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Lycée H.

Poincaré – Nancy L’effet tunnel et la radioactivité α

L’effet tunnel et la radioactivité α


L’application de la théorie de l’effet tunnel à la radioactivité α illustre éloquemment la
puissance de la mécanique ondulatoire dans la compréhension de certains phénomènes micro-
scopiques. Dans ce document 1 , on rappelle d’abord quelques généralités sur le noyau atomique
et la radioactivité (partie I) puis on considère plus spécifiquement ce sujet (partie II).

I Structure du noyau et radioactivité


I.1 Structure du noyau
L’exploration de la structure atomique s’appuie sur des expériences de diffusion. Schémati-
quement, on bombarde la matière par un faisceau de particules puis on analyse leur répartition
après interaction avec la cible. En utilisant comme projectiles des particules α, Rutherford a
ainsi mis en évidence la concentration de la charge positive des atomes dans une très petite
région appelée noyau, dont le rayon R est de l’ordre de 10−14 m [1]. Des expériences analogues
utilisant des électrons ou des neutrons ont permis de préciser cette image pour obtenir une
description du noyau aujourd’hui universellement acceptée. Il est formé de neutrons et de pro-
tons liés entre eux par des forces attractives de très courte portée appelées interactions fortes,
n’agissant plus dès que la distance dépasse 1 fm = 10−15 m. Elles s’opposent à la répulsion élec-
trostatique entre les protons qui mènerait, si elle était seule en jeu, à l’éclatement du noyau.
Au final, l’assemblage des nucléons conduit à un état d’énergie plus basse que celui dans lequel
ils seraient dispersés à grande distance les uns des autres, ce qui explique leur tendance à rester
groupés : ils forment un système lié.
On note N le nombre de neutrons d’un noyau, Z le nombre de ses protons (appelé numéro
atomique) et A = N + Z (nombre de masse) le nombre de nucléons, ce terme désignant indis-
tinctement les neutrons et les protons. On désigne un noyau de l’élément X par la notation
Z X. Ainsi, divers isotopes de l’uranium seront notés 92 U, 92 U, 92 U, etc. Quant aux particules
A 238 237 234

α, ce sont des noyaux d’hélium formés de deux neutrons et deux protons, d’où la notation 42 He.
Puisque le numéro atomique Z est caractéristique d’un élément donné du tableau périodique,
l’indice Z dans la notation A Z X est redondant avec la spécification de X et emploie parfois une
écriture allégée du type U.238

I.2 Noyaux stables et instables


On constate expérimentalement que certains noyaux sont stables et d’autres instables. Les
premiers n’évoluent pas alors que les seconds se transforment en d’autres noyaux en émet-
tant du rayonnement. Ce phénomène, appelé radioactivité, correspond au passage spontané du
noyau vers un état d’énergie plus basse. Parmi les 289 noyaux naturels, 264 sont stables et 25
radioactifs, tels les différents isotopes de l’uranium et du radon. Quant aux centaines de noyaux
artificiels obtenus dans les laboratoires de physique nucléaire, tous sont instables.
Plaçons les différents noyaux dans un plan avec Z en abscisse et N en ordonnée. On obtient
ainsi le diagramme de la figure 1. Les noyaux stables se regroupent autour d’une courbe appelée
ligne de stabilité qui longe la droite d’équation Z = N puis s’en écarte vers les N croissants
à mesure que Z augmente. De part et d’autre se trouvent les noyaux instables, que l’on peut
regrouper en trois catégories.
— Ceux de la zone B− possèdent plus de neutrons que ceux de la ligne de stabilité. Pour
s’en rapprocher, ils évoluent par radioactivité β − , processus qui permet la conversion
1. rédigé par A. Domps et A. Senger, domps.andre@neuf.fr, antoine.senger@m4x.org

1
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Figure 1 – Représentation des noyaux dans le plan (Z, N) (d’après Wikipedia). Les noyaux
stables sont représentés par les points noirs et se regroupent près de la ligne de stabilité.

d’un neutron en proton et s’accompagne de l’émission d’un électron et d’un neutrino


selon
n → p+ + e− + ν e ou AZX → Z+1 Y + e + ν e
A −
.
— Ceux de la zone B+ possèdent davantage de protons que ceux de la ligne de stabilité.
Pour s’en rapprocher, ils peuvent évoluer par radioactivité β + , processus qui permet la
conversion d’un proton en un neutron selon
A
p+ → n + e+ + νe ou ZX →Z−1A Y + e+ + νe .

Ils peuvent aussi connaître une capture électronique dans laquelle un électron de l’atome
est mis en jeu selon p+ e− → n + νe .
— Ceux de la zone A possèdent davantage de nucléons que ceux de la vallée de stabilité.
Pour former des noyaux plus légers, ils évoluent soit par fission, phénomène relativement
rare par lequel le noyau se scinde en deux noyaux fils, soit par radioactivité α, mécanisme
qui sera l’objet de toute notre attention dans la suite. L’équation de la transition s’écrit
dans ce cas :
A A−4
Z X −→Z−2 Y +2 He (1)
4

I.3 Loi de décroissance radioactive


Il est impossible de prévoir à quel instant un noyau radioactif se désintégrera en un noyau
plus stable. La radioactivité est un phénomène aléatoire pour lequel on ne peut raisonner que
de manière probabiliste. Pour chaque transition radioactive, il existe une constante λ telle que
la probabilité de désintégration pendant une durée dt s’exprime par

dP = λ dt . (2)

2
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La constante radioactive λ représente une probabilité de désintégration par unité de temps et


s’exprime en s−1 . Un échantillon macroscopique de matière radioactive contient un nombre N
d’atomes de l’ordre du nombre d’Avogadro. Comme chacun d’eux présente une probabilité dP de
se désintégrer pendant dt, le nombre de désintégration pendant cette durée vaut N dP = Nλ dt.
Ainsi Nλ représente le nombre de désintégrations par unité de temps dans un échantillon
contenant N atomes radioactifs. Au fil du temps N diminue selon une loi exponentielle. En
effet,
dN = −Nλ dt s’intègre en N(t) = N0 exp(−λt) .
On définit la période radioactive T d’un radionucléide, encore appelée temps de demi-vie, comme
la durée nécessaire à la désintégration de la moitié des atomes radioactifs initialement présents.
1 ln 2
N(T ) = N0 /2 → = exp(−λt) → T =
2 λ
Dans le cas de la radioactivité α, les valeurs de T varient considérablement selon les cas.
Pour 212
84 Po par exemple, elle vaut 3.10
−7
s alors que pour 232
90 Th, on mesure une période de
1, 4.10 ans = 4, 4.10 s. Cette immense dispersion constitue un fait expérimental remarquable
10 17

sur lequel nous reviendrons dans la partie II.

I.4 Énergie cinétique des particules α


En dehors de la période radioactive définie dans le paragraphe précédent, une autre grandeur
accessible à l’expérimentateur est l’énergie cinétique E des particules α rayonnées. On observe
que les noyaux d’hélium émis par un radioélément donné possèdent tous la même énergie, de
l’ordre de 4 à 9 MeV selon les cas 2 . Ces valeurs s’interprètent aisément à l’aide d’un bilan
énergétique. Rappelons que, d’après la théorie de la relativité d’Einstein, un noyau de masse
M au repos possède une énergie égale à Mc2 . S’il est animé d’une vitesse v ≪ c, son énergie
totale s’obtient en ajoutant l’énergie cinétique 21 mv 2 .
Considérons la réaction (1). Le noyau père dans le membre de gauche, supposé au repos,
possède une énergie égale à E1 = MX c2 ; pour le noyau fils et la particule α de masse m dans
le membre de droite, E2 = MY c2 + mc2 . La radioactivité α correspond au passage vers un état
d’énergie inférieure donc E2 < E1 . La différence Q = E1 − E2 représente l’énergie libérée dans
la désintégration et se retrouve dans l’énergie cinétique de la particule α et celle du noyau fils.
Cette affirmation de bon sens se justifie en exprimant la conservation de l’énergie :

E1 = E2 + EcY + E d’où EcY + E = Q .

Expérimentalement, c’est de préférence l’énergie cinétique de la particule α que l’on mesure car
le noyau fils, beaucoup plus lourd, est produit avec une faible vitesse de recul. L’atome père,
supposé initialement au repos, possède une quantité de mouvement nulle. Le système étant isolé
du reste de l’univers, il en est de même pour l’ensemble formé par la particule α et le noyau fils
après désintégration : 2
m

~ ~
MY VY + mVα = ~0 → VY =
2
Vα2
MY
1 1 1 m m
   
Q = mvα2 + MY VY2 = mvα2 1 + =E 1+
2 2 2 MY MY
Q MY A−4
E= m = Q ≃ (MX − MY − m)c2
1 + MY m + MY A

2. Nous passons ici sous silence la question de la structure fine et supposons que l’atome fils est obtenu dans
son état fondamental.

3
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Prenons un exemple numérique. Le thorium 228, de masse MX = 228, 02874 ua se désintègre en


radium de masse MY = 224, 02021 ua en émettant une particule α de masse m = 4, 00260 ua.
On a ici utilisé, comme c’est courant en physique nucléaire, l’unité de masse atomique ua =
1, 660538.10−27 kg. Pour le calcul qui nous occupe, il suffit de savoir que 1 ua × c2 = 931, 5 MeV.
L’expression ci-dessus conduit à E = 5, 42 MeV, ce qui correspond bien à la valeur mesurée. La
vitesse associée vaut v = 1, 6.107 m.s−1 = 0, 054 c, ce qui valide l’hypothèse non relativiste.

II Théorie quantique de la désintégration α


II.1 La barrière coulombienne
Tentons d’analyser dans le cadre de la mécanique classique le mouvement d’une particule
α expulsée d’un noyau où elle se trouve retenue par des interactions attractives. Si son énergie
cinétique est suffisante, elle peut s’en échapper à la manière d’un projectile lancé depuis la Terre
qui échappe au champ gravité si sa vitesse dépasse 11,2 km/s (seconde vitesse cosmique). Bien
que cette analogie soit instructive, le cas d’une particule α émise par un noyau est plus subtil.
En effet, elle n’est pas uniquement soumise à l’interaction forte, attractive et de courte portée,
mais aussi à la répulsion électrostatique qui intervient seule dès que sa distance aux nucléons
demeurés dans le noyau dépasse 1 fm. Entre le noyau fils 3 portant Z protons et la particule α
de charge +2e, la force coulombienne a pour expression

2Ze2 2Ze2
F = et dérive de l’énergie potentielle Ue = .
4πǫ0 r 2 4πǫ0 r
Dans ces expressions, r désigne bien entendu la distance entre la particule α et le centre du
noyau. Cette force répulsive accélère la particule α dans sa fuite dès lors qu’elle a réussi à
s’extraire de la région où l’interaction forte tendait à la confiner, c’est à dire du noyau fils de
rayon R. La valeur de ce rayon est connue grâce à des expériences de diffusion et se calcule par
R = r0 A1/3 avec r0 = 1, 1 fm.
Une courbe d’énergie potentielle U(r) schématique est représentée sur la figure 2, l’origine
des énergies ayant été choisie en r → ∞. Pour r > R, U se confond avec Ue ; pour r < R
au contraire, l’interaction forte se manifeste et explique la formation du puits de potentiel
dans lequel la particule α est enfermée. La réalité est sans doute plus nuancée : au delà de
R et sur une distance de 1 ou 2 fm existe sans doute une zone intermédiaire où l’interaction
forte, rapidement décroissante, conjugue ses effets avec ceux de la répulsion coulombienne. En
négligeant cette subtilité, on peut affirmer que U(R) ≃ Ue (R) et calculer sa valeur numérique.
Pour les noyaux lourds étudiés A ≃ 200, R = r0 A1/3 ≃ 6, 5 fm et U(R) ≃ 40 MeV. Cette
valeur apparaît, pour la particule α venant de l’intérieur du noyau, comme la hauteur de la
barrière de potentiel qu’elle doit franchir ; nous la notons dorénavant B. Sur la figure 2, deux
valeurs possibles de l’énergie mécanique Em , notées E1 et E2 , ont été portées, respectivement
inférieure et supérieure à B. Dans le premier cas la particule se trouve dans un état lié et
reste dans le noyau ; dans le second elle s’en échappe et peut rejoindre l’infini. Lorsqu’elle y
parvient, son énergie potentielle s’annule et la conservation le l’énergie mécanique indique 4 que
E = E1 ≥ 40 MeV. Fait extrêmement important, cette valeur s’avère complètement incompatible
avec les valeurs de E indiquées plus haut, de l’ordre de 4 à 9 Mev, bien inférieures à la hauteur
de barrière B et correspondant plutôt au cas E2 . Autrement dit, les énergies cinétiques mesurées
pour les particules α sont telles qu’elles interdisent en principe le passage de l’intérieur vers
l’extérieur du noyau. G. Gamow exprime ce paradoxe dans un célèbre article publié en 1928.
3. Dans la suite, Z et A sont relatifs au noyau fils alors qu’ils concernaient le noyau père dans la partie I.
4. On rappelle que E désigne l’énergie cinétique de la particule α expulsée du noyau.

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« Hier aber begegnen wir einer prinzipiellen Schwierigkeit. Um wegzufliegen, muss das α-
Teilchen eine Potentialschwelte von der Höhe B überwinden, seine Energie darf nicht kleiner als
B sein. Aber die Energie der α-Partikel ist, wie experimentell nachgewiesen ist, viel kleiner. »
Inutile d’être germaniste pour comprendre la conclusion de ce paragraphe : le franchissement
de la barrière coulombienne par les particules α est tout à fait incompréhensible dans le cadre
de la mécanique classique. Gamow ne s’est pas contenté de mettre en lumière cet écueil ; il lui
a aussi apporté une solution par un raisonnement qui constitua l’un des premiers grands succès
de la théorie quantique naissante.

Figure 2 – Énergie potentielle agissant sur une particule α. L’énergie cinétique E mesurée loin
du noyau s’identifie à l’énergie mécanique, dont E1 et E2 sont deux exemples de valeur.

II.2 Franchissement par effet tunnel


Nous savons que lorsque qu’une particule ne possède pas suffisamment d’énergie pour fran-
chir une barrière de potentiel en respectant les règles de la mécanique classique, la probabilité
pour qu’elle la traverse est cependant non-nulle grâce à l’existence d’ondes évanescentes dans la
zone classiquement interdite. Cette probabilité s’identifie au coefficient de transmission T que
l’on obtient approximativement par
2√ x2
Z q
T =e −γ
avec γ = 2m U(x) − E dx . (3)
~ x1

Dans cette expression, x1 et x2 sont les abscisses limitant la région classiquement interdite.
Dans le cas de la particule α, le mouvement ne se fait peut-être pas selon une seule direction
d’espace comme dans le cas traité en cours. Négligeant cependant le mouvement angulaire et
ne considérant que le mouvement radial, nous appliquons l’expression 3 avec x = r, x1 = R et
x2 = r2 défini par U(r2 ) = E (figure 2) pour écrire
s
2√ r2 U(r)
Z
γ= 2mE − 1 dr .
~ R E
Avant de poursuivre le calcul, introduisons la variable sans dimension

E U(r2 ) Ue (r2 ) r U(r2 ) E R


ǫ= = = = et remarquons que = =
U(r) U(r) Ue (r) r2 U(R) B r2

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Lorsque r varie de R à r2 , ǫ varie donc E/B à 1 . Comme dr = r2 dǫ = RB


E
dǫ, il vient
s
2√ 1 1 RB
Z
γ= 2mE −1 dǫ (4)
~ E/B ǫ E
2√ RB q √ 1

= 2mE ǫ(1 − ǫ) − arccos ǫ primitive pas évidente ! (5)
~ E E/B
2√ RB
 q q q 
= 2m √ arccos E/B − E/B 1 − E/B (6)
~ E
 q 
2R √ arccos E/B q
= 2mB  q − 1 − E/B  (7)
~ E/B
Procédons à quelques applications numériques. Pour la désintégration du 232 90 Th en 88 Ra
228

qui produit des particules α d’énergie E = 4, 08 MeV, nous obtenons B = 37, 7 MeV, γ = 101 et
T = 10−44 . Pour celle de 222
86 Rn en 84 Po, E = 6, 4 MeV d’où γ = 63 et T = 10
218 −28
. En passant
du premier cas au second, les paramètres du calcul varient assez peu et pourtant T varie sur 16
décades ! Cela est bien entendu lié à l’effet amplificateur de la fonction exponentielle, typique de
l’effet tunnel et des ondes évanescentes qui lui sont associées. Ces impressionnantes variations
rappellent celles relevées pour λ (paragraphe I.3) et sont d’ailleurs la clé de leur explication.
Pour établir plus précisément le lien entre T et λ, quelques considérations supplémentaires
s’imposent.

II.3 Lien avec la constante radioactive


Une particule α présente dans le noyau et rencontrant la barrière de potentiel possède une
très faible probabilité T de la franchir. Soit τF l’intervalle de temps séparant deux tentatives
de franchissement. Pendant une durée δt, ces tentatives sont au nombre de NF = δt/τF et la
probabilité δP que l’une d’elles soit couronnée de succès est le complémentaire de celle que
toutes échouent :
T
δP = 1 − (1 − T )NF ≃ 1 − (1 − NF T ) = NF T = δt .
τF
Cette probabilité s’identifie à celle de désintégration de l’atome père (relation 2) de sorte que
T
λ= (8)
τF
Ayant calculé T selon les relations du paragraphe précédente, il est possible d’estimer τF à
partir de données expérimentales pour λ. Pour 222 86 Rn par exemple, on mesure T = 3, 82 jours
d’où λ = 2, 1.10 s et τF = 1.10 s. Cela signifie qu’en une seconde, la particule α tente 1022
−6 −1 −22

fois que franchir la barrière coulombienne ! Cet ordre de grandeur, qui peut sembler surprenant,
est typique de certains mécanismes associés à l’interaction forte et on peut le retrouver par
l’analyse simpliste suivante. Après avoir rebondi sur la barrière, la particule α revient vers le
centre du noyau, le traverse
q et rencontre à nouveau sa surface après avoir parcouru la distance
2R. À la vitesse v = 2E/m, il lui faut pour cela un temps 2R/v que l’on identifie à τF ,
durée séparant deux rencontres successives avec la barrière. Pour E = 6, 4 MeV, nous obtenons
τF = 7.10−22 s. Cette valeur ne coïncide pas exactement avec celle issue de l’expérience et
l’argument heuristique développé ici n’est guère plus précis que l’analyse dimensionnelle. Il
montre cependant qu’une fréquence √ de collision de l’ordre de 10 Hz n’est pas absurde. Retenons
22

encore que τF varie comme R/ E et reste donc toujours du même ordre de grandeur, au
contraire de T . Les spectaculaires variations de λ avec E (paragraphe I.3), s’étendant sur
plusieurs décades, s’expliquent donc par celles du coefficient de transmission tunnel qui varie
dans les mêmes proportions.

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m Ze2
q
noyau père Z + 2 pente mesurée (MeV1/2 ) 2 ln 10 ~ǫ0
Fm 100 156,38 168,6
Cf 98 152,86 165,2
Cm 96 152,44 161,7
Pu 94 146,23 158,3
U 92 147,59 154,9
Th 90 144,19 151,4
Ra 88 139,17 148,0
Rn 86 137,46 144,5
Po 84 129,35 141,1

Table 1 – Pentes obtenues par régression linéaire (troisième colonne) dans le graphique de la
figure 3 et pentes attendues. Le numéro atomique Z est celui du noyau fils. D’après [3].

II.4 Corrélations entre l’énergie et la constante radioactive


Dès 1911, Geiger et Nuttal trouvèrent une loi empirique liant le logarithme de λ et la
distance parcourue par les particules α dans l’air après leur émission par le noyau père, distance
qui dépend bien entendu de l’énergie cinétique E. On notera que l’utilisation d’une échelle
logarithmique s’impose étant donnée le très large intervalle de valeurs prises par la constante
radioactive. Suivant le modèle précédent on a
γ
log λ = log T − log τF = − − log τF (9)
ln 10
Dans l’expression (7), E/B est est nettement inférieur à 1, souvent de l’ordre de 1/10. Utilisons
le développement
1 √ √ π 1
√ arccos x − 1 − x = √ − 2 + x + o(x)
x 2 x 3
en ne conservant que les deux premiers termes. On obtient

πRB 2m 4 √
γ= √ − 2mB R (10)
~ E ~
s
Ze2 m 4 Ze2 mR
r
= − (11)
~ǫ0 2E ~ πǫ0

Selon le modèle, log λ est donc une fonction affine de 1/ E dont la pente et l’ordonnée à
l’origine dépendent de Z. Comme T = ln 2/λ, log T = log(ln 2) − log λ et le même type de
dépendance doit s’observer pour log T . Cette prévision est splendidement confirmée par les
données expérimentales comme le montre la figure 3. Elle représente en échelle logarithmique
la durée de vie des isotopes de divers éléments émetteurs α en fonction de E. On constate le
regroupement sur une même droite des divers isotopes d’un même élément (valeur de Z fixée).
Les pentes obtenues par régression linéaire sont données dans la tableau II.4 : elles croissent avec
Z comme le prévoit le modèle et leur ordre de grandeur est celui attendu. Leur surestimation
s’explique entre autres par la manière fruste dont nous avons traité la forme de la barrière de
potentiel au voisinage de r = R.

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Figure 3 – Durée de vie d’émetteurs α en fonction de l’énergie E des particules α émises [3].
Sur une même droite se regroupent les isotopes d’un même élément défini par une valeur donnée
de Z : le polonium (Z = 84), le radon (Z = 86, à l’époque noté Em), le radium (Z = 88),
jusqu’au fermium (Z = 100). Le dernier chiffre du nombre de masse A de chaque isotope est
inscrit à côté du point expérimental correspondant. Sur la ligne du polonium par exemple, il
faut comprendre A = 212, A = 214, A = 216, A = 218.

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III Avez-vous bien lu ?


Pour le savoir, répondez aux questions suivantes.
1. Qu’est-ce qu’une particule α ?
2. Écrire le bilan d’une désintégration α.
3. Retrouver le lien entre période radioactive T et constante radioactive λ en repartant de
la définition de ces grandeurs.
4. Combien vaut numériquement le rayon d’un noyau lourd ?
5. Quelle est la portée de l’interaction forte ?
6. Tracer la forme du potentiel d’interaction d’une particule α avec un noyau et évaluer
numériquement la valeur de son maximum pour un noyau lourd (A ≃ 200).
7. Justifier par des applications numériques que l’énergie cinétique des particules α émises, de
l’ordre de quelques MeV, est incompatible avec une explication classique de leur libération
du noyau.
8. Expliquer en quelques phrases pourquoi la période radioactive des émetteurs α varie sur
environ 20 ordres de grandeur alors que ce sont des noyaux relativement semblables et
qu’ils émettent des particules α d’énergies assez proches.
9. Quelle autre grandeur faut-il introduire pour relier la constante radioactive λ à la proba-
bilité T de franchissement de la barrière par effet tunnel ?
10. En utilisant les relations du texte, faire les applications numériques pour obtenir T (fin
du paragraphe II.2) et les pentes (colonne de droite de la table II.4). Pour cela, prendre
garde à l’unité de E généralement exprimée en mégaélectron-Volt. 1 eV = 1, 60.10−19 J.

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L’effet tunnel et la radioactivité α


I Structure du noyau et radioactivité 1
I.1 Structure du noyau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
I.2 Noyaux stables et instables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
I.3 Loi de décroissance radioactive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
I.4 Énergie cinétique des particules α . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

II Théorie quantique de la désintégration α 4


II.1 La barrière coulombienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
II.2 Franchissement par effet tunnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
II.3 Lien avec la constante radioactive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
II.4 Corrélations entre l’énergie et la constante radioactive . . . . . . . . . . . . . . . 7

III Avez-vous bien lu ? 9

Références
[1] Approche documentaire de première année, que l’on retrouve par exemple dans [4] et [6].
[2] G. Gamow, Zeitschrift für Physik 51, 204 (1928)
[3] C.J. Gallacher, J.O. Rasmussen, Alpha-Decay hindrance-factor calculations, J. Inorg. Nucl.
Chem. Vol 3, 333-344 (1957)
[4] J. Foos, Manuel de radioactivité, Éd. Hermann (2011) Cote BU 539.725 FOO
[5] R. Guillien, Physique nucléaire appliquée. Cote BU 539.7 GUI Livre ancien, mais écrit par
un ancien directeur de l’ENSEM Nancy !
[6] L. Valentin, Physique subatomique : noyaux et particules, Éd Hermann (1975) Cote ENSIC
539 VAL

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