Cahiers d'études africaines

Le Mali socialiste (1960-1968).

Monsieur Jean-Loup Amselle

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Amselle Jean-Loup. Le Mali socialiste (1960-1968).. In: Cahiers d'études africaines, vol. 18, n°72, 1978. pp. 631-634;

doi : https://doi.org/10.3406/cea.1978.2372

https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1978_num_18_72_2372

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 CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

JEAN-LOUP AMSELLE

Le Mali socialiste 1960-1968)*

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Deux livres parus récemment mais malheureusement en anglais permettent

apporter quelques lumières sur cette période mal connue de histoire du Mali
et qui prête en raison des options idéologiques des dirigeants alors de nom
breuses controverses crits dans des perspectives différentes ces deux ouvrages
très bien documentés et fondés sur des enquêtes personnelles remettent partielle
ment en cause image pinal de gauche un bon régime socialiste malien opposé
un mauvais régime militaire et illustrent au contraire une certaine continuité
entre les deux systèmes
ouvrage de William Jones au-delà de son titre constitue un véritable
bilan du Mali socialiste tel il existé de 1960 1968 Le premier chapitre traite
de histoire du Mali précolonial et colonial auteur aurait pu abstenir de nous
livrer ce passage car il ne nous apprend pas grand-chose que nous ne sachions déjà
et alourdit inutilement le livre par ailleurs assez volumineux
Le second chapitre est consacré état de économie en 1959 auteur décrit
la structure sociale du Soudan en opposant les masses rurales aux habitants des
villes étude des classes sociales est entreprise uniquement partir de la consom
mation et dans le chapitre aucune mention est faite des commer ants dont le
rôle économique et politique pourtant été considérable notamment en ce qui
concerne essor du RDA dans les campagnes Le chapitre définit les principales
caractéristiques du plan malien 1961-1966 Il insiste sur impréparation des pré
parateurs et montre bien les objectifs politico-économiques des dirigeants socialistes
ainsi que leur vision de la réalité sociale malienne en particulier pour ce qui est des
zones rurales Ainsi la priorité accordée Office du Niger en matière investisse
ment agricole de même que la politique menée la campagne en général sont révé
latrices de la fa on dont les leaders alors percevaient le milieu paysan On le sait
est la doctrine du socialisme africain qui prévalait ce moment-là Selon cette
théorie le pouvoir était censé utiliser les traditions entraide supposées des
communautés villageoises le communisme primitif parfois oblitérées par des
influences féodales et coloniales pour réaliser accumulation socialiste Cette

propos des livres de William JONES Planning and Economie Policy

Socialist Mali and its Neighbors Washington Three Continents Press 1976 422 p.
et de Klaus ERNST Tradition and Progress in the African Village The Non-Capi
talist Transformation of Rural Communities in Mali London Hurst 1976 262
Précisons il est pas question pour nous de nous substituer aux militants
maliens dans ce travail de réflexion Disons simplement étant donné notre place
dans appareil universitaire il nous est plus facile de collecter information et de la
signaler aux intéressés

Cahiers tudes africaines 72 XVII1-4 pp 631-634

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approche Jones le met en évidence négligeait le fait que les villages ne fonc
tionnaient pas comme des unités de production et mettait de côté les entités poli
tiques chefferie tat dont faisaient partie les communautés rurales époque
précoloniale ce propos Jones pèche un peu par défaut car on parfois impres
sion il considère la chefferie bambara kafo comme une création du colonisateur
Or ces chefferies ont une existence très ancienne et ont servi parfois instruments
idéologiques la résistance paysanne par exemple au cours de la révolte de
Ouolossébougou en juin 1968
Bref dans une perspective léniniste les dirigeants maliens estimaient que
Office du Niger création coloniale par excellence en tant que forme agri
culture moderne était une base de départ pour la construction du socialisme tandis
que le reste de la paysannerie sauvage est-à-dire bonne mais conservatrice
devait être encadré pour être finalement collectivisé
Cette conception de la réalité sociale malienne était évidemment intéressée
elle permettait la bourgeoisie tat de se constituer en tant que classe Le pro
cessus de formation de cette classe est rendu manifeste notamment par le peu de
cas que le pouvoir fait du plan et par sa propension opérer des investissements
apparemment inutiles et somptueux mais qui en fait lui permettaient de se
développer est-à-dire de créer des emplois pour ses clients chapitre Cette
politique parce elle suppose des dépenses et des frais de fonctionnement consi
dérables aboutit rapidement une résistance passive de la paysannerie Celle-ci
après enthousiasme de indépendance ne voit pas de différence entre la période
coloniale et le régime socialiste Les chapitres et sont sans doute cet égard
les passages les plus intéressants de ouvrage de Jones Celui-ci montre bien que les
coopératives ne semblent pas différentes dans la conscience paysanne des Sociétés
indigènes de prévoyance de la période coloniale instar de ces dernières elles
sont per ues comme étrangères et exploiteuses et disparaissent totalement après
le coup tat
propos des champs collectifs Jones fait remarquer que leur institution date
de la colonisation où sa faillite Bien que cette idée ait été souvent avancée elle
est pas tout fait exacte car on connaissait le champ du faama au ur du
royaume de Segu et ceux de almami dans les régions soumises Samori Par consé
quent on ne peut expliquer échec de cette institution pendant la période consi
dérée par le fait elle ait été uniquement per ue comme la continuation du
champ du commandant Cependant existence des champs collectifs précolo
niaux renforce la thèse de Jones car elle était véritablement ressentie comme une
forme extorsion et provoqué dans certains cas des révoltes contre Samori
par exemple
Autre point faible de argumentation de Jones celui relatif aux effets de la
politique socialiste malienne égard des prix Jones constate une baisse des prix
la production et une hausse du prix des biens de consommation courante la
campagne Il en déduit un prétendu repli vers autosubsistance Pourtant
nombre de phénomènes décrits par auteur vont encontre de cette idée re ue
Ainsi le développement de la contrebande et du trafic accentuation des migra
tions et accroissement de la culture du coton notés par Jones ainsi que impor
tance du commerce clandestin de mil que nous avons pu constater dans la région
de Ouolossébougou sont autant de signes que la paysannerie malienne avait inté
gré le capitalisme comme une des conditions de son propre fonctionnement
De même il est permis de se demander si les erreurs techniques commises
en matière agricole par les dirigeants maliens ne sont pas en fait la manifestation
de décisions politiques prises par une bourgeoisie tat naissante En témoigne
analyse faite par la classe dirigeante du Mali rural comme réservoir de main-
uvre ceci en parfaite continuité avec la période coloniale Dans le dernier
chapitre Jones montre bien que le développement un secteur tat par les
dirigeants socialistes maliens abouti en fait aggraver la dépendance du pays
par rapport extérieur
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la différence de ouvrage de William Jones celui de Klaus Ernst est prin

cipalement centré sur étude de la paysannerie pendant la période socialiste
Klaus Ernst essaie de repérer les facteurs qui au sein du milieu rural malien ont
freiné ou au contraire favorisé instauration une voie non capitaliste de déve
loppement De même que William Jones il met en lumière idéalisation du milieu
rural par des dirigeants comme Seydou Badi Kouyate ou Modibo Keitä Leur
vision idyllique une communauté rurale malienne egalitaire est taxée par Klaus
Ernst de populiste alors il nous semble plus juste de la rapprocher de celle de
Senghor et de toute une génération intellectuels africains marqués par le courant
de la négritude Klaus Ernst en bon léniniste en profite pour régler au passage
ses comptes avec le maoïsme et pour insister sur le fait que la paysannerie ne consti
tue pas une classe révolutionnaire Pour lui la paysannerie malienne engluée dans
des traditions archaïques est par essence réactionnaire seule intelligentsia et
dans une certaine mesure la classe ouvrière sont des forces de changement Les
structures traditionnelles du milieu rural sont per ues par auteur comme des
phénomènes négatifs des instruments contre-révolutionnaires qui font obstacle
alliance entre les révolutionnaires démocrates et la paysannerie jamais
comme des moyens de résistance tat et la politique il met en place Ce
est que dans la mesure où le paysan réussit se libérer du carcan des coutumes
une voie de développement non capitaliste peut être mise en uvre sous aile
éclairée de intelligentsia révolutionnaire Autrement dit le paysan ne constitue
un élément positif que pour autant que son comportement se moule sur le désir
du révolutionnaire dans le cas contraire il devient un facteur de régression
Jamais le paysan est envisagé pour lui-même jamais ne sont prises en considéra
tion ses aspirations les plus immédiates
Toutefois il est possible de faire une autre lecture de ce livre en recensant les
points sur lesquels il opère une rupture avec le marxisme officiel est notamment
le cas lorsque auteur met en relation échec des coopératives avec apparition
une bourgeoisie bureaucratique qui méprise les paysans et les exploite Là comme
le montre Klaus Ernst réside la véritable raison de échec du régime socialiste
Ce rapport de classes et oppression qui en résulte sont en effet origine de la
baisse de la commercialisation des céréales phénomène qui provoque le déséqui
libre financier des années 1960
partir de 1967 comme indique Klaus Ernst des mesures en faveur de la
paysannerie sont prises mais elles sont compromises selon lui par la gauche
qui veut réaliser la collectivisation des campagnes En fait cette distinction une
gauche et une droite au sein du régime socialiste malien est purement for
melle car il est bien évident que les deux tendances communient dans une même
mystique celle du développement
En ce qui concerne la caractérisation des modes de production précoloniaux
la position de Klaus Ernst est assez faible dans la mesure où il reste attaché
orthodoxie nouvelle manière celle du mode de production asiatique esclavage
est pas pris en considération et la chefferie est pas liée organiquement au système
économique villageois
Pour la période actuelle auteur insiste juste titre sur importance de la
petite production marchande mais on ne sait trop pourquoi il rattache celle-ci
existence des petits producteurs indépendants des zones avancées opposés de
fa on arbitraire aux familles étendues autosubsistantes des régions arriérées Or
le caractère marchand de la petite production agricole ne dépend pas directement
de la taille de unité de production qui au demeurant est souvent faible dans les
zones les moins développées Mais on voit bien où Klaus Ernst veut en venir en
développant cette idée il considère en effet que le petit producteur marchand indé
pendant libéré des contraintes lignagères est allié privilégié de intelligentsia
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révolutionnaire est lui qui inscrit naturellement dans le cadre des coopératives
et qui permet donc orienter le Mali dans la voie du développement non capitaliste
Or on assiste inversement une alliance de plus en plus étroite entre les
commer ants et les petits producteurs marchands et la renaissance de la chefferie
qui vient parasiter toutes les institutions politiques et économiques mises en place
par le parti Ces phénomènes que Klaus Ernst attribue la persistance de la tradi
tion le titre de ouvrage en témoigne ne peuvent notre sens être correcte
ment interprétés que ils sont replacés intérieur du couple oppression étatique
résistance paysanne Plus le poids de la bourgeoisie tat se fait sentir et plus la
paysannerie tend nouer une alliance tactique avec les commer ants et voir dans
la chefrerie le seul moyen idéologique en absence organisation qui lui soit
propre de résister oppression et exploitation dont elle est victime
Klaus Ernst montre bien que la bourgeoisie bureaucratique tout en opérant
une accumulation aux dépens de la paysannerie petite productrice marchande se
constitue également en bourgeoisie agraire Il souligne juste titre que le capita
lisme agraire au Mali ne prend pas naissance dans les zones rurales mais il vient
de extérieur sous la forme de plantations et investissements fonciers réalisés
par la bourgeoisie bureaucratique Ce phénomène qui est pas propre au Mali
est de la plus haute importance car il prouve il est vain étudier isolément
la structure de classes des milieux ruraux africains et il est nécessaire au
contraire de prendre en considération ensemble de la formation sociale étatique
existence de cette bourgeoisie bureaucratico-agraire établit également un pont
entre le régime socialiste et le régime militaire qui lui succède Elle illustre la conti
nuité entre les deux systèmes tout en marquant les différences orientation des
deux périodes
cet égard histoire du Mali depuis indépendance pourrait être analysée
comme le passage au pouvoir de deux classes dirigeantes une bourgeoisie tat
exer ant de 1960 1968 une exploitation autocentrée et une bourgeoisie compra
dor mettant en uvre depuis le coup tat une exploitation extravertie