Noubissie Outre - 1631-0438 - 2007 - Num - 94 - 354 - 4262
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Mä Tchouake Noumbissie. La construction de l'imaginaire socio-politique bamiléké et les prémices de la rébellion dans l'Ouest-
Cameroun. In: Outre-mers, tome 94, n°354-355, 1er semestre 2007. L'URSS et le Sud. pp. 243-269;
doi : https://doi.org/10.3406/outre.2007.4262
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2007_num_94_354_4262
Abstract
The aim is to understand the socio-political mechanisms that took place in the bamiléké region, a
region where many bloody events took place and this events had toput a weight in the socio-political
history of Cameroon between 1955 and 1970. Analyses of the bamiléké society and its civilisation
brings forth certain elements that puts us in contact with some aspects of the developped world. This
permits us to expose some conditions under which this peaceful groups of people went through using a
slow process that finally ended up to a violent protestation. We have also realised that colonial masters
used physical and psychological methods to exploit all those who originated from the bamiléké area,
thus facilitating the implantation of a communautarisation System that later justified the main cause of
the " bamiéké problem ". The links that existed between the colonial entrepreneur masters who were
living in the Mungo valley and the bamiléké immigrants together with the born bread and buttered
population was competitive and even conflictious in most of the time, ended up reinforcing the
principles of a specifique logical colonial system. This unwanted System imposed by the colonial
masters used to be the main reasons of the collectives grievences in the bamiléké chieftences.
However due to a succesful syndicat formed by small group of farmers (ajfiliated to the french CGT)
and later on in association with Kumzse, came up the ideas thatfinally was in a gradual acceptance in
all the bamiléké traditional structures.
La construction de l'imaginaire socio-politique
bamiléké et les prémices de la rébellion nationaliste
dans l'Ouest- Cameroun
NOUMBISSIE MàTCHOUAKE
est-il que cette tendance posait déjà les premiers éléments de la future
« colonisation » I2 du Mungo par les Bamiléké. Loin d'être des
« conquistadores » à l'assaut des autochtones, ceux-ci s'imposèrent
aux différentes étapes proposées par la nouvelle société.
Après les réserves « indigènes » aménagées aux abords des lignes de
chemin de fer, ils occupèrent sans arrogance les places laissées vacantes
par les autochtones comme par les colons européens. Ayant analysé la
société bamiléké dans les hauts plateaux, l'ethnologue Jean Hurault
constatait que dans le Mungo :
« Le comportement socio-économique des migrants bamiléké ne renvoie pas
à une essence ethnique, à une nature innée, mais à un type de société où la
plupart des statuts ne sont pas donnés par la naissance, mais acquis par les
initiatives individuelles » 13.
Si le développement économique et social des Bamiléké avait
troublé les normes de la situation coloniale, il contrariait
les objectifs coloniaux dans cette région où se concentrait
des intérêts économiques du Cameroun J4.
Le Mungo et les environs du Mont Cameroun occupaient déjà une
place de choix dans le dispositif colonial allemand. On pouvait
que, dès 1895, la douceur du climat qui y régnait avait fait de ces
lieux l'espace par excellence de la colonisation européenne. Marc
Michel, citant les termes du rapport des milieux d'affaires de
qui avaient amené Bismarck à intervenir au Cameroun,
qu'il avait été question, dans un premier temps, d'installer dans la
région un sanatorium r5. Cette réalisation n'aboutit pas, car outre ses
conditions climatiques, le Mungo se situait dans une région très fertile.
La qualité de la terre, qui faisait valoir d'énormes avantages
dans la création des plantations, relégua les ambitions d'une
quelconque colonisation de peuplement. Au lendemain de la Première
Guerre mondiale, les Français héritèrent ainsi d'une région privilégiée
traversée par une ligne de chemin de fer et économiquement viable.
Durant plusieurs années, au rythme de multiples concessions foncières
ponctuées par l'encouragement à l'installation de colons européens,
l'ambition française était de faire de cette région une colonie modèle l6.
En intensifiant la création des plantations nécessitant une main-
12. Gabriel Hamani, op. cit, 1967 et Jean Louis Dongmo, op. cit., 1981, après les
allusions des autochtones et des administrateurs sur la volonté de domination des
Bamiléké, A.P.A. 11965/A, conseil des notables de la région du Mungo 1927-1938 ; ils
utilisent ce terme pour souligner la présence massive des Bamiléké dans les activités
agricoles.
13. Jean Hurault, « Essai de synthèse du système social des Bamiléké » Africa, n° 1,
vol XL, janvier 1970.
14. Cf. Odile Chatap-Ekindi op. cit. p. 216.
15. Marc Michel, « Les plantations allemandes du Mont Cameroun », Revue française
d'Histoire d'Outre-mer, LVIL 1969, n° 207, p. 185.
16. Voir note du Haut commissaire Bonnecarrère, AOM. Agence FOM. 970 dossier
6
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17. ADD. Rapport annuel du chef de circonscription Ripert. 6 septembre 1925. Voir
aussi la lettre du Haut-commissaire Marchand et les notes du Haut-commissaire
dans les AOM. Agence FOM. (970. dossier 3316).
18. APA 12562 Rapport annuel de la subdivision de Mbanga 1942.
19. Dans une lettre adressée au chef de la circonscription de Nkongsamba, le
général du commissaire de la République dénonçait « les attitudes d'oppositions
systématiques » à ce que les autochtones appelaient « les indemnisations arbitraires ».Voir
AOM. Agence FOM. C. 970 document cité. .
20. On constatait de nombreux procédés d'échanges de terres contre divers services.
On notait aussi des situations de cupidités, de naïvetés et de ruses qui suscitèrent de
longues périodes de tensions. Voir les analyses de Jean Louis DONGMO op. cit p. 269 ; de
Jules Kouosseu, op. cit., p. 77, et Odile Chatap-Ekindr, op. cit., p. 181.
21. Jules Kouosseu, Odile Chatap-Ekindi, op. cit., pour ne citer que ceux qui ont centré
leurs travaux d'histoire sur la région du Mungo.
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24. APA 11965/A conseil des Notables de la région du Mungo 1927- 193 8.
25. Ibid. conseil des Notables du 21 juin 1937.
26. La composition de la société coloniale du Mungo faisait apparaître très peu de
colons. Les responsables des exploitations agricoles étaient généralement des employés
des sociétés métropolitaines. A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, on comptait
une poignée de colons pour une centaine de concessions européennes.
27. Dans cette région, il est aisé de regrouper sous le terme de coloniaux, ces « petits
blancs » employés des exploitations coloniales et les agents de l'administration.
CONSTRUCTION DE L'IMAGINAIRE SOCIO-POLITIQUE BAMILÉKÉ 251
preuves sous d'autres cieux 28. Si l'on pouvait parfois enregistrer des
crispations concernant les difficultés pour les autochtones à maintenir
inaliénables les parcelles, les véritables tensions provenaient de la
volonté de contenir les Bamiléké. Pour atteindre cet objectif,
coloniale devait, d'une part, maintenir la main d'œuvre
bamiléké dans les plantations et, d'autre part, entretenir la docilité des
autochtones dans le but de contrecarrer les revendications bamiléké.
Les administrateurs coloniaux du Mungo faisaient constamment
part de leurs inquiétudes face à la pression des Bamiléké. Ils
que « ce n'était plus qu'une question de temps avant que les
Bamiléké remplacent les blancs » 29. Au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale, malgré les nombreuses mesures discriminatoires et
parfois répressives, l'omniprésence bamiléké sur le terrain économique
et social était remarquable. L'importance démographique et la
des immigrés bamiléké expliquaient en partie cette occupation de
l'espace. En nous limitant aux données fournies pour les exploitations
agricoles de grandes et moyennes superficies, on pouvait constater
qu'entre 1945 et 1954, les Bamiléké représentaient plus de 85 % de la
main-d'œuvre 3°. Dans les deux grands secteurs d'activités, à savoir la
culture du café et de la banane, les Bamiléké constituaient 96 % des
manœuvres dans les bananeraies de Melong, 91 % dans les plantations
de café de Nkongsamba comme de Loum. Très peu nombreux dans le
sud de la région, ils constituaient tout de même 69 % des travailleurs
dans le secteur de Mbanga et des environs 31.
Le renforcement des mesures de contraintes durant la Deuxième
Guerre mondiale, notamment la forte collaboration entre les
coloniaux ayant assumé durant cette période les tâches
et les chefs traditionnels du pays bamiléké, avait donné à la
présence des travailleurs bamiléké dans le Mungo un autre caractère.
Nonobstant l'importance des désertions dans les exploitations privées
et publiques, qui entraînaient certains Bamiléké vers les centres urbains
(Douala, Yaoundé...), il devenait de plus en plus périlleux pour les
fuyards de rentrer dans leur chefferie. La multiplication des mesures de
rétorsion à l'encontre des chefs complaisants, ou mieux le zèle de
certains, avait ainsi favorisé l'installation d'une majorité de travailleurs
occasionnels dans le Mungo 32. Ces circonstances n'avaient pas entamé
la détermination et l'esprit d'indépendance des Bamiléké. Elles avaient
beaucoup plus contribué à révéler leur personnalité.
28. Voir les analyses de Isabelle Merle, « la construction d'un droit foncier colonial. De
la propriété
2e tr. 1998. collective
Elle souligne
à la constitution
notamment desla mise
réserves
sur pied
en Nouvelle-Calédonie
des réserves d'indigènes
», Enquête,
en
Nouvelle- Calédonie et en Algérie.
29. A.P.A. 10005 /A Rapport annuel, circonscription de Nkongsamba 1947.
30. Voir 2 AC. 7767 Mungo situation sociale 1940-1954. ANY.
31. 2 AC 7767 document cité.
32. APA. 10388/ B, « Inspection générale. Rapport de mission d'inspection dans les
régions Bamiléké, Bamoun et Mungo ».
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33. Voir les références et les analyses de Claude Tardits, i960, op. cit.
34. Voir le développement fait par Léon Kaptue, op. cit.
35. Ibid. p. 179.
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36. Voir pour plus d'informations le travail de Odile Chatap-Ekindi, op. cit.
37. 2 AC 7764 Document cité.
38. APA 11965/ A Document cité.
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Monthé, Isaac Djomo et Pierre Pounde, elle avait permis de remuer les
souvenirs des exactions allemandes et de faire le bilan des années
passées sous l'administration française. La nouveauté de ces réunions
dites politiques, où l'on ne venait pas uniquement écouter les
du chef de subdivision, fut pourtant l'occasion pour certains
d'adresser les griefs à rencontre de la politique agricole de
coloniale. Dans l'ensemble, les représentants bamiléké de
l'administration coloniale venaient ainsi exhorter les populations à
s'engager massivement pour faire « reculer le péril allemand » et faire
triompher « le camp de la liberté » représenté par la France 52.
Pour les nombreux Bamiléké, qui s'étaient précipités aux réunions de
la JEUCAFRA, leur futur engagement dans la guerre avait une double
signification. Sans beaucoup de conviction, malgré les griefs à l'encon-
tre de l'administration française, ils voulaient faire barrage à toutes
ambitions colonialistes allemandes. Dans un second mouvement, ils
souhaitaient montrer leur capacité à défendre l'intégrité de leur « Mère-
patrie » et ainsi faire comprendre à la France la nécessité de vivre libres.
L'intérêt de ces allégations venait du fait qu'elles ne cachaient pas l'élan
de solidarité populaire à l'égard de la France, et encore moins les
ambitions de liberté de la masse bamiléké. La participation des
Bamiléké fut à la hauteur de leur importance démographique 53. Nous
retiendrons tout de même que l'ampleur des dons et des gestes de
sympathie, généralement initiés par quelques chefs et notables zélés 54,
permit ce commentaire du chef de la Région bamiléké dans une
adressée le 21 juin 1940 au Haut-commissaire.
« Les Bamiléké viennent de prouver d'une façon tangible et avec une
de sentiments véritablement fraternels leur dévouement à l'égard de la
Mère-patrie et leurs espoirs en ses destinées... Un tel geste venant du cœur
même des hommes de ce pays est un puissant réconfort » 55.
voulaient pas s'aligner sur les positions coloniales. Nous approfondirons cette analyse en
abordant les partis politiques dans le pays bamiléké dans notre deuxième partie.
52. C/APA. 10400/ A Recrutement des volontaires.
53. C/APA. 10400/A Document cité et A.P.A 11324/B Effort de guerre. Nous
pas sur les détails de l'engagement matériel et humain des Bamiléké. Nous
reconnaissons qu'il a été l'objet de nombreux travaux entre autre la thèse d'histoire de
Léonard SAH, Le Cameroun sous mandat français dans la Deuxième Guerre mondiale.
i939-T945- Aix en Provence, 1998.
54. Les chefs Kamga Joseph (Bandjoun) Nana Jean (Bangoua), et Njike (Bangangté)
s'illustrent déjà durant cette période. Cf. APA 10400/A op. cit.
55. APA. 10400/A, Recrutement des volontaires.
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56. En signant avec les Britanniques en 1941 un accord prévoyant l'achat de la totalité
de sa production, forme d'aide aux possessions françaises, l'administration du Cameroun
passait de fait entre les mains des planteurs européens qui organisèrent à leur guise
l'exploitation de la main-d'œuvre. Les Français, dispensés de service militaire pour cause
d'activité agricole, firent fonction d'administrateurs suppléants. Voir Richard Joseph, Le
mouvement nationaliste, op. cit., p. 69.
57. AP IL/27, P- Boisson, " Compte rendu de tournées et prise de commandement "
Yaoundé, 15 juin 1937.
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63. Richard Joseph, Le mouvement nationaliste, op. cit. p. 81-91, fait état de véritables
scènes de massacres dans les rues de Douala. Les colons armés de mitraillettes tentant de
mettre fin à une grève des cheminots de la CGT. Pour plus de détails sur ces événements
voir aussi Gaston Donnât, Afin que nul n'oublie, Paris, L'Harmattan, 1986 et Richard
Joseph, « Settlers, strikers and sans travail : the Douala riots of september 1945 », Journal
ofAfrican History, XV, 4, 1974.
64. Certains témoignages soulignent la brève existence du Syndicat Chrétien affilié à
la CFTC et dirigé par le nommé Domfang Boniface en 1946. Cf. Les renseignements
fournis par Momo Grégoire de Dschang cités par Emmanuel Lockncha Dentou, Action
syndicale et formations politiques dans l'Ouest Cameroun, Mémoire de Maîtrise en Histoire,
Université de Yaoundé, 1985, p. 45.
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69. Léon Kaptue, 1998, op. cit., considère que les mouvements associatifs modernes
ont troublé la quiétude des chefferies bamiléké en y introduisant la contestation.
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75. Voir les analyses d'Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La
1996.
76. Le dicton « le vendeur d'œuf ne provoque pas la bagarre au marché » était très
répandu dans les instances traditionnelles bamiléké et guida toujours leurs rapports avec
les coloniaux.
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77. Cette expression prendra parfois les accents de « peuple » surtout lors des
politiques de l'UPC dans l'Ouest-Cameroun. Le terme « pays bamiléké » s'imposera
et sera plus expressif dans cette mise en relief.
78. Nous n'avons pas insisté sur l'Union Régionale des Syndicats Confédérés du
Bamiléké. En 1950, cette structure naîtra sur les cendres du SPP à une période où
foisonnent les mouvements et structures de contestations dans le pays bamiléké. Elle
mènera un combat contre les abus de l'administration dans un environnement plus
serein.
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