asinag-2700

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 24

Asinag

17 | 2022
Economie et culture en milieux amazighes

Agriculture d’exportation et transformations socio-


économiques dans le Sous
Mohamed Oubenal

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/asinag/2700

Éditeur
Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM)

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2022
Pagination : 39-61
ISSN : 2028-5663

Référence électronique
Mohamed Oubenal, « Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous »,
Asinag [En ligne], 17 | 2022, mis en ligne le 01 février 2024, consulté le 20 février 2024. URL : http://
journals.openedition.org/asinag/2700

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers
annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Asinag-Asinag, 17, 2022, p. 39-61

Agriculture d’exportation et transformations


socio-économiques dans le Sous
Mohamed Oubenal
IRCAM, Rabat

Pour comprendre le développement de l’agriculture d’exportation dans le Sous et ses


conséquences nous étudions l’histoire économique de cette région durant la période
coloniale. Nous montrons l’existence de mécanismes qui ont été mis en place pour s’assurer
de l’expropriation des terres. Malgré l’existence de plusieurs litiges sur l’immatriculation
de ces terres, une colonisation agricole a bien pu s’y installer. Cela s’est fait grâce
notamment à des acteurs intermédiaires dont le plus important a été Lahoussine Demnati.
Ces acteurs ont joué un rôle fondamental dans les transformations socio-économiques et
culturelles de la région. Ils ont réalisé des opérations de défrichement et d’installation des
pompes. Celles-ci ont non seulement bousculé les systèmes collectifs de production agricole
des communautés rurales qui proviennent d’une culture amazighe millénaire mais ont
considérablement réduit la nappe phréatique dans le Sous.

Mots-clés : Agriculture d’exportation, pompage de l’eau, région de Sous, Lahoussine


Demnati, sociologie économique.

In this article we study the economic history of the Sous region during the colonial period
to understand the development of its export-oriented agriculture in the Sous. We show the
existence of mechanisms that have been put in place to ensure the expropriation of land.
Despite disputes over the registration of these lands, agricultural colonization settled down
with the help of intermediaries, the most important of which was Lahoussine Demnati.
These actors played a fundamental role in the socio-economic and cultural transformations
of the Sous region. They carried out clearing operations and installed pumps. This
disrupted the collective production system of rural communities grounded in the Amazigh
culture and reduced the groundwater in the Sous region.

Key-words: Export-oriented agriculture, water pumping, Sous region, Lahoussine


Demnati, economic sociology.

Notre intérêt pour le sujet de l’agriculture d’exportation dans le Sous est né de la


rapidité des changements que nous avons constatés durant les vingt dernières années
dans les localités de la plaine situées entre ⴱⵉⵢⴳⵯⵔⴰ (Biougra) et ⴰⵢⵜ ⵎⵍⵍⵓⵍ (Ait
Melloul). La ville de ⵍⵇⵍⵉⵄⴰ (Lqliâa) représente à elle seule un cas emblématique
de la grande transformation que connaît cette région. L’abondance de l’emploi dans

39
Mohamed Oubenal

les fermes de la région pousse les travailleurs de plusieurs endroits du Maroc à venir
s’y installer. Le nombre de ses habitants a été multiplié par 4,6 en deux décennies.
On est passé d’un village qui comprend 17.921 habitants d’après le recensement de
1994 à une ville de 83.235 personnes en 20141. Le melting-pot culturel est également
perceptible lorsqu’on visite cette ville puisqu’elle comprend, outre des personnes
provenant du Sous, des travailleuses et des familles originaires des régions de Abda,
Azilal, Chiadma, etc. ainsi qu’une petite communauté subsaharienne qui s’y est
également installée. Mais les politiques publiques n’arrivent pas à suivre le rythme
de progression de la population. Les habitants de cette commune critiquent souvent
l’état des infrastructures sanitaires qui y sont presque inexistantes ainsi que le
sentiment d’insécurité qui y règne2.
L’emploi dans les fermes agricoles de la région d’Achtouken n’attire pas seulement
des travailleuses de différentes régions, il a aussi un impact sur la nappe phréatique
et donc sur l’organisation socioéconomique des communautés rurales. Le
tarissement de la nappe phréatique est très net puisqu’elle passe d’environ 20 m en
1979 à 60 m en 20003. L’irrigation moderne par pompage représente plus de 94,2%
de la consommation de la nappe phréatique alors que les milliers de paysans qui
pratiquent l’agriculture traditionnelle n’en consomment que 1,1% et que toute
l’agglomération d’Agadir ne consomme en eau potable que 4,7%. Il apparait donc
clairement que cette pratique économique pose un réel défi pour la région4. Cette
situation a conduit les pouvoirs publics à envisager un projet de dessalement de l’eau
de mer. Cette technologie représente néanmoins un enjeu majeur en termes de
pollution de l’environnement avec le rejet de saumure qu’elle produit.
L’agriculture d’exportation s’est nettement développée dans le Sous surtout à partir
de 1965 (Hnaka, 1995). L’Etat a, en effet, encouragé la commercialisation des
produits agricoles en créant l’Office de Commercialisation et d’Exportation (OCE)
et a soutenu l’équipement grâce aux financements apportés par la Caisse Nationale
1
Données provenant des recensements réalisés par le Haut Commissariat au Plan.
2
En plus des témoignages que nous avons récoltés, il y a aussi cet article sur le sujet :
: "‫ ﺑﺆﺱ ﻳﻄ ّﻞ ﺑﻮﺟﻬﻪ ﺍﻟﺒﺸﻊ ﻋﻠﻰ " َﻗﻠﻌﺔ ﺍﻹﺟﺮﺍﻡ" ﻓﻲ ﺳُﻮﺱ‬..‫"ﺍﻟ ْﻘﻠﻴﻌﺔ‬
https://www.hespress.com/%D8%A7%D9%84%D9%82%D9%92%D9%84%D9%8A%
D8%B9%D8%A9-%D8%A8%D8%A4%D8%B3-
%D9%8A%D8%B7%D9%84%D9%91-
%D8%A8%D9%88%D8%AC%D9%87%D9%87-
%D8%A7%D9%84%D8%A8%D8%B4%D8%B9-%D8%B9%D9%84%D9%89-
%D9%82%D9%8E-158166.html, consulté le 13/09/2020.
3
Les données provenant de l’agence du bassin hydraulique du Souss Massa sont repris en
page 47 dans le rapport sur le « Profil environnemental d’Agadir » réalisé en 2004 dans le
cadre du programme Agendas 21 locaux , fruit d’un partenariat entre le Ministère de
l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement, le PNUD et le Programme
des Nations Unies pour les Etablissements Humains – UN-HABITAT :
https://mirror.unhabitat.org/downloads/docs/2886_81314_profilagadir.pdf, consulté le
13/09/2020.
4
Ibid.

40
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

de Crédit Agricole (CNCA). Les opérations de marocanisation des terres coloniales


et des entreprises agroindustrielles à partir de 1973 ont également insufflé une
dynamique au secteur. Les années 1980 ont, quant à elles, été marquées par la
libéralisation des exportations et l’accord avec l’Union Européenne qui ont changé
les conditions d’écoulement de la production agricole sur le marché international.
Plusieurs agriculteurs s’organisent sous forme de coopératives ou de regroupements
pour pouvoir exporter avant d’investir fortement le marché local comme ce fut le cas
pour la COPAG.
Pour comprendre le développement de l’agriculture d’exportation dans le Sous et ses
conséquences, il faudrait étudier l’histoire économique de cette région durant le
protectorat. Cet article a donc pour objectif de comprendre la généalogie de ce
secteur pour saisir les conditions qui ont rendu possible l’essor de ce secteur dans la
plaine du Sous. Il s’agit non seulement de préciser les processus qui ont permis
l’appropriation des terres et des ressources en eau mais également de définir les
acteurs clés qui y ont joué un rôle important.
Pour ce faire nous avons réalisé une courte monographie historique fondée sur une
méthodologie qualitative pour comprendre l’émergence de l’agriculture
d’exportation dans la plaine du Sous. Nous mobilisons pour cela des documents que
nous avons pu consulter aux archives militaires françaises situées au Service
Historique de la Défense5. Nous avons aussi effectué une recherche documentaire et
réalisé une revue de littérature en utilisant, par exemple, la thèse de Mohamed
Boujnikh sur l’extension des transformations vers les Ait Berhil durant les dernières
décennies.

L’évolution des méthodes d’expropriation durant le protectorat


L’expropriation des ressources, principalement la terre et l’eau, ne date pas de
l’époque coloniale. Les recherches historiques documentent les processus
d’accumulation opérés par les différents pouvoirs politiques qui émergent un peu
partout dans le Sous (Pascon, 1984).
Mais ce qui caractérise le processus d’accumulation précolonial c’est son caractère
précaire. Les ⵉⵎⵖⴰⵔⵏ (imgharn) et caïds locaux peuvent connaître des revirements
rapides de leur situation et tout perdre du jour au lendemain (Montagne 1930). Dans
le Sous, l’une des pratiques courantes est celle de ⵍⵉⵙⵜⵉⵔⵄⴰ (listirâa) qui consiste
à ce qu’une personne expropriée revienne chez le fqih-notaire, auprès de qui elle a
été amenée de force par l’ⴰⵎⵖⴰⵔ (amghar) pour céder ces biens, pour lui demander
d’écrire un document où elle s’oppose à la cession en soutenant que c’est une
opération de vente forcée (El Boukdouri 2000, 181). Dès que le pouvoir de l’ⴰⵎⵖⴰⵔ

5
Ces documents ont été collectés au SHD situé au château de Vincennes durant la mission
de recherche que nous avons réalisée à Paris fin novembre 2019.

41
Mohamed Oubenal

(amghar) en question vacille, la personne peut alors sortir son document pour
reprendre son bien.
Les choses changent avec l’installation d’un pouvoir central bureaucratisé. Le
protectorat français met en place une administration qui, à partir du moment où elle
reconnait la propriété privée à une personne, accepte rarement sa remise en cause.
Malgré l’existence d’un système d’opposition, celui-ci se caractérise par un langage
inaccessible aux ⵉⵙⵓⵙⵉⵏ (issoussin) et demeure très coûteux et compliqué6 comparé
à la procédure rapide et efficace du droit communautaire ⵍⵄⵓⵔⴼ (ôrf).
L’exemple du pouvoir des Bounailat dans la région de Tata est assez illustratif de
cette dynamique :
Concrètement, les pouvoirs du caïd Bou Naïlat sont renforcés, consolidés, car
tous les biens qu’il a accumulés de façon brutale ou coercitive ne sont pas
contestables devant la justice des autorités du protectorat à la grande déception
des populations qu’il a sous son autorité.
Mieux, une fois la nouvelle organisation établie, un nouvel impôt est levé
régulièrement, le tertib, sur lequel le caïd reçoit une remise substantielle
(environ 10%). (Agrour, 2018a, 102)
Les opérations d’expropriation sont difficilement contestables comme en témoigne
cet accaparement des ressources hydriques, ici un tour d’eau, qui est validée par les
autorités coloniales :
Enfin le cas de l’agadir de Tiyiti reprend à peu de chose près le même scénario
d’accaparement que pour les autres igidar : vers 1930, le caïd Mhamed impose
la création d’un amduy7 pour son compte puis d’un second, vers 1934. Pour les
deux, il fait établir de faux actes d’achat qui seront dénoncés par la suite par les
habitants de Tiyiti mais sans résultat probant. (Ibid, 109)
Cette forme d’accumulation primitive est donc cautionnée, voire renforcée, par
l’administration coloniale8 car on est ici face à un tour d’eau qui est accaparé après
la soumission de la tribu qui date de l’année 1931.

6
Le Capitaine Olloix, chef du bureau des affaires indignes d’Agadir-Banlieue, reconnait,
dans un rapport destiné à sa hiérarchie, que « nombreux sont encore les indigènes qui sont
loin de posséder les moyens pécuniaires de faire valoir devant le tribunal des droits parfois
évidents. L’Assistance Judiciaire dont l’usage nous apparait simple et peu onéreux dans
les textes est pour eux une chose encore trop inabordable par sa complexité et les frais
qu’elle comporte. » (S.H.D, Bilan d’action politique, administrative, économique. 1934-
1937, rapport établi le 9 décembre 1937 à Inezgane, Série 3H).
7
ⴰⵎⴷⵓⵢ (Amduy) = Tour d’eau.
8
Même lorsque Lhousseyn Bou Nailat est révoqué en 1953 pour exactions, la propriété des
biens acquis avant l’avènement du protectorat n’est pas remise en cause. Le processus
d’accumulation précoloniale est ici naturalisé par le droit de propriété. L’administration
française se limitera à promouvoir l’ascension d’autres acteurs locaux. L’ancien Caïd
s’implique, quant à lui, dans le mouvement nationaliste alors en pleine expansion.

42
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

Mais les principales opérations d’expropriation qui ont transformé la structure socio-
économique et la vocation du Sud marocain se situent au niveau de l’ⴰⵣⴰⵖⴰⵔ
(Azaghar), c’est-à-dire la plaine du Sous entre Masst et Houara9. Ces terres fertiles
disposent également d’une capacité à être irriguée soit par les fleuves soit par la
nappe phréatique qui fut, à l’époque, riche et abondante.
Afin de comprendre le processus d’appropriation des terres, nous allons suivre le
parcours de Lahoussine Demnati, un entrepreneur amazighe qui apparaît comme
étant central durant la période du protectorat mais n’a pas été suffisamment étudié10.
Il a non seulement joué un rôle clé dans l’émergence de l’agriculture d’exportation
dans le Sous, mais il a également participé à la prospection minière, investissait dans
des entreprises de filature ou de briqueterie et a tenté de fonder une banque de
développement.
Dès les années 1930, l’industriel français Jean Epinat11 charge Lahoussine Demnati12
d’un projet de colonisation agricole à grande échelle dans la région du Sous qui n’est
pas encore ouverte à la colonisation officielle13. Demnati tente, pendant plusieurs
années, d’acheter environ 8000 hectares14 de terres fertiles. Profitant d’un contexte
agricole de très faible rendement et de la misère paysanne qui en résulte, il achète
les terres à des prix modiques auprès de paysans de la région. N’ayant pas tout de
suite occupé ces terres, les paysans continuent à les utiliser pour paître leurs
troupeaux. Cela entraîne, quelques années plus tard, plusieurs litiges et oppositions
lorsque la valeur marchande de ces terres connaît une augmentation importante et
que Lahoussine Demnati souhaite enfin les exploiter ou les céder à des sociétés
agricoles.

9
Puisque la législation de l’époque interdisait l’aliénation des terres des tribus, le centre de
l’agriculture européenne se développe au km 44 qui deviendra, en 1950, le centre de la
colonisation du nom de Ouled Teima.
10
A part une section que lui consacre André Adam (1968) dans son ouvrage sur Casablanca
nous ne retrouvons que des informations éparses dans différentes publications.
11
C’est le Maréchal Lyautey qui aurait proposé à Jean Epinat de venir au Maroc développer
une entreprise de transport en commun qui donnera naissance à la CTM, il fera ensuite de
la prospection minière notamment à Bou Azzar en compagnie du Pacha Thami Aglaou et
créera la fameuse holding ONA (Alami Badissi, 2016).
12
Voir plus loin dans le texte pour avoir une description détaillée du personnage.
13
La colonisation officielle a connu un essor important entre 1918 et 1931 au Nord du Maroc
et plus particulièrement dans les régions Fès-Meknès, El Gharb, Chaouia et El Haouz
(Gadille, 1955). Ainsi, plusieurs lots de terrains qui ont été intégrés dans les Domaines
privés de l’Etat, lors de la période de « pacification, ont été progressivement vendus à des
colons européens suite à des appels d’offres. Le colon devait s’acquitter de sa dette
généralement en 10 annuités ou plus et avaient, théoriquement, pendant toute cette période
des obligations en terme de résidence sur place, d’interdiction de location, de
développement d’un type d’élevage particulier (bovin, ovin) et d’assurer un minimum de
plantations d’arbres tels que les oliviers ou les amandiers (Gadille, Ibid. : 317-318).
14
Il est peu probable qu’il ait pu acheter, à lui seul, toutes ces terres.

43
Mohamed Oubenal

Les expropriations des terres mobilisent une ingénierie juridique qui éclate au grand
jour au moment où commence la crise du protectorat. Les documents que nous avons
consultés au niveau des archives militaires soulignent l’irruption, à partir du début
des années 1950, d’acteurs qui étaient invisibilisés auparavant. Les plaintes des
ayant-droits et des citoyens marocains sont désormais directement reprises dans les
correspondances et les rapports de l’administration coloniale. Ce ne sont plus
seulement les officiers des affaires indigènes qui parlent au nom des « indigènes »
pour répercuter leurs desiderata. On observe l’apparition de lettres écrites par des
citoyens marocains, signés de leurs propres noms, où ils se plaignent de ce qu’ils
considèrent comme étant des injustices.
Le chef de la circonscription d’Inzegane puis le Général, chef de la région d’Agadir
reçoivent respectivement le 27 mars 1951 et le 30 avril de la même année des
courriers qui dénoncent les expropriations. Un extrait de la première lettre décrit
certaines méthodes violentes telles que l’emprisonnement :
Que je suis propriétaire d’un terrain à usage de culture situé au Douar Ouled Ali,
dénommé Fedane Sidi M’hamed Kharboubi qui me fut échu par voie d’héritage
que j’exploite depuis plus de 45 ans.
A la demande du caïd Bouchaib, je suis invité à céder ce terrain, devant mon
refus, je me suis infligé un emprisonnement de 6 mois que j’ai déjà purgé15.
Suite à l’absence de réponse de la part du chef de la circonscription d’Inzegane, une
deuxième lettre est envoyée un mois plus tard à son supérieur hiérarchique où
d’autres techniques de spoliation sont signalées telles que la signature forcée ou
falsifiée d’actes de vente. En voici un extrait qui dénonce différents acteurs qui
seraient complices16 :
« A toutes fins utiles, je me permets d’attirer votre haute attention, Mon Général,
que le Caïd Bouchaib, agissant de complicité avec le Cheikh Ahmed El Ghobra
et une autre personne Si Lhoussaine s’acharnent d’une façon illégale et inique à
dépouiller les gens de la Tribu en procédant à des achats effectués sans
l’approbation des vendeurs qui, se voient à leur insu dresser des actes de ventes
auxquelles elles n’ont jamais été souscrites. »

15
Lettre signé par Abdellah Ben Omar du douar Oueld Ali qui donne une adresse à Meknès
ce qui signifie qu’il n’arrive plus à rester en tribu. La lettre datant du 27 mars 1951 a été
envoyée au Contrôleur Civil, chef de la circonscription d’Inzegane (S.H.D, Série 3 H
2041)
16
Différents courriers des officiers des affaires indigènes soulignent que, jusqu’en 1949, le
Caïd Bouchaib et l’entrepreneur Lahoussine Demnati sont plutôt des adversaires. Et c’est
« à la demande formelle de l’Autorité de Contrôle que le Caïd Bouchaib a commencé à
intervenir dans les affaires immobilières de Si Lahoussine Demnati afin de poursuivre à
l’amiable le règlement d’oppositions souvent fondées », lettre adressée le 20 juin 1952 par
le contrôleur civil, chef du Centre d’Agadir Banlieue, au contrôleur civil adjoint chef du
poste des Ouled Teima (S.H.D, Série 3 H 2041).

44
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

Pour ce faire, Si Lhoussaine prend seulement le signalement de la personne qu’il


vise pour dresser ainsi l’acte de vente et obliger le pseudo vendeur à quitter ses
propriétés.17
A partir du mois de juillet 1951, des pétitions signées par 130 personnes originaires
de la tribu Houara sont adressées à différents responsables de l’administration
coloniale que ça soit au niveau local, cercle d’Inezgane et région d’Agadir, ou au
niveau central à Rabat18.Un autre courrier datant du mois de décembre 1951 montre
qu’une pétition a, par la suite, été adressée au Sultan. Les rédacteurs19 de la lettre
demandent l’envoi, en tribu Houara, d’une Commission d’enquête. L’argumentation
adoptée mobilise à la fois le registre de dénonciation de certaines manœuvres, car
les rédacteurs avancent l’idée que le Caïd de la tribu Houara s’est entendu avec
Lahoussine Demnati pour obliger les habitants à déposer de faux témoignages pour
que ce dernier puisse accaparer les terres, tout en rajoutant l’argument du désordre
que cela peut provoquer car les véritables propriétaires, chassés de leur terre, migrent
vers les villes sans avoir, dans la plupart des cas, aucune ressource. On signale aussi
le déshonneur et l’atteinte à la dignité que provoque le mépris des hommes, des
femmes et des filles de la tribu. La liste des victimes est, cette fois-ci, élargie à des
acteurs au sein même de l’administration coloniale lorsque les rédacteurs signalent
que :
nous avons constaté que même certaines Autorités de Contrôle ont été sacrifiées
par leurs intrigues combinées. Nous nous bornons de citer en exemple le Colonel
Le Page, déplacé d’Inezgane pour finir ses jours en Indochine et le Capitaine
Olloix, mis à la retraite avant l’âge.20
Le texte, sans rejeter ouvertement le protectorat français, entend le mettre en face de
ses contradictions. Les rédacteurs, en quête d’égalité, soulignent ainsi qu’ils ne
doutent pas et qu’ils sont même convaincus que le gouvernement respectera sa
« mission protectrice » en diligentant une enquête impartiale « pour ne pas sacrifier
une tribu de 56.000 âmes au seul profit d’un petit groupe de privilégiés ». Ils vont
aussi mobiliser le discours politique du plus haut responsable de l’administration du
protectorat pour montrer l’extrême inégalité de droit actuelle et exiger l’application
immédiate de la justice en soulignant qu’«il est temps, comme l’a dit le Général

17
Lettre signé par Mohamed Ben Abdellah, le fils du concerné. Il donne la même adresse de
Meknès ce qui pourrait signifier que Abdellah Ben Omar aurait fui sa tribu pour s’installer
chez son fils à Meknès. La lettre datant du 30 avril 1951 a été envoyée au Général, chef
de la Région d’Agadir (S.H.D, Série 3 H 2041).
18
Notons ici que les pétitions ont été, entre autres, adressées au procureur du tribunal de 1ère
Instance de Rabat, au chef de la section politique de la région de Rabat, au directeur de
l’intérieur et au résident général de l’époque, le général Juin.
19
Les rédacteurs, au nombre de sept et habitant tous à la même adresse au Derb espagnol à
Casablanca, ont signé la lettre au nom des pétitionnaires.
20
Lettre datant du 10 décembre 1951 envoyée au Général Massiet du Biest, Commandant la
Région d’Agadir-Confins (S.H.D, Série 3 H 2041).

45
Mohamed Oubenal

Guillaume que cesse la concussion et que le Marocain soit épargné de payer de ses
biens et parfois de sa dignité pour obtenir ses droits. »
Enfin, le registre de menace est mobilisé pour signaler qu’en cas d’absence de
réponse aux demandes des plaignants, ceux-ci vont solliciter l’intervention du Sultan
proche des nationalistes. Une délégation Houara a d’ailleurs été reçue au palais du
Sultan le 16 février 1952 pour apporter ses doléances et protester contre les possibles
exactions du Caïd Bouchaib21. Sans parler explicitement d’un engagement dans la
lutte nationaliste, les éléments contenus dans les différentes correspondances
montrent que l’administration coloniale se méfie des interventions directes du Sultan
et semble même initier un début d’investigation22 mais refuse d’envoyer une
commission sur place car cela remettrait en cause son autorité ainsi que le système
général d’immatriculation des terres ce qui pourrait, selon le contrôleur civil chef du
centre d’Agadir-banlieue, « entraîner de graves répercussions politiques en tribu »23.

Installation d’une colonisation agricole dans le Sous


Dès l’année 1918 la mission Cosnier (1922) indique la richesse des ressources
agricoles et hydriques dans la plaine du Sous. On y signale ainsi que la nappe est peu
profonde (4 à 10 mètres) chez les tribus Iksimen et Achtouken.
La colonisation officielle au Nord du Maroc connait, quant à elle, une grave crise à
partir de 1929 lorsque la France métropolitaine, arrivée à l’autosuffisance en blé,
décide de limiter les contingents importés du Maroc et bénéficiant d’une franchise
douanière (Swearingen 1987 : 41). Cela conduit, avec la crise financière
internationale et la baisse des prix des produits agricoles, à l’arrêt, en 1931, de la
colonisation officielle. Fascinés par le modèle californien, les administrateurs
français du Maroc s’en inspirent pour façonner, à la fin des années 1930, une
politique agricole fondée sur l'irrigation et l'exportation des agrumes et des primeurs
(Swearingen 1987, 42). Celle-ci ne se développe réellement, surtout dans la région
du Sous, qu’après la seconde guerre mondiale. Cette agriculture d’exportation
bénéficie d’une part de la forte demande du marché français après 1945 suite aux

21
Note de renseignements, établie le 19 février 1952, par le commissaire chef de la police
des renseignements généraux (S.H.D, Série 3 H 2041).
22
Dans une correspondance, datant du 20 juin 1952, adressée par le contrôleur civil, chef du
centre d’Agadir banlieue, au contrôle adjoint chef du poste des Ouled Teima on peut lire
ceci : « La note du Vizirat de la Justice, dont copie était jointe à cette dernière, est du reste
suffisamment explicite en ce qui concerne les faits reprochés au Cadi pour que vous
puissiez effectuer votre enquête. Il ne pourrait vous échapper que, le Vizirat de Justice
indiquant dans sa note "S.M. Chérifienne a ordonné de procéder à une enquête par tous les
moyens", il y a intérêt politique évident à ce que cette enquête soit faite par l’intermédiaire
de l’Autorité de Contrôle. Si cette dernière se révélait incapable de fournir une réponse
dans un délai normal, il faudrait s’attendre à voir le Makhzen chérifien prendre des
mesures pour effectuer l’enquête par ses propres moyens. » (S.H.D, Série 3 H 2041)
23
Ibid.

46
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

destructions causées par la guerre et d’autre part de l’afflux des capitaux qui se
retirent d’Indochine ou qui cherchent à bénéficier des avantages fiscaux qu’offre le
Maroc (Gadille, 1957 : 156).
Or l’installation de ce mouvement de colonisation agricole dans le Sous se prépare
dès la fin des années 1920. Le rapport du 28 avril 1929 du chef du bureau des
renseignements de Taroudant signale, parmi les objectifs de ses actions,
« l’ouverture plus ou moins prochaine, plus ou moins complète, du Sous à la
colonisation Européenne ». Pour bien préparer cette action les autorités françaises
diffusent une sorte de guide des bonnes pratiques de l’officier des affaires
indigènes24. Il s’agit d’un document réalisé par le capitaine Ayard, commandant le
Cercle des Beni M’Guild, pour contrôler des tribus amazighes. Ce document envoyé
par la résidence générale pour qu’il soit diffusé auprès des officiers des affaires
indigènes des régions de Marrakech et d’Agadir insiste sur la distinction entre
l’administration et la politique indigène en relevant que :
« L’administration a souci plutôt des intérêts matériels, la politique, plutôt des
intérêts moraux. Or, il peut bien arriver que les intérêts matériels des indigènes
se confondent parfois avec ceux des colons et que les mêmes mesures leur
profitent à tous. Les intérêts moraux, jamais. Pour leur donner satisfaction, ce
sont des mesures distinctes et spéciales qu’il faut prendre, à cause de quoi les
indigènes sont tout de suite avertis que le conquérant n’a, en les prenant, songé
qu’à eux.
Les enrichir (parfois en même temps que les colons) c’est de l’administration et
c’est bon, encore qu’ils puissent en attribuer le mérite à leurs seuls efforts.
Respecter leurs intérêts moraux, c’est de la politique indigène, et c’est mieux ;
c’est peu à peu les amener à sentir les bienfaits de la domination étrangère et
peut-être à l’accepter, au lieu de la subir. »
Dans le champ économique, cela passe par la création d’une colonie où l’européen
est considéré comme indispensable car il « éduque » et transforme les pratiques
agricoles des marocains. L’auteur du document soutient que le colon européen est
l’initiateur des indigènes et leur stimulateur car il est leur exemple. Ils l’observent et
cherchent à copier tout ce qu’il fait. Ayard prétend enfin que le « [marocain]
entreprend tout, ne le trouve-t-on pas excellent domestique à la maison, bon
conducteur de voitures automobiles, maçon, menuisier, forgeron, etc. »
Cette vision du colon européen « civilisé » guidant les « indigènes » vers le progrès
agricole ne sera pas simple à mettre en œuvre. A l’image des difficultés rencontrées
par Jacques Berque lorsqu’il propose l’association de la technologie du tracteur
24
Courrier envoyé le 24 décembre 1929 à Rabat par Urbain Blanc, le ministre plénipotentiaire
délégué à la résidence générale de la République Française au Maroc au général de
division commandant la région de Marrakech. Le courrier contient le document rédigé à
Azrou le 10 septembre 1928 par le capitaine Ayard, commandant le cercle des Beni
M’Guild, et adressé aux chefs de bureau des Affaires Indigènes dépendants de lui (S.H.D,
Série 3 H 2041).

47
Mohamed Oubenal

« moderne » et le génie social de ⵍⵊⵎⴰⵄⵜ (Ljmaât) autochtone, les initiatives dans le


Sous se confrontent aux intérêts immédiats des agriculteurs français qui ignorent le
discours paternaliste de l’administration coloniale.
Ainsi lorsque le responsable de la région d’Agadir et les officiers sous son
commandement sollicitent les colons européens pour aider leurs voisins marocains
dans la campagne de labour, ceux-ci refusent en arguant « qu’ils ne pouvaient risquer
de graves accidents mécaniques en utilisant leur matériel sur des terrains non
défoncés »25.
D’autres acteurs, qui ne sont pas les premiers ciblés par la politique coloniale
française, jouent un rôle pionnier dans l’adoption de nouvelles pratiques. Il s’agit
d’acteurs locaux qui vont adopter les techniques modernes tout en essayant de
profiter des opportunités offertes par les bouleversements socio-économiques
introduits par le régime du protectorat français. La plupart de ces acteurs vont
adopter une politique économique d’association franco-marocaine avant que certains
parmi eux, constatant que les blocages imposés par l’administration française
freinent leur volonté d’expansion économique, vont s’investir davantage dans le
mouvement nationaliste istiqlalien pour obtenir de nouvelles opportunités. Avant de
présenter certains de ces « entrepreneurs istiqlaliens » qui vont jouer un rôle
important à partir de la fin des années 1950 dans la consolidation des transformations
amorcés durant le protectorat français, nous allons nous intéresser à un acteur
particulier qui est considéré par André Adam comme un self-made man amazighe :
Lahoussine Demnati26.

25
Courrier adressé le 5 février 1946 par le Lieutenant-Colonel Abadie, chef du cercle de
Taroudant, au Colonel chef du commandement d’Agadir Confins (S.H.D, Série 3 H 2041).
Chose que confirme, quelques semaines plus tard, le Colonel Deshorties, chef du
commandement Agadir Confins, lorsqu’il adresse une correspondance à Philippe
Boniface, l’un des plus importants et autoritaires responsables de l’administration du
protectorat, qui est alors directeur des Affaires Politiques à Rabat. Il souligne ainsi que,
dans toute la région d’Agadir, les colons européens « n’ont en général donné aucune suite
à la demande qui leur avait été faite » avant de souligner que seuls deux petits colons
« BOULENZOU et SAEZ », qui se trouvent en tribu Houara, ont prêté leurs tracteurs, ce
qui a permis de cultiver uniquement 23 hectares.
26
Lahoussine Demnati n’était pas proche du parti de l’Istiqlal. Il considérait que le
protectorat devait être réformé dans le sens d’une vraie modernisation des structures de
l’Etat et l’approfondissement des relations avec la France. Il va même jusqu’à défendre,
au moment où il préside la chambre de commerce marocaine d’Agadir en 1954, sa vision
d’un « système de la double nationalité » dans une tribune publiée dans le journal Le
Monde et intitulée « Esquisse d’une politique franco-marocaine »
(https://www.lemonde.fr/archives/article/1954/04/03/esquisse-d-une-politique-franco-
marocaine_2013431_1819218.html, article consulté le 20/09/2020). Dans le domaine
économique, André Adam considère que la réussite de Lahoussine Demnati devrait
provoquer plus d’étonnement que celle d’un Rockefeller puisqu’il est passé d’ⴰⵎⴽⵙⴰ
(Amksa), c’est-à-dire berger dans les montagnes de l’Atlas à « la civilisation technicienne
de l'Europe » (Adam 1968 : 335).

48
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

Pour cerner le personnage et comprendre en quoi il représente les transformations


culturelles que l’on retrouvera, de manière plus prononcée à partir des années 1940,
chez les commerçants ⵉⴱⵓⴷⵔⴰⵔⵏ27 (Oubenal, 2020) originaires des tribus jouxtant
l’ⴰⴷⵔⴰⵔ ⵏ ⵍⴽⵙⵜ (montagne de Lkest) il faut revenir sur son parcours28.
Né à Demnate à la fin du 19ème siècle, il est envoyé vers l’âge de 10 ans à Istanbul
dans le cadre de l’initiative de formation de jeunes marocains à l’étranger mais il est
obligé de revenir en 1907, après deux ans seulement, à cause des difficultés
financières du Makhzen et de la révolte de Bouhmara. De retour au Maroc, il rejoint
les troupes du clan aziziste dans le cadre de la lutte pour le pouvoir entre Moulay
Abdelaziz et Moulay Abdelhafid. La victoire du clan hafidi met la tribu du Demnati
sous le contrôle des Caïds igloua et pousse Lahoussine à émigrer vers Casablanca
chez un riche cousin. A l’âge de 20 ans, il se rend en France pour participer à l’effort
de guerre. Il est affecté, dans la région du Doubs pas loin de la frontière suisse, aux
usines Japy29 pour être à la tête d’environ 1800 travailleurs marocains. C’est durant
cette période qu’il se perfectionne en langue française et qu’il commence à cultiver
son réseau politico-économique. Il rentre au Maroc après la fin de la première guerre
mondiale où il entreprend, sur proposition du Caïd Outgoundaft, de continuer les
activités de prospection minière commencé par les entrepreneurs allemands
Mannesmann. Il découvre, dès 1925, l’existence d’un gisement de Cobalt dans la
région de Bou Azzer mais n’arrive pas à valider ses échantillons car la zone est
officiellement interdite de prospection. Demnati sollicite ses soutiens et associés
français pour faire face à la concurrence du puissant Caïd Thami Aglaou et de son
ami Jean Epinat qui mobilisent également leur réseau dans l’administration du
protectorat français afin d’obtenir des permis d’exploitation. Suite aux rivalités entre
les deux clans et aux échauffourées qui éclatent à Bou Azzar, les autorités françaises
agitent le spectre de la création d’un office public pour l’exploitation du Cobalt. La
perspective de la nationalisation de cette ressource minière pousse les différents
protagonistes à trouver un compromis en créant, le 1eroctobre 1931, la Société
Minière de Bou Azzer et des Graara. C’est le début d’une coopération d’intérêt entre

27
Iboudrarn veut littéralement dire « montagnards » mais c’est un terme qui est également
utilisé pour désigner les commerçants prospères provenant des tribus jouxtant l’Adrar
n’Lkest.
28
La plupart des informations sur le parcours de Lahoussine Demnati ont été collectées aux
archives du S.H.D dans la Série 3 H 2041 intitulée « Territoire d’Agadir. Documents
divers concernant la personne et les activités de l’homme d’affaires d’Inezgane Si
Lahoussine Demnati (1947-1952) » ainsi que dans les parties consacrées à ce personnage
dans le tome 1 du livre d’André Adam (1968) sur les transformations de la ville de
Casablanca et à un mémoire de Master portant sur l’ascension et la chute de Jean Epinat
(Alami Badissi, 2016).
29
Les usines Japy qui produisaient des casseroles avant 1915 se sont illustrées, durant la
première guerre mondiale, par la réorientation de leur production pour la fabrication de
casques protecteur et léger afin d’éviter, autant que possible, aux soldats français les
blessures à la tête qui sont souvent mortelles. (Source : https://www.ouest-
france.fr/leditiondusoir/2015-10-08/le-casque-des-poilus-avait-quelques-casseroles-
e30f8c50-4e4d-42e0-80a8-b20fadfee541, article consulté le 20/09/2020)

49
Mohamed Oubenal

Lhoussaine Demnati, Thami Aglaou et surtout Jean Epinat qui confiera au premier
le développement d’un grand projet de colonisation agricole dans la région du Sous.
Demnati est lui-même le produit, comme le seront également plusieurs ⵉⴱⵓⴷⵔⴰⵔⵏ
(iboudrarn), des grands bouleversements provoqués par la décomposition du vieux
pouvoir central makhzenien et l’intervention des forces coloniales à la fois sur le
quadrillage territorial, les institutions tribales et la formation des esprits. C’est un
personnage particulier qui fait la jonction entre deux mondes. Celui de son identité
amazighe et du savoir-faire marocain où il a baigné et celui de la culture française et
de la technologie européenne qu’il a appris à connaître. Faire le pont entre deux
cultures apparaît clairement lorsqu’il reçoit des invités étrangers. Ces derniers sont
souvent marqués par le personnage à l’image de l’écrivain américain Rom Laundau.
Il raconte d’ailleurs dans son livre (Laundau, 1950) comment Demnati, habillé en
djellaba blanche et babouches traditionnelles, le reçoit le soir dans un salon marocain
autour d’un tajine et d’un couscous puis change complètement de décor, le jour
suivant, pour le déjeuner où il le reçoit avec un repas « à la française » dans une salle
à manger.
Lahoussine Demnati représente l’archétype des marocains qui sont qualifiés, par les
officiers français, d’« indigènes évolués ». Dès l’avènement du protectorat, Hubert
Lyautey comprend rapidement que les transformations socio-économiques et
culturelles induites par l’intervention des français vont produire, surtout chez la
jeunesse autochtone, un désir d’appropriation des techniques modernes voire même
d’adoption des croyances des européens (Rivet, 1988). Cette question a d’ailleurs
hanté la politique culturelle de Lyautey qui, tout en souhaitant moderniser l’Etat
marocain, ne voulait surtout pas bouleverser le système de valeurs des autochtones.
Demnati apparaît donc avoir certains traits de l’élite marocaine telle que souhaitait
la forger Lyautey. Il est ainsi décrit dans le rapport confidentiel qui lui est consacré30:
Grand, une certaine allure, une vive intelligence, Demnati s’est rapidement
adapté à la vie européenne. Possédant de remarquables qualités d’entregent, il a
su s’introduire dans les coulisses du monde politique et de celui des affaires qui,
il faut le dire, ont des attaches communes.
Au Maroc, dans sa maison de « Dar Baroud »31 il est très accueillant et y fait
figure de grand seigneur. On compte parmi ses hôtes les plus beaux noms de
France et de nombreuses personnalités étrangères.

30
Il s’agit d’un rapport très complet réalisé par les autorités françaises comme ceux qu’elle
réalise sur les acteurs importants qu’ils soient nationalistes ou proches du protectorat. Le
rapport sur Lahoussine Demnati figure aux archives S.H.D. dans la série 3 H 2041.
31
Littéralement « la maison de la poudre » est l’ancienne demeure des pachas de la ville
impériale Taroudant, Lahoussine Demnati et sa femme l’artiste-peintre Geneviève Barrier
s’y installent à partir de 1934 lorsqu’ils quittent Marrakech pour Taroudant. Il cédera la
moitié de ce grand bâtiment au colon Henri Germain qui devient son associé.

50
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

A Paris, ses relations sont nombreuses et relevées, il les a très habilement


choisies. Dans le sillage de Ben Ghabrit et du Glaoui, bénéficiant du snobisme
mondain et de la curiosité qui s’attache aux étrangers de marque et plus
particulièrement aux orientaux, il est reçu dans les meilleures maisons et,
descend dans les plus grands hôtels.
Bien que ne possédant pas de culture, Demnati qui a beaucoup lu et surtout
beaucoup vu, fait montre d’un certain verni, il n’est pas douteux qu’il ait un sens
aiguisé des affaires et des facilités remarquables d’adaptation.
Ambitieux, il l’est certainement, cependant il n’a jamais brigué de
commandement, ni de situation officielle. On a dit qu’il viserait la succession
de Ben Ghabrit à la Mosquée de Paris et à la Présidence de la Société des Habous
et des Lieux Saints dont il est membre à vie.
Il est demeuré foncièrement musulman, à l’encontre de la plupart des marocains
évolués, jamais, même à Paris, il ne boit de boissons alcoolisées. Son fils a été
prénommé Othman, sa femme, chrétienne, a embrassé la religion musulmane,
quant à sa fille elle ne compte plus pour lui depuis son mariage32.
Faisant partie de l’élite marocaine au temps du protectorat, Lahoussine Demnati peut
être considéré comme l’une des sources d’inspiration de l’administration coloniale
lorsqu’il s’agit de mettre en place des politiques économiques à destination de la
population autochtone. Bien avant la publication en 1945 du dahir instituant le
Secteur de Modernisation du Paysannat33 et de l’article « vers la modernisation du
fellah marocain » (Berque et Couleau, 1945), Demnati aurait adressé, en 1938, une
note écrite au résident général Noguès sur le développement économique du Maroc
en insistant sur la nécessité d’une collaboration franco-marocaine. Le concerné
prétend même que ses « suggestions ne sont pas étrangères à la naissance [de la
politique] du paysannat »34. Il revient à la charge en 1941 pour solliciter le soutien
de l’administration35afin de développer, sous sa tutelle, une organisation coopérative

32
Le rapport fait probablement référence à Simone que Lahoussine Demnati a eue d’un
premier mariage. Simone Demnati s’est mariée avec un chrétien qui est l’un des fils du
marquis de Fenoyl.
33
Ce dahir apparaît quelques mois après la mise en place en décembre 1944 du Conseil
Supérieur du Paysannat. Ce Conseil est lui-même le constat d’échec de plusieurs tentatives
autoritaires de modernisation agricole des milieux autochtones (Joly, 1946).
34
C’est dans le courrier adressé le 11 novembre 1948 au résident général Eirik Labonne
qu’on retrouve des éléments sur la note envoyée au général Noguès ainsi que sur le
contexte qui l’a rendu possible. La misère qu’a connu le Maroc durant les années 1936-
1938 a amené Lahoussine Demnati à produire un rapport sous forme de note en signalant
l’importance de mettre en place une politique des barrages et de mise en valeur de
plusieurs milliers d’hectares tout en proposant, en ce qui le concerne, de réaliser une
exploitation agricole dans le « Sous en association indigène sous forme coopérative »
(S.H.D, Série 3 H 2041).
35
Lettre adressée le 10 décembre 1941 par Lahoussine Demnati, installé à Taroudant, au
résident général basée à Rabat. Il souhaite y montrer qu’il est bien informé des souhaits

51
Mohamed Oubenal

de paysans marocains qui pourrait être vu comme l’ancêtre de la COPAG. Voici


comment il décrit lui-même son projet dans un courrier envoyé, en 1948, au résident
Eirik Labonne36 qui avait une politique plus libérale :
En 1944, je cherchai à concrétiser mon projet établi en 1938 par la réalisation
d’une coopérative dont le principe est le suivant : Mise en valeur de 10.000
hectares de terre par l’exploitation successive de lots de 2.000 hectares avec un
personnel qui devient co-propriétaire indivis d’un nombre de parts proportionnel
à son travail et à ses responsabilités. La base de la part est l’hectare : personnel
ouvrier : 700 Ha, (Chefs de maitrise, techniciens et directeurs) : 300 Ha ;
Propriétaires : 1.000 Ha. Total : 2.000 Ha.
Le personnel reçoit un salaire fixe jusqu’à amortissement du capital engagé
escompté dans un délai de 15 ans. L’amortissement étant réalisé, les revenus de
la coopérative sont répartis dans les conditions suivantes : personnel ouvrier :
700 Ha, (Chefs de maitrise, techniciens et directeurs) : 300 Ha ; Mise en valeur
d’un nouveau lot : 800 Ha ; Propriétaires : 200 Ha. Total : 2.000 Ha.
Cultures envisagées : arboriculture, élevage, maraichage, avec transformation
sur place des produits agricoles : huilerie, conserverie, confiturerie, jus de fruits.
Son projet comporte donc l’intéressement des travailleurs-agriculteurs locaux et du
personnel encadrant. Il fixe également pour objectif l’extension, à compter de la
quinzième année, de la surface mise en valeur tout en envisageant l’installation d’une
petite agro-industrie de transformation. Il souhaitait également, si l’appui de
l’administration lui est accordé, d’installer une industrie du coton en ramenant des
techniciens européens qui feraient fonctionner les machines importées tout en
transmettant leur savoir-faire aux marocains37.
N’ayant pas pu avoir la garantie de l’Etat pour obtenir un prêt de 50 millions de
francs38 auprès de la Caisse des Prêts immobiliers du Maroc39, Demnati se tourne
vers des investisseurs privés. En 1948, il fonde avec eux la Société Générale du Sous.

des responsables français en écrivant ceci : « Connaissant vos désirs d’une collaboration
loyale entre français et autochtones, connaissant également l’intérêt que vous portez à la
création et à l’extension d’artisanat et de Colonisation Marocaine, la Société vous a
soumis, en temps voulu, un programme dans ce sens ». L’entreprise dont il est question
est la Société des Etudes et d’Initiative pour la mise en valeur du Sous qu’il a créé, en
1934, avec Jean Epinat (fondateur de la CTM et de l’ONA). Lorsque Jean Epinat souhaite,
quelques années plus tard, quitter l’entreprise, Demnati lui trouve un remplaçant en la
personne d’Henri Germain qui acquiert la totalité de ses parts. (S.H.D, Série 3 H 2041)
36
Courrier adressé le 11 novembre 1948 au résident général Eirik Labonne (op. cit.).
37
Courrier adressé le 10 décembre 1941 au résident général Noguès (op. cit.).
38
Courrier adressé le 11 novembre 1948 au résident général Eirik Labonne (op. cit.).
39
Il s’agit de l’ancêtre de la banque marocaine CIH qui a commencé à partir de la deuxième
moitié des années 1920 à soutenir la colonisation agricole.

52
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

Il mobilise alors son réseau pour mettre en place un conseil d’administration40 qui
comprend à la fois Louis Sicot, ancien directeur des Affaires Politiques de
l’administration française qui s’est investi dans le monde économique, Abbes
Kabbaj éminent nationaliste marocain avec lequel il est associé dans plusieurs
affaires41 ainsi que Gaston Gradis un ingénieur polytechnicien qui a été sollicité par
Hubert Lyautey pour développer des projets économiques au Maroc comme la
compagnie des Brasseries du Maroc. A sa création, la société Générale du Sous est
dotée d’un capital de 160 millions dans lequel Lahoussine Demnati apporte en nature
940 Ha42 représentant 60 millions d’actions. Le reste est souscrit par des
établissements financiers d’envergure telle que la Société chérifienne de
participation qui est la succursale marocaine de la banque de Neuflize ainsi que le
Crédit Marocain. La composition du conseil d’administration de ce dernier
établissement43 illustre bien la capacité de Lahoussine Demnati à siéger au côté
d’acteurs puissants voire à jouer l’intermédiaire entre, ceux parmi eux, qui ont des
visions politiques différentes. Le Crédit Marocain, qui a pour objet la réalisation de
toutes les opérations financières, de banque et de bourse, comprend à la fois certains
parmi les plus fervents nationalistes originaires de la bourgeoisie traditionnelle de
Fès (Bel Abbes Bennani, Mohamed Zizi) ainsi que des représentants de banques
coloniales tels que José Ariès de l’Union des Mines44, Alfred Pose et Louis Sicot de
la Banque nationale pour le commerce et l’industrie45 (BNCI), Paul Bernard, Charles
Blumenthal et Edmond Giscard d’Estaing de la Société financière française et
coloniale (SFFC)46.

40
La liste des membres figure sur la note sur le Crédit Marocain ici : http://entreprises-
coloniales.fr/afrique-du-nord/Credit_marocain-1946.pdf, consultée le 20/09/2020.
41
On les retrouve notamment dans l’Union des Commerçants et Industriels du Sous appelée
« Aït Sous » ainsi que dans la Société des Boissons Rafraichissantes du Sous qui est co-
administrée par Lahoussine Demnati, Abbes Kebbaj, Ahmed Oulhaj Akhennouch et
Fernand Barutel (De la Porte des Vaux 1950).
42
Dans cette nouvelle formule, seul 200 Ha sont destinés au développement de la production
agricole en association avec des paysans-ouvriers organisés en coopérative.
43
Les informations portant sur la composition de son conseil d’administration proviennent
de la note sur le Crédit Marocain (op. cit.).
44
Elle fusionnera des années plus tard avec la banque de Suez puis la banque de l’Indochine
pour donner naissance à la banque Indosuez.
45
La BNCI fut créée en France pour remplacer la Banque Nationale de Crédit mise en faillite
suite aux effets de la crise de 1929. La BNCI participera, grâce à une opération de fusion,
à la création de la BNP Paribas.
46
Cette banque d’affaire changera, par la suite, de dénomination pour devenir la société
financière pour la France et les pays d’Outre-Mer (SOFFO). Elle était très active en
Indochine avant de diversifier ses investissements dans les autres colonies notamment en
Afrique du Nord.

53
Mohamed Oubenal

Les conséquences de la colonisation agricole sur les petits fellahs et


les communautés villageoises
En plus de Lahoussine Demnati d’autres colons européens tels que Patiou, Fourny,
Brodoux, Mattera, Soldini47, de Surmont et Pellenc48 ou encore des marocains tels
que Boudlal et Wakrim ont contribué à mettre en place cette colonisation agricole
employant des techniques modernes pour l’exportation vers le marché français. Ce
mouvement de transformation a eu des conséquences sur toute la région du Sous. Il
s’agit d’abord, comme nous l’avons précisé ci-dessus, de l’expropriation des terres
collectives en utilisant différents procédés. Cela, combiné aux calamités naturelles
et aux abus des agents d’autorité, a déraciné plusieurs personnes les poussant à
prendre le chemin des villes. Les opérations de défrichement, consistant à couper les
arbres, pour permettre au tracteur de passer ont été réalisées sur plus de mille hectares
dans la région du Sous49. L’avidité des colons les a même poussé à mener des
opérations de coupe d’arbres sans avoir les autorisations ce qui a obligé le Service
des eaux et forêts à intenter des procès à certains parmi eux50. La destruction de
nombreux arganiers et jujubiers élimine à la fois une source d’alimentation des
populations locales et celle de leurs troupeaux. Les éleveurs qui ont l’habitude de
faire paître leurs caprins dans l’arganeraie où les chèvres sont capables d’escalader

47
Plusieurs colons européens ont d’abord commencé par gérer des fermes dont ils n’étaient
pas propriétaires avant d’acheter des terres qu’ils ont commencé à défricher et à cultiver.
Jean Soldini qui fut président du Syndicat des Agriculteurs du Sous est venu dans cette
région parce qu’il avait été mandaté, en tant qu’ingénieur agronome, par une entreprise
française dans le cadre du projet de barrage sur ⴰⵙⵉⴼ ⵏ ⵎⴰⵙⵜ (Asif n’Mast). La Banque
d'Indochine le chargera, par la suite, de gérer les terres achetées auprès de Lahoussine
Demnati à Aïn Chaïb et au Koudia. Après l’indépendance il participe à la fondation de la
puissante Association des Producteurs d'Agrumes au Maroc (ASPAM). Il sera mandaté
par Hassan 2 pour gérer les terres qu’il a acheté dans le Sous avant de lui confier la
direction de tous les domaines agricoles royaux de 1967 à 1999 (Voir ici pour le parcours
de Jean Soldini et les autres colons du Sous :
http://mfd.agadir.free.fr/portdagadir/activites%20et%20trafic/colons/Personnalit%E9s%
20du%20Souss%20agricole.html et dans l’annuaire :
http://mfd.agadir.free.fr/portdagadir/activites%20et%20trafic/trafic%20du%20port/Prod
uction%20d%27agrumes%2C%20tomates%20et%20primeurs%20dans%20le%20Souss.
html, consultés le 18/06/2020).
48
Il est aussi connu pour être l’ancien propriétaire du palace La Gazelle d’Or à Taroudant
où il recevait des personnalités internationales jusqu’à sa mort en 1972.
49
Demnati souligne, dans sa lettre envoyée au résident général (op. cit.) en date du 10
décembre 1941, que « les racines de jujubiers que l’on tirerait de leur défrichement
permettraient des stocks importants de charbon de bois ». Les colons européens ne sont
pas en reste puisque Brodoux ou Fourny ont, par exemple, défriché beaucoup d'arganiers
et de jujubiers pour des orangers, « de la tomate marmande et des melons charentais et
Canteloup ».
(Source :http://mfd.agadir.free.fr/portdagadir/activites%20et%20trafic/colons/Personnalit
%E9s%20du%20Souss%20agricole.html consulté le 18/06/2020)
50
Rapport sur Lahoussine Demnati (op. cit).

54
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

les arbres sont obligés de trouver de nouveaux endroits51. Ceux qui n’ont pas cette
alternative sont obligés de vendre leurs troupeaux pour travailler comme ouvriers
agricoles chez les colons ou de migrer en ville.
La dynamique enclenchée a non seulement détruit des milliers de jujubiers et
d’arganiers qui consomment peu d’eau mais a conduit à leur remplacement par des
cultures qui nécessitent d’importantes ressources hydriques. Certains
« modernisateurs » critiquaient les procédés ancestraux qui ne permettaient pas de
profiter de la richesse de la nappe phréatique du Sous qui pouvait, selon eux, irriguer
environ 5.500 hectares. Dans un rapport datant de 193952, un ingénieur agronome
constate ainsi que :
On compte dans les tribus des Chtouka et des Haouara 2.000 puits environ.
Chaque puits est entouré d’un lopin de terre d’un quart d’hectare à un hectare,
qu’il arrose, et des produits duquel une famille entière doit subsister. Cette
exploitation s’appelle une « naoura ». Malheureusement ces puits sont équipés
d’une façon très primitive. Une bête (vache ou chameau) remonte une outre faite
d’une peau de chèvre ; au haut de la course une cordelette déplie un boyau qui
laisse couler l’eau dans une rigole de pierre, d’où elle tombe dans un bassin
maçonné. On conçoit le faible rendement d’un tel appareil.
L’augmentation de la rentabilité se fera par l’introduction de techniques de
pompages modernes pour exploiter davantage de ressources hydrauliques. Cela
permet de produire, de manière intensive, des agrumes et des tomates pour générer
des gains importants à l’exportation. Cela oblige toutefois les agriculteurs à creuser
de plus en plus pour atteindre la nappe phréatique. On passe ainsi dans la région des
Achtouken d’une profondeur située entre 4 et 10 mètres en 1918 (Cosnier, 1922) à
une profondeur qui ne dépasse pas 20 mètres dans la moitié des années 193053. Même
si la situation n’était pas aussi préoccupante que ce qu’elle deviendra à partir des
années 1970, une réflexion a eu lieu au sujet du contrôle public de l’autorisation des
puits. Le Lieutenant-Colonel Vignoli54 compare la situation dans le Sous à celle des
territoires du Sud algérien et propose de s’inspirer de cette expérience en procédant
à la création « des ateliers de forage d’Etat, fonctionnant au profit et aux frais des
particuliers sous le contrôle de techniciens d’Etat ». Il suggère également de
réglementer l’activité de forage des puits en la conditionnant à l’obtention d’une

51
Il faut aussi avoir en tête que des terres domaniales étaient louées aux colons pour des
durées de trois ans renouvelables. Les éleveurs locaux ne pouvaient donc plus paître leurs
troupeaux sur ces terres défrichées et « privatisées ». Il s’agit d’une forme d’
« enclosures » qui interdit l’usage des terres de pâturage.
52
Rapport réalisé le 2 mai 1939 Inezgane par l’inspecteur de l’agriculture Perret pour le
compte de la société indigène de prévoyance d’Agadir Banlieue.
53
Rapport sur la situation économique générale dans le territoire d’Agadir portant sur les
années : 1932, 1935, 1937.
54
Rapport établi le 15 avril 1937 à Agadir par le Lieutenant-Colonel Vignoli chef du
territoire d’Agadir.

55
Mohamed Oubenal

autorisation. Or dans la réalité des choses, on se rend compte que les grands
propriétaires terriens installent des puits sans en avoir l’autorisation. Ainsi lorsque
Lahoussine Demnati propose son grand projet agricole sous format coopératif55, il
déclare qu’il dispose d’une « grande station de pompage composée de 1 moteur
Camphell, 90 CV, Et d’un moteur Ruston ; 120 CV, marchant au gaz pauvre, l’un au
bois l’autre au charbon, avec des alternateurs pour la force motrice ». Pourtant
lorsque le directeur des Affaires Politiques demande au chef du commandement
d’Agadir-Confins des précisions au sujet du projet, on lui notifie que Demnati ne
dispose pas d’autorisation pour un débit de pompage. On lui précise même que le
directeur des Communications, de la Production Industrielle et du Travail a interdit,
par un arrêté du 28 avril 1941, « pendant une période de deux ans toute nouvelle
installation de pompage dans le Souss »56.
L’innovation technologique du pompage a produit une énorme mutation sociale dans
la vallée du Sous. Le système d’irrigation dans les communautés villageoises de la
plaine était basé sur une combinaison entre l’ⴰⵖⵔⵓⵔ (aghrour)57 familial et les
ⵅⵟⵟⴰⵕⴰ (khettara) qui étaient gérés de façon collective. Ce système était donc
adossé à des institutions communautaires et aux pratiques culturelles qui les
rythment. L’installation des colons avec leurs puissantes pompes au voisinage des
communautés villageoises abaisse le niveau d’eau souterraine. Cela pousse les
paysans à trouver les moyens pour investir dans un système de pompage58 et à
adopter une logique individualiste qui mène à une escalade pour chercher des
systèmes de forage plus puissants pour creuser encore plus profond. Ce cercle
vicieux déstructure les systèmes collectifs d’irrigation traditionnels et leurs pratiques
culturelles. Et avant même d’avoir eu le temps de mobiliser leur savoir-faire pour
forger de nouvelles institutions, le stress hydrique pousse les petits paysans à vendre
leurs terres pour devenir ouvriers agricoles chez les grands propriétaires terriens59.
L’épuisement de la nappe phréatique oblige les agriculteurs qui disposent de moyens

55
Lettre de Demnati au résident général en date du 10 décembre 1941 (op. cit.).
56
Courrier envoyé le 25 février 1942 par le Général de brigade Chatras, chef du
commandement d’Agadir-Confins, au directeur des Affaires Politiques- Section
Administrative- à Rabat.
57
Il s’agit d’un puits d’où l’on remonte l’eau grâce à une tractation animale.
58
Dans le bilan de l’action politique, administrative et économique de 1934 à 1937 qui date
du 28 décembre 1937, le chef de bataillon Thibaud, chef du cercle de Tiznit, souligne que
« l’abaissement de la nappe phréatique a amené les indigènes à irriguer par pompage des
propriétés jadis arrosées par séguia. Dans ce but, 111 norias ont été construites de 1935 à
1937 ».
59
Dans son rapport, datant du 21 novembre 1938, le commandant d’Hauteville, chef du
cercle de Taroudant observe ainsi la disparition progressive de l’association agricole
(ⵜⴰⵅⵎⵎⴰⵙⵜ takhmmast) au profit de l’explosion du nombre d’ouvriers agricoles :
« Autrefois, par suite du manque de travailleurs, le propriétaire cherchait des Khamès
[associés agricoles], de nos jours, au contraire, ce sont les ouvriers qui demandent à
travailler, en raison de leur nombre toujours croissant ».

56
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

à se déplacer vers d’autres régions du Sous pour reproduire ailleurs le même schéma
d’exploitation des ressources et de transformations des structures sociales.
Si la période coloniale a permis l’émergence d’une agriculture intensive dans le
Sous, elle se développe encore plus après l’indépendance. L’émergence, parmi les
gros propriétaires terriens, de nouveaux acteurs plus ou moins liés aux mouvements
nationalistes et le soutien des politiques publics à l’égard de l’agriculture
d’exportation (notamment : la politique des grands barrages, la défiscalisation du
secteur d’agriculture, la fin du monopole de l’Office de Commercialisation des
Exportations, le plan Maroc Vert) a accéléré les transformations socio-économiques
dans la région du Sous. Le cas de l’activité d’élevage chez les Ait Berhil, étudié par
Mohamed Boujnikh (2008, 389), illustre bien ces dynamiques :
Depuis toujours les communautés de cette partie du Souss vivent dans des
douars, où leur système de culture est fondé sur deux activités, l’une est
principale : l’agriculture irriguée, et l’autre généralement complémentaire,
l’élevage. Cependant, comme je l’ai signalé précédemment, cette activité
(l’élevage) a été directement touchée par le pompage.
Les défrichements et la « colonisation » de l’arganeraie ont perturbé les
troupeaux. […] Durant ces dernières années, cette activité a chuté dans certaines
communes, suite au rétrécissement des parcours dû aux nouvelles exploitations
à motopompes. Plusieurs éleveurs se sont d’ailleurs reconvertis en simples
ouvriers agricoles.
Cette mutation a eu des effets directs sur l’effectif des troupeaux de caprins.
Leur nombre a fortement baissé, surtout dans les communes dotées d’un vaste
espace irrigué. Ce qui s’est rapidement répercuté sur le prix de la viande de
caprin, qui s’est envolé pour atteindre 80 dirhams le kilo en 2005, après avoir
été à 35 dirhams seulement en 2000. L’augmentation des prix de ce type de
viande est une preuve inéluctable des mutations qui ont affecté le système de
culture du Souss au contact de l’irrigation moderne.
Enfin, la motopompe introduite dans les parcours est aussi l’ennemie des
éleveurs. On note qu’une grande partie des anciens éleveurs ont remplacé le
troupeau de caprins par une ou deux vaches laitières, et quelques moutons. Ce
type de bétail est essentiellement nourri des déchets des fermes voisines, où
l’éleveur est généralement employé en tant qu’ouvrier agricole.
Parmi les acteurs qui ont inspiré d’autres entrepreneurs qui vont accélérer cette
mutation des structures socio-économiques des communautés rurales de la région du
Sous signalons le cas emblématique d’Abbes Kabbaj. Ce nationaliste marocain,
proche de Lahoussine Demnati et de Fernand Barutel durant la période du protectorat
a été, après l’indépendance, l’un des fondateurs de l’UNFP puis de l’USFP mais
aussi l’un des investisseurs les plus prospères du Sous. Il détenait, au milieu les
années 1970, trois fermes d’environ 300 Ha aux alentours de Ouled Teima (Leveau
1976). Mohamed Boujnikh (2008 : 393), ayant réalisé son enquête en territoire des

57
Mohamed Oubenal

Ait Berhil, a rencontré un autre type de grand agriculteur. Il le décrit comme « un


citadin bourgeois, ayant fait fortune dans le textile à Casablanca, et qui a converti
une grande partie de sa richesse dans l’achat de terres situées en aval des collines
d’Igoudar ». Il poursuit en expliquant l’impact du système de pompage qu’il installe
sur le système collectif des communautés avoisinantes :
Au sommet de la colline des ait-Youb, à droite de la route allant au souk tlate
el-mnabha, deux puits de 120 m de profondeur ont été forés en 2000, entre les
puits de tête des khettaras alimentant le terroir de tamast. Et ce malgré les
contestations des irrigants de ce terroir. Ces deux puits sont dotés de pompes
immergées, alimentant un bassin de 800 m3. Ce dernier est relié, par trois
kilomètres d’adduction souterraine de 40 cm de diamètre, aux exploitations
situées en aval de la colline. Très rapidement, le débit des khettaras de tamast,
déjà perturbé par le pompage, a baissé un mois seulement après la mise en
service du pompage de ces deux puits.
Comme Abbes Kabbaj, un autre Ittihadi du nom d’Abderrazak Mouisset était, quant
à lui, instituteur60 avant de devenir agriculteur lorsqu’il achète 21 hectares en 1975
au moment de la marocanisation61. Il atteindra, ensuite, une centaine d’hectares en
gestion propre tout en co-exploitant, avec un autre associé, une ferme à la suite de
l’opération de mise en location en longue durée des terres domaniales de la SODEA.
Il va jouer, à la fin des années 1980, un rôle important dans la fondation de la
fédération de coopératives agricoles Agri-Sous. Cette fédération va, quelques années
plus tard, rejoindre Fresh Fruit créé par le groupe Kabbaj en 1998 et qui est le
deuxième pôle marocain d’exportation des fruits et légumes sur les marchés
internationaux62.

Conclusion
Nous avons étudié dans cet article l’implantation de l’agriculture d’exportation dans
la région du Sous. Nous avons, plus particulièrement, montré les mécanismes qui ont
été mis en place durant la période du protectorat pour s’assurer de l’expropriation
des terres. Malgré l’existence de plusieurs litiges sur l’immatriculation de ces terres,

60
Il intéressant de noter que M’hamed Loultiti, PDG de l’importante coopérative COPAG
qui est très bien implantée dans la région des Ait Berhil depuis 1987, a été lui aussi un
instituteur avant de se lancer dans la promotion agricole.
61
Ses informations proviennent principalement de l’article de La Vie Eco publié le 14
décembre 2009 intitulé : « Abderrazak Mouisset : Il laisse tomber l’enseignement pour se
lancer dans l’agriculture moderne », source :
https://www.lavieeco.com/news/portrait/abderrazak-mouisset-il-laisse-tomber-
lenseignement-pour-se-lancer-dans-lagriculture-moderne-15307.html (Consulté le
18/06/2020)
62
Le pôle le plus important s’appelle Maroc Fruit Board et comprend, entre autres, les
domaines agricoles filiale de Siger, le groupe Delassus des Benanni Smires, la Copag, le
groupe Kantari et celui de Bouhdoud-Boudlal.

58
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

une colonisation agricole a bien pu s’y installer. Cela s’est fait grâce notamment à
des acteurs intermédiaires dont le plus important a été Lahoussine Demnati. Ce
dernier a joué un rôle fondamental dans les transformations socio-économiques et
culturelles de la région. Les opérations de défrichement et d’installation des pompes
ont bousculé les systèmes collectifs de production agricole des communautés rurales
qui proviennent d’une culture amazighe millénaire.
Il faudrait souligner que plusieurs officiers des affaires indigènes avaient tenté de
moderniser, de façon autoritaire, les pratiques agricoles. Le cas du capitaine Miguel,
appelé localement Boulehya, est en cela emblématique de ces tentatives. Il a essayé,
dans la région autour de Bouizakarn, d’introduire une forme de mécanisation des
outils, de remplacer les races bovines locales par d’autres plus productives, de
construire des ouvrages hydrauliques grâce aux corvées et de réduire les troupeaux
caprins (Agrour 2018b). Cette vision venant d’en haut, comme d’autres expériences
de modernisation qui seront menées après l’indépendance, butent sur plusieurs
obstacles lorsqu’il n’y a pas de processus d’appropriation par les communautés
locales.
Notre article étudie principalement la période coloniale mais il permet de porter un
regard neuf sur la crise actuelle de l’eau dans plusieurs zones arides marocaines.
Grâce à une analyse critique du matériel archivistique nous avons pu montrer à la
fois les dynamiques sociales et les acteurs qui la portent. Cette courte monographie
historique permet donc de comprendre les fondements de l’agriculture d’exportation
qui a non seulement bouleversé les structures socioéconomiques de la plaine du Sous
mais qui a réduit considérablement la nappe phréatique. Cette logique continue
pourtant son expansion dans plusieurs autres régions qui vivent déjà un stress
hydrique. Cela suscite régulièrement des situations conflictuelles comme, au début
de l’année 2021, lorsqu’un important investisseur avait envisagé de creuser des puits
de pompage pour exploiter la nappe phréatique située entre les oasis de tadighoust
et Goulmima dans le Sud-Est marocain63.
La proposition de Jacques Berque reste d’actualité. Il fallait selon lui encastrer le
tracteur, c’est-à-dire la technique moderne, dans la dynamique sociale de ⵍⵊⵎⴰⵄⵜ
(ljmaât) et des communautés locales. Dans son étude des Ait Berhil, Mohamed
Boujnikh (2008 : 412-416) observe aussi la mise en place, par l’Office Régionale de
Mise en Valeur Agricole, d’une forme de pompage collectif en incitant les paysans
à réorganiser leur ancienne ⵍⵊⵎⴰⵄⵜ (ljmaât) sous forme d’association des irrigants.
L’usage d’un pompage moderne est inséré dans le système traditionnel des séguias
et un ⴰⵎⴰⵣⵣⴰⵍ (amazzal) élu s’occupe de la perception de l’argent issu de la vente
d’eau aux irrigants. Dans cette nouvelle configuration l’ⴰⵎⴰⵣⵣⴰⵍ (amazzal) est

63
Article intitulé : « Errachidia: Arrêt des travaux de creusement de puits entre Goulmima
et Tadighoust, la population soulagée »,
source :
https://www.medias24.com/2021/05/11/errachidia-arret-des-travaux-de-creusement-de-
puits-entre-goulmima-et-tadighoust-la-population-soulagee/ (Consulté le 15/05/2021)

59
Mohamed Oubenal

désormais salarié de l’association. D’autres structures hydriques ancestrales telles


que ⵜⴰⵏⵓⴹⴼⵉ (tanuḍfi), ⵉⴼⵕⴹ (iferḍ) ou encore ⵓⴳⴳⵓⴳ (uggug) peuvent apporter
des solutions pratiques aux problèmes agricoles lorsque les populations locales sont
impliquées dès le départ.

Références bibliographiques
Adam A. (1968), Casablanca. Essai sur la transformation de la société marocaine
au contact de l'Occident, tome 1, Paris, CNRS.
Agrour R. (2018a), « L’amduy, produit dévoyé d’une pratique coutumière. Le cas
de la Compagnie Bou Naïlat », In Aboulkacem et al. Droit communautaire en
milieux amazighes. Organisation, instrumentalisation, transformation, p. 97-115,
Rabat, IRCAM.
Agrour R. (2018b), « Ljmaɛt dans la Circonscription de Bou Izakarn. Le tournant du
proconsulat du capitaine Miquel (1945-1952) », In Aboulkacem et al. Droit
communautaire en milieux amazighes. Organisation, instrumentalisation,
transformation, p. 69-96, Rabat, IRCAM.
Alami Badissi R. (2016), Essai de biographie historique de Jean Epinat, fondateur
de la Compagnie des Transports et Tourisme marocain (C.T.M.) et de l’Omnium
Nord-africain (O.N.A) : itinéraire d’un « homme nouveau » au Protectorat français
au Maroc, 1919-1956, Mémoire de Master 1 en histoire sous la direction de Pierre
Vermeren, Paris, Université Paris 1 Pantheon-Sorbonne.
Berque J. et Couleau J. (1945), « Vers la modernisation du fellah marocain », BESM,
26, p. 18-25.
Berrada A. et Saadi M. S. (1992), « Le grand capital privé marocain », In : J-C.
Santucci (dir.), le Maroc actuel, Paris, Editions CNRS, p. 325-391.
Boujnikh M. (2008), Evolution des paysages irrigués dans le Souss Oriental
(Maroc), Thèse de doctorat en géographie, Nancy-Metz, Université de Lorraine.
Cosnier H. (1922), L’Afrique du Nord, son avenir agricole et économiques, Paris,
Emile Larose.
De la Porte des Vaux A. (1950), Notice sur Abbes Kebbaj, Pierrefitte-sur-Seine,
Archives nationales du CHEAM : 20000046/68.
El Boukdouri, M. (2000), Tarikh qaba’il Hilala bi Sus (Histoire des tribus Ilallen
dans le Sous), édité par O. Afa, Annajah El Jadida, Casablanca.
Gadille J. (1957), « L'agriculture européenne au Maroc. Étude humaine et
économique », Annales de géographie, 354, p. 144-158.
Hnaka A. (1995), Taroudant et Ouled Teima bipôle urbain du Souss (Maroc). Etude
géographique, Agadir, Publications de la FLSH de l’Université Ibnou Zohr.

60
Agriculture d’exportation et transformations socio-économiques dans le Sous

Joly F. (1946), « La modernisation rurale au Maroc », Annales de géographie, 299,


p. 210-213.
Landau R. (1950), Invitation to Morocco, London, Faber and Faber.
Leveau R. (1976), Le fellah défenseur du Trône, Paris, Presses de la Fondation
Nationale des Sciences Politiques.
Montagne R. (1930), Les Berbères et le Makhzen dans le sud du Maroc. Essai sur la
transformation politique des Berbères sédentaires (groupe chleuh), Paris, Félix
Alcan.
Oubenal M. (2020), « Les iboudrarn du commerce. Une étude des commerçants de
l’Anti-Atlas installés dans les villes du Nord », in Aboulkacem et al., Regards
croisés sur les sociétés amazighes, Rabat, IRCAM.
Pascon, P. (1984), La maison d’Illigh et l’histoire sociale du Tazerwalt, Rabat,
SMER.
Rivet D. (1988), Lyautey et l’institution du Protectorat français au Maroc - 1912-
1925, Paris, L’Harmattan, tome 2.
Swearingen D. (1987), « Terre, politique et pouvoir au Maroc », Revue des mondes
musulmans et de la Méditerranée, 45, p. 41-54.

61

Vous aimerez peut-être aussi