ph9 Pa7 Kurdes
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Shewki OZKAN *
Au cours de ces dernières années, le public occidental a assisté à l’échouage sur les côtes
méditerranéennes de bateaux de fortune remplis de femmes, d’enfants et d’hommes kurdes
à la recherche d’un territoire où ils pourraient enfin se sentir en sécurité. Quelles sont les
raisons qui poussent ces réfugiés à quitter leur pays au péril de leur vie ? En décrivant leurs
conditions d’existence dans leur pays d’origine, nous comprendrons peut-être mieux leur
exil.
Vivant sur un territoire ancestral, avec sa langue, sa culture et ses traditions, le peuple kurde
lutte depuis plus d’un siècle pour sa libération. Son destin souvent tragique a connu
cependant, durant cette dernière décennie, d’importants bouleversements.
Son vaste territoire d’environ 500.000 km2 est partagé entre quatre Etats, la Turquie, l’Iran,
l’Irak et la Syrie, qui ont été créés (à l’exception de l’Iran) par des frontières arbitraires sur la
dépouille de l’Empire ottoman au lendemain de la Première guerre mondiale.
Ce partage ne fera que compliquer davantage le sort des Kurdes confrontés désormais à
quatre Etats centralisateurs et à autant de politiques différentes d’un Etat à l’autre. La
Turquie nie l’existence des Kurdes par une politique d’assimilation systématique, la Syrie les
traite d’immigrants, l’Iran tolère leur existence sans aucun droit culturel tandis que l’Irak,
malgré une reconnaissance officielle imposée par la lutte armée kurde, tente de mettre fin à
leur existence physique. Pour mieux comprendre l’histoire de l’exil du peuple kurde nous
allons exposer sa situation dans chacun de ces Etats.
Le parlement turc dans sa réunion du mois d’août 2002 a supprimé quelques uns des
dizaines d’articles de la Constitution et de lois visant directement la langue et la culture
kurdes. Il s’agit notamment de la suppression des articles 26 et 28 de la Constitution relatifs
à l’interdiction et à l’utilisation de la langue kurde. On pourrait désormais parler et écrire le
kurde et l’apprendre sous certaines conditions. Des cours privés de l’enseignement de la
langue kurde pourront être organisés. Cependant ne peuvent s’y inscrire que ceux qui
disposent d’un Brevet d’études (ce qui vient à en exclure tous les jeunes de moins de 15
ans). Les jeunes de 15 à 18 ans ne peuvent suivre ces cours qu’avec l’autorisation écrite de
leurs parents et ceci seulement durant le week-end et les vacances d’été. Il s’agit donc d’une
liberté relative puisqu’elle exclut la langue kurde du champ de l’enseignement traditionnel.
Alors qu’il existe en Turquie des écoles primaires où l’enseignement est dispensé en
français, en anglais ou en d’autres langues étrangères, la langue kurde n’a même pas droit
au statut qui est reconnu aux autres langues étrangères bien qu’elle constitue la langue
maternelle de près d’un quart de la population de la Turquie.
L’adoption de ces réformes n’a donc pas transformé la Turquie en une société démocratique.
Les libertés religieuses, d’expression et d’association sont encore très loin d’être respectées.
Actuellement plus de 10.000 personnes sont en prison pour des délits d’opinion. La torture
est encore largement répandue notamment au Kurdistan. Malgré la présence majoritaire de
civils en son sein, le Conseil de sécurité nationale où se prennent toutes les décisions
importantes reste sous l’influence déterminante de l’armée.
En 1925, par un coup d’Etat, Reza Khan, fondateur de la dynastie des Pahlavi, s’empare du
pouvoir. Il s’applique à renforcer son pouvoir et à créer un Etat centralisé se résumant en
« une seule Nation, une seule langue et un seul idéal ». Il réprime dans le sang les rébellions
kurdes. La seule République kurde de toute l’histoire, fondée en 1946, subit le même sort.
Lors de la révolution islamique de février 1979, les Kurdes prennent sous leur contrôle tout le
territoire kurde en Iran. Des affrontements éclatent en avril 1979. Khomeiny appelle à la
guerre sainte contre le peuple kurde en les désignant des « fils de Satan » et « agents de
Bien que l’article 15 de la Constitution admette « l’emploi des langues régionales et tribales
dans l’enseignement et les écoles à côté du persan », cette loi n’a jamais été appliquée. Les
élections municipales de juin 1997 ont permis aux Kurdes d’obtenir dans le cadre de la
République islamique une représentation au niveau local, et le nombre de publications en
kurde dans les domaines culturel, social ou politique a augmenté. Malgré ces prises de
positions, la situation des Kurdes reste critique. Le 30 septembre 2001 six députés de la
province du Kurdistan ont adressé une lettre de démission au président du parlement
islamique d’Iran pour protester contre la non application des articles 15 (enseignement de la
langue kurde) et 19 (égalité de tous les citoyens quelque soit leur origine ethnique et
religieuse). Il faut également noter que selon l’article 115 de la Constitution le Président ne
peut être choisi que parmi des hommes de confession musulmane chiite, ce qui exclue les
Kurdes sunnites et les femmes.
Les accords de Londres signés entre la Turquie et la France établissent les frontières de la
Syrie et la placent sous mandat français. Ce mandat prit fin en 1946 et la Syrie accéda à son
indépendance. Lors du mandat français et durant les quinze premières années de
l’indépendance du pays, les Kurdes ne firent l’objet d’aucune mesure répressive. Cependant,
le parti démocratique du Kurdistan (PDK-Syrie), créé en 1957, est interdit et ses
responsables sont arrêtés et emprisonnés.
En 1963, à la suite d’un coup d’Etat, le parti Baas prend le pouvoir et met en place une
politique d’arabisation et de déportation. Ces déportations touchent plusieurs dizaines de
milliers des Kurdes, en majorité de confession yézidie.
La monarchie irakienne créée par les Britanniques laisse sa place, en juillet 1958 à la suite
d’un coup d’état militaire, à une République où « les nations arabe et kurde sont librement
associées ». Mais cette euphorie ne durera que trois ans. En septembre 1961, on entre dans
une nouvelle période de confrontation armée qui va durer neuf ans. Pendant ce temps, de
nombreux coups d’Etat militaires se succèdent en Irak ; le 8 février 1963, les officiers
baassistes de l’armée irakienne abattent le président Kassem et prennent le pouvoir.
Ne pouvant venir à bout de la résistance kurde, l’Irak consent, en mars 1970, à un accord de
paix avec le mouvement kurde. Cet accord prévoyait non seulement une autonomie assez
large pour la région kurde mais cinq ministres kurdes ont également fait leur entrée au
gouvernement. Néanmoins, la promulgation unilatérale par Bagdad, en mars 1974, d’une loi
Après cette date, dans l’objectif de réduire les Kurdes à l’état d’une minorité sans territoire,
l’Irak met en œuvre une politique répressive comportant plusieurs volets : arabisation,
destruction des villages et déportation massive des populations.
Ruiné dans sa guerre avec l’Iran, Saddam Hussein envahit puis annexe le Koweït en août
1990. La guerre du Golfe est déclenchée. Une coalition internationale menée par les Etats-
Unis intervient pour sauver le Koweït. Après la défaite de l’Irak (janvier 1991) on assiste à un
soulèvement populaire contre le régime irakien. La riposte du gouvernement est sans pitié.
Traumatisés, des millions de Kurdes fuient vers les frontières de la Turquie et de l’Iran. Le
Conseil de Sécurité de l’ONU condamne cette répression et une zone de protection aérienne
au nord du 36e parallèle est instaurée. Elle comprend un territoire d’environ 40.000 km2
peuplé de près de 4 millions de Kurdes. L’administration de ce territoire laissée aux Kurdes
eux-mêmes ne bénéficie d’aucune garantie ni de reconnaissance internationale.
A l’époque de l’Etat Nation, sans un Etat propre ou une autonomie sans garantie
internationale il n’y a guère d’espoir pour un peuple comme celui des Kurdes de trouver la
paix et la stabilité. La question kurde qui, par son ancienneté, par l’importance numérique de
la population concernée et le nombre de drames et conflits qu’il a engendrés tout au long de
ce siècle reste le problème le plus chronique et le plus grave de la région. Sans une solution
durable, elle continuera à produire des vagues de réfugiés vers les pays européens.