Rimbaud Analyse Venus Anadyomene

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LL1 – Rimbaud, Les cahiers de Douai, « Vénus

anadyomène »

Le mythe de la Vénus anadyomène (sortant des eaux) par l’image :

- La naissance de Vénus, 1485, Sandro Botticelli : Ici, Vénus est représentée


sortant d’un coquillage. Cette image traditionnelle est très utilisée en peinture.
Dans le poème de Rimbaud, une vieille baignoire remplace le coquillage.

- La naissance de Vénus, 1863, Alexandre Cabanel : Ici, Vénus nait des eaux.
C’est l’autre version la plus répandue de sa naissance. Les couleurs de ce
tableau, peint environ 7 ans avant l’écriture du poème de Rimbaud, sont
reprises dans le premier quatrain.
Ainsi, la naissance aquatique de Vénus inspire les artistes depuis des siècles.
En littérature, elle représente le lyrisme et l’amour (Vénus est la déesse de
l’amour)

Introduction :

En seulement quelques années, de l’adolescence à ses 21 ans, Arthur Rimbaud


va secouer la poésie. Enfant sage, bon élève, il brille principalement dans les
disciplines littéraires. C’est sa rencontre avec son professeur Georges Izambard
qui va le pousser à s’intéresser à la littérature en tant qu’artiste. Commence
une quête de liberté pour le jeune Rimbaud. Quête qui s’exprime par des
fugues répétées, et par une volonté de révolutionner le langage poétique.
Arthur Rimbaud est un poète révolté, qui n’accepte pas le statu quo et cherche
sans cesse à se renouveler tout en renouvelant la langue et la poésie.Dans un
autre poème du recueil,“Soleil et Chair”, il avait donné une image somme toute
assez traditionnelle de la figure de Vénus. Avec “Vénus Anadyomène”, c’est
une toute autre vision de la déesse de l’amour et de la beauté que propose le
jeune poète de 16 ans : celle d’une femme, peut-être même d’une courtisane,
malade et repoussante.

La structure de ce sonnet accompagne un mouvement descendant, de la tête


de femme à ses fesses.

Mouvement 1 : Strophe 1- Découverte de la tête de la femme

Mouvement 2 Strophe 2 : puis de son dos

Mouvement 3 : Strophe 3 : puis de ses reins

Mouvement 4 : Strophe 4 : et enfin de ses fesses

En quoi cette présentation parodique du mythe de Vénus signale-t-elle la


volonté de bousculer les codes poétiques traditionnels?
Analyse linéaire :

Mouvement 1 :
Une reprise du mythe de Vénus sortant des eaux : avec une femme qui
sort de l’eau => « baignoire », « émerge » (champ lexical de l’eau)
Mais très vite, le lecteur constate la dimension parodique du texte :
- la coquille Saint-Jacques du tableau de Boticelli est devenue une baignoire ,
« vieille » et « en fer blanc » (c’est à dire de qualité moindre).
- le thème de la naissance de Vénus (très représenté en peinture) est remplacé
ici par celui de la mort avec le mot « cercueil ». Le décalage souligne donc
l’intention du poète : réécrire ce mythe de façon satirique.
- Les couleurs vert et blanc, présentes dans le tableau de Cabanel (1863)
incitent le lecteur à faire un mouvement de va et vient entre les deux œuvres
pour mieux apprécier la dimension parodique du poème.
La 1ère apparition de la femme sous le signe de la laideur :
- Le GN « une tête » est placé en position de contre-rejet, discordance qui met
en valeur l’élément isolé . Cependant, ici, la tête est tout de suite rendue
quelconque, insignifiante, par l’article indéfini « une ». Il faut attendre le vers 2
pour comprendre qu’il s’agit d’une tête de femme, imprécision qui permet au
poète de créer un lien entre cette femme et un animal (lien qui va perdurer
tout le long du poème). A noter la rime entre « tête » et « bête ».
Le portrait de la femme se précise mais reste axiologiquement négatif : la
blondeur légendaire de Vénus est remplacée par des « cheveux bruns ». On
relève les termes « lente et bête », « déficits » soulignant à la fois la laideur et
le manque de grâce, de jeunesse, de cette femme. Les artifices (coiffure,
maquillage) ne suffisent pas à masquer l’aspect décrépi de cette face :
« fortement pommadés », « assez mal ravaudés » (à noter : la rime de ces
deux groupes de mots). L’adverbe « fortement » et le groupe adverbial « assez
mal » soulignent l’intention d’être belle mais l’échec de la démarche : cette
femme est définitivement laide.

Mouvement 2 :
L'adverbe « puis » aux vers 5 et 7 inscrit l'idée d'une progression : on passe de
la tête au cou puis du cou aux reins, le regard du poète suivant une courbe
descendante. Le corps se dévoile peu à peu en sortant de la baignoire.
On relève dans cette strophe le champ lexical du corps : « col », « omoplates »,
« dos », « reins », « graisse », « peau » mais certains mots créent un effet de
discordance :
– « col » : mot généralement employé pour les animaux
– « gris » : couleur que l'on n'associe pas au corps humain (saleté) +
vieillesse
– « gras », « larges », « rondeurs », « graisse » et « feuilles plates »
(cellulite) renvoient l'image d'un corps disgracieux, obèse + la rime riche entre
« ressort » et « prendre l'essor » qui souligne la description d'un corps
imposant qui se déploie.
– « gras et gris » : allitération en gr / r : sonorités désagréables
– Le déséquilibre rythmique crée par le rejet de la relative « qui saillent »
(v.6) suggère le déséquilibre du corps, son absence totale d'harmonie, de
beauté.
– Au vers 7, les deux relatives présentent une antithèse : « rentre » /
« ressort » , deux verbes de mouvement qui développent l'image d'un corps
presque inhumain, monstrueux.

Mouvement 3 :
Le 1er GN du mouvement 3, « l’échine », reprend le lexique de l'animalité
(terme utilisé pour nommer certains morceaux comestibles du bœuf, du porc).
Sa couleur « rouge » renvoie à l'idée de viande crue, de sang et s'oppose de
manière radicale à la blancheur pure de la Vénus traditionnelle.
« Le tout » : généralisation à la fois négative et réifiante ; « sent un goût/
horrible » : Rimbaud mêle odorat (« sent »), « goût » et vue « voir » mélange
des sens = synesthésie.
La synesthésie sert ici à évoquer un dégoût total et absolu face au corps de
cette femme qui blesse tous les sens du poète. Le rejet de l'épithète
« horrible » réitère le déséquilibre déjà bien présent dans le poème (v.1-2 ; v.5-
6 ), cela mime sur le plan sonore l'aspect « boîteux » de ce corps.
L'association de l'adjectif « horrible » et de l'adverbe « étrangement » crée la
surprise, et invite le lecteur à s'interroger lui aussi sur la mauvaise odeur de
cette femme qui sort du bain, c'est anormal et cela annonce, en quelque sorte,
la révélation finale de la maladie.

La forte subjectivité du poète semble s'atténuer dans le poème dès le 2e


hémistiche du vers 10 avec le pronom « on » et l'emploi de deux verbes assez
neutres, renvoyant à la vue : « remarquer », « voir ». Ces verbes installent
l'idée d'une observation minutieuse, précise, presque scientifique « à la
loupe ».

Le terme « singularités » (au Pluriel!) renvoient à l'idée de détails très


particuliers, assez rares. Ici, cela laisse envisager des particularités qui
accentuent encore la laideur de cette femme, laideur suffisamment
surprenante pour pousser le lecteur à observer avec beaucoup d'attention : « il
faut » (injonction). Le lecteur est ainsi assimilé à un voyeur, dégoûté par
les difformités qu'il observe de très près.

Mouvement 4 :
Dans la strophe 4, les « reins » guident le regard du lecteur sur le bas du dos
de la femme, ses fesses, décrites comme une « croupe » : on retrouve
l'animalisation dévalorisante déjà présente dans le texte (bas du dos chez les
équidés).
Le vers 12 révèle le lien avec le titre du poème, le tatouage en latin qui donne
l'identité de la femme : une prostituée.
L'expression latine « Clara Venus » (lumineuse, illustre Vénus) crée une forme
d'ironie par le décalage qui s'installe. Il n'y a rien de lumineux chez cette
prostituée en fin de vie et dont le corps s'effondre.
Au vers 13, l'hyperthème « corps » déshumanise encore plus cette femme. Il
semble agir seul, en dehors de toute volonté, sujet de 2 verbes d'action : il
« remue » et « tend ». Cela renforce le caractère étrange de cette forme
humaine. Le déterminant à totalité globalisante « tout ce » insiste sur l'effet de
masse offert par ce corps.
Le verbe « tendre » précise que cette femme exhibe son corps ; sa posture
ressemble à celle d'une prostituée s'offrant au poète mais également au
lecteur. Ce dernier devient donc voyeur grâce à l'entremise du poète, ce qui
crée un puissant sentiment de malaise.
La pointe (chute) de ce poème pousse la parodie à son paroxysme :
– parodie du genre du blason puisque le poète choisit pour sujet
anatomique une partie intime et donc taboue de la femme (partie qui
dévoile de surcroît une maladie).
– Parodie de la représentation traditionnelle de Vénus sortant des eaux
(une Vénus belle, jeune et pudique)
L'oxymore « belle hideusement » annonce en quelque sorte le projet poétique
de Rimbaud. En soulignant l'ambivalence entre beauté et laideur, le poète
entend brouiller les codes esthétiques traditionnels : ce qui devrait être beau
est hideux ; le Beau devient laid.
Ainsi, le complément de l'adjectif « belle » est « d'un ulcère à l'anus » =
révélation de la maladie (symptôme de la syphilis)L'opposition est accentuée
par le positionnement symétrique de ces deux termes : « belle » (1er mot) ;
« anus » dernier mot.
Le mot « anus » rime avec « Vénus », ce qui annule toute la majesté de cette
figure mythologique (rejet d'une poésie noble et érudite) et c'est le dernier mot
du poème, la pointe.
Choc et gêne du lecteur

Conclusion : tableau en mouvement, hypotypose – Rimbaud


détruit les codes esthétiques traditionnels : la laideur
devient un objet poétique.
Ouverture : autre texte parodique du recueil (ex : « Bal des
pendus »).

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