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A quoi sert l’art?

Technique - Art

I. L’art n’a pas de finalité pratique

L’art n’a pas de finalité pratique c’est-à-dire qu’il n’aurait pas pour but l’utilité matérielle, l’efficacité, une fonction pratique définie.

1. Art et technique : un travail manufacturier

L’art désigne d’abord l’activité fabricatrice de l’homme, en tant qu’il est producteur d’objets (artefacts), par opposition à ce que
produit la nature.

Art et technique ont en commun d’être un travail de manufacture (manuel) qui opère un changement de forme de la matière. On
voit cela dans le travail du sculpteur, de l’ébéniste ou encore du forgeron. Leur geste consiste à transformer la matière par le biais d’un
instrument.

L’artiste est donc d’abord artisan (= c’est celui qui maîtrise la matière particulière qu’il travaille : un ébéniste le bois, un forgeron le fer,
un potier l’argile, etc.), c’est-à-dire qu’il se rapporte toujours à un matériau auquel il va donner une forme, il crée en travaillant la
matière, travail qu’on lui reconnaît comme une compétence particulière. Par exemple, un sculpteur travaille la glaise, le bois, le marbre,
un peintre travaille les couleurs, un architecte les matériaux de construction.

A. Camille Claudel et Jessie Lipscomb, B. Un apprenti ébéniste dans son atelier.


sculptrices, dans leur atelier à Paris en 1887.

1. Qu’ont en commun le sculpteur et l'ébéniste?


2. Quelle part de technique y a-t-il dans l’art?

La technique est une production utile qui répond à des besoins pratiques, en transformant le donné naturel. La technique est efficace
dans le sens où elle produit un effet concret. Par exemple, on crée une commode pour y ranger des objets, sa création a un but, même
si elle peut être augmentée d’un enjeu esthétique (on peut faire une belle commode).

Mais, si la technique reste un moyen pour l’artiste de réaliser une œuvre, elle n’en constitue pas la finalité. La fin (= ce qui est visé, le
but, la finalité) même de la technique, l’utile au sens de “ce dont on peut faire usage”, qui fonctionne selon un usage précis, ne saurait
constituer la fin propre de l’art car le propre du rapport à l’art est davantage la contemplation que l’utilisation.

1
2. L’utile peut-il être la fin de l’art?

C. La façade de la Cathédrale Santa Maria del Fiore D. La Cité Radieuse de Le Corbusier,


à Florence. à Marseille.

1. Ces bâtiments sont tous les deux considérés comme des œuvres d’art, pourtant l’un plus que l’autre semble s’apparenter
davantage à une œuvre. Lequel? Pourquoi?
2. Expliquez en quoi l’architecture se situe à cheval entre art et technique?

Pourtant, l’utile n’exclut pas nécessairement une certaine émotion agréable qui suscite le plaisir des sens : la vue pour une peinture,
l’ouïe pour la musique, etc.
Des arts comme l’architecture ou le design en sont des exemples représentatifs.

E. Vase “Viljestark” (Ikea) F. Vase “Le grand bleu” (NOU Design) G. Cratère des Euménides

1. Qu’est-ce qui différencie ces objets?


2. Pourquoi le vase grec attire-t-il davantage notre regard que le premier?
3. Qu’est-ce qui permet dans ce cas à l’objet de devenir une œuvre d’art?

A cheval entre l’art et la technique, on trouve aussi le design.


Sa particularité est de dire que l’art doit répondre à des besoins, quotidiens ou plus occasionnels. Il articule donc l’enjeu esthétique (=
(du grec aisthesis : les sensations, la perception) : renvoie à tout ce qui relève de la sensibilité artistique, de la notion de beau) et la
fonctionnalité des objets. Les objets du quotidien sont investis par l’esthétique et leur valeur fonctionnelle est intégrée dans une
recherche artistique : le design conjugue fonction et esthétique, utilité et recherche du beau.

2
H. Fauteuil Wassily, Marcel Breuer (1925).

Pourtant, ce qui définit une œuvre d’art c’est précisément sa rareté et son unicité. La réflexion sur le design s’inscrit dans une période
particulière de l’histoire de l’art, à savoir la période post-industrielle qui rend possible la création d'œuvres “en série”.

Dans son ouvrage L'œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, publié en 1936, Walter Benjamin explique que les œuvres
avaient autrefois une valeur sacrée et magique, une aura (= quelque chose qui émane d’un objet, l’entoure et lui confère une dimension
particulière, sacrée voire mystique), que l’ère industrielle par la technique met à mal en rendant possible leur multiplication et leur
reproduction.

L'œuvre n’est pas une chose parmi les choses. Elle a une valeur symbolique, à laquelle on associe souvent une valeur monétaire
représentative (ou non). Elle a aussi une place spécifique dans des lieux consacrés : les musées, lieux de conservation des œuvres, lieu
de la contemplation désintéressée et de l’expérience esthétique.

Nelson Goodman dans Manières de faire des mondes, publié en 1978, pose que la question propre à l’art n’est pas de savoir “ce qu’est
l’art” mais de se demander “de quelle manière, à quel moment il y a art?”.

À vrai dire, un objet devient précisément une œuvre d'art parce que et pendant qu'il fonctionne d'une
certaine façon comme symbole. Tant qu'elle est sur une route, la pierre n'est d'habitude pas une œuvre d'art,
mais elle peut en devenir une quand elle est donnée à voir dans un musée d'art. Sur la route, elle n'accomplit en
général aucune fonction symbolique. Au musée, elle exemplifie certaines de ses propriétés – par exemple, les
propriétés de forme, couleur, texture.

1. Tout objet peut-il devenir œuvre d’art? Comment?


2. Comment définir la fonction symbolique d’une œuvre? Aidez-vous d’un dictionnaire.
3. Trouvez un exemple de fonction symbolique de l’art.

En 1917, Marcel Duchamp provoque le monde de l’art par cette œuvre, Fontaine, un urinoir en porcelaine renversé, acheté dans un
supermarché et agrémenté d’une signature à l’encre noire (R. Mutt 1917), qu’il présente comme œuvre en vue d’une exposition.

I. Fontaine, Marcel Duchamp (1917).

1. En quoi cette œuvre d’art est-elle surprenante?


2. Qu’est-ce qui permet à l’objet d’atteindre le statut d’œuvre d’art?
3. En quoi le geste provocant de Marcel Duchamp vise-t-il à radicaliser l’idée que l’art exclut l’utile?

3
L'œuvre d’art est donc un objet détourné d’une fonction d’usage. L'œuvre d’art est belle, parce qu’elle plaît, suscite des émotions et
porte en elle certaines valeurs.

3. L’art est une belle production désintéressée

Il semble donc que l’art se distingue, en ce qui concerne sa fin propre, de l’utile. Il est une production, mais une production
désintéressée (gratuite, qui ne recherche la satisfaction d’aucun intérêt spécifique, qui ne se rapporte à aucune dimension pratique et
utile). Dans l’art, la technique serait un moyen, le beau une fin.

De fait, on distingue l’artisanat des beaux-arts, lesquels renvoient à la peinture, au dessin, à la sculpture, l'architecture, la musique, la
poésie, le théâtre et la danse.

Texte 1. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, §5 (1790)

L'agréable et le bon se rapportent tous deux à la faculté de désirer, et c’est en quoi ils impliquent une
satisfaction. [...] En revanche le jugement de goût est purement contemplatif : c'est un jugement qui,
indifférent à l'existence d’un objet, ne se rapporte qu'au sentiment de plaisir ou de peine.

L'agréable, le beau, le bon désignent donc trois espèces de relation des représentations au senti­ment du plaisir ou
de la peine [...]. Aussi y a-t-il diverses expres­sions pour désigner les diverses manières dont ces choses nous
conviennent. L’agréable signifie pour tout homme ce qui lui fait plaisir; le beau, ce qui lui plaît simplement; le
bon, ce qu'il estime et ap­prouve, c'est-à-dire ce à quoi il accorde une va­leur objective. Il y a aussi de l'agréable
pour des êtres dépourvus de raison, comme les animaux; il n'y a de beau que pour des hommes, c'est-à-dire pour
des êtres sensibles, mais en même temps rai­sonnables; le bon existe pour tout être raisonnable en général. On
peut dire que de ces trois espèces de satisfaction, celle que le goût attache au beau est la seule désinté­ressée et
libre ; car nul intérêt, ni des sens ni de la raison, ne force ici notre assentiment.

1. Quel est le point qu’ont en commun l’agréable, le beau et le bon?


2. Quelle est la particularité du beau?
3. Que signifie que la satisfaction attachée au beau est “désintéressée et libre”?

Le texte de Kant montre bien que le désintéressement et l’universalité du beau sont des caractéristiques essentielles de l'œuvre.
Pourtant, comment peut-on se mettre d’accord sur ce qui est beau? De quoi parle-t-on lorsqu’on dit d’une œuvre qu’elle est belle?

Écoutez au hasard un extrait de ce morceau du compositeur John Cage.


John Cage: Music of Changes (1951)
1. Trouvez-vous que ce morceau est beau? En quel sens?

Choisissez un morceau de musique qui vous plaît.


1. Pourquoi ce morceau vous plaît-il?
2. Pensez-vous qu’il plairait à tout le monde?

Trouvez un exemple d’un morceau de musique que tout le monde pourrait trouver beau. Justifiez votre choix.

Le beau est-il objectif et universel ou se réduit-il à ce qui me plaît et suscite mon plaisir particulier? Peut-on juger objectivement du
beau ou est-il relatif? Dépend-il d’une époque, d’une période? Le beau n’est-il pas l’expression d’un goût particulier dominant?

Ce qui est beau ne saurait se réduire à ce qui réalise matériellement une harmonie plaisante. La beauté de l’art consiste sans doute en
une expérience intérieure, partagée et universelle.
De plus, si le beau caractérise l’art comme critère universel, peut-on pour autant dire que la fin de toute œuvre d’art est la beauté
désintéressée? La seule fin de l’art serait alors la contemplation pure, c’est-à-dire le regard désintéressé, au risque que l’art n’ait que
lui-même comme fin, que l’art ne se comprenne que selon les critères de l’art pour l’art (mouvement qui revendique que l’art ne peut
avoir d’autre fin que le beau, que l’art lui-même, il ne peut avoir aucune fonction morale ou utilitaire).

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II. L’art comme expérience esthétique

L’art est une expérience esthétique dans le sens où il donne accès à une épreuve sensorielle et sensitive. L’art se pense avant tout dans sa
réception par le spectateur.

1. L’art n’est pas une copie, il est création de formes

Dans le genre de la nature morte, les peintres s’attachent à imiter des objets du quotidien, sans valeur particulière et à les mettre en
place dans une composition soignée.
L’art serait imitation, c’est-à-dire reproduction de l’apparence d’une chose à l’identique.

J. La raie, Jean Siméon Chardin (1727).

1. Que voit-on sur cette toile?


2. Selon vous, quelle est l’intention du peintre dans cette nature morte?

L'art peut d’abord être considéré comme l’imitation de la réalité, des objets et choses qui nous entourent. C’est peut-être ce dont
témoignent les peintures rupestres de la période préhistorique. L’art peut aussi renvoyer à une représentation de nos sentiments, de
nos émotions, par exemple en musique.

Une œuvre d'art serait réussie lorsqu'elle serait parfaitement identique à ce que l'on voit ou ce que l'on ressent : l'art serait alors une
copie, une reproduction à l'identique de la réalité, et consisterait en une illusion de réalité.

Or l’art n’est pas seulement figuratif, il peut aussi être abstrait. Quelle serait alors la fonction de l’art s’il n’était qu’un double du réel?

K. Carré noir sur fond blanc, Kazimir Malevich (1915)

1. Que voit-on sur cette toile?


2. Selon vous, quelle est l’intention du peintre dans cette toile?
5
L’art abstrait pose l’abandon de l’imitation illusoire des choses. Il cesse d’imiter les apparences du réel et de se référer à un modèle. Il
représente des formes et des couleurs sans rester fidèle à l’apparence de la réalité. Il invente un langage qui exprime le réel sans s’en
tenir à son apparence extérieure.

2. Le spectateur et l’expérience esthétique

a. L’art est une représentation qui suscite émotions et pensées

L’art n’est pas seulement imitation, il est représentation. Certes il “présente à nouveau” (au sens où il reproduit quelque chose du réel)
mais surtout, il rend présent, il montre quelque chose. En donnant à voir et en incarnant des situations réelles ou fictives, l’art suscite
des émotions et des pensées.

L. Hamlet de William Shakespeare mis en scène par Olivier Py (Bruxelles, 2013)

1. Pourquoi parle-t-on de “représentation” théâtrale?


2. Le théâtre nous fait-il croire qu’il est la réalité?

Texte 3. Aristote, Poétique, 6.

La tragédie est l'imitation d'une action de caractère élevé et complète1, d'une certaine étendue, dans un langage
relevé d'assaisonnements d'une espèce particulière suivant les diverses parties, imitation qui est faite par des
personnages en action2 et non au moyen d'un récit3, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation4
propre à pareilles émotions. [...] La tragédie est l'imitation d'une action et c'est avant tout en raison de l'action
qu'elle imite les hommes agissant.

1. Comment une représentation théâtrale (vous pouvez élargir au cinéma) suscite-t-elle pitié et crainte?
Caractérisez la pitié et la crainte.
2. Pourquoi peut-on parler de “purgation” des émotions à travers la pitié et la crainte?

Pour Aristote, la catharsis de la tragédie repose sur la possibilité, pour le spectateur, de s’identifier avec le héros tragique. La tragédie
représente des événements et des émotions dans lesquels tous peuvent se reconnaître, quelle que soit l’époque.

Au théâtre, le spectateur se purifie de ses émotions néfastes par une identification qui repose aussi sur une mise à distance : la mise en
scène est assez vraie pour que l’on puisse s’identifier aux personnages mais elle pose aussi une distance pour que le spectateur se sente
protégé et ne ressente les émotions qu’à travers les personnages. C’est la représentation.

1
Une action de caractère élevée : un sujet sérieux et noble, impliquant souvent des familles importantes, des
sujets de mariage, de royauté.
2
Les acteurs.
3
Le théâtre se distingue d’un roman ou de la poésie car il est mis en scène.
4
La purgation (la catharsis en grec) : action d’apaiser ou d’éliminer des émotions négatives.
6
Si l’art ne sert, à proprement parler, à rien, il a pourtant bien une fonction : il s’adresse à un spectateur, et il est reçu par lui sous la forme
d’une expérience émotionnelle et esthétique.
Lire, écrire, regarder un film, écouter de la musique c’est se plonger dans un autre univers tout en établissant une relation émotionnelle
et intellectuelle à travers autrui.

b. L’art est une expérience intersubjective

Texte 3. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, §40 (1790)

Le jugement esthétique [...] mérite d’être appelé un sens appartenant à tous [sens commun], si l’on veut bien entendre par sens un
effet de la simple réflexion sur l’esprit car alors on entend par le sens le sentiment du plaisir. On pourrait même définir le goût [comme]
la faculté de juger de ce qui rend notre sentiment lié à une représentation donnée, universellement communicable.

L’art a vocation à être partagé, il est créé pour un autre. Cet autre c’est le spectateur qui en fait l’expérience, qui reçoit l'œuvre d’un
point de vue sensible et affectif.

La particularité du jugement esthétique est d’être fondé sur un sentiment de plaisir ressenti par le sujet, mais qui exige le même
sentiment chez son semblable. L’homme désire l’universalité, parce qu’il n’attache pas son plaisir à un intérêt subjectif : le jugement
esthétique est intersubjectif. Le jugement esthétique reconnaît la beauté de l’œuvre sans assigner cette beauté à une détermination
particulière (il n’y a pas de modèle ou d’idée à respecter).

Mais l’idée que l’art ait un destinataire, un récepteur, peut aussi conduire à l’idée que l’art se transforme en un contenu déterminé, qui
aurait pour finalité la transmission d’une idée ou d’un message, instrumentalisant alors sa portée universelle à des fins intéressées.

III. L’art comme engagement

1. L’art n’est ni embrigadé ni embrigadement c’est-à-dire qu’il ne cherche pas à faire adhérer de force à une idée ou à une
organisation.

Si l’art n’est pas à proprement parler utile, il a une fonction de production d’idées et d’émotions. A ce titre, on peut donc aussi
s’interroger : l’art a-t-il pour fonction de véhiculer des idées ou de chercher à édifier moralement?

M. Dans ce film de propagande nazie, la réalisatrice Leni Riefenstahl utilise les moyens de l’art cinématographiques pour divulguer et
propager l’idéologie du régime nazi. Ce film retrace le déroulement du Congrès de Nuremberg de 1934 et a été commandé par Hitler
lui-même. La réalisatrice a recours à des procédés cinématographiques comme la contre-plongée ou les plans larges pour mythifier et
glorifier les personnages.
https://mubi.com/fr/films/triumph-of-the-will/trailer

N. L’exposition de Musique dite “dégénérée” a été organisée par le parti nazi en 1938 à Düsseldorf. Elle vise à rappeler l’idéologie du
parti en affirmant qu’il faudrait préserver la “pureté” de la musique en la tenant à l’écart des musiques mises à l’index (comme par
exemple le jazz noir américain ou les oeuvres de grands compositeurs de confession juive).

7
Attention, ces deux oeuvres d’art sont des oeuvres de propagande raciste et antisémite qui véhiculent les idées instaurées par le régime
nazi de Hitler en Allemagne à partir de 1933.

M. Photographie du film Le triomphe de la volonté, N. Affiche de l’exposition de la


Leni Riefenstahl (1935) Musique dite “dégénérée” Düsseldorf
(1938)

1. Quelle est la fonction du film de Leni Riefensthal?


2. Que voyez-vous sur l’affiche de l’exposition? Commentez le terme “musique dégénérée”.
3. Quelle est la fonction de l’exposition?
4. L’art peut-il être au service d’une idée?

Subordonner l’art à une utilité politique et morale viserait à le rabaisser au statut d’instrument et à le dénaturer en omettant sa
caractéristique fondamentale : il est le résultat d’un acte de création libre.
Or si l’art de propagande utilise les moyens de l’art, il ne laisse aucune place à la créativité de l’artiste et uniformise les
représentations à travers un style unique.

Pour autant, l’art en créant des formes, en parlant aux sens cherche à faire entrevoir une certaine forme de vérité, en disant quelque
chose du monde qui nous entoure.

O. Le courant du réalisme socialiste en peinture vise à promouvoir les principes du communisme soviétique qui représente la réalité
sociale des travailleurs, des classes populaires et des militants. Il a aussi pour fonction un certain message visant à éduquer les
travailleurs dans l'esprit du communisme. Le style de ce mouvement est uniformisé et codifié pour atteindre une efficacité dans le
message à transmettre.

P. Artiste peintre et graffeur américain aux origines portoricaines et haïtiennes, Jean-Michel Basquiat imprègne son œuvre de la réalité
qui l’entoure en s’appropriant son quotidien dans une œuvre protéiforme au style unique. Il se fait notamment témoin dans son œuvre
du racisme américain, et dénonce les injustices du système. Dans Obnoxious Liberals, il dépeint une série d’images représentant la
société moderne et ses victimes. On voit sur la toile un homme noir enchaîné, pris en otage par le système blanc américain représenté à
travers différents symboles comme un dollar américain, l’oncle Sam, un chapeau de cowboy.

O. Komsomol militarisé, P. Obnoxious Liberals, Jean-Michel Basquiat (1982)


Alexandre Samokhvalov (1932-1933)

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Texte 4. G. W. F. Hegel, Introduction aux leçons d’esthétique (1835)

L'art a, de tout temps, été regardé comme un puissant instrument de civilisation, comme un auxiliaire de la religion : il est avec elle le
premier instituteur des peuples ; c'est encore un moyen d'instruction pour les esprits incapables de comprendre la vérité autrement
que sous le voile du symbole, et par des images qui s'adressent aux sens comme à l'esprit. Mais cette théorie, quoique bien supérieure
aux précédentes, n'est pas non plus exacte. Son défaut est de confondre l'effet moral de l'art avec son véritable but. Cette confusion a des
inconvénients qui ne frappent pas au premier coup d'œil. Qu'on prenne garde, cependant, qu'en assignant ainsi à l'art un but étranger, on
ne lui ravisse la liberté qui est son essence et sans laquelle il n'y a pas d'inspiration ; et que par là, on l'empêche d'atteindre les effets
qu'on attend de lui.

1. Que veut dire l’idée que l'art est “le premier instituteur des peuples” et un “moyen d’instruction”?
2. En vous appuyant sur l’image O, pour Hegel, l’art peut-il avoir comme véritable but la morale?
3. En vous appuyant sur l’image P, comment l’art peut-il toutefois avoir comme effet de “faire comprendre la vérité”?

Si l’art n’a pas de fonction à proprement parler morale ou politique, c’est parce qu’il est le produit d’une création libre et
indéterminée qui ne saurait complètement se subordonner à une fin intéressée au risque de confondre l’art avec de la propagande,
c’est-à-dire une production imagée qui met en oeuvre les moyens d’information en vue de la propagation d’une doctrine ou de la
création d’un mouvement d’opinion, voire même une action.

Quand bien même ce ne serait pas dans son message et dans son contenu, c’est également du point de vue plastique et formel que
l'œuvre se détache de toute forme de convenance et d’attentes prédéfinies. Une œuvre d’art est toujours une création unique, originale,
inspirée, voire même peut-être l'œuvre d’un génie.

Toutefois, comme le montre Basquiat, l’art a aussi une fonction d’engagement. Par ses créations l’artiste engage une responsabilité
morale et humaine en même temps qu’il crée une œuvre subjective, personnelle et affective dans un style unique.

L’art consiste à s’adresser à l’autre par le biais de la faculté d’imagination, par les sens et non par la raison.
De ce point de vue, il peut donc chercher à dire une vérité, partager des émotions, donner à voir, entendre ou lire quelque chose du
monde qui nous entoure.

2. L’art est une vision qui modifie le sens du monde

Au XIXe siècle, le courant de l’art pompier (art académique) est très présent sur la scène culturelle publique. Commandé par les
institutions (comme les Beaux-Arts) il constitue en quelque sorte un art officiel, auquel les artistes se référent pour le suivre ou s’en
détacher. L'œuvre d’Alexandre Cabanel en est un exemple.

Q. Naissance de Vénus, Alexandre Cabanel (1863) R. Portrait de Dora Maar, Pablo Picasso (1937)

1. En quoi la peinture de Cabanel semble-t-elle “convenue”?


2. Au contraire, qu’est-ce qui rend la toile de Picasso particulière?
3. Comment différencier une œuvre commandée (Q) d’une œuvre inspirée (R)?

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La particularité d’une œuvre d’art repose sur l’association entre un style (celui de l’artiste) et des règles de convention qui s’inscrivent
dans une histoire de l’art. L’artiste crée en détournant les règles officielles, des codes de pratique et en innovant par une maîtrise
technique au service d’une vision.
En étant le produit d’une subjectivité, il touche à l’universel en approfondissant le sens du monde.

On peut donc dire que l'œuvre d’art est le résultat d’une intuition originale, la production d’un génie.
Cette question du génie est toutefois discutable. Le génie se passe-t-il de travail? L’activité artistique est-elle une activité à part
mystérieuse et inaccessible? Si le génie implique une part de talent, il va nécessairement de pair avec le travail.

C’est ce que montre Friedrich Nietzsche dans un texte de Humain trop humain (1878) :

– D’où vient alors cette croyance qu’il n’y a de génie que chez l’artiste, l’orateur et le philosophe ? Qu’eux seuls ont de l’« intuition » ?
[...] Manifestement, les hommes ne parlent de génie que là où ils trouvent le plus de plaisir aux effets d’une grande intelligence et où,
d’autre part, ils ne veulent pas éprouver d’envie. Dire quelqu’un « divin » signifie : « Ici, nous n’avons pas à rivaliser. » Autre chose :
on admire tout ce qui est achevé, parfait, on sous-estime toute chose en train de se faire ; or, personne ne peut voir dans l’oeuvre de
l’artiste comment elle s’est faite ; c’est là son avantage car, partout où l’on peut observer une genèse, on est quelque peu refroidi.

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