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Résumé : Dans la plaine agricole du Saïss au Maroc, les pouvoirs publics affichent
leur inquiétude face à la surexploitation des eaux souterraines. Ils ont élaboré un
« contrat de nappe » pour en réguler les usages. Quel changement cet instrument repré-
sente-t-il vis-à-vis des politiques hydro-agricoles antérieures, qui étaient tournées vers
la mobilisation de quantités d’eau toujours plus massives ? Cet article avance que
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l’objectif environnemental de préservation de la nappe souterraine a fourni une nouvelle
justification à la poursuite de grands travaux d’aménagements des eaux de surface.
Mais ceux-ci cohabitent désormais avec un mode de gestion libéral des eaux souter-
raines. L’État aménageur libéral s’accommode d’une perte, relative, de contrôle sur les
dynamiques d’irrigation, dans la mesure où ces dynamiques lui paraissent gérables
politiquement et, au moins sur le court terme, désirables économiquement. Mais ces
complexes accommodements politiques s’opèrent au détriment d’une gestion durable
des eaux souterraines.
MOTS-CLÉS : ADMINISTRATION – AGRICULTURE – AMÉNAGEMENT – CONTRAT DE NAPPE – EAU –
ÉTAT – LIBÉRALISME – MAROC – POLITIQUES PUBLIQUES
La plaine du Saïss, qui s’étend sur près de 200 000 hectares entre les villes de Fès et
de Meknès, compte parmi les grandes régions agricoles du Maroc. La majeure partie de
ses surfaces irriguées l’est aujourd’hui à partir d’une nappe d’eau souterraine1. En effet, les
évolutions techniques de ces dernières décennies (amélioration des méthodes de forage et
diminution des coûts de pompage) ont engendré une prolifération des points de prélève-
ments sur la nappe, passés d’environ 900 en 1980 à plus de 10 000 aujourd’hui (Bouignane,
Serrhini, 2015). Ce véritable « boom » de l’eau souterraine (Fofack, Billaud, 2015), lui-même
moteur d’un véritable boom agricole dans la région2, a provoqué une baisse régulière du
niveau de la nappe. Cette baisse a incité les pouvoirs publics à mettre à l’agenda le problème
de sa « surexploitation3 ».
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mobilisation de quantités d’eau toujours plus massives (Bouderbala, 1984). Elles étaient
largement imprégnées d’un imaginaire de la « mission hydraulique » (Reisner, 1993 ;
Swyngedouw, 1999 ; Molle et al., 2009), c’est-à-dire de la croyance en une vertu civilisatrice
des grands aménagements, perçus comme étant capables d’apporter prospérité et
concorde sociale. Au regard de cet héritage, la lutte contre la surexploitation, appuyée sur
une nouvelle loi sur l’eau adoptée en 1995, venait mettre à l’agenda deux recompositions.
D’une part, les objectifs de l’action publique étaient appelés à se rééquilibrer : auparavant
exclusivement centrés sur l’augmentation de l’offre en eau, ils affichaient désormais une
volonté d’en limiter la consommation4. D’autre part, les rapports de pouvoir au sein de
l’appareil d’État avaient vocation à évoluer : une autonomie plus large devait être dévolue
aux acteurs locaux (publics et privés) vis-à-vis des administrations centrales. Cette territo-
rialisation était perçue comme nécessaire pour forger des compromis complexes autour
d’usages de l’eau « concurrentiels, voire contradictoires5 ».
1. Il s’agit plus précisément d’un aquifère complexe composé de plusieurs nappes superposées. Ce système
alimente à la fois des sources résurgentes, des puits et des forages pour l’usage agricole via la nappe
superficielle, et des forages artésiens qui captent directement l’eau de la nappe profonde pour la production
d’eau potable.
2. L’essentiel de ces points de prélèvements est destiné à l’irrigation agricole. Les près de 50 000 hectares
irrigués alimentent une production maraîchère et arboricole. On compte moins de 300 forages destinés à la
production d’eau potable. Il faut encore comparer les volumes prélevés. Les chiffres officiels font état de
56 millions de mètres cubes (Mm3) prélevés par an pour la production d’eau potable, contre 160 Mm3 destinés
à l’irrigation agricole. Toutefois, les importantes difficultés d’accès à l’information concernant ce second chiffre
nous conduisent à penser qu’il est fortement sous-estimé.
3. Les chiffres officiels estiment ainsi que le niveau de la nappe de Fès-Meknès diminuerait chaque année de
deux mètres, soit un déficit annuel de quelque 100 Mm3 d’eau (PDAIRE, Agence de bassin hydraulique du
Sebou, Fès, septembre 2011). Un relevé piézométrique fait état d’une baisse de près de 100 mètres entre
1980 et 2011.
4. Voir par exemple cet extrait de l’allocution Royale à la 9e session du Conseil supérieur de l’eau et du climat
(CSEC) de 2001 : « Le temps est donc venu pour nous de changer radicalement notre perception et notre
attitude à l’égard de l’eau à travers la gestion de la demande de cette ressource et la rationalisation de sa
consommation ».
5. Loi no 10-95 sur l’eau, exposé des motifs, p. 1.
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Cet article entend retracer l’action publique de gestion des eaux souterraines sur la plaine
du Saïss depuis une décennie environ, pour évaluer la réalité de cette double inflexion. Il
s’agit d’abord de s’interroger sur les manières dont une action publique régionale s’est
recomposée, ou non, derrière l’invocation d’une gestion « durable » des eaux souterraines.
Il s’agit surtout d’envisager l’action publique dans ce domaine comme un indice de recom-
positions plus générales des formes de régulation politique et des modes de gouvernement
(Commaille, Jobert, 1998 ; Lascoumes, Le Galès, 2005 ; Bono et al., 2015). La politique
hydro-agricole, ici, doit permettre de réactualiser des interrogations plus générales, et
anciennes, sur les modes de gouvernement du monde rural au Maroc (Pascon, 1977 ;
Daoud, Engler, 1981 ; Bouderbala, 1984 ; Leveau, 1985 ; Swearingen, 1987). Du fait de
l’importance politique de ce monde rural, elle doit plus largement permettre de s’inscrire
dans les débats contemporains sur les recompositions de la régulation politique marocaine.
À cet égard, les observateurs se rejoignent généralement pour mettre l’accent sur le
caractère limité et ambigu des recompositions en cours (Catusse, Vairel, 2003 ; Hibou, 2011 ;
Iraki, Tamim, 2009). Si le récit d’une pluralisation lente mais régulière des espaces de pro-
duction des politiques publiques constitue certainement un « mythe » commode (Vairel,
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2007), l’idée d’une reproduction à l’identique de modes de contrôle makhzéniens supposés
fixes et intangibles l’est tout autant (Hibou, Tozy, 2015)6. Les travaux qui précèdent décrivent
plutôt des évolutions incrémentales des compromis sociaux, ainsi qu’une redéfinition partielle
des modes de légitimation de l’État autour de notions inspirées de la « bonne gouvernance ».
Que donne alors à voir une politique hydro-agricole sur ces questions ?
La thèse avancée ici est que, bien davantage qu’une « nouvelle politique de l’eau7 » tournée
vers la préservation des milieux et la territorialisation, le recours aux eaux souterraines a favorisé
le passage progressif de politiques d’aménagement dirigistes à des politiques d’aménagement
que nous qualifions de libérales. Celles-ci combinent deux rationalités distinctes. La première
est une rationalité (et un imaginaire) aménagiste classique propre à la « mission hydraulique » :
le mot d’ordre de la préservation des eaux souterraines a ainsi été mobilisé pour justifier la
poursuite de politiques d’augmentation de l’offre en eau de surface (construction de barrages,
transferts d’eau sur longue distance, création de périmètres irrigués). Dans le même temps,
toutefois, cet aménagement des eaux de surface s’accompagne de modes d’intervention
spécifiques en ce qui concerne les eaux souterraines. Il s’agit à la fois de politiques de laisser-
faire pour l’accès à ces eaux, par l’intermédiaire de procédures très souples d’autorisation et
de régularisation ; mais également de politiques de soutien aux forages privés et à l’équipement
6. De l’arabe makhzen signifiant « entrepôt, réserve, réservoir » (et qui a donné le mot « magasin » en français).
Au Maroc spécifiquement, il désignait avant l’Indépendance le gouvernement du Sultan, gardien des réserves
financières de l’État constituées par les impôts et les taxes prélevés sur le territoire sur lequel il avait autorité :
le blad el-makhzen. Ce « territoire du makhzen » s’opposait au blad siba (territoire de l’anarchie), composé
de territoires insoumis à l’autorité sultanique centrale. Aujourd’hui, le mot est toujours employé pour désigner
les aspects traditionnels du système politique marocain, organisé autour de la monarchie et de ses réseaux.
Il est parfois utilisé pour désigner certaines institutions par raccourcis allusifs, notamment le Palais et ses
ramifications territoriales représentées par le ministère de l’Intérieur, les gouverneurs provinciaux et régionaux
étant des représentants directs du monarque dans les territoires. Dans cet article, nous n’utilisons que très
peu cette référence, d’abord car il ne s’agit pas d’une entée privilégiée de notre étude, mais également parce
qu’il ne nous semble pas le mieux à même de servir l’analyse que nous proposons.
7. Telle qu’annoncée par exemple par la « Stratégie nationale du secteur de l’eau », ministère de l’Eau et de
l’Environnement, 2009.
Cette gestion des eaux souterraines peut être qualifiée de libérale au triple sens que
Michel Foucault (2004) confère à ce terme. Elle est d’abord incitative et indirecte, en ce
qu’elle vise à « structurer le champ d’action » des agriculteurs plutôt qu’à leur prescrire
directement des comportements précis ; elle recherche ensuite prioritairement l’efficacité
économique, plutôt que l’obéissance et la conformité à des normes et à des procédures ;
elle encourage enfin une subjectivation de l’agriculteur en entrepreneur.
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l’éviction silencieuse des agriculteurs les moins entreprenants. L’« anarchie » supposée des
forages est en réalité négociée (Shah, 2009 ; Kuper et al., 2016). Finalement, l’observation
d’une cohabitation durable de politiques aménagistes et libérales invite à ne pas opposer
frontalement l’État aménageur, modernisateur et développementaliste, à l’État incitatif néo-
libéral, comme cela a parfois été le cas (Johnson, 1982 ; Muller, 2006). Il s’agit au contraire
de s’interroger sur les modalités contemporaines de leur articulation.
Nous commencerons par explorer la manière dont la volonté affichée de préserver les
eaux souterraines a été mobilisée pour justifier la poursuite de grands aménagements pour
les eaux de surface, avant d’analyser les politiques libérales de gestion des eaux souter-
raines. Nous nous appuyons pour cela sur des enquêtes de terrain, réalisées dans la région
du Saïss depuis plus de trois ans8. Outils désormais classiques de l’enquête qualitative en
sciences sociales, les entretiens semi-directifs permettent d’abord une analyse des discours
et des croyances, mais offrent également, surtout s’ils sont renouvelés, une première manière
de cerner les activités quotidiennes des acteurs de la mise en œuvre, notamment les bureau-
crates de contact. Les entretiens peuvent également fournir un poste d’observation des
pratiques (Beaud, 1996). Au-delà, cependant, la diversification des méthodes d’enquête est
essentielle (Bongrand, Laborier, 2005). Nous nous appuyons ici sur la littérature grise, prin-
cipalement administrative, lue en regard des entretiens réalisés. Enfin, plusieurs moments
d’observation directe des interactions9 nous ont permis de confirmer des conclusions tirées
des entretiens et de la littérature.
8. Cet article se base sur des enquêtes de terrain réalisées entre mars 2013 et décembre 2015 dans le Saïss.
Nous avons d’abord réalisé quelques entretiens courts avec une vingtaine d’usagers de l’eau agricole dans
quelques zones ciblées de la plaine du Saïss, avant de réaliser une trentaine d’entretiens semi-directifs avec
les acteurs administratifs locaux et régionaux basés dans les villes de Fès et de Meknès, chargés de la gestion
de l’eau au sein de l’agence de bassin hydraulique du Sebou, des directions locales de l’Agriculture, de
quelques représentants du ministère de l’Intérieur, et des producteurs et distributeurs d’eau potable. Nous
nous appuyons également sur l’étude de documents administratifs récents et d’archives.
9. Nous pensons d’abord aux interactions observées lors de notre visite des administrations pour les entretiens
(attente dans les couloirs, et interruptions des entretiens par des discussions avec des collègues ou des
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Tandis que la pression sur les ressources en eau s’intensifiait, un nouveau mot d’ordre
d’action publique s’élaborait à l’échelle internationale, sous l’appellation de « gestion intégrée
des ressources en eau » (GIRE). De manière schématique, la GIRE promeut une planification
désectorisée afin d’harmoniser la gestion des différents usages de l’eau (agricoles, indus-
triels, domestiques, touristiques, écosystémiques, etc.), de s’assurer que ces usages soient
soutenables, et de minimiser les conflits de répartition (Molle, 2012). Dans ce modèle, la
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gestion doit d’abord s’opérer à l’échelle des « bassins versants », qui sont les territoires
d’écoulement naturel des eaux de surface. La GIRE associe donc étroitement durabilité,
principe de subsidiarité (les territoires « fonctionnels » des bassins versants constituent
l’échelle prioritaire de gestion) et désectorisation. Elle promeut également la participation
directe des usagers, si ce n’est pour les associer aux décisions stratégiques, du moins pour
collecter les paiements et assurer l’entretien des infrastructures.
appels téléphoniques) mais aussi à travers la participation à des réunions de projet, notamment un atelier de
travail dans le cadre d’un projet de coopération avec la DG Environnement de l’Union européenne et l’agence
du Sebou en septembre 2016.
10. Au Maroc, longtemps les politiques agricoles et hydrauliques ont été dominées par l’objectif fixé par le roi
Hassan II du « million d’hectares irrigués » d’ici à l’an 2000 (Swearingen, 1987), un objectif aujourd’hui atteint
puisque l’on compte plus de 1,45 million d’hectares de terres irriguées au Maroc (source Aquastat, FAO,
2013, en ligne [www.fao.org]).
11. Loi sur l’eau 10-95, promulguée par le dahir no 1-95-154 du 16/08/95, publiée au Bulletin Officiel no 4325.
12. Projet de loi sur l’eau, ministère délégué auprès du ministre de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Envi-
ronnement, chargé de l’Eau, Royaume du Maroc, 2015, p. 1.
13. « La gouvernance par la gestion intégrée des ressources en eau au Maroc : levier fondamental de dévelop-
pement durable », Auto-saisine no 15, Conseil économique, social et environnemental, 2014, p. 25.
administrative conséquente puisqu’ont été créées, au niveau de chacun des neuf grands
bassins versants du pays, des « agences de bassin hydraulique » (ABH), en remplacement
des anciennes directions de l’Hydraulique. Alors que ces dernières étaient étroitement insé-
rées dans la hiérarchie du ministère de l’Équipement, les ABH sont dotées d’une autonomie
accrue, notamment financière, et ne conservent en théorie qu’un rapport de tutelle avec le
ministère.
Cette adaptation marocaine du modèle de la GIRE s’est également traduite par l’intro-
duction d’un nouvel objectif de contrôle des prélèvements. Aux côtés des objectifs de déve-
loppement de l’offre, le nouveau plan d’action de la stratégie nationale, dérivée de la loi de
1995, insiste sur la gestion de la demande, de même que sur la préservation et la protection
du milieu naturel et des zones fragiles. Il est prévu de limiter les besoins à 16,5 milliards de
mètres cube (m3) à l’horizon 2030, soit une économie de 2,5 milliards m3 par rapport aux
projections « business as usual ».
À l’échelle des bassins versants, la régulation des prélèvements doit s’opérer dans le
cadre de plans directeurs régionaux (PDAIRE), également introduits par la loi de 1995. Les
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PDAIRE établissent le bilan des ressources en eau pour chaque bassin, à travers une esti-
mation de ses flux d’« entrées » et de « sorties ». Élaborés par les ABH, ces bilans posent
de redoutables problèmes méthodologiques (Petit, 2004), mais fournissent la base des scé-
narios d’évolution des besoins futurs. Ils constituent à ce titre un instrument crucial pour
cadrer et dimensionner les actions estimées nécessaires pour répondre à ces besoins. En
ce qui concerne la plaine du Saïss, celle-ci fait partie de l’ensemble plus large du bassin du
Sebou, qui s’étend sur quelque 40 000 km2, et dont l’élaboration du PDAIRE a été coor-
donnée par l’agence de bassin du Sebou, établie à Fès. Finalisé en 2011, le plan rappelle
que le bassin du Sebou est globalement excédentaire14 mais que ce bilan dissimule des
disparités importantes entre les différents sous-bassins, certains d’entre eux étant nettement
déficitaires.
Dans le cas plus spécifique des eaux souterraines, la loi de 1995 perpétue, tout en le
précisant, un système d’autorisation des prélèvements effectués sur les nappes. Elle confie
aux ABH le soin de régulariser tous les points de prélèvements existants et introduit l’obli-
gation d’une demande d’autorisation préalable pour le creusement de tout nouveau puits
ou forage15. Pour tous les points d’eau, une autorisation de prélèvement définissant le débit
annuel pouvant être puisé doit également être demandée auprès de l’agence.
À une échelle plus locale, la loi invite par ailleurs, conformément là encore aux « bonnes
pratiques » promues par la GIRE, à la rédaction de « contrats de nappe ». Ceux-ci sont
destinés à rassembler les différents acteurs concernés par la gestion et l’usage d’une même
nappe souterraine, et à les faire s’engager sur des objectifs chiffrés de prélèvements, à
échéances définies, tout en planifiant les actions correspondantes à ces projections.
14. Plan directeur d’aménagement intégré des ressources en eaux (PDAIRE) du bassin du Sebou, Agence de
bassin hydraulique du Sebou, Fès, version actualisée de septembre 2011.
15. « Section II : autorisations et concessions relatives au domaine public hydraulique », Chapitre 5, Loi sur l’eau
10-95.
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« Bof... C’est le point faible de la chaîne car ça demande des ressources humaines importantes.
C’est un engagement de l’agence, de mettre en place la police de l’eau, de la renforcer. Il faut
aussi procéder à l’installation des compteurs au niveau des points d’eau existants. Ça c’est ce
qui est prévu par la loi 10-95. On a des agents de police de l’eau, ils ont une carte, ils sont
assermentés, ils peuvent aller sur place. Il y en a [réfléchissant]... peut-être une dizaine, deux ou
trois aussi par service de l’eau mais c’est insuffisant. Il y a quelques problèmes de logistique, de
moyens. L’activité “police de l’eau”, à l’agence, elle est réalisée si on en a l’occasion17. »
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facilement admis devant l’enquêteur, il n’empêche pas la loi de produire d’autres effets sur
les pratiques, comme nous le verrons plus loin. L’écart existant peut même être directement
facilité par la conformité formelle du texte aux bonnes pratiques internationales. À cet égard,
la sociologie classique des rôles sociaux a bien montré que l’allégeance ostensible aux règles
ouvrait autant de potentialités de subversion (Anderson, 1923). Donner des gages de confor-
mation permet en effet d’éviter les sanctions ou l’exclusion, et de s’attirer la bienveillance
des gardiens de la norme. L’affichage d’une proximité idéologique et politique avec les bail-
leurs de fonds permet ainsi de maximiser les marges de manœuvre et de dérivation créative
au cours de la mise en œuvre (Thacker, 1999). Cette logique semble caractériser la
« méthode Belfkih » dans son ensemble, du nom du ministre des Travaux publics de l’époque
et initiateur, avec d’autres, de plusieurs grandes réformes dans les années 1990 : comme
le remarque un consultant, ces lois sont « dotées d’un nouveau principe général, mais tout
de suite après, on trouve l’exception qui peut en fait constituer la règle18 ».
En outre, cette traduction marocaine de la GIRE n’a pas fondamentalement modifié les
acteurs des politiques de l’eau. Le personnel des anciennes directions de l’Hydraulique a
simplement été transféré dans les nouvelles agences hydrauliques. Sur le plan financier,
nous verrons que l’autonomie des agences, annoncée et prévue par la loi, est loin d’être
une réalité. Finalement, c’est bien une appropriation du modèle de la GIRE qui a été faite,
appropriation facilitée par la malléabilité du modèle, permettant aux acteurs qui se l’appro-
prient d’en moduler les principes assez librement (Ghiotti, 2006 ; Petit, Baron, 2009). Enfin,
il faut noter que si la GIRE promeut une participation de tous dans le paiement des rede-
vances et le financement de la gestion de l’eau, cela n’est pas véritablement le cas en ce
qui concerne la planification, et notamment l’allocation des ressources entre les différents
secteurs (Allan, 2003 ; Molle, Berkoff, 2009).
16. Entretien avec un responsable du bureau d’étude choisi pour le contrat de nappe, TGR Consult, Fès,
mai 2013.
17. Entretien avec un responsable de l’Agence de bassin du Sebou, Fès, juin 2013.
18. Entretien avec un consultant pour le secteur agricole, Rabat, juin 2013.
Toujours est-il que, sur le papier, le texte et ses déclinaisons institutionnelles (agences
de bassin, PDAIRE, contrats de nappe) reprennent bien le « kit » des meilleures pratiques
internationales en matière de gestion durable des ressources en eau. Il s’agit, dans les mots
d’un haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, du « meilleur benchmark de l’époque19 ».
Une telle déclinaison est emblématique de la stratégie générale du « bon élève » ou d’« extra-
version » menée par le Maroc auprès des institutions internationales (Catusse, Vairel, 2010).
Il faut toutefois se garder d’attribuer uniquement cette stratégie à l’extraversion des élites
marocaines, qui serait la marque de leur « décolonisation inaboutie » (Vermeren, 2011). On
ne saurait non plus se contenter de l’interpréter comme une stratégie d’accès aux ressources
des bailleurs, même si cette préoccupation n’est évidemment pas négligeable. La revendi-
cation de modernité, et d’une modernité qui soit internationalement reconnue et validée,
constitue plutôt un élément décisif de la stratégie de légitimation du pouvoir marocain. Elle
est rituellement mise en avant dans les documents officiels, lorsque ceux-ci énoncent par
exemple que le pays constitue un « modèle de gestion de l’eau », « cité en exemple à l’échelle
internationale »20.
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Saïss qui nous intéressent ici, notamment à travers la rédaction et la négociation d’un contrat
de nappe. Les premières études concernant la réalisation de ce contrat ont été menées en
2010 ; l’agence du Sebou a ensuite proposé une « convention » aux acteurs concernés en
mai 2013, mais celle-ci n’avait pas encore été signée à la fin de l’année 2016. Ce contrat
s’inscrit dans le cadre plus large du plan de gestion des eaux du bassin du Sebou, dont
l’engagement en faveur de la préservation des milieux apparaît déjà des plus fragiles.
19. Entretien avec un haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, Rabat, juin 2014.
20. « La gouvernance par la gestion intégrée des ressources en eau au Maroc : levier fondamental de dévelop-
pement durable », Auto-saisine no 15, Conseil économique, social et environnemental, 2014, p. 25.
21. Plan directeur d’aménagement intégré des ressources en eaux (PDAIRE) du bassin du Sebou, Agence de
bassin hydraulique du Sebou, Fès, version actualisée de septembre 2011.
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GOUVERNER LES EAUX SOUTERRAINES AU MAROC ❘ 115
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en eau. Une controverse scientifique existe dans les arènes internationales (Kadiri, El Farah,
2013 ; Benouniche et al., 2014). Elle vient mettre en doute l’idée que le passage au goutte-
à-goutte pourrait bien être catégorisé a priori comme un instrument de limitation de la
demande en eau. Bien qu’étant activement justifiée au nom de la préservation, la promotion
de cette technologie s’inscrit plutôt dans la politique agricole marocaine au long cours visant
à conjuguer valorisation de l’eau (par l’adoption de cultures à plus forte valeur ajoutée) et
mobilisation de plus grandes quantités.
locaux de la mise en œuvre. En l’occurrence, une telle souplesse serait la garante d’une
politique de l’eau véritablement durable, les acteurs concernés s’engageant directement sur
des objectifs élaborés collectivement. Comme l’exprime le responsable d’un bureau d’étude :
« L’idée c’est d’élaborer un plan d’action pour reconstituer la nappe et tout cela avec une vision
du développement durable. Et cette vision elle n’est pas imaginable sans penser aux générations
futures. Pour cela, il faut mettre en place une stratégie et s’inscrire dans cette démarche du
développement durable26. »
De fait, le projet de contrat définit la nappe du Saïss comme une « réserve stratégique »
qu’il convient de protéger, notamment pour faire face aux périodes de sécheresse excep-
tionnelles27. Pour autant, l’examen précis du projet amène à nuancer fortement, voire à
contredire, le caractère particulièrement durable des actions envisagées. Le contenu du
contrat s’organise autour d’un « bilan hydrologique »28 de la nappe du Saïss, actuellement
déficitaire. Celui-ci fait apparaître la répartition des consommations sectorielles (65 % pour
l’agriculture, 20 % pour l’eau potable et 15 % pour l’industrie), puis le contrat propose de
retrouver un excédant à l’horizon 2030. Pour y parvenir, il propose pour l’essentiel une
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substitution des ressources en eau souterraine par des eaux de surface. Cette substitution
doit permettre une diminution des prélèvements sur la nappe : plus de deux tiers des pré-
lèvements agricoles actuels, et un arrêt définitif des prélèvements pour l’eau potable à
l’horizon 203029.
26. Entretien avec un responsable du bureau d’étude choisi pour le contrat de nappe, TGR Consult, Fès, mai
2013.
27. Projet de convention-cadre pour la préservation de la nappe d’eau souterraine de Fès-Meknès (en arabe),
Agence de bassin hydraulique du Sebou, mai 2013.
28. Ce bilan hydrologique est représenté, dans les documents officiels, par une simple addition des « entrées »
d’eau alimentant la nappe (précipitations, alimentation souterraine, retour des eaux d’irrigation) à laquelle
sont soustraites les sorties (prélèvements agricoles, industriels et ceux destinés à l’eau potable).
29. « Évaluation du terrain sur un échantillon représentatif auprès des groupes cibles et présentation d’un plan
d’action », Mise en place d’une convention pour une gestion participative et durable des ressources en eau
du système aquifère du Moyen-Atlas Saïss, Rapport Mission 2, TGR Consult, version définitive, septembre
2012.
30. Il s’agit du complexe de barrage M’dez Aïn Timedrine, dont la mise en service est prévue pour 2018, entretien
avec un responsable de la direction régionale de l’Agriculture, Fès, juin 2013.
31. « Propositions de variantes d’aménagement hydro-agricole avec les coûts correspondants », Étude de fai-
sabilité de la sauvegarde de la plaine irriguée de Saïss située dans les régions de Fès-Boulemane et Meknès-
Tafilalet, Rapport Mission 3, Compagnie d’aménagement agricole et de développement industriel (Aadi),
version définitive, Fès, août 2013.
32. Entretien avec un responsable de la direction régionale de l’Agriculture, Meknès, décembre 2015.
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nombreuses négociations sont en cours pour la sélection des exploitants qui bénéficieront
de ces ressources en eau. Si différents critères sont discutés (agriculteurs des zones où la
surexploitation est la plus avancée, capacité de paiement), une telle politique distributive est
aussi une manière d’allouer des faveurs et de se concilier des loyautés politiques.
Pour l’alimentation en eau potable des villes de Fès et de Meknès, le contrat prévoit la
construction d’une station d’épuration d’une capacité de 2 m3 par seconde, alimentée à
partir du barrage Idriss Ier déjà existant. D’ici quelques années, Meknès devrait également
recevoir de l’eau du barrage Ouljet Essoltane sur l’oued Beht, dont les travaux seront bientôt
achevés. Dans la logique classique de la « mission hydraulique » ce vaste projet doit être
intégralement financé par l’État central, dans certains cas au moyen de prêts internationaux,
les municipalités elles-mêmes ne jouant qu’un rôle marginal.
Le maintien de la logique aménagiste est enfin celui d’une relation descendante aux
usagers de l’eau. Le contrat ne rassemble en effet que des acteurs publics : ministère de
l’Agriculture, Office national de production d’eau potable, ministère des Eaux et Forêts,
chambres d’Agriculture. Contrairement au référentiel de la GIRE, il ne prévoit aucune parti-
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cipation directe des usagers de la nappe. Il se donne plutôt à voir comme un « accord
inter-administratif de planification d’aménagements étatiques » (Del Vecchio, 2013), qui mani-
feste au premier chef la volonté de mise en cohérence entre différentes administrations,
plutôt que l’instauration d’un nouveau rapport entre l’État et sa population.
Le contenu du contrat de nappe met ainsi en évidence une remarquable continuité des
objectifs par rapport aux politiques hydrauliques du passé : le recours massif aux eaux sou-
terraines est seulement venu apporter un nouveau registre de justification pour des politiques
au long cours de mobilisation des eaux de surface, cette fois menées au nom de la préser-
vation des nappes. Le rôle des hauts fonctionnaires de l’Agriculture demeure central, ils
poursuivent leur ambition d’aménager l’eau plutôt que de la « ménager » pour reprendre la
distinction de Michel Marié (1996). L’État marocain reste fondamentalement aménageur,
pourvoyeur de ressources et de grands projets, cette « eau d’État » (Pascon, 1978) consti-
tuant un important réservoir de légitimité. En revanche, cette continuité inquiète certains
fonctionnaires de l’agence de bassin, qui n’en tirent pas de bénéfices politiques et sont donc
libres d’en souligner les limites. Ils insistent ainsi sur l’impossibilité de restaurer l’équilibre de
la nappe en ne faisant qu’apporter de nouvelles ressources en eau, sans freiner parallèlement
le développement de l’irrigation. De fait, moins d’un tiers de la surface agricole utile de la
plaine de Fès-Meknès est actuellement irriguée (environ 50 000 hectares sur 160 000).
L’extension de l’irrigation à l’ensemble de la plaine nécessiterait un apport de plus d’un
milliard de m3 d’eau par an, un volume pharaonique totalement hors de portée des barrages
en construction (Bouignane, Serrhini, 2015).
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d’une politique et d’une stratégie d’accommodements, avant d’être la conséquence d’un
manque de ressources.
« Les subventions ont beaucoup encouragé les agriculteurs à régulariser leur situation. Avant c’était
un peu l’anarchie mais avec le Plan Maroc Vert, on a demandé des autorisations pour demander
les subventions. Normalement, il faut toujours demander l’autorisation, mais avant le Plan Maroc
Vert, on ne courrait pas comme ça après les autorisations, il y avait d’ailleurs peu de demandes35. »
Cette procédure pouvait donc constituer, en théorie, un moyen efficace de contrôle des
points de prélèvements sur la nappe. En réalité il n’en est rien, tant les refus d’octroi relèvent
33. Entretien avec un responsable de l’Agence de bassin du Sebou, Fès, juin 2013.
34. Cette condition n’existe toutefois plus depuis 2015, sur intervention du ministre de l’Agriculture qui la trouvait
trop lourde pour les irrigants. Désormais, une simple déclaration suffit pour la demande des subventions
agricoles.
35. Entretien avec un responsable au sein du ministère de l’Eau, Meknès, juin 2013.
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« Dans le cadre d’un point d’eau récemment aménagé, il faut obligatoirement demander une
autorisation de creusement. Mais si le puits est déjà existant, on peut faire une demande de
subvention sans passer par l’agence en faisant une déclaration sur l’honneur que vous irriguiez
déjà, par le passé, la même superficie de terrain37. »
La pratique la plus répandue consiste alors à creuser son puits, avant de le déclarer
comme ancien et de le régulariser par simple déclaration. De fait, comme le reconnaît un
agent, l’agence a délivré, entre 2009 et 2012, « presque automatiquement cette autorisa-
tion38 » pour ces « anciens » points d’eau. Un autre agent de l’administration agricole admet
d’ailleurs volontiers qu’« il y a des nouveaux puits déclarés comme anciens alors qu’ils sont
nouveaux, et qu’ils irriguent bien plus d’hectares »39. Dans tous les cas, si l’agence se montre
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trop rigide, l’administration agricole peut toujours se révéler plus compréhensive, comme en
témoigne cet exemple lié aux terres d’une ancienne entreprise d’État, la SODEA, qui sont
désormais louées à des investisseurs privés :
« C’était sur des terres de l’ancienne SODEA, louées à des agriculteurs privés qui ont des projets
et cætera. Qu’est-ce qu’il va faire si l’Agence refuse son autorisation ? Dans un de ces dossiers,
l’Agence ne voulait pas donner une autorisation pour plus de 5 hectares, alors qu’il avait loué
100 ou 120 hectares. Alors il est allé chercher une attestation d’irrigation, comme quoi, la SODEA,
à l’époque irriguait ces 100 hectares et là on est rentré dans la procédure de reconversion, du
coup pas besoin de l’avis de l’Agence et de l’autorisation, il suffit de la déclaration pour demander
les subventions40. »
Une fois les autorisations accordées, l’agence de bassin pourrait, malgré des ressources
limitées, recourir à des sanctions ciblées sur certains irrigants outrepassant leurs droits
d’usage. Mais la tolérance des illégalités est bien la logique dominante.
36. Entretien avec un responsable de la direction provinciale de l’Agriculture, Meknès, mai 2013.
37. Entretien avec un agent de l’administration agricole, Meknès, mai 2013.
38. Entretien avec deux responsables de l’Agence de bassin du Sebou, Fès, juin 2013.
39. Entretien avec un agent de l’administration agricole, Meknès, mai 2013.
40. Ibid.
41. Entretien avec un responsable de l’Agence de bassin du Sebou, Fès, juin 2013.
les détenteurs d’une autorisation sont en principe tenus d’installer un compteur au niveau
de leur point d’eau, rares sont les forages qui en sont équipés en pratique, et plus excep-
tionnels encore sont ceux où le compteur est effectivement raccordé à l’arrivée d’eau.
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connaître les règles, notamment celles des profondeurs autorisées, à jouer avec et à garder
la face en faisant comme si ces règles étaient respectées. Ainsi, dans une zone de la plaine,
« tout le monde dit 100 mètres, car c’est le maximum que l’on peut déclarer, mais leur forage
est forcément plus profond, il n’y a pas d’eau ici à 100 mètres42 ».
Mais toutes les catégories d’agriculteurs sont-elles égales devant cette grande mansué-
tude de l’État ? N’observe-t-on pas, au contraire, ce que Michel Foucault appelait une ges-
tion différentielle des « illégalismes » ? Les transgressions de la loi, qu’elles soient ou non
intentionnelles, sont en réalité diversement sanctionnées selon la catégorie à laquelle appar-
tient celui qui les commet (Foucault, 1975, p. 98-106). De fait, aux dires d’un agent local du
ministère de l’Eau, il existe des exploitants agricoles moins contrôlables que les autres :
« La police de l’eau n’est pas rodée, les applications sont rares. Nos agents ne peuvent pas
intervenir, c’est aux forces de l’ordre de le faire. L’agent ne peut pas aller voir une exploitation de
100 hectares. [En arabe à son collègue venu nous renseigner sur la police de l’eau] T’imagines,
[l’agent de police de l’eau du service] qui rentre chez untel [très important exploitant agricole de
la plaine] pour vérifier les forages, il va se faire tuer. [Puis en français.] La procédure est mal conçue
en fait parce que tu peux pas contraindre quelqu’un qui a les moyens. La loi est claire, elle est
nette, mais dans la réalité, il n’y a rien. Quand on regarde l’application concrète, avec toutes les
contraintes, on voit l’image dans sa vraie réalité43. »
Cependant, la piste d’une gestion différentielle s’avère en réalité trompeuse, car les
« petits » ne sont guère plus sanctionnés que les « gros ». Les agents de l’Intérieur se tiennent
toujours prêts à intervenir pour désamorcer les risques d’éruption sociale que pourrait
entraîner la structuration d’une véritable police de l’eau :
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« Quand une infraction est constatée, on appelle le qaïd44 qui est tenu de suivre, d’exécuter. Par
exemple, on peut saisir des machines de forage. Mais les qaïd peuvent contrôler, comme ils
peuvent ne pas contrôler ou faire semblant de ne rien voir. Pour dresser le PV, la présence d’un
représentant de la qiadat est exigée. Nous, pour l’instant, on ne peut pas assurer l’activité de la
police de l’eau. Et puis il faudrait déjà convaincre les qaïd de l’intérêt45. »
Les éventuels contrôles sont réalisés par l’administration agricole, mais à rebours de
l’esprit du cadre juridique de la police de l’eau. Celle-ci ne contrôle en réalité que la réalisation
des travaux qui correspondent à la subvention octroyée, mais n’opère aucun contrôle de la
conformité du forage par rapport aux critères de l’agence de bassin. Au final, cette situation
évoque davantage l’équilibre de tolérance, d’appuis et d’intérêts réciproques que décrivait
Michel Foucault dans le cas de l’Ancien Régime, qui laissait prospérer les illégalismes de
différentes couches sociales. Elle renvoie ainsi à une forme d’« indulgence » généralisée,
assez similaire à celle décrite par Claudine Pérez-Diaz (1994), c’est-à-dire une pratique
d’abandon de poursuites exercée par des organisations qui n’en ont juridiquement pas la
prérogative. La notion d’indulgence est d’autant plus utile ici que Pérez-Diaz considère qu’elle
est investie, par les agents qui la pratiquent, d’une valeur morale qui la distingue d’une simple
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habitude professionnelle. Il n’existe effectivement pas, en l’occurrence, de véritable répro-
bation morale des agents de l’État à l’égard des foreurs illicites. L’indulgence est donc autant
dictée par des considérations de nécessité (l’absence de moyen, la volonté de préserver la
paix sociale) que par la faible gravité morale attribuée à des actes pourtant juridiquement
répréhensibles. À l’image des contraventions pour excès de vitesse étudiées par Pérez-Diaz,
le prélèvement illégal des eaux souterraines apparaît ainsi aux agents de l’État (surtout ceux
de l’Agriculture et de l’Intérieur, certainement moins ceux de l’agence de bassin) comme
une « infraction vénielle, dont les auteurs n’appartiennent pas pour la plupart à la catégorie
des véritables malfaiteurs » (Pérez-Diaz, 1994, p. 402).
Une telle impunité est-elle le reflet fidèle des préférences du monde agricole ? S’il s’agit
de ses préférences immédiates, indéniablement. Les agriculteurs s’opposent en effet à l’inter-
diction du développement de l’irrigation réclamée par l’agence de bassin (Bouignane,
Serrhini, 2015). Les discussions informelles auprès des agriculteurs, de même que les rares
enquêtes menées auprès d’échantillons réduits, indiquent que la majorité d’entre eux préfère,
pour gérer les eaux souterraines, des « solutions techniques et incitatives, tandis que des
solutions de pénalité et celles basées sur l’approche contractuelle sont moins préfé-
rées » (Lahlou et al., 2011). Les agriculteurs sont d’autant plus en position de faire valoir leurs
intérêts qu’ils sont les seuls usagers de l’eau représentés au conseil d’administration des
agences de bassin, par l’intermédiaire des chambres d’agriculture et des associations d’irri-
gants des eaux de surface.
44. Représentant du ministère de l’Intérieur au niveau de chaque commune, le qaïd officie au sein de la qiadat,
représentation locale directe de l’État au Maroc.
45. Entretien avec un fonctionnaire de l’Agence de bassin hydraulique du Sebou, Fès, 19 juin 2013.
moitié d’entre eux se déclare favorable à un contrôle accru des prélèvements (Ibid.). Mais
pour freiner la poursuite des intérêts économiques de court terme et empêcher une « tragédie
des communs », il faudrait encore avoir confiance dans la capacité de l’État à faire appliquer
la loi de manière universelle et égalitaire, ce qui n’est pas le cas. La faible capacité d’action
collective des irrigants rend d’ailleurs cette capacité de l’État encore plus hypothétique. Il
n’existe pas, en effet, d’associations d’usagers de la nappe, ni plus généralement d’asso-
ciations professionnelles qui entretiennent des liens forts avec les agriculteurs exploitant la
nappe. L’État ne dispose donc pas d’interlocuteur unifié avec qui il pourrait cogérer les eaux
souterraines.
Finalement, la prééminence politique de l’eau rurale sur l’eau urbaine, déjà manifeste
dans le projet de contrat de nappe (où l’on demande au producteur d’eau potable, et non
aux agriculteurs, de renoncer à l’eau de la nappe) se trouve réaffirmée par cette politique
de laisser-faire. Les rationalités libérales viennent alors compléter les rationalités aménagistes
dans leur attention inquiète au monde rural. Les deux forment les contours d’un accommo-
dement réciproque entre l’État et les agriculteurs autour d’un projet de modernisation entre-
preneuriale de l’agriculture irriguée. Face à de telles contraintes politiques, le discours sur la
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« police de l’eau » fonctionne finalement à la manière du schème « transitologique » analysé
par Frédéric Vairel (2007). Véritable instrument de pouvoir permettant la gestion des attentes
sociales, ce schéma discursif insiste sur la nécessaire lenteur et progressivité des change-
ments à mettre en œuvre, qu’une accélération intempestive risquerait de malencontreuse-
ment compromettre. Comme le résume sobrement un fonctionnaire de l’Agriculture, « tout
ne peut pas se faire du jour au lendemain »46.
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Ce mode d’intervention peut être qualifié de « libéral » par contraste à la fois avec l’inter-
ventionnisme dirigiste et celui que l’on pourrait qualifier, avec Michel Foucault, de néo-libéral.
Contrairement au dirigisme, en effet, l’État n’agit directement ni sur les prix, ni sur les quan-
tités produites. L’agriculteur individuel fait ses choix d’assolement et d’investissement dans
un environnement où les mécanismes de marché doivent jouer librement48. L’orientation
générale manifestée par le Plan Maroc Vert est claire : il s’agit d’équiper les agriculteurs pour
renforcer leur compétitivité sur un marché libre. Les agriculteurs incapables d’effectuer les
« bons » choix pour saisir les opportunités offertes ont vocation à se reconvertir.
Non dirigiste, cette orientation ne peut pour autant être qualifiée de néo-libérale, si l’on
reprend la distinction qu’opère Michel Foucault entre le libéralisme classique et le néo-
libéralisme (Foucault, 1994). Pour Foucault en effet, la figure centrale du premier est
l’échange, quand celle du second est la concurrence. Or, en l’occurrence, les agriculteurs
ne sont pas directement mis en concurrence entre eux par l’État. En théorie, tout le monde
a bien vocation à profiter des subventions, à passer au goutte-à-goutte et à augmenter la
valorisation de l’eau. Tout le monde peut également voir son forage régularisé, tout en pro-
fitant des réseaux publics d’eau de surface. Certes, cet universalisme fonctionne davantage
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comme un registre de légitimation que comme une préoccupation réelle : une enquête dans
la région du Gharb, située dans le bassin du Sebou, montrait ainsi qu’en 2009, 94 % du
montant total des subventions avait été accordés à des exploitations supérieures à 10 hec-
tares (Benouniche et al., 2011). Il reste que les discours de légitimation insistent sur le fait
que l’agriculteur dispose désormais, en théorie, de la maîtrise pleine et entière de son accès
à l’eau, qui ne dépend plus d’arrangements collectifs : à lui de faire le meilleur usage de la
ressource de développer les cultures qui la valorise le mieux et de prendre les risques. Les
instruments d’intervention n’ont pas pour fonction d’opérer une sélection directe, par ciblage,
entre les bénéficiaires. Le discours qui les accompagne est celui du gagnant – gagnant, non
celui du que-le-meilleur-gagne : le jeu apparaît indéfiniment à somme positive.
Cette individualisation des stratégies et des risques est indiscutablement porteuse d’iné-
galités, qui prennent la forme d’inégalités d’accès aux eaux souterraines (Houdret, 2008 ;
Amichi et al., 2012 ; Kadiri, El Farah, 2013 ; Quarouch et al., 2014). Celles-ci contribuent à
provoquer le départ et la reconversion des agriculteurs incapables de suivre cette course
vers les profondeurs. Les agriculteurs les moins dotés financièrement atteignent en effet les
premiers le point où l’accès à l’eau devient plus onéreux que les gains engendrés (Kuper
et al., 2016). Mais ce point de bascule peut facilement apparaître aux yeux des agriculteurs
comme une limite économique « naturelle », une fatalité produite par des mécanismes neu-
tres et anonymes. L’exclusion opère alors dans le face à face silencieux de l’agriculteur avec
le marché.
48. En vérité, cette libéralisation est encore inachevée dans le contexte marocain puisqu’il existe encore
aujourd’hui des subventions sur le blé et le sucre, qui sont néanmoins remises en cause et devraient faire
l’objet d’une suppression progressive dans le cadre des politiques actuelles de « décompensation » du
gouvernement Benkirane.
monde agricole, pour y conserver les acteurs les plus « entreprenants ». L’intervention des
autorités publiques consiste alors moins à organiser explicitement ces mécanismes de sélec-
tion à la manière du néo-libéralisme, qu’à les euphémiser et à les invisibiliser. Dans le Saïss,
la gestion du futur périmètre irrigué est emblématique de ces mutations. En plus de leur
accès privé à la nappe, les agriculteurs seront libres d’acheter leur eau auprès de l’opérateur
(privé) du périmètre en fonction de leurs besoins et de leur stratégie. On voit comment un
programme de développement agricole laisse aux agriculteurs une liberté d’action qui aurait
été inenvisageable il y a encore deux décennies. Il faudra cependant que les agriculteurs
soient particulièrement attentifs à l’efficience de l’eau et à la valeur ajoutée de leurs cultures,
car l’eau leur sera tarifée de manière à couvrir l’intégralité des frais d’exploitation et d’entretien
des infrastructures.
Pour finir, la rationalité libérale n’est pas sans effet sur les structures administratives. Elle
s’accompagne en effet d’une érosion des capacités d’encadrement technique des admi-
nistrations locales, notamment agricoles. Celles-ci s’étaient manifestées le plus spectacu-
lairement, après l’Indépendance, dans la grande hydraulique publique : les offices publics
d’irrigation étaient la norme, l’État pourvoyant un encadrement technique direct des agricul-
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teurs, conjointement à l’installation et à l’utilisation des nouveaux équipements (Khrouz,
1992). Aujourd’hui, ces administrations tendent à se métamorphoser en simples « guichets »
pourvoyeurs d’autorisations et d’aides publiques. Au sein des directions provinciales de
l’Agriculture (DPA), un guichet unique est consacré à l’attribution des aides financières du
Plan Maroc Vert dont les fonds sont gérés par l’ADA49, une agence publique distincte du
ministère de l’Agriculture. En 2013, la DPA d’El-Hajeb a distribué à ce titre 123 millions de
dirhams de subventions et de primes (aménagements hydro-agricoles, production végétale
et animale), soit presque l’équivalent du budget d’investissement total de l’agence de bassin
du Sebou (163 millions de dirhams). Et cette distribution constitue aujourd’hui une part essen-
tielle de son activité50.
49. Agence pour le développement agricole, créée en février 2009 est un établissement public principalement
chargé de la gestion du Fonds de développement agricole et la mise en œuvre du Plan Maroc Vert.
50. Entretien avec un responsable de la direction provinciale de l’Agriculture, Meknès, mai 2013.
51. Lancé en 2004, le programme de départs volontaires « Intilaka » s’inscrit dans un objectif de réduction des
dépenses publiques impulsé par les programmes d’ajustement structurels de la Banque Mondiale. En 2005,
plus de 35 000 fonctionnaires marocains ont bénéficié de ce programme, représentant 7,5 % des effectifs
d’alors.
❘ GOUVERNEMENT & a c t i o n p u b l i q u e ❘
GOUVERNER LES EAUX SOUTERRAINES AU MAROC ❘ 125
En définitive, ces nouveaux modes d’action publique traduisent donc le passage d’un
dirigisme traditionnel où l’État s’érigeait en « tuteur du social » (Lascoumes, Le Galès, 2005)
à celui d’un État libéral qui incite aux investissements privés et à l’entreprenariat agricole.
Cet État aménage toujours, pour protéger les irrigants contre les risques de sécheresse et
d’indisponibilité des ressources en eau souterraine, et les faire évoluer vers des cultures à
plus forte valeur ajoutée. Mais ces aménagements sont plus que jamais conçus comme des
« équipements » qui doivent permettre aux agriculteurs de développer leur exploitation sur
un marché où les prix s’ajustent librement.
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Conclusion : les modes de gouvernement
d’un monde agricole en mutation
L’examen des politiques de gestion des eaux souterraines dans le Saïss révèle la coha-
bitation durable de deux orientations fondamentales de l’action de l’État. La première est
l’aménagement modernisateur, qui voit l’État continuer à produire de grandes infrastructures
pour mobiliser les eaux (grands barrages et canaux, périmètres irrigués, équipements pour
l’eau potable permettant la transition vers les eaux de surface) en s’appuyant sur ses admi-
nistrations centrales. L’accroissement de l’offre prend alors plus que jamais le pas sur une
réflexion qui privilégierait la gestion de la demande et la transition vers des cultures moins
gourmandes en eau. La seconde orientation est le libéralisme, par lequel l’État cherche
indirectement à structurer le champ d’action des agriculteurs et à encourager leur subjec-
tivation en entrepreneur, par l’encouragement aux forages privés, à l’irrigation en goutte-
à-goutte et une « indulgence » générale dans l’accès aux eaux souterraines.
Ce registre libéral d’intervention constitue pour l’État une importante stratégie de légiti-
mation. D’une part, et même si les subventions profitent prioritairement aux exploitations les
plus grandes, il lui permet de revendiquer une politique sans perdant : tous les agriculteurs
ont, officiellement, vocation à se moderniser grâce aux eaux souterraines ; seuls les moins
ouverts à la prise de risque s’en trouveront écartés. Ce registre nourrit d’autre part une
tendance générale à la valorisation de la « figure de l’entrepreneur, élevée au rang de nouveau
promoteur du développement économique » (El Fassi, 2012, p. 192). L’irrigant privé, petit
ou grand, participe ainsi pleinement de ce nouvel imaginaire qui identifie le « héros » du
Maroc globalisé, celui de « l’entrepreneur audacieux porteur de modernisation, succès et
dynamisme » (Cohen, 2004).
Il faut cependant souligner que les modes d’action indirects et incitatifs ont toujours été
valorisés, depuis l’Indépendance, par le pouvoir marocain, y compris dans la vie écono-
mique, et ce parallèlement au dirigisme et à la coercition (El Fassi, 2012). Ils ont constitué
Ces recompositions, enfin, entretiennent des relations complexes avec les évolutions du
monde agricole lui-même, qu’elles accompagnent et encouragent à la fois. On observe en effet,
sur la période, un lent processus de modification des propriétés sociales des élites rurales
marocaines. Les notables locaux qui mobilisaient une légitimité traditionnelle, lignagère ou tribale,
voient leur rôle s’affaiblir au profit d’une nouvelle élite plus entrepreneuriale (Catusse, 2008 ;
Kadiri et al., 2010). Celle-ci est toujours largement issue du milieu rural, mais constitue majori-
tairement son capital (économique, social, culturel) à la ville, à travers ses études et son entrée
dans la vie professionnelle. L’investissement agricole marque alors un retour en milieu rural,
voire un investissement extérieur lorsque les investisseurs continuent à résider en ville. Ces élites
sont autant les bénéficiaires privilégiés du redéploiement de l’État que ses aiguillons.
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L’absence de véritable tournant environnemental, qui impliquerait une coercition accrue,
ainsi que le refus d’assumer trop directement une « sortie » de l’agriculture des acteurs les
moins productifs, indiquent finalement le souci constant de l’État de conserver le soutien du
monde rural dans son ensemble, y compris celui des petits agriculteurs pourtant menacés
par les restructurations en cours. On sait combien l’affirmation du pouvoir royal s’est appuyé,
depuis l’Indépendance, sur le soutien des notables ruraux (Leveau, 1985). Même si le clivage
urbain – rural ne doit pas être exagéré, le fait demeure que les zones urbaines concentrent
les formes de vote les plus contestataires. Les villes ont toujours constitué les viviers de
soutien pour les partis d’opposition. C’était le cas des partis issus du mouvement national,
réunis dans la koutla52 à partir des années 1970. Ce vote s’est progressivement déplacé
vers le Parti de la justice et du développement53, devenu aujourd’hui la première force poli-
tique du pays. Si ces partis et leurs responsables ne s’opposent pas frontalement aux bases
du régime politique et ne remettent pas en cause l’institution monarchique, il n’en reste pas
moins que les votes qu’ils agrègent s’inscrivent dans une logique d’opposition aux tenants
du système traditionnel, le fameux makhzen.
Cette attention inquiète au monde rural est également symbolisée par le tracteur,
emblème du parti Authenticité et Modernité, parti « administratif » et relais privilégié de la
monarchie. Fondé par un proche du Palais en 200854, le parti ambitionne d’être une des
52. La koutla (le « bloc » en arabe) désigne la coalition formée depuis 1970 par trois partis issus du mouvement
nationaliste. On y trouve le Parti de l’indépendance (Istiqlal), l’Union des socialistes des forces populaires
(USFP) et le Parti pour le progrès et le socialisme (PPS) qui formeront le premier gouvernement d’alternance
en 1998 dirigé par Abderrahman El Youssoufi.
53. Parti de la justice et du développement (PJD), que l’on peut considérer comme un parti de centre-droit à
référentiel islamiste, et dont est issu l’actuel chef de gouvernement Abdelilah Benkirane. Il est en progression
électorale constante depuis les années 2000, comme l’indiquent ses résultats aux élections locales du
4 septembre 2015 (où il a remporté l’immense majorité des principales villes du Royaume) et nationale du
7 octobre 2016 (où il est arrivé de très loin en tête dans les grandes villes).
54. Le parti Authenticité et Modernité (PAM ou « parti du tracteur ») a été créé en 2008 par Fouad Ali El Himma,
un proche de Mohammed VI. Ministre délégué à l’Intérieur de 2002 à 2007, il est conseiller royal depuis
2011.
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forces politiques centrales du pays. Arrivé premier lors des élections locales à l’automne
2015, les bases électorales du PAM restent profondément rurales, lui permettant d’obtenir
la présidence de cinq des douze conseils régionaux, tandis que le PJD remporte la prési-
dence des plus grandes villes du pays55. Lors des législatives d’octobre 2016, le PJD
confirme son emprise en arrivant premier au niveau national, avec des scores toujours plus
élevés en zones urbaines56.
Cette prudence est alimentée par l’attention inquiète accordée au monde rural où le
mécontentement menace toujours de gronder, comme l’indique la fréquence des protesta-
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tions collectives, bien que généralement moins médiatisées que dans les zones urbaines.
Dans ce contexte, les politiques à la fois aménagistes et libérales, qui encouragent les inves-
tisseurs tout en sécurisant leur accès à l’eau, permettent surtout à l’État de ne pas bousculer
de fragiles équilibres socio-politiques, tout en accompagnant les évolutions dans la compo-
sition des élites rurales. L’État se recompose alors sous l’effet des transformations sociales,
tout autant qu’il oriente celles-ci. Dans ces jeux d’accommodements mutuels, les eaux sou-
terraines se révèlent finalement comme une « manne57 » naturelle permettant de différer les
difficiles choix redistributifs.
55. Le PJD a en effet remporté la majorité dans les villes de Casablanca, Rabat, Salé, Khénitra, Témara, Tanger,
Tétouan, Marrakech, Agadir, Fès et Meknès.
56. « David Gœury : Les législatives ont donné lieu à une “reconfiguration politique du Maroc selon deux échelles
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57. Le terme biblique de « manne » est souvent repris dans les discours politiques marocains. Il symbolise
l’exceptionnalité d’une ressource décrite comme une aubaine. Dans le contexte islamique, la manne renvoie
au butin (ghanima), en particulier les trésors de Perse et de Byzance que le Prophète aurait proposés aux
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