Matheco 2017-Chap7
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On va maintenant décrire brièvement quelles fonctions définies sur un espace mesuré on peut intégrer. L’idée
R si (X, A, µ) est un espace mesuré et f est la fonction caractéristique d’une partie A ∈ A, alors on voudrait
est que,
poser X f dµ P = µ(A). Une fois qu’on a fait ça, on sait comment intégrerP toutes les fonctions qui s’écrivent sous
n
la forme f = i=1 αi 1Ai : l’intégrale d’une telle fonction devra être αi µ(Ai ). Et un procédé de passage à la
limite nous permettra d’intégrer encore plus de fonctions - les fonctions pour lesquelles ce processus de passage
à la limite fonctionne bien sont les fonctions mesurables.
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Chacun des ensembles {x : fm (x) ∈ a+ N1 , b− N1 } appartient à A puisque fm est mesurable ; une intersection
d’une suite d’éléments de A est encore un élément de A, et de même pour une réunion, ce qui nous donne la
conclusion souhaitée.
Proposition 7.6. Soit (X, A), (Y, B) et (Z, C) trois espaces mesurables. Supposons que f : X → Y et g : Y → Z
sont mesurables. Alors g ◦ f est mesurable.
Preuve:
Soit C ∈ C. Alors
Puisque g est mesurable, g −1 (C) ∈ B ; et alors le fait que f est mesurable nous donne que f −1 (g −1 (C)) ∈
A. On vient de montrer que (g ◦f )−1 (C) ∈ A pour tout C ∈ C, autrement dit que g ◦f est mesurable.
Exercice 7.7. Montrer que l’addition (x, y) 7→ x + y et la multiplication (x, y) 7→ xy de R2 dans R sont
boréliennes.
Exercice 7.8. Soit (X, A) un espace mesurable, et f, g deux fonctions mesurables de X dans R. Montrer que
f + g et f g sont mesurables.
Rappelons que, si f, g : R → R sont des fonctions boréliennes, on dit que f et g sont égales presque partout
si λ({x : f (x) 6= g(x)}) = 0 (c’est-à-dire, si l’ensemble de tous les x tels que f (x) 6= g(x) est négligeable, ou
encore si f (x) = g(x) pour presque tout x)
(
0 si x 6∈ N
Exemple. La fonction f définie sur R par f (x) = est borélienne et nulle presque partout.
x sinon
Par la suite, il sera utile pour nous d’autoriser certaines fonctions à prendre la valeur +∞.
Définition 7.9. Soit (X, A) un espace mesurable. Une fonction mesurable à valeurs positives est une fonction
f : X → [0, +∞] telle que :
– f −1 ({+∞}) soit mesurable, et
– Pour tout borélien B de [0, +∞[, f −1 (B) soit mesurable.
où chaque Ai appartient à A et αi ≥ 0 (attention, éventuellement, un des αi peut être égal à +∞ !). Pour une
telle fonction, on pose
Z Xn
f dµ = αi µ(Ai ) .
X i=1
Il faut faire un
Pnpeu attention, et vérifier que la définition précédente ne dépend pas de la façon dont on écrit
f sous la forme i=1 αi 1Ai ...
Ensuite, un procédé de passage à la limite que l’on ne décrira pas ici nous permet de définir l’intégrale d’une
fonction mesurable et à valeurs dans [0, +∞] ; cette intégrale peut valoir +∞ ! Puis, en écrivant une fonction
+ −
mesurable quelconque R f sous la forme f = f − f , on arrive à définir l’intégrale des fonctions mesurables f ,
à la condition que X |f |dµ < +∞. On dit que ces fonctions sont intégrables.
Étant donnée une partie mesurable A ⊆ X, et une fonction mesurable f : X → R,
Z Z
f dµ = f 1A dµ.
A X
Résumons ici les propriétés de l’intégrale ainsi obtenue, que l’on admettra :
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Proposition 7.10. Pour toutes fonctions mesurables f, g : X → R intégrables sur une partie mesurable A ⊆ X
on a
R
1. A 1dµ = µ(A) ;
2. pour toutes constantes réelles α et β, la fonction αf + βg est également mesurable et intégrable sur A et
Z Z Z
(αf + βg)dµ = α f dµ + β gdµ (linéarité de l’intégrale);
A A A
R R
3. si f = g presque partout, alors A f dµ = A gdµ ;
R
4. si f ≥ 0 presque partout, alors A f dµ ≥ 0 (positivité de l’intégrale) ;
R R
si f ≤ g presque partout, alors A f dµ ≤ A gdµ (monotonie de l’intégrale) ;
R
5. si µ(A) = 0 alors A f dµ = 0 ;
6. si A1 , A2 sont des parties mesurables de A telles que µ(A1 ∩ A2 ) = 0, alors
Z Z Z
f dµ = f dµ + f dµ .
A1 ∪A2 A1 A2
On a de plus
7. L’inégalité triangulaire Z Z Z
(f + g)dµ ≤ |f |dµ + |g|dµ .
A A A
Remarque 7.11. Rappelons que l’intégrale est d’abord définie pour les fonctions mesurables à valeurs positives
(+∞ compris) et possède les propriétés ci-dessus pour ces fonctions. Répétons également que, quand on écrit
que f est une fonction mesurable de X à valeurs dans l’intervalle fermé [0, +∞], on entend que A = {x ∈
X : f (x) = +∞} est mesurable, et que pour tout intervalle ouvert
R I de R, f −1 (I) est mesurable. Dans ce cas,
l’intégrale de f peut valoir +∞. Si f est intégrable (c.à.d. si X f dµ < +∞) alors, par monotonie, la partie A
où f vaut +∞ est négligeable (c.à.d. µ(A) = 0).
Proposition 7.12 (Inégalité de Tchebychev). Soit f : X → [0, +∞] une fonction mesurable. Alors, pour tout
α > 0, on a Z
1
µ({x : f (x) ≥ α}) ≤ f dµ .
α X
Preuve:
Notons B = {x ∈ X : f (x) ≥ α}. Alors α1B ≤ f et par monotonie de l’intégrale, on a
Z
αµ(B) ≤ f dµ .
X
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Théorème 7.14 (Théorème de convergence monotone). Soit fn : X → [0, +∞] une suite de fonctions me-
surables telle pour presque tout x ∈ X la suite (fn (x)) soit une suite croissante. Alors il existe une fonction
mesurable f : X → [0, +∞] telle que fn (x) converge vers f (x) presque partout, et on a
Z Z
lim fn dµ = f dµ .
n→+∞ X X
Preuve:
On peut supposer que pour tout x ∈ X, la suite (fn (x)) est une suite croissante (la partie où ce n’est
pas le cas étant négligeable). Dans ce cas, pour chaque x ∈ X, la suite (fn (x)) a une limite (finie ou
infinie) que l’on note f (x). Cette limite f est alors mesurable (voir la preuve de la proposition 7.5
et la remarque 7.11).
R
De plus, pour tout n ∈ N, on a fn ≤ fn+1 ≤ f et donc, par monotonie de l’intégrale, la suite X fn dµ
a une limite vérifiant Z Z
lim fn dµ ≤ f dµ .
n→+∞ X X
Pour l’inégalité réciproque, considérons α ∈]0, 1[. Pour n ∈ N, posons En = {x ∈ X : fn (x) ≥ αf (x)}.
Alors, par linéarité, chaque En est mesurable.
R De plus, par hypothèse, on a En ⊆ En+1 pour tout
n ∈ N, et ∪n∈N En = X. Comme A 7→ A αf dµ définie une mesure, on en déduit par la proposition
6.13 4 que Z Z Z Z
αf dµ = lim αf dµ ≤ lim fn dµ ≤ lim fn dµ .
X n→+∞ En n→+∞ En n→+∞ X
Théorème 7.15 (Théorème de convergence dominée). Soit fn : X → R une suite de fonctions mesurables
satisfaisant les hypothèses suivantes :
1. Pour presque tout x ∈ X, la suite fn (x) est convergente vers une limite qu’on appelle f (x).
2. Il existe une fonction g : X → [0, +∞] mesurable et intégrable, telle que pour presque tout x on ait
On peut alors vérifier que les fonctions hn sont mesurables, positives et majorées par 2g. De plus, pour
tout x, la suite hn (x) Rest croissante
R et converge vers 2g. Par le théorème de convergence monotone,
on obtient que lim X hn dµ = X 2gdµ.
n→+∞
Par définition, on a pour tout n :
Z Z Z
hn dµ ≤ (2g − |f − fn |)dµ ≤ 2gdµ .
X X X
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Ainsi,
Z Z Z Z
f dµ − lim fn dµ = lim (f − fn )dµ ≤ lim |f − fn |dµ = 0.
X n→+∞ X n→+∞ X n→+∞ X
Ces théorèmes ont pour corollaires les théorèmes analogues d’échanges séries/intégrales et de continuité ou
dérivabilité des intégrales à paramètres vus dans la première partie pour la mesure de Lebesgue.
Dans la somme ci-dessus, xi apparaît exactement autant de fois qu’il existe d’entiers p pour lesquels
f (p) = xi ; autrement dit, la somme ci-dessus est simplement la somme de toutes les valeurs de f , c’est-
à-dire
Z N
X
f dµ = f (p) .
N p=0
R P+∞
On vient de voir que, au sens de la mesure de comptage sur N, on a N f dµ = p=0 f (p), du moment
que f est à valeurs positives et nulle pour n suffisamment grand. Maintenant, si jamais f : N → [0, +∞[
est une fonction quelconque, alors on peut considérer la suite (fN ) définie par
(
f (i) si i ≤ N
fN (i) =
0 sinon
Pour tout i fixé, la suite (fN (i)) est croissante vers f (i) ; on peut donc appliquer le théorème de convergence
monotone pour déduire que
Z Z N
X +∞
X
f dµ = lim fn dµ = lim f (i) = f (i) .
N N →+∞ N N →+∞
i=0 i=0
Z +∞
X
Ainsi, on a f dµ = f (i) pour toute fonction positive f ; on en déduit qu’une fonction f : N → R
N i=0
+∞
X +∞
X
est intégrable si, et seulement si, la série |f (i)| converge (ou encore la série f (i) est absolument
i=0 i=0
Z +∞
X
convergente) , et que dans ce cas-là, on a encore f dµ = f (i).
N i=0
Par conséquent, la sommation de séries absolument convergentes peut être vue comme un cas particulier
de calcul d’intégrale, relativement à la mesure de comptage sur N.
2. Supposons maintenant que (X, A, µ) est un espace mesuré quelconque, f : X → [0, +∞] est mesurable et
ν est la mesure de densité f par rapport à µ. Alors, on sait que, pour toute partie mesurable A, on a
Z Z Z
1A dν = ν(A) = f dµ = f 1A dµ .
X A X
En suivant le même cheminement que ci-dessus (et en admettant le fait que toute fonction mesurable, à
valeurs positives, est une limite presque partout de fonctions mesurables, positives et ne prenant qu’un
nombre fini de valeurs) on peut alors montrer qu’on a, pour toute fonction mesurable g : X → [0, +∞] :
Z Z
gdν = f gdµ .
X X
Cette
Z formule permet de déduire que les fonctions ν-intégrables
Z Zsont les fonctions g : X → R telles que
f |g|dµ < +∞, et que pour ces fonctions on a aussi gdν = f gdµ.
X X X
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7.3 Mesure produit et théorèmes de Fubini
Définition 7.16. Soit (X, A, µ) un espace mesuré. On[
dit que (X, A, µ) est σ-fini s’il existe une suite de parties
(An )n∈N telles que µ(An ) < +∞ pour tout n, et X = An .
n
Cette hypothèse est par exemple vérifiée quand µ(X) < +∞ (donc en particulier quand µ est une mesure de
probabilité), quand X = N muni de la mesure de comptage, ou quand X = Rn muni de la mesure de Lebesgue.
La méthode de base pour calculer une intégrale d’une fonction de 2 variables est de se ramener à des
intégrales de fonctions de 1 variable. Pour cela il nous faut d’abord expliquer comment on peut munir X × Y
d’une structure d’espace mesuré quand X, Y sont tous les deux munis d’une telle structure.
Définition 7.17. Soit (X, A, µ1 ) et (Y, B, µ2 ) deux espaces mesurés σ-finis. On note A ⊗ B la tribu engendrée
par les parties de la forme A × B, où A ∈ A, B ∈ B ; on l’appelle tribu produit des tribus A et B.
Alors il existe une unique mesure ν sur A ⊗ B vérifiant ν(A × B) = µ1 (A)µ2 (B) pour tout A ∈ A et tout
B ∈ B. Cette mesure est notée µ1 ⊗ µ2 , et est σ-finie.
On n’essaiera pas de rentrer dans le détail de la construction de cette mesure ; notons que B(Rn+m ) =
B(Rn ) ⊗ B(Rm ) et que , si λn désigne la mesure de Lebesgue sur Rn , alors on a toujours λn+m = λn ⊗ λm .
La mesure produit µ1 ⊗ µ2 étant définie à partir de µ1 et µ2 , on s’attend à ce qu’il en aille de même de
l’intégrale d’une fonction mesurable relativement à µ1 ⊗ µ2 . Et c’est effectivement le contenu des théorèmes de
Fubini.
Théorème 7.18 (Fubini–Tonelli). Soit (X1 , T1 , µ1 ) et (X2 , T2 , µ2 ) deux espaces mesurés σ-finis. Soit f : X1 ×
X2 → [0, +∞] une fonction T1 ⊗ T2 -mesurable. Alors :
Z
1. y 7→ f (x, y) est une fonction mesurable (sur (X2 , T2 ) dans [0, +∞] ) pour tout x ∈ X1 , et x 7→ f (x, y)dµ2 (y)
X2
est une fonction mesurable (sur (X1 , T1 )).
Z
2. x 7→ f (x, y) est une fonction mesurable (sur (X1 , T1 ) dans [0, +∞]) pour tout y ∈ X2 , et y 7→ f (x, y)dµ1 (x)
X1
est une fonction mesurable (sur (X2 , T2 )).
3. On a
Z Z Z Z Z
f (x, y)dµ1 ⊗ µ2 (x, y) = f (x, y)dµ2 (y) dµ1 (x) = f (x, y)dµ1 (x) dµ2 (y) .
X1 ×X2 X1 X2 X2 X1
Comme dans le cas des fonctions définies sur Rn , on en déduit facilement un théorème qui s’applique à toutes
les fonctions intégrables (et pour vérifier qu’une fonction est intégrable, on peut commencer par appliquer le
théorème de Fubini–Tonelli à |f |).
Théorème 7.19 (Fubini). Soit (X1 , T1 , µ1 ) et (X2 , T2 , µ2 ) deux espaces mesurés σ-finis. Soit f : X1 × X2 → R
une fonction intégrable. Alors :
Z
1. y 7→ f (x, y) est une fonction intégrable (sur X2 ) pour presque tout x ∈ X1 , et x 7→ f (x, y)dµ2 (y) est
X2
une fonction intégrable (sur X1 ).
Z
2. x 7→ f (x, y) est une fonction intégrable (sur X1 ) pour preseque tout y ∈ X2 , et y 7→ f (x, y)dµ1 (x) est
X1
une fonction intégrable (sur X2 )
3. On a
Z Z Z Z Z
f (x, y)dµ1 ⊗ µ2 (x, y) = f (x, y)dµ2 (y) dµ1 (x) = f (x, y)dµ1 (x) dµ2 (y) .
X1 ×X2 X1 X2 X2 X1
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