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Sophie Rondeau*
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recherche s’appuie donc sur le cadre normatif conventionnel du
DIH régissant la notion de réparation, que cette dernière accorde
ou non un droit à une victime.
entre les deux strates formant le droit international public (la première corres-
pondant à une couche traditionnelle étatique reposant sur l’autre, formée par
le « droit constitutionnel et administratif de la communauté internationale »2)
nous voyons aujourd’hui les six milliards d’êtres humains constituant la popu-
lation des États se forger une place dans ce système juridique. Le droit interna-
tional humanitaire – ce droit régissant la guerre, phénomène considéré comme
le fondement ontologique de l’État3 - est à la fois le témoin et l’instigateur de
cette évolution.
En effet, comme l’a affirmé Jean Pictet au sujet de la place éminente que tient
la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les
armées en campagne du 22 août 1864 dans l’évolution du droit des gens : « pour
la première fois, […], une réglementation internationale est centrée, non plus
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sur des intérêts étatiques, mais sur la seule protection de l’individu »4. On ne doit
toutefois pas se borner au sens littéral des mots et voir dans une telle affirmation
une consécration pure et simple de droits justiciables humanitaires individuels
pour les victimes de conflits armés. Rappelons-nous, tout d’abord, qu’en matière
de protections édictées par le droit humanitaire, il est question de catégories de
personnes, et non d’individus. Aussi, dans la vision traditionnelle du DIH (qui
existait avant l’émergence des droits humains), on peut interpréter l’expression
« protection de l’individu » utilisée par Pictet comme signifiant une forme de
protection d’un intérêt objectif de l’État, ce dernier n’existant en réalité qu’à
travers ses citoyens envisagés de manière individuelle.
S’il est vrai que le DIH édicte des protections bénéficiant aux individus (ou,
tout au moins, aux groupes d’individus5) affectés par les conflits armés, la façon
dont s’articule la mise en oeuvre post bellum de ces protections en cas de viola-
2 Cette illustration du droit international en deux couches reprend le concept expliqué dans
l’ouvrage : Marco Sassòli et Antoine Bouvier, Un droit dans la guerre?, Genève, Comité
international de la Croix-Rouge, 2003, aux pp. 92 et 93 [ci-après Sassòli Bouvier].
3 Philip S. Golub, « Cinq années de “guerre au terrorisme” — État d’urgence permanent » Le
Monde diplomatique (septembre 2006) aux pp. 18 et 19, en ligne : Le monde diplomatique
<http://www.monde-diplomatique.fr/2006/09/GOLUB/13920> (date d’accès : 1er décembre
2009).
4 O. Uhler, H. Coursier et al., « Commentaire de la Convention (IV) de Genève relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 », dans J. Pictet, dir.,
Commentaires des Conventions de Genève du 12 août 1949 . Volume IV, Genève, Comité
international de la Croix-Rouge, 1956, art. 8, à la p. 84 [ci-après Commentaire de la Convention
IV]., en ligne : CICR, droit international humanitaire <http://www.icrc.org/dih.nsf/COM/380-
600011?OpenDocument> (date d’accès : 1er décembre 2009) [ci-après Commentaires du
CICR CGIV]. Voir aussi : George Abi-Saab, « The Specificities of Humanitarian Law » dans
Christophe Swinarski, dir., Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes
de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet / Studies and Essays of International Humanitarian
Law and Red Cross Principles in Honour of Jean Pictet, Genève et La Haye, Comité international
de la Croix-Rouge,, 1984, aux pp. 265, 269 : « [t]he thrust of the Conventions (and Protocols) is
to go beyond the interstate level and to reach for the level of the real (or ultimate) beneficiaries
of humanitarian protection, i.e. individuals and groups of individuals ».
5 En droit international humanitaire, la terminologie diffère, selon que le conflit visé soit
international ou non international. Par exemple, il est question de « personnes qui participent
directement aux hostilités » lorsqu’il est question de conflit armé non international, tandis qu’il
est question de « combattants » et de « prisonniers de guerre » lorsqu’on se trouve devant un
conflit armé international.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 433
tions semble moins évidente à définir. Les personnes qui sont protégées par le
DIH détiennent-elles des droits à proprement parler? Car, force est de constater
qu’actuellement, le DIH ne prévoit pas de mécanisme judiciaire spécifique dont
une victime pourrait se prévaloir pour déterminer la réparation qui lui est due
lorsqu’elle est victime d’une violation du droit humanitaire.
En effet, un des défis constants du droit international public, et a fortiori du
droit humanitaire, réside dans le respect de son application. Dans un contexte de
conflit armé, les mécanismes a priori (principalement la diffusion et la formation
en temps de paix) sont habituellement privilégiés. Cela ne veut toutefois pas dire
que la mise en œuvre a posteriori est totalement évacuée. La sanction judiciaire
des violations, par le truchement de la responsabilité internationale de l’État et
la responsabilité pénale de l’individu constitue en effet un moyen de mise en
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oeuvre du DIH.
Cependant, ces deux mécanismes connaissent leurs des limites : tout d’abord,
la responsabilité étatique telle qu’on l’entend au sens classique du droit interna-
tional public général6 et qui est le fondement de la responsabilité des États en
DIH, consacre bel et bien la règle de base de la réparation du préjudice subi à
la suite d’une violation d’un droit7. Il faut néanmoins comprendre que ce prin-
cipe s’applique aux relations interétatiques et qu’il n’est pas question, ici tout
au moins, de faire entrer un individu dans l’équation8. Ceci explique donc en
grande partie pourquoi les réclamations en réparation en faveur des individus se
sont traditionnellement réalisées à travers le mécanisme de la protection diplo-
matique9. En ce qui a trait aux poursuites pénales, il est vrai qu’elles constituent
6 Voir, par ex., le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite dans Rapport de la Commission de droit international, Doc. Off. AG NU, 53e sess., supp.
no 10, Doc. NU A/56/10 (2001) 45, art. 31, al. 1[ci-après Projet d’articles sur la responsabilité
de l’État] et Annexe de la Charte des Nations Unies : Statut de la Cour internationale de Justice,
, 26 juin 1945,, R.T. Can.1945 nº 7, art. 36, al. 2. Voir aussi Commentaries to the draft articles
on Responsibility of States for internationally wrongful acts, adopted by the International Law
Commission at its fifty-third session, Doc. Off. AG NU, 56e sess., supp. nº 10 Doc. NU A/56/10
(2001), chap.IV.E.2, à la p. 234 et s.
7 « [C]’est un principe du droit international, voire une conception générale du droit, que
toute violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer. […] La réparation est le
complément indispensable d’un manquement à l’application sans qu’il soit nécessaire que
cela soit inscrit dans la convention même. » : Usine de Chorzòw (Allemagne c. Pologne) (1928),
C.P.J.I. (sér. A/B) no 17 à la p. 29.
8 « [I]n inter-state relations, whether States claims are made on behalf of a State’s national or on
behalf of the State itself, they are always claims of the State » : Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), [1970] C.I.J. rec. 3 à la p. 46. Voir aussi Rainer
Hofmann and Frank Riemann, Compensation for victims of war - Background Report,
International Law Association, Committee on Compensation for Victims of War, 17 mars
2004, pour d’autres décisions où l’État réclame compensation pour des dommages subis par
lui et ses ressortissants, en ligne: International Law Association, Committee on Compensation
for Victims of War, « Download Background Report » <http://www.ila-hq.org/en/committees/
index.cfm/cid/1018> (date d’accès: 1er décembre 2009).
9 La théorie de la protection diplomatique telle que définit par le Professeur Rousseau consiste
en « l’action diplomatique entreprise par le gouvernement du particulier lésé auprès du
gouvernement présumé responsable pour obtenir la réparation du dommage causé à son
ressortissant » : Charles Rousseau, Droit international public, t. 5, 7e éd., Paris, Sirey, 1973 à la p.
97. Voir aussi, pour une étude approfondie de la théorie de la protection diplomatique, Bertrand
434 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
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II. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DU DROIT À LA RÉPARATION
EN DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
sont tenus de payer une indemnité11. Malgré le fait que certaines règles générales
applicables à la réparation en droit international public se voient modifiées lors-
que le droit humanitaire est en cause12, on ne peut nier que le concept de répa-
ration est intégré dans ce corpus juridique. On peut, malgré tout, se questionner
sur sa raison d’être. En effet, l’imposition d’une obligation de réparation aux par-
ties au conflit ne relèverait-t-elle pas, par exemple, d’une application du principe
de réciprocité, plutôt que d’une volonté de remettre les victimes en état?
Dans la présente analyse, nous tenterons de voir quelle place le DIH réserve
à l’individu en tant que victime, en regardant si les intérêts de cette dernière
sont véritablement pris en compte et traduits sous forme de droits justiciables.
Comme l’a affirmé Theodore Meron13, en dépit du fait que le droit de la guerre
ait toujours contenu des règles visant à protéger des groupes de personnes (com-
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battants et non-combattants), ce corpus juridique a été inévitablement animé
par des considérations de stratégie militaire, de victoire et de réciprocité. Les
sanctions, à l’instar des responsabilités, sont collectives : en temps de guerre,
elles se matérialisent par les représailles des belligérants; après les hostilités, elles
empruntent la forme de réparation de guerre. Dans ce contexte, la réparation en
droit humanitaire peut-elle donc être aussi un droit individuel?
11 Voir « Rapport sur la protection des victimes de la guerre », préparé par le Comité international
de la Croix-Rouge pour la Conférence internationale pour la protection des victimes de la
guerre, (1993) 803 Revue internationale de la Croix-Rouge 415.
12 Voir par ex. Sassòli Bouvier, supra note 3 aux pp. 297 et 298 : la responsabilité de l’État est
absolue pour tous les actes commis par ses forces armées. Les représailles contre la population
civile et les biens protégés, la réciprocité dans l’application des traités et la renonciation aux
droits sont interdits.
13 Theodore Meron, « The Humanization of Humanitarian Law » (2000) 94 A.J.I.L. 239 aux pp.
242 et 243.
14 Respectivement : Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans
les armées en campagne, 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 31 [ci-après CGI]; la Convention (II) de
Genève pour l’amélioration du sort des blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer, 12
août 1949, 75 R.T.N.U. 85 [ci-après CGII]; la Convention (III) de Genève relative au traitement
des prisonniers de guerre, 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135 [ci-après CGIII]; la Convention (IV) de
Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, 75 R.T.N.U.
287 [ci-après CGIV ou la quatrième convention] Les textes de ces conventions sont disponibles
en ligne : CICR <http://www.icrc.org/dih.nsf/CONVPRES?OpenView> (date d’accès : 1er
décembre 2009).
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à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 197715 régis-
sant les conflits armés internationaux, on répertorie près d’une quarantaine d’ar-
ticles où le mot « droit »16 apparaît. Dans chacune de ces dispositions, les titulai-
res de ces droits sont les personnes protégées par chacune des conventions17. Que
ce soit le droit du prisonnier de guerre de présenter aux autorités militaires qui le
détiennent des requêtes concernant le régime de captivité auquel il est soumis18
ou le droit des personnes civiles protégées de s’adresser aux Puissances protec-
trices, au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ainsi qu’aux sociétés
nationales19, il est clair que les individus, ou tout au moins, certaines catégories
de personnes, possèdent des droits en vertu du régime du droit humanitaire
applicable aux conflits armés internationaux. De plus, la clause d’inaliénabilité
des droits que l’on retrouve dans les quatre Conventions de Genève dans laquelle
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on dispose que les personnes protégées « ne pourront en aucun cas renoncer par-
tiellement ou totalement aux droits que leur assure la présente Convention »20,
vient reconnaître, de façon expresse, l’existence de ces droits.
Pour ce qui est des victimes des conflits armés non internationaux régis par
l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole additionnel visant la
protection des victimes des conflits armés non internationaux21, elles aussi possèdent
des droits humanitaires. À notre avis, ces deux textes confèrent aux personnes
qui ne participent pas directement aux hostilités le droit d’être traitées avec hu-
manité et sans distinction de caractère défavorable, le droit d’être protégées des
atteintes portées à la vie, à l’intégrité corporelle et à la dignité ainsi que le droit de
bénéficier des garanties judiciaires reconnues, même si le terme « droit » n’est pas
utilisé expressément. Cette position fait écho aux propos tenus par Zegveld:
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Protocoles nous permet d’affirmer que ces droits existent dans tous les cas de
conflits armés, peu importe que l’État impliqué ait ratifié ou non le protocole
applicable au conflit dans lequel il est partie24.
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ou les blessures occasionnées, et ce, pour tout type de conflit armé29.
En outre, on peut inférer l’obligation étatique de réparation des articles com-
muns aux quatre Conventions de Genève traitant de la responsabilité des parties
contractantes30 : ces articles rappellent l’impossibilité d’exonération de respon-
sabilité pour les Hautes Parties contractantes, lorsqu’il y a commission d’infrac-
tions graves. L’État demeure donc responsable des infractions aux Conventions,
il ne peut refuser de reconnaître sa responsabilité pour la raison que les auteurs
ont été punis et il reste, par exemple, tenu de payer une indemnité31. En outre,
lorsque ces articles communs aux quatre Conventions de Genève sont lus conjoin-
tement avec l’article 31 du Projet d’article sur la responsabilité étatique pour fait
internationalement illicite qui dispose que « l’État responsable est tenu de réparer
intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite »32, on
voit une consécration tacite de l’obligation de réparer le préjudice subi à la suite
d’une violation des normes de droits humanitaires en temps de conflit armé
international.
La notion de réparation existe donc en DIH, sans qu’il soit toutefois spécifié
explicitement à qui cette obligation de réparation est due : est-ce uniquement
à l’État lésé? Qu’en est-il des victimes individuelles? Est-ce que le DIH leur ac-
corde un droit à la réparation?
En ce qui touche au droit coutumier applicable aux conflits armés internatio-
naux, l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier men-
tionne que la réparation peut être demandée par les États, mais aussi directement
par les individus. Son obtention s’envisage toutefois par des mécanismes plus
larges que ceux qui sont discutés ci-dessous, en application des articles 3 CIV
(1907) et 91 PI. Il est fait mention, par exemple, des ententes (interétatiques et
autres) et des actes d’État unilatéraux par lesquels les victimes individuelles sont
directement indemnisées. Il est vrai que ces mécanismes constituent une voie
d’accès à la réparation, mais nous sommes d’avis que ces dispositifs présentent
certaines lacunes pour les victimes individuelles. L’Étude du CICR sur le DIH
coutumier confirme, cependant, que les articles 3 CIV (1907) et 91 PI précités
n’indiquent pas qui est bénéficiaire de l’obligation de réparation et quels sont
les mécanismes de révision des réclamations33. Si certains auteurs infèrent de
ces articles l’existence d’un droit individuel secondaire de demander réparation
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pour violations des « droits humanitaires » substantifs, la plupart d’entre eux
soutiennent que ces règles régissent uniquement les relations entre États et que,
quoiqu’elles puissent être appliquées au bénéfice des victimes, elles ne peuvent
pas être invoquées directement par ces dernières. Qu’en est-il vraiment?
Des auteurs, tels que Rudolf Dozler, soutiennent l’impossibilité d’une applica-
tion directe de l’article 3 CIV (1907), en affirmant que le droit de La Haye n’ac-
corde aucun droit aux victimes qui ont subi un dommage imputable à un État
résultant d’une violation du droit international. Il justifie sa position en citant
entre autres Vattel, Brownlie ainsi que la synthèse de 1986 de la Loi américaine
sur les relations étrangères34. D’autres auteurs, tels que A. W. Freeman35 et G.H.
Aldrich36, ont tenu des propos similaires. Pierre d’Argent considère lui aussi que
le fait d’interpréter ces articles de façon à y voir un droit individuel à un recours
et à une réparation sollicite très largement le texte, qu’elle n’est pas conforme à
la volonté de leurs auteurs et qu’elle a été souvent, de toute façon, rejetée par la
jurisprudence37. D’Argent ne voit pas dans ces articles un fondement suffisant
pour établir un droit individuel qui serait transposable directement dans les or-
dres juridiques internes. Il ne ferme toutefois pas complètement la porte à une
reconnaissance éventuelle de ce droit, admettant que :
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de temps après l’adoption des Conventions de Genève :
tion à fournir aux communes et aux habitants qui sont sous occupation lorsque
sont réclamées des réquisitions en nature ou de services pour les besoins de l’ar-
mée, actes qui sont, en soi, légaux. Kalshoven nous apprend ensuite que, lors la
Deuxième Conférence internationale de la Paix de La Haye du 18 octobre 1907,
le représentant allemand, major général Von Gündell, a proposé l’ajout de deux
articles, le premier visant la compensation des personnes neutres et le second
celle de la Partie adverse. Finalement, la Conférence a pris le parti de fusionner
les deux articles en un seul, pour donner l’article 3 tel qu’on le connaît42. Reste
que le principe d’invocation de la responsabilité de l’État dans le but de permet-
tre à la victime d’obtenir une compensation pour les dommages subis, reposant
sur la proposition allemande, n’a jamais semblé être sujet de controverse lors
de la Conférence. Ceci fait dire à Kalshoven que « [t]he article is unmistakably
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designed to enable [individual beneficiaries] to present their bills directly to the
State, i.e. to its competent (military or other) authorities, either during or after
war »43 et que « [t]he question of responsibility of one State vis-à-vis another
State apparently never entered the minds of the draftsmen [of article 3]»44. Il est
vrai que certains auteurs n’ont pas une opinion aussi tranchée que Kalshoven sur
l’histoire de l’adoption de l’article 3 CIV (1907). Par exemple, l’étude approfon-
die des Travaux préparatoires ayant mené à l’adoption de cet article réalisée par
Micaela Frulli45 et reprise par Andrea Gattini46, nous apprend que cette dispo-
sition a donné lieu à certaines discussions. Frulli cite, en effet, une intervention
d’un délégué britannique pour venir souligner les difficultés pratiques inhérentes
à la reconnaissance d’un droit individuel qui découlerait de l’obligation de com-
pensation monétaire qui incombe aux États :
42 Voir Kalshoven, « State Responsibility », supra note 41 à la p. 832, nº. 20. Il est intéressant
de noter que Kalshoven identifie les bénéficiaires de l’obligation posée par l’article 3 comme
étant uniquement les ressortissants ennemis et les civils neutres, et non les combattants ou les
prisonniers de guerre, même si certaines dispositions du Règlement à la Convention IV de 1907
visent le traitement qui est accordé à ces derniers.
43 Ibid. à la p. 836.
44 Ibid. à la p. 838.
45 Micaela Frulli, « When Are States Liable Toward Individuals for Serious Violations of
Humanitarian Law? The Markovic Case » (2003) 1 Journal of International Criminal Justice
406 [ci-après Frulli, « When Are States Liable»].
46 Andrea Gattini, « To What Extend are States Immunity and Non-Justiciability Major Hurdles
to Individual Claims for War Damages? » (2003) 1 Journal of International Criminal Justice
348 aux pp. 350 et s. [ci-après Gattini, « To What Extent »].
47 « Deuxième Conférence internationale de la Paix du 15 juin au 18 octobre 1907 », dans, Actes et
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L’analyse des Travaux préparatoires fait dire à Frulli que l’introduction de cet
article avait deux objectifs : premièrement, établir que chaque Puissance belli-
gérante est responsable des violations des règles commises par ses forces armées
et, deuxièmement, établir pour les États parties l’obligation d’indemniser les vic-
times civiles ressortissantes d’un État neutre ou de l’État ennemi comme étant
le seul mode de réparation de ces violations. Ce constat lui fait affirmer, pour
l’article visé, que « there is still ambiguity with respect to the right of individuals
to directly seek and obtain compensation »48. Nous verrons plus loin qu’outre
les discussions durant les Travaux préparatoires de la CIV (1907), rien dans la
jurisprudence subséquente et dans la pratique générale n’a laissé voir l’émergen-
ce d’un droit individuel d’obtenir directement réparation. Ceci explique donc
un peu mieux la position adoptée par le CICR dans ses Commentaires au sujet
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des articles prévoyant l’impossibilité d’exonérer sa responsabilité étatique qui se
trouvent dans les quatre Conventions de Genève.
Le constat n’est pas nécessairement plus clair en ce qui a trait à l’article 91 PI
dans lequel la notion d’indemnité est aussi évoquée, sous une formulation pres-
que identique à celle de l’article 3 CIV (1907). Elle vise non seulement les viola-
tions des dispositions du Protocole, mais aussi celles des quatre Conventions de Ge-
nève; le libellé est donc assez large. Les Travaux préparatoires ne nous fournissent
cependant pas d’information cruciale sur le contexte d’adoption. Tel que nous le
rapporte Frulli49, c’est un délégué vietnamien qui proposa l’article, en affirmant
qu’il s’agissait là d’une volonté de réaffirmer le principe de réparation dont dispo-
sait déjà l’article 3. Le but recherché était certainement d’élargir le spectre d’ap-
plication de la réparation, mais il n’est pas aussi clair de savoir si le délégué viet-
namien, ainsi que tous les États présents, songeait à la situation d’une réparation
individuelle. L’examen de la Conférence diplomatique ayant mené à l’adoption
des deux Protocoles additionnels auquel Kalshoven a procédé nous donne tou-
tefois un peu plus d’information. Il nous apprend en effet qu’on peut lire dans
les Actes de la Conférence que les parrains de l’article 91 PI avaient puisé leur ins-
piration «de la destruction et des ravages qui ont résulté des guerres d’agression
coloniale et néo-coloniale infligées sur le territoire de pays d’Asie où la population
était faible et mal armée, tel qu’il était arrivé au Vietnam et dans certains pays
africains » [notre traduction]50. Reste que la question de l’existence ou non d’un
droit individuel à la réparation n’a pas été soulevée lors du processus de rédaction
de l’article 91 PI. Il est donc difficile de connaître, plus en détail, la portée qu’on a
voulu conférer à l’article. Selon l’interprétation de Kalshoven, l’article 91 engage
la responsabilité de la partie au conflit vis-à-vis d’un État ou, à la limite, une com-
munauté ou un groupe mais non vis-à-vis d’une victime individuelle51. La lecture
des Commentaires du CICR PI et PII au sujet de l’article 91 PI laisse entrevoir une
autre possibilité ouvrant la porte sur la reconnaissance d’un droit individuel :
documents, La Haye, 1907, vol. I, à la p. 147, tel que cité dans Frulli, « When Are States Liable »,
supra note 46 à la p. 417 [Travaux préparatoires CGIV (1907)].
48 Ibid. à la p. 418.
49 Frulli, « When Are States Liable », supra note 46 à la p. 416.
50 Kalshoven, « State Responsibility » supra note 41 à la p. 845.
51 Voir par ex. ibid., supra note 41, à la p. 846.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 443
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aux quatre Conventions de Genève, où le droit individuel à la réparation semblait
infirmé53. Il est, en effet, difficile de réconcilier le tout. On peut toutefois voir
dans ce dernier commentaire un obiter sur l’état du droit, et non sur la portée
d’application de l’article 91 PI. En tout état de cause, nous croyons que ce sont
ces Commentaires du CICR, à la lumière du contexte d’adoption de l’article 3
CIV (1907), qui ont fait dire à Frulli:
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nons de procéder nous permet de constater que plusieurs interprétations s’offrent
à nous et que la place que leur réserve le droit humanitaire n’est pas clairement
définie dans les textes normatifs. À la lumière de la doctrine, nous sommes toute-
fois à l’aise d’affirmer, comme plusieurs autres auteurs l’ont fait avant nous58, que
ces deux dispositions consacrent, dans une certaine mesure, le droit individuel
des particuliers d’obtenir réparation des préjudices découlant des violations du
droit humanitaire. Il demeure difficilement envisageable de trancher définitive-
ment sur la question de savoir si la victime possède en DIH un droit procédural
de présenter elle-même sa requête. Considérant la difficulté d’interprétation des
articles, la question de leur application directe ou non sera traitée de manière
plus approfondie par la suite, en s’attardant sur l’interprétation jurisprudentielle
de ces dispositions.
Pour l’instant, nous pouvons affirmer que, lors de l’adoption du PI en 1977
et la reprise quasi intégrale du langage de l’article 3 CIV (1907) à l’article 91,
l’intention des États était de s’affranchir — un tant soit peu — de la conception
classique du droit international public et de reconnaître la place de plus en plus
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définie qu’occupe l’individu dans ce milieu « étatique ». On reconnaît toutefois
du même souffle que l’intention n’allait peut-être pas aussi loin que de créer un
véritable droit procédural pour les individus, engendrant ainsi une institution
novatrice en droit international public. Il s’agit plutôt minimalement d’une re-
connaissance de l’individu comme bénéficiaire des protections qu’offre le droit
humanitaire et d’une prise en considération de ses intérêts. On peut appuyer
cette interprétation en citant le rapporteur de la IIIe commission de la Confé-
rence diplomatique de Genève de 1949 qui a déclaré que :
Individuals for State Breaches of Humanitarian Law and Human Rights: An Overview » (2003)
1 Journal of International Criminal Justice 339 aux pp. 341 et 342 [ci-après Mazzeschi]: « In
our opinion, Article 3 Hague Convention no IV and Article 91 of Protocol I should therefore
be jointly interpreted as rules providing for an obligation of reparation in favour both of states
and of injured individuals ».
59 Actes de la Conférence diplomatique de Genève de 1949, vol.II-A à la p. 805 tel que cités dans les
Commentaires du CICR CGIV, supra note 5 à la p. 230, art. 30.
446 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
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nous avons discuté plus haut s’applique aux conflits armés internationaux et
non internationaux, permettant ainsi de réclamer réparation contre les groupes
d’opposition armés, en plus de l’État. Reste que, lorsque l’on sait que parmi les
seize conflits armés majeurs répertoriés en 200860, aucun n’est un conflit armé
non international (une situation qui se répète depuis les cinq dernières années),
on voit la portée limitée des discussions sur l’impact du droit conventionnel en
ce qui a trait à la réparation.
60 Lotta Harbom et Peter Wallensteen, « Major Armed Conflicts » dans Stockholm International
Peace Research Institute (SIPRI) dir., Yearbook 2008 Armement, Disarmement and International
Security, Stockholm, 2006, annexe 2A, en ligne : <http://www.sipri.org/yearbook/2009/02/02A>
( date d’accès: 1er décembre 2009).
61 À noter que lorsque qu’une norme émanant d’un traité de droit international public octroie
directement un recours, la qualification dudit traité comme étant ou non directement
applicable en droit interne (« self executing treaty ») est primordiale. Même s’il ne s’agit pas
en soi d’une question du droit interne de l’État où l’action est entamée, il est important de
s’y attarder pour évaluer comment sont mis en œuvre les droits qui peuvent être interprétés
comme étant justiciables individuellement. Nous évoquerons donc ce concept fréquemment
dans les prochaines pages, puisqu’il constitue en quelque sorte, le pont entre le droit
international humanitaire et le droit interne. Voir, à ce sujet, Christopher Greenwood, « Rights
to compensation of former prisoners of war and civilian internees under article 3 of Hague
Convention no IV, 1907 : Expert Opinion » dans H. Fijita, I. Suziki et K. Nagano, dir., War and
the Right of Individuals: Renaissance of Individual Compensation, Tokyo, Nippon Hyoron-sha,
1999, 59 à la p. 68.
62 1155 R.T.N.U. 354.
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 447
2009 CanLIIDocs 17
procéderons à une analyse jurisprudentielle ordonnée par pays dans lequel l’ac-
tion civile a été entamée.
63 Il ne s’agit pas d’une revue jurisprudentielle in extenso. Les décisions qui sont examinées ci-après
ont été sélectionnées parce qu’elles émanent toutes de juridictions nationales, qu’elles ont toutes
été intentées par une ou plusieurs victimes individuelles contre un État et qu’elles se fondent ou
qu’elles analysent les articles 3 CIV (1907) et/ou 91 PI.
64 Foster v. Neilson, 27 U.S. (2 Pet.) 253, 314 (1829): « Our constitution declares a treaty to
be the law of the land. It is, consequently, to be regarded in courts of justice as equivalent
to an act of the legislature, whenever it operates of itself, without the aid of any legislative
provision. But when the terms of the stipulation import a contract when either of the parties
engages to perform a particular act, the treaty addresses itself to the political, not the judicial,
department. »
65 Tel Oren v. Libyan Arab Republic, 517 F. Supp. 542 (D.D.C. 1981); 726 F.2d 774 (D.C. Cir.
1984) [ci-après Affaire Tel Oren].
448 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
2009 CanLIIDocs 17
prété comme attribuant un droit individuel à la réparation :
2009 CanLIIDocs 17
Cette interprétation de l’article 3 est à nouveau maintenue dans l’Affaire Prin-
cz69, à la différence que, cette fois-ci, la Cour a infirmé la décision de première
instance. En effet, M. Hugo Princz, un citoyen américain ayant survécu aux
camps de concentration nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, se tourna
vers la justice américaine et y intenta un recours en réparation contre l’État alle-
mand se fondant sur l’article 3 CIV (1907), n’ayant pas été en mesure d’obtenir
compensation de la part de l’Allemagne à travers les mécanismes traditionnels
de protection diplomatique en raison de sa citoyenneté américaine. La District
Court avait, tout d’abord, mis de côté l’application de la doctrine de l’immunité
de l’État et avait reconnu sa compétence d’entendre la demande de compensa-
tion présentée par Princz. La Cour de première instance semblait toutefois des
plus mal à l’aise face à l’application de la théorie de l’immunité étatique pour
empêcher la compensation monétaire d’une personne ayant subi des « actes bar-
bares »70. La décision fut, cependant, infirmée en appel lorsque l’argument de
l’immunité étatique fut accepté, et ce, malgré une forte dissidence du Juge Wald.
Le tribunal, pour justifier sa décision, cite expressément les affaires Goldstar et
Tel-Oren:
À la lumière de ces décisions, on peut affirmer que l’interprétation que les tribu-
naux américains donnent à l’article 3 CIV (1907) comme n’ayant pas d’applica-
2009 CanLIIDocs 17
tion directe en droit interne, est assez uniforme. En ce qui a trait aux Conventions
de Genève dans leur ensemble, il y a certaines raisons de croire qu’elles auraient
une applicabilité directe en droit interne. Il existe, en effet, un certain courant
jurisprudentiel selon lequel les droits individuels prévus à la CGIII (relative aux
prisonniers de guerre) s’appliqueraient directement en droit interne72. Reste que,
tel qu’il a été déclaré dans United States v. Postal73, la doctrine du « self-executing
treaty » reste une notion très difficile à cerner qui pose de nombreux problèmes.
Il nous est donc difficile d’adopter une position ferme et arrêtée à ce sujet dans
le cadre du présent article, le contexte américain étant aussi bien particulier. En
ce sens, l’impact de l’utilisation contemporaine du Alien Tort Claims Act 74 et du
Torture Victim Protection Act of 199175 permettant un élargissement en matière
de compétence des tribunaux américains pour des violations du droit internatio-
nal public a changé le paysage judiciaire du pays. Toutefois, cet élément ne sera
pas abordé ici, faute d’espace76. Reste que l’examen de la jurisprudence, tout au
71 Ibid. (D.C. Cir. 1994), au para. 1175. Il est fort intéressant de voir comment cette affaire s’est
poursuivie à l’extérieur de l’arène judiciaire. Et pour cause, la Fondation allemande Remembrance
responsibility and future fut fondée en 2000 dans la mouvance de l’Affaire Princz dans le but de
rendre la compensation financière accessible aux victimes de travaux forcés et d’autres injustices
commises à l’époque du régime national-socialiste : voir généralement en ligne : ‹http://www.
stiftung-evz.de/eng/› (date d’accès : 1er décembre 2009).
72 Voir United States v. Noriega, 808 F.Supp. 791, 799 (S.D. Fla. 1992) qui a tranché que la CGIII
était applicable directement en droit américain (« [I]t is inconsistent with both the language
and spirit of [the GPW] and with our professed support of its purpose to find that the rights
established therein cannot be enforced by individual POW in a court of law »), ce qui permettait
au Général Noriega de déposer une poursuite aux États-Unis pour trancher sur les violations
alléguées, suite à sa détention dans une prison américaine. Il a, en outre, été affirmé dans cette
affaire que la doctrine du self-execution était complexe et pas particulièrement bien comprise
(para. 797). Voir aussi Padilla ex rel. Newman v. Bush, 233 F. Supp. 2d 564, 590 (S.D.N.Y.
2002) et United States v. Lindh 212 F. Supp. 2d 541, 553-554 (E.D. Va. 2002), dans lesquelles
il a été affirmé que la CGIII avait force de loi sous la « Supremacy Clause » que l’on retrouve à
l’article VI, para. 2 de la Constitution américaine.
73 589 F.2d 862, 876 (5th Cir. 1979) : « the self-execution doctrine [is] one of the most confounding
in treaty law».
74 28 U.S.C. §1350 [ci-après ATCA].
75 Pub. L. No. 102-256, 106 Stat. 73 (1992) [ci-après TVPA].
76 Pour des analyses plus approfondies de l’impact du ATCA et du TVPA sur la sanction des
violations des droits humains par les tribunaux américains, voir Beth Stephens, « Individuals
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 451
moins, celle relative à l’article 3 CIV (1907), ferme quand même la porte quant
à l’exercice d’un droit individuel à la réparation pour les victimes de violations
de DIH devant les tribunaux américains.
2009 CanLIIDocs 17
naise, chinoise, philippine, indonésienne et malaisienne77.
Dans le traitement de ces demandes, le Japon semble avoir opté, comme l’ont
fait et le font encore les États-Unis, pour une interprétation restrictive de la
doctrine du « self-executing treaty», ne voyant dans les conventions de droit
international un droit individuel à un recours que lorsqu’il est explicitement
mentionné :
Enforcing International Law: The Comparative and Historical Context » (2002) 52 DePaul
Law Review 433 « Translating Filartiga: A Comparative and International Law Analysis of
Domestic Remedies For International Human Rights Violations » (2002) 27 Yale J Int’l L 1
[ci-après Stephens « Translating »]; « Taking Pride in International Human Rights Litigation »
(2001) 2 Chicago Journal of International Law 485; William S. Dodge, « The Constitutionality
of the Alien Tort Statute: Some Observations on Text and Context » (2002) 42 Va. J. Int’l L.
687; George Norris Stavis, « Collecting Judgements in Human Rights Tort Cases – Flexibility
for Non-Profit Litigators? » (1999) 31 Colum. Hum. Rts. L. Rev. 209 aux pp. 211-219 [ci-après
Stavis].
77 Pour une analyse poussée sur la jurisprudence japonaise au sujet de la compensation des victimes
de guerre, voir Shin Hae Bong, « The Right of War Crimes Victims to Compensation Before
National Courts - Compensation for Victims of Wartime Atrocities - Recent Developments in
Japan’s Case Law » (2005) 3 Journal of International Criminal Justice 187 [ci-après Hae Bong]
et Sayuri Umeda « Japan: WWII POW & Forced Labor Compensation Cases » (sept. 2008),
en ligne : United States Law Library of Congress ‹http://www.loc.gov/law/help/japan-wwii-
pow.pdf› (date d’accès : 7 décembre 2009) [ci-après Umeda]. Voir aussi Tetsuo Ito « Japan’s
Settlement of Post World-War II Reparations and Claims » et et Karen Parker et Jennifer F.
Chew « Reparation: A Legal Analysis » dans Roy L. Brooks (dir.), When sorry isn’t enough: the
controversies over apologies and reparation for human injustices, New York, New York University
Press, 1999 [ci-après When sorry isn’t enough]; Barry A. Fisher, « Japan’s Postwar Compensation
Litigation» (2000) 22 Whittier L. Rev. 35. Les jugements plus récents sont accessibles dans leur
langue originale en ligne : Courts of Japan ‹http://www.courts.go.jp/›. En outre, un résumé
des poursuites contre l’État japonais entamées par les victimes de violences sexuelles avant et
durant la Seconde Guerre mondiale (en date du 3 décembre 2004) est disponible en ligne :
Violence Against Women in War – Network Japan « Lawsuits against the Government of Japan
filed by the survivors in Japanese Courts » http://www1.jca.apc.org/vaww-net-japan/english/
sexualslavery/courtcase.html› (date d’accès : 7 décembre 2009) [ci-après VAWW-NET Japan,
« Court Cases »].
452 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
2009 CanLIIDocs 17
[TRADUCTION]
1. In general, public international law regulates interstate
rights and obligations;
2. When a treaty is applied to individual claims against the
state in a domestic court, the contents of the claim under
the provision of the treaty should be very clear from the
viewpoint of balance of powers and stability of law;
3. The text of Hague Convention IV never suggested that an
individual had claims against the state;
4. The drafting record of the Convention did not support
the plaintiffs’ view, but rather was based on the assump-
tion that compensation for individuals would be provided
through pursuing diplomatic protection by the state to
which the individual belonged.80
La même interprétation de l’article 3 CIV (1907) a été retenue par les tribu-
naux japonais dans l’Affaire du massacre de Nanking81 introduite devant les tri-
bunaux japonais durant les années 90. Les demandeurs dans cette affaire étaient
les victimes chinoises ainsi que les ayants cause des victimes décédées des suites
de violations du droit humanitaires commises lors de l’invasion de Nankin par
les troupes japonaises en 193782. Ils ont fondé leur recours sur l’article 3 CIV
(1907). La Cour a refusé de voir dans cette disposition un droit au recours indi-
viduel. Elle a argumenté au surplus que l’obtention de réparation pour les victi-
mes peut « réveiller d’anciens démons » et contrecarrer les efforts de prévention
d’un nouveau conflit :
2009 CanLIIDocs 17
is, viewed from the broader framework to maintain peace and
security between States and nations and in each region, as a
whole, equivalent to leaving seeds of conflict, and harmful in
view of preventing future wars, even though it is compatible
with justice for the individual in the sense of general civil
law.83
82 Plusieurs violations du DIH ont été commises par les Forces armées japonaises sur la population
civile lors de cette attaque : on estime à plus de 200 000 le nombre de Chinois tués et à environ
20 000 le nombre de femmes violées. Des traitements inhumains et cruels ont été réalisés
par l’Unité 731 chargée de recherche bactériologique. Voir notamment : Masahiro Yamamoto,
Nanking: anatomy of an atrocity, Praeger, 2000; Joshua A. Fogel, The Nanjing Massacre in history
and historiography, University of California Press, 2000; Iris Chang « The Nanking Massacre »,
dans When sorry isn’t enough, supra note 78.
83 Affaire du massacre de Nanking, supra note 82. Voir aussi la traduction d’un autre passage
du jugement qu’offre le Center for Research and Documentation on Japan’s War Responsibility:
« Considering the justice of the whole human race, the problems of compensation with respect
to former enemy nations should be solved comprehensively by the postwar friendship treaty
between the nations, even if it is the case that each individual’s justice cannot be restored in
terms of civic law. [D]enying individual rights to claim compensation for damage (in the case of
war) is reasonable, if we presume that avoiding another war is the supreme cause.» : Hiromitsu
et Yoshiko, supra note 82.
84 Voir, en ligne: Violence Against Women in War – Network Japan, « The Women’s International
War Crimes Tribunal on Japan’s Military Sexual Slavery » ‹http://www1.jca.apc.org/vaww-net-
japan/english/womenstribunal2000/whatstribunal.html› (date d’accès : 7 décembre 2009). Au
sujet du pouvoir de recommandation, en ligne : Violence Against Women in War – Network
454 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
2009 CanLIIDocs 17
côté dans plusieurs décisions87.
Un deuxième obstacle réside dans l’application de la théorie de la renoncia-
tion étatique aux « réparations de guerre » dans un traité de paix bilatéral comme
impliquant une renonciation pour toutes les victimes individuelles. Quoiqu’il a
été conclu dans l’affaire Shimoda88 que l’effet des traités de paix ne se faisait sentir
qu’au niveau interétatique, l’argument fut soulevé à plusieurs reprises... avec un
succès mitigé. Par exemple, dans l’affaire Shimonoseki89, le Tribunal de première
instance, ayant reconnu que le traitement infligé aux « femmes de réconfort »90
Japan, « Charter of The Women’s International War Crimes Tribunal On Japan’s Military Sexual
Slavery », art. 14 (Incorporating Modifications Agreed upon During the Hague Meeting, 26-
27 October 2000) ‹http://www1.jca.apc.org/vaww-net-japan/english/womenstribunal2000/
charter.html› (date d’accès : 7 décembre 2009).
85 Prosecutors and the People of the Asia-Pacific region c. Japan (2000) Affaire no PT-2000-1-T
(Women’s International War Crimes for the Trial of Japan Military Sexual Slavery), au para.
1053, en ligne : Violence Against Women in War – Network Japan ‹http://www1.jca.apc.
org/vaww-net-japan/english/womenstribunal2000/Judgement.pdf› (date d’accès : 7 décembre
2009) : « […] we find that article 3 of the 1907 Hague Regulations was intended to protect
the right of the victimized persons and those who are permitted to claim on their behalf to seek
compensation as individual. »
86 Voir par ex. deux affaires dans lesquelles la doctrine de la non-responsabilité de l’État a été
retenue : Philippine «comfort women » c. Japan, Tokyo D.C., 9 octobre 1998 et Residents of Hong-
Kong c. Japan, Tokyo D.C., 16 June 1999, tels que cités dans Hae Bong, supra note 78.
87 Voir par ex. Chinese victims of forced labour c. Japan and the company A (non divulgué), Kyoto
D. C., 15 January 2003; Chinese victims of forced labour c. Japan and Hazamagumi Inc., Tokyo
D.C., 11 mars 2003 (non publié); Chinese victims of forced labour c. Japan and Rinko Corporation,
Niigata D.C., 26 mars 2004, tels que cités dans Hae Bong, supra note 78.
88 :« […] an individual’s claim in international law is not recognized until it is provided for by a
treaty and the right of bringing action and other procedural guarantees by which the individual
can assert the claim have come into existence internationally.» : Shimoda c. The State, [1964],
32 I.L.R. 626 (Jap., Tokyo D.C.); en ligne : CICR, « National Case law » ‹http://www.icrc.org/
ihl-nat.nsf/46707c419d6bdfa24125673e00508145/aa559087dbcf1af5c1256a1c0029f14d?O
penDocument›, au para. 5, au sous-para 5 (date d’accès : 7 décembre 2009).
89 Cette affaire est aussi connue sous le nom de “Kankama moto ianfu Sosho” (Kankama Former
Comfort Women Case), 1642 HANREI JIHŌ 24, 28-30 (Yamaguchi Dist. Ct., Shimonoseki
Branch April 27, 1998), tel que cité dans Umeda, supra note 78, n° 18. Voir aussi Etsuro
Totsuka, «Translations: Commentary on a Victory for “Comfort Women” : Japan’s Judicial
Recognition of Military Sexual Slavery » (1999) 8 Pac. Rim L. & Pol’y J. 47.
90 Pour une proposition de définition: en ligne, Asian Women’s Fund, «Who were the Comfort
Women?-Who were the Comfort Women?», ‹http://www.awf.or.jp/e1/facts-00.html› (date
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 455
2009 CanLIIDocs 17
présenter une action civile en dommages devant un tribunal national93, tel que
semble le démontrer cette illustration grecque.
Cinquante ans après l’attaque du 10 juin 1944 du village de Distomo touchant
la Préfecture de Voiotia en Grèce, 259 descendants et ayants cause des victimes
ont intenté une action civile devant les tribunaux grecs contre l’État allemand.
Cette cause est maintenant connue sous le nom de l’Affaire de la Préfecture de
d’accès : 7 décembre 2009) : « The so-called “wartime comfort women” were those who were
taken to former Japanese military installations, such as comfort stations, for a certain period
during wartime and forced to provide sexual services to officers and soldiers. Authors who wrote
about these women in the postwar Japan called them “jugun ianfu (comfort women joining the
army)”. And when the Japanese government first faced the issue of these women, it adopted
this term, “jugun ianfu,” and the AWF, when it started in 1995, it used this term as well. But in
historical wartime documents we only find the term “ianfu (comfort women)”. Therefore, we
now always use this term “ianfu (comfort women)”. »
91 Korean « comfort women » c. Japan, Hiroshima High Court, 29 mars 2001, tel que cité dans Hae
Bong, supra note 78. En ce qui a trait à la réaction de la société civile à l’égard de ce jugement,
voir par ex. Okinawa Peace Network of Los Angeles (OPN-LA), « Los Angeles Organizations
Protest Legacy of Japanese Militarism: Groups Angered by Japanese High Court Decision
on «Comfort Women» and Textbook Controversy», en ligne : ‹http://uchinanchu.com/about/
comfort_women_press_release.htm› (date d’accès : 7 décembre 2009); « Comfort women payout
overturned » AFP - The Straits Times (30 mars 2001), en ligne : <http://www.hartford-hwp.
com/archives/55/537.html>; « Japan overturns sex slave ruling » BBC News (29 mars 2001)
en ligne : ‹http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/1249236.stm› (date d’accès : 7 décembre
2009).
92 Il y a tout d’abord eu en 1953 l’Accord de Londres sur la dette externe de l’Allemagne dans
lequel 33 États se sont entendus pour suspendre toutes les réclamations en lien avec la guerre
jusqu’à ce qu’il y ait entente définitive sur la question : voir London Agreement on German
External Debts,17 février 1953, 333 R.T.N.U. 3, au para. 5(2). Il avait, toutefois, été entendu
entre les États parties que le moratoire ne visait pas les indemnités à verser aux victimes des
persécutions nazies. Cette clause d’exclusion du moratoire est connue sous le nom d’« Israël
Exception » et se trouve à l’Annexe VIII de l’Accord. C’est dans cette foulée que fut signé, en
1956, un accord bilatéral entre l’Allemagne et la Grèce attribuant à ce dernier un montant de
115 millions deutsche marks. Le Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne du 12
septembre 1990, mieux connu sous le nom du Traité de Moscou « 2+4» ne parle aucunement des
réclamations, ce qui sous-entend que les questions des réclamations contre l’Allemagne étaient
désormais exclues. Pour plus de détails à ce sujet : Gattini, « To What Extent », supra note 47 à
la p. 356.
93 Voir Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 359.
456 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
2009 CanLIIDocs 17
Cette affaire constitue un moment-charnière dans la justiciabilité des droits
individuels à la réparation dans le contexte de conflits armés. Le vent a toute-
fois tourné lorsque les demandeurs, forts de leurs deux victoires et jugement en
main, se sont vus refuser l’autorisation du Ministère de la Justice grec requise
par l’article 923 du Code de procédure civile grec pour effectuer une saisie par
rétention (« attachement ») d’institutions allemandes se trouvant en territoire
grec96, en vue d’exécuter le jugement. La requête en exécution fut donc déférée
à la Cour suprême grecque. Il y a eu revirement de situation : elle refusa, cette
fois-ci, de mettre en œuvre le jugement, affirmant que la saisie de propriétés
pouvait légitimement être refusée afin de maintenir des « relations amicales »
entre les deux États. Il est important de souligner qu’il n’a pas été question ici de
ne pas reconnaître un droit individuel à la réparation dans l’article 3 CIV (1907).
Pour les besoins de notre analyse, même si les demandeurs n’ont pu obtenir
réparation, ils n’ont pas essuyé un refus sur la base que leur droit à la réparation
n’existait pas, mais bien parce que les tribunaux grecs ont jugé qu’il ne serait pas
souhaitable que ce droit soit exercé contre des biens particuliers, par risque de
mise en péril des relations interétatiques. En outre, nous devons indiquer que
la décision finale d’empêcher, en pratique, l’exécution du jugement, a reposé
également sur les épaules de l’exécutif et du judiciaire, chacun ayant adopté une
position relevant plutôt de la conservation de bonnes relations diplomatiques
que de la mise en œuvre du droit à la réparation.
Mentionnons, en dernier lieu, que cette affaire a aussi eu des suites en Allema-
gne. En effet, après l’échec ultime de refus d’exécution du jugement rendu par
les instances judiciaires grecques, les ayants cause des victimes du massacre de
Distomo se sont retournés vers les tribunaux allemands pour obtenir réparation.
La Bundesgerichtshof (BGH) a rendu sa décision, l’Affaire Distomo97, en 2003
94 L’original de ce jugement est rapportée dans Nomiko Vima (1998) 246 ff., tel que cité dans
Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 359, n° 10. À noter que le terme « Affaire
Distomo » réfère à l’action qui fut introduite subséquemment devant les tribunaux allemands.
95 Pour une analyse plus poussée, voir Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 359 et s.
Voir aussi l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note 25 à la p. 545.
96 Nommément : l’Institut Goethe, l’Institut allemand d’archéologie et deux écoles allemandes à
Athènes et à Saloniki : Gattini, « To What Extent », supra note 47 à la p. 360.
97 BGH, décision du 26 juin 2003, III ZR 245/98, publiée dans NJW 2003 à la p. 3488 et s.,
tel que rapportée dans : Sabine Pittorof, « Compensation Claims for Human Rights Breaches
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 457
dans laquelle elle rejetait l’action présentée par les citoyens grecs. Elle a adopté
une position conservatrice à l’égard de l’existence d’un droit individuel d’obtenir
réparation, se replaçant au moment où la violation avait été commise, soit lors
de la Seconde Guerre mondiale. La BGH a affirmé que la notion de compen-
sation dans le contexte d’un conflit armé impliquait uniquement une relation
entre États et que les individus n’y avaient pas leur place. Elle s’est rabattue sur
la théorie de la protection diplomatique pour indiquer que c’était le seul méca-
nisme accessible aux victimes leur permettant d’obtenir réparation. Nous pou-
vons, néanmoins, nuancer la position adoptée par la Cour fédérale allemande
en mettant l’emphase sur le fait qu’elle a considéré l’état du droit au moment
de la violation, sans opter pour une approche évolutive. Elle n’a donc pas fermé
la porte aux réclamations individuelles ayant pris naissance plus récemment, ne
2009 CanLIIDocs 17
s’étant pas prononcée sur l’état actuel du droit à la réparation individuelle dans
un contexte post bellum.
Committed by German Armed Forces Abroad During the Second World War: Federal Court
of Justice Hands Down Decision in the Distomo Case » (2004) 1 German Law Journal 5, en
ligne : German Law Journal <http://www.germanlawjournal.com/article.php?id=359#_edn3>
(date d’accès : 1er décembre 2009). Voir aussi l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note
25aux pp. 544 et 545.
98 Ordinanza della Corte di Cassazione, Seszioni Unite Civili, 8 février 2002, tel que cité dans N.
Ronzitti, « Azioni belliche risarcimento del danno » (2002) 85 Rivista di diritto internazionale
682, tel que rapporté dans Mazzeschi, supra note 59, à la p. 345. Pour un résumé détaillé et une
analyse approfondie de cette affaire, voir Frulli, « When are States Liable », supra note 46.
99 En effet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a décliné compétence dans les poursuites
entamées par la Serbie-Monténégro contre des États membres de l’OTAN alléguant l’usage
illicite de la force et la commission de violations du droit humanitaire face aux populations
civiles : voir les Affaires relatives à la licéité de l’usage de la force (Yougoslavie c. Belgique, Canada,
France, Italie, Pays-Bas, Portugal et le Royaume-Uni), Objections préliminaires, [2004] C.I.J. rec.
1307. Les deux affaires contre les États-Unis et l’Espagne (Affaire relative à la licéité de l’usage
de la force (Yougoslavie c. États-Unis et Espagne), Ordonnance du 2 juin 1999, [1999] C.I.J.
rec. 916) ont été rejetées pour manque manifeste de compétence. La Cour Européenne des
Droits de l’Homme a aussi déclaré irrecevable la requête alléguant que le bombardement de la
Radio-Télévision serbe par l’OTAN a violé la Convention européenne de sauvegarde des Droits
de l’Homme et des Libertés Fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221. N’ayant pas
été persuadé de l’existence d’un lien juridictionnel entre les victimes et les États défendeurs, la
Cour a décliné compétence : Bankovic c. Belgique (2001), 41 I.L.M. 517 (Cour Européenne
des Droits de l’Homme). D’autres tentatives, à l’échelon national, ont échoué de la même
façon; voir, par ex. l’Affaire Varvarin (1er nov. 2006) : rejet de l’action d’un groupe de citoyens
serbes demandant compensation à l’Allemagne pour les attaques aériennes de l’OTAN ayant
tué 10 civils et blessé 30 personnes; voir Reuters AlertNet, « German Court Reject Serbs Claim
for NATO Attacks » (2 nov. 2006), en ligne : ‹http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/
L02720300.htm› (date d’accès : 7 décembre 2009). Même en matière pénale, le Bureau du
Procureur du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie a refusé d’ouvrir une enquête sur deux
attaques lancées par les forces de l’OTAN : voir Final Report to the Prosecutor by the Committee
Established to Review the NATO Bombing Campaign Against the Federal Republic of Yugoslavia, en
458 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
italiens ne font pas exception. Lorsque des citoyens de l’ex-Yougoslavie ont en-
tamé une action civile contre l’Italie pour les dommages subis lors de l’attaque
de l’OTAN sur la tour de diffusion de la Radio Televizje Srbiijre [STR]100, le plus
haut tribunal du pays a conclu à une absence de compétence pour entendre
l’affaire et a refusé de l’entendre au fond. En se fondant sur l’article 91 PI101, les
demandeurs réclamaient le versement d’une indemnité monétaire pour compen-
ser les dommages subis à la suite de violations alléguées du DIH102.
La Cour suprême italienne s’est retenue de se prononcer explicitement sur
l’existence d’une obligation conventionnelle de verser compensation ou de tout
droit corollaire permettant à la victime de demander cette compensation et n’a
pas fait reposer sa décision de décliner compétence sur des arguments assimi-
lables à une application de la doctrine du « self-executing treaty ». Elle fonda
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plutôt sa décision sur la théorie de l’« Acte de gouvernement »103. Cette théorie,
qui permet l’exercice discrétionnaire de la puissance publique, est un mécanisme
de retenue judiciaire au bénéfice du gouvernement, lorsque celui-ci doit agir de
façon à protéger les intérêts constitutionnels et politiques de la nation. L’utilisa-
tion de cette théorie ne fait pas l’unanimité dans la doctrine, tel que le démontre
Frulli104.
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IV. UN MÉCANISME INTERNATIONAL DE PLAINTE ACCESSIBLE
AUX VICTIMES DE VIOLATIONS DU DIH?
En matière de mise en oeuvre, les dispositifs traditionnels prévus par le droit
international public (DIP), comme la résolution pacifique des différends ou les
moyens de pression réactifs, trouvent difficilement leur place dans le contexte
d’un conflit armé. De plus, contrairement aux mécanismes prévus par le système
de protection des droits humains, le DIH conventionnel ne prévoit pas de co-
mité, commission ou tribunal qui soit compétent pour recevoir des plaintes indi-
viduelles, déterminer de façon indépendante si une violation a eu lieu et octroyer
une réparation. Comme l’affirment Sassòli et Bouvier, « le DIH a dû trancher
un des axiomes de la société internationale traditionnelle et prévoir des mesures
d’exécution dirigées contre les individus qui violent ce droit, et pas uniquement
contre les États responsables de ces violations»105. Ces mesures d’exécutions indi-
viduelles peuvent être pénales ou civiles, les deux types se complétant et même se
recoupant parfois. D’un côté, l’expansion du droit pénal international au cours
des dernières années contribue à accroître l’effectivité du DIH. Par contre, l’autre
mécanisme, celui de la sanction civile, ne connaît pas nécessairement un essor
similaire. C’est dans cet l’esprit que nous évoquons ici brièvement le projet de
création d’un « organe de supervision » (Supervisory Organ) international ayant
pour fonction de traiter des réclamations individuelles présentées par des victi-
mes de violations du droit humanitaire, en nous questionnant sur l’opportunité
et la possibilité de créer un tel organe.
Cette idée a été développée par la Amsterdam International Law Clinic106, dans
le sillage de l’Appel de La Haye pour la paix et la justice au XXIe siècle en mai
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affaires où une violation d’une norme de DIH définie a causé un dommage à la
victime-demanderesse, se rapprochant ainsi des concepts de base du régime de
responsabilité civile (faute - dommage - lien de causalité).
Au sujet de la compétence ratione personarum (la compétence sur les person-
nes), le débat se situe plus autour de la notion de groupes armés non étatiques108
qu’autour de l’auteur individuel de la violation. La question « Contre qui la
victime peut exercer son recours? » vise donc à examiner les problèmes reliés aux
entités non étatiques (leur caractère temporaire, la difficulté d’établir la chaîne de
commandement, etc.) et non aux agresseurs eux-mêmes. L’organe de supervision
adjugerait donc contre les « parties aux conflits » que celles-ci soient un État ou
un groupe armé non étatique.
En outre, les différentes formes que prendrait la réparation attribuée par l’or-
gane de supervision seraient la restitution, la compensation, la réhabilitation et
la satisfaction. Par contre, puisque les demandes pourraient très bien dépasser
les capacités de l’organe de supervision, les auteurs du projet insistent sur le fait
qu’il faut établir des mécanismes de réparation crédibles plutôt que de miner son
autorité en prévoyant des moyens illusoires, sans toutefois que cette institution
devienne un lieu de recommandations non contraignantes et de jugements dé-
claratoires « sans dents ». Pour tenter de ne pas cibler uniquement l’aspect moné-
taire de la réparation, le projet fait preuve d’originalité : par exemple, l’organe de
supervision pourrait ordonner de mettre en place des mesures de réhabilitation
médicales et psychologiques dans le dessein de restaurer la dignité des victimes.
Dans le projet de traité établissant un organe de supervision quant aux violations
du DIH, la compensation pécuniaire n’est donc pas un passage obligé vers la
réparation.
La mise sur pied d’un tel organe est une perspective novatrice, certes, mais pas
irréalisable au niveau strictement juridique, tout au moins. Le projet de traité
107 L’Agenda de La Haye pour la paix et la justice a été adopté par l’Assemblée générale des
Nations Unies, tel qu’en témoigne la résolution A/54/98 du 20 mai 1999 (lettre datée du
17 mai 1999, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent du Bangladesh
auprès de l’Organisation des Nations Unies), en ligne : <www.haguepeace.org> (date d’accès :
1er décembre 2009), recommandation 13.
108 Les critères applicables pour qualifier un « groupe d’opposition armée » au sens du DIH sont
établis dans la CGIII, art. 4, puis précisés dans Procureur c. Tadić (1995) Affaire no IT-94-1-
AR72 (Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel), au para. 70 et s.
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probante des objections formulées par les tribunaux nationaux examinées ci-des-
sus (qu’il y aurait, par exemple, un grand nombre de demandes ou encore que
ces demandes pourraient nuire aux relations entre les États impliqués) qui sont
également valables pour un organisme international.
En outre, certains auteurs ne voient pas la nécessité de créer de nouvelles
institutions internationales. Certains considèrent les voies de recours internatio-
nales, régionales mais surtout nationales qui existent déjà109 sont suffisantes. Il
est vrai qu’un système judiciaire fonctionnel et éprouvé existe déjà au sein de la
majorité des États et qu’il faut, tout au moins, s’attarder à examiner dans quelle
mesure ce système peut, mais aussi doit, être utilisé pour permettre aux victimes
de violations du DIH d’obtenir réparation. Nous affirmons par contre du même
souffle que l’utilisation des tribunaux nationaux n’empêche a priori pas le déve-
loppement d’un projet de mécanisme permanent de traitement des réclamations
en réparation des victimes de violations du droit humanitaire. Il s’agit là d’une
complémentarité fonctionnelle entre les différents mécanismes, chacun présen-
tant ses limites et ses avantages propres.
Cela étant dit, nous devons préciser ici que l’idée de la mise sur pied d’une
instance permanente n’a pas été priorisée par le Comité « Reparation for victims
of armed conflicts » de l’International Law Association, ce qui constitue en soi
un argument majeur contre l’instauration de celle-ci. En effet, lors de la Confé-
rence de Toronto de 2008, les membres de ce comité ont préféré investir leurs
efforts dans la rédaction d’une ébauche de statut-type pour des commissions
internationales de compensation ad hoc :
109 Beth van Schaak, « In Defense of Civil Redress: The Domestic Enforcement of Human Rights
Norms in the Context of the Proposed Hague Judgments Convention » (2001) 42 Harv.Int’lL.J.
141 à la p. 165. Voir aussi William J. Aceves, « Liberalism and International Legal Scholarship:
The Pinochet Case and the Move Toward a Universal System of Transnational Law Litigation »
(2000) 41 Harv.Int’l L.J. 129 à la p. 132; Menno T. Kamminga, « Towards a Permanent
International Claims Commission for Victims of Violations of International Humanitarian
Law », en ligne : Université de Maastricht <arno.unimaas.nl/show.cgi?fid=3610> (date d’accès :
1er décembre 2009): « From a trial attorney’s point of view, an individual complaints procedure
may be more appealing than the compensation mechanism [... ]. While an individual complaints
procedure might also be empowered, like the ICC, to award compensation it is difficult to
imagine how these institutions could ever deal with the massive numbers of claims typically
associated with an armed conflict ».
462 Windsor Yearbook of Access to Justice 2009
Cela nous fait donc dire que, malgré le grand potentiel existant avec une instance
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permanente, il est, de moins en moins, probable qu’elle ne voit jamais le jour.
Reste que tout au moins, il est intéressant et pertinent de présenter le potentiel
théorique d’une telle initiative, si ce n’est que pour jeter un éclairage probant sur
l’état actuel et potentiel des mécanismes de mise en œuvre du DIH.
V. CONCLUSION
Aux termes de cette brève incursion dans le DIH, nous sommes en mesure
d’affirmer que l’existence d’un droit individuel à la réparation dans le cadre de
conflits armés internationaux semble se lire dans deux dispositions du droit
conventionnel (art. 3 CIV (1907) et 91 PI), quoique cela ne fasse pas l’unanimité
dans la doctrine. Par contre, le courant jurisprudentiel, lui, tend fortement vers la
non-applicabilité directe du DIH en droit interne. Face à ce constat, il serait per-
tinent de se pencher sur les autres mécanismes accessibles aux victimes dans leur
quête de réparation pour les dommages subis dans le cadre d’un conflit armé :
ceux prévus par le droit pénal international, les recours « classiques » du droit
110 International Law Association, « Committees », Conference Report Toronto 2006, au para. 13 à
la p. 3, en ligne : ‹http://www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1018› (date d’accès : 7
décembre 2009). Exemples d’initiatives ad hoc de compensation des victimes de conflits armés :
la Commission d’indemnisation des Nations Unies (CINU) pour l’Irak et le Koweït (United
Nations Security Council Resolution 687 (Concerning the Restoration of Peace and Security in Iraq
and Kuwait), Rés. CS 687 (1991) Doc. Off. CS NU, Doc. S/RES/687 (1991) : 2.7 millions de
réclamations et près de 352.5 milliards de dollars en compensation. Pour plus d’informations,
en ligne (en anglais) : <http://www.worldpress.org/specials/iraq/unscr687.htm> (date d’accès
: 1er décembre 2009); Agreement between the Government of the Federal Democratic Republic of
Ethiopia and the Government of the State of Eritrea 40 International Legal Materials (2001) à la
p. 260: plus de 400 000 réclamations. Voir généralement, en ligne : <http://www.pca-cpa.org/
showpage.asp?pag_id=1215> (date d’accès : 1er décembre 2009); Iran - United States Claims
Tribunal, en ligne : <http://www.iusct.org> (date d’accès : 1er décembre 2009); Commission for
Looted Art in Europe (CLAE) (un organisme à but non lucratif indépendant dont le mandat est
de représenter le European Council of Jewish Communities (ECJC) et la Conference of European
Rabbis (CER)). Voir généralement, en ligne : <www.lootedartcommission.com> (date d’accès :
1er décembre 2009); Housing and Property Claims Commission au Kosovo (Regulation no 1999/23
on the Establishment of the Housing and Property Directorate and the Housing and Property Claims
Commission, UNMIK/REG/1999/23, 15 November 1999, en ligne : United Nations Mission
in Kosovo <http://www.unmikonline.org/regulations/1999/reg23-99.htm> (date d’accès : 1er
décembre 2009).
Vol. 27(2) DIH et la Réparation Individuelle 463
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entités auxquelles les violations sont imputables. En guise de conclusion, nous
désirons porter l’attention du lecteur sur une autre piste de réflexion, qui fut déjà
évoquée dans la doctrine, dans le contexte canadien111 : Devrions–nous militer
pour des changements législatifs nationaux en droit privé pour une meilleure
protection judiciaire des victimes de violations du droit international humani-
taire? Plutôt que de créer de nouvelles instances internationales, ne devrait-on
pas utiliser les structures déjà existantes et éprouvées et permettre aux tribunaux
civils nationaux d’entendre les victimes sur leurs réclamations en réparation? Il
s’agit, selon nous, d’une piste des plus intéressantes. Qui plus est, les États-Unis,
avec l’ ATCA, tracent la voie à suivre et permettent de voir dans cette possibilité
de changement législatif une option bénéfique pour les victimes.
Il est clair qu’à ce jour, la voix des victimes de violations du DIH ne se fait pas
entendre clairement et que leur accès au prétoire est parsemé d’embûches qui
leur sont souvent fatales. Bien peu de personnes obtiennent des jugements en
réparation, et encore moins réussissent à voir ces jugements se transposer dans
la réalité. L’appréciation de cette question de réparation individuelle pour com-
penser les personnes qui subissent les conséquences les plus atroces des violations
des lois de la guerre ne doit toutefois pas se faire au niveau quantitatif : même si
uniquement un petit nombre de personnes réussissent à traverser les obstacles et
engager la responsabilité de ceux qui ont violé leur droit de ne pas subir les affres
de la guerre, il s’agit là d’une grande victoire en soi. L’être humain qui souffre
peut ne jamais voir ses besoins de vengeance, de pardon, ou d’oubli assouvis,
mais il ne devrait jamais se voir nier un accès à la justice lui permettant de de-
mander d’être remis dans l’état où il était avant qu’il subisse les conséquences de
la violation d’une règle de droit. C’est à lui, ensuite, de voir s’il désire exercer ce
droit qui est inhérent à sa dignité humaine.
111 Caroline Davidson, « Tort au canadien: A Proposal for Canadian Tort Legislation on Gross
Violations of International Human Rights and Humanitarian Law » (2005) 38 Vand. J.
Transnat’l. L. 1403.
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