Irak Dans Le Contexte Ottoman Au 19e Siècle
Irak Dans Le Contexte Ottoman Au 19e Siècle
Irak Dans Le Contexte Ottoman Au 19e Siècle
1
Pour avoir une vue plus globale et plus objective du développement
sociopolitique de l’Irak contemporain, il convient de procéder à l’étude de la
situation économique au XIX siècle. En effet, l’analyse des grands
changements intervenus en la matière dans l’Irak ottoman nous permet de
saisir une dimension importante de la spécificité de ce pays par rapport aux
autres pays arabes –anciennes provinces ottomanes. Elle nous aidera aussi à
mieux comprendre les problèmes majeurs que connaîtra l’Irak du XXe siècle.
2
S’agissant de l’économie, outre le commerce et le petit artisanat
concentrés dans les centres urbains, on peut dénombrer trois modes
d’activité économique dans le pays : le nomadisme, le pastoralisme et
l’agriculture. A cet égard, mieux vaut parler de « modes de production » les
hommes devant produire et reproduire leur vie matérielle en vue d’assurer
leur subsistance physique et la continuité de leur vie (6).
Les historiens irakiens ayant traité cette période du XIXe siècle n’ont
guère prêté attention à l’aspect économique de la vie tribale, de sorte qu’en
la matière, les rapports des militaires, des diplomates occidentaux et, bien
qu’à un degré moindre, les récits de certains voyageurs occidentaux
s’avèreront très utiles.
Malgré les distinctions qui s’imposent, il faut savoir que les trois
modes de production de la société tribale du XIXe siècle, coexistaient parfois
au sein d’une même grande tribu ou confédération tribale.
A - Le mode nomade :
Il se caractérisait par un déplacement incessant à la recherche des
pâturages nécessaires à la survie des hommes, de leurs animaux, et de
l’ensemble de l’unité sociale dans des conditions naturelles très dures (7).
Ainsi, le nomadisme paraissait une réponse riche et adaptée (8) aux
conditions écologiques prévalant dans l’ouest semi-désertique de l’Irak et
dans un contexte social, sinon hostile, du moins peu propice à la
sédentarisation.
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registre pour en entériner l’appartenance, d’où les rapines et pillages
auxquels ils soumettaient, en quelque sorte au nom d’un droit coutumier, les
caravanes et les hommes traversant ces zones (13). L’acquisition de la
richesse sous forme de butin obéissait-elle à une quelconque motivation ? Il
semble que oui puisque le butin était recherché, comme dans le passé, à la
fois pour prouver son courage et montrer, à l’occasion de son partage, sa
générosité, vertu primordiale pour tout Arabe qui se respecte. Il faut ajouter
que ce droit de razzia était également pratiqué par les Bédouins, hors de leur
territoire « immédiat », à l’encontre des paysans qu’ils soumettaient à des
traitements particulièrement sévères (14). A ces premières motivations, il
conviendrait d’ajouter la volonté des Bédouins d’asseoir leur domination sur
l’espace où ils vivaient.
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La tribu de Shammar, encore bédouine au début du XIXe siècle, se
déplaçait sur un territoire qui allait du flanc ouest de Bagdad jusqu’aux
environs de Musul, à plus de 400 km au Nord. Ce parcours couvrait une zone
semi-désertique à l’ouest, mais aussi les plaines fertiles situées plus au nord,
appelées Djazira – îles -, habitées, même alors, semble-t-il, par des tribus de
cultivateurs.
Une très grande tribu nomade comme Shammar comptait, selon les
estimations de Taylor (18) 81.000 hommes auxquels s’adjoignaient près de
135.000 hommes des tribus paysannes alliées ou protégées. Les revenus de
cette tribu provenaient : premièrement, de la vente de chameaux et de
chevaux ; deuxièmement, de ce que les villages « protégés » devaient
apporter en nature ; troisièmement, de la taxe « payée » par les passagers
sur ce vaste territoire dont l’étendue fut déterminée en fonction de la
conjoncture politico-militaire, et, quatrièmement, des alliances, souvent
monnayées, que le pouvoir central contractait avec elle. En effet, cette taxe,
essentiellement payée en nature devait être versée, non seulement par les
passagers, mais aussi par les petites tribus paysannes alliées.
Cette pratique visait à assurer aux paysans une protection contre le
pillage. La tribu Akil, spécialement chargée par les « Wali » — gouverneurs —
de Bagdad, de protéger les caravanes de la Wilaya, « sous-traitait » pour ce
faire les services de la grande Shammar pour la traversée de « son »
territoire.
Pour autant, il serait excessif d’en déduire que cette société tribale
n’était pas exploitée puisque, dans les faits, le Shaykh profitait de son
leadership pour conforter son influence sur la destinée de la tribu et
s’appuyait parfois sur le soutien d’un pouvoir central qui cherchait à rallier les
Shaykhs et à intégrer leurs tribus bédouines dans son système de protection
des routes caravanières. Ce processus allait, certes, à l’encontre des valeurs
bédouines, mais l’attrait de l’argent et la crainte d’une armée ottomane de
plus en plus puissante, finirent par décider ces tribus à sacrifier leur liberté et
à se rapprocher de plus en plus du pouvoir central
5
C’est cette dimension du contexte politique qu’Al Wardi (21) feint
d’ignorer en prétendant qu’il n’y avait nulle exploitation de la part du Shaykh
bédouin, dès lors qu’il ne détenait pas les moyens de production et qu’il
n’exerçait pas de népotisme. L’exploitation était naturellement limitée par la
base morale et traditionnelle de la vie tribale, mais le rôle primordial du
Shaykh et ses privilèges matériels, mobiliers, au sein de sa tribu, qu’Al Wardi
reconnaît d’ailleurs, poussent à conclure qu’elle existait bel et bien. C’est ce
constat qui permet d’ailleurs d’expliquer que ce même Shaykh pourra,
ultérieurement et sous la pression de l’extérieur, accroître son pouvoir, au
sein de sa tribu et s’accaparer finalement l’essentiel de sa richesse.
B - Le mode pastoral
Le pastoralisme est caractérisé, par rapport au nomadisme, par le
déplacement moins rapide et moins fréquent et par l’absence de chameaux.
Dans le Sud-Irak, on peut distinguer deux modes de pastoralisme.
6
- deuxièmement, à l’est du Tigre, près de Amara (165 km au Nord de
Bassorah) les marais orientaux, que traversent les frontières avec l’Iran ;
- troisièmement, à l’ouest du cours de l’Euphrate et à proximité de la
ville de Nasiriyya, les marais occidentaux qui se mesurent au gré des
caprices de ce fleuve.
7
division du travail, « minutieusement établie » toujours en fonction d’une
meilleure mise en valeur des conditions naturelles. Outre la construction des
bateaux en bois ramené de l’extérieur des marais, les Sabéens assumaient
la fabrication des harpons de pêche et des faucilles de fer.
C - Le mode agricole
L’importance historique de l’agriculture en Irak, ne fait pas de doute.
Pour mémoire, rappelons seulement que la civilisation babylonienne, avec
ses lois de Hamurabi, était, à l’instar des autres civilisations ou dynasties
mésopotamiennes, essentiellement agricole, et que la population de l’Irak
abbasside « comptait selon les estimations, entre 24 et 30 millions
d’habitants »(30). Or, il convient de garder en tête qu’en 1800, l’Irak ne
comptait guère qu’un million d’habitants, de sorte que, quelles que soient les
réserves que peut appeler cette estimation, le contraste reste énorme.
8
Irak, au XIXe siècle, il est donc indispensable, d’une part de se pencher sur
les problèmes liés à l’irrigation, d’autre part, de mesurer l’impact de l’action
du pouvoir central sur la sécurité, le niveau de production, la fiscalité et la
propriété de la terre.
L’Irak possède deux grands fleuves: Didjla -le Tigre-, qui traverse la
partie orientale de la région et donne lieu annuellement à des inondations
dangereuses (32) et Al-Furat -l’Euphrate-, dont la partie basse constitue un
cours d’eau plus faible (33).
9
la nécessité de grands travaux hydrauliques. Y compris dans un pays comme
l’Irak et sa grande région du sud, l’histoire économique dément cette théorie
et démontre que la puissance du pouvoir central et ses réalisations
dépendent non pas seulement de la nature du pays concerné, mais aussi de
la situation générale du pays et de multiples facteurs sociaux.
En effet, l’histoire millénaire de la Mésopotamie est émaillée de longs
intervalles de chute du pouvoir central dont l’année 1258 signe de sa fin
pratiquement en Irak jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle. A cet égard,
il convient de souligner la faiblesse de l’emprise du pouvoir ottoman en Irak,
difficilement instauré en 1534. Ainsi, nous signalons que la Wilayat de
Bassorah fut plusieurs fois soustraite à l’Empire au profit de confédérations
tribales, de l’Iran et même d’un acheteur ! (39)
Si dans les centres urbains le pouvoir était tenu par le Wali et les
garnisons de l’armée, qui bien souvent agissaient d’ailleurs à leur guise, le
Sud-Irak fut pendant plus de six siècles, à quelques exceptions près, le foyer
« de larges groupes tribaux qui s’autogouvernaient, combattaient et
exploitaient la terre sans être ni significativement aidés, ni empêchés par les
autorités de l’administration centrale »(40).
10
Un tel schéma constitue un cercle vicieux aux effets dévastateurs, qui
contredit complètement la théorie de « l’Etat-Providence », de « l’Etat
constructeur » auquel la société orientale serait « fatalement » condamnée
du fait de son système d’agriculture irriguée.
11
La région du Moyen-Euphrate, également considérée comme l’une
des rizières les plus fertiles et, de ce fait, décrite comme « le jardin de
l’Irak », commercialisait sa production avec Bagdad et les villes saintes(52).
Aussi, il est impératif de signaler, en accord avec Cl. Cahen (55), que
l’ikta ne peut pas être confondue avec le féodalisme européen puisqu’elle
implique, outre la dépendance envers l’Etat, la non-propriété des terres, de
forts obstacles s’opposant à leur possession. Tel était notamment le cas de la
religion musulmane, source de légitimation politique, qui, en l’absence d’une
église à l’occidentale, pouvait se retourner contre les gouverneurs en
soutenant leurs concurrents.
Les Ottomans, tout en étant attachés à cet héritage de légitimité, ont
néanmoins pu accentuer le caractère d’organisation militaire étroitement lié à
leur action militaire, initialement orientée contre « les ennemis de
l’Islam »(56).
En Irak, les Ottomans ont appliqué le ikta dans les Wilaya de Musul et
de Shahrazur au nord. La position géographique, proche du pouvoir central,
et le climat pluvieux ont conféré à cette région un ordre et une production
plus stables que dans la région du sud, de sorte que les Ottomans pouvaient
plus facilement y installer des sandjak baykat -commandants de régiment- et
de sipahi -cavaliers(57). Ainsi, dès le XVIIe siècle, 6 khas et 274 Zaama (58)
furent installés dans cette région où une sorte d’alliance s’était établie entre
l’Etat ottoman et les chefs - parfois d’obédience religieuse - qui dirigeaient
les fameuses tribus kurdes de Djaf, de Hamawand et de Balbis.
12
restaient en effet attachés à la règle relative à la propriété tribale de la terre
– propriété communautaire de la terre cultivée par les membres de la tribu –
laquelle fut efficacement défendue durant le XVIe siècle. Elle voulait que la
terre soit répartie entre les différentes familles qui devaient, en contrepartie,
se soumettre à l’una, c'est-à-dire s’entraider pour les moissons ou la
réalisation de certains travaux d’irrigation. Les membres de la tribu n’étaient
donc ni propriétaires à titre individuel, ni ouvriers agricoles, mais simplement
« les cultivateurs de leurs terres, appartenant en dernier ressort à la
communauté tribale » (59).
13
Toutefois, l’iltizam, ou fermage, représentait le meilleur moyen dont
disposait l’Etat ottoman pour assurer la collecte des impôts dans le Sud-Irak
où on l’appelait « daman ».
Constituant un pas important vers la stabilisation des tribus en tant
que « source fiscale », l"iltizam a beaucoup contribué au renforcement de
l’influence qu’avait sur elles le pouvoir ottoman qui, par la désignation
nominative des Shaykh comme responsables de l’acquittement de l’impôt
(65), donnait tout à la fois à ces derniers une importance particulière et
s’offrait une belle occasion d’exploiter les divergences au sein des familles
dirigeantes.
14
Les donnés solidement établies permettent de rejeter la thèse du
despotisme oriental : les nécessités de l’irrigation n’ont pas « imposé » à
l’époque d’assumer ni la tâche d’édificateur des travaux d’irrigation, ni celle
du régulateur de la distribution de l’eau, elles n'ont pas, non plus, produit un
quelconque rôle providentiel du pouvoir en place.
NOTES
(2) Miquel (A.), Art. Irak, Encyclopédie de l’Islam (E.I.), 1975, p.1283
(6) Cela étant dit, nous ferons notre recherche en toute indépendance
vis-à-vis des analyses marxistes ou autres. Sur la signification marxiste du
mode de production voir Marx (K.) et Engels (F.), L’idéologie allemande,
critique de la philosophie allemande, Paris, Ed. Sociales, 1968, pp.45 et
suivantes. Rodinson (M.), Islam et capitalisme, Paris, Ed. du Seuil, 1966,
p.73-83 signale avec raison que la formation sociale est un terme qui
englobe le mode de production et la façon dont les hommes produisent et
reproduisent leurs valeurs, leur idéologie etc.
15
(9) Albright (W.F.): From the Stone Age To Christianity, Baltimore,
1946. Cité par Von Wissman, op. cit., p.907
(11) Ibidem
(14) C.f. Vaucelles (P. de), La vie en Irak il y a un siècle, vue par nos
Consuls, Paris, Ed. A. Pédone, 1963, surtout pp.31-32
(15) Chiha avait observé cette pratique par les membres de la tribu
de Ubayd, voir Chiha, La province de Bagdad, son passé, son présent, son
avenir, Le Caire, 1908, p.250
16
(26) Nawwar, op. cit., p.154. Egalement Dauphin (J.), Les ma’dans
de Basse Mésopotamie, in : Annales de Géographie, Paris, janvier-février
1960, pp. 34-49; Ce récit constitue l’un des meilleurs documents en français
sur la région. Voir aussi : Thesiger (W.), Les Arabes des Marais, Paris, Ed.
Plon, 1983, également précieux, malgré cet aspect de vulgarisation.
(27) Dauphin (J.), op. cit., p.37, où l’auteur signale que la dot
notamment se calculait en buffles : soit un ou deux vers 1960.
17
(41) La première réalisation importante date de 1913. Sur la question
voir Hasan, op. cit., p.29
(51) Sur la même pratique en Iran, Cf. Anderson (P.): The Lineage of
the Absolutist State, London, N.L.B., 1974, p.475.
18
attribué aux soldats, cf. Djawahiri (I. A. al) Tarikh mushkilat al ‘aradi fi al
‘Irak -L’histoire du problème des terres en Irak- (1914-1932), Bagdad,
Ministère de la Culture et des Arts, 1978, p.475.
(63) Comme le pense, par exemple Foster (H.) dans son livre, The
Making of Modern Iraq, A product of world forces, London, Williams and
Norgate Ltd, 1936, pp. 14-15 et 28-29.
19
(67) Azzawi, op. cit., 1955, vol. VII, pp.275-280.
20
CHAPITRE II:
21
En effet, le critère qui distinguait surtout les membres de la tribu
n’était point tant la fortune matérielle - propriétés et autres -, que la
coutume et les valeurs traditionnelles telles que la lignée, l’âge ou le courage,
par exemple. Le facteur économique s’il n’était pas absent, ne constituait pas
l’élément déterminant de la hiérarchie. (3)
Il faut souligner le fait qu’en Irak, depuis des siècles, de plus en plus
de tribus étaient en voie de sédentarisation en choisissant une vie semi-
nomade et surtout paysanne. L’appellation ‘ashira commençait à devenir
courante, sans pour autant pouvoir s’appliquer à toutes les tribus de l’Irak,
22
comme tendent à le faire la plupart des auteurs irakiens contemporains(6),
victimes d’une confusion linguistique usuelle à laquelle n’échappent pas
même les lexiques arabes (7).
Alors que le cheval occupe la place d’honneur chez les Bédouins (11),
le chameau tient, à n’en pas douter, une place primordiale chez les nomades
du désert. La vie quotidienne des nomades – Bédouins – s’articule autour de
la notion de mobilité/liberté. Leur habillement lâche et flottant et leur
habitation (tente noire de poils de chèvre, tissée d’une façon qui permet la
circulation de l’air), l’attestent.
23
XVIIIe siècle, se greffant ainsi, sur les routes caravanières et les voies de
communication ottomanes. Ce mouvement est inhérent à la vie bédouine et à
ses conditions naturelles d’existence. Il n’est donc ni récent, ni accidentel,
mais tient à une tradition qui a poussé, au cours des siècles, les Bédouins à
abandonner un mode de vie pour un autre.
Même s’il est difficile d’établir les origines exactes des tribus
bédouines se trouvant en Irak, au XIX e siècle, il est probable que des groupes
non originaires d’Arabie s’y soient installés et se soient assimilés aux Arabes
en adoptant leur mode d’organisation (la tribu) qui paraissait le plus adapté à
l’époque.
24
du travail, surtout celui de la terre, ces Bédouins sont considérés par certains
auteurs occidentaux (17) comme « l’élément aristocratique [et les] gardiens
des traditions sacrées de l’Arabisme »
Ce sont des tribus qui, élevant des moutons dans le respect des
traditions bédouines, affirment, par là même leur supériorité vis-à-vis des
tribus paysannes. Bien que ces semi-nomades se soient parfois engagés dans
des alliances tribales avec des paysans, tout indique que ce statut était bien
réel au sein d’une alliance où les tribus paysannes cherchaient probablement
à s’assurer une protection et à asseoir leur réputation.
25
La relation qu’elle entretenait avec la confédération essentiellement
nomade de Shammar est imprécise, mais selon Coon les confédérations
moutonnières des shararat et des Muntafik étaient : « pour la plupart
dépendantes des nomades chameliers par suite de leur immobilité relative et,
de ce fait, de leur incapacité à se défendre; [et que] les membres de ces
tribus servent les nomades chameliers comme bergers à gages » (21).
La tribu d’al Adjwad vivait, selon al Tahir (22), sur les rives d’al
Gharraf et de l’Euphrate, vers la ville de Nasiriyya (construite plus tard dans
le sud-ouest), dans des maisons de qasab – roseaux - tressés (23). Son
mode de vie oscillait entre le nomadisme et l’agriculture. Ses membres
passaient l’hiver, le printemps et le début de l’été vers le désert avec leurs
moutons en utilisant les ânes pour le transport, mais certains d’entre eux
restaient au village pour travailler la terre et préparer les champs à la
culture. Il existait donc une fraction de paysans « permanents ». Nous
pourrions ainsi supposer que ces Shawiyya n’étaient pas égaux entre eux :
une division du travail s’opérait, qui était liée au changement de mode de vie
et au système de valeurs dans un environnement donnée.
26
Selon Nawwar(28) ces mi’dans faisaient partie de Zbayd, une grande
tribu arabe connue, mais il admet que leur origine fait l’objet d’une grande
controverse qui, n’a pas été et ne peut être réglée.
Bien que ces bâtiments soient orientés vers la Mecque (31), ils
renforcent l’hypothèse selon laquelle les mi’dans seraient en fait originaires
d’Irak, avant la conquête musulmane. Effrayés par la guerre, ils se seraient
réfugiés dans les marais, excellent refuge naturel, qui aurait attiré au fil du
temps de nouveaux arrivants : opposants politiques, adeptes de croyances,
d’idées, pas ou peu tolérées, ou simples repris de justice. Le chiisme,
historiquement critique et opposé au pouvoir, y serait devenu, « tout
naturellement » et avec le temps, la religion dominante, quoique mêlée à
d’autres pratiques sacrées.
Tout s’accorde ici à une vie pastorale : les pâturages sont en effet
offerts par les marais et les très nombreux îlots où les mi‘dans « élèvent
leurs buffles en les mettant en pacage sur les champs moissonnés ou en
jachère, [et] vivent dans des habitations semi-cylindriques faites de
baliveaux et de nattes tressées, qu’ils transportent selon la saison à courtes
distances ». (32)
27
nous l’avons vu. En outre, ils ne cultivaient pas, non plus, les bordures des
marais, laissant cette tâche aux fallahin -paysans- qu’ils considéraient
comme inférieurs. Ils ne pratiquaient la pêche que pour assurer leur
consommation, se distinguant ainsi d’autres habitants des marais, les
Barbara, qui pratiquaient la pêche au filet et faisaient commerce du poisson.
Sans doute le rejet du mode de vie des mi’dans par les autres tenait-il à
l’élevage des buffles et aux difficultés environnementales précédemment
évoquées.
28
vulnérables face à l’armée de la wilaya et à ses extravagances fiscales. En
effet, ces paysans étaient les plus démunis pour échapper à l’armée de
Bagdad : ni transhumance facile, ni marais… Pour pallier une telle situation, il
leur fallait une muraille, une organisation et des structures défensives, ainsi
qu’une alliance solidement établie avec les autres tribus. Or, mises à part
quelques alliances locales, rien de tout cela n’a été réalisé, sans doute faute
de coordination et de leadership général.
29
primordial pour la survie de leur milieu humain, puisqu’ils pratiquaient les
métiers généralement évités ou bannis par les autres tribus. Il n’est pas
établi que ces groupes aient été méprisés pour cette raison, mais ils étaient
certainement tenus à l’écart et aucun mariage, semble-t-il, n’était célébré
entre les deux parties.
Selon une autre hypothèse, les Suluba seraient les descendants des
Chrétiens issus des Croisades, ayant trouvé refuge dans le désert et s’étant
plus ou moins mêlés aux tribus de la région (45). Outre leur nom, d’autres
éléments plaident, selon nous, en faveur de cette théorie : d’abord, le dessin
de la croix sur les bras des hommes Suluba venant vendre leurs plantes
médicinales à Bagdad, comme l’affirme le témoignage d’un auteur irakien
(46) ; ensuite, leur dégoût de la guerre ; enfin, l’égalité existant entre les
hommes et femmes et le divertissement que leurs femmes se permettaient
d’offrir aux « nobles » Bédouins.
30
irremplaçable à leurs voisins qui rejetaient le travail du fer et du bois. Avec le
temps, ils sont devenus experts en la matière, de même qu’en orfèvrerie,
pour tout l’Irak.
ESSAI D’EXPLICATION
Mais un fait très important vient ici compliquer le jeu : l’Arabe tient
beaucoup à ses valeurs, à sa dignité et à la considération dont il entend être
l’objet. En effet, si l’Arabe semi nomade ou le paysan admet la
« supériorité » des Bédouins nomades, il ne se résigne pour autant, malgré
ce que d’aucuns peuvent penser, à admettre son infériorité ou à être en but
au mépris. Tout au contraire, comme il est normal dans ces conditions, il
éprouve le besoin de se convaincre que, dans son milieu social, il n’est pas
« l’inférieur », qu’il est plutôt « mieux considéré » que ses semblables et qu’il
leur est même « supérieur ».
Voilà comment les hiérarchies locales se créent et à quel besoin
psychologique elles répondent, étant entendu que ce mécanisme fonctionne
évidemment en lien étroit avec le rapport de forces existant - ou établi - par
les intéressés.
31
spécificité de son modèle culturel, y compris de sa sensibilité religieuse, dans
cette vieille Mésopotamie en pleine effervescence politico-religieuse.
32
pour tout Arabe, de trouver, pour alléger les effets négatifs qui s’attachent à
la condition inférieure de l’échelle sociale, une échappatoire susceptible de
faciliter son adaptation à sa nouvelle situation. Tout au long du XX e siècle, les
habitants des marais et les paysans irakiens ont confirmé la véracité de ces
propos.
33
maître de son domaine, et à l’homme passablement isolé des marais, d’y
vivre heureux avec ses buffles, orgueilleux de sa liberté, éloigné du pouvoir
et écarté du commerce asservissant des pêcheurs.
34
Fernea (57), présente de son côté, l’échelle segmentaire tribale telle
qu’elle fonctionnait dans la région de Daghghara (Moyen-Euphrate). Selon
lui, il y a d’abord le Bayt ou maison (la famille). A ce niveau, il faut signaler
la famille appelée hamula : « un terme qui servait à distinguer la famille de
Shaykh - père et fils - des autres membres du lignage. (58) Il n’y a donc
qu’une hamula au sein d’une tribu : celle de son chef (59). Après la famille,
on trouve le fakhdh qui regroupe plusieurs familles et comprend, dans le cas
étudié, entre 10 et 30 adultes mâles. Plusieurs fakhdh, généralement deux,
forment un Shabba(60), plusieurs Shabba forment une Ashira qui totalise
entre 500 et 900 adultes mâles. Quant au Silif (61), d’environ 5000
membres, il est formé de plusieurs tribus –‘asha’ir- ayant décidé de vivre
ensemble.
Le statut de la Tribu:
Avant d’évoquer le statut du chef tribal, il nous faut dire un mot sur
celui de la tribu. La tribu est une communauté de type global. Les traditions
tribales constituent la base de l’ordre social où chaque membre doit assumer
son rôle en tant que tel, et attendre de sa tribu la protection ou la vengeance
lorsqu’il fait l’objet d’une agression. Cependant, les membres d’une tribu ne
doivent pas transgresser ses traditions, à moins de ne plus en faire partie. Il
s’agit, là, en fait, d’un subtil équilibre droit/devoir ou liberté/engagement que
nous devons appréhender avec précaution.
35
donné, juger que son intérêt est de partir à la recherche d’une autre vie,
comme nous l’avons évoqué. A lui donc de vivre libre à l’intérieur de ce cadre
de valeurs, faute de quoi il se rejetterait de lui-même hors de la communauté
tribale. C’est donc la réciprocité des devoirs et des droits qui assure la
continuité de la cohésion tribale, dont cet apparent conformisme des hommes
est le reflet.
36
Au contraire, la vie tribale suppose, avant tout, la solidarité entre
tous les membres de la tribu, y compris son chef qui doit être humble envers
les autres. C’est précisément là ce qui donne l’illusion qu’il s’agit d’une
société segmentaire ou complètement égalitaire, ce qu’elle n’est pas, non
plus.
De plus, dans la société tribale, les tribus méprisées, n’en sont pas
moins fières de leurs identités tribales, même vis–à-vis de ceux qui les
rejettent. Elles acquièrent d’ailleurs honneur et considération en adaptant,
autant que faire se peut, leurs valeurs au mode de vie ou de production qui
leur est devenu nécessaire pour subsister dans l’environnement où elles se
trouvent. C’est, à notre sens, ce qui explique l'adoption croissante et
constante de l’Islam chiite dans la région du Bas Irak, où la grande diversité
ethnique et religieuse, ainsi que l’interaction – positive, avec les Sabéens,
par exemple, devenusrs partenaires des tribus des marais.
Enfin, cette différenciation sociale n’est pas fondée, comme elle l’est
en Inde, sur un ordre cosmologique consacrant la séparation des castes. Si
l’Islam, comme nous le verrons, a permis la concurrence et la différenciation
sociale, il a aussi mis l’accent sur la solidarité entre tous les membres de la
société, en encourageant notamment la générosité et la modestie. Ces
principes y sont considérés comme garants de la cohésion sociale, ce qui
coïncide globalement avec les valeurs de la société tribale. Ce caractère lâche
et souple de la différenciation sociale va constituer l’un des grands obstacles
à l’instauration d’un Etat, fut-ce démocratique, comme nous l’avons déjà
évoqué.
37
Nous essayerons d’abord de traiter du statut du chef en partant du
modèle nomade qui représente, à notre avis, une sorte d’idéal type pour la
société tribale arabe d’Irak au XIXe siècle, puis nous évoquerons le cas
atypique du chef d’al Muntafik, la plus grande confédération de la région du
Sud.
38
Le chef tribal devait, par exemple, contacter le gouvernement
ottoman d’une façon quasi-permanente par le biais de Bab al Arab ou Porte
des Arabes, sorte de délégué aux affaires tribales. Le tout dépendait
évidemment de la qualité des rapports entre ces tribus et ledit pouvoir.
Pourtant, à partir du XVIIIe siècle surtout, ce pouvoir essayait par tous les
moyens d’affaiblir le mashyakha, d’abord en encourageant les rivalités au
sein des familles dirigeantes (qui « fournissaient » normalement les Shaykh).
Comme nous le verrons (78), c’est par la pratique de l’Iltizam – fermage -
accordé au plus offrant que cette politique commencera à donner des
résultats tangibles au sein des tribus récalcitrantes, en incitant leurs Shaykh
à prendre modèle sur la famille de Sa’dun, alliée presque déclarée du pouvoir
ottoman.
39
Mais c’est au moment du fasl — règlement traditionnel après la
bataille — qu’un événement sans précédent survint : Shibib n’avait pas
demandé à la tribu vaincue de régler l’affaire avec des femmes ou de
l’argent, comme c’était l’habitude, mais avait posé une condition plutôt
politique (soumission), à savoir l’acceptation totale de son pouvoir, de sorte
que les vaincus devaient, en le rencontrant, lui baiser ses mains. Lui, en
revanche, ne se considérait plus obligé de se lever pour répondre à leurs
salutations, comme le voulait la coutume tribale. Vaincue et apparemment
écrasée, la tribu d’al Adjwad — d’après le même récit — avait accepté cette
condition. Plus encore, dans la mesure où elle ne devait ni femmes, ni
argent, elle y aurait vu une marque de générosité, interprétation difficilement
acceptable dans l’environnement tribal.
J’en veux pour preuve la suite du récit qui rapporte que, peu après, le
fils de Shibib fut tué par des hommes d’al Adjwad — il s’agissait sans doute
d’un fait de résistance — et que Shibib profita de ce meurtre pour renforcer
son pouvoir. Il aurait, une fois de plus, refusé le règlement traditionnel -fasl-
et exigé la satisfaction de trois conditions pour régler pacifiquement le
conflit :
- d’abord, qu’il ne soit pas tenu de se lever même pour un des Shaykh
d’al Adjwad ;
- ensuite que ces derniers soient contraints à chaque rencontre de
baiser son visage ou ses épaules, et leurs fils – futurs chefs en somme – ses
pieds (sic) ;
- enfin, que lors des déplacements du Shibib en territoire d’al Adjwad,
les membres de cette tribu lui offrent du lait, de la laine et des moutons. Le
récit qu’al Tahir rapporte que les hommes d’al Adjwad auraient également
accepté ces conditions «avec joie, et les auraient appelées al dabiha wal
maniha « le sacrifice et le don ». Cette « joie » ne doit cependant pas nous
tromper sur le caractère « officiel » du récit, malgré son importance.
40
despotique, contrevenant part là même à la nature et aux valeurs fondatrices
de son entourage.
Ce qui semble plus important, c’est que cette famille devait gérer une
domination inhabituelle sur des tribus chiites dont une partie au moins lui
était hostile. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’elle devait tout
naturellement se trouver conduite à se rapprocher du pouvoir ottoman,
lequel l’a nommée pour diriger la région et l’écarter plus tard, puisque c’est
surtout à partir de 1831 que s’est opéré un rapprochement systématique.
41
capacité militaire et de la fiscalité ottomane vont doubler la misère de ces
tribus pour aggraver durablement, à partir du XIX e siècle, l’appauvrissement
des tribus d’al Muntafiq. Leur situation était alors tellement insupportable que
les observateurs qui témoignaient de leur misère (84), s’en attristaient. Les
chanteurs originaires de cette région constituent d’ailleurs, encore
aujourd’hui, le grand courant de chanteurs irakiens souvent marqués par le
chagrin.
La religion:
La religion ne constitue pas, à notre sens, la source du pouvoir du
chef tribal nomade arabe. Cependant la sédentarisation, surtout depuis
l’avènement de l’Islam, vient nuancer quelque peu cette assertion.
42
recherche d’un quelconque secours auprès du monde de la religion ne
servirait à rien ! En effet, comme l’énonçait Fernea « rien ne peut être aussi
loin de la conception traditionnelle du leadership au sein des tribus arabes
que la notion du droit divin »(89).
43
Une remarque s’impose pour clore ce sujet:
Après l’avènement de l’Islam, la qualité de croyant était
généralement exigée au sein de la société tribale d’Irak : c’est notamment le
cas des tribus du Moyen-Euphrate, proches des villes saintes de Nadjaf et de
Karbala (92). D'autant plus, qu'après la chute de Bagdad, en 1258, et les
guerres qui ont suivi, l’espace tribal s’est élargi aux dépens de la ville. Des
urbains s'y sont donc plus ou moins massivement introduits, avec leurs
religiosité, dans cet espace tribal, devenu le cadre idéal de vie et surtout de
protection pour les habitants de ce pays.
C’est pourquoi nous pensons que Fernea s’est trompé sur cette
question en affirmant que n’importe quelle personne jouissant d’un bon
statut au sein de la tribu pouvait en devenir le chef. S’il a vaguement nuancé
son propos en ajoutant : « habituellement, cette position est occupée par le
fils ou le frère du Shaykh défunt» (94), nous estimons difficile d’admettre le
non-respect d’une telle règle. Il est à noter, au demeurant, que la tribu d’al
Shabana, objet de l’étude de Fernea, est dirigée par une même lignée depuis
de longues décennies.
44
conjuguent pour permettre à une famille turbulente et dominatrice, comme
celle d’al Sa’dun, de régner pendant de longs siècles (96). Cela se vérifiait
déjà, bien avant l’arrivée de Madhat Pacha, en 1869, et l’enregistrement des
terres tribales au nom de cette famille, de plus en plus alliée au pouvoir
central.
45
ce jugement était obligatoire et sans appel (103) d’où probablement
l’appellation de Farida.
Ainsi, tous ces facteurs, liés les uns aux autres - descendance,
qualités personnelles et services - ont joué un rôle incontestable dans la
stratification sociale dont la souplesse trouve son illustration dans le fait
qu’elle était soumise aux appréciations prévalant au sein de la tribu par
rapport aux individus concernés.
46
« territorialité » entre le père et les tenants du pouvoir tribal. En effet, dans
la mesure où des valeurs communes géraient la vie de tous, le père se
trouvait enclin, de lui-même, tout en jouissant d’un statut très important, à
respecter l’avis des « autres » - frères et cousins - sur la gestion de sa
propre famille.
NOTES DU CHAPITRE II
(1) Voir par exemple Marx-Engels, 1968, p.86. Ce concept de classe
peut évidemment être opératoire concernant d’autres sujets de recherche.
(3) Nous rappelons qu’il s’agit ici de la société tribale arabe d’Irak et
non pas des centres urbains qui, à leur tour, ne connaissaient qu’un
47
embryonnaire regroupement fondé sur l’état de possession de moyens de
production.
(4) Comme c’est le cas de Fernea, 1970. Cf. Shkara (d), 1970, p.19
qui montre la pyramide sociale au sein de la tribu.
(6) Voir, par exemple, Wardi (A. al), 1977, p.176 qui parle du
gouvernement tribal en utilisant l’adjectif qabaliyya (de qabila), alors que
dans la même page et parlant du front tribal il utilise ‘asha’iriyya (de ‘ashira).
Nawwar, 1968 (b), appelle toutes les tribus par ‘ashira. Al Tahir cité par Le
Cerf, 1975, fait le même usage du mot ‘ashira. Cette appellation dominante
dans le Sud-Irak devient effectivement la plus utilisée en Irak depuis le
milieu du XXe siècle.
(12) Ibidem.
48
(17) Documentation française, 1951, p.8
(21) Ibidem.
(23) Comme chez les mi‘dans des marais, voir supra chapitre I
(26) Cf. Dauphin (J.), 1960, p.41. Mi’dan vient peut être de ma’dan,
qui signifie le métal, donc solide ou brut.
(31) Ibidem
(33) Azzawi (A. al), 1955 (b), p.66, il est donc légitime de se
demander pourquoi Nawwar s’empresse d’expédier ce problème en citant le
même Azzawi incomplètement. Est-ce dû à l’arabisme affiché par l’auteur et
qui dominaient les écrivains des années soixante ?
49
(35) Le Shaykh d’une tribu des marais ne disait-il pas à Dauphin (J.),
1960, p.42 :« il vaut mieux être un âne à Basra qu’un homme ici! » ?
(37) Cf. à titre d’exemple seulement, Voir Vaucelles (P. de), 1963,
pp.32-33
(40) Car les Suluba sont plutôt des groupes éparpillés dans les tribus.
Ainsi, on parle de Suluba de Shammar, par exemple. Cf. Djamil (F.), 1970,
pp.33-34
(43) Ibidem
(45) Nawwar, Ibidem, pense que les Suluba évitaient les conflits et
vivaient parfois près des marais et dans les zones relativement profondes du
désert.
(46) Djamil, 1970, p.36. Coon, 1975, p.897. Cela reflète évidemment
la non-adoption des valeurs tribales dominantes.
(51) Voir infra chapitre III, aussi : Monteil (Vincent): Clefs pour la
pensée arabe, Paris, éd. Seghers, 1977, pp. 185-192
50
(53) Voir infra chapitre IV et V
(55) Coon, 1975, p.897. Cet ancêtre ne peut être totémique comme
le laisse entendre Tahir, 1972, p.36
(59) Ibn –fils de- Hamula, est une expression élogieuse encore
utilisée, en Irak, pour désigner une personne brave et généreuse, portant les
marques d’une bonne éducation. Cela reflète l’ancrage de ce lien,
stratification/valeurs, dans la culture irakienne.
(64) Selon lui, Ibid, p.25 la conduite du nomade « est une longue
succession d’actes traditionnels et coutumiers. Les devoirs d’hospitalité et de
vendetta[...] les mille faits relatifs au comportement, en bref, toutes ses
manières de faire et de penser, codifiées par l’usage et fortement enracinées
dans les moeurs, posent des limites étroites à sa liberté et font de lui un être
sans changement appréciable » (sic).
(65) Ibidem.
51
(71) Nawwar, Ibidem. Tahir (A. Dj. al), 1972. Voir l’introduction où
l’auteur fait un récit événementiel entaché d’ambiguïté…
(76) C’est finalement cette définition que nous adoptons pour le chef
tribal nomade, avant l’avènement de l’Islam au VIIe siècle.
(84) Voir par exemple, le témoignage de Fraisier (J.B.), 1842, vol. II,
pp.95-98 et Texier (Ch.) 1840, pp.16-18. Ce dernier explique la
« soumission » des tribus d’al Muntafiq par leur proximité de la capitale, ce
qui est inexact. De plus, de nombreuses tribus se situant entre al Muntafiq et
Bagdad ne connaissaient pas alors cette soumission. Voir infra chapitres IV et
V.
52
(85) Bedair (A.), 1965, p.55.
(92) Voir infra chapitre III. Sur le rôle de la religion dans la résistance
tribale aux Britanniques, voir infra chapitre V.
(95) Chelhod, 1958, p.56, précise p.57 que ledit chef n’était que
« nominalement héréditaire », mettant ainsi, l’accent sur les qualités
requises. Voir également Barazi (Kh. al), 1969, p.92. Dahiri (A.W. al), 1968
qui signale, pp.90-92, que le Shaykh peut être démis de ses fonctions.
(97) En fait, tous les musulmans respectent les Sada (appelés ashraf
dans les autres pays arabes).
53
(100) Il semble, d’après les témoignages que nous avons recueillis,
que les Sada respectés venaient au milieu du champ de bataille et traçaient
une ligne entre les deux parties en conflit, les empêchant ainsi d’avancer
l’une vers l’autre.
(102) Cf. Dukla et autre, 1979, pp.283-284. Les qadi -juges- ont
également joué un rôle important dans ce sens, d’après Nawwar, 1968 (b),
pp.147-8
CHAPITRE III:
SYSTEME DE VALEURS TRIBALES
Certaines d’entre elles sont spécifiques, ce qui est avant tout le cas de
la rareté des écrits sur le sujet. Les historiens irakiens ne se souciant guère de
la société tribale ont en effet notamment négligé l’étude de ses valeurs et de
ses traditions.
54
Lorsqu’ils se sont intéressés à quelques aspects de la vie sociale, leurs
écrits ont, à tout le moins, été empreints de préjugés idéologiques, quand ils
n’ont pas obéi à des motivations politiques (1). L’exemple le plus frappant est
présenté par l’historien Fasih al Haydari, qui écrivait, en 1870, au moment de
l’ascension du pouvoir central ottoman en Irak, que la ville de Basra et ses
environs étaient habités en grande partie par les Chiites qu’il dénigrait tout en
faisant l’éloge des Sunnites, surtout quand ils étaient originaires de Nedjd (en
Arabie) et quand ils habitaient la ville d’al Zubayr » (en Irak, vers les frontières
koweïtienne) (2).
Dans la même ligne, mais sur un autre sujet, Mahmud al Abtah (6), tout
en regrettant la rareté des études consacrées au folklore irakien, considère
comme « scandaleux » le fait qu’un chercheur s’intéresse au phénomène des
durs de quartiers (shakawat), alors même qu’il s’agit d’un phénomène
sociopolitique, aux origine tribales, concernant la vie de Bagdad et l’incurie du
pouvoir central dans ces quartiers, jusqu’au milieu du XXe siècle. Al ‘Abta
s’interroge, un peu naïvement d’ailleurs, sur le lien existant entre « les arts
populaires, emprunts d’humanisme… et une bande de malfaiteurs qui pillaient
et portaient atteinte à l’honneur d’autrui" (7).
Il s’agit-il très probablement d’un rejet de la différence de la part des
auteurs urbains ou « modernes » qui cachent mal leurs objectifs politiques et
idéologiques. Le mode de vie et les valeurs tribales sont perçus là comme un
vestige du passé et un obstacle au projet de l’Etat irakien modernisateur – en
l’occurrence par la force- présenté comme forcément progressiste et salutaire.
55
une source de prospérité de la nation, qu’elle vive en sécurité et qu’elle
devienne un lieu de tourisme pour les étrangers, arabes ou irakiens, surtout au
printemps et en hiver » ! Rien n’est dit sur les besoins et les aspirations de la
population concernée.
I : LA PRIMAUTE DE LA TRIBU
Deux éléments déterminent la valeur de la tribu par rapport aux autres
tribus : La grandeur et l’origine.
56
« couronné » d’enfants agrandit la tribu, la mort, à l’inverse, la diminue,
l’affaiblit et lui porte préjudice, surtout quand elle tirait fierté de la générosité
ou du courage du défunt dans les combats. La grandeur indique aussi les
ralliements à la tribu opérés dans le passé, grâce aux alliances –hilf,
littéralement serment- et aux allégeances –wala‘ –, mentionnées par Ibn
Khaldun (16) comme sources de mélange et de confusion au niveau des
filiations.
II : EMINENCE DE LA FAMILLE
Valeur du mâle:
La valeur du mâle était l’une des valeurs les plus importantes au sein de
la tribu arabe préislamique, où l’homme idéal devait avoir les qualités requises,
telles que le courage, la franchise et la générosité, pour défendre la tribu (et sa
réputation) et, par là même, renforcer son propre prestige.
De la femme, en revanche, on avait une idée bien différente qu’on peut
résumer en deux mots en l’occurrence indissociables : Honneur et Fragilité (ou
source de faiblesse). Il est à noter ici que l’honneur est fonction des rapports
avec l’extérieur et que la fragilité est induite par une certaine forme de
protectionnisme. Ces deux éléments produisent les germes d’un tutorat
établissant une infériorité des femmes, mais il convient de voir les choses avec
discernement, sachant que le rôle dévolu aux femmes dans les tribus était très
important, comme en témoigne le parcours de certaines poétesses célèbres,
dont ’al Khansa‘, avant et au début de l’ère musulmane, mais aussi celui de la
femme du Prophète Mohammed qui était sa patronne, ou encore de la mère du
Muawiya, l’Omeyyade Hind, dont le fils Mu'awia parviendra, plus tard, à fonder
57
sa dynastie. Cette femme jouera un rôle notable dans le combat contre
Mohammed et supervisera le meurtre de l'oncle du prophète et chef de son
armée, Hamza, pendant la bataille de ’Uhud.
Ainsi, les berceuses que les mères chantaient pour leur fils, illustraient
cette valeur de l’homme et sa contrepartie, la mort qui guettait les braves aux
virages de leur vie, surtout dans les combats. Les chansons de Samarra
(environ 120 km au Nord de Bagdad), comme celles d’autres régions arabes
d’Irak, font état des vœux de la mère que son fils, une fois adulte,
l’accompagne au pèlerinage de l’Imam Ali et l’enterre dignement après sa mort.
Cette berceuse de la région d’al Simawa (Bas-Euphrate), « Dors, oh mon petit...
si tu veux savoir, je voudrais que tu veilles constamment sur moi. Sans toi, je
serai seule, sans aide, oh, mon petit ! », en est une illustration.(21).
58
forcé- s’est fait en vertu d’un règlement. Quant à la cousine, elle est
normalement –ou même forcément- destinée à son cousin). Il s’agit visiblement
là d’une femme qui rejette les remarques désobligeantes de son mari sur ce
qu’elle fait et qui refuse sa domination. A ce propos, il convient de retenir les
termes péjoratifs, voire les insultes, qu’utilisaient certaines poétesses pour
critiquer non seulement les maris qualifiés de paresseux ou de vieux, mais aussi
le mariage forcé, dénoncé comme un mariage sans amour ou sans désir. Il est
ainsi envisageable de suggérer l’existence, surtout au sein des tribus
paysannes, d’une limitation, voire d’une altération de la position de supériorité
des hommes, laquelle n’était ni systématique ni absolue au XIXème siècle,
contrairement à ce que certains auteurs tendront à laisser croire à partir de
leurs observations et de leurs jugements, un siècle plus tard.
59
Mais une autre personnalité figurait en bonne place au sein du conseil
tribal, dans le Centre et le Sud de l’Irak, celle du sayyid –ou descendant du
Prophète. Le sayyid concurrençait le ‘arifa, et jouissait d’un grand respect, dû,
non seulement à sa descendance, mais aussi à sa sagesse et à sa connaissance
des règles tribales. Il assumait, au sein des tribus arabes chiites d’Irak, un rôle
de modérateur et de pacificateur, en dissuadant les grandes tribus de s’attaquer
aux petites et en empêchant les tribus, en général, d’entrer en guerre ou de la
perpétuer (32). Avant de traiter plus précisément de la place de la religion, il
convient, à ce stade, de dire un mot sur ses rapports avec la loi dans la culture
tribale.
Pour l’essentiel, la loi tribale, transmise au fil des siècles, s’est
constituée en dehors de la juridiction islamique (33). Il semble même que la
religion -en tant que législation- y était perçue comme venant de l’extérieur,
contrairement aux Suwani, ces règles héritées de père en fils et considérées
« comme le meilleur garant de leur salut et de leur unité tribale » (34).
hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh
hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh
Alors que la législation musulmane se fonde sur le principe de la
responsabilité individuelle (35), la responsabilité collective a toujours été
reconnue par la justice tribale. Tel est notamment le cas pour le meurtre
prémédité, sanctionné, non pas par la peine capitale, mais par un règlement
collectif à l’amiable –fasl- qui consistait à offrir un nombre déterminé de
femmes, quatre en principe, à la famille de la victime. Si l’agression n’avait pas
été mortelle et n’avait entraîné que des dommages corporels (blessures ou
handicaps), le nombre de femmes variait de un à trois selon la nature du
préjudice subi. Tout échec d’un accord à l’amiable pouvait donner lieu à des
vengeances de la part des familles ou tribus qui s’estimaient lésées.
Cette forme de réparation par le don de femmes avait deux fonctions :
compenser les pertes physiques ou psychologiques et établir des liens de
parenté entre les deux belligérants dans un contexte de paix plus "juste", parce
que plus acceptable par les deux parties. Cette réparation visait aussi à établir
un nouveau lien entre les parties en conflit par le mariage et la nouvelle
descendance susceptible d’en découler (36)... Les autres préjudices moraux
(offenses) obtenaient aussi compensation: la loi tribale prévoyait même de
sanctionner l’auteur d’agressions psychologiques en lui rasant la barbe et la
moustache (37).
Pour autant, il existe un exemple presque opposé qui illustre, lui aussi,
la grande différence existant entre les règles tribales et les règles de l’Islam : le
droit accordé au mâle sur sa cousine paternelle, laquelle lui était destinée
d’office, alors que l’Islam rejette tout mariage prédestiné ou forcé. Le non-
respect de ce droit pouvant conduire le cousin offensé à assassiner sa cousine
ou son mari, les sages de la tribu privilégiaient les solutions à l’amiable, faute
de quoi le mariage était annulé. (38). Par ce mariage endogamique, la tribu
cherchait à assurer sa continuité à travers son propre sang (39 =). Ce souci
reflète une certaine cohérence de la vision tribale quant à sa conception de la
vie sociale et à son mode de vie dont la logique de fonctionnement ne se perçoit
que dans son ensemble.
60
C’est d’abord le cas de la règle de Kasir – petit -(40) qui consiste à
garantir à une branche, une famille, ou même à un individu de faire partie
d’une tribu qui lui assure la protection, sans pour autant l’obliger à lever les
armes avec elle. C’était là une sorte d’hospitalité –diyafa-, mais de longue
durée (41). Alors que les hôtes étaient reçus de plein droit pour une durée de
trois jours, les Kasir résidaient dans la tribu de façon définitive et y travaillaient
comme les autres membres. Ils constituaient plutôt une catégorie distincte,
intégrée sans être complètement assimilée au sein de la tribu.
Ces règles de Kasir et de Wadjh font partie d’un principe général appelé
dakhala ou dakhil -refuge-, dérivée de dakhala -entrer (en protection). Il s’agit
d’un droit de refuge ou de protection accordé face aux tribus et au pouvoir
central, quelles qu’en soient les conséquences. C’est ce dernier aspect qui a
d’ailleurs conduit les observateurs (43) à critiquer sévèrement et fort
légitimement cette règle devenue source de conflits meurtriers.
Pour compléter ce propos, il est indispensable de bien repérer ce qui
existait au début de l’époque moderne et ce qui porte les empreintes de
l’évolution vécue aux XIXe et XXe siècles. Aussi faut-il bien mesurer que cette
valeur de protection devait, au départ, répondre à un double besoin : agrandir
la tribu et renforcer sa réputation. C’est, en fait, la dégradation des mœurs
tribales conjuguée au « virus tribal » de défier même les dangers
insurmontables, qui a conduit à une pratique abusive de ce principe déclenchant
ipso facto des guerres fratricides entre protecteurs et justiciers.
En effet, cette protection pouvait bénéficier à nombre d’auteurs de
délits, y compris à un homme ayant « enlevé » une femme mariée (44). Si une
grande tribu du Moyen-Euphrate, comme celle de Banu Hakim l’accordait au
couple, les deux fugitifs pouvaient se marier. Dès lors que cet act transgressait
les valeurs tribales, on comprend à quel point pour la tribu agressée cette
protection était vécue comme offensante grave et inadmissible. Rappelons en
effet qu’en cas d’intrusion d’un amant ou d’un voleur dans le foyer familial,
l’agressé pouvait, à l’intérieur de sa maison ou de sa tente, tuer l’intrus en
toute légalité tribale.
Cependant, comme nous ne possédons pas d’indications sur l’existence
de tels actes aux XVIIe et XVIIIe siècles, tout laisse à penser qu’ils pourraient
n’être que les effets de la décadence générale de la vie tribale au XIXe et plus
encore au XXe siècle. L’adultère, considéré par les tribus comme une haute
trahison et sanctionné par la peine capitale, constituait un crime plus
gravement puni que l’assassinat lequel, comme nous l’avons vu, se réparait par
l’offre de femmes en mariage. L’adultère faisait d’ailleurs partie des crimes,
appelés Suda -noirs- (45) pour souligner la gravité de l’acte qui déshonorait
leurs auteurs. Le fait que les femmes symbolisaient, dans les tribus arabes
d’Irak comme ailleurs, l’honneur et le salut de la tribu, ne faisait évidemment
que renforcer les exigences et les interdits formulés à leur encontre.
61
Si voler, blesser tuer un cheval ou un chien étaient autant de crimes
suscitant le mépris de la tribu qui refusait alors de manifester sa solidarité aux
incriminés au moment de payement du diyya –indemnité (46), l’adultère ou
l’assassinat d’un membre de sa propre tribu, étaient, quant à eux, sanctionnés
par l’expulsion –’idjla- de la terre tribale –dira ou silif. Une telle punition qui
reflète la gravité du crime, dénote aussi l’impact coercitif recherché par le
« législateur tribal ». Quitter sa tribu étant inconcevable et considéré comme
scandaleux dans l’esprit tribal, se trouver expulsé ou condamné à vivre loin de
siens constituait une sanction terrible (47). Une fois expulsé pour de tels
crimes, l’homme tribal se voyait contraint de chercher une autre « tribu
d’accueil ». Il ne venait pas à son esprit d’émigrer en ville (48).
Nous pensons que ces règles signifient, entre autres, que certaines
valeurs islamiques majeures -aux yeux des tribus- ont été intégrées dans
l’environnement culturel tribal. Associées à l’esprit du corps tribal et aux règles
purement tribales (préemption sur la cousine paternelle, protection des fugitifs
et règlement de conflit) ces valeurs, croyances, ces rites musulmans
confortaient l’unification des membres de la tribu. Ce phénomène est plus
évident encore chez les tribus chiites d’Irak, comme nous le verrons plus loin.
Ces valeurs d’origine musulmane constituent, en tout cas, l’essentiel des
valeurs religieuses tribales arabes d’Irak.
62
de ce pays, alors qu’elles sont les plus négligées par la recherche. Par souci
d’efficacité, Il convient donc de se concentrer sur la dimension religieuse de ces
tribus majoritaires sans pour autant ignorer les autres. Il est en effet essentiel
de procéder à des comparaisons avec les tribus sunnites vivant à proximité de
Bagdad, à l’Ouest et au Nord de la capitale jusqu’à Mosul, lesquelles, en contact
épisodique et parfois permanent avec les tribus chiites, se laissaient d’ailleurs
bien souvent convaincre par le chiisme (51).
Nous nous intéressons ici à l’étude de la religion en tant que fait social,
dont les représentations sont des représentations collectives (52). Nous traitons
du contenu de la religion adoptée, uniquement dans la mesure où cela est utile
pour comprendre la spécificité de tel ou tel groupement humain dans
l’environnement sociopolitique où il se trouve. C’est pourquoi, et bien que les
différentes religions, comme le pensait Durkheim (53), répondent aux mêmes
nécessités, les formes qu’elles prennent et la manière dont elles se développent
sont parfois différentes. C'est pourquoi une même religion peut prendre
plusieurs voies, et cela en fonction de l’environnement non pas seulement
naturel, mais aussi et surtout sociopolitique et des conflits d’intérêts qui en
découlent. L’Islam ne nous semble pas faire exception, car son développement,
notamment chiite, a généralement été lié à un positionnement déterminé face
aux pratiques du pouvoir dominant (54).
En effet, les tribus bédouines étaient plus ouvertes aux chrétiens ou aux
étrangers en général. Naturellement, cette ouverture était plus remarquable
encore chez les Sunnites urbains aisés qui, d’après les mêmes observations,
avaient l’habitude de recevoir les étrangers ou de leur rendre visite pour se
divertir, alors que leurs semblables chiites –urbains- participaient
continuellement à des rencontres où, avec leurs frères de religion, ils pleuraient
le martyre de l’Imam Husayn et se souvenaient de ses qualités. La visibilité de
ce contraste pousse Chiha (56) à dire que les Chiites « naquirent, vécurent et
moururent dans un monde de pleurs et de tristesse » !
63
ces deux forces d’adhésion explique pourquoi de nombreuses tribus chiites
constituent encore aujourd’hui les structures sociales les plus solides, dans
l’Irak arabe, dépassant en cela les Chiites urbains, relativement dispersés, et de
très loin les Sunnites urbains et tribaux, privés, quant à eux, d’une semblable
référence à une autorité religieuse « ancestrale » et indépendante.
1- Les Croyances :
A/ Le monothéisme
Le monothéisme est à la base de toutes les croyances islamiques. Il
constitue le tronc commun de la foi chez toutes les tribus d’Irak: il consiste à
affirmer qu’Allah est seul Dieu, « maître absolu de l’univers et que tout dépend
de sa volonté et de sa puissance » (57). Devant lui, tous les hommes sont de
simples créatures et sont, de ce fait, égaux. Aucun d’entre eux ne peut
prétendre, vis–à-vis de ses semblables, à un quelconque caractère divin (58).
De la foi en un Dieu unique, découlent d’autres croyances, entre autres que
Muhammad est le dernier messager de Dieu, le maad –ou la résurrection. Cette
dernière couvre la vie sépulcrale, comme le passage obligé à la vie éternelle.
Il faut également signaler que le mot arabe Tawhid est utilisé comme
synonyme de wahdaniyya –monothéisme. Or, le vocable le plus couramment
employé, Tawhid, veut également dire unification – divine-, et, par extension,
unification de tous par cette foi en un Dieu unique. Cette extension au sens
d’unification dénote une volonté d’englober les musulmans dans le cadre d’un
Etat unificateur. Néanmoins, il est certain que l’Islam incite fortement à l’union
comme un idéal et une ambition, mais dans l’immédiat reconnaît clairement les
particularités individuelles ou communautaires (59). Il reconnaît, par exemple,
les tribus, en rejetant la ‘asabiyya –esprit du corps- tribale type qu’il réoriente
au profit de toute la umma –nation-musulmane (60). Le Prophète a délimité la
‘asabiyya de la foi en Dieu en spécifiant la solidarité avec un frère dans le but
précis d’empêcher d’agresser autrui.
64
Le chiisme se distingue par la présence de douze Imams, qui devaient
guider les musulmans après la mort du Prophète. Il s’agit là d’une première
spécificité du chiisme. Cependant, l’idéal musulman chiite du charisme –
infaillibilité ou isma-implique la poursuite du combat, latent ou déclaré, contre
l’injustice. D’après le chiisme, le charisme permet au leader de guider avec
persévérance ses disciples sur la voie tracée par le Prophète.
Les conflits ont éclaté après la mort du Prophète, d’abord, sous le règne
d’Uthman (troisième calife bien guidé) et surtout sous les Umayyades, dont les
pratiques relativement despotiques ont fini par repousser les populations, par
confirmer les Chiitess dans leur conviction (61) et surtout par faire gagner au
chiisme de nombreux adeptes sur la terre d’Irak et ailleurs.
Les Chiites insistent sur le fait que ce sont des notables mécontents de
la suppression, par Ali, de leurs privilèges économiques (62) qui ont déclenché
la rébellion contre le quatrième calife bien guidé, « gendre, cousin et élève » du
Prophète. Cette conviction confirme à leurs yeux qu’Ali était combattu par des
individus avides de pouvoir. Pourtant, ce sont les Umayyades, qui profiteront
les plus de cette discorde en installant une dynastie héréditaire connue pour son
opulence et ses pratiques oppressives. Une dichotomie va donc naître, dans
l’image chiite, entre un « vrai » islam –pour les déshérités – et un pouvoir qui
gouverne au nom de la légalité musulmane tout en « opprimant » la ‘umma et
en « spoliant » ses richesses.
65
qui le conduisit au martyre, avec soixante-douze compagnons restés fidèles à
sa cause.
Son martyre, dès lors qu’il touchait un homme très respecté par les
musulmans devait ébranler la conscience musulmane. De surcroît, cet homme,
ses compagnons et sa famille (qui était celle du Prophète) avaient été humiliés
d’une manière qui violait non seulement les principes musulmans, mais aussi
les valeurs tribales préislamiques, ce qui confortera évidemment la thèse chiite.
Al Mawdudi (64), chef des frères musulmans du Pakistan, cite les grands
ouvrages sunnites détaillant les « terribles » actes commis par le pouvoir de
Yazid durant les trois années de son règne (à Karbala, contre les populations de
la Médine et de la Mecque).
66
Malgré la répression dont ils faisaient l’objet, il faut en effet noter que
les Chiites de l’Islam n’ont pas choisi de vivre dans la périphérie de l’Islam,
mais sont restés intégrés dans les grandes métropoles. Apparemment, ils
poursuivaient un double objectif : d’une part, confirmer leur appartenance au
Centre de la umma musulmane en y influençant autant que possible la marche
de l’Etat et, d’autre part, diffuser plus efficacement leurs idées et leurs réponses
aux défis majeurs posés à la société et à la pensée islamiques.
1/ La prière et la spiritualité
Bien que la prière soit décrite par le Prophète comme le « pilier de la
religion » -amud al din-, on peut dire, d’après les différentes observations
collectées, que les tribus bédouines et paysannes n’étaient pas très versées
dans la spiritualité ce que semble confirmer la disparition de tout détail sur le
déroulement de la prière au sein des tribus arabes d’Irak au XIXème siècle, d’où
probablement l’absence de mosquées sur les terres tribales. A cet égard, faut-il
rappeler que l’Islam n’impose pas un lieu de culte obligatoire et que le
musulman peut faire ses prières malgré des déplacements incessants (65) ? La
prière individuelle peut se faire partout, la pratique de la prière collective -salat
al djama’a- à la mosquée étant seulement recommandée. N’importe quelle salle
peut servir de mosquée, et la grande Mosquée -al djami-, comme la petite -
67
masdjid– sont des lieux de culte qui jouent un rôle social et politique, mis en
évidence dans la vie du Prophète et dans le rituel du sermon du Vendredi, et
assumé, au sein de la tribu, par l’espace de réception, appelé mudif.
Pour autant, à chaque fois que ces tribus s’approchent du chiisme, elles
connaissent des phénomènes plutôt rares pour les bédouins : voir, par exemple,
les hommes de tribus attendris et plongés dans des pleurs aussi intenses que
fréquents ne fut-ce que pour un saint martyrisé. Pourtant, les tribus paysannes
sunnites, plus exposées que les bédouins aux excès du pouvoir, s’approchaient,
durant les siècles passés de ce modèle « spirituel » tribal. Ici, la religion a
probablement permis de justifier un changement d’allégeance aux dépens du
pouvoir ottoman et un adoucissement des caractères personnels des bédouins
déjà « convertis » à l’agriculture !
A cet égard, le cas de certaines tribus de Shammar est significatif :
encouragées, au début du XIX siècle, par le pouvoir ottoman à pratiquer
l’agriculture au Sud de Bagdad pour servir de rempart face à la marée chiite du
Sud, ces tribus ont vécu ce changement d’allégeance et ont fini par adopter le
chiisme. C’est pourquoi nous pouvons dire que toutes les tribus d’Irak affichent
leur attachement à la religion musulmane, tout en précisant que le chiisme était
un vecteur de religiosité plus accentué au sein de certaines tribus et qu’en
outre, le corps des ulémas indépendants qui adhérait mieux au milieu social
concerné que les ulémas sunnites, liés et assimilés à un pouvoir étranger, a
joué un rôle important dans cette évolution. La récitation des martyres des
imams –et la famille du prophète- est donc venue à point nommé pour
dénoncer dans ces tribus la nature « infidèle » du pouvoir mis en place depuis.
2/ Le pèlerinage à La Mecque
Entreprendre ce voyage est un devoir pour tous les musulmans qui en
ont la possibilité. Il y peu d’indications sur la pratique de ce culte par les tribus.
Mais, la longue distance à parcourir (2.000km au moins), la pénurie des
moyens de transport et les obstacles naturels (marais, désert etc.)
expliqueraient en grande partie que ce pèlerinage à La Mecque ait été
relativement peu pratiqué par les hommes des tribus. Concernant les Chiites,
une autre raison importante contribue à ce phénomène. Taxant les Chiites
d’hérésie et les voyant comme des alliés de l’Iran, le pouvoir ottoman, comme
son institution religieuse, a créé un climat négatif sur les lieux saints, où la
pratique des rites musulmans « non conformes » donné lieu à l’époque à
diverses persécutions.
68
généralement en vigueur dans les autres sanctuaires de l’Islam, comme
l’ablution préalable. A son retour, le Zayir invite ses proches, pour qui il fait
égorger des moutons (67).
Les dix premiers jours de Muharram sont les jours de deuil et de pleurs.
Ils sont plus intensément respectés dans tous les villages et les villes du Centre
et du Sud (68), à Bagdad et, bien qu’à un moindre degré, dans le Nord,
jusqu’au Mousul. Les meetings populaires, appelés madjalis husseiniyya, sont
surtout animés par un qari‘ –lecteur- ou un mumin –guide religieux- qui vient
réciter le déroulement du drame en évoquant la cause des révoltés qui ont
sacrifié leurs vies, recevant ainsi « l’honneur du martyre » -sharaf al shahada. Il
faut souligner que l’imam Abbas est plus particulièrement célébré pour son
courage et son dévouement. De ce fait, il occupe une place primordiale dans le
récit et, finalement, dans la conscience populaire tribale et urbaine, tant chez
les Chiites, que chez les sunnites.
Sur les dix jours que dure Muharram -ashrat Ashur-, le deuil s’accentue
durant les trois derniers et atteint son apogée le neuvième, au soir, et le
dixième jour, -appelé Tabuk-, en souvenir de la bataille de Karbala et de ses
martyres (69). Cette nuit-là, « les hommes et les femmes veillent jusque tard
dans la nuit... le lendemain matin, ils ne mangent que des dattes mêlées de
sésame... et un mumin (guide religieux) récite à haute voix, à partir d’un livre,
le meurtre de Husayn. Cette réunion s’appelle al Maktal -le meurtre. Lorsque
tombe le soir, une atmosphère de deuil domine le salaf -le village. Cette nuit est
appelée laylat al wahsha -nuit de la solitude mêlée de crainte, en souvenir des
femmes et des enfants restés seuls avec les corps décapités de leurs proches.
5/ Les offrandes
Elles consistent chez les musulmans à offrir des dons, surtout en
égorgeant des moutons pour remercier Dieu ou lui demander d’exaucer des
vœux. Bien que la pratique des offrandes soit répandue dans tout l’Irak, chez
les Bédouins, les paysans et les urbains, les Chiites, plus que les Sunnites,
l’observe en faisant intercéder les saints en leur faveur. Ainsi, Ali et les autres
imams sont visés par cette pratique. Al Abbas y occupe aussi une place capitale
chez les Sunnites. Sur la terre tribale, la pratique s’assortit du sacrifice d’une
vache ou d’un mouton en souvenir d’un Imam, pour implorer la clémence de
69
Dieu le jour du jugement dernier –yawm al hisab. Bien souvent, les fidèles et
notamment les femmes (71) promettent de le faire au dénouement d’une crise
et sollicitent ainsi l’intervention d’Allah par amour –ou shafa’a- de ces imams,
descendants du prophète.
Une autre offrande importante appelée « Tash al Wahliyya » consiste à
jeter un certain mélange de bonbons dans le sanctuaire d’un imam. Lorsqu’il
s’agit de l’Imam Ali, on l’appelle « Hallal al Mashakil » -solutionneur des
problèmes. Il y a également « Ghada al Abbas » , ou le déjeuner d’al Abbas
(frère de Hussein) au cours duquel on sacrifie une vache, un mouton ou
éventuellement un poulet (72). En ville, les Chiites, mais aussi les sunnites
perpétuent cette tradition avec une autre version : khubz al ‘Abbas, pains d’al
Abbas. Les vœux les plus souvent formulés sont la naissance d’un enfant, en
particulier d’un garçon, et le dénouement de crises diverses.
6/ De la naissance au mariage
Cette rubrique sera consacrée aux valeurs concernant la naissance d’un
membre masculin ou féminin de la tribu, jusqu’à son accomplissement dans le
mariage.
A/ La naissance :
On peut comprendre l’importance accordée à cet événement dans une
société qui compte beaucoup sur le nombre pour sa considération et son
respect. La naissance est également un signe de santé familiale : elle indique,
d’une part, que la famille remplit normalement son rôle social et, d’autre part,
que la famille est saine, en attestant de la virilité du mari–ridjula- et de la
fécondité de la femme n’ –‘aqir-. La femme est ainsi fière que son foyer ait
donné les « fruits de ses plantes » -kaddar dara- (73), comme le dit
l’expression populaire, employée pour se féliciter de l’évènement.
Le père trouve en son fils un nouvel appui pour affronter les difficultés
essentiellement dues à l’environnement naturel et social. Ainsi, dans la région
de Kut (74), on appelle ce garçon « shaylat ras » -levée de tête- et l’on désigne
par la formule « yilzam zahra » - soutien du dos – le rôle attendu du fils envers
son père. Avec l’arrivée du ou des fils l’homme tribal assure sa filiation au-delà
de la mort. Outre la préservation du nom de famille, il est fréquent, en Irak,
d’attribuer le prénom du grand-père paternel décédé au garçon, nouveau-né.
B/ Le mariage :
70
Par comparaison avec les urbains dont les jeunes sont plus exposés à la
« dérive », les gens des tribus considèrent le mariage comme un fait d’autant
plus naturel et nécessaire, que le système de valeurs tribales interdit et punit
sévèrement toute relation extra maritale. De ce fait, son importance se trouve
éclipsée par celle accordée à la naissance. Cette dernière qui reste, elle,
aléatoire, passe en effet pour un événement de premier ordre, attendu par les
tribus pour renforcer la considération sociale et couvrir du bonheur les parents,
et cela plus encore quand il s’agit de la mise au monde d’enfants mâles.
A propos du mariage, il faut signaler, en premier lieu, la valeur accordée
à l’honneur
-sharaf, que tout arabe considère comme le pilier de sa personnalité.
Cet honneur implique de respecter tout un code social reposant sur :
- la séparation entre les sexes, sauf entre époux et dans la communauté
des proches parents ;
- la maîtrise de désir ressenti envers l’autre sexe. La femme qui est
chargée de conserver la pureté de la progéniture doit en effet être au-dessus de
tout ce qui peut porter atteinte à son honneur lequel fait la fierté de toute la
tribu.
71
Cette théorie, évidemment renforcée par la croyance islamique en la
destinée -al qada wal qadar- selon laquelle de toute façon, la mort ne survient
qu’au moment « prévu » par Allah, est résumée en ces termes par le poète.
B/ La mort:
L’agonie était considérée comme un prélude idéal à la mort, ce qui
s’explique par la religion, et plus précisément par une parole attribuée à l’imam
Ali. Hormis dans les combats, les gens des tribus reprouvaient la mort soudaine
–fadj‘a (78) qui ne laissait pas au mourant le temps d’affirmer sa foi islamique
avant de rendre l’âme.
En effet, la coutume voulait que l’on allonge le mourant en direction de
La Mecque, qu’on lui fasse couler de l’eau dans la bouche et qu’on lise des
versets du Coran et un livre de prières –du‘a’- appelée al ‘adila (79). Il s’agit
d’un texte attribué à l’imam Ali par lequel on sollicitait la bénédiction divine par
la mention des croyances de l’Islam concernant la foi en Dieu, la mort, la
résurrection avec le paradis et l’enfer. Habituellement, après lecture de ce texte
près du mourant, on faisait prononcer à ce dernier « al shahadah », c'est-à-
dire l’affirmation qu’Allah est seul Dieu, que Mohammad est son Messager,
étant précisé chez les tribus chiites, qu’Ali est dévoué à Dieu –waliyyullah.
72
facilitait pas le départ d’un mourant c’est qu’il ne l’aimait pas ce mourant et le
faisait déjà souffrir. On appelait ce mourant ’imdjali‘ -aux prises, entendu avec
la mort (80)… Comme le veut la tradition chez tous les musulmans, dès la mort
de l’agonisant, son entourage se met à lire la première sourate du Coran -al
fatiha-, après quoi l’on procède à « al taghsil » -la toilette funèbre- et à « al
kafan » -l’habillement du mort.
C/ L’enterrement:
Les cérémonies concernant l’enterrement sont aussi très importantes
pour déterminer la place qu’occupait l’Islam chez les tribus notamment du
Centre et du Sud de l’Irak. Les Chiites en général se distinguaient des autres
musulmans par leur grand désir d’être enterrés, après leur mort, auprès de
l’Imam Alin. Cela, d’après eux, principalement pour deux raisons:
premièrement, pour bénéficier de la shafa’a -faveur- dont cet Imam jouit
auprès d’Allah, deuxièmement et sans aucun doute, pour affirmer leur
appartenance à l’Islam chiite. Les tribus, objet de notre étude, loin de faire
exception à cette règle y étaient, au contraire, tellement attachées que le
cimetière de Wadi al Salam -vallée de la paix- à Nadjaf, est pratiquement le
seul endroit connu où leurs morts étaient habituellement enterrés. Des
cimetières devaient, certes exister ailleurs, mais aucun n’est comparable à la
vallée de la paix de Nadjaf.
73
prohibé par les règles islamiques édictées par les ulémas sunnites et chiites
restait , encore au XXe siècle, une habitude des tribus.
Une fois arrivé à Nadjaf, on faisait faire au cercueil trois fois le tour de la
tombe de l’Imam Ali en répétant « Il n’y a de Dieu qu’Allah » -La ilaha illa allah.
On y faisait la prière avant de se diriger vers le cimetière, où la portion de terre
allouée au mort était préalablement réservée par la famille qui y procédait à
l’enterrement selon les normes généralement respectées par les musulmans
(86).
Les données disponibles ont permis de mesurer l’impact de ces liens sur
la littérature tribale. La poésie tribale, par exemple, mentionnait souvent les
récits coraniques sur les prophètes et les expériences de leurs peuples, mais
aussi un attachement indéniable aux imams et aux villes saintes, telle Nadjaf.
A cet égard, il est bon de rappeler que la solidarité tribale envers le mort, qui
impliquait un effort physique et financier pour l’enterrement à Nadjaf, prouve la
force de l’attachement de la culture tribale — à sa façon, bien sûr — aux
croyances musulmanes.
74
fortement, au XIXe siècle, avec la réalité des rapports plutôt restreints entre les
tribus sunnites et les institutions religieuses à Bagdad. La politique ottomane
d’imposition et de domination créait une atmosphère d’adversité et de défi et
déclenchait la colère, ou à tout le moins le mécontentement, de toutes les
tribus d’Irak à l’encontre du pouvoir et de ses alliés, politiques ou religieux (87).
3 - Légendes et mythes :
Les légendes et les de mythes reflètent surtout la manière dont des
groupes humains ont conçu leurs rapports avec l’au-delà et les concepts qu’ils
véhiculent à ce propos. Mais il convient de ne pas se limiter à cet aspect des
choses.
Deux remarques s’imposent pour approfondir notre réflexion sur le
sujet :
75
ottoman (90). A la liberté physique et culturelle des tribus, il convient
d’ajouter, en ce qui concerne les tribus chiites, la liberté intellectuelle et
religieuse dont elles jouissaient au contact des villes saintes de Nadjaf et de
Karbala. Celles-ci offraient, toutes proportions gardées, un autre lieu de
réflexion libre et basée sur une légitimité religieuse opposée à celle du pouvoir
ottoman et non pas au sunnisme en général. Ces villes saintes jouaient leur rôle
dans la défense de la culture tribale contre le développement des mythes et
légendes.
76
NOTES CHAPITRE III
(1) Wa’ili (I. al), 1961, p.71, cité par l’historien du journalisme irakien,
Tikriti (M.B. al), 1971, p. 27, qui approuve son propos. Cf. également Abta (M.
al), 1963, p.15.
(3) Al Inaysi (F.Y.), 1971, p.94, C’est pourquoi il est impossible, à son
avis, de faire une comparaison entre le passé et le présent, et d’obtenir des
conclusions scientifiques précises. Pourtant, malgré les difficultés que nous
connaissons, nous disons que l’auteur, originaire des marais, aurait pu
interviewer les vieux de la région ou tirer profit de quelques écrits existants.
(5) Djalili (H.), 1973. Nous allons voir, infra chapitres VI et VII, que la
tribu fut affaiblie et appauvrie, mais son sens de solidarité restait relativement
fort.
(13) Comme le souligne aussi l’écrivain irakien Rawi (musari al), 1969,
p.71
(15) Certains de ces écrits revêtit une valeur particulière, comme c’est
celui de l’anthropologue irakien connu, Salim (Sh. M.) 1970. Sa thèse est basée
sur son séjour, dans les marais, au début des années cinquante.
77
(16) cf. Ibn Khaldun, 1967, p.229. Voir aussi Shakarah (D.), 1970, pp.
13-14,
(17) Voir les remarques d’Ibn Khaldun, 1967, p.227, sur les tribus qui
ont gardé, à son époque du XIV siècle, une hérédité « sans tâche, sans mélange
de sang étranger ».
(19) Cf. Hatab, 1976, pp.104-5. Cet excellent ouvrage met l’accent sur
les développements dus aux conquêtes. Les hommes ont pu ainsi réduire les
droits des femmes musulmanes, devenues plus isolées dans les maisons de
leurs maris, surtout lorsque ces derniers étaient de riches commerçants ou de
grands dirigeants.
(20) Hasani (A.R.) 1929, sur la situation des femmes dans les tribus
arabes d’Irak.
(21) Kadduri (H.) 1979, pp.22-23. Si la mère dit « je suis seule sans
aide » nous pensons qu’il s’agit d’une dramatisation voulue pour montrer la
place particulière du fils unique qui, du surcroît, était, du moins durant son
enfance, plus présent auprès d'elle que le mari.
(22) Sa’idi, 1974, p.121-145. Khaza’il est une tribu qui dominait le
Moyen-Euphrate. Sans doute influencé par un regard monolithique, l’auteur cite
ces poèmes pour prouver l’infériorité de la femme tribale ! Or, cette infériorité
existe, mais il s’agit là de sa nuance ou de son altération.
(28) Voir ; Nafisi, 1973, p.32, les observations de Chelhod, 1971, pp.6-
8 et également celles de Jones (F.), 1853, p.78
(31) Mahmud, 1980, p.26, Munaf (Dj.), 1970, p.62, Mtashshar (T.),
1970, pp.103-4
78
(32) Mahmud, 1980, pp. 26-27 et également Mtashshar, 1970
(35) Sur la position tribale, cf. Chelhod, 1971, pp. 8-9 et p. 25. Sur la
position de l’Islam sur la question, voir Coran LIII, 38-9, LXXIV, 41.
(36) Pour les détails, voir Nafisi 1973, pp.36-37 et également Salim,
1970, p.145
(40) Ce droit est aussi appelé kitba dérivé de kataba -écriture- pour
signifier l’engagement réciproque de la tribu ceux qu’elle accueille. Cf. Salim,
1970, pp.137-140, voir également Nawwar, 1968 (b), pp.144-145. Mais en
Irak, ce terme de kitba veut aussi dire que « c’est écrit », qui signifierait donc
l’acceptation de la tâche comme une sorte de fatalité...
(44) Nafisi, p. 39
(45) Dans les marais, ces crimes s’appellent fasda -pourriture- Cf.
Salim, 1970, pp. 34 et 140-141 où il constate, à l’époque, le caractère
scandaleux de ces crimes. Voir également Dukla et autres, 1979, p. 173 et
Nafisi, 1973, pp. 34-35, voir également pp. 39-40 et 42-43
79
(49) Cf. Nafisi, 1973, p. 74
(53) Ibid. p. 4
(60) Voir à titre d’exemple Hatab (1976), Wardi (A. al), 1972.
(61) Hatab (Z.), 1976, pp. 79-83 trace l’évolution du conflit entre Banu
Hashim (famille élargie du prophète) et Banu Umayya (famille élargie de
Muawiya). Il démontre aussi son impact –négatif- au niveau de la Justice
sociale. Alusi (A. al), 1973, p.54, en évoquant les premiers compagnons et leur
comportement dit qu’« Ali représentait une pure tendance antiaristocratique...
et reflétait une nette tendance socialiste ». Cf. également, Rawi (Th. I. al),
1970.
(63) Goldzeiher, 1920, dit p.194 Sur les injustices fiscales et politiques
(répression) perpétrées par les Umayyades à l’encontre des habitants de l’Irak,
Cf. à titre d’exemple, Rawi (T.A.), 1970, surtout pp. 64-101.
80
(64) Mawdudi (A. A. al), 1974, p. 117-121. Sur la place de cette
tragédie dans la culture populaire en Irak, voir Salim (Gh. M.) et Saduni (F.),
1974, p. 13
(65) Sur la spiritualité des bédouins, voir Chelhod, 1964, pp. 24-26 et p.
50. Abdul Rahman Munif, 1984, p. 374, évoque dans son roman, la faible
spiritualité chez les bédouins de la péninsule. D’après les remarques de Salim
(Sh. M.) p. 36, la prière et le jeûne –de Ramadan- sont peu pratiqués dans les
marais. De son côté, Fernea, 1970, pp. 20-22, signale l’existence d’une
mosquée à Al Daghghara, mais vue la date de son séjour dans cette région du
Centre, il s’agit probablement d’un phénomène nouveau.
(66) Ne faisant pas partie des douze Imams, Abbas, est le brave frère
de l’imam Husayn, pour lequel il s’est sacrifié. Il est très respecté en Irak, par
tous, à cette époque, y compris par les Sunnites arabes. Sur les pèlerinages, cf.
Sa’ad (A.M.), 1973, p. 83 et Salim (Sh. M.), 1970, p. 37
(70) Voir Salim et Saduni, 1974, p .18, sur la tentative d’un grand
Ayatollah des années 1950 de prohiber le tatbir –blessures de la tête- le
dixième jour de Muharram, mais certains l’ont contraint à retirer sa fatwa.
(76) Sharba (Z.H.), 1973, p.237. Cf. Djamal al Din (L.H.), 1973, pp.
261-3, où il démontre que l’ensemble de leurs pratiques dans le domaine de la
mort reflètent l’énorme impact de l’Islam sur eux.
81
(81) Kabi, 1973, pp. 264-265. Voir aussi : Sharba (Z.H.), 1973, p. 240.
(83) Salim (Sh. M.), 1970, p.37 et Djalili (H. al), 1973, p. 227.
(84) Cf. Djalili (H. al), 1973, pp. 227-8, Kabi (K. al), 1973, p. 251,
Haddad (Sh. M. al), 1973, p. 54
(86) Cf. Djamal al Din (L.H.), 1973, p. 266, Sharba, 1973, pp. 241-2 et
Haddad (Sh.M. al), 1973, p. 54.
(91) Cf. l’article intéressant de Sharbati (H.), 1970, pp. 33-38, Voir
aussi, Al Abtah 1963, pp. 57-8 et 118. Al Hidjdjiyya (A.Dj.), 1969, pp. 3-13
(92) Voir Djamil (F.), 1970, pp. 63-73; Kubba (N.H.), 1977, pp. 123-
124; Landberg, 1970, pp. 29-46.
(94) Voir Young (C.), 1976, pp.422-423 qui signale la division Sunnites-
Chiites et ses ramifications.
82