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B A

S E Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116

Dégradation des terres cultivées au Sud-Kivu, R.D.


Congo : perceptions paysannes et caractéristiques des
exploitations agricoles
Aimé B. Heri-Kazi (1, 2), Charles L. Bielders (1)
(1)
Université catholique de Louvain. Earth and Life Institute. Environmental Sciences. Louvain-la-Neuve (Belgium).
E-mail : heri.kazi@ucbukavu.ac.cd
(2)
Université Catholique de Bukavu (UCB). Faculty of Agronomy (FA). Department of Soil Sciences. D.R. Congo

Reçu le 28 avril, accepté le 12 mars 2020, mis en ligne le 8 avril 2020.


Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
deed.fr)

Description du sujet. En comparaison avec les pays environnants de la région des Grands Lacs africains, il existe un manque
criant d’informations actualisées sur l’état de dégradation des sols dans la dorsale du Kivu en R.D. Congo.
Objectifs. Cette étude vise à caractériser la sévérité de la dégradation des sols cultivés au Sud-Kivu et comment celle-ci est
affectée par la diversité des contextes biophysiques et socio-économiques, par les choix de cultures et de pratiques culturales.
Méthode. Au sein de quatre territoires de la dorsale du Kivu, 720 petits agriculteurs ont été enquêtés concernant le niveau et les
formes de dégradation des parcelles, les cultures et les pratiques culturales. Une classification des exploitations a été réalisée.
Résultats. Les exploitations se caractérisent par leur petite taille et leur pauvreté. Globalement, l’état de dégradation est perçu
comme moyen, mais il est sévère à très sévère pour un tiers des producteurs. L’érosion, les pertes d’éléments nutritifs et de
matière organique sont les principaux types de dégradation. La pression démographique explique en partie les différences
observées entre bassins. Les ménages les plus pauvres présentent en moyenne les niveaux de dégradation les plus élevés.
Certaines pratiques (billonnage) ou cultures (manioc, café, cultures maraichères) semblent préférentiellement associées à
certains états de dégradation, sans que des liens de cause à effet ne puissent être établis en raison de la prédominance des
associations culturales.
Conclusions. L’enquête a mis en évidence une situation interpellante, affectant particulièrement les ménages les plus pauvres,
qui doit inciter à plus d’investissements en matière de conservation des sols.
Mots-clés. R.D. Congo, Sud-Kivu, érosion hydrique, pratique agricole, pauvreté, pression démographique.

Cropland degradation in South Kivu, D.R. Congo : farmers’ perceptions and farm characteristics
Description of the subject. As compared to neighboring countries in the African Great Lakes Region, there is a glaring lack
of up-to-date information regarding the status of land degradation in the Kivu Ridge in the D.R. Congo.
Objectives. This study aims at characterizing the severity of soil degradation in South Kivu and how it is affected by the
diversity of biophysical and socio-economic contexts and the choice of crops and cropping practices.
Methods. In four territories of the Kivu Ridge, 720 small farmers were surveyed regarding the level and forms of land
degradation, as well as crops and cultural practices. A classification of households was carried out.
Results. Farms were characterized by their small size and their overall poverty. Overall, the status of degradation was perceived
as medium, but it was severe to very severe for one third of farms. Soil erosion, nutrient depletion and organic matter were the
main types of degradation. Demographic pressure partly explains the differences observed between watersheds. The poorest
households had on average the highest levels of degradation. Some practices (ridging) or crops (cassava, coffee, and market
gardening) seemed preferentially associated with certain levels of degradation, although no clear causal relationships could be
established because of the predominance of crop associations.
Conclusions. The survey revealed a problematic situation, particularly affecting the poorest households, which should
encourage more investment in soil conservation.
Keywords. D.R. Congo, South Kivu, water erosion, cropping systems, poverty, population pressure.
100 Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116 Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.

1. INTRODUCTION l’État colonial belge s’inquiétait du recul de la


forêt dans la dorsale du Kivu suite au défrichement
La petite agriculture paysanne joue un rôle important agricole (CNKI, 1948). Une enquête pédologique
pour satisfaire les besoins alimentaires des ménages avait permis d’estimer à plus de 10 000 ha les terres
agricoles pauvres vivant en Afrique subsaharienne anciennement cultivées devenues improductives par
(Ellis, 2005). Cependant, ce type de système de l’effet de l’érosion au Kivu (Tondeur, 1954). Selon un
production agricole est de plus en plus caractérisé par rapport de projet du début des années 1980, plus de
une surexploitation des ressources naturelles, base 78 % des producteurs de la zone avaient déjà affirmé
de son fonctionnement, suite à la rapide croissance que la culture continue, l’érosion accélérée du sol et
de la population rurale (Diao et al., 2010). À court la distribution irrégulière des précipitations étaient
et à moyen termes, cette surexploitation mène à des les causes majeures de la dégradation des sols dans le
phénomènes de dégradation des sols qui conduisent à Kivu (Bitijula & Lal, 1983).
une diminution de leur productivité, compromettant Cependant, aujourd’hui, il convient de constater
la durabilité des systèmes de production agricole un manque d’informations actualisées sur la
(Lal, 1988). Ainsi, l’Afrique subsaharienne est la dégradation des sols au Kivu (Bisimwa & Mambo,
seule région au monde où, depuis des décennies, la 2009 ; Cazenave-Piarrot, 2009), en comparaison avec
production alimentaire par habitant continue de baisser des pays avoisinants comme le Rwanda, le Burundi
(Muchena et al., 2005 ; Jayne et al., 2010), bien que et l’ouest de l’Ouganda (Bizoza, 2014 ; Karamage
la consommation alimentaire en milieu rural soit en et al., 2016b). Cela semble s’expliquer en grande
augmentation (Bricas et al., 2016). partie par l’insécurité persistante dans cette province,
Au sein de l’Afrique subsaharienne, les zones qui a mis à mal le système de recherche national, les
montagneuses de la région des Grands Lacs africains collaborations internationales et le fonctionnement des
(RGLA) de l’Afrique de l’Est sont particulièrement services étatiques (Cox, 2012). Une telle actualisation
exposées à la dégradation des terres (par érosion serait cependant essentielle en vue de guider les
hydrique et épuisement des sols) et aux conséquences qui politiques publiques et les actions de développement
en découlent. En effet, la RGLA présente un ensemble agricole dans la dorsale du Kivu. La présente étude a
de facteurs biophysiques et socio-économiques qui donc pour objectif premier de caractériser la sévérité
favorisent la surexploitation des sols agricoles et de la dégradation des sols au Sud-Kivu en considérant
leur dégradation : très haute densité démographique, la diversité des conditions environnementales et
pluviométrie abondante et topographie marquée socio-économiques rencontrées dans cette région. Le
par des collines à très fortes pentes. La pression second objectif est d’évaluer comment la diversité
anthropique est, en particulier, perçue comme une des contextes biophysiques et socio-économiques au
force motrice majeure de ces processus de dégradation Sud-Kivu affecte les choix des cultures et des pratiques
suite à la déforestation, à la réduction ou l’absence culturales et in fine, l’état de dégradation des terres.
de périodes de jachère, à la mise en cultures de terres
parfois marginales et à pentes très fortes jadis réservées
au pâturage et au boisement, et à l’absence ou aux 2. MATÉRIEL ET MÉTHODES
faibles apports en amendements pour l’entretien et la
restauration de la fertilité des sols (Okoba & de Graaff, 2.1. Sélection des sites
2005 ; Nabahungu, 2012).
La province du Sud-Kivu en République L’étude a été conduite dans huit bassins versants au sein
démocratique du Congo, et particulièrement la de quatre territoires (= subdivisions administratives ;
dorsale du Kivu, se trouve au cœur de la RGLA et est Kalehe, Kabare, Idjwi et Walungu) de la province du
caractérisée par un contexte similaire à celui décrit Sud-Kivu à l’Est de la R.D. Congo (Figure 1a). Cet
ci-dessus. Différents rapports y font état d’un niveau ensemble géographique abrite 44 % de la population
élevé de dégradation des sols (DSRP, 2005 ; Hauser totale de la province et intervient pour plus de 70 %
et al., 2007 ; DSCRP-2, 2011 ; Karamage et al., 2016a). dans la fourniture d’aliments pour la ville de Bukavu et
Celle-ci n’y affecterait pas seulement la production ses environs (IPAPEL, 2010). Les territoires de Kabare
agricole et la sécurité alimentaire des populations, mais et Kalehe sont localisés sur des terres considérées
également les ressources halieutiques du lac Kivu et comme ayant encore un grand potentiel agricole à
les cours d’eau qui alimentent les centres urbains en cause de leur origine volcanique récente, alors que les
eau potable (envasement des bas-fonds ; pollution des territoires de Walungu et Idjwi sont localisés sur des
eaux par les pesticides ; excès de fertilisation dans les sols anciens, en majorité dérivés de roches basaltiques,
milieux où sont pratiqués le maraichage, etc.) (Zirirane fortement altérés et peu fertiles (FAO, 1998).
et al., 2015). La problématique n’est pas récente, car déjà L’étude agropédologique a été réalisée au sein de
vers le milieu du siècle passé, avant les indépendances, deux bassins versants par territoire, soit huit bassins au
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 101

a b
N N
O E O E
S S

Zones agro-
écologiques
Groupes des
Altitudes sols FAO
< 1 000 m Acrisols
1 000-1 600 m Cambisols
1 600-3 470 m Ferralsols
Territoire Phaeozems
Bassin versant Solonchaks

0 20 40 60 km

Figure 1. Dorsale du Kivu au Sud-Kivu — Map of the Kivu ridge in the South Kivu province.
a. Localisation des quatre territoires (Walungu, Kabare, Kalehe et Idjwi) et des trois zones agro-écologiques (adapté à partir d’IPAPEL,
2010) — Location of the four territories (Walungu, Kabare, Kalehe and Idjwi) and the three agro-ecological zones (adapted from IPAPEL,
2010) ; b. Illustration des groupes de sols dominants — Illustration of the dominant soil groups (Goyens et al., 2007).

total. Le choix de ces bassins a été dicté par le souci de – la perception des producteurs sur l’état de dégradation
représenter la diversité des types de sols de la province de leur parcelle principale.
(Figure 1b) et par leur accessibilité par voies routières Cette perception résulte, premièrement, d’une appré-
ou lacustres (Tableau 1). Les exutoires des bassins ciation qualitative de l’état général de dégradation et,
étaient localisés sur le lac Kivu ou sur de grandes deuxièmement, d’une évaluation des principaux types
rivières se jetant dans le lac, ce qui explique les tailles de dégradation des sols (érosion hydrique, compaction
assez variables des bassins retenus. Un ensemble de du sol, épuisement du sol, perte de matière organique
villages (55 au total) ont été sélectionnés afin de couvrir du sol) (Lal, 2009). Cette dernière s’appuie sur leurs
au mieux les parties cultivées de chaque bassin versant, propres critères qui comprennent, entre autres, des
tout en tenant compte des contraintes d’accessibilité. indicateurs physiques des sols (couleur, texture et
structure), la productivité des cultures et l’état de
2.2. Méthodologie de l’enquête surface dans son sens le plus large (résidus de cultures
en surface, érosion) (M’Biandoun & Bassala, 2007).
Des enquêtes de ménages agricoles ont été conduites La sévérité a été évaluée par les producteurs enquêtés
de septembre à octobre 2015. Elles ont été complétées sur base d’une échelle graduelle à cinq niveaux (très
par des entretiens avec les chefs de groupements, le faible, faible, moyenne, sévère et très sévère).
personnel des services étatiques et des personnes
ressources responsables d’associations locales de 2.3. Traitement et analyse des données
développement.
Dans chaque bassin versant, 90 ménages ont Douze variables socio-économiques, dont sept variables
été interviewés en langue vernaculaire locale. Le quantitatives (nombre de parcelles ; superficie totale ;
questionnaire utilisé était constitué des questions de main-d’œuvre familiale ; nombre total de cultures ;
type semi ouvert (sur base d’une liste non exhaustive, nombre de cultures à orientation autoconsommation, à
avec possibilité de recueillir l’avis de l’enquêté) et orientation vente ou à orientation mixte) et cinq variables
comportait trois grandes parties : qualitatives supplémentaires (agriculture comme
– les caractéristiques des ménages (activités prin- source principale de revenus ; existence d’autres types
cipales, disponibilité en moyens de production, de revenus ; élevage des bovins ; élevage des porcs et
système d’élevage) ; élevage du petit bétail [caprins, ovin, volailles, etc.]),
– les principales cultures et pratiques agricoles asso- ont été utilisées dans une analyse en composantes
ciées ; principales (ACP) précédée d’un test de corrélation
Tableau 1. Principales caractéristiques socio-économiques et biophysiques des huit bassins au sein de la dorsale du Kivu, R.D. Congo — Main socioeconomic and 102
biophysical characteristics of the eight watersheds within the Kivu dorsal, D.R. Congo.
Caractéristique Kalehe Kabare Idjwi Walungu
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
Axe routier Bukavu-Goma Bukavu-Goma Bukavu-Goma Bukavu-Goma Lac-Kivu Lac-Kivu Bukavu-Uvira Bukavu-
Distance (de Bukavu 67§ 61§ 54§ 26§ 56 64 27§ Kindu
en km) 69§
Population par bassina 17 842 10 472 16 902 36 315 24 267 32 826 11 543 13 238
Superficie du bassin 2 975 459 4 456 10 204 2 085 1 417 12 297 3 690
(ha)b
Densité de la 599 228 379 355 1 163 2 316 93 358
population (hab.km-2)‡
Village enquêté 9 4 8 9 2 7 10 6
(nombre)
Accès aux marchés Non Non Oui Oui Non Non Oui Non
urbains
Pressions abiotiques Sédimentations Débordement Déforestation Déforestation Sédimentations Sédimentations Sédimentation Déforestation
au littoral ; des rivières ; (fabrication du (fabrication du au littoral ; au littoral ; dans les marais ;
Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116

déforestation déforestation charbon de bois) charbon de bois) déforestation déforestation déforestation


Altitude moyenne 1 629 (27,3) 1 610 (92,9) 1 601 (77,0) 1 608 (58,6) 1 554 (48,9) 1 613 (115,3) 1 588 (24,4) 1 610 (51,2)
en m (écart-type)
Longitude+ 28,89 à 28,92 28,85 à 28,86 28,84 à 28,86 28,69 à 28,84 29,03 à 29,08 29,02 à 29,04 28,83 à 28,89 28,65 à 28,76
+
Latitude -2,08 à -2,10 -2,12 à -2,14 -2,18 à -2,20 -2,34 à -2,38 -2,14 à -2,22 -2,12 à -2,22 -2,65 à -2,69 -2,73 à -2,80
a
: données issues des recensements des populations au premier et au dernier trimestre 2015 par les centres de santé se trouvant au sein des entités enquêtées et sur base des données des
rapports annuels des territoires (2014 et 2015) et de l’Inspections de la Santé (https://caid.cd/index.php/donnees-par-province-administrative/province-de-sud-kivu ) — data from the
population censuses in the first and last quarters of 2015 by the health centers located within the surveyed entities and on the basis of data from the annual reports of the territories (2014
and 2015) and from the Health Inspections (https://caid.cd/index.php/donnees-par-province-administrative/province-de-sud-kivu ) ; b : population déterminée et calculée sur base de la
superficie des bassins à partir du logiciel Arc GIS 10.2.2 — population determined and calculated on the basis of the surface area of the watersheds using Arc GIS 10.2.2 software ;
§
: par la route — by road;  : par le lac — by the lake ; + : coordonnées géographiques exprimées en unités métriques (UTM) — geographic coordinates expressed in decimal degrees
(DD) ; ‡ : sur la base des données des recensements de population au premier et dernier trimestre de 2015 par les centres de santé de la zone d’étude — based on data from the population
censuses in the first and last quarters of 2015 by the health centers in the study area.
Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 103

pour identifier les variables non corrélées en vue d’une alors qu’à Idjwi, près de 52 % disposent de moins
catégorisation des ménages (Senthikumar et al., 2009 ; de 0,5 ha. Les ménages agricoles de la zone d’étude
Tittonell et al., 2010). La typologie des ménages a été exploitent généralement deux parcelles ou plus, mais
faite grâce à une classification ascendante hiérarchique 40 % ne peuvent compter que sur une seule parcelle
(CAH) en se basant sur les variables issues de l’ACP. (Figure 2b). Les ménages sont propriétaires des
Par ailleurs, les ménages ont également été répartis parcelles agricoles à plus de 85 % (Figure 2c).
en trois classes de richesse sur base des indicateurs La majorité des parcelles agricoles (88 % en
de richesse identifiés par Louvain Développement moyenne) sont exploitées depuis plus de 50 ans
(2008) pour la même zone d’étude. La répartition des (Figure 2d). Elles sont exploitées en culture continue
ménages dans les classes de richesse a été faite grâce sans jachère, étant donné la forte densité de population
à la classification par nuées dynamiques (k-moyennes) dans certains bassins versants au sein de cette zone
en combinant cinq variables pour lesquelles les d’étude (Tableau 1). L’expérience des ménages
indicateurs de richesse ont été définis et répartis pour (en tenant compte du nombre d’années depuis que
chacun des ménages agricoles (Tableau 2). les ménages exploitent leurs parcelles) varie très
La comparaison entre bassins versants en termes de significativement entre bassins (Figure 2e). À
facteurs de production ou de niveaux de dégradation Walungu, 42 % des ménages exploitent leurs parcelles
a été effectuée via le test d’indépendance de khi-deux depuis plus de 25 ans, alors qu’à Idjwi ces derniers
(khi²). Enfin, la perception sur l’état de dégradation des ne représentent que 21 %. Environ deux personnes
bassins a été comparée à certains paramètres pertinents adultes et 0,5 à 1 enfant par ménage travaillent comme
pour analyser une éventuelle relation entre ces derniers main-d’œuvre familiale dans la majorité des bassins
et l’indice moyen de dégradation. (Figure 2f).
Le logiciel XLSTAT version 2016.02 a été utilisé L’élevage des caprins est le plus fréquent des
pour le traitement et l’analyse des données. Les élevages et concerne 58 % des ménages en moyenne
données cartographiques utilisées dans ce travail sont (Tableau 3a). L’élevage de porcs et de vaches
issues du site du Référentiel Géographique Commun concerne en moyenne 9 % et 10 % des ménages,
(RGC) de la R.D. Congo (www.rgc.cd) et des données respectivement. En moyenne pour tous les bassins, les
SOTER pour l’extraction de la carte des sols (Goyens principaux objectifs de l’élevage sont l’épargne (61 %),
et al., 2007). l’obtention du fumier (53 %) et l’autoconsommation
(46 %) (Tableau 3b).

3. RÉSULTATS 3.2. Typologie des ménages enquêtés

3.1. Caractéristiques socio-économiques des Seules quatre variables (superficie totale ; main-
ménages d’œuvre familiale ; nombre de cultures à orientation
vente et agriculture comme source principale de
Environ deux tiers des ménages agricoles enquêtés revenu) parmi les douze variables socio-économiques
cultivent moins d’un hectare, mais la répartition des introduites dans l’ACP ont été retenues comme facteurs
tranches de superficies analysées varie très signifi- principaux introduits dans la CAH pour regrouper les
cativement entre les huit bassins (Figure 2a). Les ménages sur base de ces quatre variables. Cela a per-
bassins de Kalehe, Kabare et Walungu présentent en mis d’identifier quatre types d’exploitation (ou type de
moyenne 30 % d’exploitations de superficie < 0,5 ha, ferme agricole) (Figure 3).

Tableau 2. Variables utilisées comme indicateurs de richesse pour la catégorisation des ménages enquêtés au sein de la
dorsale du Kivu, R.D. Congo — Variables used as wealth indicators for the categorization of surveyed households within
the Kivu dorsal, D.R. Congo (Louvain Développement, 2008).
# Variable Indicateur de classification (classe 1 : très pauvre ; classe 2 : pauvre
et classe 3 : riche)
1 Superficie totale des parcelles Classe 1 : ≤1 ha ; Classe 2 : 1-2 ha ; Classe 3 : > 2 ha
2 Type d’élevage pratiqué Classe 1 : petit élevage (chèvre, mouton, volaille, cobaye, etc.) ; Classe 2 :
porc et petit élevage ; Classe 3 : vache et petit élevage/porc
3 Sources des revenus du ménage Classe 1 : agriculture ; Classe 2 : autres et agriculture
4 Mode de propriété des parcelles exploitées Classe 1 : location et gardiennage ; Classe 2 : propriétaires
5 Niveau d’étude du responsable du ménage Classe 1 : aucun/primaire ; Classe 2 : secondaire ; Classe 3 : universitaire
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a < 0,5 ha 0,5 - 1 ha b Un c Propriétaire Locataire Affectée (chefs)


1-2 ha 2 ha et plus Deux ou plus Empruntée Gérant Autres
100 % 100 % 100 %

80 % 80 % 80 %

60 % 60 % 60 %

40 % 40 % 40 %

20 % 20 % 20 %

0% 0% 0%
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2

d Plus de 50 ans 11 à 50 ans e 26 ans et plus 11 à 25 ans f Adulte Enfant > 15 ans
≤ 10 ans 6 à 10 ans ≤ 5 ans Enfant < 15 ans
100 % 100 %
3,5
80 % 80 % 3,0

Nombre moyen
2,5
60 % 60 %
2,0
40 % 40 % 1,5
20 % 20 % 1,0
0,5
0% 0% 0,0
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2

Figure 2. Répartition des moyens de production et durée d’exploitation des parcelles par les ménages — Distribution of
resources available for production and duration of exploitation by households (n = 90, N = 720).
a. superficie totale de l’exploitation — total farm area ; b. nombre de parcelles par ménage — number of plots per household ; c. droit de
propriété des parcelles — ownership of the plot; d. durée de la mise en culture — duration of cultivation ; e. durée d’exploitation par le
ménage — duration of exploitation by the household ; f. quantité et type de main-d’œuvre familiale — quantity and type of family labor ;
Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir tableau 1 — see table 1.

Tableau 3. Types et objectifs de l’élevage pratiqué par les ménages au sein des bassins enquêtés et résultats du test de
khi2 — Types and objectives of animal rearing in the surveyed watersheds and chi2 test results (n = 90 ; N = 720).
Localisation khi² p-value
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
a. Type (%)
Caprin 61,1 60,0 51,1 60,0 56,7 58,9 66,7 46,7 10,0 0,1908
Lapin 44,4 32,2 17,8 34,4 30,0 33,3 31,1 31,1 15,4 0,0316
Cobaye 53,3 43,3 37,8 56,7 46,7 43,3 37,8 32,2 17,2 0,0159
Volaille 51,1 36,7 33,3 54,4 27,8 50,0 54,4 46,7 27,1 0,0003
Porc 21,1 27,8 6,7 5,6 2,2 0,0 10,0 1,1 75,3 < 0,0001
Vache 30,0 20,0 7,8 3,3 8,9 1,1 5,6 0,0 77,7 < 0,0001
b. Objectif (%)
Vente 1,1 1,1 1,1 0,0 0,0 0,0 1,1 0,0 4,0 0,777
Épargne d’argent 66,7 68,9 56,7 66,7 55,6 57,8 68,9 50,0 13,9 0,052
Obtention du fumier 50,0 53,3 53,3 60,0 56,7 55,6 62,2 35,6 16,9 0,018
Autoconsommation 50,0 50,0 41,1 43,3 51,1 50,0 47,8 36,7 7,1 0,423
Social 28,9 13,3 12,2 30,0 21,1 24,4 40,0 30,0 29,0 0,0001
Traction animale 0,0 1,1 1,1 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 6,0 0,538
Autres 3,3 4,4 1,1 1,1 1,1 1,1 0,0 0,0 10,2 0,175
Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir tableau 1 — see table 1.
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 105

En fonction des résultats de l’ACP, on remarque


1
Variables (axes F1 et F2 : 53,93 %) que le type de ferme 2 est opposé aux trois autres en ce
Agriculture
qui concerne la superficie totale, dont la moyenne est
source des de 1,01 ± 1,35 ha (Tableau 4) et l’agriculture comme
0,8 revenus
source principale de revenu (contribuant pour 39 % à
l’information totale fournie par les deux axes de l’ACP
0,5
[Figure 3]). Aussi, le nombre de cultures à orientation
0,3
Cultures à vente est en lien avec le type de ferme 4 (3 ± 0,8) et
Type de orientation vente
secondairement le type de ferme 1 (1 ± 0,4), alors que
F2 (24,77 %)

Type de ferme -2 ferme -4


0
Type de ferme -1 la quantité de main-d’œuvre familiale caractérise le
type de ferme 3 (5 ± 2,2) avec 47 % de contribution
-0,3 Type de (Tableau 4). Les types de ferme 1 et 4 ont beaucoup
ferme -3 Main-d’œuvre de variables en commun, dont le nombre de la
familiale
-0,5 Superficie totale
main-d’œuvre familiale, les cultures à orientation
(ha) vente et secondairement, l’agriculture comme source
-0,8 principale des revenus à cause de leurs pourcentages de
contributions qui sont très proches. Mais leur définition
-1 des caractéristiques des variables de catégorisation
-1 -0,8 -0,5 -0,3 0 0,3 0,5 0,8 1
F1 (29,17 %)
sont fondamentalement en opposition (concernant
variables actives variables supplémentaires
la quantité de ressources disponibles et la source des
revenus).
Figure 3. Résultats de l’ACP sur base des quatre variables Les types de ferme agricole 2 et 3 sont les plus
socio-économiques retenues pour la typologie des représentatifs au sein de tous les huit bassins versants
exploitations agricoles. Les informations fournies par de la zone d’étude, sauf dans un bassin versant de
l’analyse sont résumées sur les axes F1 et F2. La longueur Kabare (Kab1) où le type de ferme 1 (36,7 %) vient
et la direction des lignes indiquent l’influence de chaque en deuxième position, comparé au type de ferme 3
variable au sein de chacun des quatre types de ferme (17,8 %), faiblement représenté. Au sein de deux
agricole — PCA results based on the four socio-economic
variables selected for farm typology. The information
bassins versants de Walungu, les types de ferme 2
provided by the analysis is summarized on the F1 and F2 et 3 représentent une large majorité (99 % au total,
axes. The length and direction of the lines indicate the respectivement), alors qu’ils ne représentent que 72 % à
influence of each variable within each of the four farm types 90 % au sein des autres bassins versants (Tableau 5a).
(p-value = 0,025 ; DDL = 6). Les pauvres et très pauvres représentent plus de 80 %
dans sept bassins versants sur les huit de la zone
Type de ferme — farm typology : voir tableau 4 — see table 4.
d’étude. Un seul bassin versant de Walungu (Wal2)
obtient environ 38 % des riches, selon les indicateurs

Tableau 4. Contribution des quatre principales variables issues de l’ACP à la formation de deux axes pour la typologie des
ménages — Contribution of the four main variables derived from the PCA to the formation of the two axes for the farm
typology (n = 720).
Variable Statistiques Types d’exploitation
1 (n = 99) 2 (n = 383) 3 (n = 217) 4 (n = 21)
1. Superficie totale (ha) % Contr. 13,55 39,22 25,65 5,68
Moyenne 1,29 1,01 0,98 0,51
Écart-type 1,59 1,35 1,02 0,58
2. Main-d’œuvre familiale (n) % Contr. 12,45 21,33 46,57 12,50
Moyenne 3,40 1,57 5,09 3,29
Écart-type 2,70 0,72 2,19 2,67
3. Nombre de cultures à % Contr. 62,41 0,60 0,71 70,83
orientation vente (n) Moyenne 1,23 0,01 0,01 2,62
Écart-type 0,42 0,07 0,12 0,80
4. Agriculture source principale % Contr. 11,59 38,85 27,07 10,98
de revenu (%) % des ménages 91,9 83,8 88,0 81,0
% Contr. : pourcentage des contributions — percentage of contributions.
106 Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116 Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.

Tableau 5. Répartition des 720 ménages des huit bassins versants au sein des différents types de ferme agricole et au sein
des classes de richesse pour chacun des types de ferme agricole obtenus par la typologie des ménages et résultats du test
de khi2 — Distribution of the 720 households in the eight watersheds within the different farm types and within the wealth
classes for each type of farm obtained by the farm typology, and chi2 test results.
Distribution des ménages/bassin (%) Type de ferme-1 Type de ferme -2 Type de ferme -3 Type de ferme-4
(n = 99) (n = 383) (n = 217) (n = 21)
a. Bassin versant vs type de ferme (p-value < 0,0001 ; DDL = 21)
Kal1 25,6 43,3 28,9 2,2
Kal2 13,3 60,0 23,3 3,3
Kab1 36,7 41,1 17,8 4,4
Kab2 7,8 57,8 32,2 2,2
Idj1 14,4 53,3 27,8 4,4
Idj2 10,0 56,7 26,7 6,7
Wal1 1,1 63,3 35,6 0,0
Wal2 1,1 50,0 48,9 0,0
Moyenne (%) 13,8 53,2 30,2 2,9
b. Classe de richesse vs types d’exploitation (p-value = 0,217 ; DDL = 6)
Très pauvres 56,6 56,9 50,7 66,7
Pauvres 38,4 34,2 35,9 28,6
Riches 5,1 8,9 13,4 4,8
Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir tableau 1 — see table 1.

de classification utilisés. Cependant, on remarque qu’il (35 %). La culture présentant la plus forte variation
y a trois autres bassins versants où les pourcentages des entre bassins est le bananier, trouvé dans plus de 90 %
riches varient entre 7 % et 12 % (Tableau 5b). Leur des exploitations de Walungu, mais dans moins de
particularité est qu’ils ne sont pas éloignés soit d’un 30 % à Idjwi à cause des attaques du wilt bactérien
centre urbain (Wal1 et Kab2), soit proche d’un centre (Xanthomonas sp.) présent depuis plus d’une décennie
de territoire (Kal1) (Tableau 1). dans les zones riveraines du lac Kivu (Ntamwira
et al., 2019). La fréquence de la patate douce est
3.3. Cultures et pratiques présentes sur la parcelle également très variable. En moyenne, elle n’est
principale présente que dans environ 3 exploitations sur 10 à

Les parcelles principales des ménages sont réparties


1. Haut de colline
sur cinq positions topographiques (Figure 4) mais,
dans leur grande majorité, elles sont localisées sur
la position « flanc de collines » (80 % en moyenne) 2. Plateau
(Figure 5). Ceci peut résulter du fait que cette position 3. Flanc de colline
topographique domine dans le paysage, mais également
que, dans la zone d’étude, de grands propriétaires
terriens exploitent les sommets de collines et bas-fonds 4. Bas de colline
aux caractéristiques plus favorables. Douze cultures 5. Bas fond
principales ont été identifiées, avec cependant des (dépression)
fréquences de présence significativement différentes
entre bassins (Tableau 6). Pour le manioc, le maïs et Rivière
le haricot, cultivés sur plus de 85 % des exploitations
en moyenne, les fréquences de présence sont
statistiquement différentes, même si les variations Figure 4. Représentation schématique des différentes
entre bassins restent généralement faibles (80-100 % positions topographiques au sein de la zone d’étude —
selon les cultures et les bassins). Viennent ensuite Schematic representation of different topographic positions
la patate douce (64 %), le bananier (56 %) et le taro within the study area.
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 107

Tableau 6. Répartition des fréquences des principales cultures pratiquées au sein des huit bassins de la dorsale du Kivu et
résultats du test de khi2 — Frequency distribution of main crops grown in the eight watersheds of the Kivu dorsal and chi2
test results (n = 90 ; N = 720).
Principales cultures Localisation (%) chi² Sign.
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
Bananier (Musa sp.) 52,2 51,1 52,2 62,2 16,7 a
27,8 b
93,3c
90,0c 181,8 ***
Manioc (Manihot esculenta C.) 96,7 97,8 90,0 94,4 95,6 81,1 a
96,7 94,4 30,4 ***
Patate douce (Ipomea batatas L.) 75,6 b
40,0a
33,3a
33,3a
85,6 c
66,7 78,9b
94,4d
163,4 ***
Taro (Colocasia esculenta L.) 58,9c
46,7b
28,9 31,1 27,8 15,6 a
33,3 38,9 47,7 ***
Igname (Dioscorea sp.) 33,3b
12,2 23,3 34,4b
11,1 a
7,8 a
16,7 13,3 42,9 ***
Maïs (Zea mays L.) 93,3b 92,2 87,8 93,3b 83,3 81,1 82,2 71,1a 30,2 ***
Haricot (Phaseolus vulgaris L.) 98,9 95,6 97,8 95,6 96,7 82,2 a
95,6 94,4 33,2 ***
Soja (Glycine max L.) 14,4 0,0a
7,8 5,6b
28,9 c
47,8 d
0,0a
5,6b
146,9 ***
Arachide (Arachis hypogaea L.) 34,4d
10,0c
54,4e
10,0c
22,2 28,9 d
0,0a
4,4b
127,8 ***
Tournesol (Helianthus annuus L.) 45,6 d
4,4b
0,0a
4,4b
27,8 c
14,4 0,0a
0,0a
163,3 ***
Caféier (Coffea arabica L.) 28,9b
15,6 45,6c
8,9 13,3 8,9 0,0a
0,0a
115,9 ***
Maraichères (plusieurs espèces) 3,3a
1,1a
8,9 14,4 4,4 2,2 a
22,2a
22,2a
54,1 ***
Les chiffres en gras avec des lettres en exposant sont significativement différents sur la ligne (comparaison entre bassins
versants) — numbers in bold with superscript letters are significantly different on the line (comparison between watersheds) ; Sign. :
signification — significance ; *** : p < 0,0001 — p < 0.0001 ; Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir tableau 1 — see
table 1.

Kabare, mais dans plus de 8 sur 10 à Walungu. Le taro


est particulièrement cultivé à Kalehe où il est présent
dans environ une exploitation sur deux. Certaines
Bas-fonds autres cultures ne sont présentes que dans certains
Bas de colline bassins et de façon très variable : le soja (0-48 %) et le
Flanc de colline café (0-46 %) en lien avec les opportunités de marché,
le tournesol (0-46 %) et l’arachide (0-54 %) en lien
Plateau
avec la disponibilité de la semence et des habitudes
Haut de colline alimentaires locales. Enfin, les cultures maraichères
100 sont présentes dans près d’une exploitation sur cinq
à Walungu à cause de la proximité avec les marchés
Fréquences observées (%)

80 d’écoulement dans la ville de Bukavu, alors qu’elles


sont quasi absentes à Idjwi et Kalehe (< 5 %), plus
60 éloignées (Tableau 1).
Dans la majorité des bassins et, pour la grande
40
majorité des ménages, certaines cultures comme
20
le maïs, le haricot, le tournesol, la patate douce,
le taro et l’igname ont pour finalité principale
0 l’autoconsommation. Au contraire, le manioc et le
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 bananier sont cultivés principalement pour la vente et
secondairement pour l’autoconsommation. Par contre,
Bassins versants
le caféier est exclusivement une culture de rente dans
Figure 5. Répartition des parcelles selon les positions les bassins où il est cultivé.
topographiques par bassin versant — Distribution of plots Les amendements organiques sont principalement
according to their topographic positions by watershed (n = les déchets ménagers (non compostés ; 78 % en
90 ; N = 720). moyenne), les résidus de culture (64 %), le compost
Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir (61 % ; mélange en proportion variable de déjections
tableau 1 — see table 1. animales, déchets ménagers et résidus de culture
108 Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116 Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.

compostés) et, dans une moindre mesure, le fumier


(28 %) et le paillage (24 % ; principalement graminées,
a Types de fertilisants et amendements mais aussi feuilles de bananiers). Le recours à ces
Minéral (p = 0,011)
amendements varie cependant significativement d’un
bassin à l’autre. Ainsi, le compost est apporté par 3
Fumier (p < 0,0001) à 8 ménages sur 10 selon les bassins et l’application
Compost (p < 0,0001) du fumier est pratiquée par 1 à 5 ménages sur 10.
Résidus de cultures (p < 0,0001) La pratique du paillage est quasi absente à Idjwi,
mais concerne près de 5 ménages sur 10 à Kab1.
Déchets ménagers (p = 0,032)
L’utilisation des engrais minéraux est marginale, quel
Paille (p < 0,0001) que soit le bassin (< 12 %) (Figure 6a).
90 La présence de l’association de plusieurs cultures
80 varie significativement d’un bassin à l’autre mais,
dans tous les cas, cela concerne plus de 3/4 des
Fréquences observées (%)

70
exploitations (Figure 6b). L’association de multiples
60 cultures (généralement plus de trois cultures associées
50
entre elles) est la pratique la plus courante dans toute
la zone. Par ailleurs, le concept de la rotation des
40 cultures n’est pas connu en tant que tel au sein de
30 cette zone étudiée. Toutefois, les ménages adoptent
différentes pratiques qui s’y apparentent. En effet,
20 ils font succéder à chaque saison, aux cultures
10 annuelles ou pluriannuelles déjà présentes sur leurs
parcelles, d’autres cultures qu’ils jugent adaptées à
0
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
leurs besoins. Un exemple de succession de cultures
courante est le remplacement d’une légumineuse dans
Bassins versants
l’association (manioc-légumineuses-maïs) par une
autre légumineuse et/ou par une céréale ou encore
b Types (modes) d’association par un tubercule (exemple : manioc-haricot-maïs en
saison 1 et en saison 2 : manioc-soja-sorgho-patate
Toutes les cultures (p < 0,0001)
douce-maïs).
Trois à quatre cultures (p < 0,0001)
3.4. Perception de l’état de dégradation des sols
Deux cultures (p = 0,095)
100 Dans les bassins Kab1, Idj1 et Idj2, plus d’une parcelle
90 sur trois ont un état général de dégradation sévère à
très sévère selon les dires des producteurs enquêtés,
Fréquences observées (%)

80
alors que dans le bassin Kal2, ce sont même trois
70
parcelles sur quatre (Figure 7a). À l’exception de
60 Kal2 où le niveau moyen de dégradation est sévère,
50 le niveau moyen de dégradation tel que perçu par les
40 exploitants agricoles est assez similaire dans tous les
30 bassins et compris entre 2,6 et 3,1 (= moyen), avec
20 néanmoins des différences significatives entre bassins
10
versants (Figure 7b). On observe en particulier un
contraste important entre les deux bassins versants de
0
Kalehe, Kal1 étant le moins dégradé et Kal2 étant le
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
plus dégradé parmi les huit bassins enquêtés.
Bassins versants
En analysant la répartition des états de dégradation
Figure 6. Fréquences (%) d’adoption des pratiques agricoles en fonction de la position topographique, on observe
par les ménages par bassin — Frequencies (%) of adoption que la fréquence des états de dégradation sévères et
of farming practices by households within watersheds. très sévères est la plus élevée sur la position flanc de
a. types d’amendements — types of amendments ; b. types colline (36 %) (Figure 8a). À l’opposé, dans les bas-
d’association des cultures — types of crop association ; Kal1, fonds, l’état de dégradation faible concerne près de
Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir tableau 1 — see 70 % des parcelles. La part des différentes positions
table 1. topographiques variant sensiblement d’un bassin à
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 109

a Bassins versants Très faible


Kal1 Faible
Kal2 Moyenne
Kab1 Sévère
Kab2 a Très sévère
Idj1 100

Fréquences observées
Idj2
Wal1 80
Wal2
60
100

(%)
40
Fréquences cumulées

80
20
60
(%)

0
40
Bas- Bas de Flanc de Plateau Haut de
fonds colline colline colline
20
b
0 5,5
Très Faible Moyenne Sévère Très CD A B BCD B BC D B
5
faible sévère

Indice moyen de dégradation


4,5
4
b 5,5
DE A BC CD B BC E BC 3,5
5
3
Indice moyen de dégradation

4,5
2,5
4
2
3,5
3 1,5
2,5 1
2 0,5
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
1,5
Bassins versants
1
0,5
Figure 8. a. Répartition des états de dégradation en fonction
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
de la position topographique pour l’ensemble des bassins
Bassins versants versants — Distribution of degradation states for each
Figure 7. Indices de l’état de dégradation général des topographical position across all watersheds ; b. Box
sols selon la perception des producteurs par bassin plots (moyenne, valeurs extrêmes, minimum/maximum)
versant — Index of soil degradation status according to the de l’indice moyen de dégradation par bassin versant pour
farmers’ perception per watershed. la position flanc de colline — Box plots (average, extreme
values, minimum / maximum) of the degradation indexes per
a. courbes de fréquences cumulées des niveaux de dégradation watershed for the hillside position.
générale — cumulative frequency curves of general status of
degradation ; b. box plots (moyenne, valeurs extrêmes, minimum/ Les boites surmontées d’une même lettre ne sont pas
maximum) des indices de dégradation — box plots (average, statistiquement différentes — Boxes that share the same letter
extreme values, minimum / maximum ) of degradation indexes ; les are not statistically different ; Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2,
boites surmontées d’une même lettre ne sont pas statistiquement Wal1, Wal2 : voir tableau 1 — see table 1.
différentes — boxes that share the same letter are not statistically
different ; Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir
tableau 1 — see table 1.
L’analyse de la variance calculée par type de ferme
montre qu’il existe une différence significative de
l’autre (Figure 5), on peut se demander si l’indice l’indice moyen de dégradation entre les quatre types
moyen de dégradation (Figure 8b) n’est pas, au de ferme au sein de la zone d’étude (p = 0,048). Plus
moins partiellement, le reflet de différences dans la précisément, l’indice de dégradation des fermes de
localisation topographique des parcelles entre bassins. type 4 est significativement plus élevé, comparé à celui
Cependant, l’analyse de la variance de l’indice moyen des trois autres types (Figure 9a). De même, l’analyse
de dégradation des parcelles montre que les tendances de l’indice moyen de dégradation calculé par classe de
générales observées entre les bassins à la figure 7b richesse montre qu’il existe une différence hautement
persistent, même lorsqu’on se limite à la position significative entre les trois classes (p = 0,004), le
« flanc de colline » (p < 0,0001 ; figure 8b). niveau moyen de dégradation des parcelles pour les
110 Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116 Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.

faible, voire très faible, le bananier étant plus souvent


a
5,5 sur les parcelles à indices de dégradation moyenne,
B B B A alors que le manioc est un peu plus souvent associé
Indice moyen de dégradation

5
4,5 à des parcelles avec des indices sévère et très sévère
4 (Figure 10a). On observe également que le caféier tend
3,5 à se retrouver plus souvent sur des parcelles sévèrement
3 dégradées, alors que les producteurs semblent éviter de
2,5 mettre du tournesol sur ces mêmes parcelles. De même,
2 les fréquences de certaines pratiques sur la position
1,5 flanc de colline ont un lien avec l’état de dégradation
1 (Figure 10b). On remarque en particulier que l’apport
0,5 de résidus de culture et de déchets est associé aux
Type de Type de Type de Type de parcelles (très) sévèrement dégradées, alors que le
ferme 1 ferme 2 ferme 3 ferme 4 billonnage et le labour localisé sont plus couramment
observés sur les parcelles faiblement à moyennement
b dégradées.
5,5
A B B
5
Indice moyen de dégradation

4,5
3.5. Principaux types de dégradation
4
3,5
3
L’érosion hydrique est la forme de dégradation ayant
2,5
l’indice de sévérité le plus élevé (Figure 11). Il est
2
suivi par l’épuisement du sol, la perte de matières
1,5
organiques et la compaction. Il existe cependant des
1
différences significatives entre bassins pour ces quatre
0,5
indices. L’érosion apparait comme la plus sévère à Kal2
Classe 1 Classe 2 Classe 3 et la moins sévère à Walungu. Une tendance similaire
s’observe pour la perte de matière organique. En ce qui
Figure 9. Box plots (moyenne, valeurs extrêmes, minimum/ concerne l’épuisement des sols, Kal2 est à nouveau le
maximum) de l’indice moyen de dégradation pour (a) les bassin le plus affecté, mais il y a peu de différences
différents types d’exploitations agricoles et (b) en fonction entre les sept autres bassins étudiés. Enfin, pour la
des classes de richesse, pour les huit bassins versants compaction, les différences sont globalement peu
enquêtés — Box plots (average, extreme values, minimum/ marquées, mais les plus grands indices sont observés
maximum) of the degradation index for (a) different types
dans les bassins Wal1 et Kab1 et les plus faibles à Wal2.
of farms and (b) different wealth classes, across the eight
watersheds.
Les boites surmontées d’une même lettre ne sont pas 4. DISCUSSION GÉNÉRALE
statistiquement différentes — Boxes that share the same letter are
not statistically different. 4.1. Caractéristiques générales des exploitations
En raison d’une densité démographique en milieu rural
très élevée (Tableau 1), également observée dans les
pays avoisinants (Rwanda, Burundi ; Nabahungu, 2012 ;
ménages très pauvres étant significativement plus Schut et al., 2016), les exploitations agricoles de la zone
élevé que celui des parcelles des ménages pauvres et d’étude se caractérisent par une faible superficie totale,
riches (Figure 9b). < 1 ha pour deux tiers des producteurs (Figure 2a).
En vue de mettre en évidence une éventuelle Les superficies sont particulièrement faibles là où
relation entre le type de cultures, les pratiques agricoles la densité démographique est la plus élevée, comme
et l’état de dégradation, seules les parcelles en position par exemple à Idjwi. Bien qu’une part majoritaire de
topographique « flanc de colline » ont été considérées la production soit destinée à l’autoconsommation,
afin de ne pas introduire un possible biais lié à la certaines cultures sont destinées en grande partie
position topographique. En considérant les fréquences (banane, manioc) ou exclusivement (café) à la vente.
des cultures par niveau de dégradation sur cette La pratique de l’association de nombreuses cultures
position, on remarque que les cultures maraichères (Figure 6b) est quasi généralisée, stratégie qui permet
et la patate douce se retrouvent plus souvent que les de sécuriser la production alimentaire en évitant les
autres sur des parcelles avec des indices de dégradation risques et en maximisant l’utilisation des terres et de
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 111
a Bananier (p = 0,030) Manioc (p = 0,048) Patate douce (p = 0,012)
Maraichère (p = 0,014) Taro (p = 0,059) Igname (p = 0,258)
Maïs (p = 0,386) Haricot (p = 0,160) Soja (p = 0,195)
Arachide (p = 0,551) Tournesol (p = 0,134) Caféier (p = 0,438)

50 40

45 35

Fréquences par niveau de dégradation (%)


40
30
35
25
Fréquences (%)

30

25 20

20 15
15
10
10
5
5

0 0
Très faible Faible Moyenne Sévère Très sévère

b Compost (p = 0,007) Résidus des cultures (p = 0,0002)


Déchets ménagers (p = 0,001) Labour localisé (p = 0,006)
Billonnage (p < 0,0001) Association de plusieurs cultures (p = 0,009)
Minéral (p = 0,237) Fumier (p = 0,572)
40

50
35

Fréquences par niveau de dégradation (%)


30
40

25
Fréquences (%)

30
20

20 15

10
10
5

0 0
Très faible Faible Moyenne Sévère Très sévère
Niveaux de dégradation

Figure 10. Distribution (a) des cultures et (b) des pratiques culturales en fonction des niveaux de dégradation des parcelles
pour la position flanc de collines pour l’ensemble des huit bassins et la p-value du test de khi² — Distribution of (a) crops and
(b) cropping practices accross degradation levels for the hillside position for all eight watersheds and the p-value of the chi²
test.
112 Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116 Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.

a b
5,5 5,5
5 BCD A CD CD B BC DE E C A BC BC BC B
5
Indice moyen de dégradation

Indice moyen de dégradation


4,5 4,5
4 4
3,5 3,5
3 3
2,5 2,5
2 2
1,5 1,5
1 1
0,5 0,5
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
Bassins versants Bassins versants

c d
5,5 5,5
A B B B B 5 A B
5 Indice moyen de dégradation
Indice moyen de dégradation

4,5 4,5
C C C 4 A A A AB AB AB
4
3,5 3,5
3 3
2,5 2,5
2 2
1,5 1,5
1 1
0,5 0,5
Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2 Kal1 Kal2 Kab1 Kab2 Idj1 Idj2 Wal1 Wal2
Bassins versants Bassins versants

Figure 11. Box plots (moyenne, valeurs extrêmes, minimum/maximum) d’indice de sévérité pour les différents types de
dégradation selon la perception des ménages au sein des huit bassins avec les lettres de comparaison des moyennes — Box
plots (average, extreme values, minimum/maximum) of severity index for the different types of degradation according to the
farmers’ perception in the eight watersheds with mean comparison letters (LSD).
a. érosion hydrique — water erosion ; b. épuisement du sol — soil nutrient depletion ; c. perte de matières organiques — loss of
organic matter ; d. compaction du sol — soil compaction ; les boites surmontées d’une même lettre ne sont pas statistiquement
différentes — Boxes that share the same letter are not statistically different ; Kal1, Kal2, Kab1, Kab2, Idj1, Idj2, Wal1, Wal2 : voir
tableau 1 — see table 1.

la main-d’œuvre (van Asten et al., 2013). En raison des conditions de vie en milieu rural à l’est de la R.D.
de la forte densité de population et de la faible taille Congo, suite notamment à l’insécurité alimentaire, aux
des exploitations ne permettant pas de produire un guerres à répétition et au manque de routes de desserte
fourrage abondant, l’élevage est surtout axé sur des agricole (Louvain Développement, 2008 ; Ulimwengu
petits animaux (Tableau 3) comme observé également et al., 2009). La faible différentiation des exploitations
dans les pays limitrophes (Rwanda, Burundi ; van en termes de richesse peut aussi s’expliquer par le fait
Asten et al., 2013). que les ménages sont très dynamiques en milieu rural
Quatre types d’exploitations ont pu être mis en et peuvent poursuivre plusieurs stratégies de survie
évidence à partir de critères socio-économiques. Ces simultanément (Barrett et al., 2006, cités par Tittonell
types ne se démarquent cependant pas fortement en et al., 2010). En effet, un ménage agricole au sein de
termes de richesses, 90 % des ménages en moyenne étant la zone d’étude peut avoir comme sources de revenu,
classés comme pauvres ou très pauvres (Tableau 5). sa parcelle agricole, son élevage, un petit commerce
Cette pauvreté généralisée s’explique par la précarité et/ou un travail salarié (travail dans les champs des
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 113

autres et/ou d’animateur rural, etc.). Par conséquent, il de niveau de dégradation plus avancé (Figure 9a).
est rare qu’une catégorie donnée de ménages détienne Parallèlement, on observe que le niveau de dégradation
des caractéristiques propres à elle seule à cause de va de pair avec le niveau de pauvreté, les exploitations
cette multiplicité de stratégies poursuivie par chaque très pauvres se caractérisant par des états de dégradation
ménage (Chikowo et al., 2014). significativement plus sévères (Figure 9). Les ménages
riches disposent d’exploitations de plus grandes tailles
et/ou ont la possibilité d’accéder à d’autres sources
4.2. État de dégradation au niveau de la zone dans de revenus qui leur permettraient d’investir dans la
sa globalité et entre bassins versants conservation de leurs terres (apport des fumiers de
ferme ; mise en place des structures antiérosives, etc.),
Selon la perception des producteurs, la zone d’étude comme cela a été observé dans les plateaux et collines
se caractérise par un état de dégradation moyen, mais du Rwanda (König, 1993). À l’opposé, les ménages
environ un tiers des parcelles présente un état de pauvres exploitent les terres en continu et implantent
dégradation sévère à très sévère (Figure 7). Cet état le plus souvent les mêmes cultures (Mufungizi,
général de dégradation peut être relié à la surexploitation 2016), mais avec peu de possibilités d’entretien du
des terres avec peu d’apports d’intrants externes sol étant donné le faible accès aux crédits agricoles
et un manque de systèmes techniques permettant et aux amendements (Schut et al., 2016). Dans ces
un recyclage efficace des ressources organiques conditions, la majorité des ménages va assister de
disponibles localement (Lunze, 2000 ; Pypers et al., manière impuissante à une baisse de productivité soit
2010). L’état de dégradation est le plus sévère sur les par l’épuisement des sols, soit par l’augmentation de la
flancs de colline et le plus faible dans les bas-fonds compétition pour les ressources limitées en sols et en
et haut de colline (Figure 7a). Ce lien fort avec la eau (Mc Michael et al., 2007, cités par Lal, 2009). Ceci
position topographique semble indiquer le rôle central va conforter leur situation d’insécurité alimentaire, qui
de l’érosion hydrique (et de processus associés comme à son tour aura un impact sur la dégradation des sols et
la perte en éléments nutritifs et en matière organique) ainsi de suite (Lal, 2009).
dans l’état de dégradation. Ceci est cohérent avec
l’importance accordée par les producteurs à l’érosion 4.4. État de dégradation et occupation des sols
hydrique (Figure 11). König (1993) a également fait
état de niveaux de dégradation des sols très sévère Les bassins se caractérisent par une certaine diversité
sur les terrains en pentes au Rwanda en raison de dans les choix de cultures, à l’exception des cultures
la minéralisation accélérée de la matière organique principales que sont le maïs, le haricot et le manioc
ainsi que la perte d’éléments nutritifs et de matière (Tableau 6). Ces trois spéculations sont cultivées
organique par ruissellement et érosion hydrique. soit en association maïs-haricot-manioc, soit haricot-
Bien que l’état de dégradation soit assez manioc, mais rarement seules (Pypers et al., 2010).
comparable en moyenne entre bassins versants, on Seul le manioc peut être trouvé en monoculture dans
observe quelques différences entre eux (Figure 7b). une partie de champs, mais cela s’observe uniquement
Cependant, à l’échelle régionale, peu de facteurs à des endroits où les autres cultures ont du mal à se
explicatifs ont pu être identifiés pour expliquer ces développer (par exemple, sols très dégradés ; CIALCA,
différences, mis à part l’altitude (probable reflet 2010). La diversité des cultures s’accompagne d’une
du relief général et en particulier de la pente) et certaine diversité des pratiques, certaines pratiques
la démographie (qui traduirait la pression sur les étant spécifiques à certains types de cultures. Ainsi, le
ressources disponibles). Malgré que certaines cultures billonnage ou buttage sont pratiqués préférentiellement
(Tableau 6) ou pratiques culturales (non montrées, sur le manioc, le taro, l’igname et la patate douce (non
car directement liées à des cultures spécifiques) montré).
soient plus spécifiques à certains bassins, aucune Bien que la prédominance des associations de
relation significative n’a pu être établie entre l’état cultures n’ait pas permis de mettre en évidence un
de dégradation général et la fréquence d’adoption de lien univoque entre culture et dégradation, certaines
cultures ou de pratiques culturales prises isolément, tendances ont été observées. Par exemple, le caféier
vraisemblablement à cause du fait que la pratique et le manioc sont plutôt situés sur des sols dégradés,
courante dans la zone d’étude est l’association de ce qui reflète la capacité de ces cultures à produire
plusieurs cultures. même faiblement sur des sols dégradés (manioc) ou
le caractère non prioritaire de la culture en termes
4.3. État de dégradation à l’échelle des ménages d’entretien (café). En effet, contrairement aux pays
avoisinants (Rwanda, Burundi, Ouganda), il n’y a pas
Parmi les quatre types d’exploitations identifiés, de politique forte en matière d’appui à la filière café
le type 4 se démarque significativement en termes au Sud-Kivu. On note aussi que des cultures comme
114 Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2020 24(2), 99-116 Heri-Kazi A.B. & Bielders Ch.

la patate douce et, dans une moindre mesure, le taro ces facteurs à la variabilité du niveau de dégradation
et l’igname, sont majoritairement observées sur les ou faire d’autres analyses exploratoires plus détaillées
parcelles faiblement à moyennement dégradées pour comprendre comment les ménages font face
(Figure 10a). Il est cependant difficile de déterminer aux principaux types de dégradation identifiés, en
si cela relève d’une stratégie d’allocation des cultures examinant par exemple le niveau d’application
ou au contraire de l’impact des cultures sur le sol. des systèmes de gestion et de conservation de leurs
Dans le cas des cultures maraichères par exemple, on sols dans cette zone d’étude. Cela peut ainsi servir
peut y voir le résultat de leur allocation préférentielle de support à des stratégies d’interventions dans le
sur des parcelles productives, mais il se peut aussi milieu (ex. : la protection des versants à l’échelle
que ces cultures bénéficient préférentiellement des de la colline ou du bassin versant tout entier par des
amendements organiques ou même du paillage en structures antiérosives). Néanmoins, il serait utile de
raison de la proximité avec les habitations (Tittonell compléter ces données d’enquête avec des mesures
et al., 2010), des faibles superficies cultivées en quantitatives de la sévérité des différentes formes de
maraichage et de leur valeur financière. Dans le cas dégradation, et en particulier de l’érosion hydrique.
des plantes à racines et tubercules, la pratique du Au vu de la grande variabilité des niveaux de
billonnage et/ou du buttage dont elles bénéficient dégradation d’un producteur à l’autre pour une même
pourrait réduire sensiblement la perte en terre, grâce position topographique (Figure 7b), l’échelle la plus
au fait qu’elles réduiraient la vitesse de ruissellement pertinente pour un tel travail semble être l’échelle
(ex. Rutebuka et al., 2019). On note aussi que certaines parcellaire.
pratiques comme le paillage ou l’application de
déchets ménagers visent préférentiellement les sols
plus dégradés, en général plus éloignés des cases. 5. CONCLUSIONS

4.5. Perception des producteurs sur l’état de En se basant sur la perception des producteurs,
dégradation cette étude montre un état de dégradation des sols
globalement inquiétant puisque jugé moyen à sévère
Bien que le recours à la perception des producteurs dans les huit bassins versants enquêtés. Cette situation
soit reconnu aujourd’hui comme l’un des moyens pour semble découler des conditions topographiques
obtenir rapidement des données dans des contextes défavorables, de la forte pression sur les terres en
où peu de données fiables sont disponibles (Mashi lien avec la démographie, mais aussi de la capacité
et al., 2014), comme c’est le cas pour la dorsale du limitée des producteurs à investir dans l’entretien de
Kivu, une attention particulière doit tout de même leurs terres, les exploitations les plus pauvres ayant les
être observée étant donné l’écart qui existe entre le niveaux de dégradation les plus élevés.
langage des agriculteurs et celui des scientifiques L’érosion hydrique apparait comme une cause
(van Asten et al., 2009). Par ailleurs, les résultats importante de la dégradation des terres, tout comme
d’enquête doivent être perçus comme un classement l’épuisement des sols et la perte en matière organique.
relatif des parcelles plutôt que comme un classement Des liens ont pu être établis entre l’état de dégradation
absolu. En effet, le référentiel utilisé par le producteur et certaines cultures et pratiques agricoles, même si une
pour évaluer le niveau de dégradation de sa parcelle telle analyse est rendue très complexe compte tenu de la
sera non seulement fonction de l’évolution de la quasi-généralisation des associations de cultures. Afin
productivité et des processus qu’il y observe, mais d’objectiver les résultats, il serait utile de compléter les
aussi de la connaissance qu’il a de la productivité données obtenues par voie d’enquêtes avec des mesures
et de l’intensité de ces mêmes processus sur des quantitatives de la sévérité des différentes formes de
parcelles voisines dans son terroir, voire dans des dégradation. Pour plus de facilité d’interprétation, ce
terroirs environnants. Cette possible sous-estimation travail devra être réalisé à une échelle plus réduite, à
de la sévérité réelle de la dégradation pourrait résulter savoir celle de la sous-parcelle.
du fait que les parcelles de faible productivité sont Les résultats de cette étude indiquent qu’il est
la norme plutôt que l’exception dans la zone d’étude. urgent d’intervenir auprès des producteurs de la dorsale
L’état général de dégradation d’une parcelle donnée du Kivu pour les aider à inverser le cercle vicieux de la
serait perçu comme moins grave que ce qu’il n’est dégradation des sols et de la pauvreté. La méthodologie
réellement, par comparaison aux parcelles voisines. développée et les résultats obtenus devraient ainsi
Cette subjectivité n’enlève cependant rien à l’intérêt permettre d’accompagner des interventions futures
de ce type de données, puisque cela permet de prioriser grâce à une meilleure connaissance du milieu et
les exploitations ou les bassins versants en fonction une priorisation des zones d’interventions et des
de l’urgence perçue du problème. Ainsi, on pourrait exploitations. À cet effet, le fait que les exploitants
déterminer, par exemple, la contribution de chacun de soient majoritairement propriétaires de leur parcelle
Perceptions paysannes de la dégradation des terres au Sud-Kivu 115

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