Rapport de l'ONU Sur Moura-Mali

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Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022

Mai 2023
Sommaire

Résumé exécutif................................................................................................................................ 2
I. Introduction .............................................................................................................................. 6
II. Méthodologie ............................................................................................................................ 7
A. Le déroulement de la mission d’établissement des faits .......................................................7
B. Les défis rencontrés par la mission d’établissement des faits .............................................10
III. Contexte .................................................................................................................................. 11
IV. Cadre juridique applicable ................................................................................................... 15
A. Le déroulement de l’opération militaire ..............................................................................18
B. Les violations des règles du droit international humanitaire et du droit international des
droits de l’homme ........................................................................................................................21
1. Violations des règles et principes du droit international humanitaire régissant la
conduite des hostilités .............................................................................................................21
2. Exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires des civils et personnes hors
combat......................................................................................................................................23
3. Les cas de viol et autres formes de violences sexuelles ..................................................28
4. Torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants...............................................29
VI. Conclusion et recommandations ........................................................................................... 31
VII. Annexes ................................................................................................................................... 34

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 |1


Résumé exécutif

Le présent rapport publié par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme présente


les résultats d’une mission d’établissement des faits mise en place par la Division des droits
de l’homme de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
stabilisation au Mali (MINUSMA). Il est publié en vertu du mandat de promotion et de
protection des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, décrit dans
la Résolution 48/141 de l’Assemblée générale des Nations Unies, de 20 décembre 1993 et
de la résolution du Conseil de sécurité 2640 (2022) du Conseil de sécurité des Nations
Unies1 qui demande à la MINUSMA de « surveiller les violations du droit international
humanitaire et les violations des droits humains et les atteintes à ces droits, notamment
toutes les formes de violence sexuelle et fondée sur le genre, la traite des personnes et les
violations et atteintes commises contre des femmes et des enfants sur tout le territoire
malien, recueillir des preuves, mener des missions d’établissement des faits, concourir
aux enquêtes et faire rapport publiquement au Conseil de sécurité à ce sujet tous les trois
mois, et contribuer aux activités de prévention de ces violations et atteintes, y compris en
communiquant avec les partenaires compétents, selon qu’il convient ». 2
Le rapport présente les conclusions de la mission d’établissement des faits sur les
évènements survenus dans le village de Moura (commune de Tougé-Mourari, cercle de
Djenné, région de Mopti) au centre du Mali, du 27 au 31 mars 2022.
En effet, suite aux allégations faisant état de graves violations du droit international
humanitaire et du droit international des droits de l’homme au cours de l’opération
aéroportée et aéroterrestre menée par les Forces Armées Maliennes, appuyées par les
personnels militaires étrangers, du 27 au 31 mars 2022 dans le village de Moura, la
MINUSMA a déployé une mission spéciale d’établissement des faits pour faire la lumière
sur ces évènements.
Composée de 12 chargés des droits de l’homme et de quatre (4) experts de la police
des Nations Unies (UNPOL), la mission spéciale d’établissement des faits a conduit ses
travaux, conformément à la méthodologie du Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme, sur une période de sept mois, soit du 1er avril au 30 octobre 2022 à
Bamako, Douentza, Mopti, Ségou et Sikasso.
Au total, la mission d’établissement des faits a conduit 157 entretiens individuels
avec une variété de sources, y compris des victimes de viol et autres formes de violences

1
La résolution 2640 (2022) a été adoptée à la suite de la résolution 2584 (2021) qui était en vigueur au moment
des faits rapportés dans le présent rapport et qui en son paragraphe 30 (d) (ii) demande à la MINUSMA
«d’améliorer les activités de surveillance des violations du droit international humanitaire et des violations
des droits humains et atteintes à ces droits, notamment toutes les formes de violence sexuelle et fondée sur le
genre, la traite des personnes et les violations et atteintes commises contre des femmes et des enfants sur tout
le territoire malien, recueillir des preuves, mener des missions d’établissement des faits, concourir aux
enquêtes et faire rapport au Conseil de sécurité à ce sujet, publiquement et régulièrement, et contribuer aux
activités de prévention de ces violations et atteintes, y compris en communiquant avec les partenaires
compétents, selon qu’il convient ».
2
Résolution 2640 (2022) paragraphe 27 d (ii).

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sexuelles, des membres des communautés peule, rimaibè et bozo venant de 18 localités. La
mission a aussi conduit 11 entretiens de groupes, notamment avec des personnes ayant une
connaissance directe de l’incident, au cours desquels 140 personnes ont été interviewées.
La mission s’est également entretenue avec des personnes déplacées internes qui ont quitté
Moura à la suite de l’opération militaire pour trouver refuge ailleurs ainsi que des personnes
arrêtées au cours de l’opération qui ont été libérées par la suite.
La mission d’établissement des faits a aussi eu des séances de travail avec des
acteurs humanitaires, les agences des Nations Unies, les leaders politiques, les institutions
étatiques des droits de l’homme, les associations et organisations faitières ainsi que les
leaders religieux et traditionnels. Enfin, elle a rencontré les autorités maliennes civiles et
militaires tant au niveau national qu’au niveau régional pour recueillir leur version des faits
et discuter des actions entreprises, y compris l’ouverture des enquêtes internes ou
judiciaires.
Au terme de son travail, la mission d’établissement des faits a conclu que l’opération
militaire aéroportée et terrestre conduite par les Forces Armées Maliennes et les personnels
militaires étrangers à Moura, le jour de la foire hebdomadaire, a été menée en violation des
règles du droit international humanitaire, notamment celles relatives à la conduite des
hostilités et au traitement des personnes capturées et/ou mises hors de combat, ainsi que
normes et standards du droit international des droits de l’homme.
A cet égard, la mission d’établissement des faits a conclu que plusieurs centaines
des personnes auraient été tuées entre le 27 et le 31 mars au cours de l’opération militaire à
Moura. La mission a également pu établir que parmi eux une trentaine de membres de la
Katiba Macina auraient été tués au cours de la même opération. Au regard des informations
collectées, vérifiées et corroborées par la mission d’établissement des faits, le Haut-
Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme a des motifs raisonnables de croire
qu’au moins 500 personnes auraient été tués en violation des normes, standards, règles et/ou
principes du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire
entre le 27 et le 31 mars au cours de l’opération militaire à Moura. Il s’agit d’une vingtaine
de civils tués le 27 mars par des tirs aériens effectués par les Forces Armées Maliennes
et les personnels militaires étrangers pour empêcher la population de s’enfuir et de quitter
Moura et d’au moins 500 individus, y compris une vingtaine de femmes et sept enfants,
exécutés par les Forces Armées Maliennes et les personnels militaires étrangers entre
le 27 et le 31 mars après que la zone a été totalement « maitrisée ». 3 La mission

3
Selon les informations recueillies par la mission d’établissement des faits, le 29 mars, dans l’après-midi,
entre 15h00 et 16h00, des militaires ont désigné parmi les hommes détenus au bord du fleuve, quelques jeunes
majoritairement membres de la communauté bobo pour ramasser les corps dans le village à l’aide d’au moins
quatre charrettes tirées par des ânes. Les corps ont ensuite été amassés du côté sud-est du village, près d’un
petit creuset qui servait de fosse commune. Le décompte fait par ces témoins directs a été presque le même
(entre 170 et 190 corps pour certains et à peu près 200 corps pour d’autres) (voir paragraphe 60 du
rapport). Le 31 mars, entre15h00 et 18h00, après le départ définitif des troupes militaires, les villageois se
sont mobilisés pour ramasser les cadavres se trouvant à différents endroits du village. Selon les informations
reçues par la mission des charrettes ont été mises à contribution pour faciliter le ramassage des corps des
victimes. Environ 370 corps auraient été ramassés, dont une vingtaine de corps de femmes et sept

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d’établissement des faits dispose des noms d’au moins 238 de ces personnes qui ont été
exécutées. Selon plusieurs témoignages concordants, les victimes ont été inhumées dans
quatre fosses communes creusées par les villageois, notamment à proximité du cimetière du
village, au sud-ouest du village sur la route de Gossiri et au nord-est sur la route de Diabi
(localisations fournies en annexe du rapport). Au moins cinquante-huit (58) personnes ont
été arrêtées parmi lesquelles certaines ont été victimes de torture et de mauvais traitements.
Enfin, sur base des informations recueillies, la mission d’établissement des faits a des motifs
raisonnables de croire que 58 femmes et jeunes filles ont été victimes de viol et autres
formes de violences sexuelles perpétrés par des éléments des Forces Armées Maliennes. Les
événements à Moura entre le 27 et le 31 Mars pourraient constituer des crimes de guerre et
si commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population
civile ils pourraient constituer des crimes contre l’humanité.
Eu égard à ce qui précède, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme recommande aux autorités maliennes de s’assurer que les enquêtes annoncées sur
les possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits
de l’homme à Moura soient menées de façon indépendante impartiale, efficace, exhaustive
et transparente et que les conclusions de ces enquêtes soient rendues publiques ; de
poursuivre tous les présumés auteurs en vue d’établir leur responsabilité ; de s’assurer que
les victimes et/ou les membres de leurs familles aient accès à la justice et leur octroyer le
cas échéant une réparation intégrale ; de prévoir des mesures appropriées pour accompagner
les victimes des violences sexuelles liées à l’opération de Moura en référence au plan
d’action 2022-2024 de réponse et de prévention des violences sexuelles liées au conflit et
aux obligations internationales du Mali en la matière ; de renforcer la coopération avec la
MINUSMA dans le domaine des droits de l’homme, notamment en garantissant à la
MINUSMA la liberté de circulation afin qu’elle puisse s’acquitter de son mandat lié aux
droits humains, conformément à la résolution 2640 (2022) du Conseil de sécurité ; de
s’assurer que les forces engagées dans les opérations militaires y compris les personnels
militaires étrangers respectent les règles du droit international humanitaire et du droit
international des droits de l’homme.
Il recommande à la MINUSMA de mettre à la disposition des autorités maliennes,
en cas de besoin, les ressources appropriées y compris logistiques et techniques dans le
cadre de la conduite de l’enquête ouverte ; et de poursuivre la coopération technique avec
les forces de défense et de sécurité maliennes, notamment dans le cadre des activités de
renforcement des capacités, y compris en matière de droits de l’homme et du droit
international humanitaire lors des opérations militaires.

enfants. Les corps ramassés ce jour-là auraient été inhumés dans trois fosses communes creusées par les
villageois, notamment à proximité du cimetière du village ; au sud-ouest du village sur la route de Gossiri et
au nord-est sur la route de Diabi (voir paragraphe 65 du rapport).

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Enfin, il recommande aux Etats tiers de soutenir les efforts des autorités maliennes
de transition dans le cadre de la lutte contre l’insécurité au Mali et appuyer les autorités
nationales dans leurs efforts de lutte contre l’impunité ; d’assurer des enquêtes sur les
possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de
l’homme commis par leurs ressortissants et le cas échéant, poursuivre les suspects ; et de
respecter leurs obligations en droit international des droits de l’homme et de droit
international humanitaire, dans la mesure où des membres de leurs forces armées et de
sécurité ou d’autres agents de l’état seraient déployés au Mali et participent aux opérations
de sécurité.

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I. Introduction

1. Le présent rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme présente les résultats d’une mission d’établissement des faits mise en place
par la Division des droits de l’homme et de la protection de la Mission
Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali
(MINUSMA). Il est publié en vertu du mandat de promotion et de protection des
droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme,
décrit dans la Résolution 48/141 de l’Assemblée générale des Nations Unies, de 20
décembre 1993 et du mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des
Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) à laquelle la résolution
2640 (2022) du Conseil de sécurité des Nations Unies4 demande de « surveiller les
violations du droit international humanitaire et les violations des droits humains et
les atteintes à ces droits, notamment toutes les formes de violence sexuelle et fondée
sur le genre, la traite des personnes et les violations et atteintes commises contre
des femmes et des enfants sur tout le territoire malien, recueillir des preuves, mener
des missions d’établissement des faits, concourir aux enquêtes et faire rapport
publiquement au Conseil de sécurité à ce sujet tous les trois mois, et contribuer aux
activités de prévention de ces violations et atteintes, y compris en communiquant
avec les partenaires compétents, selon qu’il convient5 ».

2. Ce rapport présente les conclusions de la mission d’établissement des faits chargée


de faire la lumière sur les allégations de violations graves du droit international
humanitaire et flagrantes du droit international des droits de l’homme faisant état de
plusieurs centaines des civils tués lors d’une opération aéroportée et aéroterrestre
menée par les Forces Armées Maliennes, notamment les unités des forces spéciales,
appuyées par les personnels militaires étrangers, du 27 au 31 mars 2022 dans le
village de Moura (commune de Tougé-Mourari, cercle de Djenné, région de Mopti)
au centre du Mali.

4
La résolution 2640 (2022) a été adoptée à la suite de la résolution 2584 (2021) qui était en vigueur au moment
des faits rapportés dans le présent rapport et qui en son paragraphe 30 (d) (ii) demande à la MINUSMA
«d’améliorer les activités de surveillance des violations du droit international humanitaire et des violations
des droits humains et atteintes à ces droits, notamment toutes les formes de violence sexuelle et fondée sur le
genre, la traite des personnes et les violations et atteintes commises contre des femmes et des enfants sur tout
le territoire malien, recueillir des preuves, mener des missions d’établissement des faits, concourir aux
enquêtes et faire rapport au Conseil de sécurité à ce sujet, publiquement et régulièrement, et contribuer aux
activités de prévention de ces violations et atteintes, y compris en communiquant avec les partenaires
compétents, selon qu’il convient ».
5
Résolution 2640 (2022) paragraphe 27 d (ii).

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3. Par notes verbales en date du 18 avril 2023, le présent rapport a été communiqué
aux autorités maliennes de transition et russes pour obtenir leurs observations
factuelles, conformément à la pratique habituelle et en référence à la résolution 2640
(2022) du Conseil de sécurité qui « demande de communiquer avec les partenaires
compétents, selon qu’il convient ». Conformément à la pratique en vigueur, dans ses
notes verbales du 18 avril 2023, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits
de l’homme priait les autorités maliennes de transition et russes de bien vouloir lui
faire parvenir leurs commentaires dans un délai de cinq jours ouvrables et au plus
tard le 24 avril 2023. N’ayant pas reçu ces commentaires dans le délai ci-dessus, le
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme l’a prorogé jusqu’au
8 mai 2023, dans une note verbale du 26 avril 2023. A la date de la publication du
présent rapport, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
n’avait toujours pas reçu les commentaires des autorités maliennes de transition ou
russes.

II. Méthodologie

A. Le déroulement de la mission d’établissement des faits

4. Le 1er avril 2022, la MINUSMA a mis en place une mission d’établissement des faits
(ci-après la mission) composée de 12 chargés des droits de l’homme avec le soutien
de quatre (4) experts de la police des Nations Unies qui a conduit ses travaux sur
une période de sept mois, soit du 1er avril au 30 octobre 2022. En dehors du vol de
reconnaissance préparatoire au déploiement de la mission d’établissement des faits
dûment autorisé, les autorités maliennes, invoquant des impératifs sécuritaires et
opérationnels ont continué de refuser à la mission d’établissement des faits l’accès
au village de Moura, bien que vidé de la majorité de ses habitants. Ainsi, des équipes
mobiles de chargés des droits de l’homme ont été déployées à Bamako, Douentza,
Mopti et Ségou en vue de vérifier et corroborer les informations et allégations
recueillies et de collecter des informations additionnelles. La mission
d’établissement des faits a été conduite aussi bien dans sa phase de planification que
sa réalisation conformément aux principes et à la méthodologie du Haut-
Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme6. Seules les informations
répondant aux standards du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme et à la méthodologie applicable aux missions d’établissement des faits ont
été prises en compte dans l’analyse des faits et des violations. Les informations des
sources ouvertes ont été consultées à titre informatif. A tous égards, les différentes
sources et informations ont été prises en considération et examinées rigoureusement

6
Voir : Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), Commissions d’enquête et
missions d’établissement des faits sur le droit international des droits de l’homme et le droit humanitaire
international : Orientations et pratiques (New York et Genève, 2015) pp. 69–70
https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/CoI_Guidance_and_Practice_FR.pdf.

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afin que l’exactitude des faits soit établie. La mission s’est concentrée uniquement
sur la recherche de la véracité des faits allégués.

5. En ce qui concerne l’évaluation des éléments collectés et les conclusions de la


mission, conformément aux standards internationaux et à la pratique en la matière,
la mission a utilisé la norme des « motifs raisonnables de croire » adoptée par la
plupart des commissions d’enquête internationales et des autres missions
d’établissement des faits des Nations Unies. Conformément à ce standard, la mission
a fondé ses conclusions sur des informations fiables, crédibles et concordantes, sur
la base desquelles une personne raisonnable et prudente aurait des motifs de croire
qu’un incident ou qu’un comportement s’est produit7.

6. A cet égard, la mission d’établissement des faits a mené 157 entretiens individuels
avec une variété de sources membres des communautés peule, rimaibè et bozo
venant de 18 localités, notamment Sofara, Mana, Wagnere, Manga, Larde Bale,
Yogosiradji, Yogon Siré, Femaye, Kouakourou, Djenne, Douentza, Ndjougouni,
Oura-Modi, Boron et Sare dine. Elle a conduit 11 séances de groupe avec des
personnes ayant une connaissance directe et de première main de l’incident,
notamment des sources directes parmi lesquelles des témoins oculaires, des rescapés
et des personnes qui auraient été désignées pour ramasser et ensevelir les corps des
personnes tuées. La mission s’est également entretenue avec des déplacés internes
qui ont quitté Moura pour trouver refuge ailleurs. La mission a aussi interviewé 15
victimes de viols et violences sexuelles perpétrés par des éléments des Forces
Armées Maliennes au cours de l’opération militaire. Par ailleurs, la mission s’est
également entretenue avec 42 personnes sur les 58 arrêtées lors de l’opération
militaire à Moura qui ont été libérées par la suite.

7. Le rapport s’est appuyé sur des informations vérifiées et corroborées auprès des
sources crédibles, notamment des victimes et leurs familles, des témoins et
survivants des évènements, ainsi que des responsables communautaires et
traditionnels de la région de Moura. Les témoignages ont été recueillis avec le
consentement éclairé des témoins, dans une langue de leur choix qu’ils comprenaient
(Bambara, Dogon, Français, Fulani). La protection des témoins et les potentiels
risques d’interférence ont été considérés et ont amené la mission à relocaliser
certains d’entre eux pour mieux garantir leur sécurité et leur permettre de témoigner
librement et sans intimidation.

7
Voir : Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), Commissions d’enquête et
missions d’établissement des faits sur le Droit International des Droits de l’Homme et le Droit Humanitaire
International : Orientations et pratiques (New York et Genève, 2015) pp. 36 – 92,
https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/CoI_Guidance_and_Practice_FR.pdf.

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8. La mission d’établissement des faits a aussi tenu 11 réunions avec les acteurs
humanitaires, les agences des Nations Unies, les leaders politiques, les organisations
de la société civile, les institutions étatiques des droits de l’homme, les associations
et organisations faitières, les leaders religieux et traditionnels ainsi que d’autres
personnalités représentant des regroupements et associations communautaires de
Moura et les responsables des familles d’accueil.

9. Au total, 297 personnes ont pris part à ces diverses rencontres organisées à
Douentza, Mopti, Bamako, Ségou et Sikasso. Dans le but de recueillir des
informations détaillées et de les corroborer, la mission a relocalisé plusieurs témoins
à plusieurs endroits, notamment à Bamako, Sikasso, Koulikoro, Ségou et Sévaré.
Dans chaque cas, la mission a évalué la fiabilité, la crédibilité et la véracité des
informations transmises et leur cohérence avec les informations obtenues provenant
d'autres sources.

10. Dans le but de vérifier certaines allégations, la mission a également fait des suivis
auprès des membres du personnel médical en région et à Bamako et a pu établir le
statut de certaines victimes qui avaient des besoins spécifiques de prise en charge.

11. Conformément au principe de « ne pas nuire », la mission a pris des mesures pour
renforcer la protection des personnes fournissant des informations.

12. La mission a rencontré les autorités maliennes civiles et militaires tant au niveau
national que régional pour recueillir leur version des faits et discuter des actions
entreprises, y compris l’ouverture des enquêtes internes ou judiciaires. Elle a
rencontré dans le cadre de cette démarche, le Ministre de la Réconciliation nationale,
de la Paix et la cohésion nationale, chargé de l’Accord pour la paix et la
réconciliation, le Ministre de la Justice et des droits de l’homme, le Gouverneur de
la région de Mopti, le Procureur militaire de Mopti ainsi que la Gendarmerie et les
Forces Armées Maliennes au niveau régional.

13. La mission d’établissement des faits a été en mesure d’analyser et exploiter des
informations pertinentes de l’imagerie satellitaire et d’autres images disponibles au
sein des Nations Unies, lesquelles ont permis d’établir la cartographie du
déroulement des évènements et de reconstituer les faits à l’appui de plusieurs
séances d’analyse avec des témoins directs et personnes internes déplacées de Moura
(voir les images en annexe aux pages 34 et suivantes).

14. Dans le cadre de l’analyse et du traitement des sources documentaires, la mission a


recueilli, examiné et procédé à la vérification des 35 supports audiovisuels et
numériques liés aux incidents et diffusés dans le domaine public, notamment par

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l’ORTM8, TV5 Monde9, TF1 Info10, Vox Africa11, Africanews12, Joliba TV News13,
Franceinfo14, RFI15, Jeune Afrique16, France 2417, BFMTV18, BBC19, ainsi qu’une
cinquantaine des tweets.

15. La mission a également examiné des informations, des communiqués et déclarations


officiels des autorités maliennes de transition et interviews des membres du
gouvernement et autres officiels, des institutions nationales sur les évènements de
Moura. Dans cette démarche, la mission a analysé essentiellement six (6)
communiqués officiels du Gouvernement du Mali. Elle a en outre examiné neuf (9)
communiqués des institutions internationales parmi lesquels la déclaration du Haut-
Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme20 ainsi que ceux
d’organisations non-gouvernementales, notamment l’Association malienne des
droits de l’homme (AMDH), Avocats sans frontières Canada (ASFC), la Fédération
internationale des droits humains (FIDH) et Amnesty International (AI)21 ainsi que
Human Rights Watch.22

B. Les défis rencontrés par la mission d’établissement des faits

16. Comme mentionné précédemment, en dehors du vol de reconnaissance préparatoire


au déploiement de la mission d’établissement des faits dûment autorisé, les autorités
maliennes, invoquant des impératifs sécuritaires et opérationnels ont continué de
refuser aux chargés des droits de l’homme l’accès au village de Moura, bien que la
majorité de ses habitants ait quitté le village.

8
https://www.africanews.com/2022/04/06/moura-killing-mali-s-army-chief-reacts-to-accusations/
9
https://information.tv5monde.com/video/mali-deux-versions-contradictoires-sur-l-attaque-moura
10
https://www.tf1info.fr/international/afrique-mali-succes-antijihadiste-contre-al-qaida-ou-massacre-de-
civils-par-la-junte-et-wagner-que-s-est-il-passe-a-moura-2215782.html
11
https://voxafrica.com/fr/mali-le-gouvernement-condamne-des-fausses-allegations-contre-son-armee/
12
https://www.africanews.com/2022/04/08/un-asks-mali-for-authorisation-to-access-city-of-moura//
13
https://www.facebook.com/watch/?v=503893121269920
14
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/mali-que-s-est-il-passe-a-moura-ou-des-centaines-de-
personnes-ont-ete-tuees-par-l-armee-malienne-et-des-mercenaires-russes_5063236.html
15
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220331-mali-moura-encercl%C3%A9-par-l-arm%C3%A9e-malienne-et-
ses-suppl%C3%A9tifs-russes
16
https://www.jeuneafrique.com/1335714/politique/mali-larmee-et-wagner-accuses-davoir-commis-un-
massacre-a-moura/
17
https://www.france24.com/fr/afrique/20220406-massacres-%C3%A0-moura-dans-le-centre-du-mali-les-
dessous-d-une-op%C3%A9ration-militaire
18
https://www.bfmtv.com/international/afrique/mali/mali-des-soldats-maliens-et-presumes-russes-ont-
execute-300-civils-en-mars-d-apres-l-ong-human-rights-watch_AD-202204050399.html
19
https://www.bbc.com/afrique/region-61008972
20
https://www.ohchr.org/en/statements/2022/04/comment-un-human-rights-office-spokesperson-seif-
magango-malian-authorities
21
https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/mali/crimes-civils-moura-mali-enquete-independante
22
https://www.hrw.org/fr/news/2022/04/05/mali-massacre-perpetre-par-larmee-et-des-soldats-etrangers

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17. Enfin, plusieurs témoins ont exprimé de vives inquiétudes pour leur sécurité même
dans les lieux de leur relocalisation. Certaines sources ont même fait l’objet
d’interpellation et de détention par des services de sécurité maliens au cours des
entretiens avec des chargés des droits de l’homme à Mopti. D’autres auraient été
enjoints par des acteurs étatiques de ne plus collaborer avec les Nations Unies dans
le cadre de cette mission d’établissement des faits.

III. Contexte

18. Moura est l’un des 12 villages23 et le chef-lieu de la commune de Togué Mourari
(région de Mopti et compte 6818 habitants selon le recensement général de la
population et de l’habitat (RGPH) de 2009. La commune est enclavée et difficile
d’accès surtout pendant la période d’hivernage.24 Les principales ethnies peuplant la
commune sont les Peul « Rimaïbé », les Bozo, les Bella et les Sonrai dont les
activités principales sont l’agriculture, l’élevage et la pêche. L’organisation sociale
repose en grande partie sur des pratiques traditionnelles telles que les chefferies et
les sociétés sécrètes. Dans la commune, il existe plusieurs organisations dont les
associations et les coopératives de coordination des femmes et des jeunes. Depuis
l’année 2012, le village de Moura serait passé sous le contrôle de la Katiba Macina,
affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’a Nusrat ul-Islam
wa al-Muslimin – JNIM) affilié à Al-Qaida. Le village abrite la plus grande foire
hebdomadaire dans la région du delta intérieur du Mali25 et attire des villageois et
commerçants venant de plusieurs localités, notamment Ténenkou
(approximativement 30 km de Moura), Sofara (15 km), Wandjere (10 km), Manga
(30 km), Yogon Siré (25 km), Femaye (34 km), Kouakourou (20 km), Djenné (75
km), Oura-Modi (5 km), Boron (30 km), etc. La foire serait aussi fréquentée par des
membres de la Katiba Macina qui viendraient s’approvisionner en aliments et bétail.

19. Depuis le mois de décembre 2021, les autorités maliennes ont engagé des opérations
militaires d’envergure avec l’appui de personnels militaires étrangers dans le centre
du pays, notamment dans les régions de Mopti et Ségou. En janvier 2022, le Chef
d’Etat-major général des Armées a annoncé le début de l’opération Kélétigui « dans
une dynamique offensive contre les groupes « terroristes » et dans le but de détruire
leurs bases et éradiquer ainsi la menace ». Cette opération a été lancée en marge de
l’opération « Maliko » instituée par le décret n°2020-0034/P-RM du 30 janvier
2020. Selon les termes de ce décret, cette opération vise « à rétablir l’Etat du Mali
dans ses fonctions régaliennes dans certaines de ses régions, en s’appuyant sur
l’action des Forces Armées et de Sécurité maliennes, soutenue et accompagnée par

23
Moura, Diaby, Gossiri, Makame peulh, Mountou, Ouodaré, Saré Hamadou, Sogondé, Tossa, Wandjeré,
Makame peulh, Makame rimaibé.
24
Cette période correspond à la saison des pluies.
25
Il s’agit de la vaste zone inondable située entre Djenné, Mopti et Tombouctou.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 11


une administration publique disponible et performante, afin de répondre
aux aspirations légitimes du peuple malien ».

20. Depuis les deux derniers coups d’Etat successifs survenus respectivement le 18 août
2020 et 24 mai 2021, les conflits armés au Mali ont pris une nouvelle dimension
avec le déploiement depuis octobre 2021 de nouveaux acteurs militaires, à savoir
des personnels militaires étrangers. Selon les autorités maliennes de transition ces
nouveaux acteurs sont des « instructeurs » arrivés au Mali dans le cadre d'un accord
bilatéral entre le Mali et la Fédération de Russie. Cependant, selon plusieurs médias,
le Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie a indiqué que le Mali
a fait appel à une compagnie militaire privée russe26 et que la société paramilitaire
privée russe Wagner est présente au Mali sur une base commerciale.27 Ces
personnels militaires étrangers auraient été déployés aux côtés des Forces Armées
Maliennes dans le cadre de l'opération « Kélétigui », une opération « antiterroriste »
lancée en décembre 2021, menée principalement dans le centre et le sud du Mali.
Au 31 juillet 2022, ces personnels militaires étrangers auraient également été
déployés aux côtés des Forces Armées Maliennes dans les régions de Ménaka et
Tombouctou, les régions centrales de Douentza, Mopti et Ségou ainsi que les régions
sud de Koulikoro et Nara.

21. En ce qui concerne la présence des personnels militaires étrangers, la majorité des
témoins avec lesquels la MINUSMA s’est entretenue ont été unanimes sur la
présence « d’hommes armés blancs » qui opéraient aux côtés des Forces Armées
Maliennes dès le premier jour de l’opération militaire menée à Moura. Il a été précisé
en outre qu’ils supervisaient même les opérations. Selon les témoins, certains
portaient des semi-cagoules qui cachaient la bouche jusqu’au nez, mais le reste de
la partie du visage était visible. D’autres n’avaient pas de cagoules et portaient des
lunettes de soleil uniquement. Les témoins ont également précisé que chaque jour et
jusqu’à la fin des opérations, il y avait des rotations de troupes des militaires maliens
alors que les « blancs » eux ne quittaient pas Moura. Par ailleurs des témoins ont
précisé que ce sont « les hommes armés blancs » qui faisaient le tri pour déterminer
qui était considéré comme « djihadiste » avant d’orienter les victimes ainsi
identifiées vers la direction où les éléments des Forces Armées Maliennes les
exécutaient en leur tirant dans le dos. De plus lorsqu’ils donnaient des ordres, il y
avait un interprète parmi les militaires maliens qui transmettait les instructions en
Bambara. Plusieurs entretiens avec des témoins directs présents au moment des faits
à Moura permettent d’établir que les militaires maliens s’exprimaient en Bambara

26
https://www.reuters.com/world/africa/mali-asked-private-russian-military-firm-help-against-insurgents-
ifx-2021-09-25/
27
https://www.voaafrique.com/a/wagner-pr%C3%A9sent-au-mali-en-libye-sur-une-base-commerciale-
selon-lavrov/6554853.html; https://mondafrique.com/serguei-lavrov-le-groupe-russe-wagner-fait-du-
business-au-mali/;

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 12


et Songhaï tandis que les « blancs » s’exprimaient dans une langue qu’ils n’avaient
jamais entendue auparavant. Des témoins qui avaient des notions basiques en anglais
ont déclaré à la mission d’établissement des faits qu’il ne s’agissait pas non plus de
langue anglaise. Les témoignages donnent des indications sur le fait que l’un des
interprètes était souvent aux côtés d’un officier (identité connue) qui était
apparemment le supérieur hiérarchique des éléments des Forces Armées Maliennes.
Par exemple, plusieurs témoins directs ont confié à la mission d’établissement des
faits que le 28 mars matin vers 06 h00, 5 militaires « blancs » grands de taille qui
avaient de longues barbes et des cheveux touffus ont cassé la porte d’une maison
pour extraire des habitants qui y avaient trouvé refuge. Ils parlaient une langue
inconnue et un militaire malien traduisait et leur demandait s’il y avait d’autres
personnes cachées. Selon ces témoins les armes des « blancs » étaient différentes
des militaires maliens, leurs chargeuses avaient la forme ronde comme des boites de
conserve.

22. C’est dans ce contexte que le 27 mars 2022, une opération militaire a été lancée par
les forces de défense et sécurité maliennes, avec le soutien des personnels militaires
étrangers, dans le village de Moura.

23. Le 28 mars 2022, jour de la foire hebdomadaire, la MINUSMA a reçu plusieurs


alertes lancées par des leaders communautaires et notabilités qui annonçaient le
bouclage du village de Moura par les Forces Armées Maliennes. Le 29 mars 2022,
la MINUSMA a reçu d’autres allégations faisant état de violations graves des droits
de l’homme et du droit international humanitaire commises dans le village de
Moura. Ces allégations incluaient entre autres, des exécutions sommaires,
extrajudiciaires ou arbitraires, des disparitions forcées, des viols et violences
sexuelles et autres violations du droit international humanitaire.

24. Le 1er avril 2022, l’Etat Major Général des Armées a publié un communiqué
annonçant que « du 23 au 31 mars 2022, une opération d’opportunité aéroterrestre
de grande envergure a été menée dans la zone de Moura à 17 kilomètres au Nord-
est de Kouakourou dans le cercle de Djenné. Cette opération fait suite à des
renseignements bien précis qui ont permis de localiser la tenue d’une rencontre
entre les différents Katibas à Moura, fief des terroristes depuis quelques années.
Une combinaison d’actions aéroterrestres, en l’occurrence les forces au sol et les
troupes aérotransportées, notamment les forces spéciales, a permis un bilan très
lourd chez les terroristes : 203 combattants des GAT (groupes armés terroristes)
avec une interpellation de 51 personnes, 200 motos brulées et saisies, d’importantes
quantités d’armes et de munitions récupérées. Les FAMA ont procédé en suite aux
nettoyages systématiques de toute la zone »28.

28
https://twitter.com/FAMa_DIRPA/status/1510210825549668355/photo/1

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 13


25. Le 2 avril 2022, des déplacements massifs des populations fuyant le village de
Moura ont été enregistrés et se sont poursuivis les jours d’après. Au moins 815
ménages représentant près de 5000 personnes déplacées internes ont été recensées
au mois de mai 2022 par les acteurs humanitaires.29

26. Ces allégations ont suscité une vague de réactions aussi bien sur le plan national
qu’international. Le 5 avril 2022, un deuxième communiqué de l’Etat-Major Général
des Armées a indiqué que les « FAMa font l’objet d’allégations infondées
d’exactions sur les populations civiles. Les porteurs de ces informations infondées
n’ont d’autres objectifs que de ternir l’image des FAMa résolument engagées dans
la lutte pour la liberté, la sécurité et la protection des populations ». Le
communiqué a précisé que « l’action aéroportée et aéroterrestre ayant mobilisé des
drones de surveillance, 05 hélicoptères dont 3 de transport Mi 171 et 02 de combat
Mi 35, 04 groupes de forces spéciales a initialement permis de cerner la zone de
regroupement des terroristes […] Pris en étau, les terroristes tendant de fuir la
localité sur les plaines ont été interceptés et neutralisés par le Mi 35 en
couverture »30. Le même jour (5 avril 2022), la Commission nationale des droits de
l’homme (CNDH) du Mali a exprimé sa vive préoccupation par rapport aux
allégations de violations des droits humains en lien avec les opérations des Forces
armées et de sécurité dans le village de Moura, Cercle de Djenné, du 23 au 31 mars
courant.31 Également le 5 avril 2022, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a déclaré
que « les forces armées maliennes et des soldats étrangers alliés auraient exécuté
sommairement environ 300 hommes civils, dont certains soupçonnés d’être des
combattants islamistes, dans la ville de Moura, dans le centre du Mali, fin mars
2022. Ces hommes faisaient partie d’un groupe de personnes arrêtées suite à une
opération militaire lancée le 27 mars. Cet incident constitue la pire atrocité de ce
type signalée au Mali au cours du conflit armé qui dure depuis dix ans. Le rapport
de HRW a révélé que pendant plusieurs jours, les forces de sécurité maliennes et
des soldats étrangers - identifiés par plusieurs sources comme étant des russes - ont
exécuté par petits groupes des centaines de personnes arrêtées à Moura » 32.

27. Le 6 avril 2022, le Procureur de la république près le Tribunal de Mopti a annoncé


que « A la suite des allégations d’exactions présumées commises sur des civils, des
enquêtes ont été ouvertes par la gendarmerie nationale sur instructions du Ministre
de la défense et des anciens combattants pour mener des enquêtes approfondies afin

29
Voir la Matrice de suivi des déplacements.
30
https://twitter.com/FAMa_DIRPA/status/1511406020379267075/photo/1
31
CNDH, Communiqué n°006-2022/CNDH-P (5 avril 2022)
https://cndhmali.com/index.php/2022/04/05/communique-n006-2022-cndh-p/
32
https://www.hrw.org/fr/news/2022/04/05/mali-massacre-perpetre-par-larmee-et-des-soldats-etrangers

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 14


de faire toute la lumière sur ces allégations ».33 Le 9 avril 2022, une délégation
gouvernementale composée du Ministre de la Réconciliation, de la paix et de la
cohésion nationale, chargé de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu
du processus d’Alger, du Ministre délégué chargé de l’action humanitaire, de la
solidarité, des réfugiés et des déplacés et de quelques membres du Conseil national
de la transition (CNT) s’est rendue dans le village de Moura. Selon les autorités,
l’objectif de cette visite était d’« apporter le soutien, le réconfort et l’assistance de
l’Etat aux populations de Moura »34.

28. Le 6 avril 2022, plusieurs organisations nationales et internationales y compris


l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), Avocats sans frontières
Canada (ASFC), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et
Amnesty International (AI) ont exprimé leurs très vives préoccupations suite à des
allégations de crimes contre des civils à Moura dans le centre du Mali et demandé
que des enquêtes judiciaires approfondies, indépendantes et impartiales soient
menées par les autorités maliennes, pour établir les faits, situer les responsabilités,
poursuivre les auteurs et le cas échéant octroyer une réparation appropriée aux
victimes35.

29. Le 11 avril 2022, des éléments de la Katiba Macina sont retournés dans la zone et
ont procédé à l’enlèvement d’au moins dix (10) personnes accusées de coopérer avec
les Forces Armées Maliennes. Ces personnes sont depuis lors portées disparues.
Enfin, le 27 juin 2022, à la suite d’un ultimatum donné la veille aux habitants de
Moura par ces mêmes éléments pour quitter le village, une trentaine de notables de
la commune de Togué-Mourrai composés de chefs de village, de marabouts et des
leaders traditionnels de Moura, de Digani, Ouro-Modi, Tonssa, Gossiri, Wandjèré,
Makamin, Djabé, Saré Amadou ont constitué une délégation pour rencontrer les
éléments de la Katiba Macina et solliciter le retour des populations déplacées dans
le village. Ces notabilités ont été toutes séquestrées par les éléments de la Katiba
Macina avant d’être relâchées entre 5 et le 15 juillet 2022.

IV. Cadre juridique applicable

30. Depuis 2012, plusieurs conflits armés non-internationaux coexistent au Mali et des
confrontations armées perdurent sur l’étendue du territoire opposant les Forces de

33
Ministère de la Défense et des Anciens Combattants, Tribunal Militaire de Mopti, Cabinet du Procureur de
la République, Communiqué (6 Avril 2022)
34
https://www.facebook.com/ministerereconciliationnationale/posts/1544072829327782/
35
Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), Avocats sans frontières Canada (ASFC), la
Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Amnesty International (AI), Allégations de crimes
contre des civil.e.s à Moura au Mali : une enquête indépendante doit avoir lieu (06 avril 2022)
<https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/mali/crimes-civils-moura-mali-enquete-independante

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 15


Défense et de Sécurité Maliennes (FDSM) et leurs anciens soutiens externes tels que
la force française Barkhane et la Force conjointe du G5-Sahel aux groupes armés
tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’a Nusrat ul-Islam
wa al-Muslimin – JNIM), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et autres
groupes similaires. Le Mali est également marqué par d’autres situations de
violence, y compris intercommunautaire qui ne constituent actuellement pas un
conflit armé au sens juridique du terme.

31. En situation de conflit armé non-international, le droit international humanitaire est


applicable, en particulier, l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le
Protocole Additionnel II. Dans les situations de conflit armé, le droit international
humanitaire et le droit international des droits de l’homme s’appliquent
simultanément. Ainsi, aux fins du présent rapport, les règles de droit international
humanitaire applicables incluent entre autres, l’article 3 commun aux quatre
Conventions de Genève, le Protocole additionnel II et certaines règles du droit
international coutumier.

32. Le droit international humanitaire met en place un certain nombre de règles


contraignantes concernant la conduite des hostilités et relatives au traitement des
personnes qui se trouveraient aux mains d'une des parties au conflit. Un des principes
fondamentaux régissant la conduite des hostilités est le principe de distinction. Ainsi
les parties au conflit sont tenues de distinguer entre les civils et les biens de caractère
civil et les objectifs militaires légitimes. Seuls ces derniers peuvent faire l'objet d'une
attaque. Tel est l’essence du principe de distinction qui s’associe généralement aux
principes de proportionnalité et de précaution. Le principe de proportionnalité
implique que les opérations militaires soient réalisées en veillant à éviter de
provoquer des pertes ou des dommages parmi les personnes et les biens civils « qui
seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu », tandis
que le principe de précaution exige que les opérations militaires soient conduites en
veillant constamment à épargner la population civile et les biens à caractère civil. Il
s’agit notamment de vérifier que la cible est un objectif militaire et que l’attaque
respecte l’exigence de proportionnalité, de choisir les méthodes et moyens de
combat et le moment de l’attaque et d’émettre des avertissements préalables lorsque
cela est possible.

33. Le droit international humanitaire interdit toute atteinte à la vie des civils et des
personnes mises hors de combat au pouvoir d’une partie au conflit. L’article 3
commun aux quatre Conventions de Genève applicable aux conflits armés non
internationaux énonce notamment que : « les personnes qui ne participent pas
directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé
les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure,
détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 16


humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la
couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre
critère analogue. À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout
lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus : les atteintes portées à la vie et
à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les
mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices (…) les atteintes à la dignité
des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; (…) les
exécutions effectuées sans jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement
constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les
peuples civilisés» .

34. Le Mali est partie aux principaux instruments juridiques internationaux relatifs aux
droits de l’homme.36 Le Mali est également partie aux principaux instruments
relatifs aux droits de l’homme de l’Union africaine et de la Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Entre autres, le droit
international des droits de l’homme interdit la privation arbitraire de la vie, ainsi que
la torture et les peines ou traitements cruels ou dégradants et impose que toute
personne privée de liberté soit traitée avec humanité. Dans la mesure où des États
tiers opèrent au Mali, y compris par le déploiement du personnel de leurs forces
armés et de sécurité ou autres agents au Mali, leurs obligations en matière de droits
de l’homme, s’appliquent aux actes accomplis par ces États, y compris par leurs
agents, dans l’exercice de leur compétence en dehors de leur propre territoire.37

35. Les États ont une obligation de mener des enquêtes pour toute allégation de violation
du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.
Cette obligation est déclenchée chaque fois qu'il existe une indication plausible,
quelle qu'en soit la source, que des violations ont été commises y compris lorsque
les faits ne sont pas clairs ou que l'information est partielle ou circonstancielle. Ces

36
Il s’agit notamment du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes, de la Convention relative aux droits de l’enfant, de la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de la Convention internationale sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
37
Article 2(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J Recueil 2004, par. 108 à
113 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J
Recueil 2005, par.216. Voir aussi A/HRC/43/35, para. 4. Voir aussi, Comité des droits de l’homme,
Observation générale no 36, para. 63, qui définit les « personnes relevant de sa compétence » comme incluant
« les personnes se trouvant à l’extérieur de tout territoire effectivement contrôlé par l’État mais dont le droit à
la vie est néanmoins affecté par ses activités militaires ou autres de manière directe et raisonnablement
prévisible», et souligne que les « États ont également l’obligation, au regard du droit international, de ne pas
apporter leur aide ou leur assistance à des activités menées par d’autres États ou par des acteurs non étatiques
qui constituent une violation du droit à la vie ».

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 17


enquêtes doivent être rapides, indépendantes, impartiales, exhaustives, efficaces et
transparentes. Le Mali est partie au statut de Rome de la Cour pénale internationale
(CPI) depuis le 16 août 2000. Des violations graves du droit international
humanitaire constituent des crimes de guerre et des violations flagrantes des droits
de l’homme peuvent constituer des crimes contre l’humanité lorsque commises dans
le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre toute population civile.

V. Principales conclusions de la mission d’établissement des faits


36. La mission d’établissement des faits a été déployée pour collecter des informations
de manière à établir et à vérifier les faits concernant :

(a) le déroulement de l’opération militaire du 27 au 31 mars 2022 à Moura;

(b) les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits
de l’homme qui auraient été commises lors de l’opération militaire.

A. Le déroulement de l’opération militaire

37. Au terme de son travail, la mission d’établissement des faits est en mesure de
conclure qu’une opération militaire dite « antiterroriste » a été menée par les Forces
Armées Maliennes, avec des éléments des forces spéciales et appuyées par des
personnels militaires étrangers du 27 au 31 mars 2022 à Moura. Sur la base des
éléments concordants recueillis, la reconstitution des évènements a permis d’établir
la chronologie des cinq jours de l’opération militaire qui se présente comme suit.

Jour 1 : 27 mars 2022

38. Le 27 mars 2022, les Forces Armées Maliennes, accompagnées de personnels


militaires étrangers, ont lancé une opération militaire héliportée dans le village de
Moura aux alentours de 11h00 du matin avec l’engagement de cinq (5)
hélicoptères.38 Deux (2) hélicoptères ont atterri non loin du château d’eau à l’ouest
du village39 sur la route de Diabi et ont débarqué un nombre indéterminé de troupes
qui se sont ensuite positionnées sur le toit d’un bâtiment en étage. Quelques-unes
sont restées au sol, surveillant le long du coté sud-ouest et nord-ouest du village.
Deux (2) autres hélicoptères se sont posés du côté est du village ; l’un non loin du
marché et l’autre du côté du fleuve, près d’un jardin situé au sud-est du village40.
Les Forces Armées Maliennes ainsi que les personnels militaires étrangers (ci-après
les militaires) débarqués ont traversé le lit du fleuve asséché et se sont dirigés vers

38
Le communiqué numéro 27 de l’EMGA précise que les forces armées ont engagé 5 hélicoptères dont 3 de
transport de type MI17, 2 de combat de type MI 35 et 4 groupements des Forces spéciales.
39
Localisation en annexe.
40
Localisation en annexe.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 18


l’ancien marché à bétail. Un cinquième hélicoptère resté en survol au-dessus du
village aurait ouvert le feu de manière indiscriminée en direction du « Garbal »,41
lieu où se tenait la foire hebdomadaire entrainant un mouvement de foule vers le
centre du village. Les militaires débarqués auraient également de manière
indiscriminée tiré sur les personnes qui essayaient de s’enfuir.

39. Dans le même temps, des éléments armés, membres de la Katiba Macina présents à
la foire au moment de l’assaut auraient riposté en tirant en direction des hélicoptères
et se repliant en même temps pour s’abriter dans des maisons.

Selon un témoin « […] les militaires empêchaient les gens de


fuir le village en effectuant des rafales autour d’eux, mais en
même temps ils ripostaient aussi à des tirs venant des éléments
extrémistes qui étaient sur les lieux ». Dans les mêmes
circonstances, déclare un autre témoin : « J’ai vu un jeune âgé
de 20 à 21 ans dans le marché avec une arme de guerre qui, à
l’arrivée des FAMa a jeté son arme sur le toit et s’est débarrassé
de son treillis [..].

40. L’assaut a duré trois heures. Elle a pris fin aux alentours de 14h00, lorsque la zone
a été totalement « maitrisée » par les Forces Armées Maliennes et les personnels
militaires étrangers. Environ une trentaine de personnes auraient été tuées au cours
de cet assaut dont environ une douzaine de membres de la Katiba Macina présents à
la foire, le reste étant composé majoritairement des civils. Par ailleurs, environ 3000
personnes, tous des hommes auraient été interpellés dans le village après l’assaut.
Ces personnes auraient été rassemblées en quatre (4) lieux. Un premier groupe
d’hommes a été rassemblé au nord-ouest du village, sur la route de Diabi, non loin
de la maison à étage (la seule du village). Un second groupe d’hommes a été
rassemblé au sud du village, non loin de la route de Gossiri, et deux autres groupes
du côté est du village, dans le lit asséché du fleuve. Selon les informations
recueillies, au moins 58 personnes auraient été arrêtées (sur base de leur apparence
physique) sur les 3,000 personnes regroupées dans le village. Ces personnes ont été
provisoirement détenues dans une maison du village du 27 au 30 mars. Un premier
groupe de 40 personnes et un deuxième groupe de 18 personnes ont été transférées
à Sévaré par hélicoptère le 30 mars 2022. Cinquante-et-un (51) d’entre elles ont été
conduites dans la soirée à Bamako où elles ont été transférées au Camp 1 de la
Gendarmerie de Bamako le lendemain matin. Pendant leur transfert, ils avaient tous
les yeux bandés. Certains ont, par la suite, été conduits à l’Agence nationale de la
sécurité d’état (ANSE) où ils ont été détenus quelques jours avant d’être ramenés au
Camp I. Pendant leur détention, ces personnes ont été interrogées et torturées. Sur
les 51 personnes transférées à Bamako, 47 ont été remises en liberté. Les quatre
autres étaient toujours en détention à la date de la finalisation du présent rapport.

41
Marché à bétail.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 19


41. Au cours de l’assaut, des éléments armés, membres de la Katiba Macina qui s’étaient
cachés dans une maison à l’entrée ouest du village, en face du marché de bétail, ont
ouvert le feu et tué deux militaires qui patrouillaient à pied. Après la mort des deux
soldats, les militaires ont tiré une roquette sur la maison, tuant la douzaine
d’éléments armés qui s’y étaient retranchés.

42. Les informations collectées ont permis d’établir que dès le premier jour de
l’opération, les militaires ont informé les populations qu’ils étaient à la recherche
d’individus suspectés d’appartenir à un groupe armé « extrémiste » dont ils avaient
les identités.

43. Le communiqué № 26 de l’Etat-Major général des Armées du 1er avril 2022 précise
que l’opération avait visé une « rencontre entre différents Katiba à Moura, fief des
terroristes depuis quelques années (...) ». Le communiqué № 27 du 5 avril 2022,
indique également que « (...) les renseignements obtenus par des moyens techniques
et électroniques ont été le fondement de la réussite de l’opération à Moura ». Le
même communiqué précise en outre que « (...) le contrôle de la localité a permis de
faire le tri, rechercher, identifier des terroristes déguisés et dissimulés parmi les
populations civiles (...) ».

Jour 2 : 28 mars 2022

44. Le lendemain dès 7h00 du matin, les militaires ont procédé à des fouilles dans les
habitations à la recherche des « présumés terroristes » dont ils avaient dit détenir la
liste. Ils se sont organisés par groupes de cinq ou six personnes. Au cours de cette
opération, ils se sont introduits dans chaque habitation et ont procédé à
l’interpellation des hommes qu’ils ont conduit par petits groupes vers les quatre lieux
de rassemblement. En fin de journée, l’Imam a été instruit pour faire une annonce
publique via des haut-parleurs pour demander aux hommes qui se cachaient encore
dans le village de se rendre le lendemain matin de leur propre gré au risque d’être
exécutés si les militaires les trouvaient ou de ne pas faire quartier.42

Jour 3 : 29 mars 2022

45. Le troisième jour, aux alentours de 8h00 du matin, à la suite de l’appel fait par
l’Imam la veille, certains hommes encore cachés dans le village se sont rendus aux
militaires. Ceux-ci ont été conduits vers les divers points de rassemblement. Comme
le jour précédent, les militaires ont effectué des fouilles approfondies dans les

42
Le devoir de faire quartier est une règle de base qui interdit d’attaquer une personne reconnue comme hors
de combat dans des situations de combat sur le champ de bataille. Il est interdit d’ordonner qu’il ne sera pas
fait quartier, d’en menacer l’adversaire ou de conduire les hostilités en fonction de cette décision.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 20


habitations. Les militaires ont rassemblé environ 400 motos trouvées dans le village
et les ont incendiées entre 8h00 et 10h00 du matin.

Jour 4 : 30 mars 2022

46. Le quatrième jour, les fouilles des habitations se sont poursuivies à la suite
desquelles, des femmes, des enfants, des personnes âgées ainsi que des malades qui
se trouvaient dans les centres de santé ont été conduits vers les lieux de
rassemblement du côté sud-est et sud-ouest du village. Deux individus recherchés
par les Forces Armées Maliennes (dont l’un serait le point focal des groupes
« extrémistes » à Moura) ont été retrouvés ce jour et ont été transférées le même jour
par hélicoptère vers une destination inconnue. Ces deux individus ont par la suite
été mis à la disposition du Pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme et
la criminalité transnationale organisée.

Jour 5 : 31 mars 2022

47. Vers 9h00-10h00, les militaires ont rassemblé les quatre groupes de personnes dans
le lit du fleuve pour leur parler. Les militaires ont indiqué aux populations qu’ils
étaient venus faire « le nettoyage » des éléments « extrémistes » dans la zone. Ils ont
ensuite dit aux villageois de ramasser les cadavres des personnes tuées et éparpillés
dans le village et de les enterrer. Dans le même temps, quatre (4) individus parmi
dix (10) suspectés d’être des « terroristes » et qui étaient retenus au bivouac situé de
l’autre côté du fleuve se sont enfuis. Les militaires les ont cherchés en vain dans le
village et seraient ensuite revenus exécuter les six (6) restants alors qu’ils avaient les
mains attachées dans le dos. Vers 11h00, les militaires ont demandé à tout le monde
de retourner au village et ont commencé à quitter le village par voie aérienne.

B. Les violations des règles du droit international humanitaire et du droit


international des droits de l’homme

48. La mission d’établissement des faits a documenté des cas d’exécutions sommaires
et extrajudiciaires, de viols et autre violences sexuelles ainsi que des actes de torture
et mauvais traitements perpétrées au cours de l'opération militaire. Elle a aussi
recueilli des éléments qui indiquent que les règles de la conduite des hostilités n’ont
pas été respectées.
1. Violations des règles et principes du droit international humanitaire
régissant la conduite des hostilités

49. Au terme de son travail, la mission d’établissement des faits a pu établir la tenue de
la foire hebdomadaire de Moura le 27 mars 2022. Il s’agissait de la foire la plus
importante de la localité qui a rassemblé des milliers de civils venus
s’approvisionner en prévision au démarrage du Ramadan. Les populations présentes

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 21


à la foire étaient notamment des forains et des commerçants, des habitants de Moura
et des populations provenant des villages et localités environnants à savoir Ténenkou
(approximativement 30 km de Moura), Gaba (12 km), Sofara (15 km), Ouromadi (5
km), Diabi (8 km), Diguéni (7 km), Ngouréama (20 km), Borgo (20 km), Sossobé
(17 km), Songodé (8 km), Gossiri (8 km), Wandjéré (10 km), Makamé (15 km),
Makadjé (22 km) et Yogoessira (25 km).

50. La mission d’établissement des faits a également permis d’établir la présence à la


foire ce jour-là d’une trentaine d’éléments armés membres de la Katiba Macina
affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’a Nusrat ul-Islam
wa al-Muslimin – JNIM).

51. Comme mentionné plus haut, la mission d’établissement des faits a conclu que les
tirs effectués par les militaires lors de l’assaut du 27 mars 2022 auraient
mortellement atteint et de manière indiscriminée une vingtaine des civils. Par
ailleurs, il a été établi que même lorsque les Forces Armées Maliennes et les
personnels militaires étrangers ont pris le « contrôle » du village, ils auraient
sélectionné plusieurs centaines de personnes qui ont été sommairement exécutées
pendant au moins quatre jours. Cette opération au cours de laquelle plusieurs
centaines des personnes auraient été tuées soulève des préoccupations importantes
quant au respect des principes de la conduite des hostilités et surtout des règles
régissant le traitement des civils et des personnes hors de combat. L’opération
soulève également des préoccupations importantes quant au respect des normes et
standards du droit international des droits de l’homme.

52. La règle applicable en la matière demeure que la présence de combattants parmi la


population civile ne prive pas cette population dans son ensemble de son caractère
civil et de sa protection contre les effets des hostilités. Seuls les civils qui participent
directement aux hostilités perdent leur protection contre les attaques et seulement
pendant la durée de leur participation. Le rapport de causalité doit être établi entre
la commission d’un acte de participation spécifique et son résultat immédiat.43 Pour
établir cette participation directe, il faut que trois conditions cumulatives et strictes
soient validées. La première condition est que cette participation nuise suffisamment
aux opérations ou aux capacités militaires de l’adversaire ou entraîne des pertes
humaines ou la destruction de biens protégés par le droit international humanitaire
(seuil de nuisance). La deuxième condition est qu’il existe une relation directe de
causalité entre l’acte constaté et ses effets (causation directe). Enfin, la troisième
condition est que l’acte confère un avantage de l’une des parties au conflit (lien de
belligérance). Selon les informations recueillies, rien n’indique que les milliers de

43
CICR, Commentaire du Deuxième Protocole Additionnel aux Conventions de Genève, 1987, para 4787.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 22


personnes civiles présentes au marché lors des premières heures de l’opération
participaient directement aux hostilités au moment de l’attaque.

53. Les deux communiqués susmentionnés de l’Etat-Major général des Armées


indiquent que Moura est le fief des « terroristes » depuis quelques années. La
majorité des personnes exécutées ont été identifiées comme des « terroristes » sur
la base d’un tri basé sur l’observation de signes apparents tels qu’avoir une longue
barbe, un pantalon qui n’arrive pas à la cheville, des traces sur les épaules
interprétées comme une habitude de port d’arme, ou encore le fait de montrer la
peur.

54. La présence d’une trentaine des membres de la Katiba Macina parmi des milliers de
personnes dans un marché ou parmi un groupe d’hommes ne suffit pas pour qualifier
les autres personnes présentes à la foire comme des membres d’un groupe armé sans
plus d’informations. Tout individu, sauf preuve contraire, est présumé civil. Dans
son communiqué du 1er avril 2022, l’Etat-Major général des Armées a indiqué avoir
été en possession des renseignements précis qui ont permis d’identifier les membres
des différents Katiba qui tenaient une réunion à Moura, considéré comme « fief des
terroristes » depuis des années et de mener l’opération militaire contre un
rassemblement des combattants. Toutefois, il semble difficile dans les circonstances
de la tenue d’une foire comme celle de Moura que les militaires aient pu déterminer
que toutes les personnes ciblées étaient des membres d’un groupe armé organisé.
Par ailleurs, des personnes hors de combat auraient été exécutées en violation des
règles portant sur le traitement des personnes hors de combat

55. L’assaut initial soulève également d’importantes questions quant au respect du


principe de proportionnalité. En effet, même si elle était dirigée contre des membres
d’un groupe armé, un commandant responsable pourrait s’attendre qu’une telle
attaque menée en plein marché hebdomadaire avec la présence de milliers de civils
dont des forains et des marchands cause des pertes et dommages civils qui seraient
excessifs par rapport à l’avantage militaire direct et concret attendu de cet assaut.

2. Exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires des civils et


personnes hors combat

56. La mission d’établissement des faits a pu confirmer que de nombreuses exécutions


sommaires de civils ainsi que des personnes qui se sont rendues ou ont été mises
hors de combat ont été commises à Moura entre le 27 et le 31 mars.44 La

44
Conformément à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, « (…) Les personnes qui ne
participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes
et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause,

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 23


reconstitution des évènements a permis à la mission d’établir la cartographie et les
coordonnées des lieux d’ensevelissement des personnes tuées.

57. Le 27 mars 2022, premier jour de l’opération comme indiqué ci-dessus, les Forces
Armées Maliennes ainsi que les personnels militaires étrangers auraient interpellé
au moins 3.000 personnes, tous des hommes, tout âge confondu et les ont répartis
en quatre (4) groupes. Ces hommes auraient été triés en fonction des caractéristiques
physiques comme le fait de porter la barbe ; de porter un pantalon court au-dessus
la cheville ou d’avoir des marques sur l’épaule. Les personnes triées sur la base des
critères susmentionnés ont été conduites les mains attachées dans le dos par petits
groupes de 5 à 10 personnes, à environ 300 mètres des sites de rassemblement. Elles
auraient été exécutées sommairement par les militaires à proximité de la fosse
commune qui avait été creusée par des ressortissants de Moura sur ordre des
militaires.

58. Le 28 mars, un nombre indéterminé d’individus a également été tué dans des
circonstances similaires. Un témoin du groupe rassemblé au sud-est du village a
affirmé :
« Les individus ainsi sélectionnés étaient alors sortis du lot et
conduits derrière un muret situé à une trentaine de mètres puis
remis à deux autres militaires qui les exécutaient par balle pour
certains dans la tête, dans le dos pour d’autres ou sur la poitrine
pour d’autres encore. Les corps étaient ensuite jetés dans un
petit creuset45 qui a servi de fosse pour l’occasion. Ceux qui
résistaient ou essayaient de fuir étaient systématiquement
exécutés autant par les militaires « blancs » que les FAMa et
traînés dans la fosse. Les exécutions ont continué toute la
journée, c’était insupportable… ».

Selon un autre témoignage :

« Le lundi matin vers 8h00, les militaires dont deux


« blancs » et un malien sont venus vers nous. Ils ont
emmené deux personnes membres de la communauté
peule du village de Djaba (Sofara), ensuite ils ont pris
quelques hommes dans le deuxième groupe qu’ils ont
conduit vers la maisonnette. Tous ont été exécutés au bord
d’une fosse dans laquelle les gens tombaient ».

seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable
basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre
critère analogue. À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes
mentionnées ci-dessus : a. les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous
toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; b. les prises d’otages ; c. les
atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; d. les
condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal
régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples
civilisés (…)».
45
Localisation en annexe.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 24


59. Le même 28 mars 2022 vers 18h00, les militaires ont annoncé que les fouilles et les
exécutions ne cesseraient qu’une fois que les personnes recherchées seraient
effectivement arrêtées. En fin de journée, l’Imam a été instruit pour faire une
annonce publique via des haut-parleurs pour demander à tous les hommes qui se
cachaient encore dans le village de se rendre.

60. Le 29 mars 2022, dans l’après-midi, entre 15h00 et 16h00, des militaires ont désigné
parmi les hommes détenus au bord du fleuve, quelques jeunes majoritairement
membres de la communauté bobo pour ramasser les corps dans le village à l’aide
d’au moins quatre charrettes tirées par des ânes. Les corps ont ensuite été amassés
du côté sud-est du village, près du petit creuset qui servait de fosse commune. En
effet ce creuset existait bien avant parce que la population du village de Moura en
extrayait de l’argile pour l’entretien des maisons. Les militaires ordonnaient ainsi
aux personnes qui n’avaient pas été identifiés comme djihadistes lors du tri, de
ramasser les corps au fur et à mesure des exécutions et de les jeter dans cette
« fosse ». Cette fosse a été par la suite agrandie afin de pouvoir contenir un
maximum de corps. Une fois la fosse remplie de cadavres, les militaires y ont mis le
feu avec de l’essence46 et du bois sec. La Mission d’établissement des faits a eu des
entretiens avec plusieurs témoins directs qui ont participé au ramassage et à
l’inhumation des corps dans ce creuset. Le décompte fait par ces témoins directs a
été presque le même (entre 170 et 190 corps pour certains et à peu près 200 corps
pour d’autres). Ce même jour, les militaires ont demandé aux « chefs de familles »
d’aller dans le village pour instruire les femmes et les enfants de sortir de leurs
maisons le lendemain. Selon un témoin, les militaires ont affirmé ceci :

« Les personnes que nous cherchons n’ont pas encore


été trouvées et nous ne partirons qu’après les avoir
capturées ».

61. Une seconde annonce a ainsi été faite par l’Imam du village pour demander aux
hommes qui se cachaient encore de se « rendre de leur plein gré ».

62. Le 30 mars 2022, aux environs de 9h00, les militaires ont procédé à un ultime tri au
sein des quatre groupes d’hommes regroupés aux divers lieux de rassemblement.
Plusieurs individus auraient été sommairement exécutés selon le même mode
opératoire des premiers jours sur la base des suspicions d’appartenance aux
« groupes extrémistes ». Plusieurs sources ont affirmé que les militaires ont fait

46
L’essence a été prise dans le village, chez un revendeur de carburant dont l’identité est connue et dont le
point de vente se trouve au niveau du port de pêche non loin de l’endroit où les hommes étaient retenus « Les
militaires sont passés à côté de moi avec deux bidons de 20 litres d’essence. Quelques minutes après j’ai
aperçu des flammes et la fumée là où ils faisaient les choses ».

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 25


croire aux populations qu’ils détenaient une « machine » qu’ils avaient cachée
derrière une clôture avec une ouverture sur l’extérieur qui pouvait détecter des
« terroristes ». Tous les hommes, y compris le chef du village ont été enjoints de se
mettre en file indienne pour passer à tour de rôle devant la soi-disant « machine ».
Plusieurs personnes auraient été identifiées par cette méthode comme étant des
« terroristes » et été conduites au sud du village où elles ont été exécutées.

63. La mission d’établissement des faits a pu établir que ce jour-là alors que les fouilles
étaient en cours et que les exécutions se poursuivaient, des rotations de troupes ont
été effectuées et par la même occasion, les militaires embarquaient des individus
vers une destination inconnue.

« Ce jour-là, il y avait un militaire malien qui était de l’autre côté en face


de nous au sud du village entre le fleuve et le nouveau garbal. C’est lui
qui faisait les sélections. Au passage de notre groupe, 47 individus ont été
sélectionnés. Je faisais partie de ces personnes. Un d’entre nous voulait
s’échapper en courant et a été tué sur le champ. Il restait 46 personnes.
Ils nous ont ensuite fait agenouiller puis allonger au sol. Ils ont appelé un
autre militaire blanc qui est venu. Ils ont parlé et il est reparti. Ils nous
ont ensuite bandé les yeux, fait marcher un peu et j’ai constaté que je suis
rentré dans un hélicoptère. Après un temps de vol toujours les yeux
bandés, nous sommes arrivés à Sévaré (c’est après que j’ai su où on était
au travers des échanges avec d’autre personnes, comme mes yeux étaient
fermés).

64. Le 31 mars 2022, les militaires ont indiqué aux populations qu’ils étaient venus faire
« le nettoyage » des éléments « extrémistes » dans la zone. Ils ont ensuite dit aux
villageois de ramasser les cadavres des personnes tuées et éparpillés dans le village
et de les enterrer. Dans le même temps, quatre (4) individus parmi dix (10) suspectés
d’être des « terroristes » et qui étaient retenus au bivouac situé de l’autre côté du
fleuve se sont enfuis. Les militaires les ont cherchés en vain dans le village et serait
ensuite revenus exécuter les six (6) restants alors qu’ils avaient les mains attachées
dans le dos. Vers 11h00, les militaires ont demandé à tout le monde de retourner au
village et ont commencé à quitter le village par voie aérienne.

65. Entre15h00 et 18h00, après le départ définitif des troupes militaires, les villageois
se sont mobilisés pour ramasser les cadavres se trouvant à différents endroits du
village. Selon les informations reçues par la mission d’établissement des faits des
charrettes47 ont été mises à contribution pour faciliter le ramassage des corps des
victimes. Environ 370 corps auraient été ramassés, dont une vingtaine de corps de
femmes et sept enfants. Les corps ramassés ce jour-là auraient été inhumés dans trois
fosses communes creusées par les villageois, notamment à proximité du cimetière

47
Les témoignages concordants indiquent qu’une douzaine de charrettes ont été utilisées.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 26


du village,48 au sud-ouest du village sur la route de Gossiri49 et au nord-est sur la
route de Diabi.50

66. Les jours suivants, d’autres corps ont été découverts dans les alentours du village et
ont été enterrés par les villageois dans la plupart des cas sur les lieux de leur
découverte du fait de leur état de putréfaction avancée.

67. Les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires et autres formes de


privations arbitraires de la vie constituent des violations du droit international des
droits de l’homme. En effet, l'article 6(1) du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et tous les traités régionaux relatifs aux droits de l'homme
garantissent le droit à la vie et le droit de toute personne à ne pas être arbitrairement
privée de sa vie.51 Ce droit est indérogeable, c'est-à-dire que le droit à la vie ne peut
être suspendu même en cas d'urgence publique (danger public exceptionnel
menaçant l’existence de la nation), comme l'instabilité politique interne.52 Les
meurtres commis sur des civils ainsi que sur des personnes qui se sont rendues ou
sont autrement hors de combat constituent également des violations du droit
international humanitaire53 et constituent des crimes de guerre. Si les meurtres sont
commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute
population civile ils peuvent également constituer des crimes contre l'humanité.54
Par ailleurs, le droit international humanitaire exige que les personnes civiles et les
personnes qui se sont rendues ou qui sont autrement hors de combat soient traitées
avec humanité.55

48
Localisation en annexe.
49
Localisation en annexe.
50
Localisation en annexe.
51
Article 6(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le droit à la vie est également
reconnu à l’article 6 de la Convention relative aux droits de l’enfant ; l’article 10 de la Convention relative
aux droits des personnes handicapées ; l’article 9 de la Convention internationale sur la protection des droits
de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ; ainsi que dans l'article 3 de la Déclaration
Universelle des droits de l’homme. Au niveau régional, voir l’article 4 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples.
52
Article 4 (2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Voir aussi : Principes de base sur
le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, principe 8.
53
L’article 3 commun aux Conventions de Genève interdit « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité
corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes ...» des personnes civiles et des personnes qui ne
participent pas directement aux hostilités et les personnes qui ont été mises hors de combat. Par ailleurs,
conformément aux règles du droit international coutumier applicable dans les conflits armés internationaux et
les conflits armés non internationaux, « le meurtre est interdit » Règle 89.
54
Article 7(1)(a) du Statut de Rome.
55
L’exigence de traiter avec humanité est inscrite à l’article 3 commun aux Conventions de Genève. Cette
exigence est reconnue comme une garantie fondamentale par le Protocole additionnel II en son article 4 qui
dispose que « toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités,
qu'elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs
convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sans
aucune distinction de caractère défavorable. Il est interdit d'ordonner qu'il n'y ait pas de survivants ».

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 27


3. Les cas de viol et autres formes de violences sexuelles

68. La mission d’établissement des faits a des « motifs raisonnables » de croire que des
viols et des actes de violences sexuelles ont été commis par des éléments des Forces
Armées Maliennes (FAMA) sur au moins 58 femmes et jeunes filles pendant toute
la durée de l’opération militaire. La mission a interviewé 15 victimes de viols.
D’autres victimes n’ont pas souhaité être entendues par les chargés des droits de
l’homme pour éviter d’être stigmatisées. La MINUSMA a appuyé la prise en charge
médicale et psychosociale de six (6) parmi les 15 victimes interviewées. Par crainte
de représailles et de stigmatisation, aucune d’elles n’a souhaité porter plainte.

69. Par ailleurs, des témoins ainsi que les victimes qui ont rapporté ces faits étaient en
état de choc et ont insisté sur la confidentialité de ces informations, précisant qu’au
terme d’un conseil des sages qui s’est tenu après le départ des militaires le 31 mars,
il a été décidé de ne pas révéler les cas de viol et de violences sexuelles dans l’ultime
objectif de protéger l’honneur et la dignité, de préserver la stabilité des foyers et des
familles et de lutter contre la stigmatisation des femmes et jeunes filles victimes.

70. Selon plusieurs témoignages des victimes et des habitants corroborés par ceux des
parents ou autres proches, les premiers viols ont eu lieu derrière la maison d’un jeune
connu de Moura. Il a été précisé au cours des témoignages que des militaires des
Forces Armées Maliennes ont fait sortir des couchettes qu’ils ont installées sous des
arbres dans un jardin où ils ont ensuite emmené des femmes qu’ils ont violées à tour
de rôle. D’autres actes de violence sexuelle se sont produits dans une maison située
au sud du village sur la route de Gossiri où des femmes s’étaient cachées.

71. Ces actes constituent des violations du droit international humanitaire56 et du droit
international des droits de l’homme. En effet, le viol peut constituer une violation
du droit à la sécurité de la personne, du droit d'être protégé de la torture et d'autres

56
Le viol et les autres formes de violence sexuelle sont interdits par l’article 3 commun aux Conventions de
Genève qui mentionne les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle. Le viol et les autres formes de
violence sexuelle sont interdits par la règle 93 du droit international coutumier applicable dans les conflits
armés internationaux et non internationaux.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 28


mauvais traitements,57 et du droit au meilleur état de santé possible,58 ainsi que
d'autres droits consacrés par les traités internationaux et régionaux relatifs aux droits
de l'homme. Si le viol est perpétré par des agents publics, à leur instigation ou avec
leur consentement ou leur assentiment, il constitue une torture. 59 Le viol constitue
aussi une violation du droit international humanitaire.60 Les actes de viols peuvent
également constituer des crimes de guerre dans les conflits armés internationaux et
non internationaux61 et un élément constitutif d’un crime contre l'humanité (si les
autres conditions sont remplies).62

4. Torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants

72. Selon les informations recueillies, les militaires ont infligé des traitements
inhumains et dégradants ainsi que des actes de torture aux personnes capturées dans
le cadre de l’opération militaire conduite du 27 au 31 mars. Ces personnes ont été
torturées aussi bien à Moura, à Sévaré ainsi qu’à Bamako à l’Agence nationale de la
sécurité d’état (ANSE). Certaines l’ont été alors qu’elles étaient interrogées en
Bambara et en Peul sur leurs activités. Une victime a témoigné en ces termes :

57
Article 7 du Pacte international relative aux droits civils et politiques auquel le Mali est parti depuis le 16
juillet 1974 ; art. 5(b) de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale à laquelle le Mali est partie depuis le 16 juillet 1974 ; articles 1 et 16 de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à laquelle le Mali est partie depuis le 26 février
1999 ; arts. 19, 37(a) de la Convention relative aux droits de l’enfant à laquelle le Mali est partie depuis le 20
septembre 1990 ; et articles 10, 16(1) et 16(2) de la Convention internationale sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille à laquelle le Mali est partie depuis le 05 juin
2003. Au niveau régional, voir l’article 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à laquelle
le Mali est partie depuis le 21 décembre 1981; les articles 11(3) et 14(2)(c) du Protocole à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique ou Protocole de Maputo auquel
le Mali est partie depuis le 13 janvier 2005; les articles 16, 17(2)(a), 21, 22(1) et (3) ; 27 de la Charte africaine
des droits et du bien-être de l'enfant à laquelle le Mali est partie depuis le 3 Juin 1998; Les Lignes directrices
et mesures pour l'interdiction et la prévention de la torture, des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants en Afrique (Lignes directrices de Robben Island).
58
Article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels auquel le Mali est partie
depuis le 16 juil. 1974. Voir également : Comité des droits économiques, sociaux et culturels - Observation
générale No. 14: Le droit au meilleur état de santé susceptible d'être atteint (Article 12), UN doc no :
E/C.12/2000/4 (11 août 2000) paragraphe 8.
59
Communications n° 262/2005, V.L. c. Suisse, Décision adoptée par le Comité contre la torture le 20
novembre 2006, para. 8.10 ; n° 279/2005, C.T. et K.M. c. Suède, Décision adoptée par le Comité contre la
torture le 17 novembre 2006, para. 7.5. Voir également Tribunal pénal international pour le Rwanda, Chambre
de première instance, Procureur c. Akayesu, ICTR-96-4-T, Jugement du 9 février 1998, paras. 597, 687 ;
Tribunal international chargé de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991, Procureur c. Zejnil
Delali et al, IT-96-21-T, Jugement du 16 novembre 1998, para. 495 ; Cour européenne des droits de l'homme,
Grande Chambre, requête no 23178/94 Aydin c. Turquie, arrêt du 25 septembre 1997, par. 86 ; Commission
interaméricaine des droits de l'homme, affaire 10.970, Marti de Mejia c. Pérou, rapport 5/96, section B.3(a),
1er mars 1996.
60
Le viol et les autres formes de violence sexuelle sont interdits – règle 93 : Cette règle constitue une norme
de droit international coutumier applicable dans CAI et CANI. L’article 3 commun aux Conventions de
Genève mentionne aussi les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle.
61
Article 8(2)(e)(vi) du Statut de Rome.
62
Article 7(1)(g) du Statut de Rome.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 29


« j’avais les yeux fermés. Les militaires nous ont giflé, donné des coups de poing,
piétiné avec des coups de pieds sur la tête, frappé avec des cordelettes et avec les
crosses de leurs armes. Ils nous traitaient de djihadistes, nous accusaient de tuer
nos propres frères et de détruire notre pays. Je leur répondais que je ne savais rien
de tout ça et que je ne suis pas djihadiste. On a passé à peu près deux ou trois heures
dans une cellule. Ils nous ont ensuite, brutalement mis dans un véhicule, trainé
certains par terre, puis dans un avion qui nous amené à Bamako ». Une autre
victime a affirmé : « Les militaires maliens m’ont livré à la Sécurité d’Etat où j’ai
été torturé et électrocuté au sexe lors de mes auditions qui duraient des heures, et
ce, pendant six jours avant de me ramener au camp 1 (de la Gendarmerie) de
Bamako ».
73. La torture ainsi que les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont prohibés
en droit international des droits de l’homme et en droit international humanitaire. En
effet, la torture constitue une atteinte au droit à l'intégrité physique et mentale et à la
dignité et est interdite par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et d'autres traités internationaux et régionaux relatifs aux droits de l'homme.63
L'interdiction de la torture est absolue - c'est-à-dire qu'il s'agit d'une norme
impérative du droit international qu’aucun État n'est autorisé d’ignorer (jus cogens)
- et ne peut faire l'objet d'aucune dérogation.64 Les actes de torture ne sont pas
seulement des violations flagrantes des droits de l'homme mais peuvent également
constituer des crimes contre l'humanité lorsqu'ils sont commis dans le cadre d'une
attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile.65

74. Le droit international humanitaire interdit également de manière claire la torture des
civils et d'autres personnes ne prenant pas une part active aux hostilités, y compris
les personnes hors de combat et les autres personnes qui bénéficient d'un statut
protégé.66 Les traitements cruels et les traitements inhumains sont interdits par le

63
Article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; article 5(b) de la Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; article 37(a) de la Convention relative aux droits
de l’enfant ; articles 10 et 16(2) de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille. En vertu de l'art. 10(1) du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, les États ont également l'obligation positive de veiller à ce que les personnes privées
de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Au niveau régional, voir : article 5
de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, articles 16, 17(2)(a) de la Charte africaine des
droits et du bien-être de l'enfant ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Lignes
directrices et mesures pour l'interdiction et la prévention de la torture, des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants en Afrique (Lignes directrices de Robben Island).
64
Article 4(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; articles 2(2) et (3) de de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Voir également
Comité contre la torture, Observation générale n° 2, Application de l’article 2 par les États parties, paras. 1 et
5.
65
Article 7(1)(f) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
66
En ce qui concerne les conflits armés non internationaux voir : Article 3 commun aux Conventions de
Genève et l’article 4(2)(a) du Protocole additionnel II (s'appliquant tous deux aux personnes civiles et aux

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 30


droit international humanitaire, à la fois en raison de l'obligation de traiter avec
humanité les civils et les autres personnes ne prenant pas une part active aux
hostilités, et en raison des interdictions spécifiques prévues par les instruments du
droit international humanitaire et le droit international coutumier. 67 Les actes de
torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont des violations graves
du droit international humanitaires et constituent des crimes de guerre.68

VI. Conclusion et recommandations


75. Au terme de son travail sur les faits survenus à Moura, la mission d’établissement
des faits a conclu que certains éléments de l’opération militaire aéroportée et
terrestre conduite à Moura, le jour de la foire hebdomadaire ont été menée en
violation des règles du droit international humanitaire, notamment celles relatives à
la conduite des hostilités et au traitement des personnes capturées et/ou mises hors
combat ainsi que du droit international des droits de l’homme.
76. A cet égard, la mission a conclu que plusieurs centaines des personnes, ont été tuées
entre le 27 et le 31 mars au cours de l’opération militaire à Moura. La mission a
également pu établir qu’une trentaine de membres de la Katiba Macina ont été tués
au cours de la même opération. Les tirs effectués lors de l’assaut initial du 27 mars
2022 ont mortellement atteint et de manière indiscriminée une vingtaine des civils.

77. Au regard des informations collectées, vérifiées et corroborées par la mission


d’établissement des faits, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’Homme a des motifs raisonnables de croire qu’au moins 500 personnes auraient
été tués en violation des normes, standards, règles et/ou principes du droit
international des droits de l’homme et du droit international humanitaire entre le 27
et le 31 mars au cours de l’opération militaire à Moura. Il s’agit d’une vingtaine de
civils tués le 27 mars par des tirs aériens effectués par les Forces Armées
Maliennes et les personnels militaires étrangers pour empêcher la population de
s’enfuir et de quitter Moura et d’au moins 500 individus, y compris une vingtaine
de femmes et sept enfants, exécutés par les Forces Armées Maliennes et les
personnels militaires étrangers entre le 27 et le 31 mars après que la zone a été

personnes qui ne participent pas ou plus activement aux hostilités). Voir également : Jean-Marie Henckaerts
et Louise Doswald-Beck, Droit International Humanitaire Coutumier. Volume I : Règles (Bruylant, 2006)
règle 90 <https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001_pcustom.pdf>.
67
Outre la règle selon laquelle les personnes doivent être traitées avec humanité (article 3 commun aux
conventions de Genève et article 4(1) du Protocole additionnel II art. 4(1)), il existe également une interdiction
explicite du "traitement cruel" dans l'article 3 des Conventions de Genève et dans ; et l’article art. 4(2)(a)du
Protocole additionnel II. Voir aussi : Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Droit International
Humanitaire Coutumier. Volume I : Règles (Bruylant, 2006) règle 90
<https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001_pcustom.pdf>.
68
Article 8(2)(c) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 31


totalement « maitrisée ». 69 La mission d’établissement des faits dispose des noms
d’au moins 238 de ces personnes qui ont été exécutées. Selon plusieurs témoignages
concordants, les victimes ont été inhumées dans quatre fosses communes creusées
par les villageois, notamment à proximité du cimetière du village, 70 au sud-ouest
du village sur la route de Gossiri71 et au nord-est sur la route de Diabi. 72 Cinquante-
huit (58) personnes ont été arrêtées et détenues parmi lesquelles certaines ont été
victimes de torture et de mauvais traitements. Enfin, sur base des informations
recueillies, la mission d’établissement des faits a des « motifs raisonnables de croire
» que 58 femmes et jeunes filles ont été victimes de viol et autres formes de violences
sexuelles perpétrés par des éléments des Forces Armées Maliennes. Les événements
à Moura entre le 27 et le 31 Mars pourraient constituer des crimes de guerre et si
commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population
civile ils pourraient constituer des crimes contre l’humanité.

78. Au regard des conclusions de la mission, le Haut-Commissariat aux droits de


l’homme recommande :

Aux autorités maliennes :


• de s’assurer que les enquêtes annoncées sur les possibles violations du droit
international humanitaire et du droit international des droits de l’homme à Moura
soient menées de façon indépendante impartiale, efficace, exhaustive et transparente
et que les conclusions de ces enquêtes soient rendues publiques ;
• de poursuivre tous les présumés auteurs en vue d’établir leur responsabilité ;
• de s’assurer que les victimes et/ou les membres de leurs familles aient accès à la
justice et leur octroyer le cas échéant une réparation intégrale ;
• de prévoir des mesures appropriées pour accompagner les victimes des violences
sexuelles liées à l’opération de Moura en référence au plan d’action 2022-2024 de

69
Selon les informations recueillies par la mission d’établissement des faits, le 29 mars, dans l’après-midi,
entre 15h00 et 16h00, des militaires ont désigné parmi les hommes détenus au bord du fleuve, quelques jeunes
majoritairement membres de la communauté bobo pour ramasser les corps dans le village à l’aide d’au moins
quatre charrettes tirées par des ânes. Les corps ont ensuite été amassés du côté sud-est du village, près d’un
petit creuset qui servait de fosse commune. Le décompte fait par ces témoins directs a été presque le même
(entre 170 et 190 corps pour certains et à peu près 200 corps pour d’autres) (voir paragraphe 60 du
rapport). Le 31 mars, entre15h00 et 18h00, après le départ définitif des troupes militaires, les villageois se
sont mobilisés pour ramasser les cadavres se trouvant à différents endroits du village. Selon les informations
reçues par la mission des charrettes ont été mises à contribution pour faciliter le ramassage des corps des
victimes. Environ 370 corps auraient été ramassés, dont une vingtaine de corps de femmes et sept
enfants. Les corps ramassés ce jour-là auraient été inhumés dans trois fosses communes creusées par les
villageois, notamment à proximité du cimetière du village ; au sud-ouest du village sur la route de Gossiri et
au nord-est sur la route de Diabi (voir paragraphe 65 du rapport).
70
Localisation en annexe.
71
Localisation en annexe.
72
Localisation en annexe.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 32


réponse et de prévention des violences sexuelles liées au conflit et aux obligations
internationales du Mali en la matière ;
• de renforcer la coopération avec la MINUSMA dans le domaine des droits de
l’homme, notamment en garantissant à la MINUSMA la liberté de circulation afin
qu’elle puisse s’acquitter de son mandat lié aux droits humains, conformément à la
résolution 2640 (2022) du Conseil de sécurité ;
• de s’assurer que les forces engagées dans les opérations militaires y compris les
personnels militaires étrangers respectent les règles du droit international
humanitaire et du droit international des droits de l’homme.

A la MINUSMA :

• de mettre à la disposition des autorités maliennes, en cas de besoin, les ressources


appropriées y compris logistiques et techniques dans le cadre de la conduite de
l’enquête ouverte ;
• de poursuivre la coopération technique avec les Forces de Défense et de Sécurité
Maliennes, notamment dans le cadre des activités de renforcement des capacités, y
compris en matière de droits de l’homme et du droit international humanitaire lors
des opérations militaires.

Aux Etats tiers :

• de soutenir les efforts des autorités maliennes de transition dans le cadre de la lutte
contre l’insécurité au Mali et appuyer les autorités nationales dans leurs efforts de
lutte contre l’impunité.
• d’assurer des enquêtes sur les possibles violations du droit international humanitaire
et du droit international des droits de l’homme commis par leurs ressortissants et le
cas échéant, poursuivre les suspects.
• de respecter leurs obligations en droit international des droits de l’homme et en droit
international humanitaire, dans la mesure où des membres de leurs forces armées et
de sécurité ou d’autres agents de l’état seraient déployés au Mali et participent aux
opérations de sécurité.

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 33


VII. Annexes

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1. Port de pêche (lieu de regroupement de d’exécution des villageois). Un trou qui a été élargi par
les villageois et utilisé comme une fosse commune

-4.599989, 14.324590

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2. Lieu d’atterrissage des deux premiers hélicoptères le dimanche 27 mars 2022

-4.602691, 14.328581

3. Deuxième lieu d’atterrissage des hélicoptères le dimanche 27 mars 2022

-4.597770, 14.325698

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 37


4. Fosse commune creusée par les villageois

-4.595620, 14.328937

5. Fosse commune creusée par les villageois

-4.601830, 14.325960

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 38


6. Fosse commune creusée par les villageois

-4.603787, 14.330834

7. Fosse commune creusée par les villageois

-4.600789, 14.324546

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 39


8. lieu de découverte d’autres corps le 8 avril 2022

-4.605182, 14.329618

10. Premier lieu de commission des viols et autres violences sexuelles

-4.603131, 14.329781

Rapport sur les évènements de Moura du 27 au 31 mars 2022 | 40


11. Deuxième lieu de commission des viols et autres violences sexuelles

-4.600974, 14.326442

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