Les Addictions - FELDMAN G. (Armand Colin 2011)
Les Addictions - FELDMAN G. (Armand Colin 2011)
Les Addictions - FELDMAN G. (Armand Colin 2011)
2 Où commence l’addiction ? 19
En guise de conclusion
Lexique 158
Sitographie 159
Introduction
L’ADDICTION EN GÉNÉRAL
1
Où commence l’addiction ?
DROGUES LICITES ET
ILLICITES,
UN MÊME PROBLÈME DE
SANTÉ PUBLIQUE
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LA PREMIÈRE DES ADDICTIONS DONT sont victimes les personnes âgées est
l’addiction aux médicaments. Ils en prennent en toutes circonstances, sans
toujours respecter les posologies. Certes, ces médicaments ont souvent pour
premier effet de limiter leur douleur (physique) et leur souffrance
(psychique) ou, du moins, de leur permettre de vivre avec. Mais il s’agit,
dans de nombreux cas, d’un simple réflexe, d’un besoin, d’une sorte de (ré)
assurance. Il est évident que l’entourage et le médecin ont le devoir
d’intervenir. Ils parviennent généralement à leurs fins, même si ce n’est que
provisoirement et qu’ils doivent régulièrement réitérer leur intervention.
Les problèmes que soulève une dépendance à l’alcool sont plus
complexes chez les seniors et pour les professionnels de santé, comme pour
la famille ou les proches, la question est de savoir « pourquoi les priver de
ce petit bonheur, de ce dernier plaisir ? ». La réponse n’est pas simple et
relève de l’état physiologique et psychique de la personne concernée. De
son âge aussi, car il n’est pas certain que l’on doive intervenir de la même
façon selon que le senior a 65, 70 ou 85 ans. De plus, l’addictologue et le
gérontologue, deux spécialistes qui le plus souvent s’ignorent, n’adoptent
pas forcément la même attitude. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’âge, la
tolérance à l’alcool diminue même s’il existe des variations qui peuvent être
importantes d’une personne à l’autre. On constate pourtant que le sujet âgé
semble développer une fragilité particulière qui s’explique par une chute du
métabolisme hépatique. Cela n’a rien d’exceptionnel surtout avec l’avancée
en âge. Cette fragilité s’observe aussi avec la polyconsommation
médicamenteuse, en particulier de psychotropes. On ignore cependant le
moment où le catabolisme du foie décroît au point de ne plus pouvoir
détruire l’alcool. Cela implique que l’on ne peut pas – que l’on ne doit pas –
intervenir avant qu’apparaissent les signes d’alerte, sauf chez les seniors
intempérants de longue date – l’abus d’alcool ne disparaît pas avec l’âge –
ou devenus intempérants plus récemment. Ils sont alors considérés comme
des consommateurs adultes abusifs ou alcoolo-dépendants sans que l’âge
entre en ligne de compte. Les différences que l’on note – mais on manque
d’études épidémiologiques sérieuses centrées sur la consommation
alcoolique des seniors – résident dans le fait que, chez eux, l’ivresse est rare
et le binge drinking exceptionnel, pour ne pas dire accidentel. On observe
également que la consommation d’alcool chez les femmes âgées est en forte
augmentation au point que, compte tenu de leur espérance de vie plus
longue, le rapport habituel un tiers (de femmes) versus deux tiers
(d’hommes) de consommateurs abusifs ou alcoolo-dépendants est en train
de se modifier. On estime encore qu’après 65 ans, 10 % des hospitalisations
sont dues à l’alcool, un pourcentage qui diminue significativement après 75
ans. Enfin, la typologie de la consommation alcoolique chez les seniors est
comparable à celle de la population générale : ils boivent surtout du vin, peu
de bières fortement alcoolisées ou d’alcools forts.
Pour l’alcoologue, le gérontologue ou plus simplement pour le médecin
traitant, la mise en évidence d’un abus ou d’une dépendance à l’alcool chez
une personne âgée est davantage affaire d’appréciation personnelle que
d’appréciation médicale. Le diagnostic est difficile car les symptômes
généralement retenus sont malaisés à interpréter : confusion, troubles de la
mémoire ou repli sur soi, ne sont pas significatifs puisqu’ils peuvent avoir,
chez la personne âgée et très âgée, d’autres causes. De plus, les
questionnaires de dépistage, si utiles chez l’adulte pour suspecter un
mésusage de l’alcool, ne sont toujours pas validés chez le senior.
Une dernière question se pose aux soignants face au senior qui boit.
Pourquoi boit-il ? Pour les mêmes raisons sans doute que tous les autres
adultes. On remarque cependant que certaines personnes âgées jusque-là
abstinentes ont, tout d’un coup, recours à l’alcool. Retraite, ennui, perte des
contacts sociaux ou deuil en sont les principales causes. Une surveillance
est indispensable et pourtant, les professionnels s’accordent à penser que ce
n’est pas là une attitude suicidaire, qu’elle ne s’explique pas par l’approche
de la mort, que ce n’est bien évidemment pas une recherche de prise de
risques comme chez l’adolescent, qu’elle n’est pas due à un état dépressif et
qu’elle ne sert pas non plus à cacher une souffrance psychique. Le mystère
reste entier… On se gardera bien d’intervenir tant que la personne se sent
en bonne santé et qu’elle n’est pas en passe de devenir alcoolo-dépendante.
En pratique, que faire donc devant un senior que l’on soupçonne de trop
boire ? En premier lieu, lui faire comprendre les risques qu’il prend. Plus
que chez l’adulte, l’alcool, même à faibles doses, peut diminuer les
capacités cognitives, faciliter un état confusionnel qui favorise ainsi les
chutes aux conséquences parfois vitales ou les accidents aux conséquences
médicales et sociales graves. Après 65 ans, l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) estime que la consommation d’alcool sans risque ne doit pas
dépasser deux verres par jour pour l’homme et un verre chez la femme. Il
est évident que cette recommandation a un caractère général et qu’un
contexte physiologique ou pathologique dégradé, une atteinte
neuropsychique ou la prise de psychotropes, doivent amener à une
interdiction totale. Il n’en reste pas moins que, quelles que soient les
circonstances, contrôler la consommation d’alcool d’une personne âgée et
très âgée, n’est pas aisé. Si elle réside chez elle, l’entourage proche, les
aides à domicile, les auxiliaires de vie ou les soignants, peuvent avoir une
attitude positive à condition de ne pas nier – et dénier – le problème sous
prétexte qu’« à son âge, elle peut faire ce qu’elle veut et que boire un peu ne
lui fera pas de mal ». Il faut en effet s’inscrire en faux contre cette idée toute
faite qui voudrait qu’on « laisse les vieux boire », comportement qui
masque en réalité une absence de prise de responsabilités. C’est une attitude
que l’on retrouve aussi dans les établissements d’hébergement pour
personnes âgées – les maisons de retraite par exemple – quand la
consommation d’alcool n’y est pas rigoureusement prohibée par le
règlement. La difficulté, c’est qu’interdire complètement n’est pas la
solution. C’est même une atteinte à la liberté individuelle d’autant plus
regrettable qu’elle est souvent à l’origine de conflits entre les résidents et le
personnel. Ce qu’il faut, c’est accompagner. Si l’alcool doit effectivement
être interdit à une personne souffrant de troubles neurodégénératifs quel
qu’en soit le stade, le senior qui a « toute sa tête », quel que soit son âge,
doit seulement être mis en garde contre les risques qu’il prend pour lui et
son entourage s’il en abuse. Le plus souvent, cela l’amène à avoir, en toute
liberté, une attitude positive à l’image de la sagesse qu’il sait manifester
dans bien autres domaines.
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LA POLÉMIQUE AVAIT FAIT RAGE LE temps d’un été et le débat est loin d’être
clos en France où les « conservateurs » ont gagné une bataille, mais pas la
guerre. Un temps envisagée expérimentalement, l’ouverture de centres
d’injection supervisée – d’autres experts préfèrent parler de « salles
d’injection », de « structures d’accueil avec possibilité de consommer des
drogues à moindre risque » ou encore de « salles de consommation à
moindre risque » (SCMR) – n’est plus à l’ordre du jour depuis la fin de
l’année 2010. Les arguments des tenants d’une expérimentation n’ont pas
convaincu. Ils sont pourtant simples, clairs. Le premier d’entre eux surtout :
les centres d’injection supervisée n’ont pas pour objectif de traiter les
toxicomanes, mais de réduire les risques qu’ils courent et qu’ils font parfois
courir à la population. Il ne s’agit que de leur éviter d’être victimes plus
avant encore de la drogue ou des drogues qu’ils consomment. Ces centres
n’ont ainsi pas vocation à toucher tous les toxicomanes. Ils ne peuvent
accueillir les consommateurs débutants et les mineurs en sont d’emblée
exclus. Ces centres s’adressent, en priorité, aux jeunes adultes et aux adultes
qui sont les plus en danger, ceux qui, dans une précarité extrême, n’ont que
la rue – au sens large du terme – pour leurs shoots quotidiens. Très
clairement, il ne s’agit pas de « centres de cure de désintoxication », mais
de structures où, grâce à des conditions d’hygiène acceptables, les usagers
peuvent consommer les produits en courant un risque moindre de
septicémie ou d’infection par les virus des hépatites B et C ou du sida. Les
évaluations ne sont pas toutes positives et, de toute façon, aucune étude
sérieuse ne conclut au « zéro risque ». Toutefois, une méta-analyse de
l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) a démontré,
en 2005, que la mise à disposition de centres d’injection supervisée peut
aussi se justifier par une baisse significative des overdoses. Sans doute faut-
il voir là un effet bénéfique de la présence d’un personnel (travailleurs
sociaux, infirmiers, médecins, salariés de l’association qui gère la structure
ou bénévoles) spécialement formé et qui peut intervenir en cas de
problèmes mettant la vie de l’usager en danger (bad trip, surdoses…).
Pour arriver à des résultats significatifs, les règles à respecter sont
aujourd’hui bien connues : le consommateur apporte sa drogue et se voit
proposer une seringue, une pipe à crack, une paille à cocaïne « propre ». Cet
échange est l’occasion de lui rappeler les risques liés à l’usage des
substances psychoactives, voire de lui apporter, s’il le souhaite, une aide
thérapeutique, un soutien psychologique. Même s’il n’est pas possible de
leur proposer un traitement de substitution comme on peut le faire en
d’autres lieux et dans d’autres cadres (les programmes d’héroïne
médicalisée par exemple), ce moment où un dialogue peut s’instaurer, cette
écoute d’un professionnel ou d’un bénévole bien formé, peuvent être
déterminants, surtout pour des personnes très isolées. Ce contact établi, il
devient possible d’orienter, de conseiller le toxicomane, même si ce n’est
pas la vocation première des « salles de consommation ». L’expérience
démontre que l’on peut arriver à des relations de confiance qui débouchent,
à terme, sur la prise de conscience du toxicomane de la nécessité de
consulter dans une autre structure, médicale ou sociale, un médecin, un
chirurgien-dentiste, un psychologue, une assistante sociale, voire un avocat.
Un centre d’injection supervisée n’est pas seulement un lieu d’accueil
pour des toxicomanes. Il remplit également, d’une certaine façon, bien
d’autres rôles et d’abord une mission de sécurité publique. En effet, il
éloigne de la rue – et des regards des populations les plus fragiles, les
enfants en particulier – les toxicomanes et réduit les risques sanitaires que
font courir les seringues jetées sans précaution dans l’espace public. Est-ce
là un argument suffisamment solide dans un pays qui mène une politique
sécuritaire ? On entend en effet souvent évoquer par des élus nationaux ou
locaux que ces centres, tout au contraire, ne peuvent qu’attirer les dealers et
créer de l’insécurité. En 2010, le Gouvernement, malgré l’intérêt manifesté
par le ministre de la Santé pour une expérimentation, y a finalement
renoncé. Certes, l’Inserm a montré dans une publication que les coûts
d’implantation et d’exploitation d’une salle de consommation sont élevés,
mais ce sont d’autres raisons qui ont été avancées. L’implantation de tels
centres irait à l’encontre de la politique menée en France en matière de
toxicomanie. Celle-ci a pour principales lignes directrices, la réduction de la
consommation et du nombre de consommateurs d’une part et, d’autre part,
la lutte contre les trafics de drogues grâce à des mesures qui, ces dernières
années, ont fait leurs preuves. N’y a-t-il pas là non plus un double risque ?
Celui de faciliter non pas l’accès, mais du moins la consommation de
produits illicites et, dans le même temps, de retarder l’accès aux traitements
pouvant faire basculer la personne d’une consommation excessive à une
dépendance. Un autre argument a été avancé au Québec, pays qui a
également rejeté l’ouverture de structures d’accueil avec possibilité de
consommer des drogues à moindre risque : ces structures pourraient donner
l’impression, à un jeune public en particulier, que la consommation de
drogues est « quelque chose de banal », ce qui irait alors à l’encontre de
toutes les campagnes d’information et de prévention faite en ce domaine.
À toutes ces questions qui méritent d’être posées, certaines associations
regroupées au sein du collectif « Salle de consommation à moindre risque »
(www. salledeconsommation.fr) répondent que ce sont là de faux problèmes
ou du moins des idées fausses. Elles estiment, comme on le pense aux Pays-
Bas, en Suisse, en Allemagne, en Espagne, au Luxembourg et, plus loin, en
Australie, en Colombie britannique (Canada) ou en Afghanistan, que
l’ouverture de structures d’accueil avec possibilité de consommer des
drogues à moindre risque constitue une « stratégie pragmatique, pratique et
efficace de réduction des risques ». À cette « plaidoirie », les pouvoirs
publics opposent que les situations dans ces pays étrangers sont cependant
si différentes de celles que nous connaissons en France, qu’il paraît difficile
de tirer des conclusions de leur expérience. N’est-ce pas là, justement, une
raison supplémentaire, voire décisive, de mettre en place une
expérimentation « à la française » ? L’ouverture d’une petite dizaine de
centres sur l’ensemble du territoire ne serait-elle pas la meilleure manière
de s’assurer qu’il y a – ou qu’il n’y a pas, ne préjugeons de rien – une
nouvelle voie à emprunter pour sauver, peut-être, des dizaines de vie et pour
permettre à de (très) nombreux consommateurs de sortir de l’enfer de la
drogue ? Dans le domaine des addictions aussi, les politiques ont des
responsabilités qu’ils doivent assumer. Dans un sens – l’interdiction – ou
dans l’autre – l’ouverture.
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À SOCIÉTÉ EN MUTATION,
DES ADDICTIONS NOUVELLES
ET EN PLEIN ESSOR
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