Evolution Geomorphologique Du Piemont Sud-Atlasiqu
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RESUME
Le piémont de Taroudant-Oulad Teima est un modèle de dynamique sédimentaire, au pied d'une montagne jeune, en
surrection continue. L'étude et l'analyse des sédiments depuis l'Oligocène, montre que l'édification et la genèse des piémonts
tertiaires (méga-cônes) entretiennent une relation étroite avec la tectonique, dont l'activité et l'intensité sont confirmées à la
fois par l'épaisseur importante du stock sédimentaire, par leur intégration à la montagne et par la présence des failles.
L'altération accusée de ces dépôts atteste des ambiances climatiques favorables à la formation de la kaolinite, de la vermiculite
et de la smectite. L'atténuation de l'intensité tectonique et l'irrégularité climatique s'intensifient après le Pléistocène inférieur.
ABSTRACT
Taroudant – Oulad Teima piedmont (Morocco): geomorphological evolution from the Oligocene to the early
Pleistocene. The Taroudant – Oulad Teima piedmont is considered as a sedimentary dynamic model at the front of a young
montain in continuous elevation (Moroccan High Atlas). Analysis of deposits since the Oligocene shows that the Tertiary
piedmont edification is related to active tectonic movements. This activity is confirmed by the thickness of the sedimentary
stock and by the presence of faults. Weathering of the deposits indicates the presence of a climate favouring the formation of
kaolinite, vermiculite and smectite clay minerals. Irregular climate and passive tectonic movements have become more intense
after the early Pleistocene.
INTRODUCTION
Le piémont sud-atlasique de Taroudant–Oulad études géologiques qui intéressent le Massif ancien
Teima est compris entre l’oued Issen à l’ouest et sont peu nombreuses ou assez anciennes, comme
l’oued el Ouaar à l’est (Fig. 1). Il s’agit d’un celles de CLARIOND (1932) ou de DE KONING
ensemble de cônes de déjection coalescents issus du (1957). Par contre, la stratigraphie des terrains du
Haut Atlas, qui se prolongent jusqu’à l’oued Souss. Crétacé à Eocène supérieur a été dressée par
Malgré sa proximité à Agadir, la région de AMBROGGI (1963) à travers la coupe d’Erguita, qui
Taroudant est restée scientifiquement peu explorée. a été plus récemment réétudiée par DAOUDI (1991).
Les travaux géomorphologiques de DRESCH (1941) La stratigraphie du Quaternaire récent a été établie
sont limités à la description générale des paysages du par BHIRY (1991), BHIRY & al. (1991), OCCHIETTI
Haut Atlas occidental, tandis que ceux de & al. (1994) et AIT HSSAINE (1994).
WEISROCK (1980) concernent l'Atlas atlantique. Les
Aït Hssaïne, A. (2000). Evolution géomorphologique du piémont sud-atlasique dans la région de Taroudant (SW-Maroc) au cours du Tertiaire
et du Pléistocene inférieur. Bull. Inst. Sci., Rabat, n°22 (1999-2000), pp. 17-28.
Dépôt légal : 36/1984, ISSN : 0253-3243
18 A. Aït Hssaïne – piémont sud-atlasique de Taroudant
Figure 2 : Coupe schématique montrant l’étagement des formes de relief du piémont de Taroudant.
de 20° ; elle contient 30% de dolomite, 30% de Sur la rive gauche de l’oued Irguitène, à
mica, 20% de feldspath, 10% de calcite et 10% de Tigammi ou Fella, une coupe constituée de dépôts
gypse ; détritiques montre, de bas en haut (Fig. 4), une
– des résidus de blocs et de galets libres de 20 à 40 formation de blocs, de galets et de graviers (12 m),
cm de long parsèment le sommet de la formation inclinée de 30 à 40° sud ; affectée par des failles
blanche ; inverses à rejet de 1,5 m et plus ; elle montre une
– une formation rose (molasse), épaisse et concor- altération poussée, au point que certains blocs
dante, souligne la rupture de pente sur le versant sud schisteux ou autres sont fondus dans leurs matrices ;
de la formation blanche, au NE du village. dans le détail, on peut distinguer une alternance de
bancs gravelo-sableux et d’autres blocailleux, sans
Sur la rive droite de l’oued Irguitène, une organisation précise au sein de la masse qui évoque
formation de galets et de blocs à ciment blanc repose un dépôt torrentiel de type «debris- flow» ; la nature
au-dessus des grès éocènes. Son épaisseur apparente des galets de 4-6 cm de diamètre indique qu’une
est de 20 m avec un pendage de 45° sud. Elle passe grande partie est issue du Massif ancien, à laquelle
vers le sud, après une rupture d’érosion, à la se mêle une proportion faible (1,7%) de galets de la
formation rose faillée. zone sub-atlasique (Tabl. I) ; les calcaires
mésozoïques, ainsi que quelques quartzites ont subi
un émoussé avancé (AIT HSSAINE, 1994).
LA MOLASSE ROSE DEFORMEE (Miocène
La matrice rouge qui enrobe les blocs et les
probable)
galets de la formation est sablo-argileuse, riche en
Le terme de molasse utilisé dans ce texte désigne carbonates (31 à 43%) (Fig. 4). Elle est issue d’une
une formation torrentielle, épaisse, composée de part de la dissolution des galets calcaires composant
galets et de blocs à ciment sableux avec intercalation la formation sus-jacente, et d’autre part, de la
de bancs gréseux ou sableux. proximité de la zone sub-atlasique calcaire.
A. Aït Hssaïne – Piémont sud-atlasique de Taroudant 21
(Tabl. II). Quelques lentilles de graviers ou de tectonique cassante (failles) intervient pour rompre
cailloutis apparaissent vers le sommet de la coupe. cette règle.
La structure désorganisée du dépôt est noyée
dans une matrice sablo-argileuse (69,6% de sable), Evolution géologique de la montagne
enrichie en carbonates (31%). Les argiles représen-
tent 23% et sont détritiques, issues du remaniement L’évolution géologique et géomorphologique du
des formations plus anciennes. Haut Atlas de Taroudant s’inscrit dans le cadre de
l’évolution générale du Haut Atlas occidental. Elle se
ESSAI D’INTERPRETATION MORPHO- résume par l’ouverture d’un rift au début du Trias où
STRUCTURALE ET GEODYNAMIQUE les sédiments se sont accumulés durant le
Mésozoïque.
INTERPRETATION MORPHOSTRUCTURALE Du Dévonien au Lias inférieur, l’emplacement
ET EVOLUTION DE LA MONTAGNE actuel du Haut Atlas constituait une région émergée
Au nord de Taroudant, dans le Massif ancien, (AMBROGGI, 1963). Deux grandes phases
l’évolution du relief est complexe à cause de deux d’évolution, responsables de la mise en place du
paramètres principaux : la tectonique et la lithologie. Haut Atlas et de ses sillons bordiers peuvent être
Ces deux paramètres changent rapidement dans distinguées : une phase anté-triasique (anté-rift) ; une
l’espace et conduisent à des styles tectoniques variés, phase triasique et post-triasique (rift et post-rift).
mais il paraît de l’architecture du relief que la Avant le Trias, le paysage est caractérisé par la
lithologie joue un grand rôle à la fois sur le plan chaîne hercynienne qui, à la fin du cycle, se trouvait
structural et morphologique. Du point de vue déjà érodée et pénéplanée par endroits (Meseta
structural, les plis diffèrent selon qu’ils affectent des occidentale). Cette usure met fin au cycle hercynien
roches dures (calcaires, quartzites) ou tendres et à l’Ere primaire.
(schistes). Les schistes sont fortement plissés et et les Au début du Trias, une autre ère s’annonce ; elle
étirements et les laminages sont fréquents. Les commence par l’intervention de décrochements
roches dures, par contre, donnent des plis coffrés et intenses et de failles qui fragmentent la chaîne
faillés. Les anticlinaux conservent leur position de hercynienne érodée, et participent à l’ouverture du
hauts reliefs structuraux, et se présentent sous forme rift «atlasique» (WURSTER & STETS, 1982 ;
de monts. Les synclinaux, constitués de schistes, DAOUDI, 1991). Ce dernier est une simple fosse
prennent la forme de cuvette ou de val étroit. tectonique où se sont accumulés les sédiments
La complexité de la structure du Massif ancien marins et continentaux depuis le Permo-Trias
découle aussi de son histoire tectonique et des jusqu’au Crétacé moyen. Au Sénonien, les premières
orogenèses hercynienne, avec des directions manifestations tectoniques à caractère compressif
structurales, NNE-SSW, et atlasique à directions déforment ces sédiments et dessinent les premiers
WSW-ENE. traits de la future chaîne atlasique. Ce sont les
Dans la zone sub-atlasique, par contre, la mouvements de l’Eocène terminal qui amorcent la
structure est moins compliquée et le style tectonique surrection de la chaîne atlasique. Ils sont amplifiés au
prend l’aspect de bombements à grand rayon de
Pliocène terminal et donnent la configuration
courbure.
Du point de vue morphologique, les monts du actuelle de la chaîne et des sillons bordiers ; depuis,
Massif ancien, armés de roches résistantes (calcaire l’érosion ne cesse de sculpter le relief, de creuser les
géorgien), prennent la forme d’arêtes qui, dans vallées et de combler les dépressions en subsidence.
l’ensemble, se présentent en «paysage de serres».
Dans la zone sub-atlasique, les axes anticlinaux sont Evolution de la bordure sub-atlasique au
évidés en combes. Celles-ci sont autant facilitées par Crétacé : synthèse paléogéographique du secteur
la présence de failles. Le rôle de la lithologie et de d’Erguita
l’épaisseur dans le développement de l’érosion se
La synthèse des coupes géologiques décrites par
manifeste aussi dans le creusement et la morphologie
des vallées. Celles-ci sont plus larges et plus les auteurs sur le flanc sud du Haut Atlas occidental
profondes lorsque les roches sont tendres et épaisses, montrent que l’épaisseur des faciès du Crétacé
plus étroites et moins importantes lorsque les roches diminue considérablement de l’ouest vers l’est. Elle
sont plus résistantes et massives, et dissymétriques passe de 2500 m à Agadir à 250 m seulement à
quand le contraste lithologique est plus marqué, ce Aoulouz, sur une distance de 200 km (WURSTER &
qui est la règle élémentaire de la dissection. Des cas STETS, 1982 ; DAOUDI, 1991). Ceci atteste que la
particuliers sont cependant à signaler où la partie occidentale du sillon sud-atlasique est
A. Aït Hssaïne – Piémont sud-atlasique de Taroudant 23
affectée par la subsidence durant le Crétacé inférieur La richesse en galets de quartzite et de grès
et moyen. De marine dans la partie ouest, la rouges montre que le Massif ancien subissait une
sédimentation devient continentale et marginale dans érosion intense. Toutefois, la présence de quelques
la partie est. Le secteur d’Erguita occupe une galets issus de la zone sub-atlasique indique
position intermédiaire ; aussi comporte-t-il des probablement que cette dernière commençait à
intercalations de sédiments de mer ouverte, de faciès s’intégrer à la montagne avec cependant une
littoraux et de dépôts continentaux (DAOUDI, 1991). exportation importante des carbonates. Le
Au Cénomanien et au Turonien, la mer
façonnement important des éléments (indice
transgresse vers l’est, mais devient néritique au
Sénonien dans le secteur d’Erguita. Au Santonien d’émoussé élevé) calcaires mésozoïques et quelques
terminal, survient une crise tectonique qui déforme quartzites refléterait un apport lointain et un régime
les sédiments déposés à Erguita. Elle est soulignée fluvio-torrentiel. En général, 1/3 de la masse totale
par une discordance de 10° (AMBROGGI, 1963). des galets de 4-6 cm de diamètre a subi un émoussé
D’autres mouvements tectoniques affectent le Haut avancé, la moitié se trouve dans la phase
Atlas jusqu’à la fin du Campanien. Les faciès rouges, intermédiaire, les anguleux sont minoritaires, l’indice
accompagnés de gypses du Coniacien moyen et du d’aplatissement est aussi élevé et touche surtout la
Santonien inférieur, traduisent un milieu lagunaire catégorie des intermédiaires où quelques quartzites
(BEHRENS & al., 1982). Au Maestrichtien, la mer sub-émoussés atteignent à Boulajlate la valeur de
revient à Erguita et y dépose des sables phosphatés. 2,5. Les anguleux, qui regroupent beaucoup de
Cette sédimentation se prolonge jusqu’à l’Eocène quartzites, se situent généralement en dessous de 2,5.
inférieur. Elle ne change qu’au Lutétien lorsqu’elle Ces indices élevés pourraient traduire l’intervention
devient calcaire, puis marneuse et gréseuse de l’action du froid lors de la préparation ou du
continentale à l’Eocène supérieur. À la fin de cette transport du matériel, comme elle pourrait indiquer
période a lieu l’orogenèse atlasique majeure, qui se
un remaniement des éboulis périglaciaires de haute
poursuivra pendant tout le Cénozoïque supérieur.
montagne. Le dépôt est celui des cônes de déjection.
INTERPRETATION GEODYNAMIQUE L’étude des fractions sableuses indique un dépôt
de type torrentiel mal trié. Les indices
L’édification du piémont tertiaire de Taroudant
résulte de l’évolution tectonique de la chaîne. En granulométriques (FOLK, 1957) sont négatifs.
nous basant sur l’interprétation lithostratigraphique, L’enrichissement en carbonates explique la forte
nous pouvons dire qu’au pied des grès et argiles cimentation de la matrice qui enrobe les galets. La
rouges soulevées de l’Eocène supérieur se succèdent, rubéfaction accusée du matériel indique une forte
en discordance angulaire, d’autres formations. altération survenue après la mise en place du dépôt.
Celles-ci débutent par des bancs conglomératiques Celle-ci est confirmée par la présence de traces de
fins traduisant une sédimentation éloignée de la galets fondus dans leurs matrices surtout les dolérites
source d’alimentation, les formations paléozoïques. et les schistes. Les argiles (22%) que contient cette
Les marnes litées intercalées entre les bancs matrice résultent donc de l’altération, ce qui pourrait
bréchiques de la base, reflèteraient une décantation et expliquer aussi la néoformation de la kaolinite qui se
un apport de carbonates détritiques ou reprécipités.
forme dans un milieu très lessivé à bon drainage ;
Les marnes sableuses intermédiaires peuvent
ceci n’exclut pas qu’elle pourrait être héritée des
traduire un apport plus distal et un milieu peu
profond. L’enrichissement de ces faciès sablo- altérites anciennes de la montagne comme le suggère
argileux en carbonates peut être lié à une évolution l’abondance de l’illite.
postérieure en milieu confiné, caractérisé par L’indice d’un milieu humide favorable à
l’oscillation de nappes phréatiques encroûtantes, l’altération est donc présent, contrairement à ce qui a
comme le suggère la minéralogie associée (dolomite, été signalé dans la région d’Agadir par WEISROCK
attapulgite, smectites et gypse). (1980) ou la palygorskyte constitue 50% du stock
La rudite à ciment blanc (molasse blanche) qui argileux.
couronne ces formations indique de nouveau un
apport torrentiel important qui pourrait être lié soit à La présence de l’illite et de la chlorite témoigne
une crise tectonique, soit à un changement de la nature détritique du dépôt. Selon MILLOT
climatique. (1964), ces minéraux sont dans la plupart des cas
Après une phase d’érosion, d’autres apports hérités. Ils sont stables dans les altérations à
torrentiels, la molasse rose, se sont accumulés sous caractère mécanique, discrets dans les sédiments en
forme de cônes de déjection.
24 A. Aït Hssaïne – Piémont sud-atlasique de Taroudant
eau alcaline, vulnérables dans les milieux acides et diagramme des indices d’émoussé et d’aplatissement
lessivés dans les eaux douces à altération chimique où les dolérites sont abondantes, contrairement à la
(podzolisation et latérisation). molasse rose où elles sont altérées et fondues.
Au-dessus de la molasse rose, s’édifient deux Dans le cône B2, emboîté dans le cône B1 et
cônes de déjection en discordance angulaire sur la discordant sur la molasse rose, le matériel issu de la
molasse rose et qui font partie du piémont actuel. Les zone sub-atlasique est encore plus abondant,
blocs calcaires (50%) qui forment le cône B1 contrairement à ce qui a été signalé dans les
pourraient être l’indice d’une crise tectonique de formations plus anciennes. La taille des blocs est
grande envergure, affectant à la fois la zone sub- réduite par rapport au cône B1, mais reste encore
atlasique et le Massif ancien puisque la part de celui- notable (40 à 50 cm de diamètre), ce qui montre que
ci dans l’alimentation du piémont en galets est l’énergie des oueds était puissante et que les versants
notable. La taille des blocs implique un écoulement de la zone sub-atlasique subissaient un
torrentiel de type «mud flow». La tectonique démantèlement important. En comparaison avec la
fragmente la roche, crée les pentes et augmente la molasse rose et le cône B1, nous constatons une
compétence des oueds. A partir de cette période, la réduction dans l’épaisseur des formations et dans la
zone sub-atlasique s’intègre à la montagne, taille des blocs qui constituent le cône B2. Par
contrairement à la situation des molasses roses où contre, la proportion d’éléments calcaires crétacés
elle ne fournissait que 2% de son matériel. La devient importante. L’intensité de la dynamique
configuration actuelle du relief se met en place. tectonique et érosive a dû s’accentuer dans la zone
sub-atlasique.
La croûte qui couronne le sommet de cette Du point de vue morphométrique, le degré
formation est liée à la forte présence du CaCO3 (41 à d’émoussé diminue nettement dans les galets de 4-6
55 %). L’origine des carbonates est liée d’une part à cm. Soulignons à cet égard que TRICART &
la présence d’éléments calcaires dans le dépôt, CAILLEUX (1955), JOLY (1962) et WEISROCK
arrachés à la zone sub-atlasique (dissolution et (1980) ont considéré comme émoussé faible les
précipitation probables in-situ) et la juxtaposition du indices inférieurs à 280. Les galets aplatis sont ceux
cône dans les calcaires et les marno-calcaires qui ont des indices supérieurs à 2 (DUMAS, 1977). A
oligocènes. Les 22% d’argiles que contient la Boulajlate, à part les anguleux, nous pouvons
matrice sont caractérisés par l’abondance de la distinguer facilement :
vermiculite, contrairement aux molasses roses, ce qui – Une population de galets légèrement évoluée à
suggère sa néoformation. Les autres minéraux sont évoluée ; elle se divise en deux groupes ; le premier
hérités. renfermant beaucoup de dolérites et très peu de
Du point de vue morphométrique, les galets de calcaires mésozoïques, à indice d’aplatissement
dolérites triasiques montrent un émoussé avancé, modeste, compris entre 1 et 1,75 ; le deuxième, à
associés à quelques quartzites et calcaires primaires, population émoussée et aplatie, renferme beaucoup
mais la plupart des galets, de différentes lithologies, de schistes et de calcaires mésozoïques, représentant
ont un indice d’émoussé inférieur à 400. Les indices le 1/3 de la population usée ; cette population
d’aplatissement élevés (> 2) n’ont été mesurés que constitue plus de la moitié de la masse totale.
sur les dolérites et n’ont aucune signification paléo- – Une population de galets intermédiaire contenant
climatique. En comparaison avec les molasses roses, beaucoup de dolérites et de calcaires et peu de
on ne constate pas de grandes différences dans le quartzite. Ces derniers sont remaniés des formations
façonnement des galets, malgré une légère hausse plus anciennes. Les indices élevés d’aplatissement
des indices d’émoussé des galets doléritiques dans le des galets traduiraient une intervention probable du
cône B1. Au contraire, la taille des blocs a froid (DUMAS, 1977). La taille grossière des galets
considérablement augmenté et la pétrographie est et leur dominance expriment un démantèlement des
caractérisée par l’abondance des calcaires versants par éboulement, comme dans le cône B1,
mésozoïques. Ceci implique d’une part, qu’une sans doute lié à l’intervention tectonique. Les
partie des galets de 4-6 cm est remaniée de la minéraux argileux sont tous hérités des formations
molasse rose et d’autre part, que les blocs associés à plus anciennes. La teneur élevée des carbonates dans
une autre partie de galets sont issus de la zone sub- ces formations est conforme à la richesse en éléments
atlasique et du Massif ancien. Cette suggestion est calcaires. La torrentialité du dépôt et l’irrégularité de
confirmée par les spectres pétrographiques et par le l’écoulement
A. Aït Hssaïne – Piémont sud-atlasique de Taroudant 25
sont attestés par l’analyse granulométrique. Celle-ci expliquerait les pendages de moins en moins forts de
montre des indices granulométriques négatifs et des la base au sommet de la série.
courbes cumulatives paraboliques.
On retient de cette étude que, malgré la LE PROBLEME DU MIOCENE
diminution de la compétence des oueds par rapport
aux périodes précédentes, la tectonique est demeurée La position stratigraphique des molasses roses
active et les versants très dynamiques. Cette d’Erguita, directement au-dessus de l’Oligocène
tectonique a affecté profondément la zone sub- probable, plaide pour un âge Miocène, mais en
atlasique qui, depuis le cône B1, commençait à comparaison avec d’autres formations similaires
fournir des masses volumineuses d’éléments décrites ailleurs, leur problème devient crucial.
détritiques au piémont. Ceci est l’indice d’un WEISROCK (1980) a décrit une formation rose
soulèvement tectonique de cette zone et de son similaire à El Mahser, dans la région d’Agadir, qu’il
intégration à la montagne. Cette surrection devient a rapporté au Plio-Villafranchien. Admettant que ces
capitale à la fin de la mise en place de B1 et lors de molasses datent de cette époque, que s’est-il passé
celle de B2. Parallèlement à cette surrection, alors au Miocène et au Pliocène dans cette région, au
l’érosion des bassins versants devient agressive et les cours des 22,1 millions d’années ?
oueds voient leurs compétences et leurs charges CHOUBERT & al. (1968) ont essayé de justifier
augmenter. l’absence du Miocène sédimentaire dans la région du
Souss, en évoquant une phase de distension
INTERPRETATION STRATIGRAPHIQUE ET tectonique. D’autres auteurs (POMEROL, 1973) ont
POSITION CHRONOLOGIQUE DES signalé un rejeu en blocs à la fin du Miocène.
FORMATIONS TERTIAIRES AMBROGGI (1963) affirme que le Miocène marin
franc est absent dans tout le Haut Atlas occidental et
En raison de l’absence des témoins corrélatifs et dans la vallée du Souss. A quoi correspondent donc
des matériaux datables, la chronologie des les molasses roses redressées ?
formations continentales tertiaires est difficile à
Si l’on admet que le Miocène dans cette région,
établir. Les paramètres sur lesquelles nous pouvons
correspond à une phase d’orogenèse et d’érosion de
nous appuyer restent la succession stratigraphique, la
la chaîne atlasique, ses témoins devraient être
lithologie, les analyses sédimentologiques et le degré
représentés au pied de celle-ci. Les molasses roses en
d’altération et de consolidation. La période de dépôt
seraient la preuve. Une phase de soulèvement
déterminée s’intercale entre l’Eocène supérieur et le
tectonique post-oligocène est donc admise. Or, les
Pléistocène moyen.
variations des pendages au sein de la formation rose
révèlent la continuité de l’activité tectonique, à la
L’OLIGOCENE PROBABLE
montagne comme au piémont, sans doute renforcée
En partant de la fin de l’Eocène supérieur, connu au Miocène, ce qui ne contredit pas le fait que cette
par ses grès et argiles rouges, nous avons vu qu’il période est une phase de surrection et d’érosion.
existait à Boulajlate une formation blanche ou Pour expliquer l’absence du Miocène dans
grisâtre discordante, entre les grès roses de l’Eocène l’Atlas atlantique, WEISROCK (1980) a fait appel
supérieur et les molasses roses qui pourraient débuter aux études de SUMMERHAYES & al. (1971) sur la
dans le Miocène (HUVELIN, 1973). Cette disposition plate-forme continentale. Ces auteurs ont décrit dans
coïnciderait donc bien avec l’Oligocène. Les faciès la partie supérieure de cette plate-forme un
conglomératiques de base, qui marquent la « conglomérat miocène » à glauconie et phosphates,
discordance avec les grès roses de l’Eocène seraient- incorporant des galets de l’Eocène et du Crétacé, liés
ils la base de l’Oligocène ? Si c’est le cas, les faciès à une orogénie. Ce conglomérat est nettement
marno-sableux calcitiques de 20 m et les dolomies de discordant sur le matériel paléozoïque et éocène
10 m représenteraient l’Oligocène moyen, tandis que intensément plissé, ce qui est en accord avec nos
les conglomérats blancs coincideraient avec observations sur l’Eocène supérieur, redressé puis
l’Oligocène supérieur identifié dans l’Océan, au pied arasé. La discontinuité qui correspond à la plate-
de l’Atlas atlantique. En admettant que cette forme continentale, observée ailleurs et rapportée à
hypothèse soit correcte, la coupe de Boulajlate l’Oligo-Miocène, est dans notre secteur d’étude anté-
représenterait donc une coupe type complète mais oligocène inférieur, puisque nous disposons
condensée de tout l’Oligocène. Celui-ci aurait été probablement de la séquence complète de
contemporain des mouvements tectoniques, ce qui l’Oligocène. Donc, elle est fini- ou post-éocène.
26 A. Aït Hssaïne – Piémont sud-atlasique de Taroudant
La sédimentation a continué dans le secteur après La deuxième génération des cônes blocailleux se
cette époque, contrairement à l’Atlas atlantique. Le place après les phases de tectonique cassante et de
conglomérat à glauconie de la plate-forme creusement qui affectent les formations pliocènes.
continentale peut être l’équivalent de la molasse rose Cette position à la fois stratigraphique et
redressée d’Erguita. Tous les deux traduisent la topographique nous permet de la ranger comme
surrection et l’érosion post-oligocène de la chaîne. formation qui succède au Pliocène. Elle semble
Les produits de cette phase dans l’Atlas Atlantique, pouvoir être attribuée au Pléistocène inférieur.
sont donc directement exportés vers l’océan à cause
de sa proximité et se trouvent actuellement IMPLICATIONS PALEOCLIMATIQUES
submergés. Il reste que les molasses roses, dans notre Cette étude montre que, par rapport au Pliocène,
secteur d’étude, sont attribuées au Miocène. Elles un changement concerne l’intensité et la vitesse de
sont contemporaines d’une période d’érosion l’évolution des bassins versants qui étaient très
destructive, mise en marche par des mouvements actives. Ce changement se traduit par la diminution
orogéniques, amplifiés à cette époque. Elles sont de la taille des blocs et de l’épaisseur des formations.
différentes des molasses roses de la coupe d’El Ceci implique que l’énergie des écoulements se
Mahsser qui sont post-moghrébiennes, par leur trouve relativement moins efficace, mais les
position stratigraphique, leur pétrographie et leur conditions climatiques et érosives semblent être
cortège de minéraux argileux. restées les mêmes, sinon, elles sont devenues moins
favorables à l’altération. La minéralogie des argiles
LES CÔNES SUPERIEURS nous les a révélées. Par contre, la tectonique est
demeurée active dans la zone sub-atlasique, comme
Après le dépôt des molasses roses miocènes, se le démontre l’arrivée de nouveaux apports en masse
produit un soulèvement tectonique intégrant ces issus de cette zone. La dolérite et les autres roches
dernières et la zone sub-atlasique à la montagne. Ce ¨altérées¨ dans les formations du Miocène et du
soulèvement à l’origine de failles, a conduit à la Pliocène, sont par contre fraîches dans les formations
dissection du Miocène et à la configuration des du Pléistocène inférieur. Cette crise tectonique est
vallées. Le creusement est suivi par l’épandage des probablement accompagnée par un refroidissement
cônes supérieurs du piémont, aujourd’hui perchés. du climat en montagne. Les indices d’aplatissement
Ceux-ci se distinguent des molasses roses par leur des galets calcaires issus de la zone sub-atlasique
emboîtement dans le Miocène, leur matériel semblent le confirmer.
hétérométrique, leur couleur jaunâtre, leur épaisseur Le caractère rhexistasique du climat n’est
moins importante, la présence massive des calcaires confirmé jusqu’à maintenant que par la taille
sub-atlasiques et leur discordance angulaire. Cette grossière des matériaux, du mode de transport et de
première génération de cônes de piémont succède sédimentation. La palygorskite, qui est un indicateur
donc aux molasses miocènes, après une lacune d’assèchement du climat, n’est pas déterminante
d’érosion. Elle peut être, par cette position dans ces formations, compte tenu de sa proportion
stratigraphique, rapportée au Pliocène. L’édification faible. Faut-il se rattacher aux encroûtements
de ces cônes, comme on l’a vu, est liée surtout aux généralisés du matériel pour confirmer le caractère
mouvements tectoniques post-miocènes, accom- semi-aride à la fin du Pliocène et du Pléistocène
pagnés d’écoulements violents. inférieur ? Selon VOGT & al. (1977), les croûtes
Dans l’Atlas Atlantique, WEISROCK (1980) a lamellaires font partie d’un faciès aride. TRICART
signalé que le Pliocène inférieur est caractérisé par (1955) considère le façonnement médiocre des galets
un climat humide ; par ailleurs, dans le piémont sud comme un critère de climat semi-aride, caractérisé
de l’Atlas atlantique, les cônes que WEISROCK par des crues soudaines. LEFEVRE (1991) signale
(1980) a qualifié de post-moghrébiens ou de plio- que les croûtes calcaires ne constituent pas les limites
villafranchiens se placent après une première phase supérieures des séquences sédimentaires. Les croûtes
d’érosion. La néoformation de la palygorskite y se ressemblent et ne peuvent pas servir de repère
indiquerait un climat sec. Le caractère aride à la fin stratigraphique. Ce critère, comme il est le cas pour
du Pliocène ou du Plio-Villafranchien est signalé par le Pliocène, ne reflète pas réellement l’évolution
BEAUDET (1969, 1982), COUVREUR (1978, 1983) climatique de la fin d’une période à cause de
et RISER (1978, 1983). Dans notre secteur d’étude, l’exposition des sédiments à l’air libre pendant une
la croûte lamellaire qui scelle les dépôts du Pliocène longue période avant d’être fossilisés.
en surface est locale. Elle est liée au versant sud à L’interprétation des croûtes doit se faire avec
matériel oligocène carbonaté, exposé aux agents beaucoup de prudence car il s’agit d’un phénomène
météoriques. cumulatif.
A. Aït Hssaïne – Piémont sud-atlasique de Taroudant 27
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