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République algérienne démocratique et

populaire

Ministère de l’enseignement supérieur et

de la recherche scientifique

Université de Mostaganem

Faculté des arts et des lettres

Ecole doctorale de français

Mémoire de magistère
1
Option : sciences des textes littéraires

Etude de l’espace dans On dirait le sud de Djamel


Mati

Soutenu par YOUNSI Amina

Directeur de recherche : Mr BENHAIMOUDA

Année universitaire 2010/2011

Sommaire :

Introduction générale………………………………….06

2
Chapitre I : l’écriture de l’espace……………………...14

1. Topographie du récit ……………………………….15

2. La représentation de l’espace…………………….....22

3. Les fonctions de l’espace…………………………...29

Chapitre II : le rapport espace-personnage…………….36

1. Le nord……………………………………………..39

a. La ville………………………………………..39

b. La mer………………………………………...40

2. Le désert……………………………………………42

a. La cabane................…………………………...55
b. La montagne…………………………………..56
c. La grotte…………...………………………….60
3. Nord/sud : opposition et similitudes……………….62
4. La symbiose du personnage et de l’espace………...62

Chapitre III : lieu et idéologie…………………………..67

1. La toposémie fonctionnelle du récit………………...67


2. Espace et idéologie dans On dirait le sud…………..71
3. L’actancialisation de l’espace……………………....79
3
Conclusion générale……………………………………82

Références bibliographiques

4
INTRODUCTION
GÉNÉRALE

Djamel Mati, emblème de la nouvelle littérature algérienne, écrivain, romancier dont


les écrits nous troublent souvent par leurs tendances philosophiques, est de formation
universitaire. Ingénieur en chef en géophysique, il vit à Alger et se consacre de plus en plus
à la culture livresque. Il travaille dans un centre de recherche en tant qu'ingénieur.
Romancier régulier, il dépasse six ouvrages édités avec pas moins de cinq romans. A ce
jour, son parcours littéraire se résume ainsi : Le bug de l’an 2000 ou la première
problématique du troisième millénaire paru en 1999 à l’Office des Publications
Universitaires "O.P.U". Le 25 décembre 2003 il publie son premier roman Sibirkafi.com ou
les élucubrations d’un esprit tourmenté. Sibirkafi.com est le premier livre d'une trilogie

5
fantasmagorique ou… tout juste, une simple fiction du réel, paru aux Éditions Marsa.
Septembre 2004, Fada ! Fatras de maux est son deuxième roman édité chez APIC Éditions.
Septembre 2005, Aigre-doux est son troisième roman et le deuxième volet de la trilogie Les
élucubrations d'un esprit tourmenté, APIC Éditions. Novembre 2007 : On dirait le Sud,
roman (troisième volet de la trilogie les élucubrations d'un esprit tourmenté. Mars 2009 :
L.S.D., roman paru aux éditions Alpha.
Djamel Mati est un écrivain algérien authentique dont la personnalité transparait à
travers chacun de ses ouvrages exposant ainsi sa sensibilité profonde. Il a tendance à se
montrer à nu pour mieux transmettre ses sentiments, ses soucis et ses joies aux lecteurs.

Choix du corpus et perspectives d’étude :

Le corpus pour lequel nous avons opté pour mener notre recherche s’intitule On dirait
le sud .Paru en novembre 2007, ce roman de plus de 290 pages est le troisième volet de la
trilogie Les élucubrations d'un esprit tourmenté, une trilogie dont chaque volet est
individuel, et qu'on peut parfaitement traiter séparément des deux autres volets
(Sibirkafi.com 2003 et Aigre-doux 2005).
C'est l'histoire de Zeïna, Iness et Neil, perdus dans un désert de non-sens à la recherche de
soi. Zaïna, Iness et Neil errent, sans boussole ; un seul repère les oriente, le point B114 où ils
seront pris en otages par leurs rêves et cauchemars. Zaïna, se retrouve dans une cabane avec
un personnage qui abuse d'elle, alors que parallèlement Neïl échoue, laissant derrière lui
femme et enfants, et part dans le désert, accueilli par des Touaregs dans des oasis. Iness, fit de
lui son amant alors qu'elle est promise à son cousin. Iness et Neïl furent démasqués le
lendemain. Excommuniés de la tribu ils errent dans le désert ayant pour seul guide une
chamelle attribuée par le père d’Iness. Après de tumultueuses aventures dans un univers
fantasmagorique, dans un désert paradoxal à la fois ouvert et fermé, les trois personnages
finissent par se rencontrer au point B114.

Ce qui a interpelé notre curiosité dans le roman de Mati c’est la place qu’y occupe la
description. Elle s’avère être la composante majeure de la fiction. La recherche d’une action
ou d’un événement à proprement parler n’a aboutit à aucune issue. En effet, « le récit ne peut
se passer de la description, puisqu’il tire de cette dernière son pouvoir hallucinatoire, sa

6
prétention à se faire prendre pour le réel »1, mais ce que nous avons constaté c’est que Mati
privilégie la description spatiale au détriment de la narration : nous assistons dans On dirait
le sud à une économie narrative nouvelle où les places respectives de la narration et de la
description se trouvent inversées: ce n'est plus la narration qui domine et sert de cadre à des
descriptions, c'est la description qui envahit l'espace narratif et nous suggère un récit. D’ou
l’intérêt d’étudier l’espace dans son fonctionnement, dans sa mise en texte ainsi que dans les
différentes fonctions qu’il remplit dans la construction textuelle que nous allons soumettre à
l’analyse dans le présent travail.

Nous voudrions restreindre notre travail sur le corpus à l’étude de l’espace romanesque
car il nous parait un champ d’investigation fécond mais peu encore exploité. Ce même constat
est depuis longtemps établi par ceux qui se sont de près ou de loin intéressés au problème de
l’espace, composante essentielle ou mieux, indispensable du récit – « le lieu, écrit C. Grivel
est (…) nécessité de la narration (…) Tant que le ‘‘où ?’’ n’est pas inscrit, impossible
d’entamer, d’inventer l’aventure. Le récit se fonde en se localisant »2. Il n’a pas moins
longtemps été le parent pauvre de la critique littéraire. Dès 1970, R. Bourneuf s’étonnait
d’une « lacune » qui lui semblait « assez inexplicable » et écrivait :

Alors que depuis une vingtaine d’années, se sont multipliés les ouvrages sur le temps (…),
on ne trouve pas d’études d’ensemble consacrées à la notion qui lui est pourtant étroitement
corrélative : l’espace dans la littérature narrative3.

La problématique spatiale en littérature et plus particulièrement dans le roman algérien


nous parait un sujet digne d’intérêt et sur lequel on devrait se pencher un peu plus en le
considérant par rapport aux nouvelles données contextuelles qui caractérisent le début du
21ème siècle.

1 J.M Adam et A.Petitjean, Le texte descriptif, ed.Nathan, 1989, p37

2 Charles Grivel, « Le lieu du texte », in : Production de l’intérêt romanesque, La Hague, Mouton

et C°, 1973, p.104

3 Roland Bourneuf, « L’organisation de l’espace dans le roman », Études littéraires, Québec, Les

Presses de l’Université Laval, avril 1970, p.77


7
Dans la mesure où, de par sa nature littéraire, le monde représenté consiste uniquement en
la mention et en la description de lieux – le reste ressortissant à la narration et donc
essentiellement à l’action –, l’espace romanesque constitue, de fait, toute la réalité dans
laquelle se meuvent les personnages : loin de fournir le seul cadre de l’intrigue, il est au
fondement même de l’univers fictionnel.

Comment l’espace constitue-t-il l’univers fictionnel ? Comment est-il mis en texte dans
le roman ? Quels sont les procédés littéraires mis en œuvre par l’auteur pour construire cet
univers fictionnel ? Dans quelle mesure peut-on le considérer comme actant ? Quel sens
donner alors à cet espace créé par le romancier ? L'espace détermine-t-il l'orientation de
l'intrigue, le registre d'énonciation, le style de l'auteur ? Comment la langue marque-t-elle la
présence de l'espace dans un discours ? sont autant de questions auxquelles nous essaierons de
répondre au cours du présent travail.

Le choix d’une démarche :

Lorsque l’espace est objet d’étude, deux difficultés surgissent : l’une concerne l’espace
représenté dans le texte, l’autre s’attache au texte en tant qu’espace d’écriture. L’espace est
dans un premier temps, envisagé comme un élément appartenant à la machine narrative, qui
prend en charge le déclenchement de l’événement ; dans un deuxième temps, il est étudié
comme étant une modalité énonciative déterminant le sens du discours.

Dans sa définition « l’espace est la dimension du vécu, c’est l’appréhension des lieux où
se déploie une expérience : il n’est pas une copie d’un lieu référentiel mais jonction entre
l’espace du monde et l’espace de l’imaginaire de l’auteur »4.

Jean Yves Tadié en propose la définition suivante : « dans un texte l’espace, se définit
comme l’ensemble des signes qui produisent un effet de représentation ».

Selon J.P Goldenstein :

4 C.Achour, A.Bekket, Clefs pour la lecture des récits, convergences critiques 2, ed.Tell, 2002,

p.59
8
L’utilisation de l’espace romanesque dépasse la simple indication d’un lieu. Elle fait
système à l’intérieur du texte. L’étude de l’espace romanesque se trouve liée aux effets de
représentativité. Il faut être capable d’envisager l’existence d’un espace textuel différent de
l’espace référentiel5.

L’analyse de l’espace consisterait à l’aborder en le rattachant aux autres composants


narratifs. Bourneuf propose de l’étudier « dans ses rapports avec les personnages et les
situations, avec le temps, avec l’action et le rythme du roman »6, tandis que Mitterrand fait
état des relations « qui unissent les configurations spatiales entre elles et à l’ensemble des
autres composantes cardinales de l’œuvre : notamment le système des personnages, la logique
des actions et la temporalité »7.

Pour créer cet espace fictif dans lequel évoluent les personnages de la fiction, l’auteur a
nécessairement recours à la description car l’espace romanesque est, avant tout, un espace
verbal. La description permet donc à l’auteur de dire son monde imaginaire par un acte de
langage sélectif, car selon J.M Adam et A. Petitjean « dans la pratique des textes, une
description est toujours le produit d’un acte de sélection rigoureux qui engage totalement une
subjectivité énonciative pour différentes raisons. ».

Il existerait, cependant, un conflit entre narration et description : en effet, si la narration,


en s'attachant aux actions et aux événements fait avancer l'action, la description, quant à elle,
a un caractère relativement intemporel. Elle s'attarde sur des objets ou sur des êtres qu'elle
fige à un moment du temps. Pour planter le décor de l'action ou présenter les personnages, le
récit interrompt donc le cours des événements. Cela a inévitablement des conséquences sur la
vitesse du récit. La description constitue une pause, un temps morts dans le déroulement
narratif, si elle se prolonge, elle menace la progression dramatique du récit. « Si la description
prodigue au récit le poids de divers détails, c’est en la faisant toujours payer au prix fort d’une

5J.P Goldenstein, Pour lire le roman, éd. J.Duculot, Paris, 1989, p88

6 R. Bourneuf, op. cit. p. 87.

7 Préface à l’ouvrage de Denis Bertrand, L’Espace et le sens, Germinal d’E. Zola, Paris-

Amsterdam, Hadès-Benjamin, 1985.


9
interruption […] suspendant le temps et provoquant en somme une excroissances
perpendiculaire, la description arrête le cours des actions. » 8

On sait que l’espace littéraire est investi de valeurs : il n’est pas, écrit D. Bertrand, « une
simple topographie ; il est en même temps, et à tous les niveaux, le support d’une
axiologie (…)». Il s’agira donc pour nous, de repérer les lieux, de les recenser, de les décrire
certes, mais aussi de voir quelle fonction leur est assignée dans l’économie du récit et de
quelles valeurs ils sont porteurs. De la description mimétique, faisant de l’espace un simple
décor, à celle qui, au contraire, en fait un élément actif, un « actant », les textes, dans la
diversité de leurs écritures, disent aussi la diversité du regard qui se pose sur un espace
multiforme et exprime, d’une certaine façon, les différentes visions de cette société qui, de
façon plus ou moins visible, plus ou moins affirmée, sert de référent à l’ensemble des
œuvres : l’étude de l’espace telle que nous voulons la mener, nous conduira, en fin de compte,
à une lecture idéologique de ces romans car la description de l’espace y sert de révélateur et sa
fonction esthétique se double presque toujours d’une fonction idéologique : « On voit mal,
écrit Mitterrand, qu’une réflexion sur la fonction du lieu romanesque ne débouche pas sur un
repérage des présupposés implicites, c’est-à-dire sur une idéologie - par où l’on reviendrait, en
fin de compte, à la thématique ».

Pour analyser tous les aspects de la problématique spatiale dans le texte de On dirait le
sud de Mati, nous allons, pour notre part, procéder, dans la perspective d’une approche
pluridisciplinaire, comme suit :

La première partie sera consacrée à la mise en texte de l’espace. Nous tenterons une
approche sémiologique en répondant aux trois questions posées par J.P Goldenstein pour
analyser l’espace dans un roman à savoir : où se passe l’action? Cette question nous conduira
à rendre compte de la géographie du roman ; comment ? Nous conduira à analyser les
techniques d’écriture mises en œuvre par l’auteur permettant de représenter l’espace ;
pourquoi ? Nous conduira à nous interroger sur les différentes fonctions de l’espace dans le
roman.

Dans la deuxième partie, nous allons nous intéresser au réseau de relations que l’espace
entretient avec les autres instances narratives et essentiellement les personnages, car selon
Bourneuf, l’espace romanesque ne requiert tout son sens que par la relation complexe qu’il
8 Ricardou cité par J.M Adam et A.Petitjean, op ; cit.
10
entretient avec les personnages qui évoluent en son sein et dont il est à la fois le prolongement
et le révélateur ou encore un obstacle. Nous allons donc étudier ce réseau de relations pour en
dégager la dimension symbolique.

Quant à la troisième partie, elle sera consacrée à l’espace topographique en tant qu’espace
d’énonciation. Nous tenterons de démontrer comment l’espace peut déterminer l’orientation
du discours dans le roman.

L’étude de l’espace telle que nous voulons la mener, nous conduira, en fin de compte, à
une lecture idéologique de ce roman car la description de l’espace y sert de révélateur et sa
fonction esthétique se double presque toujours d’une fonction idéologique. Nous mettrons
l’accent également sur l’actancialisation de l’espace (dans quelle mesure on peut le considérer
comme actant).

11
CHAPITRE I
L’ÉCRITURE DE L’ESPACE

Nous allons, dans ce chapitre, développer une réflexion sur le contexte spatial dans lequel
l’histoire se déploie en le considérant à la fois comme indication d’un lieu et création fictive.
12
En effet, l’action romanesque est très régulièrement située et « chaque œuvre romanesque
comporte une topographie spécifique qui lui donne sa tonalité propre »9 selon Goldenstein ;
notre corpus d’analyse n’échappe pas à la pertinence de ce constat : l’écrit de Mati s’intéresse
à l’espace et décrit des lieux qui nous transportent en imagination dans des contrées lointaines
et qui nous donnent parfois l’illusion d’habiter l’espace mis en texte. Pour sa part, Mitterrand,
dans Le discours du roman, insiste sur l’importance primordiale que revêt l’espace dans une
trame narrative en le considérant comme noyau générateur de fiction : « c’est le lieu qui
fonde le récit, parce que l’évènement a besoin d’un ubi autant que d’un quid ou d’un
quando »10.

La lecture que nous proposons a pour objectif de mettre en exergue, aussi bien les espaces
convoqués dans le texte que leur représentation qui se fait essentiellement au moyen de la
description car selon Bonn, « un espace ne peut avoir de sens qu’à travers une grille
d’analyse : celle-là même de la description qui le prend pour objet »11, et les fonctions qui lui
sont attribuées. Pour ce faire, nous recourons à J.P Goldenstein pour qui la notion d’espace
romanesque ne peut être cernée qu’en répondant aux trois questions suivantes : où se déroule
l’action ? Comment l’espace est-il représenté ? Pourquoi le choix de tel espace de préférence
à un autre ?

Nous allons, d’abord, décrire, d’une manière précise, la structure topographique de


l’action, ensuite nous examinerons les aspects de la description à laquelle l’auteur a
nécessairement recours afin de mettre en place son univers fictif. Enfin, nous mettrons le
point sur les différentes fonctions attribuées à l’espace dans le récit de On dirait le sud.

1. La topographie du récit :

Où ? Nous conduit à rendre compte de la géographie du récit et de la topographie dans


laquelle se meuvent les personnages et qui donne au roman sa tonalité propre. Selon
Mitterrand, la mimésis géographique « consiste à reconstituer dans l’œuvre romanesque à la
fois une exacte répartition des lieux de l’action et le système de valeurs qui recouvre cette

9 J.P Goldenstein, op ; cit, p.89

10 H.Mitterand, op ; cit. p.194

11 BONN Charles, Problématiques spatiales du roman algérien, ENAL, Alger 1986


13
répartition.»12 . Nous allons, dans un premier temps, examiner comment s’articule la matière-
espace du récit et dégager les rapports structuraux existants entre eux.

L’intrigue de On dirait le sud, comme le titre l’indique d’ailleurs, se situe dans le désert : à
partir d’un lieu géographique réel -le Sahara- DJ. Mati s’est donné pour projet poétique de
créer un univers à la fois fantasmagorique et mythique. « Des informations contradictoires le
déclareront réel [le point B114]: localisé au fin fond du Sahara ». (p.12). Cependant, les
évènements ne se déroulent pas tous au même endroit : en effet, au fil de leurs pérégrinations,
les personnages d’On dirait le sud évoluent dans différents espaces réels (dans un cadre fictif
évidemment) ou fantasmagoriques.

Zaina, l’un des personnages principaux du récit, échoue, par hasard, dans le désert, aucune
information n’étant donnée sur sa vie antérieure contrairement à d’autres personnages.
Malmenée, violée, elle est conduite de force vers la cabane du point B114 par celui qui
deviendra, par la suite, son compagnon malgré elle. « Loque-à-terre » du sibirkafi du point
B114, prisonnière de cette cabane et de ce désert et ayant pour geôlier celui qu’elle surnomme
Cro-Magnon, elle n’a pour échappatoire que le fumerie dont le chanvre indien la transporte en
d’autres univers qu’on ne pourrait pas toujours qualifier de « paradis » artificiels, car même
droguée, Zaina n’arrive pas à se soustraire à ses tourments , « neuf fois sur dix les excursions
narcotiques sont douloureuses et pleines d’effrois » (p.12) . La montagne des damnés, le
lupanar, sont les lieux vers lesquels Zaina est transportée par voie onirique.

Quelques jours après la disparition de son compagnon, elle décide de quitter les lieux mais
elle s’égare en cours de route dans les immensités désertiques, elle réussit en fin de compte à
retrouver le chemin du retour vers le point B114 avec l’aide des Touaregs.

La multiplicité des lieux se constate également à travers le parcours accompli par le


couple Neil et Iness. Guidé par le personnage Noure, Neil arrive à l’oasis dans laquelle il fait
la rencontre d’Iness. Bannis de l’oasis, pour offense à l’honneur de la tribu, ils errent, tous les
deux, à travers le désert à la recherche du point B114. Au cours de leur route ils passeront
par plusieurs endroits. Pour notre analyse, nous retiendrons seulement les endroits significatifs
et qui agissent sur le cours des évènements. Nous recenserons : la grotte ainsi que tout ce qui
l’entoure, la montagne, la mer, le désert et l’erg et le lieu de leur quête, à savoir, la cabane du
point B 114.
12 H.Mitterand, op. cit. p.194.
14
Ces espaces présentent divers degrés d’ouverture : les immensités désertiques sont
l’espace principal où se déroulent les actions de la fiction. Mati a, donc, mis en texte un
espace ouvert (à première vue) dans lequel il laisse libre cours à ses personnages de se
déplacer, de voyager et de se rencontrer, permettant, ainsi, à l’intrigue d’évoluer car, selon
Mitterrand, « il n’y aurait pas de drame, si un personnage ne rencontrait pas un autre, ou en
un lieu qui impliquait l’impossibilité d’un telle rencontre. ».13

Le narrateur retrace deux parcours différents accomplis par les deux personnages
principaux du récit : Zaina, d’un coté, et Neil accompagné d’Iness, de l’autre. Nous
constatons que l’auteur donne, d’emblé des renseignements utiles et intéressants sur le lieu
principal où se situeront les actions, à savoir le désert. Il prend soin d’introduire des
descriptions à chacun des déplacements de ses personnages : le récit s’immobilise donc pour
un temps puis reprend sa progression. Cette attention scrupuleuse accordée aux formes de
l’espace est un indice de l’élaboration minutieuse dont a bénéficié l’œuvre de Mati.

L’espace désertique est représenté selon deux perceptions différentes et antinomiques, cela
par rapport à l’expérience que chacun des personnages entretient avec l’espace.

a) L’espace perçu par Zaina :

Le désert :

Pour Zaina, le désert est un espace fermé malgré son immensité, « pourquoi à chacune de
mes tentatives d’évasion, le désert me rattrape-il à perpétuité ? (p.45) s’interroge-t-elle. La
« captive » du désert a « le sable, le soleil et le vent » pour geôliers. Le désert est donc
assimilé à une prison de laquelle il est quasi impossible de s’évader. Nous relevons ici le
caractère paradoxal attribué au désert : il est, à la fois, ouvert jusqu’à l’extrême et fermé au
point d’être réduit aux quatre murs d’une prison, «un univers clos et sans espoir de
rédemption ». (p.173)

La cabane du sibirkafi :

Zaina, personnage amnésique, a été larguée au beau milieu du désert, n’a pour refuge que
la cabane du point B114. Une masure, qu’elle partage avec son compagnon, faite de quatre
murs, meublée d’une bassine, d’une table en bois, d’ un miroir sans tain, d’ un vieux poste de

13 H. Mitterrand, op.cit. p. 201


15
télévision, beaucoup de narguilés et une porte constamment ouverte. La cabane est un espace
fermé mais offrant une ouverture (la porte), qui elle-même débouche sur un espace fermé(les
étendus désertiques) accentuant ainsi l’image de l’emprisonnement et de l’étouffement que le
narrateur veut suggérer ; « paradoxal situation ! Obligée à partager un espace aussi réduit avec
un bougre dégoutant au milieu de ces immensités vacantes. ». (p.23)

« Le monde véritable » de Zaina :

Cependant, nous relevons une ouverture introduite par le biais d’un espace imaginé : un
ailleurs qui se superpose à un ici représentant le cadre de l’action. Le récit possède un ici qui
représente l’espace ou le narrateur campe son personnage ; mais celui-ci ne se trouve pas
seulement engagé dans la réalité d’un espace romanesque où se déroule son existence d’être
de papier, il se voit ou s’imagine dans d’autres circonstances. De là, surgit un espace rapporté,
un ailleurs.

En effet, pour sortir de cet espace fermé, Zaina « préfère prendre un ticket pour planer et
se projeter des hallucinations dans les vapeurs du chanvre indien. » (p.50), « cela va lui
permettre de passer une matinée au delà du réel et du temps : s’échapper l’espace d’une
fournée de hasch de cette vaste prison. ». (p.50) « Zaina a trouvé une clef pour s’évader …la
clef de la débandade ! Alors, machinalement, elle en use et en abuse ». Les drogues lui offrent
ainsi une ouverture, une possibilité de s’évader vers des espaces plus gais, de se connecter par
l’intermédiaire du sibirkafi à d’autres univers :

Elle survole les grandes et interminables routes bordées d’arbres enguirlandés, visites
des contrées aux aquarelles printanières, va à la rencontre de personnages de contes de fées,
écoute des ménestrels lui chanter les verbes doux. Et lorsque l’envie la prend, elle se
métamorphose en chrysalide, repose sur un cocon de soie pour muer ensuite en papillon
volant au dessus des lagons bleus et des toiles multicolores. (p.45).

Mais les excursions narcotiques de Zaina ne la transportent pas toujours vers des espaces
euphoriques : neufs fois sur dix les univers visités sont dysphoriques, pleines d’effroi. Elle se
voit nager dans un liquide aqueux et verdâtre, dans lequel elle finit par se noyer pour être
projetée dans une pièce hantée par des démons. Elle est également transportée vers la
montagne des damnés dans laquelle toute une population a été emprisonnée par un prince
habillé d’une tunique noire, régent de l’Empire du Mal ; dans un zoo dirigé par un
16
pachyderme et un pantin ayant pour sujets des êtres humains transformés en animaux ; dans
un lupanar largué au beau milieu du désert.

a) L’espace perçu par Neil :

Le nord :

Neil, ancien capitaine de navire et rescapé d’une tempête maritime, entreprend une virée
au désert dans l’espoir d’échapper à un passé qui le tourmente. Le point de départ de Neil est
le nord : le sud, espace qui constitue un refuge pour le personnage, se définit donc par
opposition à cet espace initial.

Le lieu qui constitue l’objet de la quête atteint, cela présuppose la fin de l’intrigue. Nous
constatons, contre toute attente, que l’épilogue clos subitement le cadre de cette histoire : Neil
retourne à son point de départ, à savoir le nord : « la boucle est ainsi bouclée ». (p295)

Le désert :

Pour le couple Neil et Iness, les étendus désertiques conservent leur caractère
d’ouverture : contrairement à Zaina, qui est dans la quasi-impossibilité de s’échapper de
l’espace qui la retient prisonnière, le couple jouit d’une liberté de déplacement. Excommuniés
de l’oasis ils mettent le cap sur le point B114 et passent par plusieurs points de transition où
ils vivent plusieurs expériences aussi instructives les unes que les autres.

La grotte :

La grotte est un espace ouvert et limité à la fois : ouvert par l’issue par laquelle on entre
et on sort, à l’intérieur de laquelle on est libre de circuler ; limité et clos sur les cotés.
Cependant, nous relevons une ouverture autre que l’issue : cette ouverture ne donne pas sur
l’espace environnant mais sur l’Histoire en présentant des peintures qui retracent l’existence
d’un monde ancien. La grotte est ce que Hamon appellerait un lieu « cybernétique », c’est-à-
dire un lieu où « se stocke, se transmet, s’échange et se met en place l’information ».14

La montagne :

14 Hamon cité par Mitterrand, op.cit.


17
La montagne est un espace ouvert : de sa hauteur, les personnages ont la possibilité de
percevoir les étendues désertiques, « arrivés au sommet, Iness et Neil découvrent une étendue
calme, saupoudrée de cendre volcanique qui s’étale tout le long d’un plateau gréseux. »
(p.27).

La cabane du point B114 :

Lieu constituant l’objet de la quête du personnage, la cabane est un espace fermé se


situant au milieu d’un espace étendu et vaste : l’étendu désertique et la cabane se définissent
donc l’un l’autre en raison de leur contigüité.

Clos ou ouverts, confinés ou étendus, centraux ou périphériques, souterrains ou aériens,


autant d’opposition servent de vecteurs où se déploie l’imagination de l’auteur.

Après avoir fait un inventaire des différents lieux évoqués par le narrateur, nous avons
constaté que le roman se déroule sur deux plans spatiaux : la réalité et le rêve. Le texte
fonctionnant à partir de la confusion entre « le réel » et l’imaginaire, opère un brouillage qui
lui donne, à la fin du livre, une certaine opacité. Cependant, les frontières entre le rêve et la
« réalité » se trouvent parfois abolis. Cette absence de frontières entre les deux espaces intègre
au « réel » de la fiction, des images cauchemardesques qui se trouvent ainsi, par
contamination pourrait-on dire, investies d’une fonction référentielle, la dysphorie du
cauchemar ne se distinguant pas toujours de celle de la « réalité » que peint le narrateur.
Nous relevons un rapport de symétrie entres les lieus parcourus par Zaina et ceux
parcourus par Neil : les deux personnages ont une même origine, un même point de départ, le
nord ; après avoir survécu au naufrage de son navire « il [Neil] est parti, sans un regard en
arrière, à la recherche d’une autre existence pour effacer de sa mémoire les cauchemars de
cette tragédie.» (p.28).

Zaina, personnage amnésique du roman, échoue dans le désert sans avoir le moindre
souvenir de sa vie antérieure mais son aspect physique vu dans le songe est un indice suffisant
pour Neil pour dire que son visage est « celui d’une fille du Nord » (p.28).

Le désert, en tous points différent des autres espaces, s’oppose à tout ce qui n’est pas lui;
dans ce cas précis, il s’oppose au nord d’où viennent les personnages, par ses dimensions sans
commune mesure avec celle des autres espaces qui s’en trouvent tout étriqués, par ses

18
caractéristiques physiques - le sable, le soleil s’opposent aux brumes, à la pluie, aux tempêtes
maritimes, mais aussi par le mode de vie qu’il impose.

L’itinéraire suivi par Neil se présente sous forme de boucle : ayant le nord comme point de
départ, il se dirige vers le sud ; Noure le conduit vers l’oasis dans laquelle il fera une halte
pour reprendre le chemin accompagné d’Iness et guidé par Aniaz. Ils passent par la grotte, la
montagne pour arriver en fin de compte, au point B114, sa quête ainsi réalisée Neil met le cap
sur le nord pour un retour à son point de départ, vers ses origines.

Il en est de même pour Zaina : décidée à quitter le point B114 après le départ de son
compagnon, elle erre durant quelque temps dans le désert pour retourner ensuite à la cabane
du sibirkafi suivant les conseils de la voyante aveugle.

Nous constatons un recours fréquent à la figure de la boucle qui signifie un retour


perpétuel au point de départ : une nette référence est faite ici au thème de « l’éternel retour »
de Nietzsche. L’auteur développe dans son œuvre le thème de circularité, donc de
l’enfermement.

Sur le plan spatial, nous somme en face d’une dichotomie ouvert/clos. Cette symétrie dans
les parcours des deux personnages et dans les deux pôles spatiaux propres à chaque
personnage nous conduit à déduire que l’auteur met en texte un espace fictionnel constitué de
deux ou plusieurs mondes parallèles : après avoir présenté Zaina et donné des informations à
propos de l’espace dans lequel elle évolue, en passant au deuxième chapitre de la première
partie, le narrateur annonce qu’ « au même instant, en d’autres temps peut-être », ce qui situe
les actions de chacun des personnages dans des cadres spatiaux-temporels
différents entretenant un rapport de parallélisme : « quelque part, dans un autre désert,
pendant qu’Iness, Neil et leur chamelle traversent le mirage fluide Zaina nage désespérément
au milieu des eux tourmentées ».

Autre épisode qui confirme ce parallélisme : lorsque Neil et Iness rencontrent leurs copies
conformes dans un mirage « vous, vous êtes ici mais nous, nous sommes de l’autre coté »
(p.73).

« Il n’y a pas uniquement les choses et les êtres qui peuvent être en parallèles, mais aussi
les mondes, les mondes, les univers » (p.73). Il s’agit de plusieurs espaces-temps parallèles

19
dans lesquels se meuvent les personnages et l’espace-temps dans lequel évolue Zaina ou Neil
n’est que « l’une des réalités » (p.73).

Zaina, apprend qu’une autre Zaina existe dans un autre présent dans lequel elle mène une
vie heureuse, contrairement au présent dans lequel elle vit. Au cours des ses pérégrinations,
elle rencontre un personnage qui porte le même prénom qu’elle ayant un passé similaire au
sien, « Zaina se souvient, alors des parole de l’homme de lumière où il était question de
mondes parallèles, où Zaina pouvait être en ce lieu et ailleurs ». (p.73). Zaina existe
également dans un autre présent, mais sous une autre forme : celle de la chamelle Aniaz.

Ces mondes parallèles finissent, dans la fiction de Mati, par se croiser, et l’espace dans
lequel ils se croisent est, l’espace du rêve ou du fantasme.

Cette correspondance entre les mondes parallèles se fait à travers le miroir : un premier
contact est établi entre Neil et Zaina à travers cet objet réflecteur, « la locataire de la masure
de l’étrange retient sa respiration avant de déplier lentement les paupières pour se regarder.
L’image floue et égrenée qu’elle a devant elle la foudroie. C’est celle d’un homme ! » (p.73)

Le miroir personnifié lui donne une explication de l’étrange image qu’elle vient de
percevoir à la place de la sienne, « il y a plusieurs mondes qui entourent le présent de chacun.
Peut-être que ce visage vient tout simplement d’un autre présent et qu’il essaie d’entrer en
contact avec toi à travers moi. » (p.73).

Le contact entre les mondes parallèles, entre ces présents multiples, s’établit également
par voie onirique : dans le rêve de Neil « il y avait un miroir qui reflétait le visage d’une
personne, c’était celui d’une fille du Nord. » (p.73).

Nous pouvons déduire qu’il existe un autre rapport entre les différents espaces mis en
texte, c’est celui de l’attirance. C’est cette attirance qui fait que les mondes parallèles se
croisent permettant ainsi à l’intrigue d’évoluer.

La géographie du roman ainsi décrite, il s’impose à nous, dans un deuxième temps,


d’aborder avec précision l’écriture de l’espace. En effet, selon Goldenstein, quelque soit
l’espace utilisé, réel ou merveilleux, limité ou illimité, la géographie romanesque repose sur
des techniques d’écriture qui remplissent des fonctions précises.

20
2. La représentation de l’espace romanesque

J.P Goldenstein a abordé la question de la représentation de l’espace romanesque en


affirmant que si l’auteur veut évoquer l’espace dans lequel évoluent ses personnages doit
nécessairement recourir à la description et suspendre, pour un laps de temps déterminé, le
cours de son récit, « autrement dit, l’espace dans un roman, n’est jamais qu’un espace
verbal »15. Perçu dans la simultanéité de ses composantes, l’objet décrit se transforme, quand
il devient objet textuel en une successivité d’attributs suspendant le cours des actions. Selon
Greimas, « l’analyse du langage spatial en traits pertinents est un niveau pertinent à la
description de l’espace car c’est à ce niveau que l’espace est signifiant pour l’homme »16.
Produisant, un ralentissement dans ce qui est raconté, une forme de lutte permanente est crée
entre l’action et « l’excroissance statique »17 qu’est la description.

Pour analyser les différents aspects de la description servant à mettre en place le cadre
spatial dans lequel évoluent les personnages de On dirait le sud, nous allons recourir aux deux
théoriciens du descriptif, J.M Adam et A. Petitjean, qui ont répertorié les différentes
techniques destinées à cet effet dans Le texte descriptif, paru aux éditions Nathan, en 1989.

Selon les deux critiques, « la verbalisation de donnés référentiels de l’énoncé se fait


textuellement par l’intermédiaire de descriptions qui, dans un récit, encadrent ou alternent
avec les séquences narratives »18 .

Selon R. Bourneuf, le romancier choisit d’abord une portion d’espace qu’il cadre et situe à
une certaine distance : vastes étendues désertiques, dans le cas de Mati, opposées à un espace
limité qui est celui de point B114.

Goldenstein distingue dans le traitement de l’espace deux grandes tendances selon que la
représentation spatiale occupe ou non une place importante dans les textes considérés :

15 J.P Goldenstein, op.cit. p91.

16 Greimas, Sémiotique et sciences sociales, seuil, 1976.

17 C.Achour, A.Bekket, op.cit.

18 J.M Adam et A.Petitjean, op.cit., p33.


21
certains romans sont caractérisés par l’absence quasi-totale de la description, alors que
d’autres lui accordent une place privilégiée.

En ce qui concerne le roman qui constitue notre corpus d’analyse, nous constatons que
Mati accorde une importance particulière à la description de l’espace dans l’économie
générale du récit ; il prend soin de noter scrupuleusement les formes, les couleurs, les
dimensions et tous les détails qui donnent au décor évoqué l’illusion d’une présence
consistante.

En effet, l’auteur nous donne à apprécier les lieux mis en texte par une description qui
s’étale sur plusieurs pages ; chaque chapitre de son œuvre est inexorablement inauguré et clos
par des séquences descriptives de l’espace qui servent non seulement d’arrière-plan aux
actions mais qui sont eux-mêmes sujets de l’action.

L’insertion de la description dans le récit :

Dans un article de Poétique (Qu’est-ce qu’une description ?1972, n°12, pp465-185),


Hamon pose trois questions qui cernent le problème de la description : comment s’intègre-t-
elle dans le récit, c’est-à-dire par quels signes démarcatifs se reconnaissent son début et sa fin,
comment fonctionne-elle dans ses limites, et quel rôle joue-t-elle dans l’économie globale du
récit ?

Selon Adam et Petitjean, le descriptif se manifeste sous la forme de micro-propositions.


Qu’elles aient la forme d’un adjectif ou d’une relative, voire d’un enchâssement de relatives,
les excroissances descriptives s’intercalent entre les actions, suspendant ainsi leur cours.

Pour enrayer ce conflit entre narration et description certains artifices d’écriture visant à
dissoudre son excroissance parasitaire ont été systématisés, obligeant la description soit à se
glisser dans un plan de texte, soit à se justifier.

Selon Hamon, la description doit être motivée. Il retient quelques unes des figures les plus
usitées dans lesquelles l’artifice consiste à présenter la description comme le faire d’un acteur
selon trois modes différents : le voir, le dire et l’agir.

Dans On dirait le sud, la description spatiale est prise en charge par des personnages
doués de la possibilité de voir, d’observer : l’auteur a recours à une perspective de type

22
actoriel(Genette) mais cela n’exclut pas le fait que la description soit, dans certaines
séquences, assumée par le narrateur.

Les deux personnages venus du nord, sont confrontés au désert qui constitue pour eux un
lieu étranger suscitant la curiosité et l’intérêt. A chaque insertion de séquences descriptives le
personnage se trouve dans un milieu ambiant qui favorise l’observation : par exemple, pour
donner une description de l’intérieur de la cabane du sibirkafi du point B114, le narrateur crée
une situation-prétexte qui est celle du réveil brutal de Zaina qui est placé dans lieu qui lui
permet d’examiner du regard l’intérieur de la cabane. Le narrateur, décrivant les lieux à
travers les yeux de son personnage, a recours au verbe de perception « parcourir » dans une
intention de vérification que rien n’avait changé autour d’elle au cours de son sommeil. Tous
ces éléments sont réunis dans l’objectif d’énumérer les différentes composantes de l’intérieur
de la cabane.

Nous relevons la même combinaison dans la séquence descriptive du zoo : un personnage


observateur(Zaina) auquel le narrateur attribue un verbe d’action perceptive, en notant une
pause dans le déroulement des actions, dans une perspective de découverte de la voute céleste,
où Neil et Iness sont assis à l’entrée de la grotte, milieu ambiant et favorable à l’observation,
en utilisant un verbe de perception (leurs regards portent…).

Si l’écriture de Mati a une nette prédilection pour l’ocularisation, elle ne s’interdit pas le
recours aux autres sens : l’auditif, l’olfactif, le gustatif et le tactile : « il entend des bruits
étouffés », « elle ressent la pluie », etc…

Dans la description de l’espace dans On dirait le sud, différents modes de textualisation


sont distinguées, ou encore « plans de texte », selon Adam et Petitjean. Elle se manifeste par
l’utilisation des modalisateurs spatiaux : en face ; au milieu, dehors, au centre, au-dessus,
autour, au centre. La position du descripteur peut être fixe ou mobile.

Une écriture métaphorique :

La description d’un lieu peut être détournée pour présenter indirectement autre chose
qu’elle-même. Cet effet est obtenu par, d’un coté la métonymie et la synecdoque et d’un autre
par la métaphore et la comparaison.

23
En effet « la littérature a besoin des autres arts pour se définir elle-même. La comparaison,
la métaphore, l’analogie sont donc inscrites nécessairement, non comme procédés décoratifs,
mais comme moyens inévitables, au sein de cet acte de définition »19.

Dans la construction d’une fiction, les métaphores sont très présentes et utiles à différents
niveaux, elles contribuent essentiellement à l’élaboration du cadre fictif de l’intrigue. La
métaphore peut se définir, selon Pierre Fontanier, comme la substitution d’une idée sous le
signe d’une autre idée plus efficace et plus frappante.

La figure métaphorique n’est pas un emploi fortuit, au contraire elle est, comme le
mentionne Michel Meyer, « une façon de dire le problématique au sein du champ
propositionnel. Elle se situe à mi-chemin entre l’ancien, qui n’a plus à être énoncé puisque
connu, et le nouveau, qui est irréductible aux données dont on dispose, puisque nouveau »20.

Ainsi la métaphore est, selon l’auteur du Dictionnaire de poétique et de rhétorique, une


démarche de l’esprit poétique qui a tendance à la création. En linguistique, la métaphore est
considérée comme une manifestation de la fonction poétique du langage. Elle rapproche deux
termes sémantiquement disjoints grâce à quelques traits sémiques communs. Figure poétique,
la métaphore représente, selon le Dictionnaire de rhétorique, l’un des processus majeurs du
discours qui impose à l’interlocuteur un parcours d’interprétation au terme duquel il peut
deviner le message du locuteur.

L’anthropomorphisation de l’espace :

La mise en place du cadre de l’histoire se fait moins directement à l’aide d’indices qui ont
pour fonction de suggérer une atmosphère. Ainsi, dans le récit de On dirait la sud, il n’est pas
gratuit de saturer la description de détails qui anthropomorphisent la nature et créent un
certain climat dans lequel évoluent les personnages. Nous allons donc à la recherche de la
fiction à travers l’étude du discours métaphorique. Nous tentons de suivre exclusivement le
cheminement de la métaphore dans On dirait le sud.

19 HAMON, Philippe. Expositions. Littérature et architecture au XIX e siècle. Paris : José Corti,

1989, p. 21.

20 POUGEOISE, Michel. Dictionnaire de rhétorique. Paris : Armand Colin, 2001, p. 163.


24
Mais pourquoi le choix est-il tombé sur la métaphore? À cette question, nous répondons
tout simplement que cette figure, par opposition à la comparaison, a le « privilège de
l’intuition poétique, à qui les affinités des choses sont révélées dans les éclairs de la génialité
»21.

La métaphore est une stratégie privilégiée chez Mati qui lui permet de mettre en évidence
l’objet de sa quête, elle est l’outil parfait de la description, en devenant, en raison de sa
pluralité et de sa diversité, le trait distinctif de son style et la preuve d’une imagination
créative.

Pour cela, nous allons traiter toutes les images désertiques exploitant l’isotopie de
l’homme. Nous pouvons distinguer aux premières pages d’On dirait le sud cet énoncé court
qui sera notre point de départ pour envisager l’intrigue de ce récit :

« Dehors, le simoun impose sa loi. Depuis des jours, le vent gronde sa colère sur le
désert qui reste stoïque à sa clameur ».

La métaphorisation consiste, dans ce cas, à qualifier le comparé « vent » par la qualité


sémique du comparant « homme » absent du texte, tout en profitant de la présence de l’objet
du transfert « impose sa loi » et « gronde ». Le transfert du trait spécifique de l’homme au
« désert », c’est-à-dire de l’humain au non humain, conduit par conséquent à l’humaniser.

Dans le monde imaginaire de Mati, nombreux sont les exemples qui insistent sur la
substitution de la qualité générique entre l’homme et l’objet non humain. À titre d’exemple,
nous citons : « dehors, le vent et le sable se disputaient sous un ciel sans étoiles », le verbe se
disputer propre à l’être humain est attribué aux éléments constituant l’espace de l’action à
savoir le vent et le sable.

« Il y a dans cet espace des choses qui observent », dans cet énoncé, la faculté d’observer
propre à l’homme est ici attribuée à des « choses ».

« Sous un soleil pyromane, Zaina court », « aujourd’hui, le soleil abuse de sa position


zénithale pour déverser toute sa tyrannie sur le désert » ; « ces immensités dévorantes et
arrogantes, n’éprouvent donc aucune pitié ». Les lieux inventés par Mati sont humanisés, en
leur attribuant des facultés humaines, ils sont dotés de mouvements créant ainsi une ambiance

21 MORIER, Henri. Dictionnaire de poétique et de rhétorique. Paris : PUF, 1998, p. 691.


25
agitée. Nous assistons à une mise en texte d’un espace mouvant ayant le pouvoir d’agir sur les
personnages. Du point de vue linguistique, cet aspect est traduit par la prédominance de
l’espace et de ses composantes comme un sujet principal de la phrase, le texte abonde
d’exemple de ce type : « dispute ensuite réconciliation du vent avec le sable. », « le soleil
torture et consume à coups de lance-flammes ».

L’humanisation du désert et des autres éléments de la nature est un aspect non


négligeable, elle est un indice de la volonté de Mati d’actancialiser l’espace, c’est- à-dire de le
considérer comme un actant à part entière et non pas comme un simple décor. « Abuser,
observer, déverser » sont des verbes d’action qui confèrent à l’espace une faculté d’agir sur le
personnage et non plus l’inverse.

Une autre métaphore « le ciel se comprime de cruauté jusqu’à étouffer le point B114 », ici
également nous relevons un autre caractère humain « cruauté » attribué à un élément naturel
« le ciel » ; « Cro- Magnon est sorti avant que le soleil ne commence son boulot de
pyromane » ; « le désert lui tend ses bras farineux et l’invite à l’évasion ». Une autre séquence
descriptive illustre cette humanisation de l’espace :

Elle (Zaina) est immobilisée depuis des heures. Le ciel continue à cracher ses bouffées
chaudes, les remugles de chanvre indien enfument l’erg et tout ce qui s’y trouve. Au loin,
l’horizon est enveloppé d’une imperceptible vapeur qui distord les paysages et fait naitre les
mirages. La panique gagne. Le soleil torture et consume à coup de lance-flammes […] elle
baisse les paupières pour se soustraire un instant à ce désert malfaisant. (pp.36, 37).

Cette description du désert le représente comme étant un être humain « cruel, malfaisant »
doué d’un pouvoir d’agir sur le personnage, de le torturer, de le consumer à coups de lance-
flammes.

Une autre séquence où l’espace est anthropomorphisé, celle où Zaina a eu une expérience
érotique avec une dune, « des heures durant, elle est restée allongée sur le dos, les yeux mi-
clos, humides de plaisir. Jamais elle n’avait savouré de la sorte. Elle venait de faire l’amour
avec la dune, avec son Etre ! » (p.53) ; Elle s’adresse au désert comme elle l’aurait fait à une
personne « O sable du désert cruel ! Pour la première fois tu as été tendre et doux avec moi »
(p.53).

26
La qualification du désert par la qualité humaine apparaît presque dans toute l’œuvre
romanesque de Mati, il semble obsédé par la création d’un monde en perpétuel mouvement,
un monde qui ne se rapporte pas de près ou de loin au réel, mais qui parcourt uniquement son
univers romanesque. La conceptualisation du lieu en terme humain met en cause la procédure
métaphorique. Car l’humanisation donne naissance à un autre lieu : un lieu doué de vie et de
mort. En termes plus directs, elle crée un espace différent qui n’a aucun rapport avec l’espace
commun. Cet espace déformé et inconnu pour nous est l’espace d’un rêve de l’écrivain. Loin
d’être une reproduction du réel, il devient une réalité autre fabriquée par l’imagination. Il est
le fruit d’un esprit créatif, c’est pourquoi nous l’appelons surréel ou poétique. Cet espace
autre devient également le véritable espace de l’écriture romanesque de Djamel Mati.

La description remplit ici une fonction qui est celle de la narration : cela paraît être une
contradiction dans les termes puisque narration et description ont été constamment opposées.
Mais elle renvoie à une économie narrative nouvelle où les places respectives de la narration
et de la description se trouvent inversées: ce n'est plus la narration qui domine et sert de cadre
à des descriptions, c'est la description qui envahit l'espace narratif et nous suggère un récit.

Il ne faut pas y voir un aboutissement de l'histoire du roman mais la réalisation de son


versant descriptif le plus extrême. Cependant, il n'y a sans doute pas non plus de descriptif
pur. Lorsque la description prend de l'ampleur, elle tend presque inévitablement à se
narrativiser.

3. Les fonctions de l’espace :

La troisième question posée par Goldenstein pour cerner la notion d’espace romanesque
est pourquoi l’action du roman se situe-elle dans tel espace plutôt que dans un autre ?, en
d’autres termes, l’espace romanesque sert-il uniquement de décor ou occupe-t-il un rôle à part
entière dans le développement de la fiction ?

Question que nous nous posons à propos de l’espace désertique mis en texte par Mati dans
On dirait le sud. Selon le critique « le lieu n’est pas gratuit, ce n’est pas un lieu dépeint en

27
soi ; il s’inscrit dans l’économie du récit à travers un dressage rhétorique implicite de la
lecture. »22.

Le roman moderne ne renonce pas à toute valeur décorative de l’espace, car remplir une
fonction ornementale est le propre de la description spatiale. Cependant Goldenstein attribue
à la description spatiale d’autres fonctions, la première est une fonction proleptique : une
valeur annonciatrice qui fait que la description ne soit plus seulement symbole de
significations immédiates, elle préfigure ce qui va advenir du personnage ou de l'action dans
la suite du récit. Une description d’un espace, sert ainsi à la dramatisation de l’action et
constitue selon Bourneuf, une ouverture qui annonce le mouvement et le ton de l’œuvre.
Apprécions la description faite du désert dans lequel vit le personnage Zaina :

Les lagons bleus où se reflètent les rêves des hommes sont des chimères colportées par la
canicule qui régente les contrées ingrates du désert. Tous les espoirs se noient dans ces
éphémères écumes réverbérantes. […] le vent violent, brulant et sec efface les traces de pas
de voyageurs […]; les captifs de cet univers se retrouvent prisonniers de cet univers se
retrouvent prisonniers de leur propre destin ; le sable, le soleil, le vent ne sont que leur
geôliers. (p.15).

Dans le prélude du roman, le désert, l’espace dans lequel vont se dérouler les actions, est
déjà présenté comme étant une prison ayant pour geôliers les éléments qui le constituent, à
savoir le sable, le vent et le soleil. A fur et à mesure que nous avançons dans notre lecture du
récit, cette image de prison prend de plus en plus forme confirmant ainsi ce que la description
présentée au début avait annoncé.

Mati fait de la description de l’espace une utilisation expressive qui métaphorise l’état
psychique des personnages. La description établit une relation entre l'extérieur et l'intérieur, la
nature et les sentiments de celui qui la contemple. En décrivant la nature, le narrateur cherche
à exprimer un paysage psychique, à dessiner les contours d’une psychologie, elle devient
alors pur et simple procédé de caractérisation au même rang qu’un adjectif ou une relative.

Examinons la description faite de l’intérieur de la cabane du Point B114 dans laquelle vit
Zaina et son compagnon :

22 J.P Goldenstein, op.cit. p96.


28
A chacun de ses réveils brutaux, elle espère renaitre ailleurs. Mais à l’instant où ses
yeux mouillés par la peur, parcourent les lieux pour vérifier si elle n’est pas aussi perdue
dans les cauchemars, elle passe en revue chroniquement : les lattes de bois formant les quatre
murs qui quadrillent la cabane recouverte de tôles ondulées. Elle revoit la bassine rouillée
qui sert de lavabo, de baignoire et d’évier de cuisine, posée sur une petite table de bois ; au
dessus le miroir sans tain accroché sur la cloison ; le vieux poste de télévision constamment
en panne planté à même le sol. Des narguilés beaucoup de narguilés ensablés, encore
fumants d’où s’échappent des remugles de chanvre indien ; deux paillasses en raphia râpées,
peuplées de cafards. Au fond, dans un coin de la baraque, un fatras d’objets non identifiés.
Ce maigre décor rongé par l’ennui et le désespoir atteste qu’elle n’a toujours pas quitté la
cabane du sibirkafi avec en prime l’effrayant sentiment de n’avoir en aucun temps connu
d’autres lieux. (pp.22, 23).

Nous voyons clairement ici comment la description se dédouble, chaque aspect de la


cabane devenant métaphore du sentiment intérieur: le recours du narrateur à un lexique
péjoratif constitue les images d'un paysage moral et affectif dégradé. La description de la
cabane prend un tour psychologique. L’utilisation du mot « quadrillent » inspire au lecteur
une atmosphère carcérale dans laquelle le personnage se trouve pris, avec tout ce que cela
implique comme désespoir et frustration. L’utilisation des adjectifs « rouillée, en panne,
râpées, peuplées de cafards, maigre, rongé par l’ennui et le désespoir » laisse entrevoir un état
psychique et affectif en déchéance, en dégradation à l’image d’un décor caractérisé par la
dysphorie.

Un deuxième énoncé nous confirme cet effet réflecteur de la description de l’espace :

Le naufragé est réveillé par les premières lueurs du soleil levant. Vers l’orient s’est
déployée soudain une éclatante féérie de pourpre et d’or. L’astre roi est apparu, le monde
s’est métamorphosé : après le banquet des teintes la fête de l’illumination. (p.23).

Les mots « lueurs, éclatante féerie, fête, illumination » donnent à voir un espace
euphorique reflétant un état psychologique et constitue l’image d’une métaphore intérieure.
Cela attribue à la description une fonction symbolique.

Selon Bourneuf, l’alternance des lieux dans une fiction, correspond aux mouvements
intérieurs du personnage, ses déplacements coïncidents avec des temps forts dans son
29
évolution psychologique. Nous avons constaté cela en retraçant l’itinéraire accompli par Neil.
La description des espaces par lesquels il est passé peut être considérée comme métaphore
de l’état psychique du personnage : Neil met cap sur le sud pour « effacer de sa mémoire les
cauchemars de la tragédie » survenue en mer et dont il a été le seul rescapé ; le désert dans
lequel il atterrit est décrit comme étant un espace euphorique, par opposition au nord qu’il
fuit et auquel il substitut le sud. Neil plonge dans ce nouvel espace pour l’explorer, le
contempler, essayer de le comprendre et s’identifier à lui. Il en repart « avec sur le visage une
expression sereine et un regard impavide, lointain ont remplacé la tristesse habituelle ». Neil
avait muri après son expérience au désert. Selon Bourneuf « l’univers décrit par le romancier
renvoie aux personnages pour lesquels il constitue un prolongement, un obstacle ou un
révélateur. »23

Etant un procédé de caractérisation, l’espace constitue, d’une part, un prolongement du


personnage. D’autre part, nous pouvons le considérer comme un obstacle entravant le
parcours du personnage : lorsque Zaina tente de prendre la fuite de la cabane du point B 114,
la cruauté du désert la met dans l’impossibilité d’échapper à son emprise « […] mais elle sait,
qu’un peu plus tard, ses jambes refuseront leur service, dans ce damné sable qui cède sous le
pas et l’empêche de progresser rapidement […] Zaina piétine, s’enlise, se noie ». (p.36).

Nos avons également constaté, dans On dirait le sud, que le désert est un élément
révélateur du personnage : après son séjour dans le désert, cette expérience unique l’a révélé à
lui-même, ce lieu de passage a contribué à la maturation de son esprit, les enseignements qu’il
tirés de son voyage ont changé sa perception du monde, et ont élucidé, un tant soit peu, les
multiples interrogations qui le hantaient et qui l’ont, entre autres motifs, poussé à fuir ce Nord
qui été devenu pour lui un espace problématique, « le pas serein, la personnalité convaincue,
l’âme renouvelée, Neil avance immuablement. » (p.295).

Conclusion :

Notre premier parcours dans l’œuvre romanesque de Djamel Mati met sous nos yeux un
monde imaginaire qui n’a aucun rapport avec le réel. L’écrivain crée des lieux imaginaires,
c’est-à-dire difficiles à localiser sur une carte géographique. Aucune indication temporelle

23 Bourneuf R. et Ouellet R., L’univers du roman, PUF, 1972, p.114.


30
n’apparaît encore pour permettre de situer l’histoire à une époque historique précise.
L’histoire reste hors du temps réel. La création d’un monde irréel s’avère l’objectif de
l’écrivain. Décrire ne signifie pas seulement le dessiner ou célébrer ses caractéristiques, mais
créer la fiction même du livre car la description a pour fonction essentielle de représenter
l’histoire même du personnage principal et de décrire son aventure et son état psychique. Pour
ce faire, ces lieux sont minutieusement décrits. Raison pour laquelle nous préférons
commencer notre travail par la mise en lumière de la représentation spatiale dans l’univers
romanesque de Mati. La description révèle un projet de création opposé au réalisme. Plus le
lecteur s’avance dans la lecture de l’œuvre, plus l’objet à représenter se rend indéterminable.
Certes le paysage peut parfois évoquer un élément réel, la Sahara Algérien par exemple, mais
celui-ci est restitué avec une certaine indépendance qui fait la littérarité même du texte. Le
monde de Mati est un monde clos, sans contact avec le nôtre : lieux isolés, paysages sauvages,
calme absolu constituent le terrain de cet univers. L’insolite y règne et provoque des malaises
enchanteurs, ce qui est renforcé encore par le procès de la description.

Le procédé descriptif contribue à déstabiliser la configuration des choses : outre qu’elle


varie d’un point à l’autre, la description topographique décèle l’ambiguïté entourant la
localisation du lieu par rapport aux autres éléments de son univers romanesque. Les données
géographiques désorientent le lecteur au lieu de le guider vers la bonne direction. Il y a donc
une volonté de brouiller la représentation de l’espace, autant sur le plan référentiel que sur le
plan fictif. Modes de représentation, les figures de style affectent également la création de
l’espace, elles visent à le constituer par une suite d’approximation ou d’assimilation, ce qui le
rend instable. Sous l’influence de rapprochements étranges, le lieu est soumis à une
métamorphose qui lui fait perdre tout ancrage référentiel et qui ne le construit plus comme un
objet fictif défini. Tout cela sert le but de troubler l’identification des lieux inventés. Cette
description crée donc un espace improbable. Celui-ci se dégage de tout fait référentiel ou
fictif. Nous finissons par dire que le procédé descriptif conduit à la perte de la représentation.
La description peut dire le désir de rejoindre le lieu exprimé par les mots et croire à son
existence au-delà du texte. La vérité de ce lieu situé aux frontières du réel et de l’irréel,
apparaît à travers le rapport tissé entre le sujet regardant et l’objet regardé, que nous allons
étudier dans le chapitre suivant.

31
C HAPITRE II
LE RAPPORT ESPACE-
PERSONNAGE

32
Bourneuf, en 1970 s’interrogeant sur l’organisation de l’espace dans le roman, proposait
qu’on apprécie les fonctions de l’espace dans ses rapports avec les autres instances narratives,
notamment, les personnages. En effet, selon Greimas, « le signifiant spatial est pris en charge
pour signifier d’abord la présence de l’homme au monde de son activité formatrice de la
substance et transformatrice du monde »24.

Après avoir fait, dans un premier temps, un inventaire des différents lieux évoqués dans le
roman de On dirait le sud, il serait nécessaire, dans un deuxième temps, de procéder à une
analyse dont le but est de dégager les corrélations de ces lieux entre eux et leurs corrélations
avec le reste du système topologique de l’œuvre. Il ne suffit pas, selon Mitterrand, d’examiner
comment s’articule la matière-espace dans ces manifestations de surface, c’est-à-dire de
décrire la topographie de On dirait le sud, mais aussi d’étudier le déplacement des
personnages à l’intérieur du champ ainsi tracé.

Il est évident que le génie créatif de chaque écrivain se montre le seul maître de la fiction.
Et l’originalité du créateur réside dans la maîtrise des éléments de son monde imaginaire. En
général, l’espace est géré, dans ce type de roman, par le rapport du paysage et du personnage,
qui est un élément constitutif de la fiction. Selon Bourneuf « le personnage de roman est
indissociable de l’univers fictif auquel il appartient : hommes et choses. Il ne peut exister
isolément. Le réseau de relations auquel appartient le personnage s’étend aux lieux et aux
objets »25. D’où l’intérêt d’étudier la naissance et le développement de ce rapport dans ce
24 Greimas, op.cit.

25 Bourneuf R. et Ouellet R., op .cit. p.145.


33
chapitre. Le rôle que l’espace joue sur le plan narratif s’éclaircit à travers les multiples
parcours que le voyageur fait dans son univers imaginaire. Les divers sites parcourus
accélèrent son contact avec le monde extérieur. Ce contact constitue les fils premiers de
chaque trame. C’est pour cela que nous préférons nous arrêter sur les différents lieux
parcourus ou contemplés.

Il nous semble nécessaire de signaler ici que Mati ouvre son roman sur l’arrivée de
personnages dans un lieu qui ne leur est pas familier. Rappelons-nous que Zaina, le
personnage amnésique du roman échoue dans le désert, un espace qui lui est tout à fait
inconnu. Il en est de même pour Neil qui quitte le nord dont il est originaire et s’engage sur
une longue route conduisant au point B 114, le lieu de sa quête. Les premières pages du
roman semblent n’avoir d’autre fonction que de narrer le départ ou la venue des héros du récit
dans un espace. L’ouverture du roman sur des topos inconnus justifie sans doute le processus
de la description qui souligne une présence très forte tout au long du récit. Puisqu’il est non
familier, le lieu intrigue le personnage qui n’hésite pas à lancer des regards curieux sur tout ce
qui l’entoure. Le regard initial détermine tout de suite son rapport avec le nouvel
environnement. Il conduit, comme le note Michèle Monballin, à circonscrire le sens de la
relation personnage-espace. Une question se portant sur le choix d’un lieu étrange et non pas
familier nous oblige à nous attarder sur ce fait.

Caractérisé par l’attraction, le lieu inconnu pousse le personnage explorateur à fixer des
regards attentifs pour essayer de déchiffrer les signes émis par cet espace et éventuellement se
l’approprier. Vu qu’il est étrange, le lieu captive l’esprit. L’étrangeté devient plus tard un
facteur essentiel de l’attraction, elle intervient dans la création des premiers rapports du
contact avec l’espace. Il est évident que tout ce qui n’est pas habituel à l’œil l’attire. Il n’est
donc pas gratuit que Mati place ses personnages dans un lieu étrange et lointain. Ce qui lui
importe, c’est que l’espace exerce une sollicitation constante sur le voyageur. L’espace non
familier devient lui-même un élément de provocation de regard.

La traversée du désert dans On dirait le sud est un prétexte à évoquer des lieux
géographiques, s’inscrivant ainsi dans une vieille tradition littéraire aussi bien algérienne
qu’étrangère. Dib, qui affirme que même « sans apparaître nommément, le désert travaille les
créations algériennes, (qu’) il les informe en dépit de leurs auteurs », ajoute que « l’Algérien

34
porte le désert en lui et avec lui »26. Le narrateur affecte à cette traversée du désert deux
fonctions : celle de montrer comment le désert transforme les hommes, se situant ainsi au
niveau dramatique, celle de mettre en exergue le fonctionnement d’une société problématique
dont l’espace peint dans le récit est le reflet ; cela se situerait plutôt au niveau idéologique.

Le texte prend soin de nous montrer ce que sont les personnages avant de nous les peindre
sous l’emprise du désert et, tels qu’en eux-mêmes il les change ; pour ce faire, il multiplie les
points de vue qui permettent à la fois de renseigner sur celui qui observe et sur ce qui est
observé.

Le rapport entre le personnage et le lieu inconnu sera étudié à partir du schéma actantiel
de Greimas : le personnage (sujet) en quête de l’objet du désir (espace). La femme (troisième
élément nécessaire de la fiction) se présente, d’une part, comme adjuvant, dans le sens où elle
intervient afin de guider le sujet vers son objet. Le rapport de la correspondance et de
l’échange qui la lie fortement à la nature, son image étant assimilée à la terre, en fait le seul
médiateur entre les deux éléments de la quête. D’autre part, elle intensifie l’effet provocateur
et attractif de l’espace. C’est justement le cas de Zaina par rapport au parcours réalisé par Neil
pour arriver à la cabane du point B114 : l’incarnation de Zaina sous la forme d’une chamelle
portant le nom d’Aniaz (Zaina lu de droite à gauche) à pour tache de guider Neil, à travers le
désert, vers le lieu de sa quête. Elle est également l’élément qui suscite l’intérêt de Neil et
qui le pousse à accomplir son long parcours pour la rencontrer après avoir vu son visage
reflété par un miroir dans son songe.

L’intrigue d’On dirait le sud a donc le désert pour espace privilégié, étant donné que la
majorité des séquences narratives y sont situées ; il se définit par opposition à un autre
espace : le nord. A l’intérieur de cet espace, nous recensons d’autres espaces qui ne sont pas
moins significatifs. La cabane, la montagne, la grotte, le lupanar et le sanctuaire sont les
autres espaces importants du récit.

Selon Madelain la création littéraire étant souvent investigation de l’espace intérieur, elle
trouve dans la métaphore spatiale un moyen privilégié pour tenter d’exprimer la démarche

26 Mohammed Dib, « Écrire, lire, comprendre », La Nouvelle Revue française, juin 1996, n°521,

pp.54-55. Cité par Tabti Mohammedi, « Espace algérien et réalisme romanesque des années 80 »,

2001.
35
intérieure. Pour ce faire Mati a eu recours à une peinture poétique de l’espace maghrébin car,
« par le caractère abrupt de ses métamorphoses, il est peut-être le plus à même d’imager les
mouvements brusques et contradictoires qui bousculent l’esprit de tout homme »27.

1. Le nord :
a) La ville :

Le nord est le point de départ et le lieu dont sont originaires les personnages du roman
Zaina et Neil. Le narrateur ne consacre pas beaucoup de pages à cet espace du point de vue
descriptif et narratif. Il se contente d’une séquence narrative, d’un flash back sur le naufrage
dont, Neil le capitaine du navire est le seul rescapé et sur les causes qui le poussent à fuir cet
espace. La vie antérieure de Zaina est complètement éludée sous prétexte d’amnésie, un seul
indice est donné « c’est une fille du nord ». Mais cela ne minimise pas pour autant la portée
symbolique de cet espace et de ses constituants, notamment la mer.

Le nord est représenté comme un espace dysphorique, encombrant, exerçant une pression
sur le personnage, « un monde qui commençait à le pesait lourdement » (p.27), le poussant
ainsi à le fuir et à partir à la recherche d’autres horizons qui lui procureraient plus de quiétude.
Le nord évoque pour Neil un passé tragique qui le poursuit et qu’il tente de fuir laissant
derrière lui famille, amis et une vie apparemment sans encombre. La ville est un espace qui
prive le personnage de liberté : une liberté de penser et une liberté d’être et une liberté de
s’exprimer, il voudrait « parler et crier sans reproches […] pour fuir les sens interdits » (p.29).
Le fait qu’il soit « issu d’une famille aisée, aux traditions toutes tracées et aux convenances
biens établi » (p.29) pousse ce garçon à se révolter contre sa condition : ici l’espace joue le
rôle de révélateur par rapport au personnage, il réveille le coté rebelle qui sommeille en lui, il
refuse désormais « de suivre le troupeau [comme] un naïf mouton et de se laisser engloutir par
les flots de la destinée préfabriquée » (p.30), il veut juste « être un homme libre » (p.29). La
référence à l’aisance dans laquelle vit la famille de Neil et les multiples interrogations que
suscite sa décision de renoncer à tous les artifices que la vie lui offre, « confort et femme,
amis et carnets de chèques, mondanité et hypocrisie » (p.29) sont un indice de l’importance
accordée à la matière dans cet espace et vers laquelle Neil montre un désintéressement total et
part à la recherche d’un espace de spiritualité et de détachement .

27 J. Madelain, L’errance et l’itinéraire, éd. Sindbad, Paris, 1989, p. 77.


36
Ce départ constitue une envie de rupture avec un système de valeur relatif à un certain
espace (le nord) qui est exprimée par l’utilisation du verbe « refuser » qui revient en leit motiv
et dont le changement d’espace est le seul moyen lui permettant de se réaliser. Une envie de
rupture avec le matérialisme mais aussi avec des traditions morbides et toutes tracées qui
briment toute créativité et avorte toute tentative de changement.

La description faite de l’espace dans le quel vit Neil n’est pas exempte d’idéologie, le
lexique utilisé par Mati dessine les contours d’une vie à l’image d’une société qualifiée
négativement, faite « d’anesthésiants, de moribonds de l’opulence, de conformisme tribal, de
moralisateurs, d’inquisiteurs et de faux muezzins » (p.29).

b) La mer :

Dans notre analyse de la représentation du nord, nous avons constaté la dysphorie par
laquelle il se caractérise ; la mer faisant partie de cet espace revêt le même caractère. La
description qui en est présentée fait d’elle non pas un élément inerte faisant partie du décor
mais un espace habité par une énergie lui donnant le pouvoir d’agir négativement sur le
personnage ; elle peut être considérée dans ce cas comme actant à part entière. En effet, dans
le récit d’On dirait le sud, la mer est anthropomorphisée de part les qualités humaines que le
narrateur lui attribue : « mer gonflée de colère, flots en folie, fond en furie, les abysses
refusèrent, cruelles, indomptables » (p.28).

Pour Neil, la mer évoque le souvenir douloureux d’une tragédie dans laquelle il la perdu la
totalité de son équipage. Pour lui, la mer est devenue le symbole de l’insécurité, c’est
d’ailleurs l’une des raisons qui l’incite à partir « à la recherche d’une autre existence, pour
effacer de sa mémoire les cauchemars de cette tragédie. La voie qu’il a décidé de prendre
devait posséder une consistance différente, une piste solide, une vraie » (p.28).

Le capitaine, a été dégurgité par les vagues sur la terre ferme, après avoir été englouti par
les flots et avoir frôlé la mort « à l’intérieur des lames de fond ». Ce fond en furie peut être
assimilé à une matrice qui est entrain de donner naissance à une vie, l’image de la mer étant
associée à celle de la mère. Madelain déclare, à ce propos, que « l’attachement maternelle est
indissociablement lié au sentiment océanique, la mer et la mère unies dans le même
bercement initial »28. Cette renaissance serait pour Neil une nouvelle vie, selon Madelain « le

28 J. Madelain, op.cit. p.73.


37
flux et le reflux de la mer est le rythme premier, le mouvement de la vie ». C’est également
une occasion pour remettre en question tout ce qui attrait à sa vie antérieure.

La mer constitue également le point vers lequel s’effectuera le retour de Neil ; mais sa
perception de cet espace n’est pas la même qu’à son départ, et c’est sa traversée du désert qui
est à l’origine de ce changement de perception : « face à lui, les berges de la mer, toujours
invisibles, envoient une brise légère chargée d’embruns salins […] il avance vers elle en se
laissant caresser la peau par la pluie fine provenant des vagues qui se brisent au loin »
(p.293). Le lexique utilisé par le narrateur pour décrire la mer met en texte non pas une mer
agitée et oppressante, comme cela a été le cas au début du récit, mais une mer douce et
accueillante. Grace à cette traversée du désert, Neil s’est réconcilié en quelque sorte avec la
mer, avec l’espace, avec le passé, bref avec lui-même : « Neil retourne, réconcilié vers son
origine, après avoir vécu son présent et avoir touché son avenir » (p.294).

Pour Zaina, la mer est un espace inconnu, « elle en a souvent rêvée, mais jamais connue »
(p.56) : dans son imaginaire, la mer est un espace salvateur, « elle [la mer] viendra surement
la délivrer un jour, l’emportera dans ses écumes, la bercera dans ses vagues et l’amusera avec
ses poissons aux milles couleurs changeantes » (p.56). L’image de la mer est synonyme
d’euphorie, à son évocation, Zaina plane et se sent bien. Au désert carcéral s’oppose donc, la
mer, symbole de liberté, de délivrance et d’évasion.

2. Le désert :

Dans le récit de Mati, les cinq sens sont mis en alerte. Ils sont à vrai dire l’origine de la
perception spatiale. Sous cet angle, l’espace devient une question de perception : observer les
manifestations d’aura, sentir ses odeurs, identifier ses couleurs deviennent la tâche du
personnage du roman. Qu’il soit réel ou onirique, le lieu produit des effets sensoriels sur le
personnage auxquels il répond par des sentiments de joie ou d’angoisse. Ce contraste, est
abordé sous le couple euphorique vs dysphorique. Ainsi la fiction se tisse-t-elle depuis les
sentiments et les sensations que le héros a éprouvés devant les signes du monde extérieur.
L’analyse que nous proposons est, donc, agencée autour des perceptions et des réactions des
personnages.
En effet, les deux personnages principaux de l’intrigue de On dirait le sud ne perçoivent
pas l’espace de la même manière bien qu’il s’agisse d’un seul et même espace, à chacun d’eux

38
sa manière d’appréhender ces lieux étrangers, les points de vue diffèrent au point de s’opposer
parfois.

Echouée dans le désert sans l’avoir voulu, Zaina porte sur son nouvel environnement un
regard négatif et le perçoit, au début du récit, comme étant un espace dysphorique « une terre,
un monde brimé, corrosif, sous un ciel agonisant de soif, le minéral asséché s’étend à perte de
vue ». Cette perception négative change en une vision plus positive après le périple du
personnage durant lequel il est passé par plusieurs épreuves dont il a tiré de précieux
enseignements et qui sont d’ailleurs à l’origine de ce changement de perception, « le désert ne
semble plus ronchonner. Il lui ouvre une nouvelle porte sur sa vie. »

Par contre, la venue de Neil au désert est un choix libre et réfléchi, il a opté pour le
désert « pour la liberté, pour la vie, pour ne pas me laisser mourir, pour ne pas me laisser
rejoindre par mon passé […] pour être un homme libre » répond-il à sa famille et à ses amis
lorsqu’ils lui demandent pourquoi avoir choisi le désert. Neil porte plutôt un regard curieux et
sur l’espace, poussé par l’envie de la découverte et de déchiffrement des signes présentés par
cet espace énigmatique en passant le plus clair de son temps à contempler ce qui l’entoure. La
description des paysages vus par Neil et les termes choisis pour ce fait sont à cet égard
significatifs : « il a ressenti un bonheur pénétrant, une allégresse à la fois subtile et brutale. Il
a baigné, engourdi de bien-être dans de chaux et doux rayonnement, dans un baiser
divin » ; « en ce lieu(le désert), il se sent en paix. » (p.47).

Dans l’imaginaire développé par Mati, c’est dans la marche que se fonde la relation entre
le personnage et l’espace : en arrivant au désert, le véhicule de Neil tombe en panne, un
prétexte qui pousse le personnage à effectuer son parcours à pieds. Nous faisons le même
constat concernant Zaina qui décide de quitter la cabane dans le but de découvrir d’autres
horizons que le lieu sordide qui la maintenait prisonnière. Moyen d’une appropriation discrète
du monde, la marche permet en fait un contact intime avec l’univers. Elle donne au
personnage accès au monde et à ses multiples significations. C’est un retour à l’écoute du
monde qui met en éveil les sens des personnages. Mati manifeste une sensibilité fine à tout ce
qui s’attache aux éléments du paysage traversé par une route qui est le premier relais
conduisant au lieu inconnu.

Un désert intérieur :

39
Selon J. Madelain « la vie traditionnellement perçue comme une traversée trouve dans le
désert la meilleure image de ce que celle-ci peut avoir d’atrocement pénible »29. Le désert
comme espace imaginaire servant de cadre à une intrigue romanesque est une métaphore d’un
désert intérieur, psychologique qu’on se crée soit même ou qu’on nous impose, car il
existerait deux déserts : un désert concret, réel et un désert de l’imaginaire, du monde
intérieur. Le désert dans lequel évolue le personnage féminin du roman, Zaina, est un désert
intérieur, et l’utilisation de l’adjectif possessif confirme nos propos : en parlant du désert, le
personnage dit « mon30 désert » (p.135). Nous avons constaté que la majorité des espaces sont
des espaces qui n’existent que dans son imagination ou dans ses rêves, « elle a compris que
l’aridité est aussi dans sa mémoire et dans ses espérances » (p.63). Zaina vit un malaise
existentiel dans un espace qui est à l’image de son état intérieur, c’est un désert qui se situe au
niveau de son affectivité, « elle continue à exister dans une tension constante d’une vie sans
passion ». Face à ce vide émotionnel, le personnage décide de renoncer à sa féminité, ne
voyant plus la peine d’être féminine « dans ce désert où les sens finissent par se tarir, les
envies par s’évaporer » (p.65). Sa présence dans le désert accentue ce malaise existentiel, sa
présence dans un espace où « tout espoir, toute lueur de bien-être sont interdits à ses sens »
(p.65), la plonge dans le gouffre d’un pessimisme sans salut. Après avoir effectué sa traversée
du désert, Zaina se remémore ses pérégrinations « elle a vu la lumière de Noure, a connu
l’autre Zaina. Elle se rappelle aussi avoir survécu à la tornade de la haine et de la folie,
écouter les précieux conseils de la voyante aveugle […] ce sont toutes ces personnes qui lui
ont donné la force de poursuivre sa lutte. Cette force s’appelle, simplement, l’Amour »
(p.246) ; en ayant trouvé l’amour, Zaina affirme : «je suis persuadée que j’ai vaincu mon
désert. » (p.247).

Nous pouvons constater ce changement dans la vie du personnage par la description qui
est faite de l’espace au début du chapitre qui met sous nos yeux le passage de l’espace de la
dysphorie à l’euphorie et parallèlement celui de l’état intérieur de Zaina, l’espace étant,
comme nous l’avons souligné plus haut, à la suite de Madelain, à l’image de la psychologie
du personnage : « le soleil s’est le vé sans peine, paré de ses plus beaux atouts, il arrose les
plaines de sable et leurs protubérances d’une douce chaleur […] ;cela fait des jours que le
temps s’est mis à la convivialité, in léger vent parfumé et frais caresse le dos des collines de
29 J. Madelain, op. cit.

30 C’est nous qui soulignons.


40
sable en prenant soin de ne pas les irriter. » (p.245). La chaleur du désert, et son soleil
impitoyable sont considérés comme purificateurs tel le feu qui expie les pêchés, Zaina vit le
désert comme expiation, « mon désert est purgatoire » (p.117), affirme-t-elle ; « il doit y avoir
une relation entre la chaleur de ce désert et les flammes de l’enfer » (p.124) : dans la tradition
musulmane, les feux de l’enfer sont purificateurs, rôle attribué par l’auteur à la chaleur du
désert.

Le désert, comme espace de folie :

Une folie libératrice :

Pour ceux qui sont étrangers au désert, l’adaptation, si elle est possible, passe par
l’acceptation d’un rythme différent. Le désert apparaît ainsi comme le lieu de la coupure, un
lieu de rupture. Dés son arrivé au désert, le véhicule de Neil tombe en panne : le véhicule
symbolise la ville et tout ce qui lui est relatif, la «civilisation», la vitesse…En abandonnant
son véhicule à l’entrée du désert, Neil rompt avec son passé, avec la civilisation du nord, le
rythme de sa vie va changer, devenir plus lent, plus fusionnel avec la nature, « Neil est
admiratif devant ce mode de vie millénaire si simple à vivre, tellement en harmonie avec le
désert. » (p.47).

Changement de rythme de vie mais également libération de contraintes : l’espace libère le


personnage des contraintes qui l’empêchaient de faire ou de dire certaines choses par
conventions sociales ou censures, et lui procure une liberté de « circuler sans peur pour fuir
les sens interdit et les interdit de sens, pour ne plus dépendre de la dépendance ». C’est cette
quête de liberté qui a justement poussé Neil à opter pour le désert, « pour la liberté, pour être
un homme libre ». Le désert semble autoriser des comportements ailleurs contenus. En
changeant d’espace, il passe de la sédentarité au nomadisme. A son arrivé à l’oasis, Neil noue
une relation amoureuse avec Iness, la fille du chef de la tribu, et qui était dès sa naissance
promise à son cousin. Ces attitudes devenant permises par le simple fait d’avoir changé de
lieu fait du désert un espace de liberté par excellence.

L’espace désertique provoque la folie de Zaina, il y a des jours où «sa schizophrénie


montre ses crocs, ces jours-là elle est au bord du désespoir.». La solitude dans un tel lieu est
source d’hallucinations « ses nuits sons d’autant plus pénibles que sa folie a pour seul

41
compagnon l’isolement, alors tous les démons sont invités à passer les soirées avec elle ».
(p.173)

La folie chez Mati est ici réaction du personnage à l’influence de l’espace et à la tension
qu’il provoque mais aussi exutoire libérant la violence, les colères, les angoisses, les désirs,
les frustrations en un véritable défoulement qui se manifeste souvent chez Zaina par des cris
car elle pense « exorciser sa colère, sa haine et sa folie dans son haro ». (p.173). La folie n’est
plus, dans l’imaginaire de Mati, une anomalie ou une pathologie mais moyen de délivrance de
l’angoisse de l’isolement.

Il en est de même pour Iness qui, poussée par la folie libératrice du désert, ose enfreindre
les lois de tribu et s’opposer à la décision concernant son mariage avec son cousin en faisant
ses propres choix, quitte à être excommuniée.

Cet espace, en débarrassant les personnages des contraintes propres au monde dont ils
viennent, les révèle à eux-mêmes et aux autres : à la fin de son périple au désert, Neil fini par
trouver des réponses à ses interrogations, il arrive à comprendre ce qui fait le sens de la vie, la
force qui « nous accompagne du début de la vie jusqu’à la mort. Cette énergie s’appelle
l’Amour », il venait de vivre son rêve « où la recherche de ses alter ego passe par celle de
soi ».

Un espace de l’irrationnel :

Le désert se définit alors comme l’espace où tout devient possible, où, débarrassés des
contraintes du quotidien, vivant à un rythme et dans un univers totalement différents de ce
qu’ils connaissent, les personnages sont dans un état d’exaltation. L’auteur, à traves la
métaphore spatiale laisse libre cours à son imagination pour créer un monde fantasmagorique
peuplé de personnages extravagants et de phénomènes surnaturels. L’esprit cartésien dont la
raison est la seule voie vers la vérité laisse place à des interprétations qui échappent à toute
logique. La cabane du sibirkafi est hantée par des démons qui partagent le quotidien de Zaina,
un être de lumière nommé Noure fait son apparition à plusieurs reprises dans le récit; un autre
épisode relevant du fantastique : celui où Neil et Iness accompagné d’Aniaz font la rencontre
de leurs copies conformes vivant dans un mirage fluide. L’auteur n’hésite pas à mettre en
texte des mondes parallèles qui se croisent dans les rêves ou dans l’imagination des
personnages.
42
Mati fait du désert un espace où l’irrationnel transcende les lois de la raison, abolit les
frontières entre le réel et l’irréel accordant ainsi une liberté à l’esprit de voguer entre les
multiples dimensions de l’univers.

La danse comme exutoire :

Zaina contribue, par la musique qu’elle joue sur l’Imzad, à sortir les personnages d’eux-
mêmes, en les menant à un état proche de la transe où se mêlent le plaisir de la danse et la
violence de l’affrontement entre les deux femmes Zaina et Iness pour l’amour de Neil. La
danse si présente dans l’œuvre de Mati, sert ici d’exutoire, libérant la violence, les colères, les
angoisses, les désirs non assouvis en un véritable défoulement rendu possible par ce que nous
avons appelé la folie du désert. « Les deux filles, sous l’emprise du chanvre indien et de cet
étrange temps, plongent dans un état euphorique » : nous constatons, dans ce passage, que les
deux personnages sont sous une forte emprise de l’environnement et donc de l’espace qui
contribue par son « étrangeté » à les entrainer dans un état second proche de la transe, c’est
pour eux un moyen de transcendance qui procure une sensation de légèreté et d’ouverture. De
telles expériences font souvent changer leurs perceptions de l’espace environnent.

Le désert, un espace conservateur des traditions :

Dans son œuvre On dirait le sud, Mati représente le désert comme un espace conservateur,
comme le gardien du temple des valeurs ancestrales, souvent perverties dans et par d’autres
espaces, notamment le Nord. L’instrument musical traditionnel propre régions sahariennes,
l’Imzad, est fortement présent tout au long de l’œuvre. A son arrivée à l’oasis, Neil rencontre
le chef de la tribu qui était en train de boire du thé, « une femme, en peu à l’écart, joue du
violon à une corde », l’Imzad. Il est fait partie de la vie quotidienne, et constitue un symbole
de la tradition auquel les populations sahariennes tiennent tant, ce qui fait du désert un espace
de la conservation de la tradition. Zaina, lors de sa rencontre avec la caravane des Touaregs,
se fait offrir un Imzad, symbole de son adoption par la culture saharienne, et par extension,
par l’espace qui a vu naitre cette culture et qui a su la préserver, à travers les temps.

Nous sommes des nomades de la tribu des Kel-Ghela. Notre vénérable ancêtre Tin-Hinan
nos a transmis la connaissance et donnés l’accès au pouvoir de commandement sur les autres
groupes de l’Ahaggar. Nous avons décides de nous fixer dans cette oasis. Cela fait longtemps

43
déjà que nous ne parcourons plus ces grandes étendues de sable et de Pierre comme le
faisaient nos glorieux aïeux. Toutefois, nous avons gardé nos traditions et notre culture
(p.45).

Nous pouvons lire sur la page 49 que « Neil, c’est aussi le nom du grand fleuve où mes
ancêtres ont versé la civilisation dont nous sommes tous issus. Enfin c’est ce que racontent les
écrits des Anciens » : cette référence récurrente aux ancêtres exprime un attachement plus
profond et plus solide qu’il ne l’est dans d’autres espaces, à un passé glorieux qui a caractérisé
la région, et une tradition enracinée profondément dans le désert, d’où cet espace tire sa
supériorité par rapport au nord. Il semble s’y être conservées des valeurs considérées comme
étant à même d’assurer la survie et la cohésion du groupe en tant que tel, celui-ci l’emportant
toujours sur l’individu : sens de l’honneur, solidarité, respect des anciens…

Le désert, lieu de la tentation :

La tentation s’exerce particulièrement sur Neil lors de son arrivée à l’oasis vers laquelle
Noure l’a guidé en lui annonçant : « te voilà arrivé à la porte de ta piste ». La description que
fait le narrateur de l’oasis en fait un espace qui stimule les sens de Neil et provoque chez lui
un très fort émoi : « le bruissement de l’eau le guide vers une végétation de plus en plus
dense ; une végétation luxuriante semble prendre naissance dans la guelta; une onde limpide
et pleine de vie frémit sous la pression de la cascatelle réveillent ainsi une faune abondante de
barbeaux, de silures » (pp.48, 49). La tentation provoquée par l’espace se concrétise par la
liaison amoureuse qui a unit Neil et Iness, la fille du chef de la tribu qui l’a accueilli, alors
qu’elle est promise à son cousin : «Neil se laisse diriger par le chant mélancolique qui le
conduit jusqu’à cette sirène des sables ». Qualifiée de sirène, la femme chez Mati remplit le
rôle de tentatrice au même titre que l’espace. La tentation et l’attirance que provoque l’espace
se laisse exprimer par des verbes d’action ayant pour objet le personnage tel que « le guide, se
laisse diriger, le conduit ». L’utilisation d’un tel lexique laisse entrevoir un personnage sans
volonté ni pouvoir d’agir, étant sous l’emprise d’une force qui l’attire et qui le manipule à sa
guise : cette force est celle de l’espace.
La femme, ici n’est pas seulement un objet de désir mais elle a pour rôle d’accentuer
l’aspect provocateur par lequel se caractérise l’espace désertique de manière générale, et
l’oasis plus particulièrement et que Neil tente de comprendre en s’interrogeant « comment
donner un sens à ce désert qui venait d’éveiller ses sens ? » (p.60).
44
La description faite de l’espace qui é été témoin de la liaison de Neil et d’Iness est à
l’image de ce qui est entrain de se dérouler : « dehors, la nuit s’excite en réveillant le vent » et
laisse, en même temps entrevoir la suite des évènements, remplissant ainsi une fonction
annonciatrice « la tempête n’est pas loin. » (p.57). Dans le 6ème chapitre de la première
partie, Mati nous donne à apprécier deux description parallèles : celle de l’expérience érotique
du couple Iness et Neil et celle de l’espace et ces manifestations en dehors de la tente dans
laquelle se trouve le couple. Nous notons une symétrie entre ce qui se passe à l’intérieur de la
tente et ce qui se passe à l’extérieur : la tension montant crescendo à l’intérieur au même
rythme qu’à l’extérieur. En même temps que « les vents se mettent à hurler dans le dans le
désert » (p.58) « Iness se jette sur Neil, accompagnant son bond d’un cri semblable à celui
d’un animal farouche, un hurlement strident » (p.58) ; « la tempête fait rage et augmente
d’intensité au rythme des combats amoureux des deux amants ».
Cependant, Neil éprouve du regret suite à l’acte qu’il vient de commettre, « il a cette
inexplicable impression d’avoir transgressé les lois immuables de la convenance, des tabous.
D’avoir transpercé la frontière entre deux cultures, participé frauduleusement à un rite
initiatique sans avoir été convié, d’avoir trompé tout les pères, les mères, les épouses, les
époux, les femmes, les hommes de la tribu qui l’a accueilli ». (p.60). Cette offense à l’honneur
de la tribu sera puni par une excommunion du couple Neil-Iness.
Jardins luxuriant, femme tentatrice, excommunion : nous relevons dans le récit de On
dirait le sud une nette référence au récit coranique, plus exactement à l’épisode selon lequel
Adam et Eve ont été chassés du Paradis, en guise de châtiment pour avoir cédé à la tentation
et enfreint les commandements de Dieu. Le texte de Mati n’échappe donc pas à la règle selon
laquelle chaque livre est une transformation, une absorption ou plutôt une recréation d’un
livre antérieur. De ce fait, le processus de l’écriture peut être compris comme une imitation de
production littéraire préexistante, c’est ce que J. Kristeva nomme intertextualité.

Erotisation de l’espace :

Nous constatons dans l’ouvre qui constitue notre corpus d’étude l’émergence de la
signification sensuelle du désert. Notre attention va vers une lecture de la genèse de la
métaphore filée qui érotise le désert. Pour ce faire, nous nous arrêtons au sixième chapitre de
la première partie d’On dirait le sud s’intitulant Lascive où le désert se présente non pas
réellement mais d’une manière métaphorique.

45
La description faite du désert dans ce chapitre le représente non seulement comme
l’espace d’une scène érotique mais un partenaire de l’acte sexuel. Le narrateur ouvre le
chapitre par une description d’un désert tout à fait différent du désert auquel nous avions
affaire dans les chapitres précédents : c’est un désert où « l’humeur du temps s’est
inopinément radoucie, [où] un zéphyr apaisant et agréable flotte, un charme au dessus de la
cabane ». Un lexique servant une description caractérisée par une telle euphorie donne à
pressentir qu’un évènement nouveau et différent va se produire, la description remplissant un
rôle annonciateur par rapport aux actions. Les adjectifs octroyés à l’espace contribuent à en
faire un élément érotique, ainsi nous pouvons lire sur la page 51 :

Des heures durant, elle [Zaina] marche, l’esprit en vadrouille et le cœur curieusement
épanoui ; poussée par le vent léger. Un souffle que l’on dirait voluptueux, tellement
nonchalant. En face, une butte de sable fin, une petite dune au galbe sensuel, impudique fait
brusquement éclore en elle des sensations lascives et mélancoliques. Elle ressent une étrange
douceur au ventre. La jeune femme s’angoisse de ce sentiment inaccoutumé. Les yeux se
mouillent de larmes aphrodisiaques. Puis, sans réellement comprendre ce qui lui arrive, elle
est prise de doux vertiges, d’un subit appétit. L’insatisfaite du sibirkafi ressent l’envie de faire
l’amour. (p.51)

Dans ce passage, la métaphorisation consiste à la qualification du mot « souffle », « butte


de sable » par des qualités spécifique à l’être humain « voluptueux, impudique, sensuel », la
mer jaune est décrite comme étant « galbée comme les seins d’une belle femme » ; « la jeune
femme contemple les larges vagues nonchalantes qui dessinent de bas reliefs aux galbes
cendrés roses et se terminent dans une houle tranquille, dormante. » (p.186) ; « la terre a
enfanté des contours lisses et sensuels » (p.245). Le transfert de qualités spécifiques de
l’homme à des éléments de la nature non humains conduit par conséquent à les rendre
sensuels. Mati tend à métaphoriser son monde en terme humain, en insistant sur la sensualité.
Nous constatons que l’espace dans cette séquence réveille la libido du personnage.
La conceptualisation métaphorique de l’érotisme est concrétisée encore, lorsque le
romancier humanise la dune, et en fait un partenaire de Zaina dans son expérience sexuelle :
« elle venait de faire l’amour avec la dune » (p.52). Il ne s’agit pas d’un plaisir solitaire
qu’elle vient de s’offrir mais d’un plaisir accompli avec un partenaire qui n’est autre que

46
l’espace, « satisfaite, elle tourne lentement la tête pour déposer un baiser sur le sable ; elle
sourit au ciel qui s’offre à elle dans toute sa splendeur » (p.52).

Le désert, espace de la tradition mystique :

A travers la lecture que nous avons faite du roman On dirait le sud de Mati, et qui a pour
axe d’étude l’espace dans le récit, nous avons constaté qu’il existe un étroit rapport entre la
tradition mystique islamique et l’espace désertique. Mati n’est pas le premier à mettre en
œuvre cette relation ; nombre de romanciers maghrébins et non maghrébins ont axé leurs
œuvres autour de ce rapport, nous citons à titre d’exemple M. Mammeri dans La Traversée
ou J.M.G LeClézio dans Désert.
Pierrette Renard souligne le rapport qui existe entre ce que J. J Wunenburger appelle
« la topographie géologique » et la « topographie spirituelle » en écrivant : « Le désert comme
figure participe évidemment de l’ambivalence symbolique : lieu de la mort minérale, de la
stérilité, il recueille toutes les significations du dénuement, de la purification à traverser »31.
Effectivement nous avons relevé dans le récit de Mati d’importantes traces de traditions
mystiques et plus particulièrement de soufisme ; il restitue au désert son titre de « matrice de
la mystique islamique »32 comme le note J. C. Vatin. La présence de la mystique islamique
dans le récit se manifeste linguistiquement par la présence d’un lexique relatif à la pratique
religieuse : « Dieu, prière, méditation, recueils sacrés, icones religieuses, cierges, autel,
dévotion, religieux, cellule ascétique, ermite, homme de foi, croyance, pèlerin ».

Le désert, espace de l’isolement :

La retraite, un des principes de la mystique religieuse, doit avoir lieu dans un


environnement naturel selon Martin Ling, dans une étude qu’il a consacrée au soufisme,
Qu’est-ce-que le soufisme ?. Le désert, par son éloignement et par son infini étendu constitue

31 P. Renard, « T. Ben Jelloun et la quête d’identité », Le Banquet Maghrébin, (G. Toso Rodinis

dir. Rome, Bulzoni édit.,) p.315.

32Jean Claude Vatin, « Désert construit et inventé, Sahara perdu ou retrouvé : le jeu des

imaginaires » in R.O.M.M, p.127, note 4.


47
le lieu d’isolement par excellence pour les personnages du récit de On dirait le sud. Neil part
vers le désert en vu d’être seul afin de comprendre le sens de son existence, pour remettre en
question son passé et son présent, dans un espace « où la recherches de ses alter ego passe par
celle de soi » (p.294), Neil est donc dans une quête de soi qui nécessite une solitude « car
celle-ci l’éloignait d’un monde qui commençait à lui peser lourdement » (p.27) ; il pense que
« dans cette foret de pierres, on ne s’égare jamais, on se découvre » (p.200). En effet selon
Cheikh Bentounès « en s’écartant du bruit, de l’agitation et en se libérant des contraintes
quotidiennes, la retraite permet de faire le point, de vivre un face à face avec soi-même, de
s’intérioriser et de dynamiser l’être »33.

Au cours de leurs périple à travers le désert, Neil et Iness font la rencontre d’un ascète qui
vit isolément, loin de toute présence humaine, dans un lieu modeste, « habité par un silence
dérangé uniquement par les nomades de passage» (p.202) qui « sert de lieu de méditation
[comportant] des icones religieuses, des cierges placés sur l’autel, des opuscules de prière
posés ça et là. Les murs garnis d’étagères remplis de livres anciens complètent le décor et
attestent de la dévotion de religieux » (p.203).

Détachement et spiritualité :

Neil, durant sa traversée du désert, fait abstraction de tout ce qui a attrait à la matière : il
fait preuve d’un détachement absolu. En partant vers le désert, « ce garçon issu d’une famille
aisée […] a laissé confort et femme, amis et carnets de chèques, mondanité et hypocrisie,
perspectives et enfants, promesses non tenues et directives imposées » (p.29) ; à la fin de son
parcours, « il n’a même pas essayer de mettre en marche sa voiture, préférant aller à pieds. »
(p.295) dans la description faite de la maison de l’ascète auquel Neil et Iness rendent visite
nous pouvons lire «l’intérieur est dénudé. Aucun superflu » (p.202).

Ce détachement laisse place à une spiritualité qui fait l’essence même de cette traversée ;
nous relevons dans la page 29, dans le discours prononcé par Neil en guise de réponse à ceux
qui lui demandaient pourquoi avoir opté pour le désert, un lexique relatif à des valeurs

33 Cheikh Khaled Bentounès (avec la collaboration de Bruno et Romana Solt), Le Soufisme, cœur

de l’islam, Paris, La Table Ronde, 1996, p.148.

48
transcendant les futilités de la vie quotidienne, allant vers plus de spiritualité : « la liberté, la
vie, l’amour, opiniâtreté, quiétude, oubli, temps, être libre, aventure, circuler sans peur, parler,
crier, réapprendre à vivre, à aimer », je suis désolé, mais tu ne pourras pas m’empêcher de
rêver » dit-il à Iness « je suis venu dans le désert pour croire en eux justement » (p.160). Mati
représente donc le désert comme étant l’espace privilégié de la spiritualité à laquelle le
personnage peut accéder par le détachement et la solitude dont le cheikh K. Bentounès
souligne la nécessité comme seul « moyen de détachement du monde et de communication
avec l’absolu »34. La conception que se fait Mati du désert et qui a réussi à reproduire par le
biais de l’écriture s’inscrit dans une tradition ancrée depuis fort longtemps et faisant du désert
un espace sacralisé.

La traversée du désert est également et représentée comme expérience de laquelle le


personnage Neil tire beaucoup d’enseignements, nous constatons une espèce de murissement
qui se traduit par une métamorphose au niveau physique, une sorte de vieillissement : « les
cheveux sont plus longs, clairsemés et aux reflets poivre-sel, flottant sur la nuque ; quelques
rides plissent les commissures des yeux » (p293).

La contemplation :

Arrivés sur des lieux non familiers, les personnages font de la contemplation de
l’environnement un moyen pour tenter de comprendre les éléments qui les entourent et qui
constitue cet espace et essayer éventuellement de se l’approprier. Dans beaucoup de passages,
les organes des sens prédominent comme sujet principal des phrases, parfois les verbes de
perception ( « voir », « regarder » et « entendre ») constituent l’outil de la perception spatiale,
et c’est d’ailleurs à travers la perception du personnage que le narrateur décrit souvent les
paysages, ayant ainsi recours à une perceptive de type actoriel selon Adam et Petitjean.

La contemplation est souvent invitation à la méditation, à la réflexion : « Zaina est sortie


dormir sur le sable. La lune lui a fait un berceau de lumière. […] Adossé au tronc d’un vieil
acacia complètement décharné, elle médite sur son sort. » (p.26). L’isolement et la solitude

34 Cheikh Khaled Bentounès, op. cit, p.149.


49
que procure le désert stimule le penchant des personnages à la méditation, « Zaina médite sur
tout ce qu’elle a vu et entendu dans son rêve » (p.41)

Le désert, espace de la prière :

La prière est également fortement présente dans le récit de Mati, les personnages sont
souvent invités à faire des prières, d’invoquer Dieu, lorsqu’elles éprouvent un certain malaise
par rapport à la vie qu’ils mènent. Cette prière les « transporte d’un monde temporel, d’un
quotidien souvent difficile à vivre, vers une rencontre sacrée. ». La prière chez Mati sert
d’échappatoire, de moyen de se déroder à l’emprise d’un désert impitoyable, « elle prie
comme une damné qui aspire à s’excommunier de l’enfer, […] elle continue de faire semblant
d’aimer ce dieu juste pour provoquer le miracle qui la sauvera de ce calvaire. » (p.176).
Cependant, la prière n’apporte aucun salut à « l’apprenti croyante » (p.177) : à force de prier
dieu de lui épargner la folie, « à force de rabâcher qu’elle ne veut plus être folle, elle se
remémore constamment sa folie » (p.176) qui lui rend la vie implacable, car elle s’étale
partout autour d’elle, remplissant tout l’espace de l’intérieur et de l’extérieur. « Le dieu ne
répond pas » (p.177).

Durant sa traversée du désert, Zaina fait l’apprentissage de la prière avec l’aide de l’être
de lumière, Noure. La description faite du désert dans le chapitre suivant celui dans lequel
Zaina apprend à prier, le représente comme étant un espace euphorique : Mati dote donc la
prière d’un pouvoir modificateur de la perception de l’espace par le personnage.

Elle flâne au fin fond des sables comme elle ne l’a jamais fait auparavant. Les bruits, les
odeurs, la chaleur, tout est amplifié, tout est lénitif. Zaina peut voir les prairies, sentir le
parfum des fleurs jaunes. Dans sa virée, il y a des arbres avec des branches, des branches
avec des feuilles. Les senteurs de jasmin embaument la foret et donne plus de douceur au
chant des oiseaux. Les pieds nus, elle marche sur l’herbe, mouillée par la rosée qui a poussé
sur le sable fin. C’est bizarre, mais le désert ne semble plus ronchonner, il lui ouvre une
nouvelle porte sur sa vie. (181)

Nous constatons, à la lecture de ce passage que le désert de Zaina s’est transformé en un


jardin enchanteur : ce changement de perception est du au pouvoir conféré à la prière. Le
passage brusque de l’espace de l’euphorie à la dysphorie confirme nos propos précédents

50
selon lesquels, le désert de Zaina est plus un désert intérieur qu’un désert réel (dans un cadre
fictif, évidemment).

a) La cabane :

Dans On dirait le sud, le désert inclut plusieurs espaces secondaires, dont la cabane du
point B114. Les personnages sont en partie définis par les lieux qu’ils occupent, les lieux de
vie sont en accord avec ceux qui y logent, les éléments retenus par l’écriture ayant une
fonction connotative et symbolique. C’est le cas du rapport qu’entretient Zaina avec la cabane
du point B114 : placée sous le signe du sordide, la cabane dans laquelle elle vit avec son
compagnon Cro-Magnon, est l’indice de la double dégradation matérielle et morale des deux
personnages du roman. Le lexique utilisé par le narrateur pour décrire le lieu dans lequel
évolue Zaina rend compte de son état intérieur, nous relevons « rouillé, vieux, en panne,
râpées, peuplé de cafards, non identifiés, maigre, ennui, désespoir ». La cabane, négativement
connotée est décrite comme étant une prison sans issue sauf sur des immensités désertiques
représentées elles-mêmes comme étant sans issues .Elle est caractérisée par son exiguïté et
son manque de confort. Ainsi, une thématique de la claustration est développée tout au long
de l’œuvre. Zaina est condamnée à partager un « espace réduit avec un bougre dégoutant au
milieu des immensités vacantes » (p.23), son compagnon tient le rôle de geôlier qui lui inflige
violence, viol suscitant chez elle un mépris et une répugnance à son égard accentuent ainsi le
caractère dysphorique des lieux.
Le départ de Cro-Magnon est pour elle un prélude à la liberté qu’elle croit pouvoir
trouver à l’extérieur, c’est-à-dire, dans le désert perçu dans un premier temps et par
méconnaissance, comme un espace de liberté mais le périple qu’elle effectue, lui fait
découvrir un espace tout aussi frustrant et tout aussi fermé que de la cabane dont elle s’est
enfuie. Le récit est donc placé sous le signe de l’enfermement.
Nous constatons que le choix du narrateur s’est porté sur une cabane et non pas une
maison : son objectif est de mettre en exergue le caractère temporaire du lieu : une cabane est
plus un lieu où l’on séjourne temporairement, il accentue ainsi le caractère du désert qui en
fait un lieu de passage plus qu’un lieu de séjour, un lieu de traversée et non de sédentarisation.
Selon Madelain, « le désert n’est une fin, le terme d’un voyage où l’homme pourrait s’abimer
mais Thébaïde, thérapie, réoxygénation spirituelle avant de retrouver la densité des relations
sociales et affectives avec les hommes ».35
35 J. Madelain, op. cit., p.78.
51
b) La montagne :

L’espace de la montagne est fortement présent dans l’œuvre de Mati, il traverse


l’imaginaire de l’auteur, il est investi de valeurs diverses et parfois paradoxales. Ainsi, nous
avons constaté après notre lecture du roman On dirait le sud, que la représentation de l’espace
de la montagne varie d’un personnage à un autre selon la perception propre à chacun
chargeant ce lieu d’une symbolique.

La montagne, une espace ambivalent :

La montagne est représenté chez Mati comme un espace immense, surdimensionné et


devant lequel le personnage Zaina, se rend compte de sa petitesse et de l’insignifiance de son
existence. Le lexique utilisé par le narrateur pour décrire la montagne atteste de nos
propos : « gros, immensité, haute, énorme, gigantesque, semble se perdre dans la
troposphère » (pp.114, 115). Malgré son immensité, la montagne est un espace étriqué, fermé,
un lieu de « claustrophobie existentielle »36 et c’est justement ce qui fait son caractère
ambivalent.

Mati est particulièrement sensible à « ces barrières massives qui limitent la vue, bornent
l’imagination, effacent l’avenir »37, il met alors en texte une description d’un univers fermé,
clos, circulaire. « Zaina pivote lentement, par à-coups, sur elle-même pour découvrir à travers
une immensité sans limites aux horizons indéfiniment circulaires qui la narguent par leur
ressemblance » (p.115), dans ce passage, « sans limites » s’oppose à « circulaire », l’ouverture
à la fermeture, la liberté à l’incarcération, faisant ainsi ressortir le caractère paradoxal de
l’espace et développant par le biais de l’écriture, le thème de l’enfermement récurrent chez les
romanciers maghrébins. L’évocation « d’un ciel oppressé de cendre », d’un « vent paresseux,
chaud, sournois », d’un « horizon éclaboussé par le sang » ne fait qu’accentuer la dysphorie
des lieux.

Cependant, selon Madelain, le monde fermé et carcéral de la montagne peut se


transformer en forteresse protectrice et c’est ce caractère qu’attribue le narrateur à la
montagne. En effet, Zaina, étant effrayée par le cri horrifiant qu’elle entend, court vers la

36Ibid., p. 60

37 Ibid.
52
montagne pour se protéger : « Zaina se protège du mieux qu’elle peut avec sa grande sacoche
en cuir. […] ne pouvant éviter les gouttelettes brulantes, sans réfléchir, elle cout en direction
de la montagne. » (p.116). Zaina perçoit la montagne comme un refuge vers lequel elle court
pour fuir la malédiction du désert. Le fait qu’elle le choisisse comme refuge « sans réfléchir »
cela sous-entend que dans l’inconscient du personnage, la montagne est un lieu protecteur et
dans lequel elle sera en sécurité. Par extension, déduirons-nous, cette association montagne-
refuge que Mati exploite, émane d’un imaginaire collectif maghrébin.

La montagne se définit également par opposition à la plaine, car selon Greimas « pour
prendre en considération un espace donné, on ne peut que l’opposer à un anti-espace ».38 Ces
deux espaces déterminent deux périodes différentes et deux modes de vies différents. Un des
habitants de la montagne des damnés raconte à Zaina l’histoire du peuple vivant sur les lieux :

Avant, il n’y a pas si longtemps, les nabots étaient des personnes, normales, je veux dire
comme vous. Nos ancêtres habitaient la vallée du bas. En ces temps-là, l’herbe verte poussait
sous un ciel continument rayonnant et la pluie constituait une providence profitable à tous.
Les gens vivaient heureux et riaient beaucoup. Jusqu’au jour où un homme accompagné d’un
immense nuage de soufre au-dessus de sa tête avait débarqué. […], ils avaient monté tous les
courtauds à la montagne et les avaient emprisonnés dans des casemates. […] L’enfer, c’est
ici. » (p.121).

Dans ce passage, la disjonction plaine/montagne se double d’une autre passé/présent


elle-même recouvrant l’opposition euphorie/dysphorie. L’espace de la plaine correspond à une
période passée où les ancêtres, «les paisibles habitants de ces lieux » vivaient heureux et
libres, rend compte que, par opposition à la montagne, la plaine est un espace euphorique,
ouvert. La référence à la pluie qui « constituait une providence bénéfique à tous » et une
référence la fertilité de la terre, à la production et donc à la richesse, cela implique un mode de
vie différent de celui mené sur la montagne. Le personnage s’adressant à Zaina affirme
qu’avant, sur la plaine, « les nabots étaient des personnes normales », la « normalité » de
l’aspect physique et en relation étroite avec l’espace-temps dans lequel évoluent les
personnages, le changement de l’espace-temps engendre une mutation négative de
l’apparence physique des personnages qui se traduit linguistiquement par l’utilisation du
substantif « nabots » chargé d’une connotation péjorative.

38 Greimas, op. cit.


53
L’espace de la montagne correspond à un présent où les conditions de vie des habitants
de plaine s’est dégradé au même titre que leurs physionomie, « les esclaves, à force de
brimades et de coups donnés sur la tête, étaient devenus de nains » (p.121), à la liberté de
laquelle ils jouissaient dans la plaine s’est succédé un enfermement hostile «dans les
casemates » ayant pour geôliers des caméléons « qui empêchent toute tentative d’évasion »
(p.121). La montagne est pour eux un lieu dysphorique dans lequel ils sont « brimés,
malmenés, exploités », pour eux «l’enfer est ici » (c’est-à-dire la montagne). La montagne est
également un lieu où les femmes sont maltraitées, « ici, le mot femme est banni », le
personnage féminin du récit constate « que dans ce désert, toutes les femmes sont traitées de
la même manière » (p.123). Ce lieu est représenté à l’image d’une société phallocrate où la
femme est méprisée et privée de ses droits. Le ton est annoncé dès le début de la description
faite de la montagne « au sommet duquel, une haute noire s’érige tel un phallus qui ne cesse
de pénétrer un ciel trop bas, trop lourd, trop las pour fuir. » (p.115); le phallus, symbole de la
virilité mais aussi d’une société ségrégationniste à l’égard de la femme. La hauteur de la tour
symbolise le pouvoir et de la dictature face au personnage qui se trouve à ses pieds, signe de
faiblesse de soumission.

La circularité et la fermeture qui caractérise le romane de Mati traduiraient la limitation


de la condition humaine et le manque de perspective que peut ressentir un personnage dans un
système qui le prive de sa liberté d’expression et de sa liberté, et brime son imagination et se
créativité par l’austérité de ses lois aberrantes.

Quand à Neil, l’appréhension des lieux élevés est quelque peu différente : si pour Zaina la
montagne est un monde fermé et carcéral, pour Neil elle se transforme en un haut lieu
d’oxygénation. Pour lui, la montagne est un lieu nouveau qu’il s’empresse de découvrir, les
adjectifs «bizarre, étranges, envoutant, énigmatique, » traduisent l’étrangeté des lieux
auxquels il se trouve confronté. Contrairement à la fermeture par laquelle ce lieu s’est
caractérisé dans le chapitre La montagne des damnés, l’auteur investi ce haut lieu par une
notion d’ouverture dans le chapitre Le caravansérail: la chambre du bas. En raison de son
élévation, la montagne demeure un lieu de prédilection pour l’appréhension de l’espace, car il
offre une vue panoramique qui permet l’observation. Le personnage contemple le monde et
scrute l’horizon. Ainsi l’accent est-il mis tout de suite sur le regard qui, parcourant l’espace
extérieur, lui accorde un sentiment d’exaltation, « arrivés au sommet, Iness et Neil découvrent
une étendue calme, saupoudrée de cendre volcanique qui s’étale tout le long d’un plateau
54
gréseux. […] ses pensées s’évadent, il regarde en contrebas de la montagne un sphinx de
basalte qui contemple énigmatiquement tous ces paysages ruiniformes» (p.201). Nous
relevons dans ce passage, une association contemplation-évasion ; la montagne, en offrant au
personnage la possibilité d’observer et de contempler, peut-être perçu comme un lieu
d’évasion, donc comme un lieu ouvert.
La montagne est également un lieu de spiritualité ; sa hauteur et sa proximité de ciel font
d’elle un lieu éloigné des banalités de la vie quotidienne un lieu de détachement, allant vers
une élévation et une transcendance pour atteindre des valeurs suprêmes : « une ascension
lente et escarpée sur une montagne » (p.199) est une ascension vers Dieu. Les personnages
sont seuls « mais une forte présence imprègne les lieux. Dieu est là…quelque part, il est là
dans ces régions rudes et d’apparence hostile mais avec la béatitude si enveloppante ! La
montagne n’est vide qu’en apparence, la présence qui y ressent Neil lui procure « une grande
quiétude dans ce monde de pierres et de roches aussi envoutant qu’énigmatique » (p199). La
même sérénité que celle des océans de sable qu’il a traversés l’habite. L’agressivité de ce
paysage lunaire et aux arêtes urticantes repose et calme son esprit » (p.199). Cet éloignement
de la vie terrestre par le biais de l’élévation offerte par un haut lieu tel que la montagne est
l’occasion pour Neil pour méditer le sens de son existence et pour se recueillir. L’utilisation
d’un lexique relatif à la méditation confirme nos propos « pense, comprend, recueillement, se
découvre, réflexions philosophiques, imaginaire, pensées, méditations » (pp.199, 120).

Une autre dichotomie s’impose à nous, au terme de notre description de la perception de


l’espace par les personnages, c’est l’opposition homme-espace ouvert/femme-espace fermé :
pour Neil, tous les espace par lesquels il passe (désert, montagne,…) sont ouverts, et vécus
comme des espaces euphoriques, ces mêmes espaces se referment dès qu’ils sont parcourus
par une femme, et deviennent dysphoriques. Dans On dirait le sud, nous décelons une claire
allusion à la condition féminine dans la société : la femme vit dans une société où le mot
« femme » est banni et remplacé par « femelle » ce que le narrateur appelle «condition de
femme-femelle » (p.132), traitée comme une vulgaire « babiole d’assouvissement et
d’échange ou de récompense, et sans aucune considération. » (p.123). « Cela fait longtemps
que nous somme par terre » (p132), lui affirme la femme qui vit dans un lupanar au beau
milieu du désert, après l’avoir sauvée d’un massacre infligé par le chef de la tribu afin
de « laver l’affront. Son honneur de crétin dominant était sauf. » (p.130).

55
c) La grotte :

La grotte est un lieu par lequel le couple, Iness et Neil, est passé et séjourné durant quelque
temps. Ce lieu représente un refuge pour les personnages, l’endroit propice pour faire une
halte, reprendre des forces et continuer le chemin vers le lieu de la quête : « l’entrée d’une
grotte s’offre comme un providentiel refuge » (p.89). Un lieu de halte mais également un lieu
d’exil : « le couple, banni du clan des hommes bleus, décide de se reposer un peu »,
l’évocation de l’épisode dans lequel Iness et Neil ont été bannis de l’oasis pour avoir enfreint
les lois de la tribu, et une allusion au rôle que remplit la grotte et qui est celui de lieu d’exil.
Le roman de Mati va donc fonctionner sur une disjonction spatiale - l’exil étant d’abord un
changement d’espace - entre le lieu que les personnages quittent et celui où ils essayent de
s’installer ne serait-ce que temporairement, entre l’oasis et la grotte. Cet espace d’exil leur
apporte une liberté d’agir sans risque de censure, les deux amants consument leur amour
pleinement et en toute liberté. La grotte est représentée comme un lieu de plaisir charnel pour
les deux amants : « tandis que les dernières lumières du jour s’estompent, […] Iness et Neil
épuisent leurs dernières forces amoureuses » (p.95), «Iness se redresse, enlève prestement sa
tunique et s’allonge sur le sable, nue et ardente. Elle ouvre délicieusement les bras en une
délicieuse et désirable invitation. […] Neil se dévêt à son tour et rejoint son envoutante
maitresse » (p.113). A son arrivée, Neil commence par visiter l’endroit, « il allume une torche
et s’engage pour une exploration des lieux » (p.90), sur les parois de la grotte, des dessins
retracent l’existence d’un monde ancien » (p.90) ; les dessins racontent l’histoire d’hommes
d’autres temps qui étaient passé par cet endroit et avaient séjourné dans un milieu encore
favorable à la vie.

La grotte convoque des épisodes d’un passé lointain ayant caractérisé le désert, elle abrite
des épisodes anciens de l’histoire de l’humanité : elle tient, par conséquent le rôle de gardien
de l’Histoire des immensités désertiques dans lesquelles errent les personnages de la fiction de
On dirait le sud. Ce passé se manifeste sous forme de fresques rupestres mais également sous
forme de visions oniriques, « Iness a fait un rêve où il s’agissait de gens d’une autre époque.
Cela se passait dans un temps plus ancien. Le temps des ancêtres » (p.94). L’espace du passé
est représenté comme un espace euphorique par opposition à l’espace du présent, « des
hommes d’un autre temps étaient passés par là et avaient séjourné dans un milieu encore
favorable à la vie l’eau abondait dans les anciennes rivières qui ont tracé de profonds sillons
dans les canyons secs d’aujourd’hui le fantastique paysage était garni d’olivier, de cyprès et
56
d’autres végétations abondantes et luxuriantes comme l’attestent les dessins burinés ou peints
par les ancêtres des hommes bleus » (p.90) ; à l’opposition passé/présent se superpose celle de
abondance de l’eau/sécheresse faisant passer un même espace de l’euphorie à la dysphorie le
chargeant ainsi d’une valeur temporelle . Nous notons ici une glorification des temps passés et
une valorisation d’une certain espace de vie qui est devenu aujourd’hui sec et désertique.

La grotte est un lieu favorable à la contemplation, en raison de la vue panoramique


qu’elle offre sur la plaine désertique : « Iness détourne ses yeux de Neil. Son regard fixe
maintenant les vastes étendues qui s’ouvrent devant » (p.94). La contemplation est un moyen
d’évasion spirituelle, lorsque « Iness rejoint Neil à l’entrée de la grotte. Ensemble, dans le
silence, ils contemplent le voute céleste. […] ce soir, leurs regards portent aussi loin que leurs
esprits. Le couple découvre avec émerveillement les arcanes d’un spectacle infini » (p.110).

3. Nord/sud : opposition et similitudes :

Le désert, en tous points différent des autres espaces, s’oppose à tout ce qui n’est pas lui,
notamment au nord par ses dimensions sans commune mesure avec celle des autres espaces
qui s’en trouvent tout étriqués, par ses caractéristiques physiques - le sable, le soleil,
s’opposent à la mer mais aussi par le mode et le rythme de vie qu’il impose. Malgré les
apparentes différences entre le désert et la mer, les deux éléments présentent de profondes
ressemblances pour le personnage observateur: « Neil constate une étrange similitude entres
ces deux vastes étendues d’eau salée et de lieux ensablés : la rudesse et la force qu’elles
déploient pour prendre le dessus sur les hommes » (p.29). Le personnage est donc sous
l’emprise d’un espace qui jouit d’une force et d’un pouvoir d’agir, confirmant ainsi notre
hypothèse selon laquelle l’espace serait un actant et non seulement un décor.

Dans l’épilogue du roman, nous pouvons lire « le Nord et le Sud, ces repères
antinomiques, magnétiques donnent finalement un sens à la vie » (p293). En effet l’espace
peint par Mati est un espace de contraste et d’opposition qui contribuent à révéler les
personnages à eux-mêmes et aux autres.

4. Le personnage et l’espace, une symbiose :

Cette symbiose des personnages avec l’espace dans lequel ils évoluent est constamment
soulignée dans l’ensemble de l’œuvre. Le ton est donné dès le début ; ainsi peut-on lire dans
57
le prélude de l’œuvre : « le minéral règne en maitre, prenant en otage l’homme et la flore »
(p.15). La conjonction de coordination « et » servant à lier « homme » et « flore » les met
ainsi au même niveau faisant de l’homme une partie de l’univers, le destituant de son titre de
maitre de l’univers et en fait un élément qui fait parti d’un tout harmonieusement organisé.

L’insistance sur l’étroite liaison entre l’espace et le personnage se traduit par le bais de
l’écriture dans le 5ème chapitre de la première parie, où Zaina fait fusion avec les dunes dans
une expérience érotique, « elle venait de faire l’amour avec la dune. […] Satisfaite elle tourne
lentement sa tête pour déposer un baiser sur le sable ; elle sourit au ciel qui s’offre à elle dans
toute sa splendeur » (p.52). L’accord de Zaina avec la nature le fait vivre en harmonie avec
tous ses éléments. La liaison terre / hommes est basée un amour profond, viscéral, une
connaissance très sûre, un travail incessant forment la base de la forte relation« sui spatiale »
selon l’expression utilisée par Mitterrand pour désigner la relation « qui unit le héros à son
milieu de vie » A son arrivée à l’oasis, les hommes bleus expliquent à Neil leur mode de vie
dans ce désert aride et leur manière de s’adapter à son hostilité en observant et imitant « les
véritables compagnons de l’erg et du reg » car, lui expliquent-ils « par bien comprendre la
nature, l’homme finira par s’adapter en harmonie avec elle» (p46) ; « Neil est admiratif
devant ce mode de vie millénaire […] tellement en harmonie avec le désert » (p.47).

Une autre séquence du récit met sous nos yeux cette relation intime et fusionnelle qui lie
le personnage à l’espace qui l’entoure celle décrite dans le 5 ème chapitre de la deuxième partie
où Neil vit une expérience dans laquelle il frôle l’extase et lors de laquelle il ne fait qu’un
avec la nature :

Il est envahi par l’espace qui l’entoure et se meut en apesanteur. La magie des lieux le
transporte jusqu’aux cieux et l’enfouit au plus profonds des sables. […] Il boit l’éther de la
voute céleste et caresse les friselis des dunes. Il écoute le chant du vent et visite les
constellations lointaines. Il pénètre de part en part les blocs volcaniques et s’accroche aux
étoiles filantes pour traverser les années de lumière. […] Ivre d’exaltation, l’homme tourne
autour de lui-même au point d’attraper le vertige, au point où toutes les entités des cieux se
fondent en lui et où il ne fait qu’un avec elle, jusqu’à se sentir en même temps un grain de
sable dans le désert et une étoile dans le firmament. […] Neil est encore engourdi de son
voyage astral.

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Les différents aspects de l’espace se trouvent liés aux comportements des hommes,
l’espace se dégrade en même titre que les hommes qui l’habitent, «l’eau c’est l’âme; la
plupart des gens d’ici ont certainement perdu la leur, c’est pour cela qu’il y a si peu d’eau »
(p.24), c’est le constat que fait Zaina devant la rareté de l’eau dans le désert. Cette dégradation
de l’espace sanctionne, en quelque sorte, le comportement fautif des hommes.

Conclusion :

La priorité de l’espace sur les personnages et sur l’intrigue se montre clairement dans la
fiction dont nous proposons une lecture. Celle-ci se construit depuis la tension qui naît entre
l’espace et le héros. La tension qui prend plusieurs aspects trace à la fois les premiers fils de la
trame et les rapports de connaissance de l’être et du cosmos. Les personnages de Mati sont en
général implantés dans un lieu naturel mais étrange. Ce qui augmente par conséquent la
tension entre ces deux éléments de la fiction.
La lecture de l’œuvre que nous proposons permet de révéler l’essentiel du projet
poétique de l’auteur visant à renouer le rapport entre l’homme et l’univers ; ce rapport se
fonde à partir des perceptions sensorielles. Mati met en action des personnages évoluant dans
la solitude et l’isolement, cependant l’isolement ne signifie pas l’enfermement sur soi, au
contraire c’est une manière d’éprouver sa propre existence en étant plus à l’écoute de son
corps, de son esprit et du milieu environnant. Son personnage romanesque préfère se retirer
ailleurs dans l’objectif d’interroger son rapport avec la société avec l’univers er avec lui-
même. La solitude, qui demeure le cas presque commun de tous les personnages de Mati,
devient un motif essentiel de la recherche d’une altérité fécondante située dans un ailleurs qui
efface l’ici et le maintenant.
Mati trouve dans le paysage saharien une matière inépuisable enrichissant son écriture de
l’espace. Pour lui, être au monde consiste à renouer les liens avec l’espace et le temps pour
mieux se réconcilier avec le cosmos et par conséquent avec soi-même. L’isolement le met en
rapport direct avec l’univers et le pousse à s’inspirer profondément de la nature. Mati dénie la
séparation de l’homme et du monde et célèbre leur union. Les personnages entretiennent une
relation fusionnelle avec la nature Ses personnages manifestent un attachement très fort à
l’appel d’un ailleurs, ils se laissent volontairement à la contemplation. Mais contempler
l’horizon veut dire se diriger vers l’ouverture de l’espace lointain.

59
Le fait de quitter son lieu, d’effectuer une traversée du désert c'est aussi abandonner son
identité. C'est souvent aussi perdre son équilibre, interroger ses certitudes et remettre en jeu
son univers. Au bout de la route, il n'y a pas nécessairement du nouveau. Mais le chemin
compte parfois plus que le but. Et la relation de voyage, si variée soit-elle dans sa forme et
dans son objet, trahit toujours ce décalage du moi d'avec lui-même.

Nous synthétisons, dans le tableau suivant, les différents espaces mis en textes ainsi que
les valeurs attribuées à chaque espace.

Lieux fictionnels en fonction de leurs valeurs :

Le nord la mer le désert la cabane la montagne la grotte

Dysphorie Euphorie dysphorie emprisonnement fermeture refuge

Emprisonnement insécurité euphorie dégradation circularité plaisir

Oppression tragédie mystique dysphorie ouverture évasion

Révélation évasion purification liberté

Liberté spiritualité protection

Délivrance recueillement

dysphorie irrationnel

liberté

60
Chapitre III
Lieu et idéologie

Après avoir cerné la topographie de On dirait le sud, et analysé le rapport qu’entretiennent


les personnages avec les différents espaces, nous allons étudier, ce que Mitterrand
appelle, « le système locatif qui associe les marques géographiques et les marques
sociales »39. Selon C. Achour, il est essentiel de déterminer, en fonction de la quête du

39 H. Mitterrand, op.cit. p.201

61
personnage la prescription locative qui lui est imposée et l’interdiction locative que le texte lui
impose. Nous allons nous intéresser à ce que Mitterrand nomme « la toposémie
fonctionnelle » et qui consiste selon le critique en le repérage des rapports plus profondément
modelants existant entre le personnage et l’espace.

1. La toposémie fonctionnelle dans On dirait le sud :

Dresser la toposémie fonctionnelle des espaces mis en texte par Mati c’est, tout d’abord,
définir la relation de compatibilité-incompatibilité, corrélant l’actant du point de vue des
devoirs et des interdits avec le circonstant. C’est ainsi que se spécifie la relation qu’entretient
les personnages du récit avec les différents espaces précédemment cités.

Nous choisissons Neil, le héro du récit comme point d’origine du récit car c’est autour de
ses déplacements à travers les différents espaces que le récit s’organise : en effet c’est sa
traversée du désert qui constitue le théâtre des actions du récit de On dirait le sud, l’intrigue
se construit essentiellement entre les lieux qui lui sont permis, interdits ou prescrits.

Sur le modèle du carré sémiotique, les sémioticiens ont construit un carré sémiotique en
opposant sur l’axe des contraires les lieux interdits aux lieux prescrits et lieux libres aux lieux
permis. Sur l’axe des contradictoires les lieux interdits aux lieux permis et les lieux libres aux
lieux prescrits.

Neil habite le Nord, avec tout ce que cet espace inclut comme valeurs et mode de vie. Sa
vie dans cet espace est un séjour prescrit par son origine, par devoir conjugal et social, c’est
un espace hérité, imposé et non pas choisi. Le narrateur le présente au début du récit comme
étant « un garçon issu d’une famille aisée, aux traditions toutes tracées, aux convenances
biens établies et aux directives imposées » (p.29). Cet espace dicte au personnage un
comportement qui n’est pas forcément compatible avec ses convictions, le privant ainsi de sa
liberté, raison pour laquelle il opte pour le désert, espace sensé lui restituer sa liberté : « pour
la liberté » avait-il répondu à ceux qui se sont interrogés sur son choix de partir pour le désert.
Le désert représente pour le personnage un espace libre dans lequel il a la possibilité de
circuler, de rencontrer d’autres personnages permettant ainsi à l’intrigue d’évoluer. Le désert,
dans son immensité est un lieu libre pour Neil, exception faite pour l’oasis de laquelle il a été

62
banni en raison de son offense aux lois de la tribu. En revanche, la cabane du point B114 est
un lieu auquel le personnage peut accéder en toute liberté, pour lui c’est un lieu permis.

De la sorte, se construit entre les quatre points cardinaux de l’espace représenté dans On
dirait le sud un carré d’oppositions, qui fournit le modèle de construction de la fonctionnalité
topologique de ce roman, autrement dit, son modèle toposémique. Dans ce carré, l’axe des
contraires oppose l’oasis au Nord (interdit versus prescrit) et le désert à la cabane du point
B114 (libre versus permis). L’axe des contradictoires oppose le Nord au désert (libre versus
prescrit) et l’oasis au pointB114 (interdit versus permis). L’axe des subalternes relie l’oasis au
désert représentant deux destinations dans lesquelles le personnage Neil fait escale, et le Nord
au point B114 représentant le point de départ du personnage et son point d’arrivée.

Il est évident que l’intrigue de On dirait le sud se construit principalement à partir non
seulement des déplacements du personnage dans l’espace mais aussi des liens complexes que
celui-ci tisse avec son milieu vital. Qu’ils soient d’exclusion ou d’attraction, les rapports du
personnage avec l’espace s’inscrivent dans leur sémantique même, déterminent le destin de
Neil et servent de support au récit.

Oasis Nord

Contraire

Contradictoire

Désert Point B114


63
.Répartition des espaces parcourus par Neil

La reconstitution de la répartition des espaces dans le récit atteste d’un sérieux travail
d’écriture accompli par de l’auteur ce qui exclut la part du hasard dans son œuvre. En
disposant les espaces de cette manière, le romancier est loin de réponde à une démarche
aléatoire, au contraire, il effectue une sorte de codage, un agencement complexe que seule une
lecture sémiologique pourrait en déceler les méandres. C’est de cette rigueur des relations que
les espaces entretiennent entre eux et avec les personnages que le roman acquiert toute son
harmonie et son efficacité. Chaque espace constituant un pole du carré inclut tout un ensemble
de valeurs, d’interdits et de devoirs auxquels le personnage doit se plier.

Dans le récit de On dirait le sud, c’est la volonté de transgresser ces règles et devoirs
topologiques qui est à l’origine du déséquilibre dans la situation initiale et du déclenchement
de la machine narrative. En effet, Neil vit dans un espace (le Nord) qu’il subit. La diégèse
surgit de son refus d’une condition de vie qui devient encombrante, d’une envie de
transgresser les lois oppressantes, d’une envie de partir à la recherche de soi et une réalisation
de soi, une réconciliation avec soi qu’il pourra réaliser par le biais de sa traversée du désert.
Son arrivée au lieu de sa quête est un retour vers l’inertie, restituant ainsi au carré topologique
sa permanente intégrité.

Nous observons dans On dirait le sud plusieurs transgressions des interdits locatifs : en
effet Neil a transgressé les lois de la société qui l’obligeaient à se plier à certaines directives
telles que le devoir conjugal et familial. Mais ce qui le pousse à partir c’est le fait de vivre
dans une espace qui le brime et qui le prive de liberté, « pour fuir les sens interdits et les
interdits de sens, pour parler et crier sans reproche » (p.29). La révolte du personnage contre
les lois de sa propre société se traduit au niveau de la diégèse par un changement d’espace.
« La liberté de parler » ou la liberté d’expression est directement attachée à l’espace, l’espace
acquiert dans ce cas une dimension idéologique.

64
Deuxième transgression d’interdits locatifs nous la notons lors de l’arrivée du personnage
à l’oasis : après un retour du récit à la stabilité, la transgression des lois de la tribu par le
personnage l’oblige une fois encore à changer d’espace relançant ainsi le récit. On dirait que
le récit continue tant que le personnage est en déplacement, c’est donc l’espace et non pas le
personnage qui est le noyau générateur de récit.

Cependant, selon Mitterrand, la constitution du carré sémiotique est manœuvre vaine si


elle ne fait pas l’objet d’une interprétation, c’est-à-dire que l’analyste doit établir un modèle
de la combinatoire lieu-idéologie ; mais ce travail « ne prends tout son intérêt que s’il
débouche sur une interprétation, sur une hypothèse touchant le sens des formes »40. Dans ce
cas, le questionnement suivant s’impose à nous : la construction et les multiples fractures du
carré topologique dans On dirait le sud, prennent-elles une cohérence et une signification
idéologique ?

2. Espace et idéologie dans On dirait le sud :

Selon Mitterrand, une réflexion sur la fonction du lieu romanesque doit déboucher sur un
repérage des présupposés implicites, c’est-à-dire sur une idéologie. Suivant ces propos, nous
allons nous intéresser au soubassement idéologique qui sous-tend le roman de Mati, par où
l’on reviendrait, en fin de compte à une lecture thématique du texte en dégageant les
principaux thèmes abordés par l’auteur.

L'idéologie peut se manifester dans n'importe quel texte littéraire même si ce dernier tend à
cacher "son activité discursive", et le texte que nous abordons n’échappe pas à ce constat.
Dans ce cas de figure, le circonstant spatial devient non seulement, la matière, le support, le
déclencheur de l’évènement mais aussi et surtout l’objet idéologique principal. A propos du
rapport espace-idéologie, Charles Bonn affirme dans Problématiques spatiales du roman
algérien, que « l’espace emblématique et métaphorique est cher au discours
idéologique […] Le texte littéraire dit ce que seule l’analyse des non-dits du texte politique

40 H. Mitterrand, op.cit. p.206.


65
permet d’y déceler. Il est par rapport au discours politique l’envers, la profondeur onirique en
fonction de laquelle ce discours, sans le dire, se construit. »41. D’où l’intérêt que nous portons
particulièrement au projet idéologique de l’auteur et qui se dissimule dans son écrit par le
biais de techniques scripturales de manière à ne pas porter atteinte à la littérarité de son
œuvre. « Cet espace algérien est souvent l'enjeu de la rivalité entre discours idéologique et
littéraire, discours dont le présent ouvrage vise en partie à décrire l'articulation »42.

Pour nous, il ne s'agit point de considérer le texte comme un système clos se suffisant à
lui-même mais plutôt comme une réalisation linguistique qui nous permet d'accéder au sens
sous- jacent où se construit et se déconstruit un sens en perpétuelle gestation. A ce propos J.
Paul Sartre écrit: « L’écrivain pas plus qu'un autre ne peut échapper à l'insertion dans le
monde et ses écrits sont le type même de l'univers singulier laquelle totalité du monde se
manifeste sans jamais se dévoiler..."43.
La lecture du roman de notre corpus fait apparaître aussi bien dans le choix des espaces
convoqués dans le texte que dans leur traitement et dans les fonctions qui leur sont attribuées,
un certain nombre de convergences. Elles nous semblent significatives d’un état de société
dont la description a sous-tendu notre recherche qui s’est voulue attentive à ce que la
littérature nous disait à un moment donné, sur nous mêmes, sur notre époque et notre pays.
Sans doute n’est-il pas nécessaire de répéter que la littérature n’est pas le reflet du réel mais
on sait aussi que la société construite par les romans, pour partielle qu’elle soit, rend compte,
à sa manière, des perturbations qui affectent celle qui lui sert de référence et de façon d’autant
plus évidente que les œuvres de cette décennie confrontées à des bouleversements profonds,
privilégient une écriture caractérisée par la « lisibilité » et ce que Charles Bonn appelle le «
retour du référent ».
Cependant les valeurs dont se chargent les différents espaces peuvent varier selon le projet
du narrateur qui leur assigne une fonction essentielle dans l’entreprise de démonstration que
41 Ch. Bonn, op.cit.

42 Charles Bonn : Le Roman algérien de langue française. Vers une communication

littéraire décolonisée ? Paris-Montréal, L’Harmattan, 1985, 359 p.

43 J.P.Sartre : Troisième Conférence, Plaidoyer pour les intellectuels : La


Responsabilité de l’écrivain, 1946
66
sont souvent les œuvres : la fonction référentielle, figurative, quoique toujours présente dans
ces textes de facture traditionnelle, laisse très souvent la place à une fonction symbolique de
l’espace qui est ainsi l’un des lieux où se tisse le sens idéologique de l’œuvre.

Pour sa part, R. Barthes écrit que, quelle qu'elle soit, l’écriture suppose une problématique
du langage et de la société.
Mais avant d’aller plus loin dans notre analyse, nous estimant nécessaire de définir
d’abord le terme d’idéologie. Selon Robin l’idéologie du texte: « c’est le processus de
textualisation, d’esthétisation et d’idéologisation de l’écriture sur la matière verbale
cotextuelle (…) le travail du texte écrit et désécrit ce que les autres instances idéologiques
disent de façon univoque. »44. L’œuvre littéraire de Dj. Mati exprime un savoir et une
idéologie dans le sens que L. Althusser donne à ce dernier mot, lorsqu’il commente et
approfondit L’idéologie Allemande de Marx: « dans l’idéologie est représentée donc non pas
le système des rapports réels qui gouvernent l’existence des individus, mais le rapport
imaginaire de ces individus aux rapports réels sur lesquels ils vivent »45.
Prenons pour exemple un des espaces représenté : la ville .Cet espace n’est pas
véritablement décrit ni nommé, mais il est plutôt suggéré par ce qui s’y produit. L’idéologie
qui sous-tend tout le roman se trouve spatialisée dans la mesure où elle s’exprime par le biais
d’un lieu dont la fonction narrative est de servir de déclencheur de fiction du fait qu’elle
pousse le personnage à se déplacer et par conséquent elle est génératrice de récit. Dans les
propos formulés par le personnage Neil, en guise de réponse à ceux qui lui ont
demandé « pourquoi avoir choisi le désert? » le narrateur saisi l’occasion d’introduire dans le
texte ses considérations et sa position par rapport aux idéologies dominantes dans la société,
faisant investir de façon massive le texte par l’idéologie et ces lieux sont appelés par Hamon
des « foyers normatifs ».
L’énoncé qui s’étend de la page 29 à la page 30 a particulièrement attiré notre attention car
l’énonciation est sans doute l’un des points privilégiés de l’affleurement de l’idéologie,
compte tenu de notre objectif qui porte sur un dépistage du projet idéologique de l’auteur-
narrateur à travers son mode d'énonciation, c’est-à-dire de sa visée initiale, de ce qui le

44R. Robin, in, La politique du texte, Pour Claude Duchet, Presses


universitaires de
Lille, 1992, p.118.

45 L. Althusser cité par H. Mitterrand, op. cit. pp. 124,125.


67
motive, le meut non seulement au niveau diégétique, narratif, mais aussi axiologique, du
discours sur le monde qu’il tend à inscrire. Si cet extrait nous renseigne à la fois sur le
narrateur et sur son héros, il donnera aussi aux autres personnages l’occasion de se révéler, au
moins en partie, au lecteur.
Cependant, la tentation, à laquelle il ne faudra pas céder, de lire la description de l’espace
comme une représentation du pays, est favorisée par certaines données qui présentent des
similitudes qui font que cette lecture s’impose à nous, et le fait de les ignorer nous fait courir
le risque de passer devant des éléments importants et essentiels à la compréhension de
l’œuvre. Comme chez la plupart des écrivains algériens, l'Algérie est le référent principal, car
l'action s'y déroule. Nous allons aborder les principaux thèmes abordés par Mati qui servent
de support à son activité discursive à travers laquelle se déploie son idéologie.

L’enfermement :
Au cours de notre étude, nous avons relevé, la circularité comme figure récurrente dans le
récit de Mati, cette figure est synonyme d’enfermement. Nous avons constaté également que
les espaces mis en texte, sont, dans leur totalité des espaces fermés. Ce choix effectué par
l’auteur n’est surement pas gratuit : l’enfermement et la claustration sont les thèmes dominant
du texte de Mati.
Loin d’être une simple histoire personnelles de deux personnages (féminin et masculin),
le texte de Mati est une dénonciation de la condition dans laquelle vit la jeune génération
algérienne sous la dictature d’un pouvoir totalitaire. C’est un tout un pays qui se transforme
en une prison.
Le personnage Neil évolue dans un lieu qu’il aspire à quitter immédiatement et qui se
trouve en partie représenté par le lexique utilisé « peur, reproches, directeurs, traceurs,
convenances, conformisme, etc. » (p.29), c’est un lieu où s’est instauré un rapport de force,
une relation conflictuelle défavorable au personnage. Cet espace est déjà évalué négativement,
et caractérisé par la dysphorie. Le personnage dit vouloir le quitter « pour la liberté », cela
sous-entend qu’il n’est libre là où il vit. Il voudrait également « parler et crier sans
reproche » : cet énoncé est une dénonciation directe du manque de la liberté d’expression.
Prenons pour, à titre d’exemple, la description faite de la montagne des damnés : le tableau
peint par le narrateur représente « des nabots » qui se tiennent devant « le force suprême qui
[leur] dicte les paroles sacrées qu’ [ils] doivent accepter et subir sans [se] poser de question ».
Cette force, appelée également « MOI » oblige les nabots à se prosterner devant elle en les
68
qualifiant de « misérables vermines, minables nabots… ». L’homme qui se présente aux
nabots comme étant La Force Suprême « se lance dans une violente diatribe contre le peuple
nain ou il est surtout question d’abstinence, d’offrandes, de servitudes et de sacrifices et de
dogmes rituellement immuables, incontestables », dans ses pamphlets, le despote « remémore
les attitudes et les dispositions à prendre tous les jours dans les rituels du manger, boire,
marcher, s’habiller, dormir, forniquer, prier ; de refuser toute évolution, de ne croire en rien
d’autres qu’en ce qui leur est enseigné à coups de bâtons et de talions « » (p. 119). Le
narrateur met en scène un gouverneur dictateur qui réprime ses subordonnés, les tient
prisonniers dans l’espace de la montagne, les privant de leurs libertés, et en faisant avorter
toute forme de révolte ou une volonté d’évolution ou de progrès du fait que cela représente
un danger pour sa suprématie.
Zaina est prise de pitié pour les habitants de la montagne des damnés et le narrateur, par
les qualifiants qu’il utilise pour décrire les nabots, semble adopter la même position que son
personnage en laissant transparaitre une note de pitié « miséreux, petits corps, trembler de
peur, pauvres nabots, blafards, implorant, malnutrition, déchéance mentale ; égarés par la
hantise, … ».
Ici la dénonciation devient nommément politique, dans la mesure où elle désigne les
détenteurs du pouvoir et l’attitude despotique qu’ils adoptent vis-à-vis de leurs peuples. Le
narrateur adopte un point de vue critique par rapport au totalitarisme des détenteurs de
pouvoir qui font en sorte que leurs peuples restent aliénés en faisant en sorte que leurs esprits
soient « abreuvés de mensonges, de contradictions, d’interdits, de croyances aveugles,
d’atavisme destructeur, et de soumission absolue » (p.121).
Le monde fermé représenté par Mati est placé sous le signe de l’interdit : de parler, de
s’exprimer, de penser, d’évoluer, de progresser enfin, de vivre. Seule échappatoire pour ces
aliénés : la drogue, à l’instar du personnage Zaina qui se shoot au chanvre indien pour oublier
ses tourments, c’est d’ailleurs cette plante avec d’autres plantes hallucinogènes qui constituent
l’activité principale du peuple habitant la montagne des damnés.

La glorification du passé :

Les personnages de On dirait le sud, trouvent une issu par laquelle ils arrivent à sortir de
l’enfermement et la claustration que leur fait subir l’espace : devant un présent absurde et un
avenir incertain, les personnages n’ont d’autres moyens que se tourner vers le passé, un passé
69
glorieux ayant caractérisé l’espace dans lequel ils vivent maintenant, et une Histoire des
ancêtres parfois idéalisée. Le souvenir des temps heureux réussit à extraire les personnages à
leurs geôliers ne serait-ce que durant de brèves moments. Le narrateur représente un passé
caractérisé essentiellement par l’euphorie contrairement au présent qui est dysphorique : le
personnage du nain qui prend en charge la narration du passé de la région à Zaina, lui
explique qu’avant la venue du dictateur qui les gouverne « les nabots étaient des personnes
normales […] les gens vivaient et riaient beaucoup » (p121). Cette évocation du passé fait se
superposer et s’opposer deux montagnes : celle du passé et celle d’aujourd’hui. Le narrateur
glorifie le passé et le privilégie par rapport au présent, et le roman de Mati n’est pas une
exception, c’est pratiquement le cas dans beaucoup de romans algériens. Cette fuite vers le
passé est un refus du présent, un refus des conditions dans laquelle vit la jeune génération, un
refus du joug du totalitarisme. En prenant pour référent l’Algérie, ce passé serait celui de la
guerre de libération et les premières années d’indépendance, il pourrait s’agir également de la
période anté-coloniale. Le responsable de ce changement de condition est « un homme
accompagné d’un immense nuage de souffre au dessus de sa tête » (p.121). Comme on le voit,
les responsabilités ne sont pas bien délimitées et si cet « homme » renvoie au système mis en
place après l’indépendance, caractérisé ici par une parole inefficace (pamphlet, sermon…), le
reste (faim, prison, torture…) renvoie au système colonial sans que le texte n’établisse de
distinction entre l’un et l’autre système, confondant et diluant les responsabilités.

La glorification de l’espace paysan :

L’espace figuré par les romans de Mati est essentiellement rural, le monde paysan y étant
privilégié pour des raisons d’ordre moral comme c’est très souvent le cas dans la littérature
algérienne où on oppose à la corruption des villes l’« authenticité » des campagnes.
L’hospitalité par laquelle Neil a été reçu par les habitants de l’oasis est garante de ceci.

Quand le récit aborde l’opposition nord / sud ce qui correspond à l’opposition


ville/compagne met en relief l’idée que c’est la ruralité qui est garante de « l’authenticité »,
car l’espace paysan est également le lieu où les us et coutumes des anciens ont été préservés,
« nous avons gardé nos traditions et notre culture » affirme le chef de la tribu. Le narrateur
met sous nos yeux un personnage admiratif, devant la vie des gens du désert, « admiratif

70
devant ce mode de vie millénaire, si simple à vivre, tellement en harmonie avec le désert »
(p.47)

Aussi pour des raisons plus politiques, la campagne étant présentée comme le moteur de la
révolution et cette « valorisation des sommets » se situe aussi à un niveau idéologique. Le
discours idéologique de l’auteur ne peut se passer, pour être crédible dans le discours social,
d'une légitimité qu'il ne trouve que dans cette inscription historique hors de la ville.

Le narrateur accorde à l’espace paysan plus d’importance et plus de volume dans la


description : alors qu’il ne donne que de vagues informations sur la ville d’où vient Neil, il se
lance dans une description détaillée et assez réussie de l’oasis en laissant libre court à son
imagination. Cette importance du rural est à mettre en rapport avec le discours idéologique
longtemps dominant marqué par l’exaltation de la paysannerie, surtout pour les œuvres les
plus transparentes, où la fiction sert de prétexte se laisse envahir par le discours du narrateur.

Cependant, le texte de Mati fait preuve, à la fois d’une certaine modernité au niveau de la
forme, et un travail intéressant au niveau de l’écriture, cela n’excluant pas, pour autant la
primauté donnée par le discours aux valeurs paysannes ; le récit se charge alors d’une tonalité
passéiste car la ruralité se confond souvent avec un passé idéalisé face à un présent
disqualifié.

Idéologie religieuse :

L’ouvrage de Mati est fortement sous-tendu par une idéologie religieuse. Ainsi, en
différents points du texte, en des moments peints comme particulièrement douloureux, c’est le
recours à la prière qui apparaît comme la seule façon de ne pas sombrer. C’est entre autres le
cas d Zaina qui « essaie de s’accrocher à quelque chose de plus fort […] elle puise son
courage dans la croyance » (p.175), « elle prie aussi fort qu’elle peut » (p.176). Le personnage
fait l’apprentissage de la prière avec l’aide de Noure, « elle venait enfin d’apprendre les
arcanes de la prière. » (p.179). Cependant, le discours religieux qui sous-tend le roman n’est
pas toujours connoté positivement. Dans le récit, le discours religieux sert de garant et de
caution pour le discours politique du dictateur qui gouverne le peuple des nains, habitants de
la Montagne des damnés, et l’utilisation d’un lexique relatif à la religion atteste de nos
propos : la scène qui représente les nabots qui marchent « en trainant les pieds, dans un
silence hypnotique. Il en sort de partout, de tous les trous, ils sont maintenant des milliers à se
71
mouvoir, sans se parler, ni se regarder » (p.118) ; cette scène nous rappelle étrangement la
scène de l’apocalypse décrite par le récit coranique. Nous repérons ici une intertextualité entre
le texte de Mati et le texte coranique.
Pour exercer sa dictature l’homme à la barbe noire se fait passer pour « la force
suprême », pour Dieu « qui dicte les paroles sacrées que [les nabots] doivent accepter et subir
sans se poser de questions » (p. 118) ; il est question dans son «sermon », « d’offrande,
d’abstinence, de servitude, de sacrifice. Et il est dit aussi que les pauvres nabots mécréants ne
devrait s’attendre à aucune récompense dans ce bas monde » (p.118). Ce récit est la
dénonciation la plus directe du détournement et de la corruption du discours religieux pour
des fins politiques ; une allusion est faite aux évènements qu’a connus le pays au début des
années 90.

La condition de la femme :

On dirait le sud est d'abord la dénonciation la plus directe de la situation de la femme.


Prenons exemple de l’espace dominant du récit : le désert. Le narrateur met en scène un seul
espace mais avec deux perceptions différentes, l’opposition euphorique/dysphorique se
superpose à celle personnage masculin/ personnage féminin. En effet l’univers de Zaina est un
univers plus que fermé, il est cauchemardesque, chaotique.

Les deux espaces principaux dans lesquels évolue Zaina sont : la cabane et la rue. La
cabane représente le foyer, mais contrairement à ce que ce terme peut évoquer comme notions
de bonheur et de stabilité, la cabane du point B114, est pour le personnage féminin du récit un
espace dysphorique. Dans cet espace, elle réduite par son compagnon au rang d’animal, le
terme « femelle »est utilisé pour la qualifier. Le monde dans lequel vit Zaina « le mot femme
est banni, maintenant, nous les appelons femelles, toutes sont porteuses de vice et de
perversion »

Mati n’est cependant pas le premier romancier algérien à aborder ce thème. Beaucoup de
romanciers l’abordé par l’écriture, comme Boudjedra dans La répudiation. Au lieu de
nommer la blessure, le récit romanesque prend la condition de la femme pour point de départ
d'une narration qui déploie le temps à partir d'elle.

72
3. L’actancialisation de l’espace :

D’après l’analyse nous avons menée, nous avons constaté que le circonstant spatial, dans
la fiction d’On dirait le sud, est à lui seul la matière, le support, le déclencheur de
l’évènement et l’objet idéologique principal.

En effet, l’espace constitue une matière consistante qui fait contribue à elle seule, en
grande partie à la construction du récit, « ce désert est le décor autour duquel tout doit se jouer
et tout doit se rejoindre » (p.166). Nous pouvons dire que la fiction de On dirait le sud est le
récit d’un espace : l’espace fictif du roman de Mati n’est défini dès le début du roman, il se
déploie progressivement, se subdivise à partir d’une variété de positions et de dispositions. Ce
dispositif fait de l’espace une histoire qui a un début, une évolution et une fin. Cela conduit à
dire que l’espace devient l’équivalent de la fiction.

Comme nous l’avons démontré, l’espace dépasse de loin la simple fonction de décor, il
devient une forme qui gouverne par sa structure propre, et par les relations qu’il engendre, le
fonctionnement diégétique et symbolique du récit, il ne peut donc rester l’objet d’une théorie
de la description alors que le personnage, l’action et la temporalité relèveraientd’une théorie
du récit selon les dires de Mitterrand. En effet, depuis le roman réaliste, l’espace est
narrativisé au sens précis du terme : il devient une composante essentielle de la machine
narrative. De là, on peut parfaitement parler d’actancialisation de l’espace.

L’objectif poétique de Mati consiste à mettre l’homme et l’espace sur un point d’égalité.
L’espace dépasse de loin la simple fonction d’objet de quête. Il devient aussi le sujet de la
quête dans le cas où l’homme subit totalement son attraction. Nous avons mentionné plus haut
comment le guetteur, pendant les moments de la contemplation, se sent pris par le charme du
paysage au point de la dépossession de soi. Ce qui veut dire que le rapport de l’homme et de
l’espace est du type horizontal et non pas vertical. C’est un rapport qui favorise le dialogue et
l’échange. Pour cela, l’espace de Mati a mérité la qualification d’actant qui a un pouvoir
effectif sur les autres. L’espace n’est, alors, jamais un simple décor, ni un habitacle neutre. Il
est une composante autonome voire une instance narrative. C’est pour cela qu’il faut tenir
compte de son rôle actif. L’espace n’est plus un contenu mais une forme qui « gouverne,
comme le dit Henri Mitterrand, par sa structure propre, et par les relations qu’elle engendre, le

73
fonctionnement diégétique et symbolique du récit »46. C’est dans ce sens que l’espace fictif
fonde le récit de On dirait le sud.
Les lieux décrits et représentés par le langage sont également les lieux de foisonnement de
l’idéologie de l’auteur. Le roman de Mati obéit à la tradition romanesque algérienne qui fait
du texte un espace où s’investit d’une manière massive l’idéologie de l’auteur.
La démarche thématique que nous avons adoptée, nous a permis de nous faire une idée
précise des rapports qu'entretient Djamel Mati avec les idéologies dominantes. Des idéologies
qu'il semble accuser, de manière plus ou moins "voilée", d'être responsables d'une situation
gangrenée, génératrice tant d’aliénation que de violence. Nous avons constaté, ci- haut, que le
récit de Mati est construit suivant une vision du monde bien déterminée : celle de la
contestation des pouvoirs totalitaires.

46 Mitterrand, op. cit. p. 193


74
CONCLUSION GÉNÉRALE

75
L’espace et ses différents aspects sont largement présents dans l’œuvre romanesque de
Djamel Mati. Il suffit de lire le titre sur la couverture du livre pour en mesurer l’importance et
la place primordiale qu’il y occupe. La description des lieux et des paysages devient l’objet
dominant de son œuvre. Elle interpelle le lecteur qui s’interroge sur l’enjeu de la description
spatiale dans le roman que nous avons abordé. Celle-ci n’est plus en effet un élément
secondaire dans la génétique du récit, elle s’avère au contraire un principe fondamental de sa
constitution, tout en occupant son premier plan. C’est elle seule qui prend en charge la
mission de relater l’histoire par la mise au jour de certains faits naturels considérés comme
des signes prémonitoires. La description se substitue donc à la narration. Raison pour laquelle
le rôle des personnages en tant qu’actants se voit diminué.

L’espace et ses éléments constitutifs ont donc été l’objet de notre étude. Outre qu’ils
construisent l’espace romanesque, ils esquissent les caractères de l’espace rêvé de l’écrivain.
Pour donner une justification raisonnable à ce processus d’écriture, l’écrivain a placé son
personnage dans un lieu qui lui est étranger. La fiction de Mati s’ébauche par un mouvement,
c’est-à-dire par un personnage en voyage. La description des lieux non familiers et du paysage
étranger devient dans ce cas évidente. Le voyageur décrit en mettant les perceptions
sensorielles en éveil, parce que ce sont les cinq sens qui assurent la connaissance et la
découverte du monde. En marchant, il jette son regard sur le monde extérieur et décrit
subtilement les éléments de sa configuration. Rien ne lui échappe, la marche et le
déplacement d’un point à un autre lui permettent de bien les repérer. La description n’est pas
gratuite ; elle prend une place dans l’instauration de l’histoire. Nous pouvons dire que
l’espace ne se réduit jamais aux décors de l’œuvre. À l’opposé, il produit de la fiction, d’où le
grand intérêt accordé à sa description.
Nous avons procédé dans un premier temps à une démarche descriptive et la
représentation de l’espace dans les romans de l’écrivain a été notre point de départ. Cela nous
a permis à la fois d’apprécier la manière dont Mati présente l’espace et de déceler les secrets
de son style, il nous a, alors, paru nécessaire de relever la structure de l’espace fictif. En
partant des notions portées sur l’espace géométrique, dimensionnel, topologique et
topographique, nous avons pu déterminer la forme, la figure, le volume des lieux inventés.
Nous avons remarqué que l’écrivain préfère, dans la création de son monde imaginaire,
retourner aux figures de style. L’image qu’il donne est celle d’un monde à l’image de
l’homme.

76
L’homme et le cosmos se communiquent dans une seule phrase grâce aux figures de style.
Nombreuses sont encore ces figures dans l’œuvre romanesque de Mati, mais notre attention
est allée uniquement à la recherche de la comparaison et de la métaphore. Celles-ci sont
limitées encore par l’anthropomorphisme dont l’objectif est l’abolition de toute frontière entre
les différents objets du monde réel y compris celle entre l’homme et l’univers. Vu comme un
être animé, l’espace fictif est donc doué d’une « vie » et d’une « âme ». Il n’est plus le lieu de
projection des sentiments du sujet sur lui, mais plutôt un actant agissant d’une manière
remarquable sur le personnage.
Outre la suppression des limites, l’écriture de Mati propose un autre moyen apte à
concrétiser la fusion de ces deux éléments essentiels de son projet poétique : la contemplation
livre l’observateur au cosmos et le laisse confondre facilement aux forces cosmiques. Le
romancier aspire dans cela à minimiser le sentiment d’étrangeté à l’égard du monde, à cesser
de le sentir autre mais à se l’incorporer.
Nous avons essayé dans le deuxième chapitre de notre travail d’expliquer la nature du
rapport entre l’espace et d’autres instances narratives. Dans notre cas, il s’agit des
personnages. Notons que le premier rapport s’accomplit en un rapport de transgression
conduisant dans le récit au déclenchement de l’action. Puisqu’ils assument la responsabilité
d’établir le contact avec l’univers, les cinq sens sont mis en alerte. Ils sont à vrai dire l’origine
de la perception spatiale. Sous cet angle, l’espace devient une question de perception :
observer les manifestations d’aura, sentir ses odeurs, identifier ses couleurs deviennent la
tâche du personnage. Le lieu produit des effets sensoriels sur lui auxquels il répond par des
sentiments de joie ou d’angoisse. Ce contraste, nous l’avons abordé sous le couple euphorique
vs dysphorique. Ainsi la fiction se tisse-t-elle depuis les sentiments et les sensations que le
héros a éprouvés.
L’étude des différentes figurations de l’espace dans le roman de Mati, aboutit à une
lecture idéologique de l’œuvre, notre analyse a donc aboutit sur une lecture des thèmes
abordés par l’écrivain et qui se trouvent tous en étroite relation avec notre société et avec
l’histoire et la condition de notre pays. De l’histoire de l’Algérie, à la situation de la femme
algérienne en passant par les caractéristiques de la société dans laquelle vit l’auteur-narrateur,
la fonction ornementale de l’espace cède très souvent la place à une fonction symbolique qui
est ainsi l’un des lieux où se tisse le sens idéologique de l’œuvre.
A la fin de notre analyse, nous avons constaté que l’espace dans le récit que nous avons
abordé sort du moule de circonstant dans lequel on a tendance à la réduire pour se placer au
77
même pied d’égalité avec le personnage, la temporalité ou les actions et il devient une
instance narrative à part entière ; l’espace chez Mati mérite amplement le titre d’actant,
jouissant d’un réel pouvoir sur les autres composantes de la fiction. Bien qu’écrit au 20ème
siècle, le roman de Mati s’inscrit dans la tradition romanesque des années 80 et n’a pas fait
preuve de beaucoup d’originalité dans le traitement de l’espace tant au niveau formel qu’au
niveau thématique.

Résumé :

Dans la présente étude, nous nous sommes proposée d’étudier la notion de l’espace
romanesque dans le roman de DJ. Mati, On dirait le sud, paru en 2007.

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Le premier chapitre a été consacré à la mise en texte de l’espace. Nous avons tenté une
approche sémiologique en répondant aux trois questions posées par J.P Goldenstein pour
analyser l’espace dans un roman à savoir : où se passe l’action? Cette question nous a
conduite à rendre compte de la géographie du roman ; comment ? Nous a conduite à analyser
les techniques d’écriture mises en œuvre par l’auteur permettant de représenter l’espace ;
pourquoi ? Nous a conduite à nous interroger sur les différentes fonctions de l’espace dans le
roman.

Dans le deuxième chapitre, nous nous sommes intéressée au réseau de relations que
l’espace entretient avec les autres instances narratives et essentiellement les personnages, car
selon Bourneuf, l’espace romanesque ne requiert tout son sens que par la relation complexe
qu’il entretient avec les personnages qui évoluent en son sein. Nous avons, donc étudié ce
réseau de relations dans le but d’en dégager la dimension symbolique.

Quant au troisième chapitre, il a été consacré à l’espace topographique en tant qu’espace


d’énonciation. Nous avons tenté de démontrer comment l’espace peut déterminer l’orientation
du discours dans le roman. L’étude de l’espace dans le roman de Mati, nous a conduite, en fin
de compte, à une lecture idéologique de cette œuvre car la description de l’espace se double
ici d’une fonction idéologique : « On voit mal, écrit Mitterrand, qu’une réflexion sur la
fonction du lieu romanesque ne débouche pas sur un repérage des présupposés implicites,
c’est-à-dire sur une idéologie - par où l’on reviendrait, en fin de compte, à la thématique ».

Nous également mis l’accent sur « l’actancialisation » de l’espace, c’est-à-dire, dans


quelle mesure on peut le considérer comme actant.

In the present consideration, we have proposed to study the concept of novelistic space in the
novel of Dj. Mati, On dirait le sud, published in 2007.

The first chapter was devoted to the writing of space, so we attempt a semiologic
approach answering three questions asked by G.P Goldenstein to analyze the space in a novel.
First question: where does the action take place? It leads us to analyze the geography of the
novel. Second question: how? This question leads us to examine the writing techniques using

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by the writer to represent the space. Third question: why? It leads us to wonder about the
different functions of space in the novel.

In the second chapter, we are interested in the network of realization that the space looks
after with the other narrative instances and specially, the personages, according to
Bourneuf « the novelistic space does not require all his meaning only by the complexes
relations with the personages developed in his breast » .So we have studied the network of
relations in the aim to clarify the symbolic dimension of space.

The third chapter was devoted to the topographic space as an enunciation space. We have
attempted to show how the space can determine the orientation of the speech in the novel. The
space studied in Mati’s novel had led us in the end, to an ideological reading of the novel, so
to a thematic reading.

Web also emphasize on the actancialisation of space (it’s the term used by Mitterrand): in
which measure we can considerate the space as acting.

‫ و المنشورة سنة‬On dirait le sud ‫لقد اقترحنا في عملنا هذا دراسة المحيط الروائي قي رواية جمال حناني‬

.2007

‫ لقد تطرقنا إلى هذا الجانب من الرواية بواسطة مقاربة سيميولوجية من خلل‬.‫الفصل الول منه خصص لكتابة المحيط‬

:‫الجابة على السئلة الثلثاة المطروحة من طرف غولدنشتاين و هي كالتالي‬

.‫أين تجري أحداث الرواية ؟ و من خل الجابة على هذا السؤال نكون قد تطرقنا إلى جغرافية الرواية‬ -

80
‫كيف؟ في هذه المرحلة تطرقنا إلى التقنيات الكتابية التي استعملها الكاتب لتصوير المحيط في روايته ‪.‬‬ ‫‪-‬‬

‫لماذا؟ في هذه المرحلة سنتناول بالتحليل الوظائف المختلفة للمحيط‪.‬‬ ‫‪-‬‬

‫في الفصل الثاني من عملنا‪ ،‬اتجه اهتمامنا إلى مجموع العلقات المعقدة التي يربطها المحيط مع باقي العناصر‬

‫السردية و بالخصوص الشخصيات‪ .‬يقول بورنوف في هذا الخصوص‪ >>:‬أن المحيط الروائي ل يكتسب كل معناه إ ل‬
‫ل من‬

‫<<‪.‬‬ ‫خلل العلقات التي يربطها مع الشخصيات التي تتطور بداخله‬

‫و هدفنا من هذه الدراسة هو تحديد البعد الزمني للمحيط‪.‬‬

‫ألما الفصل الثالث فقد تناولنا المحيط الروائي كمحيط للعرض و وصلنا من خلل هذا إلى قراءة ايديولوجية للرواية‪.‬‬

‫يقول ميتيران ‪ >>:‬أن عمل على وظائف المحيط الروائي يجب أن يتوصل في نهاية المطاف إلى الكشف عن ايديولوجية‬

‫الكاتب أي إلى المحاور المتناولة من طرفه <<‪.‬‬

‫و كنتيجة لبحثنا سنرى كيف يمكن للمحيط أن يلعب دور فاعل تماما كما هو الحال بالنسبة للشخصية الروائية‪.‬‬

‫‪Références bibliographiques :‬‬

‫‪Corpus :‬‬

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‫‪2007.‬‬

‫‪81‬‬
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