Article Des Sols Haiti
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RÉSUMÉS
FRANÇAISENGLISH
Des pratiques agricoles erronées adoptées par les exploitants pour garantir la production peuvent
conduire à des perturbations socio-écologiques au sein de bassins versants. Le bassin versant de
la rivière Mulet dans le département Sud en Haïti, a été retenu comme cas d’étude dans l’objectif
d’analyser le mode de fonctionnement de ses exploitations agricoles en vue d’identifier les effets
que peuvent avoir des pratiques mises en œuvre dans les systèmes de production. À l’effet des
pratiques agricoles s’ajoutent les perturbations liées aux conditions climatiques que subit le
bassin versant. Nous avons mené une trentaine d’entrevues avec des chefs d’exploitations
agricoles ainsi que des entretiens de groupe dans les différents segments du bassin versant
(amont, milieu, aval), afin de comprendre les liens existant entre les pratiques agricoles utilisées
par les exploitants et la dégradation des ressources naturelles (eau, sol, matière ligneuse). Aussi,
des observations directes de terrain ont été réalisées. L’analyse des informations recueillies
permet de comprendre que le couplage des pratiques agricoles adoptées par les exploitants et les
effets des événements météorologiques extrêmes contribue à la dégradation du bassin versant et,
du coup, expose les riverains aux désastres et catastrophes naturelles et à l’insécurité alimentaire.
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ENTRÉES D’INDEX
Mots-clés :
bassin versant, dégradation, pratiques agricoles, ressources naturelles, sécurité alimentaire
Keywords:
watershed, degradation, agricultural practices, natural resources, food security
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PLAN
Introduction
1. Présentation du bassin versant
2. Méthodologie
2.1. Collecte de données et sélection des participants
2.2. Caractéristiques des exploitants agricoles interviewés
3. Résultats
3.1. La terre ou le foncier
3.1.1. La nature des terres
3.1.2. La superficie
3.1.3. Le Mode de tenure
3.2. Les systèmes de culture et d’élevage
3.2.1. Le système de culture
3.2.1.1. Les itinéraires techniques
3.2.1.2. Les pratiques de conservation des sols
3.2.1.3. Les outils
3.2.1.4. La main-d’œuvre
3.2.2. Le système d’élevage
3.3. Les activités extra-agricoles
3.4. Vulnérabilité par rapport aux effets des changements climatiques
4. Discussion
Conclusion
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TEXTE INTÉGRAL
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Introduction
1Une exploitation agricole est une entreprise permettant de générer des bénéfices par la
combinaison des facteurs de production en adoptant les mêmes démarches que dans l’industrie
(Brossier et al., 2003). Dans son fonctionnement productif, une exploitation agricole doit
nécessairement regrouper plusieurs éléments (la terre, le travail et les moyens de production)
appliqués aux écosystèmes dans lesquels se trouve celle-ci pour pouvoir entreprendre la
production végétale et/ou animale (FAMV et GRET, 1990 ; Philippe, 1992). Aussi, le
fonctionnement des exploitations agricoles est fonction de leurs environnements physique,
économique et social. Ces derniers peuvent être contraignants pour les agriculteurs dans
l’atteinte de leurs objectifs ou constituent des facteurs permettant de conduire aux succès. Ainsi,
les pratiques agricoles au sein d’une exploitation ont à la fois des dimensions sociale,
économique et technique. La dimension sociale se rapporte aux modes d’accès à la terre (mode
de faire valoir), l’utilisation de la main-d’œuvre et l’organisation du travail. La dimension
économique concerne par exemple les prix appliqués pour les contrats de fermage des terres, la
vente de denrées agricoles. La dimension technique correspond à l’adoption des variétés de
cultures, des pratiques culturales, etc. (FAMV et GRET, 1990).
2Par ailleurs, en fonction des actions entreprises par les agriculteurs dans leur exploitation
agricole, l’agriculture agit sur le façonnement du milieu « en termes d’environnement, de cadre
de vie et de dynamique économique locale » (Beuret et Mouchet, 2000 : 36). L’Homme, par ses
actions sur le milieu naturel, a toujours été considéré dans la majorité des cas comme un
accélérateur du mécanisme de dégradation (Tihay, 1976). Les techniques d’exploitation agricole
non appropriées utilisées par les exploitants, associées de nos jours aux effets des phénomènes
météorologiques extrêmes entraînent une dégradation ininterrompue du potentiel productif des
terres agricoles et de l’environnement d’une façon générale (Nacro et al., 2010). Aussi, les
activités agricoles ont de très grandes incidences « sur les conditions naturelles du sol et sur
l’équilibre agronomique ». Ainsi, le rapport existant entre les exploitants agricoles et les
ressources naturelles notamment sol forme ce qu’on appelle un anthroposystème (Weiss et al.,
2005).
3En Haïti, les bassins versants représentent le milieu fondamental à travers lequel des activités
agricoles sont entreprises par les exploitants. Ces activités agricoles s’effectuent habituellement
dans les endroits à forte déclivité où les mesures de conservation des sols pouvant permettre de
contrer le phénomène érosif ne sont pas appliquées (MARNDR, 2019). En plus de la
modification du milieu naturel par les activités agricoles, les bassins versants sont soumis, à
l’heure actuelle, à une exploitation excessive de leurs ressources ligneuses par les agriculteurs
dont les exploitations agricoles sont devenues improductives (MARNDR, 2019). Ainsi, les
exploitants agricoles, dans le souci d’augmenter leurs revenus, interviennent au niveau de la
couverture arborée en abattant les arbres et arbustes pour procéder à la fabrication du charbon de
bois comme une activité économique alternative qui pourrait les aider à subvenir à leurs besoins.
Cela a pour conséquence de favoriser le ruissellement et l’érosion des sols (Smolikowski, 1993 ;
Saffache, 2001). De leur côté, Roose et al. (2012) soutiennent que le phénomène de dégradation
des ressources naturelles peut engendrer des perturbations au niveau social en raison de son
incidence sur l’alimentation et l’économie des communautés. Saffache (2006) souligne que cette
dégénérescence écologique qui sévit dans le pays s’explique « en raison de la situation générale
de la République d’Haïti (son contexte socioéconomique et politique), mais plus encore à cause
des pratiques agricoles non viables qui perdurent sur les bassins versants » (Saffache, 2006 : 2).
4La situation du bassin versant de la rivière Mulet (à Roche-à-Bateau) est similaire à celle des
autres bassins versants du pays. Aujourd’hui, il peut être classé parmi les bassins versants en état
de dégradation très avancé à cause de l’application par les exploitants de pratiques agricoles non
viables. Par ailleurs, le bassin versant a été sévèrement touché par l’ouragan Mathieu en octobre
2016. L’ouragan a endommagé des systèmes de production déjà très précaires, ce qui met
jusqu’à ce jour, les exploitants agricoles dans une situation très critique ; ils sont particulièrement
vulnérables et ne disposent que très peu de moyens pour réamorcer leur exploitation (MPCE,
2016 ; MARNDR, 2019).
5Notre recherche vise à faire une analyse du fonctionnement des exploitations agricoles au
niveau du bassin versant de la rivière Mulet, tout en essayant de comprendre les liens existant
entre les pratiques agricoles utilisées par les exploitants et la dégradation des ressources
naturelles (eau, sol, matière ligneuse), à travers des entrevues individuelles et de groupe menées
avec des chefs d’exploitations agricoles, complétées par des observations de terrain.
7Le bassin versant de la rivière Mulet jouit d’un climat semi-tropical caractérisé par l’alternance
de deux grandes saisons : une saison pluvieuse et une saison sèche. Sa température varie entre
200 C et 300 C. La période de novembre à février est celle accusant au cours de l’année les
températures les plus basses. Par contre, les températures les plus élevées s’observent au cours
des mois de juin à octobre. L’agriculture est la principale activité économique des habitants du
bassin versant ; la majorité de la population la pratique. Ainsi, au niveau du bassin versant, les
activités agricoles reposent fondamentalement sur des cultures annuelles sarclées. Concernant la
production animale, tous les animaux sont conduits à la corde et leur alimentation est
principalement assurée par les résidus de récoltes. Par ailleurs, le bassin versant compte 8140
habitants sur ses 31 km2, ce qui donne une densité de 263 habitants par km 2. Ainsi, la plus forte
population se trouve surtout concentrée dans les parties milieu et amont du bassin versant (IHSI,
2015).
2. Méthodologie
2.1. Collecte de données et sélection des
participants
8Nous avons mené 30 entrevues individuelles avec des chefs d’exploitations agricoles et deux
entretiens de groupe totalisant chacun 10 participants. Les entrevues individuelles se sont
réparties à parts égales sur les sections amont, milieu et aval du bassin versant. Les entretiens de
groupe ont été menés dans le secteur aval et conjointement dans les secteurs amont et milieu. Les
questionnaires d’entretiens individuels et de groupe ont été organisés en prenant en compte les
grands points suivants : les systèmes de culture et d’élevage, la terre ou le foncier, les activités
extra-agricoles, et les phénomènes météorologiques extrêmes. Les entrevues individuelles et de
groupe ont été menées en créole et avaient respectivement une durée de 45 – 60 minutes et de 2
heures. Les participants aux entrevues individuelles et de groupe ont été recrutés avec l’appui de
deux associations locales : l’Association Planteurs pour le Développement de Roche-à-Bateau
(APDRB) et la Coalition Roche-à-Batelaise pour l’Expansion Locale (CORABEL).
9Par ailleurs, des observations directes de la dégradation des sols ont été réalisées sur les trois
sections du bassin versant en suivant deux transects (figure 2). Et finalement, nous avons utilisé
les résultats de l’analyse géospatiale effectuée à l’aide des données satellitaires (Landsat du
USGS) et des données du Centre National de l’information géospatiale d’Haïti (CNIGS),
lesquelles ont été traitées avec le logiciel ArcGIS.
3. Résultats
3.1. La terre ou le foncier
12Zone 1
Elle est caractérisée par une altitude comprise entre 0 et 150 mètres et par des classes de pentes
très faibles (0 - 20%). La lithologie retrouvée est de type colluvionnaire. Ainsi, les
caractéristiques topographiques de cet endroit permettent la sédimentation des éléments
provenant du sommet des versants. Ces éléments sont généralement riches en matière organique
détachée de l’horizon de la partie superficielle du sol. De plus, cette zone peut être mise en
culture de façon régulière sans pour autant être soumise au processus de dégradation
(Morsli et al., 2013). La végétation de cette zone est particulièrement constituée d’arbres
fruitiers.
13Zone 2
Elle se trouve à des altitudes comprises entre 150 et 750 mètres. Les versants sont caractérisés
par une diversité de classes de pentes ayant notamment les orientations suivantes : E, O, NE, SE,
N. La lithologie est essentiellement constituée de calcaires durs et de roches volcano-
sédimentaires. Ainsi, une grande partie de cette zone est occupée par des affleurements de roches
et sols nus qui sont surtout liés à la nature des formations lithologiques prédominantes et aux
modes de mise en valeur du milieu. Dans les fonds frais et dans les gorges de la plupart des
versants, la couverture végétale est plus ou moins maintenue. Comparativement à la première
zone, celle-ci est particulièrement formée d’arbres forestiers.
14Zone 3
Dans cette zone, l’élévation est comprise entre 750 et 1086 mètres (avec des pentes très fortes).
Sur le plan climatique, elle diffère des deux autres zones. Sa température est plus fraiche. Ainsi,
à cause des caractéristiques irrégulières de la topographie, elle compte plusieurs petites unités
microclimatiques. Sa lithologie est surtout caractérisée par des calcaires durs. La partie
sommitale des versants est marquée par une très faible couverture arborée.
3.1.2. La superficie
1 Un carreau (de terre) (créole. Kawo Tè) = 12 900 m2 (1,293 ha). Il s’agit d’une mesure courante
des (...)
15La superficie d’une exploitation agricole est une information importante à acquérir lors de la
caractérisation et de l’analyse économique de celle-ci (FAMV et GRET, 1990). L’enquête
réalisée sur le bassin versant de la rivière Mulet montre que 50% des exploitants disposent des
exploitations agricoles ayant des superficies allant de 0,5 à 1 carreau 1 (taille minimale), 27% de
1 à 2 carreaux (taille moyenne) et 23% de 2 à 3 carreaux (taille maximale), qui sont réparties
dans les différentes unités morphologiques du bassin versant (figure 3). En découpant le bassin
versant en trois parties, nous constatons que la dimension des parcelles qui forment les
exploitations agricoles varie en fonction de l’endroit où l’on se retrouve (figure 3).
17Il existe un lien très significatif entre la sécurité foncière et le mode de gestion des parcelles
agricoles, en termes de protection des ressources naturelles, notamment les sols et les ressources
ligneuses (FAO, 2005). Ainsi, les terres en faire valoir direct (en propriété) sont généralement
celles qui sont mises en valeur de manière plus judicieuse, ce qui s’explique par le fait que les
droits de propriété de l’exploitant sont assurés. À cet effet, l’exploitant entreprend des actions de
bonification au niveau de ses parcelles agricoles, telles que l’utilisation des techniques de
conservation des sols et de l’eau et la plantation de cultures pérennes permettant d’éviter
l’érosion des terres. En revanche, les terres en faire valoir indirect sont généralement des terres
impliquant beaucoup d’incertitudes en ce qui a trait à l’exploitation. Elles présentent une
contrainte majeure à des investissements à long terme, du fait que la sécurité foncière de
l’exploitant n’est pas garantie. Par conséquent, ces terres sont habituellement soumises au
processus du phénomène érosif en raison d’une mauvaise exploitation par les utilisateurs
(Bellande et Paul, 1993 ; FAO, 2005).
19Selon les observations sur le terrain ainsi que les informations recueillies lors des entrevues
individuelles et de groupe, les espèces végétales rencontrées au niveau des parcelles du bassin
versant diffèrent selon la topographie et les types de sols (voir section 3.1.1). Dans les
piedmonts, les bas-fonds, les plaines et les bordures des berges de la rivière, les agriculteurs
cultivent généralement, le bananier (Musa sp), la patate (Ipomea batatas), le haricot (Phaseolus
vulgaris), la canne à sucre (Saccharum sp), l’arachide (Arachis hypogaea), la tomate (Solanum
lycopersicum), la mazombelle (Colocasia antiquorum) et, l’igname (Dioscorea cayensis). Ces
zones du bassin versant sont caractérisées par des sols ayant de très fortes quantités d’éléments
minéraux, du fait qu’ils sont constitués de matériaux enlevés de la partie supérieure des sols de
l’amont disposant d’une forte proportion de matière organique (Sildor, 2002 ; Morsli et al.,
2013). Par contre, sur les versants ensoleillés (endroits où les sols sont généralement peu
profonds et vulnérables à l’érosion), les exploitants cultivent habituellement, le maïs (Zea mays),
le sorgho (Sorghum sp), le manioc (Manihot esculentum) et, le pois Congo (Cajanus cajen). Ces
cultures se font souvent en association et certaines fois en assolement. En fait, les espèces
végétales cultivées au niveau des parcelles agricoles dans les trois parties du bassin versant sont
généralement des cultures sarclées qui, d’une manière ou d’une autre, impliquent au moment des
travaux de désherbage, une désorganisation de la structure de la couche superficielle du sol.
Cette intervention dans la couche arable peut conduire à l’érosion et finalement à une baisse de la
fertilité des sols. De plus, lors de la mise en place de ces cultures, dans le souci d’étendre les
parcelles agricoles, beaucoup d’arbres et d’arbustes sont abattus.
21Comme indiqué dans la figure 6, 80% des exploitants agricoles n’utilisent pas de techniques
de conservation des sols au niveau de leurs parcelles parce qu’ils n’ont pas les compétences
techniques ni les moyens économiques nécessaires. Le 20% des exploitants agricoles qui
applique des mesures antiérosives vient spécifiquement du milieu et de l’amont du bassin
versant. Les exploitants n’ont pas eux-mêmes des compétences techniques, mais vu le niveau de
dégradation de leurs parcelles, ils ont mis en place à leur niveau des techniques permettant
d’éviter le départ de la couche arable des sols. Donc, au lieu de brûler les résidus de récoltes, ils
les utilisent de préférence pour ériger des rampes mortes au niveau de leurs parcelles agricoles.
22En ce qui a trait aux outillages agricoles, nous constatons que la machette, la pioche, la houe,
la dérapine, la hache et le râteau sont les outils les plus utilisés par les exploitants agricoles du
bassin versant. Ils font usage de la hache pour l’abattage de gros arbres, tandis les autres outils
sont employés pour le travail du sol. Ainsi, tous les exploitants enquêtés disposent au moins dans
leur exploitation agricole d’une machette et d’une houe.
3.2.1.4. La main-d’œuvre
23La main-d’œuvre au niveau des exploitations agricoles du bassin versant est à la fois familiale
et externe. Toutefois, la plupart des exploitants questionnés n’utilisent pas la main-d’œuvre
externe, car ils ne disposent pas de grands moyens économiques.
27Le petit commerce est pratiqué par 37% des exploitants agricoles. Cette activité est surtout
assurée par les femmes des chefs d’exploitations agricoles. Généralement, le petit commerce est
constitué essentiellement des produits provenant des exploitations agricoles et d’autres articles
venant d’ailleurs comme les sucreries, la farine, le kérosène, etc. La fabrication du charbon est
exercée par 57% des exploitants agricoles enquêtés. Parfois, l’exploitant peut ne pas être un
charbonnier, mais il utilise le service des personnes ayant le savoir-faire dans le domaine pour
produire le charbon à partir des ressources ligneuses qui sont issues de son exploitation. Il s’agit
d’une activité très profitable, ce qui incite la plupart des exploitants à abattre beaucoup d’arbres
au niveau de leur exploitation agricole à cette fin. La fabrication de chaux (3%) et l’artisanat
(3%) sont exercés par une faible quantité d’exploitants interviewés. La chaux est un produit
dérivé de la fonte des roches calcaires sous l’action de la chaleur. Pour la fabriquer, on utilise
une quantité importante de ressources ligneuses composées dans la plupart des cas d’arbres
fruitiers et forestiers, en tant que carburant. Au niveau du bassin versant, la chaux est
généralement utilisée en maçonnerie en qualité de substance de liaison. L’artisanat, il est moins
développé sur le bassin versant. Il existe très peu de personnes qui s’adonnent à cette activité
étant donné que la région ne dispose pas vraiment de marché organisé pouvant permettre
l’écoulement des produits artisanaux.
4. Discussion
29Les résultats découlant de l’analyse du système de production mis en œuvre dans les limites
du bassin versant permettent de constater que les pratiques agricoles adoptées par les exploitants
agricoles ont des impacts significatifs sur les ressources naturelles notamment les sols et les
ressources ligneuses. Nous constatons qu’au niveau des parcelles agricoles se trouvant dans les
zones de fortes pentes, les exploitants n’ont pas érigé de structures adéquates pour la
conservation des sols et de l’eau. D’autre part, nous avons observé que les exploitants agricoles
font l’élevage de bétails sur les berges de la rivière et permettent l’accès à ces derniers aux plans
d’eau. Cette situation ne fait qu’accentuer le processus de déstabilisation des berges de la rivière
ainsi que la dégradation de la qualité de l’eau. Aussi, ils mettent en culture de façon intense leurs
lopins de terre avec des successions culturales rapprochées, donc, une forte réduction des
périodes de jachères. Ces cultures sont généralement localisées dans les endroits à forte déclivité
dans le bassin versant. Ainsi, l’établissement de ce système de cultures est généralement réalisé
par des activités de défriches et de brûlis. À cet effet, les arbres fruitiers ou forestiers, ainsi que
les arbustes sont détruits. La pratique du brûlis utilisée lors de la préparation des parcelles
agricoles par la majorité des exploitants couplée au surpâturage et des périodes de jachères très
restreintes constituent les causes premières ayant contribué à la réduction de la couverture
végétale de façon irréversible au niveau des exploitations agricoles. Ces pratiques utilisées par
les exploitants dans les systèmes de production sont très préjudiciables pour le milieu, elles
entraînent une baisse considérable du taux de matière organique du sol. Ainsi, Roose (1994)
soutient que l’augmentation de la productivité des terres et du travail nécessitent une bonne
gestion de la matière organique et des nutriments. Par ailleurs, les effets négatifs qu’entraîne la
dégradation des bassins versants pourraient être atténués si les pratiques d’exploitation des
ressources et les procédés de mise en valeur des terres agricoles par les exploitants s’appuyaient
a priori sur des normes de conservation et de protection dans une optique de développement
durable (Fernandez, 1997 ; Sildor, 2002).
30En outre, les activités extra-agricoles entreprises, notamment la fabrication du charbon de bois
et de chaux, contribuent à la dégradation de l’environnement du fait que ces dernières nécessitent
des ressources ligneuses considérables ; elles sont rendues nécessaires par les faibles rendements
agricoles qui nécessitent un revenu additionnel.
31Les conditions de tenure des parcelles agricoles dans les exploitations agricoles n’incitent pas
les exploitants à investir dans des mesures de protection et de gestion des ressources naturelles ;
le faire valoir indirect représente le principal mode d’accès aux parcelles agricoles selon nos
enquêtes. Or, le degré de sécurité d’un exploitant agricole sur les terres qu’il occupe est
étroitement lié aux conditions d’accès à ces dernières. Lorsqu’un exploitant peut profiter de la
terre sur une très longue durée, ce qui est généralement le cas des propriétaires ainsi que des
fermiers possédant des contrats pour une longue durée, on qualifie la sécurité de tenure
satisfaisante. Par contre, quand le temps d’exploitation des parcelles est faible, la sécurité de
tenure est jugée incertaine, et à ce moment l’exploitant est enclin à cultiver des espèces ayant de
très courts cycles végétatifs, et non pérennes dans le but de rentabiliser à court terme ses
investissements, ce qui, en fin de compte, contribue grandement à la dégradation du milieu
(FAMV et GRET, 1990 ; FAO, 2005).
32La transformation du milieu par les exploitants agricoles rend le bassin versant très vulnérable
au phénomène de dégradation. Sur le plan environnemental, ce processus de dégradation du
milieu peut entraîner des dégâts considérables comme des (i) inondations en aval, (ii) des
perturbations de l’écosystème aquatique entrainées par le détachement des matériaux provenant
de l’amont et par l’accès des animaux dans les cours d’eau. Dans ce contexte, il est à noter que la
majorité de la population et les principales infrastructures de la ville de Roche-à-Bateau se
trouvent dans la zone inondable. Sur le plan socioéconomique, la détérioration des ressources
naturelles a des impacts considérables sur la qualité de vie des exploitants agricoles. Ainsi, ces
derniers vivent principalement de l’agriculture et leurs exploitations deviennent moins
productives, une fois que la terre est devenue moins fertile en raison de son niveau élevé de
dégradation. Cela peut entraîner une limitation de la disponibilité des aliments en quantité
suffisante créant aussi de l’insécurité alimentaire, et affectant le niveau de vie des exploitants
agricoles et des résidents du bassin versant. Toutefois, pour faire face aux processus de
dégradation notamment sur les versants, plusieurs auteurs (Rosse, 1994 ; Régis et Roy, 1999 ;
Bigi, 2012) conseillent d’utiliser, au niveau des exploitations agricoles, des techniques
conservatoires (maintien de la couverture végétale, jachère, association de cultures, etc.) visant à
protéger les ressources naturelles, qui ne sont cependant pas mises en œuvre dans le bassin
versant de la rivière Mulet.
Conclusion
33L’étude des systèmes de production agricole dans le bassin versant de la rivière Mulet s’inscrit
dans le cadre d’une réflexion sur l’analyse des pratiques agricoles adoptées par les exploitants en
vue d’avoir une meilleure compréhension des influences de celles-ci sur les ressources naturelles
du milieu notamment sol, eau, matière ligneuse ainsi que sur la qualité de vie des communautés.
Les informations recueillies démontrent que les types de pratiques agricoles utilisés par les
exploitants dans leurs systèmes de production font partie des éléments concourant à la
dégradation du bassin versant. L’agriculture pratiquée traditionnellement ne fait que peu d’usage
de techniques de conservation des sols et de l’eau dans toutes les unités morphologiques du
bassin versant. Les cultures sarclées prédominent et sont entreprises généralement dans des
zones où les pentes sont importantes. Aussi, en raison de l’extension des surfaces agricoles dans
le bassin versant, le couvert arboré est abattu et les surfaces consacrées au pâturage, en
particulier pour les petits ruminants, sont réduites. Cette extension des surfaces agricoles couplée
au surpâturage et aux usages non agricoles de la ressource ligneuse sont à l’origine de la
déforestation, ce qui alimente une spirale négative de dégradation des terres (Déry, 1996 ; Frikri
Benbrahim et al., 2004). Ainsi, l’empreinte de l’homme sur le milieu influe fortement les
facteurs de dégradation d’ordre naturel, ce qui fait qu’il représente l’élément principal à l’origine
de la dégradation des ressources naturelles.
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BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1 Un carreau (de terre) (créole. Kawo Tè) = 12 900 m2 (1,293 ha). Il s’agit d’une mesure courante des
terres agricoles en Haïti.
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URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/18313/img-2.jpg
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/18313/img-
3.png
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/18313/img-
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URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/18313/img-
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URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/18313/img-
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URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/18313/img-
8.png
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AUTEURS
Zurcher Mardy
Groupe d’études interdisciplinaires en géographie et environnement régional, département de géographie,
Institut des sciences de l’environnement, Faculté des sciences, Université du Québec à Montréal,
mardy.zurcher@courrier.uqam.ca
Sebastian Weissenberger
Institut des sciences de l’environnement, Faculté des sciences, Université du Québec à Montréal,
Département science et technologie, Université Téluq, weissenberger.sebastian@uqam.ca
L’adaptation en zone côtière : de la parole aux actes : études de cas de deux territoires du Sud-Est du
Nouveau-Brunswick (Canada) concernant les dynamiques sociales et les apprentissages mutuels de
communautés côtières face aux enjeux climatiques et à la gouvernance locale [Texte intégral]
Adaptation in Coastal Zone: Speech to Acts: Case Studies of Two Territories at the South-East of New
Brunswick (Canada) on Social Dynamics and Mutual Learning of Coastal Communities Addressing
Climate Issues and Local Governance
Les apprentissages sur l'aménagement côtier dans deux territoires côtiers du littoral acadien du
Nouveau-Brunswick vulnérables à l'érosion et aux inondations [Texte intégral]
Learnings on Coastal Planning in Two Territories of New Brunswick’s Acadian Coast Vulnerable to
Erosion and Flooding
Jean-Philippe Waaub
Groupe d’études interdisciplinaires en géographie et environnement régional, département de géographie,
Institut des sciences de l’environnement, Faculté des sciences, Université du Québec à Montréal,
waaub.jean-philippe@uqam.ca
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INDEX
Auteurs
Mots-clés
Index géographique
APPELS À CONTRIBUTION
Appels en cours
Appels clos
INDEXATION - RÉFÉRENCEMENT
Indexation
55 | Août 2023
La maritimisation : regards croisés
54 | Avril 2023
Cuba et les Etats-Unis : genèse d’une relation conflictuelle
53 | Décembre 2022
Ressources marines et gestion des littoraux
52 | Août 2022
Le dilemme d'Haïti : d'une crise à l'autre ? (Partie 1)
51 | Avril 2022
Des technologies et des destinations touristiques intelligentes : entre rhétorique et expérimentation
50 | Décembre 2021
Anthropologie de l’expérience de l’accouchement dans le monde
49 | Août 2021
La Caraïbe face au covid-19 : crise globale et solutions locales
48 | Avril 2021
Aménagements littoraux - Chroniques haïtiennes
47 | Décembre 2020
Le tourisme de croisière : défis et perspectives
42 | Avril 2019
La Caraïbe face à un ordre international émergent
41 | Décembre 2018
Biodiversité et gestion des espaces et des ressources naturels
36 | Avril 2017
La plaisance : développement touristique vs protection du littoral?
35 | Décembre 2016
Entrepreneuriat : Quelle voie pour le développement d'Haïti?
33-34 | Avril-Août 2016
Tourisme et ressources naturelles
30 | Avril 2015
Le luxe dans tous ses états : fondements, dynamiques et pluralité
29 | Décembre 2014
Mouvements sociaux, d’ici et là, d’hier et d’aujourd’hui
26 | Décembre 2013
Ressources marines et aménagements littoraux : vulnérabilité, gestion et adaptation au changement global
23 | Décembre 2012
Insularité et tourisme : le projet territorial en question
22 | Août 2012
Mondialisation : différents visages, différentes perspectives
21 | Avril 2012
La façade caraïbe de l’Amérique centrale : fragmentation ou intégration « régionale »
20 | Décembre 2011
Tourisme, culture(s) et attractivité des territoires
19 | Août 2011
The changing world of coastal, island and tropical tourism
18 | Avril 2011
Le tourisme de croisière : territorialisation, construction des lieux et enjeux de développement
17 | Décembre 2010
Îles en crise : Haïti, Jamaïque, France d'outre-mer
16 | Août 2010
Diasporas protéiformes
15 | Avril 2010
Ressources marines : états des lieux, usages et gestion
12 | Avril 2009
Espaces et aires protégés: gestion intégrée et gouvernance participative
11 | Décembre 2008
Petits territoires insulaires et développement durable
8 | Décembre 2007
Migrations, mobilités et constructions identitaires caribéennes
7 | Août 2007
Les risques naturels majeurs dans la Caraïbe
6 | Avril 2007
L'écotourisme dans la Caraïbe
5 | Décembre 2006
Micro-insularité et dégradations des milieux marins: l'exemple de la Caraïbe
4 | Juillet 2006
3 | Décembre 2005
HORS-SÉRIE
12 | Avril 2024
Le développement des Outre-mer au prisme de leurs statuts institutionnels, leurs spécificités économiques et
géographiques
11 | Novembre 2023
Jacques Stephen Alexis
10 | Octobre 2023
Langue et société : parler créole dans les Antilles françaises du XVIIe au XIXe siècle
9 | Septembre 2023
Tourisme, crises et innovations
8 | décembre 2021
René Maran
7 | Juillet 2021
Regards sur Cuba
6 | Décembre 2020
Tourisme et environnement en Afrique
5 | Avril 2020
Cartographies et topologies identitaires
4 | Décembre 2019
Empreintes de l'esclavage dans la Caraïbe
3 | mars 2019
Écriture hors-pair d'André et de Simone Schwarz-Bart
2 | Novembre 2018
Risques, résilience et pérennité des destinations touristiques
1 | Juillet 2018
Patrimoines naturels, socio-économiques et culturels des territoires insulaires : quel avenir ?
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