de ses effets
indésirables. Un jour, le Dr Ameisen est tombé par hasard, sur un article
publié dans le New YorkTimes, racontant comment une addictologue
américaine a permis à l’un de ses patients cocaïnomane de réduire sa
consommation en lui prescrivant du baclofène pour le soulager de ses
spasmes musculaires. Il a alors décidé de suivre la même voie et relate en
détail dans son livre, son parcours, de son automédication à sa guérison
définitive. Le Dr Ameisen y explique également les difficultés qu’il a
rencontrées et rencontre encore à faire admettre que le baclofène peut
prévenir les rechutes des personnes alcoolo-dépendantes. Peut-on pour
autant parler d’un remède, d’un médicament miracle dans cette indication ?
La question est posée, la réponse loin d’être évidente.
Le baclofène est un médicament que les neurologues utilisent depuis sa
mise sur le marché en 1974 pour lutter contre les contractions musculaires
survenant au cours de certaines maladies de la moelle épinière et du
cerveau. Bien toléré aux doses prescrites par ces praticiens, il n’a que de
rares effets indésirables. Son mode d’action est connu : le baclofène est une
molécule dont la structure est analogue à celle de l’acide-gamma-
aminobutyrique (Gaba), l’un des principaux neurotransmetteurs inhibiteurs
du cerveau. Il intervient par l’intermédiaire d’un récepteur spécifique situé
sur les cellules nerveuses dans de nombreux processus physiologiques,
comme dans l’inhibition des dérèglements neuronaux secondaires à la peur,
l’angoisse ou l’anxiété. Le baclofène a ainsi une double action :
antispasmodique d’une part, anxiolytique d’autre part. Ce second effet a été,
jusqu’à présent, plutôt négligé même si quelques études expérimentales,
faites avec des rongeurs rendus alcoolo-dépendants, ont montré que cette
molécule diminue, chez eux, l’anxiété et les autres signes du sevrage
alcoolique. Pourquoi n’en serait-il pas de même chez l’homme – ou la
femme – alcoolo-dépendant(e) ? Les études conduites dans ce domaine ne
permettent pas de conclure définitivement en ce sens. Il faut dire qu’elles
n’ont porté que sur un très petit nombre de patients et que les doses
prescrites par les addictologues, identiques à celles données en neurologie,
ne sont peut-être pas appropriées, comme semble le montrer l’expérience in
vivo du Dr Ameisen.
Après s’être assuré de l’innocuité du baclofène à fortes doses, celui-ci
décide d’en prendre, progressivement et sur une longue période, des doses
quotidiennes de plus en plus élevées. Arrivé à six fois la dose prescrite par
les neurologues, il constate que son anxiété et son envie de boire sont
réduites. En revanche, le craving, cette envie compulsive de consommer, ne
cède pas. Il continue à augmenter les doses. Quand elles atteignent neuf fois
la dose utilisée en neurologie, il faut encore quelques semaines pour que
disparaisse toute envie de boire. L’apparition de quelques effets secondaires
(somnolence, fatigabilité…) l’amène à diminuer sa dose quotidienne de
médicament et à rechercher un seuil minimal d’action. Il le trouve : une
dose quatre fois supérieure à la dose recommandée en neurologie le met à
l’abri de toute rechute. Le Dr Ameisen, avec un recul de plus de trois ans, se
bat pour qu’on reconnaisse au baclofène une place majeure dans le
traitement de l’alcoolisme, pour qu’il devienne même une arme
thérapeutique de choix dans le traitement des 2 millions de personnes
alcoolo-dépendantes que compte la France.
Ce combat est loin d’être gagné et l’on peut se demander pourquoi. La
première raison est sans doute financière : l’industrie pharmaceutique est
peu encline à investir massivement dans cette molécule qui n’est plus
protégée par un brevet et qui pourrait être fabriquée par de nombreux
laboratoires comme médicament générique. Ensuite, il faudrait que des
études cliniques soient menées pour que ce médicament obtienne une
autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de
l’alcoolisme alors qu’il n’a, officiellement, des indications qu’en
neurologie. De telles études coûteraient cher et ni les laboratoires, ni les
pouvoirs publics ne semblaient prêts, jusqu’ici, à assumer ces dépenses. Il
existe par ailleurs deux autres molécules sur le marché du traitement de
l’alcoolo-dépendance et les laboratoires qui les commercialisent sont
d’autant moins disposés à voir arriver le baclofène dans les pharmacies que
les deux produits existants sont toujours protégés par des brevets. Pourtant,
l’acamprosate, qui réduit l’hyperexcitabilité due à la consommation
alcoolique, n’a qu’une efficacité toute relative puisqu’il a été largement
démontré qu’avec ce médicament, le taux d’abstinence après sevrage n’était
que de 50 % environ. L’autre molécule, la naltrexone, qui bloque le circuit
neuronal de la « récompense », a une efficacité sur le taux d’abstinence
encore plus limitée : après sevrage, elle ne dépasse pas 20 %. De plus, ces
deux médicaments, essayés d’ailleurs sans succès par le Dr Ameisen,
peuvent s’accompagner d’effets indésirables rendant par moment difficile la
poursuite du traitement et obligeant finalement à son arrêt.
La deuxième raison qui explique les obstacles rencontrés pour imposer le
baclofène dans le traitement de l’alcoolisme, est scientifique : si le
baclofène à haute dose peut entraîner une diminution ou une suppression
totale de l’envie de boire (jusqu’à 92 % dans certaines études), on manque
encore d’études médicales faites selon les « règles de l’art ». Il s’agirait de
réunir un nombre statistiquement suffisant d’usagers alcoolo-dépendants de
même sexe et d’âge voisin, ayant un profil d’intoxication proche, de les
diviser au hasard en deux groupes, l’un recevant du baclofène à hautes
doses, l’autre un placebo, et d’assurer un suivi régulier des usagers à 3, 6 et
12 mois.
Malgré le nombre d’alcoolo-dépendants, aucune étude aussi rigoureuse
n’a encore été entreprise ni en France, ni dans aucun autre pays gros
consommateur d’alcool. Cela explique la position de l’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) qui, en janvier 2011, a
estimé ne pas pouvoir recommander l’utilisation du baclofène dans
l’alcoolisme. Elle justifie sa décision par l’absence de résultats
scientifiquement probants, tant sous l’angle de l’efficacité que sous celui de
l’innocuité. Certes, le baclofène peut être prescrit – et à hautes doses – par
les médecins dans le traitement de l’alcoolo-dépendance, mais ils le font
alors hors AMM, ce qui veut dire sous leur propre responsabilité et sans que
leurs patients puissent, en théorie, être remboursés par l’Assurance-maladie.
De singulières restrictions qui ne seront levées que le jour où une AMM
sera délivrée. Et ce jour n’est peut-être plus lointain. En effet, les choses
évoluent : une étude conduite par Philippe Jaury, Professeur associé en
médecine générale à l’Université Paris-Descartes, addictologue, sera
finalement lancée fin 2011. Menée dans le cadre d’un Programme
hospitalier de recherche clinique (PHRC), financée sur fonds publics, cette
évaluation du baclofène doit durer un an et être réalisée en double aveugle
et en ambulatoire, auprès de trois cents patients répartis sur huit centres en
France. Il était temps car le nombre de prescripteurs augmente et les mises
en garde de la Société française d’alcoologie – qui regroupe la très grande
majorité des addictologues spécialisés –, ainsi que celles de l’une des
principales associations antialcooliques, l’Association nationale de
prévention en alcoologie et en addictologie (Anpaa), n’y font rien.
Il faut dire que les praticiens semblent vouloir assumer les risques qu’ils
prennent parce que leurs patients sont les premiers bénéficiaires d’une
prescription hors AMM. Ils en témoignent sur au moins deux sites dédiés au
baclofène (www.alcool-et-baclofene.fr et www.drogues-et-baclofene.com).
Ces témoignages ne peuvent cependant pas être considérés comme
l’équivalent d’études cliniques et le baclofène reste pour l’instant une
molécule suspecte aux yeux des autorités de sécurité sanitaire. En autorisant
l’évaluation du Professeur Jaury, elles prennent enfin leurs responsabilités :
soit le baclofène recevra une AMM dans le traitement de la maladie
alcoolique, soit il sera totalement interdit dans cette indication sur des
fondements scientifiques irréfutables.
15

Fumer tue-t-il toujours autant ?

QUINZE MILLIONS DE FUMEURS occasionnels ou « gros » fumeurs, plus de


60 000 morts par an en France, tels sont les chiffres « bruts » du tabagisme.
La tendance est, hélas, à la hausse malgré toutes les mesures prises. Le
tabac reste ainsi un redoutable tueur et le tabagisme est, de loin, l’addiction
la plus dangereuse en matière de santé publique. Il faut dire qu’informations
et messages sont d’autant plus compliqués à délivrer aux fumeurs que,
contrairement à l’alcool, on ne connaît pas le seuil à partir duquel il est
dangereux de fumer. Ce qui compte, ce n’est pas tant le nombre de
cigarettes qu’on fume chaque jour, c’est la durée de consommation.
Doubler sa dose de tabac double le risque pour la santé, mais doubler son
temps de consommation multiplie ce risque par vingt ! Il est par conséquent
illusoire de distinguer les « petits » des « gros » fumeurs. Ce qu’il faut, dans
l’absolu, c’est convaincre le plus grand nombre que le risque encouru est si
important qu’il faut renoncer au plaisir de fumer.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on s’éloigne de cet objectif : la
consommation de tabac a certes diminué entre 2003 et 2005, mais elle est
repartie à la hausse depuis 2007. En France, une personne sur trois âgée de
15 à 75 ans fume, une prévalence largement supérieure à celle observée
dans d’autres nations industrialisées européennes ou extra-européennes.
Plus de 90 % des fumeurs fument tous les jours et 69 % consomment au
moins dix cigarettes par jour (chiffres 2010). Près de la moitié de ces
fumeurs réguliers sont dépendants de la cigarette : ils présentent des signes
de manque quand ils n’arrivent pas à s’en procurer.
Trois populations sont spécialement touchées par l’augmentation de la
consommation tabagique : les jeunes, les femmes et les chômeurs. On
commence à fumer au collège, dès l’âge de 12 ans : la prévalence tabagique
entre 12 et 14 ans est de 10 % et atteint 40 % entre 15 et 19 ans. Plus de la
moitié des 20-25 ans fume régulièrement. Contrairement aux hommes, pour
lesquels la consommation de tabac reste globalement stable, voire a
tendance à baisser, on assiste à une véritable envolée chez les femmes :
alors que dans les années 1980, il n’y avait que 10 à 12 % de femmes qui
fumaient, elles sont, en 2010, 27 %. Cette augmentation se remarque à
presque tous les âges, chez les femmes de 18 à 24 ans comme chez celles de
45 à 64 ans. On note toutefois une exception : autour de la trentaine, le désir
ou la survenue d’une grossesse et/ou la présence d’enfants en bas âge à la
maison, sont des freins, hélas momentanés, au tabagisme. Enfin, un rapport
récent de l’Inpes signale une forte augmentation de la consommation
tabagique chez les chômeurs.
Les conséquences du tabagisme sont connues. En France, il est la cause
de 60 000 décès, soit 11 % de la mortalité totale en France en 2010. Plus de
la moitié de ces morts « prématurées » est due à un cancer, celui du poumon
en tête, en cause dans 29 000 des 37 000 morts par cancer. Un cinquième
des cancers détectés dans notre pays est effectivement un cancer du poumon
et 90 % des cancers broncho-pulmonaires sont directement en rapport avec
une consommation prolongée de tabac ! Et que constate-t-on encore ? Que
le cancer du poumon a substantiellement augmenté chez la femme au point
d’être, en 2010, la deuxième cause de cancer après celui du sein. Les
experts estiment que si cette tendance se maintient, entre 2020 et 2025, la
mortalité féminine par cancer du poumon dépassera celle par cancer du
sein, ce qui est déjà une réalité aux États-Unis depuis plusieurs années. On
mesure, avec ces chiffres, l’impact catastrophique de l’addiction au tabac
sur la santé surtout si l’on ajoute que le tabac est aussi mis en cause dans
l’apparition d’autres cancers que celui du poumon : voies aéro-digestives
supérieures, colon et, chez la femme, sein, utérus ou ovaire. Il ne faut pas
passer sous silence que le tabac est encore à l’origine de bien d’autres
pathologies : des infections respiratoires à répétition qui font le lit des
broncho-pneumopathies chroniques obstructives et des obturations
artérielles, causes d’accidents vasculaires graves comme l’infarctus du
myocarde ou l’hémiplégie. Le tabagisme, c’est aussi des troubles de la
sexualité et de la fertilité aussi bien chez l’homme que chez la femme, la
mise en danger de l’enfant à naître – et de la mère – au cours de la
grossesse… Oui, fumer nuit gravement à la santé ainsi qu’on peut le lire en
épais caractères noirs sur les paquets de cigarettes ou les boîtes de cigares,
au point que l’espérance de vie du fumeur est significativement diminuée :
en moyenne, un fumeur régulier sur deux meurt prématurément. La moitié
des décès survient entre 35 et 69 ans alors qu’en France, l’espérance de vie
est de 78 ans pour l’homme et 85 ans pour la femme.
Depuis trente-cinq ans pourtant, les pouvoirs publics ne sont pas restés
sans réagir. Les mesures répressives et préventives se sont multipliées. En
1976, le ministre de la Santé, Simone Veil, fait voter une première loi : la «
loi Veil » instaure l’interdiction générale de la publicité pour le tabac,
l’interdiction de distribuer du tabac à titre gratuit, ainsi que l’interdiction du
patronage de manifestations sportives par les producteurs ou les
commerçants de tabac. Elle prévoit aussi des messages sanitaires indiquant
les dangers de l’abus du tabac ainsi qu’une information préventive
dispensée dans les établissements scolaires. Cette loi n’a jamais été
appliquée et il a fallu attendre quinze ans pour qu’une deuxième loi soit
promulguée. La « loi Évin », publiée en janvier 1991, renforce l’interdiction
de toute publicité directe ou indirecte autour du tabac et de ses produits
dérivés, ainsi que tout parrainage d’événements sportifs, de concerts ou de
spectacles. Elle proscrit le tabac dans les établissements d’enseignement
(écoles, collèges, lycées) et impose l’obligation de faire figurer sur les
paquets de cigarettes, la teneur en nicotine, en goudrons, en monoxyde de
carbone ainsi que des avertissements sanitaires parfaitement lisibles par la
taille de leurs caractères. En 2005, l’interdiction s’étend aux avions et aux
aéroports, puis aux trains et aux gares. Un an plus tard, un décret étend
l’interdiction de fumer aux lieux affectés à un usage collectif et, depuis le
1er janvier 2008, le tabac est interdit dans les bars, restaurants, hôtels ou
discothèques. L’enquête ITC (International Tobacco Control) de la «
Convention cadre pour la lutte contre le tabac » de l’OMS, ratifiée par la
France en 2004, a révélé qu’en 2009, une grande majorité des fumeurs et,
évidemment, tous les non-fumeurs, étaient favorables à ces interdictions
dont l’objectif premier est de protéger les personnes de l’exposition passive
à la fumée de cigarettes. On sait en effet, depuis longtemps déjà, que le
tabagisme passif augmente de façon significative le risque de mortalité par
cancer broncho-pulmonaire. La dernière des mesures prises date de 2010 :
un article de la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) interdit la
vente de tabac aux moins de 16 ans (contre 18 auparavant).
Parallèlement à toutes ces mesures législatives, les pouvoirs publics ont
encouragé la création d’associations anti-tabac. Elles sont une trentaine,
regroupées au sein d’Alliance contre le tabac qui coordonne le lobbying
anti-tabac en France. Chaque association mène sa propre politique, mais
toutes veillent à ce qu’aucune publicité détournée ne soit faite pour le tabac.
Elles peuvent poursuivre en justice les producteurs de tabac contrevenant à
la loi et n’hésitent plus à le faire. Elles ont réclamé – et obtenu – l’affichage
sur les paquets de cigarettes d’images « choc » montrant les ravages du
tabac sur l’organisme et luttent pour supprimer le « packaging » afin
d’améliorer la visibilité des avertissements sanitaires qui y sont inscrits.
Il n’en reste pas moins que l’ensemble des mesures prises ne se révèle
pas toujours efficace sur le long terme et que fumer doit être considéré
comme une addiction grave. Les fumeurs doivent être non seulement
encouragés, mais également aidés à arrêter : ils peuvent, pour cela, se
rendre dans l’une des 700 consultations anti-tabagiques qui existent
aujourd’hui en France. Des campagnes nationales et régionales sont
régulièrement lancées et l’Inpes a mis en place un numéro de téléphone
dédié (Tabac info service : 39 89) ainsi qu’un site Internet : www.tabac-
info-service.fr.
Mais n’y a-t-il pas d’autre façon, plus radicale, de réduire le nombre de
fumeurs ? De nombreux experts estiment qu’il est possible d’y parvenir en
augmentant le prix des cigarettes. Les pouvoirs publics s’y sont d’ailleurs
résolus en 2003 et la consommation de tabac a diminué… pour remonter
ensuite. Une nouvelle hausse des tarifs a été décrétée par le gouvernement
en 2010. Aura-t-elle les mêmes résultats ? L’avenir le dira, mais le contexte
est plus difficile sept ans après : les manufacturiers ont réduit leurs marges
commerciales annulant en partie l’augmentation du paquet de cigarettes. En
outre, le trafic illégal s’est singulièrement développé et les politiques
menées dans quelques pays voisins, l’Espagne en particulier, dans lesquels
les prix déjà très concurrentiels ont encore été abaissés par les
manufacturiers en avril 2011, sont autant de possibilités, pour les fumeurs,
de contourner les décisions prises.
16

Arrêter de fumer, qui croire, que faire ?

PLUS DE LA MOITIÉ DES FUMEURS sont dépendants au tabac. Cette addiction


touche par conséquent, en France du moins, un bien plus grand nombre de
personnes que les addictions à l’alcool ou à l’héroïne. C’est cependant une
addiction particulière qui comporte, d’une part, une véritable dépendance à
la nicotine, l’un des constituants les plus nocifs du tabac et, d’autre part, une
« dépendance comportementale » liée au fait de fumer. Le fumeur ne
consomme pas – pas toujours en tous les cas – à la recherche d’un certain
plaisir : il allume sa première cigarette au lever et machinalement, presque
automatiquement, passe d’une cigarette à l’autre. Comment le fumeur
excessif – et plus généralement tous les fumeurs, puisque nous savons que
le tabac est toujours nocif pour le consommateur et souvent aussi pour son
entourage – peut-il faire face à cette addiction, lutter contre cette double
dépendance ?
La presse et les sites Internet abondent de conseils « gratuits ». Ils
proposent d’« arrêter de fumer en sept jours grâce à l’hypnose»,de «cesser
de fumer avec l’acupuncture », d’avoir recours à « l’auriculothérapie, le
moyen efficace pour arrêter de fumer ». Qui croire ? Comment le fumeur
qui veut tenter d’arrêter peut-il s’y retrouver ? Probablement pas en
répondant à ce genre de sollicitations dont aucune n’a jamais démontré son
utilité, à défaut d’une efficacité réelle, dans le traitement de l’addiction au
tabac. Et la cigarette électronique (ou e-cigarette) mise, depuis 2005, à la
disposition des fumeurs souhaitant s’arrêter et qui n’a cessé de se
perfectionner depuis, n’échappe pas à la règle ! Tout juste est-elle moins
nocive, moins cancérigène. Elle ne saurait être considérée comme une
solution idéale dans le sevrage tabagique. Aucune étude scientifique
objective n’a, en effet, encore démontré son intérêt dans la lutte contre le
tabagisme. Certes, il est parfois possible d’arrêter de fumer immédiatement,
mais les résultats à long terme ne sont pas probants. Il est en réalité difficile
d’éviter la récidive et de résoudre les problèmes de dépendance sans un
facteur, le seul réellement efficace : la motivation personnelle.
L’addict au tabac, quand il a essayé de façon répétée et sans succès, tous
les moyens conseillés par son entourage familial et par ses amis, n’a pas
d’autre alternative : sans une volonté de fer, il n’a que très peu de chances
d’arriver à ses fins. Il ne lui sert à rien d’aller d’une consultation de
tabacologie à l’autre, de prendre, souvent de façon incontrôlée, des
substituts nicotiniques aujourd’hui en vente libre et parfois remboursés,
dans le cadre des contrats d’assurance santé complémentaire. Ces échecs à
répétition s’expliquent : fumer n’a, pendant longtemps – plusieurs dizaines
d’années quelquefois – aucun retentissement majeur sur la santé du fumeur.
Pour qu’il comprenne les risques qu’il coure, il faut une première alerte ou
une véritable prise de conscience qui, peut-être, n’aura jamais lieu.
L’intervention d’un spécialiste n’a de chance d’aboutir que si le fumeur
décide d’aller consulter de lui-même, quelles que soient les motivations et
les circonstances de sa démarche : la peur (de tomber malade, de faire un
infarctus), la pression familiale, une grossesse, l’interdiction de fumer sur le
lieu de travail, dans les lieux publics, voire l’augmentation du prix du tabac.
Il est alors possible de lui faire « toucher du doigt » les dangers du
tabagisme et de l’accompagner dans sa volonté d’arrêter de fumer. On peut
espérer qu’il le fasse brutalement, du jour au lendemain, mais il est
généralement plus facile de lui demander, dans un premier temps, de
modifier son attitude envers la cigarette, de diminuer sa consommation
quotidienne. Il est important, lorsque cette dernière stratégie thérapeutique
est retenue, de sensibiliser le fumeur à sa dépendance à la nicotine. Le
tabacologue peut, pour cela, avoir recours à différents tests, comme le test
de Fagerström dont il existe des variantes pour les adolescents. Ce sont
cependant quelques interrogations simples qui permettent d’objectiver
quantitativement la dépendance à la nicotine et, dans le même temps, de
s’assurer qu’il n’y a aucune dépendance associée : l’arrêt du tabac peut en
effet aggraver sensiblement une addiction à l’alcool, au cannabis, aux
opiacés ou aux jeux.
Le simple fait de faire comprendre à un fumeur les dangers de la
cigarette, peut aboutir à l’arrêt de l’intoxication tabagique sans que le
médecin consulté ait à lui prescrire des médicaments. Pourtant, dans la
plupart des cas, un accompagnement médical et psychologique se révèle
indispensable et c’est pourquoi il n’est pas rare que la consultation du
spécialiste se termine par une ordonnance. Deux familles de médicaments
peuvent aider le fumeur : les substituts nicotiniques d’une part, des
molécules agissant sur la dépendance au tabac d’autre part. Les premiers
apportent au fumeur une quantité suffisante de nicotine par compensation.
Ils réduisent ainsi les signes cliniques du manque : irritabilité, agressivité,
anxiété, agitation, recherche pulsionnelle d’une cigarette (ou d’un buraliste
ouvert quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit), difficulté de
concentration, augmentation de l’appétit. Cette dernière conséquence,
facteur d’une prise de poids, est l’obsession des fumeurs et, plus
particulièrement, celle des fumeuses. Les substituts nicotiniques sont soit
absorbables par la peau (timbres ou patchs nicotiniques à renouveler tous
les jours), soit pris oralement (gommes à mâcher, comprimés à sucer
consommés à la demande plusieurs fois par jour et chaque fois que le
besoin de fumer se fait sentir), soit encore, pour certains, inhalés. Ils se
rapprochent alors de l’e-cigarette à cette différence près – et essentielle –
qu’ils ont de véritables effets. Le traitement doit être poursuivi pendant
plusieurs semaines, voire des mois. Pour parer à toute éventualité de
surdosage ou de sous-dosage, le fumeur est suivi régulièrement et même
chaque semaine, du moins au début. Globalement, les substituts
nicotiniques sont bien supportés quelle que soit la voie d’administration, et
comme aucun effet tératogène ou fœto-toxique ne leur a été attribué, ils
peuvent être utilisés pendant la grossesse.
Pour lutter contre la dépendance au tabac, les médecins peuvent, en
dehors ou en association avec des substituts nicotiniques, proposer du
bupropion au fumeur. Il s’agit d’un antidépresseur dont le maniement n’est
pas facile, mais qui semble bien augmenter l’abstinence. Toutefois, il n’est
pas dépourvu d’effets secondaires indésirables. Les spécialistes ont aussi à
leur disposition la varénicline qui, lorsqu’elle a été introduite sur le marché,
a suscité l’enthousiasme des tabacologues et des fumeurs. Cette molécule se
fixe spécifiquement sur le récepteur cérébral de la nicotine. Son effet anti-
tabac s’explique par une affinité avec ce récepteur plus grande que celle de
la nicotine apportée par la fumée de la cigarette. La varénicline diminue
aussi la sensation de manque car elle a un effet nicotino-mimétique.
Certains spécialistes ont parlé à son propos de médicament « intelligent ».
Malheureusement, bien qu’elle paraisse plus efficace en termes
d’abstinence au tabac que le bupropion et les substituts nicotiniques,
l’importance de ses effets secondaires (nausées, insomnies, cauchemars,
modifications de l’humeur, modifications inhabituelles des
comportements…) en limite l’usage. Plus grave encore, on a également
observé des cas de dépression, des tendances au suicide et l’on comprend
dès lors qu’un institut américain indépendant ait demandé un encadrement
très strict de sa prescription.
Les substances médicamenteuses ne sont pas la panacée et si elles ont
une quelconque utilité, il est important d’adapter la stratégie thérapeutique
mise en place et de conforter, de renforcer psychologiquement la volonté du
fumeur de devenir abstinent. Il est possible de lui faire refaire le test de
Fageström pour objectiver ses progrès, mais rien ne remplace le dialogue en
face à face : c’est en l’interrogeant sur son vécu quotidien (nombre de
cigarettes encore fumées, nombre de substituts consommés…), en discutant
avec lui des avantages et des inconvénients d’arrêter de fumer, que le
tabacologue peut le mieux se rendre compte des changements graduels qui
signalent une évolution bénéfique pour son patient. Les risques de rechute
sont néanmoins toujours présents. Aussi, pour obtenir des modifications
définitives du comportement, ce qui peut prendre des mois, voire des
années, est-il souvent souhaitable de proposer aux fumeurs – ou à ceux qui
viennent tout juste d’arrêter – une thérapie cognitivo-comportementale ou
une psychothérapie, et pourquoi pas une analyse. Elles leur permettront
d’approfondir leur(s) problème(s) et de s’adapter aux situations
psychosociales qu’ils rencontrent, à condition qu’ils soient impliqués dans
leur traitement et qu’ils retrouvent une indispensable « confiance en soi ».
17

Le cannabis est-il aussi dangereux qu’on le dit ?

LORSQUE L’ON PARLE DE CANNAbis, les esprits s’échauffent. On sait les


polémiques qui peuvent opposer adversaires et partisans de sa libéralisation,
de sa mise en vente libre, même sous contrôle. D’un côté comme de l’autre,
on avance que « c’est la seule façon de préserver la paix civile ». Il est vrai
que dans les territoires les plus exposés, la guerre des trafiquants met en
danger la sécurité des populations et que les forces locales de l’ordre n’ont
pas les moyens nécessaires pour faire face. Stéphane Gatignon, maire de
Sevran (Seine-Saint-Denis) n’est pas le premier – et ne sera pas le dernier –
élu à appeler à sortir de la prohibition. Dans son livre Pour en finir avec les
dealers (Grasset, avril 2011), coécrit avec le policier Serge Supersac, il s’en
explique longuement. Selon lui, la France a dans ce domaine, « la
législation la plus répressive d’Europe » et sa ville, Sevran, est devenue «
un supermarché de la drogue ». Il le répète à l’envi : la seule manière de
s’en sortir, c’est de dépénaliser l’usage du cannabis, de mettre en place «
une politique de santé publique » à l’image de ce qui existe pour l’alcool et
de s’occuper des « petits dealers » qui ne doivent pas être « jetés en prison
», mais pour qui il faut trouver un vrai « boulot ».
Au-delà de ce problème de sécurité publique qui ferait répondre
positivement à la question sur la dangerosité du cannabis, il faut regarder de
très près les problèmes de santé publique qui se posent aux quelque 4
millions de consommateurs (dont de très nombreux jeunes) de chanvre
indien, de marijuana, de shit ou de haschich (le « h »). Le premier des
risques est comparable à celui encouru par les fumeurs puisque le « h » est
essentiellement fumé. Des études récentes ont montré que ces
consommateurs peuvent, plus tôt que d’autres, être atteints d’un cancer du
poumon. Avec cependant une difficulté majeure pour que ce résultat puisse
être considéré comme rigoureusement scientifique : être en mesure de
distinguer ce qui « fait la différence » entre un consommateur excessif de
tabac et un consommateur de cannabis car, habituellement, les personnes
interrogées et vues en consultation sont les deux à la fois. Très souvent, en
outre, les cigarettes roulées – les joints – contiennent les deux. Ce qui est
certain en revanche, c’est que la fumée de cannabis est plus cancérigène et,
par conséquent, plus toxique que celle du tabac. Les risques sont ainsi
d’autant plus importants pour les voies aéro-digestives supérieures que cette
fumée y est gardée plus longtemps et qu’elle est inhalée plus profondément.
Ces deux facteurs favorisent les cancers de la gorge et du larynx.
Les fumeurs de haschich courent des dangers bien plus importants que
les fumeurs de tabac. C’est souvent conscients de ces risques « normaux »,
et pour les éviter, que les usagers cherchent à consommer différemment.
Pourtant, qu’il s’agisse de plantes – d’herbe –, de résine ou d’huile, qu’il
soit consommé sous forme de space cake, en infusion ou au moyen d’une
pipe à eau, le « produit » a une action psychotrope. Il contient en effet un
cannabinoïde, le tétrahydrocannabinol, substance psychoactive qui se
concentre dans le cerveau, altère la perception – et d’abord la perception
visuelle – et les sensations. C’est ce qui en fait le danger et est susceptible
d’entraîner un déséquilibre psychologique. Dans les faits, le cannabis
n’endommage pas le cerveau, mais il a des effets non négligeables sur la
concentration, la mémoire ou encore la vigilance et les réflexes. C’est un
produit qui n’est, par conséquent, pas sans risque même lorsqu’il est
consommé occasionnellement. Un usage sur le long terme peut, de son côté,
entraîner des troubles mentaux plus importants allant jusqu’à la psychose
cannabique qui se caractérise par une perturbation profonde de la perception
de la réalité. Cela se traduit par des épisodes hallucinatoires, des idées
délirantes, des symptômes qui sont souvent accompagnés, chez le
consommateur chronique de cannabis, de crises paroxystiques d’anxiété,
d’attaques de panique, voire d’une dépression grave. La seule solution pour
traiter la psychose cannabique et ses conséquences est d’organiser une
hospitalisation, en milieu spécialisé si possible. Cette hospitalisation peut
durer plusieurs semaines, ce qui donne une idée de la gravité des troubles.
La consommation de cannabis peut avoir d’autres conséquences
psychiques : elle peut jouer le rôle de « révélateur » d’une autre maladie
psychiatrique, la schizophrénie. S’il n’y a pas de relation directe et
expliquée scientifiquement entre les deux, on observe néanmoins une
surreprésentation des usagers de cannabis dans la population psychiatrique
en général et dans la population des personnes souffrant de schizophrénie en
particulier.
Cancers, pathologies psychiatriques graves, la consommation de cannabis
a encore des effets sur le système cardiovasculaire. Elle modifie le rythme
cardiaque et peut avoir des conséquences sérieuses pour les personnes
souffrant, par exemple, d’hypertension artérielle. Il faut s’en inquiéter et ne
pas tout mélanger : le cannabis est bien « mauvais pour le cœur », surtout
quand son usage est abusif. Certes, des cannabinoïdes pourraient avoir des
effets bénéfiques pour traiter certaines pathologies cardiovasculaires comme
l’ont montré des études anglo-saxonnes, mais il ne peut évidemment pas
s’agir là d’arguments pour défendre la libéralisation et la dépénalisation de
cette drogue. Peut-on autoriser son utilisation comme médicament dans le
traitement ou la prévention secondaire des maladies cardiovasculaires ? Il
est trop tôt pour se prononcer, mais le cannabis est bien prescrit, dans
certains pays, comme antalgique pour soulager des patients atteints de
maladies graves, voire des personnes en fin de vie, ce qui reste interdit en
France.
S’il faut ajouter à la liste des conséquences négatives sur la santé d’une
consommation occasionnelle ou chronique, il suffit de se rappeler que, dans
toutes les circonstances, elle augmente singulièrement le risque routier. Elle
rend la conduite dangereuse car, sous l’emprise de cette substance
psychoactive, les temps de réaction sont allongés, ce qui peut être
dramatique en cas d’urgence. De même, les trajectoires sont plus difficiles à
contrôler. Cela vaut aussi bien pour une automobile qu’un deux-roues, un
véhicule industriel, un tracteur ou un chariot élévateur. Les effets du
cannabis peuvent, selon les individus et les experts, durer de deux à dix
heures. Ils sont largement potentialisés lorsqu’ils sont conjugués à une
consommation d’alcool. N’est-ce pas là une raison suffisante finalement
pour interdire le cannabis ? Considéré comme un stupéfiant, sa culture, sa
détention – quelle qu’en soit la quantité –, son achat et sa vente sont des
délits qui peuvent amener un juge à prononcer des amendes très lourdes,
voire des peines d’emprisonnement, assorties ou non d’une obligation de
soins. Pour éviter toute dérive, sanitaire d’une part, judiciaire de l’autre, il
existe peut-être une autre voie : prévenir la consommation du cannabis et,
pour cela, développer des consultations « Jeunes consommateurs » comme
celles qui commencent à exister dans les Csapa et qui s’adressent à la
population la plus exposée.
18

Faut-il autoriser les centres d’injection


supervisée ?

LA POLÉMIQUE AVAIT FAIT RAGE LE temps d’un été et le débat est loin d’être
clos en France où les « conservateurs » ont gagné une bataille, mais pas la
guerre. Un temps envisagée expérimentalement, l’ouverture de centres
d’injection supervisée – d’autres experts préfèrent parler de « salles
d’injection », de « structures d’accueil avec possibilité de consommer des
drogues à moindre risque » ou encore de « salles de consommation à
moindre risque » (SCMR) – n’est plus à l’ordre du jour depuis la fin de
l’année 2010. Les arguments des tenants d’une expérimentation n’ont pas
convaincu. Ils sont pourtant simples, clairs. Le premier d’entre eux surtout :
les centres d’injection supervisée n’ont pas pour objectif de traiter les
toxicomanes, mais de réduire les risques qu’ils courent et qu’ils font parfois
courir à la population. Il ne s’agit que de leur éviter d’être victimes plus
avant encore de la drogue ou des drogues qu’ils consomment. Ces centres
n’ont ainsi pas vocation à toucher tous les toxicomanes. Ils ne peuvent
accueillir les consommateurs débutants et les mineurs en sont d’emblée
exclus. Ces centres s’adressent, en priorité, aux jeunes adultes et aux adultes
qui sont les plus en danger, ceux qui, dans une précarité extrême, n’ont que
la rue – au sens large du terme – pour leurs shoots quotidiens. Très
clairement, il ne s’agit pas de « centres de cure de désintoxication », mais
de structures où, grâce à des conditions d’hygiène acceptables, les usagers
peuvent consommer les produits en courant un risque moindre de
septicémie ou d’infection par les virus des hépatites B et C ou du sida. Les
évaluations ne sont pas toutes positives et, de toute façon, aucune étude
sérieuse ne conclut au « zéro risque ». Toutefois, une méta-analyse de
l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) a démontré,
en 2005, que la mise à disposition de centres d’injection supervisée peut
aussi se justifier par une baisse significative des overdoses. Sans doute faut-
il voir là un effet bénéfique de la présence d’un personnel (travailleurs
sociaux, infirmiers, médecins, salariés de l’association qui gère la structure
ou bénévoles) spécialement formé et qui peut intervenir en cas de
problèmes mettant la vie de l’usager en danger (bad trip, surdoses…).
Pour arriver à des résultats significatifs, les règles à respecter sont
aujourd’hui bien connues : le consommateur apporte sa drogue et se voit
proposer une seringue, une pipe à crack, une paille à cocaïne « propre ». Cet
échange est l’occasion de lui rappeler les risques liés à l’usage des
substances psychoactives, voire de lui apporter, s’il le souhaite, une aide
thérapeutique, un soutien psychologique. Même s’il n’est pas possible de
leur proposer un traitement de substitution comme on peut le faire en
d’autres lieux et dans d’autres cadres (les programmes d’héroïne
médicalisée par exemple), ce moment où un dialogue peut s’instaurer, cette
écoute d’un professionnel ou d’un bénévole bien formé, peuvent être
déterminants, surtout pour des personnes très isolées. Ce contact établi, il
devient possible d’orienter, de conseiller le toxicomane, même si ce n’est
pas la vocation première des « salles de consommation ». L’expérience
démontre que l’on peut arriver à des relations de confiance qui débouchent,
à terme, sur la prise de conscience du toxicomane de la nécessité de
consulter dans une autre structure, médicale ou sociale, un médecin, un
chirurgien-dentiste, un psychologue, une assistante sociale, voire un avocat.
Un centre d’injection supervisée n’est pas seulement un lieu d’accueil
pour des toxicomanes. Il remplit également, d’une certaine façon, bien
d’autres rôles et d’abord une mission de sécurité publique. En effet, il
éloigne de la rue – et des regards des populations les plus fragiles, les
enfants en particulier – les toxicomanes et réduit les risques sanitaires que
font courir les seringues jetées sans précaution dans l’espace public. Est-ce
là un argument suffisamment solide dans un pays qui mène une politique
sécuritaire ? On entend en effet souvent évoquer par des élus nationaux ou
locaux que ces centres, tout au contraire, ne peuvent qu’attirer les dealers et
créer de l’insécurité. En 2010, le Gouvernement, malgré l’intérêt manifesté
par le ministre de la Santé pour une expérimentation, y a finalement
renoncé. Certes, l’Inserm a montré dans une publication que les coûts
d’implantation et d’exploitation d’une salle de consommation sont élevés,
mais ce sont d’autres raisons qui ont été avancées. L’implantation de tels
centres irait à l’encontre de la politique menée en France en matière de
toxicomanie. Celle-ci a pour principales lignes directrices, la réduction de la
consommation et du nombre de consommateurs d’une part et, d’autre part,
la lutte contre les trafics de drogues grâce à des mesures qui, ces dernières
années, ont fait leurs preuves. N’y a-t-il pas là non plus un double risque ?
Celui de faciliter non pas l’accès, mais du moins la consommation de
produits illicites et, dans le même temps, de retarder l’accès aux traitements
pouvant faire basculer la personne d’une consommation excessive à une
dépendance. Un autre argument a été avancé au Québec, pays qui a
également rejeté l’ouverture de structures d’accueil avec possibilité de
consommer des drogues à moindre risque : ces structures pourraient donner
l’impression, à un jeune public en particulier, que la consommation de
drogues est « quelque chose de banal », ce qui irait alors à l’encontre de
toutes les campagnes d’information et de prévention faite en ce domaine.
À toutes ces questions qui méritent d’être posées, certaines associations
regroupées au sein du collectif « Salle de consommation à moindre risque »
(www. salledeconsommation.fr) répondent que ce sont là de faux problèmes
ou du moins des idées fausses. Elles estiment, comme on le pense aux Pays-
Bas, en Suisse, en Allemagne, en Espagne, au Luxembourg et, plus loin, en
Australie, en Colombie britannique (Canada) ou en Afghanistan, que
l’ouverture de structures d’accueil avec possibilité de consommer des
drogues à moindre risque constitue une « stratégie pragmatique, pratique et
efficace de réduction des risques ». À cette « plaidoirie », les pouvoirs
publics opposent que les situations dans ces pays étrangers sont cependant
si différentes de celles que nous connaissons en France, qu’il paraît difficile
de tirer des conclusions de leur expérience. N’est-ce pas là, justement, une
raison supplémentaire, voire décisive, de mettre en place une
expérimentation « à la française » ? L’ouverture d’une petite dizaine de
centres sur l’ensemble du territoire ne serait-elle pas la meilleure manière
de s’assurer qu’il y a – ou qu’il n’y a pas, ne préjugeons de rien – une
nouvelle voie à emprunter pour sauver, peut-être, des dizaines de vie et pour
permettre à de (très) nombreux consommateurs de sortir de l’enfer de la
drogue ? Dans le domaine des addictions aussi, les politiques ont des
responsabilités qu’ils doivent assumer. Dans un sens – l’interdiction – ou
dans l’autre – l’ouverture.
19

La lutte contre les drogues illicites est-elle


perdue d’avance ?

PROTÉGER LES POPULATIONS contre elles-mêmes en organisant, à l’échelle


de la planète, la lutte contre les drogues illicites pose de multiples
problèmes. Le premier est d’ordre économique. Dans quelques pays,
l’Afghanistan, la Colombie, la Birmanie – et plus largement dans le
Triangle d’Or, essentiellement aux frontières birmane et chinoise –, la
culture de la « matière première » est le principal revenu de très nombreux
paysans. Sans doute pourrait-on trouver des solutions et leur proposer des
cultures de substitution, mais ce serait oublier qu’ils sont les « petites mains
» de mafias, de cartels – ce que la terminologie officielle appelle des «
groupes criminels » – organisés et puissants. Ces derniers ont un poids
financier d’importance puisque le trafic rapporterait 243 milliards d’euros
par an. Cette masse financière n’est pas neutre dans l’économie mondiale
(elle représente l’équivalent du PIB de l’Iran ou de l’Argentine). Elle
permet de pratiquer la corruption à tous les niveaux, notamment dans les
pays producteurs mais pas seulement ! Les organisations criminelles ont des
complicités dans les classes dirigeantes de très nombreux États, ce qui
facilite le trafic et souvent, trop souvent, le blanchiment de l’argent de la
drogue.
Intimidations, chantage, exécutions, les trafiquants n’hésitent jamais à
avoir recours à la violence pour arriver à leurs fins. Cela rend le travail des
services de détection et de répression, celui des douanes par exemple,
difficile et dangereux comme le rappelle dans tous ses rapports annuels
l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS). Les mesures
prises pour lutter contre le trafic – les saisies concernent à peine plus de 40
% de la production mondiale de cocaïne et seulement 20 % de celle
d’héroïne – et le blanchiment se révèlent toujours insuffisantes au fil des
années, malgré des moyens en hommes et en matériels, technologiques par
exemple, qui ne cessent d’être renforcés sur le plan international comme sur
le plan régional (en Europe) ou national. En France, l’Office central pour la
répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) est un service de la
police judiciaire, elle-même « chapeautée » dans ce domaine par la Mission
de lutte antidrogue (Milad) rattachée au cabinet du Directeur général de la
police nationale. Cette mission anime et coordonne les stratégies d’action
de l’ensemble des services de police impliqués. L’OCRTIS travaille en
étroite collaboration avec l’Office central pour la répression de la grande
délinquance financière ainsi qu’avec la Cellule pour le Traitement du
renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin),
créée en 1990. Il existe aussi des actions de coopération entre les services
français et Interpol pour ce qui concerne les polices du monde entier, et
entre les services français et Europol pour ce qui concerne les services
spécialisés des pays de l’Union européenne.
La lutte contre les drogues illicites est d’autant plus complexe que la
production des « matières premières » reste, dans bien des cas,
indispensable. Il ne faut, en effet, jamais oublier qu’elles sont aussi à la base
de produits utilisés à des fins médicales (analgésiques opioïdes,
psychotropes…). Il est par conséquent important que les États s’inquiètent
aussi de l’utilisation qui est faite de ces médicaments. Les détournements
sont de plus en plus fréquents, ce qui engendre une augmentation des
risques sociaux quand il s’agit de drogues qui facilitent les agressions
sexuelles, et des risques sanitaires quand les précautions prises n’ont pas été
suffisantes pour empêcher le mésusage et le trafic des nouvelles drogues
synthétiques qui miment, par exemple, les récepteurs cannabinoïdes.
On voit ici apparaître un autre obstacle à l’efficacité de la lutte contre les
drogues illicites : l’arrivée sur le marché de nouveaux produits. Il faut les
détecter : c’est dans ce but que la France a mis en place une Mission
nationale de contrôle des précurseurs chimiques (MNCPC), dont la tutelle
est celle des Douanes, le ministère de l’Économie et des Finances. Il faut
également rechercher et trouver les pays de provenance avant de pouvoir
mettre en œuvre des mesures de contrôle et d’interdiction. C’est ainsi que
l’OICS se dit toujours plus préoccupé par l’intensification du trafic
d’amphétamines. C’est un problème majeur en Asie de l’Est et du Sud-Est,
en particulier parce que « l’Asie du Sud est désormais l’une des principales
régions d’approvisionnement en précurseurs chimiques nécessaires à la
fabrication illicite de méthamphétamine ». En Europe, c’est sans doute le
phénomène Spice qui inquiète le plus. On trouve, dans ce mélange de
plantes utilisé comme substitut au cannabis et vendu comme encens sur
Internet, de nouveaux cannabinoïdes de synthèse. Leurs effets psychoactifs
ont été démontrés et classés « stupéfiants » par le ministère de la Santé. En
2009, ils ont été interdits en France. Les « chimistes » cependant, semblent
avoir toujours une longueur d’avance sur les « législateurs ». Leur offre ne
cesse de se diversifier : selon le rapport annuel 2010 que publient
conjointement l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies
(OEDT) et Europol « de nouvelles substances psychoactives deviennent
largement disponibles à un rythme sans précédent. Au total, quarante et une
nouvelles substances psychoactives (contre vingt-quatre en 2009) ont été
officiellement notifiées pour la première fois aux deux agences en 2010. » Il
est ainsi essentiel, dans un souci de santé publique, que les gouvernements
réagissent au plus vite. « Étant donné la cadence de l’évolution dans ce
domaine, il est important d’anticiper les défis », note l’OEDT devant le
grand nombre de nouveaux composés synthétiques qui échappent à la
réglementation, et sont commercialisés sur Internet sous la forme d’«
euphorisants légaux ». La Commission européenne s’est saisie de la
question et a décidé d’évaluer le fonctionnement du mécanisme, mis en
place au niveau européen, pour la surveillance et l’intervention sur les
nouvelles substances. Elle souhaite s’assurer que les réponses européennes
dans ce domaine sont actualisées et bien adaptées.
Nul, du côté des autorités, ne veut baisser les bras. Des mesures sont
prises localement, régionalement, nationalement ou internationalement, et
pourtant on a l’impression que les résultats obtenus sont peu significatifs,
que les progrès sont très lents… s’ils existent. Il faut dire que le défi est de
taille ! En effet, pour tous les gouvernements, la solution pour s’attaquer
d’une part aux problèmes posés par le trafic de substances illicites et,
d’autre part, à la consommation de ces substances et aux toxicomanies, est
d’arriver au meilleur équilibre possible entre réduction de l’offre et
réduction de la demande. Avec pour y parvenir, une certaine philosophie
humaniste : quelles que soient les décisions prises, elles doivent, dans tous
les cas, respecter les droits de l’homme. Dans l’autre camp, celui des
groupes criminels organisés, cette notion n’a aucun sens et est totalement
ignorée. Le combat, ainsi, est largement inégal.
PARTIE III

À SOCIÉTÉ EN MUTATION,
DES ADDICTIONS NOUVELLES
ET EN PLEIN ESSOR
20

L’addiction au travail, une dépendance «


positive » ?

ON SE POSE PARFOIS LA QUESTION de savoir si l’on peut être dépendant au


sport ou si être « accro » au boulot est une addiction. Dans le premier cas, la
réponse est clairement oui. La personne qui pratique du sport à outrance, le
fait très souvent pour ne pas « voir » les difficultés personnelles ou
professionnelles, auxquelles elle est confrontée. On connaît parfaitement les
mécanismes biologiques, notamment l’augmentation de la sérotonine, qui
sont en œuvre. En s’arrêtant, l’addict au sport traverse souvent une période
de turbulences à l’image de la période de sevrage que vivent certains
drogués. Angoisse, dépression, boulimie, ne sont pas rares. Une grande
vigilance est requise afin que les personnes dépendantes au sport ne
compensent pas leur manque par une nouvelle addiction (tabagisme,
alcoolisme, jeu, grignotage…).
Pour ce qui est de savoir si l’addiction au travail existe, la réponse est
moins tranchée. Elle est d’autant plus difficile à donner que certains
spécialistes n’hésitent pas, à son sujet, à parler de dépendance « positive »,
de dépendance clean ce qui n’a, à nos yeux, que peu de sens : une addiction
a toujours des conséquences néfastes sur la santé, physique et psychique,
sur la vie sociale, professionnelle et/ou familiale et le workaholisme
n’échappe pas à la règle.
Contrairement à ce qu’a pu chanter Henri Salvador, le travail n’est pas
forcément la santé, surtout quand il devient obsession, lorsqu’il cesse d’être
une préoccupation quotidienne et évolue en addiction. L’« ergonomane »,
pour utiliser la terminologie consacrée par les spécialistes français, ou le
workaholic, pour reprendre le terme choisi en 1971 par le chercheur
américain Waynes Oastes pour parler des drogués du travail, est confronté à
cette incapacité d’arrêter, caractéristique des addictions avec ou sans
substance. Un portable – voire plusieurs portables – en permanence
allumé(s), un ordinateur consultable et consulté 24 heures/24, jamais de vrai
repos, une véritable impossibilité à « décrocher » et prendre des vacances, à
s’occuper de sa famille et, toujours, comme dans les autres addictions, une
culpabilité parce qu’il n’y a plus rien d’autre qui compte que le travail.
Ce qui étonne toujours face à un ergonomane, c’est cette « parenté » avec
les autres drogués. Les mécanismes qui se mettent en place débutent
souvent par une phase de plaisir. Parfois très vite, ce plaisir se mue en
souffrance parce que la performance n’est pas au rendez-vous et qu’il faut
travailler plus encore. Les médecins-conseils de l’Assurance maladie, les
médecins du travail ou les experts en prévention du risque psychosocial au
travail, connaissent bien les effets de cette dépendance sur ceux qu’on
appelle « bourreaux de travail ». Il y a des alertes à ne pas négliger : le
manque de sommeil qui, à terme, peut être à l’origine d’une dépression, de
douleurs physiques (lombalgie, maux de tête récurrents…), de pathologies
cardiovasculaires (infarctus, hypertension artérielle…) ou digestives
(ulcère…) et d’autres pathologies qui, finalement, sont parfois causes de
cancers. Le peu d’appétit ou, tout au contraire la boulimie, et dans tous les
cas un isolement de plus en plus profond, des liens sociaux fragilisés avec
l’entourage proche en premier lieu, puis avec le milieu professionnel, sont
encore des symptômes qui peuvent signaler une dépendance au travail.
Dans la très grande majorité des situations, les ergonomanes adoptent,
parallèlement, d’autres conduites addictives. Ils sont d’abord dépendants au
tabac plus qu’à l’alcool et, essayant par tous les moyens d’augmenter leur
productivité, ils ont recours à des médicaments psychoactifs, puis au
cannabis et parfois, un peu plus tard – on peut supposer que c’est lorsque
tous ces moyens ne sont plus assez efficaces –, à la cocaïne par exemple.
Il faut s’interroger sur les causes du workaholism. Elles sont
généralement en relation directe avec l’organisation du travail dans
l’entreprise (publique ou privée), avec le marché de l’emploi, mais
également avec le stress engendré par le harcèlement social ou moral qui
pousse un salarié à aller non pas au-delà de ses compétences, mais au-delà
de sa capacité à produire efficacement. Cette organisation du travail met le
salarié dans la même position que le drogué face au trafiquant. Il est incité à
« consommer de plus en plus de travail ». La presse s’est fait l’écho des
drames qui peuvent en découler. Elle a abondamment parlé des vagues de
suicides des salariés du secteur de l’automobile – l’entreprise Renault a été
condamnée en mai 2011 pour « faute inexcusable » par la cour d’appel de
Versailles – ou de France Telecom par exemple.
L’addiction au travail est devenue un problème de santé publique que les
pouvoirs publics doivent prendre en compte. Selon certaines enquêtes, ce
sont plus d’un millier de personnes qui meurent du travail chaque année. Si
les premières causes de décès restent d’abord les accidents de la route en
mission ou sur le trajet domicile-bureau, puis les accidents cardiaques, le
nombre de suicides enregistrés au cours des dernières années interroge. On
l’a compris : dans ce domaine aussi, mieux vaut prévenir que guérir ou
traiter, mais les conseils que l’on peut donner ne sont pas forcément d’une
grande efficacité : savoir « lâcher prise », avoir une activité physique
quotidienne – et surtout pas une pratique forcenée d’un sport ! – peut aider
mais, pour mettre un terme définitif à son besoin compulsif de travailler,
l’ergonomane doit, le plus souvent, avoir recours à une psychothérapie. Un
passage par un traitement médicamenteux (tranquillisants…) peut se révéler
utile. Pour cela, le mieux est de faire confiance à son médecin traitant avant
même de consulter un spécialiste, tel qu’un psychiatre.
Ce qui est inquiétant et qui met les parents dans l’obligation de lutter
contre leur propre dépendance au travail, c’est qu’il y a un risque de voir
cette pathologie gagner l’ensemble de la famille. Les « enfants sous
pression », ces enfants qui veulent réussir à tout prix, sont en danger. Leur
hyperactivité, leur volonté de tout maîtriser, ne peuvent avoir que des
conséquences néfastes sur leur santé physique et psychique, comme sur leur
place dans leur environnement social. Une raison supplémentaire de prendre
la dépendance au travail au sérieux, de la combattre et de surtout ne pas la
considérer comme une addiction « positive ».
21

L’addiction aux jeux de hasard et d’argent


existe-t-elle ?

JOUER EST PROFONDÉMENT INSCRIT dans la nature de l’homme. L’activité


ludique est naturelle et innée, elle est essentielle au développement de
l’enfant qui y trouve un très grand plaisir. L’adulte continue à jouer, mais
sous d’autres formes : jeux de cartes, jeux de société, jeux de hasard. Si le
côté ludique, l’activité de loisir, restent souvent prédominants, l’appât du
gain, l’argent, sont également omniprésents. On le comprend aisément
quand jouer (au poker, au bridge…) est un métier, mais la très grande
majorité des adultes ne sont pas des professionnels. Ils sont généralement
des joueurs occasionnels, le jeu n’étant qu’un loisir sans conséquence
notable sur leur santé et leur existence. Parmi ces joueurs, quelques-uns
sont des joueurs à risques, « cherchant à se refaire », mais pas forcément
dépendants. D’autres, en revanche, ne sont pas seulement obstinés : ils
jouent de façon compulsive et les spécialistes peuvent parler à leur encontre
de comportement pathologique. Comme dans toutes les addictions, il y a
certes une certaine recherche de jouissance au début, mais très vite le jeu
(jeu de hasard ou jeu d’argent) devient une obsession. Ils perdent peu à peu
leur liberté de ne pas jouer ! Addiction sans support matériel, sans
consommation de substances, addiction avant tout comportementale, le jeu
a des conséquences néfastes sur la santé, physique et psychique, du joueur
abusif.
Le jeu pathologique existe depuis toujours sans doute, mais c’est à la fin
du XIXe et au début du XXe siècle qu’il fait l’objet de descriptions assez
précises. Dostoïevski dans son livre, en partie autobiographique, Le Joueur
(1866), en donne une parfaite illustration, reprise par Prokofiev dans son
opéra éponyme (1915-1917). En France, depuis fort longtemps déjà, les
joueurs compulsifs peuvent se faire interdire l’accès aux tables de jeux des
casinos en en faisant la demande auprès du ministère de l’Intérieur qui tient
un fichier des « Interdits ». Pourtant, le jeu pathologique n’apparaît dans la
littérature médicale qu’à partir des années 1980, aux États-Unis. Il est
introduit dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
(ou DSM pour Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders)
comme « un trouble du contrôle des impulsions » et se caractérise par une
impossibilité chronique et progressive à résister aux impulsions de jouer,
assortie d’un comportement qui bouleverse et désorganise la vie
personnelle, familiale et professionnelle du joueur.
Individualisé, défini, le jeu pathologique a fait l’objet d’un très grand
nombre d’études en Amérique du Nord où l’on estime sa prévalence, dans
la population générale, entre 1 et 2 %. On peut prendre ces chiffres comme
référence pour les pays européens et pour la France en particulier. Certes, il
n’existe toujours pas d’études épidémiologiques détaillées dans ce domaine,
mais une enquête récente faite en Ile-de-France, montre que la prévalence
du jeu pathologique dans cette région est plus proche de 1 % que de 2 % de
la population générale, qu’elle dépasse 9 % pour l’ensemble des joueurs et
avoisine 11 % pour les joueurs à risques. Pour replacer ces résultats dans un
contexte national plus large, on estime que deux Français adultes sur trois
jouent au moins une fois par an à un jeu de hasard et d’argent (hors jeux en
ligne). Il faut dire que la Française des jeux ou le Pari mutuel urbain qui ont
« pignon sur rue », peuvent très largement faire de la publicité et qu’il existe
aussi près de 200 casinos – et 23 000 machines à sous – sur le territoire
national, départements d’outre-mer compris.
Les hommes sont surreprésentés dans le groupe des joueurs
pathologiques, mais la proportion des femmes va en augmentant, surtout à
partir de 65 ans. La comorbidité addictive et psychiatrique est très
importante : plus de 50 % des joueurs compulsifs sont aussi dépendants à
l’alcool et/ou au tabac, tandis qu’ils sont 38 % à consommer des opiacés et
d’autres substances illicites. Parmi les personnes dépendantes au jeu, les
troubles de l’humeur avoisinent 50 %, l’anxiété plus de 40 % et il existe un
trouble de la personnalité dans plus de 60 % des cas. Généralement, le
joueur pathologique est toujours à la recherche d’argent pour financer ses
paris. On observe ainsi une grande fréquence des actes délictueux (vol,
détournement de fonds, fraude, chèque sans provision…). Selon les
enquêtes, ils seraient le fait de 20 à 80 % des joueurs pathologiques. Les
premières victimes de ces actes sont l’entourage proche, le conjoint, les
amis et/ou les relations professionnelles. Par ailleurs, le joueur
pathologique, sous des prétextes divers, ne peut s’empêcher d’emprunter de
l’argent qu’il ne rembourse jamais.
Plusieurs études précisent son comportement : le joueur joue
régulièrement et le jeu prévaut sur tous ses autres centres d’intérêt. Il reste
irrémédiablement optimiste : malgré ses pertes, il espère toujours regagner
ce qu’il a perdu et il ne sait pas s’arrêter quand il gagne. Le joueur éprouve
une sensation d’excitation et de tension, douloureuse et plaisante à la fois, à
toutes les phases du jeu. Il connaît une appétence pour celui-ci – un désir
non maîtrisé, le craving qu’éprouvent les addicts – qui le pousse à
continuer. Ce comportement est le signe même de l’addiction.
La difficulté est souvent de prévenir la chute vers cette dépendance
menaçant un joueur occasionnel qui, dans une première phase, se met à
jouer pour faire face à ses difficultés matérielles. Dans un second temps, il
remet ses gains en jeu… jusqu’à tout perdre. C’est habituellement à ce
moment que se manifestent les premiers troubles de la personnalité,
irritabilité, colère, manque d’attention au travail ou en famille. Dans une
troisième phase, le joueur ne trouve plus suffisamment d’argent pour
s’adonner à ce qui n’est déjà plus un plaisir, mais une recherche désespérée
de « se refaire ». Il est alors comme pris au piège et, pour s’en sortir, tombe
dans la délinquance, prend la fuite ou se suicide, à moins qu’il n’appelle
finalement à l’aide. Ces trois phases – du joueur occasionnel au joueur à
risque et au joueur addictif – peuvent s’étaler sur dix à quinze ans. C’est
cette « lente descente » qui explique le repérage parfois très tardif d’un
joueur compulsif. Malgré des tests performants, le diagnostic n’est jamais
facile à établir.
En France, le jeu pathologique suscite, depuis une dizaine d’années, un
intérêt croissant parmi les spécialistes de l’addiction. Les consultations se
multiplient, notamment dans les centres médico-psychologiques (CMP) et
les centres médico-psycho-sociaux. L’abstinence est le but ultime à
atteindre pour les personnes dépendantes aux jeux. Il leur faut, pour cela,
entreprendre un travail sur elles-mêmes. Psychothérapie ou thérapie
cognitivo-comportementale peuvent leur faire comprendre toutes les
dimensions (financières, sociales) de leur compulsion et les amener à
prendre le contrôle de la situation en abandonnant, par exemple, leurs
fausses croyances et autres martingales.
La lutte contre le jeu excessif ou pathologique a cependant pris un
tournant avec la publication, le 12 mai 2010, de la « loi relative à
l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent
et de hasard en ligne ». Cette loi, née de la nécessité pour la France de se
conformer à la législation européenne, a pour objet de contrôler et de
réguler l’offre des jeux d’argent et de hasard sur Internet. Elle a instauré une
Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJL) qui veille au respect des
conditions auxquelles organisateurs ou opérateurs de paris et de jeux en
ligne doivent se soumettre, et tout particulièrement l’interdiction faite aux
mineurs de participer à des jeux de hasard et d’argent. L’ARJL est
particulièrement vigilante sur un point : l’obligation faite à chaque
opérateur agréé de mettre en garde les joueurs contre eux-mêmes. Ils
doivent rappeler la procédure d’inscription au « fichier des Interdits », que
la loi étend maintenant aux jeux en ligne. Ils sont également tenus de mettre
en place des mécanismes d’autoexclusion et de modération ainsi que des
dispositifs d’autolimitation des mises. Ils doivent aussi diffuser des
messages de prévention et de lutte contre le jeu pathologique s’adressant
non seulement aux joueurs en ligne, mais à tous les joueurs. Numéros de
téléphone gratuits, associations d’aide – la première d’entre elles, créée en
1991, est S.O.S. Joueurs (tél. : 0810 600 115 ou www.sos-joueurs.org) – ont
désormais une visibilité plus grande que par le passé. Tous ont pour premier
objectif d’apporter aux joueurs à problèmes ainsi qu’à leur entourage, un
soutien aussi bien psychologique que juridique ou social. Plus récemment,
un Centre de référence sur le jeu excessif (CRJE), a vu le jour. Il est né
d’une initiative du pôle universitaire d’addictologie et psychiatrie du Centre
hospitalier universitaire de Nantes et il est organisé en réseau sur tout le
territoire français. Il a reçu le soutien de deux grands opérateurs de paris en
ligne, la Française de Jeux et le Pari mutuel urbain qui se disent soucieux de
promouvoir une politique de jeu responsable. Mais ne soyons pas (trop)
naïfs, business is business !
22

Cyberdépendance : l’addiction du XXIe siècle ?

LE TERME « CYBERDÉPENDANCE » A été utilisé pour la première fois, il y a


seulement quinze ans, en 1996, par Kimberley Young, une psychologue
américaine. On parle aussi de « cyberaddiction » et moins couramment
d’Usage problématique d’internet (Upi) ou de trouble de dépendance à
Internet (TDI). La cyberdépendance peut se définir facilement : c’est un
besoin irrésistible et obsessionnel de se connecter à la recherche
d’informations ou de relations avec autrui. C’est une addiction sans
substance mais sans doute pas sans produit car ordinateurs, consoles,
personal digital assistant (PDA) et autres smartphones sont, pour le «
cyberaddict », bien plus que de simples outils. La connexion à Internet lui
procure du plaisir, elle le soulage de ses angoisses quand elle est
opérationnelle. Il peut la prolonger jusqu’à l’excès et de façon répétitive.
S’il ne trouve pas d’ordinateur ou s’il n’arrive pas à se connecter, le «
cyberaddict » est en manque et même si la cyberdépendance n’est pas
(encore) inscrite dans le DSM IV-2000 (Manuel diagnostique et statistique
des troubles mentaux), il éprouve l’ensemble des symptômes évoqué dans
toutes les autres addictions.
La cyberdépendance intéresse en premier lieu – mais pas seulement – les
jeunes publics et en particulier les adolescents. Elle est multiforme. La plus
courante est sans doute la cyberdépendance aux jeux en ligne et en réseau,
qu’il s’agisse de jeux de stratégie et de simulation (Massively
multiplayeronline role playing games ou MMORPG), de jeux de guerre
(Wargames) ou de jeux de rôle dont le fameux Worldof Warcraft auquel
jouent des millions de personnes dans le monde. Les jeux en ligne et en
réseau doivent être distingués des jeux vidéo qui ne sont pas connectés :
alors que les premiers attirent des personnes adultes (de 20 à 50 ans), les
seconds intéressent essentiellement les enfants et les adolescents, entre 6 et
17 ans. Une étude de 2008 montre qu’en France, dans cette dernière tranche
d’âge, 96 % de la population jouent aux jeux vidéo, qu’environ un tiers des
enfants y joue au moins une fois par jour et que près de la moitié, selon
leurs parents, joue à un jeu violent. Cette étude indique également qu’à
partir de 17-18 ans, les jeux vidéo sont (pratiquement) abandonnés.
La dépendance aux jeux en ligne – et aux pratiques que l’on peut lui
rattacher (achats, enchères et autres transactions) – a bien des points
communs avec le jeu pathologique. Mais, la plus préoccupante des
cyberdépendances, celle qui interpelle les parents, les éducateurs et devrait
interpeller plus encore les pouvoirs publics, concerne les connexions vers
des sites à caractère relationnel : les plus jeunes sont de plus en plus souvent
les familiers de blogs, de forums de discussion et autres réseaux sociaux, à
commencer par Facebook, qu’ils peuvent facilement atteindre grâce à
Internet. Ils passent des heures, des journées et parfois des nuits, à échanger
avec leurs milliers d’« amis ». Plus que les courriers électroniques, les «
tchat » – le cyberbavardage – mériteraient de faire l’objet d’enquêtes
sérieuses car dans la communauté éducative, on s’alarme – à juste titre –
des ravages de cette cyberdépendance relationnelle qui, parfois, coupe
l’enfant, l’adolescent, le jeune adulte, de toutes ses relations dans la « vraie
» vie. Peut-on lui rattacher la cyberdépendance au sexe, cette fréquentation
assidue des sites pornographiques à la recherche de partenaires sexuels ? On
peut le penser même si, là encore, les études manquent. En effet, la «
cyberpornodépendance » est loin d’être le seul fait des adultes hommes
surtout, mais femmes aussi. Une étude récente d’une grande mutuelle
française vient de montrer qu’au moins 12 % des adolescents (nettement
plus de garçons que de filles) se connectent assez souvent, voire très
souvent, à des sites à contenus pornographiques.
À partir de quel moment est-on cyberdépendant ou, du moins, risque-t-on
de le devenir ? Il n’est guère facile de donner une réponse à cette question,
d’évaluer les risques, de quantifier le nombre d’heures de connexion
passées devant un écran. Certains spécialistes parlent de deux heures par
jour ; d’autres avancent le chiffre de cinquante heures par semaine, soit plus
de sept heures par jour ! Personne n’en sait rien et, comme devant toute
addiction, on peut s’interroger sur les facteurs personnels qui entrent en jeu
(vie professionnelle, vie de famille perturbée, solitude, temps libre,
chômage…). Ce que l’on peut affirmer, c’est que d’une part, la
cyberdépendance doit aujourd’hui être prise en compte et que d’autre part,
elle est en augmentation sensible. Certains experts n’hésitent pas à la
qualifier d’exponentielle. Quoi de plus normal puisqu’en France par
exemple, il y avait près de 43 millions d’internautes (69 % de la population)
et 20 millions d’abonnés à Internet en 2010, alors que dix ans plus tôt, le
nombre d’internautes n’était que de 8,5 millions. Certains travaux réalisés
en Amérique estiment que 6 % des utilisateurs américains d’Internet
seraient cyberdépendants (et 10 % cyberpornodépendants). Ils seraient entre
6 et 8 % en France.
Le diagnostic de la cyberdépendance reste difficile même si les
spécialistes peuvent être aidés par des tests, comme il en existe pour les
autres addictions. Ce sont pourtant de petits signes physiques et des troubles
du comportement qui vont attirer l’attention de l’entourage et/ou de
l’addictologue : sécheresse des yeux due à une fixation prolongée de
l’écran, maux de tête et migraines dus à sa luminosité, maux de dos et
d’épaules dus à une mauvaise posture, voire amaigrissement, conséquence
directe de l’oubli de se nourrir du cyberaddict, mais encore insomnies par
rupture du cycle du sommeil ou impossibilité de s’endormir à cause de
l’excitation. Tous ces signes sont accompagnateurs d’un usage
problématique d’Internet (Upi) et d’une possible cyberdépendance. Il faut y
ajouter une propension au mensonge ou le déni d’un usage intensif et
excessif d’Internet. Enfin, une tendance à l’isolement envers sa fratrie, sa
famille, ses amis, sont autant de signes qui doivent alerter. Le cyberaddict
peut en outre souffrir d’une réduction de ses capacités mentales – par
exemple, avoir du mal à se souvenir de ce qu’il a vu dans son monde virtuel
–, et/ou de troubles de la concentration. Il est sujet à des angoisses quand il
est privé de connexion et l’idée de ne pas trouver un ordinateur le rend
anxieux, irritable.
Est-il possible de définir un « profil » de la personne cyberdépendante ?
L’âge et le sexe ont une influence certaine sur les modes d’utilisation
d’Internet et les risques ne sont pas les mêmes dans toutes les populations.
Les adolescents privilégient les jeux en ligne et en réseau, les adolescentes
préfèrent se connecter sur les réseaux sociaux. Ce sont des hommes, quasi
exclusivement, qui usent – et finalement abusent – des jeux de guerre ou de
rôle. Ils y consacrent un temps démesuré et s’affrontent dans des
compétitions mondiales. Ils sont cyberaddicts – et généralement dépendants
tout court ! – aux jeux d’argent et de hasard. Les femmes, jeunes adultes et
adultes, profitent de l’anonymat d’Internet pour chercher à établir des
relations (amicales, amoureuses) virtuelles. Elles se connectent pour faire
des achats en ligne qui, parfois, se transforment en achats compulsifs et, par
conséquent, pathologiques.
Il n’est pas aisé de savoir ce qui est – ou peut être – à l’origine d’une
cyberdépendance. Pour l’adolescent, qui est souvent vulnérable et s’inquiète
pour sa vie d’adulte, se connecter est une manière de fuir son quotidien, de
rechercher une certaine autonomie vis-à-vis de ses parents, de sa fratrie. Le
plus grand danger est de le voir s’investir dans Internet pour se construire
une personnalité où le virtuel l’emporte sur le réel. Il en est de même pour
l’homme adulte pour qui la pratique intensive des MMORPG traduit une
volonté de se surpasser intellectuellement, de se voir reconnaître comme le
meilleur et de recevoir la récompense méritée. Or, la récompense est une
composante essentielle de l’addiction. Chez la femme adulte, l’ennui,
l’isolement, le départ des enfants, peuvent expliquer la recherche d’un
soulagement virtuel.
Les dommages causés par la cyberdépendance sont multiples tant sous
l’angle affectif que sous les angles relationnel, professionnel et quelquefois
financier. Comme toute addiction, elle doit être prise en charge. Mais,
convaincre un « cyberaccro » de s’adonner à une autre activité n’est pas
simple. Les mises en garde ne suffisent pas et la personne dépendante doit
chercher par elle-même, au cours d’une thérapie cognitivo-
comportementale ou psycho-analytique, les véritables causes de sa maladie.
Même encadré et consultant régulièrement un addictologue, un médecin
psychiatre ou non, un psychologue ou un psychothérapeute, le cyberaddict
récidive. Alors, avec la vulgarisation toujours plus grande d’Internet, sa
facilité d’accès partout et à chaque instant, la cyberdépendance, maladie du
XXIe siècle, évoluera-t-elle un jour en pandémie ? On peut le redouter,
surtout si l’on ne prend pas très rapidement le problème à bras-le-corps. Ni
la France, ni l’Europe ne semblent s’engager sur cette voie.
23

Les achats compulsifs : une addiction ?

ON A, AU FIL DU TEMPS, OBSERVÉ de nouvelles formes d’addiction et les


spécialistes estiment aujourd’hui que les achats compulsifs peuvent être
considérés comme une dépendance sans substance psychoactive au même
titre que le jeu, la cyberdépendance ou le sexe. Les mécanismes qui se
mettent en place ont de nombreuses similitudes avec les addictions à
l’alcool ou au tabac et se rapprochent également de ceux que l’on retrouve
chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire
graves (boulimie ou anorexie) : angoisse, anxiété, dépression, événements
de vie traumatiques ou relations familiales difficiles parfois dès la petite
enfance. Dans un grand nombre de cas d’ailleurs, on note qu’il existe une
co-dépendance (avec des substances psychoactives) et/ou un syndrome
dépressif connu et traité ou, au contraire, masqué par l’état de dépendance.
Quelques études dressent des portraits de ces « drogués du magasinage »
pour reprendre la jolie formulation québécoise. Sans prendre à la lettre les
chiffres qui sont publiés et qui ne paraissent ni significatifs ni
rigoureusement scientifiques, on peut estimer qu’en France, les achats
compulsifs sont le fait d’une infime partie de la population (1 %) et que les
acheteurs sont, neuf fois sur dix, des acheteuses. Du moins, ce sont elles qui
viennent demander de l’aide ou qui sont « dépistées », notamment à cause
de dossiers de surendettement ou d’interdits bancaires. Les problèmes
financiers sont en effet l’une des conséquences sociales majeures de cette
dépendance, au point que l’endettement toucherait plus de huit acheteurs
compulsifs sur dix.
Ce qui différencie souvent ces derniers des autres « addicts », c’est leur
profil socio-économique presque unique. Ils ont entre 30 et 40 ans en
moyenne. Concernant les 55 % de femmes susceptibles de réaliser des
achats compulsifs sur Internet, la moyenne d’âge se situe plutôt entre 45 et
55 ans (Enquête Harris Interactive, octobre 2007). Leurs cursus scolaires,
universitaires et professionnels, sont de bon niveau et ils – elles – font
généralement partie des classes sociales ayant un certain pouvoir d’achat.
Ces femmes et ces hommes ont une véritable jouissance à acheter, parfois
beaucoup et très vite, des objets utiles, mais aussi et surtout, des objets
inutiles. Les conséquences de cette surconsommation de biens sont les
mêmes que celles vécues par les consommateurs abusifs de drogues, licites
et illicites : perte des repères familiaux, problèmes professionnels ou perte
de l’estime de soi. Comme dans toutes les autres addictions, même si les
acheteuses et acheteurs compulsifs tentent d’arrêter, ils rechutent
généralement s’ils ne sont pas (bien) pris en charge médicalement,
psychologiquement et socialement.
Mais qu’est-ce qui pousse des personnes à surconsommer ? On peut sans
aucun doute incriminer l’environnement « marchand » de notre société, qui
se traduit en particulier par la multiplication des galeries et centres
commerciaux avec un très grand nombre d’enseignes. Il faut également
mentionner les sollicitations permanentes (les soldes), la dématérialisation
de l’argent avec les cartes bancaires ou les facilités offertes par les banques
et les organismes de crédit. Mais, au-delà de ces facteurs extérieurs, c’est au
cœur même de la personne qu’il faut s’intéresser pour comprendre. Acheter
lui procure des sensations qui ressemblent à celles que ressent le buveur
excessif ou le consommateur de cannabis : l’acheteur excessif répond à une
pulsion, ce qui apaise ses angoisses, sa souffrance. Il n’a pas vraiment de
plaisir à consommer ainsi, mais il reste à la recherche d’émotions qui
doivent sans cesse être retrouvées, renouvelées surtout s’il a l’impression
que cela le valorise socialement : il – ou elle – a le téléphone le plus
sophistiqué, il roule dans une voiture tout juste commercialisée, elle porte la
dernière « fringue » à la mode, les chaussures de la dernière collection
d’une marque connue… Pourtant, posséder n’est que rarement un objectif
recherché par l’acheteur compulsif, montrer n’est pas toujours une priorité
et les achats sont parfois non déballés et stockés jusqu’à remplir des pièces
entières. En réalité, l’acte – acheter pour acheter – est à l’origine d’une
période de jubilation d’une grande intensité et de courte durée. Cette
période n’est jamais pérenne et l’acheteur compulsif qui prend conscience
de ce qu’il fait, en ressent une grande culpabilité. C’est ce qui peut le
décider à chercher à s’en sortir, mais cette volonté est habituellement
volatile surtout si l’acheteur compulsif est sujet à un épisode dépressif. Plus
ou moins grave, celui-ci est très souvent masqué par un « passage à l’acte »
: confrontée à un nouveau besoin impérieux de consommer, la personne ne
peut plus maîtriser ses envies, acheter devient le « but ultime » de sa vie
quotidienne, elle ne pense qu’à cela, jusqu’à l’obsession et la réalisation de
l’acte d’achat.
La dépendance est patente et pour y faire face, il n’y a pas d’autre
solution que d’avoir recours aux stratégies thérapeutiques qui sont mises en
place, avec plus ou moins de succès, dans le traitement des autres
addictions. Les psychothérapies avec une approche psychanalytique sont
parfaitement adaptées. Elles ont l’avantage d’être pratiquées par un grand
nombre de psychologues dans les Centres médico-psychologiques (CMP),
facilement accessibles et gratuits. Les thérapies cognitivo-
comportementales ont également leurs partisans concernant cette pathologie
et l’on peut effectivement penser que l’acheteur compulsif qui décide de se
soigner a pour premier objectif un changement « raisonné » de
comportement. S’il semble qu’il faille privilégier en première intention le
psychique, il ne faut pas pour autant négliger le médical : psychiatres – et
médecins addictologues – sont d’autant plus à même de prendre en charge
des acheteurs compulsifs qu’ils peuvent prescrire des médicaments pour
soigner une dépression sous-jacente. Dans certains cas, il faut enfin avoir
recours au juge. Saisi par les proches, surtout en cas de surendettement de la
personne malade, il peut mettre cette dernière sous tutelle, au moins
provisoirement, avec obligation de soins.
Il est étonnant de constater qu’il n’existe pas, en France du moins,
d’associations d’entraide spécifique comme on en trouve pour toutes les
autres addictions. Certes, les consommateurs excessifs peuvent participer
aux groupes de parole dédiés aux personnes qui vivent à crédit, dépensent
plus que ne leur permettent leurs revenus, font faillite lorsqu’elles sont à la
tête de petites entreprises ou débitrices vis-à-vis des institutions financières
(www.debiteursanonymes.org). Ils y trouvent des personnes qui rencontrent
les mêmes difficultés qu’eux et surtout des bénévoles qui peuvent, comme
cela se fait en Amérique du Nord, les accompagner lorsqu’ils doivent faire
des courses. Les vrais enjeux autour des achats compulsifs dépassent
certainement les personnes dépendantes. Nous sommes appelés à réfléchir à
des alternatives à la société d’abondance et de consommation dans laquelle
nous vivons. Ce serait peut-être une réponse à l’augmentation manifeste du
nombre d’acheteurs compulsifs, ces acheteurs qui appartiennent aux jeunes
générations, succombent aux tentations multiples et surconsomment. Un
premier pas, parfois, sur le chemin de la dépendance.
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L’addiction au sexe connaît-elle un renouveau ?

ON EN PARLE PEU ET C’EST POURtant une véritable addiction : le sexe,


puisque c’est de cela qu’il s’agit, peut être une drogue redoutable. Les
premières publications dans ce domaine datent du milieu des années 1970 et
sont le fait d’auteurs américains. L’un des plus célèbres d’entre eux est le
Dr Patrick Carnes, dont le livre Out of the shadows : understanding sexual
addiction, paru en 1983 (et traduit en français sous le titre S’affranchir du
secret – Sexualité compulsive, Modus Vivendi, 1995) a révélé cette
addiction au grand public. En réalité, dans les premières années, des «
pionniers », médecins ou psychiatres, ont cherché à tirer un parti sonnant et
trébuchant de leurs observations et ont créé des « cliniques du sexe » pour
recevoir des personnes dépendantes, des hommes dans la plupart des cas. Ils
y reprennent les « recettes » connues pour d’autres drogues et leur imposent
des cures de désintoxication au prix fort. Ces cures en milieu fermé ne sont
jamais exemptes d’un certain prosélytisme religieux : la prière, à la fin des
groupes de parole en particulier, y tient une place importante comme si l’on
ne pouvait pas s’en sortir sans l’aide de Dieu. Ce modèle de clinique a été
très peu importé en Europe et en France. La dépendance au sexe a été,
pendant longtemps, exclusivement prise en charge par des sexologues, dont
la moindre apparition sur le petit écran remplissait les cabinets en ville. Il a
fallu attendre 2010 pour qu’une consultation d’addictologie spécialisée soit
ouverte dans un grand hôpital de la région parisienne.
L’addiction au sexe a des caractères communs avec toutes les autres
addictions : elle perturbe la vie professionnelle et familiale, est à l’origine
de déséquilibres psychiques, d’un isolement social qui, finalement, mettent
en danger la personne elle-même. On estime que 10 % des personnes
dépendantes du sexe se suicident. La « compulsivité sexuelle », pour
reprendre la terminologie adoptée par quelques spécialistes, doit par
conséquent être mieux prise en compte qu’elle ne l’est actuellement. Elle
est en effet bien plus qu’une irrésistible envie de jouir ou qu’une
hypersexualité. Elle doit être distinguée de la séduction – ce qu’on appelait
autrefois le « donjuanisme » –, de la drague ou du « simple » harcèlement.
Elle va bien au-delà et même parfois jusqu’à la contrainte, jusqu’au viol, ce
qui a des conséquences graves, notamment judiciaires.
S’agit-il d’une dépendance exclusivement masculine ? Impossible de
faire des statistiques et d’exprimer des pourcentages, mais il semble
effectivement qu’une très grande majorité des personnes dépendantes du
sexe soient des hommes. Ils sont, pour une part, à la recherche de la «
femme idéale » et comme leur quête est vaine, ils multiplient les aventures.
Ces sex addicts sont-ils plus nombreux que ceux dont le besoin d’avoir des
relations sexuelles répétées contraint, pour s’en libérer, à pratiquer des actes
masturbatoires, parfois plus de dix fois par jour, s’ils n’ont pas d’« objet » –
de produit – pour le satisfaire ? Là encore, pas de chiffres pour se faire une
idée, mais cette sexualité débordante, voire exubérante, est le fait de la
plupart des hommes qui consultent.
Généralement, cette dépendance commence par la visualisation de films
pornographiques (à la télévision hier, de plus en plus souvent grâce à
Internet aujourd’hui). Parfois, les sex addicts « se droguent » en ayant des
conversations au téléphone par le biais de numéros dédiés et surtaxés –
n’ont-ils pas, pour partie, fait la fortune du Minitel rose dans les années
1970 ? Quand la dépendance se renforce, ils fréquentent les lieux dits « de
plaisirs » – les clubs échangistes par exemple – et ont recours à des
prostitué(e)s, toujours avec le même objectif : une satisfaction orgasmique.
Cela peut devenir une deuxième façon de vivre, en marge d’une vie de
couple ou d’une vie de famille normale. La peur d’être découvert est aussi
génératrice d’émotions, elle renforce le plaisir qui existe à braver des
interdits. C’est d’ailleurs quand ils « se font prendre », quand leurs
pratiques sont mises au grand jour, que les sex addicts cherchent à se
soigner. Sexologues, psychologues, psychanalystes sont alors appelés à
l’aide. Les personnes dépendantes peuvent aussi être accueillies dans des
associations comme Sex and love addicts anonymous(SLAA). Créée à la fin
des années 1970 sur le modèle des Alcooliques anonymes, cette association
s’est développée aux États-Unis avant de traverser l’Atlantique et existe en
France depuis le milieu des années 1990 sous le nom de Dépendants
affectifs et sexuels anonymes (DASA). Néanmoins, le nombre de groupes
de parole reste très limité et même si les associations qui les animent se
disent aconfessionnelles, adogmatiques, les discours qu’elles y tiennent ont
souvent des résonances spirituelles qui n’ont rien de laïques, au point qu’on
a pu parler de sectes à leur propos.
On commence à comprendre que les femmes peuvent aussi être sex
addicts, bien qu’elles soient moins enclines à en parler. C’est, pour elles,
une façon de fuir leur solitude plus qu’une recherche ou une source de
plaisir. Il « leur faut un homme » pour assouvir leur besoin d’amour et de
tendresse et, non satisfaites par des activités masturbatoires, elles
multiplient les relations – et les partenaires – sexuelles. C’est dans cette
multiplication qui leur procure une certaine excitation, qu’elles se réalisent.
Avec une limite majeure, cause de souffrance : ne parvenant pas à trouver «
l’homme idéal » – leur quête – et allant d’échec en échec relationnel, elles
perdent toute confiance en elles. Cette perte de l’estime de soi, associée à
des besoins d’avoir des satisfactions orgasmiques, engendre anxiété,
angoisse, mal-être et dépression, impossibilité de travailler ou faillite
personnelle.
Le sexe est trop souvent considéré, dans notre société, comme un objet de
consommation. Dès lors, l’abus de sexe n’est que trop rarement pris au
sérieux et l’on peut le regretter. Comme toute addiction, elle a des
répercussions notables sur la vie des personnes dépendantes. Tout le monde
ne peut pas être Georges Simenon ! L’écrivain suisse a souvent expliqué
qu’il avait besoin de plusieurs partenaires par jour et que cette activité
sexuelle stimulait sa créativité.
EN GUISE DE CONCLUSION
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Éthique et bioéthique de l’addiction

ON SERAIT TENTÉ D’ÉCRIRE qu’éthique et addiction(s) ne peuvent en aucun


cas se rejoindre, qu’elles sont, par nature, incompatibles. Sans doute faut-il
être plus nuancé et se poser deux questions essentielles qui ont toutes deux
pour objet les libertés individuelles, les droits de la personne humaine. Que
sont, au regard de l’éthique et de la bioéthique – qui s’intéressent aux
addictions en général et aux consommateurs en premier lieu – la liberté de
consommer et la liberté de se soigner ou de ne pas se faire soigner ? Nous
sommes, en effet, confrontés à un problème de santé publique : l’usage de
drogues, licites ou illicites, avec ou sans produit, a un coût qui est supporté
par l’ensemble des assurés sociaux dès lors qu’il y a prise en charge
médicale et psychologique. En France, la consommation excessive d’alcool
est ainsi responsable, directement ou indirectement, de plus de 40 000 morts
par an et l’on estime que la consommation tabagique est à l’origine de
quelque 29 000 nouveaux cas de cancer du poumon chaque année. Le
retentissement des drogues illicites, cannabis compris, sur la santé globale
est bien moindre, mais les dépenses médicales et sociales que leur usage –
et surtout leur mésusage – engendrent, sont lourdes, même si elles restent
difficiles à chiffrer.
Il n’est cependant pas illégitime de s’interroger pour savoir si, au nom de
l’éthique, il est possible de mettre des limites au droit à disposer librement
de son corps. Les grands principes moraux, fussent-ils sociaux, laïques et
républicains, doivent-ils être des remparts contre l’hédonisme qui est une «
valeur » si souvent mise en avant à notre époque ? « J’ai un droit absolu à
consommer et je peux boire, fumer, jouer autant que je veux », « je veux
jouir de la vie, comme bon me semble, au risque de me détruire ». Il y a là
un double détournement de sens : ce droit n’en est sans doute pas un et cette
liberté revendiquée n’en est sûrement pas une puisque ce n’est plus
seulement la personne qui est concernée mais aussi sa famille, son
entourage, ses amis, sa vie professionnelle et, plus généralement, la société.
Peut-on pour autant soigner quelqu’un contre son gré ? La justice pense
qu’il n’y a aucun obstacle à contraindre une personne dépendante à se
soumettre à un suivi médical et psychologique. L’éthique médicale, elle, ne
répond pas à cette question avec certitude. Elle se contente, et c’est
essentiel, de prendre en compte tout un ensemble de droits – droits de la
personne, droit d’avoir un enfant, droit aux soins… – qui peuvent être
considérés, à des titres différents, comme fondamentaux et qui ont besoin
d’être en permanence consolidés. C’est d’autant plus important que, depuis
une trentaine d’années, les progrès de la science et de la médecine ne sont
pas sans influence sur le comportement des personnes, qu’il existe
aujourd’hui des risques de manipulation psychique et que l’environnement
sociétal met en exergue des droits nouveaux qui n’en sont pas toujours.
En réalité, en matière d’addiction, les grands principes éthiques qui
fondent l’intervention des pouvoirs publics, notamment quand il s’agit de la
lutte contre le trafic de drogues illicites, donnent aussi aux soignants un «
droit d’ingérence » quand c’est la vie de l’usager qui est en danger. La
Convention européenne des Droits de l’homme est très claire en ce domaine
: certes, elle garantit le droit au respect de la vie privée et familiale de tout
individu et stipule qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique
dans l’exercice de ce droit (art. 8), mais elle reconnaît comme conforme au
droit et à la morale cette ingérence dès lors qu’elle constitue une mesure
qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection de la santé
ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Et encore plus quand il
s’agit de s’adresser aux trois populations les plus à risques que sont les
jeunes, les femmes enceintes et les seniors, il y a une injonction éthique qui
vise à permettre à une personne de garder ou de recouvrer sa liberté de ne
pas consommer et, par conséquent de ne pas se mettre en danger d’une part,
de ne pas attenter à la liberté d’autrui d’autre part.
Il n’est pas choquant de dire que les acteurs engagés dans la lutte contre
les addictions, l’État, le monde associatif, les soignants mais également le
juge qui prononce une obligation de soin, travaillent tous à une même cause
: le respect de la personne humaine, y compris contre elle-même. Ils
interviennent dans le cadre d’une éthique culturellement impartiale et
universelle qui emporte le consensus de tous. Limiter l’usage des drogues
licites, interdire les drogues illicites – ne revenons pas sur la polémique qui
oppose adversaires et défenseurs de la légalisation du cannabis – ne sont pas
seulement des impératifs conformes au droit, ce sont aussi des exigences de
bon sens. Cela relève, en tout état de cause, du principe de bienfaisance, un
principe éthique par excellence. Mais pourquoi ce principe est-il, trop
souvent, l’apanage du mouvement associatif et d’une partie seulement des
soignants ? Pourquoi les pouvoirs publics, l’État, les collectivités
territoriales, délèguent-ils l’essentiel de leurs responsabilités aux
associations de prévention de l’addiction ? Parce qu’ils ont en face d’eux de
puissants lobbys, ceux des viticulteurs, des alcooliers, des manufacturiers de
tabac, nationaux et internationaux, et des organisations criminelles jamais à
cours d’imagination pour organiser le trafic des drogues illicites et
contourner la loi. Si l’on comprend les intérêts cachés derrière, on ne peut
qu’être très sévère devant le manque de responsabilité de ces acteurs qui
acceptent, par exemple, de voir démanteler l’une des rares lois courageuses
relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, la « loi Évin ». Votée
il y a vingt ans déjà, en 1991, cette loi a sans cesse été renforcée depuis, ce
qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit encore appliquée à la lettre.
A contrario, parce qu’elle ne saurait être qu’éthique, l’addictologie,
comme toute nouvelle discipline surtout si elle est sociale et médicale, doit
se confronter aux valeurs universelles, celles pour lesquelles il faut toujours
et encore se battre. Les principes de la bioéthique sont transfrontaliers,
transcontinentaux, ils ont le droit de cité partout où il y a des Hommes. Ils
ont besoin d’une forte résonance pour que le public puisse s’en emparer, les
promouvoir et les défendre en toutes circonstances. Pourtant, si
effectivement l’éthique aspire à l’universalité, elle n’a que peu de chance de
l’atteindre tant elle est dépendante des « racines » culturelles, spirituelles,
religieuses, politiques et très souvent aussi économiques, de
l’environnement dans lequel elle s’exerce. C’est ce qui explique d’ailleurs
que les principes qu’elle met en œuvre, soient évolutifs. Pour éviter toute
transgression, il est essentiel qu’ils soient relayés par la loi. Et la France, ici,
est exemplaire depuis la « loi Huriet-Sérusclat » du 20 décembre 1988 sur
la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales,
jusqu’aux lois de bioéthique adoptées par le Parlement en 1994, révisées
une première fois en 2004 puis une deuxième fois en juin 2011.
Pour aller plus avant, il faut former tous les acteurs concernés par les
addictions afin qu’il y ait, autour des principes de la bioéthique, une
structuration du champ social. C’est la condition sine qua non du progrès
dans une société qui a le devoir d’aider les personnes en difficulté à prendre
le bon chemin et surtout à y rester. Cela ne peut se faire sans que les
pratiques médicales, psychologiques et sociales, mais aussi politiques et
économiques, ne prennent en compte l’intangibilité de la dignité humaine,
de la justice, de l’égalité ou encore de l’équité entre tous les Hommes. Que
l’on parle de soins ou de lutte contre les trafics, c’est en quelque sorte le
prix à payer pour conjuguer au même temps éthique et addiction(s).
Lexique
AA : Alcooliques anonymes
AACO : Alcool Assistance la Croix d’Or
Afssaps : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Dans le cadre de la réforme du médicament soumise au Parlement à
l’automne 2011, elle devient l’Agence nationale de sécurité du médicament
(ANSM) et des produits de santé.
Anitea : Association nationale des intervenants en toxicomanie
et addictologie
Anpaa : Association nationale de prévention en alcoologie et
addictologie
ARJL : Autorité de régulation des jeux en ligne
ARS : Agence régionale de santé

CHSCT : Comité d’hygiène, de sécurité sanitaire et des conditions de


travail
CMP : Centre médico-psychologique
Codes : Comité d’éducation pour la santé
CRJE : Centre de référence sur le jeu excessif
Csapa : Centre de soins d’accompagnement et de prévention
en addictologie
CSST : Centre de soins spécialisés pour toxicomanes

DSM : Diagnostic and statistical manual of mental disorders


ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
FFA : Fédération française d’addictologie

Inpes : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé


Insee : Institut national de la statistique et des études économiques
Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale

Milad : Mission de lutte antidrogue


Mildt : Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et les
toxicomanies
MNCPC : Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques
MVL : Mouvement vie libre

OCRTIS : Office central pour la répression du trafic illicite des


stupéfiants
OEDT : Observatoire européen des drogues et des toxicomanies
OFDT : Observatoire français des drogues et des toxicomanies
OICS : Organe international de contrôle des stupéfiants
OMS : Organisation mondiale de la santé
ONISR : Observatoire national interministériel de sécurité routière

SAF : Syndrome d’alcoolisation fœtale


SCMR : Salle de consommation à moindre risque
TCC : Thérapie cognitivo-comportementale
TDI : Trouble de dépendance à Internet
Tracfin : Traitement du renseignement et action contre les circuits
financiers clandestins

Upi : Usage problématique d’Internet

VADS : Voies aéro-digestives supérieures


Sitographie
• Pour les problèmes de drogues en général
– Drogues info service
www.drogues-info-service.fr
0 800 23 13 13 (appel gratuit à partir d’un téléphone fixe)
– Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie
www.anitea.fr

• Pour les problèmes d’alcool


– Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie
www.anpaa.asso.fr
– Alcooliques anonymes
www.alcooliques-anonymes.fr
– Croix Bleue
www.croixbleue.fr
– Alcool Assistance la Croix d’Or (AACO)
www.alcoolassistance.net
– Mouvement vie libre (MVL)
www.vielibre.org
– La Santé de la famille
www.lasantedelafamille.fr
– À propos du baclofène
www.alcool-et-baclofene.fr
www.drogues-et-baclofene.com
• Pour les problèmes de drogues illicites
– Narcotiques anonymes
www.narcotiquesanonymes.org
0 800 88 12 88 (appel gratuit depuis un téléphone fixe)
– À propos des salles de consommation à moindre risque
www.salledeconsommation.fr

• Pour les problèmes de jeux


– SOS Joueurs
www.sos-joueurs.org
0 810 600 115 (prix d’un appel local à partir d’un téléphone fixe)
– Joueurs info service
www.joueurs-info-service.fr
09 74 75 13 13 (prix d’un appel local à partir d’un téléphone fixe)

• Pour les problèmes de sexe


– Dépendants affectifs et sexuels anonymes (DASA)
dasafrance.free.fr

• Pour les problèmes de tabac


– Tabac info service
www.tabac-info-service.fr
39 89 (0,15 €/min)
• Pour les questions de sécurité routière
www.securite-routiere.equipement.gouv.fr
ou www.securite-routiere.gouv.fr

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