Force Majeure
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Force Majeure
Mmoire prsent par Alexis Lemari septembre 2007 Directeur de mmoire : M. Christian Scapel
La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemari CDMT 2007
combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont vanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune ! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous laveugle ocan jamais enfouis ! Victor Hugo in Oceano Nox
La force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises- Alexis Lemari CDMT 2007
Sommaire
- Introduction - Chapitre 1er contractuelle La force majeure en matire de responsabilit
- Section 1re Qualification de la force majeure en matire contractuelle Sous-section 1 Force majeure et notions proches Sous-section 2 Les critres de qualification de la force majeure
-Section 2nde
Sous-section 1 Fondements thoriques des effets de la force majeure Sous-section 2 Effets pratiques de la force majeure
- Section 1re Force majeure et cas excepts Sous-section prliminaire Prcisions thoriques relatives aux rapports entre force majeure et cas excepts Sous-section 1 Les cas excepts ne prsentant pas les caractres de la force majeure Sous-section 2nde Les cas excepts devant prsenter les caractristiques de la force majeure
- Section 2 La force majeure in nominem Sous-section 1re Les diverses applications de la force majeure Sous-section 2nde Particularisme de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises ?
- Conclusion
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Introduction
Le droit rgit des situations la varit infinie au moyen de rgles ncessairement limites ; il est ds lors exercice dlicat usant, en France, de rgles souples et gnrales. Si sa lgitimit premire provient de son origine -le parlement- il ne peut saffranchir totalement, sauf perdre celle-ci, de la notion dquit. La notion de force majeure dcoule de cette dernire1 autant que de la conscience des limites de la puissance humaine. Elle admet que lHomme ne puisse tre comptable de situations auxquelles, malgr ses efforts, il na pu obvier. Ce faisant elle introduit un certain fatalisme dans un systme juridique de responsabilit fond sur la faute, elle-mme base sur lide que lHomme est responsable de ses actes parce que libre : la responsabilit est lie la libert, lune sert de fondement lautre. 2
Se trouvant contraint par une force majeure il perd sa libert et nest donc plus responsable. Cette conception originelle se trouve nanmoins attnue par le dclin de la notion de responsabilit au profit de la solidarit collective . Ce nest plus tant la responsabilit qui est recherche quune indemnisation, passant ainsi au plan juridique dune responsabilit subjective une responsabilit objective. Cette nouvelle conception correspond lapplication de la thorie du risque dveloppe au dbut du 20me sicle3 qui veut, selon les termes employs par Josserand que lorsquon cre un risque, on doit, si ce risque vient se raliser, en subir les coups .
Dans cette conception ce nest donc plus tant la responsabilit qui est en jeu que la possibilit dimputer la rparation du dommage. Partant, la force majeure elle mme peut tre carte par la loi (Cf. loi du 25 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, dite loi Badinter ), voire par une convention par laquelle les parties peuvent dfinir tant les
Cf. ltude sociologique mene au sein de luniversit de Tours et consacre au sentiment de responsabilit cite in Antonmattei. 2 Introduction historique au droit des obligations, Jean Louis Gazzaniga, PUF 1992. 3 Cf. p. 263 et suivantes de Introduction historique au droit des obligations , Jean Louis Gazzaniga, PUF 1992.
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caractres de ce qui sera considr comme vnement de force majeure que les consquences attachs celle-ci.
La force majeure nen reste pas moins une notion, essentielle en matire de responsabilit, non dfinie par les textes : la force majeure est un concept de notre droit dont limportance apparat comme inversement proportionnelle sa prcision 4. Concept juridique, elle correspond ainsi la volont de Portalis de crer un droit flexible pouvant sadapter aux volutions temporelles et politiques : Loffice des lois est de fixer, par de grandes vues, les maximes gnrales du droit ; dtablir des principes fconds en consquences, et non de descendre dans le dtail des questions qui peuvent natre sur chaque matire. Cest au magistrat et aux jurisconsultes, pntrs de lesprit gnral des lois, en diriger lapplication 5. Si lide de force majeure semble immuable6, ses caractres sont atteints dune grande mutabilit7. Ceci explique que sa dfinition ne soit pas des plus aises : si la runion des trois critres dimprvisibilit, dirrsistibilit et dextriorit de lvnement est traditionnellement considre comme la caractrisant, il est relativement frquent quelle soit admise en labsence de certains de ces critres. Il semble que le point dancrage le plus sr de cette notion rside dans son effet : elle est une cause exonratoire de responsabilit civile lorsquelle a seule fait obstacle lexcution du contrat (article 1148 du Code civil) ou, en matire dlictuelle, contribu la ralisation du dommage 8. Ainsi, en matire contractuelle, la force majeure contraint linexcution et en excuse le dbiteur9.
Cette difficult dfinir la notion de force majeure ne fait, en ralit, que dvoiler son caractre de concept . En effet, la force majeure est une reprsentation gnrale et abstraite des objets qui ne peut tre dtermine quen fonction du droit positif et des ralits sociales , ralits mouvantes10. Plus prcisment, la notion de force majeure est un
J-Y Cholet, note sous TI St Denis, 25 aot 1983, D 1985, p.26. Discours prliminaire prononc par Portalis devant le CE lors de la prsentation du Code civil in Naissance du Code civil , prsentation de Franois Ewald, Flammarion, 2004. 6 Apparaissant ainsi appartenir au monde des ides cher Aristote ! 7 Pour reprendre lopposition releve dans sa thse par P-H Antonmattei, p.9 et suivantes. 8 Guide du langage juridique, 2me dition, S. Bissardon, collection Objectif droit, Litec, 2005. 9 Ccile Chabas in Linexcution licite du contrat , thse prface par J. Ghestin, avant propos de D. Mazeaud, LGDJ, 2002, n2, p.3. 10 Thorie gnrale du droit, 4me dition, J-L Bergel, Dalloz 2003, n181 et suivants, p.211 et suivantes.
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concept soupape 11, une notion contenu variable 12, relativement indtermin afin de laisser au juge une certaine latitude dans son application.
Concept du droit civil, la force majeure a vocation intervenir dans toutes matires, droit maritime compris. Ce droit, celui des activits que la mer dtermine13, connat toutefois un certain particularisme d trois causes principales :
Tout dabord son objet mme : lment mobile et changeant, la mer si elle ne peut tre considre comme totalement hostile lhomme doit au moins tre reconnue comme milieu non naturel. Les activits ayant pour cadre la mer connaissent, ainsi, des risques particuliers. Si les progrs techniques ont indubitablement permis de rduire ces dangers, ils nen restent pas moins plus prgnants quailleurs. Ces risques propres au milieu maritime paraissent, intuitivement, devoir influer sur la notion de force majeure. Le milieu tant plus hostile il devrait, logiquement, modifier la perception de ce quest un vnement de force majeure et les circonstances constitutives dune force majeure devraient ds lors se trouver modifies. Au-del de la logique, quelle est linfluence relle de ce particularisme maritime sur la notion de force majeure ?
Ensuite, par la tradition de solidarit qui rgne chez les gens de mer . Or, la force majeure est toujours prsente comme exonrant un dbiteur de son obligation. Exonrant lun, le droit, en ne prvoyant aucun mcanisme de solidarit, fait reposer le risque sur lautre ! Cette quit sens unique est-elle conforme la philosophie du droit maritime ?
Enfin, par son caractre international : les mers servent frquemment de liaison entre diffrents pays. Ces tendues deau connaissent ainsi des souverainets diverses aux frontires immatrielles et mettent trs frquemment en contact des personnes, lieux et meubles dont les nationalits sont diffrentes. Le droit maritime est donc par essence international, caractre encore renforc par la mondialisation. A cet
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Expression de P. Roubier in Thorie gnrale du droit , JL Bergel. Expression de Ch. Perelman in Thorie gnrale du droit , JL Bergel. 13 P. Bonassies et Ch. Scapel.
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internationalisme du droit maritime correspond le caractre universel de la force majeure. Prsente Athnes ou Rome, cette notion se retrouve aussi bien dans les systmes romano-germanistes, que dans ceux des pays de common law, de droit socialiste ou de droit caractre religieux ce qui donne penser que cette notion correspond un certain droit naturel . Retrouver lide de force majeure ( travers des vocables parfois diffrents) ne signifie pas ncessairement retrouver les caractres du concept, ce qui pose la question de savoir comment la notion de force majeure est applique par les juridictions franaises dans le cadre de contrats de transports maritime internationaux de marchandises.
Ce particularisme du milieu maritime, et du droit affrent : un droit original mais domin 14, est doubl dun particularisme li au contrat considr : celui de transport de marchandises, que lon peut dfinir comme la convention par laquelle une personne, le transporteur, soblige moyennant rmunration, dplacer une marchandise dun lieu un autre 15. De contrat spcial, le contrat de transport, lorsquil est maritime (c'est--dire effectu par voie maritime) et concerne des marchandises, devient trs spcial , selon les termes du professeur Delebecque.
Le contrat de transport maritime de marchandises est ainsi, pour lessentiel, soumis un rgime largement homogne constitu de la Convention de Bruxelles du 25 aot 1924, ventuellement modifie par les protocoles de 1968 et 1979, et de la loi franaise du 18 juin 1966.
Le rgime particulier dtermin par ces textes instaure une responsabilit de plein droit : ds lors que les marchandises transportes subissent un dommage pendant le transport, la responsabilit du transporteur est prsume engage. Cette prsomption reste toutefois simple et le transporteur peut lcarter en prouvant que le dommage est survenu dans des conditions correspondant lun des cas excepts expressment prvus par le texte applicable16.
P. Bonassies in Evolutions et perspectives du droit maritime franais , AFCM 2000, Le droit maritime franais de lan 2000. 15 Dfinition donne par les professeurs Delebecque et Germain in Droit commercial, tome 2, 17me dition, LGDJ, 2004, n2700, p.698. 16 Layant droit marchandise pourra alors opposer la faute ventuelle du transporteur - condition de la prouverafin de voir cette exonration de responsabilit rduite en proportion de la faute commise.
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Il est donc possible, de mme que pour les autres cas de responsabilit de plein droit, dtablir que lon nest pas responsable. A la dmonstration dun cas de force majeure est ici substitue la dmonstration dun cas except. Si la technique est diffrente, la finalit est identique : exonrer le dbiteur de la responsabilit dcoulant de linexcution de lune de ses obligations.
Le doyen Carbonnier a ainsi considr que lnumration des cas excepts ralise larticle 38 de la loi du 18 juin 1966 sapparentait un catalogue des forces majeures 17, soulignant par l mme la proximit des deux notions.
Visant notamment cette loi, les professeurs Viney et Jourdain considrent que parfois, la loi se contente de mentionner certains faits comme cause dexonration sans prciser si la force majeure est carte ou au moins si la liste des faits viss est limitative. Il faut semble-t-il en dduire dune part que la force majeure nest pas carte et peut toujours tre invoque comme cause dexonration, dautre part que les circonstances numres nont pas prsenter les caractres de la force majeure. Cest dailleurs en ce sens que sest prononce la jurisprudence [Cass. Com 20 fvrier 1990] propos de lapplication de larticle 4-2-g de la Convention de Bruxelles du 24 aot 1924 18.
Sil semble que, contrairement cette assertion, la notion franaise de force majeure soit carte par la Convention de Bruxelles et par la loi du 18 juin 1966, on peut sinterroger quant lutilit de caractriser les lments constitutifs de la force majeure pour reconnatre lexistence dun cas except. Les juges, de manire consciente ou non, ne cherchent ils pas vrifier que le cas except prsente ces caractres ? Si tel est bien le cas, comment lexpliquer ? Recherche dquit ? Force de lhabitude ?
La volont clairement exprime du Doyen Rodire, principal acteur de la rforme du droit maritime dans les annes 60, tait de calquer le rgime franais sur les textes internationaux afin dobtenir une rglementation aussi homogne que possible. Fut ainsi repris la mthode dnumration exhaustive des cas excepts dgageant le transporteur de sa responsabilit, avec toutefois une diffrence quant aux nombres de cas excepts reconnus. Sil ny a l, a priori, que diffrence de mthodes, se pose la question de savoir si les juges tranchent de
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manire identique suivant que le texte applicable soit la Convention de Bruxelles ou la loi franaise. Et, pour le cas o les solutions adoptes seraient diffrentes, den comprendre les raisons tant explicites quimplicites.
Mais, si la Convention de Bruxelles et la loi du 18 juin 1966 rgissent une grande majorit des contrats de transport maritime de marchandises, il reste des contrats chappant leur champ dapplication. Ces derniers se trouvent ds lors rgis par le droit commun et, potentiellement, par le droit commun franais la notion de force majeure trouvant ainsi sappliquer in nominem. Le particularisme de la matire influe-til sur les caractres de celle-ci ?
Echappe aussi la rglementation issue des lois de 1966 et de la Convention de Bruxelles de 1924, les questions de responsabilit dlictuelle pouvant natre lors de lexcution du contrat de transport. Bien que la force majeure sapplique tant aux responsabilits dlictuelle que contractuelle, nous carterons cet aspect de nos investigations afin de nous consacrer aux relations contractuelles au contrat de transport.
De mme ntudierons-nous pas en dtail la rglementation issue des Rgles de Hambourg eu gard au peu dimportance pratique de celles-ci (situation qui devrait se renforcer avec lentre en vigueur de la convention CNUDCI actuellement en cours de rdaction).
Ltude de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises ncessite de sentendre sur les termes du sujet. Si la notion de contrat de transport maritime de marchandise ne pose pas de problmes particuliers19, celle de force majeure est bien plus incertaine. La difficult dfinir cette notion, principalement lie aux divergences jurisprudentielles et doctrinales, impose de consacrer un premier dveloppement la force majeure en matire contractuelle (partie 1re). Lobjet autant que rfrent de notre tude ainsi dfini, nous pourrons tudier son application en matire de contrat de transport maritime de marchandises (partie 2nde)20.
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Bien quil en existe la marge ! Si cette prsentation peut paratre surprenante, elle nous semble justifie par limpossibilit dtudier une notion aussi floue que celle de force majeure sans avoir essay, au pralable, den cerner les contours.
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La notion de force majeure est proche dautres notions dont il convient de la distinguer (soussection 1re), avant dtudier les critres ncessaires sa qualification (sous-section 2nde).
Ss. 1re
Si les rapports entre force majeure et cas fortuit focalisrent tout dabord lattention de la doctrine (sous-section 1re), les interrogations actuelles portent plutt sur les rapports de la force majeure et des causes trangres (sous-section 2nde).
I-
Force majeure et cas fortuit sont elles des notions quivalentes ? La distinction opre par le droit romain (A), qui semblait obsolte aprs avoir fait dbat, pourrait retrouver une certaine actualit avec lavant-projet de rforme du droit de la responsabilit civile (B).
Le droit romain connaissait une gradation de la faute lorigine dune inexcution contractuelle allant du dol, faute la plus grave, aux cas fortuit et force majeure, notions distinctes.
Le cas fortuit (casus) tait un vnement imprvu mais non irrsistible. La prvision du fait aurait ainsi permis den viter les consquences.
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La force majeure (vis maior), au contraire, tait un vnement irrsistible mme dans lhypothse o il et t prvisible.
La force majeure exonrait toujours le dbiteur de son obligation lorsquelle portait sur un corps certain, contrairement au cas o elle portait sur une chose de genre (origine de ladage Genera non pereunt , aujourdhui encore utilis).
Le cas fortuit, sil entranait la destruction dun corps certain, exonrait galement le dbiteur de sa responsabilit. Cette rgle connaissait nanmoins des exceptions, cas dans lesquels le dbiteur prenait le risque sa charge (par convention spciale ou pour certains contrats).
Des traces de cette distinction originelle, encore en vigueur au Moyen Age, sont dcelables dans le Code civil de 1804 qui mentionnent successivement ces deux notions aux articles 1148 et 1348, et se contente de se rfrer au cas fortuit en ses articles 1722 et 1882.
Le Code Napolon est plus quambigu sur la question : en plus de mentionner successivement, et plusieurs reprises, les notions de force majeure et cas fortuit, il utilise aussi les termes vnement casuel imprvu (art 1306) et cause trangre (art 1147), tout en semblant attacher les mmes effets ces quatre notions. Cette imprcision entrana, dans le premire moiti du 20me sicle, de nombreuses controverses doctrinales21 entre les tenants de la distinction des notions de cas fortuit et de force majeure22 (position doctrinale au sein de laquelle tous ntaient pas daccord) et ceux qui considraient que ces deux vocables recouvraient une mme notion23.
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Pour un aperu plus complet de celles-ci cf. mmoire de Melle Landon La force majeure en droit maritime CDMT 87. 22 Notamment Beudant, Radouant ( Du cas fortuit et de la force majeure , thse Paris 1920), Colin, Capitant et Juliot de la Morandire. 23 Parmi lesquels Josserand, Tunc, Bonnecase, Planiol ou Ripert.
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Les premiers appuyaient leur analyse sur un double distinction : quant lorigine du dommage, le cas de force majeure tant extrieur alors que le cas fortuit tait un obstacle interne, et quant au caractre principal de ces deux faits, le cas de force majeure tant essentiellement insurmontable et le cas fortuit principalement imprvisible reprenant ainsi la distinction romaine.
La seconde cole, celle de lunit de ces notions, la aujourdhui emporte. Le vocable de force majeure a largement englob celui de cas fortuit, ce qui sexplique probablement par la prdominance du caractre dirrsistibilit au dtriment de celui dimprvisibilit24 (cf. infra).
Ainsi, messieurs Marty et Raynaud considraient en 1988 qu il est difficile dattacher ces diffrences de terminologie de vritable diffrences de rgime. On comprend donc que laccord se soit pratiquement fait dans la doctrine rcente pour renoncer tablir une distinction gnrale entre cas fortuit et force majeure qui ont un mme effet exonrateur 25.
Dix ans plus tard la pertinence de ces propos est confirme par les professeurs Mazeaud et Chabas qui estiment qu un vnement de force majeure est un vnement anonyme, imprvisible et irrsistible. On le dsigne galement sous le nom de cas fortuit. Dans le langage juridique moderne, les deux expressions sont synonymes. Les rdacteurs de larticle 1148 les ont employes concurremment comme telles, et les tribunaux recourent indiffremment lune ou lautre 26.
Lassimilation des deux notions est telle que les ouvrages les plus rcents passent sous silence cette divergence doctrinale : le professeur Bnabent se contente ainsi de prciser notion de force majeure que le code vise aussi volontiers sous lappellation de cas fortuit ; les professeurs Viney et Jourdain27 considrant quant eux que bien quelle soit synonyme de cas fortuit [] elle (lexpression force majeure) voque plus directement la force suprieure celle de lhomme.
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La chance et le droit , thse de A. Bnabent, LGDJ 1973. Marty et Raynaud, n552, p.694. 26 Mazeaud par Chabas, n573, p.663. 27 Viney et Jourdain, n392, p.264 et s.
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De mme, nombre de sommaires douvrages rcents renvoient-ils pour la notion de cas fortuit celle de force majeure , passant ainsi sous silence une controverse doctrinale apparemment caduque.
Lavant-projet de rforme du droit de la responsabilit civile, en mentionnant les deux notions ne risque-til pas de ractiver la controverse ?
Si, par dfinition, le devenir dun avant-projet de rforme nest pas certain, son origine prestigieuse devrait lui assurer, a minima, un succs destime propre influencer les avis doctrinaux et le droit positif.
Il dispose ainsi en son article 1349, le premier relatif aux causes dexonration, que :
La responsabilit nest pas engage lorsque le dommage est d une cause trangre prsentant les caractres de la force majeure. La cause trangre peut provenir dun cas fortuit, du fait de la victime ou du fait dun tiers dont le dfendeur na pas rpondre. La force majeure consiste en un vnement irrsistible que lagent ne pouvait prvoir ou dont on ne pouvait viter les effets par des mesures appropries .
Ce projet distingue donc la force majeure, quil dfinit, et le cas fortuit qui ne semble tre quun phnomne naturel ou vnement anonyme 28, prsentant potentiellement les caractres dun cas de force majeure.
Cest ainsi un retour linguistique au droit romain qui est effectu ! Linguistique seulement car, bien lire le projet de rforme, le cas fortuit nest quune des diffrentes causes trangres envisages.
Lorsque la qualification de force majeure est juridique et entrane lapplication dun rgime juridique particulier, le cas fortuit ne semble tre quun phnomne physique participant de la diversit des causes trangres -cette dernire notion entranant lapplication dun rgime juridique distinct de celui de la force majeure.
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Selon la dfinition donne par les professeurs Viney et Jourdain (participants llaboration de lavant-projet de rforme) lorsquils entendent distinguer force majeure et cas fortuit -Viney et Jourdain, n 395, p.269.
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Le fond du droit ne serait donc pas modifi et cette distinction smantique parat tout fait justifie.
Si celle-ci devait ractiver une controverse oublie, les auteurs de manuels de droit civil devraient veiller ne plus employer indistinctement un terme pour un autre. Mais, la lecture de ceux-ci amne constater quaprs avoir profess que force majeure et cas fortuit sont synonymes, une majorit dauteurs sabstient dutiliser une notion pour lautre.
Lavant-projet de rforme semble dvoiler au grand jour une distinction qui, malgr les apparences, est actuellement effectue par les auteurs louons leur sagesse et gageons que les affres dune nouvelle controverse doctrinale (source dinscurit juridique) seront vits.
Si la distinction entre cas fortuit et force majeure apparat, actuellement, implicite, celle des notions de force majeure et cause trangre est aussi claire quexplicite.
II-
La cause trangre est un vnement dont la personne laquelle la responsabilit dun dommage est impute cherche se prvaloir pour dmontrer que le fait qui lui est reproch nest pas la seule cause ni mme peut-tre la cause principale du prjudice invoqu 29. Son caractre principal est donc de briser le lien de causalit entre les actes du dfendeur et le dommage subi par une autre en dmontrant que la cause du dommage est trangre , soit extrieur, aux agissements du dfendeur, ainsi que des personnes ou biens dont il rpond.
Cette notion est donc trs large, et de ce fait gnreuse. Elle vise tous les lments ou facteurs sur lesquels le dfendeur na pas de prise tel que le cas fortuit de lavant-projet de rforme. Elle se rvle aussi plus mallable que celle de force majeure , c'est--dire plus accueillante. En effet, son caractre principal est lextriorit , lorsque la force majeure ncessite la runion de critres distincts ou complmentaires (irrsistibilit, voire imprvisibilit), qui se rvlent plus difficiles tablir.
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Notion moins prcise, la cause trangre engendre aussi des consquences plus varies, notamment en ce que lexonration engendre par la preuve dune cause trangre peut ntre que partielle (ce qui nest pas le cas de la force majeure selon une majorit de la doctrine cf infra). Comme le soulignent les professeurs Carbonnier30, Fabre-Magnan31 ou Bnabent32, chacune des notions mentionnes voquent un caractre particulier : la cause trangre : lextriorit, le cas fortuit : limprvisibilit et la force majeure : lirrsistibilit.
Chaque expression, employe pour dsigner des ralits souvent trs proches les unes des autres, met ainsi en exergue lun des caractres traditionnellement exig par la jurisprudence pour qualifier un vnement de cas de force majeure.
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Ss. 2nde
Que lon considre les vocables de force majeure , cas fortuit ou cause trangre , force est de constater que le Code civil nen donne aucune dfinition. Ceci sexplique par la volont des rdacteurs du Code civil de rdiger un Code ouvert , selon J.L. Halprin Convaincus que les dtails devaient tre luvre des jurisconsultes, les rdacteurs du Code civil ont laiss une assez large carrire linterprtation jurisprudentielle 33; ide que lon retrouve dans le discours de prsentation du Code civil prononc par Portalis.34
La dfinition des critres de qualification dun vnement en cas de force majeure a ainsi t luvre de la jurisprudence, influence par la doctrine. De manire traditionnelle trois critres furent ainsi dgags. Si leur runion semble devoir entraner une qualification incontestable de lvnement en cas de force majeure, la runion de deux de ceux-ci, ou mme parfois la prsence de lunique critre dirrsistibilit35, peut savrer suffisante pour engendrer une qualification aux consquences importantes.
La dtermination des critres ncessaires la qualification de force majeure nest donc pas vidente, mais la complexit rside aussi, si ce nest surtout, dans lapprhension de chacun dentre eux. En effet, suivant que lon opte pour une apprciation in abstracto ou in concreto la dfinition du critre se trouve bouleverse.
De plus, si chaque critre doit en principe faire lobjet dune qualification autonome, ils ne sont pas totalement indpendants. Ainsi, un vnement imprvisible sera plus difficilement rsistible quun vnement annonc.
Nous tudierons donc chacun de ces trois critres en nous attachant la manire dont ils sont apprcis, en commenant par lirrsistibilit (I) qui dans locan de controverses que suscite la qualification de force majeure [] semble tre un lot de certitudes 36, avant de nous intresser aux critres dimprvisibilit (II) et dextriorit (III).
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Le Code civil , JL Halprin, 2me dition, Dalloz, Connaissance du droit, 2003. Cf. introduction. . 35 En ce sens : Cass. Civ. 1re 9 mars 1994, Com 1er octobre 1997, 16 mars 1999, Civ. 1re 6 novembre 2002. 36 Antonmatti, n77, p.58.
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I-
Plus que dans la dfinition (A), la difficult rside, pour le caractre irrsistible, dans son apprciation (B).
A / Dfinition de lirrsistibilit
Est irrsistible lvnement contre lequel le dbiteur ne peut rien faire lorsquil se produit, celui quil ne peut combattre et qui rend impossible lexcution de lobligation contractuelle37. Cette dfinition abstraite ne prend tout son sens qu travers lapprciation de la capacit du dbiteur rsister un vnement.
Celle-ci parat rsulter de la conjonction de deux facteurs : les caractristiques de lvnement en tant que tel, la capacit de rsistance du dbiteur.
La jurisprudence franaise a toujours opt pour une apprciation relativiste de la force majeure, c'est--dire prenant en compte les circonstances de temps, de lieu, conomiques par opposition une apprciation absolue qui considre que certains faits sont par eux mmes des cas de force majeure38. Si cette dernire solution prsente les avantages de simplicit et scurit juridiques, lapprciation relative des caractristiques de lvnement pourrait sembler relativement aise ds lors quelle dpend de faits objectifs le plus souvent quantifiables, par exemple des vents dune force dtermine, une dcision dune autorit imposant une quarantaine, un glissement de terrain dune surface donne
Sil est effectivement des cas dans lesquels les faits sont ainsi tablis, la ralit nest pas toujours aussi univoque. Peut ainsi se poser la question de savoir quel moment prcis une tempte est devenue irrsistible. Puisque, si le navire a sombr avant cet instant, nest pas en cause un vnement de force majeure.
Lapprciation de la capacit de rsistance du dbiteur est, quant elle, systmatiquement dlicate et dpend largement du rfrent servant la mesurer.
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Daprs Jourdain, Les principes de la responsabilit civile , 5me dition, Dalloz, 2000. Viney et Jourdain, n398, p.274.
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En matire contractuelle lirrsistibilit nest plus caractrise par limpossibilit absolue dexcuter, contrairement ce que considraient les professeurs Mazeaud et Chabas39. Cette impossibilit doit cependant tre dfinitive pour jouer pleinement : si elle nest que temporaire40 elle nentranera que la suspension de lexcution du contrat41. Cette solution, que le bon sens autant que lquit approuvent, interroge tout de mme quant au caractre irrsistible . Admettre une irrsistibilit temporaire est, a minima, trs souple.
Il semble, en ralit, quil nexiste pas dirrsistibilit temporaire puisque lcoulement du temps rend rsistible lvnement. La modulation de leffet attach cette force majeure temporaire (formule quasiment antinomique), rend toutefois cette solution particulirement adapte42.
Ne se pose au final quune question : nayant pas rellement les caractres dun cas de force majeure (il nest mme pas rellement irrsistible) et nen produisant pas les effets traditionnels [il y a suspension du contrat43 et non rsolution (ou caducit cf. infra)] peut-on parler de cas de force majeure, mme temporaire ?
Nous ne sommes pas persuads quune rigueur, toute juridique, sa satisfasse de cette notion. Pourtant, force est de constater quelle nest pas conteste. Elle prsente, en outre, le mrite dtre applique dans la plupart des Etats europens ainsi que dans la Convention de Vienne de 1980 44. Nous ne pousserons donc pas plus loin la critique dune notion accepte par tous et dont les effets paraissent satisfaisants.
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Mazeaud par Chabas, n576, p.665. Il est toutefois notable que dans bien des situations, la dtermination de la dure de limpossibilit est malaise : dun ct, lobstacle que lon croyait dfinitif disparat (linterdiction est leve contre toutes attentes) ; de lautre lobstacle provisoire se prolonge (la maladie du cocontractant saggrave) ou sternise (le malade dcde. Yves-Marie Laithier, dans sa thse Etude comparative des sanctions de linexcution du contrat , prface de Horatia Muir Watt, LGDJ, 2004, n241 et suivants, p.326 et suivantes. 41 Civ. 15 fvrier 1888, Req. 12 dcembre 1922, Cass. Civ.1re 24 fvrier 1981, Cass. Com. 27 mars 1990, Cass. Civ. 3me 22 fvrier 2006. 42 Cf. sur ce point La suspension du contrat a excution successive , J-F Artz, Dalloz 1979, chronique XV qui crit notamment que tant que subsiste une chance de survie du contrat, sa suspension apparat prfrable sa disparition pure et simple . 43 Sur les interrogations relatives au fondement juridique de cet effet, cf. larticle de J-F Artz prcit. 44 Christophe Rad in Les concepts contractuels franais lheure des principes du droit europen des contrats , sous la direction de Pauline Rmy-Corlay et Dominique Fenouillet, Dalloz, 2003.
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De mme le caractre irrsistible signifie que tout moyen permettant datteindre un mme rsultat doit tre mis en uvre : il nexiste pas de force majeure financire 45, ni de force majeure concernant la disparition des choses de genre qui, en vertu de ladage latin genera non pereunt , ne prissent pas46.
Le rejet de la force majeure financire , fond sur le principe de la force obligatoire du contrat (art 1134 alina 1er), fait lconomie de la notion de bonne foi (art 1134 alina 3) qui voudrait quun bouleversement de lconomie du contrat entrane une discussion quant ses conditions dexcution. Si elle apparat cohrente avec le rejet de la thorie de limprvision47, elle semble faire primer un principe juridique sur un autre, tout aussi lgitime, et sur le principe de ralit48. Quitte faire primer un principe sur un autre, ce qui apparat invitable face une telle confrontation, nous prfrerions que celui de bonne foi lemporte, au profit du ralisme conomique, en veillant ainsi faire respecter limpratif reprsent par le concept de lquilibre contractuel49.
Nous souscrivons ainsi entirement aux propos du professeur Pascal Ancel lorsquil crit Christophe Jamin a montr en dautres lieux, propos du problme de limprvision, que, dans larticle 1134, lalina 1 ne pouvait tre lu indpendamment de lalina 3, il ne peut pas ltre non plus sans le complment de larticle 1135. La bonne foi du premier, lquit vise par le second peuvent alors tre comprises comme des lments permettant de dterminer le contenu exact de la norme contractuelle ; ces notions ouvrent au juge le pouvoir, sans aucunement violer le principe de la force obligatoire de cette norme, de scarter dune application stricte, mcanique, de ce qui a t voulu par les parties 50.
Nous ferons dailleurs remarquer quil est, en pratique, abscons dobliger un contractant excuter un contrat qui le ruine : cette solution rigoriste naura aucun avenir puisquil va mener la faillite de lune des parties, c'est--dire la fin du contrat. Cela nest bnfique ni au crancier, ni au dbiteur, ni la socit. Si la parole donne engage, il faut se conduire en
45
Selon lexpression des professeurs Malaurie et Ayns ; Cass. Civ. 4 aot 1915, Civ. 5 dcembre 1927, Com 12 novembre 1969, Com. 4 janvier 1980, Soc. 20 fvrier 1996, Civ.1re 16 novembre 2004. 46 Cf. notamment Cass. Com. 4 janvier 1980, Soc. 19 dcembre 1990, CA Paris 19 avril 1991. 47 Cass. Civ. 6 mars 1876, affaire du Canal de Craponne , puis Civ. 2 dcembre 1947 ou Soc. 12 mai 1965. 48 Le doyen Carbonnier souligne que cette solution est marqu(e) par un libralisme conomique qui ne sinterdisait pas de paratre impitoyable -Carbonnier, n 166, p.313. 49 Cf. Lquilibre contractuel , thse de L. Fin-Langer, LGDJ 2002. 50 La force obligatoire, jusquo faut il la dfendre , article de P. Ancel in La nouvelle crise du contrat, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Dalloz, 2003, p.163 et s.
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adultes responsables : le bouleversement des conditions dexcution dun contrat doit connatre des effets juridiques adapts permettant sa continuation des conditions acceptables par chacun des cocontractants.
Disant cela nous ne voulons aucunement remettre en cause la force obligatoire du contrat qui interdit, avec la bonne foi, que le contrat soit rengoci pour tout vnement imprvu. Si lexcution dun contrat savre plus onreuse que prvue pour le dbiteur en raison dun vnement imprvisible et irrsistible, il doit, sauf engager sa responsabilit contractuelle, excuter son obligation. La jurisprudence tranche en ce sens.51
Un mme vnement menant la ruine lun des cocontractants doit, notre sens, tre qualifi de force majeure : il chappe aux capacits humaines de rsistance.
Enfin, le fait que lexcution du contrat soit devenue sans intrt pour lune des parties nest pas non plus un cas de force majeure puisque lexcution reste possible (ex : com 23 janvier 1968). Cette solution est bonne : si lquit ne doit mener la ruine, elle ne doit pas non plus rendre le contrat trop fragile.
Le professeur Tunc soulignait que la force majeure nest pas la vis maxima, mais bien la vis maior, concept moins exigeant52. Cette ide est reprise par les professeurs Malaurie, Ayns et Stoffel-Munck qui considrent quil nest pas attendu du dbiteur dtre un surhomme, ce que le doyen Carbonnier exprime en ces termes : philosophiquement, cest la conception relative qui a raison : labsolu nest pas de ce monde 53.
Le dbiteur ne doit donc rsister que dans la mesure du possible, tout au moins depuis que la Cour de cassation a humanis les standards en adjoignant ladverbe normalement
51
Ex : le transporteur maritime qui sest engage emmener des plerins en Terre sainte ne peut invoquer la grve des marins ds lors quil pouvait recourir un transport arien pour excuter son obligation ( des conditions plus onreuses) Cass. Civ. 1re 8 dcembre 1998. Mais aussi Civ. 4 aot 1915, 17 novembre 1925, Com. 18 janvier 1950, Soc. 8 mars 1972. 52 Force majeure et absence de faute contractuelle , RT, 1945. 53 Carbonnier, n165, p.312. Le Doyen maritime partageait dailleurs cette vision : il prconisait dentendre imprvisibilit et insurmontabilit de faon humaine et non absolue Trait, t. II, n630, p.271.
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aux mots dimprvisibilit et dirrsistibilit 54. Est alors pose la question de savoir si lon doit apprcier le possible en fonction de lhomme raisonnable, du fameux bon pre de famille -ici mu en dbiteur normalement diligent - c'est--dire in abstracto ou en prenant en compte les caractristiques propres au dbiteur, c'est--dire in concreto.
Il est gnralement considr que lapprciation in abstracto rend les dcisions plus prvisibles, au bnfice de la scurit juridique, ds lors quelle doit (en principe) donner une mme solution pour deux situations identiques quelque soit le dbiteur.
Mais, cet gard une remarque doit tre faite : le crancier contracte avec un dbiteur donn, jamais avec le dbiteur moyen ! Il prend donc en considration les caractristiques de celui-ci qui peuvent tre moins bonnes ou meilleures que celles du cocontractant normalement diligent. En gnral le prix de la prestation sen trouve affect. Celui-ci, qui constitue la contrepartie la plus frquente dans le cadre dun contrat synallagmatique, correspond tout la fois au contenu de lobligation et la personnalit du dbiteur.
Or, de ces deux notions dcoule la diligence due et attendue. Si les dbiteurs offrent leur service pour un prix diffrent cest, souvent, que la qualit de ceux-ci nest pas en tout point gale (tous les professionnels ne sont pas aussi comptents). De mme, est-il frquent quun dbiteur propose un service similaire pour un prix plus ou moins lev en fonction de la qualit du service rendu, c'est--dire de la diligence que le crancier est en droit dexiger.
Finalement, ce qui singularise la situation contractuelle rside dans la libert de choix de son cocontractant. Lapprciation de la rsistibilit des vnements doit ncessairement sen trouver affecte. Ainsi, laffrteur de lErika ne devait-il pas sattendre, payant un fret deux fois infrieur celui du march, se voir offert un navire en trs bon tat et rellement apte affronter les prils de la mer . Certes, le navire tait class et la navigabilit est une condition essentielle dans le cadre dun affrtement. Pour autant, un certain ralisme incite considrer que, le plus souvent, on en a pour son argent . En payant peu, un crancier ne peut sattendre beaucoup en retour, lconomie est sur ce point implacable.
54
Le fait du crancier contractuel , thse de Christophe Andr, LGDJ, 2002, n481, p.145 mentionnant lappui de cette assertion plusieurs arrts : Cass. Civ.2me 25 janvier 1956, 29 juin 1966, 6 juillet 1977 & 21 janvier 1981.
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Surtout, en cas dvnement imprvu (sans mme parler ici de cas de force majeure) tel quun retard ou la ncessit de raliser une escale imprvue, les obligations du transporteur lgard du passager seront diffrentes. Certes la loi impose un certain standard de prise en charge des passagers dans de telles situations. Dpendra cependant du prix acquitt la qualit des prestations offertes : il est peu probable que le passager low cost ait accs au mme salon priv que le passager de la classe affaire. Il est aussi vraisemblable que le confort de lhtel ou la qualit du restaurant proposs par la compagnie arienne seraient quelque peu diffrents.
Le crancier, suivant la personne avec laquelle il a contract et suivant la contrepartie verse (le plus souvent un prix) va donc pouvoir sattendre une capacit de rsistance plus ou moins grande de son dbiteur. On retrouve ici la notion de degr de diligence que le professeur Stoffel-Munck mentionne propos de limprvisibilit en matire contractuelle (cf. infra).
Sauf considrer le cas du dbiteur moyen correspondant en tout point au rfrent, la solution engendre par une conception abstraite sera injustifie :
Si le crancier choisit un dbiteur dont il est en droit dattendre un niveau dexcellence (au regard de sa rputation, du prix factur ou des dires de celui-ci) il risque de se trouver ls55 par un niveau dexigence moyen des juges lgard du dbiteur.
Au contraire, en choisissant un dbiteur offrant ses services moindre cot le crancier privilgie le prix la qualit. Partant, il nest en droit dattendre de son dbiteur quune rsistance infrieure celle du dbiteur moyen. Ce dernier risque donc de se trouver ls par une apprciation abstraite du caractre rsistible.
Pour autant, la jurisprudence semble privilgier une apprciation in abstracto de lirrsistibilit et recherche si un individu moyen plac dans les mmes circonstances aurait pu normalement y rsister56. Cette conception, parfaitement justifie en matire dlictuelle, est nos yeux injustifie en matire contractuelle de part le choix dun cocontractant et de toutes ses caractristiques.
55 56
Dans le sens commun de ce terme et non dans son acception juridique. Cependant plus rarement, les tribunaux sont plus indulgents et font tat de considrations personnelles au dbiteur afin de juger lvnement in Malaurie, Ayns, Stoffel-Munck.
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A nos yeux, limportance de la prvision en matire contractuelle (spcificit que lon retrouve notamment en matire de rparation des prjudices subis art 1150 du Code civil : Le dbiteur nest tenu que des dommages et intrts qui ont t prvus ou quon a pu prvoir lors du contrat [] ) justifierait une apprciation in concreto.
Le caractre irrsistible est la condition sine qua non de la qualification de force majeure : malgr les controverses jurisprudentielles aucun arrt na, ce jour et notre connaissance, fait lconomie de ce critre pour qualifier un cas de force majeure57 contrairement celui dimprvisibilit.
II-
Sauf dire quest imprvisible ce qui ne peut tre prvu, la dfinition de cette notion ncessite de sintresser la manire dont elle est apprcie (A). La doctrine nen reste pas moins hostile ce critre (B).
A/ Apprciation de limprvisibilit
Une apprciation adquate de cette notion semble dlicate tant lexcs est ais : il est tentant de considrer que tout vnement, ds lors quil nest pas nouveau, tait prvisible58 ou, a contrario, quil est impossible de tout prvoir. Le danger rside dailleurs tout autant dans une apprciation trop abstraite de la notion de prvisibilit, tendance laquelle la jurisprudence succomba selon Radouant qui crit, en 1920, en ralit ce nest pas la prvisibilit que lon envisage, mais la probabilit 59.
La jurisprudence a opt, depuis, pour une apprciation in abstracto raisonne consistant estimer quun vnement est imprvisible ds lors quil ny avait aucune raison
Cf. arrts de la Cour de cassation supra, note 15. Ainsi la Cour de cassation refusait elle, dans un premier temps de reconnatre la grve comme un cas de force majeure en considrant quune grve est toujours prvisible dans une entreprise -Civ. 1re 7 mars 1966. Fut aussi avance lide selon laquelle la souscription dune assurance pour un type de dommages dmontrait son caractre prvisible conception aujourdhui abandonne. 59 In Du cas fortuit et de la force majeure , thse, Paris, 1920.
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particulire pour un homme raisonnablement avis de penser quil se produirait 60. Ce nest donc pas une prvisibilit abstraite et gnrale, pour chaque type dvnements, mais bien par rapport lhomme normalement attentif et prvoyant plac dans les mmes circonstances 61.
Au crdit de larrt dAssemble Plnire du 14 avril 2006 doit tre port la confirmation dune jurisprudence constante : en matire contractuelle limprvisibilit sapprcie lors de la conclusion du contrat62. Ce rappel est particulirement bienvenu car, comme le souligne une doctrine importante63, si un vnement tait prvisible lors de la conclusion du contrat il est entr dans la sphre contractuelle et les contractants devaient en tenir compte lors de la dfinition des obligations de chacun.
Les effets sur le contrat de la survenue de cet vnement imprvisible lors de sa conclusion dpendent du degr de diligence 64 attendu du dbiteur. Celui-ci sera normal faute de stipulation prcise, accru si lobligation est de rsultat, et pourra tre modul par les clauses contractuelles.
Cette notion de degr de diligence attendu est particulirement importante, elle sattache au caractre imprvisible et non pas imprvu de lvnement. La comparaison de ces deux termes souligne le caractre intrinsquement abstrait de la notion :
Si le terme employ avait t imprvu eut t en cause la force obligatoire du contrat et le rejet de la thorie de limprvision aurait trouv sappliquer. Il eut alors fallu sintresser aux prvisions concrtes des parties.
Par contre lemploi du terme imprvisible sattache clairement a ce qui aurait d tre prvu, et non ce qui a t rellement envisag.
60 61
Civ. 21 janvier 1918, Civ. 1re 7 mars 1966. Les principes de la responsabilit civile, 5me dition, Patrice Jourdain, Dalloz, 2000, p.86. 62 Cass. Civ.1re 7 mars 1966, Com 21 novembre 1967, Chambre mixte 4 fvrier 1983, 3me espce, Civ.1re 18 mai 1989, Com 3 octobre 1989, Civ.1re 4 fvrier 1997. 63 Les professeurs Stoffel-Munck, Jourdain, Carbonnier, Terr, Simler, Lequette, Larroumet et Sriaux notamment. 64 Selon lexpression du professeur Stoffel-Munck, note JCP dition gnrale, 2006, I, 1646.
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Lvaluation de lampleur de ce qui devait tre prvu par le dbiteur correspond, en ralit, au degr de diligence attendu du dbiteur. Les professeurs Viney et Jourdain crivent ainsi que limprvisibilit nest autre, finalement, que labsence de faute dans la prvision de la cause trangre : lvnement imprvisible est celui que lagent nest pas en faute de ne pas avoir prvu 65.
Lapprciation de la prvisibilit lors de la conclusion du contrat correspond donc la force obligatoire du contrat, aux suites normales du contrat66 et au principe de bonne foi : comment se prvaloir de la survenance dun lment dont on devait avoir conscience lors de la conclusion du contrat ? Cela reviendrait se prvaloir de sa faute pour sexonrer de sa responsabilit ! Limprvisibilit nest donc qu un critre dattribution des risques 67.
De ce que la prvisibilit dun vnement est apprcie lors de la conclusion du contrat il ne faudrait toutefois pas tirer de conclusions excessives : si un vnement devient prvisible entre la conclusion et lexcution de son obligation par le dbiteur, celui-ci ne devrait pouvoir sabriter derrire limprvisibilit lors de la conclusion du contrat. Le risque li une conception trop manichenne de ce principe est dautant plus grand que le contrat produit ses effets sur une priode longue.
L encore, le principe de bonne foi doit prendre le relais et venir temprer une apprciation qui risquerait dtre trop rigoriste pour rgir une ralit nuance : la prvisibilit dun vnement lors de la conclusion du contrat le fait entrer dans la sphre contractuelle (art 1134 al 1er du Code civil). Si un vnement devient prvisible en cours dexcution le dbiteur doit prendre toutes les mesures pour en prvenir la survenance et les consquences fcheuses, la bonne foi et les suites normales du contrat limposent (art 1134 al3 et 1135 du Code civil).
Lapprciation de limprvisibilit en matire contractuelle, pour laquelle nous tenons, na plus grand-chose voir avec la notion dimpossibilit dexcution le critre dimprvisibilit est-il bien adapt la caractrisation de la force majeure en matire contractuelle ? Avec dautres, plus nombreux et surtout plus savants, nous en doutons.
65 66
Viney et Jourdain, n399, p.279. C'est--dire toutes les suites que lquit, lusage ou la loi donnent lobligation daprs sa nature pour reprendre les termes exacts de larticle 1135 du Code civil. 67 Antonmattei, n74, p.56.
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B/ Un critre controvers
Limprvisibilit est la condition la plus controverse tant au plan doctrinal que jurisprudentiel. Ce critre a successivement t abandonn par la 1re chambre civile68, suivie da la chambre commerciale69, de la chambre sociale70 et enfin de la chambre criminelle71. Au final, et avant larrt dAssemble Plnire du 14 avril 2006, seule la 2me chambre civile72 continuait se rfrer cette notion pour caractriser un vnement de force majeure .
A cet gard, les arrts dAssemble plnire du 14 avril 2006 ont t considrs par la doctrine comme particulirement obscurs : sils constatent la prsence des critres dimprvisibilit et dirrsistibilit ils nimposeraient pas pour autant la runion de ces deux critres. Il ne fait donc pas de doute quun vnement imprvisible et irrsistible soit un cas de force majeure mais pour un vnement irrsistible et prvisible, quen est -il ?
Dans un communiqu rdig par la Cour de cassation au sujet de cet arrt, celle-ci prcise que la condition de prvisibilit est toujours exige. Sil on peut sinterroger sur la porte de ce communiqu73, il doit toutefois tre remarqu que les diffrents commentateurs furent quelque peu partiaux dans leur exgse de ces arrts.
Certes, les deux arrts de la Cour de cassation semblent caractriser un cas de force majeure en prsence dun vnement imprvisible et irrsistible sans prciser que la runion de ces deux critres est consubstantielle la notion de force majeure. Pour autant, le fait que ces deux arrts soient rendus le mme jour par la formation la plus solennelle de la plus haute juridiction de lordre judiciaire, et que celle-ci vienne ensuite rdiger un communiqu explicite, laisse penser que ces deux arrts navaient pas pour vocation unique de confirmer une solution jurisprudentielle acquise.
68 69
Cass. Civ.1re : 9 mars 1994, 17 novembre 1999, 6 novembre 2002. Cass. Com. 1er octobre 1997, 16 mars 1999, 29 mai 2001, 26 juin 2001. 70 Cass. Soc. 12 fvrier 2003. 71 Cass. Crim. 15 novembre 2005. 72 Cass. Civ.2me 13 juillet 2000, 11 janvier 2001, 12 dcembre 2002, 23 janvier 2003 (2 arrts). 73 Sources du droit en droit interne , Pascale Deumier et Rafael Encinas de Munagorri, RTD civ. juillet/septembre 2006, p.510 et suivantes.
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Bien que leur formulation soit maladroite, il semble que la volont de la Cour de cassation de trancher une controverse doctrinale est suffisamment claire pour ne pas prtendre que les dcisions ne posent pas une solution certaine tout au moins formellement, comme le soulignent les professeurs Jacques et Brun.74
Sil faut sans doute critiquer ces dcisions, il parat difficile de sabriter derrire leur formulation approximative pour en contester la porte : la confirmation de lexigence du critre dimprvisibilit comme participant de la notion de force majeure. Reste savoir, notamment en raison de lopposition dune grande majorit de la doctrine, quel sort sera rserv cette solution de principe. Nombreux sont les auteurs considrant que limprvisibilit nest quun indice 75 du caractre irrsistible, quelle ne prend son sens quen ce quelle facilite ou rend plus difficile la rsistance lvnement.
Nous partageons cet avis, en effet lapprciation du caractre irrsistible devrait, a minima, tre module en fonction de la possibilit de lanticiper :
Si lvnement tait prvisible, c'est--dire que dans le contrat considr le dbiteur (avec ses comptences propres et suivant la diligence laquelle il sest oblig) devait le prvoir, lapprciation devra alors tre plus stricte. En effet la bonne foi contractuelle, autant que son engagement initial, lui impose de prendre les dispositions pour parer cet vnement.
Sil ntait pas prvisible, c'est--dire que dans le contrat considr le dbiteur (avec ses comptences propres et suivant la diligence laquelle il sest oblig) navait pas le prvoir, le juge devra tre plus indulgent. Leffet de surprise venant alors rduire la capacit de rsistance que le crancier pouvait attendre du dbiteur ( qui il nest pas demand dtre un surhomme).
74 75
Ph. Brun et Ph. Jacques Responsabilit, panorama 2006 , revue Lamy, supplment au n35, fvrier 2007. Terme utilis par le professeur Antonmattei dans sa thse, auquel se sont rallis les professeurs Viney, Jourdain, Brun ou Moury (dans son article Force majeure : loge de la sobrit , RTD 2004, p.477).
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Mais, vrai dire, une solution encore plus convaincante, propose par le professeur Antonmattei dans sa thse et aujourdhui soutenue par nombre dauteurs, consisterait remplacer le critre de lirrsistibilit par celui de linvitabilit76 pour obtenir une nouvelle trilogie : irrsistibilit, invitabilit et impossibilit dexcution.
Est invitable un vnement qui, mme prvu, naurait pu tre empch ni ses consquences ludes (par exemple : glissement de terrain, fait du prince, tsunami, ouragans saisonniers ou autre vnement naturel dune violence exceptionnelle). Dans ce cas le fait que toutes les prcautions possibles77 aient t prises par le dbiteur pour viter lvnement de force majeure et ses consquences ou, tout le moins et faute de mieux, en rduire les effets dommageables, caractriserait le critre dirrsistibilit.
Il est un fait, encore dmontr en ce mois daot 2007 par le tremblement de terre survenu au Prou ou par louragan Dean, quun vnement prvu peut tre totalement irrsistible. Le caractre invitable de lvnement rend sa prvision largement inutile.
Cette substitution de critre serait avant tout smantique car, comme le dmontre le professeur Antonmattei, ce critre semble dj tre appliqu de manire implicite78 ou explicite, par exemple travers la formule lirrsistibilit de lvnement est elle seule constitutive de la force majeure lorsque sa prvision ne saurait permettre den empcher les effets, sous rserve que le dbiteur ait pris toutes les mesures requises pour viter la ralisation de lvnement 79.
Au final, le caractre imprvisible reste donc contest. Si lAssemble Plnire a tent de lui redonner ses lettres de noblesse, il est fort probable que, influencs par les critiques de la doctrine, les juges du fond et certaines chambres de la Cour de cassation continuent sabstenir dexiger ce critre pour caractriser la force majeure.
76
Critre connu du droit espagnol (art 1105 du Code civil) et de la CMR (art 17 2), et auquel se rfre lavantprojet de rforme de la responsabilit (art 1349 du Code civil envisag) cf. supra. La jurisprudence le caractrise dailleurs parfois Cf. infra, note 59. 77 Devant, notre sens, tre l aussi apprcies in concreto c'est--dire en fonction des comptences du dbiteur et de la diligence laquelle il sest oblig. 78 A bien y regarder il semble ainsi que lexonration de responsabilit pour maladie ralise par larrt dAssemble Plnire du 14 avril 2006, corresponde plus une invitabilit de la maladie qu un caractre rellement imprvisible de celle-ci. 79 Cass. Com. 1er octobre 1997 et, avec des motifs semblables : Civ. 1re 7 mars 1966, Civ. 1re 9 mars 1994, Com. 30 juin 2004.
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Plus quun critre autonome limprvisibilit devrait tre considr comme modulant la notion dirrsistibilit. Le professeur Fabre-Magnan80 considre mme que pour la doctrine et la jurisprudence les critres dimprvisibilit et dirrsistibilit tendent ne plus faire quun, le second critre tant celui de lextriorit.
III-
Lextriorit
Le critre dextriorit est probablement celui qui suscite le plus grand nombre dinterrogations, celui quil convient disoler car il est, dune certaine faon et plus que dautres, symbolique de toute lvolution suivie par les mcanismes de responsabilit civile 81 ! Si une doctrine majoritaire considre quil nest pas consubstantiel la notion de force majeure (B), sa dfinition (A) semble en elle-mme problmatique.
A/ Dfinition
Si les auteurs saccordent pour qualifier dextrieur au dbiteur ce qui est tranger sa personne ou aux biens et/ ou personnes dont il doit rpondre, se pose la question de savoir si lextriorit doit tre entendue au sens physique ou moral. Les professeurs Malaurie, Ayns et Stoffel-Munck considrent, en outre, que cette notion flottante doit tre apprcie non en fonction de critres exclusivement juridiques, mais des relations effectives entre le dbiteur et la cause du dommage 82. A ces divergences doctrinales correspond une jurisprudence qui nest pas rellement homogne sur ce point83.
La notion dextriorit ne visait, dans un premier temps, que la responsabilit du fait des choses en matire dlictuelle afin que le gardien nchappe pas la construction que la jurisprudence levait son encontre 84. Elle exprimait ainsi lide que la dfaillance dun
80 81
Fabre-Magnan, n 270, p.736. Isabelle Guyot, Le caractre extrieur de la force majeure , RRJ 2002-1, p.216. 82 Malaurie, Ayns, Stoffel-Munck, n956, p.502. 83 Cf. par exemple les arrts relatifs la grve infra, note 66. 84 Ph. Brun et Jacques Responsabilit, panorama 2006 , revue Lamy, supplment au n35, fvrier 2007.
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objet ncessaire la ralisation de son obligation ne pouvait tre invoque par le dbiteur. C'est--dire quun vnement ne peut tre libratoire qu condition de se produire en dehors de la sphre dont le dbiteur doit rpondre (cf. supra les dveloppements relatifs limprvisibilit).
Ce nest donc, dans cette conception, que lexpression dune garantie et la traduction, en ngatif, et au regard des caractres de la force majeure, de lexistence positive des diverses responsabilits (dlictuelle ou contractuelle) du fait dautrui et du fait des choses pour reprendre les propos du conseiller rapporteur Petit lors des arrts dAssemble Plnire du 14 avril 2006.
Cette rgle parat de bon sens, ainsi un transporteur routier ne peut invoquer la dfaillance de la motorisation de son tracteur pour dgager sa responsabilit (seul le transporteur maritime le peut, mais sous conditions comme nous le verrons). L encore, la dtermination des limites de lobligation contractuelle du crancier parat primordiale : est extrieur, en tant que critre de la force majeure, ce qui nest pas inclus dans celles-ci.
Les professeurs Viney et Jourdain crivent, ainsi, propos de la notion de cause trangre qu elle signifie tout simplement que le dfendeur ne peut invoquer, pour chapper sa responsabilit ni un fait quil aurait lui mme provoqu ou lorigine duquel il serait, ni un fait dont une rgle juridique quelconque lui impose prcisment de garantir les consquences dommageables pour les tiers 85.
Ils saccordent ainsi avec les professeurs Jacques et Yvonne Flour, Aubert et Savaux qui considrent avec sagesse que si la ncessit de ce caractre est conteste elle simpose cependant, en ce sens quil parat inconcevable que le dbiteur puisse revendiquer lexonration de sa responsabilit en considration dun vnement qui lui serait personnellement imputable 86.
85 86
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En ralit, lide que lvnement doit tre extrieur au dbiteur parat redondante soit par rapport son caractre irrsistible soit par rapport la notion de bonne foi :
Soit le dbiteur a la capacit dempcher la survenance de lvnement, auquel cas celui nest de toute vidence pas irrsistible. Et, en plus de ne pouvoir invoquer la force majeure, le dbiteur serait de mauvaise foi dans le cadre de lexcution du contrat.
Soit le dbiteur ne dispose pas du pouvoir dinfluer sur la survenance de lvnement et ce dernier ne pourra tre rellement considr comme non extrieur : seul lapparence des choses le rend intrieur 87. Le fait que lvnement soit ou non extrieur ninfluera donc pas sur la problmatique principale de la force majeure : cet vnement entrane-til une impossibilit dexcuter dont le dbiteur nest pas comptable? Si ce fait est inclus dans la sphre dont le dbiteur doit rpondre 88 il devra en supporter les consquences. Par contre, si ce fait nest pas inclus dans cette sphre, on retrouve le critre principal : celui du caractre irrsistible de lvnement, le critre dextriorit (de mme que celui dimprvisibilit) venant uniquement faciliter la preuve de ce critre essentiel. Selon le professeur Brun, si lextriorit est considre dans sa dimension psychologique elle se rattache en fait au caractre vitable de lvnement89. Pour prendre lexemple de la maladie : certes lvnement nest pas extrieur, pour autant il chappe au pouvoir du dbiteur. Il y a l, notre sens, un vnement dpassant les forces de lhomme ; il serait inique de considrer comme une faute contractuelle la maladie du dbiteur90 (sauf bien sr ce que celui-ci sexpose en petite tenue aux 4 vents dans lespoir de ne pas excuter ses obligations cas peu frquent !).
87 88
Nous adoptons, ici, lapprciation psychologique. Carbonnier, n162, p.308. 89 Recueil Dalloz 2006, n28, p.1934, Panorama . 90 Voir cependant la note de David Noguero qui considre que la maladie ne devrait pas tre considre comme un cas de force majeure Recueil Dalloz, 2006, n23, p.1566 et suivantes.
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Au demeurant, il est le plus souvent enseign que lextriorit nest pas requise en matire contractuelle, solution que lon retrouve travers lacceptation jurisprudentielle, dans certains cas, de la grve91, de la maladie92 ou du chmage93 comme cas de force majeure pour le dbiteur.
La jurisprudence, elle-mme, manifeste en effet depuis longtemps une rigueur teinte dincertitudes lgard du caractre extrieur, principalement en matire contractuelle 94. Ainsi on peut dire quen matire contractuelle, la jurisprudence dominante fond la condition dextriorit dans celle dirrsistibilit 95.
Si la dfinition de lextriorit se conoit aisment, la pratique semble indiquer que cette notion nest que redondance. Do la svre critique dune doctrine majoritaire son endroit.
Si ce nest le professeur Fabre-Magnan, qui considre lextriorit comme une condition autonome de la qualification de la force majeure96 ou le professeur Tunc pour qui lextriorit de la cause du dommage par rapport la chose constitue le seul vrai critre de la force majeure, les prtendus caractres dimprvisibilit et dirrsistibilit nayant aucune valeur propre 97, peu dauteurs font grand cas de ce critre.
Le professeur Larroumet crit ainsi En ralit, si lextriorit ne rvle pas elle seule limpossibilit dexcuter, elle est souvent un lment de cette impossibilit , avant de considrer que cette condition ne simpose pas ncessairement dans les situations marginales 98 telles que la maladie ou le chmage.
91
Cass. Soc. 12 mars 1959, chambre mixte 4 dcembre 1981 Paquebot France , CA Paris 11 juillet 1991 et 29 janvier 1997. 92 Cass. Soc. 18 janvier 1967, Civ. 1re. 10 fvrier 1998, AP 14 avril 2006. 93 Cass. Civ.3me 14 mai 1969, 19 avril 1972, 10 avril 1975, Soc. 12 octobre 1983. 94 Isabelle Guyot, Le caractre extrieur de la force majeure , RRJ 2002-1, p.215. 95 Bnabent, n335, p.254. 96 Fabre-Magnan, n270, p.738. 97 Mais ce propos de la responsabilit dlictuelle in Force majeure et responsabilit dlictuelle , RTD civ. 1946, p.199. 98 Larroumet, n725, p.785.
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Le professeur Le Tourneau, tout comme le professeur Antonmatti99, considre que le critre de lextriorit nest pas inhrent la notion de force majeure. Ce dernier considre ainsi que la recherche de lextriorit se confond avec celle du caractre invitable (Cf. paragraphe prcdent, nos explications relatives la dfinition de lextriorit).
Le professeur Jourdain, quant lui, considre quil nest pas possible dattribuer lextriorit une porte gnrale, sauf la rduire lextriorit par rapport la volont de lagent, c'est-dire que lvnement ne doit pas tre imputable au dfendeur ou une personne dont les intrts sont troitement lis. Dire cela revient se rfrer au caractre extrieur la sphre dont le dbiteur doit rpondre et au caractre rsistible.
Enfin, les professeurs Viney et Jourdain expliquent que les controverses doctrinales, autant que les divergences jurisprudentielles, proviennent de deux causes :
Une conception inexacte de la notion dextriorit, qui devrait uniquement se rfrer la sphre dont doit rpondre le dbiteur.
Une absence de distinction dans lapprciation du caractre extrieur suivant que soit en cause le fait personnel, le fait des choses ou dautrui.
Il nous semble, finalement, que les deux conceptions : matrielle et psychologique sont galement fondes et devraient trouver sappliquer. Aprs avoir vrifi que lvnement considr est en dehors de la sphre dont le dbiteur doit rpondre (extriorit matrielle), il convient de vrifier que le dbiteur ne pouvait en prvenir la survenance (extriorit psychologique, qui nest autre que le caractre irrsistible).
Ce critre, majoritairement dcri par la doctrine, ne fait plus gure lobjet de caractrisation dans les arrts de la Cour de cassation. Larrt dAssemble Plnire de la Cour de cassation du 14 avril 2006 ne droge dailleurs pas cette gnralit : elle ne le mentionne pas et si elle le prend en compte, cest de la manire la plus restrictive, c'est--dire psychologique. En effet, une maladie ne peut tre considre extrieure au plan matriel100.
99
En toute hypothse lextriorit nest pas un critre inhrent la Force majeure , in Ouragan sur la force majeure , JCP 1996, dition gnrale, I, 3907, n6. 100 Cf. cependant : Isabelle Guyot, Le caractre extrieur de la force majeure , RRJ 2002-1, p.215, qui explique que lon subit la maladie.
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Reste nanmoins, que le communiqu accompagnant les arrts du 14 fvrier 2006, en ce quil ce rfre la trilogie classique, suscite un certain trouble. Comment expliquer que le communiqu raffirme que la force majeure est caractrise par la trilogie classique irrsistibilit, imprvisibilit et extriorit lorsque les arrts ne mentionnent pas le caractre extrieur ?
Lacception de lextriorit en son sens psychologique nous semble la seule acceptable. Or, elle revient vider le critre de toute utilit.
Finalement des incertitudes subsistent autour des critres ncessaires caractriser un cas de force majeure, incertitudes que larrt dAssemble Plnire du 14 avril 2006 ne semble pas rsoudre.101Quelques certitudes peuvent toutefois tre dgages :
Un vnement irrsistible, imprvisible et extrieur est un cas de force majeure, Il est quasi certain quun vnement irrsistible et imprvisible serait aussi considr cas de force majeure,
Par contre nest pas un vnement de force majeure celui qui nest quextrieur ou uniquement imprvisible.
Cet tat de la jurisprudence est critiqu raison par une doctrine largement majoritaire. Comme nombre dauteurs, nous considrons que le critre essentiel doit tre lirrsistibilit, le critre dimprvisibilit et, dans une moindre mesure celui dextriorit, nagissant que comme indices de celle-ci.
Dans notre opinion, la spcificit de la matire contractuelle devrait commander une apprciation in concreto de chacun de ces critres, laissant une grande place la dtermination des vnements devant tre inclus dans le domaine de diligence auquel soblige le dbiteur. La question de lapprciation, plus encore que celle des critres, nous semble dterminante.
101
Cf. Cass. Civ. 1re, 30 mai 2006 et Ph. Brun et Jacques Responsabilit, panorama 2006 , revue Lamy, supplment au n35, fvrier 2007.
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Face ces critiques doctrinales se dresse la jurisprudence relative la question, et le moins quon puisse dire cest que la matire est subtile et nuance. Un examen exhaustif des dcisions judiciaires justifierait sans doute un jugement plus svre, en faisant apparatre bien des contradictions. Bien malin qui peut prdire la qualification du juge ! Compte tenu de leffet attach la force majeure, une telle solution est assurment regrettable 102.
102
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Section 2nde
Il semble, premire vue, que les effets pratiques de la force majeure ne sont pas discuts : elle entrane lexonration de responsabilit du dbiteur de lobligation contractuelle dont elle empche lexcution (Sous-section 2). Lexplication de cette consquence reste nanmoins sujette controverses et interrogations, ce qui impose de sattacher aux aspects thoriques des effets de la force majeure (Sous-section 1re).
Ss. 1re
Les effets dun cas de force majeure sont dpendants de deux grands dbats doctrinaux : le premier la dpasse, cest celui de la causalit (I), alors que le second lui est propre : quels sont les fondements de lexonration de responsabilit quelle engendre (II) ?
I-
Un dommage, ou une inexcution en matire contractuelle, est quasi systmatiquement la rsultante de plusieurs causes parmi lesquelles il convient d oprer un tri [] afin disoler celui qui, rationnellement, a contribu effectivement la ralisation du dommage 103. La question, dimportance en matire judiciaire, nest pas aise. Le professeur Durry a mme pu considrer que ce problme, fascinant mais insoluble , tait une nigme de notre droit 104. A cet gard deux grandes thories saffrontent. Aprs les avoir prsentes (A), nous tenterons de synthtiser ltat du droit positif (B).
103
Droit des obligations, Responsabilit civile, Dlit et quasi dlit, 3me dition, Ph. Delebecque et F-J Pansier, Litec, 2006, n136, p.93. 104 Durry, Rev. Trim., 1977, p.326 cit in. Bnabent, n556, p.383.
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Sil est frquent de ne rpertorier que deux thories de la causalit, cest que les juristes omettent frquemment la thorie de la causalit efficiente. Cette thorie, fonde sur le sens commun, considre que la cause dun dommage est lvnement layant produit au sens mcanique, physique. La simplicit de cette thorie explique quelle soit rarement prsente : elle nest utile quen labsence de difficults ce qui la distingue peu de linutilit!
Pour les cas plus complexes, frquents et sources de toutes les interrogations, deux thories ont t proposes :
La thorie de lquivalence des conditions, du professeur Von Buri, retient comme cause du prjudice tous les lments, toutes les conditions ncessaires, sans lesquels celui-ci ne se serait pas produit. Chaque vnement est donc soumis au but-for test 105, c'est--dire la question de savoir si le dommage se serait produit sans lvnement considr. Sont retenues toutes les causes ayant rendu possible la survenance du dommage. La dfinition du lien de causalit ainsi donne est assez souple, ce qui conduit, en gnral, admettre un grand nombre de causes pour un dommage unique. Elle procde dune conception mcaniste, fonde sur la stricte ralit physique.
La thorie de la causalit adquate, mise au point par les professeurs Von Kries et Rmelin, considre comme fait causal ceux qui entranent normalement, c'est--dire de faon prvisible et habituelle, ce type de dommage. Sont ainsi carts les vnements qui nont contribu au dommage qu travers le concours de circonstances extraordinaires. Lapplication de cette thorie permet, en gnral, de retenir un nombre de causes plus faible. Elle procde dune conception plus abstraite de la causalit, fonde sur la prvision et non sur la stricte ralit ; partant, le jugement moral est plus prsent.
Pour illustrer chacune de ces thories prenons lexemple dune personne oubliant ses cls sur son bateau moteur, qui est ensuite vol et impliqu dans un abordage.
105
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Selon la thorie de lquivalence des conditions, loubli des cls est lune des conditions de ralisation du dommage. Cest donc lune de ses causes. Par contre, de manire abstraite, un oubli de cl est sans rapport prvisible avec un abordage, ce nest donc pas lune des causes du dommage.
Les professeurs Viney et Jourdain considrent que ces deux thories sont complmentaires. Remarquant quil est courant quun mme fait produise des effets trs diffrents, ils prfrent, pour dfinir la nature du lien unissant le fait envisag au dommage, la thorie de lquivalence des conditions, c'est--dire une approche concrte. Par contre, quant la preuve des causes du dommage, les mmes auteurs tiennent pour lutilisation de la thorie de la causalit adquate, celle-ci venant au secours de la victime . Ils considrent en effet que, face aux incertitudes relatives aux conditions ncessaires la survenance du dommage, il est lgitime de recourir la notion de probabilit ou de prvisibilit objective .106
Ces thories, au final peu prcises, laissent aux juges une certaine marge dapprciation.
B/ Le droit positif
Si les juges relvent plus ou moins largement le lien de causalit, ils sabstiennent den donner une dfinition prcise, c'est--dire de se rfrer lune ou lautre de ces thories107, et gardent ainsi une grande latitude quant leur apprciation de la causalit.
Les auteurs dclent, travers ltude de la casuistique judiciaire, une prdominance de la causalit adquate, tout en soulignant que le tri se fait ainsi souvent par une apprciation morale de la gravit respective des diffrentes fautes ayant rendu possible le dommage 108. Le corollaire invitable rside dans la contradiction flagrante de certains arrts. Il fut ainsi considr que le suicide dun adolescent en rentrant chez lui, juste aprs avoir t humili par le grant dun magasin dans lequel il avait chapard, tait sans lien de causalit avec la rprimande car normalement celle-ci naurait pas du entraner une telle consquence.
106 107
Viney et Jourdain, n345 et suivants, p.191 et suivantes. Cependant : rfrence la thorie de lquivalence des causes : civ. 2me 27 mars 2003. 108 Fabre-Magnan, n268, p.732.
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Il fut, par contre, considr que la chute dun bagage mal fix sur le toit dune voiture ayant effray un cheval qui, stant chapp, causa des dommages des tiers, tait lune des causes des dommages109 ! La scurit juridique110 ne gagne certainement pas ce que des dcisions aussi contradictoires soient rendues. Il paratrait donc souhaitable dadopter lune ou lautre de ces thories ou, solution meilleure notre sens, de suivre la proposition des professeurs Viney et Jourdain consistant appliquer chacune de ces thories des considrations distinctes : la causalit adquate permettant de faciliter la preuve de part les prsomptions de fait quelle pose et la thorie de lquivalence des conditions permettant de considrer de manire concrte les vnements.
La causalit ainsi (succintement) prsente, se pose la question de la justification de lexonration de responsabilit engendre par la force majeure.
II-
Si deux thories, absence de lien de causalit entre les faits du dbiteur et le dommage ou absence de faute de ce dernier (A), semblent sopposer, elles peuvent tre concilies (B).
A premire vue les auteurs paraissent saccorder sur leffet de la force majeure : elle exonre le dbiteur de sa responsabilit lie linexcution de son obligation contractuelle. Celui-ci naura donc pas verser de dommages-intrts en vu de rparer un prjudice. Premire faille cette prsentation monolithique : dans lhypothse o la force majeure interviendrait aprs que le dbiteur ait t mis en demeure, il serait tout de mme redevable de dommages-intrts (article 1302 du Code civil), c'est--dire responsable de linexcution (Cf. infra.).
109 110
Arrts de la 2me chambre civile du 20 juin 1985 et du 24 mai 1971, cits in Bnabent, n 558, p.384. Rcemment reconnu comme un principe gnral du droit CE Assemble 24 mars 2006.
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Peut tre note, aussi, la remise en cause non suivie deffets- de cette prsentation par le professeur Le Tourneau qui crit Logiquement, la force majeure ne devrait pas tre considre comme une cause exonratoire de la dfaillance contractuelle, car en ralit elle constitue un cas dextinction de lobligation prexistante (et donc de lobligation aux dommages et intrts) ; [] Mais, puisque le rgime de la dfaillance contractuelle a t contamin par celui de la responsabilit dlictuelle, il est devenu habituel danalyser la force majeure comme une circonstance exonrant un dbiteur contractuel (mme si une certaine spcificit est reconnue) 111.
Certains (les professeurs Fabre-Magnan, Le Tourneau, Malinvaud, Mazeaud et Chabas notamment) expliquent lexonration par la thorie de la causalit en considrant que lexistence de la force majeure, de par ses caractres imprvisible (ou invitable) et irrsistible, dmontre labsence de lien de causalit entre le fait du dbiteur et linexcution : la raison en est non pas quelle fait disparatre la faute du dbiteur, mais quelle dmontre que cette faute ne peut tre la cause du prjudice 112.
La force majeure viendrait donc annihiler le lien de cause effet qui aurait pu exister entre le fait du dbiteur et linexcution. Pour dautres113, la force majeure serait une preuve renforce de labsence de faute, La force majeure prsente donc bien la combinaison dun vnement cause du dommage et de labsence de faute du dbiteur 114.
Ainsi, le professeur Sriaux considre-til que la thorie de labsence de lien de causalit entre la faute et le dommage revient en effet reconnatre que si faute il y a eu, celle-ci na pas eu de consquences dommageables. Ce qui conduit logiquement dire que le dommage
111
In Le Tourneau, n1802-1, p.483. Cette formule semble, de manire sibylline, marquer la prise de position de lauteur en faveur de la caducit du contrat (par opposition la rsolution cf. infra). 112 In Larroumet, n 728, p.791. 113 Notamment le professeur Viney dans son ouvrage Trait de droit civil, la responsabilit : conditions , 1982, n383 et suivants. 114 A. Sriaux, n110, p.85.
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sexplique par autre chose quune faute du transporteur ; ou encore, que le dommage est survenu sans la faute du transporteur 115. Cette dmonstration nest toutefois pas convaincante116. Une faute peut tre commise sans pour autant entraner de dommages (par exemple lorsquun navire de plaisance entre dans le port une vitesse suprieure celle autorise, sans pour autant quun prjudice en rsulte ou, en matire contractuelle, lorsquun garagiste rpare une voiture dune certaine manire alors que le propritaire lui a demand de raliser la rparation diffremment, sans pour autant que le rsultat de la rparation soit diffrent). Il est une chose de dire quune inexcution sexplique par autre chose quune faute du dbiteur et une autre de dire que ce dbiteur na pas commis de faute.
Les professeurs Viney et Jourdain, ainsi que le professeur Antonmattei dans sa thse, tiennent pour un fondement de lexonration de la force majeure combinant les deux explications, la cause trangre dmontrant, la fois, que le dfendeur na jou quun rle trs accessoire dans la ralisation du dommage et que son attitude nest en rien critiquable . Ils considrent ainsi que :
La notion de force majeure carte ncessairement celle de faute car les standards de qualification permettent en effet de dbusquer tout comportement fautif dans lapparition et dans le droulement du fait perturbateur 117. Nanmoins, peut coexister un fait gnrateur de responsabilit distinct de la notion de force majeure (notamment dans le temps cf. infra). Est ainsi adopte partiellement la thorie selon laquelle il ny a pas de faute.
A. Sriaux, n113, p.87-reprenant ainsi le raisonnement de Radouant qui considrait que la responsabilit, quelle soit contractuelle ou dlictuelle, est fonde sur la faute ; la force majeure consistant dans labsence de faute, il est naturel que son effet soit de supprimer la responsabilit in note sous Cass. Civ. 2me 13 mars 1957, Dalloz 1958, p.73. 116 Le professeur Delebecque estime ainsi que Limprvisibilit ne semble plus dterminante, tant et si bien que la force majeure ne se rduit pas une simple absence de faute , in Les nouveaux rles de la force majeure , Rpertoire Defrnois, 1999, p.370. 117 Antonmattei, n203, p.147.
115
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Par la preuve du caractre insurmontable (intrinsque la notion de force majeure) le dbiteur dmontre le caractre passif de son fait, c'est--dire que celui-ci, qui a matriellement particip la ralisation du dommage, nest devenu dommageable que sous linfluence dterminante de la cause trangre 118.
La question de lanalyse de limportance en terme de responsabilit de cette faute du dbiteur sera, ds lors, dtermine par la thorie de la causalit adopte.
La thorie de la causalit adquate, laquelle la jurisprudence se rallie parfois, permettrait alors de considrer que la faute du dbiteur ntant pas la cause dterminante et active, elle se trouve absorbe par la force majeure. Cette dernire est ds lors considre comme cause exclusive du prjudice selon une formule dsormais classique 119. Le professeur Antonmatti, suivant en cela le professeur Viney, considre que le bon sens impose de privilgier les thses de la causalit adquate 120.
A contrario, lapplication de la thorie de lquivalence des conditions, gnralement choisie par la jurisprudence (cf. supra), fait que la faute du dbiteur pourra tre considre comme condition ncessaire et, de ce fait, entraner une responsabilit partielle du dbiteur.
Le caractre gnralement admis par la jurisprudence dexonration totale de la responsabilit du dbiteur (Cf. infra) indique clairement quen la matire cest bien la thorie de la causalit adquate qui est applique. Cette solution se comprend et gard aux caractres que prsente la force majeure : tant irrsistible et imprvisible ou invitable, la faute du dbiteur sera facilement considre comme quantit ngligeable , allant mme jusqu ter au fait du dbiteur son caractre fautif.
Nous montrerons toutefois (sous-section suivante) que le refus de cette responsabilit partielle est fond sur labsence de distinction des diffrents moments auxquels peut intervenir la faute du dbiteur. Certes, force majeure et faute sont deux termes antinomiques et ne peuvent tre
118 119
Viney et Jourdain, n403, p.284. Antonmattei, n201, p.145. 120 Antonmattei, n204, p.148.
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employs concomitamment pour qualifier un mme vnement. Par contre, il nous semble que ces deux qualificatifs peuvent co-exister des moments diffrents, voire dans une mme temporalit pour des faits distincts.
Ss. 2nde
Selon une majorit de la doctrine, les caractres de la force majeure devraient interdire que celle-ci puisse tre considre comme un cas dexonration partielle ; il convient toutefois de se pencher sur cette dlicate question (I) avant de sintresser aux effets de la force majeure sur le contrat et les obligations en dcoulant (II).
I-
Leffet principal et non discut de la force majeure rside dans lexonration de responsabilit dont bnficie le dbiteur. Ntant pas responsable de linexcution celui-ci naura pas verser de dommages et intrts au crancier (art 1148 du Code civil).
Il existe toutefois une exception : dans lhypothse o le dbiteur dune obligation de livraison est mis en demeure de livrer, il sera redevable de dommages et intrts en cas dinexcution de son obligation quand bien mme celle-ci serait due un cas de force majeure (art 1138 du Code civil).
Il y a l une sorte de peine prive reposant sur la volont dinciter le dbiteur livrer en temps et en heure, mais aussi sur lide que la faute du dbiteur doit entraner comme consquence quil supporte les risques lis la force majeure. Sa faute loblige ! Une explication causale, plus juridique, ne parat pas pleinement satisfaisante. Certes, la faute initiale du dbiteur rend possible la survenance du cas de force majeure. Sans elle, le bien naurait pas subi la force majeure, elle peut donc apparatre comme la cause adquate ou tout au moins une cause ayant particip la survenance du dommage. Mais la thorie de la causalit adquate nest pas ici totalement respecte : il est impensable que de faon gnrale
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labsence de livraison soit une cause normale, habituelle, de la perte du bien121. La thorie de lquivalence ne donne pas plus une explication satisfaisante : labsence de livraison nest que lune des causes du dommage, elle ne devrait donc pas entraner une exonration totale.
Mais plus que la question de lexonration (solution acquise dont seuls les fondements sont contests), cest celle de son caractre partiel qui suscite la controverse122.
Nombre dauteurs estiment que la qualification de force majeure entrane ncessairement une causalit exclusive, quelle ne peut qutre la cause adquate du dommage ou de linexcution. Les professeurs Flour, Aubert et Savaux considrent ainsi que lexistence dun tel vnement exclut toute responsabilit du fait personnel. Sil y a eu force majeure, il na pas pu y avoir faute- comme elle exclut dailleurs la responsabilit du fait des choses 123. De mme le professeur Le Tourneau considre til que force majeure et responsabilit sont des termes antinomiques et inconciliables 124 parce quun rsultat ne peut tre imput faute qu celui qui avait le pouvoir de lempcher.
Est ainsi avance lide selon laquelle le caractre irrsistible de lvnement de force majeure exclut toute autre cause au dommage.
Nous pouvons toutefois noter quil y a souvent lieu ambigut faute doprer une distinction selon le stade auquel intervient la force majeure 125. Certes les consquences dun vnement de force majeure, par hypothse irrsistible, ne peuvent tre vites. Pour autant, celui-ci peut ntre que pour partie cause du prjudice.
Larticle 1302 alina 2 du Code civil vient dailleurs battre en brche cette hypothse en disposant que Lors mme que le dbiteur est en demeure, et sil nest pas charg des cas fortuits, lobligation est teinte dans le cas o la chose fut galement prie chez le crancier si elle lui et t livre . 122 Question qui nous intresse particulirement de part la possibilit, lorsque la preuve de lun des cas excepts de la Convention de Bruxelles de 1924 ou de la loi franaise du 16 juin 1966 est rapporte, pour layant-droit marchandise de prouver que le transporteur a commis une faute et, ainsi dobtenir que lexonration de responsabilit ne soit que partielle. 123 In Droit civil. 2. Le fait juridique , Armand Colin, 2005, n275, p.297 124 In Le Tourneau, n1803, p.483. 125 In Bnabent n562, p.387, propos des divers cas de responsabilit dlictuelle lauteur considrant quil faut distinguer la force majeure survenant au stade de lacte fautif et la force majeure survenant aprs une faute.
121
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Le dbiteur peut ainsi commettre une faute postrieure lvnement de force majeure venant aggraver les consquences de celui-ci, comme la admis un arrt rcent de la 2me chambre civile de la Cour de cassation126 : la faute (postrieure) engage la responsabilit de son auteur malgr la force majeure 127. Nous noterons cependant que dans lespce considre, la faute postrieure du dbiteur de lobligation de dblaiement (constitue par son abstention), joue un effet extinctif quant aux effets de la force majeure, venant ainsi les clipser . Comme la soulign Sbastien Beaugendre il y a l confusion entre les effets de linexcution dune obligation (devant entraner une excution force ou lallocation de dommages et intrts) et les consquences attaches un cas de force majeure.
Prenons lexemple dune tempte venant endommager par mouille une cargaison lors de son transport. Si les 2/3 de la cargaison sont affects, il reste possible de sauver les marchandises restes saines grce la dissociation des deux parties de la marchandise. Cependant, si lors de la ralisation de cette opration, le transporteur commet une faute entranant la destruction de la marchandise reste saine, sa faute postrieure au cas de force majeure aura contribu au dommage.
Le dbiteur peut aussi commettre une faute antrieure la force majeure. Il faudra donc rechercher ce qui se serait produit en labsence de faute (supputation le plus souvent alatoire128). Par exemple, pour le cas o une toiture affecte de malfaon qui seffondre au cours dun ouragan qualifi de force majeure. Soit une toiture parfaitement ralise aurait subi le mme sort, auquel cas la faute du constructeur ne prsente aucun lien de causalit avec le dommage. Soit le dommage aurait t vit et la faute du constructeur sera responsable pour partie ou en totalit du dommage, suivant que lon opte pour la thorie de la causalit adquate ou de lquivalence des conditions.
Il parat donc possible de considrer quun cas de force majeure ne soit lorigine que dune partie de linexcution contractuelle en cas de succession temporelle de causes, tout le
Cass. Civ.2me 5 fvrier 2004. Note de Sbastien Beaugendre, Voile sur la force majeure , Dalloz 2004, p.2520. Cf. aussi la note approbative sur ce point du professeur Jourdain in RTD civ. 2004, p.740. 128 Cependant, il nest pas exclu que le calcul dune causalit partielle puisse tre scientifiquement tabli selon les professeurs Terr, Simler et Lequette -n799, p.771.
127 126
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moins lorsque la faute du dbiteur est postrieure la force majeure. Le professeur Starck dfendait ainsi que si la faute ou le fait ont simplement aggrav un dommage qui se serait produit de toute faon par suite dun vnement de force majeure (par exemple, labsence dextincteurs ou le retard dans lappel des pompiers permettant un incendie ayant pour origine la force majeure de dtruire compltement un immeuble qui aurait pu tre sauv en partie), le juge devrait rechercher quelle et t limportance du sinistre si le fait ou la faute net pas eu lieu et ne laisser la charge du dfendeur que la partie du dommage qui lui est attribue, c'est--dire laggravation 129. De mme le Doyen Rodire considrait-il qu on conoit le jeu par contre le jeu successif et cumulatif de deux causes dont lune est une faute du dbiteur, lautre un vnement qui ne lui est pas imputable (expression que lauteur assimilait la force majeure cf. infra). Cette solution a t donne avec nettet par la Cour de cassation dans le fameux arrt du Lamoricire. Elle doit tre reconnue comme une donne gnrale de notre droit positif moderne 130.
Pour considrer le cas dune force majeure concomitante une faute du dbiteur : pourrait-on estimer que cette dernire participe linexcution ? Une doctrine majoritaire considre, tout en la critiquant, que cette solution avait t admise par la jurisprudence dans laffaire du Paquebot Lamoricire. En lespce, ce paquebot fut confront une tempte qui entrana sa perte. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrt du 19 juin 1951, estima que la perte tait due pour 4/5 la tempte et pour 1/5 la mauvaise qualit du charbon, admettant ainsi quun vnement de force majeure puisse navoir quun effet dexonration partielle131. Cette solution aurait ensuite t confirme par le Cour de cassation dans un arrt Houillres des bassins du nord et du Pas-de-Calais 132.
B. Starck, La pluralit des causes de dommage et la responsabilit civile (La vie brve dune fausse quation : causalit partielle = responsabilit partielle), JCP 1970, I, 2339. 130 Rodire, T. II, n630, p.272 on peut toutefois sinterroger quant la chronologie ainsi dgage. 131 Les professeurs Viney et Jourdain soulignent toutefois que dans les attendus de principe de ces 2 arrts, la chambre commerciale qualifie la tempte de cause trangre et non de force majeure ; ce dont ils dduisent que la Cour de cassation na jamais admis quun cas de force majeure entrane une exonration partielle. Cette position, qui va lencontre de la doctrine majoritaire, parat smantiquement juste. Nous noterons cependant que les Cours dappel dont les arrts taient contests qualifiaient cette tempte de force majeure . La Cour de cassation a-t-elle procd une requalification sans le prciser ? On peut le penser. 132 Cass. Civ.2me 13 mars 1957, arrt suscitant les mmes rserves de la part des professeurs Viney et Jourdain. Dans ce cas le pourvoi ne contestait pas la qualification de force majeure. Si, comme le soulignent les professeurs Viney et Jourdain, les caractres dirrsistibilit et dimprvisibilit ntaient pas caractriss ceci sexplique sans doute par la mutabilit du concept de force majeure .
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Il semble nanmoins que la doctrine saccorde sur la caducit de ces solutions, relguant au rang historique cette causalit partielle de la force majeure, en considrant que dsormais lexistence dun cas de force majeure entrane en principe la disqualification de la faute 133.
Si nous admettons clairement que les caractristiques propres la notion de force majeure rendent cette notion exclusive de toute faute du dbiteur procdant du mme vnement, il nous semble quune faute du dbiteur distincte peut, elle aussi, contribuer dterminer lvnement ou en dterminer les circonstances. (cf. supra lexemple donn par le professeur Starck).
Une solution jurisprudentielle semble toutefois permettre une alternative entre le tout et le rien , cette rigoureuse alternative 134, que pose le rejet de la force majeure partielle : le recours la notion de perte de chance, qui conduit au mme rsultat.
La notion de perte de chance, qui a pour vocation dvaluer un dommage dont ltendue est incertaine, a ainsi pu tre dnature afin dtre applique au cas o le lien de causalit est incertain. Il y a l glissement de la notion vers la causalit permettant dallouer une rparation partielle du dommage. La Cour de cassation, aprs avoir sembl rejeter cette application en nonant que la notion de perte de chance ne concerne que lvaluation du prjudice 135, a utilis, de nombreuses reprises, cette notion de la sorte dans des arrts postrieurs136. Ainsi lon dirait aujourdhui que la mauvaise qualit du charbon du Lamoricire lui a fait perdre une chance de rsister la tempte 137.
Sil y a incontestablement dnaturation de la notion de perte de chance, cette application permet des solutions moins manichennes. Admettant les incertitudes auxquelles la causalit peut donner lieu (elles sont lgion, nous lavons vu) elle parat plus raliste.
Fabre-Magnan, n270, p.739. Christophe Andr, dans sa thse Le fait du crancier contractuel , prface de Genevive Viney, LGDJ, 2002, n480, p.144. 135 Cass. Civ.1re 17 novembre 1982. 136 Cass. Civ. 1re 8 janvier 1985, 12 novembre 1985, 18 janvier 1989, 30 octobre 1995, 6 octobre 1998, 10 juillet 2002. 137 Bnabent, n563, p.388.
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L encore, les propos du doyen Carbonnier reviennent en mmoire philosophiquement, cest la conception relative qui a raison : labsolu nest pas de ce monde . Prfrons donc une apprciation de la part de responsabilit de chacun teinte darbitraire et dincertitudes, aux conceptions absolutistes qui paraissent encore moins justifies.
Quelque soit limportance de lexonration, totale ou partielle, celle-ci fait exception lobligation, pour le dbiteur nexcutant pas son obligation, dacquitter des dommages et intrts. La sanction tant carte, reste dterminer le devenir des rapports entre les parties, c'est--dire du contrat et des obligations quil contient ; en effet : une chose est de dterminer dans quelle mesure linexcution de lobligation dun des cocontractants par suite dun cas fortuit ou de force majeure rejaillit sur lobligation de lautre contractant, autre chose est de se prononcer sur le sort du contrat 138.
II-
La force majeure affecte matriellement lexcution du contrat, ce qui se traduit au plan juridique (A). Le sort des obligations quil contient est rgi pas la thorie des risques (B).
A/ Le sort du contrat
Le sort du contrat sera diffrent suivant que la force majeure est temporaire ou dfinitive.
-Si le cas de force majeure est temporaire, on pourra admettre que le contrat est seulement suspendu 139. Cette institution, quil parat discutable de rattacher la notion de force majeure eut gard au caractre irrsistible (cf. infra nos rticences lgard de cette notion et les difficults quelle pose en matire dvaluation de la dure dinexcution), nest
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Propos des professeurs Weill et Terr in Droit civil, les obligations , 4me dition, Dalloz 1986, n486, p.506. 139 Malinvaud, n702, p.430.
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applique qu pisodiquement 140 : la jurisprudence entrine cette solution quoique les juges du fond restent partags sur la question 141.
Lexcution a donc vocation reprendre une fois limpossibilit dexcution acheve, la condition, toutefois, quelle prsente encore un intrt pour le crancier.
Les effets attachs la force majeure temporaire paraissent donc singuliers, renforant encore les interrogations quant la qualification adopte lgard de cette solution.
-Si le cas de force majeure est dfinitif, le contrat ne peut plus tre excut. Les auteurs, qui saccordent sur leffet, nexpliquent pas celui-ci de la mme faon : lorsque la doctrine classique , laquelle adhre le professeur Malinvaud, considre que le contrat est rsolu, les professeurs Antonmatti, Delebecque et Pansier, participant dun courant de pense plus rcent, estiment que le contrat est frapp de caducit . Une jurisprudence sculaire et maintes fois ritre142 se fonde sur larticle 1184 du Code civil pour expliquer le sort rserv au contrat : sa rsolution.
A premire vue, la rsolution parat effectivement tre le terme adapt pour dsigner les effets de la force majeure sur le contrat. En effet la rsolution est la sanction consistant dans leffacement rtroactif des obligations nes dun contrat synallagmatique, lorsque lune des parties nexcute pas ses prestations 143. Or, nous lavons vu, la force majeure rend lexcution de lobligation du dbiteur impossible.
Cependant, une premire objection se fait jour quant au fondement de la rsolution : en principe celle-ci vient sanctionner une inexcution fautive. Si la doctrine critique cette approximation le professeur Malinvaud considre que la querelle est plus terminologique
Selon lexpression employe par les professeurs Malaurie, Ayns et Stoffel-Munck. Notamment : Req. 12 dcembre 1922, Cass. Civ.1re 24 fvrier 1981, Cass. Com. 27 mars 1990, Cass. Civ. 3me 22 fvrier 2006. 141 Droit des obligations. Contrat et quasi-contrat , PH. Delebecque et J-F Pansier, 4me dition, Litec 2007, n436, p.224. 142 Notamment Cass. Civ. 3 aot 1875, 20 mars 1877, 14 avril 1891, 4 juin 1907, 5 mai 1920, Civ. 1re 27 fvrier 1967, Civ. 3me 6 janvier 1969, Civ. 1re 2 juin 1982 et 12 mars 1985. 143 Dfinition issue du Lexique des termes juridiques , 15me dition, Dalloz, 2005.
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que relle car elle est sans influence sur les solutions : simplement les auteurs parlent de la thorie des risques l o la jurisprudence parle de rsolution 144.
Peut tre ajout cette critique que le caractre rtroactif des effets de la rsolution nest pas toujours appliqu par les juges, ceux-ci ne faisant parfois produire la rsolution que les effets de la rsiliation145 : c'est--dire un effet rtroactif depuis la date de linexcution.
Une autre objection fondamentale lapplication du mcanisme de la rsolution tient son caractre judiciaire146qui implique, pour reprendre les termes du professeur Larroumet, une action en justice avec tous les alas et les lenteurs inhrentes une telle voie de droit 147.
Les tenants de la caducit du contrat se fondent sur chacune des difficults que lapplication de la rsolution au contrat dont lexcution est affecte dun cas de force majeure engendre, pour critiquer celle-ci et, finalement, emporter ladhsion.
Largument le plus fort cet gard rside sans doute dans le caractre fautif sur lequel se fonde larticle 1184 du Code civil pour dcider de la rsolution du contrat. En effet la caducit constitue une inefficacit de droit qui emporte extinction anticipe dun acte juridique en vigueur . Elle provient dun fait non fautif sanalysant en une disparition ou en une dfaillance dun lment essentiel, ncessaire sa survie 148.
La caducit vient ainsi sanctionner un vnement, indpendant de la volont de lauteur de lacte, faisant disparatre un lment fondamental du contrat, tel que lobjet ou la cause de lobligation 149. Or, un cas de force majeure fait bien disparatre un lment fondamental du contrat : empchant lexcution dune obligation, il prive dobjet lobligation qui en est la contrepartie. Cest ainsi la cause du contrat, lintrt de lacte juridique pour son auteur, qui disparat en cours dexcution de celui-ci.
Malinvaud, n500, p.316. Notamment : Cass. Civ. 3me 30 avril 2000. 146 Bnabent, Carbonnier, Capitant, Larroumet, Malaurie et Ayns, Marty et Raynaud, Mousseron, Starck, Laurent et Boyer. 147 Larroumet, n712, p.764. 148 Rana Chaaban dans sa thse La caducit des actes juridiques. Etude de droit civil , prface de Yves Lequette, LGDJ 2005, n30, p.20. 149 Malaurie, Ayns, Stoffel-Munck, n668, p.324.
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Le professeur Le Tourneau reconnat ainsi, propos de la force majeure, qu en ralit elle constitue un cas dextinction de lobligation prexistante 150.
La caducit du contrat conduirait alors, selon certains, une extinction de plein droit sans manifestation de volont dune partie, ni dcision de justice 151, vitant ainsi lintervention judiciaire tant dcrie par la doctrine la plus autorise comme tant source dinscurit juridique, et gard notamment la flexibilit de lapprciation des juges autant que des effets attachs cette rsolution.
Le mcanisme dcrivant le mieux le sort rserv au contrat est donc, sans conteste, la caducit. Si Rana Chaaban estime que lvolution du droit semble permettre, sans difficult, la reconnaissance de la caducit rtroactive 152, nous ferons remarquer quvolution du droit et volution jurisprudentielle ne sont pas ncessairement concomitantes
Dans un contrat unilatral, lorsque lobligation fait lobjet dune impossibilit dexcution, le dbiteur est libr par la suite de la force majeure, solution rsultant des articles 1148 et 1302 du Code civil. Le crancier nobtiendra donc pas ce qui lui tait d : le risque pse ainsi sur lui. Le contrat unilatral ne faisant natre des obligations qu la charge dune seule partie 153, il semble logique de considrer que le risque pse sur le crancier. Sauf demander au dbiteur dacquitter des dommages et intrts, ce qui est par hypothse cart en prsence dun cas de force majeure, on ne peut envisager dalternative154.
In Le Tourneau, n1802-1, p.483. Le professeur Mousseron, in Technique contractuelle , n1284 cit par P-H Antonmattei qui considre, quant lui que lautomaticit de lextinction doit nouveau tre tempr. Si, certes, lintervention judiciaire nest pas obligatoire, le rupture reste conditionne un contrat de caducit n236, p.170. 152 Dans sa thse La caducit des actes juridiques. Etude de droit civil , prface de Yves Lequette, LGDJ 2005, n454, p.393. 153 Lexique des termes juridiques , 15me dition, Dalloz, 2005. 154 Lexcution force tant, par hypothse l encore, impossible.
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Dans le cadre dun contrat synallagmatique, la force majeure, en exonrant de sa responsabilit le dbiteur155 empch dexcuter lobligation dont il est tenu, semble faire reposer le risque de cet vnement irrsistible et imprvisible (ou invitable) sur le crancier. Or, ce dernier nest, par hypothse, pas plus responsable que le dbiteur. Pas plus que lui il ntait en mesure dobvier cet vnement et ses consquences, pas plus que lui il ne pouvait lui rsister.
Sauf dcider que le risque est support par les deux parties, il convient de sacrifier lune au profit de lautre la question, ntant pas rgle par le Code civil, a ncessit rflexion et donn lieu la thorie des risques .
Le Code civil ne mentionne pas de rgle gnrale visant rgler cette question, il ne comporte que des solutions particulires relatives des contrats spciaux : de bail, de socit, de vente ou dentreprise. Ainsi larticle 1722 dcide-til que la destruction de la chose loue, rsultant dun cas fortuit, dispense le locataire de payer un loyer ; larticle 1790 envisage le contrat dentreprise dans lequel la matire faonner est fournie louvrier : si cette chose disparat par cas fortuit, mettant louvrier dans limpossibilit de terminer le travail promis, aucun salaire ne lui est d ; larticle 1788 dispose, de mme, que, pour le cas o louvrier fournit la matire et si la chose prit avant dtre livre, la perte est pour louvrier, moins que le matre ne fut en demeure de recevoir la chose.
Au final toutes ces questions particulires sont rgles de la mme faon : le dbiteur supporte le risque, respectant ainsi ladage latin res perit debitori . Il est donc probable que les rdacteurs du Code civil ont fait application dune rgle gnrale, quils nont formule nulle part : les risques sont pour le dbiteur de lobligation dont la force majeure a rendu lexcution impossible ; lautre partie est dispense dexcuter sa propre obligation 156. Lapplication de cette rgle, qui a valeur de principe157 tout en tant suppltive de volont, ne parat ni totalement aberrante, ni totalement satisfaisante. Sauf partager le risque entre les
Mme sil peut tre en mme temps crancier on le qualifie ici de dbiteur en considration de lobligation considre (celle inexcute en raison de la force majeure). 156 . Mazeaud par Chabas, n1108, p.1163. 157 Reconnu implicitement par la Cour de cassation Civ. 14 avril 1891.
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deux parties ou le faire supporter par une communaut plus ou moins tendue (pouvant aller dun type de professionnels dtermins lensemble de la Nation), il fallait faire reposer celui-ci sur lune dentre elles. Au plan de lquit il parat aussi injuste de faire reposer ce risque sur le dbiteur mis dans limpossibilit dexcuter que sur son crancier, tout aussi impuissant.
On peut tout de mme sinterroger sur la question de savoir, dautant plus que le droit franais est rput favorable aux dbiteurs, si le fait de faire reposer le risque sur le dbiteur nest pas, plus ou moins consciemment, une rminiscence de lide selon laquelle le dbiteur tait la seule personne pouvoir viter cette situation et que finalement lexcution tait peut-tre, mme de faon infime, excutable. Ainsi, cette solution peut paratre affaiblir le constat dont elle est issue : limpossibilit absolue dexcuter.
Il convient donc de sinterroger sur son fondement juridique, afin de comprendre la cause de cette solution, qui nest autre que le choix du sacrifice dune personne au profit dune autre.
La thorie de la cause est parfois avance comme justification de cette solution : les obligations rciproques des parties dans les contrats synallagmatiques se servant rciproquement de cause, quand lune disparat par impossibilit fortuite dexcution, lautre steint galement faute de cause 158.
Les professeurs Mazeaud et Chabas, quant eux, rejettent cette explication causale en considrant que la cause nintervient quau stade de la formation du contrat, et considrent que cette solution repose sur la volont prsume des parties. Celles-ci sont convenues tacitement que, si lune ne peut remplir son obligation par suite dune force majeure, lautre sera libre 159.
Cette critique ne parat toutefois pas emporter ladhsion : tout dabord parce quil est toujours dlicat de dterminer la volont tacite des parties, surtout lorsque cela est ralis a priori et de faon gnrale. En outre, parce quil ne semble pas que la cause dusse tre cantonne la formation du contrat. La caducit ne vient-elle pas sanctionner la disparition
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Terr, Simler, Lequette, n667, p.657. Mazeaud par Chabas, n1109, p.1163.
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dun lment ncessaire la validit du contrat ? La cause rsidant, dans un contrat synallagmatique, dans lexistence dobligations rciproques, il parat logique de considrer que linexcution de lune dentre elles prive de cause le contrat.
Les professeurs Ripert et Boulanger ont vu comme justification cette solution le principe de bonne foi et de justice commutative, explication qui semble avoir t abandonne par la doctrine actuelle.
Le Doyen Carbonnier mentionne aussi le dveloppement de lide selon laquelle dans les contrats dsquilibrs la partie forte aurait vocation assumer les risques, sur le modle de larticle L. 731-1 du code du travail qui oblige les entreprises du btiment indemniser leurs salaris en cas darrt de travail occasionn par des intempries. Si cette solution parat quitable, mettant en uvre le principe de solidarit lgard de la partie la plus faible, elle semble difficile justifier juridiquement. De ce fait, elle ne semble pouvoir faire lobjet que de lgislation particulire et non dun principe gnral venant se substituer au principe actuel : res perit debitori .
Le principe res perit debitori connat toutefois une exception de taille pour les contrats translatifs de proprit, spcialement le contrat de vente, dans lequel le transfert de proprit a lieu solo consensu et immdiatement.
Dans le cadre de ces contrats le risque pse sur le propritaire, cest lapplication du principe res perit domino . En pratique, le plus souvent, le principe du transfert solo consensu fait que lacheteur est propritaire dune marchandise avant dentrer en possession de celle-ci.
Ainsi, si la chose devant tre livre vient disparatre, en raison dune force majeure, aprs que les parties se soient mises daccord sur la chose et le prix, lacheteur en supporte les risques. C'est--dire que la solution est inverse celle qui aurait dcoul du principe selon lequel le crancier de lobligation inexcute en raison dun cas de force majeure, supporte les risques.
Quant expliquer cette solution diamtralement oppose la prcdente, force est de constater que la tche est rude. En effet, cette solution ne produit deffets rels que pendant la priode qui voit la possession et la proprit spare :
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Avant que la vente ne soit forme il ny a pas de contrat (sauf envisager le cas de contrats prparatoires tels que des promesses de vente), seul le propritaire est donc susceptible de supporter le risque.
Sitt le contrat excut, la solution est identique : seul lacheteur, qui dispose de la proprit et de la possession, peut supporter le risque.
Ds lors, pourquoi adopter une solution diffrente du principe selon lequel le dbiteur supporte le risque ? Nous ne percevons, la vrit, aucune raison qui vienne singulariser de telle manire les contrats entranant transfert de proprit quelle dt faire supporter les risques au crancier. Lexplication tient sans doute ce que le point de vue adopt nest plus celui du risque dans le cadre dun contrat, mais celui du risque li la proprit.
Cette rgle nest toutefois pas systmatique : elle ne joue que lorsque le contrat concerne un bien individualis : corps certain ou chose de genre individualise. En effet, sil sagit dune chose de genre, lindividualisation conditionne le transfert de proprit.
La clause de rserve de proprit peut faire chec ce principe : le vendeur restant propritaire de la chose jusquau complet paiement du prix il assume les risques lis celle-ci (sauf clause contraire).
Lorsquune mise en demeure de livrer la chose est faite lencontre du vendeur, cest ce dernier qui assume les risques lis la chose.
Au final, les risques psent le plus souvent sur le dbiteur. Sil est aussi des cas dans lesquels ils psent sur le crancier (en tant que tel ou comme propritaire), ceux-ci semblent trop anecdotiques pour pouvoir tre considrs comme venant quilibrer la situation entre cranciers et dbiteurs. Ce dautant plus que les sujets de droit ne sont pas trs enclin considrer le systme juridique dans sa globalit : le jugeant laune de leur propre exprience, il est craindre quils ne le trouvent injuste.
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Nous partageons dailleurs cet avis (que nous leur supposons, il est vrai) : la force majeure imposant une impossibilit absolue dont aucune des deux parties nest responsable, le risque devrait tre support solidairement. Les parties ayant dcid de contracter ensemble elles devraient toutes deux accepter une part du risque le contrat serait alors form pour le meilleur et pour le pire !
Les prvisions contractuelles ne sont-elles pas, tel un lander, soumises la pression de flots imprvisibles ? De mme que la lgislation des Pays-Bas impose que le dommage caus par le percement dune digue, effectu afin de diminuer la pression sur le reste des infrastructures retenant la mer, soit support par lensemble de la communaut administrative qui bnficie de ce sacrifice impos, lvnement de force majeure devrait tre support par lensemble des parties.
La force majeure en sus de son effet exonratoire, le plus connu car le plus conforme sa nature, produit donc un effet libratoire. Ces notions ayant t prsentes -longuement eu gard la complexit de la matire et aux interrogations quelle suscite- nous voici prt analyser le jeu de cette notion en droit du contrat de transport maritime de marchandises.
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Au plan international, le droit commun du transport maritime est constitu par la Convention de Bruxelles du 25 aot 1924160. Limportance de ce texte qui connu un grand succs161 a pouss le lgislateur franais sen inspirer, avec lintention clairement affiche dobtenir un rgime du contrat de transport maritime homogne.
Une premire loi fut ainsi adopte le 2 avril 1936. Mais la transposition ntait pas fidle, quant au point qui nous intresse notamment. Cette loi prvoyait dans son article 4-3 que le transporteur serait exonr de sa responsabilit pour le cas o le dommage soit d un fait constituant un cas fortuit ou de force majeure .
Lincompatibilit de lobjectif affich, introduire dans la loi franaise les principes accepts sur le plan international par la ratification de la Convention de Bruxelles de 1924, et du rsultat, une rfrence la notion de force majeure inconnue du texte international, ne pouvait quentraner une controverse doctrinale162.
Cette loi du 2 avril 1936, insuffisamment fidle au texte et dont le texte aussi tait imparfait 163, fut remplace par celle du 18 juin 1966164 qui met le droit franais en harmonie avec le droit international.
Dont la dnomination exacte est Convention pour lunification de certaines rgles en matire de connaissement . 161 Signe en 1924 par 10 Etats reprsentant 2/3 du tonnage mondial. Cependant Sa ratification et son entre en vigueur se rvlrent nanmoins laborieuses. En effet, la convention nest entre en vigueur que le 2 juin 1931 . Bonassies et Scapel, n889, p.573. 162 Cf. sur ce point le mmoire de Melle Landon, et, notamment, Paul Scapel, La nouvelle lgislation sur les transports de marchandises par mer , recueil Sirey, Paul Scapel, Trait thorique et pratique sur les transports par mer, terre, air et eau , LGDJ 1958, p.25 et s. ; les articles de Paul Bertrand de la Grassire Le force majeure et le cas fortuit en face de la loi du 2 avril 1936 sur le transport des marchandises par mer DMF 58, p.383 et s. ; Pierre Lureau Le cas de force majeure et la loi du 3 avril 1936 , DMF 49, p.179 et s. 163 Bonassies et Scapel, n894, p.575. 164 Loi n 66-420 sur les contrats daffrtement et de transports maritimes , complte par le dcret n 661078 du 31 dcembre 1966 portant le mme nom.
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A cette occasion la notion de force majeure disparue au profit de cas excepts dont la dmonstration vient exonrer le transporteur de sa responsabilit sauf dmontrer une faute de sa part (cf. infra quant au degr de responsabilit que cette faute rintroduit).
Si le nombre de cas excepts rpertoris par la loi franaise est largement infrieur celui de la Convention de Bruxelles (9 au lieu de 18), le rsultat pratique reste sensiblement le mme. En effet, larticle 27 (d) vise de manire gnrale les faits constituant un vnement non imputable au transporteur , notion englobant les cas excepts de la Convention non numrs par le texte national.
Cette priphrase, plus large que la notion de force majeure , ne doit pas dissimuler limportance de la modification ainsi opre165 : hormis pour ce dernier cas except, lexonration de responsabilit rsulte de la preuve de lexistence dun fait donn (dont lnumration est limitative) et de son lien de causalit avec le dommage ; et non plus dune apprciation des caractres de lvnement invoqu.
Ce passage de la force majeure la technique des cas excepts, comme source dexonration de responsabilit, semble, prima facie, exclure la premire notion.
Pour autant, le Doyen Rodire est rest fidle lesprit de la loi de 1936 et (il) a interprt lexpression de la loi de 1966 comme tant quivalente lexpression trs diffrente figurant larticle 4, 3 de la loi de 1936 Faits constituants un cas fortuit ou de force majeure 166.
En outre, la rfrence la force majeure dans les ouvrages francophones est rcurrente. Le professeur Pineau, qui enseigne au Canada, crit ainsi propos des causes trangres diverses (en visant nommment lacte de Dieu, les faits de guerre, le fait dennemis publics, le fait du Prince) que ces situations numres par le lgislateur pourraient tre traduites simplement par cas de force majeure [] il (le transporteur) sera libr dans la mesure toutefois o le dit vnement revt les caractres dimprvisibilit et dirrsistibilit 167.
R. Rodire et E. du Pontavice considrent ainsi que lnonc de ce cas except constitue une des rares disparits (et elle est en mme temps de taille) entre la Convention de Bruxelles et la loi de 1966 , n369, p.348. 166 R. Rodire et E. du Pontavice, n369, p.348. 167 Le contrat de transport terrestre, maritime, arien , Jean Pineau, Les ditions Thmis, 86, n173, p.207.
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De mme le professeur Putzeys, qui enseigne le droit belge, crit-il : Dans les rgles de La Haye cette technique a t accentue par lnumration des causes trangres constitutives de plein droit de cas fortuit ou de force majeure, mais dont les tribunaux apprcient souverainement le caractre raisonnable 168.
Si la lecture des ouvrages franais impose un mme constat : la question des rapports entre force majeure et cas excepts est systmatiquement voque -de manire incidente- travers ltude des diffrents cas excepts; la jurisprudence franaise subit la mme influence : le droit des transports maritimes ne connat pas, proprement parler, la notion de force majeure []. Pour les tribunaux, en tout cas,
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dexonration type . Nous tudierons donc ces rapports afin de dterminer ce quils sont ou devraient tre (section 1re).
Toutefois, si le droit issu de la Convention de Bruxelles de 1924 et de la loi du 18 juin 1966 constitue le droit commun du transport maritime, il ne sapplique pas pour autant tous les contrats de transport. Se pose alors la question de savoir, pour le reliquat des contrats de transport chappant la technique des cas excepts et soumis au droit contractuel franais, si la notion de force majeure connat un particularisme maritime (section 2nde).
168
Droit des transports et droit maritime par Jacques Putzeys avec la collaboration scientifique de MarieAnge Rosseels, Bruylant Bruxelles, 1993, n378, p.216. 169 P. Bonassies et Ph. Delebesque, DMF 07, HS n 90, p.68.
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Section 1re
Comme nous lavons vu au chapitre 1er la qualification de force majeure est sujette moult interrogations. Il semble, de ce fait, difficile dnumrer les critres ncessaires celle-ci. Face cette difficult, nous nous rfrerons la notion minimale de force majeure en matire contractuelle, celle dun vnement irrsistible et imprvisible lors de la conclusion du contrat de transport170. Pour autant, nous utiliserons, si ncessaire, les indices dimprvisibilit et dextriorit.
A cette difficult due la flexibilit de la notion de force majeure sajoute celle rsultant de la diffrence des techniques dapprciation propres chaque notion. Lorsque la qualification des cas excepts se veut objective, celle de force majeure ncessite la runion de divers critres apprcis a posteriori.
Ainsi, lincendie est considr dans la Convention de 1924 comme cause dexonration de par cette qualification, ce qui peut porter le dbat sur la question de savoir ce quest un incendie, de dfinir le cas except. Par contre, en droit commun franais , la qualification dincendie est sans consquences juridiques, seule la question de savoir si lvnement tait irrsistible et imprvu emporte exonration de responsabilit.
Malgr ces difficults, il semble possible de considrer quun certain nombre de cas excepts ne peuvent tre qualifis de cas de force majeure. Ils viennent ainsi, avec les cas excepts dont lapprciation jurisprudentielle ou thorique se dtache clairement de la notion de force majeure, former un ensemble de cas excepts ne prsentant pas les caractres de la force majeure (sous-section 1re). Par contre, dautres cas excepts, travers lapplication qui en est faite par les juges franais, prsentent, a minima frquemment, les caractres de la force majeure (sous-section 2nde).
Avant cette tude nous apporterons certaines prcisions thoriques sur les rapports entre cas excepts et force majeure (sous-section prliminaire).
170
Cf. supra (chapitre 1er, section 1re) pour une analyse de la pertinence de ces critres.
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Ss. prliminaire
Prcisions thoriques relatives aux rapports entre cas excepts et force majeure
Selon les professeurs Rmond-Gouilloud171, Du Pontavice et Cordier172, les cas excepts nauraient pas rellement deffet exonratoire, ils se contenteraient de faire tomber la prsomption d responsabilit pesant sur le transporteur maritime. Cette analyse se comprend eu gard au fait que la faute du transporteur puisse rintroduire sa responsabilit : il ny a pas exonration dfinitive.
Pour autant, leffet exonratoire du cas except est, notre sens, indubitable : si les ayantdroits marchandise ne prouvent pas de faute du transporteur, ce dernier se trouve exonr, par la preuve du cas except et de son lien de causalit avec le dommage, de toute responsabilit. Certes la faute peut venir remettre en cause leffet exonrateur du cas except, mais fondamentalement, et pour sen tenir leffet strict du cas except, il engendre exonration de responsabilit.
Cet effet du cas except constitue son principal point commun avec la notion de force majeure. Aprs avoir tudi plus avant limportance de la notion de faute en matire de cas excepts -dans une perspective de comparaison avec la notion de force majeure- (I), nous nous intresserons leurs effets (II).
I-
La premire question consiste dterminer le rle de la faute par rapport aux cas excepts (A). Nous verrons ensuite le sort particulier rserv la faute du prpos (B).
Cf. Le contrat de transport , Dalloz 1993, p.62 : Car le cas except maritime ne vaut pas exonration : il fait seulement tomber la prsomption pesant sur le transporteur, sans le librer, le chargeur conservant la facult dtablir sa faute . 172 Du Pontavice et Cordier, La preuve du cas except nentrane pas lirresponsabilit proprement parler, mais elle oblige le cocontractant du transporteur prouver la faute de celui-ci , p.115.
171
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Nous lavons vu, en droit commun lventuelle faute du dbiteur est prive deffets par la qualification de force majeure. La situation est bien distincte avec la technique des cas excepts puisque cette notion peut cohabiter avec celle de faute du transporteur.
Si une fois que le dbiteur a prouv lexistence dun cas except, et celle du lien de causalit entre le dommage et le cas except, il na pas faire la preuve de labsence de faute de sa part 173, en pratique cette preuve est trs frquente.
La faute du transporteur rintroduisant sa responsabilit, celui-ci aura tendance prouver avant mme que layant-droit marchandises invoque sa faute- quil na commis aucune faute.
Labsence de faute sanalyse ainsi comme une condition supplmentaire dexonration , elle est condition exceptionnelle dexonration pour cas excepts nomms (innavigabilit et vice cach) et condition systmatique dexonration pour cas excepts innoms 174.
Ds lors, une question simpose : celle des rapports entre cette absence de faute et force majeure. Si en droit commun ces notions ne peuvent tre considres comme synonyme (cf. supra), leur proximit semble accrue lorsque sont en jeu des cas excepts.
Ceci tient limportance de la diligence requise du transporteur qui simpose que celui-ci prvoit les vnements pouvant rendre lexcution de ses obligations difficiles et fasse son possible pour rsister aux consquences des vnements sopposant lexcution de ses obligations.
Ainsi, afin de dmontrer quil na pas commis de faute le transporteur prouvera que le dommage tait pour lui imprvisible et irrsistible, c'est--dire quil constituait un cas de force majeure.
P. Bonassies in DMF 93, p.141, note approbative au sujet de larrt CA Aix-en-Provence, 13 septembre 1989, Tolga . Dans le mme sens : CA Rouen 30 juin 1972. 174 Selon les expressions de A. Sriaux dans sa thse, p.55 et s.
173
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Si cette preuve nest pas exige par le texte, elle assure au transporteur une exonration totale de responsabilit. De ce fait, le plus souvent, en prouvant quil na pas commis de faute, le transporteur caractrisera un cas de force majeure.
A cette particularit lie au contrat de transport sen ajoute une autre due au droit maritime : le fait de son prpos ou du navire, dans certaines hypothses, exonrera le transporteur de sa responsabilit.
Le cas except dincendie (dans la Convention de Bruxelles) prvoit spcifiquement que seule la faute personnelle du transporteur rintroduit sa responsabilit. La faute de son prpos est donc sans effet sur sa responsabilit. Mieux, en prouvant quelle est lorigine du dommage le transporteur se trouve exonr de sa responsabilit.
Le mcanisme est dailleurs identique lorsque le transporteur se prvaut de la faute nautique de son capitaine : elle exclut sa responsabilit.
Or, la jurisprudence relative la responsabilit contractuelle du fait de son prpos est sans appel : le dbiteur ne peut invoquer la faute de son prpos. En application de larticle 1384 alina 5, le commettant ne peut sexonrer en prouvant que le fait du prpos a t pour lui imprvisible et irrsistible, car il sagit de son prpos, celui qui le reprsente . Il ne peut pas non plus sexonrer en prouvant quil na commis aucune faute ou en raison dune cause trangre .175
La question nest donc pas de savoir si la faute du prpos peut constituer ou non un cas de force majeure pour le commettant : il y a l responsabilit de plein droit176, sauf dmontrer lexistence dune cause exonratoire en la personne mme du prpos par exemple un cas de force majeure.
175 176
Delebecque et Pansier, Responsabilit civile, dlit et quasi dlit , n199, p.143. Dont le fondement est discut par la doctrine, cf. Malaurie, Ayns et Stoffel-Munck, n1005, p.540.
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indniable,
pareillement le fait du navire d son vice cach ou son innavigabilit- peut parfois tre invoqu en tant que cas except, aprs que le transporteur ait prouv quil a accompli les diligences requises.
Or, en droit commun le rgime de la responsabilit contractuelle du fait des choses institue une prsomption de responsabilit et non pas de faute, c'est--dire que le gardien ne peut pas sexonrer en dmontrant quil na pas commis de faute, quil sest comport en homme prudent et diligent, en modle des pres de famille (Cass. ch. Runies, 13 fvrier 1930, Jandheur). Seule la cause trangre peut avoir cet effet 177.
Et ce rgime sapplique toutes sortes de choses, notamment aux moyens de transport tels quun train178, un avion179 ou un navire180.
L encore le particularisme du droit maritime est certain : il permet dinvoquer un dfaut du bien que le transporteur a sous sa garde, ce qui est impossible en droit commun .
Reste dterminer, lorsque la faute du transporteur est admise, les effets quelle produit.
II-
Dans une optique de comparaison des cas excepts et de la force majeure, deux questions principales se posent quant aux effets de cette faute : peut elle rintroduire une part de responsabilit du transporteur (A) ? Quelles consquences sont attaches lignorance de la cause du dommage (B), qui est, notamment, absence de preuve dune faute causale imputable au transporteur ?
177 178
Le Tourneau, n7693, p.1371 et s. Cass. Civ. 2me 11 janvier 2001. 179 Cass. Civ. 2me 20 juin 1973, CA Paris 19 novembre 1993. 180 Cass. Ch. Mixte 4 dcembre 1981 France , Civ. 2me 10 juin 2004, CA Paris 13 juin 1978.
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Comme nous lavons vu, une doctrine majoritaire estime en droit commun que la force majeure, de par ses caractristiques, ne peut emporter quune exonration de responsabilit totale. Nous estimons, suivant en cela les professeurs Starck et Bnabent, quil est trop rapide de rejeter sans distinction (quant la temporalit des vnements notamment) toute notion dexonration partielle. Il parat donc intressant dtudier la question de savoir si cette exonration partielle est reconnue en application de la Convention de Bruxelles de 1924 et de la loi franaise du 18 juin 1966.
Tant la Convention de Bruxelles que la loi franaise de 1966 prvoient la possibilit pour layant-droit, aprs que le transporteur ait dmontr quun cas except a caus le dommage, de dmontrer quune faute du transporteur a contribu la ralisation du dommage. Il va de soit que cette faute ne doit pas tre une faute dont le transporteur est exonr, c'est--dire une faute correspondant lun des cas excepts (tel que la faute nautique).
Le particularisme de la technique des cas excepts ne pouvait donc que renouveler la question de lexonration partielle.
Deux conceptions existent : la premire, objective ou causale, conduit retenir en principe que le transporteur, une fois exonr, doit le demeurer et que si une faute est prouve contre lui, lon doit aboutir une rintroduction partielle de responsabilit. La combinaison de la vertu exonratoire de lun et leffet responsabilisant de lautre doit conduire logiquement un partage de responsabilit ou, plus exactement, une exonration partielle du transporteur .
Selon la seconde conception, il est toutefois conforme ( la conception subjective) dadmettre, titre dexception, la rintroduction totale de la responsabilit du transporteur. Ceci doit advenir lorsque le cas except a t matriellement la consquence dune faute du transporteur. Ainsi pour lincendie, sil savre que celui-ci est d une ngligence fautive du transporteur 181.
181
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Comme le souligne le professeur Delebecque la difficult principale est de faire la juste tiologie des dommages. Le problme se pose en cas de cumul de fautes 182.
Une solution a t propose cet gard par le professeur Sriaux dans sa thse La faute du transporteur 183. Elle est dailleurs reprise par la doctrine la plus autorise184 et semble avoir t consacre de nombreuses occasions par la jurisprudence185. Elle distingue deux types de cas excepts :
ceux qui relvent de la sphre de diligence du crancier de responsabilit chargeur ou ayant-droit marchandises- (par exemple : le vice de la marchandise ou linsuffisance demballage),
ceux qui chappent cette sphre de diligence (le fait du Prince, faits de guerre ou dennemis publics, les prils de la mer, restriction de quarantaine).
Alors que pour les premiers, la faute distincte du transporteur ayant particip la survenance du dommage engendre une exonration partielle de responsabilit (il y a faute contre faute 186), dans le second cas la responsabilit du transporteur fautif est entire (il y a faute contre absence de faute ) car lon retrouve le principe de responsabilit de plein droit du transporteur.
Est ainsi admise une causalit partielle pour le cas o le dommage rsulte la fois dun cas except, appartenant la sphre de diligence du chargeur, et dune faute du transporteur.
Un problme peut aussi se poser dans lhypothse o le dommage rsulte de deux causes successives, lune qui exonre le transporteur, lautre engageant sa responsabilit- tant soulign par le juge, point essentiel, quil tait possible didentifier le dommage rsultant de la premire cause, et celui rsultant de la seconde (avec, videmment, le facteur dincertitude qui
Ph. Delebecque in Le droit international des transports maritimes , Centre dtude et de recherche de droit international et de relations internationales, Martin Nijhoff Publishers, 2001 183 La faute du transporteur , Alain Sriaux, 2me dition, prface de P. Bonassies, Economica, 1998. 184 Bonassies et Scapel, Delebecque, la doctrine nantaise i.e : Hesse, Beurier, Chaumette, Tassel, Mesnard, Rezenthel 185 Cass. Com Atlantic Island 7 juillet 1998, CA Rouen 8 dcembre 1998 Diego et Aquitania , CAMP sentence 971, 24 octobre 1997, Cass. 26 octobre 1996 World Navigator , 186 P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 1998 HS n2, n111, p.72 et s.
182
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affecte toute analyse de causalit- mais le juge est l pour rsoudre lincertitude)187. Cette difficult est tranche par une exonration partielle de la responsabilit du transporteur188.
La technique des cas excepts connat donc, sous certaines conditions, une exonration partielle de responsabilit du transporteur.
Si la doctrine (ultra) majoritaire devrait pouvoir sappuyer sur ce constat pour dnier aux cas excepts susceptibles daboutir un partage de responsabilit, il nous semble que ce constat est sans incidence sur cette qualification.
Par contre, la responsabilit totale du transporteur, engendre par la coexistence de sa faute et dun cas except ne relevant pas de la sphre de diligence du chargeur, est contraire aux effets de la force majeure (qui sont inverses, la faute du dbiteur se trouvant prive deffets).
La question de dfinir qui supporte le risque de labsence de dtermination de la cause du dommage revient, in fine, celle du risque de la preuve, c'est--dire de sa charge.
Le transporteur supporte une obligation de rsultat dont il peut sexonrer en prouvant tout la fois lexistence dun cas except et du lien de causalit liant celui-ci au dommage. Ds lors il supportera le risque li labsence de preuve de la cause du dommage.
Une spcificit, de taille, sattache toutefois ces cas excepts : la preuve de ceux-ci est parfois suffisante. Ainsi, la destruction des marchandises par un incendie dont on ne connat pas la cause exonrera le transporteur. De mme, lorsque est applique la thorie de linnavigabilit soudaine alors que les juges ne connaissent pas la cause du naufrage189.
P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 2001, HS n5, n92, p.71 et s. confirmant lanalyse relative lexonration partielle que nous avons men dans la 2nde section du chapitre 1er. 188 Cass. Com. 19 juillet 2001 Lloyd Pacifico , CA Aix 23 septembre 1999, Ville dAurore , TC Paris 13 janvier 1984 Meltemi II . 189 Cass. Com. 27 juin 1995 Arno , 13 juin 1989 Scopi , CA Paris 29 novembre 1978 Maori ou Sentence de la CAMP 24 novembre 1997.
187
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Il en va diffremment en matire de force majeure : cette excuse tant invoque par le dbiteur qui na pas excut, il devra en rapporter la preuve, faute de quoi linexcution sera considre fautive (sauf si dautres causes viennent la justifier).
Finalement, les cas excepts connaissent un certain particularisme par rapport la force majeure (faute du prpos, exonration partielle et risque de la preuve notamment), qui ne doit pas cacher les points communs ces deux notions (labsence de faute stricte nest pas ncessaire la qualification de cas except et tous les deux ont un effet exonratoire).
Le particularisme propre chaque cas except, qui engendre des apprciations jurisprudentielle et thorique distinctes, impose de les tudier individuellement (en prenant comme base la Convention de Bruxelles, mais sans nous interdire de runir certains cas excepts lorsquun mme raisonnement doit leur tre appliqu).
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Ss. 1re Les cas excepts ne prsentant pas les caractres de la force majeure
La nature de certains cas excepts leur dnie le caractre de force majeure (A). Pour dautres, seule lapplication jurisprudentielle190 fait que ces vnements, bien que pouvant potentiellement tre des cas de force majeure, nen prsentent pas, en pratique et le plus souvent, les caractres. A cette analyse casuistique, nous ajouterons une analyse thorique afin denvisager aussi les cas excepts qui ne devraient pas tre qualifis de force majeure (B).
I-
Linnavigabilit du navire sentend au sens large, et comprend tout ce qui est ncessaire au navire pour remplir sa mission. Elle sapprcie191 compte tenu du voyage effectuer et des marchandises transporter 192. Le vice cach chappant une diligence (ou un examen) raisonnable est aussi prvu en tant que cas except par la Convention de Bruxelles de 1924 et par la loi de 1966. Cest un dfaut indcelable lors des divers contrles techniques oprs sur le navire, qui se rvle lors de lutilisation de celui-ci en le rendant inapte lusage attendu193.
Sans aucunement se confondre, innavigabilit et vice cach sont deux notions voisines, et qui souvent se superposent 194 : toutes deux concernent une tare affectant le navire dont le transporteur peut se prvaloir aprs avoir dmontr quil a t raisonnablement diligent.
La preuve de linnavigabilit du navire ou de son vice cach, si elle saccompagne de celle dune diligence raisonnable pour mettre le navire en tat de navigabilit, exonre le
Nous reconnaissons ainsi, la suite du Doyen Carbonnier, la valeur dautorit la jurisprudence et mme celle de source de droit la suite des Doyens Vedel et Marty. 191 Quant lapprciation par la jurisprudence cf. Sriaux, n73 et s. Cf. aussi larticle du Commandant Figuire Le Code ISM et la notion de navigabilit , Revue Scapel 2005, p.93 et s. 192 M. Rmond-Gouilloud n581, p.375. 193 Daprs A. Bnabent Droit civil, les contrats spciaux civils et commerciaux , 7me dition, Montchrestien, 2006, n222, p.154. 194 P. Bonassies et Ch. Scapel, n 1092, p.698.
190
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transporteur de sa responsabilit195 la situation est ainsi paradoxale : suivant son origine linnavigabilit et le vice cach constituent une faute du transporteur ou une cause dexonration de sa responsabilit.
Cet effet est, en outre, totalement exorbitant du droit commun (cf. supra). De plus linnavigabilit et le vice cach du navire ne semblent pouvoir tre qualifis de force majeure en raison du caractre extrieur que nous avons pourtant critiqu ! En ralit, il est un fait que si le critre dextriorit nest quun indice de lirrsistibilit de lvnement, la jurisprudence franais ne reconnat pas au dbiteur la possibilit de sexonrer de sa responsabilit par la dmonstration dune dfaillance du matriel ncessaire lexcution de son obligation, dun objet dont il a la garde.
Autant que la rfrence lextriorit (quil faut aussi envisager comme critre de lirrsistibilit), le caractre de force majeure est cart en raison de ce que lobjet ncessaire lexcution de son obligation par le dbiteur entre dans la sphre de la diligence contractuelle laquelle il soblige.
Ainsi, le transporteur routier ne peut sexonrer de sa responsabilit en arguant dun dfaut de son camion. Il en va de mme quelque soit ce dfaut : le vice cach est pareillement concern.
Le dfaut de lobjet ncessaire lexcution de lobligation ne peut donc tre invoqu par le dbiteur en droit commun pour sexonrer de sa responsabilit contractuelle. En outre, les juges refuseraient vraisemblablement de le qualifier de force majeure.
Les cas excepts dinnavigabilit et de vice cach ne peuvent donc pas tre qualifis de force majeure.
En droit commun le mme article du Code civil, 1384, fonde le refus dune exonration en vertu de la faute de ses prposs.
Pour une application rcente refusant lexonration due linnavigabilit en raison de labsence de preuve de la diligence raisonnable : CA Versailles, 20 dcembre 2001, 12me chambre, section 2 Navire Fort Fleur dpe .
195
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La convention de Bruxelles prvoit que le transporteur peut sexonrer de sa responsabilit sil prouve que le dommage rsulte des actes, ngligence ou dfaut du capitaine, marin, pilote ou des prposs du transporteur dans la navigation ou ladministration du navire , ce que la loi de 1966 traduit par la notion de faute nautique .
Cette institution est aujourdhui largement dcrie et les tribunaux franais, conscients de labsence de fondements actuels de cette rgle dun autre ge 196, lappliquent de manire trs stricte197.
La distinction des fautes nautiques, exonratrices de responsabilit pour le transporteur, des autres fautes commises par les prposs, qualifies de commerciales , nest pas des plus videntes. Si la nature de la faute importe seule ici, non sa gravit 198, la dtermination pratique de cette nature est source de bien des difficults. Son fondement a ainsi chang dans le temps : aprs stre intresss la destination de lacte fautif, les juges optent dsormais pour le critre de la scurit du navire. Ce dernier critre, parfois difficile utiliser, empche toute gnralisation de la matire199.
Or, nous lavons vu, la faute du prpos ne peut exonrer le commettant en droit commun. Au demeurant, elle ne serait sans doute pas qualifie de force majeure.
C/ La saisie judiciaire du navire en raison du non paiement dune dette par le transporteur
Par dfinition, et sauf considrer le cas exceptionnel dune saisie abusive, une saisie judiciaire rsulte du dfaut de paiement dune dette.
P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF HS n10, juin 2006, p.60. Cf. notamment : CA Bordeaux 31 mai 2005 Heidberg , et a contrario (mais ici la faute nautique tait incontestable) : CA Aix 14 mai 2004 Al Hoceima , DMF 2005, p.322 et s. 198 M. Rmond-Gouilloud, n582, p.376. 199 P. Bonassies et Ch. Scapel, n1098 et s. p.703 et s.
197
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Or, la seule explication pouvant rendre ce dfaut de paiement irrsistible tiendrait limpossibilit financire laquelle se trouverait confronte le dbiteur. La force majeure financire nexistant pas, une telle saisie judiciaire ne peut tre qualifie de force majeure.
Doit toutefois tre mentionn le cas o un crancier viendrait saisir un navire pour une dette du propritaire ou de larmateur du navire alors que celui-ci nest pas le transporteur. Il semble que dans ce cas il soit envisageable de considrer que cette saisie puisse tre, pour le transporteur, un cas de force majeure. Nous laisserons nanmoins de ct cette hypothse ce stade de notre dveloppement.
D/ La freinte de route Aussi dnomm dchets de route200, cest le fait pour une marchandise de prendre du poids ou du volume du fait de la dessiccation, vaporation ou dispersion due sa nature 201. Comme le souligne le professeur Rmond-Gouilloud la freinte de route ne libre pas le transporteur : ntant pas responsable il na pas tre libr 202.
Il est dailleurs surprenant que cette consquence normale du transport soit vise comme exception la responsabilit du transporteur. Il y a sans doute l volont dviter des actions dilatoires.
La freinte de route ne peut pas tre un cas de force majeure au regard des critres caractrisant cette notion : si elle est irrsistible elle na rien dimprvu, elle ne correspond donc pas la qualification de force majeure.
Mais, surtout, la freinte de route tant naturelle elle est trangre lide qui soustend la notion de force majeure : celle dun vnement rendant lexcution dune obligation impossible.
200 201
R. Rodire et E. Du Pontavice, n373, p.352. P. Bonassies et Ch. Scapel, n1087, p.692. 202 Rmond-Gouillou, n588, p.381.
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Le vice cach ou propre de la marchandise tient une tare laffectant et expliquant sa dtrioration. Cette situation est donc trs proche de la freinte de route, puisquil ny a pas proprement parler mauvaise excution du transporteur la raison de la dgradation de ltat des marchandises ntant pas imputable au transporteur, les remarques pralablement avances trouvent ici aussi sappliquer.
Une distinction, par rapport la freinte de route, doit toutefois tre opre : la dgradation tant due un dfaut de la marchandise il est possible de sinterroger sur la porte juridique de la signature du connaissement par le transporteur mais tel nest pas lobjet du prsent travail.
En tout tat de cause, les notions de vice cach, vice propre ne correspondent pas la notion de force majeure.
La convention de Bruxelles, en son (q) du 2 de larticle 4, prvoit que le transporteur ne sera pas responsable des dommages ayant toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou prposs du transporteur . Une clause tout aussi fourre-tout figure larticle 27 de la loi franaise de 1966. Elle a toutefois une vocation beaucoup plus large puisquelle fut conue pour se substituer tous les cas excepts non numrs par la loi franaise.
Nous nous intresserons donc seulement la catch all clause internationale et la clause fourre-tout franaise employe dans le mme dessein. Or, Eu gard au vaste champ des exonrations incluses dans les cas excepts viss par la paragraphe 2 de larticle 4 de la Convention, le cas vis la lettre (q) de ce texte noccupe quune place rduite 203.
P. Bonassies et Ch. Scapel, n1080, p.689. Cf. aussi Cass. Com. 14 fvrier 1989 Sunny Arabella , pour un rejet de ce cas except aussi surprenant que celui de faits dennemis publics .
203
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Nonobstant la raret de lutilisation de ce cas except, il est possible de considrer avec certitude quil nest pas exig que le dommage rsulte dun cas de force majeure. Ainsi, dans larrt de la Cour dappel de Paris du 28 mars 2001204, il nest pas prcis la raison de la condensation ayant endommag les marchandises. Si la notion dabsence de faute du transporteur et de ses substitus (discutable en lespce) a sans doute fond la solution (mais le lecteur et aim que la Cour le dit expressment 205), elle ne signifie pas force majeure.
De mme, larrt de la Cour dappel de Paris du 22 novembre 1996 na il pas qualifi la falsification du connaissement de force majeure, ni fait rfrence aux caractres propres cette notion.
Pareillement, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrt Butterfly du 21 fvrier 1984, sest elle contente de considrer que lavarie par dconglation avait pour cause un fait non imputable au transporteur .
Et la jurisprudence ne sy trompe pas : nest exige que labsence de lien de causalit entre les faits du transporteur et de ses prposs et le dommage. Exiger la preuve dun cas de force majeure, dont on sait quil ne se confond pas avec labsence de faute, serait ajouter la loi.
Si ces cas excepts ne peuvent prsenter les caractres de la force majeure, dautres le pourraient mais, en pratique, cela nest pas exig.
II-
Les cas excepts ne prsentant pas, en pratique, les caractres de la force majeure
A/ Lincendie
Lincendie, feu anormal, destructeur et dangereux, causant des dommages dimportance apprciable , est assez largement interprt -ce qui correspond la volont du Doyen
204 205
BTL 2001, p.643 ; DMF 2002 HS n6, n95, p.74. P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 2002 HS n6, n95, p.74.
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Rodire qui considrait qu il faut tendre la solution des choses endommages par lincendie celles qui lont t par les effets ou les consquences de lincendie, ainsi par la fume qui sen est dgage ou par leau jete pour lteindre 206. Fut ainsi admis comme entrant dans le cas except dincendie les dommages (maturation) subis par une marchandise qui se trouvait dans une cale dont le systme de ventilation a t stopp du fait de lincendie207.
Lincendie constitue toujours, bord du navire, un vnement dune particulire gravit. La lutte par les seuls moyens du bord est difficile 208 assertion dont la validit fut particulirement dmontre par lincendie du Hyunda Fortune209. Un incendie peut donc se rvler lment irrsistible caractre qui ne fera que saccentuer au fur et mesure de son dveloppement. En outre, un incendie sera imprvu lors de la conclusion du contrat de transport ds lors que le transporteur aura exerc les diligences normales relatives la lutte contre ce genre dvnements.
Lincendie peut donc prsenter les caractres de la force majeure. Cette qualification, non exige par les textes franais et international, est elle releve par les juges ?
Si lon en croit Melle Landon, en 1987 il tait possible de considrer que, les juges exigent souvent les caractres de la force majeure. Lorsque le navire tait quip convenablement pour lutter contre lincendie, que les certificats de la Lloyd attestaient de la validit de lquipement, et que les pompiers ont mis plus de 2 heures en venir bout, lincendie est un cas de force majeure insurmontable . A lappui de ces dires, notre prdcesseur citait les sentences arbitrales du 16 janvier 1981 et du 18 octobre 1983.
Lincendie est une cause exonratoire de responsabilit pour le transporteur, sauf dans le cas o le chargeur dmontrerait quil a commis une faute (or, dans le plus grand nombre de cas les tribunaux relvent une telle faute 210). De ce fait, lincendie dorigine inconnue est
206 207
Rodire, Trait, t. II Affrtement et transports , 1968, n627, p.269. CA Paris 9 mars 1977. 208 P. Bonassies et Ch. Scapel, n1091, p.697. 209 Cf. sur ce point www.meretmarine.com articles des 22 et 28 mars 2006, aussi (nombreuses photos) www.afcan.org. 210 P. Bonassies et Ph. Delebecque DMF, 2003, HS n7, n83, p.70 ainsi CA Rouen 17 janvier 2002.
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libratoire pour le transporteur211. Il y a l une distinction essentielle par rapport la force majeure : celle-ci doit ncessairement tre prouve.
Les professeurs Bonassies et Scapel, dans louvrage de droit maritime le plus rcent, considrent quil nest sans doute pas ncessaire de prouver que le fait non imputable tait extrieur, imprvisible et irrsistible pour les cas excepts spcifiques viss par la loi de 1966 (incendie, grve, sauvetage)212.
La lecture des arrts et jugements ayant eut se prononcer sur lexistence dun incendie en tant que cas except est toutefois sans appel : pas un, notre connaissance, ne se rfre cette notion. Cet tat de la jurisprudence sexplique sans doute par le fait quil est expressment prvu que la faute du transporteur le prive du bnfice de ce cas except.
Ainsi, les dcisions judiciaires constatant que le dommage est d un incendie et que le transporteur na pas commis de faute, avec ventuellement le constat de ce que la cause de lincendie est inconnue, il est vraisemblable que les juges ne ressentent pas la ncessit de justifier plus avant leurs dcisions. Si le cas except dincendie est rejet cest quil est li une faute du transporteur (qui, si elle ne lvince pas, saccommode mal dun cas de force majeure), et sil est reconnu cest que lvnement est, a minima, trs proche de constituer un cas de force majeure.
Cette constatation jointe celle selon laquelle lincendie dorigine indtermine est exonratoire de responsabilit pour le transporteur permet de considrer que ce cas except na pas prsenter les caractres de la force majeure pour tre exonratoire de responsabilit, tant au plan thorique que jurisprudentiel.
B/ La faute du chargeur
CA Rouen 12 juillet 1957, TC Marseille 4 mars 1959, TC Paris 25 juin 1975, CA Aix-en-Provence 16 juillet 1977. Sbastien Beuzit, dans son mmoire Lincendie bord du navire marchand (CDMT 2003) remarque ainsi qu il est toutefois frquent que la cause de lincendie ne puisse tre clairement identifie par les experts. Lincendie bord est en effet ce point destructeur quil est toujours extrmement difficile, voire mme impossible, de dterminer son origine exacte. Ainsi la cause de lincendie demeure souvent inconnue . 212 P. Bonassies et Ch. Scapel, n1073, p.685.
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Le (i) du 2nde paragraphe de larticle 4 de la Convention de Bruxelles de 1924 vise un acte ou omission du chargeur ou propritaire des marchandises, de son agent ou de son reprsentant , le (n) vise les insuffisances demballage et le (o) les insuffisances ou imperfection de marques . Ces trois cas excepts distincts sont runis dans la loi franaise en un seul qui vise les fautes du chargeur, notamment dans lemballage, le conditionnement ou le marquage des marchandises .
La faute du chargeur, certainement lun des cas excepts les plus sollicits notamment quant lemballage dfectueux de la marchandise- correspond au fait du tiers ici le cocontractant.
La jurisprudence nexige pas que la faute commise par le chargeur (celle du destinataire nest pas reconnue) prsente les caractres de la force majeure213. Cela se comprend aisment : la faute du chargeur ou de ses substitues suffit dgager la responsabilit du transporteur. La faute de son cocontractant lexonre de sa responsabilit sans quil soit ncessaire que celle-ci soit irrsistible et imprvisible.
Considrer la question autrement serait imposer au transporteur de veiller ce que ses cocontractants agissent au mieux de leurs intrts ! Cependant cela ne signifie pas que le transporteur ne dusse pas veiller dans une certaine mesure aux intrts du chargeur : cela fait partie de sa mission214. Il doit ainsi dceler, sil en a les moyens, les erreurs manifestes pouvant tre contenues dans les instructions de chargement215 et, de faon plus gnrale, apporter tout le soin ncessaire la marchandise sans que le chargeur ait lui indiquer toutes les prcautions prendre216.
Dailleurs, cette exonration semble entendue moins comme un cas except en faveur du transporteur que comme une sanction du chargeur et ce, chaque tape de la prparation des marchandises en vue du transport maritime. Ces causes dexonration ne sont pas
Rcemment, et parmi un florilge darrts, Cass. Com 22 janvier 2002, CA Aix 2 dcembre 2004, 7 septembre 2001 Kamakura , 29 juin 2000, CA Versailles 5 avril 2001, 30 mars 2000, CA Paris 19 fvrier 2003. 214 CA Aix-en-Provence 14 fvrier 1984, DMF 1985, p.542 pour un chargement de riz opr sous une pluie battante. 215 CA Versailles, 29 juin 1999 CMA-CGM c/ SCAC . 216 CA Rouen, 22 septembre 1998 Tamatave , DMF 1991, p.114- un logo signifiant une interdiction de gerbage est suffisant pour que lemploi de cette mthode de chargement soit fautif pour le transporteur.
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particulires. En droit commun de la responsabilit contractuelle, en effet, les fautes du cocontractant librent le dbiteur dune obligation contractuelle 217.
La faute du chargeur suffit donc exonrer le transporteur sans que la jurisprudence ne se rfre la notion de force majeure. C/ Le fait dennemis publics
Le terme dennemis publics prte discussion , il parat toutefois indiscutable que son rejet fond sur la souverainet sexerant sur les eaux dans lesquelles se droulrent les vnements est infond218. La loi franaise englobe ce cas except dans la notion dvnement non imputable. De ce fait la dmonstration des caractres irrsistible et imprvisible devrait emporter reconnaissance de ce cas except219, sans toutefois que cela soit indispensable.
La jurisprudence considre dailleurs que le caractre prvisible dune attaque ou dun vol soppose la reconnaissance de ce cas except220. Cela nquivaut pas ncessairement ce que la force majeure soit exige pour que ce cas except soit reconnu, cette exigence correspondant, en ralit, celle dabsence de faute du transporteur.
Il semble donc que le fait dennemis publics, sil peut tre un cas de force majeure, ne ncessite pas dtre qualifi comme tel pour tre reconnu.
La rflexion incite dailleurs considrer quil nest pas souhaitable dexiger de cet vnement quil soit un cas de force majeure. De par la violence, non ncessairement extriorise, que cette qualification sous-entend il faut ncessairement considrer lvnement irrsistible. Il serait impensable de distinguer suivant la violence dont ces ennemis publics ont fait preuve car il vaut mieux ignorer limportance de celle-ci et que tous les marins soient vivants, plutt que de prendre le risque de violences aux consquences trop prvisibles.
40 ans dapplication des cas excepts de responsabilit des Rgles de La Haye-Visby , DMF 2005, p. 908 et suivantes. 218 P. Bonassies et Ch. Scapel, n1077, p.687 et DMF 1989, p.419 note de P. Bonassies propos de larrt Cass. 14 fvrier 1989 Sunny Arabella . Une tude accessible sur le site de lOMI (www.imo.org) nous apprend que 86,5% des attaques de navires entre 1995 et 2000 eurent lieu dans les eaux territoriales ou des ports, dmontrant encore un peu plus le caractre aberrant de la solution adopte par la Cour de cassation. Cf. aussi, sur ltat actuel de la piraterie le site www.arte.tv.fr. 219 Dans ce sens : P. Bonassies et Ch. Scapel n 1077, p.687. 220 TC Marseille 18 dcembre 1998 Tiger Force , CA Paris 7 octobre 1986.
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Toute la question devrait donc porter sur le caractre prvisible de ces faits. Or, pour prendre lexemple de la piraterie qui semble le plus adapt ce cas except- passer par certaines rgions (dtroit de Malacca ou mer de Chine mridionale notamment) rend les attaques de pirates prvisibles mais non vitables ! En outre, les chargeurs et destinataires savent pertinemment que le navire, donc la cargaison, court ce risque. Contractant en connaissance de cause ils acceptent cet ala et sont, de notre point de vue, de mauvaise foi se plaindre de ces faits d ennemis publics .
Il pourrait tre oppos cet argument celui selon lequel, le plus souvent, ce sont les assureurs qui agissent contre le transporteur. Certes ! Mais le fondement nest rien dautre quune subrogation. Refuser aux ayant-droits marchandises une action contre le transporteur permettrait dinterdire cette action aux assureurs.
Nous en convenons, les primes dassurance sen trouveraient augmentes mais largument nest pas juridique. De plus, il nest pas suffisant pour justifier la situation actuelle.
Finalement, si le cas except du fait dennemis publics, tel quappliqu par la jurisprudence, nexige pas de prsenter les caractres de la force majeure, cette solution ne peut tre quapprouve.
Les faits de guerre sont viss par le (e) du 2 de larticle 4 de la Convention de Bruxelles lorsque les meutes et troubles civils sont viss par le (k) du mme paragraphe.
La guerre est un conflit arm entre deux Etats, chacun des belligrants cherchant soumettre son ou ses adversaires sa volont par la force 221, les meutes et troubles civils se distinguent par les personnes quils opposent : plus que deux Etats, par le truchement de deux armes, ce sont les citoyens ou des milices qui prennent les armes et saffrontent.
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Au plan de lexcution du contrat de transport maritime leffet reste la mme : dans une situation de violence, celle-ci peut se trouver interrompue.
Tels qunoncs dans la Convention ils nont pas besoin de revtir les caractristiques de la force majeure pour exonrer le transporteur maritime 222. Puisquil nexiste pas, notre connaissance, darrt rcent propos du cas except dmeutes, troubles civils ou faits de guerre, une mme solution serait sans doute applique aujourdhui.
Finalement, il ne semble pas exiger que les troubles civils ou guerres soient des cas de force majeure. Au demeurant, cette solution est toute fait justifi juridiquement : les cas excepts de la Convention de Bruxelles sont trangers cette notion.
Les prils de la mer forment la cause dinexcution du contrat de transport de marchandises la plus vidente, celle qui vient en premier lesprit223. Elle est dailleurs la plus ancienne puisquelle tait dj prsente larticle 11 des Rles dOlron.
La premire question tient sans doute la dfinition de prils de la mer , trop souvent appels fortune de mer 224. Ceux-ci sont traditionnellement dfinis comme tant un concours de circonstances dans laquelle entrent en cause la force du vent, ltat de la mer et la hauteur des vagues 225. Critres auxquels le professeur Tetley adjoint trs justement ceux du lieu et de lpoque de lanne, de la prvisibilit, de la dure et des dommages causs aux navires se trouvant proximit226.
40 ans dapplication des cas excepts de responsabilit des Rgles de La Haye-Visby , DMF 2005, p. 908 et suivantes. 223 La tempte, pril de la mer par excellence selon Tetley, tant le pril de la mer le plus souvent invoqu nous le prendrons comme base pour notre rflexion. Il semble, cependant, que les tribunaux sont moins svres dans lapprciation des autres prils de la mer cf. Bonassies, DMF 1989, p.159 propos de CA Aix 1er fvrier 1986. 224 Terme employ larticle 46 du dcret qui dispose qu il nest d aucun fret pour les marchandises perdues par fortune de mer ou par suite de la ngligence du transporteur . La fortune de mer est un terme initialement utilis pour dsigner le patrimoine de mer -Cf. le mmoire de Jean Frdric Joary La fortune de mer , CDMT 2003. Aussi, propos du prt la grosse aventure, qui est lorigine du patrimoine de mer, Lvy et Castaldo, Histoire du droit civil , Prcis Dalloz, 1re dition, 2002, n455, p.674. 225 Y. Poupard, DMF 1984, p.424. 226 Tetley, chapitre 18, page 437-438.
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En common law, diverses dfinitions furent proposes: M. Hough, dans laffaire Rosalia, les dfinit comme something so catastrophic as to triumph over those safeguards by which skillfull and vigilant seamen usually bring ship and cargo in safety, definition qui influena longtemps les juridictions amrciaines. Plus rcemment, le professeur Tetley considrait les prils de la mer comme tant some catastrophic force or even that would not be expected in the area of the voyage, at that time of the year and that could not be reasonably guarded against227.
Les prils de la mer font lobjet dun cas spcifique distinct dans le cadre de la Convention de Bruxelles de 1924, contrairement la loi franaise de 1966 qui les inclut dans le cas except gnral de faits constituant un vnement non imputable au transporteur .
Ainsi, si la Convention de Bruxelles sen tient la mthode classique du cas except, qui dfinit a priori un vnement comme tant exonratoire de responsabilit, la loi franaise diffre sur ce point. Elle ncessite, par hypothse, de dmontrer que le fait est non imputable , c'est--dire dapprcier a posteriori ses caractres. Les textes imposent donc des techniques distinctes et donnent lieu des solutions diffrentes au plan des rapports avec la force majeure nous tudierons donc lapprhension de ce cas except par la loi de 1966 ultrieurement228.
Comme soulign par les tudiants du Master droit des espaces et des activits maritimes de lUniversit de Bretagne occidentale, Le juge adopte deux solutions une fois que le pralable de la due diligence et le lien de causalit sont tablis. Soit il applique la lettre la Convention et considre que lexonration de responsabilit prvue pour pertes ou dommages rsultant ou provenant des prils, dangers ou accidents de mer, nest pas subordonne la preuve que ces circonstances aient le caractre insurmontable et imprvisible de la force majeure229. Soit, il interprte la Convention la lumire de son droit maritime interne. Les
Tetley, chapter 18, p.432. Il et t concevable de traiter la question des prils de la mer dun seul tenant. Nanmoins, la diffrence textuelle, autant que jurisprudentielle, et la longueur des dveloppements nous incitrent prfrer cette dichotomie. En outre, si ce nest surtout, la jurisprudence exige, le plus souvent, que le pril de la mer soit un cas de force majeure dans le cadre de la loi de 1966, ce qui distingue le droit national de lapplication faite par la juge national de la Convention de Bruxelles. 229 Notamment Cass. Com 29 avril 2002, 7 dcembre 1999, CA Aix 19 janvier 2001, 17 fvrier 1994, 23 fvrier 1993, CA Rouen 24 fvrier 2000, 10 novembre 1999.
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juges franais ont dans ce cas tendance exiger que les caractres de la force majeure soient runis230. Les dcisions dans ce sens sont nombreuses .231
Si la matire recle de trs nombreux arrts dont lunit de vue est parfois discutable, une doctrine majoritaire considre de manire gnrale que cette notion de fortune de mer retenue par la Convention est plus large que celle de force majeure : elle sentend de tout vnement anormalement pnible. Il ny a pas lieu dexiger du transporteur que lvnement quil allgue pour sexonrer prsente un caractre imprvisible et insurmontable ds lors quaucune faute nest dmontre contre lui ou ses prposs 232.
Cette considration parat, la vrit, devoir emporter ladhsion pour plusieurs raisons :
Tout dabord, la Convention de Bruxelles de 1924 juxtapose cette notion de prils de la mer celle d act of god , soulignant ainsi le caractre plus habituel, plus normal mme, des prils de la mer. Lacte de Dieu parat tre lvnement imprvisible et irrsistible, celui contre lequel lhumain ne peut rien (en filigrane : car il rsulte de la volont divine).
Ensuite les termes mmes de prils de la mer indiquent que ceux-ci ont un caractre habituel, sont inhrents au milieu maritime. Sils peuvent tre particulirement grands (do le fait que le transporteur ne puisse en rpondre) il nest pas exig quils soient irrsistibles.
En outre, la Convention de Bruxelles de 1924 ne fait aucune rfrence la notion de force majeure, rien ne prsente les prils, dangers et autres accidents de la mer ou dautres eaux navigables comme devant revtir les aspects de la force majeure233.
Notamment Com 7 juillet 1998, 1er dcembre 1992, CA Aix30 octobre 1997, 1er fvrier 1986, 27 fvrier 1985, 9 mai 1973, 20 dcembre 1972, CA Paris 13 octobre 1986, 2 fvrier 1971, CA Bordeaux 26 janvier 1972. 231 Regards sur la jurisprudence. 40 ans dapplication des cas excepts de responsabilit des Rgles de La Haye-Visby , DMF 2005, p.908 et s. Le professeur Rmond-Gouilloud remarquait dj cette tendance en 1993 lorsquelle crit La pratique a du mal saccommoder de cette disparit entre rgime interne et international : priodiquement la jurisprudence est conduite a rappeler que la fortune de mer vise par la convention doit sapprcier moins svrement que la force majeure franaise -n585, p.379. 232 Lamy Transport 2007, n623, p.364. Dans le mme sens R. Rodire et E. du Pontavice, n369, p.350 ; M. Rmond-Gouilloud, n585, p.378, P. Bonassies (DMF 1992, 154), Y. Tassel (DMF 1993, note sous Cass. Com. 1er dcembre 1992, Houtmangracht , p.44 et s.), A. Vialard (DMF 2001, note sous CA Aix 19 janvier 2001 Ras Mohamed , p.820 et s.). 233 Avis partag par Rodire et Du Pontavice (Droit maritime, 11me dition, Dalloz 1991, p.288), A. Vialard, DMF 2001, p.820 et s. Toutefois, la Cour Suprme canadienne en juge autrement : exigeant que les prils de la mer soient irrsistibles et imprvisibles -cf. les divers arrts cits lappui de cette assertion par le professeur Pineau, n172, p.206.
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Enfin, nous savons que la Convention de Bruxelles et un texte de compromis bas sur lide de partage des risques entre transporteur et ayant-droit marchandises. Il semble ainsi que les risques de la mer dpassant une diligence raisonnable aient t considrs comme devant tre supports par les ayant-droit marchandises. La jurisprudence, sur la base de ce texte, se fonde dailleurs frquemment, lorsquelle nexige pas que lvnement prsente les caractres de la force majeure, sur le caractre anormal des prils234. Ainsi, les prils normaux relveraient de la diligence du transporteur ( travers les notions de navigabilit et dabsence de faute) alors que les consquences des prils anormaux seraient, quant aux dommages subis par la marchandise, supports par les intrts cargaison.
Cependant, lanalyse des dfinitions donnes par les auteurs outre-atlantique et outre-manche souligne limportance de la rfrence la normalit, ce qui est prvisible ( usually , expected in the area 235).
Le caractre de prvisibilit des prils de la mer parat ainsi primordial dans les conceptions anglaise et amricaine, plus encore que celui dirrsistibilit. Lanalyse semble toutefois relativement concrte : si elle ne prend pas en compte les caractristiques du transporteur et la diligence laquelle il sest oblig (cf. supra) elle prend en compte ce quoi lon peut sattendre en un lieu donn et une priode donne236. Ainsi fut il admis plusieurs reprises comme pril de la mer une vague particulirement forte (sans parler de vague sclrate) qui avait dfi les prvisions du Capitaine237 -analyse particulirement concrte.
En outre, le caractre irrsistible parat aussi avoir sa place : si le pril tait rsistible et que le transporteur ny a pas rsist sa faute est caractrise. Le pril ne peut donc tre quirrsistible
Notamment : CA Aix 19 janvier 2001 Ras Mohamed , CA Versailles 30 mars 2000, CA Paris 13 mai 1988 Ange Atlantic ; de mme, en application des rgles de Hambourg : TC Marseille 5 octobre 2004 Cap Canaille 235 Comme le souligne le professeur Hassania Cherkaoui dans son article Le pril de mer, notion maritime de la force majeure , DMF 1991, p.211 et s. 236 Nous noterons dailleurs, avec les professeurs Cherkaoui et Tassel, que la rfrence la force du vent est sur ce point trop rapide : les circonstances locales rencontres par le navire peuvent tre trs diffrentes de ce qui est annonc et relev sur zone. Nanmoins, cette approximation donne une ide (au risque cependant dinduire en erreur) des conditions de mer. 237 Sentence arbitrale n1077 de la CAMP du 18 novembre 2002, propos dune lame traversire qui avait brutalement couche le navire , CA Aix 27 fvrier 1985 Libert , propos dune lame particulirement forte qui avait dclench un coup de roulis de lordre de 40.
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le respect du texte international imposera toutefois une conception moins stricte de ce critre.
Finalement, si les tribunaux franais exigent parfois que le cas except de prils de la mer soit un cas de force majeure, la lecture de la Convention de Bruxelles nimpose pas une telle condition. Il y a donc dnaturation du texte .
Comme nous lavons soulign, le transporteur en prouvant quil na commis aucune faute, tablit frquemment que le cas except est un cas de force majeure. En outre, cette qualification inutile en droit, semble renforcer la lgitimit de la dcision rendue ( qui peut le plus peut le moins).
Ces deux raisons, jointes au poids des habitudes et concepts franais expliquent, vraisemblablement, que la force majeure soit parfois caractrise par les juges lorsque cela constitue une erreur de droit sans importance quand le cas except est admis, elle peut savrer dommageable lorsque le bnfice du cas except est refus.
En dehors de la question de savoir si celle-ci est justifie par ladquation de la notion de force majeure celle de prils de la mer (cf. infra), se pose la question de savoir si celle-ci permet une homognisation des solutions, c'est--dire de dterminer si la loi franaise de 1966, en elle-mme et telle quapplique par les tribunaux, impose que lvnement de mer soit un cas de force majeure (cf. infra).
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Ss. 2nde
Nous le concdons demble : nous jouons sur le double sens du verbe devoir pour agglomrer dans cette sous-section les cas excepts devant tre cas de force majeure selon la jurisprudence (I) aucun systmatisme ne semble exister en la matire- et ceux devant , selon nous cette fois, prsenter ces caractres (II).
I-
Le Doyen Rodire a pu considrer que la priphrase faits constituant un vnement non imputable renvoyait la force majeure238. Etant linstigateur principal de la rforme du droit maritime on ne peut douter de cette volont. Nanmoins, force est de constater que lexpression est source dambigut : nest elle pas plus proche de la notion de cause trangre, notion plus accueillante ne ncessitant pas la preuve du caractre dirrsistibilit ?
Ainsi, un fait non imputable au transporteur peut sentendre de la faute dun tiers, sans que celle-ci ne prsente ncessairement les caractres de la force majeure.
Il est toutefois notable que cette expression, en matire de prils de la mer, se rfre le plus souvent la notion de force majeure. En effet, il est difficilement concevable quun chouement, abordage dun iceberg, prsence de rats dans la tuyauterie du navire ou, pril par excellence , le mauvais temps239 soit caus par un tiers (lacte de Dieu tant un cas except distinct !). Reste toutefois labordage fautif par un autre navire malgr tout, et eu gard au fait que ce sont quasi-systmatiquement des temptes qui sont invoques comme
Rodire, trait, t. II Affrtements et transports n630 ; de mme le professeur Rmond-Gouilloud considre que le droit franais, plus svre, exige en outre que lvnement en cause nait t pour lui ni prvisible ni surmontable, c'est--dire quil soit constitutif de force majeure : la formule lgale se ramne la cause trangre de droit commun , n585, p.378. 239 Pour reprendre la liste du professeur Tetley - chapter 18, p.435.
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prils de la mer240, lassimilation de ce fait non imputable la force majeure, en la matire, nous parat une approximation trs acceptable.
Il est, en outre, avanc que le fait dexiger que le fait non imputable prsente les caractres de la force majeure contrevient la volont dhomognisation des rgimes international et franais. Or cette homognit ne semble mise en danger quau niveau international (cest dj beaucoup, nous en convenons). En effet, nous lavons vu, le cas except de prils de la mer vis par la Convention de Bruxelles de 1924 est, trs frquemment, interprt par les juges franais comme ncessitant la dmonstration dun cas de force majeure.
Quen est il en jurisprudence quant la reconnaissance des prils de la mer dans le cadre de la loi franaise?
Il semble possible de considrer, avec une doctrine autorise, que quand le transporteur, pour un transport soumis la loi de 1966, invoque un fait extrieur (grve ou pril de la mer par exemple), il doit prouver que ce fait ne lui est pas imputable, tant pour lui non seulement extrieur mais aussi imprvisible et insurmontable .241
La question se pose alors de dterminer si cette solution, la rfrence la force majeure, est justifie. Le professeur Tassel fait dailleurs remarquer que la jurisprudence
bienveillante , c'est--dire nexigeant pas la preuve de ce que le pril de la mer soit un cas de force majeure, est sans doute choquante en croire le nombre darrts qui, en sens contraire exigent que le dommage soit du un cas de force majeure242.
Nous lavons dit, la lecture de la loi dans la perspective de la volont de ses rdacteurs nest pas dun grand secours.
Lopportunit semble, ds lors, devoir justifier un choix. Au-del de largument selon lequel lhomognit des rgimes national et international est souhaitable, se pose la question de savoir si la notion de force majeure est adapte la notion de prils de la mer.
Nous raisonnerons donc principalement partir de celles-ci. P. Bonassies et Ch. Scapel, n1073, p.685. Cf. notamment, 29 avril 1990 Al Hoceima , CA Paris 2 mars 1988 Rhne , TC Marseille 1988 Nausicaa . 242 Y. Tassel, note sous Com 1er dcembre 1992, Houtmangracht , DMF 1993, p.45 et s.
241
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Tout dabord, les navires sont prvus pour affronter des temptes virulentes, ainsi que lexprima le Tribunal de Commerce de Marseille dans un jugement du 3 mars 1995 le mauvais temps et la tempte sont des lments prvisibles en matire maritime. Les navires sont construits et doivent tre gouverns pour y faire face 243. Laptitude affronter les prils de la mer est mme intrinsque la notion de navire244 : elle participe de la distinction entre ce qui est ou nest pas un navire. Il est donc impensable de considrer que toute tempte est exonratoire de responsabilit pour le transporteur.
Ds lors, lide de force majeure, si ce nest ses critres, parat particulirement adapte : le transporteur doit assumer les risques dont sa diligence peut empcher la ralisation. Par contre, pour les risques qui ne pourront jamais tre totalement carts, les ayant-droits marchandises doivent accepter den supporter les consquences. Est ainsi nouveau prsente (cf. supra) lide que le risque doit tre support par le transporteur lorsquil est normal , et par les intrts cargaison lorsquil est anormal .
Si le contrat de transport maritime de marchandises nest pas un contrat alatoire, il est certain que ses caractristiques le rendent plus alatoire que dautres (contrats de transport notamment). Les chargeurs et destinataires ne peuvent lignorer et doivent mme laccepter, ide que le professeur Sriaux dfend propos du vice propre de la marchandise lorsquil crit lexpditeur (ou le chargeur) a choisi un mode de transport en tenant compte de la nature de la marchandise ; cest lui dendosser les consquences ventuellement fastes de son choix 245.
Se pose donc la question de ladquation des critres de la force majeure avec le traitement devant tre rserv aux prils de la mer dont nous rappellerons quils sont appliqus par la Cour suprme du Canada (cf. supra).
243 244
TC Marseille, 3 mars 1995 Navire Jolly Grigio , DMF 1996, p.250. Si la notion de navire nest pas dfinie par la loi du 18 juin 1966, larticle 21 prvoit lobligation pour le transporteur de mettre son navire en tat de navigabilit . 245 A. Sriaux, n200, p.154.
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- Quant au caractre imprvisible : il est dsormais rare que des conditions de mer difficiles ne soient pas prvues par les bulletins mtorologiques246. Ds lors, et sauf pour le navire se trouver en pleine mer, et suffisamment loin de tout abri pour ne pas avoir le temps de sy rfugier, lvnement ne sera pas imprvisible ou rellement irrsistible (puisquil aurait pu tre vit).
Les professeurs Cherkaoui et Tassel considrent que la prvisibilit est un critre inoprant au regard des progrs de la mtorologie et de son caractre gnral et abstrait (oppos aux variations ponctuelles et locales). Il nous semble, au contraire, que les conditions plus difficiles que prvues redonnent du sens au critre dimprvisibilit. Le transporteur doit vrifier les prvisions mtorologiques avant de partir, mais, par la suite, lvolution de celles-ci peut tre imprvue. Sont ainsi concilis lexigence dune certaine svrit lgard du transporteur et dune certaine mansutude face aux vnements quil ne pouvait prvoir.
La rfrence gnrale et abstraite la priode de lanne et aux eaux traverses parat tre un lment essentiel, mais insuffisant car trop abstrait, lapprciation de cette prvisibilit. Il doit tre complt par une apprciation concrte des prils rellement rencontrs lors du voyage afin de dterminer leur caractre imprvisible, mais aussi irrsistible.
- Quant au caractre irrsistible : les professeurs Tassel et Cherkaoui considrent quil devrait tre apprci par rapport aux dommages subis247. Or ceci, notre sens, revient nexiger du transporteur quune absence de faute. Si le dommage tait rsistible cest ncessairement quen ne rsistant pas le transporteur a commis une faute. Partant, cette conception vide de son sens le principal critre de la force majeure.
Pour nous, lirrsistibilit est particulirement adapte. Si le navire peut viter la tempte ou en attnuer les effets en changeant de route celle-ci devient rsistible. Certes, cela risque de faire perdre du temps au transporteur. Nanmoins, il doit prendre soin de la cargaison et ne
Le Commandant Figuire (Revue Scapel 2003) fait toutefois remarquer que les prvisions ne sont, lheure actuelle, fiables qu cinq jours. La prvisibilit lors de lappareillage est donc toute relative. Cependant, aprs avoir appareill, le navire continue recevoir les bulletins mtorologiques lui permettant, le cas chant, de se drouter. 247 Yves Tassel, note sous Cass. Com. 1er dcembre 1992, Houtmangracht , DMF 1993, p.44 et s.
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peut donc sabriter derrire le gain manqu. Ce dautant plus que le retard est trait de faon comprhensive en matire maritime (cf. infra).
La rsistibilit parat cruciale en ce quelle distinguera les prils normaux (auxquels on peut rsister, ventuellement en les vitant) des prils anormaux (irrsistibles, ventuellement car invitables). Si le transporteur, alors quil peut faire autrement, dcide de prendre le risque de continuer sa route malgr les conditions difficiles annonces, il doit supporter le risque li ce choix : il devient anormal puisque non impos.
Les jurisprudences anglaise et amricaine statuent dailleurs en ce sens : elles exigent que le dommage ait t insurmontable. L encore, nous tenons pour une apprciation in concreto, c'est--dire partir de ce navire et cette marchandise dans de telles conditions248.
Reste toutefois dterminer le seuil de violence des lments partir duquel le transporteur ne devrait plus tre tenu pour responsable. De celui-ci dpendra ladquation pratique de la notion de force majeure.
Dun ct, il semble possible de considrer quune apprciation stricte de ce qui est constitutif dun pril de la mer soit souhaitable eu gard aux amliorations de la construction navale, de la mtorologie et des communications avec la terre et les navires, de ce que le choix de faire reposer le risque des prils de la mer doit sans doute beaucoup au rapport de force qui existait en 1924, la frquence des temptes et autres prils de la mer dont une utilisation abusive serait inquitable.
Dun autre ct, une apprciation plus souple permettrait de rpartir les risques entre les parties (ds lors que le navire souffre dj des prils de la mer), elle correspond aussi au fait que le chargeur ne peut ignorer que le transport maritime est plus prilleux quun autre. Cependant, cette rpartition des risques existe dj travers le cas except de faute nautique ou lapplication des avaries communes. De plus, si le chargeur ne peut ignorer les risques inhrents au transport maritime, il convient de rduire ceux-ci autant que possible. A cet gard, une certaine svrit lgard des transporteurs est sans doute le moyen le plus
248
Yves Tassel, note sous Cass. Com. 1er dcembre 1992, Houtmangracht , DMF 1993, p.44 et s.
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efficace : largent nest il pas le nerf de la guerre , bien plus que le sentiment de culpabilit ?
Au final, il nous semble quune apprciation stricte, par le biais de la force majeure, doit prvaloir. Dailleurs, la jurisprudence ne sest pas trompe : elle est trs exigeante et ses apprciations font que ce cas except est exceptionnel 249. Lquit limpose. La force majeure telle quapplique par la jurisprudence parat, ds lors une bonne solution250qui prsente linconvnient, nous en convenons, de ne pas saccorder avec lapplication qui devrait tre faite du cas except de prils de la mer prvu par la Convention de Bruxelles de 1924.
On peut ds lors se demander sil ne serait pas plus judicieux, tout en conservant la svrit actuelle lendroit des transporteurs, de se contenter dtre stricte dans lapprciation de lventuelle faute du transporteur : eu gard la proximit de la notion dabsence de faute avec celle de force majeure en matire de transport maritime, les solutions pratiques seraient peu diffrentes et lhomognit (par rapport la Convention de Bruxelles telle quelle devrait tre applique) assure.
Selon le Doyen Rodire cest donc une erreur que de requrir de la grve quelle rponde la dfinition de la force majeure 251
Pour Martine Rmond-Gouilloud le transporteur nest pas oblig dtablir que le conflit revtait pour lui les caractres de la force majeure 252
P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 2004, HS n8, n90, p.81. Antoine Vialard considre ainsi que quoique de bonne technique juridique (lexonration, drogatoire au droit commun, doit tre dinterprtation stricte), cette interprtation du droit interne dtruit lharmonisation recherche au plan international in Droit maritime , PUF 1997, n488, p.417. Contra : Yves Tassel pour qui cest un contresens - DMF 1993, p.44 et s. 251 Rodire, t. II, n633, p.274. 252 M. Rmond-Gouilloud, n586, p.379.
250 249
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Emmanuel du Pontavice et le Doyen Rodire considrent qu ici on sloigne du droit commun. La grve nest pas ncessairement un vnement de force majeure, alors que la loi maritime ne distingue pas. La cause exonratoire se caractrise ici non par les traits gnraux de la force majeure, mais par la nature et lorigine de lvnement 253.
Plus rcemment, les professeurs Bonassies et Scapel ont estim que les termes utiliss par la lgislateur impliquent clairement que, mme pour les transports soumis au droit franais, le transporteur linverse de ce qui est en droit commun- na pas faire la preuve que la grve ou le lock out rpond aux exigences de la force majeure 254.
Le transporteur doit toutefois dmontrer que lvnement invoqu est la cause du dommage et quil na pas commis de faute, que la difficult sociale ntait pas prvisible255 ou quil en est pas la cause en cas de lock out notamment256.
Pourtant, un arrt rcent de la Cour dappel de Rouen, Blackfriar bridge du 24 novembre 2005, a toutefois caractris le caractre de force majeure de la grve des dockers du port de Fort de France. La commentatrice, Claire Humann, note dailleurs que cet arrt correspond la jurisprudence contemporaine majoritaire257.
Cette analyse est dailleurs confirme par les tudiants de luniversit de Brest qui, en 2004, estimaient que la formulation de la Convention de Bruxelles de 1924 a t intgralement reproduite par la loi franaise. Or, les juridictions franaises interprtent diffremment des deux textes. Sur le fondement de la loi franaise et postrieurement une dcision de premire instance de 1984, isole, lensemble des dcisions manant des Cours dappel et de la Cour de cassation exige que soient constats les caractres imprvisible et insurmontable de la grve, faisant ainsi concider ce cas except avec le cas exonratoire de la force majeure de la responsabilit civile contractuelle. 258 Avant de noter quun arrt rcent (CA Aix-enR. Rodire et E. du Pontavice, n370, p.350. P. Bonassies et Ch. Scapel, n1079, p.688. 255 CA Versailles, 8 avril 2004. Confirmant cette assertion : CCass. 25 fvrier 2004, CA Versailles 4 et 29 avril 2004. 256 CA Paris 3 mai 1995. 257 DMF 2006, p.511, citant lappui de cette assertion les arrts suivants : Cass. Com. 19 mars 2002, CA Versailles 8 avril 2004 et CA Aix 28 mai 1991. 258 Regards sur la jurisprudence. 40 ans dapplication des cas excepts de responsabilit des Rgles de La Haye-Visby , DMF 2005, p.908 et s.
254 253
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Provence, 12 novembre 1998 Ile Maurice ) exigea que la grve, pour tre exonratoire, soit inopine.
Finalement, la jurisprudence contemporaine exige, tort selon la doctrine, que la grve soit un cas de force majeure.
II-
Cas excepts devant, au plan thorique, prsenter les caractres de la force majeure
A/ Lact of God
Cette ancienne notion de common law, qui semble navoir jamais t utilise dans le cadre du transport maritime, na fait lobjet daucune dfinition prcise . Il est sr que, du point de vue du droit franais le caractre divin de lacte de Dieu, sil sen trouvait, en fait ncessairement un vnement de force majeure, non imputable au transporteur 259. Si le Doyen Rodire donnait comme exemple la foudre260, on pourrait aussi songer un ouragan, un tremblement de terre, une irruption volcanique 261 ou aux vagues sclrates -(freak waves). Limpossibilit actuelle den prvoir la survenance, la difficult den expliquer lexistence, la violence et le caractre erratique semble donner cet vnement un caractre divin, en ce sens quelles chappent lentendement humain262.
Ces vagues monstrueuses sont, de toute vidence, des cas de force majeure : leur prvision est ce jour impossible. De plus, celles-ci paraissent irrsistibles autant quinvitables : quant bien mme le capitaine aurait pu apercevoir un tel phnomne sur sa route, il naurait pas le temps de modifier sa trajectoire afin de prsenter sa poupe ou sa proue au mur deau.
259 260
P. Bonassies et Ch. Scapel, n1075, p.686-687. Rodire, Trait, t. II Affrtements et transports n760. 261 Sriaux, n161, p.125 262 Cf. www.ifremer.fr et le dossier affrent, ainsi que larticle passionnant du Capitaine Figuire Les vagues monstrueuses (freak waves) in Revue Scapel, 2003, p.160 et s.
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A notre sens, lact of God devrait ncessairement prsenter les caractres dun cas de force majeure263. Les tribunaux franais passeraient dailleurs sans doute par ce biais pour justifier une solution inconnue du droit franais et aux accents peu laques !
Ainsi, la Cour dappel dAix-en-Provence, dans un arrt du 29 avril 1986 Thallasani-Kyra a-t-elle estim lacte de Dieu tant une notion anglo-saxonne de force majeure rsultant dune cause naturelle 264.
Le (g) de lart 4 2 de la Convention de Bruxelles vise l arrt ou contrainte de prince, autorit ou peuple ou saisie judiciaire . Nous laisserons de ct la notion de saisie judiciaire (qui peut ou non prsenter les caractres de force majeure cf. supra & infra) et ajouterons le (h), qui vise la quarantaine, pour nous intresser ce que nous dnommerons le fait du Prince .
Une dcision tatique est par essence irrsistible puisque le capitaine du navire ne peut sy soustraire265. La seule relle question porte donc, pour dterminer si elle constitue ou non un cas de force majeure, sur sa prvisibilit. Cette dernire notion doit, dans lanalyse de lexistence de ce cas except, tre apprcie en prenant en compte les prvisions lors de la conclusion du contrat, ainsi que la possibilit pour le Capitaine dviter le prononc de ces dcisions tatiques.
Ainsi, les tribunaux se montrent ici vigilants. Ils scrutent les donnes de fait de faon dterminer si le transporteur ntait pas en mesure de connatre et de prvoir ce type de risque et, en ce cas, le privent du bnfice du cas except 266.
Opinion partage par le professeur Sriaux qui souligne que la jurisprudence amricaine (non maritime) a jug dans ce sens Cour de New-York, 21 juin 1963 cf. Sriaux, n161, p.125. 264 DMF 1987, p. 661 et s. nous noterons au passage la rsurgence des Anglo-saxons dont le professeur Bonassies nous a assur que le dernier stait teint en 1066 ! 265 Ce qui fut explicitement reconnu par larrt de la CA Paris du 20 mars 2002 Vosa-carrier , DMF 2004, p.150. 266 P. Bonassies et Ch. Scapel, n 1078, 688 se rfrant aux arrts : CA Paris 15 janvier 1997 et CA Rouen 23 mai 2001.
263
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Dire cela cest admettre que les tribunaux vrifient si le fait du Prince tait bien un cas de force majeure, vnement imprvisible et irrsistible. Faute dimprvisibilit il y aura faute du transporteur emportant sa responsabilit totale267.
Ceci se comprend aisment dans ce cas prcis : seul le choix de dcharger dans un port ou de naviguer dans certaines eaux engendre la dcision de lautorit. Ainsi, propos dun arrt de la Cour dappel de Paris dans lequel tait invoqu le fait du Prince qui avait retenu pendant plusieurs semaines un navire dans un port algrien, les commentateurs considrent ils qu alors mme que les cas excepts de la Convention de 1924 nont pas satisfaire aux conditions exiges dun cas de force majeure, en lespce cest en pleine connaissance de cause, fautivement, que le transporteur stait jet dans les bras des autorits algriennes 268. Si les arrts sont peu nombreux en la matire269, il convient de sintresser trois dentre eux.
Tout dabord, larrt de la Cour de cassation du 20 fvrier 1990 qui insiste sur le fait que le fait du Prince vis par la Convention de Bruxelles de 1924 na pas prsenter les caractristiques de la force majeure pour tre exonratoire. Certes, mais il les prsentera ncessairement sauf a tre fautif pour le transporteur, c'est--dire ntre daucune utilit pour le transporteur. Ensuite, deux arrts de Cours dappel270 concernant un mme navire, le Vosa-Carrier , rendus dans deux affaires distinctes, ont rcemment admis le fait du Prince sans qualifier celui-ci de cas de force majeure. Le commentateur du second, Franois Le Louer, va mme jusqu considrer que la Cour nutilise pas juste raison le terme imprvisible , le cas except de fait du Prince ne revtant pas les caractres de la force majeure . Le caractre exceptionnel qui rsulte de ce que aucun acte de ce type ne sest produit dans la rgion concerne, alors quils se sont multiplis aprs est par contre approuv si ce nest la diffrence littraire, il nous semble que cest bien le caractre raisonnablement imprvisible qui est caractris, c'est--dire la force majeure.
267 268
Cf. Par exemple Cass. Com. 7 juillet 1998 Atlantic Island ou CAMP 24 octobre 1997. P. Bonassies et Ph. Delebecque, DMF 98, HS n2, n113, p.73 et s. 269 Cf. pour une numration de ceux-ci DMF 2002, p.53, note de A. Vialard. 270 CA Rouen 23 mai 2001, DMF 2002, p. 44 et s. , CA Paris 20 mars 2002, DMF 2004, p. 150 et s.
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Finalement, si le fait du Prince na pas prsenter les caractres de la force majeure, il ne pourra tre admis qu cette condition (implicitement reconnue) qui, de par la nature de ce cas except, se rduit au caractre imprvisible ou, mieux, invitable.
C/ Le sauvetage
Ce cas except quil conviendrait de dnommer assistance et non par ce terme franglais 271- nayant, notre connaissance, jamais t invoqu, nous raisonnerons de faon abstraite.
Si limprvisibilit de celui-ci ne semble pas faire de doutes, sauf apprcier la prvisibilit en fonction de statistiques tendance abandonne aujourdhui (cf. supra)-, le caractre irrsistible parat, quant lui, se prter au dbat.
Le capitaine dcidant de se porter au secours de personnes ou de biens (navire notamment) en dtresse, il pourrait tre oppos quil ny a pas irrsistibilit. Le point dachoppement rside, en ralit, sur la notion de contrainte morale272 : celle-ci peut elle justifier la qualification dirrsistibilit ? Est-elle ce point puissante ?
A cette question il faut rpondre sans ambages : oui. Et ce dautant plus que la non-assistance personne en danger est une infraction connue de nombreux droits (cest une infraction du Code pnal mais aussi du Code disciplinaire et pnal de la marine marchande art 85. Mais
Cf. M. Rmond-Gouilloud, n591 et 349 et s. Le professeur Chauveau souligne, quant lui, que lemploi du terme assistance est meilleure car distincte de la notion de sauvetage qui sapplique aux paves n810. 272 La contrainte morale externe qui peut consister soit en des menaces, soit en une provocation manant dun tiers est ainsi reconnu en droit pnal, contrairement la contrainte morale interne c'est--dire ayant sa source dans la personne mme de lauteur et rsultant, soit de lmotion provoque chez lui par un vnement extrieur, soit de ses passions, soit de ses convictions . Solutions fonds sur larticle 122 du Code pnal qui dispose que nest pas pnalement responsable la personne qui a agi sous lempire dune force ou dune contrainte laquelle elle na pu rsister -B. Bouloc, Droit pnal gnral 20me dition, Prcis Dalloz, 2007. En droit civil, la jurisprudence est pareillement rtive ladmission dune contrainte. Toutefois un arrt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 30 mai 2000 a rattach la notion de contrainte conomique celle de violence (comme vice du consentement). De mme la CA dAix-en-Provence a admis par un arrt du 19 fvrier 1988 que la ncessit et la dpendance conomique taient quipollentes une violence morale. Enfin, en droit maritime, un arrt de la chambre des requtes du 27 avril 1887 un contrat de remorquage aux conditions abusives a t annul car impos par la crainte dun mal considrable (cette difficult propre a lassistance est dsormais rgie par larticle 15 de la loi du 7 juillet 1967). La contrainte morale fait donc, dans le droit positif, lobjet dune acceptation plus que prudente.
271
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encore, parce que la tradition maritime impose cette solidarit273, que les vies valent plus que les profits 274! Lassistance aux personnes est un devoir absolu la mer et lon ne conoit pas quelque discussion que ce soit sur ce point. On peut hsiter pour ce qui est dune assistance aux seuls biens 275.
Sil est effectivement possible de sinterroger sur le bien-fond de ce cas except quand il finit par sacrifier les intrts matriels de son cocontractant au profit de ceux dun tiers276, il semble que la contrainte morale disparat concernant des biens, entranant avec elle la force majeure.
Bien que nayant jamais t appliqu il semble invitable (voire irrsistible) que le sauvetage de personnes prsente les caractristiques de la force majeure contrairement au sauvetage concernant uniquement des biens situation sans doute moins frquente.
D/ Certaines saisies judiciaires Les saisies judiciaires connaissent un double rgime277 en droit maritime qui prsente une particularit essentielle : la possibilit pour le crancier de saisir un navire nappartenant pas son dbiteur.
Ainsi le transporteur pourra-t-il voir le navire utilis pour le transport saisi sans tre dbiteur lgard du crancier ! Si la saisie est par essence, puisque dcision judiciaire, irrsistible une fois prononce, elle sera probablement dans ce cas imprvisible.
Antoine Vialard crit ainsi propos de lassistance et du sauvetage Cest l une consquence de lide de solidarit maritime : le transporteur, en portant secours,doit se drouter et expose son navire et sa cargaison des risques davaries , in Droit maritime , PUF 1997, n 489, p.418. 274 Pour reprendre un clbre slogan politique qui nous parat, dans ce cas prcis, exprimer avec force et malice une ide qui sous-tend cette solution. 275 P. Bonassies et Ch. Scapel, n1090, p.696. 276 Nous considrons toutefois ce cas except bienvenu. Certes le transporteur prend des risques, mais cest autant pour la bonne cause qu son corps dfendant. Il est aussi probable que rares seront les capitaines saventurant de manire prilleuse pour sauver des biens. Incitant la solidarit, ce cas except mrite dtre approuv. La solution adopte par la Convention de Hambourg parat, ainsi, remarquable : toute assistance pour sauver des vies humaines vaut exonration, mais concernant les biens elle naura cet effet qu la condition dtre raisonnable . 277 Cf. P. Bonassies et Ch. Scapel, n589, p.387 et s.
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Le cas gnral de la saisie abusive, ds lors que ce caractres est ncessairement reconnue a posteriori, pourra lui aussi prsenter les caractres de la force majeure.
Enfin, le transporteur ntant pas ncessairement propritaire du navire utilis, une saisie peut aussi lui tre impose sans quil ait pu la prvoir (il est peu probable quil ait affrt un navire en sachant que ce dernier risquait dtre saisi). Ici, sa faute pourrait toutefois tre caractrise en labsence de vigilance lgard de la situation financire de son frteur.
Au final, certaines saisies imprvisibles pour le dbiteur pourraient donc tre considres cas de force majeure pour le transporteur.
Si lexcution des contrats de transport maritime de marchandises donne lieu au plus grand nombre de litiges278, il ne faut pas pour autant ngliger la place que la force majeure occupe in nominem dans le cadre de la conclusion de ces contrats ou dans le cadre des contrats non soumis ces deux textes.
278
Cette considration explique titre principal la disparit dans la longueur des dveloppements relatifs chacune de ces deux questions. Lexplication subsidiaire tient la ncessit dtudier un un, au risque dtre rbarbatif, chaque cas except.
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Section 2nde
La technique des cas excepts, limportance primordiale en droit du contrat de transport maritime de marchandises, ne rgit pas toutes les questions de responsabilit. Ds lors, la notion de force majeure retrouve la marge droit de citer. Nous tudierons279 donc les divers cas dans lesquels la force majeure est amene intervenir (sous-section 1re), avant de nous interroger sur un ventuel particularisme de celle-ci en matire maritime (sous-section 2nde).
I-
Si la Convention de Bruxelles ne renvoie pas la notion de force majeure, propre au droit franais, le dcret du 31 dcembre 1966 opre plusieurs renvois cette notion. Larticle 31 du dcret mentionne expressment la notion de force majeure (A), lorsque dautres articles se contentent, en ne lexcluant pas, de permettre le recours cette notion (B).
Larticle 31 du dcret du 31 dcembre 1966 dispose que le contrat est rsolu si, par cas de force majeure, le dpart du navire qui devait effectuer le transport est empch ou retard dune manire telle que le transport ne puisse plus se faire utilement pour le chargeur et sans risque dengager sa responsabilit pour le transporteur. En ce cas la rsolution a lieu sans dommages et intrts .
Brivement, eu gard la longueur de nos dveloppements prcdents et au peu de jurisprudence relative ces questions.
279
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En matire de retard au dpart280, est ainsi institue une obligation de rsultat : seule la dmonstration dun cas de force majeure exonre le transporteur de sa responsabilit dcoulant dune mauvaise excution du contrat.
Cette utilisation de la notion de force majeure est classique, elle correspond exactement au droit commun :
Quant son effet principal : labsence de dommages et intrts, quant son effet sur la contrat : sa rsolution (applique par la jurisprudence, bien que cela soit contestable Cf. supra),
quant la reconnaissance de la force majeure temporaire (Cf. supra nos rserves lgard de cette expression).
La rsolution ici mentionne est distincte de celle de larticle 1184 du Code civil fondement textuel des solutions jurisprudentielles- en ce quelle ne suppose pas de faute, nest pas demande en justice et ne peut tre assortie de dommages et intrts281. Toutefois les pratiques se rejoignent puisque la jurisprudence : bien que se fondant implicitement sur larticle 1184 du Code civil pour rsoudre les contrats dont lexcution tait affecte par un cas de force majeure, la jurisprudence carte les notions de faute, la ncessit de passer par le juge ou dacquitter des dommages et intrts. La diffrence apparente nest donc pas effective.
La force majeure temporaire produit ici un effet rsolutoire et non de suspension du contrat282. Mais, l encore, la divergence est apparente : la suspension est subordonne ce que lexcution tardive du contrat reste intressante pour le crancier. Or, il est expressment prvu que la condition de cette rsolution sera que le transport ne puisse plus se faire utilement pour le chargeur et sans risque dengager sa
Quil faut distinguer du retard larrive cf. infra. Rodire, t.II, n421 cit par E. Du Pontavice et P. Cordier, Transports et affrtements maritimes , p.58. 282 J-F Artz, dans son article La suspension du contrat a excution successive , Dalloz 1979, chronique XV, met ainsi en exergue la controverse doctrinale, relative lexplication des effets de la suspension du contrat en cas de force majeure temporaire, entre les tenants de la rsolution et ceux de lexception dinexcution aucune de ces deux thories napparaissant pleinement satisfaisante.
281
280
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responsabilit pour le transporteur . Ainsi, de mme quen droit commun, le contrat ne sera pas suspendu mais rsolu ds lors que la suspension nest pas utile au crancier.
Au final si ces dispositions sont plus dveloppes quen droit commun, elles produisent les mmes effets. Elles ne rglent cependant pas la question du devenir des obligations rciproques.
Le droit commun, c'est--dire la thorie des risques, devrait donc tre appliqu : le chargeur sera relev de son obligation de payer le fret (cf. supra, chapitre 1er).
Reste toutefois le problme de la clause de fret acquis en toutes circonstances -qui est trs souvent stipule dans les connaissements. Celle-ci ne fait que rpartir les risques et doit donc tre en principe valable283 ds lors que cet article nest pas mentionn comme tant dordre public284. Nous noterons cependant que son opposabilit au chargeur dpendra de son acceptation par celui-ci.
Unique rfrence explicite la notion de force majeure en matire de contrat de transport, larticle 31 du dcret de 1966 nest pas le seul cas dans lequel cette notion peut trouver sappliquer.
Plusieurs articles semblent permettre le recours la notion de force majeure. Certains sont relatifs au fret acquitt par le chargeur (1) et dautres la responsabilit du chargeur (2).
- Larticle 46 du dcret dispose qu il nest d aucun fret pour les marchandises perdues par fortune de mer ou par suite de la ngligence du transporteur satisfaire aux obligations des
Rodire, Trait, t. II, n435 ; Du Pontavice et Cordier p.99 e et sauf dans le cas ou la perte est due une faute lourde ou au dol (droit commun) ou si le transporteur a manqu lune de ses obligations essentielles, telle que de mettre son navire en tat de navigabilit (ex : CA Paris 6 novembre 1976). 284 Vialard, Droit maritime , n469, p.403.
283
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articles 21 et 22 de la loi sur les contrats daffrtement et de transport maritimes et de larticle 38 ci-dessus .
Cet article met aux risques du transporteur les marchandises (c'est--dire le fret) perdues par fortune de mer 285 ou par sa faute. Ce nest l, en ralit, que lapplication de la thorie des risques qui prvaut en droit commun, ou celle dexception dinexcution : ayant mal excut de faon fautive, le transporteur ne peut demander au chargeur lexcution de lobligation rciproque. Deux remarques paraissent toutefois simposer : Selon les professeurs Du Pontavice et Cordier286 la notion de perte des marchandises est restrictive puisquelle carte celle davaries. Pour cette dernire il semble, puisquelle nest pas vise par cette disposition, que le fret sera d. Il ny a, alors, opposition au droit commun qu premire vue : si les marchandises sont seulement abmes cest que lessentiel du contrat le transport- a t ralis287, justifiant ainsi le paiement du fret. La question de la responsabilit relative ces dommages est disjointe et sera rgle par application des cas excepts prvus par la loi du 18 juin 1966.
Le professeur Vialard, quant lui, considre que inexplicablement, compte tenu de la lettre du texte, certains auteurs restreignent cette cause de rsolution du contrat la seule hypothse de perte de la marchandise 288, sans toutefois avancer aucun argument lappui de cette position. Il semble dailleurs que la lettre du texte , sur laquelle il sappuie, soit quelque peu obscure. Les termes de marchandises perdues pouvant sentendre de manire restrictive comme de celles que lon a gares, ou de manire plus large comme de celles gares et avaries, il ne semble pas que lexgse du texte permette de trancher le dbat. Par contre, lexplication donne par les professeurs Du Pontavice et Cordier relative lexcution de lessentiel du contrat parat tout fait convaincante. Il nous semble ainsi que linterprtation du texte donne par ces auteurs est la plus pertinente.
Sauf en cas de dclaration davaries communes : art 45 du dcret cf. Vialard Droit maritime , PUF 1997 n469, p.403 pour les interrogations relatives cet article. 286 Du Pontavice et Cordier, p.99. 287 Ds lors linexcution nest pas assez grave pour entraner la rsolution du contrat -Du Pontavice et Cordier, Transports et affrtements maritimes , p.99. 288 Vialard, Droit maritime , PUF, 1997, n469, p.403.
285
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La notion de fortune de mer, critiquable en soit, rvle ici son caractre imprcis qui est source de controverses doctrinales. En effet, le doyen Rodire considrait que cette formule visait tous les cas excepts numrs larticle 27 de la loi du 18 juin 1966289. Cette position, conteste290, semble contestable. Comment imaginer que les cas excepts lis une faute du chargeur ou ltat de la marchandise puissent justifier que celui-ci ne sacquitte pas de son obligation principale, payer le fret ?
Ensuite, comme le soulignent les professeurs Du Pontavice et Cordier, cet article vient remplacer larticle 302 ancien du Code de commerce selon lequel il nest d aucun fret pour les marchandises perdues par naufrage ou chouement, pilles par les pirates ou prises par les ennemis . Les circonstances ainsi vises sont bien plus rduites, et tendent faire considrer que ne sont viss par cette notion de fortune de mer que les prils de la mer.
Enfin, cette interprtation plus stricte de la notion de fortune de mer que celle propose par le Doyen Rodire, correspond au point de vue des auteurs anglais tels que Carver et Bartle291. Elle doit selon nous tre prfre.
- Larticle 47 du dcret dispose que en cas de transbordement sur un autre navire en application de larticle 40 ci-dessus, les frais de transbordement et le fret d pour achever le dplacement de la marchandise sont la charge de la marchandise lorsque linterruption tait due des cas dexonration de responsabilit numrs larticle 27 de la loi sur les contrats daffrtements et de transport maritimes .
Ainsi, lorsquun cas except- potentiellement un cas de force majeure- rend lexcution du contrat plus onreuse, la marchandise supporte le surcot, c'est--dire le risque. La solution se trouve, alors, inverse celle du droit commun qui veut que le risque repose sur le dbiteur.
Cette exception au droit commun semble injustifie au niveau juridique : seuls les contrats translatifs de proprit chappent la rgle res perit debitori . Elle parat dailleurs tout autant infonde au plan pratique : pour quelle raison un vnement chappant au contrle des
289 290
Rodire, t. II, n433. E. Du Pontavice et P. Cordier, Transports et affrtements maritimes , p.98 et s. 291 E. Du Pontavice et P. Cordier, Transports et affrtements maritimes , p.98 et 99.
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deux parties devrait-il tre support par une seule dentre-elles ? Il nous semble, l encore, que la solidarit devrait simposer, le contrat tant conclu pour le meilleur et pour le pire (cf. infra).
La jurisprudence se montre dailleurs particulirement stricte dans lacceptation des cas excepts dans ce contexte : le Lamy transport 2007, relve ainsi quaucune des dcisions qui leurs sont parvenues nont admis lexistence dun cas except292. Il est notable que ces arrts se rfrent plusieurs reprises la notion de force majeure. Lquit serait-elle lorigine de la rigueur de ces solutions pour les transporteurs ?
- Du point de vue de la responsabilit du chargeur la force majeure peut trouver matire application travers larticle 25 de la loi du 18 juin 1966 qui stipule que le chargeur est responsable des dommages causs au navire ou autres marchandises par sa faute ou par le vice propre de la marchandise .
Ainsi, le chargeur ne sera pas responsable du dommage caus par sa marchandise en raison dun cas de force majeure. Toutefois, deux cas spcifiques tant mentionns, la preuve de ce que le dommage nest pas du sa faute ou au vice de la marchandise suffira dgager sa responsabilit.
Ds lors, il nest pas ncessaire au chargeur de rapporter une preuve si lourde. La force majeure nest donc pas, sur ce point, carte par la thorie mais lest par la pratique.
- Larticle 43 du dcret prvoit que le chargeur qui ne prsente pas sa marchandise en temps et lieu, conformment larticle 39 ci-dessus, paiera une indemnit correspondant au prjudice subi par le transporteur, et au plus gale au montant du fret convenu .
292
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Se pose alors la question de savoir si la force majeure peut trouver sappliquer : dun ct il nest fait aucune rfrence une quelconque possibilit dexonration. Mais, dun autre ct, lexistence de causes exonratoires de responsabilit nest pas carte, ni la responsabilit qualifie dobjective. De plus, le professeur Vialard considre qu il semble, en outre, que la rsolution du contrat puisse tre obtenue 293, c'est--dire quil estime que le texte ne doit pas tre interprt trop strictement. Il est aussi notable que la rsolution est le caractre attach par la jurisprudence et la doctrine classique au sort du contrat en cas de force majeure empchant son excution. Le professeur Vialard ne donnant aucune explication quant cette possibilit de rsolution, il ne nous est toutefois pas possible dtablir un lien certain entre leffet et une cause envisageable.
Finalement, la force majeure empchant le chargeur de prsenter les marchandises en temps et en heure devrait lexonrer de toute responsabilit : une lecture ouverte de cet article, fonde sur la gnralit de lexcuse de force majeure et lquit, nous parat prfrable.
Les textes rgissant le contrat de transport maritime de marchandises ne connaissent donc quune occurrence du terme force majeure. Les autres rfrences, travers les articles 43, 46 et 47 du dcret ou 25 de la loi de 1966, ne la visent quimplicitement.
Lapplication en tant que telle de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises relvera donc rarement du droit du contrat de transport maritime. Le droit commun parat toutefois permettre quelle sapplique.
II-
Lapplication du droit commun, opportunit dexistence de la force majeure, peut rsulter de deux circonstances : soit de ce que certains contrats chappent au champ dapplication impratif de la Convention de Bruxelles ou de la loi de 1966, (A), soit car ces deux textes ne rgissent pas toutes les questions relatives la responsabilit du transporteur (B).
293
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les contrats de transport non formaliss par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par mer294 (article 1 b)), le transport danimaux vivants et le transport en ponte lorsque celle-ci est dclare295 (article 1 c)), le transport de cargaisons exceptionnelles (article 6)296, le transport entre deux Etats nayant pas ratifis la Convention sauf clause Paramount (article 10)297.
Le contrat de transport de marchandises ainsi exclu du champ dapplication de la Convention de Bruxelles pourra, suivant la loi dautonomie choisie par les parties ou la loi applicable dsigne par la Convention de Rome298, tre rgi par le droit franais, c'est--dire la loi du 18 juin 1966.
En outre, certaines questions (le retard principalement) ntant pas rgles par la Convention de Bruxelles, le droit franais trouvera, potentiellement, matire dployer ses effets soit travers la loi du 18 juin 1966, soit travers le droit commun.
Concernant la loi du 18 juin 1966, larticle 30 prvoit que par drogation larticle prcdent, toutes clauses relatives la responsabilit ou la rparation sont autorises dans les transports danimaux vivants et dans les transports de marchandises charges sur le pont conformment larticle 22 sauf en ce qui concerne les conteneurs chargs bord de navires munis dinstallation appropries pour ce type de transport .
Lexpression document similaire doit tre entendue largement et applique tout le moins tout crit par lequel le transporteur sengage transporter la marchandise Bonassies et Scapel, n905, p.582. Elle a ainsi t applique lordre de mise quai ou la lettre de voiture. Il est donc rare quun transport ne soit pas soumis la Convention de Bruxelles pour cette raison. 295 Sil existe actuellement des doutes quant aux conditions de validit de cette dclaration de chargement en ponte (ainsi qu lopposabilit de celle-ci au destinataire), il semble que cette disposition ne soit pas rellement adapte au transport en conteneurs. 296 Larticle 6 semble avoir t trs peu utilis par la pratique, et lon ne peut gure citer de dcision le mettant en uvre -Bonassies et Scapel, n924, p.596. 297 Or ce texte a t ratifi par plus de 100 Etats, parmi lesquels figurent toutes les grandes puissances maritimes. En outre, les connaissements prvoient frquemment des clauses Paramount. 298 Qui, sous peu, sera remplace par un rglement europen cf. P. Lagarde, Rev. Cri. DIP 2006, n2.
294
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Ds lors, des clauses relatives la force majeure pourront librement tre stipules. Le fait que les contrats de transport soient quasi systmatiquement rdigs par les transporteurs maritimes fait que, en gnral, des exonrations de responsabilit larges sont institues. Ainsi, la dmonstration dun cas de force majeure nest pas ncessaire au transporteur pour sexonrer de sa responsabilit.
Finalement, en pratique peu de contrats chappent aux Convention de Bruxelles de 1924 et loi franaise de 1966. Si la notion de force majeure existe en droit maritime, cest avant tout en raison des carences de ce droit commun maritime.
Ni la Convention de Bruxelles, ni la loi franaise ne prvoit de dispositions propres au retard ce que la doctrine contemporaine regrette299. Concernant le rgime au quel sont soumis les retards en matire de transport maritime, deux distinctions doivent tre opres :
- Tout dabord suivant que le transport est rgi par la Convention de Bruxelles de 1924 telle que modifie par le protocole de 1968 ou par la loi franaise de 1966. En effet, la Convention en considrant que toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonrant le transporteur ou le navire de responsabilit par perte ou dommage concernant des marchandises [] sera nulle, non avenue et sans effet (art 3 8) interdit les clauses exonratoires de responsabilit et soumet le transporteur au jeu des cas excepts300.
Par contre, la loi franaise (art 27) qui ne prvoit la responsabilit du transporteur que pour les pertes ou dommages subis par la marchandise na pas vocation rgir le retard en tant que tel, c'est--dire lorsquil nentrane pas une perte ou un dommage matriel.
299
J.B. Racine considre que lindulgence dont bnficient les transporteurs doit cesser RTD com, Le retard dans le transport maritime de marchandises , 2003, p.223 et s. ; de mme le professeur Delebecque estime propos du retard que le droit classique lignore, du moins lintgre au nombre des impondrables du transport maritime. Do des rgles trs favorables au transporteur. Il serait peut-tre temps, compte tenu de la vitesse de rotation des navires, de reconnatre clairement que le retard est une source comme une autre de responsabilit, mais commandant une limitation propre de rparation calculer en fonction du fret - Le droit maritime franais laube du 21me sicle in le droit priv la fin du 20me sicle -tudes offertes Pierre Catala , Litec 2001. 300 CA Lyon 31 octobre 1980 et Cass. Com. 29 mai 1990.
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- Ensuite, suivant la nature du dommage caus par le retard uniquement sous lempire de la loi de 1966. Lorsque le prjudice rsultant du retard sanalyse en dommages subis par la marchandise (avaries une marchandise fragile), la responsabilit du transporteur ne prsente aucune spcificit. Cest le rgime impratif de droit commun de la Convention ou de la loi franaise de 1966 qui sapplique 301. La difficult rside donc dans la rparation pour un gain manqu, pour une perte temporaire de jouissance de la marchandise attendue, pour les frais supplmentaires engags la livraison, bref pour tous les prjudices conomiques dont il pourrait faire tat 302.
Pour le retard comme cause de dommage en tant que telle, la question est rgie par les articles 1147 et suivants du Code civil303. Ds lors, le retard draisonnable304 causant un prjudice prvisible layant-droit marchandises obligera le transporteur rparer lentier prjudice.
Layant-droit marchandises ne bnficiant pas dune prsomption de responsabilit du transporteur, il ne pourra se voir opposer des cas excepts : seule la force majeure pourra exonrer ce dernier de sa responsabilit.
Du moins en thorie car, comme le note M. Racine il existe dans le connaissement de nombreuses clauses relatives au retard tendant rduire voire supprimer la responsabilit du transporteur. Ces clauses sont de plusieurs sortes. Tout dabord le connaissement peut contenir une clause selon laquelle le transporteur nassume pas lobligation dacheminer a marchandise dans un dlai dtermin []. Ensuite, une clause limitative de responsabilit peut tre stipule. Il en existe de plusieurs sortes []. Enfin, certaines clauses jouent indirectement sur le dlai dacheminement305. Ainsi lire le connaissement, il semble que le destinataire reoive la marchandise quand il plat au transporteur 306.
Bonassies et Scapel, n1070, p.681 et s. Ex : Cass. Com. 19 mars 2002 Kwang Tung . Si J.B. Racine a pens pouvoir se fonder sur larticle 32 de la loi du 18 juin 1966 pour remettre en cause cette solution, lanalyse nemporte pas la conviction (contrairement sa critique de cet tat de fait) cf. RTD Com. 2003, Le retard dans le transport maritime de marchandises , n18 et s. p.230 et s. 302 Delebecque, note sous Cass. Com. 19 mars 2002, DMF 2004, p.363 et s. 303 Conformment lavis du Doyen Rodire Trait, T. II, n608, p.248-249. J.B. Racine fait toutefois remarquer que gnralement, pour les dcisions des juges du fond aucun texte nest cit , n23, p.232. 304 Sur ce point cf. note de Pestel-Debord sous CA Paris, 24 mars 2004, DMF, note de Delebecque sous Cass. Com 19 mars 2002, DMF 2004 ou larticle de M. Racine. 305 In RTD Com. 2003, Le retard dans le transport maritime de marchandises , n63, p.246 & 247. 306 Ripert, Droit maritime , n1561, p.473.
301
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Se pose toutefois la question de la validit de ces clauses. Si celles-ci sont en principe licites, la faute lourde ou le dol du transporteur les rendent inefficaces307.
Or, y bien rflchir, il semble que lorsque le retard est retenu en labsence de dlai stipul, c'est--dire par rapport au dlai de transport raisonnable, il y aura quasi systmatiquement faute lourde. En effet ne pas transporter ou ne pas transporter dans un dlai raisonnable revient au mme. Ainsi, le transporteur qui ne prend pas en charge lobligation de transporter dans un dlai raisonnable se dcharge t-il en ralit de lobligation de transporter la marchandise. Autrement dit, lobligation de transporter dans un dlai raisonnable peut tre considre comme essentielle 308. Or, toujours selon le mme auteur, le caractre draisonnable du retard fait non seulement prsumer une faute du transporteur mais aussi devrait faire prsumer une faute lourde rendant inefficaces les clauses exonratoires ou limitatives de responsabilit .
Nous noterons toutefois que la jurisprudence la plus rcente de la Cour de cassation refuse de considrer quune faute atteignant une obligation essentielle du contrat est en elle-mme, de faon objective, une faute lourde309. Ce qualificatif, ncessairement subjectif, ne pourra donc tre utilis quaux vues de la gravit des fautes du transporteur.
Il nen reste pas moins que linefficacit de ces clauses, moins frquentes quon aurait pu le penser (lesprer ?), opre un retour la notion de force majeure comme cause dexonration de responsabilit.
Le droit commun trouvant ainsi sappliquer se pose la question, eu gard aux distinctions probatoires en dcoulant, de ltendue de lobligation du transporteur maritime quant la clrit du dplacement : obligation de moyens, moyens renforcs ou de rsultat ?
La doctrine est sur ce point partage : les professeurs Du Pontavice et Cordier estiment quil y a obligation de rsultat : les ayant-droits marchandises nont qu tablir le retard. Dautres,
Cf. par exemple CA Paris 21 janvier 1998, BTL 1998.435. J.B. Racine, RTD Com Le retard dans le transport de marchandises , n66 et s. p.248 et s. Si pour nous ne pas transporter et ne pas transporter dans un dlai raisonnable sont deux choses que lon ne peut assimiler, la conclusion selon laquelle lobligation de transporter dans un dlai raisonnable est essentielle nous parat tout fait justifie. 309 Cass. Chambre mixte 10 mai 2005, puis Com. 30 mai 2006 et 13 juin 2006.
308 307
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les professeurs Rmond-Gouilloud, Vialard et Racine, considrent que lobligation est de moyens : il faut prouver la faute du transporteur lorigine du retard. La jurisprudence310 semble donner raison ces derniers, ce qui est logique en raison du caractre alatoire du contrat de transport maritime sur ce point. Il semble, dailleurs, que cette obligation soit de moyens renforcs en croire M. Racine311 et que, ds lors, la preuve du caractre draisonnable du retard fait, en ralit, prsumer la faute du transporteur 312.
Le transporteur maritime devra donc, pour sexonrer de sa responsabilit prouver quil a mis en uvre tout ce qui tait en son pouvoir pour viter le retard313. Il lui est donc possible de prouver que le retard fut caus par une cause trangre (article 1147 du Code civil) et potentiellement un cas de force majeure- mais cela nest pas ncessaire pour obtenir exonration de responsabilit.
Ainsi, si la force majeure est la cause dexonration par excellence en matire de retard, il ne sera pas ncessaire au transporteur de passer par une preuve aussi exigeante pour tre exonr de sa responsabilit.
Les diverses, bien que rares, applications de la force majeure rvlent-elles des diffrences par rapport lapplication qui en est faite en droit commun ?
CA Rouen 13 octobre 1988 (DMF 1990. 36) 27 juin 1985 (DMF 1987.41). Contra : Vialard, Droit maritime , PUF, 1997 selon qui lobligation du transporteur quant au dlai dacheminement est l encore une obligation de moyens, mais une vraie cette fois-ci : sa responsabilit ne peut tre dgage que moyennant la preuve dune faute de diligence -n457, p.396. 312 RTD Com Le retard dans le transport de marchandises , n46. p.240 et s. 313 Par exemple : CA Paris 3 novembre 1987, BTL 1988, p.45.
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Ss. 2nde
Si, suite larrt dAssemble Plnire du 14 avril 2006, Marie Tilche prnait une spcificit transport de la notion de force majeure, ce dsir ne semble la lecture de larticle- concerner que le transport routier. A la vrit, la notion de force majeure in nominem est tellement marginale en droit du transport maritime, quelle ne suscite pas un intrt dmesur de la doctrine.
- Concernant le dpart du navire, si les effets de la force majeure peuvent paratre premire vue particuliers, lanalyse rvle quils correspondent en tout point ceux que la jurisprudence fait produire la force majeure.
Cependant, la prsence trs frquente dune clause de fret acquis tout vnement , exploitation de la possibilit de prvoir contractuellement les consquences juridiques de la force majeure, rintroduit un certain particularisme dans la pratique maritime.
- Concernant le fret et les frais de transbordement, il semble quen prsence dun cas except le risque soit support par les intrts cargaison, c'est--dire le crancier.
Cette drogation la thorie des risques applique en droit commun, en sus dtre nos yeux injustifie, exprime un certain particularisme du droit du transport maritime. Il semble envisageable de considrer que celui-ci exprime la solidarit propre au droit maritime : le transporteur exposant des frais de son ct, ceux relatifs la marchandise seront supports par les personnes y ayant intrt.
- Concernant lobligation pour le chargeur de prsenter ses marchandises en temps et en heure, aucun particularisme nexiste. Ceci sexplique sans doute par le fait que cette obligation de prsentation ressortit avant tout de la phase antrieure au transport maritime. Par hypothse, si le chargeur est en retard, la cause ne trouve pas son origine dans le transport maritime considr.
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Pour les applications in nominem de la force majeure, le particularisme semble donc peu prononc. Il tient sans doute principalement la pratique : soit parce que celle-ci prvoit directement des rgles exorbitantes du droit commun, soit en ce que la norme maritime trouve son origine dans la pratique.
De manire plus gnrale, si particularisme il devait y avoir, celui-ci toucherait sans doute au caractre imprvisible des dommages subis par la marchandise. En effet, le transport maritime est, plus que les autres, soumis aux alas naturels propres au milieu maritime que la longueur, gographique autant que temporelle, rend particulirement prgnants.
Dun point de vue abstrait, les vnements imprvisibles et irrsistibles sont donc nombreux en la matire. Ils sont aussi (toujours de manire abstraite) invitables : ce jour il nexiste pas de techniques permettant de contenir les courroux dEole et Posidon. Le caractre alatoire qui se rduit et ne doit pas non plus tre survalu314- nous semble ainsi tabli. En gnral, il saccompagne dune obligation de moyens. Or, notre sens celle-ci doit tre, en matire de retard, de rsultat. Une telle solution incitera ncessairement les transporteurs la plus grande diligence.
Comme le soulignait le Doyen Ripert le dsir dune arrive rapide et jour fixe a d videmment tre ressentie de tout temps, mais il est devenu aujourdhui plus pressant cause de la rapidit et de la complexit du commerce juridique 315.
Est dj accorde au transporteur maritime une certaine flexibilit travers la notion de dlai raisonnable , estimer au surplus quil lui suffit de prouver quil a fait son possible pour ne pas livrer les marchandises en retard constitue une faveur injustifie. Seule la preuve dun cas de force majeure devrait pouvoir lexonrer de sa responsabilit (qui pourrait tre limite cf. Delebecque in Le droit priv franais la fin du 21me sicle ).
314 315
Cf. Bonassies et Scapel, n9, p.9. G. Ripert, Droit maritime , n1560, p.473.
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Finalement, si le particularisme de la notion de force majeure est difficilement dcelable cest que celle-ci est applique de faon suffisamment variable (en droit commun) pour quil ne soit pas ncessaire de rajouter un particularisme propre au droit maritime.
De plus, comme nous avons pu le voir propos des prils de la mer, ses critres (quelque soit la combinaison adopte), l encore grce leur flexibilit, saisissent de manire adquate les vnements auxquels la matire maritime peut donner lieu.
Le particularisme de la notion de force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises est donc tnu. La solidarit propre ce droit permettrait pourtant, selon nous et plus que dans les autres branches du droit, de mieux rpartir le fardeau des vnements qui simposent au dbiteur.
La solidarit du droit maritime pourrait ainsi, trouver dans cette notion un terrain propice au dveloppement de ses effets.
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Conclusion
La notion de force majeure semble rtive la conclusion : bien que de brillantes thses et excellents points de vue doctrinaux lui aient t consacrs, il semble que les questions relatives cette notion persistent. Appartenant au monde des ides la force majeure serait-elle condamne connatre les affres de la ralit ?
A propos de la force majeure en matire de responsabilit contractuelle il semble possible de considrer, avec la doctrine majoritaire, que le triptyque qualificatif traditionnel a vcu. La runion de ces critres, inadapte, semble dailleurs tre le plus souvent carte de manire explicite ou implicite. Il y a l lune des particularits de cette notion : le dcalage.
Dcalage entre les critres professs et ceux appliqus, parfois au niveau mme dun arrt qui semble se fonder sur linvitabilit sans sy rfrer expressment. Dcalage aussi entre la doctrine et la jurisprudence. Dcalage enfin, au sein dune jurisprudence qui peine trouver sa cohrence ; constat que lintervention de lAssemble Plnire il y a plus dun an ne semble pas mme de renverser.
De ces controverses stimulantes dcoule une inscurit juridique patente. A lheure o cette notion, frachement reconnue principe gnral du droit316, devient exigence de plus en plus pressante317, le constat est donc svre.
A cette interrogation (visible) relative aux critres devrait selon nous tre adjointe une remise en cause de lapprciation de la force majeure en matire contractuelle318. Limportance de la prvisibilit en la matire, la diffrence essentielle consistant dans le choix dun cocontractant dtermin proposant une contrepartie particulire, impose de prendre en compte ces donnes que le crancier lui mme a considres lors de la conclusion du contrat.
CE Assemble, 24 mars 2006. Notion qui est aussi sous-jacente dans nombre de dcisions du Conseil constitutionnel (bien que non explicitement reconnue par les textes formant le bloc de constitutionnalit ). 317 Cf. Les revirements de jurisprudence rapport remis M. le premier prsident Guy Canivet , sous la direction de Nicolas Molfessis. 318 Ainsi, cette notion perdrait une certaine unit suivant le rgime de responsabilit auquel elle sappliquerait.
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De manire plus gnrale, lanalyse montre que si les critres de qualification de la force majeure sont importants, lapprciation nen est pas moins essentielle : lide selon laquelle prendre une assurance pour parer un ventuel vnement le rendrait ncessairement prvisible, aujourdhui abandonne, illustre bien la puissance de lincidence de cette apprciation.
De ce point de vue ladoption dune conception relativiste, salue par une doctrine trs autorise319, ne peut qutre approuve.
Les interrogations suscites par la notion de force majeure sont dautant plus gnantes que ses effets sont puissants. Sur ce point, toutefois, une certaine cohrence de la jurisprudence et de la doctrine se fait jour.
La question du degr dexonration est ainsi pour une doctrine ultra-majoritaire tranche : les caractres de la force majeure, au premier rang desquels lirrsistibilit, imposent une exonration totale de responsabilit pour le dbiteur.
Pour notre part, il nous semble quune distinction fondamentale devrait tre exerce suivant le moment dintervention du cas de force majeure et de la faute du dbiteur : en labsence de concomitance de leur survenue, la faute du dbiteur nous semble pouvoir aggraver les effets dun cas de force majeure. Quant la simultanit dun cas de force majeure et dune faute du dbiteur, lexonration intgrale de responsabilit nous parat une solution trop absolue pour tre conforme la ralit.
Si une tiologie des causes ayant particip au dommage serait sans doute frappe dun certain arbitraire, celui-ci nous semble prfrable car plus proche de la ralit, la solution gnrale et indiscutable selon laquelle la faute du dbiteur serait ncessairement quantit ngligeable face la force majeure, cause unique de linexcution.
319
Les Doyens Carbonnier ou Rodire, les professeurs Malaurie, Ayns et Stoffel Munck notamment.
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La question du risque est elle aussi rgie de faon certaine : en application de ladage res perit debitori , redcouvert partir de solutions parses du Code civil, le risque pse sur le dbiteur.
Cette solution ne nous semble pas plus fonde. En notre opinion, le contrat induit une certaine solidarit entre les parties qui soppose ce que lune soit sacrifie au profit de lautre. Lessence mme de la force majeure tient limpossibilit dexcution non fautive quelle engendre. Ds lors, il est ncessairement arbitraire de faire supporter le risque par lune dentre elles. Une certaine solidarit devrait donc tre institue320. A cet gard, diffrents niveaux peuvent tre envisags, mais le plus simple reste sans doute celui du contrat, qui serait alors form pour le meilleur et pour le pire .
Enfin, quant aux effets pour lavenir, la jurisprudence se fonde sur larticle 1184 alina 3, c'est--dire la rsolution. Celle-ci tant la sanction dune faute, produisant un effet rtroactif et devant tre judiciaire, parat pourtant largement inadapte. Il semble en ralit, que la caducit soit leffet le plus adapt reste, pour la doctrine, convaincre les juges.
En tant que telle, la notion de force majeure ne joue que rarement en matire de contrat de transport maritime. Le retard, au dpart ou larrive du navire, semble tre son domaine dexpression privilgie. Or, cette mauvaise excution contractuelle, largement ignore lors de la rdaction de la Convention de Bruxelles de 1924 et de la loi franaise du 18 juin 1966, semble aujourdhui une question importante.
Si une certaine flexibilit doit tre admise eu gard aux impondrables auxquels ce transport, plus que tout autre, se trouve soumis, il ne peut plus justifier une absence de responsabilit : le retard, en tant que tel, peut engendrer de graves prjudices. De ce fait, il est concevable que la notion de force majeure trouve, lavenir, sappliquer plus frquemment.
320
Nous en convenons, notre opinion se rapproche ainsi beaucoup plus de celle des solidaristes que de toute autre. Nous noterons dailleurs que limportance de la notion de solidarit en droit maritime saccommoderait sans doute trs bien de cette solution.
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Lorsquelle est applique in nominem , la force majeure ne semble pas prsenter de rel particularisme maritime. La flexibilit de la notion et le caractre gnral de ses critres, en rsum le fait que la force majeure soit un concept, explique cette situation.
Mais la relle question en droit du contrat de transport maritime de marchandises tient aux rapports de la force majeure et des cas excepts.
Ces derniers, caractristiques du contrat de transport (la technique est rpandue dans les divers modes de transport) autant que du droit maritime ( travers les diffrents cas envisags), ne prsentent pas, a priori, de liens avec la notion de force majeure.
Mieux : ils devraient lexclure, tant technique concurrente dexonration de responsabilit ce que la Cour de cassation a pu affirmer sans ambages321.
Cette question naurait donc d se poser que pour deux cas excepts : les faits constituant un vnement non imputable au transporteur de larticle 27 de la loi franaise, et lautre cause de larticle 4 (q) de la Convention de Bruxelles de 1924.
Or, la lecture des ouvrages francophones autant que lanalyse de la jurisprudence impose un constat : la rfrence la force majeure, ou ses critres, est trs frquente sauf bien sr dans le cas o la nature du cas except est incompatible avec cette qualification.
Un parallle mathmatique est concevable : force majeure et cas excepts sont deux ensembles distincts, provenant dorigines diffrentes, qui sont scants. Ainsi, certains cas excepts peuvent tre des cas de force majeure et rciproquement.
Lanalyse individuelle de chaque cas except dmontre une dichotomie entre les cas excepts ne prsentant pas les caractres de la force majeure, que ce soit au plan thorique ou pratique, et ceux qui doivent les prsenter.
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Les solutions ne sont donc pas homognes, ce qui pose problme et ncessite de sinterroger de faon plus gnrale sur le bien fond de la recherche des critres de la force majeure pour la reconnaissance dun cas except.
- Dun ct, ni la Convention de Bruxelles, ni la loi du 18 juin 1966 ne font rfrence la force majeure. Lorsque les juges caractrisent cette notion ils ajoutent donc la loi, ce qui est contestable au plan juridique. En outre, ce faisant, cest lhomognit du rgime de la responsabilit du transporteur maritime de marchandises qui est mise mal mais existe-telle encore ? Le nombre de textes, ainsi que leurs diffrentes versions, rgissant la matire (sans mme considrer la probable entre en vigueur dune Convention CNUDCI dans un avenir proche) incite ne pas survaluer cette ralit.
- Dun autre ct, lapplication des critres de la force majeure permet une certaine homognisation du droit du contrat de transport maritime. Or, si lon peut tenir pour que le particularisme de celui-ci ne disparaisse pas322, force est de constater que les exigences conomiques semblent difficilement saccommoder de certaines particularits de ce droit. De plus, la souplesse des critres de la force majeure lui permet dtre trs adapte nombre de situations, dont celles rencontres en matire de transport maritime de marchandises.
La force majeure prsente, en outre, la caractristique dtre plus stricte que les cas excepts lgard du transporteur. Or, de manire gnrale, cette rigueur, rclame par les chargeurs, semblerait aujourdhui justifie. Linnavigabilit, le vice cach du navire ou la faute nautique ne devraient plus engendrer dexonration de responsabilit pour le transporteur. Lexonration de responsabilit devrait aussi tre cantonne aux prils de la mer les plus exceptionnels, aux grves, meutes ou guerres invitables, aux faits du Prince et quarantaines imprvisibles.
La Convention de Bruxelles, qui est le fondement rel de ce droit commun maritime, fut fonde sur un compromis entre des intrts antagonistes. Elle est avant tout la rsultante (adquate par bien des aspects comme en tmoigne sa longvit) dun rapport de force. Ce rapport de force a chang, les alas de la navigation se sont amenuiss en un mot : la Convention CNUDCI sera la bienvenue.
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Cf. pour un expos du particularisme maritime et de son avenir : P. Bonassies et Ch. Scapel, n3 et s., p.4 et s.
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Enfin, se pose la question de savoir pour quelle raison les juges se rfrent cette notion de force majeure quand le texte nen fait pas mention. Le poids de lhabitude ny est sans doute pas tranger mais, notre sens, cest avant tout la volont de justifier au plan de lquit le rejet ou ladmission dun cas except qui guide, peut tre inconsciemment, les magistrats. Il y a l, sans doute, justification de ladquation de cette notion avec celle, plus gnrale et pour nous essentielle, dquit323.
Finalement, la notion de force majeure nous parat devoir venir doubler celle des cas excepts. Si nous allons contre une lecture stricte du texte et risquons de remettre en cause une certaine homognit internationale (qui est toute relative) au profit de lhomognit interne, cest que nous considrons que le penchant des juges sera toujours, mme de faon implicite, de se rfrer cette notion en raison de lquit quelle engendre. Les alas maritimes tant moins grands324, les capacits de communication c'est--dire de prvision- tant incomparables avec celles existant en 1924, une svrit accrue doit prsider la reconnaissance des cas excepts. La force majeure, tout au moins lide qui la fonde, nous parat particulirement adapte cette fin.
Cf. Y. Tassel -note sous Com 1er dcembre 1992, Houtmangracht , DMF 1993, p.45 et s. qui estime que la frquence de la rfrence la notion de force majeure en matire de prils de la mer, rsulte sans doute de ce quen juger autrement serait choquant. 324 Le professeur Pineau crit ainsi compte tenu de lvolution de la technique, des progrs accomplis par les services mtorologiques, les dangers de la mer ne sont plus ce quils taient jadis , n172, p.206. Dans le mme sens, mais relevant quil nen resta pas moins que des sinistres importants restent possibles la mer , P. Bonassies et Ch. Scapel, n9, p.9.
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- Sous-section 2 Les critres de qualification de la force majeure ILirrsistibilit- A limpossible nul nest tenu A/ Dfinition de lirrsistibilit B/ Une apprciation in abstracto contestable IILimprvisibilit Un homme avis en vaut deux A/ Apprciation de limprvisibilit B/ Un critre controvers
p.15 p.16 p.16 p.19 p.22 p.22 p.25 p.28 p.28 p.31
-Section 2
nde
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Sous-section 2 Effets pratiques de la force majeure IForce majeure et exonration IISort du contrat et des obligations A/ Le sort du contrat B/ Le sort des obligations : la thorie des risques
- Section 1
re
ILa notion de faute du transporteur A/ Rle de la faute par rapport au cas except B/ Le fait du prpos ou du navire IIEffets de la faute du transporteur A/ Faute du transporteur et exonration partielle B/ Effets de la cause inconnue
Sous-section 1 Les cas excepts ne prsentant pas les caractres de la force majeure p.68 ILes cas excepts ne pouvant constituer des cas de force majeure p.68 A/ Linnavigabilit et le vice cach p.68 B/La faute nautique du capitaine, pilote ou dautres prposs du transporteur p.70 C/ La saisie judiciaire du navire en raison du non-paiement dune dette par le transporteur p.70 D/ La freinte de route p.71 E/ Vice cach ou vice propre de la marchandise p.72 F/ The catch all clause p.72 IILes cas excepts ne prsentant pas, en pratique, les caractres de la force majeure p.73 p.73 A/ Lincendie B/ La faute du chargeur p.75 C/ Le fait dennemis publics p.77 D/ Emeutes ou troubles civils et faits de guerre p.78 E/ Prils de la mer et Convention de Bruxelles de 1924 : non la force majeure ! p.79
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Sous-section 2nde Les cas excepts devant prsenter les caractristiques de la force majeure p.84 ICas excepts dont la jurisprudence exige les caractres de la force majeure p.84 A/ Prils de la mer et loi franaise du 18 juin 1966 : oui la force majeure ! p.84 B/ La grve, le lock out et les arrts de travail p.89 IILes cas excepts devant, au plan thorique, prsenter les caractres de la force majeure
p.91 p.91 p.92 p.94 p.95 p.97 p.97 p.97 p.97 p.99 p.99 p.102 p.103 p.104 p.105
Sous-section 2nde Particularisme de la force majeure en droit du contrat de transport maritime de marchandises ? p.109
- Conclusion - Sources
p.112 p.118
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Sources :
Les noms dauteurs suivis dun astrisque signalent les ouvrages cits daprs le seul nom de leur(s) auteur(s).
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