BARON - Societe civile-ONG-eau
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BARON - Societe civile-ONG-eau
Catherine Baron
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RÉSUMÉ ABSTRACT q
/ Catherine Baron Laboratoire d’études et de recherches sur l’économie, les
politiques et les systèmes sociaux (LEREPS), Université de Toulouse-I
Depuis les années 1990, les politiques du Civil Society and New Patterns of
développement dans le domaine de l’eau, Partnership for Access to Water in
s’inscrivent dans une logique ascendante Developing Countries
attribuant aux ONG une place de premier
plan. Néanmoins « la bonne gouvernan- Since the 1990s, water development policies
have been in keeping with a bottom-up logic,
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DOSSIER
Il existe, depuis les années 1990, une convergence des discours des acteurs du développe-
ment pour conférer à la société civile, et aux ONG en particulier, une place centrale dans
les nouveaux dispositifs du développement et de l’aide. Cette évolution concerne divers
domaines, notamment celui de l’eau. Elle s’inscrit dans un contexte particulier caractérisé
par une exacerbation de la pauvreté et des inégalités dans les pays en développement qui
a suscité une vive critique des plans d’ajustement structurel à la fois par leurs initiateurs 1,
par d’autres organismes internationaux (Conférence des Nations unies pour le commerce
et le développement — CNUCED, et autres instances de l’ONU), mais aussi par de
nombreux acteurs de terrain (dont certaines ONG) et des mouvements altermondialistes.
Rapidement, ces institutions internationales vont procéder à la reformulation de leur dis-
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pement, qualifié de « développement par le haut », s’inscrivait dans une vision hiérar-
chique des rapports de pouvoir entre autorités publiques centrales et acteurs locaux, la
volonté de conférer aux acteurs locaux le pouvoir de définir les objectifs socio-écono-
miques à atteindre suppose de forger de nouveaux modèles préconisant un « développe-
ment par le bas ». Ainsi, à une vision hiérarchique, pyramidale, du pouvoir succéderait
une approche horizontale en termes de réseau que la notion de « gouvernance » refléte-
rait. La gouvernance renvoie en effet à une interdépendance entre des acteurs, privés,
publics voire même associatifs (ONG) supposés se situer sur le même plan quant à leur
1. La remise en cause par J. E. Stiglitz, économiste reconnu au sein de la Banque mondiale, de la politique menée par
le FMI, a médiatisé cette rupture. J. E. Stiglitz, La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002.
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1. C. Baron, « La gouvernance : Débats autour d’un concept polysémique », in Droit et Société, Paris, LGDJ, no 54,
juin 2003, p. 329-351.
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internationales, il est précisé dans l’objectif 7 1, cible 10 : « D’ici 2015, réduire de moitié
le pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’eau potable et aux services d’assainisse-
ment ». Enfin, le dernier rapport du PNUD, intitulé « Au-delà de la pénurie : pouvoir,
pauvreté et crise mondiale de l’eau », atteste de la priorité donnée à cette problématique 2.
Si l’ONU a tracé les grandes orientations, ce sont les bailleurs de fonds (Banque mon-
diale, FMI) qui ont conçu les outils afin de financer ces propositions. Ainsi, de nom-
breuses institutions et de multiples rapports ont été élaborés au cours de ces dernières
années, accentuant la complexification et l’opacité des schémas institutionnels proposés.
Les orientations à suivre sont énoncées dans un document de politique générale sur
l’eau 3. Elles reposent sur une hypothèse non discutée : l’eau ne peut plus être considérée
comme un bien gratuit, elle a un coût économique et social qui doit être en partie
couvert par les usagers (Consultation de New Delhi, septembre 1990). La conférence de
Dublin (janvier 1992) entérine ce principe de l’eau comme bien économique, réaffirmé
à Rio en juin de la même année. Par ailleurs, l’opérationnalisation d’un service universel
passe par la création, à la fin de 2002, du Panel mondial sur le financement des infrastruc-
tures de l’eau, à l’initiative conjointe du Partenariat mondial pour l’eau, du Conseil
mondial de l’eau et du 3e Forum mondial de l’eau à Kyoto. Ce panel, présidé par l’ancien
président du FMI 4, a pour mandat de réfléchir à la mobilisation de moyens financiers
appropriés pour réaliser ces objectifs dans un contexte où l’aide publique au développe-
ment dans le domaine de l’eau a diminué.
L’ensemble de ces propositions converge vers une libéralisation des services publics tels
que le service de l’eau et préconise à cette fin le recours à des partenaires privés pour
mobiliser de nouvelles ressources financières. Connue sous le nom de partenariat public-
privé (PPP) 5, cette modalité s’est largement diffusée dans de nombreux PED au cours
de la décennie 1990, même si les pays africains sont moins engagés dans ces processus,
avec des résultats très diversifiés. Dans ce contexte de « crise », les entrepreneurs privés
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notamment ceux de la société civile et des ONG en particulier, qui sont désignées
comme les partenaires clés du développement.
1. M. H. Bacqué, Y. Syntomer, Gestion de proximité et démocratie participative : les « nouveaux » paradigmes de l’action
publique, Paris, La Découverte, 2003.
2. J. P. Cling, M. Razafindrakoto et F. Roubaud (sous la dir.), Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la
pauvreté, Éd. DIAL et Economica, 2002.
3. Cette question émane d’instances internationales telles que la CNUCED qui titrait un récent rapport (2002) : Le dévelop-
pement économique en Afrique. De l’ajustement à la réduction de la pauvreté : qu’y a-t-il de nouveau ?.
4. M. Totté, T. Dahou, R. Billaz (sous la dir.), La décentralisation en Afrique de l’Ouest (Entre politique et développement),
Paris, Cota-Karthala-Enda-Graf, 2003.
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pement), de nouvelles modalités de financement des projets d’accès à l’eau potable sont
à initier 3. C’est dans ce sens que certaines lois vont être élaborées, notamment la loi
Oudin (janvier 2005) en France dont l’objectif est de rendre les nouvelles sources de
financement plus accessibles et plus facilement mobilisables dans le cadre de la coopéra-
tion décentralisée.
1. Propos recueillis lors de la Conférence mondiale de La Haye, novembre 2000, par Nicole Mari auprès de Robert
W. Pierce, directeur Afrique de Vivendi-Water.
2. PS-eau (Programme solidarité eau), Lettre, « Le rôle majeur des collectivités locales africaines face aux objectifs du
millénaire », no 52, octobre 2006.
3. Ministère des Affaires étrangères, Stratégie sectorielle : eau et assainissement, mai 2005.
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Ces évolutions récentes sont ambiguës dans leur manière d’aborder la participation des
acteurs locaux. On peut en effet se demander s’il s’agit d’une injonction à la participation
recommandée par les bailleurs de fonds, ou d’une participation endogène qui pourrait
aussi être considérée comme le désengagement des autorités publiques d’un domaine qui
relève pourtant de leur mission de service public ?
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terme, récurrent dans le domaine de l’eau, renvoie à des acceptions très diverses qui
« oscillent entre des aspirations à un changement social provoqué par l’intervention et
des dimensions strictement managériales qui visent à favoriser l’expression des populations
1. O. Petit, De la coordination des actions aux formes de l’action collective : une exploration des modes de gouvernance
des eaux souterraines, Thèse de doctorat en Sciences économiques, Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2002.
2. J. Ackerman, « Co-Governance for Accountability : Beyond “Exit” and “Voice” », World Development, vol. 32, no 3, 2003,
p. 447-463.
3. Compte-rendu de l’ouvrage de Arnaud Cabanes, Essai sur la gouvernance publique, Paris, Éditions Guarino, coll. « Fide
Citea »,2004, réalisé par Laurence Lemouzy, « Gouvernance : un constat sans concession, quelques solutions sans idéolo-
gie... », in Pouvoirs locaux, no 61, juin 2004.
4. C. Baron (sous la dir.), « Société civile et marchandisation de l’eau », Sciences de la Société, no 64, février 2005.
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pour faciliter une mise en œuvre consensuelle d’actions » 1. Ainsi, il est utilisé aussi bien
par les altermondialistes que par les bailleurs de fonds.
Or, de notre point de vue, la question de la participation des ONG, et plus générale-
ment de la société civile, dans la mise en œuvre de modalités adaptées pour un accès à
l’eau potable à destination des populations démunies ne peut faire l’impasse d’une analyse
du pouvoir et du conflit qui sous-tendent ces processus participatifs. En effet, dans de
nombreuses sociétés africaines, fortement hiérarchisées, « ne participe pas qui veut mais
celui qui a le statut qui le lui permet ou celui que les gens du pouvoir social autorisent...
D’où le questionnement sur la “représentativité” dans la participation » 2 qui est souvent
occulté. Ainsi, la légitimité est plus complexe qu’il n’y paraît a priori et dépasse les critères
énoncés par la Banque mondiale pour rendre effective la participation de la société civile
au niveau national 3, à savoir :
– la légitimité au sens où le groupe est habilité ou reconnu publiquement ;
– la représentativité dans la mesure où le groupe représente les intérêts et les besoins
d’un groupe de population ;
– la capacité car le groupe dispose des capacités organisationnelles et analytiques pour
remplir ses objectifs, énoncer ses demandes, défendre ses intérêts et pour participer au
dialogue national.
Il convient donc de passer d’une vision « idéalisée » de la participation des ONG et
des communautés locales qui évacue toute différenciation interne, vers une vision analy-
sant non seulement les conflits, mais surtout la diversité des compromis qui peuvent être
trouvés et pérennisés dans le cadre de dispositifs institutionnels locaux. Cette manière
d’aborder les processus participatifs relève d’une approche en termes de « gouvernance »
qui, comme nous l’avons précédemment souligné, intègre à part entière la question du
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1. Ph. Lavigne Delville et M. Mathieu, « Donner corps aux ambitions : le diagnostic participatif comme enjeu de pouvoir
et comme processus social », in Ph. Lavigne Delville, N. Sellamna et M. Mathieu (sous la dir.), Les enquêtes participatives
en débat : ambitions, pratiques, enjeux, Paris/Montpellier, Karthala/Gret/Icra, 2000, p. 497-536.
2. IRAM (Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement), « De la participation à l’empower-
ment : entre la mise en condition et l’illusion de la prise de pouvoir ? », Journées d’étude IRAM, 5-6 septembre 2003.
3. Tikare et alii, 2001, cité dans IRAM, op.cit.
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mations, notamment lorsqu’il s’agit de conclure des contrats dans le domaine de la déléga-
tion de la gestion du service de l’eau.
Cette non-prise en compte de ces jeux de pouvoir masque parfois l’instrumentalisation
des acteurs de la société civile dans la mise en place de nouveaux dispositifs locaux d’accès
à l’eau. Cette instrumentalisation peut être du fait de différents types d’acteurs. Par exem-
ple, « les praticiens croient parfois créer de nouvelles institutions, alors qu’ils ne font en
fait que recombiner les rôles, les relations de pouvoir et de statuts existants. En réalité, les
institutions participatives ne sont jamais ni si nouvelles qu’elles apparaissent, ni une repro-
duction d’un passé idéalisé. Elles sont constituées, négociées, et contestées, dans le cadre des
structures de pouvoir existantes, qui peuvent elles-mêmes être en même temps appuyées et
contestées par des “médiateurs” de projets poursuivant leurs propres objectifs » 1.
1. D. Mosse, « Local institutions and power : the history and practice of community management of tank irrigation systems
in South India », in N. Nelson et S. Wright (eds.), Power and participatory development ; theory and practice, London,
ITDG, 1995, p. 144-156.
2. IRAM, op.cit.
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De même, divers collectifs ont été créés, avec une reconnaissance juridique, comme c’est
le cas d’associations d’usagers, de coopératives ou de groupement d’intérêt économique
(GIE). Ces acteurs interviennent à différents niveaux du processus de gestion de l’eau,
du montage de projets dans un quartier, à la fourniture d’un service, la mise en place des
installations financées par l’État, etc. Or, faire des associations d’usagers les représentants
de la « société civile » prive ce concept de sa dimension politique, pour en faire une
notion économique renvoyant à l’usage (ou l’utilité) du service, voire du bien. De plus,
des gérants privés sous contrat assurent la gestion des bornes-fontaines dans des quartiers
n’étant pas raccordés au réseau selon des logiques qui sont éloignées des liens de solidari-
té ; le principe du bénévolat est remis en cause dans la mesure où des fontainiers assurent
la vente de l’eau. Cette évolution traduit un glissement sémantique quant à la définition
du terme de participation qui ne reflète plus des logiques endogènes, la participation
étant désormais impulsée par des logiques extérieures aux habitants d’où l’idée d’une
« injonction à la participation ».
Prenant le contre-pied de cette représentation, certaines ONG s’inscrivent plus dans
la recherche d’alternatives vis-à-vis de l’État ou du marché en insistant sur une nécessaire
(re)construction du politique. Leur démarche vise la constitution d’« espaces publics de
proximité » où peuvent s’élaborer de nouvelles régulations sociales, comme celle permet-
tant un accès équitable à l’eau. Ces ONG interviennent, souvent de façon « autonome »,
dans la mise en place de dispositifs locaux d’accès à l’eau en milieu rural et dans certains
quartiers irréguliers qui n’ont pas accès au réseau. Cependant, leurs marges de manœuvre
se restreignent dans un contexte où l’accès aux financements relève de compétences
nouvelles nécessitant apprentissage et moyens humains qui font défaut à ces ONG locales,
le plus souvent de petite taille. D’autres ONG, ayant un rayonnement à l’international
et dépassant la seule sphère locale, s’érigent en contre-pouvoir, notamment face aux
entreprises privées multinationales qui, dans le domaine de l’eau, imposent de nouvelles
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1. R. Petrella, Le manifeste de l’eau : pour un contrat mondial, Groupe de Lisbonne et Fundaçao Mario Soares, 1998 ;
V. Shiva, La guerre de l’eau (Privatisation, pollution, profit), Paris, Éd. L’Aventurine, 2003.
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la société et qui sont liés aux différents types de pouvoir, politique, religieux, écono-
mique. Ainsi, la reconnaissance de l’enchâssement des niveaux nécessite de reconsidérer
les contours du territoire pertinent, notamment pour penser la construction d’espaces
publics de proximité identifiés comme lieux d’enchâssement de l’économique, du poli-
tique, du social et du culturel.
1. IRAM, op.cit.
2. M. Leclerc-Olive (sous la dir.), Affaires locales. De l’espace social communautaire à l’espace public politique, Paris,
Karthala-Gemdev, 2006.
3. IRAM, op.cit.