2009 Can LIIDocs 17

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 34

LA RÉPARATION INDIVIDUELLE EN APPLICATION DES

MÉCANISMES PRÉVUS PAR LE DROIT INTERNATIONAL


HUMANITAIRE

Sophie Rondeau*

Le présent article fait état d’un questionnement sur l’état ac-


tuel du rôle des normes juridiques émanant du système de droit
international humanitaire (DIH) en ce qui a trait au droit à la
réparation, en prenant soin de mettre la personne en tant que
victime de la guerre au centre de notre réflexion. En considérant
la notion de réparation sous l’angle de la victime comme un tout
à décrire et à analyser, nous cherchons à savoir s’il existe un droit
à la réparation que possède la victime d’un conflit armé régi par
le droit international humanitaire. Le fondement même de cette

2009 CanLIIDocs 17
recherche s’appuie donc sur le cadre normatif conventionnel du
DIH régissant la notion de réparation, que cette dernière accorde
ou non un droit à une victime.

This paper presents a series of questions on the present state


of the role of judicial standards arising from the system of inter-
national humanitarian law [IHL] as regards the right to com-
pensation, by making it a point to place the person as a war
victim at the center of our reflection. In considering the concept
of compensation from the angle of the victim as a whole, we seek
to know whether there exists a right to compensation to which
the victim of an armed conflict governed by international hu-
manitarian law is entitled. The very foundation of this research
is thus based on the conventional normative framework of IHL
governing the concept of compensation, whether or not it grants
a right to a victim.

I. INTRODUCTION: LA JUSTICIABILITÉ DES DROITS


HUMANITAIRES ET LA RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE DES
OBLIGATIONS HUMANITAIRES

Le droit international humanitaire1 illustre comment le système juridique in-


ternational est de moins en moins confiné uniquement aux relations interétati-
ques, évoluant ainsi au-delà de son orthodoxie juridique traditionnelle, celle-là
même qui s’inscrit dans la droite ligne de la conception westphalienne de l’ordre
mondial. S’il n’y avait donc pas, originellement, de rapport d’assujettissement

* LL.B., LL.M. (droit international) (Université du Québec à Montréal); Membre du Barreau du


Québec. Ce texte est extrait de : S. Rondeau, Violations du droit international humanitaire et
réparation : la place individuelle de la victime, thèse de maîtrise en droit international (LL.M.),
Université du Québec à Montréal, mars 2008 [non publié].
1 À noter que l’utilisation, dans le présent article, des expressions « droit international
humanitaire », « droit humanitaire » et « DIH » réfèrent toutes à la même notion.

(2009) 27 Windsor Y.B. Access Just. 431


432 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

entre les deux strates formant le droit international public (la première corres-
pondant à une couche traditionnelle étatique reposant sur l’autre, formée par
le « droit constitutionnel et administratif de la communauté internationale »2)
nous voyons aujourd’hui les six milliards d’êtres humains constituant la popu-
lation des États se forger une place dans ce système juridique. Le droit interna-
tional humanitaire – ce droit régissant la guerre, phénomène considéré comme
le fondement ontologique de l’État3 - est à la fois le témoin et l’instigateur de
cette évolution.
En effet, comme l’a affirmé Jean Pictet au sujet de la place éminente que tient
la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les
armées en campagne du 22 août 1864 dans l’évolution du droit des gens : « pour
la première fois, […], une réglementation internationale est centrée, non plus

2009 CanLIIDocs 17
sur des intérêts étatiques, mais sur la seule protection de l’individu »4. On ne doit
toutefois pas se borner au sens littéral des mots et voir dans une telle affirmation
une consécration pure et simple de droits justiciables humanitaires individuels
pour les victimes de conflits armés. Rappelons-nous, tout d’abord, qu’en matière
de protections édictées par le droit humanitaire, il est question de catégories de
personnes, et non d’individus. Aussi, dans la vision traditionnelle du DIH (qui
existait avant l’émergence des droits humains), on peut interpréter l’expression
« protection de l’individu » utilisée par Pictet comme signifiant une forme de
protection d’un intérêt objectif de l’État, ce dernier n’existant en réalité qu’à
travers ses citoyens envisagés de manière individuelle.
S’il est vrai que le DIH édicte des protections bénéficiant aux individus (ou,
tout au moins, aux groupes d’individus5) affectés par les conflits armés, la façon
dont s’articule la mise en oeuvre post bellum de ces protections en cas de viola-

2 Cette illustration du droit international en deux couches reprend le concept expliqué dans
l’ouvrage : Marco Sassòli et Antoine Bouvier, Un droit dans la guerre?, Genève, Comité
international de la Croix-Rouge, 2003, aux pp. 92 et 93 [ci-après Sassòli Bouvier].
3 Philip S. Golub, « Cinq années de “guerre au terrorisme” — État d’urgence permanent » Le
Monde diplomatique (septembre 2006) aux pp. 18 et 19, en ligne : Le monde diplomatique
<http://www.monde-diplomatique.fr/2006/09/GOLUB/13920> (date d’accès : 1er décembre
2009).
4 O. Uhler, H. Coursier et al., « Commentaire de la Convention (IV) de Genève relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 », dans J. Pictet, dir.,
Commentaires des Conventions de Genève du 12 août 1949 . Volume IV, Genève, Comité
international de la Croix-Rouge, 1956, art. 8, à la p. 84 [ci-après Commentaire de la Convention
IV]., en ligne : CICR, droit international humanitaire <http://www.icrc.org/dih.nsf/COM/380-
600011?OpenDocument> (date d’accès : 1er décembre 2009) [ci-après Commentaires du
CICR CGIV]. Voir aussi : George Abi-Saab, « The Specificities of Humanitarian Law » dans
Christophe Swinarski, dir., Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes
de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet / Studies and Essays of International Humanitarian
Law and Red Cross Principles in Honour of Jean Pictet, Genève et La Haye, Comité international
de la Croix-Rouge,, 1984, aux pp. 265, 269 : « [t]he thrust of the Conventions (and Protocols) is
to go beyond the interstate level and to reach for the level of the real (or ultimate) beneficiaries
of humanitarian protection, i.e. individuals and groups of individuals ».
5 En droit international humanitaire, la terminologie diffère, selon que le conflit visé soit
international ou non international. Par exemple, il est question de « personnes qui participent
directement aux hostilités » lorsqu’il est question de conflit armé non international, tandis qu’il
est question de « combattants » et de « prisonniers de guerre » lorsqu’on se trouve devant un
conflit armé international.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 433

tions semble moins évidente à définir. Les personnes qui sont protégées par le
DIH détiennent-elles des droits à proprement parler? Car, force est de constater
qu’actuellement, le DIH ne prévoit pas de mécanisme judiciaire spécifique dont
une victime pourrait se prévaloir pour déterminer la réparation qui lui est due
lorsqu’elle est victime d’une violation du droit humanitaire.
En effet, un des défis constants du droit international public, et a fortiori du
droit humanitaire, réside dans le respect de son application. Dans un contexte de
conflit armé, les mécanismes a priori (principalement la diffusion et la formation
en temps de paix) sont habituellement privilégiés. Cela ne veut toutefois pas dire
que la mise en œuvre a posteriori est totalement évacuée. La sanction judiciaire
des violations, par le truchement de la responsabilité internationale de l’État et
la responsabilité pénale de l’individu constitue en effet un moyen de mise en

2009 CanLIIDocs 17
oeuvre du DIH.
Cependant, ces deux mécanismes connaissent leurs des limites : tout d’abord,
la responsabilité étatique telle qu’on l’entend au sens classique du droit interna-
tional public général6 et qui est le fondement de la responsabilité des États en
DIH, consacre bel et bien la règle de base de la réparation du préjudice subi à
la suite d’une violation d’un droit7. Il faut néanmoins comprendre que ce prin-
cipe s’applique aux relations interétatiques et qu’il n’est pas question, ici tout
au moins, de faire entrer un individu dans l’équation8. Ceci explique donc en
grande partie pourquoi les réclamations en réparation en faveur des individus se
sont traditionnellement réalisées à travers le mécanisme de la protection diplo-
matique9. En ce qui a trait aux poursuites pénales, il est vrai qu’elles constituent

6 Voir, par ex., le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite dans Rapport de la Commission de droit international, Doc. Off. AG NU, 53e sess., supp.
no 10, Doc. NU A/56/10 (2001) 45, art. 31, al. 1[ci-après Projet d’articles sur la responsabilité
de l’État] et Annexe de la Charte des Nations Unies : Statut de la Cour internationale de Justice,
, 26 juin 1945,, R.T. Can.1945 nº 7, art. 36, al. 2. Voir aussi Commentaries to the draft articles
on Responsibility of States for internationally wrongful acts, adopted by the International Law
Commission at its fifty-third session, Doc. Off. AG NU, 56e sess., supp. nº 10 Doc. NU A/56/10
(2001), chap.IV.E.2, à la p. 234 et s.
7 « [C]’est un principe du droit international, voire une conception générale du droit, que
toute violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer. […] La réparation est le
complément indispensable d’un manquement à l’application sans qu’il soit nécessaire que
cela soit inscrit dans la convention même. » : Usine de Chorzòw (Allemagne c. Pologne) (1928),
C.P.J.I. (sér. A/B) no 17 à la p. 29.
8 « [I]n inter-state relations, whether States claims are made on behalf of a State’s national or on
behalf of the State itself, they are always claims of the State » : Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), [1970] C.I.J. rec. 3 à la p. 46. Voir aussi Rainer
Hofmann and Frank Riemann, Compensation for victims of war - Background Report,
International Law Association, Committee on Compensation for Victims of War, 17 mars
2004, pour d’autres décisions où l’État réclame compensation pour des dommages subis par
lui et ses ressortissants, en ligne: International Law Association, Committee on Compensation
for Victims of War, « Download Background Report » <http://www.ila-hq.org/en/committees/
index.cfm/cid/1018> (date d’accès: 1er décembre 2009).
9 La théorie de la protection diplomatique telle que définit par le Professeur Rousseau consiste
en « l’action diplomatique entreprise par le gouvernement du particulier lésé auprès du
gouvernement présumé responsable pour obtenir la réparation du dommage causé à son
ressortissant » : Charles Rousseau, Droit international public, t. 5, 7e éd., Paris, Sirey, 1973 à la p.
97. Voir aussi, pour une étude approfondie de la théorie de la protection diplomatique, Bertrand
434 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

un maillon important de la mise en œuvre, mais elles ne devraient pas décou-


rager les efforts visant à prévenir les violations et protéger les victimes par des
moyens autres10.
Il est donc à-propos d’examiner les fondements juridiques du droit à la répa-
ration en DIH sous l’angle des droits primaires et des droits secondaires pour
s’attarder, ensuite, à l’analyse de l’application directe du DIH en droit interne,
via l’examen des jurisprudences nationales dans lesquelles des recours individuels
en réparation contre l’État ont été présentés. À la suite de cet examen, nous
terminerons notre réflexion en regardant brièvement l’opportunité et la viabilité
d’un mécanisme international de plainte qui serait accessible aux victimes de
violations du DIH.

2009 CanLIIDocs 17
II. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DU DROIT À LA RÉPARATION
EN DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

La notion de réparation existe en DIH, en relation avec la notion de répres-


sion. Lorsque la prévention et l’action n’ont pas eu les effets escomptés, les États
parties aux Conventions de Genève ont l’obligation de faire cesser les infractions
au droit humanitaire, de réprimer les infractions graves, mais aussi de payer des
indemnités s’ils commettent, par l’intermédiaire des personnes faisant partie de
leurs forces armées, ces violations. Cette obligation de réparation s’inscrit en
premier lieu dans un élargissement des règles s’appliquant à la conduite des hos-
tilités. Le raisonnement est le suivant : le droit limite les moyens et méthodes de
combat, ce qui veut dire qu’il n’est pas possible pour les parties au conflit de faire
la guerre de n’importe quelle façon. Si une partie au conflit va au-delà des limites
prescrites par le droit, elles n’engagent pas uniquement sa responsabilité, elle se
voit aussi forcée de remettre l’autre partie dans l’état où elle se trouverait avant
que la violation ne soit commise. Par exemple, les États ayant dispersé des mines
sans discrimination ou ayant causé d’autres atteintes illicites à l’environnement

Bauchot, La protection diplomatique des individus en droit international, mémoire de recherche,


Université de Lille II, année scolaire 2001-2002 en ligne : <http://www.memoireonline.com/
link/603.html> (date d’accès : 1er décembre 2009). Cette théorie repose donc sur l’hypothèse
qu’un dommage causé à un ressortissant d’un État constitue de facto un dommage à l’État
lui-même; c’est une application de la conception westphalienne du droit international et
c’est la première manifestation du droit à la réparation au niveau international. Le fait que
l’État puisse prendre fait et cause pour ses nationaux par la fiction de l’endossement lorsque
ces derniers sont lésés par les autorités d’un autre État se justifie par le fait qu’un État à une
obligation générale de protéger ceux-ci. De plus, en droit international public général, l’État a
une compétence personnelle sur eux; en effet, le lien d’allégeance particulière qui est celui de
la nationalité met en relation de subordination les ressortissants par rapport à leur État : Voir
la section sur la compétence personnelle de l’État dans Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier
et Alain Pellet, Droit international public, 6e éd., Paris, LGDJ, 1999 à la p. 488 et s. À noter
qu’en droit international humanitaire, la condition de nationalité n’est plus le principal motif
d’allégeance. Voir la discussion sur le statut de victime en lien avec le concept de « personnes
protégées » dans Procureur c. Tadić, (1999), Affaire n° IT-94-1-A, aux para. 163-171 (Tribunal
Pénal International pour l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel). et Procureur c. Delalic (1998),
Affaire n° IT-96-21-T, aux para. 236 à 277 (Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie,
Chambre de 1re instance).
10 Sassòli Bouvier, supra note 3 à la p. 304.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 435

sont tenus de payer une indemnité11. Malgré le fait que certaines règles générales
applicables à la réparation en droit international public se voient modifiées lors-
que le droit humanitaire est en cause12, on ne peut nier que le concept de répa-
ration est intégré dans ce corpus juridique. On peut, malgré tout, se questionner
sur sa raison d’être. En effet, l’imposition d’une obligation de réparation aux par-
ties au conflit ne relèverait-t-elle pas, par exemple, d’une application du principe
de réciprocité, plutôt que d’une volonté de remettre les victimes en état?
Dans la présente analyse, nous tenterons de voir quelle place le DIH réserve
à l’individu en tant que victime, en regardant si les intérêts de cette dernière
sont véritablement pris en compte et traduits sous forme de droits justiciables.
Comme l’a affirmé Theodore Meron13, en dépit du fait que le droit de la guerre
ait toujours contenu des règles visant à protéger des groupes de personnes (com-

2009 CanLIIDocs 17
battants et non-combattants), ce corpus juridique a été inévitablement animé
par des considérations de stratégie militaire, de victoire et de réciprocité. Les
sanctions, à l’instar des responsabilités, sont collectives : en temps de guerre,
elles se matérialisent par les représailles des belligérants; après les hostilités, elles
empruntent la forme de réparation de guerre. Dans ce contexte, la réparation en
droit humanitaire peut-elle donc être aussi un droit individuel?

A. Les droits primaires : existe-t-il des « droits humanitaires »?


Le droit à la réparation est un droit secondaire, c’est-à-dire qu’il ne se concréti-
se que lorsqu’une série d’éléments préalables ont été réunis, y compris la contra-
vention à une obligation prévue par le corps de la loi visé. Donc, pour savoir si
les victimes de violations du DIH possèdent un droit de recours, dont un droit à
réparation, il est primordial d’identifier, de prime abord, si des droits substantifs
ont été attribués aux individus par le DIH.
Quoique le droit humanitaire ait été initialement formulé en termes de pro-
hibitions s’adressant aux parties au conflit, un langage plus axé sur les droits s’est
développé à travers les années. Dans les quatre Conventions de Genève de 194914
et dans le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif

11 Voir « Rapport sur la protection des victimes de la guerre », préparé par le Comité international
de la Croix-Rouge pour la Conférence internationale pour la protection des victimes de la
guerre, (1993) 803 Revue internationale de la Croix-Rouge 415.
12 Voir par ex. Sassòli Bouvier, supra note 3 aux pp. 297 et 298 : la responsabilité de l’État est
absolue pour tous les actes commis par ses forces armées. Les représailles contre la population
civile et les biens protégés, la réciprocité dans l’application des traités et la renonciation aux
droits sont interdits.
13 Theodore Meron, « The Humanization of Humanitarian Law » (2000) 94 A.J.I.L. 239 aux pp.
242 et 243.
14 Respectivement : Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans
les armées en campagne, 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 31 [ci-après CGI]; la Convention (II) de
Genève pour l’amélioration du sort des blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer, 12
août 1949, 75 R.T.N.U. 85 [ci-après CGII]; la Convention (III) de Genève relative au traitement
des prisonniers de guerre, 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135 [ci-après CGIII]; la Convention (IV) de
Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, 75 R.T.N.U.
287 [ci-après CGIV ou la quatrième convention] Les textes de ces conventions sont disponibles
en ligne : CICR <http://www.icrc.org/dih.nsf/CONVPRES?OpenView> (date d’accès : 1er
décembre 2009).
436 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 197715 régis-
sant les conflits armés internationaux, on répertorie près d’une quarantaine d’ar-
ticles où le mot « droit »16 apparaît. Dans chacune de ces dispositions, les titulai-
res de ces droits sont les personnes protégées par chacune des conventions17. Que
ce soit le droit du prisonnier de guerre de présenter aux autorités militaires qui le
détiennent des requêtes concernant le régime de captivité auquel il est soumis18
ou le droit des personnes civiles protégées de s’adresser aux Puissances protec-
trices, au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ainsi qu’aux sociétés
nationales19, il est clair que les individus, ou tout au moins, certaines catégories
de personnes, possèdent des droits en vertu du régime du droit humanitaire
applicable aux conflits armés internationaux. De plus, la clause d’inaliénabilité
des droits que l’on retrouve dans les quatre Conventions de Genève dans laquelle

2009 CanLIIDocs 17
on dispose que les personnes protégées « ne pourront en aucun cas renoncer par-
tiellement ou totalement aux droits que leur assure la présente Convention »20,
vient reconnaître, de façon expresse, l’existence de ces droits.
Pour ce qui est des victimes des conflits armés non internationaux régis par
l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole additionnel visant la
protection des victimes des conflits armés non internationaux21, elles aussi possèdent
des droits humanitaires. À notre avis, ces deux textes confèrent aux personnes
qui ne participent pas directement aux hostilités le droit d’être traitées avec hu-
manité et sans distinction de caractère défavorable, le droit d’être protégées des
atteintes portées à la vie, à l’intégrité corporelle et à la dignité ainsi que le droit de
bénéficier des garanties judiciaires reconnues, même si le terme « droit » n’est pas
utilisé expressément. Cette position fait écho aux propos tenus par Zegveld:

Apart from clear-cut examples of rules that can be concep-


tualized as “individual humanitarian rights”, and with the
purposes of IHL in mind, it is possible to identify many
more rules that contain elements of individual benefits. For
example, the grave breaches provisions could be construed as
conferring individual humanitarian rights against acts such as
willful killing, torture or inhuman treatment willfully causing
great suffering or serious injury to body and health. The same
holds true for norms applicable in non-international armed

15 1125 R.T.N.U. 3, art. 86 et 87 [ci-après PI].


16 Dans la version anglaise des conventions, le terme « entitled » est aussi utilisé pour référer
au concept de « droit ». Voir par ex. CGIV, supra note 15, art. 27, en version anglaise :
« Protected persons are entitled, in all circumstances, to respect for their person […] », en
version française : « Les personnes protégées ont droit, en toutes circonstances, au respect de
leur personne […] ».
17 Voir de façon non exhaustive CGI et CGII, supra note 15, art. 6 et 7; CGIII, supra note 15, art.
6, 7, 14, 28(2), 54, 73, 81, 105, 106, 107 et 130; CGIV, supra note 15, art. 5, 7, 8, 27, 30, 35,
38, 40, 43, 48, 52(1), 71(2), 72, 73, 75(1), 76(6), 78(2), 80, 101 et 147; PI, supra note 16, art.
44(5), 45(3), 75 et 85(4).
18 CGIII, supra note 15, art. 78.
19 Voir CGI, CGII et CGIII, supra note 15, art. commun 8 et 10 et CGIV, supra note 15, art. 9 et
11.
20 Supra note 15, art. 7/7/7/8 commun aux quatre Conventions de Genève.
21 1125 R.T.N.U. 609 [ ci-après PII].
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 437

conflicts, such as the prohibition of violence to life, outrages


upon personal dignity, and humiliating and degrading treat-
ment, stipulated in Article 3 common to the Geneva Conven-
tions and in Article 4 of Additional Protocol II.22

Finalement, il faut noter que les « droits humanitaires » existent en faveur de


toutes les victimes de conflits armés régis par le DIH, sans exception. Si les droits
énumérés aux Conventions de Genève sont d’application universelle (ces textes
ayant été ratifiés par l’ensemble des États), ceux prévus par leurs deux protocoles
additionnels ne jouissent pas du même statut. En effet, environ deux tiers des
États ont ratifié ces documents23. Toutefois, le caractère coutumier des normes
conventionnelles attribuant des droits humanitaires qui sont contenues dans les

2009 CanLIIDocs 17
Protocoles nous permet d’affirmer que ces droits existent dans tous les cas de
conflits armés, peu importe que l’État impliqué ait ratifié ou non le protocole
applicable au conflit dans lequel il est partie24.

B. Les droits secondaires : Qu’est-ce que le droit à la réparation en vertu du


DIH?
Dans cette section, nous examinerons tout d’abord les sources primaires que
constitue le droit positif contenu dans les traités de droit humanitaire au sujet
de la réparation, pour ensuite nous pencher sur les sources secondaires que nous
offre la doctrine relative à l’interprétation de ces dispositions.
Le droit applicable aux conflits armés internationaux consacre à l’article 3 de
la Convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre
du 18 octobre 190725 et à l’article 91 PI26 le droit d’obtenir réparation des pré-
judices subis à la suite de violations du DIH27. Ces dispositions font peser une

22 Liesbeth Zegveld, « Remedies for victims of violations of international humanitarian law »


(2003) 851 Revue internationale de la Croix-Rouge 497 à la p. 504 [Zegveld, « Remedies for
Victims »].
23 Le 30 juillet 2008, 169 États étaient parties au PI tandis que le 10 novembre 2009, 165 États
étaient parties au PII.
24 Voir Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Customary International Humanitarian
Law vol. 1 « Rules », Genève et Cambridge, Comité international de la Croix-Rouge et
Cambridge University Press, 2005, aux pp. 299-323. Le caractère coutumier des règles suivantes
semble consacré, autant dans le cadre de conflits armés internationaux que non internationaux :
l’obligation de traitement humain à la Règle 87 (aux pp. 306-308); l’interdiction de
discrimination à la Règle 88 (aux pp. 308-311); la prohibition du meurtre à la Règle 89 (aux pp.
311-314); l’interdiction de la torture et de tout traitement inhumain à la Règle 90 (aux pp. 315-
319); l’interdiction du viol à la Règle 93 (aux pp. 323-327), etc. Pour prendre connaissance de
l’état du droit conventionnel et de la pratique étatique (législation interne, manuels militaires,
jurisprudence et déclarations officielles) ainsi que la pratique des organisations internationales et
au sujet des règles coutumières du droit international humanitaire, voir le Vol. 2. [ci-après Étude
du CICR sur le DIH coutumier].
25 18 octobre 1907, 36 R.T.S.N. 539, art. 3 : « La Partie belligérante qui violerait les dispositions
dudit Règlement sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis
par les personnes faisant partie de sa force armée » [ci-après CIV (1907)].
26 Supra note 16, art. 91 : « La Partie au conflit qui violerait les dispositions des Conventions ou du
présent Protocole sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis
par les personnes faisant partie de ses forces armées ».
27 À noter que le Deuxième Protocole relatif à la Convention pour la protection des biens culturels en
cas de conflit armé, 26 mars 1999, 38 I.L.M. 769, art. 38, mentionne lui aussi explicitement
438 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

obligation de réparation aux États, en raison, entre autres, du champ d’applica-


tion (les conflits armés internationaux) et de la formulation des deux articles pré-
cités qui reflète avec justesse les principes de base du droit international public.
Notons tout d’abord que la notion de réparation fait partie du droit interna-
tional humanitaire coutumier. En effet, il est affirmé dans les Commentaires des
Conventions de Genève du Comité International de la Croix-Rouge (CIRC) au
sujet de l’article 91 PI que « cet article reproduit pour ainsi dire textuellement,
sans l’abroger, ce qui signifie qu’il reste de droit coutumier pour tous, l’article 3
de la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur
terre de 1907 »28. De plus, la Règle 150 contenue dans l’Étude du CICR sur le
DIH coutumier de 2006 dispose qu’un État responsable pour les violations du
droit international humanitaire doit effectuer une réparation totale pour la perte

2009 CanLIIDocs 17
ou les blessures occasionnées, et ce, pour tout type de conflit armé29.
En outre, on peut inférer l’obligation étatique de réparation des articles com-
muns aux quatre Conventions de Genève traitant de la responsabilité des parties
contractantes30 : ces articles rappellent l’impossibilité d’exonération de respon-
sabilité pour les Hautes Parties contractantes, lorsqu’il y a commission d’infrac-
tions graves. L’État demeure donc responsable des infractions aux Conventions,
il ne peut refuser de reconnaître sa responsabilité pour la raison que les auteurs
ont été punis et il reste, par exemple, tenu de payer une indemnité31. En outre,
lorsque ces articles communs aux quatre Conventions de Genève sont lus conjoin-
tement avec l’article 31 du Projet d’article sur la responsabilité étatique pour fait
internationalement illicite qui dispose que « l’État responsable est tenu de réparer
intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite »32, on
voit une consécration tacite de l’obligation de réparer le préjudice subi à la suite
d’une violation des normes de droits humanitaires en temps de conflit armé
international.
La notion de réparation existe donc en DIH, sans qu’il soit toutefois spécifié
explicitement à qui cette obligation de réparation est due : est-ce uniquement
à l’État lésé? Qu’en est-il des victimes individuelles? Est-ce que le DIH leur ac-
corde un droit à la réparation?
En ce qui touche au droit coutumier applicable aux conflits armés internatio-
naux, l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier men-

le droit à la réparation : « Aucune disposition du présent Protocole relative à la responsabilité


pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international, notamment
l’obligation de réparation ».
28 Sylvie S. Junod, Claude Pilloud, Jean de Preux et Bruno Bruno Zimmermann, dans J. Pictet,
dir., Commentaires des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève de 1949,
Genève, Comité International de la Croix-Rouge, 1986 à la p. 1079, para. 3645, en ligne :
CICR < http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/p0421?OpenDocument > (date
d’accès : 1er décembre 2009) [ci-après Commentaires du CICR PI et PII].
29 Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note 25 à la p. 537: « A State responsible for
violations of international humanitarian law is required to make full reparation for the loss or
injury caused ».
30 CGI, supra note 15, art. 51; CGII, supra note 15, art. 52; CGIII, supra note 15, art. 131; CGIV,
supra note 15, art. 148: article commun aux quatre Conventions de Genève.
31 Commentaires du CICR CGIV, supra note 5 à la p. 645.
32 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, supra note 7, art. 31.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 439

tionne que la réparation peut être demandée par les États, mais aussi directement
par les individus. Son obtention s’envisage toutefois par des mécanismes plus
larges que ceux qui sont discutés ci-dessous, en application des articles 3 CIV
(1907) et 91 PI. Il est fait mention, par exemple, des ententes (interétatiques et
autres) et des actes d’État unilatéraux par lesquels les victimes individuelles sont
directement indemnisées. Il est vrai que ces mécanismes constituent une voie
d’accès à la réparation, mais nous sommes d’avis que ces dispositifs présentent
certaines lacunes pour les victimes individuelles. L’Étude du CICR sur le DIH
coutumier confirme, cependant, que les articles 3 CIV (1907) et 91 PI précités
n’indiquent pas qui est bénéficiaire de l’obligation de réparation et quels sont
les mécanismes de révision des réclamations33. Si certains auteurs infèrent de
ces articles l’existence d’un droit individuel secondaire de demander réparation

2009 CanLIIDocs 17
pour violations des « droits humanitaires » substantifs, la plupart d’entre eux
soutiennent que ces règles régissent uniquement les relations entre États et que,
quoiqu’elles puissent être appliquées au bénéfice des victimes, elles ne peuvent
pas être invoquées directement par ces dernières. Qu’en est-il vraiment?
Des auteurs, tels que Rudolf Dozler, soutiennent l’impossibilité d’une applica-
tion directe de l’article 3 CIV (1907), en affirmant que le droit de La Haye n’ac-
corde aucun droit aux victimes qui ont subi un dommage imputable à un État
résultant d’une violation du droit international. Il justifie sa position en citant
entre autres Vattel, Brownlie ainsi que la synthèse de 1986 de la Loi américaine
sur les relations étrangères34. D’autres auteurs, tels que A. W. Freeman35 et G.H.
Aldrich36, ont tenu des propos similaires. Pierre d’Argent considère lui aussi que
le fait d’interpréter ces articles de façon à y voir un droit individuel à un recours
et à une réparation sollicite très largement le texte, qu’elle n’est pas conforme à
la volonté de leurs auteurs et qu’elle a été souvent, de toute façon, rejetée par la
jurisprudence37. D’Argent ne voit pas dans ces articles un fondement suffisant
pour établir un droit individuel qui serait transposable directement dans les or-
dres juridiques internes. Il ne ferme toutefois pas complètement la porte à une
reconnaissance éventuelle de ce droit, admettant que :

il n’est pas impossible qu’à la suite de l’évolution du droit


international des droits de l’homme, le droit des gens en

33 Étude CICR sur le DIH coutumier, supra note 25 à la p. 544.


34 Rudolf Dozler, « The Settlement of War-Related Claims :Does International Law Recognize a
Victim’s Private Right of Action? Lessons After 1945 » (2002) 20 Berkeley Journal International
Law. 296 à la p. 308 (voir directement dans le texte de Dozler pour la référence à la loi
américaine). Mentionnons au passage que Dolzer ne fait aucune allusion de l’article 91 PI.
35 A..Freeman, « Responsibility of the State for Unlawful Acts of Their Armed Forces » (1955) 88
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye 267 à la p. 333.
36 George H. Aldrich, « Individuals as Subjects of International Humanitarian Law » dans Jerzy
Makarczyk, dir., Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century. Essays in Honour
of Krzystof Skubiszewski, La Haye, Kluwer, 1996, 851 [ci-après Aldrich].
37 Pierre D’Argent, « Des règlements collectifs aux règlements individuels (collectivisés)? –
la question des réparations en cas de violations massives des droits de l’homme » (2003) 5
International Law FORUM du droit international 10 à la p. 13 [D’Argent]. Voir aussi du même
auteur, Les réparations de guerre en droit international public. La responsabilité internationale des
États à l’épreuve de la guerre, Bruxelles et Paris, Bruylantet LGDJ, 2002.
440 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

vienne à consacrer au bénéfice des individus le droit d’obtenir


réparation de leurs préjudices causés par certaines violations
particulièrement graves du jus in bello lorsqu’elles emportent
des atteintes à certains droits humains fondamentaux univer-
sellement reconnus et en tout temps indérogeables38.

Cette référence à l’évolution du droit à la réparation dans le temps et la pratique


a aussi été utilisée dans les Commentaires du CICR CGIV, par rapport à l’article
148 (commun aux quatre Conventions de Genève) statuant sur l’impossibilité
de s’exonérer de sa responsabilité étatique en cas d’infractions graves dont nous
avons fait mention plus haut, pour en arriver, malgré tout, à des résultats diffé-
rents. Notons que ces commentaires ont été formulés dans les années 1950, peu

2009 CanLIIDocs 17
de temps après l’adoption des Conventions de Genève :

À notre avis, l’article 148 a pour objet d’empêcher que, dans


une convention d’armistice ou dans un traité de paix, le
vaincu ne soit contraint de renoncer à toute réparation due à
raison d’infractions commises par des personnes se trouvant
au service du vainqueur. En effet, en ce qui concerne la répa-
ration matérielle des infractions à la Convention, il n’est pas
possible, tout au moins en l’état actuel du droit, d’imaginer
que les personnes lésées puissent intenter directement une
action contre l’État au service duquel se trouvait l’auteur de
l’infraction. Seul un État peut formuler de telles revendica-
tions à l’égard d’un autre État. Ces réclamations rentrent gé-
néralement dans le cadre de ce qu’on a appelé les «réparations
de guerre». Il paraîtrait injuste que les individus fussent punis
alors que l’État au nom de qui ils agissent — et parfois sur
ses instructions — serait libéré de toute responsabilité [nos
soulignements] 39.

On peut voir dans cette analyse une infirmation de la théorie de l’application


directe de l’article 3 CIV (1907) aux victimes individuelles. Cette interprétation
de « l’état actuel du droit » dans les années 50 nous surprend, toutefois un peu,
considérant l’histoire et le contexte de négociation ayant mené à l’adoption de
l’article 3, au début du XXe siècle. En effet, comme le rapporte Frits Kalshoven40,
la question de la réparation individuelle était prise en considération dans les
textes normatifs dès 1899 : par exemple, les articles 52 et 53 de la Convention
(II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre41 visaient l’indemnisa-

38 D’Argent, ibid. à la p. 14.


39 Commentaires du CICR CGIV, supra note 5 aux pp. 645 et 646.
40 Frits Kalshoven, « State Responsibility for Warlike Acts of the Armed Forces » (1991) 40
I.C.L.Q. 827 à la p. 830 [ci-après Kalshoven, « State Responsibility »].
41 Convention (II) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe :
Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 29 juillet 1899, B.T.S. 1901/11,
aux pp. 19-28, en ligne : CICR <http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/150?OpenDocument>
(date d’accès : 1er décembre 2009).
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 441

tion à fournir aux communes et aux habitants qui sont sous occupation lorsque
sont réclamées des réquisitions en nature ou de services pour les besoins de l’ar-
mée, actes qui sont, en soi, légaux. Kalshoven nous apprend ensuite que, lors la
Deuxième Conférence internationale de la Paix de La Haye du 18 octobre 1907,
le représentant allemand, major général Von Gündell, a proposé l’ajout de deux
articles, le premier visant la compensation des personnes neutres et le second
celle de la Partie adverse. Finalement, la Conférence a pris le parti de fusionner
les deux articles en un seul, pour donner l’article 3 tel qu’on le connaît42. Reste
que le principe d’invocation de la responsabilité de l’État dans le but de permet-
tre à la victime d’obtenir une compensation pour les dommages subis, reposant
sur la proposition allemande, n’a jamais semblé être sujet de controverse lors
de la Conférence. Ceci fait dire à Kalshoven que « [t]he article is unmistakably

2009 CanLIIDocs 17
designed to enable [individual beneficiaries] to present their bills directly to the
State, i.e. to its competent (military or other) authorities, either during or after
war »43 et que « [t]he question of responsibility of one State vis-à-vis another
State apparently never entered the minds of the draftsmen [of article 3]»44. Il est
vrai que certains auteurs n’ont pas une opinion aussi tranchée que Kalshoven sur
l’histoire de l’adoption de l’article 3 CIV (1907). Par exemple, l’étude approfon-
die des Travaux préparatoires ayant mené à l’adoption de cet article réalisée par
Micaela Frulli45 et reprise par Andrea Gattini46, nous apprend que cette dispo-
sition a donné lieu à certaines discussions. Frulli cite, en effet, une intervention
d’un délégué britannique pour venir souligner les difficultés pratiques inhérentes
à la reconnaissance d’un droit individuel qui découlerait de l’obligation de com-
pensation monétaire qui incombe aux États :

Je ne conteste pas l’obligation qui existe pour une Puissance


belligérante de dédommager ceux qui ont été victimes de la
violation des lois et des coutumes de la guerre et la Grande-
Bretagne ne désire aucunement se soustraire à ses obligations.
Je ferai seulement observer qu’il est souvent fort difficile de
constater cette violation et la portée du dommage causé. Pro-
clamer le principe est facile, mais il est bien difficile de l’ap-
pliquer sans soulever de contestations qui nuisent aux bons
rapports des États qui doivent résoudre le problème47.

42 Voir Kalshoven, « State Responsibility », supra note 41 à la p. 832, nº. 20. Il est intéressant
de noter que Kalshoven identifie les bénéficiaires de l’obligation posée par l’article 3 comme
étant uniquement les ressortissants ennemis et les civils neutres, et non les combattants ou les
prisonniers de guerre, même si certaines dispositions du Règlement à la Convention IV de 1907
visent le traitement qui est accordé à ces derniers.
43 Ibid. à la p. 836.
44 Ibid. à la p. 838.
45 Micaela Frulli, « When Are States Liable Toward Individuals for Serious Violations of
Humanitarian Law? The Markovic Case » (2003) 1 Journal of International Criminal Justice
406 [ci-après Frulli, « When Are States Liable»].
46 Andrea Gattini, « To What Extend are States Immunity and Non-Justiciability Major Hurdles
to Individual Claims for War Damages? » (2003) 1 Journal of International Criminal Justice
348 aux pp. 350 et s. [ci-après Gattini, « To What Extent »].
47 « Deuxième Conférence internationale de la Paix du 15 juin au 18 octobre 1907 », dans, Actes et
442 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

L’analyse des Travaux préparatoires fait dire à Frulli que l’introduction de cet
article avait deux objectifs : premièrement, établir que chaque Puissance belli-
gérante est responsable des violations des règles commises par ses forces armées
et, deuxièmement, établir pour les États parties l’obligation d’indemniser les vic-
times civiles ressortissantes d’un État neutre ou de l’État ennemi comme étant
le seul mode de réparation de ces violations. Ce constat lui fait affirmer, pour
l’article visé, que « there is still ambiguity with respect to the right of individuals
to directly seek and obtain compensation »48. Nous verrons plus loin qu’outre
les discussions durant les Travaux préparatoires de la CIV (1907), rien dans la
jurisprudence subséquente et dans la pratique générale n’a laissé voir l’émergen-
ce d’un droit individuel d’obtenir directement réparation. Ceci explique donc
un peu mieux la position adoptée par le CICR dans ses Commentaires au sujet

2009 CanLIIDocs 17
des articles prévoyant l’impossibilité d’exonérer sa responsabilité étatique qui se
trouvent dans les quatre Conventions de Genève.
Le constat n’est pas nécessairement plus clair en ce qui a trait à l’article 91 PI
dans lequel la notion d’indemnité est aussi évoquée, sous une formulation pres-
que identique à celle de l’article 3 CIV (1907). Elle vise non seulement les viola-
tions des dispositions du Protocole, mais aussi celles des quatre Conventions de Ge-
nève; le libellé est donc assez large. Les Travaux préparatoires ne nous fournissent
cependant pas d’information cruciale sur le contexte d’adoption. Tel que nous le
rapporte Frulli49, c’est un délégué vietnamien qui proposa l’article, en affirmant
qu’il s’agissait là d’une volonté de réaffirmer le principe de réparation dont dispo-
sait déjà l’article 3. Le but recherché était certainement d’élargir le spectre d’ap-
plication de la réparation, mais il n’est pas aussi clair de savoir si le délégué viet-
namien, ainsi que tous les États présents, songeait à la situation d’une réparation
individuelle. L’examen de la Conférence diplomatique ayant mené à l’adoption
des deux Protocoles additionnels auquel Kalshoven a procédé nous donne tou-
tefois un peu plus d’information. Il nous apprend en effet qu’on peut lire dans
les Actes de la Conférence que les parrains de l’article 91 PI avaient puisé leur ins-
piration «de la destruction et des ravages qui ont résulté des guerres d’agression
coloniale et néo-coloniale infligées sur le territoire de pays d’Asie où la population
était faible et mal armée, tel qu’il était arrivé au Vietnam et dans certains pays
africains » [notre traduction]50. Reste que la question de l’existence ou non d’un
droit individuel à la réparation n’a pas été soulevée lors du processus de rédaction
de l’article 91 PI. Il est donc difficile de connaître, plus en détail, la portée qu’on a
voulu conférer à l’article. Selon l’interprétation de Kalshoven, l’article 91 engage
la responsabilité de la partie au conflit vis-à-vis d’un État ou, à la limite, une com-
munauté ou un groupe mais non vis-à-vis d’une victime individuelle51. La lecture
des Commentaires du CICR PI et PII au sujet de l’article 91 PI laisse entrevoir une
autre possibilité ouvrant la porte sur la reconnaissance d’un droit individuel :

documents, La Haye, 1907, vol. I, à la p. 147, tel que cité dans Frulli, « When Are States Liable »,
supra note 46 à la p. 417 [Travaux préparatoires CGIV (1907)].
48 Ibid. à la p. 418.
49 Frulli, « When Are States Liable », supra note 46 à la p. 416.
50 Kalshoven, « State Responsibility » supra note 41 à la p. 845.
51 Voir par ex. ibid., supra note 41, à la p. 846.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 443

Les ayants droit à l’indemnité seront normalement des Parties


aux conflits, ou leurs ressortissants. […]
Sauf cas exceptionnels, les personnes de nationalité étrangère
lésées par le comportement illicite d’une Partie au conflit de-
vront s’adresser à leur propre gouvernement qui fera valoir
leur plainte auprès de la ou des Parties auteurs de la violation,
mais, on peut relever, depuis 1945, une tendance à recon-
naître l’exercice de droits individuels [notes omises - notre
soulignement]52.

On peut s’étonner d’une telle affirmation de la part du CICR, surtout lorsqu’on


la compare avec celle faite trente ans plus tôt au sujet de l’article 148 commun

2009 CanLIIDocs 17
aux quatre Conventions de Genève, où le droit individuel à la réparation semblait
infirmé53. Il est, en effet, difficile de réconcilier le tout. On peut toutefois voir
dans ce dernier commentaire un obiter sur l’état du droit, et non sur la portée
d’application de l’article 91 PI. En tout état de cause, nous croyons que ce sont
ces Commentaires du CICR, à la lumière du contexte d’adoption de l’article 3
CIV (1907), qui ont fait dire à Frulli:

I may thus be contented that Article 91 also lays down a rule


binding on the contracting parties to the effect that they are
mandated to pay damages caused to individuals by humani-
tarian law violations committed by their armed forces. It still
remains unclear whether individuals have a corresponding
right to seek compensation within domestic legal orders.54

Notons en outre qu’en 2005, la Commission d’enquête internationale sur le


Darfour des Nations Unies s’est fondée sur les articles 3 CIV (1907) et 91PI
pour affirmer que les violations graves du droit humanitaire et des droits hu-
mains n’entraînent pas uniquement une responsabilité pénale des auteurs, mais
aussi une responsabilité de l’État (ou la partie au conflit assimilable à l’État) au
nom duquel l’acte a été commis. La Commission d’enquête a même spécifié que
cette responsabilité impliquait le paiement d’une compensation à la victime, sans
toutefois qu’il soit fait mention de l’existence d’un droit individuel à la compen-
sation revenant directement à la victime55.
Il ne faut finalement pas omettre de parler de l’effort récent fourni par les
Nations Unies dans la systématisation des règles émanant de différentes sources
du droit international public pouvant bénéficier aux victimes à travers les Prin-

52 Commentaires du CICR PI et PII, supra note 29 à la p. 1082, au para. 3656.


53 Voir l’extrait des Commentaires du CICR CGIV, supra note 5 aux pp. 645 et 646.
54 Frulli, « When Are States Liable » supra note 46 à la p. 418.
55 Report of the International Commission of Inquiry on Darfur to the United Nations Secretary-
General pursuant to Security Council Resolution 1564, 1er février 2005, Doc. NU S/2005/60
(2005) aux para. 593 et 597, en ligne : ‹http://www.un.org/News/dh/sudan/com_inq_darfur.
pdf› (date d’accès : 1er décembre 2009) : « [T]here has now emerged in international law a right
of victims of serious human rights abuses (in particular, war crimes, crimes against humanity and
genocide) to reparation (including compensation) for damage resulting from those abuses. »
444 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

cipes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation56.


Puisqu’on n’y formule pas de nouvelles règles, la valeur d’un tel document ne
réside pas dans son aspect novateur, mais bel et bien dans sa fonction de com-
pilation des mécanismes de mise en œuvre des droits des victimes qui existent
déjà au niveau normatif. Qui plus est, ce document a nécessité un travail d’une
valeur inestimable de la part des États : celui de clarifier la teneur et la portée des
obligations qu’ils se sont donnés. En effet, ces Principes doivent refléter les nor-
mes minimales du droit international57. L’existence même de ce document vient
donc appuyer le constat que le système actuel évolue de façon à reconnaître, de
plus en plus, le droit d’accès à la justice que possède les victimes individuelles de
violations du DIH.
Ceci étant dit, l’analyse des articles 3 CIV (1907) et 91 PI à laquelle nous ve-

2009 CanLIIDocs 17
nons de procéder nous permet de constater que plusieurs interprétations s’offrent
à nous et que la place que leur réserve le droit humanitaire n’est pas clairement
définie dans les textes normatifs. À la lumière de la doctrine, nous sommes toute-
fois à l’aise d’affirmer, comme plusieurs autres auteurs l’ont fait avant nous58, que

56 Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes


de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit
international humanitaire, Rés. AG 60/147, Doc. Off. AG NU, 60e sess., supp. no 49, Doc. NU
A/RES/60/147 (2005): cette résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies est le fruit
de nombreuses années de travail. Le gouvernement chilien fut, tout d’abord, l’instigateur de
ce projet, lorsqu’il débuta son processus de réparation des victimes au sein de l’État. Le besoin
d’avoir entre les mains un outil pratique visant les droits des victimes, toutes sources confondues,
s’est fait ressentir très clairement dans le déroulement de ces opérations de réparation. La même
situation s’est présentée avec la Commission de vérité et réconciliation péruvienne. Voir Ipsita
Mondal, « Second Consultative Meeting on «The Basic Principles and Guidelines on the
Right to a Remedy and Reparation for Victims of Violations of International Human Rights
and Humanitarian Law -20-23 October 2003, Geneva » International Movement Against
All Forms of Discrimination and Racism (IMADR), en ligne : <http://www.imadr.org/old/
geneva/2003/2nd.CM.restitution.html> (date d’accès : 1er août 2007).
57 Ibid. à l’annexe « General Observations », au para. 11, à la p. 5.
58 Voir par ex. Éric David, Principes de droit des conflits armés, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 1999
au n° 427, à la p. 570; Theodore Meron, Human Rights and Humanitarian Norms as Customary
Law, Oxford, Oxford University Press, 1989 à la p. 224; Marco Sassòli, « State Responsibility
for Violations of International Humanitarian Law » (2002) 84 Revue internationale de la
Croix-Rouge 401 à la p. 419 [ci-après Sassòli, « State Responsability »] : « […] in international
humanitarian law […] many rules are formulated in a human rights-like manner as entitlements
of war victims. In such cases the only problem is procedural, i.e. that the injured individuals
have no standing in the usual procedures for the settlement of disputes. Substantively they do
have, however, an entitlement under international law » [note omise]. Voir aussi Emanuela-
Chiara Gillard, « Reparations for violations of international humanitarian law » (2003) 851
Revue internationale de la Croix-Rouge 529 à la p. 536 [ci-après Gillard, « Reparations »] :
« While there is general consensus that there is no reason for limiting the right to compensation
referred to in the Hague Convention and Additional Protocol I to States and that individual
victims should also benefit, problems have arisen when such persons have attempted to enforce
the right to reparations – usually compensation – directly before national courts » [note omise];
Zegveld, « Remedies for victims », supra note 23 à la p. 506 : « The liability of parties to a conflict
to pay compensation for violations of IHL committed by persons forming part of their armed
forces could entail an obligation to compensate not only States but also individual victims. […]
Several experts have taken the view that the very purpose of the article has been to confer rights
directly on individuals » [notes omises]; Riccardo Pissillo Mazzeschi, « Reparation Claims by
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 445

ces deux dispositions consacrent, dans une certaine mesure, le droit individuel
des particuliers d’obtenir réparation des préjudices découlant des violations du
droit humanitaire. Il demeure difficilement envisageable de trancher définitive-
ment sur la question de savoir si la victime possède en DIH un droit procédural
de présenter elle-même sa requête. Considérant la difficulté d’interprétation des
articles, la question de leur application directe ou non sera traitée de manière
plus approfondie par la suite, en s’attardant sur l’interprétation jurisprudentielle
de ces dispositions.
Pour l’instant, nous pouvons affirmer que, lors de l’adoption du PI en 1977
et la reprise quasi intégrale du langage de l’article 3 CIV (1907) à l’article 91,
l’intention des États était de s’affranchir — un tant soit peu — de la conception
classique du droit international public et de reconnaître la place de plus en plus

2009 CanLIIDocs 17
définie qu’occupe l’individu dans ce milieu « étatique ». On reconnaît toutefois
du même souffle que l’intention n’allait peut-être pas aussi loin que de créer un
véritable droit procédural pour les individus, engendrant ainsi une institution
novatrice en droit international public. Il s’agit plutôt minimalement d’une re-
connaissance de l’individu comme bénéficiaire des protections qu’offre le droit
humanitaire et d’une prise en considération de ses intérêts. On peut appuyer
cette interprétation en citant le rapporteur de la IIIe commission de la Confé-
rence diplomatique de Genève de 1949 qui a déclaré que :

Il ne suffit pas d’accorder les droits aux personnes et d’im-


poser aux États une responsabilité; il faut encore fournir aux
personnes protégées les appuis qui leur sont nécessaires pour
faire valoir leurs droits, sans quoi elles seraient juridiquement
désarmées en face de la Puissance au pouvoir de laquelle elle
se trouve […]59.

Cette affirmation, qui est en quelque sorte une application de la maxime « a


right without a remedy is not a right at all », pourrait venir renforcer la position
selon laquelle le droit humanitaire attribue un droit à la réparation aux victimes
de violations. Il faut, malgré tout, replacer cette citation dans son contexte et
comprendre que les « appuis nécessaires » consistent à obliger la Puissance au
pouvoir à fournir aux personnes protégées les moyens nécessaires pour commu-
niquer avec la Puissance protectrice, le CICR et les sociétés nationales. L’obli-
gation ne semble donc pas nécessairement s’étendre jusqu’à fournir les moyens
procéduraux de faire valoir un droit secondaire à la réparation dans l’éventualité
d’une violation. Toutefois, ce type d’affirmation vient renforcer la position, qui
est la nôtre, selon laquelle le droit des individus d’obtenir réparation au niveau
international existe, malgré le fait qu’il semble improbable que l’individu puisse

Individuals for State Breaches of Humanitarian Law and Human Rights: An Overview » (2003)
1 Journal of International Criminal Justice 339 aux pp. 341 et 342 [ci-après Mazzeschi]: « In
our opinion, Article 3 Hague Convention no IV and Article 91 of Protocol I should therefore
be jointly interpreted as rules providing for an obligation of reparation in favour both of states
and of injured individuals ».
59 Actes de la Conférence diplomatique de Genève de 1949, vol.II-A à la p. 805 tel que cités dans les
Commentaires du CICR CGIV, supra note 5 à la p. 230, art. 30.
446 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

exercer et exécuter directement ce droit à travers des mécanismes et recours inter-


nationaux. Si l’on peut affirmer qu’en droit international humanitaire, il y a eu
un passage de l’étatique à l’individuel dans une certaine mesure, il est beaucoup
plus difficile de soutenir qu’il y a eu passage d’individuel à individualisé, et qu’il
est presque impossible d’argumenter un passage à la justiciabilité, compte tenu,
nous le verrons plus loin, de l’état de la jurisprudence.
Finalement, il y a lieu de préciser ici que tout ce débat autour de la notion
d’indemnisation des victimes en droit humanitaire conventionnel n’englobe que
les conflits armés internationaux. Le fait que la notion de réparation ne fait pas
partie du droit des traités s’appliquant aux conflits armés non internationaux
est incontesté. Ceci est une lacune considérable du DIH, qui est toutefois atté-
nuée par le fait que la Règle 150 de l’Étude du CICR sur le DIH coutumier dont

2009 CanLIIDocs 17
nous avons discuté plus haut s’applique aux conflits armés internationaux et
non internationaux, permettant ainsi de réclamer réparation contre les groupes
d’opposition armés, en plus de l’État. Reste que, lorsque l’on sait que parmi les
seize conflits armés majeurs répertoriés en 200860, aucun n’est un conflit armé
non international (une situation qui se répète depuis les cinq dernières années),
on voit la portée limitée des discussions sur l’impact du droit conventionnel en
ce qui a trait à la réparation.

III. L’APPLICATION DIRECTE DU DROIT HUMANITAIRE EN


DROIT INTERNE : EXAMEN DE JURISPRUDENCES NATIONALES :
LES RECOURS CONTRE L’ÉTAT61

Pour évaluer la justiciabilité du droit à la réparation prévu par le DIH par


rapport à la victime, un survol de l’état de la doctrine était nécessaire; un constat
de l’état de la jurisprudence se fondant sur les articles 3 CIV (1907) et 91 PI est
tout aussi fondamental. Le précédent judiciaire pèse lourd dans la balance quand
vient le temps d’évaluer la justiciabilité d’un droit. En effet, l’alinéa 31(3)c) de la
Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 196962 portant sur les règles
générales d’interprétation indique qu’il « sera tenu en compte, en même temps

60 Lotta Harbom et Peter Wallensteen, « Major Armed Conflicts » dans Stockholm International
Peace Research Institute (SIPRI) dir., Yearbook 2008 Armement, Disarmement and International
Security, Stockholm, 2006, annexe 2A, en ligne : <http://www.sipri.org/yearbook/2009/02/02A>
( date d’accès: 1er décembre 2009).
61 À noter que lorsque qu’une norme émanant d’un traité de droit international public octroie
directement un recours, la qualification dudit traité comme étant ou non directement
applicable en droit interne (« self executing treaty ») est primordiale. Même s’il ne s’agit pas
en soi d’une question du droit interne de l’État où l’action est entamée, il est important de
s’y attarder pour évaluer comment sont mis en œuvre les droits qui peuvent être interprétés
comme étant justiciables individuellement. Nous évoquerons donc ce concept fréquemment
dans les prochaines pages, puisqu’il constitue en quelque sorte, le pont entre le droit
international humanitaire et le droit interne. Voir, à ce sujet, Christopher Greenwood, « Rights
to compensation of former prisoners of war and civilian internees under article 3 of Hague
Convention no IV, 1907 : Expert Opinion  » dans H. Fijita, I. Suziki et K. Nagano, dir., War and
the Right of Individuals: Renaissance of Individual Compensation, Tokyo, Nippon Hyoron-sha,
1999, 59 à la p. 68.
62 1155 R.T.N.U. 354.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 447

que le contexte […] de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application


du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation
du traité ». Donc, pour pouvoir mieux interpréter le droit conventionnel, il est
des plus pertinents d’examiner la pratique des États à travers les décisions qui
émanent de leurs propres tribunaux.
Nous avons recensé certaines affaires dans lesquelles des victimes individuelles
de violations de droit international humanitaire ont tenté d’obtenir réparation
de la part de l’État auquel était imputable la violation. Nous verrons à la lumière
d’une analyse empirique63 de la pratique des États que les tribunaux nationaux
rejettent dans presque tous les cas les actions individuelles contre les États qui
se fondent directement sur des dispositions du droit humanitaire. Puisque la
pratique judiciaire se veut généralement uniforme au sein d’un même État, nous

2009 CanLIIDocs 17
procéderons à une analyse jurisprudentielle ordonnée par pays dans lequel l’ac-
tion civile a été entamée.

A. Les États-Unis : les affaires Tel-Oren et Princz


La question à laquelle nous tenterons de répondre dans la présente section est
de savoir, en application du raisonnement posé dans l’affaire Foster v. Neilson64, si
le droit à la réparation dont dispose la CIV (1907) et le PI peut être mis en œuvre
par les tribunaux américains sans qu’il soit nécessaire que le Congrès légifère à
ce sujet.
L’Affaire Tel-Oren65 paraît, à première vue, éloignée de l’analyse que nous ef-
fectuons du droit individuel à la réparation pour les victimes de violations du
DIH. En effet, les demandeurs, majoritairement des citoyens israéliens, poursui-
vent la Libye, mais aussi d’autres entités non étatiques, telles que l’ Organisation
de Libération de la Palestine (OLP) et le Congrès palestinien d’Amérique du
Nord, pour les dommages subis à la suite d’un attentat armé sur un autobus, en
mars 1978. Or, la Cour, aussi bien en première instance qu’en appel, ne semble
pas avoir effectué la qualification préliminaire de la situation pour savoir s’il
s’agit de troubles internes ou d’un conflit armé régi par le DIH. Nous pouvons
donc difficilement expliquer pourquoi la Cour d’appel du district de Columbia,
sous la plume du Juge Edwards, s’est prononcée sur la non-applicabilité directe
en droit interne de l’article 3 CIV (1907). Nous analyserons tout de même ses
commentaires, en prenant soin de les classer dans la catégorie des obiter dictum.
L’Affaire Tel-Oren donne le ton de l’interprétation constante qu’ont adoptée

63 Il ne s’agit pas d’une revue jurisprudentielle in extenso. Les décisions qui sont examinées ci-après
ont été sélectionnées parce qu’elles émanent toutes de juridictions nationales, qu’elles ont toutes
été intentées par une ou plusieurs victimes individuelles contre un État et qu’elles se fondent ou
qu’elles analysent les articles 3 CIV (1907) et/ou 91 PI.
64 Foster v. Neilson, 27 U.S. (2 Pet.) 253, 314 (1829): « Our constitution declares a treaty to
be the law of the land. It is, consequently, to be regarded in courts of justice as equivalent
to an act of the legislature, whenever it operates of itself, without the aid of any legislative
provision. But when the terms of the stipulation import a contract when either of the parties
engages to perform a particular act, the treaty addresses itself to the political, not the judicial,
department. »
65 Tel Oren v. Libyan Arab Republic, 517 F. Supp. 542 (D.D.C. 1981); 726 F.2d 774 (D.C. Cir.
1984) [ci-après Affaire Tel Oren].
448 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

les tribunaux américains par rapport à l’applicabilité directe en droit interne du


droit à la réparation tel que prévu dans la CIV(1907) durant les dernières décen-
nies. Voici le passage pertinent de la décision:

The Hague Conventions similarly cannot be construed to af-


ford individuals the right to judicial enforcement. Although
the Conventions contain no language calling for imple-
menting legislation, they have never been regarded as law
private parties could enforce.

La Cour poursuit en expliquant plus en détail les implications — politiques et


diplomatiques — qu’elle entrevoit dans l’éventualité où l’article 3 serait inter-

2009 CanLIIDocs 17
prété comme attribuant un droit individuel à la réparation :

If they were so regarded, the code of behavior the Conven-


tions set out could create perhaps hundreds of thousands or
millions of lawsuits by the many individuals, including pris-
oners of war, who might think their rights under the Hague
Conventions violated in the course of any large-scale war.
Those lawsuits might be far beyond the capacity of any legal
system to resolve at all, much less accurately and fairly; and
the courts of a victorious nation might well be less hospitable
to such suits against that nation or the members of its armed
forces than the courts of a defeated nation might, perforce,
have to be. Finally, the prospect of innumerable private suits
at the end of a war might be an obstacle to the negotiation
of peace and the resumption of normal relations between na-
tions. It is for these reasons that the Conventions are best
regarded as addressed to the interests and honor of belliger-
ent nations, not as raising the threat of judicially awarded
damages at war’s end. The Hague Conventions are not self-
executing.66

La même interprétation des Conventions de La Haye a été adoptée, moins d’une


décennie plus tard. L’Affaire Goldstar Panama67 a été introduite devant les tri-
bunaux américains au début des années 90 par un regroupement d’entreprises
panaméennes contre l’État américain pour obtenir réparation des dommages
subis à la suite des émeutes et des rafles ayant fait rage dans le sillage de l’invasion
du Panama. Les demandeurs ont argué que les États-Unis avaient une obligation
d’assurer la sécurité des civils sous leur contrôle. Bien que cette affaire implique
des personnes morales, elle constitue un élément important de l’établissement de
la pratique des États subséquente à l’adoption de l’article 3 CIV (1907), puisque
c’est sur cette disposition que les demandeurs-appelants fondent leur action en

66 Ibid. (D.C. Cir. 1984) à la p. 810.


67 Goldstar (Panama) S.A. v. United States, 763 F. Supp. 1154 (D.D.C. 1991); 967 F.2d 965 (4th
Cir. 1992) [ ci-après Affaire Goldstar Panama].
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 449

dommages et intérêts. La position adoptée en première instance puis confirmée


par la Cour d’appel américaine dans cette affaire, a l’avantage d’être sans équivo-
que : l’article 3 n’étant pas applicable directement en droit interne américain, il
ne peut pas fonder une demande individuelle en réparation. Cette position s’ap-
puie sur une application stricte de la théorie du « self executing treaty » voulant
qu’une convention internationale ne puisse attribuer un droit d’action indivi-
duel que si elle en dispose de façon expresse, comme l’indique cet extrait souvent
cité de la décision :

Courts will only find a treaty to be self-executing if the docu-


ment, as a whole, evidences an intent to provide a private
right of action.68

2009 CanLIIDocs 17
Cette interprétation de l’article 3 est à nouveau maintenue dans l’Affaire Prin-
cz69, à la différence que, cette fois-ci, la Cour a infirmé la décision de première
instance. En effet, M. Hugo Princz, un citoyen américain ayant survécu aux
camps de concentration nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, se tourna
vers la justice américaine et y intenta un recours en réparation contre l’État alle-
mand se fondant sur l’article 3 CIV (1907), n’ayant pas été en mesure d’obtenir
compensation de la part de l’Allemagne à travers les mécanismes traditionnels
de protection diplomatique en raison de sa citoyenneté américaine. La District
Court avait, tout d’abord, mis de côté l’application de la doctrine de l’immunité
de l’État et avait reconnu sa compétence d’entendre la demande de compensa-
tion présentée par Princz. La Cour de première instance semblait toutefois des
plus mal à l’aise face à l’application de la théorie de l’immunité étatique pour
empêcher la compensation monétaire d’une personne ayant subi des « actes bar-
bares »70. La décision fut, cependant, infirmée en appel lorsque l’argument de
l’immunité étatique fut accepté, et ce, malgré une forte dissidence du Juge Wald.
Le tribunal, pour justifier sa décision, cite expressément les affaires Goldstar et
Tel-Oren:

[…] Mr. Princz argues, «the compensation provisions of the


Hague Convention are in conflict with the [Federal Sovereign
Immunity Act’]s immunity provision, thus invoking its ex-
ception for prior existing treaty obligations.» Binding preced-
ent is clearly to the contrary, and clearly correct.

68 Ibid. (4th Cir. 1992), au para. 968.


69 Princz v. Federal Republic of Germany, 813 F. Supp. 22 (D.D.C. 1992); 26 F.3d 1166 (D.C. Cir.
1994) [ci-après Affaire Princz].
70 Voir ibid. (D.D.C. 1992), au para. 26 : « This Court finds that the Foreign Sovereign Immunity
Act has no role to play where the claims alleged involve undisputed acts of barbarism committed
by a one-time outlaw nation which demonstrated callous disrespect for the humanity of an
American citizen, simply because he was Jewish. [...] What this Court holds today is that under
the circumstances of this case, a nation that does not respect the civil and human rights of an
American citizen is barred from invoking United States law to block the citizen in his effort to
vindicate his rights ».
450 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

[…] The cases are unanimous, however, in holding that noth-


ing in the Hague Convention “even impliedly grants indi-
viduals the right to seek damages for violation of [its] provi-
sions.” Tel-Oren v. Libyan Arab Republic […]; accord Goldstar
(Panama) S.A. v. United States […]

For the foregoing reasons, we conclude that none of the ex-


ceptions to sovereign immunity provided in the FSIA applies
to the facts alleged by Mr. Princz71.

À la lumière de ces décisions, on peut affirmer que l’interprétation que les tribu-
naux américains donnent à l’article 3 CIV (1907) comme n’ayant pas d’applica-

2009 CanLIIDocs 17
tion directe en droit interne, est assez uniforme. En ce qui a trait aux Conventions
de Genève dans leur ensemble, il y a certaines raisons de croire qu’elles auraient
une applicabilité directe en droit interne. Il existe, en effet, un certain courant
jurisprudentiel selon lequel les droits individuels prévus à la CGIII (relative aux
prisonniers de guerre) s’appliqueraient directement en droit interne72. Reste que,
tel qu’il a été déclaré dans United States v. Postal73, la doctrine du « self-executing
treaty » reste une notion très difficile à cerner qui pose de nombreux problèmes.
Il nous est donc difficile d’adopter une position ferme et arrêtée à ce sujet dans
le cadre du présent article, le contexte américain étant aussi bien particulier. En
ce sens, l’impact de l’utilisation contemporaine du Alien Tort Claims Act 74 et du
Torture Victim Protection Act of 199175 permettant un élargissement en matière
de compétence des tribunaux américains pour des violations du droit internatio-
nal public a changé le paysage judiciaire du pays. Toutefois, cet élément ne sera
pas abordé ici, faute d’espace76. Reste que l’examen de la jurisprudence, tout au

71 Ibid. (D.C. Cir. 1994), au para. 1175. Il est fort intéressant de voir comment cette affaire s’est
poursuivie à l’extérieur de l’arène judiciaire. Et pour cause, la Fondation allemande Remembrance
responsibility and future fut fondée en 2000 dans la mouvance de l’Affaire Princz dans le but de
rendre la compensation financière accessible aux victimes de travaux forcés et d’autres injustices
commises à l’époque du régime national-socialiste : voir généralement en ligne : ‹http://www.
stiftung-evz.de/eng/› (date d’accès : 1er décembre 2009).
72 Voir United States v. Noriega, 808 F.Supp. 791, 799 (S.D. Fla. 1992) qui a tranché que la CGIII
était applicable directement en droit américain (« [I]t is inconsistent with both the language
and spirit of [the GPW] and with our professed support of its purpose to find that the rights
established therein cannot be enforced by individual POW in a court of law »), ce qui permettait
au Général Noriega de déposer une poursuite aux États-Unis pour trancher sur les violations
alléguées, suite à sa détention dans une prison américaine. Il a, en outre, été affirmé dans cette
affaire que la doctrine du self-execution était complexe et pas particulièrement bien comprise
(para. 797). Voir aussi Padilla ex rel. Newman v. Bush, 233 F. Supp. 2d 564, 590 (S.D.N.Y.
2002) et United States v. Lindh 212 F. Supp. 2d 541, 553-554 (E.D. Va. 2002), dans lesquelles
il a été affirmé que la CGIII avait force de loi sous la « Supremacy Clause » que l’on retrouve à
l’article VI, para. 2 de la Constitution américaine.
73 589 F.2d 862, 876 (5th Cir. 1979) : « the self-execution doctrine [is] one of the most confounding
in treaty law».
74 28 U.S.C. §1350 [ci-après ATCA].
75 Pub. L. No. 102-256, 106 Stat. 73 (1992) [ci-après TVPA].
76 Pour des analyses plus approfondies de l’impact du ATCA et du TVPA sur la sanction des
violations des droits humains par les tribunaux américains, voir Beth Stephens, « Individuals
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 451

moins, celle relative à l’article 3 CIV (1907), ferme quand même la porte quant
à l’exercice d’un droit individuel à la réparation pour les victimes de violations
de DIH devant les tribunaux américains.

B. Le Japon : les Sengo Hosho Saiban


« Sengo Hosho Saiban » est le terme japonais utilisé pour définir les réclama-
tions individuelles en réparation post bellum présentées au cours des trente der-
nières années devant les tribunaux japonais contre l’État japonais en rapport aux
actes posés par celui-ci lors de la Seconde Guerre mondiale (qu’il s’agisse d’enrô-
lement forcé dans les forces armés, d’esclavage sexuel, de traitements infligés lors
de la détention ou de déplacement forcé). Il est à noter que, dans la plupart des
affaires, les demandeurs étaient d’origine japonaise, mais aussi coréenne, taïwa-

2009 CanLIIDocs 17
naise, chinoise, philippine, indonésienne et malaisienne77.
Dans le traitement de ces demandes, le Japon semble avoir opté, comme l’ont
fait et le font encore les États-Unis, pour une interprétation restrictive de la
doctrine du « self-executing treaty», ne voyant dans les conventions de droit
international un droit individuel à un recours que lorsqu’il est explicitement
mentionné :

The general position of Japanese courts on the matter is that


individuals cannot be regarded as having the right to demand
compensation from an offending State for violations of inter-

Enforcing International Law: The Comparative and Historical Context » (2002) 52 DePaul
Law Review 433 « Translating Filartiga: A Comparative and International Law Analysis of
Domestic Remedies For International Human Rights Violations » (2002) 27 Yale J Int’l L 1
[ci-après Stephens « Translating »]; « Taking Pride in International Human Rights Litigation »
(2001) 2 Chicago Journal of International Law 485; William S. Dodge, « The Constitutionality
of the Alien Tort Statute: Some Observations on Text and Context » (2002) 42 Va. J. Int’l L.
687; George Norris Stavis, « Collecting Judgements in Human Rights Tort Cases – Flexibility
for Non-Profit Litigators? » (1999) 31 Colum. Hum. Rts. L. Rev. 209 aux pp. 211-219 [ci-après
Stavis].
77 Pour une analyse poussée sur la jurisprudence japonaise au sujet de la compensation des victimes
de guerre, voir Shin Hae Bong, « The Right of War Crimes Victims to Compensation Before
National Courts - Compensation for Victims of Wartime Atrocities - Recent Developments in
Japan’s Case Law » (2005) 3 Journal of International Criminal Justice 187 [ci-après Hae Bong]
et Sayuri Umeda « Japan: WWII POW & Forced Labor Compensation Cases » (sept. 2008),
en ligne : United States Law Library of Congress ‹http://www.loc.gov/law/help/japan-wwii-
pow.pdf› (date d’accès : 7 décembre 2009) [ci-après Umeda]. Voir aussi Tetsuo Ito « Japan’s
Settlement of Post World-War II Reparations and Claims » et et Karen Parker et Jennifer F.
Chew « Reparation: A Legal Analysis » dans Roy L. Brooks (dir.), When sorry isn’t enough: the
controversies over apologies and reparation for human injustices, New York, New York University
Press, 1999 [ci-après When sorry isn’t enough]; Barry A. Fisher, « Japan’s Postwar Compensation
Litigation» (2000) 22 Whittier L. Rev. 35. Les jugements plus récents sont accessibles dans leur
langue originale en ligne : Courts of Japan ‹http://www.courts.go.jp/›. En outre, un résumé
des poursuites contre l’État japonais entamées par les victimes de violences sexuelles avant et
durant la Seconde Guerre mondiale (en date du 3 décembre 2004) est disponible en ligne :
Violence Against Women in War – Network Japan « Lawsuits against the Government of Japan
filed by the survivors in Japanese Courts » ‹http://www1.jca.apc.org/vaww-net-japan/english/
sexualslavery/courtcase.html› (date d’accès : 7 décembre 2009) [ci-après VAWW-NET Japan,
« Court Cases »].
452 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

national law unless such a procedure is explicitly provided


for in a treaty, and that the interpretation of scholars invoked
by the plaintiffs can neither be confirmed nor has been sup-
ported by State practice78.

En ce qui a trait, plus spécifiquement, à l’application directe en droit interne


de l’article 3 CIV(1907), on peut citer une décision dans laquelle les tribunaux
japonais ont reconnu, à la lumière des Travaux préparatoires qui ont mené à
l’adoption dudit article 379, que ce dernier avait été conçu pour « soulager » les
individus qui ont souffert lors d’un conflit armé, mais qu’un droit individuel à
un recours contre l’État fautif ne peut en être déduit, tel qu’en témoigne cette
traduction non-officielle du dispositif du jugement :

2009 CanLIIDocs 17
[TRADUCTION]
1. In general, public international law regulates interstate
rights and obligations;
2. When a treaty is applied to individual claims against the
state in a domestic court, the contents of the claim under
the provision of the treaty should be very clear from the
viewpoint of balance of powers and stability of law;
3. The text of Hague Convention IV never suggested that an
individual had claims against the state;
4. The drafting record of the Convention did not support
the plaintiffs’ view, but rather was based on the assump-
tion that compensation for individuals would be provided
through pursuing diplomatic protection by the state to
which the individual belonged.80

La même interprétation de l’article 3 CIV (1907) a été retenue par les tribu-
naux japonais dans l’Affaire du massacre de Nanking81 introduite devant les tri-

78 Hae Bong, Ibid. à la p. 189.


79 Travaux préparatoires CGIV (1907), supra note 48.
80 Voir Dutch POW Case, 1685 HANREI JIHÕ 19, 29-32 (Tokyo Dist. Ct. Oct. Nov. 30, 1998)
tel que cité dans Umeda, supra note 78, aux pp. 16 et 17; voir aussi U.K. POWs Case, 1685
HANREI JIHÕ 4, 13-18 (Tokyo Dist. Ct. Nov. 26, 1998). Pour ces deux affaires, les décisions
furent maintenues en appel pour les mêmes motifs : Dutch POWs Case, 1769 HANREI JIHÕ
61 (Tokyo High Ct., Oct. 11, 2001) et U.K. POWs Case, 1802 HANREI JIHÕ 76 (Tokyo
High Ct., Mar. 27, 2002) mais la Cour suprême a refusé d’entendre l’appel en 2004. Voir
aussi Chinese victims of sexual violence c. Japan, 1823 HANREI JIHÕ (Tokyo D. Ct., 2003) 61-
82 (non-applicabilité directe du droit à la réparation prévu par l’article 3 CIV (1907) en droit
interne), tels que cités dans Hae Bong, supra note 78.
81 Chinese victims of Nanking Massacre and inhuman acts by the Unit 731 of the Japanese army c.
Japan, Tokyo D. Ct., 22 septembre 1999, tel que cité dans Hae Bong, supra note 78 [ci-après
Affaire du massacre de Nanking]. Voir aussi les commentaires de Inokuchi Hiromitsu et Nozaki
Yoshiko, « Court Cases, Citizen Groups, and the Unresolved Issues of War: Updates and Brief
Commentary »; en ligne: Center for Research and Documentation on Japan’s War Responsibility
‹http://space.geocities.jp/japanwarres/center/english/Courtcas.htm› (date d’accès : 7 décembre
2009) [ci-après Hiromitsu et Yoshiko].
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 453

bunaux japonais durant les années 90. Les demandeurs dans cette affaire étaient
les victimes chinoises ainsi que les ayants cause des victimes décédées des suites
de violations du droit humanitaires commises lors de l’invasion de Nankin par
les troupes japonaises en 193782. Ils ont fondé leur recours sur l’article 3 CIV
(1907). La Cour a refusé de voir dans cette disposition un droit au recours indi-
viduel. Elle a argumenté au surplus que l’obtention de réparation pour les victi-
mes peut « réveiller d’anciens démons » et contrecarrer les efforts de prévention
d’un nouveau conflit :

To admit the rights of individuals to claim, from foreign


States, compensation for damages suffered during a past war
without relying upon diplomatic negotiations between States

2009 CanLIIDocs 17
is, viewed from the broader framework to maintain peace and
security between States and nations and in each region, as a
whole, equivalent to leaving seeds of conflict, and harmful in
view of preventing future wars, even though it is compatible
with justice for the individual in the sense of general civil
law.83

Ce raisonnement soulève des questions fondamentales qui outrepassent un cadre


strictement juridique et auxquelles nous ne tenterons pas de répondre ici. On
peut néanmoins souligner que, quoiqu’un argument se fondant sur le maintien
de la paix durable entre les peuples peut venir entraver l’accès d’une victime à
la réparation, il y a un minimum de mauvaise foi dans le fait d’affirmer que la
réparation compensatoire individuelle peut devenir une cause potentielle d’un
nouveau conflit armé international : justice et réconciliation ne se rejoignent pas
toujours, mais rien n’empêche que les deux principes puissent suivre des chemins
parallèles et complémentaires. Il est, en outre, intéressant de rapporter ici que le
Women’s International War Crimes Tribunal, une instance quasi-judiciaire éma-
nant de la société civile et ayant un pouvoir de recommandation84, n’a pas suivi

82 Plusieurs violations du DIH ont été commises par les Forces armées japonaises sur la population
civile lors de cette attaque : on estime à plus de 200 000 le nombre de Chinois tués et à environ
20 000 le nombre de femmes violées. Des traitements inhumains et cruels ont été réalisés
par l’Unité 731 chargée de recherche bactériologique. Voir notamment : Masahiro Yamamoto,
Nanking: anatomy of an atrocity, Praeger, 2000; Joshua A. Fogel, The Nanjing Massacre in history
and historiography, University of California Press, 2000; Iris Chang « The Nanking Massacre »,
dans When sorry isn’t enough, supra note 78.
83 Affaire du massacre de Nanking, supra note 82. Voir aussi la traduction d’un autre passage
du jugement qu’offre le Center for Research and Documentation on Japan’s War Responsibility:
« Considering the justice of the whole human race, the problems of compensation with respect
to former enemy nations should be solved comprehensively by the postwar friendship treaty
between the nations, even if it is the case that each individual’s justice cannot be restored in
terms of civic law. [D]enying individual rights to claim compensation for damage (in the case of
war) is reasonable, if we presume that avoiding another war is the supreme cause.» : Hiromitsu
et Yoshiko, supra note 82.
84 Voir, en ligne: Violence Against Women in War – Network Japan, « The Women’s International
War Crimes Tribunal on Japan’s Military Sexual Slavery » ‹http://www1.jca.apc.org/vaww-net-
japan/english/womenstribunal2000/whatstribunal.html› (date d’accès : 7 décembre 2009). Au
sujet du pouvoir de recommandation, en ligne : Violence Against Women in War – Network
454 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

ce courant jurisprudentiel ; il a en effet conclu que l’article 3 CIV (1907) confère


un droit individuel à la compensation85.
Soulignons finalement que d’autres obstacles se sont dressés sur le chemin des
victimes de violations du DIH commises par l’État japonais vers le prétoire : un
premier obstacle est celui de la « doctrine de l’irresponsabilité de l’État », qui
veut que ce dernier ne puisse jamais être tenu responsable pour les actes juri
imperii (ce qui inclut tous les actes posés par ses forces armées). Cette doctrine,
très proche parente de la doctrine d’immunité étatique, existait dans le système
juridique japonais d’avant-guerre et a souvent été invoquée par les tribunaux
pour refuser d’allouer une compensation aux victimes de violations du DIH,
et ce, jusqu’à récemment86. Ce postulat de droit interne, dont la compatibilité
même avec la notion d’État de droit est sujette à caution a ,toutefois, été mis de

2009 CanLIIDocs 17
côté dans plusieurs décisions87.
Un deuxième obstacle réside dans l’application de la théorie de la renoncia-
tion étatique aux « réparations de guerre » dans un traité de paix bilatéral comme
impliquant une renonciation pour toutes les victimes individuelles. Quoiqu’il a
été conclu dans l’affaire Shimoda88 que l’effet des traités de paix ne se faisait sentir
qu’au niveau interétatique, l’argument fut soulevé à plusieurs reprises... avec un
succès mitigé. Par exemple, dans l’affaire Shimonoseki89, le Tribunal de première
instance, ayant reconnu que le traitement infligé aux « femmes de réconfort »90

Japan, « Charter of The Women’s International War Crimes Tribunal On Japan’s Military Sexual
Slavery », art. 14 (Incorporating Modifications Agreed upon During the Hague Meeting, 26-
27 October 2000) ‹http://www1.jca.apc.org/vaww-net-japan/english/womenstribunal2000/
charter.html› (date d’accès : 7 décembre 2009).
85 Prosecutors and the People of the Asia-Pacific region c. Japan (2000) Affaire no PT-2000-1-T
(Women’s International War Crimes for the Trial of Japan Military Sexual Slavery), au para.
1053, en ligne : Violence Against Women in War – Network Japan ‹http://www1.jca.apc.
org/vaww-net-japan/english/womenstribunal2000/Judgement.pdf› (date d’accès : 7 décembre
2009) : « […] we find that article 3 of the 1907 Hague Regulations was intended to protect
the right of the victimized persons and those who are permitted to claim on their behalf to seek
compensation as individual. »
86 Voir par ex. deux affaires dans lesquelles la doctrine de la non-responsabilité de l’État a été
retenue : Philippine «comfort women » c. Japan, Tokyo D.C., 9 octobre 1998 et Residents of Hong-
Kong c. Japan, Tokyo D.C., 16 June 1999, tels que cités dans Hae Bong, supra note 78.
87 Voir par ex. Chinese victims of forced labour c. Japan and the company A (non divulgué), Kyoto
D. C., 15 January 2003; Chinese victims of forced labour c. Japan and Hazamagumi Inc., Tokyo
D.C., 11 mars 2003 (non publié); Chinese victims of forced labour c. Japan and Rinko Corporation,
Niigata D.C., 26 mars 2004, tels que cités dans Hae Bong, supra note 78.
88 :« […] an individual’s claim in international law is not recognized until it is provided for by a
treaty and the right of bringing action and other procedural guarantees by which the individual
can assert the claim have come into existence internationally.» : Shimoda c. The State, [1964],
32 I.L.R. 626 (Jap., Tokyo D.C.); en ligne : CICR, « National Case law » ‹http://www.icrc.org/
ihl-nat.nsf/46707c419d6bdfa24125673e00508145/aa559087dbcf1af5c1256a1c0029f14d?O
penDocument›, au para. 5, au sous-para 5 (date d’accès : 7 décembre 2009).
89 Cette affaire est aussi connue sous le nom de “Kankama moto ianfu Sosho” (Kankama Former
Comfort Women Case), 1642 HANREI JIHŌ 24, 28-30 (Yamaguchi Dist. Ct., Shimonoseki
Branch April 27, 1998), tel que cité dans Umeda, supra note 78, n° 18. Voir aussi Etsuro
Totsuka, «Translations: Commentary on a Victory for “Comfort Women” : Japan’s Judicial
Recognition of Military Sexual Slavery » (1999) 8 Pac. Rim L. & Pol’y J. 47.
90 Pour une proposition de définition: en ligne, Asian Women’s Fund, «Who were the Comfort
Women?-Who were the Comfort Women?», ‹http://www.awf.or.jp/e1/facts-00.html› (date
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 455

était extrêmement inhumain et constituait une pratique abominable, a accordé


la somme symbolique de 300 000 yens (approximativement 2,700 dollars US) à
chacune des trois demanderesses pour compenser les dommages moraux qu’elles
avaient subis. Ce jugement fut cependant infirmé en appel, sur le fondement
que toutes les réclamations en compensation avaient été réglées dans les traités
de paix91.

C. La Grèce : l’Affaire de la préfecture de Voiotia


La série d’ententes interétatiques conclues entre l’Allemagne et les pays alliés
laisse à penser que les questions de réclamations relatives à la Seconde Guerre
mondiale contre l’Allemagne étaient désormais exclues92. Il semble toutefois que
ces renonciations de la part d’un État floué n’empêchent pas les individus de

2009 CanLIIDocs 17
présenter une action civile en dommages devant un tribunal national93, tel que
semble le démontrer cette illustration grecque.
Cinquante ans après l’attaque du 10 juin 1944 du village de Distomo touchant
la Préfecture de Voiotia en Grèce, 259 descendants et ayants cause des victimes
ont intenté une action civile devant les tribunaux grecs contre l’État allemand.
Cette cause est maintenant connue sous le nom de l’Affaire de la Préfecture de

d’accès : 7 décembre 2009) : « The so-called “wartime comfort women” were those who were
taken to former Japanese military installations, such as comfort stations, for a certain period
during wartime and forced to provide sexual services to officers and soldiers. Authors who wrote
about these women in the postwar Japan called them “jugun ianfu (comfort women joining the
army)”. And when the Japanese government first faced the issue of these women, it adopted
this term, “jugun ianfu,” and the AWF, when it started in 1995, it used this term as well. But in
historical wartime documents we only find the term “ianfu (comfort women)”. Therefore, we
now always use this term “ianfu (comfort women)”. »
91 Korean « comfort women » c. Japan, Hiroshima High Court, 29 mars 2001, tel que cité dans Hae
Bong, supra note 78. En ce qui a trait à la réaction de la société civile à l’égard de ce jugement,
voir par ex. Okinawa Peace Network of Los Angeles (OPN-LA), « Los Angeles Organizations
Protest Legacy of Japanese Militarism: Groups Angered by Japanese High Court Decision
on «Comfort Women» and Textbook Controversy», en ligne : ‹http://uchinanchu.com/about/
comfort_women_press_release.htm› (date d’accès : 7 décembre 2009); « Comfort women payout
overturned » AFP - The Straits Times (30 mars 2001), en ligne : <http://www.hartford-hwp.
com/archives/55/537.html>; « Japan overturns sex slave ruling » BBC News (29 mars 2001)
en ligne : ‹http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/1249236.stm› (date d’accès : 7 décembre
2009).
92 Il y a tout d’abord eu en 1953 l’Accord de Londres sur la dette externe de l’Allemagne dans
lequel 33 États se sont entendus pour suspendre toutes les réclamations en lien avec la guerre
jusqu’à ce qu’il y ait entente définitive sur la question : voir London Agreement on German
External Debts,17 février 1953, 333 R.T.N.U. 3, au para. 5(2). Il avait, toutefois, été entendu
entre les États parties que le moratoire ne visait pas les indemnités à verser aux victimes des
persécutions nazies. Cette clause d’exclusion du moratoire est connue sous le nom d’« Israël
Exception » et se trouve à l’Annexe VIII de l’Accord. C’est dans cette foulée que fut signé, en
1956, un accord bilatéral entre l’Allemagne et la Grèce attribuant à ce dernier un montant de
115 millions deutsche marks. Le Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne du 12
septembre 1990, mieux connu sous le nom du Traité de Moscou « 2+4» ne parle aucunement des
réclamations, ce qui sous-entend que les questions des réclamations contre l’Allemagne étaient
désormais exclues. Pour plus de détails à ce sujet : Gattini, « To What Extent », supra note 47 à
la p. 356.
93 Voir Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 359.
456 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

Voiotia94. En première instance, l’Allemagne a décidé de ne pas comparaître. Le


30 octobre 1997, un jugement contre l’Allemagne fut rendu, lui ordonnant de
verser la somme de 5 millions deutsche marks aux ayants cause des victimes du
massacre de Distomo. Le gouvernement allemand décida d’aller en appel devant
la Cour suprême grecque, l’Areios Pagos, et d’invoquer l’argument de l’immunité
diplomatique. Contre toute attente, la plus haute instance du pays a rejeté, le 5
mai 2000, l’appel de l’Allemagne, considérant qu’étaient en cause des violations
de normes de jus cogens (contenues dans le droit humanitaire) commises par ses
forces armées plus d’un demi-siècle auparavant. Les deux instances grecques ont
appliqué les articles 3 CIV (1907) et 46 des Règlements de La Haye et ont tranché
en faveur des demandeurs, les autorisant à soumettre directement leur réclama-
tion pour compensation95.

2009 CanLIIDocs 17
Cette affaire constitue un moment-charnière dans la justiciabilité des droits
individuels à la réparation dans le contexte de conflits armés. Le vent a toute-
fois tourné lorsque les demandeurs, forts de leurs deux victoires et jugement en
main, se sont vus refuser l’autorisation du Ministère de la Justice grec requise
par l’article 923 du Code de procédure civile grec pour effectuer une saisie par
rétention (« attachement ») d’institutions allemandes se trouvant en territoire
grec96, en vue d’exécuter le jugement. La requête en exécution fut donc déférée
à la Cour suprême grecque. Il y a eu revirement de situation : elle refusa, cette
fois-ci, de mettre en œuvre le jugement, affirmant que la saisie de propriétés
pouvait légitimement être refusée afin de maintenir des « relations amicales »
entre les deux États. Il est important de souligner qu’il n’a pas été question ici de
ne pas reconnaître un droit individuel à la réparation dans l’article 3 CIV (1907).
Pour les besoins de notre analyse, même si les demandeurs n’ont pu obtenir
réparation, ils n’ont pas essuyé un refus sur la base que leur droit à la réparation
n’existait pas, mais bien parce que les tribunaux grecs ont jugé qu’il ne serait pas
souhaitable que ce droit soit exercé contre des biens particuliers, par risque de
mise en péril des relations interétatiques. En outre, nous devons indiquer que
la décision finale d’empêcher, en pratique, l’exécution du jugement, a reposé
également sur les épaules de l’exécutif et du judiciaire, chacun ayant adopté une
position relevant plutôt de la conservation de bonnes relations diplomatiques
que de la mise en œuvre du droit à la réparation.
Mentionnons, en dernier lieu, que cette affaire a aussi eu des suites en Allema-
gne. En effet, après l’échec ultime de refus d’exécution du jugement rendu par
les instances judiciaires grecques, les ayants cause des victimes du massacre de
Distomo se sont retournés vers les tribunaux allemands pour obtenir réparation.
La Bundesgerichtshof (BGH) a rendu sa décision, l’Affaire Distomo97, en 2003

94 L’original de ce jugement est rapportée dans Nomiko Vima (1998) 246 ff., tel que cité dans
Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 359, n° 10. À noter que le terme « Affaire
Distomo » réfère à l’action qui fut introduite subséquemment devant les tribunaux allemands.
95 Pour une analyse plus poussée, voir Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 359 et s.
Voir aussi l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note 25 à la p. 545.
96 Nommément : l’Institut Goethe, l’Institut allemand d’archéologie et deux écoles allemandes à
Athènes et à Saloniki : Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 360.
97 BGH, décision du 26 juin 2003, III ZR 245/98, publiée dans NJW 2003 à la p. 3488 et s.,
tel que rapportée dans : Sabine Pittorof, « Compensation Claims for Human Rights Breaches
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 457

dans laquelle elle rejetait l’action présentée par les citoyens grecs. Elle a adopté
une position conservatrice à l’égard de l’existence d’un droit individuel d’obtenir
réparation, se replaçant au moment où la violation avait été commise, soit lors
de la Seconde Guerre mondiale. La BGH a affirmé que la notion de compen-
sation dans le contexte d’un conflit armé impliquait uniquement une relation
entre États et que les individus n’y avaient pas leur place. Elle s’est rabattue sur
la théorie de la protection diplomatique pour indiquer que c’était le seul méca-
nisme accessible aux victimes leur permettant d’obtenir réparation. Nous pou-
vons, néanmoins, nuancer la position adoptée par la Cour fédérale allemande
en mettant l’emphase sur le fait qu’elle a considéré l’état du droit au moment
de la violation, sans opter pour une approche évolutive. Elle n’a donc pas fermé
la porte aux réclamations individuelles ayant pris naissance plus récemment, ne

2009 CanLIIDocs 17
s’étant pas prononcée sur l’état actuel du droit à la réparation individuelle dans
un contexte post bellum.

D. L’Italie : l’Affaire Markovic98


Jamais une instance judiciaire, qu’elle soit internationale ou nationale, n’a
entendu au fond une affaire dans laquelle les victimes civiles (ou les États au
bénéfice des victimes) d’opérations militaires réalisées par l’OTAN dans le cadre
du conflit en ex-Yougoslavie en 1999 ont demandé réparation99. Les tribunaux

Committed by German Armed Forces Abroad During the Second World War: Federal Court
of Justice Hands Down Decision in the Distomo Case » (2004) 1 German Law Journal 5, en
ligne : German Law Journal <http://www.germanlawjournal.com/article.php?id=359#_edn3>
(date d’accès : 1er décembre 2009). Voir aussi l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note
25aux pp. 544 et 545.
98 Ordinanza della Corte di Cassazione, Seszioni Unite Civili, 8 février 2002, tel que cité dans N.
Ronzitti, « Azioni belliche risarcimento del danno » (2002) 85 Rivista di diritto internazionale
682, tel que rapporté dans Mazzeschi, supra note 59, à la p. 345. Pour un résumé détaillé et une
analyse approfondie de cette affaire, voir Frulli, « When are States Liable », supra note 46.
99 En effet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a décliné compétence dans les poursuites
entamées par la Serbie-Monténégro contre des États membres de l’OTAN alléguant l’usage
illicite de la force et la commission de violations du droit humanitaire face aux populations
civiles : voir les Affaires relatives à la licéité de l’usage de la force (Yougoslavie c. Belgique, Canada,
France, Italie, Pays-Bas, Portugal et le Royaume-Uni), Objections préliminaires, [2004] C.I.J. rec.
1307. Les deux affaires contre les États-Unis et l’Espagne (Affaire relative à la licéité de l’usage
de la force (Yougoslavie c. États-Unis et Espagne), Ordonnance du 2 juin 1999, [1999] C.I.J.
rec. 916) ont été rejetées pour manque manifeste de compétence. La Cour Européenne des
Droits de l’Homme a aussi déclaré irrecevable la requête alléguant que le bombardement de la
Radio-Télévision serbe par l’OTAN a violé la Convention européenne de sauvegarde des Droits
de l’Homme et des Libertés Fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221. N’ayant pas
été persuadé de l’existence d’un lien juridictionnel entre les victimes et les États défendeurs, la
Cour a décliné compétence : Bankovic c. Belgique (2001), 41 I.L.M. 517 (Cour Européenne
des Droits de l’Homme). D’autres tentatives, à l’échelon national, ont échoué de la même
façon; voir, par ex. l’Affaire Varvarin (1er nov. 2006) : rejet de l’action d’un groupe de citoyens
serbes demandant compensation à l’Allemagne pour les attaques aériennes de l’OTAN ayant
tué 10 civils et blessé 30 personnes; voir Reuters AlertNet, « German Court Reject Serbs Claim
for NATO Attacks » (2 nov. 2006), en ligne : ‹http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/
L02720300.htm› (date d’accès : 7 décembre 2009). Même en matière pénale, le Bureau du
Procureur du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie a refusé d’ouvrir une enquête sur deux
attaques lancées par les forces de l’OTAN : voir Final Report to the Prosecutor by the Committee
Established to Review the NATO Bombing Campaign Against the Federal Republic of Yugoslavia, en
458 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

italiens ne font pas exception. Lorsque des citoyens de l’ex-Yougoslavie ont en-
tamé une action civile contre l’Italie pour les dommages subis lors de l’attaque
de l’OTAN sur la tour de diffusion de la Radio Televizje Srbiijre [STR]100, le plus
haut tribunal du pays a conclu à une absence de compétence pour entendre
l’affaire et a refusé de l’entendre au fond. En se fondant sur l’article 91 PI101, les
demandeurs réclamaient le versement d’une indemnité monétaire pour compen-
ser les dommages subis à la suite de violations alléguées du DIH102.
La Cour suprême italienne s’est retenue de se prononcer explicitement sur
l’existence d’une obligation conventionnelle de verser compensation ou de tout
droit corollaire permettant à la victime de demander cette compensation et n’a
pas fait reposer sa décision de décliner compétence sur des arguments assimi-
lables à une application de la doctrine du « self-executing treaty ». Elle fonda

2009 CanLIIDocs 17
plutôt sa décision sur la théorie de l’« Acte de gouvernement »103. Cette théorie,
qui permet l’exercice discrétionnaire de la puissance publique, est un mécanisme
de retenue judiciaire au bénéfice du gouvernement, lorsque celui-ci doit agir de
façon à protéger les intérêts constitutionnels et politiques de la nation. L’utilisa-
tion de cette théorie ne fait pas l’unanimité dans la doctrine, tel que le démontre
Frulli104.

E. Conclusion sur l’analyse des recours individuels en réparation


Par l’étude de cette série de décisions d’ordre civil émanant d’organes judiciai-
res nationaux qui impliquent une partie individuelle demanderesse réclamant
compensation à un État en fondant une action sur le droit humanitaire conven-
tionnel, nous avons constaté que la non-applicabilité directe du DIH conven-

ligne: Nations Unies, Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie <http://www.icty.org/x/file/About/


OTP/otp_report_nato_bombing_en.pdf> (date d’accès : 1er décembre 2009).
100 La responsabilité de l’État italien était invoquée par le fait qu’il a été impliqué dans le processus
décisionnel et l’identification de cibles à atteindre au sein de l’OTAN et par le fait que des bases
militaires italiennes ont été utilisées pour mener à terme les bombardements. Il est intéressant
de noter, même si cela n’a pas été abordé par les tribunaux italiens puisque la cause n’a pas été
entendue au fond, que la responsabilité étatique est alléguée malgré le fait qu’il était impossible
d’identifier à quelle nationalité les avions appartenaient, lors des bombardements du 23 avril
1999.
101 Voir Frulli, « When are States Liable », supra note 46 à la p. 409.
102 PI, supra note 16, art. 35, 48, 51 et 79.
103 Comme l’indique Frulli, « When Are States Liable », supra note 46 à la p. 410, cette théorie
est connue sous le nom de « teoria dell’atto di governo » en Italie, « actes de gouvernement » en
France, « Royal Prerogative » au Royaume-Uni et « Political Question Doctrine » aux États-
Unis.
104 Ibid. aux pp. 409 et s. : puisque l’étude de cette doctrine n’est pas l’objet du présent texte,
nous ne prendrons pas position, à cet effet, et nous vous renvoyons à l’article de M. Frulli
pour prendre plus amplement connaissance des débats entourant l’interprétation de la théorie
d’acte de gouvernement à laquelle a procédé la Cour suprême dans l’Affaire Markovic. Voir
aussi Institut de Droit international, Session de Milan – 1993, L’activité du juge interne et les
relations internationales de l’Etat, (Neuvième Commission, Rapporteur : M. Benedetto Conforti),
en ligne : Institut de Droit international <http://www.idi-iil.org/idiF/navig_chron1993.html>
(date d’accès : 1er décembre 2009). L’article 2 de cette résolution vient poser le principe que,
si les tribunaux d’un État sont dans l’impossibilité d’arrêter un conflit armé, il leur est quand
même permis de se prononcer sur les dommages subis par les individus, si les dommages sont
les résultats d’une violation de règles de droit international public.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 459

tionnel et les diverses déclinaisons de la théorie de l’immunité diplomatique


constituent les obstacles majeurs aux actions individuelles en réparation contre
l’État. Nous devons donc nous rendre à l’évidence : si l’interprétation selon la-
quelle le droit humanitaire a évolué pour accorder des droits individuels justicia-
bles aux victimes pour qu’elles obtiennent réparation peut très bien se défendre
à la lumière de l’interprétation des textes habilitants, force est de constater que
cette position n’a presque jamais passé le seuil des institutions judiciaires. Plus
exactement, peu de tribunaux se sont mouillés à répondre à cet argument, ce qui
laisse la voie encore libre pour de plus amples spéculations. Les faits démontrent
toutefois, qu’il est très rare qu’un tribunal de droit interne accepte les réclama-
tions individuelles en réparation contre un État fautif.

2009 CanLIIDocs 17
IV. UN MÉCANISME INTERNATIONAL DE PLAINTE ACCESSIBLE
AUX VICTIMES DE VIOLATIONS DU DIH?
En matière de mise en oeuvre, les dispositifs traditionnels prévus par le droit
international public (DIP), comme la résolution pacifique des différends ou les
moyens de pression réactifs, trouvent difficilement leur place dans le contexte
d’un conflit armé. De plus, contrairement aux mécanismes prévus par le système
de protection des droits humains, le DIH conventionnel ne prévoit pas de co-
mité, commission ou tribunal qui soit compétent pour recevoir des plaintes indi-
viduelles, déterminer de façon indépendante si une violation a eu lieu et octroyer
une réparation. Comme l’affirment Sassòli et Bouvier, « le DIH a dû trancher
un des axiomes de la société internationale traditionnelle et prévoir des mesures
d’exécution dirigées contre les individus qui violent ce droit, et pas uniquement
contre les États responsables de ces violations»105. Ces mesures d’exécutions indi-
viduelles peuvent être pénales ou civiles, les deux types se complétant et même se
recoupant parfois. D’un côté, l’expansion du droit pénal international au cours
des dernières années contribue à accroître l’effectivité du DIH. Par contre, l’autre
mécanisme, celui de la sanction civile, ne connaît pas nécessairement un essor
similaire. C’est dans cet l’esprit que nous évoquons ici brièvement le projet de
création d’un « organe de supervision » (Supervisory Organ) international ayant
pour fonction de traiter des réclamations individuelles présentées par des victi-
mes de violations du droit humanitaire, en nous questionnant sur l’opportunité
et la possibilité de créer un tel organe.
Cette idée a été développée par la Amsterdam International Law Clinic106, dans
le sillage de l’Appel de La Haye pour la paix et la justice au XXIe siècle en mai

105 Sassòli Bouvier supra note 3, à la p. 271.


106 Pour une présentation détaillée du projet, voir Jann K. Kleffner, « Establishing an Individual
Complaints Procedure for Violations of International Humanitarian Law », en ligne :
Universiteit van Amsterdam, Faculty of Law, Amsterdam International Law Clinic
<http://www1.jur.uva.nl/ailc/Individual%20complaints%20and%20international%20
humanitarian%20law.pdf> (date d’accès : 1er décembre 2009) et, du même auteur, « Improving
Compliance with International Humanitarian Law Through the Establishment of an
Individual Complaints Procedure » (2002) 15 Leiden Journal of International Law 237. Voir
aussi Jann Kleffner et Liesbeth Zegveld, « Complaints Procedure for Violations of International
Humanitarian Law » (2000) 3 Y.B. Int’l Human. L. 384.
460 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

1999107. Premièrement, il est intéressant de noter qu’en ce qui a trait à la compé-


tence ratione materiae, le spectre des types de violations donne lieu à un éventail
de réclamations très large et englobe tous les textes normatifs applicables aux
conflits armés ainsi que le droit coutumier. Il est des plus pertinent de souligner
qu’il est considéré, dans ce projet de traité, que le DIH, par le truchement des
articles 3 CIV (1907) et 91 PI, attribue aux individus des droits humanitaires
justiciables. Il est toutefois admis par les rédacteurs du projet que la pratique des
tribunaux nationaux ne va pas dans ce sens et qu’il est presque impossible pour
les victimes d’exercer réellement leurs droits humanitaires. Face à cette limite,
une autre approche proposée quant à la conceptualisation du fondement juri-
dique du recours a été de passer par la notion de dommage (« injury »). L’idée
serait pour l’organe de supervision d’avoir compétence pour entendre toutes les

2009 CanLIIDocs 17
affaires où une violation d’une norme de DIH définie a causé un dommage à la
victime-demanderesse, se rapprochant ainsi des concepts de base du régime de
responsabilité civile (faute - dommage - lien de causalité).
Au sujet de la compétence ratione personarum (la compétence sur les person-
nes), le débat se situe plus autour de la notion de groupes armés non étatiques108
qu’autour de l’auteur individuel de la violation. La question « Contre qui la
victime peut exercer son recours? » vise donc à examiner les problèmes reliés aux
entités non étatiques (leur caractère temporaire, la difficulté d’établir la chaîne de
commandement, etc.) et non aux agresseurs eux-mêmes. L’organe de supervision
adjugerait donc contre les « parties aux conflits » que celles-ci soient un État ou
un groupe armé non étatique.
En outre, les différentes formes que prendrait la réparation attribuée par l’or-
gane de supervision seraient la restitution, la compensation, la réhabilitation et
la satisfaction. Par contre, puisque les demandes pourraient très bien dépasser
les capacités de l’organe de supervision, les auteurs du projet insistent sur le fait
qu’il faut établir des mécanismes de réparation crédibles plutôt que de miner son
autorité en prévoyant des moyens illusoires, sans toutefois que cette institution
devienne un lieu de recommandations non contraignantes et de jugements dé-
claratoires « sans dents ». Pour tenter de ne pas cibler uniquement l’aspect moné-
taire de la réparation, le projet fait preuve d’originalité : par exemple, l’organe de
supervision pourrait ordonner de mettre en place des mesures de réhabilitation
médicales et psychologiques dans le dessein de restaurer la dignité des victimes.
Dans le projet de traité établissant un organe de supervision quant aux violations
du DIH, la compensation pécuniaire n’est donc pas un passage obligé vers la
réparation.
La mise sur pied d’un tel organe est une perspective novatrice, certes, mais pas
irréalisable au niveau strictement juridique, tout au moins. Le projet de traité

107 L’Agenda de La Haye pour la paix et la justice a été adopté par l’Assemblée générale des
Nations Unies, tel qu’en témoigne la résolution A/54/98 du 20 mai 1999 (lettre datée du
17 mai 1999, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent du Bangladesh
auprès de l’Organisation des Nations Unies), en ligne : <www.haguepeace.org> (date d’accès :
1er décembre 2009), recommandation 13.
108 Les critères applicables pour qualifier un « groupe d’opposition armée » au sens du DIH sont
établis dans la CGIII, art. 4, puis précisés dans Procureur c. Tadić (1995) Affaire no IT-94-1-
AR72 (Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel), au para. 70 et s.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 461

identifie avec beaucoup de rigueur et de clairvoyance les différents éléments de


droit qui doivent être pris en considération et organisés de façon cohérente dans
le contexte d’un mécanisme individuel visant les violations du DIH. Il ne peut
toutefois fournir aucune solution au problème que peut poser la réticence des
États à créer ce nouvel organe. Si un nombre insuffisant d’États sont intéressés,
si trop de réserves sont émises, si le consensus ne peut être atteint sur certains
points, l’organe de supervision ne pourra exister. Toutefois, lorsqu’on se place
du côté de la victime, il est évident que la création d’un tel mécanisme serait
bénéfique. Considérant que les options des victimes sont déjà très réduites, que
plusieurs d’entre elles contiennent leur part d’arbitraire et que la voie vers le
prétoire est semée d’embûches, la création d’une nouvelle avenue n’est pas une
initiative futile et inutile. Nous ne pouvons, néanmoins, pas ignorer la valeur

2009 CanLIIDocs 17
probante des objections formulées par les tribunaux nationaux examinées ci-des-
sus (qu’il y aurait, par exemple, un grand nombre de demandes ou encore que
ces demandes pourraient nuire aux relations entre les États impliqués) qui sont
également valables pour un organisme international.
En outre, certains auteurs ne voient pas la nécessité de créer de nouvelles
institutions internationales. Certains considèrent les voies de recours internatio-
nales, régionales mais surtout nationales qui existent déjà109 sont suffisantes. Il
est vrai qu’un système judiciaire fonctionnel et éprouvé existe déjà au sein de la
majorité des États et qu’il faut, tout au moins, s’attarder à examiner dans quelle
mesure ce système peut, mais aussi doit, être utilisé pour permettre aux victimes
de violations du DIH d’obtenir réparation. Nous affirmons par contre du même
souffle que l’utilisation des tribunaux nationaux n’empêche a priori pas le déve-
loppement d’un projet de mécanisme permanent de traitement des réclamations
en réparation des victimes de violations du droit humanitaire. Il s’agit là d’une
complémentarité fonctionnelle entre les différents mécanismes, chacun présen-
tant ses limites et ses avantages propres.
Cela étant dit, nous devons préciser ici que l’idée de la mise sur pied d’une
instance permanente n’a pas été priorisée par le Comité « Reparation for victims
of armed conflicts » de l’International Law Association, ce qui constitue en soi
un argument majeur contre l’instauration de celle-ci. En effet, lors de la Confé-
rence de Toronto de 2008, les membres de ce comité ont préféré investir leurs
efforts dans la rédaction d’une ébauche de statut-type pour des commissions
internationales de compensation ad hoc :

109 Beth van Schaak, « In Defense of Civil Redress: The Domestic Enforcement of Human Rights
Norms in the Context of the Proposed Hague Judgments Convention » (2001) 42 Harv.Int’lL.J.
141 à la p. 165. Voir aussi William J. Aceves, « Liberalism and International Legal Scholarship:
The Pinochet Case and the Move Toward a Universal System of Transnational Law Litigation »
(2000) 41 Harv.Int’l L.J. 129 à la p. 132; Menno T. Kamminga, « Towards a Permanent
International Claims Commission for Victims of Violations of International Humanitarian
Law », en ligne : Université de Maastricht <arno.unimaas.nl/show.cgi?fid=3610> (date d’accès :
1er décembre 2009): « From a trial attorney’s point of view, an individual complaints procedure
may be more appealing than the compensation mechanism [... ]. While an individual complaints
procedure might also be empowered, like the ICC, to award compensation it is difficult to
imagine how these institutions could ever deal with the massive numbers of claims typically
associated with an armed conflict ».
462 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009

It was also felt that it would not be feasible to favour the


future establishment of a single, permanent compensation
commission but rather to support the concept of ad hoc
compensation commissions. It was, however, proposed to ex-
plore the advantages (and disadvantages) of the creation of a
permanent body (a kind of permanent secretariat) the experi-
enced members of which could assist in the process of estab-
lishing future ad hoc compensation commissions empowered
to deal with claims resulting from violations of international
law committed during specific armed conflicts.110

Cela nous fait donc dire que, malgré le grand potentiel existant avec une instance

2009 CanLIIDocs 17
permanente, il est, de moins en moins, probable qu’elle ne voit jamais le jour.
Reste que tout au moins, il est intéressant et pertinent de présenter le potentiel
théorique d’une telle initiative, si ce n’est que pour jeter un éclairage probant sur
l’état actuel et potentiel des mécanismes de mise en œuvre du DIH.

V. CONCLUSION

Aux termes de cette brève incursion dans le DIH, nous sommes en mesure
d’affirmer que l’existence d’un droit individuel à la réparation dans le cadre de
conflits armés internationaux semble se lire dans deux dispositions du droit
conventionnel (art. 3 CIV (1907) et 91 PI), quoique cela ne fasse pas l’unanimité
dans la doctrine. Par contre, le courant jurisprudentiel, lui, tend fortement vers la
non-applicabilité directe du DIH en droit interne. Face à ce constat, il serait per-
tinent de se pencher sur les autres mécanismes accessibles aux victimes dans leur
quête de réparation pour les dommages subis dans le cadre d’un conflit armé :
ceux prévus par le droit pénal international, les recours « classiques » du droit

110 International Law Association, « Committees », Conference Report Toronto 2006, au para. 13 à
la p. 3, en ligne : ‹http://www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1018› (date d’accès : 7
décembre 2009). Exemples d’initiatives ad hoc de compensation des victimes de conflits armés :
la Commission d’indemnisation des Nations Unies (CINU) pour l’Irak et le Koweït (United
Nations Security Council Resolution 687 (Concerning the Restoration of Peace and Security in Iraq
and Kuwait), Rés. CS 687 (1991) Doc. Off. CS NU, Doc. S/RES/687 (1991) : 2.7 millions de
réclamations et près de 352.5 milliards de dollars en compensation. Pour plus d’informations,
en ligne (en anglais) : <http://www.worldpress.org/specials/iraq/unscr687.htm> (date d’accès
: 1er décembre 2009); Agreement between the Government of the Federal Democratic Republic of
Ethiopia and the Government of the State of Eritrea 40 International Legal Materials (2001) à la
p. 260: plus de 400 000 réclamations. Voir généralement, en ligne : <http://www.pca-cpa.org/
showpage.asp?pag_id=1215> (date d’accès : 1er décembre 2009); Iran - United States Claims
Tribunal, en ligne : <http://www.iusct.org> (date d’accès : 1er décembre 2009); Commission for
Looted Art in Europe (CLAE) (un organisme à but non lucratif indépendant dont le mandat est
de représenter le European Council of Jewish Communities (ECJC) et la Conference of European
Rabbis (CER)). Voir généralement, en ligne : <www.lootedartcommission.com> (date d’accès :
1er décembre 2009); Housing and Property Claims Commission au Kosovo (Regulation no 1999/23
on the Establishment of the Housing and Property Directorate and the Housing and Property Claims
Commission, UNMIK/REG/1999/23, 15 November 1999, en ligne : United Nations Mission
in Kosovo <http://www.unmikonline.org/regulations/1999/reg23-99.htm> (date d’accès : 1er
décembre 2009).
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 463

international public général (par exemple, la protection diplomatique, le régime


de responsabilité étatique pour fait internationalement illicite et les mécanismes
de résolution de conflits et de réparation ad hoc), le régime de protection du
droit international public des droits de la personne et même les recours de nature
interne impliquant le droit national, tels que des actions en torts ou en responsa-
bilité civile. L’envergure de ce travail serait, toutefois, colossale et l’espace accordé
ici ne nous permet pas de vous faire part de cette partie de la recherche. Nous
pouvons, malgré tout, indiquer que la conclusion finale tendrait vers le fait qu’il
n’existe pas une solution unique qui permet à toutes les victimes de violations du
DIH d’accéder à la réparation. Chacun des mécanismes possède ses avantages et
ses inconvénients, et nous ne croyons pas qu’il est possible – ni même opportun
– d’identifier une « formule unique » qui permet d’obtenir réparation contre des

2009 CanLIIDocs 17
entités auxquelles les violations sont imputables. En guise de conclusion, nous
désirons porter l’attention du lecteur sur une autre piste de réflexion, qui fut déjà
évoquée dans la doctrine, dans le contexte canadien111 : Devrions–nous militer
pour des changements législatifs nationaux en droit privé pour une meilleure
protection judiciaire des victimes de violations du droit international humani-
taire? Plutôt que de créer de nouvelles instances internationales, ne devrait-on
pas utiliser les structures déjà existantes et éprouvées et permettre aux tribunaux
civils nationaux d’entendre les victimes sur leurs réclamations en réparation? Il
s’agit, selon nous, d’une piste des plus intéressantes. Qui plus est, les États-Unis,
avec l’ ATCA, tracent la voie à suivre et permettent de voir dans cette possibilité
de changement législatif une option bénéfique pour les victimes.
Il est clair qu’à ce jour, la voix des victimes de violations du DIH ne se fait pas
entendre clairement et que leur accès au prétoire est parsemé d’embûches qui
leur sont souvent fatales. Bien peu de personnes obtiennent des jugements en
réparation, et encore moins réussissent à voir ces jugements se transposer dans
la réalité. L’appréciation de cette question de réparation individuelle pour com-
penser les personnes qui subissent les conséquences les plus atroces des violations
des lois de la guerre ne doit toutefois pas se faire au niveau quantitatif : même si
uniquement un petit nombre de personnes réussissent à traverser les obstacles et
engager la responsabilité de ceux qui ont violé leur droit de ne pas subir les affres
de la guerre, il s’agit là d’une grande victoire en soi. L’être humain qui souffre
peut ne jamais voir ses besoins de vengeance, de pardon, ou d’oubli assouvis,
mais il ne devrait jamais se voir nier un accès à la justice lui permettant de de-
mander d’être remis dans l’état où il était avant qu’il subisse les conséquences de
la violation d’une règle de droit. C’est à lui, ensuite, de voir s’il désire exercer ce
droit qui est inhérent à sa dignité humaine.

111 Caroline Davidson, « Tort au canadien: A Proposal for Canadian Tort Legislation on Gross
Violations of International Human Rights and Humanitarian Law » (2005) 38 Vand. J.
Transnat’l. L. 1403.
2009 CanLIIDocs 17

Vous aimerez peut-être aussi