Le Shaker N 05 Haruki Murakami

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Septembre 2018 - ISSN 2607-2742

Le Shaker
(webzine)

Haruki
Mu
ra
ka
mi
Read me
Shake me
Share me
r e c e tte
du Shaker

Le Shaker, c’est pas seulement sur


l’auteur !

Des échos originaux, décalés, funs,


curieux, qui partent de l’univers de
l’auteur pour résonner vers d’autres
univers !

Le Shaker, ça parle de littérature, ciné et


séries TV, musique, histoire et société, jeux,
sciences...

On entrouvre des portes, à vous de faire le


reste !

Secouez tout ça pour obtenir le Shaker,


webmagazine qui passe au pressoir un auteur
surtout pour parler d’autre chose !
C’est quoi cette rubrique?
Echos : hier et aujourd’hui 1 Coup de sonar sur une époque, un lieu, un évènement,
etc.

Et si on s’en foutait de l’auteur, décortiquons son


In the style univers.

Qu’est-ce qu’il lui aurait dit? On leur a piqué leurs mots pour en faire des dialogues.

On vous raconte la fin ... ou pas. A vous de découvrir si on vous spoile.

On leur a piqué leurs mots pour en faire des dialogues.


Qu’est-ce qu’il lui aurait dit?
Coup de sonar sur une époque, un lieu, un évènement,
Echos : hier et aujourd’hui 2 etc.

Adaptations et dispersions On part tous azimuts: oeuvres adaptées, librement


inspirées ou liens tordus.

Vie de... A poil, l’artiste !

Les livres qu’il faut avoir lus Les 5 livres qui nous ont plu.

Coup de sonar sur une époque, un lieu, un évènement,


Echos : hier et aujourd’hui 3 etc.

Un thème qui s’éparpille dans tous les sens, effet liste


Shake it! shake shake !!

[Personnage] te parle Une citation qu’on a envie de vous partager.


M urakami Adaptati o n
Dispers s
vs Miyazaki

Nés au cours de la même


décennie, Haruki Murakami,
écrivain et traducteur, et Hayao Miyazaki,
dessinateur, réalisateur et producteur
de films d’animation, font partie de ses
rares japonais dont l’œuvre est connue en
Europe.

L’un par les mots, l’autre par l’image, ces


artistes transmettent des valeurs fortes
en tissant un univers particulier, une
toile variée de magie, de fantastique,
de science-fiction, et d’étrange. Citons
L’Etrange bibliothèque, 1Q84 (réalité
déformée, en référence à 1984 de George
Orwell), entre autres, pour Murakami
et… à peu près toutes les créations de
Miyazaki.

Autre point commun : les animaux. Doués


de paroles chez Miyazaki, d’anciens
humains parfois, ou des animaux qui se
comportent comme des humains. Porco
Rosso, (un pilote d’avion-cochon) jette
ses clopes un peu partout sans s’inquiéter des chats, souvent.
de polluer, mais c’est à peu près la
seule exception puisque les animaux
servent souvent à évoquer le respect de
l’environnement et dénoncer la perversité
humaine. Les animaux incarnent la nature
et l’évolution, et a contrario les humains,
la destruction, la cupidité et la sauvagerie.
Chez Murakami, des titres incluant des
animaux, des moutons à moitié humain
ou qui donnent des pouvoirs aux
humains, et
Adaptati o n
Dispers s
Filles ou femmes sont les héroïnes par une femme, pour faire la chasse aux
de l’univers Miyazaki. Autour hommes violents. Un bon coup de pied dans
d’elles, d’autres femmes tiennent une le patriarcat.
place importante. Princesse Mononoké
Marqués par l’enfance, Miyazaki et
et Dame Eboshi se volent la vedette,
Murakami le sont tous les deux. D’ailleurs,
toutes deux pleines de contrastes, comme
dans Mon voisin Totoro, la mère est atteinte
aime les dépeindre Miyazaki. Dame Eboshi
de tuberculose, comme le fut celle de
n’hésite pas à détruire la nature, elle est le
Miyazaki. Les avions, récurrents : son père et
miroir quasi inversé de San (la princesse),
son oncle travaillaient dans ce domaine ; la
élevée par une louve. D’un autre côté, Dame
guerre également (il est né durant la seconde
Eboshi s’occupe des lépreux et d’anciennes
guerre mondiale). De l’enfance solitaire de
prostituées, les femmes de la forge qu’elle
Murakami est ressorti un amour des chats
dirige, sans qui la ville ne fonctionnerait
et de lecture. La solitude est d’ailleurs l’un
pas. La forte présence des femmes est
de ses thèmes phares, presque à chaque coin
moins flagrante chez Murakami. Reste
de pages.
l’impression d’un monde inversé au nôtre
dans la nouvelle L’oiseau à ressort et les
femmes du mardi :
le protagoniste se
fait même harceler
au téléphone par
une nymphomane
et passe son temps
à accomplir les
corvées ménagères
; sa femme, qui
gagne bien sa vie,
y trouve un certain
confort. Dans 1Q84,
l’héroïne, Aomamé
est une tueuse à
gages, recrutée

Texte et illus : Cindy.


«
Oshima te parle «

« Nous perdons tous sans cesse des


choses qui nous sont précieuses,
déclare-t-il quand la sonnerie a enfin
cessé de retentir. Des occasions
précieuses, des possibilités, des
sentiments qu’on ne pourra pas
retrouver. C’est cela aussi, vivre.
Mais à l’intérieur de notre esprit
– je crois que c’est à l’intérieur
de notre esprit, il y a une
petite pièce dans laquelle
nous stockons le souvenir de
toutes ces occasions perdues.
Une pièce avec des rayonnages,
comme dans cette bibliothèque,
j’imagine. Et il faut que nous
fabriquions un index, avec
des cartes de références, pour
connaître précisément ce qu’il
y a dans nos cœurs. Il faut aussi
balayer cette pièce, l’aérer, changer
l’eau des fleurs. En d’autres termes,
tu devras vivre dans ta propre
2006 bibliothèque. »
Belfond (ebook)
Kafka sur le rivage Texte sélectionné par : Justine. Illu. : Cindy.
écho s hier
aujourd’hui

Auschwitz by Abel Francés Quesada (Flickr)


Le
sommeil fragmenté
ou « sommeil de Leonard de
Vinci »

C’est bien connu, Leonard ne s’arrêtait Ils répondent tout simplement aux signaux
jamais. Pour quelqu’un d’aussi créatif et de leur corps au moment où il en a besoin.
hyperactif, il fallait trouver un système qui
Et puis d’ailleurs, même les hommes n’ont
lui permette de demeurer alerte sans pour
pas toujours été soumis à ce sommeil
autant perdre trop de temps à dormir : qu’à
monophasique (d’une traite quoi). Nos
cela ne tienne, Leonard s’octroyait un
ancêtres eux aussi été réglés sur un modèle
quart d’heure de sommeil toutes les deux
de sommeil fragmenté, souvent en deux
heures et ça suffisait bien comme ça.
temps : une partie la nuit et une partie le
Et puis d’ailleurs a-t-on besoin de dormir jour. Si nous comptons de nos jours de plus
toutes ces longues heures chaque nuit ? en plus d’insomniaques, n’y aurait-il pas un
Est-ce vraiment le rythme naturel qui nous rythme de vie contre-nature à mettre en
convienne ? Ce sont des questions que cause ?
posent de nombreux chercheurs aujourd’hui
surtout au vu des comportements animaux
qui, à l’instar de certains singes par exemple,
sont les premiers à opter pour le sommeil
fragmenté.
On ne compte d’ailleurs plus les exemples
d’écrivains et de scientifiques de nuit (Kafka,
Einstein, …), au point que cela est devenu
un cliché de la créativité (et ça se trouve, longtemps à propos de ses nuits d’insomnies
ces créateurs insomniaques n’étaient en solitaires à lire et relire Anna Karénine, à se
fait que des dormeurs fragmentés !). En laisser emporter lentement vers une forme
termes scientifiques, on admet que ce de résurrection, elle qui, avant de plonger
cliché n’est pas infondé : certaines heures dans la vivacité des nuits insomniaques,
de la nuit sont plus créatives et constituent demeurait en suspens. Et si elle avait tout
une forme de libération nocturne. simplement trouvé son rythme à elle ?

Ah, si la narratrice de la nouvelle Sommeil de


Murakami avait su ça ! Peut-
être aurait-elle cessé
de culpabiliser si

hier
aujourd’hui
échos
B i e n
que le sommeil
soit de plus en plus Il y aurait plusieurs réponses
reconnu comme l’un des plus assez flagrantes : le rythme de la
grands médicaments de notre temps, nous journée de travail, l’harmonisation sociale
dormons de moins en moins, nous nous (bah ouais, faut avouer que la nuit y’a pas
forçons à nous coucher lorsque nous ne grand monde pour tailler une bavette du
ressentons pas la fatigue et à rester éveillé coup), etc. Prétextes ? Et si on brimait nos
quand nous aurions bien piqué un roupillon. besoins naturels et corporels au profit d’un
Pourquoi avoir cédé à ces longues nuits de rythme socialement induits ?
sommeil monocordes ?

Lire le numéro Kafka Texte : Justine. Illus par Johann.


Qu’est
qu ’est--cece ququ’elle
’elle enen aa ditdit?

Murakami vs Patti Smith dans M


Train
« « Il existe deux sortes de chefs-
d’œuvre. Il y a les œuvres
classiques, monstrueuses et
divines telles que Moby Dick,
Les Hauts de Hurlevent
ou Frankenstein ou le
Prométhée moderne.
Puis il y a ces textes où
l’auteur semble infuser
une énergie vitale
dans les mots tandis
que le lecteur est
secoué comme dans
une machine à laver,
essoré et suspendu
pour le séchage. Des
livres dévastateurs.
Comme 2666 et Le Maître
et Marguerite. Chroniques
de l’oiseau à ressort est
de ceux-là. À peine terminé,
immédiatement j’ai été obligée
de le relire. »
« J’ai ouvert un livre intitulé La Course
au mouton sauvage, choisi pour son titre
intriguant. Une phrase a attiré mon œil -
« un dédale de rues étroites et de canaux de
drainage ». Je l’ai acheté immédiatement, un
biscuit en forme de mouton à tremper dans
mon chocolat chaud. »
Qu’est
qu ’est--cece ququ’elle
’elle enen aa ditdit?
« Dans les semaines qui suivirent, je m’installais à
ma table en coin et lisais exclusivement Murakami.
Je ne levais la tête que pour aller aux toilettes et
commander un autre café. Danse, danse, danse
et Kafka sur le rivage ont vite suivi La
Course au mouton. Et puis, fatalement,
j’ai commencé Chroniques de
l’oiseau à ressort. C’est celui qui
m’a conquise, m’a lancée sur
une trajectoire impossible,
irrésistible, comme un
météore fonçant à vive
allure vers un secteur
terrestre aride et
parfaitement innocent. »
« Finalement je ne suis
pas allée à Kyoto. J’ai fait
une ultime promenade
en me demandant ce qui
arriverait si je tombais
nez à nez avec Murakami
dans la rue. Mais en réalité
je ne sentais nullement la
présence de Murakami à
Tokyo et je n’avais pas cherché
à localiser le jardin des Miyawaki,
dont le quartier ne se trouvait
pourtant qu’à quelques kilomètres
d’ici. J’étais tellement sous influence des
morts que j’en avais perdu le contact avec le
fictionnel.
De toute façon, Murakami n’est pas là, me suis-
je dit. Il est très certainement ailleurs, enfermé
dans une capsule spatiale au milieu d’un champ de
lavande, à travailler dur sur ses phrases. »

Illu p. 1 : Cindy. Illu p. 2 : Coralie. Sélection des textes : Justine.


écho s hier
aujourd’hui

Auschwitz by Abel Francés Quesada (Flickr)


Les
samouraïs

Guerrier d’élite, d’honneur,


cavalier d’exception, le samouraï consacre
sa vie au combat.

L’honneur, il est tenu de l’incarner sans


japonaise.
sourciller. Obéir à des principes moraux, sa
ligne de conduite. Le code auquel il se plie, L’arme la plus mythique du samouraï, c’est
le Bushido (voix du guerrier). S’il s’en écarte, le katana. Et pour tester son efficacité, on
sacrilège ! A lui de s’infliger le Seppuku, la l’expérimente sur des individus vivants,
mort par éventration (le ventre, siège du hé oui, juste pour être sûr. Il faut préciser
courage), le fameux Hara-kiri. Un samouraï que le samouraï collectionne les têtes de
ne plaisante pas avec l’honneur, ça non. ses ennemis. Une caboche est une preuve
Dans le Bushido : l’âme du Japon, Inazo à rapporter à son Général. Plus de têtes
Nitobé nous fait part d’anecdotes sur les = plus d’honneur = plus de récompenses.
hara-kiris systématiques, qui tombent C’est comme ça que ça marche.
parfois dans l’absurdité.
Son armure est une œuvre d’art. Efficace,
Loyauté, honnêteté, droiture. Le quoique lourde. Son casque d’ornement
Bushido, c’est aussi tout un programme qui souligne ses traits de caractère lui
d’entraînement : escrime, tir à l’arc, jujitsu, sert à effrayer ses ennemis. En 2011,
équitation, maniement de la lance, tactique, l’expo au musée du Quai Branly, à Paris,
et aussi calligraphie, éthique, littérature et « Samouraï », armure du guerrier, présentait
histoire. L’esprit et le corps. Les valeurs du cet équipement.
Bushido ont marqué la société
On ne devient pas samouraï comme ça.
Ni par passion, ni par aptitude. C’est
héréditaire, par le père. L’entraînement
Il a bel et bien existé des femmes samouraïs,
fera le reste. Ainsi les samouraïs sont une
les onna-bugeisha, qui ont évolué parmi
sorte d’aristocratie, de classe sociale à part
les machos samouraïs. Elles excellaient en
entière. Les privilèges qui leur sont accordés
archerie équestre et dans l’art de manier
vont dans ce sens : un samouraï a le droit
le Nagitana, équivalent du katana de leurs
de vie ou de mort sur le peuple… jusqu’au
homologues masculins. Un sabre à lame
déclin de cette caste, en gros à
courbée qui peut mesurer jusqu’à deux
cause de l’occidentalisation,
mètres de long. Il valait mieux ne
au 19e siècle. (précisions
pas les chercher.
période marquante?)

Et les femmes,
dans tout ça ?

hier
aujourd’hui
échos

Tomoé Gozen,
voici l’icône badasse des
samouraïs au féminin. Capitaine voisine de Fukushima, tsunamisée et
des troupes, elle a laissé un héritage culturel dévastée en 2011.
important au Japon. Une pièce de théâtre
Nô la met en scène, et le festival annuel des
âges (Jidai Matsuri) lui est consacré.

Les samouraïs ont aussi leur festival


équestre, dans la ville de Minamisoma,

Texte : Cindy. Illu p. 1 : Coralie. Illu p. 2 : Cindy.


qu’est-ce qu’il lui aurait dit ?

Michael Cunningham. Les


Heures. 2001.
« Emmène-moi avec toi. J’ai
envie de vivre un amour
tragique. Je veux des rues
dans la nuit, du vent et de
la pluie, et que personne
ne me demande où je
suis. »

« Je ne connais pas les


demi-mesures. il n’y a
pas d’intermédiaire en
moi : le juste milieu je ne
sais pas ce que c’est. Tu as
le choix entre me prendre
totalement, telle que je suis,
ou ne pas me prendre du tout.
C’est le principe de base. »
Haruki Murakami. Au sud de la
frontière à l’ouest du soleil. 2003.

Illu : Coralie. Sélection des textes : Sylvie


In the style

Ecriture 2.0
Les écrivains de l’ère Heisei au Japon ne
voient pas seulement l’arrivée de l’empereur
Akihito en 1989 ou l’usage généralisé du
calendrier chrétien. Leurs générations (celle
de Murakami) accompagnent le
développement de l’écrit horizontal
prononciation…). Les introspectifs et
(des textes techniques d’abord) et le
élitistes d’avant-guerre, pointilleux
renoncement progressif à l’enseignement
jusqu’à l’abscons voient reculer la subtilité
des idéogrammes d’origine chinoise.
stylistique. L’influence chinoise, avec ses
La démocratisation de cet apport codes de présentation des textes (en colonne,
technologique simplifie le métier d’écrivain, de haut en bas, de droite à gauche) se voit
comme d’autres. Elle fait bouger, une concurrencée par la norme occidentale. Le
nouvelle fois comme depuis des milliers romaji forme cette passerelle pour traduire
d’années, les lignes de cette langue dite les sigles internationaux, l’algèbre, les
agglutinante. Fini le temps consacré à adresses web, et sert à la retranscription
remplir les feuillets quadrillés de 400 phonétique avant le passage aux kanji
cases et à une distillation plus lente de pour l’édition finalisée.
l’imagination.
Revers de la médaille ? La
On s’affranchit de la rigueur un distance mise entre auteur et
rien élitiste du système cumulé éditeur : les 1990s voient la
des alphabets kanji (près de quasi disparition des cafés
2000 pour le quotidien), littéraires de Tokyo, lieux
katakana et hiragana, d’échange autour des
+ les indices de manuscrits. Les
corrections et les phonétique ultra
débats circulent par fax simplifiée vont au
puis par e-mail après 2005. cœur de la rédaction.
La fin des parutions par Une langue fonctionnelle
feuilletons fait diminuer les et standardisée peine à
équipes des revues littéraires. retranscrire les subtilités
psychologiques, accélère le
Paradoxalement, des lecteurs qui
rythme de rédaction, et bâtit des
se sentent plus proches d’auteurs
récits à la temporalité elle aussi
aux profils divers, rajeunis, parfois
raccourcie.
anonymes, traitent leurs œuvres comme
des produits de consommation. La Et les auteurs accueillent de manière
littérature Heisei peut tenter de compenser variable cette ingérence technologique
la superficialité stylistique par le recours dans l’élaboration de leur contenu ; certains
à des personnalités multiples, ou à des en valorisent le partenariat, d’autres
identités issues du passé, ou en quête d’une reprochent à la machine son manque
sensibilité authentique. de réactivité. Dans « La littérature peut-
elle renaître ?», la revue Gunzô articule ce
Car les répercussions de cette pensée
dialogue entre ancien (Shôno Yoriko) et
moderne (Akasaka Mari). Le premier voit
l’ordinateur une forme de maître fantasmé
dans une perspective quasi SM, quand la
seconde l’envisage presque comme un co-
auteur.

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In the style
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Texte : Sylvie. Photo p. 1 par Cindy. Illu p. 2 trouvée par Sylvie sur Pixabay.
Vie de Murakami
(1949)
Murakami, le plus américain des écrivains japonais ?
Fuyard du Japon jusqu’en 1995 (tremblement de terre de Kobé
et attentat de Tokyo) et de son succès jamais démenti depuis
les années 80, Haruki Murakami est au cœur d’un paradoxe.
Il pose problème à certains critiques littéraires, japonais ou
pas. Seuls les précurseurs d’un courant ne trahissent pas le
précédent ? Utiliser les outils
littéraires de son temps avec
fluidité éloigne l’authenticité ?
Faut-il constamment justifier ses
choix pour mériter son succès ?
Est-on forcément aigri si on ne
plonge pas dans son univers ou
qu’on le trouve formaté?

Murakami incarne avec


quelques autres (Yoko
Ogawa, Natsuki Ikesawa) la
littérature contemporaine du
Japon ; il cristallise une rupture
avec la jun-bungaku, littérature
plus élitiste de l’avant-guerre.
Son indifférence au pays natal sonne pour ces classiques
comme une trahison anti-national.

Surtout, il décline les codes de la culture pop mondialisée,


impérialisme « occidental » soft (ex : son Tokyo dans 1Q84 aux
allures de capitale européenne). « Murakami est un auteur
japonais qui écrit des romans américains » (Gilles Folenne).
Il en partage les influences. Jeune scénariste ciné, il a traduit
Fitzgerald ou Carver dont il assume la filiation stylistique,
rattachée volontiers au courant postmoderniste.
Que vaut un quotidien banal aux états d’âme ordinaires ?
L’ennui de ces personnages pourrait nous contaminer, si le
petit élément fantastique, folie anodine au départ, ne nous
tenait pas déjà en haleine. Et la mélancolie se construit une
issue plus ou moins enviable parmi les ego fragilisés, aussi
fragmentés que l’est parfois le récit. Ils peuvent réapparaître
d’un livre à l’autre (l’homme-mouton qui revient dans Danse,
danse, danse) ; on navigue dans des univers parallèles jouant
sur la distorsion temporelle. On observe des jeunes gens
ménager les traditions et les élans de leur époque, comme
dans La ballade de l’impossible.

On s’identifie paisiblement à ces narrateurs, si détachés et


lucides qui peuvent nous laisser en plan sur des dénouements
mystérieux après nous avoir embarqués vers du n’importe
quoi assumé et poétique. Et on a beau finir par reconnaître
certains mécanismes, on se refait couillonner tout pareil
de romans en nouvelles, otages volontaires de ce réalisme
magique ou franchement absurde.

On peut reprocher à Murakami son manque d’authenticité,


mais cet hybride recèle précisément des accès multiples de
compréhension et de sensibilité. Le coureur de fond goûte
aussi bien les récits sur plusieurs tomes que la micro-nouvelle,
et pas que les sentiers battus.

Vie de Murakami
(1949-) Texte : Sylvie. Photo p. 1 et 2 : Jane Lee.
Illu. p. 1 : Coralie.
écho s hier
aujourd’hui

Auschwitz by Abel Francés Quesada (Flickr)


« johatsus » :
les évaporés volontaires
au Japon

Johatsus comme « évaporés ». Ils


renoncent, s’éclipsent sans explication,
Le mythe est ancien au Japon, a inspiré
ou rarement, simulant un enlèvement
Gus Van Sant pour son film Sea
parfois. La journaliste Léna Mauger
of Trees (ou jukai), de cette forêt du mont
et le photographe Stéphane Remael
Fuji, l’Aokigahara réputée hantée par les
leur ont consacré un livre : Les évaporés :
âmes nombreuses venues s’y suicider.
enquête sur le phénomène des disparitions
Mais le processus s’est accentué avec les
volontaires. Imaginez 90000 disparitions
crises financières des années 1990 puis de
de cet ordre par an (soit en fait 0,08 % des
2008 ; la pègre est un créancier opiniâtre
128M de japonais).
qui motive à s’escamoter…
Une majorité d’hommes usés par
À la clef un tiers de suicides tout de
la pression professionnelle, cachant
même et peu de renaissances, comme dans
un licenciement ou une dette. Mais le
le roman de Thomas B. Reverdy. La suite
phénomène touche des citoyens de tous
de cette auto-punition d’un échec passe
âges, tous milieux sociaux, comme des
par le déclassement social et l’isolement
femmes qui fuient un mariage raté ou la
clandestin.
violence conjugale, ou des familles entières
qui « déménagent » en faisant prospérer
des filières où la discrétion est un business.
Aux proches restés en arrière la souffrance malédiction), la succession, compliquée
silencieuse et la patate chaude de la par l’absence de clarté administrative de la
honte face à ce tabou. Avec le soutien situation.
d’associations, la reconstruction peut-être
La prise de distance des fuyards est
(Senses, série de 5 films). Il faut renoncer à
rarement géographique. Ils atterrissent
retrouver l’évaporé d’abord ; en l’absence
surtout dans les quartiers biens réels mais
de suspicion criminelle, la police japonaise
non cartographiés de leur mégalopole (ex :
valide ce droit à la disparition. Ou se
Sania à Tokyo). Dans ces pôles de relégation
payer les services onéreux d’un
ces citoyens fantômes subissent l’hyper
détective privé. Il faut gérer
précarité, le travail journalier au
l’immobilier (relouer
bénéfice des yakusas.
le logement déserté
avant de le revendre,
ainsi lavé de sa

hier
aujourd’hui
échos

Se sont ajoutés depuis symboliquement l’écrasement


2011 les rescapés de la social qui les a ainsi réduits à
catastrophe de Fukushima, néant à la place qui leur était dédiée.
mal pris en charge par les pouvoirs Mais c’est tout le contraire d’une révolte ou
publics. Si une forme de débrouille solidaire d’une solution, puisqu’ils assument ensuite
existe entre marginaux, ce monde parallèle plus de misère sociale et de fragilité. On est
n’accueille pas une communauté. loin du cliché de la reconstruction zen à
l’abri des cerisiers en fleurs...
Cette démission ultime, cette protestation
individuelle et silencieuse mettent à jour

Texte : Sylvie. Photos trouvées par Cindy, p. 1 : Photo by Oskar Krawczyk on Unsplash, p. 2 : Pixabay.
Romans avec bande son

Shake it !
Les romans de Murakami ont pratiquement
tous, comme tout bon film qui se respecte,
leur bande son, et souvent plutôt badass’.
Si Murakami a une préférence pour
le jazz, ce que j’aime aussi dans
son univers littéraire c’est
qu’il s’intéresse à tous les styles
musicaux, du classique au rock
en passant par le folk et la pop ; ses
connaissances sont aussi étendues
que sa curiosité. « Je n’ai pas appris les
méthodes de l’écriture de la prose de
quelqu’un d’autre. Je les ai acquises grâce
aux rythmes, harmonies et improvisations
propres à la musique » (FranceTVInfo),
a-t-il dit lors d’une émission radio qu’il a
animée récemment.

Le narrateur de La Course au mouton


sauvage écoute des vinyles de jazz des
années 50 dans sa cabane recluse au fin fond
de la montagne. Rayon Jazz (1992), roman
qui se déroule dans le Harlem des années
20, Toni Morrison s’y connaît pas mal
aussi: elle lui emprunte ses longues envolées
d’improvisation ininterrompue. Ça donne
un texte dense avec peu de paragraphes, des
phrases sans fin et un rythme swing. Autre
grand amateur qui en écoutait, en jouait et
donnait une toile de fond jazz à ses romans :
Boris Vian bien sûr.

Murakami n’est pas contre quelques petits airs


de musique classique, et notamment de piano,
qu’entend la nuit le jeune garçon de Kafka sur
le rivage. Ne citons que Nancy Huston qui est
l’un des auteurs contemporains qui rend le plus
hommage au genre notamment dans Les Variations
Goldberg (1981)
Shake it !

et Instruments des ténèbres (1996), construit sur les mouvements d’une


composition classique.

Ça n’empêche pas Murakami d’apprécier aussi la pop, mais de la bonne


pop s’il-vous-plaît : les Beach Boys dans Ecoute le chant du vent
(1979) ou encore les Beatles puisque Norwegian Wood (La Ballade
de l’impossible, 1987) est une de leur chanson. Groupe auquel rend
hommage aussi Lars Saabye Christensen dans Beatles (1982) avec
ses quatre personnages réunis par leur passion pour le groupe. Et
bien sûr, qui dit bonne pop dit aussi bon rock et là, y’a une floppée de
groupes cités dans les romans de Murakami. Notamment, tiens,
Radiohead dans Kafka sur le rivage. Du Radiohead aussi pour
le personnage de Chaos calme (Sandro Veronesi, 2005) qui croit
déceler dans les chansons du groupe diffusées par son poste de
radio des signes des messages de sa défunte femme.

Et dans le genre romans avec bande son comme Murakami,


l’auteur anglais Nick Hornby remporte la palme puisque
chacun de ses romans est accompagné d’une multitude
de chansons : le narrateur, d’ailleurs disquaire, de Haute
fidélité (1995) dresse la liste de ses meilleures chansons de
rupture pour sortir de la sienne, Juliet Naked (2009) et son
musicien has been, et souvent du rock comme dans La
Bonté : mode d’emploi et son pitch « Du rock, du foot, des
filles et du mal à grandir ».

Texte: Justine. Photos par Justine et Bruno.


LES LIVRES DE
1982 MURAKAMI
La Course au mouton sauvage
QU’IL FAUT
AVOIR LUS
2001 2002

Chroniques de l’oiseau à ressort Kafka sur le rivage

2010 1998
Sommeil L’Eléphant s’évapore

Illu : Louise. Photo gauche par Jane Lee. Photo centrale trouvée par Cindy.
Le Shaker, c’est des gens
(et un bordel organisé)

Johan Pourpix

Cindy Commencais Justine Lus Dumont


Coffin
Sylvie Mitéro

Marie Tuffeau Bruno Brizard


Coralie Commencais

Ils écrivent : Cindy, Justine, Sylvie


Ils illustrent : Bruno, Cindy, Coralie, Johan,
Justine, Marie, Sylvie
Elles designent et maquettent : Justine, Lus, Sylvie
Ils font la prod’, le son et la technique : Alexis, Bruno
Ils diffusent et font de la com’ : tout le monde
Ils nous aident : Antoine, Ariane, Christophe, Dorothée, Jean-Luc, Klara,
Lauren, Louis, Louise, Nicolas, Sandrina, Sandrine, Thomas, Valérie
Idée originale de Justine
Mentions légales Le Shaker (Tours) = ISSN 2607-2742

Creative commons
Références bib. des oeuvres citées
bibliobs.nouvelobs.com/romans/20091202.BIB4529/
RUBRIQUE ECHOS: HIER, AUJOURD’HUI
murakami-maitre-de-la-litterature-globale-texte-
(SOMMEIL FRAGMENTÉ)
integral.html)
Murakami, Haruki. Sommeil. Paris : Belfond (ebook),
Murakami, Haruki. 1Q84. (3 tomes, 2012 et 2013),
2010.
éditions 10/18,
Adam, Florian. « Est-on fait pour dormir d’une traite
Murakami, Haruki. La Ballade de l’impossible. 2011,
ou de manière segmentée? », 9 mars 2017. http://
éditions 10/18, 456 p.
www.slate.fr/story/139781/dormir-une-traite-ou-se-
reveiller-milieu-nuit Murakami, Haruki. La Course au mouton sauvage. 2007,
éditions Seuil, coll. Points, 377 p.
RUBRIQUE QU’EST-CE QU’IL LUI AURAIT DIT ?
RUBRIQUE IN THE STYLE
Cunningham, Michael. Les Heures. Paris : Ed. 10/18, coll.
Domaine étranger, 2004. p. 136. Traduit de l’américain Ozaki, Mariko. Écrire au Japon : le roman japonais
The Hours par Anne Damour. depuis les années 1980. 2012, éditions Philippe Picquier,
190 p., traduit par Corine Quentin.
Murakami, Haruki. Au sud de la frontière à l’ouest du
soleil. Paris : 10-18, 2003, coll. « Domaine étranger ». RUBRIQUE ECHOS : HIER ET AUJOURD’HUI, LES
ÉVAPORÉS
RUBRIQUE ECHOS : HIER ET AUJOURD’HUI
SAMOURAÏS Les évaporés : enquête sur le phénomène des
disparitions volontaires, Léna Mauger & Stéphane
Nitobé, Inazo. Le Bushido : l’âme du Japon. Traduction
Remael, éditions Les Arènes, 2014, 260 pages.
française de Charles Jacob, préface de M. André
Bellesort, 1927. Les évaporés, Thomas B. Reverdy, éditions Flammarion,
2013, 304 pages.
Nota Bene, Vs history #7. « La Vérité sur le Dernier
Samouraï ». Sur les traces des « évaporés du Japon », 17 août
2017 par Paul de Ruck, sur le site Maze.fr
Schumacher, J Michael. 360° GEO . « Les Samouraïs
de Fukushima ». ARTE, 2013. Hamaguchi, Ryusuke. Senses. Art House, 2015.

« Les Samouraïs », Reportage arte, 03/01/2017. Van Sant, Gus. Sea of trees. SND, 2016.

Peltier, Julien. « Samouraïs, 10 destins incroyables ». https://lacompany.net/artistes/stephane-remael/les-


Prisma éditions, 2016. evapores-du-japon/

RUBRIQUE VIE DE MURAKAMI https://www.youtube.com/watch?v=2tuemib6AG4

« Murakami, maître de la littérature globale », h t t p : / / w w w. a l l o c i n e . f r / v i d e o / p l a y e r _ g e n _


Gilles Folenne, Bibliobs, décembre 2009 (https:// cmedia=19577719&cfilm=262897.html
Références bib. des oeuvres citées
RUBRIQUE ECHOS: HIER, AUJOURD’HUI
(SOMMEIL FRAGMENTÉ)
RUBRIQUE ECHOS : HIER ET AUJOURD’HUI
Murakami, Haruki. Sommeil. Paris : Belfond (ebook),
SAMOURAÏS
2010.
Nitobé, Inazo. Le Bushido : l’âme du Japon. Traduction
Adam, Florian. « Est-on fait pour dormir d’une traite
française de Charles Jacob, préface de M. André
ou de manière segmentée? », 9 mars 2017. http://
Bellesort, 1927.
www.slate.fr/story/139781/dormir-une-traite-ou-se-
reveiller-milieu-nuit Nota Bene, Vs history #7. « La Vérité sur le Dernier
Samouraï ».
RUBRIQUE QU’EST-CE QU’IL LUI AURAIT DIT ?
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Cunningham, Michael. Les Heures. Paris : Ed. 10/18, coll.
Fukushima ». ARTE, 2013.
Domaine étranger, 2004. p. 136. Traduit de l’américain
The Hours par Anne Damour. « Les Samouraïs », Reportage arte, 03/01/2017.

Murakami, Haruki. Au sud de la frontière à l’ouest du Peltier, Julien. « Samouraïs, 10 destins incroyables ».
soleil. Paris : 10-18, 2003, coll. « Domaine étranger ». Prisma éditions, 2016.

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