Le Neveu de Rameau Extraits

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Série I

Extrait 1
Lettre à Landois (Correspondance littéraire 1756.7.1)
Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu'il n’y a

point et qu'il ne peut y avoir d'êtres libres ; que nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre

général, à l'organisation, à l'éducation, et à la chaîne des événemens. Voilà ce qui dispose de

nous invinciblement. On ne conçoit non plus qu'un être agisse sans motif, qu'un des bras d'une

balance agisse sans l'action d'un poids ; et le motif nous est toujours extérieur, étranger,

attaché ou par une nature ou par une cause quelconque, qui n'est pas nous. Ce qui nous

trompe, c'est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'habitude que nous avons prise

tout en naissant, de confondre le volontaire avec le libre. Nous avons tant loué , tant repris,

nous l'avons été tant de fois, que c'est un préjugé bien vieux que celui de croire que nous et les

autres voulons, agissons librement. Mais s'il n’y a point de liberté, il n'y a point d'action qui

mérite la louange ou le blâme ; il n'y a ni vice, ni vertu, rien dont il faille récompenser ou

châtier. Qu'est-ce qui distingue donc les hommes ? La bienfaisance et la malfaisance. Le

malfaisant est un homme qu'il faut détruire et non punir ; la bien faisance est une bonne

fortune, et non une vertu. Mais, quoique l'homme bien ou malfaisant ne soit pas libre,

l'homme n'en est pas moins un être qu'on modifie ; c'est par cette raison qu'il faut détruire le

malfaisant sur une place publique. De là les bons effets de l'exemple, des discours, de

l'éducation, du plaisir, de la douleur, des grandeurs, de la misère, etc. ;

Extrait 2 (69-71)
Neveu de Rameau
MOI.
Qu’avez-vous lu ?
LUI.

J’ai lu et je lis, et relis sans cesse Théophraste, La Bruyère(品性论) et Molière.

MOI.
Ce sont d’excellents livres.
LUI.
Ils sont bien meilleurs qu’on ne pense ; mais qui est-ce qui sait les lire ?
MOI.
Tout le monde, selon la mesure de son esprit.
LUI.
Presque personne. Pourriez-vous me dire ce qu’on y cherche ?
MOI.
L’amusement et l’instruction.
LUI.
Mais quelle instruction ? car c’est là le point.
MOI.
La connaissance de ses devoirs, l’amour de la vertu, la haine du vice.
LUI.
Moi j’y recueille tout ce qu’il faut faire et tout ce qu’il ne faut pas dire. Ainsi quand je lis

l’Avare, je me dis : Sois avare si tu veux, mais garde-toi de parler comme l’avare. Quand je lis

le Tartuffe, je me dis : Sois hypocrite si tu veux, mais ne parle pas comme l’hypocrite. Garde

des vices qui te sont utiles ; mais n’en aie ni le ton, ni les apparences qui te rendraient

ridicule. Pour te garantir de ce ton, de ces apparences, il faut les connaître ; or, ces auteurs en

ont fait des peintures excellentes. Je suis moi et je reste ce que je suis, mais j’agis et je parle

comme il convient. Je ne suis pas de ces gens qui méprisent les moralistes ; il y a beaucoup à

profiter, surtout avec ceux qui ont mis la morale en action. Le vice ne blesse les hommes que

par intervalle ; les caractères du vice les blessent du matin au soir. [...] Au reste, n’allez pas

imaginer que je sois le seul lecteur de mon espèce ; je n’ai d’autre mérite ici que d’avoir fait,

par système, par justesse d’esprit, par une vue raisonnable et vraie, ce que la plupart des

autres font par instinct. De là vient que leurs lectures ne les rendent pas meilleurs que moi,

mais qu’ils restent ridicules en dépit d’eux ; au lieu que je ne le suis que quand je veux, et que

je les laisse alors loin derrière moi ; car le même art (artifice:人主动为之,vs. nature:被
动的顺应)qui m’apprend à me sauver du ridicule en certaines occasions, m’apprend aussi

dans d’autres à l’attraper heureusement. 我可笑与否都是我主动为之的,可笑是我的伪装,

这是我与其他人不一样的地方——Singulier

Série II
Extrait 3
Lettre à Landois (Correspondance littéraire 1756.7.1)
Nous recevons, dites-vous, la vertu comme le malade reçoit un remède, auquel il préférerait,

s'il en était cru, tout autre chose qui flatterait son appétit. Cela est vrai d'un malade insensé :

malgré cela-, si ce malade avait eu le mérite de découvrir lui-même sa maladie, celui d'en

avoir trouvé, préparé le remède, croyez-vous qu'il balançât à le prendre, quelque amer qu'il

fût, et qu'il ne se fit pas un honneur de sa pénétration et de son courage ? Qu'est-ce qu'un

homme vertueux? C'est un homme vain de cette espèce de vanité, et rien de plus. Tout ce que

nous faisons c'est pour nous ; nous avons l'air de nous sacrifier, lorsque nous ne faisons que

nous satisfaire. Reste à savoir si nous donnerons le nom de sages. ou d'insensés à ceux qui se

sont fait une manière d'être heureux, aussi bizarre en apparence que celle de s'immoler.

Pourquoi les appellerions-nous insensés, puisqu'ils sont heureux, et que leur bonheur est si

conforme au bonheur des autres ? Certainement ils sont heureux ; car, quoiqu'il leur en coûte,

ils sont toujours ce qui leur coûte le moins. Mais si vous voulez bien peser les avantages qu'ils

se procurent, et surtout, les inconvéniens qu'ils évitent, vous aurez bien de la peine à prouver

qu'ils sont déraisonnables.

Neuveu de Rameau
Extrait 4 (51-53)
LUI.
[...] à votre compte, il faudrait donc être d’honnêtes gens ?
MOI.
Pour être heureux, assurément.
LUI.
Cependant je vois une infinité d’honnêtes gens qui ne sont pas heureux et une infinité de gens

qui sont heureux sans être honnêtes.


MOI.
Il vous semble.
LUI.
Et n’est-ce pas pour avoir eu du sens commun et de la franchise un moment que je ne sais où

aller souper ce soir ?


MOI.
Oh non ! c’est pour n’en avoir pas toujours eu ; c’est pour n’avoir pas senti de bonne heure

qu’il fallait d’abord se faire une ressource indépendante de la servitude.


LUI.

只在乎生存资源,不在乎它的获得方式;现在这种生存方式对我来说是最舒适的

Indépendante ou non, celle que je me suis faite est au moins la plus aisée.
MOI.
Et la moins sûre et la moins honnête.

LUI. 重要的是我能否获得资源,我要的就是生存

Mais la plus conforme à mon caractère de fainéant, de sot, de vaurien.

MOI. 助产术式的对话不奏效

D’accord.
LUI.
Et puisque je puis faire mon bonheur par des vices qui me sont naturels, que j’ai acquis sans

travail, que je conserve sans effort, qui cadrent avec les mœurs de ma nation, qui sont du

goût de ceux qui me protègent, et plus analogues à leurs petits besoins particuliers que des

vertus qui les gêneraient en les accusant depuis le matin jusqu’au soir, il serait bien
singulier ( vs.naturel ) que j’allasse me tourmenter comme une âme damnée pour me

bistourner et me faire autre que je ne suis ; pour me donner un caractère étranger au mien, des

qualités très-estimables, j’y consens pour ne pas disputer, mais qui me coûteraient beaucoup à

acquérir, à pratiquer, ne me mèneraient à rien, peut-être à pis que rien, par la satire continuelle

des riches auprès desquels les gueux comme moi ont à chercher leur vie. On loue la vertu,

mais on la hait, mais on la fuit, mais elle gèle de froid, et dans ce monde il faut avoir les pieds

chauds. Et puis cela me donnerait de l’humeur infailliblement ; car pourquoi voyons-nous si

fréquemment les dévots si durs, si fâcheux, si insociables(虔敬的人无法与顺应天性的人

沟通) ? C’est qu’ils se sont imposé une tâche qui ne leur est pas naturelle ; ils souffrent(德

行是一种 souffrance), et quand on souffre on fait souffrir les autres(自己受累,让他人幸

福的人是圣人 saint;言下之意是问 Moi 是否是圣人,只有圣人有资格向我说教道德) :

ce n’est pas là mon compte ni celui de mes protecteurs ; il faut que je sois gai, souple,

plaisant, bouffon, drôle. La vertu se fait respecter, et le respect est incommode ; la vertu se fait

admirer, et l’admiration n’est pas amusante. J’ai affaire à des gens qui s’ennuient, et il faut

que je les fasse rire. Or c’est le ridicule et la folie qui font rire, il faut donc que je sois ridicule

et fou, et quand la nature ne m’aurait pas fait tel, le plus court serait de le paraître.

Heureusement je n’ai pas besoin d’être hypocrite ;

没有必要伪装。这与 extrait2 产生矛盾,可笑到底是顺其自然还是有意为之?我是异于

常人的存在还是与整个民族别无二致?Lui 游走在智者与疯人之间,他的不自洽性就体

现在此。当你以为他大智若愚时,他会告诉你,我就是愚人。他是贤疯,是闪耀着智

慧的疯。
 人们行善是为了满足自身需求,不失为一种世俗化的、资产阶级市民

(bourgeois)主导的道德普遍化的可能性——建立在自我满足基础上的道德观

 虚荣(vanité)不是贬义词,自我满足不可耻

Extrait 5 (76-77)
LUI.
[...] il me passa par la tête une pensée funeste, une pensée qui me donna de la morgue, une

pensée qui m’inspira de la fierté et de l’insolence ; c’est qu’on ne pouvait se passer de moi,

que j’étais un homme essentiel. 一般说 besoin essentiel,很少用 essentiel 形容人,在你看

来是奴役与被奴役的关系中,主人似乎离不开我,因为我是满足他人生存需求的一部

分,我成为了他人的生存必需品、基础品,我有不可替代的价值——在某种异化中重

建自己的价值,并以异化为荣

MOI.
Oui, je crois que vous leur êtes très-utile, mais qu’ils vous le sont encore davantage. Vous ne

retrouverez pas, quand vous voudrez, une aussi bonne maison ; mais eux, pour un fou qui leur

manque, ils en retrouveront cent.


LUI.

破防了!疯子是把你气疯,但是他自己急了,他有在乎的东西——自己是否独一无二

Cent fous comme moi ! monsieur le philosophe ; ils ne sont pas si communs. Oui, des plats

fous. On est plus difficile en sottise qu’en talent ou en vertu. Je suis rare dans mon espèce,

oui, très-rare. À présent qu’ils ne m’ont plus, que font-ils ? ils s’ennuient comme des chiens.
Série III
Neveu de Rameau
Extrait 6 (71-72)
LUI.
[...] dans un sujet aussi variable que les mœurs, il n’y a rien d’absolument, d’essentiellement,

de généralement vrai ou faux ; sinon qu’il faut être ce que l’intérêt veut qu’on soit, bon ou

mauvais, sage ou fou, décent ou ridicule, honnête ou vicieux. Si par hasard la vertu avait

conduit à la fortune, ou j’aurais été vertueux, ou j’aurais simulé la vertu comme un autre ; on

m’a voulu ridicule et je me le suis fait ; pour vicieux, nature seule en avait fait les frais.

Quand je dis vicieux, c’est pour parler votre langue, car si nous venions à nous expliquer, il

pourrait arriver que vous appelassiez vice ce que j’appelle vertu, et vertu ce que j’appelle

vice.

Extrait 7 (108-109)
LUI.
de l’or, de l’or ; l’or est tout, et le reste, sans or, n’est rien.
[...]
LUI.
[...] En répondra qui pourra ; je veux que mon fils soit heureux, ou, ce qui revient au même,

honoré, riche et puissant. Je connais un peu les voies les plus faciles d’arriver à ce but et je les

lui enseignerai de bonne heure. Si vous me blâmez, vous autres sages, la multitude et le

succès m’absoudront. Il aura de l’or, c’est moi qui vous le dis. S’il en a beaucoup, rien ne lui

manquera, pas même votre estime et votre respect.

Mélanges philosophiques, historiques, etc. rédigés à St-Pétersbourg pour Cathrine II


Extrait 8
Série IV
Neveu de Rameau
Extrait 9 (71)
Il n’y a pas de meilleur rôle auprès des grands que celui de fou. Longtemps il y a eu le fou du

roi en titre, en aucun il n’y a eu en titre le sage du roi. Moi, je suis le fou de Bertin et de

beaucoup d’autres, le vôtre peut-être dans ce moment, ou peut-être vous le mien(我们互为

疯人) : celui qui serait sage n’aurait point de fou ; celui donc qui a un fou n’est pas sage ;

s’il n’est pas sage il est fou ; et peut-être, fût-il le roi, le fou de son fou.

 离开了我,他们就像无聊的狗。在你看来“独立”的人,却离不开我这样的疯人。

 没有谁可以救赎谁

Réfutation d’Helvétius
Extrait 10
je suis convaincu que dans une société même aussi mal ordonnée que la nôtre, où le vice qui

réussit est souvent applaudi, et la vertu qui échoue presque toujours ridicule, je suis

convaincu, dis-je, qu’à tout prendre, on n’a rien de mieux à faire pour son bonheur que d’être
un homme de bien ; c’est l’ouvrage, à mon gré, le plus important et le plus intéressant à faire,

c’est celui que je me rappellerais avec le plus de satisfaction dans mes derniers moments.

C’est une question que j’ai méditée cent fois et avec toute la contention d’esprit dont je suis

capable ; j’avais, je crois, les données nécessaires ; vous l’avouerai-je ? je n’ai pas même osé

prendre la plume pour en écrire la première ligne. Je me disais : Si je ne sors pas victorieux de

cette tentative, je deviens l’apologiste de la méchanceté : j’aurai trahi la cause de la vertu,

j’aurai encouragé l’homme au vice.

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