Tout Le Monde Peut Être Bon en Maths
Tout Le Monde Peut Être Bon en Maths
Tout Le Monde Peut Être Bon en Maths
ISBN : 978-2-501-18024-5
À mes enfants.
À tous mes élèves.
À tous les matheux qui s’ignorent encore.
TABLE DES MATIÈRES
Couverture
Page de titre
Page de Copyright
Logique et intuition
L'importance de se tromper
L'esprit D-PhiAlpha :
les maths à la portée de tous
Vers D‑PhiAlpha
La plateforme D‑PhiAlpha
La force du collectif
Amina Khelil est une réparatrice de la France ; une grande politique qui s’ignore. Le courage est son
maître-mot, son kérosène intérieur. Quand elle constate que, « en France, quand on vient d’un
niveau défavorisé, on a quatre fois plus de risques de décrocher en maths (mais aussi en français) »,
elle ne soupire pas avec lâcheté en pratiquant le gémissement mondain et inutile, elle agit.
Lorsqu’elle est aux prises avec l’ahurissant décrochage du niveau scolaire tricolore qui, peu à peu,
nous relègue dans la banlieue de l’Histoire, elle fabrique des solutions pour tous qui ne laissent pas à
la fatalité le dernier mot. Amina Khelil a l’air de parler de mathématiques, mais son véritable sujet
est l’avenir de notre espèce.
Comment cette frêle personne agit-elle en profondeur sur notre société ? En volant ses méthodes
aux mathématiques : elle résout les problématiques liées à l’échec scolaire comme elle résoudrait
une équation du second degré. Et puis elle travaille comme une acharnée, avec l’obsession de
redonner aux filles, surtout, confiance en elles-mêmes et en leur génie. Car cet animal de combat
social ne croit qu’en une chose : l’esprit de chacun, la possibilité universellement partagée de
devenir un être courageux pour peu que la vie irrigue convenablement des synapses trop souvent
maltraitées.
Donc notre Passionaria du succès social expérimente, se bat et… triomphe. Sans s’énerver, et
toujours avec méthode. L’histoire de sa vie est celle du succès des autres. Les gueux, elle en fait des
seigneurs armés de connaissances mathématiques. Avec elle, les vassaux deviennent des suzerains.
Les mal-barrés de l’immigration, à la ramasse dans notre système scolaire, elle les change en
chanceux, en athlètes de la liberté, en désobéissants à tous les déterminismes dits sociaux.
L’obsession des notes qui définissent « le niveau scolaire » (autrement dit nos capacités de
perroquet), elle s’en moque bien. Son ambition est l’assimilation à long terme de connaissances
effectivement comprises, digérées. Et puis elle ne barguigne pas avec l’essentiel : des maths, Amina
attend de la puissance. Pas des rubans académiques et tout ce tintouin bidon qui, en vérité, vous
enlise dans la défaite sociale. De la vraie puissance. Pour quoi faire ? Pour résoudre nos problèmes,
pardi ! rappelle-t-elle aux abrutis dont je suis.
Amina Khelil, toute jeune et dotée d’une sagesse de vieille dame polie par mille destins, produit des
esprits ailés et non des perroquets, de l’avenir et non des répliques du passé. Elle prône la liberté et
l’aptitude au déboîtement au détriment de la somnolence mentale et de l’habitude de stagner dans
une case. Cette téméraire voit dans la démarche mathématique l’arme nucléaire des batailles
sociales. Alors elle nous apprend à penser puissamment, à torpiller nos réflexes mentaux, à nous
extraire des méthodes primitives.
Au fond, c’est peut-être ça, une grande politique : un être qui fait grandir les autres, qui
surdimensionne les égarés du jeu social, qui parie sur l’espèce.
Sa grande méthode – celle de l’aristocratie de l’esprit – est d’être simple. Donc tout dans ce livre
appartient au monde de la clarté. Amina Khelil déjoue la complexité. Entrer dans sa vie, c’est donc
entrer dans le destin d’une limpidité qui se cherche et se trouve. En tournant les pages, vous vous
prendrez à croire que l’obscur ne gouverne pas le réel, que la lumière est une option, la liberté un
sport délicieux. Cette femme est une professeure de bonheur, une affamée d’essentiel.
Mon Dieu que ça fait du bien !
Certaines vies n’existent que pour densifier la vie, pour lui donner l’honneur d’incarner des
ouvertures. Lisez ces chapitres pour vivre mieux, pour que vos enfants vivent mieux, pour que la
France développe ses aptitudes au bonheur. Et cavalez ensuite pour dénicher ses livres de
mathématiques, des manuels de savoir-vivre en pensant mieux.
A. J.
Introduction
L’ÉNONCÉ DU PROBLÈME
Je m’appelle Amina, j’ai 30 ans, je suis ingénieure de formation, double diplômée du magistère de
physique fondamentale de la faculté Paris Saclay et de l’École nationale supérieure des Arts et
Métiers (ENSAM). Je dois ma réussite scolaire et universitaire aux sciences, et j’étais promise à une
brillante carrière d’ingénieure.
Pourtant, j’ai bifurqué. J’ai choisi d’enseigner les maths à des élèves des quartiers défavorisés. J’ai
fondé la méthode D-PhiAlpha et je propose des cours de mathématiques en présentiel et à distance.
Parce que les maths, c’est bien plus qu’une matière. Parce que les maths, c’est la vie.
La quadrature du cercle
Tout au long de mon parcours de collégienne, de lycéenne et d’étudiante, j’ai constaté à quel point la
sélection scolaire se faisait par les maths, et qu’elle était particulièrement rude pour les enfants issus
de milieux modestes, et surtout pour les filles. Différentes études sont venues confirmer cette
intuition : l’enseignement scolaire en France se révèle très inégalitaire, la baisse des performances
concernant essentiellement les écoles des zones les plus défavorisées économiquement. L’étude Pisa
ne dit pas autre chose : en France, quand on vient d’un niveau défavorisé, on a quatre fois plus de
risques de décrocher en maths (mais aussi en français).
J’ai par ailleurs été forcée de me rendre à l’évidence : en France, année après année, le niveau des
élèves en maths recule. Selon la dernière étude internationale TIMSS1 dont les résultats ont paru en
2019, le score des enfants du CM1 est inférieur à la moyenne de l’Union européenne ; la France se
trouve d’ailleurs à l’avant-dernière place des 58 pays participants, juste avant le Chili. Et les
collégiens de quatrième figurent à l’avant-dernière place du classement européen, juste devant ceux
de la Roumanie2.
Ce décrochage est d’autant plus paradoxal que, dans le marché du soutien scolaire privé, la France
est championne d’Europe ! Autre paradoxe : si tout le monde s’accorde à juger les mathématiques
essentielles dans la formation des élèves, cette matière fait peur à un élève sur deux en moyenne, et
58 % de nos collégiens et lycéens redoutent les mauvaises notes… Angoisse et détestation à
l’encontre de cette discipline semblent la règle.
Mais si les maths ne sont que chiffres et théorèmes abstraits, qu’est-ce qui explique l’importance
qu’on leur donne ? Cette question, je me la suis posée, comme tous les enseignants. Ne serait-ce que
pour mieux accompagner mes élèves, qui se jugent définitivement « nuls en maths », et leurs
parents inquiets. Il me semble que la vision utilitariste des mathématiques a fini par nuire à cette
discipline en la limitant à former des personnes opérationnelles pour un travail et en écartant tout ce
qui n’entre pas dans ce champ. Pourtant, les maths ont bien d’autres atouts dans leur manche : elles
permettent de développer la pensée critique, aident à résoudre des problèmes et améliorent la
capacité de travailler de manière logique et organisée. Ces trois idées sont bien plus puissantes que
toutes celles énoncées habituellement et permettent d’englober beaucoup plus de monde. Nous
sommes tous concernés ! Apprendre à résoudre un problème de maths, c’est être capable de se poser
les bonnes questions, d’analyser les données, d’extraire les informations importantes, de prendre
une décision et de revenir au besoin en arrière si le résultat n’est pas cohérent. Cette démarche
intellectuelle peut devenir un automatisme. Face à une difficulté du quotidien, on peut parfaitement
adopter la même posture. Identifier la problématique. Comprendre les enjeux. Essayer une
première piste. Aller jusqu’au bout. Et si celle-ci ne mène nulle part, en essayer une autre, et ainsi
de suite… Les maths constituent finalement un magnifique terrain de jeu pour se faire la main. Car
être capable de raisonner de façon logique, d’adopter une pensée critique, c’est être en position de
prendre des décisions en conscience. C’est finalement être maître de sa vie.
La réussite au carré
Or j’en suis intimement convaincue, tout le monde peut être bon en maths. Les mathématiques sont
même, à mon sens, LE vecteur de réussite le plus puissant qui soit. Pourquoi ? Parce que les sciences
sont ce qu’on appelle communément des disciplines exactes : dans toutes les langues, dans toutes les
cultures, 2 + 2 feront toujours 4. On peut tout à fait imaginer qu’elles puissent alors devenir la clé
d’une réelle égalité des chances ! Les fondateurs de l’école républicaine, à la fin du XIXe siècle,
considéraient d’ailleurs que les disciplines scientifiques étaient moins discriminantes que les
matières littéraires, et donc plus à même de favoriser la réussite de tous les élèves. Cette façon de
voir, pour moi, n’a rien perdu de sa pertinence et emporte ma conviction.
Bien sûr, la dimension culturelle existera toujours. Un élève plus sensibilisé à l’art, fréquentant
naturellement les musées, aura plus de chances qu’un enfant issu d’un milieu moins favorisé. Parce
que son environnement culturel, hyperstimulant, lui ouvrira plus largement les portes vers la
réussite. Cependant, je suis persuadée que les sciences peuvent permettre à n’importe qui de
combler ce décalage socioculturel. Offrir à tous un niveau acceptable en maths, c’est contribuer à
rétablir une certaine forme d’égalité des chances. C’est la mission que je me suis fixée, et que je
tente, à mon humble niveau, de mener à bien.
Je la destine à tous, mais particulièrement aux filles, qui sont les plus enclines à partir perdantes et à
se dévaloriser sur le plan scolaire, surtout lorsqu’il s’agit des sciences. Depuis que j’ai commencé à
enseigner, j’ai suivi des centaines d’élèves, filles ou garçons, et j’ai pu observer que les premières
développent plus rapidement que les seconds une grande maturité dans le travail, et qu’elles se
montrent plus assidues et plus autonomes. Avec de telles qualités, elles atteignent des niveaux en
mathématiques remarquables.
Pourtant, elles sont moins nombreuses que les garçons à choisir les filières scientifiques après le
bac, comme si elles avaient adhéré à l’idée reçue selon laquelle « les maths, c’est pour les garçons » !
La famille et l’école contribuent à transmettre une vision stéréotypée des rôles, les filles ayant plus
tendance à s’autocensurer que les garçons en se détournant des filières scientifiques. Selon une
enquête conduite en 2015-2016 auprès de 8 500 lycéens en Île-de-France, les filles sous-estiment
leur niveau en maths beaucoup plus que les garçons, et elles sont moins nombreuses à déclarer
aimer cette matière, alors qu’elles y obtiennent des résultats équivalents. Je suis convaincue que ce
manque de confiance en leurs capacités alimente leur difficulté à s’identifier aux métiers associés
aux disciplines scientifiques. Il est temps de mettre un grand coup de pied dans cette montagne
d’idées reçues et de restaurer la confiance des filles !
Un vecteur de puissance
La confiance, justement. Et si c’était le maître-mot lorsqu’on aborde la question de la réussite en
sciences ? Se lancer dans un problème de maths, chercher, se perdre dans ses calculs… et
finalement trouver le fil, résoudre l’énigme et trouver la solution : quelle sensation enivrante !
Sentir au fond de soi que la lumière a jailli, que l’on a compris, que l’on maîtrise la notion qui
quelques jours ou quelques semaines plus tôt semblait totalement absconse : quelle bouffée de
plaisir et de confiance ! Ce bonheur intellectuel et personnel, je l’ai ressenti à de nombreuses
reprises au cours de mes études et de manière de plus en plus profonde au fur et à mesure que je
progressais. Je le ressens par procuration et peut-être avec encore plus d’intensité lorsque je le vois
briller dans les yeux de mes élèves.
Cette joie profonde de transmettre un savoir essentiel pour l’épanouissement d’un individu, je crois
que je l’ai ressentie pour la première fois sur le parvis de la gare La Plaine Saint-Denis. Je sortais
d’un entretien pour un emploi merveilleux. Et mon téléphone a sonné. C’était la maman de Kahina, à
qui je donnais à l’époque des cours particuliers, en dehors de toute structure. Elle m’appelait pour
me remercier. Non pas pour les cours. Non pas pour les notes de sa fille qui s’étaient brutalement
améliorées. Elle me remerciait parce que, après des mois de guerre froide entre la mère et la fille
autour des maths et des résultats, Kahina avait enfin baissé les armes et repris la vie quotidienne
avec sa mère. Ce matin-là, pour la première fois depuis des mois, elles avaient pris le petit-déjeuner
ensemble et parlé joyeusement autour de la table de la cuisine. J’ai senti son émotion au bout du fil.
Un petit-déjeuner. Ce n’est rien, comme le chante Julien Clerc. Et en même, un petit déjeuner en
famille, c’est un réel symbole de lien. Un petit-déjeuner. Tout était rentré dans l’ordre. La vie avait
repris son cours. Grâce à sa réussite en mathématiques, Kahina avait retrouvé sa confiance en elle, et
donc sa capacité de communiquer et sa joie de vivre. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que je
deviendrais enseignante.
Car permettre à un élève de comprendre les mathématiques, c’est lui ouvrir l’accès au
développement plein et complet de ses capacités scolaires, mais aussi de tous ses potentiels
humains. Lorsque des jeunes garçons ou des jeunes filles se rendent compte que le métier de leur
rêve est devenu une réalité accessible, c’est toute leur vie qui change ! Ils ont désormais des projets,
des perspectives, ils y croient. Et ce sentiment de libération est souvent accompagné d’une énergie
qui leur permet de se mettre en mouvement, de prendre leur vie en main.
Le discours de la méthode
L’expérience avec mes premières élèves a conforté ma décision, mais j’ai vite ressenti le besoin de
créer un cadre pour exercer cette activité. Le face-à-face du cours particulier avait ses limites. Il
manquait la dynamique du groupe, propice aux interactions. Par ailleurs, j’avais besoin d’un lieu
neutre. Des cours particuliers à domicile, j’ai donc rapidement basculé vers l’accompagnement de
petits groupes. J’ai trouvé un lieu dédié à l’apprentissage, mais qui ne rappelait pas forcément
l’école, avec une grande table ronde autour de laquelle nous prenions place, mes élèves et moi.
En général, le cours particulier se limite à combler les lacunes de l’élève. Pour moi, il s’agissait
d’aller plus loin : je voulais que mes élèves comprennent les maths, qu’ils soient capables de
résoudre les exercices et de progresser suffisamment pour pouvoir, s’ils le souhaitaient, choisir la
filière scientifique. C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé à travailler la pédagogie. Jusque-
là, je me reposais sur le cours du lycée : je répondais aux questions des élèves, puis je leur donnais
une série d’exercices d’application. D’abord des exercices simples, puis j’augmentais
progressivement la difficulté. C’était finalement l’organisation classique d’un cours particulier. Sans
chercher à me substituer aux professeurs du lycée, j’avais cependant besoin de trouver ma place. Une
place juste, qui me permettrait d’être libre dans ma manière d’enseigner afin d’offrir le meilleur à
chaque séance.
Par ailleurs, quand je demandais à mes élèves de me parler de leur cours, je recevais souvent cette
réponse : « Je n’ai rien compris ! » C’est alors que j’ai commencé à découper les chapitres en notions
pour identifier les difficultés des adolescents que je suivais. L’étape suivante consistait à m’assurer,
une fois que la notion était comprise, que l’élève savait la manipuler. Une notion n’est réellement
acquise que lorsque l’on combine compréhension, apprentissage et manipulation. Avec ce trio, le
diagnostic est encore plus fin. C’est aussi le moment où l’on détecte les erreurs de raisonnement, qui
peuvent donc être rectifiées très tôt.
Au fil du temps, j’ai réussi à mieux identifier les lacunes de mes élèves et à trouver des solutions. Au
début, j’avais choisi de me limiter aux classes de lycée, mais j’ai vite compris que mon travail
consistait essentiellement à réparer les pots cassés de façon la plus efficace possible. J’avais
l’impression de travailler sur des fondations instables, sans avoir toujours le temps de revenir sur
des notions qui auraient dû être acquises dès le collège. Pour comprendre ce qui se jouait, je n’avais
donc pas d’autre choix que d’ouvrir de nouveaux créneaux, de la sixième à la troisième !
C’est ainsi que j’ai commencé à esquisser les grandes lignes de D-PhiAlpha, à la fois une méthode
qui permet à l’élève de progresser étape par étape, et une structure de soutien scolaire intégrant
d’autres enseignants. Ce passage à la vitesse supérieure ne devait cependant pas augmenter pour les
familles le coût de l’accès aux cours, afin de rendre la réussite scolaire accessible aux enfants des
milieux défavorisés.
En septembre 2020, dès la rentrée, je n’avais plus un seul créneau de libre. Mes élèves progressaient
rapidement en mathématiques et aimaient venir en cours. Certains, qui n’envisageaient pas
d’intégrer une filière scientifique, avaient finalement franchi le pas. Et j’avais plus d’élèves filles que
de garçons ! Restait à savoir comment appliquer ce modèle à plus grande échelle, et comment le faire
fonctionner en équipe. Il s’agissait de mettre en place une méthode qui permette aux élèves de
comprendre et d’aimer les maths, ce qui leur donnerait confiance en eux et en leurs capacités, et mes
mettrait à même de se sentir autorisés à viser haut et à être ambitieux… Il s’agissait aussi d’élaborer
une structure qui préserve le lien que j’avais pu établir avec les parents et les enfants. Il s’agissait
enfin de toujours accompagner les élèves dans leurs choix d’orientation en continuant à les tirer vers
le haut.
D-PhiAlpha est donc né en janvier 2021. Avec un défi immense à relever : contrecarrer les inégalités
de genre qui ont cours dans notre société dans le domaine des sciences. D-PhiAlpha est porté par
des femmes fortes, des femmes ambitieuses, des femmes qui aiment les sciences et qui formeront
d’autres filles alpha !
Et c’est ainsi que je suis, je crois, devenue experte dans le domaine de la pédagogie et de
l’enseignement des mathématiques. Ma méthode est à la fois très simple et extrêmement novatrice.
En premier lieu, elle ne se focalise pas sur l’obtention rapide de bonnes notes à l’école, mais sur
l’assimilation à long terme. L’important, c’est que l’élève comprenne, qu’il soit capable de faire le
lien entre les notions, qu’il prenne du plaisir à étudier les maths, à chercher, à réfléchir, à travailler
de manière efficace. C’est seulement sur cette voie qu’il prendra confiance et qu’il construira une
réussite durable ! Éduquer consiste à donner à nos enfants toutes les clés, tous les outils pour
affronter l’âge adulte, et, parmi ces outils les plus précieux, il y a l’autonomie et la confiance en soi !
Cela prend du temps.
L’enseignement se fait en petits groupes de six élèves et utilise le support de fiches manuscrites
synthétiques que j’ai conçues pour qu’elles condensent les clés de compréhension de chaque notion
des programmes de la sixième à la terminale. La forme manuscrite est pour moi une donnée
essentielle, car elle permet d’injecter de l’affect et de la proximité dans une matière qui en est trop
souvent dépourvue. Chaque fiche détaille les méthodes spécifiques de chaque notion. L’objectif est
de proposer à l’élève une « méthode dans la méthode », c’est-à-dire toutes les notions à maîtriser
expliquées grâce à des exemples concrets, mais également une proposition d’organisation
permettant d’appréhender son cours dans son ensemble et pouvant être réutilisée dans toutes les
matières.
Par ailleurs, sur ces fiches et lors des cours, j’ose aborder les mathématiques avec un langage
courant, accessible et, surtout, compris par les élèves. On peut manipuler avec précision des
concepts scientifiques très pointus tout en employant des mots et des formulations compréhensibles
par le commun des mortels, en se servant de petits trucs, d’images, de représentations mentales
concrètes. Certes, c’est moins joli et moins mathématique, mais ça décomplexe instantanément… et
ça fonctionne.
Nos 333 fiches de maths ont donc été regroupées dans des livres (500 pages de la sixième à la
terminale) pour permettre aux élèves de naviguer à travers les différents outils mathématiques. Ces
livres autoédités constituent une sorte de carte de route pour le voyage dans l’univers des
mathématiques.
Ainsi, en résumé, toutes les notions dites de base en mathématiques (addition, multiplication,
division, nombres décimaux…) sont étudiées de manière fragmentée et dans les moindres détails.
C’est un apprentissage en profondeur, puisque les éléments simples sont, une fois compris,
complexifiés et de nouveau approfondis à l’étape suivante. Les fondations des connaissances sont
donc solides et revues à chaque étape afin de mieux progresser.
Je rêve qu’une méthode de ce type puisse être appliquée à plus grande échelle au sein des classes.
Tout en ayant conscience qu’elle est nettement plus compliquée à mettre en œuvre avec des effectifs
beaucoup plus importants, je suis persuadée que c’est possible, en proposant aux professeurs des
outils et des formations adaptés. C’est tout l’enjeu de mon projet… et de ce livre.
Notes
1. Trends in Mathematics and Science Study.
2. L’étude TIMSS ne mesure le niveau des connaissances scolaires en maths et en science que pour
les élèves de CM1 et de quatrième (ou équivalent).
Les maths : un vecteur de puissance
PLAIDOYER POUR LES MATHS
Dans les médias, dans la société, tout le monde s’inquiète d’un niveau en maths qui baisse. Les
maths semblent être la clé de beaucoup de choses. Des parents qui n’ont pas réussi à être bons en
maths le vivent comme un échec, et font tout pour que leurs enfants ne rencontrent pas les mêmes
difficultés. Pourtant, si tout le monde s’accorde sur le fait que les maths comptent beaucoup dans le
cursus scolaire et constituent « une base » indispensable, les arguments pour démontrer leur utilité
peinent à convaincre.
Les maths, dit-on, sont utiles au quotidien pour adapter des proportions, jongler avec les
pourcentages, comprendre l’actualité et les données chiffrées… Pendant la crise du COVID, on
entendait que le nombre de cas augmentait de façon exponentielle, mais qu’est-ce que ça voulait
dire ? De même, les probabilités permettent d’être conscient des chances que l’on a de gagner au
loto, d’avoir une fille ou un garçon, de développer une maladie génétique, etc. Autant d’arguments
séduisants, mais finalement assez peu convaincants ! Pour adapter les quantités d’une recette,
calculer le prix d’un produit après remise, etc., nos smartphones sont équipés de tout un tas
d’applications qui nous facilitent la tâche !
Autre argument courant : avoir un bon niveau en maths est indispensable pour exercer un certain
nombre de métiers. Même si les outils de travail (logiciels ou autre) ont évolué, une bonne maîtrise
des mathématiques continue de s’imposer dans de nombreux secteurs. Pour résoudre un problème,
un ingénieur aura ainsi besoin d’identifier le modèle mathématique sous-jacent. Les sociétés de
conseils ont également besoin de personnes formées en mathématiques appliquées pour concevoir
des bases de données pertinentes. Enfin, le secteur de la finance a besoin de bons mathématiciens
pour calculer les risques et limiter les pertes… Mais en dehors de quelques domaines précis, quels
métiers utilisent quotidiennement les théorèmes découverts à l’école, la connaissance des cosinus
ou la maîtrise des équations du second degré ? Dans ces conditions, pourquoi faire toute une
montagne d’une discipline dont seuls quelques lycéens auront réellement besoin dans leur cursus
universitaire ? Tout le monde n’est pas destiné à devenir scientifique, ou économiste, ou ingénieur.
Heureusement, d’ailleurs, car la diversité des métiers et des profils est une richesse à préserver.
Cette vision utilitariste, qui envisage les mathématiques avant tout comme un moyen de former des
individus opérationnels pour un travail donné, finit par nuire à cette discipline en occultant sa vraie
richesse. En développant la pensée critique, les maths aident en effet à résoudre des problèmes, et
elles contribuent aussi à travailler la logique. Trois atouts ultra-puissants et qui nous concernent
tous !
Les maths pour résoudre des problèmes
L’enjeu des mathématiques, c’est de résoudre des problèmes. Pour cela, il faut se poser les bonnes
questions, analyser les données, extraire les informations importantes, prendre une décision et au
besoin revenir en arrière si le résultat n’est pas cohérent. Cette démarche ne vous rappelle-t-elle
pas quelque chose ? Personnellement, je trouve qu’elle ressemble beaucoup à celle que nous
adoptons dans de nombreuses situations de tous les jours. Par certains aspects, les maths et la vie se
ressemblent beaucoup, finalement.
Imaginez-vous quelques années en arrière. Vous êtes en classe de troisième et vous devez démontrer
qu’un triangle ABC est un triangle rectangle.
Le premier enjeu est d’identifier la problématique : qu’est-ce que je dois faire ? En effet, comment
voulez-vous trouver une solution si vous ne savez pas ou ne comprenez pas ce que vous recherchez ?
Ici, il s’agit de démontrer qu’un triangle est rectangle.
Ensuite, vous allez vous demander quelles sont les informations dont vous disposez. Vous pouvez
faire un schéma, l’annoter en y mettant toutes les informations données (longueurs, parallèles, etc.)
afin d’obtenir une image du problème dans sa totalité.
Reste ensuite à évaluer les outils que vous pouvez employer. S’il vous reste quelques souvenirs de vos
années de collège, vous vous rappelez peut-être qu’on peut démontrer qu’un triangle est rectangle
grâce à la réciproque du théorème de Pythagore, grâce aux propriétés sur les angles dans un triangle
ou encore grâce aux propriétés sur le parallélisme et la perpendicularité…
Enfin, parmi les outils à votre disposition, il faut en choisir un. Parfois, grâce à l’expérience, on
« devine » lequel sera le plus pertinent. Sinon, on peut aussi choisir au hasard et voir où cela nous
mène. Quoi qu’il en soit, il faut bien commencer quelque part !
Ce qui est important, c’est ce cheminement, ce raisonnement, mais également la manière dont vous
allez naviguer entre les différentes options.
Par exemple, si je choisis de démontrer que le triangle est rectangle (angle de 90 degrés) en utilisant
le fait que, dans un triangle, la somme des angles vaut 180 degrés, je vais considérer sérieusement
cette voie. Et si elle n’aboutit à rien, j’envisagerai une autre solution, et ainsi de suite. C’est
finalement une manière très ordonnée de raisonner et qui, combinée à de la patience, de
l’endurance, de la rigueur et de la persévérance, finit par donner le résultat. Cette démarche
intellectuelle peut devenir un automatisme.
Le raisonnement mathématique est un type de procédure qui peut être utilisé pour résoudre
n’importe quel problème de la vie courante. Face à une difficulté du quotidien, on peut parfaitement
adopter la même posture que face à un problème de maths. Identifier la problématique.
Comprendre les enjeux. Essayer une première piste. Aller jusqu’au bout. Et si celle-ci ne mène nulle
part, essayer une autre piste, et ainsi de suite… Tout cela étant accompagné d’une qualité
essentielle : la persévérance ! Persévérer dans l’exécution, persévérer dans la recherche de solutions
possibles, persévérer après une impasse.
Les maths constituent finalement un magnifique terrain de jeu pour se faire la main. Car être
capable d’adopter une pensée critique, c’est ne pas prendre les affirmations pour argent comptant,
être en mesure de se poser les bonnes questions face à une donnée pour en vérifier les sources et le
bien-fondé. Il n’y a pas de dogme, tout doit être démontré.
Deuxième ligne
masse d’un canard + masse d’un chat = 5 —> y + 4 = 5
Donc y = 1
Troisième ligne
masse d’un mouton – masse d’un canard = 99 —> z – 1 = 99
donc z = 100
Quatrième ligne
Résultat = masse d’un mouton + masse d’un chat + masse d’un canard
—> Résultat = x + y + z = 4 + 1 + 100 = 105
Cette démonstration, je l’espère, vous aura éclairé sur les étapes de la démarche mathématique.
Selon moi, l’image de la pyramide l’illustre de façon très parlante. Elle permet également de voir
comment les choses se construisent sur le long terme. Si on l’applique aux programmes de maths du
primaire au lycée, on peut observer deux grandes phases :
• Du cours préparatoire à la seconde, les élèves construisent les niveaux 1, 2, 3 et 4 de la
pyramide. Au primaire, ils apprennent les opérations de base. Ensuite, de la sixième à la
troisième, ils apprennent à résoudre des équations, ce qui fait souvent appel au calcul littéral
(avec le développement et la factorisation), ensuite ils découvrent la proportionnalité, qui les
amène aux fonctions (d’abord linéaires, puis affines, pour finir sur les fonctions en général). En
seconde, ils vont approfondir les fonctions, notamment en dressant des tableaux de variation1 à
partir de graphiques, puis des tableaux de signes2, etc.
• À partir de la classe de première, ils construisent le niveau 5 de la pyramide. Les niveaux 1, 2, 3
et 4 de la pyramide sont stabilisés, et tous les élèves sont censés avoir rassemblé suffisamment
d’outils pour fabriquer un circuit et voir les premières lumières s’allumer. Bien sûr, le circuit sera
plus ou moins sophistiqué selon l’aisance de chacun en maths (certains finiront avec une lampe
de poche et d’autres avec une tour Eiffel illuminée), mais tous devraient être en mesure d’installer
le circuit !
Pour rendre les choses plus concrètes, attardons-nous sur l’étude des fonctions, une partie
importante du programme de maths en première et en terminale. L’un des objectifs est que l’élève
soit capable de dresser un tableau de variation uniquement à partir de son expression (c’est-à-dire
sans le graphique).
Pour dresser ce tableau de variation, l’élève doit maîtriser la dérivée d’une fonction : de quoi s’agit-
il ? À quoi sert-elle ? Comment la calculer ? Comment l’utiliser ?
Souvent, l’expression de la dérivée doit être réagencée pour être utilisable. Pour cela, on doit faire
appel « instinctivement » au calcul littéral : est-il plus intéressant de développer ou de factoriser ?
Faut-il tout réduire au même dénominateur ?
Pour dresser le tableau de signes de la dérivée, l’élève se retrouve encore confronté à d’autres
questionnements : comment dresser un tableau de signes ? Par quelle équation trouver les
éventuelles valeurs de x pour lesquelles la dérivée s’annule, etc.
Une question unique (dresser le tableau de variation de la fonction) implique donc de mobiliser une
partie importante du bagage mathématique construit dans les classes inférieures. À chacune de ces
étapes, l’élève doit donc être en mesure de se poser les bonnes questions. Il connaît les outils à sa
disposition, il sait les utiliser et peut en mobiliser plusieurs en même temps. À condition que les
quatre premiers niveaux de la pyramide (les fondamentaux du collège, également travaillés en
seconde) soient parfaitement maîtrisés.
Pour une notion donnée, le passage d’un niveau à l’autre se fera plus ou moins vite selon les élèves.
Mais tous peuvent y parvenir3 si on leur en donne le temps et s’ils reçoivent des explications qui les
aident. Aujourd’hui, on a trop souvent tendance à considérer qu’un élève bon en maths est un élève
qui comprend rapidement. Celui qui a besoin de plus de temps est dit « en difficulté ». On confond
un peu trop vite la vitesse d’acquisition et l’acquisition elle-même. Le temps nécessaire à
l’assimilation d’une notion ne devrait jamais être un indicateur de performance ! J’ai le sentiment
que, à force de se focaliser sur le résultat final, on ne valorise pas assez les progressions.
Quatre mille ans de production acharnée de mathématiques, c’est ce qu’un écolier est censé
assimiler du CP à la terminale. Autant dire que nos mathématiciens en herbe ont du pain sur la
planche ! Aujourd’hui, un collégien de troisième, au moment de passer son brevet, a plus de
connaissances que Pythagore : ce mathématicien grec du VIe siècle avant J.-C., passé à la postérité
avec le théorème qui porte son nom, ignorait en effet tout du nombre 0 !
Pour toucher du doigt l’étendue du savoir mathématique, les élèves ont besoin d’être guidés afin de
pouvoir identifier et assimiler les notions essentielles qui leur permettront d’évoluer de façon
autonome dans le monde mathématique. Mais les savoirs et outils de base (qui correspondent aux
premiers niveaux de la pyramide), considérés comme acquis, sont souvent ignorés par le système
scolaire : « C’est trivial », disent certains enseignants à leurs élèves, dont une grande partie sont loin
de partager cet avis. « Bon élément » pendant toute ma scolarité, j’ai ressenti mes premières
frustrations mathématiques en prépa, quand j’ai découvert que certains concepts « triviaux » étaient
compris par toute la classe… sauf moi. Rien de plus excluant que la trivialité. Ce mot m’a
littéralement traumatisée. Dès que je l’entendais, j’avais des frissons.
C’est là que j’ai compris le malaise ressenti par mes anciens camarades de collège ou de lycée. Dans
le secondaire, beaucoup de choses me paraissaient simples, même s’il m’avait fallu fournir un effort
personnel pour chercher à comprendre. Mais en prépa, je me suis retrouvée face à un mur. Le travail
d’assimilation me demandait beaucoup plus d’efforts. Apprendre et connaître ne sont pas
synonymes de comprendre : il faut accepter l’idée que la compréhension demande du temps, un
minimum de connaissances et d’expérience, ainsi qu’une certaine forme de maturité.
Les personnes qui cuisinent depuis des années et réalisent des plats sans livre de recettes disent
souvent qu’elles cuisinent à l’instinct. Une telle disposition impressionne les apprentis ! En réalité,
il y a toujours une recette lue ou transmise derrière cette réussite. De la même manière, les matheux
aguerris oublient trop souvent qu’à leur début, ils suivaient eux aussi scrupuleusement les
consignes.
Car avoir la bosse des maths n’a rien d’inné ! Acquérir la connaissance mathématique exige à la fois
de la réflexion, de la mémoire, la faculté d’agencer différentes notions, etc. Autant de compétences
qui se travaillent. C’est le cas, bien sûr, dans la plupart des apprentissages, mais les maths sont sans
doute la discipline qui suscite le plus de peur – voire de détestation. On a tôt fait de se dire « nul en
maths » et de renoncer à aller plus loin. Bien sûr, tout le monde ne peut pas recevoir la médaille
Fields, mais je suis convaincue que tout le monde peut être bon en maths.
Certains mythes contribuent pourtant à faire des maths une matière réservée à quelques rares génies
maîtrisant l’art de la logique, doués dans la manipulation des abstractions mentales et servis par une
intuition hors norme qui les accompagne depuis leur naissance. Autant d’idées reçues qui ne
résistent guère à un examen plus poussé.
Formalisme de la langue
Les maths utilisent une langue spécifique, avec un vocabulaire et une syntaxe qui leur sont propres,
ainsi que des symboles pour désigner les objets mathématiques. Grâce à ce langage « universel »,
une équation s’écrira de la même manière pour un Français et pour un Anglais, et elle peut donc être
comprise partout dans le monde. De ce fait, la découverte des mathématiques se double de
l’apprentissage de ce langage particulier. Pour compliquer encore l’affaire, certains mots, en maths,
ont un sens différent de celui que nous leur donnons usuellement. En probabilité, par exemple, le
terme « contraire » désigne toutes les autres issues d’un événement qui ne se réalise pas : le
contraire d’avoir 20 sur 20, c’est avoir entre 0 et 19,75 ! De la même manière, si la conjonction « ou »
est le plus souvent exclusive en français (« fromage ou dessert » signifie que c’est soit l’un, soit
l’autre), elle est inclusive en maths (soit fromage, soit dessert, soit les deux). La précision du langage
mathématique peut donc vite devenir une source de difficulté, voire de rejet.
Prenons un exemple. En seconde, une fonction peut être représentée par une courbe. Sur cette
courbe, il y a une infinité de points, et on veut savoir si un point particulier appartient à cette courbe.
On énonce la priorité suivante, tirée d’un manuel de seconde :
M (xM ; yM ) ∈ Cf équivaut à
xM ∈ Df et yM = f(xM).
Cette phrase a du sens… pour un matheux. Pas vraiment pour un lycéen, peu familiarisé avec les
fonctions et les symboles mathématiques !
Heureusement, le formalisme des mathématiques officielles coexiste avec une tradition orale « qui
raconte ce que personne n’ose écrire dans les livres parce que ça ne fait pas sérieux », pour
reprendre les mots du mathématicien David Bessis — je reparlerai de lui plus loin.
Malheureusement, le langage officiel reste dominant dans l’enseignement des mathématiques,
parfois au détriment de la compréhension.
Pour ma part, j’ai fait le choix inverse pour transmettre les maths à mes élèves. Une circonstance m’y
a sans doute aidée : j’ai commencé à enseigner tout de suite après mes études, à 23 ans, et j’étais
finalement encore dans une dynamique d’apprenant. Aussi, je me suis placée instinctivement au
même niveau que mes élèves. Enseigner ne consistait pas à leur transférer mon savoir, mais à leur
parler comme je l’avais fait avec mes camarades de classe quand je voulais leur expliquer quelque
chose. Cette proximité change tout. D’ailleurs, au début, je n’avais que des lycéens entre 16 et 18 ans,
donc assez proches de moi par l’âge. J’ai pris dès le départ une posture différente, devenue ensuite
ma marque de fabrique. Cela m’était égal de ne pas utiliser les beaux mots qui font matheux. Je
m’étais fixé comme mission que mes élèves comprennent. J’étais certes exigeante sur la rédaction de
la copie, qui devait utiliser l’écriture formelle1, mais je donnais des explications accessibles dans un
vocabulaire simple et adapté à leur niveau.
Le bon pédagogue n’est pas seulement quelqu’un qui a des connaissances très pointues dans son
domaine. C’est aussi quelqu’un qui est capable de se revoir à la place de l’élève, et qui essaie de se
rappeler – pour pouvoir ensuite l’expliquer – quel a été son cheminement intellectuel avec les outils
alors en sa possession… Ce cheminement n’a souvent rien de formel, d’où le fait qu’une grande
partie des explications en mathématiques se font à l’oral, pour transmettre ces petits trucs que le
formalisme mathématique juge incorrects. Personnellement, j’ai du mal à comprendre l’intérêt de
cet « interdit » qui pèse sur le recours à la langue usuelle. Est-ce par peur de « dénaturer » les
maths ? Il me semble pourtant que cette sacralisation fait obstacle à une meilleure compréhension
des concepts.
Logique et intuition
Beaucoup de personnes pensent que les matheux ont une logique particulière et plutôt innée : on l’a
ou on ne l’a pas, de la même manière qu’il y a des personnes grandes et d’autres petites, certaines
avec des cheveux bruns et d’autres avec des cheveux blonds.
Je pense en réalité que nous prenons les choses à l’envers : ce n’est pas la logique qui fait le matheux,
c’est le contact avec les maths qui aide à développer la logique. Certes, nous naissons tous avec une
sensibilité et des capacités différentes, mais rien n’est figé. Imaginez une jeune personne qui
présente toutes les qualités physiologiques d’un champion du monde du 100 mètres. Si cette
personne ne s’entraîne pas à la course, elle n’a aucune chance de décrocher le titre, malgré toutes ses
prédispositions ! S’essayer à résoudre des problèmes de maths invite à développer une pensée
logique en construisant une démonstration, c’est-à-dire un raisonnement dans lequel
l’enchaînement entre les propositions est strictement déductif : à partir d’un certain nombre de
prémisses, on peut élaborer une conséquence logique qui forme la conclusion du raisonnement.
Mais les spécificités de cette logique s’acquièrent avant tout par la pratique des mathématiques (y
compris de la logique mathématique). Chaque situation permet de tester différentes procédures, de
construire des déductions et de nouveaux savoirs. C’est pour cela que l’erreur est si importante. En
maths comme dans la vie.
Dans le même ordre d’idées, je n’aime pas beaucoup parler d’intuition pour expliquer une
compréhension aisée des mathématiques. Car l’intuition, comme la logique, n’est pas un prérequis
pour faire des sciences. Au contraire ! Ces deux qualités se développent avec le temps,
l’entraînement, la maîtrise des concepts et le travail. Je me garde donc bien d’associer logique et
intuition aux maths, de peur de rendre cette matière inaccessible aux nombreuses personnes
dépourvues de ces qualités spécifiques. Pourtant, je reçois de plus en plus de parents inquiets parce
que leur enfant, en primaire, n’a pas développé cette fameuse logique mathématique ou n’a pas
d’intuition.
Faire des maths, ce n’est pas lire dans une boule de cristal pour que la solution nous apparaisse
comme par miracle. Pour résoudre un problème, il faut choisir une méthode parmi plusieurs, un
protocole qui a été essayé des milliers de fois avant nous, qui marche et qui marchera encore
demain. Rien à voir avec l’intuition, le ressenti, l’imagination – du moins dans les premiers temps.
Maîtriser les fondamentaux, s’entraîner et travailler, voilà ce à quoi je crois ! Complétez ce trio
gagnant avec la motivation, la persévérance, la patience et la curiosité, et je vous garantis que
n’importe lequel d’entre nous peut devenir « doué » en maths. J’irai même plus loin : je pense qu’un
élève qui a des facilités risque plus facilement d’échouer qu’un élève moins « doué » mais
travailleur, précisément parce que le premier ne développe pas suffisamment sa capacité de
travailler.
En 2012, le Congrès international sur l’enseignement des mathématiques soulignait que,
contrairement aux pays d’Asie du Sud-Est, les pays occidentaux, dont la France, encouragent une
compréhension intuitive des concepts mathématiques. Pourtant, aujourd’hui, les pays d’Asie du
Sud-Est obtiennent les meilleurs scores aux épreuves de mathématiques, selon l’étude Pisa de 2018.
Peut-être avons-nous accordé trop d’importance à l’intuition et à la logique, réservant ainsi les
mathématiques à une poignée de personnes. Or, aujourd’hui plus qu’hier, la France a un besoin
crucial de scientifiques talentueux. Je le répète, l’intuition n’est pas la norme en mathématiques.
C’est à peine une facilité en plus.
Même si l’idée déplaît, une grande partie de la sélection se fait par les mathématiques : beaucoup de
filières post-bac continuent d’exiger une solide formation dans cette matière, même depuis la
réforme du bac en 20191. Renoncer aux maths, c’est donc courir le risque de se fermer de
nombreuses portes : la preuve en est qu’un élève d’une filière scientifique pourra facilement
rejoindre une prépa littéraire, alors qu’un élève ayant suivi une spécialité littéraire ne sera pas admis
en prépa scientifique. Malheureusement, malgré une homogénéisation de l’enseignement des
maths, formalisée dans les programmes officiels, on observe de grandes disparités dans les résultats
en fonction de l’origine sociale, mais aussi en fonction du genre. La sélection par les maths a en effet
tendance à accroître les inégalités entre milieux favorisés et milieux moins favorisés, entre garçons
et filles. C’est pourquoi il est si important d’offrir à tous un niveau acceptable dans cette discipline !
Les chiffres sur le décrochage des élèves français ne manquent pas, les commentaires alarmistes
non plus. En 2018, Cédric Villani, médaille Fields 2014, et Charles Torossian, inspecteur général de
l’Éducation nationale, ont dressé un diagnostic de la situation des maths dans le paysage scolaire
français et proposé un certain nombre de mesures du primaire au lycée1. Ce chapitre ne prétend pas
concurrencer le travail de ces deux spécialistes. Il ne s’agit pas non plus de participer au concert de
critiques dont le système scolaire est trop souvent la cible – les enseignants en particulier, alors
qu’ils jouent un rôle majeur dans la transmission du savoir et assument bien plus qu’une simple
mission d’apprentissage. En réalité, je souhaite faire part ici de quelques réflexions personnelles
nées au fil du temps et de ma pratique. Je ne prétends pas détenir la vérité, je ne donne pas de leçon,
j’essaie juste de contribuer, à mon humble niveau, à réveiller l’intérêt des élèves pour les maths et à
rétablir une certaine forme d’égalité des chances. Pour mener à bien cette mission que je me suis
choisie, j’ai tenté – comme d’autres – de comprendre ce qui dysfonctionne dans notre système
éducatif. Les relations étroites que j’ai développées avec les élèves et leurs parents m’ont beaucoup
aidée dans cette démarche. Ce sont donc ces observations que j’expose ici.
L’importance de se tromper
J’ai grandi dans une petite ville du Pas-de-Calais, à Libercourt, où mes parents, tous deux algériens,
se sont installés en 1991, à leur arrivée en France, quelques mois avant ma naissance. Mon père a
toujours aimé les maths. Très bon étudiant, il a obtenu dans les années 1970 un diplôme de
technicien supérieur en Algérie. Pour moi, il est l’archétype de l’ingénieur : ingénieux et capable de
trouver des solutions pour tout. Quand j’avais neuf ans, mes parents ont acheté une ancienne ferme à
rénover – nous étions cinq enfants. Mon père, bricoleur dans l’âme, a décidé d’effectuer seul les
travaux, aidé de notre mère. Une équipe de choc ! Dans les magasins de bricolage de la région, mes
parents ont donc récupéré toutes les brochures du type « Comment placer des plaques de plâtre »,
« Comment changer une fenêtre », etc. Premier chantier de taille : l’isolation. Papa, en chef de
chantier, a choisi du Placo® avec un doublage en polystyrène. Il a posé la colle sur le polystyrène et,
avec l’aide de maman et de mon frère aîné, il a redressé la plaque pour l’appliquer contre le mur.
Nous nous tenions tous autour de lui pour ce premier geste fort du chantier. Avec mes frères et mes
sœurs, on a croisé les doigts en espérant que la première plaque tienne. Mais patatras, elle est
retombée ! Moralité ? Ce premier essai infructueux n’a pas empêché mon père de recommencer. J’ai
pu observer sa ténacité, la façon dont il a cherché toutes les informations disponibles, demandé
conseil, essayé, échoué, recommencé encore et encore. Au bout de quelques tentatives, la plaque est
restée collée au mur, et elle tient toujours vingt ans plus tard ! Toute la maison a été restaurée en
suivant le même Processus, mon père n’ayant pas hésité à défaire et à refaire pour obtenir ce qu’il
recherchait.
Cette histoire semble anodine, mais les valeurs de patience et de persévérance qu’elle porte en elle
m’ont accompagnée tout au long de ma vie. Dans l’éducation que nous ont donnée nos parents, je
n’ai jamais eu l’impression qu’ils nous mettaient la pression sur l’école. Ce qui était important pour
eux, c’était de nous voir apprendre à construire petit à petit. Essayer et recommencer. Exactement
comme pour la maison.
Dans tous les apprentissages réussis, c’est l’envie qui ouvre le chemin en nous stimulant pour
chercher à comprendre, tester, produire, accepter les « échecs » et évoluer grâce à eux. Surtout,
recommencer sans se lasser, jusqu’à obtenir les résultats souhaités. Et accepter que tout ce
Processus prenne du temps. Un temps infini, mais nécessaire. La plupart des gens sont plutôt
d’accord avec ce principe. Pourtant, on dirait que tout le monde l’oublie quand il s’agit de l’école !
La réussite scolaire,
c’est quoi, finalement ?
D’une manière générale, il est admis qu’un élève réussit scolairement quand il cumule bonnes notes
et « bon comportement ». Dans ce cas, ses enseignants vont le qualifier à l’unanimité de « bon, voire
très bon élève ». Il y a de fortes chances qu’il décroche son bac avec mention et se dirige vers les
filières les plus élitistes.
Malheureusement, cette définition de la réussite scolaire est dangereuse, car elle a tendance à figer
les choses. Dès l’école primaire, on entend des parents dire : « L’école, c’est pas pour lui. » Ou
encore : « Les maths, c’est pas son truc. Je pense qu’il est plus littéraire. » Quand ma fille était en
CE1, sa maîtresse m’a d’ailleurs convoquée pour m’expliquer qu’elle avait du mal en maths. Mais je
n’étais pas inquiète, car je sais que rien n’est jamais joué en maths, encore moins à cet âge !
Malheureusement, certains parents peuvent se sentir rapidement démunis devant ce type de
remarques. Et qu’en est-il de l’enfant, enfermé prématurément dans la case du « mauvais élève » en
maths ou en français ? C’est toujours difficile de sortir d’une telle case. Donc de se motiver. Si vous
êtes jugé « mauvais » ou « moyen », pourquoi faire des efforts ?
L’école place très tôt dans une situation d’échec les élèves qui rencontrent des difficultés et met tout
aussi prématurément une pression intense sur les autres. J’échangeais récemment avec une
responsable pédagogique de l’association L’École à l’hôpital6, ingénieure reconvertie dans
l’enseignement et qui a enseigné le français aux États-Unis. Elle m’a raconté cette anecdote très
révélatrice : en France, si un élève se trompe cinq fois sur une dictée de vingt mots, on dira qu’il a
fait cinq fautes ; aux États-Unis, on dira qu’il a eu quinze réponses correctes. Cinq fautes ou quinze
réponses correctes, cela revient au même, mais la perspective est radicalement différente. Et les
conséquences aussi. Je pense qu’on gagnerait à se montrer plus positif ! Et qu’il faudrait laisser
davantage les jeunes s’évaluer. Je demande d’ailleurs souvent à mes élèves comment ils considèrent
leur niveau, en faisant abstraction des notes. Histoire de leur redonner du pouvoir sur leur destin. Et
je suis épatée de leur objectivité : ils n’hésitent pas à me confier qu’ils ne sont pas très fiers d’eux
quand ils n’ont pas réussi un devoir alors qu’ils en avaient les capacités.
Le rôle des enseignants comme des parents, c’est de s’assurer que les élèves s’épanouissent à l’école.
Nous devons limiter nos jugements et arrêter de coller des étiquettes sur nos enfants. Poussons-les
plutôt à croire en eux, à donner le meilleur ce qu’ils peuvent. Surtout, aidons-les à trouver la voie qui
pourrait les rendre heureux en brisant les barrières qui les enferment dans l’échec, aidons-les à
comprendre qu’il n’y a pas de limites ! Dans cette quête de l’épanouissement scolaire, il faut aussi
donner une place importante à l’ambition : c’est elle qui impulse l’élan pour avancer. Quand une
adolescente me dit qu’elle veut être puéricultrice parce qu’elle rêve de travailler avec des enfants, si
je sais qu’elle a les capacités de viser plus haut, je n’hésite pas à la bousculer un peu : « Et pourquoi
pas pédiatre ? »
Un élève qui réussit à l’école, c’est un élève qui a pu développer une bonne estime de soi. Il est
conscient de ses difficultés, envisagées comme nécessaires pour avancer, et met en valeur ses points
forts. Sans craindre d’être ambitieux, il sait qu’il peut réussir. Dans cette posture qui le projette sur
le long terme, il valorise la compréhension globale et l’effort plus que la note.
Un élève qui réussit à l’école, c’est un élève qui choisit en conscience ce qu’il veut faire ! Ce qui
m’importe, c’est qu’il puisse choisir en connaissance de cause et qu’il se donne ensuite les moyens
d’y parvenir. Réussir ses études, ce n’est pas faire un métier où l’on gagne très bien sa vie, c’est se
dire qu’à chaque étape on a fait le maximum !
C’est là que les mathématiques jouent un rôle fondamental ! Je l’ai dit, une grande partie de la
sélection continue de se faire par les maths. Et comme cette discipline est souvent perçue comme
difficile par les élèves, beaucoup ont peur de regarder du côté de certains métiers. Comment parler
de choix quand toutes les options ne sont pas prises en compte ? Selon moi, la réussite scolaire, c’est
être en position de choisir sa voie…
C’est le combat que je mène depuis sept ans, moi Amina, fille d’ouvrier, boursière qui a grandi dans
le Pas-de-Calais et a atterri dans le 93 il y a douze ans. Cela ne m’a pas empêchée d’être diplômée de
l’une des meilleures écoles d’ingénieurs en France et de l’une des meilleures facultés dans son
domaine. Je travaille depuis des années avec des élèves pour permettre au plus grand nombre
d’améliorer leur niveau en maths. Cette cause est centrale à mes yeux, car élever le niveau permet de
remettre tout le monde sur un pied d’égalité. Chacun a le droit de choisir ce qu’il veut devenir.
Vers D-PhiAlpha
Comme les cours en binôme se passaient bien, j’ai augmenté progressivement la taille des groupes.
Quand de nouveaux élèves arrivaient, je complétais les groupes existants pour atteindre d’abord
trois, puis quatre enfants et adolescents. Au bout d’un an, chaque créneau horaire accueillait quatre
élèves de la sixième à la terminale.
J’ai continué de mélanger les niveaux, ce qui m’a obligée à développer une méthode d’enseignement
efficace pour répondre aux besoins différents de mes élèves. Quand ils arrivaient, je les installais
autour de la table et leur proposais un exercice rappelant la séance précédente. Puis je commençais
mon tour de table : je m’assois à côté d’un premier élève et je lui demande sur quel chapitre il
souhaite travailler. Je prends une feuille et un stylo, et je lui explique la première notion en écrivant
les éléments clés du raisonnement. Je lui donne ensuite les exercices associés à cette première
notion. Pendant qu’il travaille, je peux passer à un autre élève. Une fois le tour de table terminé, je
reviens au premier élève pour corriger avec lui ses exercices, pointer les erreurs, réexpliquer ce qui
n’est pas compris, et ainsi de suite.
Passer en quelques minutes de la physique aux maths, d’une notion à l’autre, d’un niveau à l’autre,
tout en ayant en tête le site Internet pouvant me fournir l’exercice le plus adapté aux besoins de
l’élève, toute cette gymnastique m’a obligée à être très efficace. Afin de gagner encore en agilité, j’ai
développé un protocole ultra-précis pour chacun des chapitres de maths de la sixième à la terminale
et pour la physique-chimie du niveau lycée. Je connais par cœur ce protocole, car je dois pouvoir le
dérouler instantanément d’un cours à l’autre. Et je l’ai enrichi progressivement en fonction des
besoins de mes élèves.
En plus de donner des cours, je me rendais également disponible pour accueillir les parents, pour
échanger avec eux quand le parcours de leurs enfants les inquiétait, et je conseillais les élèves pour
leur orientation, j’étais à leur écoute quand ils doutaient d’eux.
Cette manière de fonctionner a vite donné de bons résultats. Les notes augmentaient, les élèves
appréciaient les maths, ils étaient souvent contents de venir travailler – parfois même le week-
end ! – et ils conseillaient mes cours à leurs camarades. Rapidement, j’ai pu recevoir jusqu’à
cinquante élèves par semaine, et il m’est arrivé d’accompagner des fratries complètes. J’aime les
matières que j’enseigne, mais j’aime encore plus voir mes élèves trouver leurs marques, comprendre
les maths et gagner en confiance en eux. Il y a aussi cette réussite dont je suis particulièrement fière :
dans mes cours, j’avais plus de filles que de garçons, alors que les filles sont minoritaires dans les
filières scientifiques.
En septembre 2020, dès la rentrée, il ne me restait plus un seul créneau de libre. Impossible
d’accueillir davantage d’élèves, sauf à travailler avec d’autres enseignants. Mais je ne voulais pas
renoncer à ce qui fait la spécificité de mon projet – mon entreprise est comme une extension de
moi-même. Permettre aux élèves de comprendre et d’aimer les maths, mais aussi de croire en eux,
de se faire confiance, de s’autoriser à être ambitieux quelle que soit leur origine, permettre aux filles
de trouver leur place dans les filières scientifiques, voilà ce qui m’anime.
J’ai alors pris le temps de me poser pour tenter de répondre à cette question : pourquoi mes cours
fonctionnent-ils ? Comme à mon habitude, j’ai sorti une feuille de papier et un stylo, et j’ai fait un
schéma pour noter ce qui me tient à cœur et constitue, à mes yeux, le cœur de ma pratique.
Pour recevoir davantage d’élèves, les différentes tâches – les cours, les échanges avec les parents, les
conseils pour l’orientation – doivent être partagées. Créer une vraie structure s’impose, mais je
souhaite conserver l’esprit de ma pratique.
Le recrutement de nouveaux enseignants a été une étape délicate : je recherchais des profs ayant les
compétences académiques pour enseigner, se sentant à l’aise pour travailler avec des petits groupes,
restant bienveillants et acceptant de jouer le jeu en mettant en œuvre le Processus pédagogique que
j’applique depuis quelques années déjà. Il faut avoir l’esprit assez ouvert pour participer à une
aventure qui commence et accepter en même temps la méthode que j’ai mise en œuvre dans mes
cours depuis quelques années déjà. Si mon projet pédagogique était très clair pour moi, il devait
aussi emporter l’adhésion des nouvelles recrues. Une fois la nouvelle équipe constituée, nous avons
décidé ensemble de tester mon protocole pédagogique sur les six prochains mois. Je savais que ma
méthode de travail donnait de bons résultats avec les élèves, mais j’avais besoin de vérifier que mes
supports de cours étaient efficaces pour les autres enseignants et que ces derniers parvenaient à se
sentir libres dans leur pratique malgré ce cadre imposé. À la fin des six mois, le bilan d’équipe a été
positif et nous pouvons désormais nous consacrer à peaufiner le protocole : chaque fois que j’ai une
nouvelle idée, nous en discutons en équipe avant de la tester pour voir si elle donne les résultats
attendus.
Ce travail en équipe permet aussi de multiplier les contacts avec les élèves et les parents, même si je
continue d’assurer les premiers contacts avec les familles au moment de l’inscription (j’y reviendrai
plus loin). Enfin, des conférences métiers sont organisées afin de stimuler les élèves, d’ouvrir leur
horizon et de les guider dans leurs choix d’orientation.
Le changement le plus important a concerné l’organisation des cours : ils accueillent désormais des
enfants ou des adolescents de même niveau qui font tous la même chose, afin de renforcer les
échanges dans le groupe. Les élèves peuvent ainsi se soutenir mutuellement et le passage au tableau
sera profitable à tous. Les effectifs de la nouvelle structure étant plus importants, il est désormais
possible de constituer ces groupes de niveau et d’augmenter le nombre d’élèves dans chaque groupe,
pour le faire passer de quatre à six.
Au moment de me lancer dans cette nouvelle aventure, j’ai voulu trouver un nom qui claque et qui
résume ma philosophie et les valeurs qui me portent. J’ai cherché pendant des jours. J’y pensais
même la nuit dans mes rêves. Enfin, un matin, l’idée s’est imposée : D-PhiAlpha. Comme une
évidence. Comme un énoncé qui contient déjà la solution du problème.
Le nom comprend les deux lettres grecques phi et alpha, très utilisées en sciences. Mais derrière ce
nom se cache aussi un challenge, un défi alpha à relever et à remporter ! Vous avez sans doute
entendu parler de la théorie des mâles alpha, qui suggère qu’un individu de sexe masculin dans un
groupe animal domine ses congénères. Prononcez maintenant à voix haute le nom D-PhiAlpha.
Qu’entendez-vous ? Des filles alpha. Eh oui ! Un clin d’œil pour contrecarrer la domination des
hommes dans le domaine des sciences – comme dans de nombreux champs de la société,
d’ailleurs. D-PhiAlpha sera porté par des femmes fortes, des femmes ambitieuses, des femmes qui
aiment les sciences et qui formeront d’autres filles alpha.
L’esprit D-PhiAlpha est inscrit dans ce nom, qui incarne la mission à laquelle j’ai choisi de me
consacrer : faire des mathématiques un vecteur de liberté pour les enfants et les adolescents que
j’accompagne, et en particulier pour les filles. Ce pari est réussi en ce qui concerne ces dernières :
sur les 200 élèves accueillis en 2022, 55 % étaient des filles. Tout l’écosystème que nous avons mis
en place sans distinction de genre permet aux jeunes filles de gagner en confiance et de s’autoriser à
avoir des projets ambitieux ! « Femme » et « scientifique » sont deux mots qui vont si bien
ensemble…
Le contrat D-PhiAlpha :
un engagement tripartite
Depuis mes débuts, j’assume d’aller à contrecourant de la demande générale en refusant de donner
des cours dans le seul but d’améliorer les notes des élèves. Cet esprit a été reconduit dans la nouvelle
organisation : D-PhiAlpha n’est pas une structure de soutien scolaire destinée à colmater les
brèches, mais un espace qui permet aux élèves de se saisir du programme, de se constituer un bagage
mathématique et de se l’approprier. Je suis d’ailleurs très transparente sur ce point, en expliquant
aux parents que les notes sont secondaires, que nous ne préparons pas leurs enfants en vue des
contrôles et que nous ne sommes pas là pour assurer une aide aux devoirs. L’important, c’est que
l’élève comprenne, qu’il soit capable de faire le lien entre les notions, qu’il prenne du plaisir à
étudier les maths, à chercher, à réfléchir, à travailler de manière efficace. C’est le seul discours
auquel je crois.
Si les attentes des parents et de l’élève ne sont pas alignées avec ce projet, il n’y a aucune raison de
continuer la conversation. Cependant, à ma grande surprise, la manière dont fonctionne D-
PhiAlpha semble répondre à un besoin. Là où toutes les entreprises de soutien scolaire se vantent
d’une augmentation d’au moins quatre points sur la moyenne, D-PhiAlpha refuse d’avancer ce genre
de promesse. La seule promesse que nous faisons, car je sais que nous pouvons la tenir, c’est que
nous ferons tout ce qui est possible pour que les élèves progressent réellement, en nous appuyant sur
une méthode éprouvée et sur notre expérience. Un élève « fâché » avec les maths et qui se met à
apprécier cette matière constitue déjà une belle victoire. Un élève qui a le sentiment de mieux
comprendre en classe, c’est génial. Quand, en plus, les notes suivent, c’est extraordinaire. Car les
notes finissent toujours par suivre quand l’élève et les parents acceptent de jouer le jeu. Mais je ne
peux jamais dire combien de temps cela prendra pour que ce travail de fond retentisse sur les notes.
Chez D-PhiAlpha, on ne bachote pas ! Les notes que les élèves obtiennent sont le fruit de leur travail
en autonomie.
C’est d’ailleurs sur cette base que les élèves et les parents signent avec D-PhiAlpha2 un contrat pour
une année scolaire. La progression n’est possible que si les trois parties sont impliquées.
Généralement, quand des parents prennent contact avec moi, je leur demande de m’exposer la
situation et de me dire comment eux-mêmes, en tant que parents, perçoivent les difficultés de leur
enfant, puis j’explique très vite l’état d’esprit et la démarche de D-PhiAlpha. Ils doivent donc
accepter ce contrat pour que nous organisions un rendez-vous avec l’élève. Au cours de cet entretien,
j’aime recevoir ensemble parents et enfant. Je peux ainsi voir l’interaction qui existe entre eux (ou
son absence). On parle d’école, de notes, de travail. Cela me permet de détecter les tensions
éventuelles sur ces sujets. C’est un moment d’échange et d’écoute dans la bienveillance. Souvent, les
élèves se permettent d’extérioriser leurs sentiments : « Mes parents me mettent trop la pression »,
« J’ai pas envie de travailler »… Quand la situation est trop crispée, certains parents décident de
sortir de la pièce pour laisser leur enfant s’exprimer sereinement. J’ai affaire à des individus qui ont
tous une histoire différente, des blessures, des questionnements, et j’ai besoin de comprendre qui
ils sont. Certains élèves, compte tenu de leur histoire, auront parfois besoin de plus d’attention. On
ne réagit pas de la même manière quand un élève ne « réussit pas » parce qu’il ne veut pas travailler
et quand un élève manque de confiance en lui, ou qu’il a d’autres problèmes à affronter dans son
cadre familial. Ensuite, je communique à l’enseignante en charge de l’élève les informations dont
elle a besoin pour trouver la meilleure posture d’accompagnement.
Ces entretiens sont donc fondamentaux, car la « sélection » ne se fait pas sur les notes. Ce qui
m’intéresse, c’est d’avoir devant moi des élèves prêts à s’investir pour leur réussite. Ils restent au
centre du système. Quand je sens que l’élève n’est pas prêt à bouger et que sa présence à l’entretien
est surtout une volonté des parents, il m’arrive de refuser l’inscription. L’engagement de l’élève dans
son apprentissage est nécessaire pour qu’il progresse. Mais il est aussi indispensable à l’échelle du
groupe : un élève qui traîne les pieds peut mettre à mal la dynamique collective, qui est aussi l’un des
leviers de D-PhiAlpha.
Notes
1. Ce que je raconte ici se déroulait en 2016. Depuis, mes enfants sont entrés en primaire, et les
observer dans leurs apprentissages me permet de comprendre leur raisonnement, comment les
choses fonctionnent dans leur tête. C’est seulement en 2021, quand mon aînée est arrivée en CM1,
que j’ai ouvert des créneaux pour les élèves du primaire (pour l’instant, uniquement pour le CM1 et
le CM2).
2. Nous organisons aussi des stages pendant les vacances scolaires, mais l’engagement à l’année est
la formule privilégie par D-PhiAlpha pour assurer un suivi sur le long terme.
LE CŒUR DE LA MÉTHODE : UNE PROGRESSION
PAR NOTIONS
Avant d’aborder le protocole D-PhiAlpha, il est nécessaire de rappeler comment sont construits les
programmes de maths à l’école. En premier lieu, il faut savoir que l’enseignement est découpé en
cycles pluriannuels :
• le cycle 1, ou cycle des apprentissages premiers, correspond aux trois sections de maternelle ;
• le cycle 2, ou cycle des apprentissages fondamentaux, regroupe le CP, le CE1 et le CE2 ;
• le cycle 3, ou cycle de consolidation, réunit le CM1, le CM2 et la sixième pour faciliter la
continuité pédagogique entre l’école primaire et le collège ;
• le cycle 4, ou cycle des approfondissements, couvre les années de collège de la cinquième à la
troisième ;
• le lycée, enfin, prépare les élèves à l’enseignement supérieur pour les élèves qui suivent la voie
générale.
Certaines notions sont abordées très tôt, puis approfondies d’année en année. D’autres sont ajoutées
au fil du temps, une fois les bases acquises. En mathématiques par exemple, les statistiques sont
introduites en classe de cinquième1. L’objectif, pour l’élève, est de se familiariser avec les premières
notions des séries statistiques : comprendre les données présentées dans un tableau, un diagramme
ou un graphique ; calculer des effectifs ou des pourcentages ; comprendre ce qu’est une moyenne et
apprendre à la calculer dans des cas relativement simples. En classe de quatrième, ces différentes
notions sont approfondies et on y ajoute la moyenne pondérée et la notion de médiane sur des séries
statistiques à petit effectif (maximum 30). Le programme de troisième propose une révision des
notions abordées en cinquième et en quatrième, ainsi que l’étude de la notion d’étendue.
Cette organisation sous forme de cycles est intéressante pour les maths, car elle permet de revenir
plusieurs fois sur des notions clés pour en consolider l’apprentissage. Un élève qui est passé à côté
d’une notion en cinquième aura ainsi une chance de raccrocher les wagons en quatrième ou en
troisième.
En théorie, cette approche est tout à fait cohérente. En pratique, comprendre les programmes
officiels (notamment pour le cycle 4) n’est pas toujours facile. Les informations sont regroupées sur
le portail Eduscol2. Un jeune enseignant qui souhaite prendre connaissance du programme officiel
doit jongler avec trois documents : le programme du cycle 4, les attendus de fin d’année et les
repères annuels de progression. Le site met aussi en ligne des ressources pédagogiques, mais celles-
ci ne sont pas toujours articulées de façon claire : on trouvera ainsi des conseils spécifiques au
cycle 4 et des rubriques à cheval sur le collège et le lycée, puisqu’elles couvrent les programmes de la
quatrième à la seconde incluse3.
Dans ces conditions, le manuel scolaire, conçu par des spécialistes et conforme aux instructions
officielles, est un support précieux pour construire le cours (en particulier pour les jeunes profs).
Les éditeurs font d’ailleurs un travail approfondi pour analyser les programmes et en faciliter la
compréhension (le manuel est destiné à l’élève, qui doit donc pouvoir s’y retrouver). Le manuel
rassemble ainsi les notions clés, organisées en chapitres, ainsi que toute une batterie d’exercices qui
entrent tous dans le programme. Il propose aussi d’autres outils, comme des activités pour découvrir
une notion, des exercices très longs appliqués à d’autres matières, des points d’histoire sur des
notions, des QCM, etc. Le contenu est souvent intéressant, parfois même ludique et dynamique,
mais les élèves ont généralement du mal à s’y retrouver seuls.
Cette difficulté s’explique facilement : l’enseignement des maths se décompose en effet en grands
thèmes d’étude (la proportionnalité, l’algèbre, les statistiques, les fonctions numériques, les
probabilités, la géométrie, etc.) que l’élève explore sur plusieurs années consécutives. Dans les
manuels, ces grands thèmes sont répartis en une succession de chapitres, mais les élèves ne font pas
forcément le lien entre les différentes notions abordées, en particulier pour celles qui peuvent être
manipulées dans plusieurs thèmes. Chaque chapitre est alors perçu comme un fragment autonome.
Et ce, d’autant plus que, à la fin de l’étude du chapitre, un contrôle évalue les connaissances
acquises4. Ensuite, l’enseignant passe à un autre chapitre, l’élève apprend, puis prépare un nouveau
contrôle sur la thématique suivante, et ainsi de suite… Entre les deux, l’élève semble appuyer sur le
bouton Reset de son cerveau : on efface tout et on recommence.
Prenons un exemple. Le programme de sixième s’articule en trois grands thèmes : nombres et
calculs, grandeurs et mesures, espace et géométrie. Dans le premier thème, qui couvre plus de la
moitié du programme de l’année, l’élève abordera les nombres entiers, les nombres décimaux, les
opérations, les fractions et les proportions. Rien que ça ! Dans ces conditions, comment font les
profs avec toutes ces données à transmettre ? Eh bien, un peu comme ils veulent. Ou, plutôt, comme
ils peuvent !
C’est en effet l’enseignant qui construit l’enchaînement du programme – ce choix peut aussi être
décidé au niveau de l’établissement afin d’assurer une certaine cohérence entre les différentes
classes. L’apprentissage de l’élève est donc lié à l’organisation du cours. Certains enseignants
préfèrent s’appuyer sur le manuel scolaire de l’établissement5. Pour schématiser, il y a en gros deux
stratégies : suivre strictement l’ordre du manuel en traitant intégralement chaque chapitre avant de
passer au suivant (progression linéaire), ou adopter une progression spiralée, qui découpe chaque
chapitre en plusieurs parties pour les aborder à différents moments de l’année.
Avec la progression linéaire, une notion sera abordée dans sa globalité dans un chapitre, mais, faute
de temps, elle ne sera pas forcément approfondie ultérieurement, car la lourdeur des programmes
ne permet pas toujours à l’enseignant de proposer des exercices transversaux pour réactiver les
connaissances. Ce problème est particulièrement perceptible au moment des contrôles communs
annuels, qui mélangent toutes les notions abordées pendant l’année. Et là, c’est la panique !
Collégiens et lycéens ont du mal à comprendre la présence d’une question sur les proportions dans
un exercice de géométrie. Selon moi, c’est précisément ce manque de lien entre les chapitres, entre
les niveaux, entre les notions qui explique la plupart des difficultés rencontrées par les élèves,
notamment à partir de la classe de première, quand l’élève doit être capable de mobiliser seul tout
son bagage mathématique.
La progression spiralée, préconisée dans les documents pédagogiques officiels, conduit à traiter un
même thème dans différents contextes : par exemple, pour faire travailler les règles de calcul sur les
quotients (programme de quatrième), le prof peut prévoir d’aborder successivement ces règles en
algèbre, en géométrie ou encore dans une partie de chapitre sur les équations. Avec cette façon de
procéder, une même notion peut être réinvestie à plusieurs reprises dans l’année. Ce qui, en
théorie, pourrait faciliter son apprentissage, tout en évitant de lasser la classe avec une masse de
connaissances et des séquences trop longues sur un même thème. Dans les faits, une partie des
élèves a souvent du mal à s’y retrouver dans cette alternance des thèmes et ne réussit pas toujours à
repérer les éléments à maîtriser. De plus, chaque fois que l’enseignant revient sur une notion, il doit
s’assurer que l’apprentissage est acquis, ce qui, là encore, prend du temps.
Un exemple tout simple illustre bien la difficulté, pour les élèves, de rassembler les morceaux d’un
enseignement fragmenté. Dans le programme de sixième, un chapitre est consacré aux fractions. Le
collégien considère donc la fraction simple ½. Concentré sur son chapitre « Les fractions », il ne
pense pas toujours à piocher dans ses autres connaissances et ne se rend pas forcément compte
qu’une fraction est avant tout un nombre décimal (½ = 0,5), une notion étudiée quelques semaines
plus tôt dans un autre chapitre. Mais une fraction, c’est aussi 1 divisé par 2, ou encore un
pourcentage (½ = 50 %). Si tous ces liens simples échappent au collégien, comment s’étonner qu’en
classe de seconde certains lycéens aient du mal à voir que ½ = 0,5 ? C’est un peu comme si, en lisant
LUNE, l’élève ne pouvait voir que la succession de lettres L-U-N-E, sans percevoir le mot dans sa
globalité.
Cette articulation notion-outil est plus parlante pour l’élève. Pour résoudre un problème,
l’organisation du programme en chapitres ne lui sera pas d’une grande utilité, car il a surtout besoin
de savoir quelles connaissances il peut mobiliser, avec tous les outils associés. On en revient aux
quatre premiers étages de la pyramide : savoir que des outils existent, savoir à quoi ils servent, savoir
les manipuler sur des exemples simples et se renforcer dans l’exercice de cette manipulation. S’il
procède de cette façon, ces outils pourront constituer son bagage mathématique, un sac à dos qu’il
remplit au fil du temps. Face à un problème de maths, s’il maîtrise le contenu de son cours (les
notions) et qu’il sait le manipuler, il aura plus de chances de sortir les bons outils.
Après que toutes les notions sur le développement ont été abordées, avec tous les outils qui les
accompagnent, puis que les élèves ont appris à manipuler ces notions séparément, on passe à la
phase d’entraînement qui va mélanger les trois notions dans des exercices simples, puis
progressivement plus complexes.
Une fois cet ensemble terminé, on aborde la factorisation, qui est en quelque sorte l’exercice inverse
du développement.
20 % des élèves d’une classe de 30 sont blonds. Combien y a-t-il d’élèves blonds ?
« En mathématiques, les mots “de”, “du”, “des”, “d’” ou “de la” se traduisent
souvent par une multiplication. »
Certes, la formule n’est pas très jolie, mais elle est simple, efficace et facile à mémoriser. Au moins,
face à une question de ce type, l’élève n’est plus bloqué et réussit à poser la bonne opération !
Je tiens à souligner que j’enseigne les maths comme beaucoup de mes enseignants me les ont
enseignées, avec des astuces, des petits trucs, des images, etc. Et j’ai repris bon nombre de ces trucs
et astuces dans nos fiches, qui constituent l’outil de base de la méthode D-PhiAlpha. Ces fiches sont
des supports de cours pour nos enseignantes9 et elles sont présentées aux élèves. Elles ont aussi été
rassemblées par niveau dans nos livres Mes fiches de maths (voir les pages qui suivent) et elles sont
également mises en ligne sur notre plate-forme d’e-learning (voir ici).
La plateforme D-PhiAlpha
Pour étendre l’accès à D-PhiAlpha, j’ai aussi imaginé un outil numérique qui permet, pour 10 euros
par mois10, de franchir au moins les trois premiers niveaux de la pyramide :
• savoir que des outils existent ;
• comprendre à quoi ils servent ;
• apprendre à les utiliser.
La majorité des collégiens et lycéens inscrits sur notre plateforme D-PhiAlpha Academy atteignent
même assez aisément le niveau 4 (se renforcer). Tous les niveaux sont inclus dans l’abonnement, ce
qui permet aux élèves de revenir au besoin sur des notions figurant au programme des années
précédentes et qu’ils ne maîtrisent pas.
Dans cette plateforme construite grâce à notre expérience de terrain, on retrouve la même
organisation que dans nos cours, avec des vidéos d’une dizaine de minutes pour expliquer les
notions. Quelque 1 500 vidéos sont disponibles, ainsi que des milliers d’exercices (les mêmes que
ceux proposés à nos élèves dans les cours collectifs). Quand je travaillais en solo, j’avais recours à
Internet pour les exercices11, en précisant toujours la source, bien sûr. Pour D-PhiAlpha, nous avons
créé tous les exercices que nous proposons à nos élèves, en présentiel comme sur la plateforme. Ce
qui nous offre une précision « chirurgicale », puisque nous inventons l’exercice dont nous avons
besoin pour travailler telle ou telle notion. Nous sommes ainsi en mesure de proposer le bon
exercice au bon moment.
Bien sûr, il existe une multitude de chaînes de maths sur Internet. Et je suis ravie de voir que des
profs investis rendent les maths plus accessibles grâce à des vidéos. Cependant, pour trouver un
contenu précis, l’élève doit savoir précisément ce qu’il cherche. Par exemple, s’il veut comprendre le
développement et qu’il tape sur son moteur de recherche « comment développer », il va se retrouver
avec une longue liste d’entrées possible (identités simples, doubles, remarquables, etc.). Il faut donc
déjà avoir une bonne connaissance des notions mathématiques pour naviguer sur Internet. Or, par
définition, quand on est en position d’apprenant, on découvre au fil du temps ce qu’on doit
apprendre. Sans oublier que, quand un élève rencontre une difficulté sur un point précis, cela
provient souvent de difficultés antérieures…
Autre frein : beaucoup de parents hésitent à laisser leur enfant naviguer seul sur YouTube. Notre
plateforme permet à l’élève de travailler en autonomie, même pour les plus jeunes. Tout le contenu
est organisé de manière « logique » : il suffit de suivre la progression en cliquant sur le bouton
« Suivant ». Au lieu de se retrouver devant une masse d’informations ou de devoir aller chercher
d’autres précisions en naviguant sur Internet, l’élève dispose d’une plateforme organisée pour qu’il
puisse travailler seul sans se laisser embarquer par des suggestions de liens vers telle ou telle vidéo
explicative (ce qui est généralement le cas avec les chaînes de maths sur YouTube, par exemple). De
plus, la plateforme reprend l’organisation des cours en introduisant les notions l’une après l’autre.
D’ailleurs, nous recommandons vivement aux utilisateurs de suivre l’ordre proposé, qui reprend
celui que nous adoptons dans les cours en présentiel. Par exemple, avant de travailler les identités
remarquables, nous proposons systématiquement une révision des bases du calcul littéral. Un élève
qui travaille seul peut être tenté de sauter cette étape. Or si les bases ne sont pas acquises, il va vite se
sentir perdu, sans savoir d’où vient le problème. La plateforme, comme les cours en présentiel, est
précisément conçue pour que les élèves disposent d’un socle de connaissances solide.
Je vous propose une illustration avec l’étude de la simple distributivité, une notion clé pour le calcul
littéral.
Pour cette notion, sur la page d’accueil, le menu déroulant à gauche indique le titre du chapitre (« Le
développement »), suivi de son découpage dont l’élève est invité à suivre chacune des étapes dans
l’ordre proposé.
Après avoir cliqué sur le bouton « Suivant », l’élève se retrouve sur une fenêtre qui lui propose une
vidéo rappelant les bases de la simple distributivité.
Comme dans le cours en présentiel, une fiche apparaît dans la vidéo. Pour le niveau collège, un petit
personnage (masculin ou féminin) rapporte ce que j’aurais dit aux élèves dans un cours en
présentiel, et la fiche est progressivement complétée sous les yeux de l’élève12.
Une fois qu’il a visionné la vidéo (s’il le souhaite), l’élève clique de nouveau sur « Suivant » et arrive
sur une page qui lui propose un premier exercice d’application de la simple distributivité. Il doit
alors prendre sa feuille et son stylo pour faire l’exercice, exactement comme en classe.
Plusieurs exercices sont proposés pour chaque notion et la correction est donnée à la page suivante,
soit par écrit, soit en vidéo.
À la fin du chapitre, une fois que l’élève a abordé successivement toutes les notions (dans le cas du
développement, la simple et la double distributivité, puis les identités remarquables), il est invité à
se tester.
Tout au long de sa démarche d’apprentissage, l’élève peut revenir sur les explications, mettre la
vidéo sur « pause », la réécouter plusieurs fois. Il progresse ainsi à son rythme.
La plateforme reprend par ailleurs l’organisation de nos cours.
• L’outil est présenté dans une fiche manuscrite, qui est ensuite commentée dans une vidéo.
L’élève découvre ainsi les méthodes et les astuces qui lui permettent d’être rapidement
opérationnel.
• Une série d’exercices associés à l’outil sont proposés dans un ordre précis. Pour effectuer les
exercices, l’élève doit… prendre une feuille et un stylo. Eh oui ! En maths, il faut réfléchir,
gribouiller sur une feuille, apprendre à exposer son raisonnement. L’écrit représente une étape
primordiale. L’objectif reste de convaincre, avec un raisonnement, des calculs, des théorèmes,
des propriétés. C’est d’ailleurs cette démonstration écrite qui est évaluée : l’élève a-t-il réussi à
convaincre son professeur ?
• À la fin, une petite évaluation sous forme de QCM permet à l’élève de faire un point sur
l’acquisition de l’outil.
Notre outil numérique reste délibérément assez classique dans l’organisation de l’apprentissage. Je
ne crois pas en effet aux révisions en maths avec uniquement des QCM. Écrire à la main favorise
l’apprentissage. Un élève doit faire et refaire un certain nombre d’exercices qui l’aideront à
apprendre son cours, à le comprendre, à développer ses automatismes et à favoriser sa
mémorisation. Avec l’avènement du numérique, les claviers ont tendance à remplacer le stylo, ce qui
est vraiment dommageable : des chercheurs américains ont montré que le fait d’écrire à la main
fournit une expérience perceptivo-motrice qui unifie ce qui est appris et permet ainsi un
apprentissage plus complet. Une autre étude, conduite par des scientifiques norvégiens, a montré
que le geste d’écrire active des parties du cerveau utiles pour mémoriser de nouvelles informations.
Notre plateforme peut contribuer à pallier certains problèmes d’apprentissage liés aux conditions
dans lesquelles se déroulent parfois, malheureusement, les cours au collège ou au lycée :
environnement bruyant qui empêche de se concentrer, classes surchargées, professeurs absents non
remplacés. Elle pourra aussi être une aide précieuse pour les élèves qui ont besoin de plus de temps
pour assimiler les notions, pour ceux qui souhaitent avancer sur le programme, pour ceux encore qui
apprécient d’écouter des explications différentes de celles données par le prof afin de parfaire leur
compréhension, etc.
Finalement, les différents supports déclinent un protocole d’apprentissage qui s’est construit sur le
terrain et qui met en valeur les notions clés que les élèves doivent maîtriser pour construire leur
bagage mathématique. On me reproche parfois de proposer trop de choses avec D-PhiAlpha (des
cours, des livres et une plateforme), au lieu de me consacrer à l’une ou l’autre forme
d’enseignement. Mais je tiens à cette diversité. D’ailleurs, depuis un an et demi, l’école en visio est
testée sur deux groupes de quatre et le modèle d’apprentissage fonctionne13. Certes, en tant
qu’enseignante, ma préférence va aux cours en présentiel, mais la plateforme permet de toucher un
public éloigné géographiquement. Cela dit, la légitimité de D-PhiAlpha s’est construite sur le
terrain, dans les interactions avec les élèves et dans les discussions avec les parents, quand ils
évoquent leurs angoisses ou leurs espoirs. Ce sont ces liens qui m’ont permis de concevoir un
protocole déclinable sur différents supports. À partir de là, chacun peut choisir la formule qui lui
convient, en fonction de ses besoins et de ses moyens.
Notes
1. Pour être plus précis, elles sont introduites dès le CM1-CM2 : à ce stade, les élèves doivent être
capables de lire et de comprendre des données dans des tableaux (à simple ou double entrée), des
histogrammes, etc., et d’en extraire les informations nécessaires. Mais le mot « statistique » ne fait
réellement son apparition qu’en classe de cinquième, avec des attendus très clairs sur
l’interprétation, la représentation et le traitement des données.
2. Site officiel d’information et d’accompagnement des professionnels de l’éducation, élaboré par
le ministère de l’Éducation nationale.
3. S’y retrouver dans le maquis des recommandations pédagogiques, qui changent en outre
régulièrement, est chronophage pour les enseignants : cela demande beaucoup d’énergie pour
comprendre les préconisations, essayer de les mettre en pratique, tester des variantes pour les
améliorer, etc., jusqu’à la prochaine réforme ! Et pendant ce temps, les élèves sont les cobayes de
démarches pas toujours abouties.
4. Sur la question des contrôles et des notes, véritable cancer de notre système éducatif, je vous
renvoie au chapitre 4 de la partie I.
5. Ce sont les enseignants, réunis par discipline au sein de conseils d’enseignement, qui
sélectionnent les manuels, lesquels sont tenus de respecter l’esprit des instructions officielles sur le
programme.
6. Cette « contrainte » est d’ailleurs abordée dès le recrutement, et les parents comme les élèves
acceptent également ce contrat. D-PhiAlpha ne s’affiche pas comme une structure de soutien
scolaire classique, puisque nous ne faisons pas l’aide aux devoirs et que nous ne préparons pas les
élèves pour les contrôles. Notre objectif est de leur fournir tous les outils pour qu’ils puissent faire
seuls leurs devoirs à la maison et se préparer seuls aux contrôles.
7. Au chapitre suivant, je reviens en détail sur le déroulé des cours et le travail sur les automatismes.
8. Les identités remarquables ne sont plus au programme de troisième, mais beaucoup
d’enseignants les abordent en cours, donc nous les traitons également chez D-PhiAlpha.
9. Le support de cours destiné aux enseignantes contient aussi les exercices adaptés à la notion
étudiée, mais ces derniers ne figurent pas dans les livres qui réunissent nos fiches par niveau
scolaire.
10. Pour un abonnement annuel, le tarif est de 99 euros, soit un peu plus de 8 euros par mois.
11. Avec des supports comme Maths PDF (https://maths-pdf.fr), Lycée d’adultes
(www.lyceedadultes.fr), ChingAtome (https://chingmath.fr) ou encore Le livre scolaire
(www.lelivrescolaire.fr).
12. Ces petits personnages ont disparu dans le niveau lycée, car le contenu est plus dense, et ce type
d’animation ne m’a pas semblé pertinent avec les élèves plus grands.
13. Les enseignants sont équipés de tablettes graphiques pour interagir avec leurs élèves.
LE DÉROULÉ D’UN COURS
Au collège et plus encore au lycée, une grande partie des cours de maths est généralement consacrée
à la théorie. Cela semble logique, puisque la compréhension est une étape incontournable avant de
pouvoir faire les exercices. Le cours est tantôt projeté, tantôt noté au tableau par le professeur, qui
met en relief les informations importantes. La méthode qui consiste à écrire le cours au tableau
pendant que les élèves le recopient dans leur cahier est à mon sens plus intéressante, car la notation
écrite facilite le travail de la mémoire. En effet, le passage à l’écrit, de la main de l’apprenant, est
déjà une forme d’appropriation du savoir. Mais écrire au tableau suppose pour l’enseignant, de
tourner le dos à une trentaine de préados et d’ados cherchant à s’affirmer. Cette situation de
vulnérabilité n’est pas toujours simple à gérer. Autre frein : tous les élèves ne notent pas le cours au
même rythme, l’enseignant doit donc se caler sur les plus lents avant de passer à la suite. Enfin,
beaucoup de profs avouent avoir du mal à finir le programme et finissent par se tourner vers les
polycopiés, qui leur permettent de réserver du temps pour les exercices.
D’autres enseignants vont choisir un modèle hybride, avec des textes à trous que les élèves
complètent. Une fois la partie théorique terminée, des séances d’exercices en classe entière ou en
demi-groupe sont prévues.
Depuis quelques années, de nouvelles façons d’enseigner ont vu le jour avec la prolifération de
vidéos YouTube consacrées aux maths. Ainsi, des professeurs demandent aux élèves de visionner ces
tutos avant le cours et consacrent les séances en classe aux exercices. La théorie pour YouTube, la
pratique en classe.
Chaque professeur choisit donc la modalité qui lui convient. Et les élèves dans tout ça ? Moi qui les
côtoie en dehors du système scolaire, je les entends souvent se plaindre d’un manque de rythme en
classe. Durant la phase où l’enseignant explique le cours, ils restent trop passifs. C’est pire quand le
cours est projeté, car ils ont encore plus de mal à rester concentrés du début à la fin. Rappelons en
effet que la durée moyenne d’attention d’un être humain est comprise entre 10 et 15 minutes, alors
qu’un cours peut durer quasiment une heure au collège, et parfois deux au lycée1.
Un des grands enjeux du cours de maths, c’est donc de trouver le juste équilibre entre théorie et
pratique. Quand j’interroge mes élèves sur les difficultés qu’ils rencontrent au collège ou au lycée,
beaucoup évoquent des exercices difficiles à exécuter malgré une bonne compréhension du cours et
des notions bien apprises. Or, selon moi, un cours qui ne permet pas le passage à l’application a
manqué cible. Cela revient à assembler les parties d’un marteau sans comprendre ensuite comment
planter un clou. À quoi sert un marteau dans ces conditions ?
Inversement, quand le cours privilégie la pratique au détriment de la compréhension des concepts
mathématiques, les élèves ont le clou bien en main, mais il leur manque le marteau, qu’ils n’ont pas
réussi à fabriquer. Et cela ne fonctionne pas davantage.
De plus, par manque de temps, les problèmes les plus complexes sont souvent réservés aux exercices
à faire à la maison ou aux devoirs sur table. Pourtant, en mathématiques, acquérir des automatismes
est indispensable – tous les matheux vous le diront. Après l’étape de la compréhension et de
l’assimilation des notions, l’utilisation de certains outils doit devenir automatique afin de libérer de
la place dans le cerveau pour les problèmes plus complexes. Dans l’organisation des cours au collège
et au lycée, hélas, il n’y a pas toujours suffisamment de temps consacré à l’acquisition de ces
automatismes, avec des exercices simples ou des questions types auxquelles les élèves doivent
répondre du tac au tac. Or, comme pour les tables de multiplication, seul un entraînement régulier
permet de développer cette pratique. Et c’est une modalité à laquelle beaucoup de professeurs
répugnent, comme si la répétition mécanique risquait de dévaluer la pratique mathématique. Pour
ma part, je pense qu’on ne peut faire l’économie ni de la compréhension ni de la répétition. Il faut à
la fois comprendre ET savoir faire. C’est sur ce principe que sont construits les cours chez D-
PhiAlpha.
La force du collectif
En créant D-PhiAlpha, j’ai abandonné ma petite pièce de 15 mètres carrés pour un local d’environ
60 mètres carrés, avec trois petites salles de classe. Mais l’aménagement est resté le même : enfants
et adolescents continuent de s’installer autour d’une grande table, qui favorise les échanges et
permet à l’enseignant de passer d’un élève à l’autre pendant le cours. Même s’il y a désormais un
tableau, j’ai voulu éviter de reproduire la configuration d’une salle de classe. Pas d’élève au premier
rang, ni au dernier. Nous sommes tous réunis autour d’une table pour faire des sciences, réfléchir et
progresser ensemble.
La dimension collective est un élément clé de D-PhiAlpha. Pendant quatre ans, j’ai accompagné des
groupes avec des élèves de niveaux scolaires différents, ce qui permettait à chacun de travailler sur
un point du programme dans lequel il se sentait peu à l’aise. Cette option avait aussi l’avantage de
faciliter l’ouverture de créneaux plus nombreux alors que j’étais seule à enseigner. Mais je restais
convaincue que le fait de mettre au travail tout le groupe sur les mêmes notions pouvait rendre la
séance plus vivante, donc les maths plus attrayantes. La création de D-PhiAlpha a été l’occasion de
relever ce défi. J’ai même testé ce nouveau format avec des élèves qui avaient connu les groupes de
niveaux différents. Tous ont approuvé le changement, car le fait d’avoir des échéances communes
(brevet ou bac) les incite à échanger sur le contenu de leurs cours à l’école, sur leurs difficultés, etc.
Avec les autres enseignants, nous avons aussi observé que, lorsque nous donnons une explication à
un élève pendant notre tour de table, un autre élève peut prendre la parole pour livrer ses propres
astuces.
Je suis intimement convaincue que la progression est toujours plus spectaculaire à plusieurs. On a
besoin des autres pour réussir, pour se comparer, pour avancer. Personnellement, j’aime la
compétition et je trouve sain de pouvoir se situer par rapport au groupe, car cela permet de
s’améliorer au besoin. Pour moi, l’apprentissage et la progression passent par la compétition. Mais
quand je parle de compétition, je ne vise pas le jeu de la course en tête qui vise le plus souvent à
écraser les adversaires. Je vise plutôt la course à la réussite, où le rythme soutenu de certains nous
pousse à aller plus vite et plus loin, où l’élan collectif nous porte vers la ligne d’arrivée. Il s’agit avant
tout de grandir ensemble avec un objectif commun : progresser ! Pour une réussite mutuelle. Réussir
s’envisage avec les autres, pas contre eux. En groupe, les élèves comprennent toute l’importance et la
pertinence d’être en compétition avec soi-même. Rivaliser collectivement pour avancer ensemble
invitent à se dépasser individuellement.
Contrairement à l’organisation que j’avais adoptée avant la création de D-PhiAlpha, où je mélangeais
sur un même créneau des élèves de la sixième à la terminale, chaque groupe est désormais constitué
par niveau, et nous proposons deux heures de cours par semaine pour les collégiens et les lycéens de
seconde, et deux heures et demie par semaine pour les élèves de première et de terminale.
Les groupes pouvant accueillir jusqu’à six élèves (contre quatre au maximum dans la « structure
Amina »), nous pouvons avoir plusieurs groupes pour chaque classe (sixième, cinquième, etc.), mais
nous ne les constituons pas en fonction des compétences des élèves. Car si ce fonctionnement ne
pose aucun problème quand tous les enfants ont un bon niveau – c’est même la configuration
idéale –, cela peut, quand tous les élèves rencontrent des difficultés, générer une énergie négative et
faire obstacle à l’émulation collective, si fondamentale pour progresser. La dynamique de groupe est
un élément clé de l’apprentissage, car c’est elle permet d’avancer ensemble. Si l’enseignant doit
consacrer du temps à chaque élève pour qu’il continue de progresser, le reste du groupe est arrêté
dans son apprentissage.
Pour préserver la dynamique collective, nous formons donc des groupes dans lesquels il n’y a jamais
plus de deux élèves en grande difficulté. Tout en continuant d’avancer avec le reste du groupe,
l’enseignante peut ainsi leur consacrer plus de temps pour leur permettre d’atteindre rapidement un
niveau moyen qui leur assure un minimum d’autonomie. Nous déplaçons en permanence le curseur
entre l’attention portée à chaque élève et l’attention portée au groupe.
Quand un élève est en difficulté, il s’agit avant tout de le rassurer. Avec du travail et un soutien
adapté, nous savons qu’il réussira à passer le cap. C’est juste une question de temps. De plus, le
travail en groupe lui permet de voir que les autres peuvent caler sur les mêmes notions que lui, et
c’est hyper-rassurant de ne pas se sentir un cas isolé ! La force de D-PhiAlpha, c’est de ne pas
dramatiser les obstacles rencontrés, d’accepter les « erreurs » qui font avancer, de valoriser la
progression, aussi minime soit-elle, d’encourager le travail et la motivation. Il n’y a rien de plus
puissant qu’un élève en difficulté qui veut y arriver dès lors qu’il est conscient du chemin à
parcourir, qu’il n’a pas peur de dire qu’il ne sait pas faire et qu’il assume objectivement ses
« limites ».
Comme nous accueillons des collégiens et des lycéens venant d’établissements différents, ils ne
suivent pas forcément le programme dans le même ordre à l’école. Au début de l’année, certains
auront commencé par étudier les statistiques, d’autres la géométrie, etc. Chez D-PhiAlpha, tous les
élèves suivent le même programme, et celui-ci ne colle pas forcément avec ce qu’ils étudient en
classe. Cette façon de faire habitue leur cerveau à penser les maths de manière globale. Statistique,
géométrie, arithmétique, tout cela reste des maths, quel que soit l’ordre dans lequel ces thématiques
sont abordées. Certains parents redoutent que cette démarche embrouille les élèves, mais ces
derniers font très vite la distinction entre les cours prodigués en classe et ceux de D-PhiAlpha. Car
tout est différent : le lieu, les camarades, les profs et la méthode.
Notes
1. Selon une circulaire de 1976 toujours en vigueur, l’heure de cours se répartit impérativement en
55 minutes d’enseignement et 5 minutes d’interclasse.
2. C’est plus rare à partir de la première pour les spécialités, car le programme est très dense et cette
façon de faire ralentit le cours.
3. Les élèves peuvent retrouver la fiche complète et le support de cours en accès libre sur la
plateforme.
BIEN PLUS QU’UN COURS DE MATHS
J’ai rencontré beaucoup d’élèves « bloqués » en maths et éprouvant devant cette discipline une peur
qui finissait par les rendre moins performants et compromettait leurs apprentissages. Car c’est une
peur qui s’autonourrit : en échouant à venir à bout d’un exercice, on renforce l’anxiété, qui elle-
même augmente la probabilité d’échouer. Permettre aux enfants et aux adolescents que
j’accompagne de dépasser cette peur est donc pour moi aussi important que leur proposer un cours
clair et correctement structuré.
Instaurer une atmosphère bienveillante dans notre structure et dans notre façon d’enseigner a été
l’un de mes premiers objectifs pour nourrir la confiance en soi de nos élèves. Et je suis aujourd’hui
très fière de notre équipe de superprofs : en plus de leurs grandes compétences en maths, ce sont
des femmes très humaines, bienveillantes et rassurantes, trois qualités essentielles à mes yeux pour
faire un bon pédagogue. Car c’est ce qui donnera envie à l’élève de venir et d’avancer en faisant
tomber une à une les barrières qui le bloquent.
D’ailleurs, cette approche empathique se retrouve à la fois dans nos livres et dans notre plateforme
e-learning. Dans nos livres, la forme aérée et l’écriture manuscrite « brisent » l’image imposante du
savoir mathématique, qui paraît aussitôt plus accessible. J’ai conçu toutes les fiches avec le désir de
les rendre compréhensibles, agréables à regarder et à lire. Cette émotion au bout du stylo semble se
ressentir.
Avec la plateforme, l’objectif n’est pas de fournir du contenu à tout prix, mais de proposer un
accompagnement « incarné ». Je me suis chargée moi-même de toutes les vidéos, et les élèves sont
donc accompagnés par la même voix sur toute la durée de leur apprentissage. Et j’ai adopté le même
état d’esprit que dans mes cours en présentiel. Me montrer rassurante dans l’enseignement d’une
discipline qui fait peur est quelque chose qui me tient à cœur.
Le chemin qui m’a conduite à créer D-PhiAlpha ne fait sans doute pas de moi une experte des
questions éducatives et des structures scolaires, mais il m’a permis de pointer du doigt certains
dysfonctionnements du système actuel. Les constats posés dans la première partie de ce livre
montrent à quel point il devient urgent de trouver des solutions pour améliorer le niveau des élèves
en sciences et leur donner les moyens d’affronter les enjeux de demain. Il devient également vital
que tous les élèves, quel que soit leur sexe ou leur origine sociale, aient les mêmes chances face aux
études.
Mon propos n’est pas de désigner des responsables de la crise que l’école traverse, mais d’essayer
d’ouvrir une discussion apaisée et raisonnable qui permettrait de faire bouger les lignes.
Pour que l’école retrouve tout son sens, je crois qu’il est nécessaire de la faire exister autour de
valeurs communes, celles qui nous réunissent et nous rendent plus forts ! En effet, l’école n’est pas
un simple lieu d’apprentissage, elle rassemble autour d’elle les membres d’une même nation avec un
objectif commun : l’éducation, l’épanouissement, la réussite de nos enfants, qui sont la garantie
d’une société prospère. Liberté, égalité, fraternité… Vouloir augmenter le niveau des élèves sans
prendre en compte tout ce qui constitue l’école est voué à l’échec. La baisse du niveau général n’est
que la conséquence d’une école qui va mal.
Heureusement, la grande majorité des enseignants ont un réel désir de pousser leurs élèves à
donner le meilleur d’eux-mêmes. Car un bon pédagogue ne se définit pas uniquement par son
niveau académique, mais par son envie de transmettre et de voir les jeunes s’élever. Nous avons tous
en tête le souvenir d’un prof qui a tout changé pour nous, et je suis profondément convaincue
qu’enseigner est une mission magnifique. Pour toutes ces raisons, nous devons tout faire pour
rendre le métier d’enseignant de nouveau attractif. Trop souvent décriés, les professeurs sont
pourtant le socle de notre société future, notre base arrière. Si nous les perdons, nous perdons la
bataille d’une société plus juste et plus inclusive.
Les parents ont aussi un rôle à jouer en encourageant leurs enfants, en leur donnant les outils pour
qu’ils aient confiance en eux, en formant une équipe unie avec les enseignants. Croire en son enfant,
l’encourager à viser haut, ne pas briser ses rêves, lui donner les moyens de grandir et de déployer ses
ailes : tel est le rôle d’un parent.
Avec D-PhiAlpha, j’essaie à mon niveau d’agir sur certains leviers et je me dis parfois que le travail
que j’ai pu réaliser et dont j’ai rendu compte ici peut servir de base pour réfléchir à de nouvelles
options dans l’enseignement des sciences et l’accompagnement des élèves. Par exemple, je suis
persuadée que nos livres peuvent servir de support de travail pour un prof débutant. De même, le
protocole D-PhiAlpha qui limite la durée des explications et privilégie la pratique pourrait être
répliqué en classe dans des petits groupes. L’alternance entre exposés théoriques et manipulations
pour rythmer une séance et conserver l’attention des élèves, le choix d’un vocabulaire simple pour
rendre la matière moins effrayante sont autant d’outils dont j’ai pu vérifier l’efficacité et qui
pourraient également inspirer d’autres enseignants.
Mais plus qu’une méthode, D-PhiAlpha est avant tout un état d’esprit. En rendant compte de cette
aventure, j’ai surtout voulu montrer comment, d’observation en questionnement, j’ai tenté
d’inventer une manière de faire aimer les maths et de redonner confiance à des élèves fragilisés
dans leurs apprentissages. Je continue sans cesse d’explorer de nouvelles pistes, car je suis
convaincue que tout peut être amélioré par l’expérience. Et je suis persuadée qu’en unissant nos
forces, nous pourrons enfin faire bouger les lignes. Éducation nationale, enseignants, élèves et
parents, nous avons tous un rôle à jouer !
Avec ce livre, j’ai voulu poser les bases d’une réflexion qui ne demande qu’à se développer. D-
PhiAlpha apporte sa pierre à l’édifice, avec des moyens relativement faibles, beaucoup de matière
grise et un excellent capital humain. Je ne suis pas la seule à avoir développé une pédagogie
différente, et je suis convaincue que tous ces jalons posés ici ou là peuvent contribuer à une réflexion
et à une action collectives pour construire l’école de demain. Une école qui offrirait une réelle égalité
des chances, qui permettrait à tous d’accéder aux meilleures études. Pour y parvenir, nous devons
redonner toute sa place au savoir, mais aussi à un enseignement efficace et bienveillant, dans lequel
l’élève serait acteur de sa réussite.
REMERCIEMENTS
Merci à Hadj Khelil, mon époux, mon amour, un pilier dans ma vie. Pour l’écriture de ce livre, nous
avons poursuivi, parfois très tard dans la nuit malgré son épuisement, des conversions
interminables qui m’ont aidée à formaliser au mieux mon cheminement. À chaque étape de ma vie
de femme, il était là, m’a soutenue et a cru en moi. Je le remercie de tout mon cœur de
m’accompagner et de m’aimer.
Merci à Alexandre Jardin d’avoir été l’un des premiers à croire en ce projet. Son humanité, sa
sincérité, sa générosité m’ont surprise et me donne encore tant d’espoirs et de force pour
continuer !
Merci à Sarah Koegler et à Brigitte Leblanc, premières personnes du monde de l’édition à qui j’ai
raconté cette histoire. Une rencontre fondamentale qui m’a donné l’envie de la partager avec vous
dans un livre.
Merci à Élisabeth Darets, à Olivia Maschio Esposito et à Cécile Beaucourt qui m’ont écoutée avec
bienveillance au cours d’échanges enrichissants mêlant rires et émotions. Toutes les trois ont, par
leur talent, rendu ce livre possible.
Merci enfin à Alexandra Raillan et à Élisabeth Boyer, accompagnatrices d’écriture qui m’ont apporté
une aide si précieuse pour faire aboutir ce livre. À l’écoute et rassurantes, elles m’ont poussée dans la
réflexion et m’ont aidée à extérioriser une pensée parfois très intime pour la rendre plus claire à la
lecture.
Je ne pensais pas que j’étais capable d’écrire un livre, car c’était pour moi affaire de littérature.
Pourtant, avec l’aide, le soutien et la bienveillance de toutes ces personnes, ce livre est désormais
entre vos mains. Finalement, c’est comme avec les maths : avec la bonne méthode, du travail et de la
persévérance, tout est possible !