Tout Le Monde Peut Être Bon en Maths

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© Hachette Livre (Marabout), 2023.


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ISBN : 978-2-501-18024-5
À mes enfants.
À tous mes élèves.
À tous les matheux qui s’ignorent encore.
TABLE DES MATIÈRES

Couverture

Page de titre

Page de Copyright

Préface – L'art de réparer notre époque

Introduction – L'énoncé du problème


La quadrature du cercle
La réussite au carré
Un vecteur de puissance
Le discours de la méthode
Les maths,
un vecteur de puissance

Plaidoyer pour les maths


Les maths pour résoudre des problèmes

Une démarche accessible à tous

Sur la voie de l'émancipation

Si on démythifiait un peu les maths ?


Formalisme de la langue

Logique et intuition

Images mentales et autres secrets de matheux

Une armoire bien rangée

Valoriser les maths pour réduire les inégalités


Certains sont plus égaux que d'autres !

Non, les filles ne sont pas nulles en maths

La réforme du bac pourrait accentuer les inégalités

Déjouer le déterminisme social

Une stratégie d'orientation en panne

Quelques pistes pour comprendre les failles du système


Le paradoxe français : dernier en TIMMS, premier en cours particulier

Pour les enseignants, une équation délicate

L'importance de se tromper

La place des notes

Sales notes et mots blessants

Une relation abîmée entre l'école et les parents

La réussite scolaire, c'est quoi, finalement ?

Ouvrir des perspectives pour les élèves

L'esprit D-PhiAlpha :
les maths à la portée de tous

Des Arts et Métiers à D‑PhiAlpha


Naissance d'une vocation

Du cours particulier aux petits groupes

Un terrain d'observation qui nourrit ma réflexion

Retour aux bases

Vers D‑PhiAlpha

Le contrat D‑PhiAlpha : un engagement tripartite

Le cœur de la méthode : une progression par notions


D‑PhiAlpha : les notions au centre du cours

Des supports de cours articulés en notions


Les livres pour recenser les notions clés

La plateforme D‑PhiAlpha

Le déroulé d'un cours


Une présentation au tableau alliant oral et écrit

Un apprentissage par des exercices

Les fiches à la maison

Des petites évaluations régulières

La force du collectif

Bien plus qu'un cours de maths


Sur le chemin de la confiance en soi

Apprendre à travailler avec les autres

Un rapport différent aux notes

Une ouverture sur le monde du travail

Conclusion – Tous ensemble pour faire bouger les lignes


Préface d’Alexandre Jardin

L’ART DE RÉPARER NOTRE ÉPOQUE

Amina Khelil est une réparatrice de la France ; une grande politique qui s’ignore. Le courage est son
maître-mot, son kérosène intérieur. Quand elle constate que, « en France, quand on vient d’un
niveau défavorisé, on a quatre fois plus de risques de décrocher en maths (mais aussi en français) »,
elle ne soupire pas avec lâcheté en pratiquant le gémissement mondain et inutile, elle agit.
Lorsqu’elle est aux prises avec l’ahurissant décrochage du niveau scolaire tricolore qui, peu à peu,
nous relègue dans la banlieue de l’Histoire, elle fabrique des solutions pour tous qui ne laissent pas à
la fatalité le dernier mot. Amina Khelil a l’air de parler de mathématiques, mais son véritable sujet
est l’avenir de notre espèce.
Comment cette frêle personne agit-elle en profondeur sur notre société ? En volant ses méthodes
aux mathématiques : elle résout les problématiques liées à l’échec scolaire comme elle résoudrait
une équation du second degré. Et puis elle travaille comme une acharnée, avec l’obsession de
redonner aux filles, surtout, confiance en elles-mêmes et en leur génie. Car cet animal de combat
social ne croit qu’en une chose : l’esprit de chacun, la possibilité universellement partagée de
devenir un être courageux pour peu que la vie irrigue convenablement des synapses trop souvent
maltraitées.
Donc notre Passionaria du succès social expérimente, se bat et… triomphe. Sans s’énerver, et
toujours avec méthode. L’histoire de sa vie est celle du succès des autres. Les gueux, elle en fait des
seigneurs armés de connaissances mathématiques. Avec elle, les vassaux deviennent des suzerains.
Les mal-barrés de l’immigration, à la ramasse dans notre système scolaire, elle les change en
chanceux, en athlètes de la liberté, en désobéissants à tous les déterminismes dits sociaux.
L’obsession des notes qui définissent « le niveau scolaire » (autrement dit nos capacités de
perroquet), elle s’en moque bien. Son ambition est l’assimilation à long terme de connaissances
effectivement comprises, digérées. Et puis elle ne barguigne pas avec l’essentiel : des maths, Amina
attend de la puissance. Pas des rubans académiques et tout ce tintouin bidon qui, en vérité, vous
enlise dans la défaite sociale. De la vraie puissance. Pour quoi faire ? Pour résoudre nos problèmes,
pardi ! rappelle-t-elle aux abrutis dont je suis.
Amina Khelil, toute jeune et dotée d’une sagesse de vieille dame polie par mille destins, produit des
esprits ailés et non des perroquets, de l’avenir et non des répliques du passé. Elle prône la liberté et
l’aptitude au déboîtement au détriment de la somnolence mentale et de l’habitude de stagner dans
une case. Cette téméraire voit dans la démarche mathématique l’arme nucléaire des batailles
sociales. Alors elle nous apprend à penser puissamment, à torpiller nos réflexes mentaux, à nous
extraire des méthodes primitives.
Au fond, c’est peut-être ça, une grande politique : un être qui fait grandir les autres, qui
surdimensionne les égarés du jeu social, qui parie sur l’espèce.
Sa grande méthode – celle de l’aristocratie de l’esprit – est d’être simple. Donc tout dans ce livre
appartient au monde de la clarté. Amina Khelil déjoue la complexité. Entrer dans sa vie, c’est donc
entrer dans le destin d’une limpidité qui se cherche et se trouve. En tournant les pages, vous vous
prendrez à croire que l’obscur ne gouverne pas le réel, que la lumière est une option, la liberté un
sport délicieux. Cette femme est une professeure de bonheur, une affamée d’essentiel.
Mon Dieu que ça fait du bien !
Certaines vies n’existent que pour densifier la vie, pour lui donner l’honneur d’incarner des
ouvertures. Lisez ces chapitres pour vivre mieux, pour que vos enfants vivent mieux, pour que la
France développe ses aptitudes au bonheur. Et cavalez ensuite pour dénicher ses livres de
mathématiques, des manuels de savoir-vivre en pensant mieux.

A. J.
Introduction

L’ÉNONCÉ DU PROBLÈME

Je m’appelle Amina, j’ai 30 ans, je suis ingénieure de formation, double diplômée du magistère de
physique fondamentale de la faculté Paris Saclay et de l’École nationale supérieure des Arts et
Métiers (ENSAM). Je dois ma réussite scolaire et universitaire aux sciences, et j’étais promise à une
brillante carrière d’ingénieure.
Pourtant, j’ai bifurqué. J’ai choisi d’enseigner les maths à des élèves des quartiers défavorisés. J’ai
fondé la méthode D-PhiAlpha et je propose des cours de mathématiques en présentiel et à distance.
Parce que les maths, c’est bien plus qu’une matière. Parce que les maths, c’est la vie.

La quadrature du cercle
Tout au long de mon parcours de collégienne, de lycéenne et d’étudiante, j’ai constaté à quel point la
sélection scolaire se faisait par les maths, et qu’elle était particulièrement rude pour les enfants issus
de milieux modestes, et surtout pour les filles. Différentes études sont venues confirmer cette
intuition : l’enseignement scolaire en France se révèle très inégalitaire, la baisse des performances
concernant essentiellement les écoles des zones les plus défavorisées économiquement. L’étude Pisa
ne dit pas autre chose : en France, quand on vient d’un niveau défavorisé, on a quatre fois plus de
risques de décrocher en maths (mais aussi en français).
J’ai par ailleurs été forcée de me rendre à l’évidence : en France, année après année, le niveau des
élèves en maths recule. Selon la dernière étude internationale TIMSS1 dont les résultats ont paru en
2019, le score des enfants du CM1 est inférieur à la moyenne de l’Union européenne ; la France se
trouve d’ailleurs à l’avant-dernière place des 58 pays participants, juste avant le Chili. Et les
collégiens de quatrième figurent à l’avant-dernière place du classement européen, juste devant ceux
de la Roumanie2.
Ce décrochage est d’autant plus paradoxal que, dans le marché du soutien scolaire privé, la France
est championne d’Europe ! Autre paradoxe : si tout le monde s’accorde à juger les mathématiques
essentielles dans la formation des élèves, cette matière fait peur à un élève sur deux en moyenne, et
58 % de nos collégiens et lycéens redoutent les mauvaises notes… Angoisse et détestation à
l’encontre de cette discipline semblent la règle.
Mais si les maths ne sont que chiffres et théorèmes abstraits, qu’est-ce qui explique l’importance
qu’on leur donne ? Cette question, je me la suis posée, comme tous les enseignants. Ne serait-ce que
pour mieux accompagner mes élèves, qui se jugent définitivement « nuls en maths », et leurs
parents inquiets. Il me semble que la vision utilitariste des mathématiques a fini par nuire à cette
discipline en la limitant à former des personnes opérationnelles pour un travail et en écartant tout ce
qui n’entre pas dans ce champ. Pourtant, les maths ont bien d’autres atouts dans leur manche : elles
permettent de développer la pensée critique, aident à résoudre des problèmes et améliorent la
capacité de travailler de manière logique et organisée. Ces trois idées sont bien plus puissantes que
toutes celles énoncées habituellement et permettent d’englober beaucoup plus de monde. Nous
sommes tous concernés ! Apprendre à résoudre un problème de maths, c’est être capable de se poser
les bonnes questions, d’analyser les données, d’extraire les informations importantes, de prendre
une décision et de revenir au besoin en arrière si le résultat n’est pas cohérent. Cette démarche
intellectuelle peut devenir un automatisme. Face à une difficulté du quotidien, on peut parfaitement
adopter la même posture. Identifier la problématique. Comprendre les enjeux. Essayer une
première piste. Aller jusqu’au bout. Et si celle-ci ne mène nulle part, en essayer une autre, et ainsi
de suite… Les maths constituent finalement un magnifique terrain de jeu pour se faire la main. Car
être capable de raisonner de façon logique, d’adopter une pensée critique, c’est être en position de
prendre des décisions en conscience. C’est finalement être maître de sa vie.

La réussite au carré
Or j’en suis intimement convaincue, tout le monde peut être bon en maths. Les mathématiques sont
même, à mon sens, LE vecteur de réussite le plus puissant qui soit. Pourquoi ? Parce que les sciences
sont ce qu’on appelle communément des disciplines exactes : dans toutes les langues, dans toutes les
cultures, 2 + 2 feront toujours 4. On peut tout à fait imaginer qu’elles puissent alors devenir la clé
d’une réelle égalité des chances ! Les fondateurs de l’école républicaine, à la fin du XIXe siècle,
considéraient d’ailleurs que les disciplines scientifiques étaient moins discriminantes que les
matières littéraires, et donc plus à même de favoriser la réussite de tous les élèves. Cette façon de
voir, pour moi, n’a rien perdu de sa pertinence et emporte ma conviction.
Bien sûr, la dimension culturelle existera toujours. Un élève plus sensibilisé à l’art, fréquentant
naturellement les musées, aura plus de chances qu’un enfant issu d’un milieu moins favorisé. Parce
que son environnement culturel, hyperstimulant, lui ouvrira plus largement les portes vers la
réussite. Cependant, je suis persuadée que les sciences peuvent permettre à n’importe qui de
combler ce décalage socioculturel. Offrir à tous un niveau acceptable en maths, c’est contribuer à
rétablir une certaine forme d’égalité des chances. C’est la mission que je me suis fixée, et que je
tente, à mon humble niveau, de mener à bien.
Je la destine à tous, mais particulièrement aux filles, qui sont les plus enclines à partir perdantes et à
se dévaloriser sur le plan scolaire, surtout lorsqu’il s’agit des sciences. Depuis que j’ai commencé à
enseigner, j’ai suivi des centaines d’élèves, filles ou garçons, et j’ai pu observer que les premières
développent plus rapidement que les seconds une grande maturité dans le travail, et qu’elles se
montrent plus assidues et plus autonomes. Avec de telles qualités, elles atteignent des niveaux en
mathématiques remarquables.
Pourtant, elles sont moins nombreuses que les garçons à choisir les filières scientifiques après le
bac, comme si elles avaient adhéré à l’idée reçue selon laquelle « les maths, c’est pour les garçons » !
La famille et l’école contribuent à transmettre une vision stéréotypée des rôles, les filles ayant plus
tendance à s’autocensurer que les garçons en se détournant des filières scientifiques. Selon une
enquête conduite en 2015-2016 auprès de 8 500 lycéens en Île-de-France, les filles sous-estiment
leur niveau en maths beaucoup plus que les garçons, et elles sont moins nombreuses à déclarer
aimer cette matière, alors qu’elles y obtiennent des résultats équivalents. Je suis convaincue que ce
manque de confiance en leurs capacités alimente leur difficulté à s’identifier aux métiers associés
aux disciplines scientifiques. Il est temps de mettre un grand coup de pied dans cette montagne
d’idées reçues et de restaurer la confiance des filles !

Un vecteur de puissance
La confiance, justement. Et si c’était le maître-mot lorsqu’on aborde la question de la réussite en
sciences ? Se lancer dans un problème de maths, chercher, se perdre dans ses calculs… et
finalement trouver le fil, résoudre l’énigme et trouver la solution : quelle sensation enivrante !
Sentir au fond de soi que la lumière a jailli, que l’on a compris, que l’on maîtrise la notion qui
quelques jours ou quelques semaines plus tôt semblait totalement absconse : quelle bouffée de
plaisir et de confiance ! Ce bonheur intellectuel et personnel, je l’ai ressenti à de nombreuses
reprises au cours de mes études et de manière de plus en plus profonde au fur et à mesure que je
progressais. Je le ressens par procuration et peut-être avec encore plus d’intensité lorsque je le vois
briller dans les yeux de mes élèves.
Cette joie profonde de transmettre un savoir essentiel pour l’épanouissement d’un individu, je crois
que je l’ai ressentie pour la première fois sur le parvis de la gare La Plaine Saint-Denis. Je sortais
d’un entretien pour un emploi merveilleux. Et mon téléphone a sonné. C’était la maman de Kahina, à
qui je donnais à l’époque des cours particuliers, en dehors de toute structure. Elle m’appelait pour
me remercier. Non pas pour les cours. Non pas pour les notes de sa fille qui s’étaient brutalement
améliorées. Elle me remerciait parce que, après des mois de guerre froide entre la mère et la fille
autour des maths et des résultats, Kahina avait enfin baissé les armes et repris la vie quotidienne
avec sa mère. Ce matin-là, pour la première fois depuis des mois, elles avaient pris le petit-déjeuner
ensemble et parlé joyeusement autour de la table de la cuisine. J’ai senti son émotion au bout du fil.
Un petit-déjeuner. Ce n’est rien, comme le chante Julien Clerc. Et en même, un petit déjeuner en
famille, c’est un réel symbole de lien. Un petit-déjeuner. Tout était rentré dans l’ordre. La vie avait
repris son cours. Grâce à sa réussite en mathématiques, Kahina avait retrouvé sa confiance en elle, et
donc sa capacité de communiquer et sa joie de vivre. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que je
deviendrais enseignante.
Car permettre à un élève de comprendre les mathématiques, c’est lui ouvrir l’accès au
développement plein et complet de ses capacités scolaires, mais aussi de tous ses potentiels
humains. Lorsque des jeunes garçons ou des jeunes filles se rendent compte que le métier de leur
rêve est devenu une réalité accessible, c’est toute leur vie qui change ! Ils ont désormais des projets,
des perspectives, ils y croient. Et ce sentiment de libération est souvent accompagné d’une énergie
qui leur permet de se mettre en mouvement, de prendre leur vie en main.

Le discours de la méthode
L’expérience avec mes premières élèves a conforté ma décision, mais j’ai vite ressenti le besoin de
créer un cadre pour exercer cette activité. Le face-à-face du cours particulier avait ses limites. Il
manquait la dynamique du groupe, propice aux interactions. Par ailleurs, j’avais besoin d’un lieu
neutre. Des cours particuliers à domicile, j’ai donc rapidement basculé vers l’accompagnement de
petits groupes. J’ai trouvé un lieu dédié à l’apprentissage, mais qui ne rappelait pas forcément
l’école, avec une grande table ronde autour de laquelle nous prenions place, mes élèves et moi.
En général, le cours particulier se limite à combler les lacunes de l’élève. Pour moi, il s’agissait
d’aller plus loin : je voulais que mes élèves comprennent les maths, qu’ils soient capables de
résoudre les exercices et de progresser suffisamment pour pouvoir, s’ils le souhaitaient, choisir la
filière scientifique. C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé à travailler la pédagogie. Jusque-
là, je me reposais sur le cours du lycée : je répondais aux questions des élèves, puis je leur donnais
une série d’exercices d’application. D’abord des exercices simples, puis j’augmentais
progressivement la difficulté. C’était finalement l’organisation classique d’un cours particulier. Sans
chercher à me substituer aux professeurs du lycée, j’avais cependant besoin de trouver ma place. Une
place juste, qui me permettrait d’être libre dans ma manière d’enseigner afin d’offrir le meilleur à
chaque séance.
Par ailleurs, quand je demandais à mes élèves de me parler de leur cours, je recevais souvent cette
réponse : « Je n’ai rien compris ! » C’est alors que j’ai commencé à découper les chapitres en notions
pour identifier les difficultés des adolescents que je suivais. L’étape suivante consistait à m’assurer,
une fois que la notion était comprise, que l’élève savait la manipuler. Une notion n’est réellement
acquise que lorsque l’on combine compréhension, apprentissage et manipulation. Avec ce trio, le
diagnostic est encore plus fin. C’est aussi le moment où l’on détecte les erreurs de raisonnement, qui
peuvent donc être rectifiées très tôt.
Au fil du temps, j’ai réussi à mieux identifier les lacunes de mes élèves et à trouver des solutions. Au
début, j’avais choisi de me limiter aux classes de lycée, mais j’ai vite compris que mon travail
consistait essentiellement à réparer les pots cassés de façon la plus efficace possible. J’avais
l’impression de travailler sur des fondations instables, sans avoir toujours le temps de revenir sur
des notions qui auraient dû être acquises dès le collège. Pour comprendre ce qui se jouait, je n’avais
donc pas d’autre choix que d’ouvrir de nouveaux créneaux, de la sixième à la troisième !
C’est ainsi que j’ai commencé à esquisser les grandes lignes de D-PhiAlpha, à la fois une méthode
qui permet à l’élève de progresser étape par étape, et une structure de soutien scolaire intégrant
d’autres enseignants. Ce passage à la vitesse supérieure ne devait cependant pas augmenter pour les
familles le coût de l’accès aux cours, afin de rendre la réussite scolaire accessible aux enfants des
milieux défavorisés.
En septembre 2020, dès la rentrée, je n’avais plus un seul créneau de libre. Mes élèves progressaient
rapidement en mathématiques et aimaient venir en cours. Certains, qui n’envisageaient pas
d’intégrer une filière scientifique, avaient finalement franchi le pas. Et j’avais plus d’élèves filles que
de garçons ! Restait à savoir comment appliquer ce modèle à plus grande échelle, et comment le faire
fonctionner en équipe. Il s’agissait de mettre en place une méthode qui permette aux élèves de
comprendre et d’aimer les maths, ce qui leur donnerait confiance en eux et en leurs capacités, et mes
mettrait à même de se sentir autorisés à viser haut et à être ambitieux… Il s’agissait aussi d’élaborer
une structure qui préserve le lien que j’avais pu établir avec les parents et les enfants. Il s’agissait
enfin de toujours accompagner les élèves dans leurs choix d’orientation en continuant à les tirer vers
le haut.
D-PhiAlpha est donc né en janvier 2021. Avec un défi immense à relever : contrecarrer les inégalités
de genre qui ont cours dans notre société dans le domaine des sciences. D-PhiAlpha est porté par
des femmes fortes, des femmes ambitieuses, des femmes qui aiment les sciences et qui formeront
d’autres filles alpha !
Et c’est ainsi que je suis, je crois, devenue experte dans le domaine de la pédagogie et de
l’enseignement des mathématiques. Ma méthode est à la fois très simple et extrêmement novatrice.
En premier lieu, elle ne se focalise pas sur l’obtention rapide de bonnes notes à l’école, mais sur
l’assimilation à long terme. L’important, c’est que l’élève comprenne, qu’il soit capable de faire le
lien entre les notions, qu’il prenne du plaisir à étudier les maths, à chercher, à réfléchir, à travailler
de manière efficace. C’est seulement sur cette voie qu’il prendra confiance et qu’il construira une
réussite durable ! Éduquer consiste à donner à nos enfants toutes les clés, tous les outils pour
affronter l’âge adulte, et, parmi ces outils les plus précieux, il y a l’autonomie et la confiance en soi !
Cela prend du temps.
L’enseignement se fait en petits groupes de six élèves et utilise le support de fiches manuscrites
synthétiques que j’ai conçues pour qu’elles condensent les clés de compréhension de chaque notion
des programmes de la sixième à la terminale. La forme manuscrite est pour moi une donnée
essentielle, car elle permet d’injecter de l’affect et de la proximité dans une matière qui en est trop
souvent dépourvue. Chaque fiche détaille les méthodes spécifiques de chaque notion. L’objectif est
de proposer à l’élève une « méthode dans la méthode », c’est-à-dire toutes les notions à maîtriser
expliquées grâce à des exemples concrets, mais également une proposition d’organisation
permettant d’appréhender son cours dans son ensemble et pouvant être réutilisée dans toutes les
matières.
Par ailleurs, sur ces fiches et lors des cours, j’ose aborder les mathématiques avec un langage
courant, accessible et, surtout, compris par les élèves. On peut manipuler avec précision des
concepts scientifiques très pointus tout en employant des mots et des formulations compréhensibles
par le commun des mortels, en se servant de petits trucs, d’images, de représentations mentales
concrètes. Certes, c’est moins joli et moins mathématique, mais ça décomplexe instantanément… et
ça fonctionne.
Nos 333 fiches de maths ont donc été regroupées dans des livres (500 pages de la sixième à la
terminale) pour permettre aux élèves de naviguer à travers les différents outils mathématiques. Ces
livres autoédités constituent une sorte de carte de route pour le voyage dans l’univers des
mathématiques.

Ainsi, en résumé, toutes les notions dites de base en mathématiques (addition, multiplication,
division, nombres décimaux…) sont étudiées de manière fragmentée et dans les moindres détails.
C’est un apprentissage en profondeur, puisque les éléments simples sont, une fois compris,
complexifiés et de nouveau approfondis à l’étape suivante. Les fondations des connaissances sont
donc solides et revues à chaque étape afin de mieux progresser.

Je rêve qu’une méthode de ce type puisse être appliquée à plus grande échelle au sein des classes.
Tout en ayant conscience qu’elle est nettement plus compliquée à mettre en œuvre avec des effectifs
beaucoup plus importants, je suis persuadée que c’est possible, en proposant aux professeurs des
outils et des formations adaptés. C’est tout l’enjeu de mon projet… et de ce livre.
Notes
1. Trends in Mathematics and Science Study.
2. L’étude TIMSS ne mesure le niveau des connaissances scolaires en maths et en science que pour
les élèves de CM1 et de quatrième (ou équivalent).
Les maths : un vecteur de puissance
PLAIDOYER POUR LES MATHS

Dans les médias, dans la société, tout le monde s’inquiète d’un niveau en maths qui baisse. Les
maths semblent être la clé de beaucoup de choses. Des parents qui n’ont pas réussi à être bons en
maths le vivent comme un échec, et font tout pour que leurs enfants ne rencontrent pas les mêmes
difficultés. Pourtant, si tout le monde s’accorde sur le fait que les maths comptent beaucoup dans le
cursus scolaire et constituent « une base » indispensable, les arguments pour démontrer leur utilité
peinent à convaincre.
Les maths, dit-on, sont utiles au quotidien pour adapter des proportions, jongler avec les
pourcentages, comprendre l’actualité et les données chiffrées… Pendant la crise du COVID, on
entendait que le nombre de cas augmentait de façon exponentielle, mais qu’est-ce que ça voulait
dire ? De même, les probabilités permettent d’être conscient des chances que l’on a de gagner au
loto, d’avoir une fille ou un garçon, de développer une maladie génétique, etc. Autant d’arguments
séduisants, mais finalement assez peu convaincants ! Pour adapter les quantités d’une recette,
calculer le prix d’un produit après remise, etc., nos smartphones sont équipés de tout un tas
d’applications qui nous facilitent la tâche !
Autre argument courant : avoir un bon niveau en maths est indispensable pour exercer un certain
nombre de métiers. Même si les outils de travail (logiciels ou autre) ont évolué, une bonne maîtrise
des mathématiques continue de s’imposer dans de nombreux secteurs. Pour résoudre un problème,
un ingénieur aura ainsi besoin d’identifier le modèle mathématique sous-jacent. Les sociétés de
conseils ont également besoin de personnes formées en mathématiques appliquées pour concevoir
des bases de données pertinentes. Enfin, le secteur de la finance a besoin de bons mathématiciens
pour calculer les risques et limiter les pertes… Mais en dehors de quelques domaines précis, quels
métiers utilisent quotidiennement les théorèmes découverts à l’école, la connaissance des cosinus
ou la maîtrise des équations du second degré ? Dans ces conditions, pourquoi faire toute une
montagne d’une discipline dont seuls quelques lycéens auront réellement besoin dans leur cursus
universitaire ? Tout le monde n’est pas destiné à devenir scientifique, ou économiste, ou ingénieur.
Heureusement, d’ailleurs, car la diversité des métiers et des profils est une richesse à préserver.
Cette vision utilitariste, qui envisage les mathématiques avant tout comme un moyen de former des
individus opérationnels pour un travail donné, finit par nuire à cette discipline en occultant sa vraie
richesse. En développant la pensée critique, les maths aident en effet à résoudre des problèmes, et
elles contribuent aussi à travailler la logique. Trois atouts ultra-puissants et qui nous concernent
tous !
Les maths pour résoudre des problèmes
L’enjeu des mathématiques, c’est de résoudre des problèmes. Pour cela, il faut se poser les bonnes
questions, analyser les données, extraire les informations importantes, prendre une décision et au
besoin revenir en arrière si le résultat n’est pas cohérent. Cette démarche ne vous rappelle-t-elle
pas quelque chose ? Personnellement, je trouve qu’elle ressemble beaucoup à celle que nous
adoptons dans de nombreuses situations de tous les jours. Par certains aspects, les maths et la vie se
ressemblent beaucoup, finalement.
Imaginez-vous quelques années en arrière. Vous êtes en classe de troisième et vous devez démontrer
qu’un triangle ABC est un triangle rectangle.
Le premier enjeu est d’identifier la problématique : qu’est-ce que je dois faire ? En effet, comment
voulez-vous trouver une solution si vous ne savez pas ou ne comprenez pas ce que vous recherchez ?
Ici, il s’agit de démontrer qu’un triangle est rectangle.
Ensuite, vous allez vous demander quelles sont les informations dont vous disposez. Vous pouvez
faire un schéma, l’annoter en y mettant toutes les informations données (longueurs, parallèles, etc.)
afin d’obtenir une image du problème dans sa totalité.
Reste ensuite à évaluer les outils que vous pouvez employer. S’il vous reste quelques souvenirs de vos
années de collège, vous vous rappelez peut-être qu’on peut démontrer qu’un triangle est rectangle
grâce à la réciproque du théorème de Pythagore, grâce aux propriétés sur les angles dans un triangle
ou encore grâce aux propriétés sur le parallélisme et la perpendicularité…
Enfin, parmi les outils à votre disposition, il faut en choisir un. Parfois, grâce à l’expérience, on
« devine » lequel sera le plus pertinent. Sinon, on peut aussi choisir au hasard et voir où cela nous
mène. Quoi qu’il en soit, il faut bien commencer quelque part !
Ce qui est important, c’est ce cheminement, ce raisonnement, mais également la manière dont vous
allez naviguer entre les différentes options.
Par exemple, si je choisis de démontrer que le triangle est rectangle (angle de 90 degrés) en utilisant
le fait que, dans un triangle, la somme des angles vaut 180 degrés, je vais considérer sérieusement
cette voie. Et si elle n’aboutit à rien, j’envisagerai une autre solution, et ainsi de suite. C’est
finalement une manière très ordonnée de raisonner et qui, combinée à de la patience, de
l’endurance, de la rigueur et de la persévérance, finit par donner le résultat. Cette démarche
intellectuelle peut devenir un automatisme.
Le raisonnement mathématique est un type de procédure qui peut être utilisé pour résoudre
n’importe quel problème de la vie courante. Face à une difficulté du quotidien, on peut parfaitement
adopter la même posture que face à un problème de maths. Identifier la problématique.
Comprendre les enjeux. Essayer une première piste. Aller jusqu’au bout. Et si celle-ci ne mène nulle
part, essayer une autre piste, et ainsi de suite… Tout cela étant accompagné d’une qualité
essentielle : la persévérance ! Persévérer dans l’exécution, persévérer dans la recherche de solutions
possibles, persévérer après une impasse.
Les maths constituent finalement un magnifique terrain de jeu pour se faire la main. Car être
capable d’adopter une pensée critique, c’est ne pas prendre les affirmations pour argent comptant,
être en mesure de se poser les bonnes questions face à une donnée pour en vérifier les sources et le
bien-fondé. Il n’y a pas de dogme, tout doit être démontré.

Une démarche accessible à tous


À l’école, ce sont généralement les notes qui définissent les bons élèves, mais c’est une approche
trop réductrice. Un élève qui peine en calcul mental n’est pas forcément mauvais en maths. Je
rencontre souvent des personnes qui font preuve d’un excellent raisonnement scientifique face à
des situations quotidiennes alors que leurs résultats scolaires en maths étaient souvent faibles. Un
jour, j’ai dû faire venir un serrurier, parce que j’avais un problème avec ma porte d’entrée. Je le vois
essayer différentes choses avec beaucoup de technique et de finesse, avant de trouver la solution. À la
fin de son intervention, nous parlons des maths et il me dit qu’il n’est pas matheux du tout. Sa
prestation m’a pourtant clairement montré qu’il possédait toute l’ingéniosité du matheux ! Par la
suite, il m’a confié qu’il aimait les maths, mais qu’il n’avait jamais réussi à décrocher de bonnes
notes dans cette matière. Dans ces conditions, il ne pouvait pas être bon en maths, malgré son attrait
pour cette discipline et une réelle capacité de construire un raisonnement par tâtonnements et
déductions.
Si l’on prend le temps d’oublier la dimension purement scolaire des mathématiques, on observe que
les matheux sont plus nombreux qu’on le croit. Je pense même que tout le monde peut comprendre
les maths. Je ne dis pas que tout le monde est destiné à devenir un génie dans ce domaine, mais je
suis convaincue que chacun de nous peut se constituer un solide bagage en maths.
Quand j’ai commencé à donner des cours, je n’avais pas conscience de l’importance des maths.
C’était juste une matière que j’aimais et qui m’avait permis de décrocher les diplômes de mes rêves.
Mais il ne suffit pas d’être doué dans une discipline pour l’enseigner. J’ai donc commencé à
travailler la pédagogie et à me demander comment faire « techniquement » pour que l’élève
comprenne les maths, qu’il soit capable de résoudre les exercices et de se sentir suffisamment à
l’aise dans cette matière pour pouvoir choisir, s’il le souhaite, une filière scientifique. En cherchant,
en testant, en échangeant avec les élèves et les parents, je savais que je pourrais trouver une manière
efficace de transmettre les maths.
Apprendre et comprendre sont des Processus dynamiques qui se construisent en couches
successives, ce qui implique de ne pas sauter les étapes. Et je pense qu’en maîtrisant ce Processus, il
peut y avoir beaucoup de très bons matheux, beaucoup de très bons scientifiques
J’aime bien figurer la démarche mathématique par une pyramide dont on franchit un à un tous les
niveaux pour atteindre le sommet. J’aurais pu représenter cette ascension par un escalier, mais
l’image de la pyramide m’a semblé plus parlante : comme dans une maison, chaque étage a besoin
d’être assez solide pour supporter le suivant.
Pour grimper au sommet d’une montagne, vous avez besoin de savoir que des outils existent :
chaussures d’alpinisme, crampons, piolet, cordes, etc. Ensuite, vous devez savoir à quoi ils servent :
les chaussures protègent vos pieds d’un froid extrême, les crampons assurent votre progression sur
les surfaces enneigées et vous empêchent de déraper, le piolet vous permet d’évoluer sur un glacier
ou de vous ancrer sur des pentes raides, etc. Une fois équipé, vous devez apprendre à utiliser ces
outils : comment fixer vos crampons sur vos chaussures, planter votre piolet dans la neige, etc. Les
premiers pas seront sans doute malhabiles, et vous ne vous attaquerez pas d’emblée à l’ascension du
mont Blanc. Avec le soutien d’un guide professionnel, vous commencerez sans doute par une petite
course qui vous permettra de tester vos outils, mais ne présentera pas d’obstacles qui
représenteraient un danger pour le débutant que vous êtes. Puis vous aller gagner en assurance,
jusqu’à envisager sans crainte de traverser un glacier ou de franchir un pont de glace. À force de
pratiquer, vous devenez un alpiniste aguerri, et les excursions en solitaire ne vous font plus peur, car
vous maîtrisez désormais l’art de vous déplacer à flanc de montagne.
Vous ne voyez pas le lien avec les maths ? En fait, la démarche est très proche. Pour résoudre un
problème, les élèves ont à leur disposition un certain nombre de notions qu’ils ont étudiées au fil de
leur scolarité. Mais ils doivent les assimiler en un temps relativement court, et certaines peuvent
parfois passer aux oubliettes. Avant de commencer l’ascension de la montagne (donc pour résoudre
leur problème), ils doivent identifier les outils qui leur permettront d’atteindre le sommet.
Pour illustrer cette progression, je vous propose un exemple simple. Sans doute avez-vous déjà vu
passer sur les réseaux sociaux des énigmes dans l’esprit de celle qui suit, souvent présentées comme
destinées aux « génies ». En fait, nul besoin d’être un génie pour trouver la solution ! Il suffit d’avoir
franchi un à un les niveaux de la pyramide.

Dans cette énigme, il y a trois inconnues :


• la masse d’un chat ;
• la masse d’un canard ;
• la masse d’un mouton.
Il s’agit donc de déterminer la masse de ces trois animaux à partir des informations données.
Quel(s) outil(s) avez-vous à votre disposition ?
Dans votre boîte à outils, vous savez qu’il y a des équations permettant de trouver la valeur d’une
inconnue (niveaux 1 et 2 de la pyramide).
L’outil que vous devez savoir manipuler pour notre énigme est donc la résolution d’équations. Vous
avez déjà découvert comment résoudre des équations simples (niveau 3) et vous avez appris à utiliser
cet outil. Par exemple, dans l’équation x + 1 = 2, l’objectif est de trouver la valeur x pour que le
membre de gauche soit égal au membre de droite. Donc x = 1.
Pour vous renforcer (niveau 4), vous vous êtes entraîné à résoudre des équations de plus en plus
compliquées. À ce stade, vous êtes donc plutôt à l’aise avec les équations. Parfois même, pour un
problème simple du quotidien, vous préférez poser une équation au lieu de tâtonner pour trouver la
solution. Vous avez tellement bien intégré les équations (niveau 5) que la petite énigme découverte
sur votre fil d’actualité n’a rien de mystérieux pour vous. Et vous pouvez la résoudre sans difficulté.
Vous prenez une feuille de papier et un stylo, puis vous vous lancez.
Notons :
masse d’un chat = x
masse d’un canard = y
masse d’un mouton = z
Première ligne
3 fois la masse d’un chat est égal à 12 kg —> 3 x x = 12
Donc 4 = x

Deuxième ligne
masse d’un canard + masse d’un chat = 5 —> y + 4 = 5
Donc y = 1

Troisième ligne
masse d’un mouton – masse d’un canard = 99 —> z – 1 = 99
donc z = 100

Quatrième ligne
Résultat = masse d’un mouton + masse d’un chat + masse d’un canard
—> Résultat = x + y + z = 4 + 1 + 100 = 105

La réponse à cette énigme est donc 105.

Cette démonstration, je l’espère, vous aura éclairé sur les étapes de la démarche mathématique.
Selon moi, l’image de la pyramide l’illustre de façon très parlante. Elle permet également de voir
comment les choses se construisent sur le long terme. Si on l’applique aux programmes de maths du
primaire au lycée, on peut observer deux grandes phases :
• Du cours préparatoire à la seconde, les élèves construisent les niveaux 1, 2, 3 et 4 de la
pyramide. Au primaire, ils apprennent les opérations de base. Ensuite, de la sixième à la
troisième, ils apprennent à résoudre des équations, ce qui fait souvent appel au calcul littéral
(avec le développement et la factorisation), ensuite ils découvrent la proportionnalité, qui les
amène aux fonctions (d’abord linéaires, puis affines, pour finir sur les fonctions en général). En
seconde, ils vont approfondir les fonctions, notamment en dressant des tableaux de variation1 à
partir de graphiques, puis des tableaux de signes2, etc.
• À partir de la classe de première, ils construisent le niveau 5 de la pyramide. Les niveaux 1, 2, 3
et 4 de la pyramide sont stabilisés, et tous les élèves sont censés avoir rassemblé suffisamment
d’outils pour fabriquer un circuit et voir les premières lumières s’allumer. Bien sûr, le circuit sera
plus ou moins sophistiqué selon l’aisance de chacun en maths (certains finiront avec une lampe
de poche et d’autres avec une tour Eiffel illuminée), mais tous devraient être en mesure d’installer
le circuit !
Pour rendre les choses plus concrètes, attardons-nous sur l’étude des fonctions, une partie
importante du programme de maths en première et en terminale. L’un des objectifs est que l’élève
soit capable de dresser un tableau de variation uniquement à partir de son expression (c’est-à-dire
sans le graphique).
Pour dresser ce tableau de variation, l’élève doit maîtriser la dérivée d’une fonction : de quoi s’agit-
il ? À quoi sert-elle ? Comment la calculer ? Comment l’utiliser ?
Souvent, l’expression de la dérivée doit être réagencée pour être utilisable. Pour cela, on doit faire
appel « instinctivement » au calcul littéral : est-il plus intéressant de développer ou de factoriser ?
Faut-il tout réduire au même dénominateur ?
Pour dresser le tableau de signes de la dérivée, l’élève se retrouve encore confronté à d’autres
questionnements : comment dresser un tableau de signes ? Par quelle équation trouver les
éventuelles valeurs de x pour lesquelles la dérivée s’annule, etc.
Une question unique (dresser le tableau de variation de la fonction) implique donc de mobiliser une
partie importante du bagage mathématique construit dans les classes inférieures. À chacune de ces
étapes, l’élève doit donc être en mesure de se poser les bonnes questions. Il connaît les outils à sa
disposition, il sait les utiliser et peut en mobiliser plusieurs en même temps. À condition que les
quatre premiers niveaux de la pyramide (les fondamentaux du collège, également travaillés en
seconde) soient parfaitement maîtrisés.
Pour une notion donnée, le passage d’un niveau à l’autre se fera plus ou moins vite selon les élèves.
Mais tous peuvent y parvenir3 si on leur en donne le temps et s’ils reçoivent des explications qui les
aident. Aujourd’hui, on a trop souvent tendance à considérer qu’un élève bon en maths est un élève
qui comprend rapidement. Celui qui a besoin de plus de temps est dit « en difficulté ». On confond
un peu trop vite la vitesse d’acquisition et l’acquisition elle-même. Le temps nécessaire à
l’assimilation d’une notion ne devrait jamais être un indicateur de performance ! J’ai le sentiment
que, à force de se focaliser sur le résultat final, on ne valorise pas assez les progressions.

Sur la voie de l’émancipation


En comprenant que, pour atteindre la maîtrise des outils, il y a des paliers à franchir, avec un rythme
propre à chacun, on se place dans une démarche dynamique : on progresse, on avance, on monte. On
n’est plus bloqué. À chaque étape franchie, on se rapproche du sommet, qui devient accessible,
peut-être même visible : on sait enfin où l’on va.
Les mathématiques sont la bête noire de nombreux élèves, parce qu’ils ont l’impression d’être dans
une impasse. Avec la progression par paliers, chaque niveau franchi devient une victoire, qui permet
de se libérer d’une partie de ses angoisses, de se sentir plus serein, plus confiant, plus autonome.
Chaque étape s’accompagne d’un sentiment de liberté. Arrivé au plus haut niveau, cette liberté
extrême et totale englobe tout : la confiance en soi, l’estime de soi, la réussite… Le simple fait d’être
conscient des outils à notre disposition et de connaître leur mode d’emploi permet de se faire une
idée générale de l’ensemble du mécanisme. Savoir utiliser quelques éléments de la machine de
manière méthodique et systémique prouve notre capacité de faire des mathématiques.
Une fois le frein enlevé, quand on se sent capable de résoudre des exercices qui demandent plus de
réflexion, on commence à conceptualiser, puis à formaliser. Et même, pourquoi pas, à s’amuser !
Cette décharge d’adrénaline va être une quête pour l’élève, qui va vouloir retrouver cet état de
plénitude, éprouver de nouveau ce sentiment de bien-être. Intégrer en son for intérieur que
« comprendre les maths, c’est possible » est incroyablement libérateur.
Dans l’imaginaire collectif, les maths sont considérées comme l’une des disciplines les plus
difficiles. Quand un élève comprend que cette matière lui est accessible, il gagne souvent en
assurance dans d’autres domaines, et la représentation qu’il se fait de son aptitude à accomplir des
exploits devient plus saine.
Un préado ou un ado en difficulté dans une ou plusieurs matières se renferme, et cela peut se
percevoir dans sa posture physique : il est comme recroquevillé sur lui-même. Quand il se rend
compte que les maths sont à sa portée, le changement peut se voir physiquement : son visage
s’illumine et son corps s’ouvre. Il est comme apaisé, il a confiance en lui, en ses capacités. Ce
sentiment de libération est souvent accompagné d’une énergie qui va lui permettre de se mettre en
mouvement, de prendre sa vie en main. En constatant que le métier de ses rêves est une réalité
accessible, il voit les perspectives s’ouvrir devant lui, il s’autorise à faire des projets, il y croit.
Le rôle des enseignants est de guider les élèves pour essayer de les conduire au niveau le plus élevé.
Et je peux vous assurer qu’il est relativement aisé d’amener tous les élèves au niveau 3 de la
pyramide. Ensuite, atteindre les niveaux 4 et 5 dépendra en grande partie de la motivation et du
travail de chacun. Quand un jeune conducteur ne veut pas prendre le volant, personne ne peut le
faire à sa place. Pour les maths, c’est pareil.
Je suis profondément convaincue que les apprentissages conduisent vers la liberté. Il me semble que
c’est particulièrement vrai pour les maths : comme je l’ai dit plus haut, apprendre à résoudre des
problèmes de maths, c’est développer ses capacités d’analyser une situation, d’extraire des
informations, de faire des choix éclairés, de tirer des conclusions. D’ailleurs, les très bons élèves
sont souvent brillants dans toutes les autres disciplines scolaires. Les qualités qu’ils développent
grâce aux mathématiques leur servent en réalité dans bien d’autres domaines. Beaucoup des élèves
que j’accompagne chez D-PhiAlpha voient leurs résultats s’améliorer en histoire ou en français à
mesure qu’ils progressent en maths. Sans doute parce qu’ils gagnent en confiance en eux.
Notes
1. Pour les lecteurs qui ont un peu oublié leurs années de collège et de lycée, le tableau de variation
indique par des flèches si la fonction est croissante (flèche vers le haut) ou décroissante (flèche vers
le bas).
2. Ces signes précisent si la fonction est positive et/ou négative.
3. Du moins jusqu’au niveau 4 de la pyramide pour tous les élèves qui ne choisissent pas la
spécialité maths en classe de première.
SI ON DÉMYTHIFIAIT UN PEU LES MATHS ?

Quatre mille ans de production acharnée de mathématiques, c’est ce qu’un écolier est censé
assimiler du CP à la terminale. Autant dire que nos mathématiciens en herbe ont du pain sur la
planche ! Aujourd’hui, un collégien de troisième, au moment de passer son brevet, a plus de
connaissances que Pythagore : ce mathématicien grec du VIe siècle avant J.-C., passé à la postérité
avec le théorème qui porte son nom, ignorait en effet tout du nombre 0 !
Pour toucher du doigt l’étendue du savoir mathématique, les élèves ont besoin d’être guidés afin de
pouvoir identifier et assimiler les notions essentielles qui leur permettront d’évoluer de façon
autonome dans le monde mathématique. Mais les savoirs et outils de base (qui correspondent aux
premiers niveaux de la pyramide), considérés comme acquis, sont souvent ignorés par le système
scolaire : « C’est trivial », disent certains enseignants à leurs élèves, dont une grande partie sont loin
de partager cet avis. « Bon élément » pendant toute ma scolarité, j’ai ressenti mes premières
frustrations mathématiques en prépa, quand j’ai découvert que certains concepts « triviaux » étaient
compris par toute la classe… sauf moi. Rien de plus excluant que la trivialité. Ce mot m’a
littéralement traumatisée. Dès que je l’entendais, j’avais des frissons.
C’est là que j’ai compris le malaise ressenti par mes anciens camarades de collège ou de lycée. Dans
le secondaire, beaucoup de choses me paraissaient simples, même s’il m’avait fallu fournir un effort
personnel pour chercher à comprendre. Mais en prépa, je me suis retrouvée face à un mur. Le travail
d’assimilation me demandait beaucoup plus d’efforts. Apprendre et connaître ne sont pas
synonymes de comprendre : il faut accepter l’idée que la compréhension demande du temps, un
minimum de connaissances et d’expérience, ainsi qu’une certaine forme de maturité.
Les personnes qui cuisinent depuis des années et réalisent des plats sans livre de recettes disent
souvent qu’elles cuisinent à l’instinct. Une telle disposition impressionne les apprentis ! En réalité,
il y a toujours une recette lue ou transmise derrière cette réussite. De la même manière, les matheux
aguerris oublient trop souvent qu’à leur début, ils suivaient eux aussi scrupuleusement les
consignes.
Car avoir la bosse des maths n’a rien d’inné ! Acquérir la connaissance mathématique exige à la fois
de la réflexion, de la mémoire, la faculté d’agencer différentes notions, etc. Autant de compétences
qui se travaillent. C’est le cas, bien sûr, dans la plupart des apprentissages, mais les maths sont sans
doute la discipline qui suscite le plus de peur – voire de détestation. On a tôt fait de se dire « nul en
maths » et de renoncer à aller plus loin. Bien sûr, tout le monde ne peut pas recevoir la médaille
Fields, mais je suis convaincue que tout le monde peut être bon en maths.
Certains mythes contribuent pourtant à faire des maths une matière réservée à quelques rares génies
maîtrisant l’art de la logique, doués dans la manipulation des abstractions mentales et servis par une
intuition hors norme qui les accompagne depuis leur naissance. Autant d’idées reçues qui ne
résistent guère à un examen plus poussé.

Formalisme de la langue
Les maths utilisent une langue spécifique, avec un vocabulaire et une syntaxe qui leur sont propres,
ainsi que des symboles pour désigner les objets mathématiques. Grâce à ce langage « universel »,
une équation s’écrira de la même manière pour un Français et pour un Anglais, et elle peut donc être
comprise partout dans le monde. De ce fait, la découverte des mathématiques se double de
l’apprentissage de ce langage particulier. Pour compliquer encore l’affaire, certains mots, en maths,
ont un sens différent de celui que nous leur donnons usuellement. En probabilité, par exemple, le
terme « contraire » désigne toutes les autres issues d’un événement qui ne se réalise pas : le
contraire d’avoir 20 sur 20, c’est avoir entre 0 et 19,75 ! De la même manière, si la conjonction « ou »
est le plus souvent exclusive en français (« fromage ou dessert » signifie que c’est soit l’un, soit
l’autre), elle est inclusive en maths (soit fromage, soit dessert, soit les deux). La précision du langage
mathématique peut donc vite devenir une source de difficulté, voire de rejet.
Prenons un exemple. En seconde, une fonction peut être représentée par une courbe. Sur cette
courbe, il y a une infinité de points, et on veut savoir si un point particulier appartient à cette courbe.
On énonce la priorité suivante, tirée d’un manuel de seconde :

Appartenance d’un point à une courbe. Avec une fonction f, et Cf sa courbe


représentative :

M (xM ; yM ) ∈ Cf équivaut à
xM ∈ Df et yM = f(xM).

Cette phrase a du sens… pour un matheux. Pas vraiment pour un lycéen, peu familiarisé avec les
fonctions et les symboles mathématiques !
Heureusement, le formalisme des mathématiques officielles coexiste avec une tradition orale « qui
raconte ce que personne n’ose écrire dans les livres parce que ça ne fait pas sérieux », pour
reprendre les mots du mathématicien David Bessis — je reparlerai de lui plus loin.
Malheureusement, le langage officiel reste dominant dans l’enseignement des mathématiques,
parfois au détriment de la compréhension.
Pour ma part, j’ai fait le choix inverse pour transmettre les maths à mes élèves. Une circonstance m’y
a sans doute aidée : j’ai commencé à enseigner tout de suite après mes études, à 23 ans, et j’étais
finalement encore dans une dynamique d’apprenant. Aussi, je me suis placée instinctivement au
même niveau que mes élèves. Enseigner ne consistait pas à leur transférer mon savoir, mais à leur
parler comme je l’avais fait avec mes camarades de classe quand je voulais leur expliquer quelque
chose. Cette proximité change tout. D’ailleurs, au début, je n’avais que des lycéens entre 16 et 18 ans,
donc assez proches de moi par l’âge. J’ai pris dès le départ une posture différente, devenue ensuite
ma marque de fabrique. Cela m’était égal de ne pas utiliser les beaux mots qui font matheux. Je
m’étais fixé comme mission que mes élèves comprennent. J’étais certes exigeante sur la rédaction de
la copie, qui devait utiliser l’écriture formelle1, mais je donnais des explications accessibles dans un
vocabulaire simple et adapté à leur niveau.
Le bon pédagogue n’est pas seulement quelqu’un qui a des connaissances très pointues dans son
domaine. C’est aussi quelqu’un qui est capable de se revoir à la place de l’élève, et qui essaie de se
rappeler – pour pouvoir ensuite l’expliquer – quel a été son cheminement intellectuel avec les outils
alors en sa possession… Ce cheminement n’a souvent rien de formel, d’où le fait qu’une grande
partie des explications en mathématiques se font à l’oral, pour transmettre ces petits trucs que le
formalisme mathématique juge incorrects. Personnellement, j’ai du mal à comprendre l’intérêt de
cet « interdit » qui pèse sur le recours à la langue usuelle. Est-ce par peur de « dénaturer » les
maths ? Il me semble pourtant que cette sacralisation fait obstacle à une meilleure compréhension
des concepts.

Logique et intuition
Beaucoup de personnes pensent que les matheux ont une logique particulière et plutôt innée : on l’a
ou on ne l’a pas, de la même manière qu’il y a des personnes grandes et d’autres petites, certaines
avec des cheveux bruns et d’autres avec des cheveux blonds.
Je pense en réalité que nous prenons les choses à l’envers : ce n’est pas la logique qui fait le matheux,
c’est le contact avec les maths qui aide à développer la logique. Certes, nous naissons tous avec une
sensibilité et des capacités différentes, mais rien n’est figé. Imaginez une jeune personne qui
présente toutes les qualités physiologiques d’un champion du monde du 100 mètres. Si cette
personne ne s’entraîne pas à la course, elle n’a aucune chance de décrocher le titre, malgré toutes ses
prédispositions ! S’essayer à résoudre des problèmes de maths invite à développer une pensée
logique en construisant une démonstration, c’est-à-dire un raisonnement dans lequel
l’enchaînement entre les propositions est strictement déductif : à partir d’un certain nombre de
prémisses, on peut élaborer une conséquence logique qui forme la conclusion du raisonnement.
Mais les spécificités de cette logique s’acquièrent avant tout par la pratique des mathématiques (y
compris de la logique mathématique). Chaque situation permet de tester différentes procédures, de
construire des déductions et de nouveaux savoirs. C’est pour cela que l’erreur est si importante. En
maths comme dans la vie.
Dans le même ordre d’idées, je n’aime pas beaucoup parler d’intuition pour expliquer une
compréhension aisée des mathématiques. Car l’intuition, comme la logique, n’est pas un prérequis
pour faire des sciences. Au contraire ! Ces deux qualités se développent avec le temps,
l’entraînement, la maîtrise des concepts et le travail. Je me garde donc bien d’associer logique et
intuition aux maths, de peur de rendre cette matière inaccessible aux nombreuses personnes
dépourvues de ces qualités spécifiques. Pourtant, je reçois de plus en plus de parents inquiets parce
que leur enfant, en primaire, n’a pas développé cette fameuse logique mathématique ou n’a pas
d’intuition.
Faire des maths, ce n’est pas lire dans une boule de cristal pour que la solution nous apparaisse
comme par miracle. Pour résoudre un problème, il faut choisir une méthode parmi plusieurs, un
protocole qui a été essayé des milliers de fois avant nous, qui marche et qui marchera encore
demain. Rien à voir avec l’intuition, le ressenti, l’imagination – du moins dans les premiers temps.
Maîtriser les fondamentaux, s’entraîner et travailler, voilà ce à quoi je crois ! Complétez ce trio
gagnant avec la motivation, la persévérance, la patience et la curiosité, et je vous garantis que
n’importe lequel d’entre nous peut devenir « doué » en maths. J’irai même plus loin : je pense qu’un
élève qui a des facilités risque plus facilement d’échouer qu’un élève moins « doué » mais
travailleur, précisément parce que le premier ne développe pas suffisamment sa capacité de
travailler.
En 2012, le Congrès international sur l’enseignement des mathématiques soulignait que,
contrairement aux pays d’Asie du Sud-Est, les pays occidentaux, dont la France, encouragent une
compréhension intuitive des concepts mathématiques. Pourtant, aujourd’hui, les pays d’Asie du
Sud-Est obtiennent les meilleurs scores aux épreuves de mathématiques, selon l’étude Pisa de 2018.
Peut-être avons-nous accordé trop d’importance à l’intuition et à la logique, réservant ainsi les
mathématiques à une poignée de personnes. Or, aujourd’hui plus qu’hier, la France a un besoin
crucial de scientifiques talentueux. Je le répète, l’intuition n’est pas la norme en mathématiques.
C’est à peine une facilité en plus.

Images mentales et autres secrets de matheux


Dans son ouvrage Mathematica2, le mathématicien David Bessis nous livre une approche très
personnelle de son expérience des maths, bien loin de ce qui est enseigné à l’école. Il y décrit un
rapport sensuel avec la discipline et tente d’expliquer comment, selon lui, les grands
mathématiciens acquièrent la capacité de comprendre les maths au point de pouvoir les sentir et les
voir. On sent chez lui une volonté profonde de dédramatiser le sujet. Il soutient que comprendre les
maths n’est pas inné, que le cerveau d’un grand mathématicien n’est pas différent de celui d’un
individu lambda, et que tout repose en fait sur le développement de l’intuition mathématique. Avec
la bonne méthode, affirme-t-il, il est possible de développer cette intuition, tout comme on
développe ses performances physiques par un entraînement adapté. Le secret des mathématiciens
va nous être enfin dévoilé !
David Bessis fait reposer l’intuition mathématique sur la capacité de créer des images mentales, de
faire des « gestes invisibles » dans sa tête. Certes… Mais comment faire ? Je n’ai malheureusement
pas trouvé de solution concrète dans son livre… Sa volonté – sincère – d’aider le lecteur à
comprendre une expérience mathématique très personnelle l’amène à la relier à des exemples
simples, accessibles au grand public. Je salue cet effort. Mais pour créer l’image mentale d’un cercle,
par exemple, il faut pouvoir imaginer un rond dans l’espace. Qu’est-ce qu’un rond quand on n’en a
jamais vu ni jamais touché ?
David Bessis évoque aussi l’exemple d’un jeu destiné aux tout-petits : un cube dans lequel l’enfant
doit insérer des pièces de différentes formes (rondes, en triangle, en étoile, etc.). Au début, l’enfant
ne parvient pas à associer le bloc triangle au trou correspondant. Même chose pour le bloc rond, etc.
Premières frustrations. D’autant que ses parents y parviennent vite. À force d’essais, l’enfant finit
par concevoir la différence des formes et la place de chaque bloc dans le cube. Forme-trou, cette
évidence lui est apparue d’un coup. Ce que l’auteur explique ainsi : « Vous avez appris tout seul à voir
les formes, parce que tant que vous ne saviez pas les voir, personne ne pouvait vous expliquer ce que
c’était. Depuis cette époque, vous ne pouvez plus vous empêcher de les voir. C’est tellement facile !
Les ronds et les carrés, les triangles et les étoiles, les cœurs. C’est même trop facile. Vous êtes même
incapable d’imaginer ce que ça peut bien vouloir dire que de ne pas les voir. »
Même si la comparaison est parlante, et rend l’idée d’images mentales encore plus séduisante, elle
oublie une chose essentielle : en mathématiques, on naît aveugle et sans connaissances. Sans
possibilité d’expérimenter concrètement par le toucher, la manipulation… On n’a donc aucune
chance de vraiment « voir ». Le mathématicien en herbe doit pouvoir expérimenter, essayer, se
tromper de case avant d’y arriver naturellement. Pour revenir au principe de la pyramide évoqué au
chapitre précédent, être capable de « voir » les maths, de les « sentir », exige d’avoir franchi les
quatre premiers niveaux.
Je suis personnellement convaincue qu’être bon en maths est réellement accessible à tous. Le rejet
sans précédent dont souffre cette discipline en dehors du cercle fermé des « forts en maths » est
navrant, et je pense que les mathématiciens ont un rôle à jouer pour lui redonner toute la place
qu’elle mérite. Mais ne brûlons pas les étapes. Je ne suis pas sûre que parler d’intuition
mathématique puisse contribuer à rendre les maths plus attrayantes, et cela risque même d’être
contre-productif. Si l’on veut réellement démocratiser les maths, rendre possible leur accès au plus
grand nombre, il me semble impératif, dans un premier temps, de les dissocier de termes comme
« logique » et « intuition ». La logique et l’intuition ne sont pas des prérequis pour faire des sciences
en général et des maths en particulier. Au contraire ! C’est d’abord en acquérant un certain savoir,
puis en l’exerçant régulièrement, que ces deux qualités se développeront. Un peu comme le jeune
enfant apprend (presque sans s’en rendre compte) à maîtriser son équilibre par une succession
d’efforts imperceptibles pour passer des premiers pas maladroits à la grâce du danseur. La grâce
demande du temps, même pour les génies !
Je reçois de plus en plus de parents angoissés parce que leur enfant, en primaire, n’a pas développé
cette fameuse logique mathématique ou n’a pas (encore) d’intuition. Or les premiers apprentissages
n’ont rien à voir avec l’intuition, le ressenti, l’imagination. Maîtriser les fondamentaux, s’entraîner
et travailler, voilà ce à quoi je crois ! En y associant la motivation, la persévérance, la patience (oui ça
peut prendre du temps) et la curiosité, je crois fermement que beaucoup d’élèves peuvent finir par
se révéler « intuitivement » doués.

Une armoire bien rangée


Plutôt que de parler d’intuition, de logique et autres pouvoirs magiques, je préfère envisager
l’apprentissage des maths comme une grande armoire avec plusieurs casiers contenant chacun un
outil. Si l’armoire est en désordre, les élèves savent à peine ce qu’il y a dedans et vont donc ouvrir
tous les casiers pour y chercher l’outil dont ils ont besoin. Si l’armoire est bien rangée, les élèves
savent tout de suite où chercher successivement les outils avec lesquels ils vont résoudre leur
problème.
Le « bon en maths » est celui qui a su bien ranger ses outils, ce qui lui permet de les retrouver
facilement. Et il sait aussi ouvrir les bons casiers, c’est-à-dire mobiliser la bonne connaissance ou la
combinaison des bons outils pour trouver la solution.
Notes
1. Je ne dénigre pas le formalisme en soi, car c’est lui qui permet l’universalité des maths. Mais je
crois qu’il peut au moins être allégé à l’oral, afin de rendre les notions et la méthodologie plus
accessibles.
2. Mathematica. Une aventure au cœur de nous-mêmes, Seuil, 2022.
VALORISER LES MATHS POUR RÉDUIRE
LES INÉGALITÉS

Même si l’idée déplaît, une grande partie de la sélection se fait par les mathématiques : beaucoup de
filières post-bac continuent d’exiger une solide formation dans cette matière, même depuis la
réforme du bac en 20191. Renoncer aux maths, c’est donc courir le risque de se fermer de
nombreuses portes : la preuve en est qu’un élève d’une filière scientifique pourra facilement
rejoindre une prépa littéraire, alors qu’un élève ayant suivi une spécialité littéraire ne sera pas admis
en prépa scientifique. Malheureusement, malgré une homogénéisation de l’enseignement des
maths, formalisée dans les programmes officiels, on observe de grandes disparités dans les résultats
en fonction de l’origine sociale, mais aussi en fonction du genre. La sélection par les maths a en effet
tendance à accroître les inégalités entre milieux favorisés et milieux moins favorisés, entre garçons
et filles. C’est pourquoi il est si important d’offrir à tous un niveau acceptable dans cette discipline !

Certains sont plus égaux que d’autres !


Selon la dernière étude Pisa2, la France reste championne des inégalités en Europe : « La France est
l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socio-économique et la performance est le plus fort,
avec une différence de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu
défavorisé (moyenne OCDE : 89 points). On retrouve ces inégalités au niveau des ambitions
scolaires : un élève défavorisé ayant de bons résultats sur cinq ne prévoit pas de terminer ses études
supérieures, alors que cette proportion est très faible parmi les élèves favorisés. »
Un rapport de 2018 sur l’état de l’école3 souligne par ailleurs que les enfants issus des milieux les
moins favorisés sont sous-représentés dans les filières scientifiques (18,7 %, contre 42,8 % pour les
élèves issus de milieux très favorisés).
Sans surprise, cette disparité se retrouve dans l’enseignement supérieur, où plus d’un tiers des
étudiants sont enfants de cadres supérieurs, contre seulement 12 % ayant des parents ouvriers. Par
ailleurs, plus de 50 % des étudiants qui intègrent les classes prépa ou les écoles de commerce et
d’ingénieurs sont des enfants de cadres supérieurs, contre moins de 10 % pour les enfants
d’ouvriers4.
Les élèves issus des milieux défavorisés entament donc leurs études supérieures avec un handicap
certain. Je suis installée en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France
métropolitaine. La plupart des élèves que D-PhiAlpha accompagne n’osent même pas penser aux
filières dites d’excellence. Parfois, c’est le système lui-même qui décourage ce choix. C’est d’ailleurs
ce qui m’est arrivé quand j’étais en terminale. Mon lycée proposait une préparation pour
Sciences po, et j’ai eu envie de me lancer. Je prends rendez-vous auprès du directeur pour avoir plus
d’informations. Pleine d’enthousiasme, je lui dis que j’aimerais bien essayer. Je suis première de ma
classe et j’envisage toutes les voies prestigieuses. Je n’ai pas oublié sa réponse : « Mademoiselle, je
ne doute pas que vous soyez une bonne élève, mais à Sciences po, il n’y a que des enfants d’avocats,
d’ingénieurs… Vous aurez du mal à trouver votre place. Vous comprenez ce que je veux dire… » Bien
sûr. J’ai donc renoncé à cette préparation. Sur le coup, j’ai trouvé cette réponse plutôt gentille : le
directeur voulait me « protéger ». Avec le temps, je me suis rendu compte que cette remarque m’a
beaucoup blessée. Malheureusement, j’entends encore trop souvent ce type de réflexion ! De très
bons élèves issus de milieux populaires sont moqués parce qu’ils veulent faire médecine, devenir
avocat, intégrer Harvard, etc. Personne ne devrait subir ce type d’humiliation au prétexte d’être né
« au mauvais endroit ».
Ces inégalités liées au statut social des parents s’expliquent facilement : dans certaines familles, la
langue française est à peine maîtrisée. Comment l’un des deux parents peut-il apporter à ses enfants
une aide significative s’il n’est pas capable de lire ou de comprendre la question ? D’autres
maîtrisent la langue, mais ne sont pas en mesure de les aider parce qu’ils n’ont pas fait d’études. Et
n’oublions pas que l’imitation est un puissant moteur d’apprentissage pour l’enfant : si le parent ne
sait pas faire, l’enfant aura plus de mal à se stimuler dans ses apprentissages.
L’environnement direct joue aussi un rôle pour la poursuite des études. Stimulé par son entourage,
un adolescent qui grandit dans un contexte favorable (par exemple, dans une famille où les deux
parents ont fait des études supérieures) est préparé mentalement à poursuivre ses études. La
stimulation ne sera pas la même si aucune personne de l’entourage proche n’a de diplôme.
La dimension culturelle a également son importance : la pratique de la musique (dont les effets
bénéfiques sur le cerveau ont été prouvés) ou d’autres loisirs, les sorties culturelles, les voyages, tout
cela contribue à élargir l’horizon. Dans les familles peu favorisées économiquement, la priorité est
souvent donnée aux besoins primaires, et la dimension culturelle passe au second plan.
Tous ces facteurs contribuent à éloigner certains jeunes des études supérieures ou de certaines
filières. Beaucoup d’élèves de terminale que j’accompagne n’ont jamais entendu parler des grandes
écoles. Or croire que c’est en prépa que l’on se prépare pour les écoles d’ingénieurs est faux. Pour
réussir en prépa, il faut connaître les règles du jeu, même celles qui sont tacites. C’est ce que j’ai pu
observer quand j’ai suivi ce cursus : contrairement à moi, la majorité de mes camarades avaient des
proches qui étaient passés par la prépa, ils en connaissaient donc tous les codes. Pour ma part, j’ai dû
les affronter seule. La prépa est un marathon qui dure deux ou trois ans. Et, contrairement à l’école,
l’objectif n’est pas uniquement d’avoir des bonnes notes aux différents devoirs sur table : il faut
aussi être en mesure d’absorber un maximum d’informations pour être fin prêt les jours des
concours. Tout se joue sur le mental. D’autres facteurs entrent alors en jeu : les précieux moments de
récupération, l’activité physique régulière, le temps passé dans les transports, le soutien de
l’entourage, etc.
L’ambition n’est donc pas seulement liée à la personnalité. Elle peut être animée ou, au contraire,
étouffée par le contexte socio-économique. C’est encore l’un des points que souligne la dernière
étude Pisa : en France, 20 % des bons élèves issus de milieux défavorisés ne prévoient pas de faire
des études supérieures, alors que cette proportion est très faible parmi les élèves nés dans un
contexte social privilégié. Cela paraît absurde, car un bon élément reste un bon élément, quelle que
soit son origine sociale ! Que peut-il bien se passer dans la tête de ces jeunes ?
Récemment, j’ai reçu un élève avec ses parents et je l’ai incité à se trouver des objectifs, à réfléchir à
des métiers, ambitieux si possible, qui pourraient le motiver. (Car je suis convaincue que l’on
travaille mieux à l’école si on sait pourquoi on y va, quitte à changer de raisons au fil du temps.) J’ai
devant moi un adolescent plutôt brillant en sciences et je lui lance : « Pourquoi pas ingénieur ? » Ses
parents rebondissent tout de suite en me disant que je vais trop loin, que c’est du domaine du rêve.
Beaucoup de métiers semblent inaccessibles à certaines catégories sociales, parce que ces dernières
sont sous-représentées dans les formations qui y conduisent. Par exemple, seulement 5,4 %
d’enfants d’ouvriers se retrouvent en école d’ingénieurs ! C’est trop peu. On imagine facilement les
pensées limitantes qui peuvent freiner le Processus : « Je ne connais personne en école
d’ingénieurs, tout le monde dit que c’est dur, qu’il faut être très fort, intelligent et travailleur… Et,
en plus, il n’y a que des enfants de cadres. Je ne suis clairement pas des leurs ! Je ne leur ressemble
pas, je ne suis pas comme eux ! Si je balance aux potes que je veux aller en école d’ingénieurs, ils vont
se moquer de moi. Et mes parents ? Ils vont croire que je rêve. Et les profs ? Ils vont me dire que
c’est très difficile, comme s’ils doutaient de ma capacité de m’accrocher. »
Cela explique que, dans les milieux moins favorisés, même les bons élèves ont du mal à se projeter
dans les filières d’excellence. On leur a souvent dit et répété que la prépa, c’est dur, que l’esprit de
compétition y est exacerbé. Mais je doute qu’on leur ait expliqué qu’on peut aussi y trouver un esprit
d’entraide pendant les révisions. Et qu’on y apprend à travailler de manière ultra-efficace. Je doute
aussi qu’on leur ait dit qu’il y a plus de places dans les écoles d’ingénieurs que de postulants qui se
présentent aux concours. Et que les meilleures écoles d’ingénieurs sont financièrement les plus
accessibles. La plupart des parents pensent que le coût d’une formation dépend de son prestige,
mais ce n’est pas le cas en France pour les écoles d’ingénieurs comme Centrale, Polytechnique, les
Mines, etc. !

Non, les filles ne sont pas nulles en maths


Parmi les autres grands absents des filières scientifiques, il y a aussi les filles ! Alors que 55 % des
étudiants de l’enseignement supérieur sont des femmes, leur proportion dans les écoles
d’ingénieurs, dans les classes préparatoires ou en licence de mathématiques, physique-chimie ou
informatique reste faible (28 %) et n’a progressé que de 2,3 points en dix ans5. Et la situation s’est
aggravée depuis la réforme du bac en 2019 : en 2010, 38 % des filles en classe de terminale faisaient
plus de 8 heures de maths par semaine, contre 31 % seulement en 20216. Cette proportion est
inférieure au niveau de 1994, ce qui signifie qu’on a reculé de près de trente ans en seulement deux
ans !
En tant que femme ayant fait des études de sciences, je trouve aberrant que, en 2023 en France, une
fille ne se sente pas à sa place dans ces filières. C’est même le signe, à mes yeux, d’un sous-
développement de notre société. Lutter contre cette tendance est donc une cause qui me tient
particulièrement à cœur.
S’appuyant sur les données de l’étude Elfe7, le psychologue du développement Jean-Paul Fisher et le
démographe Xavier Thierry ont observé que, en maternelle, les filles ont des résultats très
légèrement plus élevés en maths que les garçons, puis les garçons prennent l’avantage au CP et
l’écart se creuse ensuite au fil du temps. Cette disparité s’observe quels que soient le type d’école
(privée ou publique) et l’environnement social. L’étude montre ainsi que la théorie d’une
prédisposition innée des garçons aux maths est difficile à défendre ! La confiance en soi, les normes
sociales et les stéréotypes de genre sont en revanche de plus en plus invoqués comme des
explications possibles. Une autre étude, conduite sur des enfants plus âgés, a ainsi montré que les
stéréotypes se retrouvent inconsciemment dans la façon dont les enseignants interagissent avec
leurs élèves, avec l’idée que les garçons s’orienteraient plus naturellement que les filles vers les
disciplines scientifiques.
Depuis que j’enseigne, j’ai suivi des centaines d’élèves, et j’ai pu observer que les filles sont, d’une
manière générale, plus travailleuses, plus assidues et plus autonomes. Et je peux vous assurer que de
telles qualités, combinées avec l’assurance de pouvoir comprendre les maths, peuvent les propulser
à des niveaux remarquables dans les disciplines scientifiques !
Outre les stéréotypes de genre et une différence de traitement, même inconsciente, entre les filles et
les garçons, je pense que deux autres facteurs peuvent expliquer la faible représentation des filles
dans les disciplines scientifiques : une transmission du doute qui alimente le manque de confiance
en soi, et une incapacité, pour les jeunes filles, de se projeter dans les métiers associés aux
compétences scientifiques.
La transmission du doute joue sur une fausse croyance qui a la vie dure : la bosse des maths, c’est
génétique. J’entends en effet beaucoup de filles me dire : « Je suis comme ma mère, elle aussi était
nulle en maths. » D’ailleurs, les mots des mamans font écho à ceux de leur progéniture : « Ma fille
est ma copie conforme, moi aussi j’ai toujours eu du mal en maths. » Comme s’il s’agissait d’une
malédiction familiale. Or l’attrait pour les sciences n’a rien à voir avec les gènes ! Inversement,
lorsqu’une jeune fille réussit à comprendre les maths et à se débrouiller dans cette matière, cette
disposition agit comme une réparation pour les mères. Comme si la malédiction était en quelque
sorte brisée.
Cela dit, cette transmission du doute s’explique historiquement : comme le rappelle la sociologue
Clémence Perronnet, auteur de La bosse des maths n’existe pas8, la loi Haby, qui a rendu obligatoire la
mixité scolaire et imposé de donner les mêmes enseignements aux filles et aux garçons, ne date que
de 1975 ! Avant cette date, les filles recevaient un enseignement de mathématiques dit « adapté ».
L’égalité d’accès aux sciences est donc relativement récente.
Quant aux difficultés à se projeter dans les métiers scientifiques, il faut avouer que les modèles
féminins sont rarement mis en valeur. Bien sûr, il y a Marie Curie. Qui est née en 1867 ! Sans
remettre en cause le parcours exceptionnel de cette femme, vous conviendrez que, à l’heure des
réseaux sociaux, des filtres Instagram, des TikTok et autre Snap, elle ne fait pas très moderne ! N’y a-
t-il pas d’autres personnalités plus actuelles à mettre en valeur ? Des femmes qui assument leur part
de féminité malgré leur appétence pour les sciences ? avec une vie sociale ? avec un sens de
l’humour ? Certes, des femmes scientifiques sont régulièrement mises à l’honneur, mais elles
rencontrent peu d’écho.
Bien sûr, de nombreuses initiatives existent pour promouvoir les maths auprès des jeunes filles.
Chaque année sont ainsi organisées les Olympiades féminines de maths, un concours ouvert aux
passionnées de maths en première et en terminale. Cette initiative a pour objectif de favoriser une
meilleure représentation des femmes dans les sciences. Je pense cependant que c’est une fausse
bonne idée. Pourquoi des olympiades genrées ? Car il existe des Olympiades nationales pour tous les
élèves de première, aussi bien filles que garçons. Les Olympiades féminines partent sans doute d’un
bon sentiment, mais elles pourraient être contre-productives en laissant entendre que les filles
seraient moins fortes en maths que les garçons. En sport, il est certes courant de séparer les
épreuves pour des raisons physiologiques (plus de testostérone, plus de muscles chez les hommes)
qui empêchent une comparaison des résultats. Mais en maths ? Sur quel critère objectif établit-on
une olympiade réservée aux filles, comme si elles ne pouvaient pas se mesurer à égalité avec les
garçons ? En tout cas, la question mérite d’être posée.
Quoi qu’il en soit, les mentalités doivent évoluer. Nous devons bien sûr pousser les jeunes filles à
davantage prendre en compte les voies scientifiques. Mais cela implique aussi de travailler sur les
représentations sociales et sur la place des femmes dans les carrières scientifiques. Pour que
l’égalité soit effective, tout le monde doit mettre la main à la pâte : les filles comme les garçons !

La réforme du bac pourrait accentuer les inégalités


L’esprit de la réforme de 2019, avec la création de spécialités à partir de la classe de première9, visait
à éviter les hiérarchies artificielles entre les séries. Le but affiché était d’« offrir plus de liberté aux
élèves en leur permettant de choisir des enseignements qui les motivent vraiment, parce qu’on
réussit toujours ce que l’on aime vraiment ».
En effet, beaucoup d’élèves qui n’avaient pas forcément un profil scientifique optaient pour la
série S, parce qu’elle permettait ensuite de choisir plus facilement sa voie après le bac, car elle ne
fermait aucune porte. Au lieu de résoudre le casse-tête de l’orientation et de donner aux élèves les
moyens de se projeter plus tôt dans l’enseignement supérieur, la réforme de 2019 a déconstruit le
système, au risque d’avoir des bacheliers difficiles à « caser » dans le supérieur. Quant aux indécis
bien informés sur les orientations possibles et qui ont un bon niveau en maths, ils continuent de
choisir les options qui ferment le moins de portes : maths, physique-chimie et SVT.
Avec l’ancien bac, les maths restaient obligatoires jusqu’en terminale dans les filières ES
(économique et social, avec un programme solide) et optionnelles en série L (littéraire).
Aujourd’hui, c’est tout ou rien. Soit le lycéen choisit la spécialité maths avec les attendus d’un profil
scientifique, soit il arrête cette matière. Que faisons-nous alors de tous ces élèves qui veulent
continuer les maths à un niveau assez poussé sans viser une filière purement scientifique ? En 2021,
plus de 50 % des élèves de série générale avaient délaissé les maths en terminale, soit un total de
170 000 adolescents, contre 50 000 avant la réforme10. Et sur les 151 000 élèves, 59 % des élèves en
terminale ont suivi un enseignement en maths, contre 90 % avant la réforme. Je ne suis pas sûre
qu’on puisse parler d’une franche réussite11. Au point que le ministère a fait (un peu) machine
arrière en réintroduisant, à partir de la rentrée 2023, 1 h 30 à 2 heures de maths obligatoires en
première.
Par ailleurs, la réforme du baccalauréat a intégré une part de contrôle continu (40 %) dans la
notation des bacheliers. Argument avancé par le ministère de l’Éducation nationale : le contrôle
continu permet de faire travailler toute l’année les élèves. Mais beaucoup d’enseignants s’inquiètent
des inégalités que pourrait susciter cette modalité du fait des écarts de notation entre les
établissements, au risque d’accentuer la sélection d’entrée à l’université en fonction du lycée
d’origine : malheureusement, avec une part de contrôle continu, une mention très bien à Bobigny
(93) n’aura pas la même valeur qu’une mention très bien à Paris !
Je me souviens encore de la première année de Parcoursup12, en 2018. Mes petits protégés du 93
avaient durement travaillé pendant les derniers mois. Certains avaient même obtenu de très bons
résultats durant l’année scolaire. Je n’avais aucun doute : ils allaient obtenir l’orientation souhaitée.
Le jour des résultats arrive enfin. Tout le monde se connecte. Et là, surprise générale, la majorité de
mes élèves sont sur liste d’attente, pour tous les vœux. Vous n’imaginez pas la violence que cela
représente. Des années de labeur pour ne se voir accepté du premier coup dans aucune filière. Au
début, j’ai pensé que cela concernait tout le territoire. Puis j’ai découvert, à travers des articles, des
données qui montrent qu’il y a en effet une injustice réelle, qui touche en particulier le 9313.
Comment expliquer cette situation aux élèves ?

Déjouer le déterminisme social


La mobilité sociale offre un éclairage intéressant sur les inégalités. En France, on observe que cette
mobilité reste faible chez les hommes parmi les cadres, les employés et les ouvriers qualifiés, et chez
les femmes parmi les salariées les moins qualifiées14. Sans surprise, cette absence de mobilité va
jouer aussi sur le choix des études, la majorité des élèves choisissant leur orientation en fonction de
leur environnement familial. Il est plus facile d’envisager de se lancer dans la recherche quand on
est soi-même fille ou fils de chercheur. Comme l’ont montré les sociologues Pierre François et
Nicolas Berkouk dans une étude consacrée aux concours d’accès à Polytechnique, cette « sélection »
opère d’ailleurs très tôt : « La composition sociale des écoles d’élite, qui réservent une place très
importante aux étudiants issus de la classe dominante, est souvent imputée aux tournois successifs
qui trient scolairement et socialement les élèves le long de leur parcours scolaire, très en amont du
concours15. » Les deux auteurs vont plus loin en soulignant que ce sont les matières scientifiques
(physique et maths) qui creusent l’écart entre les enfants d’ingénieurs et les boursiers, et ce,
d’autant plus que ce sont aussi les disciplines aux coefficients les plus élevés.
Difficile de dire que notre système scolaire favorise l’égalité des chances quand les adresses les plus
prestigieuses reproduisent l’ordre social existant. On comprend donc que, pour ceux qui ne cochent
pas les bonnes cases, il va falloir fournir beaucoup plus d’efforts ! Aujourd’hui, je dis ouvertement à
mes élèves : « Tu viens du 93, il va falloir travailler plus ! Il va falloir prouver à chaque étape que toi
aussi tu mérites ta place ! » Aux filles, je répète sans cesse : « Vous allez vous retrouver dans des
filières où il y aura peu de filles, il va donc falloir être fortes, avancer, apprendre à vous imposer et
refuser d’entendre ceux qui remettent en question votre place. » Cette situation est très injuste, mais
c’est une réalité : la regarder objectivement permet peut-être de mieux se préparer à l’affronter.
Le chemin vers la diversification sociale des grandes écoles est encore long. Selon une étude
conduite par des chercheurs de l’Institut des politiques publiques, la part des enfants d’ouvriers et
de parents sans emploi n’a pas progressé dans ces établissements entre 2006 et 2016.
Malgré tout, de nombreuses écoles ont mis en place des dispositifs pour permettre à un plus grand
nombre d’étudiants de les rejoindre. Les écoles d’ingénieurs post-prépa sont déjà majoritairement
toutes gratuites, ce qui n’est pas le cas des écoles de commerce.
Je pense aussi à l’Institut Villebon-Georges Charpak, qui offre à des bacheliers peu à l’aise avec
l’enseignement classique l’occasion d’intégrer une formation scientifique de qualité après leur
licence. Il prépare par ailleurs à une licence sciences et technologies délivrée par les universités
Paris-Saclay et Paris-Cité, en partenariat avec ParisTech et l’ENS Paris-Saclay16. Ce cursus accueille
50 % de jeunes femmes (parité parfaite !) et 70 % de boursiers.
Autre initiative notable, Science po Paris a conclu des partenariats avec différents lycées de province
ou de zones défavorisées. Depuis sa création en 2001, le dispositif Conventions éducation prioritaire
(CEP) a permis d’accueillir 2 400 étudiants venant de toute la France. À la rentrée 2021,
170 étudiants étaient concernés, et leur nombre devrait augmenter de 50 % en 2023. En juin 2022,
son directeur a déclaré : « Il ne suffit pas de décréter l’égalité des chances pour qu’elle existe, ni
d’invoquer l’ouverture sociale ou géographique, pour qu’elle survienne. Il faut aller la chercher par
des politiques volontaristes, partout où elle se trouve sur le territoire français, dans l’Hexagone et
dans les territoires d’outre-mer. » En se donnant les moyens, il est donc possible de conjuguer
excellence et égalité des chances. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine.
Une stratégie d’orientation en panne
L’une des finalités de l’école, c’est de permettre à tous d’avoir un métier. D’ailleurs, on interroge de
plus en plus tôt (dès l’oral du brevet) les élèves sur leur projet d’orientation. Ensuite, dès la seconde,
ils sont amenés à formuler des vœux pour les spécialités qu’ils suivront à partir de la première. Ce
choix détermine le contenu pédagogique des deux années suivantes jusqu’au bac, mais il engage
aussi leur formation post bac. Cependant peu d’élèves en ont vraiment conscience. D’autant que le
système scolaire ne fait pas assez de place aux stratégies d’orientation.
Là encore, le milieu social joue à plein. Sur le papier, un accompagnement, via le parcours Avenir17,
est prévu dès le collège pour guider les élèves dans leur choix d’orientation et mieux les préparer au
mode professionnel. Les dispositifs sont renforcés à partir du lycée, en particulier au moment du
choix des spécialités. Pourtant, selon plusieurs études, de nombreux élèves et de nombreux parents
estiment que l’Éducation nationale ne joue pas le rôle attendu pour l’aide à l’orientation, à quelques
exceptions près. Le collège et le lycée sont surtout perçus comme des structures qui évaluent la
capacité qu’on les élèves de suivre tel ou tel parcours, et ne jouent pas pleinement leur rôle de
conseil pour les choix d’orientation possibles.
Fraîchement débarqués au lycée, peu de lycéens ont un projet professionnel clair. C’est trop tôt dans
leur parcours de vie. Ainsi, le choix des spécialités de première s’effectue rarement de manière
stratégique, en fonction des exigences postbac, mais plutôt en fonction des préférences ou des
bonnes notes obtenues dans certaines disciplines. Ne connaissant pas les attendus des voies
supérieures, ils optent pour des combinaisons qu’ils peuvent regretter en terminale, lorsqu’ils
commencent à remplir leurs vœux sur Parcoursup, entre janvier et mars. Par exemple, certains
élèves choisissent la spécialité sciences économiques et sociales, mais éliminent les maths : quelle
filière postbac va recruter un profil économiste qui n’a pas fait de maths ?
Ensuite, une fois le domaine professionnel à peu près identifié, les élèves ont beaucoup de mal à
comprendre comment fonctionne le système des études supérieures, surtout si personne n’y a
jamais mis les pieds dans leur entourage. Quelle est la différence entre une licence, un BUT
(bachelor universitaire de technologie), un DUT (diplôme universitaire de technologie) un BTS
(brevet de technicien supérieur), etc. Par ailleurs, des trajectoires différentes permettent d’arriver
au même métier ou au même diplôme. Naviguer entre toutes ces subtilités implique d’être préparé et
formé. Malheureusement, dans leur cursus, les collégiens et les lycéens sont rarement sensibilisés à
toutes ces nuances, et l’information n’est pas toujours facile à trouver. Après la terminale, j’ai suivi
deux ans de classe préparatoire pour intégrer une école d’ingénieurs. Passer tous les concours pour
mettre toutes les chances de son côté, c’est consacrer cinq semaines non-stop à composer 7 à
8 heures par jour. Au bout de cinq semaines, en rentrant chez moi, je me suis évanouie sur le quai de
la gare. Mon corps m’a littéralement lâché. Quand j’ai intégré la licence de physique fondamentale à
la faculté d’Orsay, j’ai découvert qu’il existait des voies d’accès parallèles à ces prestigieuses écoles
d’ingénieurs, avec un recrutement sur dossier (il faut donc avoir un beau dossier dans une bonne
université) et une épreuve unique pour toutes les écoles se déroulant sur une journée, avec un QCM !
Si j’avais su cela avant, je serais peut-être allée directement en licence de physique fondamentale –
même si je ne regrette pas mes années de prépa, où j’ai appris à travailler de manière très efficace !
Faute de pouvoir fournir les renseignements adéquats à tous les élèves, et plus spécifiquement à ceux
qui ne peuvent pas les trouver dans leur entourage, le système d’orientation semble donc reconduire
les inégalités sociales. C’est ce que souligne la chercheuse Agnès Van Zanten après une enquête
conduite dans quatre lycées franciliens : « Dans les deux établissements les plus favorisés, les élèves
reçoivent des informations et des conseils personnalisés et sont fortement incités à s’orienter vers
les classes préparatoires aux grandes écoles par lesquelles de nombreux professeurs sont passés et
qu’ils perçoivent comme la “voie royale” vers l’élite. La situation est tout autre dans les lycées moins
favorisés. Les équipes éducatives mobilisées sur la lutte contre le décrochage et plus encore sur la
réussite au bac s’investissent peu dans l’orientation. On ne commence à en parler que lorsque la
plateforme d’accès à l’enseignement supérieur entre en service, c’est-à-dire en janvier de l’année
du bac. Les élèves n’ont donc que quelques mois pour faire leur choix18. » Et ces inégalités dans
l’accès à l’information ne peuvent pas être compensées par l’entourage : « Les deux tiers des lycéens
issus des catégories socioprofessionnelles privilégiées parlent fréquemment du choix d’un
programme d’études supérieures et, potentiellement, d’une carrière, avec leurs parents. Les élèves
de milieux populaires ne sont que 20 % à discuter régulièrement d’orientation sous le toit familial.
Les lycéens qui reçoivent le moins de conseils dans leur famille quant à leur orientation sont aussi
ceux qui, le plus souvent, en reçoivent le moins à l’école, ce qui renforce les inégalités19. »
La question de l’orientation devrait être abordée plus tôt dans le cursus scolaire, en impliquant
davantage les élèves dans une projection sur le long terme. Dans la majorité des cas, en effet, notre
activité professionnelle (qui occupe quand même une bonne partie de nos journées !) résulte de nos
choix d’orientation. Pour moi, il est fondamental que les élèves se projettent très tôt dans un métier
qui les attire – même s’ils doivent changer de projet plusieurs fois ! Un élève qui souhaite devenir
vétérinaire ne subira pas l’école de la même manière qu’un élève indécis. Il aura sans doute une plus
grande aptitude à surmonter les obstacles, une plus grande envie de travailler pour y arriver, une
curiosité plus affûtée pour trouver les informations nécessaires qui lui permettront de choisir
vraiment son orientation. Car se donner le droit de rêver à un métier permet de prendre des
décisions avisées tout au long de sa scolarité.
Notes
1. Cette réforme a mis un terme aux filières S, ES et L pour créer un tronc commun en première,
complété par des enseignements de trois spécialités « à la carte » (puis deux spécialités en
terminale). Malheureusement, les maths ont disparu du tronc commun en première. Depuis la
rentrée de septembre 2022, les élèves de première qui ne prennent pas la spécialité maths peuvent
suivre un enseignement de 1 h 30 par semaine dans cette discipline, mais cette option reste
facultative. À la mi-octobre, seulement 10 % des élèves éligibles à ce dispositif avaient choisi de
suivre cet enseignement.
2. https://www.oecd.org/pisa/publications/PISA2018_CN_FRA_FRE.pdf.
3. https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/43312/l-etat-de-
l-ecole-2018-29-indicateurs-sur-le-systeme-educatif-francais-novembre-2018-ministere-de-l-
?_lg=fr-FR.
4. https://www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-
enseignement-superieur.
5. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/frederique-vidal-rappelle-son-
engagement-pour-favoriser-la-place-des-femmes-dans-les-filieres-47106.
6. https://smf.emath.fr/smf-dossiers-et-ressources/reforme-lycee-impact-sur-mathematiques-
part-des-filles-nombre-dheures.
7. L’étude Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) suit sur le long terme une cohorte
de plus de 18 000 enfants nés en France métropolitaine en 2011. Cette observation doit durer une
vingtaine d’années et porte sur des thèmes variés : santé, alimentation, éducation, vie familiale, etc.
8. Éditions Autrement, 2021.
9. Voir note 1.
10. Source : Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP).
11. https://www.lemonde.fr/education/article/2022/02/04/reforme-du-lycee-bataille-de-
chiffres-sur-la-place-des-maths_6112252_1473685.html.
12. Plateforme nationale de préinscription en première année de l’enseignement supérieur. Depuis
sa création, elle est régulièrement critiquée : sélection opérée par des algorithmes, manque de
transparence des critères retenus, importance donnée au lycée d’origine, etc.
13. https://www.francetvinfo.fr/societe/education/parcoursup/parcoursup/parcoursup-est-
discriminatoire-et-porte-prejudice-aux-lyceens-du-93-et-des-departements-les-plus-
defavorises_2778801.html.
14. « France, portrait social », Édition 2019, Insee.
15. https://www.cairn.info/revue-sociologie-2018-2-page-169.htm.
16. https://www.villebon-charpak.fr/linstitut/qui-sommes-nous/.
17. https://www.letudiant.fr/college/reussir-au-college-de-la-6e-a-la-3e/le-parcours-avenir-au-
college-mode-d-emploi.html.
18. https://lejournal.cnrs.fr/articles/comment-lorientation-scolaire-renforce-les-inegalites.
19. Ibid.
QUELQUES PISTES POUR COMPRENDRE LES FAILLES
DU SYSTÈME

Les chiffres sur le décrochage des élèves français ne manquent pas, les commentaires alarmistes
non plus. En 2018, Cédric Villani, médaille Fields 2014, et Charles Torossian, inspecteur général de
l’Éducation nationale, ont dressé un diagnostic de la situation des maths dans le paysage scolaire
français et proposé un certain nombre de mesures du primaire au lycée1. Ce chapitre ne prétend pas
concurrencer le travail de ces deux spécialistes. Il ne s’agit pas non plus de participer au concert de
critiques dont le système scolaire est trop souvent la cible – les enseignants en particulier, alors
qu’ils jouent un rôle majeur dans la transmission du savoir et assument bien plus qu’une simple
mission d’apprentissage. En réalité, je souhaite faire part ici de quelques réflexions personnelles
nées au fil du temps et de ma pratique. Je ne prétends pas détenir la vérité, je ne donne pas de leçon,
j’essaie juste de contribuer, à mon humble niveau, à réveiller l’intérêt des élèves pour les maths et à
rétablir une certaine forme d’égalité des chances. Pour mener à bien cette mission que je me suis
choisie, j’ai tenté – comme d’autres – de comprendre ce qui dysfonctionne dans notre système
éducatif. Les relations étroites que j’ai développées avec les élèves et leurs parents m’ont beaucoup
aidée dans cette démarche. Ce sont donc ces observations que j’expose ici.

Le paradoxe français : dernier en TIMSS, premier en cours


particulier
Selon la dernière étude internationale TIMSS2, dont les résultats ont paru en 2019, le score des
enfants du CM1 est inférieur à la moyenne de l’Union européenne ; la France se trouve d’ailleurs à
l’avant-dernière place des 58 pays participants, juste avant le Chili3… Par ailleurs, on estime que les
petits Français auraient perdu, au collège, l’équivalent d’une année scolaire depuis 1995 : en clair,
cela signifie qu’un élève de quatrième aujourd’hui a le niveau d’un élève de cinquième en 1995.
Enfin, la proportion des « bons éléments » est particulièrement faible : seuls 2 % des élèves de
quatrième ont un niveau avancé en maths, contre 11 % en moyenne à l’échelle européenne. Pourtant,
la France occupe la première place en Europe pour le recours aux cours particuliers ! Selon un
sondage TNS-Sofres, un collégien sur cinq et un lycéen sur trois ont recours au soutien scolaire
privé, et les parents dépenseraient en moyenne 1 500 euros par an pour offrir à leur progéniture
l’aide d’un professeur particulier.
Pourtant, le cours particulier n’est pas forcément la meilleure solution, car il contribue à créer
autour de l’élève une bulle protectrice, qui peut aussi entraîner un risque d’isolement. Coupé de ses
camarades dans ce moment d’apprentissage, l’élève ne peut pas voir que les autres rencontrent
parfois les mêmes difficultés que lui, ce qui permet de dédramatiser les embûches rencontrées. De
plus, on observe souvent que les collégiens ou lycéens qui réussissent à venir à bout de leurs
exercices quand le prof particulier se tient à leur côté sont ensuite perdus en classe. Le cours one-to-
one peut certes, dans un premier temps, aider l’élève à retrouver confiance en soi, mais il finit aussi
par devenir un frein à l’autonomie.
J’ai également remarqué que les cours particuliers participaient à l’obtention rapide de bonnes
notes. Les parents sont ainsi rassurés : l’investissement est coûteux, mais il porte ses fruits. Sauf que
les notes peuvent s’effondrer dès que les cours particuliers cessent. Dans un système éducatif où le
niveau des élèves est défini par les notes, les cours particuliers classiques donnent souvent l’illusion
d’une amélioration du niveau. Ils constituent en effet un soutien individualisé qui permet de
renforcer à la demande les points du programme sur lesquels l’élève bute. Ce dernier se prépare en
vue du contrôle et obtient une bonne note. Mais que reste-t-il de ses connaissances un mois plus
tard ? Assimiler un cours, c’est-à-dire toutes les notions qui le constituent, c’est tout le contraire du
bachotage. Quand la finalité du travail reste le contrôle, l’élève se met mentalement en condition
pour réussir, mais pas pour assimiler les notions clés. Ce défaut du système est d’ailleurs entretenu
par le fait que les professeurs qui donnent des cours particuliers ont une pression forte sur les
résultats : les parents attendent rapidement un retour sur investissement !
L’attrait des Français pour les cours particuliers pourrait cependant s’expliquer par une dégradation
malheureusement indéniable de l’institution scolaire. Face à des enseignants non remplacés en cas
d’absence, à des classes surchargées, à un nombre important d’élèves en décrochage, beaucoup de
parents finissent par douter de la capacité de l’école pour l’instruction de leurs enfants et se
tournent alors vers le soutien scolaire pour pallier les manques du système – sans toutefois remettre
en cause le rôle néfaste des notes dans l’évaluation de la réussite (j’aborde ce point un peu plus loin).
À ces doutes vient s’ajouter une exigence parentale d’individualisation des accompagnements, trop
facilement confondue avec la différenciation pédagogique. Quand la seconde vise à prendre en
compte les spécificités de certains éléments du groupe pour construire un cours qui permette à tous
les élèves de trouver leurs repères, la première vise à adapter l’enseignement à chaque élève :
l’objectif est de partir de ce qu’il sait faire pour le conduire à un niveau supérieur. Perspective
alléchante pour les parents, car elle garantirait la progression de l’enfant. Mais outre que cette
approche est impossible à mettre en place en classe (comment individualiser l’enseignement face à
trente profils différents, voire plus ?), elle a tendance à effacer le collectif et à appauvrir les
interactions entre les élèves, qui sont pourtant un ferment précieux pour la construction de
l’intelligence. De plus, cette approche individualisée s’accompagne d’une mise en concurrence
permanente des élèves. Dans cette quête de la réussite individuelle, les cours particuliers et autres
formules de soutien scolaire qui misent avant tout sur les notes tirent leur épingle du jeu.
Cela dit, la baisse du niveau général reste un problème tout à fait réel. Quand j’ai commencé à
proposer du soutien scolaire, il y a maintenant sept ans, je souhaitais me consacrer uniquement aux
lycéens, ayant une préférence pour le programme de la seconde à la terminale. Très rapidement, je
me suis retrouvée confrontée à des jeunes de première ou de terminale S qui manifestement ne
savaient pas résoudre des équations du premier degré, une notion abordée en quatrième ! Les
premières fois, j’ai pensé à une exception, à un chapitre zappé dans un collège. Mais l’exception est
devenue la règle : de trop nombreux lycéens, même ceux qui collectionnent les bonnes notes,
semblent être passés à côté de cette notion… et de bien d’autres. Il n’est plus rare d’entendre un
élève de seconde demander ce qu’est un nombre entier, de rencontrer un élève de première qui ne
sait pas réduire des fractions au même dénominateur, ni de se trouver devant un élève de terminale
qui semble n’avoir jamais entendu parler des fonctions affines.
Cette baisse du niveau en maths va de pair avec une diminution historique du nombre de lycéens qui
étudient cette discipline, comme je l’ai évoqué dans le précédent chapitre. Cet abandon doit
beaucoup, nous l’avons vu, à la réforme du lycée engagée en 2019. Les amendements proposés
depuis (entre autres le rétablissement d’un enseignement obligatoire des maths en première pour
tous les élèves) suffiront-ils à enrayer cette chute ? Je l’espère en tout cas.

Pour les enseignants,


une équation délicate
J’éprouve une grande admiration pour les enseignants, qui continuent de transmettre avec passion
dans un contexte dégradé. Qui aurait envie, en effet, de travailler dans une entreprise où les gens ne
vous respectent pas, où votre patron peut changer les règles du jeu tous les ans ou presque, où vous
êtes régulièrement montré du doigt et rendu responsable de tous les dysfonctionnements, le tout
pour un salaire vraiment bas4 ? C’est pourtant ce que vivent les enseignants en France. À cela
s’ajoutent des classes surchargées : des groupes de trente élèves au collège et au lycée, c’est la
norme ! Or faire « réussir » la totalité d’une classe de trente, c’est mission impossible, même avec la
meilleure volonté du monde ! En effet, il faut pouvoir gérer les différences de niveau tout en
respectant les délais impartis, suivre le programme sans négliger rigueur… et discipline du groupe.
Face à ces contraintes, la majorité des enseignants choisissent d’avancer au rythme du groupe de tête
(en général 4 à 5 personnes). Pour les autres ? Les « moyens » peuvent encore s’accrocher à
quelques cordes, mais les élèves en difficulté perdent vite pied et finissent par décrocher.
Pour maintenir l’attention de toute la classe, il est primordial de varier le cours et d’alterner, dans
une même séance, des notions, de la méthodologie et des exercices, afin de stimuler les esprits !
Dans une classe surchargée, avec les moyens alloués actuellement et les comportements souvent
dissipés des élèves, rythmer un cours est particulièrement fastidieux. Car cela implique de proposer
des ateliers avec toute la classe ou en petits groupes. Seul face à trente élèves ou plus, l’enseignant
n’a pas été formé spécifiquement pour animer dans le calme plusieurs tablées. Rythmer un cours, ça
ne s’improvise pas.
Dans la gestion d’une classe, la difficulté ne réside pas uniquement dans le nombre d’élèves. Il y a
aussi la grande hétérogénéité des niveaux. Les élèves les plus en difficulté auraient besoin d’être
davantage accompagnés, ce que le professeur ne peut pas toujours faire, car il doit boucler le
programme dans un temps imparti. D’un autre côté, il y a aussi les élèves brillants en demande
d’apprendre. Je pense par exemple à Noham, un de mes élèves à qui les enseignants avaient suggéré
de ralentir… J’ai conscience que leur position est délicate, avec une classe de trente sans
différenciation possible. Mais demander à quelqu’un de se freiner dans son apprentissage est le plus
sûr moyen de le démotiver. Noham, très bon collégien, vit mal sa « différence », c’est-à-dire le fait
d’être intéressé par beaucoup de choses, d’avoir envie de comprendre.
Dans ce contexte, la méfiance à l’égrd du système éducatif se cristallise sur les enseignants. En
première ligne, le corps professoral « paye » souvent pour des décisions qui ne sont pas de son
ressort. La réforme du lycée en 2019 en est un bon exemple : mise en œuvre dans un délai très court,
elle s’est heurtée à la gestion administrative des établissements, qui n’étaient pas tous en mesure de
proposer les différentes spécialités. Sans compter les nombreux revirements sur les modalités du
bac. Épreuve nationale ? Une épreuve par lycée ? Épreuve en mars ou en mai ? Épreuves communes
de contrôle continu en première ? Enfin, dernière aberration, l’écrit de spécialité en terminale doit
se dérouler en mars. Comment finir sérieusement le programme et entamer les révisions pour cette
échéance sept mois après la rentrée ? Les profs sont sommés d’aller vite, et tant pis pour les élèves
qui ne suivent pas. Résultat : les parents, inquiets pour l’avenir de leurs enfants, se montrent de plus
en plus critiques à l’encontre du système scolaire et certains se retournent contre les enseignants.
Pour ma part, je n’ai pas osé l’Éducation nationale. Avec le recul, je pense que j’ai eu peur. J’avais
23 ans quand j’ai commencé à donner des cours et je n’avais aucune expérience dans ce domaine.
Enseigner à une classe de trente élèves ou plus, avec l’objectif que tous réussissent, me semblait
impossible. J’ai eu tout simplement peur d’échouer.
J’aimais l’idée d’être prof, de transmettre un savoir, mais je ne me sentais pas forcément en phase
avec la « machine » scolaire. Je désirais foncièrement comprendre ce qui n’allait pas pour tenter de
trouver des solutions. Pourquoi certains très bons élèves ne finissent-ils pas leurs études ? Pourquoi
y a-t-il autant d’adolescents qui décrochent et quittent l’école chaque année sans qualification5 ?
Pourquoi tant d’élèves n’aiment pas l’école alors que c’est un haut lieu d’apprentissage ? Pourquoi
tant d’angoisse et de méfiance à l’égard du système éducatif ? Pourquoi le niveau baisse-t-il depuis
des années ? Pourquoi, même si tout le monde prétend que l’école œuvre pour l’égalité des chances,
ce n’est pas ce que je ressens ? Pourquoi y avait-il aussi peu de filles dans mon école d’ingénieurs ?
Pourquoi, durant mes études scientifiques, étais-je une des rares filles d’ouvriers ?
En plus de toutes ces questions, je voulais aussi comprendre ce que les jeunes attendent de ce
système, comment ils se projettent dans l’avenir.
Intégrer l’Éducation nationale, c’était prendre le risque de rentrer dans un système que je venais
juste de quitter en tant qu’étudiante et de ne plus en sortir. J’avais peut-être peur aussi de ne pas
pouvoir apporter ma pierre à l’édifice ou de ne pas avoir les coudées franches pour accompagner les
élèves. Je ne peux donc qu’éprouver un immense respect pour ces enseignants qui ont choisi leur
métier par passion, qui se démènent au quotidien avec les moyens du bord afin que leurs élèves
réussissent. Ils sont la fierté de notre système éducatif.

L’importance de se tromper
J’ai grandi dans une petite ville du Pas-de-Calais, à Libercourt, où mes parents, tous deux algériens,
se sont installés en 1991, à leur arrivée en France, quelques mois avant ma naissance. Mon père a
toujours aimé les maths. Très bon étudiant, il a obtenu dans les années 1970 un diplôme de
technicien supérieur en Algérie. Pour moi, il est l’archétype de l’ingénieur : ingénieux et capable de
trouver des solutions pour tout. Quand j’avais neuf ans, mes parents ont acheté une ancienne ferme à
rénover – nous étions cinq enfants. Mon père, bricoleur dans l’âme, a décidé d’effectuer seul les
travaux, aidé de notre mère. Une équipe de choc ! Dans les magasins de bricolage de la région, mes
parents ont donc récupéré toutes les brochures du type « Comment placer des plaques de plâtre »,
« Comment changer une fenêtre », etc. Premier chantier de taille : l’isolation. Papa, en chef de
chantier, a choisi du Placo® avec un doublage en polystyrène. Il a posé la colle sur le polystyrène et,
avec l’aide de maman et de mon frère aîné, il a redressé la plaque pour l’appliquer contre le mur.
Nous nous tenions tous autour de lui pour ce premier geste fort du chantier. Avec mes frères et mes
sœurs, on a croisé les doigts en espérant que la première plaque tienne. Mais patatras, elle est
retombée ! Moralité ? Ce premier essai infructueux n’a pas empêché mon père de recommencer. J’ai
pu observer sa ténacité, la façon dont il a cherché toutes les informations disponibles, demandé
conseil, essayé, échoué, recommencé encore et encore. Au bout de quelques tentatives, la plaque est
restée collée au mur, et elle tient toujours vingt ans plus tard ! Toute la maison a été restaurée en
suivant le même Processus, mon père n’ayant pas hésité à défaire et à refaire pour obtenir ce qu’il
recherchait.
Cette histoire semble anodine, mais les valeurs de patience et de persévérance qu’elle porte en elle
m’ont accompagnée tout au long de ma vie. Dans l’éducation que nous ont donnée nos parents, je
n’ai jamais eu l’impression qu’ils nous mettaient la pression sur l’école. Ce qui était important pour
eux, c’était de nous voir apprendre à construire petit à petit. Essayer et recommencer. Exactement
comme pour la maison.
Dans tous les apprentissages réussis, c’est l’envie qui ouvre le chemin en nous stimulant pour
chercher à comprendre, tester, produire, accepter les « échecs » et évoluer grâce à eux. Surtout,
recommencer sans se lasser, jusqu’à obtenir les résultats souhaités. Et accepter que tout ce
Processus prenne du temps. Un temps infini, mais nécessaire. La plupart des gens sont plutôt
d’accord avec ce principe. Pourtant, on dirait que tout le monde l’oublie quand il s’agit de l’école !

La place des notes


Les notes sont aujourd’hui le cancer de l’école. Destinées initialement à évaluer la compréhension
de l’élève, elles sont devenues l’indicateur ultime pour « classer » les élèves – d’un côté les « bons »,
de l’autre les « mauvais » – et le principal critère pour leur orientation – voie professionnelle ou voie
générale, cadre ou ouvrier. Elles nous ont fait perdre de vue le sens de l’école. Je suis effarée de voir
des élèves focalisés sur leurs notes au point d’apprendre par cœur les résultats des exercices quand
ils n’ont rien compris au cours. Où est passée la satisfaction de comprendre ?
J’ajoute à cela une forme d’impatience. Quand l’élève a des mauvaises notes, il doit impérativement
augmenter sa moyenne ! « Je dois réviser pour mon contrôle » est une des phrases qui me choquent
le plus : on ne révise pas pour un contrôle, mais pour consolider un apprentissage. La finalité, ce
n’est pas ce contrôle qui arrive, c’est d’être capable de faire le lien entre les notions, de construire
pas à pas, couche par couche, son bagage intellectuel…
Ce qui est fascinant, c’est qu’il suffit de changer d’état d’esprit pour que les résultats deviennent
spectaculaires et plus pérennes. Même si cela prend du temps ! Ce temps est indispensable pour que
l’élève puisse travailler les bases, mais aussi pour le rapport qu’il entretient avec l’école, afin qu’il
ressente la joie de comprendre.

Sales notes et mots blessants


Ce tour d’horizon des failles de notre système scolaire me conduit à aborder une question délicate
pour parler de certains enseignants que je qualifierais volontiers de « destructeurs ».
Heureusement, ils sont minoritaires, mais ils ont un pouvoir de nuisance considérable. Par leur
comportement, ils font souvent beaucoup de tort au système éducatif comme aux élèves. Pendant
longtemps j’ai refusé de m’attarder sur ces cas particuliers, mais après des années passées à réparer
les dégâts, j’ai compris que la meilleure façon de défendre le noble métier d’enseignant, c’est de
dénoncer tout ce qui lui fait du mal. Notamment un certain type de profs qui, sous couvert de
franchise, peuvent asséner aux élèves des mots blessants : « Vous demandez une prépa ? Mais vous
êtes tout juste capable de décrocher un BTS ! », « Vous, médecin ? Arrêtez de rêver ! »… Je ne
comprends pas l’intérêt, sur le plan éducatif, de ces remarques humiliantes et blessantes.
Il y a aussi des enseignants qui se complaisent à donner des mauvaises notes. Je me suis retrouvée
plusieurs fois devant des élèves brillants qui plafonnaient à 10 de moyenne. Quand la situation se
retrouve à l’échelle de toute une classe, il y a de quoi se poser des questions. Quel peut être l’objectif
de notes systématiquement basses ? Pour le prof, je n’en vois pas trop l’utilité, sauf à vouloir
démontrer que le niveau baisse inexorablement. Du côté des élèves, en revanche, les risques d’un
décrochage ne sont pas à négliger.
Quand toute une classe récolte des notes basses, il me semble que cela devrait inciter l’enseignant à
se poser des questions. A-t-il suffisamment expliqué son cours ? A-t-il fait faire des exercices qui
permettaient aux élèves de se faire la main ? Certaines mauvaises notes sont liées à des exercices de
réflexion complexes proposés trop prématurément : les élèves sont jetés tout de suite dans le grand
bassin alors que les bases ne sont pas encore consolidées ! En sautant une étape, comment
l’enseignant peut-il évaluer que les notions sont acquises ?
Autre cas de figure : un élève passe d’une moyenne correcte ou bonne à une très mauvaise moyenne
en changeant de prof. Peut-il réellement devenir « nul » entre juin et septembre ? Et quand toute
une classe subit le même sort, cela pose question. Certes, il est toujours possible que les élèves ratent
collectivement un contrôle. Cependant, j’ai remarqué que ce sont toujours les mêmes enseignants
qui donnent des notes très basses. En rejetant d’ailleurs la faute sur la classe : « Vous ne travaillez
pas assez, vous méritez ces notes. Si je vous fais ces remarques c’est pour votre bien. » Mais qui peut
s’habituer à ces vexations ? Qui peut tenir le coup et garder confiance en soi quand les mauvaises
notes s’enchaînent malgré un travail rigoureux ? Devons-nous laisser les élèves s’habituer à
encaisser ? Ces comportements isolés concernent en réalité tout le corps professoral, car un élève
abîmé par un professeur sera moins enclin à faire confiance à ses futurs professeurs, aussi
bienveillants soient-ils. Et ces derniers devront consacrer beaucoup d’énergie pour restaurer le
plaisir d’apprendre chez les enfants blessés.

Une relation abîmée entre l’école et les parents


Beaucoup de parents d’élèves expriment une perte de confiance dans le système éducatif : classes
surchargées, non-remplacement des enseignants absents, réformes difficiles à suivre, angoisses
liées à l’avenir de leur progéniture. Toutes ces craintes débouchent souvent sur une critique sévère
du corps enseignant. Le couple parents-profs a du mal à rester uni pour faire face à la dégradation de
l’école. Au risque d’entonner le refrain du « C’était mieux avant », je me souviens que, durant ma
scolarité, quand un élève ne travaillait pas assez ou ne faisait pas ses devoirs, les parents
commençaient par blâmer le comportement de leur enfant. Aujourd’hui, le premier incriminé, c’est
le prof ! Notes trop sévères, mauvaise approche pédagogique : les parents ne se gênent plus pour
critiquer les enseignants, mettant ainsi leurs rejetons en position de force ! Il est grand temps de
remettre du lien entre l’école et les parents pour un travail conjoint.
Pour faciliter la communication entre l’établissement et la famille, différents outils numériques ont
émergé, comme ProNote, École directe, etc. Faciles d’utilisation, ces applications annoncent en
temps réel l’absence d’un prof, indiquent la liste des devoirs à faire, partagent parfois les contenus
de cours et transmettent tout de suite aux parents les notes obtenues. Pour autant, je ne suis pas sûre
que ces outils contribuent à mieux impliquer les parents dans la vie scolaire de leurs enfants. Des
notes sans les appréciations ne permettent pas de comprendre d’où vient le problème : manque de
travail ? difficulté de compréhension ? Quant à la notification des devoirs par SMS, il me semble que
c’est une façon d’infantiliser les élèves. Beaucoup de parents deviennent accros à ces applications au
point de les consulter quotidiennement, voire plusieurs fois par jour. Ils peuvent ainsi avoir toutes
les notes à mesure qu’elles tombent, rappeler à leurs enfants un devoir à faire, un contrôle à
préparer, etc. Mais que devient l’autonomie de l’enfant ? Ce contrôle permanent peut vite devenir
toxique et même abîmer la relation parents-enfants. Si l’école devient le seul sujet de discussion, ce
qui est souvent le cas quand les parents sont inquiets pour leurs enfants, il n’y a plus de place pour
des échanges sereins et joyeux. Et je ne suis pas sûre que fliquer nos enfants les aide réellement à
grandir et à s’assumer…

La réussite scolaire,
c’est quoi, finalement ?
D’une manière générale, il est admis qu’un élève réussit scolairement quand il cumule bonnes notes
et « bon comportement ». Dans ce cas, ses enseignants vont le qualifier à l’unanimité de « bon, voire
très bon élève ». Il y a de fortes chances qu’il décroche son bac avec mention et se dirige vers les
filières les plus élitistes.
Malheureusement, cette définition de la réussite scolaire est dangereuse, car elle a tendance à figer
les choses. Dès l’école primaire, on entend des parents dire : « L’école, c’est pas pour lui. » Ou
encore : « Les maths, c’est pas son truc. Je pense qu’il est plus littéraire. » Quand ma fille était en
CE1, sa maîtresse m’a d’ailleurs convoquée pour m’expliquer qu’elle avait du mal en maths. Mais je
n’étais pas inquiète, car je sais que rien n’est jamais joué en maths, encore moins à cet âge !
Malheureusement, certains parents peuvent se sentir rapidement démunis devant ce type de
remarques. Et qu’en est-il de l’enfant, enfermé prématurément dans la case du « mauvais élève » en
maths ou en français ? C’est toujours difficile de sortir d’une telle case. Donc de se motiver. Si vous
êtes jugé « mauvais » ou « moyen », pourquoi faire des efforts ?
L’école place très tôt dans une situation d’échec les élèves qui rencontrent des difficultés et met tout
aussi prématurément une pression intense sur les autres. J’échangeais récemment avec une
responsable pédagogique de l’association L’École à l’hôpital6, ingénieure reconvertie dans
l’enseignement et qui a enseigné le français aux États-Unis. Elle m’a raconté cette anecdote très
révélatrice : en France, si un élève se trompe cinq fois sur une dictée de vingt mots, on dira qu’il a
fait cinq fautes ; aux États-Unis, on dira qu’il a eu quinze réponses correctes. Cinq fautes ou quinze
réponses correctes, cela revient au même, mais la perspective est radicalement différente. Et les
conséquences aussi. Je pense qu’on gagnerait à se montrer plus positif ! Et qu’il faudrait laisser
davantage les jeunes s’évaluer. Je demande d’ailleurs souvent à mes élèves comment ils considèrent
leur niveau, en faisant abstraction des notes. Histoire de leur redonner du pouvoir sur leur destin. Et
je suis épatée de leur objectivité : ils n’hésitent pas à me confier qu’ils ne sont pas très fiers d’eux
quand ils n’ont pas réussi un devoir alors qu’ils en avaient les capacités.
Le rôle des enseignants comme des parents, c’est de s’assurer que les élèves s’épanouissent à l’école.
Nous devons limiter nos jugements et arrêter de coller des étiquettes sur nos enfants. Poussons-les
plutôt à croire en eux, à donner le meilleur ce qu’ils peuvent. Surtout, aidons-les à trouver la voie qui
pourrait les rendre heureux en brisant les barrières qui les enferment dans l’échec, aidons-les à
comprendre qu’il n’y a pas de limites ! Dans cette quête de l’épanouissement scolaire, il faut aussi
donner une place importante à l’ambition : c’est elle qui impulse l’élan pour avancer. Quand une
adolescente me dit qu’elle veut être puéricultrice parce qu’elle rêve de travailler avec des enfants, si
je sais qu’elle a les capacités de viser plus haut, je n’hésite pas à la bousculer un peu : « Et pourquoi
pas pédiatre ? »
Un élève qui réussit à l’école, c’est un élève qui a pu développer une bonne estime de soi. Il est
conscient de ses difficultés, envisagées comme nécessaires pour avancer, et met en valeur ses points
forts. Sans craindre d’être ambitieux, il sait qu’il peut réussir. Dans cette posture qui le projette sur
le long terme, il valorise la compréhension globale et l’effort plus que la note.
Un élève qui réussit à l’école, c’est un élève qui choisit en conscience ce qu’il veut faire ! Ce qui
m’importe, c’est qu’il puisse choisir en connaissance de cause et qu’il se donne ensuite les moyens
d’y parvenir. Réussir ses études, ce n’est pas faire un métier où l’on gagne très bien sa vie, c’est se
dire qu’à chaque étape on a fait le maximum !
C’est là que les mathématiques jouent un rôle fondamental ! Je l’ai dit, une grande partie de la
sélection continue de se faire par les maths. Et comme cette discipline est souvent perçue comme
difficile par les élèves, beaucoup ont peur de regarder du côté de certains métiers. Comment parler
de choix quand toutes les options ne sont pas prises en compte ? Selon moi, la réussite scolaire, c’est
être en position de choisir sa voie…
C’est le combat que je mène depuis sept ans, moi Amina, fille d’ouvrier, boursière qui a grandi dans
le Pas-de-Calais et a atterri dans le 93 il y a douze ans. Cela ne m’a pas empêchée d’être diplômée de
l’une des meilleures écoles d’ingénieurs en France et de l’une des meilleures facultés dans son
domaine. Je travaille depuis des années avec des élèves pour permettre au plus grand nombre
d’améliorer leur niveau en maths. Cette cause est centrale à mes yeux, car élever le niveau permet de
remettre tout le monde sur un pied d’égalité. Chacun a le droit de choisir ce qu’il veut devenir.

Ouvrir des perspectives pour les élèves


Quand j’entends des élèves dire qu’ils ne veulent pas trop s’investir à l’école pour tirer pleinement
profit de leurs jeunes années, je les ramène sans cesse à ce mantra auquel je crois de tout mon cœur :
« Il faut travailler ! » L’école doit redevenir une priorité pour les élèves, car c’est là qu’ils
construisent leur avenir et les adultes qu’ils seront demain. Des adultes capables de réfléchir, de
raisonner, de penser. Des adultes tolérants, qui apprennent à vivre en société avec des individus
tous différents. Des adultes capables d’écouter, de débattre… Une classe, c’est un microcosme dans
lequel l’élève se prépare pour le monde de demain.
La discipline et le travail semblent des injonctions d’une autre époque, mais je reste convaincue que
ce sont des valeurs fortes pour grandir et se développer intellectuellement. J’ai évoqué à plusieurs
reprises l’importance des fiches dans ce livre, car je sais que c’est un outil précieux pour organiser
ses connaissances. Dès la sixième, j’encourage mes élèves à s’y essayer, car je sais qu’elles peuvent
les aider à gagner en autonomie.
Je désire aussi insister sur l’importance des maths dans le cursus des élèves. Toutes les matières
comptent dans la formation d’un esprit, mais les maths ont une place à part, car elles peuvent
contribuer à dépasser les inégalités du système scolaire, par exemple en aidant des élèves issus de
milieu défavorisé à accéder à des formations d’excellence – mon parcours en témoigne. Pour ces
élèves, la marche peut sembler très haute, mais un travail régulier et assidu les aidera à la franchir.
Apprendre son cours, refaire ses exercices, s’entraîner sans cesse pour consolider ses bases sont
autant de moyens d’y parvenir. Mais je les incite aussi à s’autoriser à viser haut, à se fixer des
objectifs ambitieux, pour donner du sens à toutes leurs années d’école. Un enfant d’ouvrier peut
devenir médecin ou ingénieur, une fille peut devenir chercheuse en maths ou physicienne !
Notes
1. https://www.education.gouv.fr/21-mesures-pour-l-enseignement-des-mathematiques-3242.
Très accessible, ce rapport propose une analyse intéressante de la situation et fait également un
détour par d’autres pays pour évaluer différentes méthodes d’enseignement. Sa lecture est
fructueuse pour faire un pas de côté.
2. Trends in Mathematics and Science Study.
3. L’étude TIMSS ne mesure le niveau des connaissances scolaires en maths et en science que pour
les élèves de CM1 et de quatrième (ou équivalent).
4. La première année, un enseignant titulaire touche un salaire brut de 2 067 euros. En 1980, un
professeur de collège débutant gagnait 2,2 fois le smic, contre 1,2 fois aujourd’hui. L’économiste
Lucas Chancel parle d’ailleurs d’un « déclassement radical ».
5. Dans Les Décrochés (2022), Rachid Zerrouki, alias Rachid l’instit sur Twitter, avance le chiffre de
80 000 élèves par an.
6. https://ecolealhopital-idf.org.
L’esprit D-PhiAlpha : les maths
à la portée de tous
DES ARTS ET MÉTIERS À D-PHIALPHA

En choisissant l’enseignement plutôt que la carrière d’ingénieure à laquelle me destinaient mes


études, j’ai répondu à un besoin puissant de m’engager dans un métier qui fasse sens pour moi. Et en
installant D-PhiAlpha à Aulnay-sous-Bois, dans le département le plus pauvre de la métropole, j’ai
également voulu proposer, à mon échelle, des outils pour lutter contre les inégalités inhérentes au
système scolaire actuel. Cette histoire ne s’est pas écrite en un jour, mais elle a commencé il y a
quelques années seulement, en 2016. Chacune de ses étapes a été pour moi l’occasion de réfléchir
sur les moyens d’offrir à des élèves moins bien dotés la chance d’acquérir de solides bases en maths.
C’est mon credo, vous l’aurez compris ! Mon parcours est plutôt atypique, et j’ai pensé qu’il était
nécessaire que je le retrace ici, car il explique beaucoup des choix qui ont présidé à la mise en œuvre
de D-PhiAlpha.

Naissance d’une vocation


Après le lycée, j’ai enchaîné sur deux années de prépa. Intégrer une école d’ingénieurs semblait la
suite logique, mais j’avais besoin d’une pause, d’une respiration. Je me suis donc inscrite en
physique fondamentale à la faculté d’Orsay. Scientifique un jour, scientifique toujours. Ce fut une
période formidable, qui m’a beaucoup inspirée par la suite. Sur le « plateau » d’Orsay, immense
campus à l’américaine, il se passait quelque chose que je n’avais jamais vu jusque-là. Les profs
pouvaient rester des heures après les cours pour discuter de manière informelle avec les étudiants et
partager leur savoir. Chez eux, l’enseignement semblait être une passion, et c’est quelque chose qui
m’a beaucoup marquée.
Après l’obtention d’un master 1, je devais choisir : enchaîner sur un master 2 pour faire de la
recherche, ou tenter les concours des écoles d’ingénieurs. J’avais alors 20 ans et j’étais enceinte de
mon premier enfant. J’ai écouté la voix de la raison et j’ai intégré l’École nationale supérieure des
arts et métiers, à Paris, puis j’ai effectué mon stage de fin d’études chez EDF. Le sujet était stimulant
et m’obligeait à sortir de ma zone de confort, les gens avec qui je travaillais se montraient très
accueillants, pourtant j’avais l’impression que quelque chose me manquait. Une petite flamme. Un
supplément d’âme. Sans parvenir encore à mettre des mots sur ce que j’éprouvais, je pressentais au
fond de moi que ma vie n’allait pas ressembler à cette carrière.
En juillet 2015, enceinte de mon deuxième enfant, j’ai passé ma soutenance et décroché mon
diplôme d’ingénieur. Début août, j’ai donné naissance à mon deuxième enfant, appréciant de
pouvoir consacrer mes journées à ce bébé – quand ma première fille est née, j’étais à Orsay et je
passais beaucoup de temps entre la fac et les transports. Tout en maternant, je me demandais
cependant comment donner du sens à ma vie professionnelle. Alors que mes camarades de promo
étaient recrutés dans de grandes entreprises, je n’avais aucune envie de suivre cette voie. J’avais
l’impression d’être au bout d’un parcours et je ne voyais pas ce qui m’attendait ensuite. Comme une
crise de la quarantaine, mais avec plus de quinze ans d’avance !
Mon mari m’a accompagnée jour après jour, pas après pas, pour définir les contours de mon projet.
« Que penses-tu que tu pourrais aimer ? » La réponse est venue comme spontanément : « J’ai envie
de transmettre ! » « Génial ! Donne des cours particuliers et tu verras bien où ça te mène ! »
Cette fois, j’ai écouté la voix du cœur, sans me soucier du regard des autres. Car j’ai dû faire face à
une incompréhension totale dans mon cercle proche. En résumé, j’étais en train de rater ma vie, je
ne me rendais pas compte de la chance que j’avais d’avoir mes diplômes, etc. Pour beaucoup de gens,
donner des cours particuliers n’est pas un métier, c’est juste un job d’étudiant.
Après des jours de réflexion, je me suis lancée et j’ai posté une petite annonce en ligne. Bingo,
l’annonce plaît. Il faut dire qu’elle en jetait : « Ingénieur Arts et Métiers donne cours de maths et de
physique-chimie. »
Ma première élève s’appelait Chloé, elle avait 17 ans et elle était en terminale S. Je suis revenue de ce
rendez-vous avec des étoiles plein les yeux. Ce premier cours particulier, je ne l’oublierai jamais. Il
m’a fait comprendre que j’étais sur la bonne voie. J’ai aimé l’échange sur une discipline qui me
passionne, j’ai aimé transmettre, j’ai aimé que Chloé comprenne. J’avais l’impression d’être
pleinement à ma place.

Du cours particulier aux petits groupes


Mes premières « leçons », de mars à juin 2016, étaient des cours particuliers classiques, où je me
retrouvais seule en face-à-face avec une élève unique. Les cours se déroulaient au domicile des
adolescentes, dans la chambre de l’une ou dans le salon familial chez l’autre. Je me suis vite rendu
compte que ce n’était pas la configuration idéale pour enseigner, avec la maman qui traverse la pièce
et qui demande si tout va bien ou qui apporte un jus d’orange avec des petits gâteaux. Les parents
essayaient de rester discrets, mais je ressentais leur présence. Et mes deux élèves se montraient
parfois gênées.
Le manque d’interaction m’a également très vite pesé. Quand je donnais un exercice à l’élève
pendant le cours, quand je lui demandais de réfléchir sur un sujet, j’étais contrainte d’attendre sans
rien faire jusqu’à ce qu’elle ait terminé. J’avais les yeux rivés sur chaque lettre ou chiffre qu’elle
écrivait, et parfois mon impatience me poussait à donner la réponse avant qu’elle ait eu le temps de
la trouver toute seule. Pourtant, je savais à quel point ce temps passé à chercher la solution, tout seul
devant sa feuille, est fondamental pour un élève. De plus, me tenir juste à côté, concentrée sur
chacune de ses notes, ne lui rendait pas service : à chaque étape de calcul, à chaque mot écrit, l’élève
me regardait et me demandait si c’était juste, comme pour se rassurer avant de poursuivre. Je
m’efforçais de ne pas répondre, consciente que cela ne lui rendrait pas service : en classe, je ne
serais pas à ses côtés pour approuver une bonne réponse ou le prévenir qu’il fait fausse route. Mais
malgré tous mes efforts pour essayer de me mettre en retrait, ma gestuelle parlait pour moi – une
petite grimace quand l’erreur est trop grosse, un mouvement d’approbation de la tête lorsque ce que
je vois me convient. Très vite, j’ai compris que les conditions du cours particulier à domicile
n’offraient pas la configuration idéale pour faire progresser mes élèves. Il me fallait un lieu neutre,
uniquement dédié à la transmission et à l’échange, et qui me permettrait d’accueillir des groupes
pour rendre l’apprentissage plus dynamique.
Durant l’été 2016, j’ai trouvé un petit bureau de 15 mètres carrés à Drancy, à deux minutes à pied de
chez moi et en face de l’école de ma fille. Pour l’aménagement, je voulais un lieu dédié à
l’apprentissage mais qui ne rappellerait pas trop l’école. J’ai donc opté pour une table ronde placée
au centre de la pièce. J’ai dû aussi réfléchir au nombre d’élèves que je comptais recevoir dans chaque
groupe. À l’époque, je n’avais pas encore conçu ma propre méthode d’enseignement et je
« bricolais » à partir des cours de l’élève. Pour ne prendre aucun risque, j’ai choisi de commencer
avec des groupes de deux. Et j’ai ciblé les lycéens, car j’aime tout particulièrement le programme de
maths et de physique-chimie en première et terminale. La souplesse de mon organisation me
permettait de choisir et de me faire plaisir !

Un terrain d’observation qui nourrit ma réflexion


Le passage du cours particulier au travail en petits groupes m’a offert l’occasion de poser plusieurs
constats qui m’ont aidée à construire une méthode pour enseigner. Une véritable pédagogie du
terrain, qui s’est élaborée jour après jour à partir des réactions des élèves et de mes propres
questionnements. Rendre les sciences, et en particulier les maths, accessibles à tous les élèves était
la mission que je m’étais fixée, mais je ne disposais, pour commencer, que de ma seule bonne
volonté, de ma conviction de faire un choix juste et d’être à ma place, de mon amour pour les
disciplines scientifiques et de ma grande aisance dans ces domaines. À mes débuts, je ne connaissais
des programmes scolaires que ce que j’avais expérimenté en tant qu’élève et ce que je découvrais
dans les manuels des adolescents que j’accompagnais. J’ignorais tout des différentes approches
pédagogiques. En observant mes élèves, les écueils sur lesquels ils butaient, les moments où tout
s’éclairait pour eux, les solutions que j’allais pouvoir mettre en place afin de soutenir leur
progression, tout cela a constitué un outil formidable pour construire au fil du temps une méthode
d’enseignement que je peux affiner sans cesse. N’ayant aucune idée préconçue sur l’enseignement,
j’ouvrais une page blanche et j’avais la chance de pouvoir la remplir comme je l’entendais, guidée par
le seul souci de former au mieux mes élèves pour les rendre plus autonomes et les aider à avoir
confiance en eux.
Dans mon nouveau bureau, j’ai donc accueilli mes élèves par groupes de deux, en mélangeant les
niveaux et les matières : je pouvais avoir un élève en terminale et l’autre en première, enseigner les
maths à l’un et la physique-chimie à l’autre. Première bonne nouvelle : la gestion de deux élèves s’est
faite sans difficulté. Mais avant d’augmenter la taille des groupes, j’ai préféré développer ma
méthode d’enseignement. Jusque-là, j’avais surtout éclairé les points de cours sur lesquels mes
élèves bloquaient et donné des exercices d’application en augmentant progressivement la difficulté.
Ce qui était, finalement, l’organisation classique d’un cours particulier.
Très vite, j’ai pris conscience que j’avais du mal à travailler avec un support de cours que je ne
m’étais pas approprié. M’adapter au cours donné au lycée me privait d’un degré de liberté non
négligeable dans le mécanisme de transmission. Je n’étais pas le capitaine de mon embarcation, je
ne pouvais pas amener mes élèves où je le souhaitais, me limitant à compléter le cours d’un autre.
Même si je ne cherchais pas à remplacer le prof de lycée, je devais trouver ma place pour me sentir
libre dans ma manière d’enseigner et donner le meilleur à chaque séance. Je voulais pouvoir parler
avec ma propre voix, tout en restant en phase avec le cours de l’enseignant. Mais par où
commencer ?
C’est une autre observation qui m’a éclairée sur le chemin à prendre. Chaque fois que je recevais un
nouvel élève, je lui demandais ce qu’il étudiait en classe. Rares sont ceux qui pouvaient me donner le
nom du chapitre, et plus rares encore ceux qui ne concluaient pas leur réponse par : « Je n’ai rien
compris ! » Dans chaque chapitre, il y a toujours plusieurs notions, introduites successivement.
Dans ces conditions, comment dire de façon aussi fataliste qu’on n’a RIEN compris ? Face à cette
généralisation récurrente, j’ai donc commencé à raisonner par notions. Dans chaque chapitre, je
mettais d’abord en relief la première notion. Si elle était comprise par l’élève, je passais à la
suivante. Sinon, j’y revenais. Et ainsi de suite. C’est le seul moyen de pointer précisément les
difficultés rencontrées par l’élève. Une compréhension plus fine des symptômes débouche
forcément sur un traitement plus efficace ! Et la démarche est plus rassurante pour l’élève, car il se
rend compte alors qu’il a compris pas mal de notions, ce dont il ne peut pas avoir conscience quand
on raisonne par blocs (ou chapitres).
L’organisation des cours en notions est ainsi devenue ma marque de fabrique. Ma première tâche
était de m’assurer que chaque notion était comprise avant de passer à la suivante. Mais une
compréhension qui ne permet pas de résoudre les problèmes n’est finalement pas très utile. Ma
deuxième tâche a donc consisté à vérifier que l’élève était capable de manipuler chaque notion en lui
proposant des exercices ciblés. Cette progression étape par étape, une notion après l’autre, permet
d’ancrer les connaissances et de développer des automatismes. Les grandes lignes de la méthode D-
PhiAlpha commençaient à se dessiner.

Retour aux bases


Alors que je me faisais un plaisir d’enseigner les maths et la physique-chimie au niveau lycée, j’ai
vite pris conscience que mon travail consistait surtout à réparer les pots cassés de manière ultra-
efficace. Chez la plupart de mes élèves, je découvrais que des notions qui auraient dû être acquises
beaucoup plus tôt n’étaient pas du tout maîtrisées, ce qui freinait leur progression. Certaines lacunes
étaient énormes et j’avais du mal à comprendre comment on en était arrivé là. Car les jeunes
concernés étaient tous en première ou en terminale et faisaient partie des élèves « moyens »,
pourtant certains ne savaient pas résoudre des équations du niveau de quatrième. Ces lacunes ne les
avaient pas empêchés de passer d’une classe à l’autre, mais elles les paralysaient lorsqu’il s’agissait
de pratiquer avec aisance les maths ou la physique-chimie. J’avais l’impression de construire un
savoir sur des fondations instables et je manquais de temps pour consolider ces bases. Mon travail
ne consistait pas à les rendre meilleurs en sciences, mais à limiter la casse, à les accompagner tant
bien que mal jusqu’au bac. Je colmatais une fuite d’eau avec du sparadrap ! Cette situation ne me
convenait pas. D’autant que le temps scolaire, avec l’échéance du bac en ligne de mire, jouait contre
moi. Les élèves sont focalisés sur les notes, considérées comme le seul critère « objectif » pour
évaluer leur niveau – un vrai crève-cœur pour moi qui aime tant les sciences ! Alors que je rêvais de
leur faire ressentir toute la beauté des maths, je devais me contenter de combler leurs lacunes en un
temps record.
En ouvrant mes cours de soutien aux seuls élèves de première et de terminale, j’étais finalement loin
de mon objectif : au lieu de hisser le niveau de mes élèves en sciences, je devais me contenter de
limiter la casse. Pour être cohérente avec mon projet, j’ai alors décidé de me replonger dans le
programme du collège et d’ouvrir des créneaux pour les plus jeunes. Mon but était aussi de
comprendre d’où venaient ces lacunes que j’observais chez mes grands élèves. De trouver la source
du bug. J’ai donc créé des groupes de seconde, puis de quatrième et de troisième, et enfin de sixième
et de cinquième. Sans oser m’attaquer au primaire, parce que les notions qu’on y aborde sont
devenues des évidences pour moi. Or, selon moi, les évidences sont le pire ennemi du pédagogue.
En réalité, une évidence ne s’impose pas d’emblée, elle se construit au fil du temps et de la pratique.
Un jour, on finit par oublier qu’elle nous a posé problème. Avec les collégiens et les lycéens, je suis
encore capable de me souvenir que les notions enseignées n’ont pas toujours été une évidence pour
moi. Et je me souviens encore comment je procédais pour les comprendre et pour les intégrer. Pour
le primaire, il m’impossible de me rappeler comment j’ai intégré que 54 était compris entre 53 et
551.

Vers D-PhiAlpha
Comme les cours en binôme se passaient bien, j’ai augmenté progressivement la taille des groupes.
Quand de nouveaux élèves arrivaient, je complétais les groupes existants pour atteindre d’abord
trois, puis quatre enfants et adolescents. Au bout d’un an, chaque créneau horaire accueillait quatre
élèves de la sixième à la terminale.
J’ai continué de mélanger les niveaux, ce qui m’a obligée à développer une méthode d’enseignement
efficace pour répondre aux besoins différents de mes élèves. Quand ils arrivaient, je les installais
autour de la table et leur proposais un exercice rappelant la séance précédente. Puis je commençais
mon tour de table : je m’assois à côté d’un premier élève et je lui demande sur quel chapitre il
souhaite travailler. Je prends une feuille et un stylo, et je lui explique la première notion en écrivant
les éléments clés du raisonnement. Je lui donne ensuite les exercices associés à cette première
notion. Pendant qu’il travaille, je peux passer à un autre élève. Une fois le tour de table terminé, je
reviens au premier élève pour corriger avec lui ses exercices, pointer les erreurs, réexpliquer ce qui
n’est pas compris, et ainsi de suite.
Passer en quelques minutes de la physique aux maths, d’une notion à l’autre, d’un niveau à l’autre,
tout en ayant en tête le site Internet pouvant me fournir l’exercice le plus adapté aux besoins de
l’élève, toute cette gymnastique m’a obligée à être très efficace. Afin de gagner encore en agilité, j’ai
développé un protocole ultra-précis pour chacun des chapitres de maths de la sixième à la terminale
et pour la physique-chimie du niveau lycée. Je connais par cœur ce protocole, car je dois pouvoir le
dérouler instantanément d’un cours à l’autre. Et je l’ai enrichi progressivement en fonction des
besoins de mes élèves.
En plus de donner des cours, je me rendais également disponible pour accueillir les parents, pour
échanger avec eux quand le parcours de leurs enfants les inquiétait, et je conseillais les élèves pour
leur orientation, j’étais à leur écoute quand ils doutaient d’eux.
Cette manière de fonctionner a vite donné de bons résultats. Les notes augmentaient, les élèves
appréciaient les maths, ils étaient souvent contents de venir travailler – parfois même le week-
end ! – et ils conseillaient mes cours à leurs camarades. Rapidement, j’ai pu recevoir jusqu’à
cinquante élèves par semaine, et il m’est arrivé d’accompagner des fratries complètes. J’aime les
matières que j’enseigne, mais j’aime encore plus voir mes élèves trouver leurs marques, comprendre
les maths et gagner en confiance en eux. Il y a aussi cette réussite dont je suis particulièrement fière :
dans mes cours, j’avais plus de filles que de garçons, alors que les filles sont minoritaires dans les
filières scientifiques.
En septembre 2020, dès la rentrée, il ne me restait plus un seul créneau de libre. Impossible
d’accueillir davantage d’élèves, sauf à travailler avec d’autres enseignants. Mais je ne voulais pas
renoncer à ce qui fait la spécificité de mon projet – mon entreprise est comme une extension de
moi-même. Permettre aux élèves de comprendre et d’aimer les maths, mais aussi de croire en eux,
de se faire confiance, de s’autoriser à être ambitieux quelle que soit leur origine, permettre aux filles
de trouver leur place dans les filières scientifiques, voilà ce qui m’anime.
J’ai alors pris le temps de me poser pour tenter de répondre à cette question : pourquoi mes cours
fonctionnent-ils ? Comme à mon habitude, j’ai sorti une feuille de papier et un stylo, et j’ai fait un
schéma pour noter ce qui me tient à cœur et constitue, à mes yeux, le cœur de ma pratique.

Pour recevoir davantage d’élèves, les différentes tâches – les cours, les échanges avec les parents, les
conseils pour l’orientation – doivent être partagées. Créer une vraie structure s’impose, mais je
souhaite conserver l’esprit de ma pratique.
Le recrutement de nouveaux enseignants a été une étape délicate : je recherchais des profs ayant les
compétences académiques pour enseigner, se sentant à l’aise pour travailler avec des petits groupes,
restant bienveillants et acceptant de jouer le jeu en mettant en œuvre le Processus pédagogique que
j’applique depuis quelques années déjà. Il faut avoir l’esprit assez ouvert pour participer à une
aventure qui commence et accepter en même temps la méthode que j’ai mise en œuvre dans mes
cours depuis quelques années déjà. Si mon projet pédagogique était très clair pour moi, il devait
aussi emporter l’adhésion des nouvelles recrues. Une fois la nouvelle équipe constituée, nous avons
décidé ensemble de tester mon protocole pédagogique sur les six prochains mois. Je savais que ma
méthode de travail donnait de bons résultats avec les élèves, mais j’avais besoin de vérifier que mes
supports de cours étaient efficaces pour les autres enseignants et que ces derniers parvenaient à se
sentir libres dans leur pratique malgré ce cadre imposé. À la fin des six mois, le bilan d’équipe a été
positif et nous pouvons désormais nous consacrer à peaufiner le protocole : chaque fois que j’ai une
nouvelle idée, nous en discutons en équipe avant de la tester pour voir si elle donne les résultats
attendus.
Ce travail en équipe permet aussi de multiplier les contacts avec les élèves et les parents, même si je
continue d’assurer les premiers contacts avec les familles au moment de l’inscription (j’y reviendrai
plus loin). Enfin, des conférences métiers sont organisées afin de stimuler les élèves, d’ouvrir leur
horizon et de les guider dans leurs choix d’orientation.
Le changement le plus important a concerné l’organisation des cours : ils accueillent désormais des
enfants ou des adolescents de même niveau qui font tous la même chose, afin de renforcer les
échanges dans le groupe. Les élèves peuvent ainsi se soutenir mutuellement et le passage au tableau
sera profitable à tous. Les effectifs de la nouvelle structure étant plus importants, il est désormais
possible de constituer ces groupes de niveau et d’augmenter le nombre d’élèves dans chaque groupe,
pour le faire passer de quatre à six.
Au moment de me lancer dans cette nouvelle aventure, j’ai voulu trouver un nom qui claque et qui
résume ma philosophie et les valeurs qui me portent. J’ai cherché pendant des jours. J’y pensais
même la nuit dans mes rêves. Enfin, un matin, l’idée s’est imposée : D-PhiAlpha. Comme une
évidence. Comme un énoncé qui contient déjà la solution du problème.
Le nom comprend les deux lettres grecques phi et alpha, très utilisées en sciences. Mais derrière ce
nom se cache aussi un challenge, un défi alpha à relever et à remporter ! Vous avez sans doute
entendu parler de la théorie des mâles alpha, qui suggère qu’un individu de sexe masculin dans un
groupe animal domine ses congénères. Prononcez maintenant à voix haute le nom D-PhiAlpha.
Qu’entendez-vous ? Des filles alpha. Eh oui ! Un clin d’œil pour contrecarrer la domination des
hommes dans le domaine des sciences – comme dans de nombreux champs de la société,
d’ailleurs. D-PhiAlpha sera porté par des femmes fortes, des femmes ambitieuses, des femmes qui
aiment les sciences et qui formeront d’autres filles alpha.
L’esprit D-PhiAlpha est inscrit dans ce nom, qui incarne la mission à laquelle j’ai choisi de me
consacrer : faire des mathématiques un vecteur de liberté pour les enfants et les adolescents que
j’accompagne, et en particulier pour les filles. Ce pari est réussi en ce qui concerne ces dernières :
sur les 200 élèves accueillis en 2022, 55 % étaient des filles. Tout l’écosystème que nous avons mis
en place sans distinction de genre permet aux jeunes filles de gagner en confiance et de s’autoriser à
avoir des projets ambitieux ! « Femme » et « scientifique » sont deux mots qui vont si bien
ensemble…

Le contrat D-PhiAlpha :
un engagement tripartite
Depuis mes débuts, j’assume d’aller à contrecourant de la demande générale en refusant de donner
des cours dans le seul but d’améliorer les notes des élèves. Cet esprit a été reconduit dans la nouvelle
organisation : D-PhiAlpha n’est pas une structure de soutien scolaire destinée à colmater les
brèches, mais un espace qui permet aux élèves de se saisir du programme, de se constituer un bagage
mathématique et de se l’approprier. Je suis d’ailleurs très transparente sur ce point, en expliquant
aux parents que les notes sont secondaires, que nous ne préparons pas leurs enfants en vue des
contrôles et que nous ne sommes pas là pour assurer une aide aux devoirs. L’important, c’est que
l’élève comprenne, qu’il soit capable de faire le lien entre les notions, qu’il prenne du plaisir à
étudier les maths, à chercher, à réfléchir, à travailler de manière efficace. C’est le seul discours
auquel je crois.
Si les attentes des parents et de l’élève ne sont pas alignées avec ce projet, il n’y a aucune raison de
continuer la conversation. Cependant, à ma grande surprise, la manière dont fonctionne D-
PhiAlpha semble répondre à un besoin. Là où toutes les entreprises de soutien scolaire se vantent
d’une augmentation d’au moins quatre points sur la moyenne, D-PhiAlpha refuse d’avancer ce genre
de promesse. La seule promesse que nous faisons, car je sais que nous pouvons la tenir, c’est que
nous ferons tout ce qui est possible pour que les élèves progressent réellement, en nous appuyant sur
une méthode éprouvée et sur notre expérience. Un élève « fâché » avec les maths et qui se met à
apprécier cette matière constitue déjà une belle victoire. Un élève qui a le sentiment de mieux
comprendre en classe, c’est génial. Quand, en plus, les notes suivent, c’est extraordinaire. Car les
notes finissent toujours par suivre quand l’élève et les parents acceptent de jouer le jeu. Mais je ne
peux jamais dire combien de temps cela prendra pour que ce travail de fond retentisse sur les notes.
Chez D-PhiAlpha, on ne bachote pas ! Les notes que les élèves obtiennent sont le fruit de leur travail
en autonomie.
C’est d’ailleurs sur cette base que les élèves et les parents signent avec D-PhiAlpha2 un contrat pour
une année scolaire. La progression n’est possible que si les trois parties sont impliquées.
Généralement, quand des parents prennent contact avec moi, je leur demande de m’exposer la
situation et de me dire comment eux-mêmes, en tant que parents, perçoivent les difficultés de leur
enfant, puis j’explique très vite l’état d’esprit et la démarche de D-PhiAlpha. Ils doivent donc
accepter ce contrat pour que nous organisions un rendez-vous avec l’élève. Au cours de cet entretien,
j’aime recevoir ensemble parents et enfant. Je peux ainsi voir l’interaction qui existe entre eux (ou
son absence). On parle d’école, de notes, de travail. Cela me permet de détecter les tensions
éventuelles sur ces sujets. C’est un moment d’échange et d’écoute dans la bienveillance. Souvent, les
élèves se permettent d’extérioriser leurs sentiments : « Mes parents me mettent trop la pression »,
« J’ai pas envie de travailler »… Quand la situation est trop crispée, certains parents décident de
sortir de la pièce pour laisser leur enfant s’exprimer sereinement. J’ai affaire à des individus qui ont
tous une histoire différente, des blessures, des questionnements, et j’ai besoin de comprendre qui
ils sont. Certains élèves, compte tenu de leur histoire, auront parfois besoin de plus d’attention. On
ne réagit pas de la même manière quand un élève ne « réussit pas » parce qu’il ne veut pas travailler
et quand un élève manque de confiance en lui, ou qu’il a d’autres problèmes à affronter dans son
cadre familial. Ensuite, je communique à l’enseignante en charge de l’élève les informations dont
elle a besoin pour trouver la meilleure posture d’accompagnement.
Ces entretiens sont donc fondamentaux, car la « sélection » ne se fait pas sur les notes. Ce qui
m’intéresse, c’est d’avoir devant moi des élèves prêts à s’investir pour leur réussite. Ils restent au
centre du système. Quand je sens que l’élève n’est pas prêt à bouger et que sa présence à l’entretien
est surtout une volonté des parents, il m’arrive de refuser l’inscription. L’engagement de l’élève dans
son apprentissage est nécessaire pour qu’il progresse. Mais il est aussi indispensable à l’échelle du
groupe : un élève qui traîne les pieds peut mettre à mal la dynamique collective, qui est aussi l’un des
leviers de D-PhiAlpha.
Notes
1. Ce que je raconte ici se déroulait en 2016. Depuis, mes enfants sont entrés en primaire, et les
observer dans leurs apprentissages me permet de comprendre leur raisonnement, comment les
choses fonctionnent dans leur tête. C’est seulement en 2021, quand mon aînée est arrivée en CM1,
que j’ai ouvert des créneaux pour les élèves du primaire (pour l’instant, uniquement pour le CM1 et
le CM2).
2. Nous organisons aussi des stages pendant les vacances scolaires, mais l’engagement à l’année est
la formule privilégie par D-PhiAlpha pour assurer un suivi sur le long terme.
LE CŒUR DE LA MÉTHODE : UNE PROGRESSION
PAR NOTIONS

Avant d’aborder le protocole D-PhiAlpha, il est nécessaire de rappeler comment sont construits les
programmes de maths à l’école. En premier lieu, il faut savoir que l’enseignement est découpé en
cycles pluriannuels :
• le cycle 1, ou cycle des apprentissages premiers, correspond aux trois sections de maternelle ;
• le cycle 2, ou cycle des apprentissages fondamentaux, regroupe le CP, le CE1 et le CE2 ;
• le cycle 3, ou cycle de consolidation, réunit le CM1, le CM2 et la sixième pour faciliter la
continuité pédagogique entre l’école primaire et le collège ;
• le cycle 4, ou cycle des approfondissements, couvre les années de collège de la cinquième à la
troisième ;
• le lycée, enfin, prépare les élèves à l’enseignement supérieur pour les élèves qui suivent la voie
générale.
Certaines notions sont abordées très tôt, puis approfondies d’année en année. D’autres sont ajoutées
au fil du temps, une fois les bases acquises. En mathématiques par exemple, les statistiques sont
introduites en classe de cinquième1. L’objectif, pour l’élève, est de se familiariser avec les premières
notions des séries statistiques : comprendre les données présentées dans un tableau, un diagramme
ou un graphique ; calculer des effectifs ou des pourcentages ; comprendre ce qu’est une moyenne et
apprendre à la calculer dans des cas relativement simples. En classe de quatrième, ces différentes
notions sont approfondies et on y ajoute la moyenne pondérée et la notion de médiane sur des séries
statistiques à petit effectif (maximum 30). Le programme de troisième propose une révision des
notions abordées en cinquième et en quatrième, ainsi que l’étude de la notion d’étendue.
Cette organisation sous forme de cycles est intéressante pour les maths, car elle permet de revenir
plusieurs fois sur des notions clés pour en consolider l’apprentissage. Un élève qui est passé à côté
d’une notion en cinquième aura ainsi une chance de raccrocher les wagons en quatrième ou en
troisième.
En théorie, cette approche est tout à fait cohérente. En pratique, comprendre les programmes
officiels (notamment pour le cycle 4) n’est pas toujours facile. Les informations sont regroupées sur
le portail Eduscol2. Un jeune enseignant qui souhaite prendre connaissance du programme officiel
doit jongler avec trois documents : le programme du cycle 4, les attendus de fin d’année et les
repères annuels de progression. Le site met aussi en ligne des ressources pédagogiques, mais celles-
ci ne sont pas toujours articulées de façon claire : on trouvera ainsi des conseils spécifiques au
cycle 4 et des rubriques à cheval sur le collège et le lycée, puisqu’elles couvrent les programmes de la
quatrième à la seconde incluse3.
Dans ces conditions, le manuel scolaire, conçu par des spécialistes et conforme aux instructions
officielles, est un support précieux pour construire le cours (en particulier pour les jeunes profs).
Les éditeurs font d’ailleurs un travail approfondi pour analyser les programmes et en faciliter la
compréhension (le manuel est destiné à l’élève, qui doit donc pouvoir s’y retrouver). Le manuel
rassemble ainsi les notions clés, organisées en chapitres, ainsi que toute une batterie d’exercices qui
entrent tous dans le programme. Il propose aussi d’autres outils, comme des activités pour découvrir
une notion, des exercices très longs appliqués à d’autres matières, des points d’histoire sur des
notions, des QCM, etc. Le contenu est souvent intéressant, parfois même ludique et dynamique,
mais les élèves ont généralement du mal à s’y retrouver seuls.
Cette difficulté s’explique facilement : l’enseignement des maths se décompose en effet en grands
thèmes d’étude (la proportionnalité, l’algèbre, les statistiques, les fonctions numériques, les
probabilités, la géométrie, etc.) que l’élève explore sur plusieurs années consécutives. Dans les
manuels, ces grands thèmes sont répartis en une succession de chapitres, mais les élèves ne font pas
forcément le lien entre les différentes notions abordées, en particulier pour celles qui peuvent être
manipulées dans plusieurs thèmes. Chaque chapitre est alors perçu comme un fragment autonome.
Et ce, d’autant plus que, à la fin de l’étude du chapitre, un contrôle évalue les connaissances
acquises4. Ensuite, l’enseignant passe à un autre chapitre, l’élève apprend, puis prépare un nouveau
contrôle sur la thématique suivante, et ainsi de suite… Entre les deux, l’élève semble appuyer sur le
bouton Reset de son cerveau : on efface tout et on recommence.
Prenons un exemple. Le programme de sixième s’articule en trois grands thèmes : nombres et
calculs, grandeurs et mesures, espace et géométrie. Dans le premier thème, qui couvre plus de la
moitié du programme de l’année, l’élève abordera les nombres entiers, les nombres décimaux, les
opérations, les fractions et les proportions. Rien que ça ! Dans ces conditions, comment font les
profs avec toutes ces données à transmettre ? Eh bien, un peu comme ils veulent. Ou, plutôt, comme
ils peuvent !
C’est en effet l’enseignant qui construit l’enchaînement du programme – ce choix peut aussi être
décidé au niveau de l’établissement afin d’assurer une certaine cohérence entre les différentes
classes. L’apprentissage de l’élève est donc lié à l’organisation du cours. Certains enseignants
préfèrent s’appuyer sur le manuel scolaire de l’établissement5. Pour schématiser, il y a en gros deux
stratégies : suivre strictement l’ordre du manuel en traitant intégralement chaque chapitre avant de
passer au suivant (progression linéaire), ou adopter une progression spiralée, qui découpe chaque
chapitre en plusieurs parties pour les aborder à différents moments de l’année.
Avec la progression linéaire, une notion sera abordée dans sa globalité dans un chapitre, mais, faute
de temps, elle ne sera pas forcément approfondie ultérieurement, car la lourdeur des programmes
ne permet pas toujours à l’enseignant de proposer des exercices transversaux pour réactiver les
connaissances. Ce problème est particulièrement perceptible au moment des contrôles communs
annuels, qui mélangent toutes les notions abordées pendant l’année. Et là, c’est la panique !
Collégiens et lycéens ont du mal à comprendre la présence d’une question sur les proportions dans
un exercice de géométrie. Selon moi, c’est précisément ce manque de lien entre les chapitres, entre
les niveaux, entre les notions qui explique la plupart des difficultés rencontrées par les élèves,
notamment à partir de la classe de première, quand l’élève doit être capable de mobiliser seul tout
son bagage mathématique.
La progression spiralée, préconisée dans les documents pédagogiques officiels, conduit à traiter un
même thème dans différents contextes : par exemple, pour faire travailler les règles de calcul sur les
quotients (programme de quatrième), le prof peut prévoir d’aborder successivement ces règles en
algèbre, en géométrie ou encore dans une partie de chapitre sur les équations. Avec cette façon de
procéder, une même notion peut être réinvestie à plusieurs reprises dans l’année. Ce qui, en
théorie, pourrait faciliter son apprentissage, tout en évitant de lasser la classe avec une masse de
connaissances et des séquences trop longues sur un même thème. Dans les faits, une partie des
élèves a souvent du mal à s’y retrouver dans cette alternance des thèmes et ne réussit pas toujours à
repérer les éléments à maîtriser. De plus, chaque fois que l’enseignant revient sur une notion, il doit
s’assurer que l’apprentissage est acquis, ce qui, là encore, prend du temps.
Un exemple tout simple illustre bien la difficulté, pour les élèves, de rassembler les morceaux d’un
enseignement fragmenté. Dans le programme de sixième, un chapitre est consacré aux fractions. Le
collégien considère donc la fraction simple ½. Concentré sur son chapitre « Les fractions », il ne
pense pas toujours à piocher dans ses autres connaissances et ne se rend pas forcément compte
qu’une fraction est avant tout un nombre décimal (½ = 0,5), une notion étudiée quelques semaines
plus tôt dans un autre chapitre. Mais une fraction, c’est aussi 1 divisé par 2, ou encore un
pourcentage (½ = 50 %). Si tous ces liens simples échappent au collégien, comment s’étonner qu’en
classe de seconde certains lycéens aient du mal à voir que ½ = 0,5 ? C’est un peu comme si, en lisant
LUNE, l’élève ne pouvait voir que la succession de lettres L-U-N-E, sans percevoir le mot dans sa
globalité.

D-PhiAlpha : les notions au centre du cours


Depuis bientôt sept ans que j’accompagne des élèves en petits groupes, j’ai pu constater la difficulté
qu’ils ont à s’approprier les différentes notions (au sens de connaissances de base). Mes
observations m’ont aidée à élaborer un protocole de travail que j’ai pu tester directement dans mes
cours. Comme j’ai la chance de travailler avec des petits effectifs et d’avoir des échanges réguliers
avec les enfants que j’accompagne et avec leurs parents, j’ai pu affiner cette méthode en tenant
compte de leurs retours. Cela reste une approche parmi d’autres, et je sais qu’elle continuera
d’évoluer, mais elle fonctionne plutôt bien, si j’en juge par les progrès de mes élèves et, surtout, par
leur plaisir accru à venir dans notre petite école pour faire des maths !
Une des caractéristiques de cette méthode, c’est qu’elle a été pensée avant tout pour les élèves, afin
qu’ils s’emparent du contenu des cours et puissent l’utiliser de façon autonome en dehors des
séances. Elle est donc à l’image des fiches D-PhiAlpha, puisqu’elle parle directement aux enfants et
aux adolescents que nous accompagnons.
La progression annuelle dans nos cours est d’ailleurs quasiment la même que celle proposée dans
nos livres. J’ai essayé d’articuler les séquences en créant des entités cohérentes, avec une
progression dans l’exposé des connaissances. C’est aussi ce que proposent la plupart des manuels
scolaires, mais chaque professeur, dans l’Éducation nationale, est libre d’organiser le programme
dans l’ordre qu’il souhaite. Ce qui n’est pas le cas chez D-PhiAlpha, où les enseignants doivent
suivre le déroulé proposé dans les livres6.
Bien sûr, les grands thèmes sont ceux du programme, et la division des chapitres est très proche de
celle adoptée dans les manuels scolaires. Mais le cours comme les fiches insistent avant sur les
notions à maîtriser et les compétences à acquérir pour les manipuler. En raisonnant ainsi, les élèves
comprennent que l’on peut utiliser une même notion dans des chapitres différents et font plus
facilement le lien entre les différentes parties du programme. Enfin, ce travail permet de consolider
les apprentissages tout en acquérant de nouvelles connaissances. Cette approche pédagogique
centrée sur les notions est assez décalée par rapport aux recommandations officielles, mais c’est un
choix que j’assume, car j’ai pu observer qu’il aide vraiment les élèves à gagner en autonomie et à
construire un bagage mathématique pérenne.
Une fois de plus, je prendrai un exemple concret. En première, l’étude des polynômes du second
degré est souvent découpée en deux parties :
• un rappel de la notion, qui a été abordée en seconde, ainsi que sa forme canonique et ses
variations, puis la résolution d’équations et la factorisation d’un trinôme ;
• les tableaux de signes et les inéquations.
Classiquement, l’étude d’un chapitre nouveau, également découpé en sections, est intercalée entre
ces deux parties. Donc lorsque le prof aborde la partie 2, quelques semaines plus tard, il doit faire
une piqûre de rappel. Ce qui prend d’autant plus de temps que les élèves n’ont pas pu manipuler la
notion, étape indispensable pour qu’ils la digèrent vraiment. Pour ma part, je préfère aborder les
polynômes du second degré d’un seul tenant. Car pour bien comprendre la partie 2, il faut maîtriser
la partie 1. J’aime ensuite enchaîner sur la dérivation, qui permet à l’élève de faire des tableaux de
signes, une notion abordée avec les polynômes. Il acquiert de nouvelles connaissances tout en
renforçant son apprentissage sur les notions précédentes, puisqu’il continue de les manipuler dans
un cadre un peu différent. De plus, il voit très rapidement et très concrètement l’utilité des tableaux
de signes. Inversement, en séparant ces différents apprentissages, en les répartissant sur la durée,
on travaille sur des bases fragiles tout en prenant le risque que les élèves ne saisissent pas les liens
entre toutes ces notions. Or si la notion n’est pas intégrée dans une continuité, l’élève en gardera au
mieux quelques souvenirs. Peut-on construire un apprentissage solide sur la base de simples
souvenirs ?
En soutien de cette méthode, nos livres ne sont pas pensés comme des manuels classiques, où
chaque chapitre articule à la fois des activités de découverte, un cours et des exercices, mais comme
une synthèse des notions à maîtriser. Concrètement, les bases à retenir continuent d’être réparties
dans des chapitres qui suivent grosso modo les articulations du programme officiel (comme les
manuels scolaires), mais elles sont organisées en fiches dont chacune porte le nom d’une notion à
retenir. En feuilletant le livre, les élèves identifient donc clairement les savoirs clés. De plus, nos
cours constituent autant d’occasions de les évoquer : chaque fois qu’un nouveau chapitre du
programme est ouvert, l’enseignant commence par exposer toutes les notions qui vont être
abordées.
Prenons l’exemple des statistiques, un des chapitres du programme de troisième. La fréquence –
une notion importante pour manipuler les statistiques – a déjà été traitée en cinquième. Dans un
manuel classique, elle fait le plus souvent l’objet d’un rappel, et le cours du chapitre met en valeur
les cinq nouvelles notions à maîtriser, à savoir les effectifs cumulés, la moyenne, l’étendue, la
médiane et les représentations graphiques. Chez D-PhiAlpha, le cours (comme le livre et la
plateforme) fait apparaître chacune des notions clés au même niveau, sous la forme d’une fiche.
Même la fréquence, pourtant abordée dans une année antérieure. D’ailleurs, la notion de quartile,
désormais supprimée du programme de troisième, continue d’être abordée, car elle forme un des
éléments des statistiques. Ce sont donc les notions clés qui conditionnent l’organisation du cours.
De plus, à chaque notion est associé un savoir-faire. Ainsi, la moyenne est une connaissance
élémentaire. Une fois qu’elle est expliquée, l’élève va apprendre à calculer une moyenne, et cet
apprentissage devient un outil pour déterminer des moyennes dans différentes situations.
Pas de notion sans manipulation
L’articulation du cours en notions s’accompagne toujours d’une mise en pratique, car c’est ainsi que
l’on peut construire couche par couche un bagage mathématique solide, sans risque de rater une
étape. Chez D-PhiAlpha, chaque notion est donc expliquée en cours, puis aussitôt manipulée par les
élèves. L’enseignant ne passera pas à la notion suivante tant que la précédente n’est pas acquise par
tout le groupe. Dans cette démarche, le travail en petits effectifs est un atout important, car il permet
de s’assurer que chacun a compris avant de poursuivre.
À chaque notion est associé un outil (qui figure dans la rubrique « Méthode » de nos fiches).
L’enseignant présente cet outil, explique à quoi il sert et comment l’utiliser. L’élève le manipule
ensuite dans des cas relativement simples, puis le niveau de difficulté augmente progressivement.
Une fois que la notion est acquise et manipulée, l’enseignant passe à la suivante, selon le même
schéma. À la fin, cet ensemble de notions et d’outils constitue un chapitre. L’enseignant peut alors
proposer des exercices qui impliquent de mobiliser simultanément plusieurs notions et outils7.

Grosso modo, voici donc comment se décline un cours D-PhiAlpha :

Cette articulation notion-outil est plus parlante pour l’élève. Pour résoudre un problème,
l’organisation du programme en chapitres ne lui sera pas d’une grande utilité, car il a surtout besoin
de savoir quelles connaissances il peut mobiliser, avec tous les outils associés. On en revient aux
quatre premiers étages de la pyramide : savoir que des outils existent, savoir à quoi ils servent, savoir
les manipuler sur des exemples simples et se renforcer dans l’exercice de cette manipulation. S’il
procède de cette façon, ces outils pourront constituer son bagage mathématique, un sac à dos qu’il
remplit au fil du temps. Face à un problème de maths, s’il maîtrise le contenu de son cours (les
notions) et qu’il sait le manipuler, il aura plus de chances de sortir les bons outils.

Une structure en arborescence


Si les noms des chapitres abordés en cours (et figurant donc dans nos livres comme sur la
plateforme) sont les mêmes que dans un manuel classique, j’essaie de construire une cohérence qui
laisse à l’élève le temps de comprendre sans passer rapidement d’un thème à l’autre, par exemple du
calcul littéral à la géométrie. De plus, l’organisation des cours est sous-tendue par une structure en
arborescence, lauelle permet de travailler successivement les thématiques qui se répondent et se
complètent.
En troisième, par exemple, je préfère aborder les x en apprenant d’abord aux élèves à développer, à
factoriser puis à résoudre des équations, avant d’enchaîner sur les fonctions.
Vos souvenirs de maths sont un peu lointains et les x ne vous parlent plus ? Voici un bref rappel pour
vous rafraîchir la mémoire. En mathématiques, on attribue une lettre aux variables et aux inconnues.
Il peut s’agir de n’importe quelle lettre de l’alphabet, mais la plus utilisée reste x. Selon le contexte,
x est une variable ou une inconnue. Imaginons une fonction f telle que f(x) = 2 x + 3 x ; dans ce cas,
x est une variable, c’est-à-dire un nombre qui peut varier. Mais si je veux résoudre l’équation 2 x + 3
= 0, x est alors une inconnue.
Les x sont abordés dans deux des quatre grandes parties qui constituent le programme de troisième :
« Nombre et calculs » et « Organisations et gestions de données, fonctions ». Je crois qu’on
gagnerait à construire le programme avec des parties composées de chapitres « indissociables »,
comme j’ai commencé à le faire pour D-PhiAlpha. Ainsi, les quatre chapitres sur le développement,
la factorisation, les équations et les fonctions pourraient être articulés en une seule partie, avec une
structure en arborescence.
Chez D-PhiAlpha, nous commençons donc par aborder les x avec la notion de développement8.

Après que toutes les notions sur le développement ont été abordées, avec tous les outils qui les
accompagnent, puis que les élèves ont appris à manipuler ces notions séparément, on passe à la
phase d’entraînement qui va mélanger les trois notions dans des exercices simples, puis
progressivement plus complexes.
Une fois cet ensemble terminé, on aborde la factorisation, qui est en quelque sorte l’exercice inverse
du développement.

Pour la factorisation, la démarche est la même : explication puis manipulation de la première


notion, explication puis manipulation de la seconde notion, et enfin entraînement qui conjugue les
deux notions.
On passe ensuite à la résolution d’équations, qui exige de maîtriser le développement et la
factorisation. Les élèves vont donc aborder de nouvelles notions avec les équations, tout en se
renforçant sur le calcul littéral (développement et factorisation).
On termine enfin avec les fonctions, en travaillant toujours sur le même principe.
Une fois qu’on été traités les x et toutes les notions qui leur sont associées, on peut passer à un autre
thème. Par exemple, la géométrie (théorème de Pythagore et sa réciproque, théorème de Thalès et sa
réciproque, trigonométrie), ou encore les statistiques, les pourcentages et les probabilités. Le choix
de l’ordre retenu pour traiter les grands thèmes n’est pas fondamental dès lors que toutes les notions
indissociables sont abordées successivement, selon un principe de progression cohérent.

Des supports de cours articulés en notions


À mes débuts dans l’enseignement, je n’étais pas très au fait des subtilités de la pédagogie.
L’essentiel était de me faire comprendre. Si une explication ne passait pas, je recommençais en
illustrant mon propos d’une autre manière, jusqu’à ce que l’élève ait compris. J’ai vite pris l’habitude
de noter mes explications sur une feuille à mesure que je les formulais. Au départ, je ne le faisais pas
pour mes élèves, mais parce que j’en ressentais le besoin. Écrire me donnait le sentiment de
structurer ma pensée, donc de produire une explication plus claire. Souvent, mes élèves me
demandaient s’ils pouvaient garder cette feuille, qui n’était pour moi qu’un brouillon. J’ai même
découvert que certains le remettent ensuite au propre et en font profiter leurs camarades.
Cette habitude m’a beaucoup aidée quand j’ai augmenté la taille des groupes et ouvert des créneaux
aux collégiens. Accueillant dans un même groupe des élèves de niveaux différents, qui pouvaient
faire aussi bien des maths que de la physique-chimie, sur un créneau hebdomadaire de deux heures
quand ils avaient deux fois plus de temps en classe pour travailler le même programme, je devais
identifier rapidement le point de cours à revoir, proposer les explications nécessaires au bon
moment, trouver rapidement l’exercice adapté à la notion travaillée, etc. Grâce aux explications
écrites que je continuais de noter avec mes élèves, l’organisation des différents programmes est
devenue très claire dans ma tête. Et je pouvais vérifier que l’articulation de mes cours fonctionnait,
parce que les élèves comprennaient, même ceux qui disaient détester les maths !
Quand j’ai annoncé la création de D-PhiAlpha, certains parents ont voulu s’assurer que les élèves
retrouveraient « ma méthode » s’ils étaient suivis par d’autres enseignantes que moi. De mon côté,
je souhaitais que tous les cours de notre petite « école » fonctionnent dans le même état d’esprit. J’ai
donc formalisé mes cours sous forme de fiches afin de proposer un support de travail à notre équipe
pédagogique. Ces fiches sont aussi devenues un outil pour les élèves, qui les réclamaient d’ailleurs
avec impatience.
Le problème à résoudre était le suivant : comment, à travers une fiche synthétique, donner les
informations indispensables pour connaître, comprendre et maîtriser une notion ? Dans l’esprit des
notes que j’ai toujours écrites en cours pour mes élèves, j’ai commencé à préparer des fiches à
l’ordinateur pour le niveau seconde. Mais je me suis vite rendu compte que je ne parvenais pas à
reproduire aussi clairement l’articulation du cours quand je travaillais sur un écran : mes notes
manuscrites me semblent plus convaincantes. Je suis alors revenue à mes deux outils de prédilection
pour faire des maths : le papier et le stylo. En janvier 2021, date d’ouverture de D-PhiAlpha, je
disposais d’un chapitre du programme prêt pour chaque niveau. En juin, l’ensemble des fiches
manuscrites était finalisé – seules celles de seconde restent composées à l’ordinateur.
Cette singularité dans la mise en forme nous a d’ailleurs fourni l’occasion d’une observation
intrigante : un jour, des lycéens de seconde planchent sur le calcul littéral et abordent la première
notion, la simple distributivité. L’enseignante leur présente donc la fiche correspondante. Mais les
élèves ne comprennent pas. Cette ingénieure en informatique qui donne des cours particuliers
depuis dix ans a alors la brillante idée de leur projeter la fiche manuscrite du niveau troisième. Et là,
tout le monde capte ! À quelques détails près, les deux fiches offrent exactement le même contenu.
Pourtant, la version manuscrite leur semble plus claire. Parce que nous sommes toutes scientifiques
dans l’équipe, nous avons réitéré l’expérience. Avec le même résultat. Je ne suis pas capable
d’expliquer ce phénomène, je peux tout juste esquisser quelques hypothèses. Peut-être suis-je moi-
même plus claire quand je rédige à la main, parce que je suis plus à l’aise avec ce médium ? Peut-être
la fiche manuscrite fait-elle moins peur ? Peut-être le côté « imparfait » rassure-t-il les élèves ?
Quoi qu’il en soit, c’est le format que j’ai définitivement adopté pour nos supports de cours.
Ces fiches manuscrites ont une autre utilité non négligeable. On reproche souvent aux élèves de ne
pas avoir de méthode de travail et on leur conseille tout aussi souvent de faire des fiches, sans pour
autant leur montrer comment procéder. Les fiches de D-PhiAlpha comblent cette lacune. Dans un
premier temps, je conseille aux élèves de se contenter de les recopier. Puis, lorsqu’ils ont compris
l’intérêt de faire des fiches et quel contenu y mettre, je les encourage à formaliser leurs propres
fiches. Cette maîtrise s’acquiert sur la durée : souvent, au collège, on reste très près du cours en
ayant l’impression de l’avoir condensé, puis on gagne progressivement dans l’art de la synthèse,
mais c’est réellement dans les études supérieures que l’on parvient généralement à élaborer des
fiches efficaces. Chez D-PhiAlpha, nous proposons à nos élèves de se confronter dès la sixième à des
mises en fiches efficaces.
Dernier avantage : nos fiches sont un support de cours pour les enseignants et un support de travail
pour nos élèves, mais elles sont aussi un outil précieux pour les parents qui souhaitent accompagner
leurs enfants mais ne trouvent pas les bons mots pour expliquer certaines notions. Et comme elles
sont toutes articulées sur le même modèle de la sixième à la terminale, elles offrent des repères
fiables pour progresser.

Comment sont construites les fiches


Une fiche D-PhiAlpha aborde une notion et une seule, et rassemble les informations indispensables
à connaître. Sans ces bases, impossible d’avancer. C’est la raison pour laquelle nous insistons
autant, en cours, sur la maîtrise du contenu des fiches, qui représente un minimum facilement
assimilable parce qu’il est bien organisé. Les fiches aident ainsi l’élève à construire sa boîte à outils
qui lui permettra de se sentir parfaitement à son aise au niveau 5 de la pyramide (voir ici).
Chaque fiche présente à la fois la notion à connaître et ses applications (regroupées dans la rubrique
« Méthode »). Elle contient systématiquement quatre rubriques :
1. Expliquer à quoi sert l’outil.
2. Partir d’un exemple concret pour l’illustrer.
3. Détailler la méthode avec des mots simples, comme dans une explication orale.
4. Proposer une généralisation si nécessaire.

1. Outil ou notion à connaître. (Paragraphe en noir sur la fiche originale.)


2. Mise en situation concrète. (Paragraphe en bleu.)
3. Méthode détaillée, formulée dans un langage oral. (Paragraphe en violet.)
4. Généralisation. (Paragraphe en noir sur la fiche originale.)
5. Mise en situation concrète. (Paragraphe en bleu.)
6. Méthode détaillée, formulée dans un langage oral. (Paragraphe en violet.)
S’il y a plusieurs applications possibles pour une même notion, il faut toujours partir d’un exemple
pour expliquer le concept et les méthodes d’utilisation.

En français courant dans le texte


C’est l’un des fondements de la méthode D-PhiAlpha : oser aborder les mathématiques en utilisant
un langage courant, accessible à tous les élèves et compris par tous. Et je ne parle pas seulement des
explications données à l’oral. Ce langage, on l’utilise pendant les cours avec les élèves, mais c’est
avec lui aussi que j’ai écrit mes fiches et que les élèves révisent. (Ce qui ne nous empêche pas, j’y
reviendrai, d’exiger d’eux, dans la formalisation de leurs raisonnements, de ne recourir qu’au
langage mathématique et d’en respecter les règles.)
D’ailleurs, j’ai mis en place un code couleur que nos élèves connaissent bien désormais : les
explications données dans un langage oral sont en violet, tandis que le noir est réservé aux notions à
connaître. Le bleu, enfin, c’est la « bonne réponse », c’est-à-dire ce qui doit se trouver sur la copie
quand on demande à l’élève de faire un exercice. Le texte en violet, c’est en quelque sorte la trace
écrite de l’explication donnée de vive voix : les mots font écho à ce que l’élève peut entendre en
classe.
Pour y avoir été moi-même confrontée, je sais que le débat existe entre les partisans d’une certaine
oralité des maths et les puristes qui refusent de recourir au langage courant. Je respecte le choix de
ces derniers, mais ce n’est pas le mien. À aucun moment ce que nous disons n’est faux. À aucun
moment nous ne manquons de rigueur. Et je tiens à cette petite voix qui vient expliquer comment
j’ai compris les choses. De la même manière que les élèves se donnent entre eux des explications qui
peuvent me sembler confuses. S’ils se comprennent, c’est l’essentiel.
Finalement, nos fiches ressemblent beaucoup aux fiches du « premier de la classe » (ou de la
première d’ailleurs !). À l’école, identifier celui ou celle qui fait la course en tête est un enjeu de
taille, car ses fiches sont généralement claires et accessibles. L’élève y a inscrit l’essentiel en
« traduisant » avec ses propres mots le contenu formel d’un cours. Et cette traduction est finalement
beaucoup plus compréhensible que les résumés en langue « officielle » du prof ou du manuel.
Prenons un exemple.

20 % des élèves d’une classe de 30 sont blonds. Combien y a-t-il d’élèves blonds ?

Je vous sens perdu…


Un prof de maths m’a dit un jour à l’oral que, en mathématiques, les mots « des », « du », « d’ » ou
« de la » pouvaient se traduire par une multiplication. J’ai retenu cette information. Donc, face à un
problème comme celui que je viens de vous poser, je vais aussitôt traduire :

20 % des élèves d’une classe de 30 —> 20/100 x 30 = 6

Donc la réponse est : 6 élèves sont blonds.


Aujourd’hui encore, beaucoup d’élèves ne savent pas que derrière cette phrase se cache une
multiplication. Car ce type d’astuce n’est jamais donné par écrit et est assez rarement formulé de
manière aussi simple. Dans les fiches D-PhiAlpha, nous avons noté :

« En mathématiques, les mots “de”, “du”, “des”, “d’” ou “de la” se traduisent
souvent par une multiplication. »

Certes, la formule n’est pas très jolie, mais elle est simple, efficace et facile à mémoriser. Au moins,
face à une question de ce type, l’élève n’est plus bloqué et réussit à poser la bonne opération !
Je tiens à souligner que j’enseigne les maths comme beaucoup de mes enseignants me les ont
enseignées, avec des astuces, des petits trucs, des images, etc. Et j’ai repris bon nombre de ces trucs
et astuces dans nos fiches, qui constituent l’outil de base de la méthode D-PhiAlpha. Ces fiches sont
des supports de cours pour nos enseignantes9 et elles sont présentées aux élèves. Elles ont aussi été
rassemblées par niveau dans nos livres Mes fiches de maths (voir les pages qui suivent) et elles sont
également mises en ligne sur notre plate-forme d’e-learning (voir ici).

Les livres pour recenser les notions clés


Dans le but de fournir aux élèves des outils pour les aider à se repérer dans la forêt – très dense ! –
des notions mathématiques, j’ai réuni nos fiches dans des livres organisés par niveau, de la sixième à
la terminale. Ces ouvrages constituent une sorte de carte routière pour sillonner l’univers des
mathématiques. Cela donne 333 fiches réparties sur 500 pages, mais certaines notions sont revues
d’une année sur l’autre.
Le niveau sixième, par exemple, comprend 32 fiches, donc 32 notions de base présentées dans un
ordre qui tient compte de la progression dans l’acquisition des savoirs (j’y reviendrai au chapitre
suivant). Le regroupement de ces fiches en livre permet de cartographier mentalement cet ensemble
de 32 notions. Dans un premier temps, en feuilletant le livre, l’élève prend conscience de l’existence
de ces notions. Dans un second temps, il apprend à les mobiliser pour résoudre un problème. Ce
livre tient sur une cinquantaine de pages très aérées, pour une bonne lisibilité. Comme toute la
série, il est au format paysage, c’est-à-dire à l’horizontale, ce qui casse un peu l’effet « liste » des
manuels classiques. Une lecture régulière permet de rester connecté aux différentes notions, même
si une notion différente est abordée en classe.
Encore faut-il avoir envie de lire un livre de maths ! C’était le défi à relever, et le succès est au
rendez-vous. Les élèves ont adopté très vite cet ouvrage. Certains l’emportent à l’école et le
consultent avant un contrôle, d’autres l’utilisent en classe. Plus étonnant encore, quelques-uns, de
leur propre initiative, le glissent dans leur sac de vacances !
Ce qui fait la force de ces livres, par rapport à un manuel scolaire classique, c’est qu’ils ont été écrits
pour les élèves, sans aucun intermédiaire. Je m’adresse directement à eux pour qu’ils comprennent.
J’assume une rédaction qui ne fait pas très « matheuse », mais je tenais à faire des livres qui parlent
aux élèves. Ils contiennent donc les explications qui ne se disent qu’à l’oral en maths. Imaginons que
vous êtes en sixième et que vous apprenez à construire des triangles. Le prof fait la construction au
tableau, puis vous donne pour le prochain cours un exercice qui demande de reproduire la méthode.
Deux jours se passent. Au moment de faire l’exercice, vous avez oublié (c’est normal, car vous n’avez
pas eu le temps d’intégrer cette construction). Dans le livre Mes fiches de maths, vous trouverez
l’explication orale du « comment faire ? », avec à peu près les mêmes mots que ceux employés en
classe par le prof.
À l’inverse, un manuel scolaire est un outil conçu avant tout pour les enseignants. Le contenu du
cours est souvent « parfait », avec tout le formalisme requis. Le professeur dispose aussi d’une
batterie d’exercices dans laquelle il pourra piocher pour son cours. Mais très peu d’élèves lisent ce
manuel et ils ne peuvent guère l’utiliser en solo pour faire des exercices, car les corrigés sont donnés
dans le manuel de l’enseignant.
Pour finir, nos livres peuvent constituer une porte d’accès à la méthode D-PhiAlpha. Ils permettent
ainsi à d’autres élèves de s’initier à l’esprit de notre « école ». Je l’ai dit à plusieurs reprises dans ce
livre : tous les enfants et adolescents devraient avoir la possibilité de devenir bons en maths. Avec
D-Phi-Alpha, j’ai voulu développer un enseignement accessible au plus grand nombre, en limitant
le plus possible la pression financière. Sachant que nos profs ont tous un niveau bac + 5 au moins et
sont mieux rémunérés que dans la majorité des organismes de soutien scolaire, nous réussissons à
proposer des cours collectifs à 16,5 euros de l’heure (contre 25 euros en moyenne en région
parisienne pour des cours collectifs). Mais j’ai conscience que ce tarif reste encore trop élevé pour
de nombreux parents. À leur manière, nos livres peuvent constituer un soutien précieux et
l’occasion d’une première immersion dans l’esprit D-PhiAlpha.

La plateforme D-PhiAlpha
Pour étendre l’accès à D-PhiAlpha, j’ai aussi imaginé un outil numérique qui permet, pour 10 euros
par mois10, de franchir au moins les trois premiers niveaux de la pyramide :
• savoir que des outils existent ;
• comprendre à quoi ils servent ;
• apprendre à les utiliser.
La majorité des collégiens et lycéens inscrits sur notre plateforme D-PhiAlpha Academy atteignent
même assez aisément le niveau 4 (se renforcer). Tous les niveaux sont inclus dans l’abonnement, ce
qui permet aux élèves de revenir au besoin sur des notions figurant au programme des années
précédentes et qu’ils ne maîtrisent pas.
Dans cette plateforme construite grâce à notre expérience de terrain, on retrouve la même
organisation que dans nos cours, avec des vidéos d’une dizaine de minutes pour expliquer les
notions. Quelque 1 500 vidéos sont disponibles, ainsi que des milliers d’exercices (les mêmes que
ceux proposés à nos élèves dans les cours collectifs). Quand je travaillais en solo, j’avais recours à
Internet pour les exercices11, en précisant toujours la source, bien sûr. Pour D-PhiAlpha, nous avons
créé tous les exercices que nous proposons à nos élèves, en présentiel comme sur la plateforme. Ce
qui nous offre une précision « chirurgicale », puisque nous inventons l’exercice dont nous avons
besoin pour travailler telle ou telle notion. Nous sommes ainsi en mesure de proposer le bon
exercice au bon moment.
Bien sûr, il existe une multitude de chaînes de maths sur Internet. Et je suis ravie de voir que des
profs investis rendent les maths plus accessibles grâce à des vidéos. Cependant, pour trouver un
contenu précis, l’élève doit savoir précisément ce qu’il cherche. Par exemple, s’il veut comprendre le
développement et qu’il tape sur son moteur de recherche « comment développer », il va se retrouver
avec une longue liste d’entrées possible (identités simples, doubles, remarquables, etc.). Il faut donc
déjà avoir une bonne connaissance des notions mathématiques pour naviguer sur Internet. Or, par
définition, quand on est en position d’apprenant, on découvre au fil du temps ce qu’on doit
apprendre. Sans oublier que, quand un élève rencontre une difficulté sur un point précis, cela
provient souvent de difficultés antérieures…
Autre frein : beaucoup de parents hésitent à laisser leur enfant naviguer seul sur YouTube. Notre
plateforme permet à l’élève de travailler en autonomie, même pour les plus jeunes. Tout le contenu
est organisé de manière « logique » : il suffit de suivre la progression en cliquant sur le bouton
« Suivant ». Au lieu de se retrouver devant une masse d’informations ou de devoir aller chercher
d’autres précisions en naviguant sur Internet, l’élève dispose d’une plateforme organisée pour qu’il
puisse travailler seul sans se laisser embarquer par des suggestions de liens vers telle ou telle vidéo
explicative (ce qui est généralement le cas avec les chaînes de maths sur YouTube, par exemple). De
plus, la plateforme reprend l’organisation des cours en introduisant les notions l’une après l’autre.
D’ailleurs, nous recommandons vivement aux utilisateurs de suivre l’ordre proposé, qui reprend
celui que nous adoptons dans les cours en présentiel. Par exemple, avant de travailler les identités
remarquables, nous proposons systématiquement une révision des bases du calcul littéral. Un élève
qui travaille seul peut être tenté de sauter cette étape. Or si les bases ne sont pas acquises, il va vite se
sentir perdu, sans savoir d’où vient le problème. La plateforme, comme les cours en présentiel, est
précisément conçue pour que les élèves disposent d’un socle de connaissances solide.
Je vous propose une illustration avec l’étude de la simple distributivité, une notion clé pour le calcul
littéral.

Pour cette notion, sur la page d’accueil, le menu déroulant à gauche indique le titre du chapitre (« Le
développement »), suivi de son découpage dont l’élève est invité à suivre chacune des étapes dans
l’ordre proposé.

Après avoir cliqué sur le bouton « Suivant », l’élève se retrouve sur une fenêtre qui lui propose une
vidéo rappelant les bases de la simple distributivité.
Comme dans le cours en présentiel, une fiche apparaît dans la vidéo. Pour le niveau collège, un petit
personnage (masculin ou féminin) rapporte ce que j’aurais dit aux élèves dans un cours en
présentiel, et la fiche est progressivement complétée sous les yeux de l’élève12.

Une fois qu’il a visionné la vidéo (s’il le souhaite), l’élève clique de nouveau sur « Suivant » et arrive
sur une page qui lui propose un premier exercice d’application de la simple distributivité. Il doit
alors prendre sa feuille et son stylo pour faire l’exercice, exactement comme en classe.
Plusieurs exercices sont proposés pour chaque notion et la correction est donnée à la page suivante,
soit par écrit, soit en vidéo.

À la fin du chapitre, une fois que l’élève a abordé successivement toutes les notions (dans le cas du
développement, la simple et la double distributivité, puis les identités remarquables), il est invité à
se tester.
Tout au long de sa démarche d’apprentissage, l’élève peut revenir sur les explications, mettre la
vidéo sur « pause », la réécouter plusieurs fois. Il progresse ainsi à son rythme.
La plateforme reprend par ailleurs l’organisation de nos cours.
• L’outil est présenté dans une fiche manuscrite, qui est ensuite commentée dans une vidéo.
L’élève découvre ainsi les méthodes et les astuces qui lui permettent d’être rapidement
opérationnel.
• Une série d’exercices associés à l’outil sont proposés dans un ordre précis. Pour effectuer les
exercices, l’élève doit… prendre une feuille et un stylo. Eh oui ! En maths, il faut réfléchir,
gribouiller sur une feuille, apprendre à exposer son raisonnement. L’écrit représente une étape
primordiale. L’objectif reste de convaincre, avec un raisonnement, des calculs, des théorèmes,
des propriétés. C’est d’ailleurs cette démonstration écrite qui est évaluée : l’élève a-t-il réussi à
convaincre son professeur ?
• À la fin, une petite évaluation sous forme de QCM permet à l’élève de faire un point sur
l’acquisition de l’outil.
Notre outil numérique reste délibérément assez classique dans l’organisation de l’apprentissage. Je
ne crois pas en effet aux révisions en maths avec uniquement des QCM. Écrire à la main favorise
l’apprentissage. Un élève doit faire et refaire un certain nombre d’exercices qui l’aideront à
apprendre son cours, à le comprendre, à développer ses automatismes et à favoriser sa
mémorisation. Avec l’avènement du numérique, les claviers ont tendance à remplacer le stylo, ce qui
est vraiment dommageable : des chercheurs américains ont montré que le fait d’écrire à la main
fournit une expérience perceptivo-motrice qui unifie ce qui est appris et permet ainsi un
apprentissage plus complet. Une autre étude, conduite par des scientifiques norvégiens, a montré
que le geste d’écrire active des parties du cerveau utiles pour mémoriser de nouvelles informations.
Notre plateforme peut contribuer à pallier certains problèmes d’apprentissage liés aux conditions
dans lesquelles se déroulent parfois, malheureusement, les cours au collège ou au lycée :
environnement bruyant qui empêche de se concentrer, classes surchargées, professeurs absents non
remplacés. Elle pourra aussi être une aide précieuse pour les élèves qui ont besoin de plus de temps
pour assimiler les notions, pour ceux qui souhaitent avancer sur le programme, pour ceux encore qui
apprécient d’écouter des explications différentes de celles données par le prof afin de parfaire leur
compréhension, etc.
Finalement, les différents supports déclinent un protocole d’apprentissage qui s’est construit sur le
terrain et qui met en valeur les notions clés que les élèves doivent maîtriser pour construire leur
bagage mathématique. On me reproche parfois de proposer trop de choses avec D-PhiAlpha (des
cours, des livres et une plateforme), au lieu de me consacrer à l’une ou l’autre forme
d’enseignement. Mais je tiens à cette diversité. D’ailleurs, depuis un an et demi, l’école en visio est
testée sur deux groupes de quatre et le modèle d’apprentissage fonctionne13. Certes, en tant
qu’enseignante, ma préférence va aux cours en présentiel, mais la plateforme permet de toucher un
public éloigné géographiquement. Cela dit, la légitimité de D-PhiAlpha s’est construite sur le
terrain, dans les interactions avec les élèves et dans les discussions avec les parents, quand ils
évoquent leurs angoisses ou leurs espoirs. Ce sont ces liens qui m’ont permis de concevoir un
protocole déclinable sur différents supports. À partir de là, chacun peut choisir la formule qui lui
convient, en fonction de ses besoins et de ses moyens.
Notes
1. Pour être plus précis, elles sont introduites dès le CM1-CM2 : à ce stade, les élèves doivent être
capables de lire et de comprendre des données dans des tableaux (à simple ou double entrée), des
histogrammes, etc., et d’en extraire les informations nécessaires. Mais le mot « statistique » ne fait
réellement son apparition qu’en classe de cinquième, avec des attendus très clairs sur
l’interprétation, la représentation et le traitement des données.
2. Site officiel d’information et d’accompagnement des professionnels de l’éducation, élaboré par
le ministère de l’Éducation nationale.
3. S’y retrouver dans le maquis des recommandations pédagogiques, qui changent en outre
régulièrement, est chronophage pour les enseignants : cela demande beaucoup d’énergie pour
comprendre les préconisations, essayer de les mettre en pratique, tester des variantes pour les
améliorer, etc., jusqu’à la prochaine réforme ! Et pendant ce temps, les élèves sont les cobayes de
démarches pas toujours abouties.
4. Sur la question des contrôles et des notes, véritable cancer de notre système éducatif, je vous
renvoie au chapitre 4 de la partie I.
5. Ce sont les enseignants, réunis par discipline au sein de conseils d’enseignement, qui
sélectionnent les manuels, lesquels sont tenus de respecter l’esprit des instructions officielles sur le
programme.
6. Cette « contrainte » est d’ailleurs abordée dès le recrutement, et les parents comme les élèves
acceptent également ce contrat. D-PhiAlpha ne s’affiche pas comme une structure de soutien
scolaire classique, puisque nous ne faisons pas l’aide aux devoirs et que nous ne préparons pas les
élèves pour les contrôles. Notre objectif est de leur fournir tous les outils pour qu’ils puissent faire
seuls leurs devoirs à la maison et se préparer seuls aux contrôles.
7. Au chapitre suivant, je reviens en détail sur le déroulé des cours et le travail sur les automatismes.
8. Les identités remarquables ne sont plus au programme de troisième, mais beaucoup
d’enseignants les abordent en cours, donc nous les traitons également chez D-PhiAlpha.
9. Le support de cours destiné aux enseignantes contient aussi les exercices adaptés à la notion
étudiée, mais ces derniers ne figurent pas dans les livres qui réunissent nos fiches par niveau
scolaire.
10. Pour un abonnement annuel, le tarif est de 99 euros, soit un peu plus de 8 euros par mois.
11. Avec des supports comme Maths PDF (https://maths-pdf.fr), Lycée d’adultes
(www.lyceedadultes.fr), ChingAtome (https://chingmath.fr) ou encore Le livre scolaire
(www.lelivrescolaire.fr).
12. Ces petits personnages ont disparu dans le niveau lycée, car le contenu est plus dense, et ce type
d’animation ne m’a pas semblé pertinent avec les élèves plus grands.
13. Les enseignants sont équipés de tablettes graphiques pour interagir avec leurs élèves.
LE DÉROULÉ D’UN COURS

Au collège et plus encore au lycée, une grande partie des cours de maths est généralement consacrée
à la théorie. Cela semble logique, puisque la compréhension est une étape incontournable avant de
pouvoir faire les exercices. Le cours est tantôt projeté, tantôt noté au tableau par le professeur, qui
met en relief les informations importantes. La méthode qui consiste à écrire le cours au tableau
pendant que les élèves le recopient dans leur cahier est à mon sens plus intéressante, car la notation
écrite facilite le travail de la mémoire. En effet, le passage à l’écrit, de la main de l’apprenant, est
déjà une forme d’appropriation du savoir. Mais écrire au tableau suppose pour l’enseignant, de
tourner le dos à une trentaine de préados et d’ados cherchant à s’affirmer. Cette situation de
vulnérabilité n’est pas toujours simple à gérer. Autre frein : tous les élèves ne notent pas le cours au
même rythme, l’enseignant doit donc se caler sur les plus lents avant de passer à la suite. Enfin,
beaucoup de profs avouent avoir du mal à finir le programme et finissent par se tourner vers les
polycopiés, qui leur permettent de réserver du temps pour les exercices.
D’autres enseignants vont choisir un modèle hybride, avec des textes à trous que les élèves
complètent. Une fois la partie théorique terminée, des séances d’exercices en classe entière ou en
demi-groupe sont prévues.
Depuis quelques années, de nouvelles façons d’enseigner ont vu le jour avec la prolifération de
vidéos YouTube consacrées aux maths. Ainsi, des professeurs demandent aux élèves de visionner ces
tutos avant le cours et consacrent les séances en classe aux exercices. La théorie pour YouTube, la
pratique en classe.
Chaque professeur choisit donc la modalité qui lui convient. Et les élèves dans tout ça ? Moi qui les
côtoie en dehors du système scolaire, je les entends souvent se plaindre d’un manque de rythme en
classe. Durant la phase où l’enseignant explique le cours, ils restent trop passifs. C’est pire quand le
cours est projeté, car ils ont encore plus de mal à rester concentrés du début à la fin. Rappelons en
effet que la durée moyenne d’attention d’un être humain est comprise entre 10 et 15 minutes, alors
qu’un cours peut durer quasiment une heure au collège, et parfois deux au lycée1.
Un des grands enjeux du cours de maths, c’est donc de trouver le juste équilibre entre théorie et
pratique. Quand j’interroge mes élèves sur les difficultés qu’ils rencontrent au collège ou au lycée,
beaucoup évoquent des exercices difficiles à exécuter malgré une bonne compréhension du cours et
des notions bien apprises. Or, selon moi, un cours qui ne permet pas le passage à l’application a
manqué cible. Cela revient à assembler les parties d’un marteau sans comprendre ensuite comment
planter un clou. À quoi sert un marteau dans ces conditions ?
Inversement, quand le cours privilégie la pratique au détriment de la compréhension des concepts
mathématiques, les élèves ont le clou bien en main, mais il leur manque le marteau, qu’ils n’ont pas
réussi à fabriquer. Et cela ne fonctionne pas davantage.
De plus, par manque de temps, les problèmes les plus complexes sont souvent réservés aux exercices
à faire à la maison ou aux devoirs sur table. Pourtant, en mathématiques, acquérir des automatismes
est indispensable – tous les matheux vous le diront. Après l’étape de la compréhension et de
l’assimilation des notions, l’utilisation de certains outils doit devenir automatique afin de libérer de
la place dans le cerveau pour les problèmes plus complexes. Dans l’organisation des cours au collège
et au lycée, hélas, il n’y a pas toujours suffisamment de temps consacré à l’acquisition de ces
automatismes, avec des exercices simples ou des questions types auxquelles les élèves doivent
répondre du tac au tac. Or, comme pour les tables de multiplication, seul un entraînement régulier
permet de développer cette pratique. Et c’est une modalité à laquelle beaucoup de professeurs
répugnent, comme si la répétition mécanique risquait de dévaluer la pratique mathématique. Pour
ma part, je pense qu’on ne peut faire l’économie ni de la compréhension ni de la répétition. Il faut à
la fois comprendre ET savoir faire. C’est sur ce principe que sont construits les cours chez D-
PhiAlpha.

Une présentation au tableau alliant oral et écrit


En mathématiques, la trace écrite compte beaucoup dans le Processus d’apprentissage et de
mémorisation du cours. Cependant, même si les élèves ont le sentiment de mieux assimiler le cours
quand ils le notent, cela leur demande beaucoup d’efforts et ils ont parfois du mal à garder le rythme.
C’est pourquoi, chez D-PhiAlpha, nous réservons cette étape à la révision du cours en encourageant
les élèves à refaire à la maison les fiches du cours (voir plus loin).
Pour gagner en efficacité sur les séances, nous commençons par présenter, au début de chaque
chapitre, l’ensemble des notions et outils qui seront abordés. Les élèves prennent alors
connaissance de leur existence dans leur globalité. Ensuite, on passe à l’étude de la première notion,
dont la fiche est projetée au tableau. Au début, nous projetions la fiche entière, mais nous avons
constaté que les élèves étaient happés par la lecture au lieu de suivre les explications. J’ai donc
supprimé les outils (les rubriques « Méthode » sur la fiche) afin que les élèvent puissent voir la
construction du raisonnement s’élaborer sous leurs yeux. ici, vous pouvez voir à quoi ressemble une
fiche D-PhiAlpha projetée en cours (à comparer avec celle du livre Mes fiches de maths, présentée
ici).
Une fiche doit être expliquée en 10-12 minutes maximum, l’objectif étant de maintenir la
concentration des élèves sur cette durée. Pendant ce laps de temps, chacun écoute et essaie de
comprendre. Il n’écrit pas et ne prend pas de notes afin d’être pleinement présent à l’écoute. À cette
étape, l’élève apprend à quoi sert l’outil.
Chaque notion est toujours illustrée par un exemple concret. Pour déployer l’outil (la méthode),
l’enseignant part donc de l’exemple. Il pourrait se contenter de donner la réponse avant de passer à
la suite, mais nous avons privilégié une autre approche, dans laquelle il explique sa démarche à voix
haute. La moindre pensée, la moindre question, même la plus simple, il doit la formuler à l’oral. Il
s’agit pour lui de verbaliser toutes les questions que les élèves se posent, mais aussi toute sa pensée
et son raisonnement. Il invite aussi les élèves à donner une réponse à ses questions intermédiaires
et s’assure à chaque étape que tous sont concentrés et suivent. C’est un échange continuel entre les
élèves et l’enseignant.
Ce qui est fondamental, c’est que nous prenons en compte le temps de concentration des élèves et
que nous organisons les explications et les informations écrites au tableau pour qu’elles soient en
phase avec ce que l’élève voit et entend. Il est ainsi pleinement concentré à essayer de comprendre
ce qui se joue à l’instant T.

Un apprentissage par des exercices


Quand la présentation du premier outil est terminée, les élèves prennent le relais en testant la
méthode sur un exemple qui ressemble beaucoup à celui qui a été présenté au tableau. Puis nous
enchaînons sur des exercices plus complexes. Cependant, dans un but pédagogique, ces exercices ne
portent, dans un premier temps, que sur la notion qui vient d’être présentée.
Une fois que cette notion est devenue plus évidente, presque « naturelle », nous passons à la notion
suivante selon le même schéma : une explication, puis une manipulation de l’outil pour développer
les automatismes.
Quand chaque outil a été travaillé isolément, maîtrisé et compris, et une fois que l’élève a acquis les
automatismes de base, nous pouvons passer à la phase d’entraînement : des exercices complets qui
mélangent les différentes notions et exigent une réflexion plus poussée. L’élève apprend ainsi à
mobiliser plusieurs outils dans une situation plus complexe.
L’intérêt d’un tel découpage est que l’élève n’est pas noyé sous une masse d’informations et qu’il
assimile couche par couche les bases. Cela permet aussi de déceler plus précisément à la fois les
difficultés rencontrées et les notions maîtrisées, puisque l’enseignant n’aborde un outil que lorsque
le précédent est compris par tout le groupe. De cette façon, le découragement est souvent moindre,
car les élèves parviennent à identifier isolément les notions acquises et celles qui leur posent
problème, au lieu de se dire « Je n’ai rien compris ».
Mais comment gérer et stimuler les compétences individuelles si tout le groupe avance au même
rythme et travaille sur les mêmes outils ? La réponse est simple : nous disposons, pour chaque
notion à acquérir et pour les entraînements réunissant plusieurs notions, d’un stock d’exercices plus
complexes. Ainsi, tout le monde travaille les mêmes notions, mais chacun avance à son rythme et
certains iront un peu plus loin.
Pour rythmer la séance, nous envoyons parfois les élèves corriger un exercice au tableau2, ce que la
plupart aiment faire. Est-ce parce qu’ils se sentent dans la position du prof ? Certains disent que le
fait de résoudre un exercice devant leurs camarades, tout en expliquant leur démarche, les aide à
retenir les Processus de raisonnement. C’est d’ailleurs un des grands principes de la méthode
Montessori : quand un élève peut reformuler une notion avec ses propres mots, c’est le signe qu’il a
compris et intégré l’information. J’ai aussi constaté un bienfait pour celui qui écoute, qui comprend
souvent mieux les explications données par un élève de son âge dont il partage le langage et les
codes : « Là tu prends ça, tu fais ça, tu le mets dedans et tu as le résultat, tu as compris ? » Quand je
les écoute échanger ainsi, je vois que la compréhension est là – même si je n’ai personnellement pas
tout saisi des explications données par l’élève au tableau. Mais s’ils se sont compris entre eux et que
la réponse est correcte, c’est parfait !
Le passage au tableau est aussi l’occasion, pour les élèves, de travailler le rapport au corps. Se lever
devant tout le groupe, marcher jusqu’au tableau, sentir le regard des autres, parler fort, expliquer
n’est pas toujours facile pour un adolescent mal dans sa peau – c’est d’ailleurs difficile également
pour certains adultes ! En classe, cette pratique est souvent mal vécue, car la taille du groupe est
beaucoup plus importante. C’est pourtant une situation à laquelle les élèves doivent être exposés, car
ils y seront confrontés plus tard dans leur vie adulte.

Les fiches à la maison


La dernière phase se déroule à la maison. Après chaque cours, nous demandons aux élèves de
prendre un peu de temps pour retravailler les fiches : ils peuvent les récrire ou s’en inspirer pour
créer une synthèse plus personnelle3. Cette phase est très importante, car elle permet à l’élève de
s’approprier la fiche pour en faire son support d’apprentissage.
Il y a donc autant de fiches possibles que d’élèves. Car une fiche efficace pour l’un ne l’est pas
forcément pour un autre. C’est à l’élève de trouver l’outil qui lui convient le mieux. J’ai moi-même
vu mes fiches évoluer tout au long de ma scolarité et elles ne ressemblaient pas forcément à celles de
mes camarades. Mais c’était intéressant de les comparer pour comprendre pourquoi l’un avait
privilégié telle information que l’autre avait négligée. Et c’était aussi une source d’inspiration.
Ce travail personnel des élèves sur les fiches est un autre point fort de la méthode D-PhiAlpha. En
effet, on incite beaucoup les élèves à faire des fiches sur leurs cours, sans toujours leur proposer une
façon de faire. Compte tenu de mon expérience dans ce domaine, je peux proposer des « modèles »
aux élèves dès leur plus jeune âge. Ceux qui ne savent pas par où commencer pour construire une
fiche sont invités à recopier ces modèles. Les autres peuvent s’en inspirer avant de trouver leur
propre formule. Ce qui importe à mes yeux, c’est que chaque élève développe ainsi une méthode de
travail, pour gérer ses cours.

Des petites évaluations régulières


En début de cours, nous pouvons proposer une évaluation (non notée) qui reprend un exemple de la
séance précédente. Il n’y a aucun piège ! Ce test sert avant tout à l’ensemble de la classe. En effet, les
élèves peuvent comprendre un résultat parce qu’ils viennent de relire leur cours, mais ne pas savoir
utiliser un outil sans modèle. Chez D-PhiAlpha, nous demandons d’ailleurs aux élèves de ne pas
juste relire leurs fiches avant les cours.
Apprendre un cours, cela signifie que l’on est capable de le restituer sans l’avoir sous les yeux. Si les
élèves relisent leur cours juste avant une interrogation, ils font appel à la mémoire immédiate. Le
cours n’est donc pas réellement assimilé ! On s’en rend compte quelques mois plus tard, quand les
élèves donnent l’impression de découvrir des notions qu’ils ont pourtant abordées précédemment.
Cette remarque vaut aussi pour les exercices. Beaucoup d’élèves n’ont pas l’habitude de refaire ceux
proposés en classe et se contentent de les relire. Avec la solution sous les yeux, la démarche semble
évidente. Mais cela ne permet pas de se poser les bonnes questions ni d’utiliser les bons outils.
Pour moi, l’apprentissage des mathématiques comprend trois grandes phases : comprendre (de quoi
il s’agit, la méthode, le concept), apprendre (les théorèmes, les formules, les notions clés) et
s’entraîner (répéter, s’exercer sur les différents cas possibles, faire et refaire). Beaucoup de
personnes pensent pourtant que seule cette dernière étape est importante. Mais elle est loin d’être
suffisante. Faire des exercices permet certes de mieux comprendre son cours et d’assimiler
certaines formules, mais cela ne permet pas de disposer d’un bagage pérenne.
Les élèves ne doivent pas se contenter de relire les exercices, ils doivent être capables de les refaire
sans modèle. Je demande souvent à mes élèves d’attendre deux ou trois jours, puis de refaire les
exercices du cours sans regarder la correction. C’est souvent imparable pour prendre conscience de
la limite entre comprendre et savoir faire.

La force du collectif
En créant D-PhiAlpha, j’ai abandonné ma petite pièce de 15 mètres carrés pour un local d’environ
60 mètres carrés, avec trois petites salles de classe. Mais l’aménagement est resté le même : enfants
et adolescents continuent de s’installer autour d’une grande table, qui favorise les échanges et
permet à l’enseignant de passer d’un élève à l’autre pendant le cours. Même s’il y a désormais un
tableau, j’ai voulu éviter de reproduire la configuration d’une salle de classe. Pas d’élève au premier
rang, ni au dernier. Nous sommes tous réunis autour d’une table pour faire des sciences, réfléchir et
progresser ensemble.
La dimension collective est un élément clé de D-PhiAlpha. Pendant quatre ans, j’ai accompagné des
groupes avec des élèves de niveaux scolaires différents, ce qui permettait à chacun de travailler sur
un point du programme dans lequel il se sentait peu à l’aise. Cette option avait aussi l’avantage de
faciliter l’ouverture de créneaux plus nombreux alors que j’étais seule à enseigner. Mais je restais
convaincue que le fait de mettre au travail tout le groupe sur les mêmes notions pouvait rendre la
séance plus vivante, donc les maths plus attrayantes. La création de D-PhiAlpha a été l’occasion de
relever ce défi. J’ai même testé ce nouveau format avec des élèves qui avaient connu les groupes de
niveaux différents. Tous ont approuvé le changement, car le fait d’avoir des échéances communes
(brevet ou bac) les incite à échanger sur le contenu de leurs cours à l’école, sur leurs difficultés, etc.
Avec les autres enseignants, nous avons aussi observé que, lorsque nous donnons une explication à
un élève pendant notre tour de table, un autre élève peut prendre la parole pour livrer ses propres
astuces.
Je suis intimement convaincue que la progression est toujours plus spectaculaire à plusieurs. On a
besoin des autres pour réussir, pour se comparer, pour avancer. Personnellement, j’aime la
compétition et je trouve sain de pouvoir se situer par rapport au groupe, car cela permet de
s’améliorer au besoin. Pour moi, l’apprentissage et la progression passent par la compétition. Mais
quand je parle de compétition, je ne vise pas le jeu de la course en tête qui vise le plus souvent à
écraser les adversaires. Je vise plutôt la course à la réussite, où le rythme soutenu de certains nous
pousse à aller plus vite et plus loin, où l’élan collectif nous porte vers la ligne d’arrivée. Il s’agit avant
tout de grandir ensemble avec un objectif commun : progresser ! Pour une réussite mutuelle. Réussir
s’envisage avec les autres, pas contre eux. En groupe, les élèves comprennent toute l’importance et la
pertinence d’être en compétition avec soi-même. Rivaliser collectivement pour avancer ensemble
invitent à se dépasser individuellement.
Contrairement à l’organisation que j’avais adoptée avant la création de D-PhiAlpha, où je mélangeais
sur un même créneau des élèves de la sixième à la terminale, chaque groupe est désormais constitué
par niveau, et nous proposons deux heures de cours par semaine pour les collégiens et les lycéens de
seconde, et deux heures et demie par semaine pour les élèves de première et de terminale.
Les groupes pouvant accueillir jusqu’à six élèves (contre quatre au maximum dans la « structure
Amina »), nous pouvons avoir plusieurs groupes pour chaque classe (sixième, cinquième, etc.), mais
nous ne les constituons pas en fonction des compétences des élèves. Car si ce fonctionnement ne
pose aucun problème quand tous les enfants ont un bon niveau – c’est même la configuration
idéale –, cela peut, quand tous les élèves rencontrent des difficultés, générer une énergie négative et
faire obstacle à l’émulation collective, si fondamentale pour progresser. La dynamique de groupe est
un élément clé de l’apprentissage, car c’est elle permet d’avancer ensemble. Si l’enseignant doit
consacrer du temps à chaque élève pour qu’il continue de progresser, le reste du groupe est arrêté
dans son apprentissage.
Pour préserver la dynamique collective, nous formons donc des groupes dans lesquels il n’y a jamais
plus de deux élèves en grande difficulté. Tout en continuant d’avancer avec le reste du groupe,
l’enseignante peut ainsi leur consacrer plus de temps pour leur permettre d’atteindre rapidement un
niveau moyen qui leur assure un minimum d’autonomie. Nous déplaçons en permanence le curseur
entre l’attention portée à chaque élève et l’attention portée au groupe.
Quand un élève est en difficulté, il s’agit avant tout de le rassurer. Avec du travail et un soutien
adapté, nous savons qu’il réussira à passer le cap. C’est juste une question de temps. De plus, le
travail en groupe lui permet de voir que les autres peuvent caler sur les mêmes notions que lui, et
c’est hyper-rassurant de ne pas se sentir un cas isolé ! La force de D-PhiAlpha, c’est de ne pas
dramatiser les obstacles rencontrés, d’accepter les « erreurs » qui font avancer, de valoriser la
progression, aussi minime soit-elle, d’encourager le travail et la motivation. Il n’y a rien de plus
puissant qu’un élève en difficulté qui veut y arriver dès lors qu’il est conscient du chemin à
parcourir, qu’il n’a pas peur de dire qu’il ne sait pas faire et qu’il assume objectivement ses
« limites ».
Comme nous accueillons des collégiens et des lycéens venant d’établissements différents, ils ne
suivent pas forcément le programme dans le même ordre à l’école. Au début de l’année, certains
auront commencé par étudier les statistiques, d’autres la géométrie, etc. Chez D-PhiAlpha, tous les
élèves suivent le même programme, et celui-ci ne colle pas forcément avec ce qu’ils étudient en
classe. Cette façon de faire habitue leur cerveau à penser les maths de manière globale. Statistique,
géométrie, arithmétique, tout cela reste des maths, quel que soit l’ordre dans lequel ces thématiques
sont abordées. Certains parents redoutent que cette démarche embrouille les élèves, mais ces
derniers font très vite la distinction entre les cours prodigués en classe et ceux de D-PhiAlpha. Car
tout est différent : le lieu, les camarades, les profs et la méthode.
Notes
1. Selon une circulaire de 1976 toujours en vigueur, l’heure de cours se répartit impérativement en
55 minutes d’enseignement et 5 minutes d’interclasse.
2. C’est plus rare à partir de la première pour les spécialités, car le programme est très dense et cette
façon de faire ralentit le cours.
3. Les élèves peuvent retrouver la fiche complète et le support de cours en accès libre sur la
plateforme.
BIEN PLUS QU’UN COURS DE MATHS

J’ai rencontré beaucoup d’élèves « bloqués » en maths et éprouvant devant cette discipline une peur
qui finissait par les rendre moins performants et compromettait leurs apprentissages. Car c’est une
peur qui s’autonourrit : en échouant à venir à bout d’un exercice, on renforce l’anxiété, qui elle-
même augmente la probabilité d’échouer. Permettre aux enfants et aux adolescents que
j’accompagne de dépasser cette peur est donc pour moi aussi important que leur proposer un cours
clair et correctement structuré.
Instaurer une atmosphère bienveillante dans notre structure et dans notre façon d’enseigner a été
l’un de mes premiers objectifs pour nourrir la confiance en soi de nos élèves. Et je suis aujourd’hui
très fière de notre équipe de superprofs : en plus de leurs grandes compétences en maths, ce sont
des femmes très humaines, bienveillantes et rassurantes, trois qualités essentielles à mes yeux pour
faire un bon pédagogue. Car c’est ce qui donnera envie à l’élève de venir et d’avancer en faisant
tomber une à une les barrières qui le bloquent.
D’ailleurs, cette approche empathique se retrouve à la fois dans nos livres et dans notre plateforme
e-learning. Dans nos livres, la forme aérée et l’écriture manuscrite « brisent » l’image imposante du
savoir mathématique, qui paraît aussitôt plus accessible. J’ai conçu toutes les fiches avec le désir de
les rendre compréhensibles, agréables à regarder et à lire. Cette émotion au bout du stylo semble se
ressentir.
Avec la plateforme, l’objectif n’est pas de fournir du contenu à tout prix, mais de proposer un
accompagnement « incarné ». Je me suis chargée moi-même de toutes les vidéos, et les élèves sont
donc accompagnés par la même voix sur toute la durée de leur apprentissage. Et j’ai adopté le même
état d’esprit que dans mes cours en présentiel. Me montrer rassurante dans l’enseignement d’une
discipline qui fait peur est quelque chose qui me tient à cœur.

Sur le chemin de la confiance en soi


L’un des premiers bénéfices de cette approche, c’est le gain de confiance en soi pour l’élève, qui va
pouvoir se surpasser. Car en se sentant plus sûr de lui, il peut faire confiance à sa motivation, à sa
force de travail, à sa curiosité, à sa ténacité, à sa capacité de trouver et d’utiliser les bons outils.
Surtout, il sait que, en dépit des obstacles, il va y parvenir.
On sait aujourd’hui que la performance scolaire est très liée à la confiance en soi : plusieurs études
ont en effet montré que la réussite d’un élève dépend tout autant de la confiance qu’il accorde à ses
capacités d’apprentissage que de ses compétences « objectives ». En permettant à nos élèves de
constater qu’ils parviennent à construire, notion après notion, un bagage mathématique pérenne, en
les rassurant sur leurs capacités par une exposition progressive à des problèmes de plus en plus
complexes, en refusant de les laisser se focaliser sur les notes et en les guidant pour qu’ils gagnent
en autonomie dans leur travail, nous contribuons à renforcer leur confiance en eux. Grâce à des
évaluations régulières non notées, ils peuvent d’ailleurs observer leurs progrès et prendre ainsi
conscience des marches qu’ils réussissent à franchir au fil du temps.
La plupart des enfants sont curieux et motivés à l’idée d’apprendre. L’entrée à la maternelle
commence d’ailleurs par des sentiments très positifs, malgré la peur de l’inconnu. Les petits sont
fiers de grandir et d’intégrer l’école, ce lieu si précieux du savoir. Puis les choses se dégradent et,
pour certains enfants, l’école devient une source d’angoisse ou de rejet. Les maths sont souvent les
grandes perdantes de cette évolution, comme si elles concentraient toutes les difficultés des
acquisitions de base. Et ce, d’autant plus qu’on explique très tôt aux enfants qu’il s’agit d’une matière
fondamentale pour la suite. Or, dans un système qui fait des maths la clé de l’avenir des élèves, celui
qui perd pied risque de penser que tout est joué pour lui, que sa réussite future est définitivement
compromise. Défaire ce cercle vicieux est fondamental ! Et c’est au cœur des préoccupations de D-
PhiAlpha.

Apprendre à travailler avec les autres


Faire en sorte que nos élèves progressent ensemble est également une de mes priorités. Ils sont
donc sensibilisés à l’entraide et au respect de l’autre, ce qui contribue à développer la confiance en
soi.
Le travail en groupe peut aussi inciter à voir comment les autres font. La comparaison peut agir
comme un moteur, si l’on prend soin de ne pas l’articuler sur des notes ou sur un classement. Car
une comparaison qui ne joue que sur la compétition contre les autres peut être catastrophique,
l’élève s’épuisant à vouloir être meilleur que X ou Y. En cas d’échec, il concentre son énergie sur un
questionnement stérile en se demandant pourquoi il n’a pas été le meilleur, avec un risque de
démotivation accru.
Chez D-PhiAlpha, nous refusons de mettre les élèves en compétition et encourageons au contraire le
dépassement de soi. Quand un élève voit ses camarades réussir un exercice en disposant des mêmes
outils que lui, il prend conscience qu’il peut le faire lui aussi. Remobilisé, il concentre alors son
énergie sur son cheminement personnel, afin de grandir et de s’améliorer !

Un rapport différent aux notes


Un élève qui a confiance en ses capacités, qui croit en lui, développe un rapport plus sain aux notes.
J’ai déjà évoqué le problème des notes, qui restent pourtant le critère de base pour évaluer le niveau
des élèves et qui leur ouvrent ou leur ferment des portes dans leur orientation, à la fin du collège,
puis dans l’accès aux études supérieures.
Seul un élève qui a confiance en lui peut dépasser cet effet pervers. À partir du moment où il a
travaillé, cherché à comprendre et donné le meilleur de lui, il peut être fier de sa réussite. À nous,
adultes, d’accompagner les élèves dans ce cheminement et de les encourager. Chez D-PhiAlpha,
nous voulons leur donner la possibilité de croire en eux, même quand ils rencontrent des difficultés
dans leur apprentissage. Nous dédramatisons donc les résultats aux contrôles pour mettre l’accent
sur d’autres critères de progression. L’apprenant n’est plus réduit à ses résultats scolaires et
redevient une personne, avec ses qualités et ses défauts. Nous préférons valoriser la compréhension
et la capacité de manipuler les outils de base des maths. Un élève concentré sur les notes qui rate un
devoir sur table a tendance à se dévaluer. À l’inverse, celui qui étudie pour comprendre aura
davantage envie de tirer parti des difficultés qu’il a rencontrées, par exemple en refaisant chez lui le
devoir pour voir ce qui lui a échappé.
Cette approche n’est pourtant pas un cap facile à tenir dans un environnement marqué par
l’obsession des notes et la recherche de l’efficacité. Cela n’est possible que si les parents sont alignés
sur cette façon d’envisager les apprentissages. C’est la raison pour laquelle, chaque fois qu’un élève
intègre D-PhiAlpha, je pose donc clairement les règles de notre structure : nous préparons les
enfants non pas en vue des contrôles, mais pour leur permettre de réfléchir, de comprendre les
notions, de se constituer un bagage, de manipuler les outils et de trouver du plaisir à faire des maths.
Quand les notes sont dédramatisées, les élèves peuvent envisager l’école comme une chance, se
motiver pour travailler, prendre du plaisir à faire des maths, découvrir la joie de comprendre et de
savoir faire, s’apercevoir qu’ils peuvent progresser, etc. Et les bonnes notes finissent par arriver.
Cela peut prendre un mois, deux mois, voire un peu plus pour certains. Mais nous n’avons jamais
senti que cela pouvait décourager nos élèves. Car le plaisir de comprendre et la confiance en soi
retrouvée n’ont pas de prix. Certains peuvent même se sentir désormais stimulés par une note
moyenne : « J’ai eu 10 alors que j’aurais pu avoir 14, parce que j’ai fait des erreurs bêtes ! La
prochaine fois, je prendrai le temps de me relire. » L’élève sent qu’il est enfin sur la bonne voie,
celle de la progression !
Je pense par exemple à Dora, l’une de mes premières élèves, arrivée avec un niveau moyen et qui a
très rapidement progressé. Trois ans plus tard, alors qu’elle suit des études de psychomotricité, elle
se souvient encore de mes explications et peut aujourd’hui aider ses petits frères.
Il y a aussi Karl, sans doute l’un des élèves les plus brillants que j’ai jamais eus, mais qui plafonne à
7 de moyenne en maths ! En classe, il aime surtout faire rigoler ses camarades. Un jour, dans un
contrôle, il doit calculer des angles en utilisant la trigonométrie, mais il trouve plus judicieux
d’utiliser son rapporteur. Il n’a pas tort, car c’est effectivement plus rapide ! Cette expérience m’a
fait comprendre que Karl n’avait pas intégré les codes de l’école, les règles du jeu. Il a d’ailleurs frôlé
la catastrophe : les enseignants voulaient l’orienter vers la voie professionnelle alors qu’il ne le
souhaitait pas. Nous avons fait appel et obtenu gain de cause. Après une terminale en spé maths et
maths experte, Karl a intégré une prépa en économie. Ce qui montre que les notes n’ont pas toujours
raison !

Une ouverture sur le monde du travail


Beaucoup d’élèves retardent le choix d’un métier parce qu’ils n’ont pas les informations nécessaires.
À force de tarder, ils ne choisissent pas vraiment leur orientation. Sur Parcoursup, ils mettront alors
un maximum de vœux parfois très différents en attendant de voir ce que la commission d’examen
des candidatures leur proposera.
Dans la majorité des cas, notre activité professionnelle résulte de nos choix d’orientation. Et cette
orientation se prépare très tôt. Je ne dis pas qu’il faut décider très jeune de son cursus, mais avoir
une idée de ce que l’on envisage comme carrière permet de faire des choix avisés tout au long de sa
scolarité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Éducation nationale a créé le parcours Avenir. Ce
dispositif propose aux élèves des activités qui les aideront à préciser leur parcours de formation et
leur projet personnel. Ils sont ainsi incités à chercher des informations sur les métiers et les
formations, à découvrir le monde professionnel, à développer leur sens de l’initiative, etc.
Mais comment cela se passe-t-il concrètement sur le terrain ? Alors que le parcours Avenir est mis
en place dès la sixième, on a de plus en plus d’élèves indécis au moment de choisir une orientation.
L’école tente tant bien que mal de trouver des solutions, par exemple en mobilisant des enseignants
pour animer des ateliers d’orientation (alors qu’ils n’y sont pas formés), mais ne semble pas réussir
à sensibiliser les élèves. Et là, une fois de plus, l’origine sociale fait la différence. Quand les parents
ignorent tout des filières supérieures, des options à privilégier, etc., les enfants découvrent souvent
trop tard (en classe de troisième, à l’occasion d’une réunion d’information sur l’organisation du
lycée), les options qui s’offrent à eux dans les années à venir et les filières auxquelles elles peuvent
conduire. Parcours Avenir est donc un projet qui tient la route sur le papier, mais qui reste peu
performant dans les faits. Car les choix d’orientation continuent de se jouer essentiellement hors de
l’école.
Chez D-PhiAlpha, nous avons donc décidé de proposer des conférences pour aider les choix
d’orientation. Il s’agit de visioconférences d’une heure qui se tiennent une fois par mois et où tous
nos élèves sont conviés, dès la sixième. Même si la participation n’est pas obligatoire, ces
conférences s’inscrivent dans le projet pédagogique, de notre petite « école ». Elles s’articulent
autour de deux axes : la stratégie d’orientation et la découverte de différents métiers.
Les premières sont conçues pour permettre aux élèves de comprendre leurs choix de spécialités au
lycée et leur éviter de faire des choix qui les pénalisent ensuite sur Parcoursup. Car les spécialités de
première et de terminale jouent un rôle important sur la chance d’être inscrit dans la filière de son
choix1. À l’occasion de ces conférences, les élèves peuvent aussi découvrir les meilleures stratégies
pour intégrer une filière scientifique, une école d’ingénieur, apprendre à faire la différence entre les
prépas intégrées et les prépas publiques, connaître les meilleures voies pour accéder aux écoles de
commerce, etc.
Quant aux conférences métiers, elles sont pour les élèves l’occasion de découvrir une activité
professionnelle à travers le témoignage de personnes qui la pratiquent. Qui mieux qu’un architecte,
un médecin, un journaliste peut expliquer son métier ? Ces personnes viennent évoquer ce qu’elles
font concrètement, ce qu’elles aiment, ce qui leur pèse, ce qui les fait vibrer. Elles expliquent ce qui
les a conduites à faire ce choix, les difficultés rencontrées sur leur parcours, leurs doutes, leurs
victoires.
Ces présentations sont gratuites pour les élèves, car les intervenants ne sont pas rémunérés. C’est un
pur moment d’échanges et de partage. Le format en visio facilite en outre l’organisation de ces
conférences, ainsi que la présence des élèves. Ce ne sont pas des « événements », car elles font
partie de leur environnement d’apprentissage chez D-PhiAlpha.
La présence des élèves de sixième à ces conférences donne lieu à de nombreuses questions. Que
peuvent-ils comprendre entre le BTS, le BUT, la licence, le master, le PASS, la LAS et autres
acronymes sibyllins2 ? Est-ce que ce n’est pas trop tôt ? Personnellement, je ne le crois pas, bien au
contraire. On sème ainsi des petites graines qui ne demandent qu’à lever. D’ailleurs, les élèves de
sixième ne sont pas les derniers à lever la main pour poser des questions, et la fraîcheur de leurs
demandes contribue à rendre l’ambiance plus légère et à ouvrir la discussion.
Pour chacune des conférences, nous faisons intervenir des personnes qui ont à cœur de partager
leur expérience. Et nous ne choisissons pas forcément des intervenants au parcours de « premier de
la classe ». Je tiens à diversifier les profils : hommes et femmes, scolarité chaotique ou trajectoire
sans écueil, personnes exerçant à Paris ou en banlieue… Leur point commun, c’est qu’ils ont tous le
sentiment d’avoir « réussi » et qu’ils peuvent ainsi convaincre les élèves que construire leur histoire
est à leur portée, s’ils en ont vraiment envie et qu’ils s’en donnent les moyens. Peut-être ces
témoignages susciteront-ils des vocations chez quelques-uns de nos élèves.
Ce qui fait la force de ces conférences, c’est précisément la dimension humaine. Quand j’étais au
collège, nous nous rendions régulièrement au CDI pour lire les fiches de l’Onisep. Mais tout cela
n’était que de la théorie. Je ne connaissais personne dans les métiers qui auraient pu m’attirer,
personne qui pouvait concrètement répondre à mes questions ou me raconter la réalité de son
activité. Les échanges directs sont précieux pour que les projets d’orientation puissent trouver une
assise concrète.
Notes
1. Sans surprise, outre le niveau scolaire et la mention au bac, le choix des maths et de la physique-
chimie augmente les chances de se voir proposer une formation sur Parcoursup.
2. BTS : brevet de technicien supérieur ; BUT : bachelor universitaire de technologie ; PASS :
parcours d’accès spécifique santé ; LAS : licence accès santé.
Conclusion

TOUS ENSEMBLE POUR FAIRE BOUGER


LES LIGNES

Le chemin qui m’a conduite à créer D-PhiAlpha ne fait sans doute pas de moi une experte des
questions éducatives et des structures scolaires, mais il m’a permis de pointer du doigt certains
dysfonctionnements du système actuel. Les constats posés dans la première partie de ce livre
montrent à quel point il devient urgent de trouver des solutions pour améliorer le niveau des élèves
en sciences et leur donner les moyens d’affronter les enjeux de demain. Il devient également vital
que tous les élèves, quel que soit leur sexe ou leur origine sociale, aient les mêmes chances face aux
études.
Mon propos n’est pas de désigner des responsables de la crise que l’école traverse, mais d’essayer
d’ouvrir une discussion apaisée et raisonnable qui permettrait de faire bouger les lignes.
Pour que l’école retrouve tout son sens, je crois qu’il est nécessaire de la faire exister autour de
valeurs communes, celles qui nous réunissent et nous rendent plus forts ! En effet, l’école n’est pas
un simple lieu d’apprentissage, elle rassemble autour d’elle les membres d’une même nation avec un
objectif commun : l’éducation, l’épanouissement, la réussite de nos enfants, qui sont la garantie
d’une société prospère. Liberté, égalité, fraternité… Vouloir augmenter le niveau des élèves sans
prendre en compte tout ce qui constitue l’école est voué à l’échec. La baisse du niveau général n’est
que la conséquence d’une école qui va mal.
Heureusement, la grande majorité des enseignants ont un réel désir de pousser leurs élèves à
donner le meilleur d’eux-mêmes. Car un bon pédagogue ne se définit pas uniquement par son
niveau académique, mais par son envie de transmettre et de voir les jeunes s’élever. Nous avons tous
en tête le souvenir d’un prof qui a tout changé pour nous, et je suis profondément convaincue
qu’enseigner est une mission magnifique. Pour toutes ces raisons, nous devons tout faire pour
rendre le métier d’enseignant de nouveau attractif. Trop souvent décriés, les professeurs sont
pourtant le socle de notre société future, notre base arrière. Si nous les perdons, nous perdons la
bataille d’une société plus juste et plus inclusive.
Les parents ont aussi un rôle à jouer en encourageant leurs enfants, en leur donnant les outils pour
qu’ils aient confiance en eux, en formant une équipe unie avec les enseignants. Croire en son enfant,
l’encourager à viser haut, ne pas briser ses rêves, lui donner les moyens de grandir et de déployer ses
ailes : tel est le rôle d’un parent.
Avec D-PhiAlpha, j’essaie à mon niveau d’agir sur certains leviers et je me dis parfois que le travail
que j’ai pu réaliser et dont j’ai rendu compte ici peut servir de base pour réfléchir à de nouvelles
options dans l’enseignement des sciences et l’accompagnement des élèves. Par exemple, je suis
persuadée que nos livres peuvent servir de support de travail pour un prof débutant. De même, le
protocole D-PhiAlpha qui limite la durée des explications et privilégie la pratique pourrait être
répliqué en classe dans des petits groupes. L’alternance entre exposés théoriques et manipulations
pour rythmer une séance et conserver l’attention des élèves, le choix d’un vocabulaire simple pour
rendre la matière moins effrayante sont autant d’outils dont j’ai pu vérifier l’efficacité et qui
pourraient également inspirer d’autres enseignants.
Mais plus qu’une méthode, D-PhiAlpha est avant tout un état d’esprit. En rendant compte de cette
aventure, j’ai surtout voulu montrer comment, d’observation en questionnement, j’ai tenté
d’inventer une manière de faire aimer les maths et de redonner confiance à des élèves fragilisés
dans leurs apprentissages. Je continue sans cesse d’explorer de nouvelles pistes, car je suis
convaincue que tout peut être amélioré par l’expérience. Et je suis persuadée qu’en unissant nos
forces, nous pourrons enfin faire bouger les lignes. Éducation nationale, enseignants, élèves et
parents, nous avons tous un rôle à jouer !
Avec ce livre, j’ai voulu poser les bases d’une réflexion qui ne demande qu’à se développer. D-
PhiAlpha apporte sa pierre à l’édifice, avec des moyens relativement faibles, beaucoup de matière
grise et un excellent capital humain. Je ne suis pas la seule à avoir développé une pédagogie
différente, et je suis convaincue que tous ces jalons posés ici ou là peuvent contribuer à une réflexion
et à une action collectives pour construire l’école de demain. Une école qui offrirait une réelle égalité
des chances, qui permettrait à tous d’accéder aux meilleures études. Pour y parvenir, nous devons
redonner toute sa place au savoir, mais aussi à un enseignement efficace et bienveillant, dans lequel
l’élève serait acteur de sa réussite.
REMERCIEMENTS

Merci à Hadj Khelil, mon époux, mon amour, un pilier dans ma vie. Pour l’écriture de ce livre, nous
avons poursuivi, parfois très tard dans la nuit malgré son épuisement, des conversions
interminables qui m’ont aidée à formaliser au mieux mon cheminement. À chaque étape de ma vie
de femme, il était là, m’a soutenue et a cru en moi. Je le remercie de tout mon cœur de
m’accompagner et de m’aimer.
Merci à Alexandre Jardin d’avoir été l’un des premiers à croire en ce projet. Son humanité, sa
sincérité, sa générosité m’ont surprise et me donne encore tant d’espoirs et de force pour
continuer !
Merci à Sarah Koegler et à Brigitte Leblanc, premières personnes du monde de l’édition à qui j’ai
raconté cette histoire. Une rencontre fondamentale qui m’a donné l’envie de la partager avec vous
dans un livre.
Merci à Élisabeth Darets, à Olivia Maschio Esposito et à Cécile Beaucourt qui m’ont écoutée avec
bienveillance au cours d’échanges enrichissants mêlant rires et émotions. Toutes les trois ont, par
leur talent, rendu ce livre possible.
Merci enfin à Alexandra Raillan et à Élisabeth Boyer, accompagnatrices d’écriture qui m’ont apporté
une aide si précieuse pour faire aboutir ce livre. À l’écoute et rassurantes, elles m’ont poussée dans la
réflexion et m’ont aidée à extérioriser une pensée parfois très intime pour la rendre plus claire à la
lecture.
Je ne pensais pas que j’étais capable d’écrire un livre, car c’était pour moi affaire de littérature.
Pourtant, avec l’aide, le soutien et la bienveillance de toutes ces personnes, ce livre est désormais
entre vos mains. Finalement, c’est comme avec les maths : avec la bonne méthode, du travail et de la
persévérance, tout est possible !

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