Le Clergé Du Diocèse D Arras Boulogne Tome 3

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BIBLIOTHECA S. J.
Maison Saint-Augustin
ENGHIEN

H.451/23
33
LE CLERGÉ
DU

DIOCÈSE D'ARRAS

BOULOGNE & SAINT-OMER

PENDANT LA RÉVOLUTION

1789-1802

NE
EGIUM
H.26

LE CLERGÉ

DU

DIOCÈSE D'ARRAS

BOULOGNE & SAINT-OMER

PENDANT LA RÉVOLUTION

(1789-1802)

PAR

L'ABBÉ A. DERAMECOURT
PROFESSEUR D'HISTOIRE AU PETIT SÉMINAIRE D'ARRAS

TOME TROISIÈME

LA TERREUR - LE CULTE CACHÉ

Bibliothèque des Fontaines


BP 205
60501 CHANTILLY Cedex
Tél. (16 ) 44 57.24.60

ARRAS
IMPRIMERIE DE LA SOCIÉTÉ DU PAS- DE - CALAIS
P.-M. LAROCHE, DIRECTEUR
41 et 43 , rue d'Amiens

1885
PERMIS D'IMPRIMER

Arras, le 14 août 1885 .

+ DÉSIRÉ-JOSEPH ,

Évêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer.


AVERTISSEMENT

Par ce troisième volume, nous arrivons au cœur


du sujet que nous avons entrepris de traiter.
La Terreur, avec son cortège de persécutions,
de procès et d'exécutions, en occupe la première
partie ; le Culte caché, avec son organisation , ses
ministres et ses protecteurs, en remplit la seconde .
On ne s'étonnera pas si une pareille matière a
multiplié les pages de ce livre un peu au- delà de la
limite accoutumée . Nous nous serions fait scrupule
de raccourcir les Actes de nos confesseurs de la foi ,
ou de retrancher de nos listes le nom d'un seul des

généreux catholiques qui demeurèrent fidèles à

l'Eglise persécutée et à ses prêtres (1 ) .


Un regret pourtant nous reste, et il est vif, c'est

d'avoir ignoré et omis beaucoup de noms et beau-


coup de faits . On prend facilement son parti
d'oublier inconsciemment quelques- uns des scélé-

(1) Parmi les milliers de noms propres que nous avons dû citer dans
cet ouvrage, il en est plusieurs , à coup sûr, dont l'orthographe a
été involontairement défigurée . Nous en demandons pardon à ceux
qui les portent encore aujourd'hui . Ils verront là même une preuve
de notre volonté bien arrêtée d'écrire l'histoire du passé sans aucune
préoccupation du présent. Du reste, nous avons partout et rigoureu-
sement reproduit les manuscrits que nous avions sous les yeux.
VIII AVERTISSEMENT

rats près desquels , l'abbé Grégoire, qui les con-


naissait bien , écrivait, le 24 décembre 1796 , que
Néron, Sardanapale et Cartouche eussent été
des hommes à canoniser », mais il en coûte
davantage d'omettre , même par ignorance , des
bienfaiteurs du clergé, ou des victimes de leur
sympathie pour lui . Ces traits édifiants, ces actes
de courage, ces services rendus à nos mission-
naires illustrent une famille aux yeux des hommes
de bien nous serions heureux de multiplier encore
ces illustrations - là . Pourquoi ne pas l'ajouter ?
Parmi les arrière-petits-fils des amis et des protec-
teurs de nos prêtres, aussi modeste que soit leur
honnête condition, nous voudrions provoquer le
désir de trouver aussi des prêtres. Ah ! la belle
vocation que celle qui germerait sur la tombe de
ces martyrs ! Sanguis martyrum, semen sacerdo-
tum ! Au moins le Livre d'or de ces généreux incon-
nus est ouvert . Ses premières pages sont écrites ;

de plus heureux ou de plus habiles l'achèveront.

Il nous reste à remercier les souscripteurs et les


critiques qui apprécient avec bienveillance et récla-
ment avec insistance la suite de nos volumes .

Dans le labeur quotidien dont ces travaux histo-


riques ne sont que la part libre et réservée, c'est

un soulagement que de sentir à côté de soi des


amis qui encouragent et, au-dessus de soi, des
maîtres qui applaudissent . Mais ces secours ne sont
point nécessaires . L'austere sourire de tant de
AVERTISSEMENT IX

saintes victimes apparaissant autour de leur obscur


annaliste pour le remercier , le suffrage loyal de tant
de familles oubliées, méprisées peut-être , ou tout au
moins restées pauvres, à cause de l'honnêteté de
leurs ancêtres, et dont les titres imprescriptibles
reparaissent au vrai jour de l'histoire, par dessus
tout le sentiment intime et profond de rendre
justice à la grande cause de la Vérité, suffisent à
notre satisfaction .
Puissions-nous bientôt achever cet ouvrage, en
consacrant ses deux derniers livres à la dernière

persécution et à la restauration du Culte , et faciliter


les recherches de ses lecteurs par une table géné-
rale des matières et des noms propres .
1
LIVRE SIXIÈME

LA TERREUR

Comment Maximilien Robespierre la définit . - Ses moyens


d'application.

Avant d'imposer à la France ce régime effroyable


dont il fut successivement l'inspirateur , l'exécuteur et
la victime , Maximilien Robespierre avait eu la préten-
tion de le définir . On discutait cette Constitution de
l'an I , qui ne survécut pas à la ruine des Girondins ,
ses auteurs , lorsque le député d'Arras fut appelé à
formuler sa pensée sur la liberté du culte ; il en profita
pour exposer la façon dont on devait comprendre la
liberté en général, sous le gouvernement qui avait sa
préférence : « Si le ressort du gouvernement popu-
laire dans la paix est la vertu , dit-il , le ressort du
gouvernement populaire en révolution , c'est à la fois
la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la ter-
reur est funeste , la terreur sans laquelle la vertu est
impuissante. La terreur n'est autre chose que la vertu
prompte, sévère , inflexible ... On a dit que la terreur
était le ressort du gouvernement despotique ... Que le
despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis , il a
raison comme despote : domptez par la terreur les
ennemis de la liberté , et vous aurez raison comme
fondateurs de la République . »
La journée du 31 mai fut la première réalisation de
cette froide théorie ; la sinistre journée du 5 septembre
1
2 LA TERREUR

acheva de la mettre à exécution . Bientôt la loi des


suspects , l'extension donnée aux pouvoirs des Comités
de surveillance , l'institution du Comité de Salut pu-
blic , sortent des décrets d'une Chambre en délire ,
dominée par l'émeute et terrifiée par une horde sans
nom , dont Marat, Danton et Robespierre exécutent les
ordres , en attendant qu'elle les exécute eux-mêmes .
CHAPITRE PREMIER

COMITÉS ET TRIBUNAUX

Les représentants en mission. Etendue de leurs pouvoirs.

Si la Convention , qui délibérait sous le regard des


clubs et des tricoteuses , s'était donné deux maîtres
redoutables dans ses Comités de Salut public et de
Sûreté générale , elle avait imposé aux armées et aux
départements des maîtres encore plus redoutables , en
leur donnant des représentants du peuple en mission .
Jamais , même aux temps des proconsuls romains , on
n'avait vu pouvoir plus absolu et plus arbitraire . En
dépit de la Constitution , qui ne reconnaissait que
l'élection comme unique voie pour arriver aux fonc-
tions publiques , les représentants en mission s'arro-
geaient le droit de nommer à tous les emplois et de
destituer à volonté tous les fonctionnaires , sous pré-
texte de les épurer et de les régénérer . Quand ils en
appelaient aux administrations ou aux tribunaux , dont
les membres émanaient de leur bon plaisir , c'était
uniquement pour sauver les apparences ; car personne
ne se méprenait sur l'indépendance de pareils juges .
4 LA TERREUR

1. - Les Comités de surveillance .

Ces Comités s'érigent en souverains. - Comité de surveillance


d'Arras. Arrêté de Peyssard, Lacoste et Duquesnoy. Leurs
mandataires dans le département. - Nombreuses arrestations du
Comité d'Arras . - Le Comité de Sûreté générale. Il adopte
le nouveau calendrier. -- Il célèbre une fête patriotique en l'hon-
neur de Beaurains . - Récit officiel de la fête. - Propositions
violentes du district d'Arras contre les prêtres. - Les constitu-
tionnels eux-mêmes sont dénoncés . · Bapaume imite Arras .
Arrestations. Comité de Surveillance de Bapaume. - Nouvelles
arrestations. Comité de Saint-Pol. --Destitutions et arrestations .
Affaire du calvaire de Boubers.- Troubles auxquels elle donne
lieu. - Décision du District. Nouveaux comités de Frévent et
Saint-Pol. Influence de Guérit- Tout. Tournée d'arrestations .
- Les gros fermiers arrêtés. - Mission des sociétés populaires
d'après Robespierre . Société de Frévent Comité d'Hesdin.-
Comité de Fruges . - Comité d'Auxi-le-Château . - Arrestation
du curé Pépin . - Arrestations à Montreuil. - Fête civique de
Boulogne. -- Calvaire et fête de Calais . ― Le bûcher de Saint-
Omer. - Sermon de Porion. - Evénements militaires . - Lettre
de Dumouriez. - Bataille de Hondschoote . Ses conséquences
à Saint-Omer. - Discours de Bancel. - Les écoliers de Saint-
Sépulcre. La maison d'arrêt. - Mesures anti- religieuses .
Exaltation générale.— Béthune , Lillers et Laventie.—. Arrestations.

Leurs conseils , leurs inspirateurs , quelquefois leurs


censeurs auprès de la Convention étaient les Comités
de surveillance . Institués d'abord pour surveiller les
étrangers , les suspects , les ennemis de la République ,
ceux-ci s'érigèrent en souverains étroits et despo-
tiques , d'autant plus dangereux qu'il n'y avait aucun
moyen de réformer leurs arrêts . Aussi les conseils des
communes , les Directoires des districts et même du
département , soumis à leur contrôle perpétuel , les
fonctionnaires et employés de tout rang qu'ils aiguil-
lonnaient et dénonçaient au représentant, étaient- ils
obligés de faire assaut de patriotisme et d'exaltation
démagogique , pour se maintenir « à la hauteur » de
ce terrorisme croissant , et il est facile de concevoir ce
qu'il advint du Pas - de- Calais à une époque où la
COMITÉS ET TRIBUNAUX 5

Révolution avait Robespierre pour tête , et pour bras


Joseph Le Bon et Duquesnoy.
Le premier Comité de surveillance d'Arras remonte
au 6 avril 1793 ( 1 ) . Il avait été institué par le Dépar-
tement et se composait de dix membres : deux admi-
nistrateurs du département , Maniez et Renard ; deux
administrateurs du district, Gabriel Leblond et Dela-
rue-Lachelin ; deux membres du Conseil général de
la commune d'Arras , Delavallée et Willemetz ; deux
membres de la garde nationale d'Arras , Blondel et
Planès , officiers d'état-major , et deux membres de la
Société populaire , dont l'un était Maurice . La première
occupation de ce Comité fut d'ouvrir les lettres desti-
nées aux citoyens ; il s'en acquitta mollement , accueil-
lit quelques dénonciations , notamment contre Héro-
guel, ex-capucin , retiré à Fampoux et considéré
«< comme très dangereux par son influence sur les es-
prits faibles de la commune » . Mais à partir du mois
de septembre , le Comité se transforma et devint réelle-
ment actif.
Un arrêté des représentants du peuple Peyssard ,
Lacoste et Duquesnoy avait étendu cette création à
quatre départements , à partir du 21 septembre . Cet
arrêté était ainsi conçu :
« Les représentants du peuple près l'armée du Nord ,
considérant que la malveillance et l'aristocratie de
toutes les couleurs s'agitent dans tous les sens , pour
troubler la tranquillité publique , exciter le méconten-
tement et faire éclore les germes de guerre civile...
« Arrêtent qu'il sera formé incessamment des Comités
de sûreté générale dans toutes les villes et bourgs
d'une population de mille âmes , dans le Nord , le
Pas-de - Calais , la Somme et l'Aisne , composés de sept
citoyens au moins , ayant donné des preuves non équi-
voques de patriotisme... Ils pourront décerner des

(1) Archives départementales. L. 395, District d'Arras,


6 LA TERREUR

mandats d'amener et d'arrêt contre tous les gens sus-


pects . Signé : Peyssard , Élie Lacoste et Duquesnoy. >>
Le 24 septembre , pour plus de rapidité dans l'exé-
cution , les mêmes représentants chargèrent des
citoyens choisis de faire ces nominations dans chaque
district Lefetz pour Arras ; Remy pour Bapaume ; Le
Roux pour Béthune ; Hamy, notaire , pour Boulogne ;
Lange pour Calais ; Evrard fils , d'Hesdin , pour Mon-
treuil ; Vallé pour Saint-Omer, et Miennée , officier
municipal , pour Saint- Pol .
Ces commissaires devaient faire passer leurs listes
au Département , qui motiverait son avis avant la nomi-
nation définitive . Un peu plus tard , pour le district
d'Arras , Lefetz fut remplacé par Chevalier .
Le Comité de surveillance d'Arras , stimulé par la
présence des autorités révolutionnaires et souvent
visité par Le Bon , s'appliqua donc à remplir active-
ment son rôle de dénonciateur .
Ses procès -verbaux , à partir surtout du 29 septembre
jusqu'en juillet 1794 , se réduisent à la désignation des
personnes qu'il fait mettre en arrestation et sur les
papiers desquelles il fait apposer les scellés . Nous en
avons compté quatre cent vingt-six , dont 142 en octo-
bre ; février , mars et mai de l'année 1794 sont les mois
les plus chargés , parce que Le Bon y fait sentir son inter-
vention . Parmi les principales arrestations du Comité,
nous avons remarqué , le 25 novembre , celle de Mgr de
Roquelaure, ci-devant évêque de Senlis ; de son
domestique , Pierre Salmon ; de sa cuisinière , Marie
Fatoux et du chanoine Bertoux , son compagnon ; le
3 février , sept membres de la famille d'Hauteclocque ,
le 3 mai , le chanoine Gouilliart , et le 27 , l'ex- curé
Herbet figurent également sur le volumineux registre .
Au-dessus de lui , avec une autorité plus haute , des
pouvoirs plus étendus , et une plus violente animosité
contre tout ce qui avait un caractère religieux , fonc-
tionnait le Comité de sûreté générale d'Arras , dont
COMITÉS ET TRIBUNAUX 7

nous avons vu précédemment l'institution et qui


n'était, en quelque sorte , que le Comité secret du Dis-
trict.
Ce District d'Arras , qui marchait toujours en tête
du mouvement révolutionnaire , était plus que jamais
fidèle à sa mission le premier, dès le 7 octobre , il
adoptait le nouveau calendrier ; le 21 , il organisait la
fête patriotique des citoyens de Beaurains , et le 27 il
formulait, contre les prêtres catholiques, le plus violent
de ses manifestes.
Nous ne nous attarderons pas à expliquer ici
ce
nouveau comput dont le but avoué était de supprimer
les fêtes de l'Église et de substituer à l'année , au mois
et à la semaine liturgiques , un calendrier emprunté au
matérialisme le plus brutal .
« On connaît suffisamment, dit un de nos maîtres (1) ,
cette conception inepte . Les jours , les mois changèrent
de nom. La nouvelle ère devait dater du 22 septembre
1792 , époque où fut proclamée la République et que
l'on désirait illustrer à jamais pour cette raison . Douze
mois parfaitement égaux furent partagés en trois dé-
cades de dix jours chacune , dont le dernier devait être
consacré au repos . Par là disparaissait le dimanche et
telle était l'intention des auteurs du décret. Les noms
vénérés des saints étaient remplacés par ceux des ani-
maux, des plantes , des instruments aratoires . Des
cérémonies absurdes devaient tenir lieu des solennités
chrétiennes . Le calendrier républicain , adopté en prin-
cipe le 5 octobre 1793 , fut suivi jusqu'au 1er janvier
1806 , dans les actes officiels : longtemps auparavant ,
il avait cessé absolument dans l'usage habituel . »
La fête patriotique , célébrée à Arras en l'honneur
du Conseil général de Beaurains et des citoyennes
Boulet et Dhée de cette commune , est un épisode qui

(1) Dom Piolin, L'Église du Mans durant la Révolution , tome II ,


p. 334.
8 LA TERREUR

mérite d'être conté dans ses détails , et par la plume


officielle de rédacteurs aux gages des administrations .
On voulait honorer les vertus hospitalières et civiques
du Conseil général et des susdites citoyennes qui , lors
du passage de l'armée française , avaient accueilli les
défenseurs de la patrie de la manière la plus frater-
nelle . Pour cela on imagina la mascarade dont le ta-
bleau qui suit nous a été religieusement conservé :
« A dix heures du matin, trois commissaires de
l'administration du département, deux commissaires
du District et deux du Conseil général de la commune
d'Arras , sont partis sur deux chariots, pour se rendre
au village de Beaurains , distant d'Arras d'une petite
lieue ; ils étaient accompagnés d'un grand nombre de
citoyens et citoyennes . Sur l'un des deux chariots ,
était un drapeau qui portait cette inscription : « Hom-
mage rendu aux vertus hospitalières et civiques . » Sur
l'autre était portée une pique surmontée du bonnet
de la liberté .
« A onze heures , le Conseil général du Départe-
ment, celui du District, le Conseil général de la com-
mune d'Arras et une grande quantité de citoyens et
de citoyennes, précédés de la musique de la garde na-
tionale de ladite commune , se sont mis en marche pour
aller audevant des citoyens de Beaurains .
« Sortis de la ville , ils ont rencontré l'avant-garde
d'un bataillon du district de Versailles . La musique a
joué l'air : Où peut- on être mieux qu'au sein de sa
famille ? et on s'est donné mutuellement des marques
de fraternité .
<
«< Un peu plus loin , on a rencontré une bande de pri-
sonniers Autrichiens , conduits par la gendarmerie na-
tionale ; on a joué l'air : Ça ira et la Carmagnole, et
on a écrasé ces esclaves , par les cris répétés de Vive
la République !
«< Parvenus à l'endroit du faubourg où est planté
l'arbre de la liberté , les administrateurs , les munici-
COMITÉS ET TRIBUNAUX 9

paux , les citoyens et citoyennes ont formé des danses


autour de cet arbre chéri et ont fait retentir l'air de
cris d'allégresse .
« La marche a ensuite continué et on a rencontré
à quelque distance du faubourg, non seulement le
Conseil général de la Commune de Beaurains et les
citoyennes Boulet et Dhée , mais tout le village de
Beaurains . Là on s'est confondu dans des embrasse-
ments mutuels et jamais scène n'a été plus vive ni
plus intéressante .
« Après avoir cédé pendant quelque temps à ces
mouvements inspirés par le cœur , on a repris la
marche .
« La musique s'est mise en avant , les deux chariots
sur lesquels étaient les citoyennes Boulet et Dhée ,
accompagnées de tous leurs enfants et des femmes et
filles du village de Beaurains , suivaient la musique ,
puis les administrateurs et les officiers municipaux
d'Arras mêlés avec les citoyens et les citoyennes .
<< En repassant auprès de l'arbre de la liberté du
faubourg, on s'est arrêté un moment et on a recom-
mencé les danses .
« Le cortège, entré dans la ville , a parcouru les
principales rues , s'est rendu sur la place où se trou-
vait une foule immense , et le bataillon des jeunes gens
du district de Versailles qui venait d'arriver ; on a
encore dansé autour de l'arbre de la liberté et des
deux chariots qui portaient les citoyennes Boulet et
Dhée .
<<< On s'est ensuite rendu au lieu des séances du Dé-
partement, mais le local était trop petit pour contenir
la foule immense qui accompagnait le cortège , l'admi-
nistration a arrêté d'aller tenir sa séance dans l'église
de Saint-Vaast , on s'y est rendu aussitôt ; le Conseil
général de la commune et les citoyennes Boulet et
Dhée ayant été placées en face de la tribune , Ferdi-
nand Dubois, président du Département , y est monté
10 LA TERREUR

et a prononcé un discours naturellement - en


l'honneur de la tendre humanité et de la douce frater-
nité, qui se termina par un embrassement au maire.
Maupin . Celui- ci a répondu avec le procureur Barbaux .
« On a demandé que les citoyennes Dhée et Boulet
montassent à la tribune pour y être vues de tout le
peuple ; elles y sont montées et ont reçu aussi l'ac-
colade de la part du président de l'administration ; la
salle a retenti alors des applaudissements donnés à
ces deux citoyennes .
« La séance a été levée et chaque administrateur du
Département a conduit chez lui un certain nombre de
citoyens et citoyennes de Beaurains à qui il a donné
à dîner. Le président a reçu la citoyenne Dhée et ses
enfants , et l'administrateur Leducq la citoyenne Bou-
let aussi avec ses enfants .
« Vers quatre heures et demie , la société républi-
caine a ouvert sa séance aussi dans l'église de Saint-
Vaast à cause de la petitesse du local ordinaire ; cette
église , quoique vaste , s'est trouvée remplie , et le Con-
seil général de la commune de Beaurains et les ci-
toyennes Dhée et Boulet ayant repris leur place , Fer-
dinand Dubois , président de la société républicaine , a
fait un nouveau discours auquel Maupin a répondu
encore . »
Ces fêtes patriotiques , ces embrassements et ces
discours n'étaient en tout cas que plaisants ; voici qui
avait un autre caractère .
Le 6 du deuxième mois de l'an II , 27 octobre 1793 ,
un membre du District d'Arras , constatant que le
temps des ménagements est passé , que celui des ven-
geances nationales est arrivé , et cependant que les
lois ne frappent pas assez cette classe de fripons , de
charlatans , de fanatiques qui secouent, au nom d'un
Dieu qu'ils outragent et d'une religion qu'ils mécon-
naissent dans toutes les parties de la République , la
torche infernale de la guerre intestine , il faut que les
COMITÉS ET TRIBUNAUX 11

biens de ces êtres immoraux et anti-sociaux , de ces


impudibonds qui nous ont procuré et la guerre étran-
gère et la guerre civile , viennent à la décharge des
frais que la République fait pour la cause sacrée de la
liberté et de la douce égalité : il faut que les biens de
ces monstres soient employés pour les dépenses de la
guerre que les sans-culottes soutiennent avec l'énergie
qui appartient à un peuple régénéré . Il propose donc
de solliciter de la Convention un décret qui confisque
au profit de la République tous les biens meubles ,
immeubles , rentes , créances , toutes les sommes et
effets quelconques appartenant aux prêtres déportés
et reclus. Il ajoute : « Les biens de ces derniers , quoique
la plupart agonisants , ne doivent pas échapper à la
confiscation . Ces êtres fanatiques , dans leur réclusion ,
adressent à l'Être suprême des prières impies pour la
ruine de la République et ne sont pas moins ses enne-
mis que ceux qui , plus jeunes , sont allés grossir la
horde des scélérats qui nous font cette guerre impie ,
depuis près de deux ans . »
Toutes ces propositions sont adoptées et arrêtées ,
ouï le procureur syndic Le Roy . Il a été arrêté , en
outre , que le présent vou serait envoyé au citoyen
Joseph Le Bon, représentant du peuple , en l'invitant
à faire sortir le décret que sollicite l'administration . A
ce fiel haineux , il est facile de reconnaître Lefetz , qui
a , de sa main , ajouté ou retouché quelques mots au
cahier même des Arrêts du District .
Le 8 du deuxième mois , 29 octobre , le District de-
mande encore que le Comité de sûreté générale puisse
suivre et arrêter au delà de la ville et du canton d'Ar-
ras les suspects , aristocrates et contre révolution-
naires qui s'éloignent pour échapper à ses recherches
et vont corrompre les pères nourriciers de la patrie ,
d'où ils entretiennent , avec les ennemis , des corres-
pondances dangereuses . Il demande que le Comité
envoie des commissaires pris en son sein dans les
12 LA TERREUR

communes du district, avec autorisation de requérir


la force armée , les autorités civiles et militaires , pour
les seconder et faire arrêter toutes les personnes sus-
pectes qui ont fui la ville d'Arras et se sont retirées à
la campagne . Le présent arrêté sera envoyé aux repré-
sentants du peuple avec invitation de le confirmer et
au Département pour lui en donner connaissance .
Telle était la haine dont le District et surtout Lefetz
poursuivaient les prêtres que leurs plus serviles, instru-
ments , parmi les constitutionnels , n'échappaient pas à
leurs coups . Le curé Scrive , de Courrières , avait été
le bras droit de Lefetz dans la tournée d'arrestation
que nous avons racontée : il avait même été maltraité
à l'église et à la maison commune au point d'être mis
à la porte . Il s'était fait délateur , et écrivait à Benta-
bole , représentant en mission à Lille , le 25 août , que
ses plus grands ennemis étaient François Verlaines et
Denis Sauvage . Ces services ne trouvèrent pas plus
grâce devant le Comité de sûreté générale que ceux
du curé Lamand , d'Hénin - Liétard . On les dénonce le
8 septembre, «< comme fomentant le trouble , sous pré-
texte de religion , et cherchant à rendre dominant le
culte dont ils sont les ministres . Il est urgent de s'op-
poser à ces prétentions qui ne peuvent que pro-
pager le fanatisme , ce père de tous les crimes . » Pour
mettre un frein à de pareilles prétentions et effrayer
leurs semblables , qui voudraient les imiter , le District
invite le représentant du peuple à destituer ces deux
individus et à prononcer leur arrestation .
Le 9 septembre Lamand et Scrive sont effectivement
destitués et arrêtés et les scellés mis sur leurs papiers .
Le 14 octobre , on les envoie à vingt lieues dans
l'intérieur de la République , et c'est à Reims qu'ils se
réfugient . Enfin , le 8 novembre , on annonce que La-
mand est retourné à Hénin déguisé en femme, on l'en-
voie chercher par les gendarmes pour le mettre dans
la maison d'arrêt.
COMITÉS ET TRIBUNAUX 13

A voir ces rigueurs employées contre les constitu-


tionnels , on présume ce qui devait en être pour les ré-
fractaires .
Bapaume qui , plus qu'aucun autre District, vivait sous
l'influence d'Arras , ne manqua point de l'imiter dans
son énergie révolutionnaire . Darthé était venu en avril ,
J.-B. Morel et J.-N. Lefebvre revinrent au mois d'août,
à titre de commissaires du Département , pour contrôler
et guider les administrateurs Bapalmois .
Des hommes comme Norman , Théry , Labouré et
Remy n'avaient , du reste , pas besoin de stimulant . Le 25
août, on met en arrestation , à Pronville , Joseph Sau-
demont, ex- bénédictin à Hermies , Aubert Deruy, ex-
carme ; à Ruyaulcourt , Pierre - Vindicien Delattre , ex-
récollet , Paradis , frère de l'ex- desservant et Hippolyte
Duplouy, ancien clerc. Le Directoire fit ensuite re-
marquer aux commissaires que pour entraver les
progrès du fanatisme il faudrait encore arrêter une
dizaine de personnes dont trois servantes de curés , et
quelques réfugiés , en tout trente-deux personnes . Les
commissaires se rendirent facilement à cet avis .
C'est alors que Célestin Lefetz , devant les scrupules
de Remy, reçut la mission de nommer les membres du
Comité de surveillance . Il les choisit comme on va le
voir dans la classe ouvrière , et leurs noms étaient tout à
fait inconnus . Sa nomination est du 24 septembre . En
tête figurent naturellement Richard Remy, greffier du
tribunal et J.-B.-J. Théry , procureur syndic . Viennent
ensuite J.-B.-J. Pajot , envoyé par l'assemblée' pri-
maire , Jacques Destrées , cordier ; Nicolas Bruet, vi-
trier ; Sabin Lefranc , notable ; Nicolas Demanelle ,
portefaix ; Dominique Frédevaux , boulanger ; Domi-
nique Bouziano , tourneur ; Adrien Dauchet , jardinier;
Louis-Joseph Guilmot , officier municipal et Alphonse
Huguenin , boulanger .
Quand il s'agit de choisir un secrétaire , une diffi-
culté surgit. Plusieurs membres demandèrent qu'il fût
14 LA TERREUR

choisi en dehors du comité , motivant leur opinion sur


ce que plusieurs d'entr'eux , « étant plus patriotes que
lettrés , » ne se croyaient pas propres à remplir ces
fonctions et sur ce que , d'un autre côté , il fallait que
le service fût assidu et permanent .
On décida de consulter l'administration du Départe-
ment , qui consentit à laisser nommer le citoyen Béten-
court, de Bapaume . Un peu plus tard , le 21 octobre ,
la Société populaire de Bapaume fut organisée à son
tour, et on lui donna pour noyau cinquante citoyens
désignés par le Comité de surveillance , et le lieu de
ses réunions fut l'ancienne église paroissiale . C'est
alors que les arrestations commencèrent. Le 26 oc-
tobre seulement , on en fit trente -deux , et l'on continua ,
sauf à ordonner quelques élargissements . En une seule
journée , le 27 octobre, Souastre seul fournit onze
prisonniers suspects que Labouré y alla chercher avec
la force armée . Cette manière d'agir devait satisfaire ,
ce semble, les terroristes ; nous verrons qu'il n'en fut
pourtant rien.
Le district de Saint- Pol fut plus radical et surtout
plus impie . Dès le 7 octobre , Lacoste et Duquesnoy ,
considérant que les fonctionnaires publics doivent être
animés d'un patriotisme ardent pour terrasser les
conspirateurs , décidèrent d'éloigner tous les fonction-
naires suspects et de les remplacer par des hommes.
courageux et de vrais républicains . Ils destituèrent
donc Truyart, juge de paix de Pernes ; Poillon , de
Fleury ; Lavoine , de Frévent ; Fromont , de Monchy-
Breton et Thélu , de Frévent , et les remplacent par
Gotiaut, de Valhuon pour Pernes ; Louis Augnier ,
pour Fleury ; Delattre , pour Frévent ; Boutilly, pour
Monchy et Delaire , pour Frévent .
Lanne , procureur-syndic de St-Pol , nommé juge à
Paris , fut également remplacé par Duez .
Le lendemain , 8 octobre , on arrêta plusieurs per-
sonnes de Frévent entr'autres François Planchon , pei-
COMITÉS ET TRIBUNAUX 15

gneur de laine , à qui on demanda des nouvelles de son


frère , le curé de Willeman , qu'il était soupçonné
d'avoir accompagné à Saint- Germain . Le 10 octobre ,
la Société populaire de Saint- Pol , qui tenait ses séan-
ces dans l'église des Sœurs grises , fit transporter les
autels qui s'y trouvaient dans l'église paroissiale .
C'est alors que se présenta au District de Saint- Pol ,
la question du calvaire de Boubers . Ici encore , citons
les témoins officiels :
<< Le 16 octobre 1793 , Fourdrin et Detœuf, de Fré-
vent, ont invité les membres du Conseil municipal de
Boubers à déplanter le calvaire sur la route de Fré-
vent, à Hesdin ; rendez- vous a été donné à cinq heures
du soir, pour être transféré dans l'église .
«< On se réunit donc à cinq heures . Milon , maire ;
Pruvost , officier ; Poldevin , officier; Gaquère , procureur ;
et on se transporte avec Detœuf et Fourdrin à l'endroit
où était le calvaire . Déjà des ouvriers le déplantaient
et cette opération était à-demi faite , quand arriva le
citoyen Thomas , curé . On résolut de transporter le
Christ à l'église : quant à la croix , faute de voiture , on
décida d'attendre plus tard . Chemin faisant, ajoute
Fourdrin, de sa main , au procès -verbal , ledit Thomas
ayant proposé d'entonner le psaume : Miserere mei , le
citoyen Fourdrin lui a répondu que ce n'était pas le
cas , mais bien de chanter l'hymne de la patrie qui fut
sur le champ entonné par le citoyen Detœuf et répété
à l'unanimité. Etant arrivés dans ladite église , le
Christ a été remis dans le souterrain et , à l'instant,
ledit Fourdrin est monté dans la tribune de l'église et
a fait lecture du discours dont la teneur suit
<< Citoyens , le voile est enfin déchiré , nos représen-
tants , éclairés des flambeaux de la philosophie , mar-
chent à pas de géants dans la carrière où nous les
avons placés , et nous apprendrons à l'univers étonné
qu'un peuple a conquis la liberté et , afin de se dépouil-
ler de ses préjugés religieux , sait se faire aimer et res-
16 LA TERREUR

pecter. Rappelés à la religion de la nature , à cette


religion qui aurait dû toujours être celle de tous les
peuples , vous n'en reconnaîtrez pas moins un être
créateur , conservateur et rémunérateur , et le triomphe
de la vérité sera l'héritage précieux que vous léguerez
à vos enfants . En vain l'aristocratie , dans sa fureur
agonisante , s'agite -t- elle en tout sens pour tromper les
crédules , le temple du fanatisme est détruit et ses au-
tels ne survivront pas à l'anéantissement des vieux
préjugés . Aussi nos administrateurs ont arrêté qu'il
était prudent de faire disparaître du territoire du
département tous les signes du fanatisme , tels que les
croix et chapelles qui y étaient épars de tous côtés .
Ce n'est pas , citoyens , par irréligion , ne vous y trompez
pas , mais bien pour empêcher les suites funestes de
ce fanatisme que je vous parle ainsi , vous pouvez tou-
jours adorer votre Dieu , mais vous l'adorerez en com-
mun, dans le temple sublime qu'il a bâti , et votre
véritable religion sera celle de l'homme probe et de la
patrie , et l'esprit de liberté et d'égalité , qui doit
embraser en ce moment l'âme de tous les Français ,
électrisera tous les êtres pensants de l'univers . »
« Ledit discours était à peine fini , que le citoyen.
Thomas , curé, a interpellé ledit Fourdrin de lui dire
par quel ordre il venait dans la chaire de vérité annon-
cer le discours qu'il y annonçait . Ces paroles et plu-
sieurs autres que nous n'avons pu entendre , à cause
du bruit , nous ont vivement indisposés , avec d'autant
plus de raison que presque toutes les femmes se sont
précipitées sur la porte de l'église pour se sauver ; que
la séance étant troublée par ce qu'avait dit le curé , les
citoyens Detœuf et Fourdrin nous ont invités , au nom
de la loi , de dresser procès - verbal de ce qui venait de
se passer et de tenir le curé sous bonne et sûre garde ,
pour leur sûreté momentanée , attendu son acte d'inci-
visme et le trouble qu'il avait apporté dans la com-
mune , sauf à nous à prendre , par la suite , à l'égard du- ·
COMITÉS ET TRIBUNAUX 17

dit Thomas , tel parti que nous arrêterions . — Nous ont


de plus , lesdits Detœuf et Fourdrin , demandé copie du
présent procès - verbal , pour être déposé et venir au
Comité de sûreté générale de Frévent , et ont lesdits
Detœuf et Fourdrin , signé avec nous : Detœuf, Four-
drin , Milon , maire ; Pruvost, Poldevin , officiers ; Ga-
quère , procureur . »
Le curé de Boubers ne voulut pas rester sous le
coup de ce compte-rendu , qui était tout à l'avantage
de ses adversaires , et , de sa prison, où il dit que cinq
personnes l'ont gardé pendant la nuit et le gardent
encore , il écrivit au District de Saint-Pol :
<< Citoyens administrateurs : Le 16 du courant ,
Fourdrin et Detœuf sont venus déplanter le calvaire de
la commune de Boubers . M'ayant requis de me trou-
ver à cette opération , je l'ai fait sans aucune opposi-
tion. Je n'ai même pas ouvert la bouche ; mais voyant
qne les règles de la modestie et de la religion n'y
étaient pas observées , mais , au contraire , n'entendant
sortir de la bouche de ces deux citoyens que des blas-
phèmes formels , voyant jeter le Christ du haut de la
croix ; enfin voyant que Fourdrin remplissait parfaite-
ment bien les fonctions de l'antéchrist dans la chaire
de vérité , qu'il voulait prescrire à mes paroissiens la
religion qu'ils devaient professer , disant qu'il allait
détruire nos temples et nos autels , j'ai cru qu'il était
de mon devoir d'avertir mes paroissiens de ne pas se
laisser séduire par la fausse doctrine de cet individu ,
j'ai demandé la parole ; mais à peine ai-je ouvert la
bouche qu'il me traite de gueux et comme le dernier
des mortels, disant : mettez-moi ce fanatique en arres-
tation et dans trois jours que sa tête tombe sous le
glaive de la loi ; dès lors , citoyens , je fus mis en arres-
tation . Examinez maintenant si j'ai manqué à la loi .
La commune vous prouvera la vérité de cette lettre .
En conséquence , je vous demande justice , s'il vous
plaît , citoyens administrateurs . Salut et fraternité .
Thomas , curé. » 2
18 LA TERREUR

De cette justice réclamée , il est bien entendu que


le District ne tint aucun compte et que le curé Tho-
mas dut se trouver bien heureux de ne pas rester en
prison . Le District prit même texte de cet incident
pour décréter qu'il était temps de faire disparaître « les
chapelles , croix de fer , images de vierges ou de saints
sur les arbres , dans les murs , sur les enseignes , par-
tout. >>
A la violence de ces mesures , on sent l'influence
des comités de surveillance que Miennée avait reçu
mission d'établir au commencement d'octobre . Déjà ,
le 14 mai 1793 , sous la présidence de Guilluy et avec
Miennée pour secrétaire , un premier comité avait été
élu , après un scrutin épuratoire , pour n'avoir que des
membres d'un patriotisme pur et ardent. De cette élec-
tion , faite dans l'église des Sœurs grises , vers minuit ,
selon le procès-verbal rédigé par Guilluy lui -même ,
étaient sortis , avec un chiffre de cent cinquante voix
environ, les noms de J. Flament, Lamoral Vasseur ,
Guilluy, juge , Loyal , Aimable Flament , Wallart ,
chapelier , Duez , secrétaire , Charles Debret , Charles
Dacheux, Lanne , procureur syndic , Joseph Corne et
Louis Vasseur .
Quelques jours auparavant , le 10 mai , après un pa-
triotique discours d'Asselin , Frévent avait élu de son
côté : Théodore Thélu , Nicolas Delattre , Jacques
Asselin , Louis Morel , Noé Roussel , Pierre Citerne ,
Charles Lemoine , Charles Servais, Aimé Saurel , Ho-
noré Cressent , J.-B. Bouchu, Jean- François Desma-
retz .
Ces comités fonctionnaient avec une ardeur que ve.
naient réchauffer et les visites des commissaires du
Département et les réunions des sociétés populaires ,
et les multiples manifestes qui arrivaient d'Arras , de
Paris et même des extrémités de la France : ils ne pa-
rurent cependant pas assez purs aux yeux du commis-
saire Miennée .
COMITÉS ET TRIBUNAUX 19

Ce chirurgien , originaire de Nédonchel , et que la


tradition regarde comme une sorte d'empirique que
l'on allait depuis longtemps consulter en secret, sous le
nom expressif de Guérit- tout, était arrivé à Saint- Pol
depuis peu quand il fut investi de cette mission de
confiance . Un de ses frères , Zéphirique , âgé de 32 ans ,
était greffier du juge de paix d'Heuchin ; un autre ,
Alexandre , chirurgien également , continuait d'habiter
Nédonchel . Tous les deux , avec le juge de paix Vitasse ,
étaient à la tête de la Société populaire d'Heuchin .
Il ne suffit pas à Miennée de choisir pour membres
du Comité régénéré les plus ardents terroristes dé
Saint-Pol , Flament , brasseur , Guislain Romarin ,
Pierre Carette , Lamoral Vasseur , Aimable Flament ,
Demonchaux père , menuisier , Félix Massart , Joseph
Helle , François Hove , Louis Régnier , Ferdinand
Corne et lui-même ; il leur fait garantir par Darthé ,
le 24 octobre , trois livres par jour et trois cents livres
pour frais de bureau , et il les lance comme des limiers
à travers tout le district .
Au fait, le 24 octobre , il n'y avait eu encore que trois
dénonciations , celles de Leblond , de Pierremont , de
Fontaine , d'Averdoingt et d'Evin , l'ermite de Sains-
lès- Pernes ; c'est alors qu'on décida d'envoyer huit
membres du Comité dans les différents cantons .
François Hove et Joseph Helle furent chargés du
canton d'Heuchin ; Louis Régnier et Massart durent
parcourir Avesnes et Aubigny ; Miennée et Carette
partirent pour Frévent ; Lamoral Vasseur et Amable
Flament pour Pernes.
Voici comment se faisaient ces tournées d'arresta-
tions . Deux membres , par exemple Miennée et P. Ca-
rette , partaient avec des chasseurs pour Boubers et
Bonnières , le 20 novembre 1703 , se faisaient rensei-
gner sur les fanatiques et aristocrates , dressaient procès-
verbal , expédiaient les valides à S- Pol , sous escorte ,
par troupes de 10 , 15 , 20 , faisaient garder à vue les
20 LA TERREUR

autres chez eux , par la garde nationale , et continuaient


leur route , se contentant d'envoyer une lettre à leurs
collègues pour annoncer leur succès . « Nous avons
une grande besogne , écrit Miennée , de Bonnières , le
20 novembre, mais elle sera complètement remplie
avant notre retour ; nous allons maintenant à Villers-
lez-Hôpital . » Les conseils municipaux s'exécutaient
en tremblant , fournissant le vivre , le couvert, les réqui-
sitions et les renseignements .
Toutes les décades , chaque Comité de surveillance
rendait compte à l'agent national du District de ses
opérations , et recevait des encouragements ou des
reproches .
Le 29 octobre , le Comité de Saint- Pol se décidait à
arrêter les gros fermiers , qui lui portaient ombrage ,
sous prétexte de connivence avec les prêtres , de fana-
tisme et d'aristocratie . C'est ainsi que MM. Soyez , de
Briestel ; Héroguel , de l'abbaye de Neuville ; Thomas
père , de Pronay ; Lesot père , de Croix ; l'abbé Poillion ,
de Libessart et son frère , Poillion , de La Bouloie et
Poillion , de Pierremont ; Pénel , de Moriaucourt furent
amenés dans la prison du district.
Pour compléter cette formidable enquête , Davelu et
Wallerand- Bailleul étaient envoyés à Magnicourt-en-
Comté, Antoine Waille et Charles Corne dans le
canton de Framecourt, et, dans un grand nombre de
communes , les Sociétés populaires qui achevaient de
s'organiser, fournissaient leur contingent de dénoncia-
tions.
Ne devaient- elles pas mettre à profit ces conseils du
Comité de Salut public qui , dans une sorte de charte
de fondation , leur traçait ainsi leur mission :
« C'est dans les sociétés populaires , dit Robespierre ,
que l'opinion se forge , s'agrandit et s'épure .
« Voulez-vous anéantir le fanatisme , opposez , aux
miracles de la légende , les prodiges de la liberté ; aux
victimes de l'aveuglement, les martyrs de la raison ;
COMITÉS ET TRIBUNAUX 21

aux momeries du cagotisme , la conduite sublime des


Marat, des Pelletier , des Châlier ; aux mascarades
églisières , la pompe de nos fêtes nationales ; au chant
lugubre des prêtres , les hymnes de la liberté ; aux ore-
mus insignifiants , l'amour du travail , les belles actions
et les actes de bienfaisance .
« Voilà la religion dont les membres des sociétés
populaires sont les prêtres . Portez l'évidence dans
tous les esprits : éclairez , échauffez , persuadez. >>
Parmi les plus importantes du district , il nous faut
signaler la Société de Frévent qui comptait deux cents
dix-sept membres avec Engramelle pour président et
l'ancien prieur de Cercamp , Philippe-Antoine Cocque-
relle , devenu maire , ainsi que neuf autres anciens reli-
gieux pour membres actifs .
C'étaient Albert Cardon , ancien chartreux de Neu-
ville ; Charles Martin Furne , ancien moine du Val
Saint-Pierre ; Philippe Sacleux , ancien religieux à
Bapaume ; Charles Herpin , de Cuinchy, et Jean- Bap-
tiste Guilly, André Lehoucq, Louis Massy , Jacques
Marcq et Jean- Baptiste Petit , de Cercamp . Ces anciens
moines , en trop grand nombre , maintenaient pourtant
dans l'opinion publique de Frévent une certaine
réserve et un ton de bonne compagnie. que n'accep-
taient ni Le Bon , ni Fourdrin , ni surtout Detœuf, les
montagnards du lieu .
Hesdin , la patrie d'Evrard , avait eu également un
Comité modéré, qui siégea depuis le 19 août 1792
jusqu'au 16 octobre 1793. Ses principales fonctions ,
sous la présidence de Lemoine père , avaient été de cons-
tater des identités , lorsque le commissaire Evrard y
arriva en compagnie de Jacques Merlin , de Pierre
Dupond et de François Courtois pour y installer un
Comité composé , ce sont ses expressions , de onze vrais
sans-culottes , montagnards prononcés . Lemoine père
fut maintenu comme président, on lui adjoignit : Le-
grand , avoué ; Coache , Jean - Marie Fache , Lemaître
22 LA TERREUR

fils , Desmaretz , le tonnelier Desjardin , Gautier , Le-


claire , perruquier ; Pruvost , cordonnier ; Protin , mar-
chand, gens du peuple pour la plupart et sachant à
peine écrire . En dépit de son sans- culottisme pro-
noncé , ce Comité mit cependant beaucoup de prison-
niers en liberté , notamment l'ex-abbé d'Auchy , Dom
Prévost , le chanoine Lecointe , le chanoine André et
l'ex-récollet Leroy. Le 26 octobre , il fit même revenir
d'Abbeville , où le Conseil général les avait envoyées
comme suspectes , environ cent personnes , entr'autres
un prêtre , Pierre-Noël Tavernier .
Entre les nombreux bourgs du centre de notre dépar-
tement qui avaient un Comité révolutionnaire actif et
remuant, citons encore Fruges qui constitua le sien le
13 octobre 1793. Courtois , Merlin , Dupond et Evrard
présidèrent à cette installation et Courtois père , Gosse-
lin , Robitaille fils et Demonchaux furent les premiers
élus . Dès le 2 novembre , le Comité de Fruges avait dé-
signé comme suspectes au moins cinquante personnes ,
fait comparaître à sa barre le vicaire de Créquy,
Alexandre «< qui avait eu des questions avec un fermier
de Coupelle -Vieille du nom de Leborgne » , et appelé
vingt-cinq chasseurs d'Hesdin pour maintenir l'ordre .
Ces mesures devaient provoquer, on le suppose facile-
ment, une certaine agitation. Le Comité , alors , se
réunit le 4 novembre et tous ses membres se déclarant
solidaires , s'engagèrent , pour ne pas être confondus
avec les aristocrates , à porter un signe représentant le
bonnet de la liberté , sur lequel sera écrit : membre
du Comité de sûreté générale . Le citoyen Collart offrit
même l'étoffe écarlate nécessaire pour la formation
desdits bonnets , ce qui fut accepté avec reconnais-
sance. Le comité s'installa ensuite au sommet de la
montagne, dans une salle louée à Procope Loy, au
prix de 90 livres par an, et , pour ne pas être surpris ,
il établit un corps-de -garde à la chapelle .
A Auxi-le-Château , le Comité fut également ins-
COMITÉS ET TRIBUNAUX 23

tallé par Merlin , Coilliot et Evrard fils , qui , du château


d'Etruval où ils s'étaient installés comme en pays con-
quis , rayonnaient à travers tout le district . Ce Comité
était surtout composé d'ouvriers dont un tailleur ,
Augustin Maincourt , paraît avoir été le meneur . C'est
lui qui écrivait : « Souvenez-vous que l'énergie révo-
lutionnaire est le seul pivot qui puisse nous soutenir à
la hauteur des vrais principes . » Il était appuyé par
Jacques - Louis Petit , maçon ; Pierre Champion , tan-
neur ; Eloi Plé , sabotier ; Eustache Crontel, cordon-
nier. Ils ne parvinrent pas à sauver de la prison leur
curé, Jean Pépin ; car , dès le 29 novembre , le substi-
tut du procureur syndic du District de Montreuil,
d'Yvincourt , le faisait arrêter et amener sous bonne
escorte à Montreuil . Ajoutons que d'Yvincourt s'excuse
de cette mesure auprès de ses concitoyens d'Auxi ,
obligé qu'il est , dit-il , de faire exécuter les lois qui
leur plaisent comme celles qui sont de nature à leur
faire beaucoup de peine . En effet , Le Bon avait écrit
de Boulogne le 27 novembre que « Pépin était prévenu
d'attiser le fanatisme et la persécution , au moment où
la raison s'applaudit de toutes parts de ses triomphes
sur ces deux fléaux destructeurs » , il fallait exécuter
ses ordres .
Dans la ville même de Montreuil , où André Dumont
s'était montré avec ses allures rudes et cyniques , il
avait fallu honorer sa présence par des arrestations et
des protestations civiques . Les patriotes avaient mul-
tiplié les unes et les autres . Dès le 29 septembre , une
soixantaine de personnes avaient été arrêtées comme
suspectes , entr'autres la veuve Godefroy, mère du curé
de ce nom et son frère , pour être présentés par le
président Pillet au représentant . Cette offrande ne suf-
fisant pas , on arrêta de nouveau le lendemain une
foule de parents d'émigrés et d'hommes qui avaient la
réputation de tenir des propos anti-révolutionnaires . A
trois reprises différentes , le Comité révolutionnaire
24 LA TERREUR

renouvela l'expression de sa fidélité aux représentants


du peuple et à la Convention .
Il semble que tant de marques de zèle aient dû
trouver grâce devant le commissaire Evrard : l'ancien
Comité n'en fut pas moins dissous , et le 17 octobre ,
un Comité nouveau composé d'Enlart père , Ouvrier ,
Bracquehay, Dézérable , Delhomel et Courtois fut ins-
tallé par Boidin et Demonchaux , membres du District .
Enlart père en fut élu président. Sa première arresta-
tion fut celle du curé de Colline , Carry, que le Comité
de Péronne avait dénoncé . Il fut pris le 18 octobre et
amené à Montreuil par les gendarmes . Un peu plus
tard, ses paroissiens demandèrent « pour leurs besoins.
spirituels et temporels » , que le curé Carry fût mis en
état d'arrestation dans la commune même . Le 28 octo- .
bre , la municipalité de Nempont Saint- Firmin dénonça
son curé , Jean - Baptiste Hardy « comme n'ayant pas
les qualités requises pour occuper sa place et comme
suspect. » Le Comité de Montreuil envoya Ouvrier
à Nempont prendre des renseignements sur ce curé .
Ouvrier convoqua d'abord le Conseil général de la
commune, mais réunit ensuite l'assemblée générale
des électeurs . Ceux- ci ayant protesté énergiquement
contre la dénonciation , on alla aux voix et par 34 voix
sur 44 votants , l'annulation de la dénonciation fut ré-
clamée . Ainsi , dans un coin du département , il y
avait un semblant de justice .
Même depuis que Le Bon et André Dumont étaient
venus leur communiquer l'ardeur jacobine dont ils
étaient eux- mêmes remplis , les autorités boulonnaises
n'étaient pas à la hauteur du mouvement révolution-
naire. On avait bien emprisonné les hôtes supposés de
l'abbé Délerue qu'on disait revenu à Crémarest , à
Alincthun ou à Bournonville ; la commune de Wimille ,
toujours suspecte et dénoncée par son Conseil général ,
avait vingt-six des siens dans les prisons , entre les-
quels le domestique du curé , Grillet ; André Dumont
COMITÉS ET TRIBUNAUX 25

trouva qu'une seconde visite était nécessaire . Il arriva


le 29 septembre , à sept heures du soir. Alors se passa
une de ces scènes à la fois plaisantes et lugubres dont
ce soudard théâtral était friand .
A neuf heures et demie du soir , il convoqua tous les
Conseils de la ville , ordonne aux municipaux de faire
éclairer les rues et de rassembler au son du tambour
tous les citoyens et toutes les citoyennes à la cathé-
drale ; lui-même s'y rend à la lueur des torches , avec
un cortège de trente dragons . L'église est illuminée , la
foule compacte et anxieuse , il monte en chaire , l'œil
dur, le geste menaçant, sa figure « de nègre blanc >>
est effrayante . « Citoyens , dit- il , votre municipalité est
composée d'êtres vils et corrompus ; ils ont acheté du
blé et l'ont caché pour vous affamer , ce sont des cons-
pirateurs et votre maire est le plus coupable de tous :
sa tête va rouler sur l'échafaud . Vous avez aussi l'in-
fâme Butor, commandant de votre garde nationale qui
n'attend que le moment de vous livrer à l'ennemi ;
mais je ferai justice de ce traître et avant quinze jours ,
il sera raccourci . » Butor se lève et proteste fièrement .
<< Tais-toi , scélérat » , continue Dumont et il signale
les nobles , les parents d'émigrés , les prêtres , les fana-
tiques de toute espèce , dont il veut délivrer sur le
champ la ville. La nuit même des listes sont dressées ,
quatre cents personnes sont arrêtées , enfermées dans
la cathédrale et le lendemain matin des charrettes
requises à cet effet, les transportaient à Abbeville ( 1 ) .
A deux heures du matin , le District était réuni d'ur-
gence ; Dumont y arrive et notifie brutalement aux
administrateurs qu'ils n'ont pas la confiance publique ,
les destitue et leur nomme des successeurs qu'il ins-
talle séance tenante . Ces hommes de sa confiance sont
Belle, Leduc, Barret, Podevin et Hache . Vient ensuite

(1) Histoire du Boulonnais , t. IV, p . 433. D'après les registres


municipaux de Boulogne.
26 LA TERREUR

le tour de la municipalité et celui de plusieurs autres


fonctionnaires ; moins de vingt- quatre heures après
son arrivée , Dumont avait quitté Boulogne .
Hamy , délégué par Elie Lacoste et Peyssard pour
nommer les membres des Comités de surveillance , le
remplace et pour faire son choix , réclame les noms
des patriotes de la région . Merlin et Lefebvre , admi-
nistrateurs du Département en mission , arrivent à
leur tour, avec Courtois de Montreuil et l'inévitable
Marc Evrard . Lacoste et Peyssard qui leur ont donné
<< pleins pouvoirs de prendre toutes les mesures de
salut public qu'ils croiront convenables et ont ordonné à
tous les citoyens d'obéir à leurs réquisitions »> , eurent
lieu d'être satisfaits de leur séjour à Boulogne puis-
qu'ils applaudissent , le 13 octobre , à leur active sur-
veillance , les encouragent à continuer et les assurent
de leur attachement fraternel.
De son côté le citoyen Barret , qui était un homme
d'imagination , travaillait à « former l'espritdes marins ,
imbus plus que tous les autres de principes fanatiques
outrés , à dessiller leurs yeux et à les élever à la hau-
teur des principes révolutionnaires . >>
Il imagina pour cela le projet d'une fête civique dont
le prospectus mérite d'être cité pour sa pédantesque
irréligion .
<<< Les hommes libres de Boulogne à tous les hom-
mes libres de notre globe :
. « La patrie est le premier , l'unique objet des hom-
mages des républicains ; c'est à la patrie que nous
consacrons la première de nos fêtes civiques . Cette
fête auguste , en poursuivant la superstition et l'erreur
jusque dans son plus ancien repaire , nous permettra de
rejeter à jamais ce nombre mystérieux de sept qu'in-
venta la fourberie des prêtres idolâtres , que vénérè-
rent les siècles du paganisme , que nos prêtres
ignorants adoptèrent sans examen , lorsque d'autres
fourbes révélèrent , c'est-à- dire voilèrent de nouveau ,
COMITÉS ET TRIBUNAUX 27

cachèrent sous de nouveaux emblêmes , les immortelles


vérités de la nature .
« Qu'il soit à jamais banni de nos fastes , ce nombre
magique qui servit si longtemps à voiler le mensonge ;
substituons-lui ce calcul si simple , cette division par
dix , qui est le fondement de notre manière de compter
et qui est à la portée de nos enfants eux-mêmes .
<< Aux noms ridicules qu'avait inventés le paganisme ,
au jour de la lune de Mars , le dieu du carnage , de Mi-
nerve , le dieu des voleurs , au jour de Jupiter et à celui
de Vénus , la déesse de l'impudicité , à celui de Sa-
turne et au jour du Soleil , donnons des noms que nous
comprenions . >>
Vient ensuite le procès des mois et l'éloge du nou-
veau vocabulaire . « Au mot insipide bissextile , ou
deux fois six, qui désigne toutes les quatrièmes an-
nées , substituons celui de sans- culottides qui rappelle
à nos descendants que c'est à la faveur de ce mot, par
lequel l'aristocratie croyait nous avilir , que les pau-
vres se sont déclarés les égaux des riches et le sont
devenus .
« Tel est le nouveau bienfait que nous présente la
patrie : son nouveau calendrier est le prélude de l'é-
ducation qu'elle prépare à nos enfants . Elle veut for-
mer des hommes et non des automates qui ne sauraient
que répéter des mots . >>
Après de nouvelles tirades en l'honneur de la nature
et de la patrie , M.Barret demande que la décence , la
simplicité, la gaîté président à la fête . « Loin de nous,
dit-il , la triste sévérité qui accompagnait jadis les
fêtes burlesque du fanatisme ! >»
Il organise ensuite l'ordre de marche des quatre
âges , les bannières et leurs inscriptions , les trophées et
les chars , les discours à prononcer , et termine par cette
finale qui est à remarquer : « Toutes les rues , nettoyées
de la veille , seront interdites le jour de la fête , toutes
les boutiques seront fermées , tous les citoyens et toutes
28 LA TERREUR

les citoyennes invités à se trouver au cortège , à moins


d'infirmités ou de soin des malades , et ce , sous peine
d'être traités comme suspects . >>
Cette fête obligatoire fut célébrée le 10 novembre
et tout se passa naturellement d'après un programme
arrêté avec ce soin et exécutoire avec cette liberté .
En donnant à leur enthousiasme civique cette forme
extérieure et théâtrale , les Boulonnais semblaient
vouloir rivaliser avec leurs voisins de Calais qui avaient
pris les devants .
Dès le 26 juin 1793 , le District calaisien s'était op-
posé à ce que la municipalité maintînt sur le rempart
le calvaire qu'on y vénérait , comme l'avaient demandé
le maire Jacques Leveux et le procureur de la com-
mune Chartier . Un membre avait même objecté sa-
vamment que si l'on maintenait ce calvaire , en vertu
de l'égalité du culte , il faudrait dresser sur le même
rempart les statues de Mahomet, de Confucius , de
Zoroastre , etc. On se dédommagea bientôt de cette
suppression par une fête en l'honneur de la déesse
Constitution , et du dieu Etat , célébrée le 10 août avec
une pompe sans pareille . On voyait figurer dans le
cortège une urne , portée sur un brancard par huit
jeunes filles et entourée par des enfants qui lui jetaient
des fleurs . Cette urne était censée renfermer les restes
des défenseurs de la patrie . Les commissaires du can-
ton qui suivaient, marchaient quatre par quatre , et
portaient des épis de blé . Le brancard tricolore du
livre des droits de l'homme était porté par quatre
mères de famille tenant à la main chacune un enfant.
Mais le morceau principal était « un vieil arbre des-
séché , peint en fleurs de lys avec les attributs de la
féodalité, et porté par plusieurs sans - culottes . Le gros
de l'arbre était fendu par une hache . » Une inscription
donnait l'explication de ce symbolisme : Arbre de la
féodalité déraciné par la hache de la liberté .
Après ce groupe curieux venaient les membres du
COMITÉS ET TRIBUNAUX 29

District, de la municipalité et des tribunaux « con-


<
fondus. >>
Au pied de l'autel de la patrie dont les quatre côtés
faisaient face aux quatre parties du monde et
surmonté de la statue de la liberté , une jeune fille
couronna la déesse , les représentants des cantons uni-
rent leurs faisceaux , le maire les lia , avec des for-
mules consacrées , et , finalement , on jeta au bûcher
l'arbre de la féodalité . La cérémonie , agrémentée de
plusieurs discours , finit par une ronde autour de l'autel
et du bûcher. ·
Le programme de cette cérémonie civique , qui oc-
cupe plusieurs pages du cahier du District, est signé
du secrétaire , Parent-Réal , qui en avait été probable-
ment le grand organisateur .
Deux mois plus tard , le 8 octobre , le même Parent-
Réal, qui venait d'être adjoint au Directoire du Dis-
trict avec Quilliacq , aux applaudissements de la So-
ciété populaire , mettait son nom à la suite d'une déli-
bération qui approuvait une adresse de cette même
société à la Convention nationale et la faisait répandre
'dans tout le département , pour provoquer une prompte
justice des ennemis du dedans et du dehors .
On lit dans cette adresse : « Maintenant , que Marie-
Antoinette et les chefs de la conspiration liberticide
soient jugés ! L'Etre Suprême ne se reposa qu'après
l'organisation du chaos ; Hercule ne quitta sa massue
qu'après avoir exterminé tous les monstres de la forêt
de Némée ; ainsi vous n'abandonnerez la montagne
sainte d'où, au milieu des éclairs et des tonnerres ,
vous avez proclamé les tables de la Loi , que lorsque
le bonheur du peuple Français sera consolidé en même
temps sous le rapport de la politique et de la morale . »
On ne se contentait plus de parler et d'écrire , les
actes suivaient. Le 7 octobre , vu l'insuffisance de la
maison d'arrêt , les détenus étaient transférés dans la
maison du ci-devant major de la citadelle et le 6 no-
30 LA TERREUR

vembre, on laïcisait l'hôpital de Saint- Pierre où les


sœurs étaient remplacées par cinq citoyennes ; deux
Ladant, deux Benoit et Thérèse Crinchon .
A cause de sa situation de siège épiscopal du Pas-
de- Calais , de sa proximité du théâtre de la guerre et
des dispositions violentes de ses meneurs révolution-
naires , la ville de Saint- Omer était plus que les autres
livrée aux agitations anti -religieuses . La procession
de la Fête-Dieu annoncée par les vicaires épiscopaux
Spitalier et Pinguet, à la séance municipale du 21 mai ,
avait pourtant encore été faite sans obstacle par Porion ;
mais , pour obtenir cette concession , le pauvre évêque
devait en faire bien d'autres .
Il dut retirer le règlement par lequel il avait pres-
crit à ses curés de tenir note de l'état des baptêmes , des
mariages et des sépultures ecclésiastiques , et laisser
brûler leurs registres . Bientôt , le 8 juillet , il voyait or-
ganiser une sorte de procession en l'honneur de l'acte
constitutionnel que l'on apportait au District. Le 2 sep-
tembre , la place devient le théâtre d'une sorte d'au-
toda-fé, où l'on amène sur deux tombereaux «< les
portraits des tyrans couronnés et mitrés , » ainsi qu'un
grand nombre de parchemins . Après un discours de
l'administrateur Magniez , le feu est mis au bûcher et
ces simulacres de la tyrannie sont réduits en cendres .
Il avait même été question d'aller chercher à la cathé-
drale la statue du roi David pour la brûler aussi , mais
un citoyen eut la bonne pensée de proposer qu'on ne
lui laissât que les attributs de la musique et qu'on
pulvérisât ceux de la royauté : c'est ce qui la sauva .
Porion en arriva lui-même à profaner la fête du patron
de så ville et de son diocèse en mêlant les cérémonies
religieuses aux manifestations civiques . Le 8 septem-
bre , il annonça au conseil municipal que le lendemain ,
jour de saint Omer, il prononcerait , dans son église
paroissiale , un discours sur la royauté et les avanta-
ges d'une constitution républicaine . La municipalité
COMITÉS ET TRIBUNAUX 31

décida , séance tenante , qu'elle y enverrait dix délé-


gués . Cette fête fut la dernière que l'on célébra à la
cathédrale . Le 24 septembre , le citoyen Dupont an-
nonça au conseil général que cette église était réqui-
sitionnée pour y déposer des effets de campement et il
ajouta que les offices religieux se feraient désormais
à la chapelle de la Maladrerie .
Saint-Omer , à cette époque , était d'ailleurs envahi
par les hommes d'armes et les blessés , et ressentait
plus qu'aucune autre de nos villes le contre- coup des
événements militaires dont notre frontière du Nord
était le théâtre .
La bataille de Nerwinde et surtout la défection de
Dumouriez avaient placé à nos portes mêmes le centre
de la résistance à l'invasion et excité dans notre dépar-
tement une émotion facile à concevoir . Cette émotion
eut même pu facilement se communiquer à la France
entière , si les conséquences qu'elle faisait craindre
n'avaient été vigoureusement réprimées .
Voici , en effet, une lettre peu connue , qu'à la date
du 2 avril 1793 , Dumouriez adressait aux administra-
teurs du Pas -de - Calais et qui , propagée au loin , pou-
vait devenir le manifeste d'une vaste insurrection.
<< La tyrannie , les assassinats et les crimes sont à
leur comble à Paris . L'anarchie nous dévore et sous
le nom sacré de la liberté , nous sommes tombés dans
le plus vil esclavage . Plus les dangers sont grands ,
plus la Convention nationale met de cruauté , de tyran-
nie et d'aveuglement . Les vérités que je lui ai dites
dans ma lettre du 12 mars , ont poussé les Marat et
les Robespierre à dévouer ma tête à leur vengeance .
Ils ont envoyé pour m'arrêter , ou plutôt pour se défaire
de moi , quatre commissaires et le ministre de la guerre
Bournonville , dont j'avais fait la fortune militaire , les
a accompagnés depuis plusieurs jours . L'armée fré-
missait de tout ce qui se tramait contre son général et
si je n'avais pas retenu son indignation, ils auraient
32 LA TERREUR

été victimes de l'injustice de leurs commettants . Je les


ai fait arrêter et je les ai envoyés en lieu sûr pour me
servir d'ôtages , en cas qu'on prétende commettre de
nouveaux crimes . Je ne tarderai pas à marcher sur
Paris pour faire cesser la sanglante anarchie qui y rè-
gne. J'ai trop bien défendu la liberté jusqu'à présent
pour qu'on puisse imaginer que je change d'opinion .
Nous avons juré en 1789 , 1790 et 1791 , une Constitu-
tion qui nous assujettissait à ses lois et nous donnait
un gouvernement stable ce n'est que depuis que
nous l'avons rejeté que nos crimes et nos malheurs ont
commencé . En le reprenant , je suis sûr de faire cesser
la guerre civile et la guerre étrangère et de rendre à
la France le repos , la paix et le bonheur qu'elle a per-
dus en prenant la licence et l'infraction de toutes les
lois pour la liberté » . Dumouriez jure ensuite par tout
ce qu'il y a de plus sacré que , bien loin d'aspirer à la
dictature , il s'engage à quitter toute fonction publique
aussitôt après avoir sauvé la patrie .
En communiquant cette lettre menaçante aux auto-
rités du Pas -de - Calais , Carnot et Lesage- Senault
recommandèrent , de Douai , où ils étaient en mission ,
les précautions les plus minutieuses et les plus rigou-
reuses parmi lesquelles l'arrestation de toutes les
personnes suspectes ne manqua pas de figurer , et la
saisie du manifeste incendiaire .
Carnot ne tarda pas à arriver à Saint- Omer où il
était encore le 17 mai , occupé à organiser la défense ,
avec le génie et la tenacité qui lui ont valu son meil-
leur renom . La situation militaire à cette époque était
en effet inquiétante . Nos troupes avaient dû reculer
jusqu'en Flandre , les villes de Condé et de Valen-
ciennes étaient perdues , le prince de Cobourg s’avan-
çait entre l'Escaut et la Scarpe , et le duc d'York assié-
geait Dunkerque . C'est alors que le général Houchard
réunit à la hâte les forces disponibles du camp de
Gavrelle pour délivrer cette ville , où était le salut de
COMITÉS ET TRIBUNAUX 33

la République . Une bataille de trois jours qui se ter-


mina à Hondschooté , le 9 septembre , obligea l'ennemi
à se retirer sur Furnes et nous sauva d'une invasion .
Cette victoire que l'énergie révolutionnaire s'attri-
bua exclusivement , fut célébrée à Saint-Omer avec
plus d'allégresse encore que partout ailleurs . Le chi-
rurgien Bancel , l'orateur habituel de la Société popu-
laire , ne manqua pas de l'exalter par un discours ,
et les dénonciations aussi bien que les spoliations
ne firent que redoubler . On remplit de malades et de
blessés les églises Saint- Denis et Saint -Bertin , on
accusa la municipalité de n'avoir point fait désarmer
tous les nobles . Marteau , le directeur du jury, lui
reprocha sa négligence ; Wallet , l'ancien professeur de
Saint-Bertin , devenu un ardent clubiste , lui demanda
une réhabilitation pour Asselin qu'elle avait déconsi-
déré .
Le Comité de surveillance ne fut pas respecté davan-
tage , et la Société montagnarde se décerna le mandat
de discuter le civisme de tous ses membres . Son rap-
port du 25 septembre les classe en trois catégories :
les bons républicains qui sont conservés , les insou-
ciants qu'on abandonne, les aristocrates qu'il faut
poursuivre .
Telle est l'ardeur de la Société montagnarde dans la
voie de rénovation où elle est entrée , qu'elle fait même
des prosélytes parmi les enfants de la ville . Voici le
discours prononcé par un élève du Saint- Sépulcre ,
du nom de Dubleumortier, à l'une des séances de
cette Société . On y verra à quel degré d'exaltation en
était arrivée l'opinion publique , en lisant cette élucu-
bration mise sur les lèvres de trois écoliers.
<< Citoyens Montagnards , nous venons ici au nom des
écoliers républicains des écoles publiques , ci-devant
Saint-Sépulcre et Sainte-Aldegonde ; vous déposer
les croix d'argent qui servaient à notre encouragement ;
ces marques de féodalité ne peuvent être à nos yeux
3
34 LA TERREUR

que de vains préjugés de l'orgueil et du fanatisme .


Nous vous demandons seulement que vous nous accor-
diez de temps en temps la satisfaction de votre pré-
sence , qui ne ferait qu'affermir notre courage .
<< Nous ne croyons plus à la superstition ni au char-
latanisme des prêtres , qui nous ont jusqu'à présent
trompés , nous suivrons dorénavant le culte de l'homme
libre . Notre statue sera celle de la liberté que nous
défendrons jusqu'à la mort ; nous gémissons de notre
trop jeune âge qui nous rend incapables de combattre
pour elle , mais nous nous engageons à épargner nos
menus plaisirs , pendant la guerre que nous aurons
contre les tyrans et leurs suppôts , pour en faire don à
la patrie , et aider nos braves et invincibles défen-
seurs .
« Nous espérons aussi que la monnaie que nous
déposons leur servira de mitraille , pour détruire jus-
qu'au dernier des despotes , c'est le vœu unanime de
nos frères écoliers .
« Nous vous demandons aussi que vous nous accor-
diez de changer les noms de ces deux écoles , qui ne peu-
vent être prononcés sans souiller les oreilles des vrais
républicains . En conséquence celle du Saint- Sépulcre
demande à être autorisée de porter le nom des Sans-
Culottes montagnards , et celle de Ste-Aldegonde des
Maratistes .
<< Nous ne reconnaissons d'autres saints que les mar-
tyrs de la liberté , tels que Marat , Lepelletier , Beau-
vais, etc. , qui sont les vrais apôtres des hommes libres .
<< Vive la République , à bas les trônes et les autels ,
périssent jusqu'au dernier des tyrans .
<< Vivre libre ou mourir, est le cri de nos frères éco-
liers républicains du ci - devant Saint - Sépulcre et
Sainte-Aldegonde .
<< Dubleumortier, Mayo et Loisel , écoliers du Saint-
Sépulcre. >>
Des discours , on passait aux actes , la prison de Si-
COMITÉS ET TRIBUNAUX 35

thiu recevait , le 11 septembre, un geôlier plus sûr,


et, le 2 octobre , on décidait d'évacuer les élèves du
collège anglais pour les transférer au collège Saint-
Bertin, afin que cette grande maison , devenue complè-
tement libre , pût servir de maison d'arrêt. Les mesu-
res de persécution religieuse ne sont pas non plus ou-
bliées. Le 18 octobre , les sœurs de l'Hôpital de la Répu-
blique , qui viennent seulement de prêter serment, ne
sont pas pour cela maintenues à leur poste . Elle n'ont
prêté ce serment , assurent leurs ennemis , que par
crainte de perdre leur place, car il n'est ignoré de per-
sonne qu'elles sont fanatiques et aristocrates : on les
chasse. L'ancien hospice Saint-Jean perd son nom : il
devient l'hôpital de la Fraternité , et celui de Saint-
Bertin s'appelle l'hôpital ambulant des Sans -Culottes.
Les sœurs de Saint-Jean et de la Maladrerie ne sont
pas conservées plutôt que les autres : elles quittent
leurs malades . Enfin , le 12 novembre , une députation
de la Société montagnarde invite le District à faire
disparaître toutes les croix des cimetières et des che-
mins , ainsi que tous les signes extérieurs du culte .
Celui-ci acquiesce de grand coeur à cette demande , il
ordonne même aux municipalités de faire aussi dé-
truire toutes les chapelles et d'en faire distribuer les
matériaux aux pauvres . De ce côté encore , on le voit,
Le Bon pouvait venir , sa mission était dignement pré-
parée .
Au risque de paraître nous arrêter trop longtemps
sur cette fameuse société audomaroise , nous citerons
encore un document fort curieux qui la peint au na-
turel , dans ses sentiments et le jargon par lequel elle
les exprime. C'est un « extrait du procès-verbal de la
séance publique du 29 mars 1793 . >>
<< La séance a été ouverte , sous la présidence du
citoyen Delaleau, par la lecture du procès -verbal pré-
cédent. Le citoyen Magniez , commissaire du Départe-
ment et membre de la Société républicaine d'Arras , est
36 LA TERREUR

introduit à la séance. Après avoir déclaré combien l'on


était charmé de posséder un membre de la Société
populaire d'Arras ; le président dit , au nom de l'as-
semblée , que le citoyen Magniez faisait partie de la
Société ; sa réception est consacrée par l'allégresse la
plus vive.
« Il célèbre lui-même par des chants les sentiments
dont son cœur est pénétré . Un des fondateurs du club,
ne trouvant point les sorties oratoires assez expressives ,
répond par d'autres chants . Les couplets de l'un et de
l'autre ne sont point les fruits de l'étude ; ils sont
l'emblême de ce qui se passe dans leur âme ; ils sont
de nature à corroborer l'esprit public , à électriser les
êtres les plus timorés , à faire blêmir l'égoïsme , à ra-
mener dans le sentier des vertus civiques , l'homme
faible qui s'en serait écarté par erreur. Ils invitent à
l'union : leur impulsion fut heureuse ; car aussitôt on
ne vit plus que des frères serrés dans les bras de leurs
frères. Les citoyens présents à la séance , les socié-
taires se tenaient par la main ; .... leurs jouissances
étaient bien sensitives , car leurs prunelles étaient
baignées dans les larmes du plaisir ... Eh ! de combien
ne l'emportent-ils point sur ceux des sens , ces plaisirs
qui ne sont suivis d'aucun remords ... Dans ces instants
fortunés , malheur à l'homme contaminé d'intentions
matricides , et dont les membres sont si cariés , que le
baume de l'égalité ne peut les rappeler à la santé so-
ciale . Alors , citoyens , soyez fermes , et portez-y le
scalpel salutaire, c'est le seul moyen de consolider
l'édifice de la félicité publique . La scène dont je viens
de vous tracer un fidèle tableau cesse par des discus-
sions d'un intérêt majeur. Les citoyens qui assistent à
nos séances , reprennent leurs places accoutumées, ils
observent un morne silence , le calme le plus majes-
tueux règne dans l'assemblée . Tout annonce que ce
sont les vrais amis du peuple qui vont s'occuper de son
bonheur. L'administrateur Magniez demande et obtient
COMITÉS ET TRIBUNAUX 37

la parole . Il rend hommage au patriotisme des Ba-


taves . L'un d'eux déclare qu'ils seront les premiers à
repousser les satellites des tyrans qui oseront s'appro-
cher de St-Omer . Applaudissements . Après plusieurs
discussions on arrête qu'il sera fait une pétition à la
municipalité , pour l'inviter à appeler au service de la
garde citoyenne tous les individus que St- Omer ren-
ferme dans ses murs . Un membre observe qu'un ruban
tricolore est suffisant pour séparer les membres du
club de ceux qui y assistent. Leurs principes sont les
mêmes , dit-il, et si la démarcation a lieu , c'est parce
que les intérêts du peuple sont chers aux sociétaires et
font leur unique but ; et que pour y atteindre , les dis-
cussions doivent être raisonnées autant que possible .
Un secrétaire fait lecture de diverses lettres tendantes
à obtenir un décret de réclusion pour les ci- devant
parcheminés , et les parents des émigrés . Sa rédaction
est approuvée . Un membre trouve dangereuse la
peine de la réclusion , pour la caste nobiliaire . Il de-
mande sa déportation . Vifs applaudissements . Le
même sociétaire demande que la réclusion , pour les
parents des émigrés, se borne aux pères , mères ,
frères , sœurs , oncles et tantes desdits émigrés . Longues
et bruyantes discussions à ce sujet. Un secrétaire ne
veut point qu'on mollisse . Il peint avec énergie le dé-
sastre , les trahisons que les ci- devants privilégiés nous
ont fait éprouver. Il s'appuie sur cet adage : qu'à de
grands maux il faut des remèdes violents. La proposi-
tion de l'orateur pénultième devient la volonté géné-
rale . On parle des stigmates du modérantisme , dont
s'est entachée la ville de St- Omer , par une adresse
dont les principes sont opposés à ceux énoncés dans
celle des sections réunies de la ville d'Arras , qui dé-
clare que cinq députés ont perdu leur confiance. Les
sociétaires affirment qu'ils ont toujours professé les
principes de la Montagne , et qu'ils vont profiter de
leur réunion pour faire une adresse d'adhésion à
38 LA TERREUR

celle de la ville d'Arras . On demande que les couplets


patriotiques soient chantés de nouveau , et ils le sont .
La scène déjà narrée , pour être réitérée , n'en est pas
moins vive , ni moins intéressante . Ce sont de nou-
veaux embrassements , de nouvelles marques de fra-
ternité. On a peine à se quitter ; et on ne le fait qu'a-
près avoir décidé qu'un extrait du procès- verbal serait
imprimé. Delaleau aîné , président , Nicolle Becquart,
Delaleau cadet , Toulotte , secrétaire . »
Il semble que le District de Béthune placé un instant
entre deux feux , la petite Vendée de Pernes , qui ne
tira jamais , il est vrai , un coup de fusil , et l'armée
coalisée des Impériaux et des Anglais , se soit surtout
préoccupé de faire face à l'ennemi , et de centraliser
des vivres , des munitions et des hommes ; cependant
les Comités de surveillance ne restaient pas inactifs .
A Lillers , ce comité , organisé le 1er novembre 1793 ,
avec le maire de la ville , Jean- François Cauvet, pour
président , Toussaint Delory, Albert Gervois , Jean-
Baptiste Macaux , le procureur Dom Grégoire , le per-
cèpteur Scossa , l'aubergiste Dissaux, et le comman-
dant de la garde nationale Aug. Pigouche pour princi-
paux membres , décidait de se réunir chez l'émigré
Louis Willay et de s'occuper de sa mission. Dans le
canton de Laventie , le comité s'était ouvert le 11 oc-
tobre , à Sailly . Il avait élu pour président Philippe-
André Le Bleu par neuf suffrages et pour secrétaire
Louis Regnault, par dix . Diverses arrestations ne tar-
dèrent pas à être faites , notamment celle de Joseph
Perche et de Jean-Baptiste Bourgeois, parents de prê-
tres émigrés , habitant Fleurbaix . Le conseil municipal
de Laventie n'avait pas attendu cette époque pour
faire ses dénonciations . Dès le 22 juin 1793 , il signalait
dans sa commune un grand nombre de suspects qui
font, dit-il , des rassemblements , et vont très souvent
voir les émigrés en pays ennemi pour leur fournir de
l'argent.
COMITÉS ET TRIBUNAUX 39

Parmi les personnes mises pour ce fait en arresta-


tion , on signale comme principaux mandataires des
émigrés N. Baillet, Philippe Bécu , Philippe Delecroix ,
Pierre et Nicolas Denain qui sont, en outre , appelés
ennemis de la patrie.
Toutefois , c'est le Comité de Béthune qui se distin-
gua par son activité . Organisé le 20 octobre , il s'était
donné Pierre Gremel pour président , à l'unanimité
des voix, et Auguste Sauvage pour secrétaire . Ses
membres étaient Albert Delafosse , P. Bequin , Pin-
chon , Boutillier , Poncin , Labitte , Langlé et Rachez .
Dès le surlendemain de sa constitution, le 23 octobre ,
Rosalie Haubourdin , sur la dénonciation de la femme
Gouliard, comparaissait à sa barre comme accusée
d'avoirporté un bréviaire en pays d'Empire , à
M. Duhameau , ci-devant curé d'Hesdigneul ; elle fut
incarcérée pour ce fait. Quelques jours plus tard , le 7
novembre , on mit en arrestation chez elle la nommée
Legrand , ci- devant supérieure des Bleuettes d'Aire
« fortement suspecte pour sa conduite , ses relations
et ses propos. » Le 10 , commence le procès du bou-
cher François Calonne et de son fils Henri . Le 15 , on
arrête François Baudel , greffier de la municipalité
d'Ham , pour avoir dit que « s'il recevait l'ordre d'arrê-
ter un prêtre insermenté , il ferait comme faisait saint
François quand on lui disait d'arrêter un voleur : en
regardant dans sa poche , il disait : Je ne l'ai pas
trouvé. C'est Asselin qui l'avait dénoncé pour ce
propos . Ces arrestations n'étaient pas les seules , et
deux maisons s'étaient ouvertes pour recevoir les pri-
sonniers la Paix et la maison des Sœurs d'En- Haut.
Là encore , Le Bon pouvait venir : on était prêt à le
recevoir et à exécuter ses ordres. Néanmoins , le grand
instrument du redoutable conventionnel , celui qui
allait fournir à la guillotine ses victimes , c'était le tri-
bunal révolutionnaire .
40 LA TERREUR

2. Le tribunal révolutionnaire

Le procès Louis. Pierre Bulteau guillotiné. - Procédure du tribu-


nal révolutionnaire . - Articles invoqués . - Lieu de l'exécution.-
Les juges. —— Herman, Demuliez , les jurés. · Quatre prêtres du
jury.

Le procès de M. Poulin nous a déjà montré qu'il


était digne de Le Bon ; il en avait déjà donné , il allait
surtout en donner d'autres preuves. Lorsque , le
27 juillet, Philibert Louis , fermier à Noyelles - sous-
Lens, et son fils Etienne-Joseph, accusés par Galand ,
secrétaire du Département , d'être les protecteurs des
prêtres réfractaires , avaient comparu à sa barre , peu
s'en était fallu que l'échafaud ne se fût déjà dressé . « Il
ne se passait pas de jour, disait le réquisitoire de
l'accusateur public , que cinq ou six de ces êtres mal-
faisants n'aient été admis à sa table ; au moment de
leur expulsion , Louis se faisait un triomphe de se
promener dans le village en insultant ceux qui , dès le
début de la Révolution , s'en étaient déclarés les apô-
tres . Il a même fait verbaliser contre le curé constitu-
tionnel , lors de son installation , et conserver l'aristo-
cratique Louvier , dernier monstre ecclésiastique qui a
infesté le presbytère de Noyelles - sous- Lens . >
»
Malgré ces accusations redoutables , le tribunal avait
encore renvoyé l'affaire au Département et ce renvoi
sauvait la vie des accusés .
Plus tard, les juges se montrèrent moins scrupu-
leux , et les victimes de la Petite Vendée , condamnées
à Saint-Pol, y furent exécutées au nombre de quatorze .
Saint- Omer , Béthune et Boulogne virent arriver égale-
ment la terrible machine . C'était un prêtre , Jean-
Pierre Bulteau , né à Parenty et ancien vicaire d'Huc-
queliers , qu'on exécutait à Boulogne le 3 octobre . Il
avait eu le malheur de rentrer en France après en être
COMITÉS ET TRIBUNAUX 41

sorti , et d'avouer à Hazebrouck ses allées et venues .


Le Département l'ayant déclaré émigré , le tribunal,
criminel n'eut, comme pour l'abbé Poulin , qu'à appli-
quer la peine .
La manière de procéder de ce tribunal d'après les
dossiers de Saint-Omer était , du reste, aussi simple
qu'uniforme et expéditive .
On commençait d'ordinaire par lire l'acte d'accusa-
tion rédigé par l'accusateur public ou son substitut.
Cet acte, le plus souvent, ne faisait que reprendre les
termes des arrêtés de Le Bon contre les personnes
incriminées . Le juré de jugement était ensuite appelé
à prononcer à haute voix , et il le faisait presque tou-
jours à l'unanimité, si le fait était constant . Quand on
avait relu les conclusions de l'acte d'accusation, le
tribunal donnait la parole à l'accusateur pour les sou-
tenir. L'accusé parlait ensuite s'il le désirait et, après
lui , le défenseur officieux , quand il y en avait un .
Bientôt, le jury prononçait et la sentence était lue par
le président, elle était toujours appuyée sur les articles
du code pénal dont on donnait lecture et que l'on tran-
scrivait au jugement . Ces articles étaient les suivants :
« Art. 4 de la 1re Sect . du Titre 1er de la 2º partie du
code pénal :
« Toute manœuvre, toute intelligence avec les enne-
mis de la France tendant soit à faciliter leur entrée
dans la dépendance de l'empire français , soit à leur
livrer des villes , forteresses , ports , vaisseaux , maga-
sins ou arsenaux appartenant à la France , soit à leur
fournir des secours en soldats , argent, vivres ou muni-
tions , soit à favoriser d'une manière quelconque le
progrès de leurs armes sur le territoire français ou
contre nos forces de terre ou de mer , soit à ébranler
la fidélité des officiers et des autres citoyens envers la
nation française, seront punis de mort. »
Cet article était le plus souvent invoqué , surtout les
mots soulignés .
42 LA TERREUR

On citait aussi quelquefois l'article 2 , ainsi conçu :


<< Toutes conspirations et complots tendant à trou-
bler l'Etat par une guerre civile , en armant les citoyens
les uns contre les autres ou contre l'exercice de l'au- .
torité légitime , seront punis de mort. >>
A partir du 30 prairial et pour le procès du prétendu
saint de Wailly, le tribunal condamne conformément
aux dispositions des articles 4, 5 , 6 et 7 du décret de la
Convention nationale du 22 prairial , lesquels articles
ont été lus par le président et sont ainsi conçus :
« Art. 4. Le tribunal révolutionnaire est institué
pour punir les ennemis du peuple.
« Art. 5. Les ennemis du peuple sont ceux qui
cherchent à anéantir la liberté publique, soit par la
force , soit par la ruse .
« Art. 6. Sont réputés ennemis du peuple ceux
qui auront cherché à égarer l'opinion et à empêcher
l'instruction du peuple , à dépraver les mœurs et à
corrompre la conscience publique , et à altérer la
pureté et l'énergie des principes révolutionnaires et
républicains, ou à en arrêter les progrès , soit par des
écrits contre-révolutionnaires ou insidieux , soit par
toute autre machination .
« Art. 7.- La peine portée contre tous les délits
dont la connaissance appartient au tribunal révolution-
naire , est la mort. »
Ensuite le tribunal ordonnait que l'exécution eût
lieu dans les 24 heures, à la diligence de l'accusateur
public i indiquait parfois la place de l'exécution ,
confisquait les biens des condamnés au profit de la
République , faisait imprimer et ordonnait d'afficher
le jugement dans toutes les communes du Pas - de-
Calais ou dans tous les départements de la République ,
quelquefois dans les deux .
Durant la première partie de la Terreur , le lieu n'est
pas désigné dans les dossiers , mais durant la seconde,
la place de la Révolution est expressément détermi-
COMITÉS ET TRIBUNAUX 43

née pour le supplice . Le premier jugement qui ren-


ferme cette mention est celui de Boussemart , receveur
de « l'émigré Conzié ; » celui du curé de Saint- Bertin ,
Michaud , condamné le même jour , ne la porte pas
encore .
Enfin chaque jugement se termine par sa date et
par les noms des juges qui l'ont rendu .
Ces noms, couverts de sang, et que nous avons déjà
écrits , sont toujours au nombre de quatre ; celui du
président et ceux des trois autres juges . Car le tribunal
criminel était composé de ces quatre juges , d'un accu-
sateur public , quelquefois remplacé par son subs-
titut, et d'un greffier. Deux huissiers et le bourreau
complétaient son personnel ordinaire .
Le président était, on s'en souvient , Armand - Mar-
tial-Joseph Herman , qui mérita d'être appelé , le 27
septembre 1793 , à Paris , et de diriger le procès de la
reine , des Girondins et de Danton , au tribunal révolu-
tionnaire de cette ville . Il était né à Saint- Pol , avait suc-
cessivement été inscrit au tableau des avocats du Con-
seil d'Artois à Arras , président du tribunal du district
et de la Société des amis de la Constitution , membre
du Directoire du Département et du Conseil de la
commune , élu enfin à la charge de président du tri-
bunal criminel à la fin de 1792. C'était le protégé et
l'homme lige de Maximilien Robespierre qui le trou-
vait <« capable des plus hauts emplois » . En 1793 , il
n'avait pourtant que 34 ans . A son départ pour Paris ,
il fut remplacé par Gulluy et plus tard par Hacot.
Henri-Joseph Demuliez , fils d'un menuisier de Ba-
paume , s'était rendu célèbre dès l'origine de la Révo-
lution . Il donna ses premières preuves de civisme en
1791 , comme procureur de la commune , se fit remar-
quer par sa haine contre les curés et les religieux , et
devint acquéreur de l'abbaye du Vivier à Wancourt.
La violence et la décision lui tenaient lieu de science
juridique ; et Le Bon , qui l'avait défendu de sa plume
44 LA TERREUR

contre les accusations du Patriote français, put comp-


ter longtemps sur son aveugle soumission .
Les assesseurs du président, choisis à tour de rôle
dans les tribunaux des districts , changeaient tous les
trois mois ; le greffier était Leserre , ancien commis du
Conseil d'Artois .
Malgré l'autorité des juges et l'influence de l'accu-
sateur public, les jurés étaient pourtant chargés de
prononcer en dernier ressort la sentence des tribu-
naux révolutionnaires . Tant que le jury conserva une
ombre d'indépendance , ses décisions ne furent pas
acquises quand même au parti révolutionnaire , et Le
Bon le comprit peu de temps après son arrivée dans le
Pas-de-Calais . Aussi voulut-il se faire un jury à sa
guise.
• Considérant qu'avec les jurés ordinaires , dit-il dans
son arrêté du 13 février 1794 , la chose publique est à
chaque instant compromise , et que l'inexpérience , la
faiblesse , l'incivisme même de plusieurs d'entr'eux,
encouragent le coupable espoir des contre révolution-
naires ; considérant qu'en paraissant devant le tribu-
nal , l'innocence et le patriotisme doivent être assurés
de sortir victorieux , et les conspirateurs et leurs agents
de toute espèce ne voir que la foudre nationale prête
à les écraser , il détermine la liste exclusive des jurés
et décide qu'ils feront toujours leurs déclarations à
haute voix . >>
Or, cette liste, à la formation de laquelle nous pou-
vons remarquer que le bourreau du Pas- de - Calais a
mis tous ses soins , est formée de soixante noms entre
lesquels ses amis d'Arras , ses parents de Saint-Pol et
un nombre trop considérable de prêtres défroqués , for-
ment une majorité assurée . Les autres étaient des
gens de bas étage , anciens domestiques de nobles ,
comme Duponchel , de Ternas ; Carlier , de Bapaume ;
Daillet , d'Arras ; le garçon meunier Bacqueville , le
guetteur Tassin , Pain, soldat de police , constamment
COMITÉS ET TRIBUNAUX 45

ivre, Danten , chef de cuisine , et jusqu'à un voleur de


grand chemin , nommé Richard Remy.
Entre ces noms, voués avec raison au mépris pu-
blic , nous sommes obligés de distinguer ceux de quatre
prêtres , Célestin Lefetz , d'Ivyncourt, Turlure et Var-
nier, et celui du chantre Boizart . C'est ainsi qu'une
institution qui , dans son principe , a pour but de garantir
l'indépendance et la bienveillance des juges , devenait ,
entre les mains de Le Bon , un instrument de servi-
lisme et une garantie de condamnation .
CHAPITRE DEUXIÈME

SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON

Epoque et cause de cette mission. -- Façon dont Le Bon l'exécute.-


Discours de Le Bon à Beaurains. --- Le procès d'Ablain-St-Nazaire.
Tradition de lettres de prêtrise et de noblesse.

C'est le 29 octobre 1793 que Joseph Le Bon fut en-


voyé pour la seconde fois dans le Pas-de-Calais par un
arrêté du Comité de Salut public . Les mouvements
contre-révolutionnaires qui s'élevaient dans la ville
d'Aire et dans d'autres endroits du département , en
furent le prétexte , et le conventionnel en mission était
chargé d'étouffer ce complot dangereux par les me-
sures les plus efficaces et les plus actives .
Aire , en effet , et la question d'approvisionnement
qui l'avait un instant agité, furent le moindre des
soucis de Joseph Le Bon : dès son arrivée à Arras , le
jour de la Toussaint 1793 , il avait d'autres soucis et
de plus hautes ambitions .
L'humble fils du sergent à verges, en rentrant dans
sa ville natale , muni des pleins pouvoirs du terrible
Comité qui dirigeait la France et qui inquiétait l'Eu-
rope, se croyait appelé à jouer un grand rôle . Il prit le
costume et les allures qui pouvaient le mieux en im-
poser à la foule , il déploya une activité qui ne permit
à ses adversaires ni de réfléchir ni de se compter. Af-
fublé dès le matin de l'habit théâtral et du chapeau à
panache que s'étaient donnés les conventionnels , il y
ajoutait encore un grand sabre qui ne le quittait
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 47

jamais et une sorte de garde prétorienne d'enfants qui


l'accompagnait partout. Sa manie était aussi de ras-
sembler la foule dans les églises , d'y monter en chaire
avec apparat et d'y pérorer longuement , avec de grands
cris et de grands gestes , pour former , comme il disait,
l'opinion publique et la convertir à la Révolution.
Le Bon, toutefois , ne se contentait pas de paroles ,
il agissait. Après avoir remis ses pouvoirs au Dépar-
tement, cédant sans doute à un mouvement d'orgueil,
si ce n'est à un sentiment de rancune , il se dirigea vers
Beaurains , l'une de ses anciennes succursales .
Dans les premiers jours de novembre , le jour même
peut-être où il y avait célébré deux ans auparavant
l'office des morts , Joseph Le Bon arriva dans l'église
de Beaurains , réunit ses anciens paroissiens au son
de la cloche et après les avoir félicités de leur patrio-
tisme , se félicita lui-même d'avoir gravi si rapidement
l'échelle de la fortune.
« Qui aurait cru , ajouta-t-il , après avoir rappelé son
passé , que je reviendrais ici représentant du peuple ,
investi de pouvoirs illimités . » Il témoigna aussi
aux habitants de Beaurains , sa vive satisfaction de
ne plus trouver dans leur église « tous ces petits
marmots qui faisaient autrefois l'objet de leurs môme-
ries » et qu'il avait peut-être contribué à leur faire
vénérer.
Passant de ces plaisanteries de bas étage à un sujet
plus pratique , il s'informa de la municipalité et des
aristocrates et quand on lui eut dénoncé Magnier , le
juge de paix de Tilloy, comme ayant acquitté, à la
demande même du maire du village , un nommé Co-
quet qui avait brisé les vitres de sa maison : «
< Magnier,
dit-il , il y a longtemps que je veille sur sa conduite »> ,
et, en attendant davantage , il le destitua de ses fonc- ,
tions.
De retour à Arras , il assistait à la séance du soir du
Directoire du Département , approuvait la réélection de
48 LA TERREUR

Ferdinand Dubois comme président de ce Conseil et


intervenait , le 2 novembre , dans le procès du maire
d'Ablain- Saint-Nazaire .
Il paraît que ce maire , nommé Topart, avait fait
récemment un discours dans l'église du village et dit
entre autres choses que , désormais , on ne devait plus
célébrer ni fêtes ni dimanches « et ne plus aller à la
messe d'une bête noire et farouche » . Alors , trois des
auditeurs , Noël Devillers , Nicolas Labalette et Antoine
Delattre , montèrent à la tribune , en arrachèrent l'ora-
teur, le maltraitèrent et le chassèrent de l'église
après lui avoir déchiré son écharpe. Le maire , ses
accusateurs et ses partisans , c'est-à-dire beaucoup
d'habitants d'Ablain , furent mandés à la barre du
Département , et, durant près de cinq heures , en pré-
sence de Le Bon qui intervint plusieurs fois dans le
débat , on discuta cette affaire . Le curé Pierre -André
Chrétien , qui était en même temps curé et greffier ,
déposa à son tour et déclara crûment que Topart avait
traité tous les curés « de gens foutres . »
>
Finalement, Le Bon condamna tout le monde .
Devillers , Labalette, Delattre et un nommé François
Lemelle furent mis en état d'arrestation , le curé fut
destitué et envoyé à dix lieues de là , le Conseil muni-
cipal fut suspendu et le maire Topart fut dénoncé au
tribunal criminel .
Deux jours plus tard , le 5 novembre , en présence
toujours de Le Bon, dont il espérait peut- être , par cet
acte de lâcheté , regagner les bonnes grâces , le curé
constitutionnel d'Ablain - Saint- Nazaire , Chrétien , livra
au Département des lettres de prêtrise , qui furent brû-
lées séance tenante , dit le compte-rendu de l'Assem-
blée, aux acclamations d'un peuple immense . Le len-
*demain, 6 novembre , l'ex-chartreux Simencourt livra
aussi ses lettres en y ajoutant son bréviaire .
La voie était ouverte , et nous sommes obligés
d'avouer dès maintenant qu'un nombre assez considé-
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 49

rable de prêtres constitutionnels la suivirent à bref


délai . Comme pour rivaliser avec eux , plusieurs nobles
firent également la tradition de leurs lettres de
noblesse . Ferdinand Dubois y mit même un certain
apparat, comme dans tout ce qu'il faisait . A la séance
du 9 novembre , neuf hommes apportèrent dans neuf
sacs ses titres de féodalité au Département et , après un
long discours dont le verbeux président ne perdit pas
l'occasion, il en fit pompeusement l'holocauste à la
République .
Le Bon n'était déjà plus à Arras , il avait commencé
à courir le Département , comme il s'en prévalait, mais ·
il y avait laissé ses ordres et ses affidés . Dès le
3 novembre , <
« considérant que dans le plus grand
nombre des communes des campagnes du District
d'Arras , il était impossible de trouver sept bons répu-
blicains indépendants de l'influence des riches et des
fermiers » ,
il avait suspendu tous les Comités existants
et décrété que , jusqu'à nouvel ordre , celui d'Arras
étendrait sa vigilance sur le district tout entier .
Une mesure d'humanité avait permis jusque -là que
les femmes suspectes de la ville d'Arras fussent gar-
dées à vue dans leurs maisons , afin qu'elles pussent
continuer de donner des soins à leurs enfants . Le Bon
la révoque ; «< il est possible même , ajoute -t-il durement ,
de procurer à ces enfants une éducation meilleure que
celle de parents aristocrates et fanatiques » , et les mères
sont conduites en prison , tandis que les enfants sont
réunis dans une maison spéciale , dite de l'Egalité ,
pour y être élevés aux dépens de leurs familles et au
gré de Le Bon .
50 LA TERREUR

§ 1. - A Calais et Saint-Omer.

Ordre de Le Bon au district de Calais.- Lettres et poignards suspects.


- Arrêtés contre les prêtres du Vivier et des Capucins.- Le chauf-
fage. Renonciation d'Arras au culte catholique . ·- Chanson phi-
losophique. Arrêtés contre les sœurs hospitalières . - Culte de
la Raison à Arras. ― Le Bon à Saint- Omer. - Lettre de Toulotte.
- Abdication de Porion.

Le 8 novembre au soir , Le Bon arrivait à Calais où


un arrêté d'emprisonnement contre trois membres de
la Société populaire l'avait précédé .
Comme à Arras , il déposa sur -le-champ ses pouvoirs
entre les mains du District et formula ses volontés .
Dans les quarante-huit heures , les membres du
Directoire devaient lui fournir : 1º Un état des maires
et officiers municipaux du district avec des notes sur
leur civisme ; 2° les mêmes renseignements sur les
juges de paix ; 3º la liste de tous les individus payant
plus de quatre -vingts livres de contribution foncière ,
avec des observations sur ce qu'ils ont fait pendant la
Révolution .
C'était pourtant une autre mesure , l'arrestation de
tous les Anglais actuellement en France , qui condui-
sait surtout Le Bon sur notre détroit . Il mit la main
sur toutes les lettres adressées de France à l'étranger ,
au nombre , dit - on , de cinquante mille , qu'il s'occupa de
dépouiller. Non content de cette enquête à la poste , il
surveilla la douane et crut découvrir une caisse de
quatorze douzaines de poignards, qui n'étaient que des
couteaux et dont il fit grand tapage.
Voici la lettre par laquelle il annonçait sa grande
découverte au Comité de Salut public : « Calais , le
22 brumaire an II (mardi 12 novembre 1793) :
« Voulez-vous connaître toute la scélératesse de nos
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 51

ennemis intérieurs ; les vœux impies qu'ils ont formés


et forment sans cesse pour notre ruine ?
« Voulez-vous connaître les correspondances que les
émigrés ont laissées au milieu de nous ? les mille arti-
fices qu'ils emploient pour tromper la nation ?
« Voulez-vous connaître les fonctionnaires prévari-
cateurs qui ont prêté leur appui à ces monstres ?
« Voulez-vous connaître le grand espoir que les
contre-révolutionnaires fondaient sur la famine , la
peste et les révoltes départementales ?
« Voulez-vous connaître leur plan d'intrigues , de
calomnies , enfin leur rage inextinguible contre les
patriotes ?
<< Je peux vous donner toutes ces connaissances . >>
Après ce début de charlatan , Le Bon expose sa trouvaille .
Cinquante mille lettres en dépôt au bureau de Calais ont
été arrêtées par l'embargo . Le Bon en a dépouillé 500 :
il y en a 450 de suspectes . Jugez du reste . Il demande
ou de les envoyer à Paris , ou plutôt de les faire
dépouiller sur place par quatre personnes sûres , en tête
desquelles il réclame Varnier , qui est à Paris . Qu'on
le lui envoie, il trouvera les autres . « Vous voyez , con-
clut-il , que je ne vous occupe pas de riens . - -Joseph
Le Bon, »
On lui envoya son Varnier et ils se mirent quatre à
ce dépouillement, mais en dépit de son annonce pom-
peuse , il se trouva que les cinquante mille lettres ne
firent connaître que quelques suspects de plus dans le
Pas-de- Calais , notamment à Saint- Omer. Tout en dé-
pouillant son formidable dossier , Le Bon n'était ce-
pendant pas absorbé à ce point qu'il perdît de vue ce
qui se passait ailleurs , surtout à Arras .
Deux arrêtés datés de Calais , le 11 novembre , sou-
mettaient les suspects et les vieux prêtres renfermés
dans les prisons d'Arras , qui jouissaient jusque là d'un
certain bien-être et surtout de la faculté de pouvoir vi-
vre en commun , à un système inquisitorial et draconien.
52 LA TERREUR

Feignant de croire « qu'ils s'encourageaient aux


projets les plus sinistres dans des orgies continuel-
les , » il leur donne six inquisiteurs qui pourront à toute
heure pénétrer dans la maison de détention et saisir
tous les objets qui pourraient indiquer leurs complots .
Il les prive également de bois , de vin , de provisions et
de denrées de toute sorte , sauf au District à leur donner
à leurs frais communs une nourriture frugale et la plus
économique .
Quant aux prêtres sexagénaires enfermés au Vivier
et aux Capucins , c'est par le froid , si pénible comme
on sait aux vieillards , qu'il veut les torturer .
Le texte de l'arrêté qui les concerne montrera tout
ensemble la haine , la grossièreté et l'injustice avec
lesquelles Le Bon poursuivait ces vétérans du sacer-
doce qui avaient été ses collègues .
« Joseph Le Bon , représentant du peuple dans le dé-
partement du Pas-de- Calais , instruit par la voix pu-
blique et tout récemment par une dénonciation parti-
culière qu'il existe à Arras , dans certaines maisons
dites de réclusion , des quantités considérables de bois
destinées à chauffer séparément ce ramas de sacrés
imposteurs qui ont fait tous les maux de la France ;
<< Considérant que nos frères , nos pères , nos enfants
sont depuis trois hivers exposés à des fatigues incalcu-
lables et à toute l'intempérie des saisons pour le bar-
bare plaisir de ces fanatiques ;
<< Considérant que les sans - culottes restés dans leurs
foyers trouvent à peine le moyen de se garantir des
rigueurs du froid , lorsqu'ils consacrent tous leurs ins-
tants à la prospérité nationale ;
<< Considérant qu'un chauffoir commun suffit pour la
prétraille recluse et que l'on n'y doit brûler , en cette
circonstance surtout , que les matières les plus écono-
miques ;
« Considérant enfin qu'une disette factice des ob-
jets de première nécessité devant momentanément
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 53

priver de ces objets une portion quelconque des indivi-


dus résidant en France et qu'il est plus juste que cette
privation tombe sur les ennemis de la patrie que sur
ses défenseurs ;
« Arrête ce qui suit :
«< Art . 1er.
1ºг. Tout le bois à brûler que chacun des
prêtres réfractaires a fait transporter dans les maisons
de réclusion sera , dans le tiers -jour , vendu par demi-
corde aux sans- culottes qui voudront l'acheter.
<< Art . 2. Les plus anciens habitués de la Société
populaire , soit qu'ils y assistent comme membres ou
comme simples spectateurs , auront la préférence , si leur
républicanisme est constant et si d'ailleurs ils n'ont pas
une fortune aisée .
« Art. 3. Il ne sera réservé dans chacune des
maisons de réclusion que le bois strictement néces-
saire pour le chauffage des agents de la maison , si
ceux-ci consentent à payer le prix .
« Art. 4. - Le district d'Arras est chargé de l'exé-
cution du présent arrêté…….
-
« Art . 5. — Sur le prix du bois qui sera vendu , le
District prendra la somme nécessaire pour procurer
aux prêtres le feu le plus économique, dans un chauf
foir commun (était- ce la tourbe ?) .
<
«< A Calais , ce 21 brumaire l'an II . Le représ . du
peuple. J. Le Bon . »
Interprétant cet arrêté , le District résolut de livrer
ce bois aux Hôpitaux militaires de Saint - Vaast
et de Saint-Jean , moyennant acquit par qui de
droit . Le même jour , le District décide qu'il instal-
lera le lendemain le nouveau Comité de surveillance ins-
titué par J. Le Bon et lui recommande « d'avoir les
yeux ouverts sur les étrangers , les modérés , les aris-
tocrates et tous ces prêtres , ministres du mensonge ,
notamment répandus dans les campagnes qui , vu le
coup de mort porté au fanatisme et à leurs momeries ,
et vu aussi leur esprit remuant et fanatique , ne pour-
54 LA TERREUR

ront s'empêcher de secouer les torches du hideux fa-


natisme et de la discorde , exercer la plus rigoureuse
surveillance sur toutes les femmes publiques , prosti-
tuées et entretenues , dont la conduite osée et licen-
cieuse insulte à la vertu , scandalise l'homme moral et
corrompt la vertu. »
Quelques jours plus tard , le dimanche 17 novembre ,
la ville d'Arras était le théâtre d'une scène d'impiété
qui doit trouver ici sa place , parce qu'elle explique
peut-être les flots de sang dont la justice divine devait
inonder, pour les purifier , les rues de cette ville coupable
et malheureuse.
La Société populaire , qui voulait effacer à Arras
toute trace de catholicisme , obligea là municipalité à
réunir les six sections de la ville dans l'église Saint-
Vaast et dans cette assemblée plénière présidée par
Hacot, avec Triboulet et Caubrière pour assesseurs , fit
décider qu'on fermerait sur- le-champ toutes les
églises après avoir scellé « ce qu'on appelait les taber-
nacles » . Saint-Vaast seul devait rester ouvert pour
servir de salle de séance à la société républicaine .
On organisa alors une sorte de procession patrioti-
que qui devait constater si les commissaires , désignés
pour cet exploit , s'étaient dignement acquittés de leur
mission . Au son de Joyeuse , musique en tête , le
peuple se rendit alors à la porte des diverses églises
pour y abjurer ses erreurs et y chanter l'hymne de la
liberté . Hacot qui présidait la marche prononça un
discours à chaque station ; ses discours étaient suivis
de fanfares et de cris de joie . Enfin c'est au lieu des
séances du Département que le maire d'Arras fut
porté , comme il le dit , dans un nouveau discours , par
l'excellent peuple d'Arras pour l'informer que l'abjura-
tion de ses antiques erreurs était achevée , et qu'elle
avait été unanimement, publiquement et solennelle-
ment faite sous les portiques des quatre ci - devant pa-
roisses de cette ville, devenues des temples consacrés
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 55

à la Liberté, à la Raison , à la Philosophie . Il finit en


invitant Dubois , qui mieux que lui connaissait l'art de
parler au cœur , de dire un mot à ce brave peuple
d'Arras .
Ferdinand Dubois ne se fit pas prier et félicita «< le
peuple du pas immense qu'il avait fait vers la raison
et la philosophie , et des étincelles parties de son sein
qui ont incendié le dépôt des erreurs humaines . »
La cérémonie se termina par de nouveaux chants
patriotiques et l'accolade accoutumée que les citoyens
et les citoyennes ne manquaient pas de se donner en
pareille circonstance .
Le 1er frimaire an II (21 novembre 1793) , le District
ayant reçu une chanson composée par une société de
vingt sans-culottes d'Arras , applaudit à la philosophie
qui respire dans cette chanson et l'envoie à toutes les
communes , à la place des vaines rapsodies qui ont si
longtemps sali la bouche du genre humain , pour être
chantée le jour de la décade prochaine au peuple as-
semblé (1) .
Le 3 frimaire (23 novembre) , après une visite dans
lés hôpitaux faite par les administrateurs Célestin Le-
fetz, Leroy , procureur , Bras fils , Hoguet et Willemetz ,

(1) Air des Visitandines.


Citoyens, malgré les intrigues
Des fanatiques et des rois ,
Pour prix de nos longues fatigues
Nous jouissons de tous nos droits. (Bis)
Que notre seule politique
Soit d'être toujours bien unis,
Et nous recueillerons les fruits
Que nous promet la République. (Bis)
De notre Saint Père de Rome
Nous ne craignons plus les fureurs,
Ses bulles , près des droits de l'homme,
Ne seront plus que des vapeurs. (Bis)
Portons dans cette ville antique
Le catéchisme de nos lois,
Pour la voir encore une fois
Devenir une République. (Bis)
56 1 LA TERREUR

membres du conseil de la commune , pour faire dispa-


raître de ces lieux tous les signes du fanatisme et du
culte jadis dominant, recevoir les déclarations des
filles qui y sont attachées , connaître si elles ont prêté
le serment, faire des recherches , améliorer le sort des
malades , etc. , etc. , il résulte que dans les maisons
dites Hôpital , Hôtel- Dieu , Providence et la Charité ,
les filles attachées à ces maisons sont gangrenées
d'un fanatisme révoltant , et n'ont pas prêté le serment ,
sinon celles de Saint-Jean , il y a trois semaines .
Les administrateurs devant cette déclaration prirent
l'arrêté suivant :
<< Considérant que dans le moment où le peuple
français terrasse et proscrit les préjugés de la supers-
tition , renverse les autels élevés au mensonge et au
fanatisme , et n'a pour évangile et pour culte que la
raison et la nature , ce serait un crime de lèse -nation
et de lèse-humanité que de confier plus longtemps
nos concitoyens , nos frères malades , aux soins des
filles forcenées et fanatiques qui, sans cesse , forment
des vœux pour le retour de leurs pieux et hypo-
crites imposteurs , et qui , sans cesse , importunent le
ciel de prières impies qu'elles lui adressent pour la

Nous irons voir dans la Turquie


Le successeur de Mahomet,
Il faut qu'il soit de la partie,
Nous lui dirons notre succès ; (Bis)
S'il prête son serment civique,
Et s'il abjure l'Alcoran,
Je lui donne au lieu de turban ,
Le bonnet de la République . (Bis)
Que la Raison soit notre égide,
Pour couronner la Liberté ,
Et la nature notre guide,
Pour établir l'Egalité. (Bis)
C'est un système sans réplique,
Tout patriote l'avouera,
L'Univers entier deviendra
Par la suite une République. ( Bis)
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 57

ruine de la République et pour le triomphe de ses en-


nemis ;
« Considérant que ces filles , par mille moyens , dans
les maladies périlleuses , peuvent en parlant de Dieu , de
ses anges et de ses saints , d'Enfer , de Purgatoire et de
Paradis , changer l'esprit des malades et nuire par là
aux progrès de l'esprit public , faire des ennemis à la
République de ses propres défenseurs , jeter la terreur
dans l'âme des faibles et même ébranler les forts ;
« Considérant qu'il est de la saine philosophie de ne
point laisser plus longtemps dans les hôpitaux des per-
sonnes aussi dangereuses , aussi fanatiques et aussi
contre-révolutionnaires que celles qui en sont en ce
moment chargées ;
« Considérant que ces femmes peuvent tuer les ma-
lades autant que les maladies mêmes , par les rêves de
la superstition et du fanatisme ;
«< Arrête ce qui suit :
<
« Art. 1er. --- Les filles attachées à l'hôpital connu
sous le nom d'Hôtel- Dieu et à la maison de la Provi-
dence évacueront ces maisons trois jours après que
cet arrêté leur aura été notifié .
« Art . 2. La Providence servira de maison
d'arrêt et les filles qui y sont seront transférées dans
la prison de la ville.
« Art. 3. Les malades qui sont à l'Hôtel-Dieu
seront transférés à celui de Saint-Jean , et ces deux
hôpitaux n'en formeront qu'un seul à l'avenir , à la
tête duquel sera un directeur et un sous -directeur .

« Art. 14. ― Les filles attachées aux hôpitaux qui


ayant fait le serment continueront de donner leurs
soins aux malades sous la surveillance du directeur ,
auront chacune 800 1. de traitement et par ce moyen
seront tenues de pourvoir à leur entretien et subsis-
tance.
« Art . 15. Celles que leur âge ou infirmités empê
58 LA TERREUR

chent de rendre service , se retireront avec 700 1. de


pension si elles ont prêté le serment .
« Art. 16 , 17 , 18.- Les hospices de Vimy et Lens
sont réunis à celui d'Arras .
« Art. 20.- Les filles attachées aux hôpitaux d'Arras
et Lens qui n'auront pas prêté le serment ou se refu-
seront à le prêter seront, conformément au décret du
3 octobre dernier , déchues de leurs fonctions et exclues .
« Art. 22. La maison de charité d'Arras étant con-
sacrée à l'humanité et devant accorder des secours
à domicile sera conservée et étendra ses soins et ses
sollicitudes sur tout le District , et comme il importe
que les filles attachées à cette maison puissent faire
part de leurs secrets et de leurs connaissances , celles
d'elles qui auront prêté ou prêteront le serment seront
invitées à rester et à continuer de donner leurs soins
au soulagement des pauvres .
« Art. 23. Elles auront aussi 800 1. de traitement
aux charges et conditions des autres.
« Art. 29. Pour l'hôpital Saint-Jean , l'administra-
tion nomme pour Directeur le citoyen Herbet ci- devant
curé de Notre- Dame et pour sous -directeur le citoyen
Dehay oncle . Pour la Charité , le citoyen Mury .
« Art. 30. Saint-Jean s'appellera hôpital de la
Réunion et de la Fraternité ; la Charité : Maison de
l'humanité, et sur la porte on écrira : maison destinée
à soulager l'humanité souffrante . - L'hôpital de Lens
s'appellera Egalité . »
Enfin le 25 novembre , on exclut de toutes fonctions
pour les pauvres , les malades , l'instruction et l'éduca-
tion, les femmes qui n'ont pas prêté dans le temps le
serment de la loi , et on se décide à les remplacer par
des citoyennes connues par leur attachement à la Ré-
volution.
Non contente de proscrire les fidèles de l'ancien
culte , l'administration du département se donna la
mission de prêcher un nouvel évangile , et c'est peut-
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 59

être elle qui , la première en France , se fit l'apôtre dé


la Raison déifiée .
Le 29 novembre 1793 , les administrateurs rédigent
et envoient partout, sous la signature de leur président,
une adresse pompeuse qui porte cette suscription :
« Le peuple d'Arras à tous les citoyens du départe
ment du Pas-de-Calais , à tous les citoyens de la Ré-
publique française , à tous les peuples de l'univers . »
>
Dans un style emphatique sans égal , elle annonce
que « l'autel de la Raison a été dressé à Arras le 17
novembre 1793 , sur les débris de tous les autres . »
Après avoir déifié cette Raison sublime « qui existait
avant les temps et planait sur l'univers avant que l'u-
nivers fût, » le peuple d'Arras raconte que l'intérêt
particulier osa porter sur elle une main sacrilège ..., il
fit plus , il osa s'en déclarer le prêtre et ne tarda pas
à défigurer ce chef d'oeuvre des cieux : c'est ainsi que
se transmettant d'âge en âge et prenant toutes les
formes , la sottise vint s'asseoir à la place de la raison :
celle-ci se tint cachée , tandis que l'autre masqua son
squelette sous les vêtements qu'elle avait dérobés à
son éternelle ennemie .
« Il était temps de tirer cette adorable Raison du
cachot où elle languissait , c'est ce que nous avons tenté
de faire et intimement persuadés que jamais la raison
ne jouirait de tout son éclat tant qu'il existerait des
prêtres, nous avons commencé par annoncer que nous
n'en voulions plus , nous avons fait fermer les temples
où ils exerçaient leur charlatanerie . et nous avons dé-
claré à l'Etre suprême que nous ne voulions plus d'in-
termédiaires entre lui et nous . >>
Faisant ensuite le procès de ces prêtres qui ont
déshonoré l'Etre suprême et l'ont rendu haïssable , il
se déclare lui-même « son prêtre et son fils bien aimé. >>
Il convie le peuple Français à le suivre aux autels
qu'entourent des bosquets riants , où croissent des
fleurs odoriférantes . Il le convie encore à détaeiner
60 LA TERREUR

les ronces , à purifier les eaux , à étouffer les serpents ,


etc.
Aux peuples de l'univers , sans- culottes de toutes les
nations , il signale les rois , les nobles et les prêtres
comme leurs ennemis naturels . Il finit par une descrip-
tion dithyrambique du bonheur promis à la Révolution .
C'est ainsi que la ville d'Arras , devançant même
les instructions de Le Bon et les utopies de Robes-
pierre , inaugurait sur toute la ligne le système de ter-
reur et d'impiété qui devait bientôt s'étendre par tout
le département et par toute la France.
Quant à Le Bon , il était encore à Calais lorsqu'il
crut devoir soumettre sa conduite et ses scrupules au
contrôle du Comité de salut public . Il en reçut , avec
des félicitations , le conseil de s'abandonner à son éner-
gie révolutionnaire et l'assurance nouvelle que ses
pouvoirs étaient illimités . Le Comité les étendit même
aux départements voisins .
Aussi le conventionnel , investi de ce nouveau man-
dat de confiance , crut le moment venu de visiter les
principales villes du département . Le 15 novembre , il
arrive au district de Saint- Omer et , se tournant vers
la barre , dit que la sûreté générale exige que la
séance soit secrète . Le public se retire . Le Bon exhibe
alors six lettres tirées des cinquante mille qu'il a sai-
sies et qu'il a eu soin de signaler au peuple avant de
le congédier, ainsi que la malle aux quarante -huit poi-
gnards à deux tranchants . Les six lettres dont Le Bon
donne lecture , portent le timbre de Saint- Omer . Trois
sont signées , les autres sont anonymes ; mais le Dis-
trict devra en rechercher les auteurs pour les faire
arrêter. Celui -ci s'acquitta en conscience de ce travail ,
il fit arrêter les signataires réels et les auteurs suppo-
sés , et comme l'une de ces lettres paraissait venir de
Le Sergeant, on fit arrêter toute la famille de ce nom
à Saint-Omer .
Le 16 novembre , de Saint- Omer où il était encore ,
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 61

il écrivit la lettre suivante « à ses frères du départe-


ment du Pas -de-Calais . » C'est une mesure d'intimida-
tion qu'on eut soin de répandre à profusion .
« Qu'ils tremblent , les conspirateurs et les traîtres ,
les agents des émigrés , les fonctionnaires qui ont
vendu des certificats de résidence et des passeports
pour rester dans la République ! J'ai la preuve de leurs
manœuvres et de leurs perfidies , écrite de leurs pro-
pres mains ou de celles de leurs complices .
<< Dites aussi aux incrédules et aux modérés de
bonne foi , s'il peut en exister , que les chevaliers du
poignard n'étaient pas des êtres imaginaires . Dites que
parmi les malles et les coffres non réclamés à la
douane de Calais , j'en ai saisi une qui contenait quatre
douzaines de poignards , tous préparés au crime et que
Pitt espérait introduire frauduleusement parmi nous .
« Ce sont ces découvertes qui m'obligent de des-
cendre à Saint- Omer , Saint- Pol et Montreuil , et le
voyage n'est déjà pas vain dans la première com-
mune . On a dû arrêter cette nuit , sur ma réquisition ,
des individus désignés imparfaitement dans la fameuse
lettre anglaise , mais sur lesquels il n'y a plus de doute
aujourd'hui .
« Je vous écris à la hâte ce peu de lignes et je pars .
- Joseph Le Bon. > »
Pour avoir été court , le passage du proconsul à
Saint-Omer n'en avait pas moins donné à la persécu-
tion anti religieuse , une nouvelle recrudescence . Un
de ses plus ardents séïdes en témoignait peu de jours.
après dans la lettre suivante :
<< Morin-la -Montagne , le 21 novembre . Citoyens , le
peuple vient de donner ici une preuve de son attache-
ment à la volonté nationale ; il vient d'asséner au fana-
tisme un coup des plus meurtriers .
« Hier , dans l'assemblée des sections réunies , je
proposai à la multitude de suivre le glorieux exemple
que venait de lui donner la ville d'Arras . Je demandai
62 LA TERREUR

que les églises fussent toutes fermées et qu'on renon.


cât à toute espèce de culte public . Adopté . Tous nos
ci-devant prêtres ont renoncé à leurs fonctions et
Porion lui-même déclara à la tribune qu'il n'exercerait
désormais que celles de citoyen .
« Je dénonçai le curé de Saint- Bertin , Michaud , et
demandai que le peuple le déclarât suspect et qu'ex-
trait du procès-verbal fût envoyé au Comité de surveil-
lance . Je fondai ma dénonciation sur ce que , dans le
temps , il s'était opposé à la descente des cloches et
avait crié à l'anathème ; qu'aujourd'hui , il remplissait
les fonctions curiales tandis qu'Asselin avait renoncé
aux siennes depuis quelque temps et que Porion avait
fait la même chose . On arrêta aussi que tout calotin
qui n'abdiquerait pas la prêtrise dans le laps d'une
demi-décade, serait regardé comme suspect, que le
District serait invité à envoyer des commissaires pour
instruire les campagnes de ce qui s'est passé ici et les
véhiculer à suivre les heureuses impulsions de la phi-
losophie. Coffin , procureur-syndic du District et l'un
de ceux qui se sont le mieux conduits , a demandé que
le procès - verbal de la séance fût imprimé à 6.000
exemplaires . Arrêté . Signé Toulotte . »
Les hospitalières de la Maladrerie furent congédiées
le 23 novembre , et le 24 , Marie-Joseph Clipet , vicaire
de Saint-Bertin , ainsi que Jean- François Durant , ancien
religieux de Saint-Maur et curé de Salperwick, vin-
rent au District déposer leurs lettres de prêtrise .
On mit au service de la République le linge et les
ornements des églises , ainsi que tous les fers et grilles .
Mais l'incident qui fit le plus d'impression fut la
renonciation publique à ses fonctions de l'évêque
Porion lui-même , qui remit en personne ses lettres.
dans la journée du 25 novembre, en même temps que
le curé d'Auchy- au-Bois , Moulin .
Il déposa également l'extrait de l'assemblée électo-
rale qui l'avait appelé à l'épiscopat.
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 63

Cette abdication du propre chef de l'église constitu-


tionnelle lui porta le dernier coup et il est très peu de
prêtres jureurs qui n'aient suivi l'exemple de l'évêque .
Michaud, le curé de Saint- Bertin , a eu le courage de
protester contre l'exemple du grand nombre ; nous
verrons qu'il paiera de sa tête cette protestation .

$ 2. - A Saint- Pol et Montreuil.

Renommée de Le Bon à Saint-Pol. A- Craintes et faiblesses qu'elle


occasionne. ― Abjurations nombreuses. ― Prévost et Duflos . --
Impressions de Le Bon sur son voyage. Les jeunes prêtres
appelés sous les drapeaux. -- Nouvelles mesures prises par la
Convention contre les prêtres. Le Bon à Hesdin et à Montreuil. 3
Auxi-la- Réunion.

C'est à Saint-Pol que nous retrouvons Le Bon le


16 novembre. Il y avait été précédé, on le présume
bien, par la terrible renommée de l'énergie révolution-
naire avec laquelle il procédait ; néanmoins plusieurs
de ceux qui avaient déjà été incarcérés avant son
passage, essayèrent-ils par avance de gagner ses
bonnes grâces en vantant leurs services et en flattant
surtout sa haine contre les prêtres fidèles.
C'est ainsi que Petit , de Monchaux , le 11 novembre
1793 , donnait à Le Bon tous ses titres révolutionnaires .
<< Lorsque le serment des ecclésiastiques fonction-
naires fut exigé , sur leur refus , je les dénonçai à
l'opinion publique comme perturbateurs de l'ordre
public et ils essayèrent infructueusement d'opérer ce
qu'ils appelaient une conversion , et lorsque la dépor-
tation a été décrétée et mise à exécution , ces hypo-
crites partirent avec assurance de revenir et d'immoler
à leur ressentiment les patriotes , j'étais spécialement
désigné - ma fermeté m'a attiré cette confiance - par
les personnes dont ils avaient abusé de la crédulité. »
64 LA TERREUR

Il n'en avait pas moins été constitué en arrestation


le 7 octobre 1793 .
Petit , de Monchy écrit le même jour une lettre ana-
logue il rappelle ses titres d'administrateur et de
président du District. « Lors de la petite Vendée ,
ajoute-t-il , ne suis-je pas allé à la tête de tous les ci-
toyens de ma commune visiter les bois de Diéval et
de Bours sans en être requis ? »
Ils furent renvoyés par Le Bon au Comité de sur-
veillance et à la Société républicaine de Saint- Pol pour
attester, s'il y avait lieu , leur patriotisme .
Fontaine , d'Averdoingt, le 10 novembre , sollicitant
la même faveur , se vante d'avoir fait traduire l'ancien
curé d'Averdoingt devant le tribunal du District quand
il s'est avisé de vouloir prêcher contre la Révolution .
Les gens de Bonnière réclament l'élargissement de
leurs concitoyens parce qu'ils avaient été aveuglés
par des prêtres fanatiques. « Elargis à Doullens, élar-
gis à Saint- Pol, disent-ils au citoyen Duez , et partout
on publiera que tu es le père du peuple . » Ils font à Le
Bon la même prière .
J.-B. Fardel , ex -dominicain , originaire de Monchy-
Breton , curé jureur de La Comté , proteste aussi de son
patriotisme et demande à aller rejoindre sa mère âgée
de 84 ans dont il est l'unique soutien.
Dès son arrivée à Saint- Pol et quoiqu'il pût s'y com-
plaire dans les douceurs de la famille , Le Bon ne per-
dit rien ni de son activité ni de sa rigueur . Au lieu de
se vider, le couvent des Sœurs noires , qui servait de
maison de réclusion pour les suspects , acheva de s'em-
plir Hénin , ex-prêtre , qui habitait Houvin , fut nommé
membre du District Charles Danvin , de Saint- Pol ,
fut envoyé à Heuchin comme juge -de- paix ; le curé de
Frévent , Prévost , fut arrêté comme prévenu d'avoir
voulu attiser le feu du fanatisme dans le club de cette
ville , en s'élevant contre la lettre du représentant Du-
mont qui qualifiait d'arlequinades les singeries des
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 65

prêtres . Duflos lui-même ne trouva pas grâce devant


le terrible conventionnel. Il requit encore le Comité
de surveillance de la commune de Saint- Pol de faire
toutes les arrestations que négligeraient les autres
Comités de surveillance du District .
C'était déléguer ses pouvoirs discrétionnaires à une
bande composée en majorité des ses parents ou de ses
alliés et qui , en tous cas , lui était aveuglément dé-
vouée. Aussi répondit- elle de tout point à ses espé-
rances . Les commissaires du Comité se répandirent
dans les villages pour y faire enquête sur enquête . On
en fait contre les personnes qui ont tenu des propos
incendiaires contre la Constitution , on en fait contre
les fanatiques , contre les parents d'émigrés , contre la
vermine aristocratique , contre les riches , contre les
accapareurs ; on en fait partout. Chaque village four-
nit son contingent de dénonciateurs peu nombreux ,
qui se cachent , qu'on redoute , et son contingent plus
nombreux de dénoncés . On compte huit, dix , quinze
de ces derniers , dans les plus gros villages , notam-
ment à Houvin- Houvigneul , et les vénérables témoins
qui nous racontaient, à soixante ans de distance , l'ef-
froi causé par ces enquêtes et ces arrestations n'exa-
géraient pas en disant que le pays était littéralement
terrifié. Une des maisons les plus souvent visitées par
les commissaires était celle de Sabine Scolastique
Bouilliet , veuve Soyez , de Ternas , qui avait ses trois
fils , tous prêtres , en émigration , et qui passait pour
leur avoir ouvert un asile secret.
Devant l'effroi général , on comprend que la foi
chancelante des curés constitutionnels ne tarda pas à
succomber . Dherbesse , curé de Fortel , démissionna
le 23 noveinbre et déclara qu'il ne voulait plus d'autre
qualité que celle de citoyen français . Mais les abjura-
tions les plus retentissantes furent celles des curés de
Frévent et de Saint- Pol , Prévost et Duflos .
Le premier envoya , le 23 novembre , de Saint-Pol ,
5
66 LA TERREUR

où il était en arrestation , à la Société populaire et


montagnarde de Frévent, une lettre dans laquelle il
se félicite d'avoir établi à Frévent, en dépit du fana-
tisme et de l'aristocratie , le règne de la raison et de
la vérité . « Maintenant , ajoute-t-il , que la morale
épurée va se soutenir sans étai étranger , et par le seul
amour de la liberté , je vous déclare que je renonce à
toutes fonctions de ministre catholique et que désor-
mais je ne prêcherai à mes concitoyens que l'amour
et les vertus de la liberté , de l'égalité et de la Répu-
blique . Un regret accompagne ma déclaration , c'est
de vous la faire dans les fers , mais j'en atteste mes
ci-devant confrères , j'y étais décidé avant ma déten-
tion , de vous remettre , pour être brûlées , mes lettres
de prêtrise . >>
On envoya cette lettre à Le Bon « pour hâter la
liberté du susdit citoyen que la Société réclame à l'una-
nimité . »
Le Conseil général de la commune et le Comité de
sûreté générale appuient unanimement « < cette de-
mande de l'apôtre de la religion de l'esprit et du
cœur, qui a secondé toutes les demandes qui tendent
à n'avoir plus d'autres prêtres . >>
Le renoncement au culte de Duflos est contre- signé
de Le Bon lui-même , dans une sorte de certificat qu'il
data de Boulogne , le 30 novembre, et qui commença
la fortune de l'ancien curé d'Hesmond .
<< Vu l'abjuration du citoyen Duflos , ex- curé de
Saint-Pol, prononcée dans la séance de la Société
républicaine de la dite commune , le quatre frimaire
présent mois , vu l'arrêté de la Société du cinq sui-
vant ;
<< Joseph Le Bon , représentant du peuple dans le
département du Pas-de-Calais , considérant qu'il est
impossible de rien ajouter à la déclaration franche et
loyale que fait ledit Duflos d'avoir été longtemps in-
duit en erreur et d'y avoir induit les autres ;
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 67

« Considérant que si on excepte ces erreurs , aujour-


d'hui reconnues solennellement , la conduite de Duflos.
est irréprochable ;
«< Considérant qu'il a . rendu de grands services et
qu'il peut en rendre encore à la cause de la liberté ;
« Déclare qu'il ne doit plus être rangé dans la classe
des fanatiques et des charlatans . En conséquence ,
arrête que dès cet instant son arrestation est levée et
qu'il remplira la place à laquelle il a été appelé dans
le Directoire du district de Saint- Pol ;
<< Invite les membres de la Société populaire à ne
point substituer l'idolâtrie de quelques individus à
celle des morceaux de bois ou de plastre , à ne ja-
mais croire à un homme nécessaire dans la République
et à se souvenir que si Duflos avait laissé soupçonner
encore deux jours le moindre regret sur l'anéantisse-
ment de la superstition , il pouvait devenir pour leur
pays la source des plus grands désastres . >>
Au fait, le 28 novembre , Loyal , membre du Direc-
toire du District de Saint -Pol , était destitué par le
même Le Bon, et Duflos prenait sa place .
De pareils exemples ne pouvaient manquer de trou-
ver des imitateurs . Aussi , le 29 novembre , Guffroy ,
desservant de Maizières , paraissait à la barre du Dis-
trict de Saint -Pol et parlait en ces termes :
<< Citoyens , nous devons tous rendre des grâces à la
Montagne ; c'est elle qui , au milieu de la Convention
nationale , a toujours manifesté les bons principes :
aussi sa voix a toujours été entendue des bons républi-
cains ..... Aujourd'hui , elle attaque les fanatiques et les
superstitieux , elle veut enfin faire connaître au peu-
ple que les prêtres ne sont que des charlatans . Eh
bien , je rends hommage à la raison , à la vérité , j'avoue
à la face de l'Europe que les mystères , les confessions
et autres singeries que les prêtres faisaient et débi-
taient dans les églises n'étaient qu'arlequinades ; en
conséquence , ne voulant plus porter ce titre odieux ,
68 LA TERREUR

je dépose volontiers mes lettres de prêtrise sur le bu-


reau et n'aspire qu'au titre de citoyen français . »
Signalons encore , pour en finir avec cette série de
lâchetés constitutionnelles , l'abjuration de Saurel de
Villers- Brulin , Dubois d'Eps , Dubuis de Lisbourg ,
Laisné de Croisettes , Guignon de Mingoval et Druesne
de Monchy-Breton qui comparurent à la barre du Dis-
trict avant le 31 décembre . Ceux-là , du moins , se
contentèrent d'une abjuration pure et simple . Le-
morre , curé d'Humières , voulut aussi faire son petit
discours . «< Ses instructions , dit-il , n'ont jamais été
fondées que sur la sainte philosophie . Il n'a jamais
connu ni reconnu le dédale de la théologie et il ne croit
à rien de toutes les momeries des mystères qui enve-
loppent les maximes sages du philosophe Jésus . » On
lui promit d'envoyer son boniment à la Convention
avec mention honorable.
Le Bon était loin de Saint- Pol , quand la crainte de
son énergie y provoquait cette suite d'abjurations cri-
minelles .
Avant de quitter cette ville , le 17 décembre , Le
Bon faisait part de ses impressions aux administrateurs
du Département sur le début de sa mission . On va voir
qu'il en était peu satisfait.
« Vous vous trompez , si vous croyez Saint- Omer
changé . Ce que j'ai vu m'a navré l'âme de douleur.
Le District m'a fait l'éloge du Comité de surveillance ,
le Comité de surveillance , l'éloge de Lefebvre , provi-
soirement suspendu de ses fonctions , et des anciens
membres du District destitués . On m'a vanté leur
patriotisme , on a excusé leur erreur sur celle de toute
la commune on a été plus loin pour Lefebvre , on a
paru en faire un objet de querelle personnelle où j'étais
pour quelque chose . J'ai laissé en liberté provisoire-
ment cet homme , momentanément suspendu et que
mes collègues , Billaud et Nyon , n'ont pas cru devoir
arrêter . » Il laisse aussi provisoirement en repos les
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 69

membres de l'ancien District ; mais il demande sur eux


tous les renseignements possibles . La Société monta-
gnarde elle -même lui est suspecte . « Quel ouvrage que
la régénération de cette commune ! > »
Montreuil et Hesdin ne le satisfont pas davantage.
Il écrit de Saint-Pol le même jour : « 17 décembre 93 .
Ce que vous me dites du District de Montreuil ne me
surprend pas . Sachez aussi que dimanche dernier , s'il
en faut croire des bruits assez fondés , le maire d'Hes-
din , cet homme honoré, avec un administrateur du
Département , de la confiance des représentants du
peuple, a lu, lui-même , à la commune assemblée , une
pétition ou adresse en faveur des prêtres , pétition qui
ne tend qu'à réveiller le fanatisme . Demain , nous sau-
rons cela ; mais où trouver des patriotes à Hesdin ? »
Le conventionnel se dépensait pourtant beaucoup , si
l'on en croit cette lettre de Grenier , écrite de Saint-
Omer, le 13 décembre , aux mêmes administrateurs :
« A Calais , j'ai trouvé le citoyen Le Bon occupé à
analyser cinquante mille lettres à la poste pour l'An-
gleterre , où je présume qu'il aura fait d'excellentes
découvertes de nos émigrés. »
Il qualifie encore Le Bon « d'apôtre des Sociétés
populaires , car il fait en cette partie des progrès admi-
rables ; je crois que toutes les femmes de Calais ne le
quitteront bientôt plus depuis qu'il leur a promis qu'el-
les seraient bientôt débarrassées de tous les prêtres . »
<< Autre histoire : en arrivant à Saint- Omer , le vigi-
lant Comité a fait , la nuit dernière , rafle sur tous les
saints d'argent , calices , remontrances , enfin , sur toutes
les argenteries des églises de Saint-Omer. Quel dom-
mage ! Il y avait des morceaux superbes qui ne ser-
vaient qu'à la vue aujourd'hui on s'en servira au
soulagement des défenseurs de la patrie . »
On voit que , malgré ses autres travaux , la persécu-
tion religieuse préoccupait beaucoup Joseph Le Bon et
que les prêtres surtout n'étaient nulle part oubliés ,
70 LA TERREUR

C'est d'Hesdin , le 19 novembre , qu'il appelle sur-le-


champ à servir la République dans les bataillons de
l'armée que leur District désignera , tous les prêtres
âgés de moins de vingt-cinq ans , sous prétexte que ,
pour se soustraire à la loi , ils se sont jetés tout à coup
dans ce qu'on appelait jadis l'état ecclésiastique . Tous
ceux qui ne se seront pas présentés au Directoire de leur
District dans les trois jours , seront saisis et conduits
d'office par la gendarmerie dans les bataillons dési-
gnés . Remarquons que les prêtres mariés , c'est Le Bon
lui-même qui interprétait ainsi son arrêté dans une
lettre du 21 janvier 1794 à l'agent national de St- Omer ,
étaient exempts de cette obligation.
La Convention , du reste , ne dissimulait plus depuis
longtemps la haine violente qu'elle portait à la religion
catholique et à ses ministres fidèles aussi bien que la
faveur dont elle couvrait les apostasies .
Le 13 novembre 1793 , elle autorisait toutes les auto-
rités à recevoir les abdications ecclésiastiques : le 15 ,
elle décidait que les presbytères des paroisses qui
avaient renoncé au culte deviendraient des écoles ou
des hôpitaux ; le 22 , elle votait des secours en argent
aux évêques , aux curés et aux vicaires qui abdiquaient
leur état et leurs fonctions de prêtrise . Au-dessous de
cinquante ans , ils devaient recevoir 800 livres ;; de cin-
quante à soixante -dix ans , ils en recevaient 1000 , et à
partir de soixante - et- dix , ils en recevaient douze cents .
Pour être pensionnés , les renégats devaient seulement
justifier de leur non émigration et de leur civisme .
Cette prime promise à l'abjuration explique , plus que
tout autre motif, pour le dire en passant , le nombre des
défections que nous avons déjà eues à signaler et celles
qui se rencontreront encore sur notre chemin .
Mentionnons encore , puisque l'occasion s'en pré-
sente , deux décisions odieuses de la Convention au
point de vue qui nous occupe .
Le 8 décembre , tout en décidant ces affirmations
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 71

de principes ne coûtaient rien et ne tiraient pas à con-


séquence que toutes mesures violentes et contraires
à la liberté des cultes étaient défendues , l'Assemblée
souveraine prenait soin d'ajouter que par là elle n'en-
tendait pas déroger en aucune manière aux lois ni aux
précautions de salut public contre les prêtres réfrac-
taires ou turbulents , ni improuver ce qui avait été fait
jusqu'à ce jour .
Elle ajoutait, le 15 décembre , que les prêtres cátho-
liques mariés ou justifiant de la publication de leurs
bans , ne seraient point sujets à la déportation ni à la
réclusion , quand même ils n'auraient pas prêté le ser-
ment prescrit . Ainsi , aux yeux des conventionnels ,
pour un prêtre catholique , le mariage couvrait tous
les autres délits .
Dès son arrivée à Montreuil , Le Bon dut se trouver
à l'aise : il rencontrait un Comité de surveillance épuré
par André Dumont et Merlin , et qui , depuis le 16 octo-
bre , donnait des preuves non équivoques de civisme .
Le nom même de la ville avait été changé. Le
22 octobre , le maire avait , en effet , demandé que le
nom féodal de Montreuil se transformât en celui de
Morin-la- Montagne et le District avait accueilli cette
modification avec enthousiasme .
« Quand un peuple se régénère , dit-il , les noms de
ses villes doivent exprimer les sentiments qui le pénè-
trent ; considérant que rien n'est pur comme l'air qu'on
respire sur les montagnes ; le terme de Montreuil est
tiré de la farouche superstition que nous détestons
tous , la ville est une vraie montagne et ses habitants
ne jurent que par la vraie montagne , etc. » Aussi
s'honore -t-il d'appuyer cette demande .
Non content de se régénérer , il veut étendre au loin
ce bienfait. Aussi , le 4 novembre , le citoyen Le Cat
fut-il chargé d'aller organiser à Auxi -la-Réunion , le
Comité de surveillance présidé par Pierre Champion ,
ainsi que la Société populaire.
72 LA TERREUR

Il paraît que le curé constitutionnel Pépin n'entra


pas suffisamment dans cette voie puisque , le 27 novem-
bre , Le Bon ordonnait de l'arrêter comme prévenu
d'attiser le fanatisme et la superstition .
Déjà le curé de Nempont - Saint- Firmin , Hardy , le
curé fanatique de Collines , Carry, une vieille femme
de Sempy qui avait gardé l'argenterie de l'ex- curé ,
Patté , les trois filles Leroy Saint- Hilaire qui avaient
trouvé asile chez le curé d'Auxi , les frères Vasseur ,
de Contes , et beaucoup d'autres suspects avaient été
arrêtés également . Trogneux , élu président du Dis-
trict le 6 novembre , Démonchaux , substitut du procu-
reur-syndic Hautbout, et Constant Véniel avaient
travaillé de leur mieux à ces arrestations . Hautbout
avait fondé une imprimerie et une papeterie, moyen
puissant, dit le District, entre les mains des sans-
culottes , pour diriger l'opinion publique . On avait voté
au Comité de surveillance tous ses frais de chauffage
et d'éclairage , eu égard aux services les plus signalés
qu'il rend ; les religieuses qui n'avaient pas prêté le
serment étaient chassées des hôpitaux . Montreuil , en
un mot, s'était montré digne de Le Bon et de son sur-
nom de la Montagne ; le conventionnel pouvait se diri-
ger sur Boulogne .

3 -- A Boulogne et Saint-Omer.

Curieux interrogatoire du curé de Bourthes, François Boutillier.


Le Bon épure Boulogne. - Odent, Patté et Codron . - Les abjura-
tions. La confiscation des richesses des églises . Notre- Dame
de Boulogne. - Abjuration du vicaire Bucaille de Fréthun .
Mariage de Bernet, vicaire d'Ecottes . Abjurations à Saint-Omer.
- Lettre de Coffin. - Le Bon à Béthune. Richebourg et Aix.
-Le Bon finit l'année 1793 à Saint- Pol .

Il y arriva le 26 novembre , entra directement dans


la salle où délibérait le District, déposa ses pouvoirs
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 73

et, après une longue harangue , demanda une séance


de nuit et ordonna d'arrêter le curé de Bourthes , Bou-
tillier , son maire , Jean Boutoille , et son greffier
Dubois .
Ceux-ci , amenés dans la nuit, comparurent le
27 novembre , en séance secrète , devant Baret, Hache ,
Sainte - Beuve , Courtois , Le Duc et Dutertre . Jean
Boutoille , maire de Bourthes , et son greffier , Joseph-
Henri Dubois déclarèrent d'abord que le curé Fran-
çois Boutillier avait encore dit ses deux messes le
dimanche 4 novembre 1793. « Il avait même lu dans
un livre une instruction qui , dit le maire, n'a pas paru
faire grande impression . »
Il y avait environ 150 personnes . Le livre était :
Prônes réduits en pratique pour les dimanches et
fêtes principales , avec des sermons choisis , par
M. Billot.
Mais ce premier interrogatoire , conduit par le vice-
président Baret, n'était qu'un avant-propos . Le 29 no-
vembre , François Boutillier fut amené devant Joseph
Le Bon en personne . Le pauvre curé commence par
s'excuser. Il n'a pas remis , il est vrai , ses lettres de
prêtrise ; mais il n'a pas voulu fanatiser ses anciens
paroissiens en leur prônant la nécessité d'une religion
ou plutôt d'un ramas de superstitions qui croule de
toutes parts . Il a bien lu le passage incriminé , de la
page 13 à la page 22 , mais en passant ce qui avait
trait à la soumission due aux rois. Le Bon , alors , se
posant en esprit fort , interrogea le curé qui répondit
fermement sur l'Eglise , son divin instituteur , la révé-
lation et les miracles . Les objections continuent sur le
culte des images , le respect de la loi de Dieu , l'enfer
comme sanction, les commandements de Dieu , les
prêtres comme apôtres , etc. Voici un extrait de ce long
et fastidieux interrogatoire . C'est Baret qui tient la
plume :
<< Interrogé quel châtiment il prétend que nous
74 LA TERREUR

avons à craindre de Celui qui est la source de toute


bonté , a répondu : que l'Evangile lui disait que c'est le
feu éternel .
<< Interrogé si lui , prêtre , aurait la barbarie de faire
souffrir un homme éternellement , a répondu : non .
<< Interrogé comment penser qu'un être meilleur
que lui , prêtre , agisse avec plus de barbarie , a répondu :
que Dieu étant un être infiniment juste , il est juste
que celui qui l'attaque soit puni d'une peine infinie .
<< Interrogé s'il croit qu'un homme puisse faire du
mal à Dieu , a répondu en lui désobéissant .
<< Interrogé si l'homme peut désobéir à Dieu , a
répondu oui , parce que nous avons une volonté.
« Interrogé si Dieu avait commandé quelque chose
à l'homme , a répondu : les dix commandements de Dieu .
<< Interrogé comment une personne qui ne sait ni lire
ni écrire pouvait connaître ces dix commandements de
Dieu et savoir qu'ils venaient de Dieu , a répondu qu'il
pouvait le savoir , parce que l'Eglise nous l'enseigne.
<< Interrogé de qui un bon citoyen de campagne pou-
vait tenir certainement ces commandements , puisque
l'Eglise entière n'était pas dans le village , a répondu
que c'était de son curé et de son évêque .
« Interrogé si le curé ne pouvait en aucun cas trom-
per ses paroissiens , a répondu qu'il était possible
qu'un curé pouvait tromper ses paroissiens .
<< Interrogé quel moyen il restait alors aux parois-
siens pour discerner la vérité du mensonge , a répondu
que l'interrogatoire le poussait trop loin .
<< Interrogé si l'on ne peut pas adorer l'Éternel sans
toutes les grimaces que les prêtres ont enseignées jus-
qu'à ce jour, a répondu qu'il ne croyait pas que cela
fût nécessaire .
<< Interrogé comment il a pu dire que Dieu approu-
verait le mensonge , si Dieu accorderait à l'homme la fa-
culté de se conduire par ses lumières , a demandé grâce .
« Interrogé comment il a pu faire entendre que les
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 75

plaisirs des sens n'étaient pas des inclinations natu-


relles , a répondu ne pas parler de çà .
<< Interrogé pourquoi il a laissé entendre qu'un
homme fût l'égal d'un autre , a répondu qu'il ne faut
pas pousser les choses si loin .
« Interrogé s'il persiste dans toutes les sottises qu'il
a enseignées jusqu'à ce jour , a répondu qu'il mourrait
s'il le fallait pour la religion et qu'il cesserait de prê-
cher sa morale si le civil le lui défendait . »
Alors Le Bon, prenant lui - même la plume , conclut :
« Au nom de la République , en conséquence des dis-
positions et interrogatoire ci -dessus , J. Le Bon, repré-
sentant du peuple dans le département du Pas- de-
Calais , arrête que le nommé François Boutillier , curé
de Bourthes , sera traduit en arrestation comme sus-
pect dans la commune d'Arras où il restera jusqu'à la
paix . ― Boulogne , 28 novembre 1793. »
Il lui accorda , un jour après , de rester dans les pri-
sons de Boulogne sur une humble demande qui pro-
mettait de la reconnaissance .
Continuons à suivre ici le conventionnel pas à pas ,
car , placé sur un théâtre qu'il croit digne de lui , il s'y
révéla tout à fait , dans son activité inquiète , son abso-
lutisme tyrannique , sa fatuité et sa haine antireli-
gieuse . Nous reproduisons , comme d'habitude , en les
analysant, les comptes-rendus officiels du District et les
pièces à l'appui que nous avons trouvées aux Archives .
L'imprimeur Dolet et l'ancien procureur Blanquart
furent d'abord tirés de la maison d'arrêt pour compa-
raître devant Le Bon , en plein District . Pour avoir
cherché à nuire à la République , en donnant à la
femme de Fiennes des conseils pour cacher le testa-
ment de sa mère , ils sont renvoyés avec elle au tribu-
nal criminel d'Arras que Le Bon venait , par un arrêté
du 19 novembre , de rendre permanent et apte ‹ « à
juger révolutionnairement tous les délits contre la
chose publique , de quelque nature qu'ils fussent . »
76 LA TERREUR

Dans une lettre au Comité de salut public , du 26


novembre et datée de Boulogne , il appelait cela
« dépêcher au tribunal d'Arras deux ou trois gibiers
de guillotine toutes les vingt -quatre heures . >>
La journée du 28 novembre fut très remplie .
En effet, ce jour-là , Le Bon fait comparaître devant
lui l'ancien administrateur Falempin , Gressier , Ivart ,
Odent, curé de Sempy , et surtout Caudron , qui est
fanatique. Ce dernier seul est incarcéré . Le maire
d'Étaples , Hove , et sa femme , sont amenés également
et maintenus en arrestation .
Comme le besoin d'organiser le tribunal du District
est urgent, Varnier, commis au Comité de sûreté gé-
nérale de la Convention , Charles Barret , de Samer , et
Morillon, de Boulogne , sont nommés juges de ce tri-
bunal. Le Bon complète également le District avec
Sta, Dhoyer et Chaumel.
Le même jour Joseph Le Bon , « considérant que
lorsqu'il s'agissait de remplir encore des fonctions
connues jadis sous le nom de fonctions ecclésiastiques ,
le nommé Baudelique , ex- curé de Danes , n'en a point
accepté ; considérant, d'après son propre aveu , qu'il
en a agi ainsi , non par philosophie , mais parce qu'il
avait son opinion ; considérant encore que le Comité
de surveillance de Boulogne a , dans ses Archives ,
divers renseignements sur le fanatisme dudit Baude-
licque , arrête qu'il sera détenu jusqu'à la paix . »
En effet le Comité de surveillance de Boulogne ,
présidé par Quignon l'aîné , avec les deux Guche ,
Wallet et Sauvage , affirme que ledit Baudelicque a
fait serment avec quelque glauze (sic), n'a jamais cor-
respondu avec Porion , ne lisait point ses lettres pasto-
rales et mandements , tenait là sous cape quelques
cagotes de Boulogne , qui n'allaient pas aux messes
des constitutionnels et entendaient bien la sienne ; il a
véritablement fait quelque restriction à son serment :
il ne fréquentait pas les prêtres constitutionnels ; les
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 77

cagots l'estiment parce qu'il n'a pas pris la place d'un


autre.
Le 28 novembre , à Boulogne , toujours, J. Le Bon
fait comparaître devant lui Jean- François Yvart , auber-
giste et marchand de vin , qui paraissait en relation
avec Patté, curé de Sempy , pour qui il échangeait des
assignats contre de l'argent , ainsi qu'avec l'abbé Odent
et l'abbé Codron.
Le même jour , Louis-Marie Odent, qui était à la
maison d'arrêt de Boulogne , comparaît à son tour de-
vant Le Bon ; quoiqu'il n'exerçât aucune fonction
ecclésiastique depuis longtemps avant la Révolution
et qu'il eût juré , il avait encore des relations avec
Patté , et s'était efforcé de lui ménager des protecteurs .
Mais devant Le Bon il se déjuge , il se condamne , il
s'efforce de justifier le District qui lui avait paru favo-
rable .
Le même jour, Le Bon interroge sur le même sujet
Pierre-Alexandre Legressier , âgé de 34 ans , institu-
teur public à Boulogne , qui se vante d'avoir dénoncé
Patté , et J.-B. Codron , 29 ans , vicaire à Etaples , curé
jureur de Rimboval, qui se justifie aussi d'avoir eu
quelques ménagements pour Patté à qui il a refusé
de succéder, quoique nommé ( 1 ) .
Falempin , notaire , est également interrogé et blâmé
d'avoir ménagé Patté , comme le district de Boulogne
tout entier d'avoir avisé en faveur des prêtres réfrac-
taires .
Vient ensuite un arrêté qui donne pleins pouvoirs
au Comité de Boulogne . « Joseph Le Bon , considé-
rant que la plupart des Comités de surveillance des
campagnes sont composés ou de riches qui tracassent

(1) Au fait, la lettre de Codron , du 22 mai 91 , à M. Patté , est bonne


et respectueuse. Il s'y excuse du serment, vante sa formule et pro-
teste de rester digne de la bienveillance de son respectable pasteur, à
qui il souhaite d'être heureux.
78 LA TERREUR

les pauvres ou de pauvres qui tremblent devant les


riches ; et que , par conséquent, les arrestations sont
mal faites ou absolument négligées , arrête que le Co-
mité de surveillance de Boulogne est autorisé à arrê-
ter les hommes suspects dans toute l'étendue du dis-
trict . » Cet arrêté fut promulgué immédiatement.
Tous les curés du district de Boulogne n'eurent pas
l'énergie de Boutillier et il nous reste à donner la
longue et triste nomenclature de ceux que les menaces
de Le Bon déterminèrent à livrer leurs lettres d'ordi-
nation . Le 26 novembre en amena trois : Duclot , de
Quilen ; Declémy , de Rinquesen , et Verlingue , de
Réty. On vit arriver , le 27 , Vaillant, de Camiers ; Tueux ,
de Frencq ; Margollé , de Widehen ; Wavran , d'Éta-
ples ; Duverger , de Bezinghem et Adam , de Bécourt .
Ce dernier crut devoir en même temps se déclarer
républicain et même violent montagnard . Plusieurs
autres méritèrent la mention civique . Le 28 , nouvelles
traditions de Télesphore Courtois , ci- devant carme ,
de Jacques Freussemar , curé de Longvilliers .
Le 29 novembre , le citoyen Morillon renonce à ses
fonctions ecclésiastiques et à cet assemblage mons-
trueux de superstitions et de sottises pour embrasser
la raison et la nature . Le citoyen Charles -Joseph Baret,
déclare qu'il croit que tous les dogmes de la prétendue
religion chrétienne sont faux , abusifs et supersti-
tieux , et ne reconnaît d'autre culte que celui de l'Etre
suprême . Le 2 décembre , abjuration de Jean - Pierre-
Charles Caffiers qui entre dans les bureaux du Dis-
trict.
Le même jour , le nommé Prudhomme écrit au Dis-
trict : « J'ai toujours abhorré les arlequinades de la
soi-disant prétraille , dont je n'ai fait partie qu'à l'épo-
.que où j'ai cru qu'il pouvait en résulter le bonheur de
ma patrie , aujourd'hui je les abjure comme autant de
jongleries aussi méprisables qu'absurdes , c'est à l'uni-
vers entier que s'adresse ma voix : puisse-t-elle à l'ins-
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 79

tant même n'avoir pour patronne que celle des fran-


çais libres . »
Il fut récompensé de ces blasphèmes en recevant
des membres du District l'accolade fraternelle .
L'ancien aumônier des prisons , Cléry , fit parade
d'une certaine érudition . « Considérant, dit- il , après un
philosophe platonicien , Clément d'Alexandrie , que le
sacerdoce est commun à tous les citoyens , parce que
tous ont un droit égal à offrir leurs actions de grâces à
l'Etre suprême ; considérant en outre que le prêtre
par excellence est le républicain vertueux , j'abdique
mes fonctions . >>
Le Gressier, ex-ministre du culte à Boulogne , lut
au District une déclaration moins agressive mais aussi
catégorique : « Citoyens , je viens aujourd'hui vous
déclarer que j'abdique pour toujours les fonctions mi-
nistérielles du culte catholique , apostolique et romain
et que je n'admets , après le culte de l'Etre suprême ,
que celui de la raison , de la justice et de la vérité . »
On entendit encore : Noulart, curé de Wierre - Effroy ;
François-Marie Lemaire , curé de Carly ; Tauchon ,
vicaire de Saint- Etienne ; Pierre- François Deudin ,
curé de Longfossé ; Frodeval , curé de Preures ; Nico-
las Morel , curé d'Outreau ; Antoine - Joseph Botte , curé
de Cormont ; François - Marie Lemaire , curé de Tingry ;
Jacques Ducrocq, curé d'Ambleuteuse et Jean- Bap-1
tiste Sombret , ex-minime de Boulogne .
Le citoyen Cailliette , chargé par le District de réunir ,
de peser et d'emballer tous les objets précieux d'or et
d'argent provenant des églises , présentait une pre-
mière caisse de 546 marcs , le 4 décembre , et une autre
de 410 le 5 ; Merlin , curé d'Audresselles , qui n'avait
pas voulu livrer ses vases sacrés, était incarcéré le
même jour ainsi que sa servante .
Il paraît toutefois qu'on mit quelque retard dans
l'expédition de ces valeurs , car nous trouvons , dans les
registres du District, à la date du 26 décembre , la
80 LA TERREUR

mention suivante qu'il faut reproduire encore , en de-


mandant pardon à Dieu des blasphèmes qui s'y trou-
vent.
« Le 26 décembre 1793 , l'administration , jugeant
qu'il était urgent de faire partir les caisses qui contien-
nent l'argenterie des ci -devant églises , ayant fait ap-
peler les citoyens Cailliette , Coquerel et Guislain ,
orfèvre , menuisier et serrurier , pour procéder à la fer-
meture desdites caisses , fit ouvrir celle n° 3 , pour y
renfermer les divers effets qu'elle a reçus jusqu'à ce
jour , plus un paquet de lettres de bétises qui restent
de toutes celles qui ont été apportées jusqu'à ce jour
et qui ont été brûlées en différentes occasions dans les
sociétés populaires , plus le fils unique de la vierge mi-
raculeuse sortie jadis du ciseau de M. Saint- Luc , mé-
decin ou sculpteur , venue par mer en trois bateaux ,
sous le grand Dagobert et sous la protection de la-
quelle l'honnête Louis XI mit autrefois tout ce qu'il
appelait son royaume . » Les facétieux administrateurs
se promettent ensuite de brûler cette statue publique-
ment, « espérant , disent-ils , avoir plus d'adresse que
les Anglais qui l'avaient essayé inutilement. »
Le tribunal de Boulogne achevait en même temps.
de se compléter par l'adjonction de l'ancien oratorien
Cattaërt comme juge et Roultier , Vigneron et Gros-
fils comme suppléants.
C'est encore Le Bon qui faisait ces deux dernières
nominations ; mais il avait quitté Boulogne depuis
longtemps après avoir séjourné à Calais , il était à
Saint-Omer le 13 décembre où il les signa .
L'affaire des poignards , celle des cinquante mille
lettres et une nouvelle caisse qu'on avait découverte ,
plus importante encore que la première , devaient à
elles seules ramener Le Bon à Calais . Il y vint en sor-
tant de Boulogne , au commencement de décembre .
Ses amis du District, le vice - président Michaud , le
procureur Podevin , Hamy , Dereuder , Campion , Pa-
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 81

rent-Réal durent recevoir ses félicitations , car ils


avaient fait exécuter sur le champ son arrêté contre
les jeunes prêtres . Le vicaire d'Ardres , Lemaire, et
Pénin , vicaire de Bois- en - Ardres , étaient même venus
chercher leur feuille de route et avaient été félicités
pour leur empressement à rejoindre leur bataillon .
Le citoyen Bucaille , vicaire de l'église succursale
de Fréthun , mérita aussi des éloges pour avoir écrit
aux administrateurs la lettre suivante :
« Citoyens administrateurs : La volonté générale de
la nation , qui fut et sera toujours la règle de ma con-
duite, me paraissant changée à l'égard du culte catho-
lique , je ne crois pas devoir attendre qu'elle soit
promulguée par les organes qu'elle s'est choisis pour
prendre le seul parti qui convienne à un citoyen pas-
sionné pour la liberté et l'égalité , à un républicain
fier qui sent sa dignité . Je vous déclare donc que je
suis absolument déterminé à cesser d'exercer très
incessamment et le plus tôt possible les fonctions reli-
gieuses dont la loi m'avait chargé en conséquence ,
je vous remets et je dépose entre vos mains tous les
titres légaux dont l'ensemble m'autorisait à agir
comme ministre avoué par la loi du culte catholique .
Leur inventaire n'est pas long : c'est : 1 ° une lettre de
prêtrise ; 2° l'acte de collation en ma faveur de la
ci-devant cure de Fréthun ; 3° l'acte de ma prise de
possession de ladite cure ; 4° une lettre de vicariat de
l'église succursale de Fréthun .
« Je joins , à ces papiers surannés , trois chemises et la
somme de vingt livres représentative de deux paires
de souliers et de deux paires de bas que je n'ai pu me
procurer d'après la réquisition faite touchant ces ob-
jets . Ces dons sont destinés à améliorer le sort des
généreux défenseurs de la patrie . Veuillez , citoyens
administrateurs , faire une légère mention de ma con-
duite actuelle sur le procès verbal de vos séances :
vous me feriez plaisir de m'envoyer l'extrait de cette
mention. » — On le satisfit. 6
82 LA TERREUR

Un autre prêtre , le vicaire d'Ecottes , Bernet , décla-


rait cyniquement , le 4 décembre , « qu'il s'est déprêtrisé
depuis longtemps et très gaiement , puisque ce fut le
jour de son mariage . Un prêtre catholique se marier à
une protestante , c'est ce qui s'appelle se déprêtriser
comme il faut . Il professe ensuite « qu'il n'a plus
d'autre autel que celui de la bonne nature . »
Malgré la satisfaction que devaient lui donner les
autorités de Calais , Le Bon , pour faire montre de ses
pouvoirs illimités , les renouvela les unes après les
autres , sauf à y maintenir à peu près les mêmes
hommes .

Au District, Bénard- Lagrave fut nommé président


et Parent- Réal substitut du procureur- syndic ; Gas-
pard Pigault devint procureur de la commune . Car-
pentier, Aubert , Vaillant, Guislain - Chartier et Dumo-
lin s'assirent au tribunal comme juges , et Bigourd
reçut le titre de commissaire national .
En même temps qu'il opérait ces mouvements de
personnel destinés sans doute à stimuler le zèle géné-
ral , Le Bon datait de Calais des lettres importantes au
Comité de Salut public et au District d'Arras , pour
vanter ses services , dévoiler ses projets révolution-
naires et discuter ses plans de réforme .
On ne peut nier qu'il déployât une activité peu
commune, employant, comme il le disait , ses jours et
ses nuits à «< mettre le Département au pas » et refu-
sant de poser le pied dans le Nord , où il avait les
mêmes pouvoirs , sous prétexte que trop embrasser
c'est mal étreindre .
Le fait est qu'il étreignait nos populations sous un
tel joug et dans un tel réseau que le sang avait déjà
jailli plusieurs fois et devait jaillir à flots .
« Une douzaine de têtes sont déjà tombées sous le
tranchant de la guillotine permanente , écrivait- il de
Calais , je ne laisse pas chômer les juges : je leur taille
une besogne toujours renaissante . »
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 83
"ai madma
Arrivant avec ces dispositions dans une ville sus-
pecte , comme Saint- Omer n'avait cessé de l'être depuis
le commencement de la Révolution , Le Bon ne devait
rien perdre de son énergie : au contraire.
Quand ilse fut installé démocratiquement à l'auberge
de la petite Sainte- Catherine, il requit du District un
état de tous ses employés, fit mettre un administrateurT
en arrestation et réunit au , son de la caisse tous les
* །༈ ཨྰཿ
citoyens dans • la vaste église des Jésuites . Le grand
discours qu'il prononça dans cette circonstance fut
suivi d'un certain nombre d'arrestations , notamment
de celle du charpentier Crochet qui s'était permis
« divers propos tendant à avilir la représentation
nationale.
B. Ansart, qui avait rejoint Le Bon à Saint- Omer ,
fit même comparaître devant lui le chirurgien Bancel ,
l'orateur de la Société populaire . Mais le représentant
le laissa en liberté , « attendu , dit- il , que mille présomp-
tions s'élèvent en sa faveur. » Il se contenta donc de lui
itan
faire une leçon sur la nécessité de ne pas avilir la
représentation nationale.
C'est le 20 décembre seulement que fut réorganisé
le Conseil
ཁ་ général de la commune qui n'était pas à la
hauteur des principes révolutionnaires. Delattre , fut
nommé maire . Boudry, procureur , et Defrance , subs-
titut.
Ces préoccupations
4. intérieures ne l'empêchaient pas ,
de Saint-Omer encore , d'étendre son regard au loin .
Le 12 décembre , il allait même jusqu'à dénoncer
la Convention, deux de ses collègues , Châles et Isoré ,
de modérantisme.
A Saint-Omer aussi , avant, pendant et après le sé-
jour de Le Bon, les renonciations
༈་་ des prêtres consti-
tutionnels à leurs fonctions ne manquèrent pas de se
multiplier.
Ce sont, le 27 novembre, Caudron , curé d'Heurin-
ghem, et Thomas-Albert Delobel ; le 1er décembre ,
84 LA TERREUR

Clément, curé de Raquinghem ; Pierre-François Blon-


del, curé de Cléty ; Pierre- François Delvarre , curé de
Blandecques ; P.-J. Bertin , curé de Mametz , et Honoré-
Liévin d'Houdetot , vicaire d'Erny- Saint- Julien ; le
4 décembre , Louis - Stanislas Pagniez , ex- curé de
Moulle ; Jean- François Varlet , ex- curé d'Eperlecques ;
Fardel , vicaire d'Ouve - Wirquin ; Jacques -Joseph Mar-
tel , curé d'Inghem ; le 6 décembre , Nicolas - Polycarpe
Pinguet , Charles Crapet ; le 7, Pierre - Louis - Guilbert
Delattre , curé de Nordausque ; Jacques -Fr. - Joseph
Beauvois , vicaire de Recques ; Pierre - François -Joseph
Wallet, curé d'Acquin ; le 8 , Jean- François Cousin ,
vicaire d'Alquines , et Jean- Charles -Augustin Molleux ;
le 24 , Jean- Charles Hochart , curé d'Audrehen .
Ces abjurations multipliées permettaient à l'agent
national Coffin d'écrire au Comité de Salut public , le
29 décembre 1793 , la lettre suivante : « Concitoyens ,
la plupart des ministres du culte catholique , que ren-
ferme ce district , ont fait amende honorable à la rai-
son en renonçant à toutes les fonctions ecclésiastiques ,
en livrant aux autorités constituées leurs brevets de
fanatisme , en déclarant même à l'instar de Porion , leur
ci-devant évêque , qu'ils ne voulaient d'autre caractère
que celui de vrai républicain , que le jour était venu
où l'on devait briser le talisman fatal qui s'était opposé
au progrès rapide de la philosophie .
« Quelques- uns d'entre eux , quoique sans emploi ,
n'ont pas craint de renoncer à l'état abject du célibat
pour donner à leurs confrères l'exemple des vertus
républicaines . Ceux-ci , bien loin de les imiter , en-
traînés par un intérêt sordide ou par un fanatisme
féroce , officient encore publiquement , choisissent pour
asile les villages les plus fanatisés , y portent une divi-
sion funeste à la chose publique et ces êtres , à la solde
du crime , ont tellement soulevé les esprits que , dans
quelques campagnes , on se propose déjà de faire sala-
rier le prêtre par ceux mêmes qui n'ont plus de con-
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 85

fiance dans le sacerdoce . Ils n'en demeureront point


là ; on distinguera sous peu le parti du curé , le parti
contraire , et ces deux partis divisés n'en laisseront
point un troisième pour la République . A la voix du
prêtre les contributions seront refusées , la force armée
y sera envoyée , et l'on verra bientôt les Français ,
habitants des villes , réduits à plonger un fer homicide
dans le sein de leurs frères des campagnes . Il y a plus ,
le prêtre récalcitrant ne se borne point à endoctriner
ses paroissiens , il séduit encore tous les villageois des
environs qui se rassemblent dans les lieux qu il habite :
il allume ainsi les flambeaux de la guerre civile , il se-
coue les brandons du fédéralisme .
« Je vous invite , citoyens , à m'autoriser, par tous
les moyens qui seront à moi , à faire cesser ces abus
destructeurs avant qu'on ne puisse plus les annihiler
que par les remèdes les plus violents et souvent les
plus dangereux , je vous invite , en outre , à m'indiquer
ces moyens afin qu'une fois la Vendée détruite , on ne
fasse plus répandre le sang humain pour détruire des.
hordes de brigands qui n'eussent jamais existé si on
avait frappé les fauteurs de rassemblements . L'agent
national près le district de Saint- Omer . >>
Après avoir réorganisé le district , comme il avait
régénéré la municipalité , Le Bon continua sa marche
par Aire et Béthune , pour arriver , comme il l'écrit, à
Saint-Pol le 31 décembre et le 4 janvier à Arras .
A Béthune , Le Bon s'était fait précéder , comme
ailleurs , de plusieurs arrêtés dont il avait à presser
l'exécution . Le 18 novembre , il avait requis , d'Hesdin ,
le procureur du district de faire mettre sur le champ
en arrestation le curé de Carvin et ses trois vicaires ,
prévenus d'avoir cherché à empêcher le triomphe de
la raison et de la philosophie sur les sottises dites reli-
gieuses.
Un membre de l'administration , Demarquilly, par-
tit à Carvin avec des gendarmes pour cette exécu-
86 LA TERREUR
MOIR
tion et deux jours plus tard , sans doute pour en atté-
nuer la rigueur, deux des vicaires, Louis-Joseph Pot-
fau
tier et François Bocquet , apportaient au district leurs
lettres de prêtrise et renonçaient au métier de prêtre .
Le Bon , qu'on avait oublié sans doute d'informer de
ce résultat , écrivait de nouveau de Saint-Omer, le It
décembre , pour savoir si les arrestations avaient été
faites od al 197 .290iv 197 pirnd Ter

Non seulement celles -là mais plusieurs autres avaient


eu lieu , notamment celle du curé de Beuvry, Auguste
Caron , qui s'était hâté également d'abjurer la prêtrise
et le culte catholique . Les administrateurs Beugniez ,
Gouliart et Clément se hátèrent , du reste , de lui
rendre le témoignage le plus flatteur , et , tout en le
gardant en arrestation , ils annoncent au Département
qu'ils ont affaire à un ami'de la nature et à un lecteur
[1.4 X
de Volnay.
23Quelques jours plus tôt , le 21 novembre , le maire
d'Annay et le citoyen Gobled , prêtre démissionnaire ,
étaient venus prononcer un discours du patriotisme le
plus pur et avaient déposé sur le bureau du président
les dépouilles du fanatisme , à savoir : un ciboire , un
rance et
calice , une remontrance et la b
boîte aux saintes huiles .
Après avoir obtenu une mention civique ils s'en retour-
nèrent aà Annay où le curé Gobled se fixa à titre d'ins-
tituteur. {y! ¢ € f ¥ Y {{

On vit encore , le 13 décembre , le curé de Locon ,


Lefebvre , renoncer à la prêtrise et remettre ses lettres
de prêtrise .
Le 14 , c'était le village de Richebourg qui attirait
l'attention du District. La Societe populaire y avait été
"
troublée par son président Dubois et l'ex -vicaire
Carré. Ce Dubois , après avoir été l'ami' des prêtres ,
leur aurait tourné le dos . Alors les femmes du village
l'auraient insulté , traîné par les cheveux , aveuglé de
cendres pendant qu'il parlait bas à Carré au moment
eda au
où celui-ci livrait ses lettres de prêtrise . so
nab 09.
SECONDE MISSION DE JOSEPH LE BON 87

C'est dans ces circonstances que Le Bon arriva subi-


tement à Béthune, sans s'être arrêté à Aire comme il
l'avait annoncé . Sa première observation fut un re-
proche au District de l'avoir laissé entrer sans même
lui demander son nom. Il se mit ensuite à épurer suc-
cessivement la Société populaire , le district, la muni-
cipalité , les principaux agents du pouvoir. Leroulx
demeura président du Directoire ; Delerue fut nommé
agent national ou procureur syndic , et Beugniez , secré-
taire .
Depuis le 31 décembre 1793 , Le
༈ སྦ ༔ Bon
ཇ་་ ༧ཞི་ et son collègue
Duquesnoy avaient fixé à 2,400 livres par an le trai-
tement des agents généraux et à 1,800 livres celui des
secrétaires .
Le curé d'Aix-en-Gohelle, prévenu de tentatives
fanatiques dans sa famille , fut le seul arrêté pendant
le séjour de Le Bon à Béthune . Un autre prêtre ,
Amand-Joseph Dilly , livra ses lettres de prêtrise le
31 décembre pour voler à la frontière.
Au milieu de ses occupations , Le Bon n'oubliait pas
ses amis , qui le poursuivaient parfois de leurs sollicita-
tions . C'est à Béthune qu'il reçut la singulière requête
qui suit :
<< François Legay , ci-devant administrateur du con-
seil du département du Pas -de - Calais , au citoyen Le
Bon, représentant du peuple , salut.
« Tu seras sûrement surpris que je te mande que
l'administration du département vient de me refuser
le payement de dix-neufjours a raisons de quatre livre
qui m'est due pour avoir resté à mon poste jusqua
l'afain nous avons hier diner tous ensemble pour
nous dire a dieu où j'ai payer mes 15 livres , comme les
autres et nous nous somme quitte en vrais republi-
quins tu vois que j'ai tenu jusqua l'afain , je suit pret
a partir mais encore faut-il payer mon auberges . Si
j'etait plus riche je ne parlerait pas de cette misere . Je
suis ton desolé frère. A. Legay. >>
88 LA TERREUR

Le Bon répondit sur le champ : « Je renvoye au


département la lettre du désolé Legay , et j'invite l'ad-
ministration à ne pas le laisser se désoler pour si peu .
A Béthune , ce 5 nivôse l'an 2 de la République une
et indivisible . Le représentant du peuple : Joseph
Le Bon. »
Le Bon termina l'année 1793 à Saint- Pol où sa
femme et sa fille étaient allées l'attendre . Il ne parait
pas cependant que le conventionnel ait joui du repos
qu'il avait gagné dans sa course laborieuse . Arras , où
le représentant Laurent s'était permis de blâmer sa
rigueur et de mettre en liberté plusieurs de ses vic-
times , le rappelait pour continuer ses exécutions et le
Comité de Salut public s'apprêtait à lui envoyer , de
Paris , un nouveau témoignage de sa confiance .
CHAPITRE TROISIÈME

LE BON A ARRAS

Les agents de Le Bon. - Leur programme tracé par le maître . -


Arrestations. - - Procès et exécution du chanoine Jean d'Advisard.

Pendant son voyage à travers le département,


Le Bon n'avait cessé d'avoir les yeux sur Arras
et de rester en communication avec les agents
qu'il y avait laissés , à tous les degrés de l'adminis-
tration. La Société républicaine et le Comité de sur-
veillance furent surtout honorés de sa confiance . Ce
dernier, dont nous avons donné le mandat , avait été
réduit à 24 membres à partir du 16 novembre , tous
tirés de la classe inférieure , et d'une soumission à
toute épreuve . Ces tailleurs , ces marchands , ces épi-
ciers , ces chantres et ces dégraisseurs , investis par
Le Bon de pouvoirs étendus au district entier , se don-
nèrent par acclamation Demuliez pour président , et
Le Bon lui-même leur traça de Saint-Pol une ligne de
conduite. C'était « de frapper les aristocrates impitoya-
blement , de ne point négliger d'avoir les yeux ouverts
sur les modérés , » de surveiller enfin d'une manière
toute particulière « les prêtres , ces ministres du men-
songe, notamment ceux répandus dans les campagnes ,
qui , vu le coup de mort porté au fanatisme et à leurs
mômeries et vu aussi leur esprit remuant et fanatique,
ne pourront s'empêcher de secouer les torches du hi-
deux fanatisme et de la discorde . » Par un règlement
90 LA TERREUR

du 21 novembre , ce comité , "« pénétré de ses fonctions » ,


se donna un règlement qui déterminait que son service
ne serait interrompu ni jour ni nuit , qu'il aurait deux
séances générales par jour , qu'il visiterait tous les
matins la maison où étaient détenus les suspects . Cinq
commissions prises dans son sein se partagèrent la
surveillance des lettres , les dénonciations , la corres-
pondance , les rapports et la tranquillité publique . Un
instant ils avaient songé à se donner des insignes , un
œil et un coq, ils se contentèrent de se voter plus pra-
tiquement une indemnité de cinq livres par jour .
Nous n'avons pas à suivre ce nouveau tribunal de
l'Inquisition dans le détail de ses multiples opérations ;
nous avons à constater surtout que dans le domaine
religieux il se montra digne de son patron . Ses premières
victimes furent le curé de Fampoux « qui s'ingérait de
solliciter l'ouverture
71 de son église » ; le vicaire de Sou-
chez qui prêchait le fanatisme à Saint-Nazaire , et le
curé de Saint-Eloi qui cherchait à fanatiser les habi-
tants de sa commune par des singeries anti - républi-
caines.

Mais ce n'étaient là que des victimes de bas - étage ,


de simples curés constitutionnels , que le Comité de
surveillance avait à offrir à Joseph Le Bon ; le tribunal
révolutionnaire se présentait avec un meilleur titre à
sa faveur la tête d'un membre du haut clergé.
M. Jean d'Advisard était originaire d'Arras , mais ,
après son entrée dans les ordres , il était allé rejoindre à
Tours l'archevêqu
If e François de Conzié qui l'avait fait
chanoine et vicaire général . La Révolution le chassa
de la Touraine au commencement de 1793 et c'est vers
sa ville natale qu'il se dirigea . M. Foacier de Ruzé lui
donnait l'hospitalité depuis quelques jours seulement ,
lorsque l'horloger Gilles, du Comité de surveillance, le
fit mettre en arrestation . C'était le 25 mars .
t
Depuis cette date jusqu'au 12 décembre, jour de son
exécution, le malheureux chanoine fut poursuivi avec
LE BON A ARRAS 91
SHAS A.I
une haine et une mauvaise foi qui ne lui permirent
fromage geliustifier . Le 4' avril , le Département
jamais de
d'Indre-et-Loire le condamna à la déportation . Il pro-
testa qu'il n'était point justiciable de ce tribunal et s'a-
dressa, le 23 avril , à Joseph Le Bon , alors administra-
feur du département du Pas- de-Calais , en le conjurant
d'avoir pitié du plus infortuné des hommes . » Celui-
ci , au lieu de le sauver , s'empressa de le perdre . En
comparant l'écriture de sa lettre avec celle de plusieurs
autres adressées de Bruxelles et d'Aix-la-Chapelle à
deux habitants d'Arras , MM . de Ruzé et Lallart de
Lebucquière, ille fit accuser d'émigration . Le chanoine
eut beau protester qu'il n'avait jamais mis le pied à
Aix-la- Chapelle ni habité Bruxelles depuis dix ans , les
experts maintinrent leur dire et il fut déclaré émigré .
En vain offrit-il de faire la preuve de sa résidence en
France , la Convention lui refusa de se transporter à
Douai , à Tours et en Vendée , où il eût pu obtenir des
certificats et demanda , sous huitaine , l'exécution de la
loi contre « cet émigré. » Il fut donc un
une fois encore ,
renvoyé devant le Département du Pas- de - Calais .
Ce n'est pourtant que le 11 décembre que les débats
RANDO,. Voici comment le rappor-
son procès
s'ouvrirent sur 40
teur débute dans cette cause : « Des talents dirigés
par l'astuce et l'intrigue n'ont que trop longtemps
D
sus-
pendu le glaive de la loi sur la tête d'un grand scélé-
rat, d'un de ces monstres qui ne sortent de leur patrie
que pour y rentrer le fer et la flamme à la main : il
faut aujourd'hui que la nation soit vengée . » Sa de-
mande d'être transféré à Tours pour justifier sa rési-
dence fut même tournée contre lui : « c'est parce que
ེ་ཆས། th 11112
dans le trajet il espère , dit- on , échaper aux gardes
qu'on lui aura donné , ou bien , qu'étant près des re-
belles de la Vendée , il pourrait tomber entre leurs
mains et grossir le nombre des brigands effrénés qui
ont déchirés le sein de la patrie. »
Le Département , que ces arguments suffisaient à
Cheol ab om
92 LA TERREUR

convaincre , déclara constant le fait de son émigration


et le renvoya au tribunal criminel .
Celui-ci le fit comparaître incontinent. Son indentité
constatée par le nommé Joseph Eloi , ci-devant chantre
à Arras , M. d'Advisard prit la parole pour se défendre
et soutint qu'en tout état de cause il devait être dé-
porté et non mis à mort. Le tribunal où siégeaient
Beugniet, Richard , Marteau et Caron le condamna
comme émigré rentré et ordonna son exécution à Arras
dans les vingt- quatre heures .
Trois mois plus tard , un membre du Département
fit à Le Bon l'honneur de rappeler que c'est lui qui
avait découvert et dénoncé l'émigration du chanoine
d'Advisard , et lui fit attribuer le prix du sang versé ,
que le conventionnel abandonna à une femme infirme
de Saint-Pol (1) .

1. - Nouveaux pouvoirs et agents nouveaux

Nouvelle investiture accordée à Joseph Le Bon. - Effrayante étendue


de ses pouvoirs. - Ses instructions. - Il épure les autorités.
Arrêté du District d'Arras . -8 Nouveaux noms de communes.
Fête de la Raison à Berneville . - Dénonciations contre les curés
du canton de Pas. - Disparition des calvaires. Défense de son-
ner l'Angelus, de porter l'eau bénite , etc.— Vaudeville sur l'inutilité
des prêtres . - Conversation de Grand Pierre et Magister.
Affaire de l'arpenteur Delestré . Mesures de rigueur contre les
prêtres détenus. - On leur enlève leurs serviteurs . ― Nouveau
réglement. Inscription que Le Bon met sur sa porte. -- Disette
à Arras. - Le salpêtre.

Comme on le voit, Joseph Le Bon pouvait rentrer à


Arras ; il était sûr d'y trouver des agents dignes de lui.
Il y revint muni de pouvoirs nouveaux .
Depuis le 4 décembre 1793 , tous les fonctionnaires
de la République étaient soumis à la direction absolue

(1) Paris, Histoire de Joseph Le Bon,


LE BON A ARRAS 93

du Comité de Salut public , et la police entre les mains


du Comité de Sûreté générale ; or on sait que c'est
dans ces deux comités que Le Bon comptait ses pro-
tecteurs les plus décidés .
Il reçut donc , le 27 décembre , une nouvelle inves-
titure de ses pouvoirs illimités , dans les départements
du Pas-de-Calais et du Nord , pour y établir le gou-
vernement révolutionnaire et y prendre les mesures de
salut public .
Deux jours plus tard , le 29 , il reçut de Collot- d'Her-
bois et de Billaud -Varennes de nouvelles instructions
pour imprimer à la Révolution « une marche indépen-
dante et rapide . »
Les autorités constituées devaient recourir à lui
pour les solutions à donner sur le gouvernement révo-
lutionnaire , les agents secondaires étaient à sa nomi-
nation, tous les administrateurs sous sa surveillance ,
sous le seul contrôle du Comité . C'était un mandat de
proconsul d'une effrayante étendue . Le Bon n'en fut
pas effrayé déjà même , sans mission précise , il s'était
mis à l'œuvre . Mais quand , le 13 janvier 1794 , il eut
reçu l'arrêté qui l'appelait à cette haute situation , <« il
reprit, comme il l'écrit sur-le-champ au Comité , une
nouvelle vie pour suffire à la nouvelle besogne dont il
était chargé. » Décidé à ne pas étourdir inutilement
ses inspirateurs de multiples détails , il les conjure
seulement de répondre par oui ou par non aux ques-
tions qu'il devra leur poser .
Le même jour , dans une brève et précise adresse à
ses administrés , Le Bon fit connaître ses nouvelles
fonctions et l'esprit avec lequel il entendait les rem-
plir. Tout entier à sa mission , il ne veut pas en être
distrait , ni par des questions relatives aux questions
militaires qui sont du ressort de ses collègues près de
l'armée du Nord , ni par des difficultés que les Dis-
tricts peuvent et veulent résoudre .
« Quant aux individus détenus comme suspects ,
1.H A
94 LA TERREUR
ulet shame ' ) th
ajoute-t-il , je ne déciderai rien sur leur sort sans con-
La fre
naître officiellement les motifs de leur arrestation . Les
J
Comités de surveillance ou autres autorités qui pré-
tendraient aujourd'hui avoir été autrefois induits , en
erreur sur le compte de tel ou tel particulier , devront
déclarer les auteurs ou la source de ces erreurs . »

61Huit jours avant cette prise de possession , Le Bon


avait entrepris d'épurer à nouveau les diverses autori-
tés qui devaient lui prêter leur concours .
Pour
1. cela, il ne manqua pas , comme tous les tyrans ,
de se donner pour instruments des hommes de bas
étage ou qui lui étaient antérieurement et personnel-
lement dévoués . Déjà, durant son séjour à Saint- Pol ,
le 4 janvier 1794 , après avoir pris en séance publique
des renseignements
3. sur le
110) compte des diverses { sauto-
” ¥ ri , ནོ རྩྭ
rités du District, il avait nommé Duez agent national,
Wallart, président de l'administration , Duflos , Guil-
PHA2
luy , Ricmaisnil , Gouble , Delombre et Danvin , mem-
bres du Directoire . Miennée était devenu maire de
Saint-Pol et le membre le plus influent du Comité de
surveillance .
Deux jours après , le 6 janvier, il épurait
༩ les fonc-
tionnaires de la commune d'Arras . Ce fut au local des
TUDE
séances de la Société populaire , publiquement, et avec
cet apparat que Le Bon recherchait volontiers , que 20/se
fit cette épuration . District, commune, tribunaux,
-2010
poste , agences diverses , Comité de surveillance , jus-,
tices de paix, toutes les branches de l'administration
furent passées en revue , et les noms de leurs titulaires
cités devant le dictateur . Goudemetz , originaire de
Saint- Pol , fut nommé président du District, avec Bil-
པཎཱ| :
lion , Prosper Leroy, Lefetz et Warnier pour direc- 5th
teurs . Boniface Ansart , l'ancien collègue de Le Bon au
9
collège de Beaune , fut nommé agent national , et
Vitasse , ex- curé de Neuville - la- Liberté, trouva sa
place dans le conseil des administr
administrateurs . Norman en
resta le secrétaire et Célestin Lefetz fut élu vice- prési-
1 ALI
LE BON A ARRAS 95
ཝཱ །
dent par acclamation . C'est lui qui , dans la répartition
des divers bureaux administratifs , eut la présidence de
celui où arrivaient toutes les questions relatives au
gouvernement
A révolutionnaire, à la Sûreté générale et
au Salut public.
" よう
Ferdinand Dubois , à qui la nouvelle loi supprimait
son emploi de président du Département , devint maire
d'Arras avec Duponchel , Renard , Vasseur, Hidoux ,
Rouvroy , Joseph Piéron , Effroy , Allart , Bras , Demory
et l'ex-curé Cavrois pour officiers municipaux . Daillet
fut nommé agent national de la commune, avec Len-
glet cadet pour substitut et Lefran pour greffier.
Dans les divers districts du Département , Le Bọn fit
les mêmes réformes et de nombreuses nominations .
I
Moins que tout autre , le district d'Arras avait besoin
de cette épuration le 2 janvier 1794 , il avait pris un
arrêté qui donne la mesure de l'ardeur avec laquelle
il poursuivait les derniers vestiges du fanatisme :
« Considérant , dit - il , que sous un regime
AL républi-
19
cain , établi sur les ruines du despotisme et de l'impos-
ture , toutes figures emblématiques et jusqu'aux mots
qui peuvent les rappeler doivent disparaître du sol
des hommes libres ; considérant que la superstition et35
la féodalité , mues par le même intérêt , avaient mar-
qué de leurs sceaux flétrissants les domaines que leur
cupidité avait envahis , que leurs sceptres de fer , bri-
sés par la constitution républicaine , avaient imprimé ,
jusque dans les idées , les traces honteuses de leur
tyrannie ; considérant qu'il faut à un cœur neuf des
expressions nouvelles et purifiées comme lui au flam-
beau de la raison et de la philosophie ; arrête que les
communes s'appelleront désormais : St-Nicolas , com-
mune de la Fraternité ; Sainte - Catherine , de l'Unité
St-Laurent, d'Immercourt ; St-Eloy, du Mont la Liberté
St-Aubin et Anzin , des Frères unis ; St-Sauveur, de la
Réunion ; Boiry Notre- Dame , de Boiry civique ; Neu-
ville-Vitasse, de Neuville- la - Liberté ; Neuville- St- Vaast,
96 LA TERREUR

de Neuville-l'Egalité ; St-Amand , de l'Union ; Bailleul-


sir-Berthoult , de Bailleul-l'Égalité ; Biache- St-Vaast,
de Biache -sous - Scarpe ; Hénin - Liétard , de l'Humanité ;
Gouy-en-Artois , de Gouy-la - Loi ; Tilloy-les -Mofflaines ,
de Tilloy-aux-Fosses ; Ablain - St- Nazaire , d'Ablain - la-
Montagne. >>>
Quelques jours plus tard , le 5 janvier , comme pour
faire sa cour directement à Joseph Le Bon, le même
District nommait son frère , Henri Le Bon , sous-direc-
teur de l'hôpital Saint-Jean , aux appointements de
3,000 livres . Le directeur était Dehée l'oncle , à la
place de l'ancien curé Herbet entré dans les subsis-
tances militaires .
On peut présumer que le District réorganisé ne s'ar-
rêta pas dans cette double voie de servilisme et de
persécution anti-religieuse .
Sous le nom de Comité de Sûreté générale , c'est lui
qui mena la campagne de persécution dont Le Bon
lui-même dut être satisfait . Nous n'avons ici qu'à citer,
en le résumant , le Registre des comptes-rendus de
ce trop célèbre Comité .
Imitant le zèle de la commune d'Arras à célébrer le
culte de la Raison , plusieurs communes du District
avaient mérité les éloges de l'administration en célé-
brant par une fête civique , l'abolition des préjugés .
Berneville s'était distinguée entre toutes par l'éclat
qu'elle avait donné à cette solennité . Voici le récit que
le citoyen Darsy, ex-curé et officier public , en adressa
au District et qui lui valut les félicitations de l'ex-
religieux Lefetz .
« On s'est assemblé dans la ci-devant église du lieu .
La citoyenne Monique Lucas , vêtue de blanc , ceinte
d'un large ruban tricolore , tenant un flambeau à la
main , représentait la Raison . Un vénérable vieillard ,
le citoyen Charles - Guislain Dorlet, était placé sous un
dais artificiel . Le citoyen Darsy, ex-curé et officier
public de Berneville , est monté à la tribune et a pro-
LE BON A ARRAS 97

noncé un discours civique analogue à la fête que l'as-


semblée a couvert d'applaudissements .
« Le citoyen Hanot , maire , a annoncé qu'il fallait se
rendre au pied de l'arbre de la liberté . Aussitôt , on a
commencé l'hymne des Marseillais . Le citoyen maire
portait la Constitution . Arrivé au pied de l'arbre de la
liberté , le vieillard prit un repas frugal . L'assemblée
fit éclater son allégresse : les cris de : Vive la Répu-
blique vive la Convention ! se firent entendre . On
forma des danses au bruit d'une canonnade cham-
pêtre .
<< De retour dans l'église , on y brûla les titres féo-
daux, des livres de chant et leur jargon latin . Un vent
trop grand avait empêché de faire l'auto - da-fé à l'arbre ·
de la liberté .
< Après avoir répété mille fois : Vive la République !
«
vive la Convention ! vive la Montagne ! l'assemblée se
retira .
« De tout quoi , nous , maire et officiers municipaux
de Berneville , avons dressé procès- verbal : Hanot ,
maire ; Mehay, Duplouy, Thibault, officiers munici-
paux ; Harcot , notable . >>
Mais toutes les communes ne manifestaient pas cet
enthousiasme de commande . Aussi furent-elle dénon-
cées . Le 10 janvier 1794 , un membre du Comité de
Sûreté générale dit qu'il était temps de prendre des
mesures contre les prêtres qui osent remuer et parler
fanatisme il se plaint du fanatisme des curés des
communes de Pas , Famechon , Gaudiempré , Gouves et
Humbercamps ; il accuse les quatre premiers d'être
prêtres et absolument prêtres , d'avoir affecté de don-
ner de la solennité au jour dit des Rois , de retenir les
peuples dans les liens du fanatisme ; il propose de faire
comparaître ces quatre individus pour répondre aux
plaintes portées contre eux ; il demande l'arrestation du
curé d'Humbercamps , qui , après avoir authentique-
ment renoncé au métier de prêtre , le 28 frimaire , et
7
98 LA TERREUR

avoir remis toutes les bucoliques qui le faisaient pré-


tre , s'est, tout à coup , après s'être déprêtrisé , reprê-
trisé .
L'assemblée , considérant que cet individu se moque
tout à la fois des lois et de ses concitoyens et ment à
la République , le met en état d'arrestation, lui et les
quatre autres , à la maison dite des Orphelines .
Le 21 janvier , le District constate que les arrêtés
du Département , des 1er mai et 18 juin 1793 , qui
ordonnent la translation dans les églises des calvaires ,
croix et autres signes du culte dominant , qui se trou-
vent dans les rues et sur les chemins , parce que ces
simulacres servent à alimenter le fanatisme dans les
campagnes , et qu'avec la liberté des cultes , il ne faut
aucun signe qui puisse rappeler l'idée d'un culte domi-
nant , ne sont pas exécutés . On propose et enjoint donc
aux officiers municipaux et aux maires de faire immé-
diatement disparaître les calvaires , croix et autres si-
gnes du culte jadis dominant, sous peine d'être décla-
rés suspects et d'être traités comme tels. On arrête
également que les officiers municipaux défendront de
sonner la cloche pour annoncer l'Angelus , invention
des prêtres et des charlatans , propre à fomenter et à
nourrir le fanatisme . On arrête encore que défense est
faite aux clercs laïques de porter l'eau que les sots
appelaient bénite , sous peine d'être déclarés suspects
et, comme tels , mis en état d'arrestation . On charge
enfin les agents nationaux , sous leur responsabilité , de
poursuivre l'exécution de cet arrêté et de dénoncer
les infractions et négligences qui seraient constatées .
Pour décadi prochain, tous ces signes et simulacres
devront être disparus et les municipalités devront
avoir certifié l'exécution de cet arrêté . Les commis-
saires du District feront disparaître tous ces signes
dans les endroits où les municipalités auraient négligé
de le faire et dénonceront celles qui sont en retard .
Cet arrêté fut imprimé, affiché et communiqué aux
LE BON A ARRAS 99

Comités de surveillance , avec invitation de dénoncer


sa non exécution .
Le 26 janvier, une lettre de Joseph Le Bon demande
au District de faire imprimer à 6,000 exemplaires un
Vaudeville républicain sur l'inutilité des prêtres , chanté
à la section des Tuileries , pour être envoyé à toutes
les municipalités du Nord et du Pas -de -Calais , affiché
et chanté le premier décadi après sa réception . On
l'imprimera à la hâte dans la journée .
Joseph Le Bon considérant que les couplets de ce
vaudeville , surtout le cinquième , sont très propres à
élever l'esprit public en détruisant la superstition ,
arrête que ledit vaudeville sera imprimé , distribué ,
affiché et chanté (1 ).

1. 4.
Va, va, mon père , je te jure, Viens, mon fils, viens aussi, ma fille,
Que par la mort des préjugés, Ne craignez plus qu'un précepteur,
Les sentiments de la nature, En se glissant dans ma famille,
Sont loin d'avoir été changés. Bis. Vous souffle un venin corrupteur. Bis.
Pour chérir l'auteur de mon être, Pour vous faire à tous deux connaître
Et voter son parfait bonheur, Les vrais principes de l'honneur,
Il me suffira de mon cœur, Il me suffira de mon cœur,
Je n'aurai pas besoin de prêtre. Bis. Je n'aurai plus besoin de prêtre. Bis.
2. 5.
Victime faible quoique sage, O vous que j'aime et que j'honore,
De religieuses erreurs , Des campagnes bons habitants,
O ma mère, sur ton visage, On voudrait vous tromper encore,
Pourquoi vois-je couler des pleurs? Bis . Mais attendez jusqu'au printemps. Bis.
La routine te fait peut -être, Quand vous verrez vos blés renaître ,
Regretter un sot confesseur, Quand vous verrez la vigne en fleur,
Verse tes chagrins dans mon cœur, Avec nous vous direz en choeur,
Un fils console mieux qu'un prêtre. Bis. Et tout çavient pourtant sans prêtre. bis.
*3. 6.
O mon épouse, ô ma compagne, Je suis homme et de mon semblable ,
Tu vois combien j'avais raison , Rien ne saurait m'être étranger,
Tu sentiras tout ce qu'on gagne , Dès que j'entends un misérable
A régler seule sa maison. Bis. Demander à boire à manger. Bis.
Etait-il un guide plus traître, Pour l'abreuver, pour le repaître,
Que ce qu'on nommait directeur ? Sans mettre à cela de valeur,
Il te suffira de mon cœur, Je ne consulte que mon cœur,
Nous n'aurons pas besoinde prêtre . Bis. Et je n'ai pas besoin de prêtre. Bis.
Bibliothèque des Fontaines
BP 205
60501 CHANTILLY Cedex
Tél . (16 ) 44 57.24.60
100 LA TERREUR

Ce n'était pas seulement par la chanson que l'on


cherchait à populariser les idées nouvelles et les nou-
velles coutumes introduites par la Révolution : le pam-
phlet populaire fournit son contingent.
Nous avons retrouvé une brochure curieuse qui fut
alors répandue dans les campagnes , intitulée : Une
conversation de deux citoyeus.
Désireux de populariser , lui aussi , les fêtes républi-
caines et le nouveau calendrier, d'expliquer la sup-
pression des dimanches et la disparition des calvaires
etc. , le président de l'administration du département
du Pas-de-Calais , Ferdinand Dubois , se fit publiciste .
Il imprima chez Leduc, à la fin de janvier 1794,
cette conversation entre deux citoyens de la campagne ,

7. 10.
Examinez ce fin lévite, Liberté pour sauver la terre,
Et ce gros docteur de la loi, Tu mis au jour l'égalité ;
Tous les deux comme ils parlent vite, De l'égalité, sans mystère,
Près d'un blessé qui crie : à moi ! Bis. Procède la fraternité. Bis.
Mais il survient un pauvre reître, O trinité de nos ancêtres,
Qui par son baume est son sauveur, Vaudrais-tu celle aux trois couleurs ?
Ceci veut dire qu'un bon cœur, Son culte est fait pour tous les cœurs,
N'est ni d'un riche, ni d'un prêtre. Bis. Les Français sont ses premiers prêtres.
[Bis
8. 41 .
Engeance adroite et fanatique, Alors qu'il me faudra descendre,
Qui viviez jadis de l'autel , Au champ de l'éternel repos,
Voulez - vous de la République, O mes amis, portez ma cendre
Obtenir un pa don formel ? Bis. Sous l'herbe du riant côteau. Bis.
En uniforme, en casque, en guêtres, Et puisse l'ecorce d'un bêtre,
Armez vos bras d'un fer vengeur, Près de là dire au voyageur ,
Et perdez en prenant un cœur, En ces lieux repose un bon cœur,
Votre caractère de prêtres. Bis. Qui n'y fut pas mis par un prêtre. Bis.
9. 12.
Adieu psaumes, prières vaines, Et si l'on connaît l'existence,
Faites place à nos chants guerriers, Par delà ce terme fatal ,
Loin des troupes républicaines, Si Dieu , contre toute apparence,
Les capucins, les aumôniers . Bis. Me citait à son tribunal ; Bis.
Pour ne pas recevoir de maître , Je ne craindrais pas d'y paraître
Et pour nous battre avec valeur, Et de lui dire en ma faveur :
Il nous suffit d'avoir un cœur, Jamais je ne l'ai dans mon cœur,
Nous n'avons pas besoin de prêtre. Bis. Cru semblable au Dieu d'aucun prêtre.Bis.
LE BON A ARRAS 101

Grand Pierre et Magister. Elle a une certaine couleur


locale où cependant l'académicien se retrouve . C'est
un véritable plaidoyer à l'usage des paysans .
Grand Pierre , qui revient d'Arrau, a assisté à la
procession républicaine à l'entrée de la rue Sainte-
Croix et, planté sur un arbre , au pied duquel « il les a
tretous vus passer, les biaux bataillons de jeunes hom-
mes, une fameuse musique , des infants autant que de
mouques dins nos fournis, quand nos femmes font la
tarte al ducasse ; in troupiau de moutons , non de
brebis , mais de filles fièrement belles , mais in molé tris-
tes ; les mois de l'année étaient figurés par des groupes
des différents âges , enfin le plus vieux de tous , porté
sur une manière de fauteuil , sous un baldaquin , comme
nous curés du temps qu'in faisouait des processions,
entouré de biaux garchons et de jaunes filles . Enfin ,
un bataillon fermait la marche . « J'avouais été étampi
près d'eune paire d'heures, sans feumer , mes gambes
enne n'étouaient inflées . La promenade terminée , Grand
Pierre assiste (des yeux) au repas du Grand Marché .
Une table de vingt couverts reçut , par rang d'âge , les
vieillards de plus de 80 ans , hommes et femmes grou-
pés autour du doyen .
Viennent ensuite les objections de Grand Pierre ,
homme d'ancien régime , crédule et effrayé , que Ma-
gister réfute . - S'il n'y a plus de dimanches , il faudra
foutre magister à la porte de l'église . — plus de nouvel
an , plus d'étrennes ; plus de fêtes , plus de pintes à
boire , etc. Pour faire trève à ses réflexions , Grand
Pierre se soûle trois jours durant . Les arguments de
Magister ne sont pas neufs , ni difficiles à trouver . <« Nous
avons, comme par miracle , rattrapé nos libertés , nous ne
les laissrons pus perdre ; ech l'affouaire chi durau pus
de 1793 ans , je t'en répond . On sera libre de se

reposer le dimanche encore . Chez cultes sont-ils pont


libres in France? Dins chez églises on fera des messes
ou des sabbats, mais dins chez rues il ne faut pas de
102 LA TERREUR

- On
culte par respect pour l'égalité et la paix, etc.
pourra conserver les vêpres ; mais il faudra changer
les horloges .
Qu'on nous permette encore une citation : « Grand
Pierre : Et chez heures Magister, chqmin n'irau-t-il ?
Magister : Il n'ny en aurau pu tant, au lieu de vingt-
quatre heures par jour in n'aurau que diche. - Grand
Pierre : Queul arrabié de tour ; chés jours seront donc
fameusemin courts? - Magister Ils ne seront ni
pus longs ni pus courts, mais chés heures seront pus
longues. Pourquoi faire deux foués la même cause din
in jour et avouer six heures du matin et six heures du
soir ? El vaut mieux aller tout d'une fournée . - Grand
Pierre Faurau donc canger nous horloge ? - Magis-
ter: Pensé qu'aoui, etc.
Grand Pierre se retire convaincu ; savant comme
son curé , disposé à convaincre sa femme si elle le ter-
linte sur tous chés affouaires lau, ou à ly foutre le
tour.
En attendant la femme sensée et chrétienne , c'est
aux prêtres fidèles qu'on continuait à donner le tour.
Le 31 janvier, le citoyen Desmaux dénonce un
nommé Deligne , curé de Bailleul , et le curé d'Harnes ,
comme fomentant le fanatisme , et voulant inviter les
habitants à les payer des comédies qu'ils leur donnent
tous les jours , surtout les jours qu'on appelait, en vieux
style , dimanches . Le District considérant , qu'en per-
mettant la liberté des cultes , le Comité de Salut
public , par sa circulaire du 28 nivôse , ne dit pas de
permettre aux ministres des cultes de tourmenter im-
punément les consciences , de mépriser les lois et de
secouer au milieu de nous les torches inextinguibles
d'une guerre civile et sacrée , renvoie la dénonciation
au représentant Joseph Le Bon , qui fait immédiatement
mander et comparaître devant lui les prêtres inculpés .
Le 3 février , le curé de Monchy-le-Preux , quoi-
qu'ayant abdiqué le métier de prêtre , est dénoncé
-
LE BON A ARRAS 103

comme continuant de dire des messes et de catéchiser .


Un membre propose de le mettre immédiatement en
arrestation .
La même dénonciation est portée et la même déci-
sion prise contre Félix -Joseph Bourdon , curé de
Dourges .
Le même jour, le Directoire constate que Delestré ,
arpenteur, a servi d'intermédiaire à l'avocat Blanquart
et à Mme Caron- Wagon , pour racheter , ou par eux-
mêmes ou par l'intermédiaire d'un menuisier , nommé
Catenne , les églises Saint-Géry et Saint-Nicolas - en-
Lestrée . Catenne , moyennant une montre en argent
et sur les instance de Demuliez et de Carraut, s'est
ensuite dessaisi de son marché . — Après de nombreux
interrogatoires , l'assemblée , justement indignée des
détours , de la mauvaise foi , du nommé Delestré , arpen-
teur , dans ses réponses entortillées , convaincue que
ledit Delestré a été l'agent d'une bande fanatique et
aristocrate dont les projets étaient dans la contre-révo-
lution et voulant s'assurer de la personne dudit Deles-
tré et lui enlever tout moyen d'intriguer et d'empêcher
la vérité de répandre le jour sur la ténébreuse cabale
qui a eu lieu pour parvenir à l'acquisition des églises
Saint-Géry et Saint-Nicolas , arrête que ledit Delestré
sera mis en arrestation dans la maison des Orphelines
jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné .
On constate que l'église Saint- Géry a été cédée à
Carraut ou plutôt à la société Carraut , Demuliez et Le-
blond.
La femme Caron-Wagon comparaît à son tour, elle
dit avoir fait des collectes pour racheter l'église Saint-
Géry et avoir réuni des ressources de personnes con-
nues et inconnues : Le Sergent d'Hendecourt, La Com-
té , les filles de Grandval , Lallart , rue des Balances ,
etc. C'est Blanquart qui l'a chargée de recevoir et elle
a ajouté 22 1. de ses deniers . Elle est également ar-
rêtée,
104 LA TERREUR

Entre temps , le Comité s'était souvenu de Magniez ,


de Goudemand et de Payen et avait ordonné l'arresta-
tion de ces ennemis de son maître . Mais c'était pour
les prêtres eux-mêmes que Le Bon et les exécuteurs
de ses vengeances réservaient leurs mesures les plus
oppressives . Le 5 février , un arrêté du conventionnel
chargea le district d'Arras « de faire sortir des maisons
de réclusion tous les domestiques mâles et femelles et
de les faire transférer comme suspects dans une mai-
son d'arrêt . » Un autre arrêté ordonna « l'uniformité
et la frugalité » dans la nourriture des détenus comme
suspects . Joseph Le Bon demanda encore les noms
des individus mâles et femelles , soi-disant domesti-
ques particuliers de certains prêtres réfractaires , qu'ils
ont été assez vils de suivre dans les maisons de réclu-
sion et de se priver de la liberté , afin de les servir plus
particulièrement . On donnera aussi les noms des prê-
tres réfractaires au service de qui ils sont , et on con-
duira ces domestiques , moitié aux Orphelines , moitié
à l'Abbatiale . Voici les noms de ces fidèles et coura-
geux serviteurs qui n'avaient pas voulu être séparés
de leurs maîtres et qui s'étaient enfermés pour les ser-
vir dans le couvent des ci -devant Capucins : Marteau ,
Dessoly, Antoine Dhénin , Pierre Leroux , François
Boursin , Nicolas Bataille , Georges Tourselle , Bona-
venture Mahieux , Agnès Nicolle, Anne Decamp , Cathe-
rine Legrand et Julie Tourtois .
Cette mesure barbare ne suffisait pas . Joseph Le
Bon y ajouta l'arrêté suivant , en date du 6 février :
« Au nom du peuple français , Joseph Le Bon repré-
sentant du peuple , aux administrateurs des districts
du Nord et du Pas-de-Calais Vous n'ignorez pas
qu'une loi met sous la main de la nation les biens des
prêtres reclus , comme ceux des déportés ; j'ai donc
lieu d'attendre que vous ne négligerez rien pour sa
pleine et entière exécution . Il est de mon devoir de
vous rappeler que , je ne sais par quelle condescen-
LE BON A ARRAS 105

dance , on a laissé dans certaines communes des réfrac-


taires sujets à la réclusion , sous prétexte qu'ils n'étaient
pas transportables ; n'oubliez pas dans vos recherches
les biens de ces invalides , ennemis des peuples ; qu'ils
soient exactement séquestrés ; si vous ne voulez pas en
répondre sur vos fortunes et même sur vos têtes . »
En conséquence , le District ordonne aux municipa-
lités 1º de dresser un état complet des biens- meubles
et immeubles de tous les prêtres déportés et reclus ;
2º que tous les prêtres réfractaires qui sont dans le
cas de la réclusion , seront transportés dans les cinq
jours aux maisons de réclusion d'Arras ; 3º que tous ceux
qui détiennent quoi que ce soit appartenant aux prê-
tres , doivent en faire la déclaration , à peine d'être
garants et responsables des pertes qui pourraient s'en
suivre pour la nation, sous peine d'être déclarés sus-
pects et traités comme tels . Le District , en outre ,
rend responsables de l'exécution du présent arrêté , les
maires , officiers municipaux et les agents nationaux
près des communes .
Le même jour , Le Bon demande aux mêmes auto-
rités une liste complète des ci-devant nobles , parents ,
agents , fermiers d'émigrés , avec des notes sur leur
arrestation et leur attachement à la Révolution , s'ils
se sont montrés civiques ; le tout avant le 10 ventôse —
28 février - sous peine de suspension , et en rendant
les agents nationaux responsables. Le 7 février ,
l'administrateur Carraut dénonce un prêtre récemment
arrivé à Basseux , qui dit des messes à force , se per-
met même d'aller chercher les morts et de faire à
l'extérieur des cérémonies capables d'attiser le fana-
tisme ; l'administration défend à la municipalité de
Basseux de laisser assister , costumés , à aucune céré-
monie funèbre , tous prêtres , clercs , chantres et minis-
tres des différents cultes et arrête que ladite munici-
palité devra faire conduire à Arras le prêtre qui fait ces
fonctions et lui mander par écrit comment ce prêtre
106 LA TERREUR

s'est établi à Basseux , en vertu de quels ordres, etc.


Qu'elle ait soin de prendre des mesures pour que ce
prêtre n'échappe point. Le 9 février , considérant que
les églises Saint-Géry et Saint-Nicolas ont été ache-
tées avec l'argent d'émigrés , le District décide que
l'argent versé appartient à la République et que ces
églises seront revendues.
Le 10 février , Auguste Meurant, ancien curé de
Mortagne , district de Valenciennes , est introduit avec
quelques membres du Conseil général de Basseux . Il
déclare que forcé par l'invasion de quitter Mortagne ,
il s'est retiré à Basseux avec l'agrément des adminis-
trateurs . Ceux - ci ne trouvant rien à dire , qui les dis-
culpe de leur coupable insouciance , sont blâmés et
Meurant , qui a exercé ses fonctions , au scandale des
républicains , est mis en arrestation ; on en informe
Le Bon. Le juge de paix de Mont-la - Liberté (Saint-
Éloy) est, lui aussi , destitué et arrêté .
Le 11 février , le District élabore et Joseph Le Bon pro-
mulgue un nouveau règlement pour les maisons de dé-
tention , destiné à mettre tous les détenus sur le pied de
l'égalité et dans l'impossibilité absolue de s'entendre.
pour une révolte ou de communiquer avec le dehors .
Ce règlement les distribue de manière que chaque
chambrée renferme , avec des riches , des personnes peu
aisées et des indigents . La nourriture sera la même pour
tous , et pour tous simple et frugale , mais elle sera
payée par les détenus en raison de leurs facultés . Un
chauffoir commun , et dans lequel ils seront surveillés ,
sera ouvert aux détenus qui ne pourront plus faire de
feu dans leurs chambres . Leur correspondance se fera
et leur arrivera par l'intermédiaire du Comité de sur-
veillance . Deux promenades par jour leur seront accor-
dées dans les cours et jardins .
Il était naturel , en effet , que Le Bon réglementât
les prisons , car on s'apprêtait à multiplier au-delà de
toute mesure le nombre de leurs habitants .
LE BON A ARRAS 107

Quelques anciennes religieuses , grâce au serment


qu'elles avaient prêté plus ou moins explicitement,
avaient pu continuer de se consacrer dans les hôpitaux
au service des blessés et des malades ; Le Bon voulut
revenir sur cette question et « toutes les filles ou
femmes appartenant aux ci -devant congrégations de
leur sexe , attachées à la maison dite de la Charité ,
aujourd'hui de l'Humanité , et qui s'obstinent à ne
point faire le serment exigé par la loi , furent mises en
arrestation comme suspectes . »
Un arrêté de Saint-Just et Le Bas , daté d'Arras , le 4
février , mais qui n'y arriva que le 14 , sous une lettre
d'envoi datée d'Amiens , devait remplir les vides que Le
Bon avait laissés dans nos prisons . C'était l'ordre d'ar-
rêter en masse, et dans les vingt- quatre heures , tous les
ci-devant nobles du département . En quelques heures ,
quarante familles furent , arrêtées avec tous leurs
membres . On ne fit grâce à personne , pas même à
Ferdinand Dubois , qui obtient à peine , ainsi que le ci-
toyen de Marbais , marié à Rosalie Le Bon , de rester
prisonnier chez lui , sous bonne garde, « parce que ces
citoyens , dit le Comité de surveillance , s'étant montrés
amis de la Révolution , ne devaient pas être livrés aux
sarcasmes de leurs ennemis déclarés . »
Les femmes « non nées nobles , » qui ne sont pas
connues , dit Le Bon , pour ci -devant roturières ou vi-
laines , furent aussi décrétées d'arrestation provisoire ,
à l'exception de la femme de Marbais , ci -devant rotu-
rière et d'ailleurs ancienne et ardente amie de la Ré-
volution .
Le Bon eut même la cruauté de scinder les familles ,
en séparant les prisonniers d'après leur sexe et en ne
laissant à leur mère que les enfants âgés de moins de
douze ans .
Arras vit alors un spectacle touchant , celui que Le
Bon raille indécemment quand il écrit au Comité de
Salut public : « Rien ne prouve davantage la nécessité
108 LA TERREUR

de la mesure prise par Saint-Just et Le Bas contre les


ci-devant nobles , que ce dont je suis témoin chaque
jour des bandes de femmes de campagnards éplorées
viennent réclamer leurs ci- devant seigneurs ou fer-
miers que , d'un côté, la misère , de l'autre , des lar-
gesses perfides font désigner sous le nom de pères du
peuple . >>
Et c'est sans doute pour se débarrasser de ces
importuns solliciteurs qu'il fit écrire sur la porte de son
cabinet cette inscription fameuse : « Ceux qui entre-
ront ici , pour solliciter l'élargissement des détenus ,
n'en sortiront que pour être mis eux- mêmes en arres-
tation . >>
Tout le monde ne se laissait pourtant pas intimider
par le renom de Joseph Le Bon , et quand il voulut user
des pouvoirs qui lui étaient confiés pour le départe-
ment du Nord , Florent Guyot , en mission à Lille , sus-
pendit tout simplement son arrêté . Après ce pas de
clerc , comme il le qualifie lui - même , Le Bon recula
prudemment : il demanda même au Comité de Salut
public qu'il « le débarrassât de ce département du
Nord , où il n'entendait rien . »
Le Comité de surveillance d'Arras , lui seul , en ce
temps de terreur incompréhensible , montra également
quelque velléité d'indépendance . Sa correspondance
est intéressante à citer à ce point de vue .
Le 7 février, le Comité réclame au District d'Arras ,
un local et du bois pour travailler , et sur son refus ,
s'adresse au Comité de sûreté générale de la Conven-
tion , et à celui de Salut public , auprès desquels il se
justifie de n'avoir pas excité la querelle de compétence
avec le District d'Arras . Il accuse le District d'ambi-
tion en appliquant les mesures de sûreté . « Vous ne
serez peut-être pas surpris de cette conduite , dit- il ,
lorsque vous saurez que le District est vice - présidé
par un ci-devant moine , qui , même de son aveu , n'a
pas toujours montré. un caractère républicain qui met
LE BON A ARRAS 109

au-dessus du reproche . Quant à nous , qui n'avons à


nous reprocher ni indolence ni lenteur , puisque sou-
vent la nuit et le jour sont étonnés de nous trouver au
travail , nous espérons de mériter de vous ce reproche
flatteur d'avoir mis de l'excès dans l'attachement à
nos devoirs .
― Signé : Saint-Remy, président . >>

Le 13 février , Saint-Remy , mécontent de n'avoir pas


été entendu , s'adresse à Le Bon . « Le local que nous
occupons n'est pas tenable ; le District , après trois let-
tres, nous a désigné le ci -devant hôtel d'Armolis ; puis
le ci -devant hôtel de Diesbach, mais nous restons dans
notre très mauvais emplacement . Après avoir réclamé
le feu , la lumière , de quoi écrire , un concierge , des
commissionnaires , une caisse enfin » , il ajoute avec hu-
meur , <«< nous sommes surchargés de travail , nous
sommes des sans-culottes peu aisés , nous avons des
familles et des estomacs , comme les administrateurs ,
comme les juges etc. Nous passons au moins deux
nuits tous les dix jours , nous te prions de fixer, non le
prix de notre travail , mais l'indemnité qui nous est
due . »
Et au Comité de Salut public , il dit encore : « Nous
n'avons parmi nous , ni prêtres , ni nobles , ni riches
mais tous sans-culottes . Comptez, au surplus, que
nous agissons mieux que nous n'écrivons . »
Ce sourd mécontentement de la classe populaire ,
qui ose à peine se faire jour , était excité par la situa-
tion de jour en jour plus besogneuse des ouvriers et
des petites gens de la ville d'Arras et de l'Artois .
M. Edmond Lecesne , dans son Arras sous la Révo-
lution (1), a exposé avec beaucoup de soin et le sel
gaulois dont il sait relever ce qu'il écrit, la triste di-
sette que le peuple subissait alors et qui faisait dire au
conseil de la commune , s'adressant au Département , le
11 janvier , qu'il n'y avait plus à Arras un demi bois-

(1 ) T. II, p. 140 et suiv..


110 LA TERREUR

seau de blé . Il fallait requérir des provisions dans les


districts voisins , nommer des commissaires à cet effet,
obliger les cultivateurs à battre leurs récoltes pour
amener les grains à Arras et organiser des travaux aux
routes , chemins et canaux dans le département tout
entier . A Arras on fit vendre officiellement le beurre
et les œufs qu'on apportait sur les marchés , et l'on
régularisa le taux du maximum , la taxe de la viande et
même la vente obligatoire des sabots .
Buissart , celui qu'à l'ancienne Académie on sur-
nommait Baromètre , proposa même sans ambage de
tuer l'aristocratie mercantile , et d'admettre les com-
munes seules à faire le commerce .
Il fallait également donner du travail aux ouvriers .
Les ateliers nationaux s'en chargèrent. La fabrication
du salpêtre , dont le principal centre était l'ancienne
église de la Madeleine , en occupa un grand nombre ,
et donna lieu à une fête spéciale , à des couplets de
circonstance et à un grand discours de Joseph Le Bon.

$ 2 . - Visite à Bapaume.

Lettre de Le Bon au Comité de Salut public. - Instructions qu'il


donne au District de Bapaume. - Comité plébéien . - Destruction
du château d'Achiet-le-Petit. - Séance présidée par Le Bon. -
Nouvelles opérations . Arrestations ordonnées par Le Bon.
Son brusque rappel à Paris .

Malgré ses occupations encombrantes , Le Bon


trouva néanmoins le temps de se rendre à Bapaume,
le seul des chefs -lieux de district du département qui
n'avait pas encore reçu sa visite . Il y fit plusieurs
voyages en février et c'est de là notamment qu'il
écrivit la lettre suivante au Comité de Salut public .
« Je suis arrivé hier à Bapaume et j'en repartirai
primidi pour Arras où l'ouvrage est extraordinaire .
LE BON A ARRAS 111

Cette dernière commune avait été convoitée par Pitt


pour servir de point central aux intrigues du Pas -de-
Calais . Un autre que moi , qui n'aurait pas eu de con-
naissance locale , aurait déjà fait périr la moitié des
patriotes pour l'autre moitié .
« Le croiriez-vous ? Désespéré de la réunion des
républicains contre les anciens et implacables ennemis
de la Révolution , l'aristocratie , pour déjouer mon
travail, va semant les lettres anonymes sous la porte
de chaque sans - culotte ardent et cherche à les entre-
tenir dans une défiance et une suspicion mutuelles . Je
suis en colère , oui , je suis en colère . Heureusement
que Lebas et Saint-Just me tiennent le département du
Nord en respect , car , malgré ma bonne volonté , je ne
puis encore l'entamer . Hesdin , Aire , Fruges , Auxi -la-
Réunion, Montagne- sur-Mer , réclament impérieuse-
ment ma visite et une forte visite . Je ne tarderai pas
--
à m'y rendre . Joseph LE BON. >>
Le district de Bapaume n'avait du reste pas besoin
d'une longue visite , car Le Bon l'avait moins perdu de
vue que tous les autres , celui d'Arras excepté . Dès le
5 décembre , il avait chargé Carlier et Demuliez de
reconstituer son Comité de surveillance , déjà renou-
velé en septembre par Célestin Lefetz , et il avait tracé
de sa main la ligne de conduite que devait tenir ce
comité .
« Il réputera suspects , dit-il , et traitera comme
tels , ceux désignés dans les décrets de la Convention
.
comme tels les individus qui font le métier de sourds
et de mendiants et qui assomment les voyageurs du
spectacle de leur fainéantise et de leur ivrognerie , les
aubergistes qui rançonnent les étrangers , mais sur-
tout les gardes nationaux qui s'avilissent au point de
demander du pourboire aux citoyens qu'il conduisent
au Comité .
<< Tous les certificats de civisme délivrés jusqu'à ce
jour dans le district de Bapaume ne seront valables
112 LA TERREUR

qu'autant qu'ils auront obtenu le visa du nouveau Co-


mité . »
Le choix de Demuliez et Carlier se fixa naturelle-
ment sur des hommes sûrs ; c'étaient Théophile
Boulogne , Pajot-Crémon , Damanel , carriéreur ; Des-
trées , cordier ; Dominique Froidevaux , boulanger ;
Vainet, Bon Carlier , Lefranc, Bruet cadet , Huguenin,
Remy, greffier ; Guilmot , Bocquet , de Cagnicourt ;
Davion, chirurgien du Transloy, Stanislas Delattre ,
d'Hénin-sur-Cojeul , et Louis Daudicourt, de Courcelle-
le -Comte, à charge aux étrangers de venir à Ba-
paume .
Pajot , dit le père Duchêne , fut chargé de prévenir
les absents .
Boulogne fut ensuite nommé président, et Remy,
vice- président . Bétancourt resta secrétaire du nouveau
Comité, aussi illettré sans doute que l'ancien .
Les administrateurs du District ne voulurent pas se
laisser distancer par ce Comité de vrais sans-culottes .
Aussi , le jour même de son installation , prirent-ils
l'arrêté suivant , qui est véritablement un chef-d'œuvre
du genre « Les administrateurs du district de Ba-
paume, considérant que l'existence des grands châ-
teaux répugne aux principes d'égalité et de républica-
nisme , consacrés par la Constitution française , décident
que le château d'Achiet-le - Petit , appartenant aux
Diesbach , ne pourra être vendu que pour être démoli . >>
En même temps , au nom du même district , l'ex-
religieux Pothier parcourait les municipalités pour
vendre les meubles des prêtres émigrés ou déportés
ainsi que les linges et ornements d'église .
Quelques jours plus tard , le citoyen Delaleux , ci-
devant desservant de la paroisse de Vaulx , rentrait
au District avec la lettre suivante du représentant
Laurent «< Citoyen , vous devez aux témoignages qui
m'ont été rendus de votre civisme et de vos principes
l'avantage de retourner au sein d'une administration
LE BON A ARRAS 113

qui vous recevra avec plaisir , quoique vous l'ayez


quittée pour vous livrer à la desserte d'un culte pros-
crit par la Raison et la philosophie . Le district de
Bapaume a ordre de vous recevoir , je vous donne
celui d'exercer promptement vos fonctions adminis-
tives et de mériter la confiance du peuple . La présente
vous servira d'autorisation . Salut et fraternité .
Laurent. >>>
Aussi révolutionnaires que fussent les administra-
tions , Le Bon se faisait une loi , dans ses visites , de les
retremper, comme il disait , dans le suffrage populaire
et de les épurer . Bapaume subit la loi commune .
Il réunit donc tous les habitants dans l'église pa-
roissiale et , après son discours ordinaire , il procéda à
cette opération .
A la tête du directoire du district il plaça Norman
avec le titre de président . Les directeurs qu'il lui
adjoignit furent : Lefebvre , de Béhagnies ; Despretz ,
Pajot de Berly, Labouré , Remy et Férot ; Théry fut
agent national , et Croisille , secrétaire .
Au conseil de la commune , Le Bon donna pour
chef Carion , avec Charles Lourdel , Nicolas Boniface ,
Charles Peltier , Augustin Largilière , Joseph Bocquet,
Guislain Duchatel , Delétoille et Roch pour officiers
municipaux . Danel Pollet remplit les fonctions d'agent
communal .
Le Comité de surveillance , lui-même , ne trouva
pas grâce tout éntier à ses yeux . Il le réduisit à douze
membres , Bruet , Huguenin , Destrées , Bon Carlier ,
Sabin Lefranc , Adrien Dauchez , Charles Dhérissart,
Alexandre Ladent , Guislain Lagnier , François Pigon,
Piron et Nicolas Demuliez .
Préparée surtout par deux prêtres apostats comme
lui , l'arrivée de Joseph Le Bon , à Bapaume, ne pou
vait manquer d'être marquée par un caractère tout
particulier de haine antireligieuse . Aussi sa première
question au Comité de surveillance fut-elle relative à
8
114 LA TERREUR

l'auberge où se trouvait le curé d'Adinfer , afin de le


faire traduire de suite dans la maison d'arrêt .
Il fit ensuite comparaître à sa barre tous les prêtres
du district , dont le citoyen Potier avait dressé la liste .
C'est dans le local de la Société populaire , c'est- à - dire
dans l'église paroissiale de Bapaume , qu'eut lieu cette
comparution , le 9 février , à neuf heures du matin . Peu
de curés osèrent se dispenser de paraître et, comme il
fut satisfait de leur attitude , le représentant, après les
avoir humiliés de son regard et de sa faconde , daigna
les laisser à peu près tous en liberté .
En revanche , il fit arrêter les personnes de Bapaume
qui lui furent signalées pour s'être montrées favorables
aux anciens réfractaires . Jean Boucher fut incarcéré ,
le 13 février , pour avoir retenu chez lui les prêtres
Bouverne et Fauquembergues , « avec lesquels il se
trouvait à sa porte lors des cérémonies publiques pour
la prestation des serments , en visant d'une manière
ironique les patriotes . »
Rose Jessus fut arrêtée pour avoir toujours protégé
les fanatiques et reçu les prêtres ; la femme Legay,
du faubourg de Péronne , arrêtée pour avoir favorisé
le fanatisme ; la femme Simon et sa fille , arrêtées pour
la même raison ; Delestré , marchand, Guislain Lan-
glebert , Charlot Langlebert , arrêtés comme royalistes
et fanatiques ; l'aînée des filles Boisleux et la fille Izam-
bart, arrêtées encore pour avoir reçu des fanatiques .
Le Comité de surveillance , présidé par Dhérissart ,
avec Boniface pour secrétaire , continuait l'œuvre de
Joseph Le Bon , tandis que celui -ci , revenu à Arras ,
pourvoyait à d'autres besoins et faisait procéder à
d'autres arrestations .
C'est ainsi que le 20 février , sur la dénonciation
faite au Comité de Sûreté générale d'Arras, qu'un
prêtre fanatisait la commune de Berles -au -Bois , ordre
fut donné de l'arrêter dans les vingt-quatre heures , «
< et
les autres , s'il en est . »
LE BON A ARRAS 115

Le même jour, Le Bon avait ordonné au citoyen


Lefebvre , directeur de la poste , de ne laisser partir
aucune correspondance avec Douai qu'elle n'ait été
vue par les commissaires Petit, Warnier , Le Roy et
Lefetz , tous anciens moines , devenus les délégués au
cabinet noir du soupçonneux proconsul .
C'est au milieu de ces travaux , le 21 février, qu'ar-
riva subitement à Le Bon l'ordre de quitter Arras et
de rentrer le plus tôt possible au sein de la Convention
nationale . La lettre de rappel annonçait que sa mission
était momentanément achevée et elle n'admettait pas
de réplique , signée qu'elle était de Collot d'Herbois
et Saint-Just .
Quoique surpris , effrayé peut- être , le conventionnel
s'exécuta sur le champ ; il partit pour Paris avec sa
femme , son enfant et ses papiers . Sa deuxième mission
était brusquement terminée .
CHAPITRE QUATRIÈME

LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES

Ce n'était pas pour se justifier des actes arbitraires


et cruels de son administration que Joseph Le Bon
avait été mandé à Paris ; au contraire , le Comité de
Salut public l'engagea « à se tenir en garde contre les
séductions d'une humanité fausse et mal entendue . >>
Il revint donc à Arras , le 1er mars , « après s'être re-
trempé dans le foyer ardent du plus pur Hébertisme » ,
et muni de pouvoirs encore plus étendus . Non seule-
ment il devait « suivre dans le Pas-de - Calais les opé-
rations déjà commencées » , mais il avait mission de
de les suivre encore « dans les départements environ-
nants . »

1. Les prisons.

Catégories de prisonniers . - Enquête au Vivier. ---- Visite des com-


missaires . Régime des prisons.- Rapport sur la prison du Rivage.
Arras, une visite des prisons. -- Les modérés et les terribles .
Interrogatoire. Le fauteuil . Les procédés de Le Bon . Les
mégères. Horreurs des prisons de femmes. -- Le jury choisi par
Le Bon. Motifs du proconsul . - Noms et paie des jurés.- In-
fluence de Le Bon sur eux.

Son premier acte fut de demander au District d'Ar-


ras «
< combien chacune des maisons d'arrêt pouvait
contenir de personnes , sans que la salubrité de l'air
en fût altérée » ; ensuite il ordonna à tous les agents
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 117

nationaux du département de lui dresser une liste des


principaux contribuables de chaque commune .
Les femmes encore libres des suspects furent à leur
tour décrétées d'arrestation , sauf à les séparer violem-
ment de leurs époux et de leurs enfants et à les soumet-
tre à toute la rigueur du régime des prisons .
Ainsi la fortune devint un crime aussi bien que
l'aristocratie et le fanatisme : l'intelligence même fut
un motif de suspicion et la ville d'Arras se transforma
dès ce moment en une immense maison d'arrêt, avec
ses catégories de prisons , aménagées pourtant de telle
sorte , d'après un vœu féroce de Le Bon , « que les
contre-révolutionnaires n'échappassent point à la guil-
lotine , en mourant dans les bras d'un geôlier . »
C'est ainsi que Saint-Vaast fut attribué aux con-
damnés des tribunaux criminels et militaires , l'Hôtel-
Dieu aux hommes suspects , la Providence aux femmes
suspectes ; les Baudets devinrent exclusivement une
maison de justice , le Vivier et les Capucins , des prisons
de vieillards ou de malades , et l'Abbatiale , dont on
avait hâté l'aménagement , se transforma en maison
d'arrêt des civils , tandis qu'on envoyait les militaires
aux Orphelines .
Les prêtres , disséminés un peu partout , se trouvaient
surtout en grand nombre au Vivier et aux Capucins .
Ils étaient , dans ces maisons , non seulement soumis
au régime dont nous avons donné un aperçu , mais
encore à de fréquentes perquisitions dont la brutalité
des commissaires aggravait encore la rigueur.
Le 9 novembre 1793 , par exemple , Deguerdia et
Hoguet, nous citons le propre certificat de leur visite ,
se présentèrent aux Capucins pour former la liste des
prêtres réfractaires qui y étaient reclus et pour prendre
note de la déclaration qu'ils devaient faire de leurs
biens et de leurs revenus .
On nous permettra , malgré sa longueur , de citer ici
cette longue liste de confesseurs de la foi , vieillards
118 LA TERREUR

vénérables pour la plupart, infirmes et malades sans


exception , et qui déposèrent, avec une sincérité par-
faite , devant ceux qui les dépouillaient ( 1).
Cinquante-huit reclus répondirent donc à l'appel de .
leur nom et le directeur Meurice , « interpellé de dé-
clarer les morts , en a nommé quatre . »
Deux mois plus tard , le 29 janvier , les officiers
municipaux Duponchel et Gilles , le premier ancien
laquais et le second horloger, l'un et l'autre très
grossiers , furent nommés commissaires pour visiter la
maison de réclusion du Vivier , « et rechercher quels

(1) Louis-Jacques Becquet, natif de Bavelinghem , 80 ans , ex-cha-


noine de Lillers . - Gilles Delesalle , natif de Marcq- en - Barouil , 75
ans, ex-chanoine de Lillers . Augustin Boitel, natif d'Auxi-le-Châ-
teau, 52 ans, ex-chanoine de cette ville d'Arras . - Jean-Philippe
Pruvot, natif de Gemmapes - en-Hainaut, 86 ans, ex- curé de Bussi-les-
Baralle. Jacques-François Lucas , natif d'Euf, 78 ans , curé de
Lugy. Pierre- Ignace Lochtemberg, natif d'Aire , 78 ans, ex-doyen
d'Aire. J.-B. Saroux, né à Hesdin , 78 ans , prêtre à Hesdin . - Fran-
çois-Thomas Laurent, natif d'Arras, 61 ans, ex-frère Augustin . - Au-
gustin-Amable Dericke, natif de St-Omer, 30 ans , ex- chanoine d'Hes-
din. 1- Adrien Picart , natif d'Hesdin , 78 ans, ex - célestin à Ecouen. -
Louis Delamotte, natif d'Hesdin et y demeurant , 77 ans, ex -jésuite.—
Philippe-François-Joseph Peugnet, natif de Bugnicourt, district de
Douai, religieux de Saint-Vaast. Joseph Delegorgue , natif de Gre-
noble, 48 ans , ex-bénédictin de Louvigny. Charles-Joseph Henne-
bert, natif d'Hesdin , 60 ans , ex-chanoine de Béthune , oncle de la
dame Hallette. - J.-B. Maniez, natif de Beuvry, 77 ans, ex-jésuite
Wallon, résidant à Beuvry depuis vingt ans. Paul-Philippe- Joseph
Noë , natif de Saint-Pol , 43 ans , prêtre sacristain de la ci-devant pa-
roisse de St-Pol. Georges-Joseph Hermant, natif d'Aire , 67 ans, ex-
chanoine de Lens. Louis-François-Joseph Derey, natif d'Aire , 80
ans, curé de Mesnil-les-St-Pol. - Anne-Jacques - Placide d'Aix, natif
d'Arras , 60 ans , ci-devant prévôt du chapitre de Béthune . Louis-
Théodore Déruelle, natif de Lozinghem ou Lothinghem, district de
Béthune , 56 ans , religieux de St - Vaast. Maximilien -Joseph Bayart,
natif de Mazinghem, 76 ans , ex- dominicain de Saint - Omer. J.-B.
Bouflers, natif d'Hesdin , 65 ans , ex- curé de Marconne. - Guillaume-
Joseph Vanescoute , natif de La Bassée , 57 ans , ex-religieux de Dom-
martin , ex- curé de Verchin , canton de Fruges . Philippe François
Barbault, natif de Roussent, 70 ans , ex-récollet de Saint- Omer.
Une autre liste signale : Jean-Baptiste Raux , natif de Cambrai , 62 ans,
ex-gardien des Capucins d'Aire . Augustin Charles, natif d'Aire , ex-
récollet d'Hesdin . - Alexandre -Michel Delestré , natif de Bucquoy ,
64 ans, ex-frère jésuite. Louis-Séraphin Desmarquoi , natif d'Aire ,
49 ans, ex-chartreux de la Bouteillerie . w Damiens Wiscart , natif de
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 119

étaient les biens -fonds , le mobilier et les autres reve-


nus des reclus . >>
Ce fut le père de Joseph Le Bon , alors geôlier de la
maison du Vivier , qui les reçut et les accompagna dans
leur enquête . Ils visitèrent les unes après les autres
ce qu'ils appellent les chambres particulières et les
chambres communes des détenus , ainsi que l'infirme .
rie , relevant les propriétés immobilières et mobilières
que chacun continuait à déclarer spontanément .
On comptait en ce moment soixante - et-douze reclus
au Vivier , appartenant pour la plupart aux Chapitres ,

Desvres , 73 ans , ex-chanoine de Fauquembergues. Philippe-Albert


Bruslé, natif de Beauvois , ex- chanoine de Fauquembergues , demeu-
rant à Beauvois.- Jacques-Théodore Delovacque, natif de Bancourt,
75 ans, ex-capucin de Bapaume. François Bonaventure Demory,
natif de Ligny - les-Bapaume , 63 ans , ex- curé de Bailleul-aux-Cor-
nailles. - Pierre-Toussaint Bultel, natif de Montreuil-sur-Mer , 71 ans,
ex-curé de Montreuil. Philippe-François Williot , natif de Saint-
Quentin-les-Aire, 57 ans, ex-dominicain de Saint- Omer. Nicolas-
Etienne Pingrenon , natif de Lapugnoy , 50 ans , ex-récollet de Lens .
J.-B. Delsaux, natif du Transloy, 52 ans, ex- récollet à Béthune.
Philippe-Albert Beugin , natif de Belval , ex - carme à Saint - Pol .
J.-B. Joly, né à Loos , près Lens , le 15 octobre 1726 , ci- devant religieux
à Saint-Eloi, ex- prieur du Peroy. - Guillaume - Louis Doresmieulx ,
natif de Saint- Omer, 71 ans , religieux de Saint-Berlin , ex- prieur de
Saint-Pry, près Béthune . ---- Philippe Théret , natif d'Aire, 62 ans, ex-
capucin à Orchies . Charles - Florent Dhaines, natif de Béthune,
faubourg, 69 ans, prêtre bénéficier au château de la Buissière . — Jo-
seph-Dominique Delohem, natif d'Ecque, 79 ans . ex-dominicain de
Saint-Omer. Charles-Augustin Doudan , natif de Bapaume , 55 ans ,
ex-bénéficier de cette ville. - Michel -Théodore Poulain , natif de Mar-
quay, 74 ans, ex- curé de Bonnière. - François-Joseph Vasseur, natif
de Bailleul-aux-Cornailles , 74 ans, ex-curé de Villers- sir-Simon .
Adrien-François Cuveillier, natif d'Arras, 65 ans , ex-curé d'Achicout.
-- Augustin-Thomas Wallembert, de Bailleulmont (Somme), 58 ans ,
ex -curé d'Ambrines . ――- Louis -Marie Hubin , natif de Licques, 64 ans,
ex-curé de Thiembronne. - Arnoult Lherbier, natif de Saint- Lazare,
68 ans, ex-récollet d'Hesdin. Pierre-Joseph Lièvre (Fiévet ) , natif
de Thiennes , 72 ans , ex-bénéficier de Lillers . - Joseph Defasque ,
natif de Lisbourg, 63 ans, ex- cordelier d'Abbeville . -- Jacques-Joseph
Vannier, natif de Cambrai , 70 ans , ex-récollet de Cambrai . — Fran-
çois Lepot, natif de Bienvillers , ex- carme à Saint- Pol . - Antoine-
Joseph Lemaire , natif d'Ecoivres, 84 ans, prêtre séculier, résidant à
Arras. André - Joseph Guibert, natif d'Argentier-sous-Vitré, 70 ans,
ex-chanoine de Lens. --- Guillaume Ferclu ? de Boubers- sur-Canche ,
78 ans, ex-frère récollet à Bapaume . Collationné : LEFRANC .
120 LA TERREUR

aux monastères et aux couvents des environs . MM .


Harduin et Lallart , chanoines , y étaient morts ainsi
qu'un Père Carme .
Nous croyons devoir mentionner encore cette liste
de nos plus illustres prisonniers ( 1 ) .
Mais il s'en faut que les prisons du Vivier et des
Capucins fussent les seules prisons réservées aux ec-
clésiastiques ; l'Abbatiale surtout en reçut un certain
nombre et ils fournissaient leur appoint à cette agglo-
mération continue , dont l'auteur d'Un séjour en France
de 1792 à 1795 nous trace le triste et curieux tableau.
Les cris : à la guillotine ! qui accueillent les prison-

(1) Nous citons toujours le procès- verbal des commissaires visiteurs .


Dans la chambre du citoyen Charles de France , ex-chanoine d'Ar-
ras, l'avons interpellé de déclarer la quantité et nature de ses biens
meubles et immeubles, à quoi il a satisfait, mais il ne peut déterminer
ce qu'ils lui rapportent.
Chambre de MM . Leroux, ex-chanoine d'Arras , 3,000 livres de rente ;
d'Herbecourt, ex-chapelain , presque rien .
Chambres de MM . Lefebvre , ex- chanoine d'Arras , 1,500 1. de revenu ;
Antoine-Christophe Malbaux , fortune de 37,000 1. en capital ; Thomas
Margana, ex- bénédictin de Samez-sur-Mer, rien ; Jacques-André
Drain, ex-abbé de Blangy-en-Ternois, quelques meubles chez Cretelle
et Prévost, & Blangy ; Sénéchal, ex-bénéficier à Arras, 1,200 livres ;
Le Mercier, cx-prieur de Saint-Vaast ; Ansart ; Jacques - Philippe Lai-
gnel , ex-abbé de Saint- Eloi , quelques meubles chez Guerquesse , rûe
du Bloc ; Jacques- Louis Bertoux, ex -religieux de Saint-Eloi ; Druon
Le François, ex-religieux d'Arrouaise ; Barthélemy-Joseph Laignel ,
ex-religieux de St-Vaast ; Philippe - Auguste Flahaut, ex- religieux de
Saint-Vaast ; Jean-Charles Lucas , ex -religieux de Saint-Vaast ; Dary,
ex-religieux de Saint-Vaast ; François Lamoral de Buissy, chanoine
d'Arras, une maison au cloître ; Pierre - Henri Boucquel, ex -chanoine
d'Arras, propriétés assez considérables ; De Venant, ex- chanoine
d'Arras, propriétés , rentes et maison au Cloître .
Grande chambre commune : MM. Héroguel , Bocquet , Marche ,
Jouvenet , ex-carmes ; deux autres carmes, Le François et Hardhuin,
y sont morts.
Chambres de MM . Jacques-Thomas Cailleret , ex-curé d'Ecoust-
Saint -Mein , infirme ; Jean-Georges Lesieux, ex-curé de Liencourt ;
Auguste-Joseph Deruelle, ex-curé de Saint - Vaast ; Alexandre -Joseph
Potier, ex- prieur de Saint-Michel ; J.- B Roussel, ex-dominicain de
Lille ; Vindicien-Joseph Pinguet , ex-chartreux de la Boutillerie ;
Jean-Philippe Souplet, ex- chanoine de Béthune ; J.-B. - Léonard Hé-
mery, ex-prêtre ; Lecocq, ex-carme, petite rente à Béthune ; Alexandre
Maniez, ex-prêtre.
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 121

niers à leur arrivée , la difficulté de leur trouver un


coin de galetas où l'on respire l'atmosphère d'une
hutte de Cafres , la promiscuité la plus absolue des
sexes , des âges et des conditions , la brutalité des geô-
liers , qui n'est surpassée que par leur âpreté aux gains
les plus illicites , les cocardes nationales dont les sus-
pects eux-mêmes sont obligés de se parer , les vicissi-
tudes de crainte et d'espoir , les côtés navrants et les
côtés plaisants de la vie , le tableau d'Arras , enfin ,
pendant ces terribles mois d'hiver de 1793 et de 1794 ,
tout cela est peint de maîtresse main , dans ce livre
d'un témoin .

Dans l'infirmerie : Adrien - Fr. Martin , J.-B. Doudain, ex-carme,


sans propriété.
Chambres de Jacques -Fr . Beugin , ex-curé de Blandecques ; Pierre
Guillaume. Maniette, ex-bénéficier d'Arras ; Pierre-Albert Fontaine,
ex-carme chaussé ; Joseph- François Petit , ex-desservant ; Philémon-
Joseph Delepierre, ex-moine de Saint-Eloi ; Eloy-Constant Marion,
ex-chartreux de la Boutillerie .
Chambre commune : François Bridoux, Sébastien Fauvel, Victo-
rin Goubet, Louis-Marie Mariotte , ex- récollets.
Chambres de MM . Pierre - Luc Dewez , ex-moine de St- Eloi ; Joseph
Gellin , ex-religieux de Gonay ; Roch-Joseph Legrand , ex-chanoine
de Béthune ; Charles- Louis- Joseph Leblanc , ex- carme.
Chambre commune : MM. Legar, Letierce , Maseler , Brunel , Mouret,
Dupont aîné et Dupont cadet , ex- capucins .
Chambres de MM . Nicolas- Joseph Moulin , ex prêtre de St- Omer ;
Nicolas- Joseph-Fortuné Lixon , ex-religieux de Saint-E'oi : Guislain-
Joseph Lebrun, ex- chanoine d'Aire ; Albert Bultez , ex-religieux de
Marœuil, petite rente ; Petit , ex- chapelain d'Arras ; J.-B. Braine, ex-
bénéficier d'Arras ; Louis -Adrien Coquelin , ex - curé d'Audresselle (de
Samer) ; Pierre-François Moncomble , ex- bénéficier d'Arras ; Joseph-
Louis Folquin , ex-chapelain d'Arras ; Dehée , ex-religieux de St-Eloi ;
Robert Despretz , 78 ans , ex- chapelain d'Arras , infirme ; J.-B. -Augus-
tin de Rochefort, ex-curé de Boiry-Becquerelle , originaire d'Arras ,
était assez riche, sa mère vivait encore à Arras ; Abraham , ex- béné-
ficier d'Arras, maison ; Antoine Dubruille, ex-lazariste , 500 livres de
revenu et meubles ; Jacques- François Olivier, ex -religieux de Saint-
Vaast, quelques meubles ; François Arrachart, ex-bénéficier , quelques
terres à Miraumont.
Nicolas-François Le Bon, directeur de la maison de réclusion , ci-
devant dite du Vivier, nous a dit qu'il était mort dans la maison :
Harduin, ex-carme, sans propriété , et le nommé Lallart, ex- chanoine ,
dont la succession a été recueillie par Ferdinand Dubois et autres de
sa famille. Collationné : LEFRANC .
122 LA TERREUR

Nous en citerons un passage sur la transformation


que la Terreur apporta dans le costume laïque arté-
sien, auquel depuis longtemps déjà le clergé avait dû
se soumettre : « Un homme qui ne veut pas être dé-
signé comme suspect se revêt d'une veste (carma-
gnole) et d'une culotte en coton rayé ou en drap gros-
sier , d'une cravate de cotonnade voyante , tortillée
comme un collier de cheval et se projetant bien au-
delà du menton avec cela un bonnet de toile rouge et
bleue , brodé en avant, ressemblant beaucoup par la
forme à celui de Pierrot dans la pantomime , et une
paire de boucles d'oreilles à peu près de la taille d'un
grand anneau de rideau . Enfin , il écourte ses cheveux
et encourage soigneusement la croissance d'une énorme
paire de favoris qu'il parfume de fumée de tabac .
Cependant, quand on ambitionne une réputation plus
haute , on dédaigne tous ces raffinements d'élégance
et on affecte de paraître sale et en lambeaux , ce qu'on
décore du nom de républicanisme sévère et de pau-
vreté vertueuse . C'est ainsi qu'au moyen d'un habit
râpé et percé aux coudes , de sabots et d'un bonnet
rouge , le riche espère mettre sa fortune à l'abri et
l'ambitieux intrigant compte acquérir un emploi lu
cratif. »
Quant à l'administration que la ville d'Arras et le
département du Pas-de-Calais avaient alors à leur
tête , en voici le portrait écrit dans la maison d'arrêt à
la fin de 1793 « Toute l'administration du pays est
aux mains de débauchés nécessiteux et ignorants ,
d'escrocs , d'hommes condamnés par les lois , et qui ,
sans la Révolution , seraient maintenant aux galères
ou en prison . Il faut y ajouter quelques hommes de
caractère faible et de principes peu solides , qui gar-
dent leurs places parce qu'ils n'osent pas les quitter ,
et un très petit nombre de fanatiques ignorants qui
s'imaginent réellement être libres parce qu'ils peuvent
molester et détruire avec impunité ce qu'on leur avait
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICMIMES 123

appris à respecter jusqu'ici et parce qu'ils boivent


trois fois plus que dans l'ancien temps . »
Le témoin de la Révolution ajoute à la date du 30
octobre « Le caractère sombre et féroce de Le Bon
se développe d'heure en heure : tout le département
tremble devant lui , et ceux qui ont le moins mérité
la persécution sont , avec raison , les plus anxieux . »
Ce terrible régime et les craintes qu'il laissait con-
cevoir ne firent que s'aggraver avec la nouvelle inves-
titure que Le Bon reçut de ses pouvoirs . De ses plus
fidèles séïdes , quelques - uns ne tardèrent même pas
à passer pour modérés , tandis que le proconsul se
mettait à la tête des terribles .
Le président Beugniet paraissait trop froid , Demu-
liez lui-même avait des scrupules et demandait des
lois . Le Bon l'envoya passer quelques jours à Paris
pour faire son apprentissage auprès d'Herman . Autres
étaient Marteau, surnommé la mort, parce que c'était
son unique sentence , l'huissier Taquet qui , tous les
jours , renouvelait avec des raffinements , l'affreuse
scène de l'appel des condamnés , enfin le bourreau
Petit - Pierre , qui accompagnait ses exécutions , de
propos sinistres et de plaisanteries infâmes .
Quant à l'entourage de Le Bon , sa femme , Galand ,
Carlier , Duponchel , Jouy , Caubrière , Daillet , Darthé ,
Lefetz , tous applaudissaient avec frénésie à ses pa-
roles et à ses actes .
Les auteurs des Angoisses de la mot ajoutent leur
témoignage à ces souvenirs d'une étrangère et ce té-
moignage est plus navrant encore . A l'exception d'Ef-
froy , disent- ils , tous les geôliers étaient infâmes .
Lefebvre , ex-commis du gros , le blanchisseur Demaux
rivalisaient de violence et d'obscénité .
On faisait comparaître les suspects au club , au milieu
des chasseurs et des gardes nationaux , on les plaçait
sur un siège de bois de dix pieds de haut, et , sur ce
redoutable fauteuil , ils avaient à répondre à toutes les
124 LA TERREUR

dénonciations et aux avanies de l'assemblée . Aux ex-


prêtres surtout, on tenait toute sorte de vils propos : il
y en eut qui avouèrent qu'ils n'avaient été que des
imposteurs , des charlatans , des scélérats , et c'est
ainsi qu'ils obtinrent leur liberté : « mais ce ne fut pas
le grand nombre ; un d'eux brûla à la chandelle ses
lettres de prêtrise et fut élargi . >>
Le Bon, ajoute le même auteur , réunit toutes les
ex-religieuses et leur tint un langage obscène , leur fit
tour à tour des promesses et des menaces pour obtenir
d'elles le serment et finalement les fit mener en
prison.
Avant de les y recevoir , on les fouillait ignoblement ,
<< en Cartouche » et on les enfermait à l'Hôtel- Dieu et
surtout à la Providence , dans l'ancien repaire des
prostituées , où elles furent entassées cinq cents , sous
la direction de trois mégères .
C'est là peut- être que la persécution atteignit le
mieux les limites de l'ignoble . On obligea les prison-
nières à nettoyer des immondices sans nom , accumulées
dans cette maison à quatre pieds de hauteur . On les
logea dans des casemates vraiment sépulcrales . De-
maux , Gilles et Lemirre , commissaires , y multiplièrent
les scandales plus encore que les orgies , et , à la moin-
dre résistance , les malheureuses étaient enfermées
dans le cachot des cadavres .
La désignation des victimes se faisait vers quatre
heures du soir pour les hommes . Taquet arrivait , ha-
billé en coureur , coiffé du bonnet de police , et cher-
chant d'un œil farouche les prisonniers voués à la mort .
<< Prends ton chapeau et viens en bas , disait - il , on te
demande » , et son ton sépulcral complétait la scène . Il
les conduisait aux Baudets , « l'avant -garde de la
mort , » non sans les avoir dépouillés , à pied , par le
chemin le plus long, souvent en les faisant passer de-
vant la guillotine , et durant leur dernière nuit ils cou-
chaient sur la paille .
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 125

A la Providence, c'étaient les mégères qui annon-


çaient les exécutions en disant : Je crache le sang. La
femme Lemaire , directrice et sa sous-directrice Cathe-
rine Lallart , insultaient et désespéraient leurs victimes .
Une femme pourtant fit exception à cette sorte de
barbarie . C'était Marie -Josèphe Chevalier , ou Madame
Duquesne, la femme du directeur de l'Hôtel- Dieu , et
ensuite de la Providence ; elle mérita la reconnais-
sance des prisonnières .
Quant aux prisons des hommes , on se rendra compte
de leur état horrible , par le rapport suivant de l'un
des commissaires chargés de les visiter , au point
de vue de la salubrité .
« J'ai rempli la commission dont vous m'avez chargé
et je me suis rendu , avec le citoyen La Vallée , officier
municipal , chargé de l'inspection des maisons d'arrêt ,
à celle du Rivage .
« On ne peut se faire une idée de l'état d'infection
que présente cette maison . A son entrée , dans un pre-
mier vestibule, tous les genres de malpropreté se trou-
vent réunis : je supprimerai les détails ; ils vous feraient
bondir le cœur .
« Les cours , qui servent de promenades , sont très
étroites , dominées par les remparts ; l'air y circule
difficilement , un lac puant y séjourne et l'odeur en
est insupportable .
« Les places du rez -de- chaussée sont humides et
malsaines ; mais on n'y place que les personnes con-
damnées .
« Celles de l'étage sont passablement grandes et
aérées , surtout dans le quartier destiné aux bourgeois ;
mais on se sert , en partie , de celles - ci pour y loger les
militaires , quoique la distribution des corps - de - logis
et des escaliers permette que les uns et les autres
soient sans communication , même pendant les prome-
nades .
« Nous avons remarqué, en général , beaucoup de .
126 LA TERREUR

malpropreté dans cette maison ; tout y est en désordre


occasionné par l'insouciance de l'ancien concierge ,
contre lequel on a fait beaucoup de plaintes sur la mal-
propreté et l'insalubrité des aliments qu'il distribuait
aux détenus .
« Je ne dois pas passer sous silence un objet qui m'a
révolté , c'est que l'eau destinée à la boisson des déte-
nus est placée dans un endroit malsain et déposée
dans un tonneau qu'on m'a assuré être vidé et nettoyé
tous les quinze jours ; il n'est pas possible que l'eau ne
s'y corrompe et n'engendre pas des maladies .
<
«
< Un autre abus est qu'on transporte dans cette
maison les détenus pour fait de suspicion , ou pour
simple correction de police , et qu'on les place pêle-
mêle avec les individus prévenus ou condamnés pour
crimes ... on devrait être scrupuleux à désigner à
chacun des détenus la maison qui lui convient.
« Il est donc très urgent de prendre un parti défini-
tif sur cette maison : ou l'abandonner , ou faire immé-
diatement les réparations nécessaires pour faire cesser
l'infection qui y règne.
« La commission propose donc : 1 ° la nomination
d'un nouveau concierge avec des appointements suf-
fisants pour qu'il renonce à se procurer des gains illi-
cites ; 2° un règlement de police intérieure pour la
prison ; 3° mille livres pour réparations urgentes et
rendre le local salubre . »
Le plus souvent, les tortures morales s'ajoutaient
aux souffrances physiques et aux plus vils traitements ;
une commission composée de Duponchel , Bacqueville ,
Carlier et autres pénétrait inopinément dans la prison ,
multipliant les questions embarrassantes , et offensant
les sentiments les plus délicats . Duponchel surtout se
distinguait , paraît-il , dans ce rôle odieux .
Le tableau de ces horreurs des prisons d'Arras ,
d'après des témoins et des victimes , fait présumer ce
que serait le récit d'un prisonnier ecclésiastique du
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 127

Vivier , du Collège ou des Capucins , si l'un de ces


confesseurs de la foi avait eu la pensée d'en décrire
les détails .
Cependant un obstacle restait qui empêchait la bande
sanguinaire de réaliser ses projets : c'était le jury.
Dans le procès du comte de Béthune , il fallut une pres-
sion violente de Le Bon et même la violation flagrante
des règles les plus élémentaires de la procédure pour
obtenir la condamnation et l'exécution immédiate ; le
tyran comprit dès lors qu'il lui fallait un instrument
plus souple et plus expéditif. Le jury ordinaire fut
supprimé et le jour même , 12 février , Le Bon en ins-
titua un autre .

«< Considérant , dit-il , qu'avec les jurés ordinaires ,


la chose publique est à chaque instant compromise , et
que l'inexpérience , la faiblesse , l'incivisme même de
plusieurs d'entr'eux encouragent le coupable espoir
des contre-révolutionnaires ;
<< Considérant qu'en paraissant devant le tribunal ,
l'innocence et le patriotisme doivent être assurés de
sortir victorieux , et les conspirateurs et leurs agents
de toute espèce ne voir que la foudre nationale prête
à les écraser :
<< Arrête que le tribunal criminel du département
du Pas -de -Calais , même siégeant révolutionnairement ,
aura un juré ;
« Que ce juré ne pourra être pris que parmi les
citoyens dont la liste est ci- annexée ;
« Que les membres de ce juré feront toujours leur
déclaration à haute voix ;
... Que tous les délits contre la chose publique , de
quelque nature qu'ils soient , seront jugés révolution-
nairement . >>

Suit une liste de soixante noms , choisis avec soin


dans le département tout entier, parmi les plus purs
terroristes , et où se retrouvent en particulier les plus
128 LA TERREUR

fidèles instruments de Le Bon à Arras et à Saint-Pol ( 1).


En notifiant son arrêté au Comité de Salut public , Le
Bon eut l'audace de le justifier par les hésitations des
jurés ordinaires dans le raccourcissement du comte de
Béthune, et par la nécessité « d'exterminer cette bande
de conspirateurs de tous grades dont les départements
frontières sont inondés . »
Quelques jours plus tard , le 13 février, Le Bon per-
suadé que son jury était agréé , lui remit , par un nou-
vel arrêté , la vie et la mort des accusés , en enlevant
aux juges la faculté de statuer sur l'existence et la
criminalité du fait imputé , et en ne leur réservant que
l'application de la loi pénale .

(1) Liste des jurés pour les affaires qui intéressent la nation. -
1. Duponchel , de la Société populaire , à Arras. 2. Carlier, de la
Société populaire, idem. - 3. Daillet, idem . 4. Caubrière , idem.
5 Taffin-Bruyant, idem . 6. Darthé , idem. 7. Flament, directeur
de la poste, à Saint- Pol. - 8. Lamoral Vasseur, idem. 9. Louis
Regniez , idem. ---- — 10. Joseph Helle , idem. — 11. Célestin Lefetz, à
Arras. 12. Nicolas Lefetz , idem . - 13. Leroulx , à Béthune . - 14.
Beugniet, secrétaire, idem. - 15. Duhaut - Pas, d'Arras , idem. - 16.
François Clément, d'Aix- en- Gohelle. - 17. Remy , greffier, à Bapaume.
- - 18. Augustin Boniface , idem . ------ 19. Armand , de la Société popu-
laire , à Calais. 20. Quignon l'aîné, à Boulogne. -- 21. François
Gouillart, à Béthune. - 22. Galand , de la Société populaire , à Arras.
- 23. Dartus , idem. 24. Térence Quigniart , idem. 25. Gilles ,
horloger , idem. 26. Asselin père , de la Société populaire, idem .
27. D'Ivyncourt, à Montagne -sur-Mer. - 28. Raguenet, à Hesdin.
29. Turlure, à St-Omer. 30. Toulotte , idem , —— 31. Honoré Vallé,
idem . - 32. Dupuis , de la Société populaire , idem. - 33. Damart ,
idem. - 34. Colin, de la Société populaire , à Aire . - 35. Delaplace, à
Hardinghem . - 36. Carrault, rue Sainte- Claire , à Arras . - — 37. Var-
nier, idem. -38. Petit , du district, idem. - 39. Saint-Rémy, au Petit
St-Pol, idem. - 40. Danten, idem . - 41. Blondel - Petit, idem . -- 42.
Planès , idem. --- 43. Gabriel Leblond , idem. - 44. Boisart, ex-chantre ,
idem . 45. Danel , chirurgien, idem . 46. Level , à Rivière . - 47.
Pajot-Berly, à Bapaume ..--- 48. Baudouin, idem . 49. Amable Fla-
ment, à Saint- Pol. -- 50. Boilly, à Frévent . -— 51. Miennée , à St- Pol.-
52. Bacqueville , de la Société populaire, à Arras. 53. Bocquet, à
Cagnicourt. 54. Lefebvre , à Béhagnies . 55. Joseph Danvin , à St-
Pol. 56. Gosse, piqueur, à Arras. 57. Leblond, à Ligny-sur-
Canche . 58. Constant Barbri, à Violaines . 59. Tassin dit Lagre-
nade , à Arras. - 60. Pain ; à la police, idem. - A Arras, ce 25 plu-
viôse, l'an second de la République française, une et indivisible .
Le représentant du peuple : Joseph LE BON.
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 129

Voici cet arrêté :


« Au nom du peuple français , Joseph Le Bon ,
représentant du peuple dans les départements du Nord
et du Pas -de -Calais ,
« Considérant que qui veut la fin veut les moyens ;
«< Considérant que depuis plusieurs mois le repré-
sentant du peuple, avec l'approbation du Comité de
Salut public , a autorisé le tribunal criminel du Pas-
de-Calais à juger révolutionnairement tous les préve-
nus de délits contre la nation ;
«
< Considérant que sans juré ledit tribunal ne peut
souvent prononcer que la simple réclusion des enne-
mis les plus dangereux de la patrie ;
«< Considérant , d'un autre côté , qu'avec des jurés
ordinaires la chose publique est à l'instant compro-
mise , et que l'inexpérience , la faiblesse , l'incivisme
même de plusieurs d'entre eux, encouragent le cou-
pable espoir des contre -révolutionnaires ;
« Considérant enfin qu'en paraissant devant le tri-
bunal , l'innocence et le patriotisme doivent être assu-
rés de sortir victorieux et les conspirateurs et leurs
agens de toute espèce ne voir que la foudre nationale
prête à les écraser, arrête ce qui suit :
<< ART. I. — Le tribunal criminel du département
du Pas-de-Calais , même jugeant révolutionnairement,
aura un juré.
<< ART. II . -Le juré, en pareil cas , ne pourra être
«
pris que parmi les citoyens dont la liste est ci-annexée .
« ART. III . — Les membres de ce juré feront tou-
jours leur déclaration à haute voix .
<< ART. IV . - Il n'est rien changé aux dispositions
des articles 3 et 4 de l'arrêté du 29 brumaire dernier,
portant que les affaires seront jugées dans les formes
voulues par la loi pour chacune d'elles , lorsque le
délit n'attaquera que les particuliers ; et que tous les
délits contre la chose publique , de quelque nature
qu'ils soient, seront jugés révolutionnairement » .
9
130 LA TERREUR

Entre ces noms flétris par la haine ou par la peur,


nous sommes obligés de relever ceux de plusieurs
prêtres Célestin Lefetz , d'Ivyncourt , Turlure , et
Varnier.
Ce sont donc ces jurés, désignés , chaque décade ,
douze par douze et par le sort à siéger, sous l'influence
du fanatisme révolutionnaire , par crainte ou par fai-
blesse , et surveillés par la populace , qui deviennent sur-
tout responsables des exécutions trop nombreuses que
nous avons à raconter désormais .
Le Bon, qui les payait douze francs par jour, les
invitait souvent à sa table ou à celle de ses hôtes , et
usait de toute son influence pour les amener à voter
la mort, est toutefois le grand coupable et c'est sur
lui que pèse avant tout la responsabilité du sang
versé.
C'est encore lui qui fit transporter l'échafaud de la
Petite - Place , où il était trop loin , sur celle de la Comé-
dié qui était plus centrale , qui le laissa entourer d'une
galerie et même agrémenter d'une buvette , afin que
de son bureau, et surtout de sa loge extérieure au
Théâtre, il pût assister aux exécutions , y conduire ses
invités , y présider en personne et se montrer ainsi
tout ensemble , autant du moins qu'il le pouvait , accu-
sateur, juge et bourreau .
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 131

§ 2. ― Les Victimes.

La famille de Béthune . - L'abbé Cary curé de Colline. -g L'abbé


Marchand. - Injustice criante de la commune d'Arras. Procès
des chanoines. Arrêté de Le Bon. - Réquisitoire de Demuliez.
- Question posée au jury. Défense des accusés . - Leur mort .
Le curé de Ligny, Jean Diot. - Intervention de Le Bon.
Célèbre procès de Madame Bataille . Sa cause . Duquesnoy et
Le Bon assistent aux débats . Défense et acquittement de Dau-
chez . - Sainte mort de Madame Bataille. ― Le prévôt de La
Beuvrière et le curé de Saint - Bertin. - Arras agrandit ses cime-
tières. - Dépravation des enfants .

Ce sont des victimes de choix , des nobles et des


riches , que le tribunal révolutionnaire réclame d'abord ,
dans cette terrible période qui commence avec le mois
de mars 1794 .
La sœur du comte de Béthune , Madame de Modène ,
ses nièces et son neveu , le baron de Coupigny, M. Hé-
mart, Fruleux de Souchez , le marquis de Couronnel ,
Lallart de Berlette , sa femme , la marquise de Ber-
thould furent les principaux guillotinés de ce premier
mois nous devons y joindre l'abbé Cary , curé de
Colline , exécuté à Arras le 22 mars 1794.
Ce prêtre, originaire de Péronne , avait été dénoncé
par Le Bon lui - même à l'accusateur public Demuliez ,
pour avoir provoqué la désobéissance aux lois et même
la rébellion contre elles , dans une lettre que nous
avons citée , écrite à M. Nobleourt, théologal de Pé-
ronne, en prêchant l'indissolubilité du mariage et l'im-
possibilité où étaient les fidèles d'obéir à la loi du
divorce .
En conséquence , Demuliez l'accusa de conspirer et
d'abuser de ses fonctions de curé . Il resta pourtant
dans les prisons de Montreuil depuis la fin de novem-
bre 1793 jusqu'en mars . 1794 ( 1 ) et son dossier renferme

(1) No 44. Archives du Tribunal de Saint-Omer.


132 LA TERREUR

une foule de lettres suppliantes et de mémoires justi-


ficatifs qu'il adressait à Joseph Le Bon . Celui - ci n'en
tint aucun compte : la plaidoirie du citoyen Lefrancq
n'eut pas de meilleur effet convaincu de conspira-
tion, dit le jugement, Adrien -Vincent Cary fut con-
damné à mort (1).
Quelques jours plus tard , le 1er avril , c'était le tour
de l'abbé Marchand . François -Marie Marchand était
un jeune prêtre attaché à la paroisse Saint-Nicolas- en-
l'Atre , et qui avait été arrêté depuis longtemps comme
suspect d'émigration . Envoyé à l'hôpital pour cause de
maladie , il avait été dénoncé par le garçon meunier Bac-
queville comme l'objet des préférences des ci- devant
religieuses , et ramené au Rivage et ensuite aux Bau-
dets . Quand il comparut devant le Département , le
26 février 1794 , l'abbé Marchand justifia sa résidence
à Arras du mois d'avril 1792 à celui de mars 1793 , et
obtint un sursis pour faire la preuve . Mais quand il
demanda à la commune d'Arras de faire comparaître
les témoins qui pourraient certifier sa résidence , celle-
ci , avant de les admettre , voulut que les citoyens des
galeries qui assistaient à ses délibérations fussent
entendus sur leur civisme . Un seul fut admis sur sept ,
et l'on se contenta , pour les autres , de cette réponse
<< qu'ils ne pouvaient pas garantir que depuis un an
l'abbé Marchand n'avait pas fait quelque voyage. » >
Faute de preuves de résidence qu'on le mettait dans
l'impossibilité de fournir , l'abbé Marchand fut réputé
émigré par le Département qui le livrait ainsi à la mort.
Le prévenu eut beau offrir avec insistance de justi-
fier sa résidence à nouveau , si on voulait lui en four-
nir les moyens. Un des membres de l'administration
maintint que les municipalités avaient le droit de récu-
ser les témoins présentés par les prévenus , l'assem-
blée accepta cette inconséquence monstrueuse , quoi-

(1) Juges Beugniet, Richard , Marteau, Cyr. Caron.


LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 133

que l'un des administrateurs ait eu le courage de


la faire remarquer , et l'abbé Marchand fut ramené au
tribunal . Celui- ci n'avait évidemment qu'à appliquer la
loi , il le fit sur le champ et la mort fut sa sentence (1).
Malgré ces divers incidents , le procès de l'abbé Mar-
chand et son exécution ne durèrent pas deux heures.
Les condamnations et les exécutions commençaient
donc à s'accélérer . Le Bon jugea bon de les accélérer
encore . Dans la journée du 5 avril , cinq membres de
la noblesse entrant aux Etats d'Artois , coupables
d'avoir signé , en avril 1789 , une délibération qui ten-
dait à sauvegarder les privilèges de leur corps , payè-
rent de leur tête « le crime de l'avoir laissée subsister
dans un dépôt public sans aucun désaveu depuis l'épo-
que de la signature » ; le lendemain , ce sont six cha-
noines de la cathédrale d'Arras que l'on punit pour
avoir signé de leurs noms une déclaration du même
genre .
On se souvient de cette noble déclaration du Chapitre
d'Arras en réponse à l'intimation qui lui a été faite de
cesser l'office public dans sa cathédrale : elle était
signée de trente -six chanoines , mais sept seulement
d'entre eux étaient dans les prisons d'Arras .
L'un d'eux , le chanoine Boistel , malade aux Capu-
cins , ne fut pas inquiété de ce chef.
Pour accuser les autres , Le Bon avait voulu tenir lui-
même la plume et formuler un arrêté en date du
3 avril que Demuliez n'eut qu'à reprendre pour réqui
sitoire. En voici les termes :
<< Au nom du peuple français ,
« Joseph Le Bon , représentant du peuple dans les
départements du Pas - de - Calais et circonvoisins .
Vu le procès-verbal tenu le neuf de ce mois chez
l'ex- chanoine d'Arras , Malbeaux , tant par les commis-
saires de la commune d'Arras que par ceux du Dis ·

(1) Juges : Beugniet, Marteau, Richard, Dupuis.


134 LA TERREUR

trict, chargés des scellés et inventaires des émigrés ;


duquel il résulte qu'il a été trouvé , dans l'une des pla-
ces de la maison ci-devant occupée par ledit Malbeaux ,
différentes brochures , protestations et papiers contre-
révolutionnaires et royalistes , au nombre desquelles
se trouvent des brefs du pape , des mandements d'évê-
ques émigrés , ainsi que des adresses au tyran , enfin
un traité conclu par les frères du traître Capet avec l'em-
pereur et le roi de Prusse contre la Révolution française ;
« Considérant que depuis le commencement de la
Révolution, les ci-devant nobles et les prêtres inser-
mentés n'ont cessé de conspirer contre elle , que quoi-
que la plupart d'entre eux se soient émigrés , il n'en
est pas moins vrai que , par une politique infernale ,
beaucoup sont restés dans l'intérieur de la République,
et que ces derniers , par leurs correspondances , tant
intérieures qu'extérieures , n'ont cessé de hâter la
ruine des patriotes et le renversement du gouverne-
ment, soit en faisant connaître aux émigrés , leurs com-
plices , nos moyens d'attaque ou de défense , soit en
propageant le royalisme et le fanatisme par la circula-
tion d'une foule d'écrits incendiaires ;
<< Considérant aussi , que , d'après une délibération
du ci-devant Chapitre d'Arras , du vingt- et-un décem-
bre 1790 , il est constant que les nommés Defrance dit
Vincly ; Leroux , dit Duchatelet ; Lefebvre dit de
Gouy ; Boucquel dit Lagnicourt ; Malbeaux, de Bors-
sart, ex-archidiacre ; de Bourghelles , de Buissy , de
Lignac et Harduin , tous ci-devant chanoines d'Arras ,
actuellement détenus dans les maisons de réclusion
de cette commune , à l'exception dudit de Lignac qui
réside à Tours, sont les auteurs ou complices de la
conspiration qui a existé contre la nation française , en
protestant contre les décrets de l'Assemblée nationale
et en cherchant à soulever le peuple contre ces mêmes
décrets sous le prétexte spécieux et perfide , que la
religion était compromise dans leur exécution ;
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 135

<< Considérant enfin que les pièces trouvées chez


ledit Malbeaux prouvent suffisamment qu'il était un
conspirateur et un traître , et que les individus ci-des-
sus repris étant en liaison ouverte et habituelle avec
lui , sont fortement présumés avoir professé les mêmes
principes ; ce qui est prouvé évidemment par la signa-
ture qu'ils ont apposée au bas de la délibération dont
il s'agit :
« Arrête que les dits Defrance , Leroux , Lefebvre ,
Boucquel , Malbeaux , Borssart , Bourghelles , Buissy,
Harduin et Lignac seront de suite traduits au tribunal
révolutionnaire séant en cette commune pour y être
jugés . Auquel effet , les pièces au nombre de dix-huit ,
ainsi que le procès-verbal tenu chez Malbeaux , l'un
d'eux, seront adressées sur-le - champ à l'accusateur
public près ledit tribunal qui sera tenu d'en accuser
réception.
«< Arrête , en outre , qu'il sera écrit au Comité de
surveillance de Tours, pour qu'il fasse arrêter et con-
duire à Arras ledit de Lignac , afin d'être également
traduit au même tribunal .
« A Arras , le 14 germinal , l'an second de la Répu-
blique française , une et indivisible .
Le représentant du peuple,
« Joseph LEBON . >>
Demuliez, en reprenant cet arrêté dans son réqui-
sitoire, omit d'insérer les noms de M. Lefebvre de
Gouy, qui était mort au Vivier , de Borssat et de Bour-
ghelles , qui étaient émigrés , et de Lignac , qui n'avait
pas été amené de Tours à Arras il ne cita donc au
tribunal révolutionnaire que MM . Malbeaux , Boucquel
de Lagnicourt, de Buissy , Leroux du Châtelet , de
France de Vincly et Harduin .
La question posée au jury de jugement, sur le compte
de M. Harduin d'abord , et que l'on trouve au dossier ,
écrite de la main du président Beugniet, est conçue
en ces termes : « Harduin est-il l'un des auteurs ou
136 LA TERREUR

complices de la conspiration ourdie contre le peuple


français et sa liberté par la rédaction et signature d'une
protestation attentatoire à la souveraineté du peuple
et au principe de l'égalité, (ou en laissant subsister sa
signature au bas de cette protestation , sans aucun dé-
saveu ni rétractation , après en avoir eu connaissance) ,
et en cherchant par toutes les manoeuvres possibles ,
et surtout sous le prétexte spécieux et perfide que la
religion était compromise , à ébranler la fidélité des
citoyens envers la nation française ? »
Tel fut le thème développé par l'accusateur public,
à l'adresse de chacun des six prévenus , avec cette
aggravation pour M. Malbeaux qu'en royaliste pèrfide
on l'accusait encore « d'avoir cherché à corrompre
l'esprit public par la conservation d'une foule d'écrits
des plus incendiaires et contre-révolutionnaires . >>
Or ,il n'était aucunement prouvé que M. Malbeaux ait
communiqué ses livres à qui que ce soit , et la décla-
ration collective des chanoines d'Arras que l'on incri-
minait n'était produite ni en minute ni en expédition ,
mais tout simplement sous forme d'un exemplaire im-
primé. Outre que cette protestation était licite quand
elle avait été écrite , qu'elle était en tout cas couverte
par l'amnistie de 1791 , rien ne prouvait qu'elle avait
été signée par les accusés. La vérité était même que
le chanoine Harduin n'y avait pas mis son nom , puis-
qu'il était à Boulogne le jour où elle fut écrite à Arras
et que c'était le chanoinė Vallé qui avait signé pour
lui.
Ces arguments et plusieurs autres furent mis en
lumière par les trois défenseurs officieux , Lefrancq ,
Hacot et Leducq ; les accusés eux-mêmes parlèrent
tour à tour, mais ils n'obtinrent qu'une concession ,
celle de la note marginale que Beugniet ajouta à sa
première question et dans laquelle il accuse les cha-
noines << d'avoir laissé subsister leurs signatures au bas
de la protestation sans désaveu ni rétractation . »
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 137

Avec cette modification les jurés répondirent unani-


mement que le fait était constant et le tribunal con-
damna les six accusés à la peine de mort « pour ma-
nœuvres et intelligences avec les ennemis de la
France . » Leurs biens devaient être confisqués et le
jugement qui les condamnait renvoyé dans 83 dépar-
tements et affiché dans toutes les communes du Pas-
de-Calais (1).
C'est le dimanche 6 avril , à l'heure de midi , que les
six représentants du chapitre d'Arras montèrent sur
l'échafaud, et payèrent de leur sang leur fidélité et
celle de tous leurs collègues à la cause de l'Église , à
la liberté de la prière et aux privilèges de leur illustre
corps .
Après les représentants les plus véritables du Haut
Clergé, c'est un jeune et simple curé , qui a eu sa célé-
brité et qui avait accepté avec quelqu'empressement
les idées de réforme sociale de la Révolution , dont .
nous avons à signaler la mort violente . Jean Diot ,
curé de Ligny- sur - Canche , et ancien représentant du
clergé aux États- Généraux , avait été décrété d'arres-
tation par Elie Lacoste et Peyssard , le 31 octobre 1793 .
Le Bon et Lefetz le firent amener aux Baudets le 15
mars 1794 et un nouvel arrêté de Le Bon , du 11 avril ,
le renvoya devant le tribunal révolutionnaire .
Avant de prononcer ce renvoi , dont les conséquences
étaient faciles à présumer , Le Bon avait chargé Gal-
land de procéder à l'interrogatoire de l'abbé Diot . Cet
interrogatoire , qui figure au dossier , roule surtout sur
l'attitude de Diot à l'Assemblée constituante . Galland
demande notamment au représentant où il siégeait .
<< Répondu qu'il siégeait ordinairement au côté droit,
mais qu'il passait au côté gauche quand il était ques-
tion de décrets importants. Il a voté pour qu'on retirât

(1) Beugniet, président ; Bernard Dupuis, Maximilien Flament,


Cyriaque Caron, juges.
138 LA TERREUR

au clergé ses biens , il a voté contre le veto, il a voté


contre le droit de guerre et de paix à laisser à Capet,
il a voté pour les assignats à créer, et les réserves
dont on l'accusa par rapport aux biens nationaux
n'avaient trait qu'au mode de paiement des biens
achetés . De plus , il est prêtre constitutionnel , n'a pas
émigré et a blâmé les émigrés . »
Tout cela ne suffit pas à Le Bon , qui apostille de sa
main l'interrogatoire . « Considérant , écrit- il , qu'il a
existé en 1790 , 91 , 92 et 93 une conspiration infernale
tendant à ébranler la fidélité des citoyens envers la
nation française et à affaiblir le crédit national , en
jetant l'alarme sur la vente des biens ci-devant ecclé-
siastiques ; considérant que le nommé Diot est prévenu
d'avoir trempé dans ladite conspiration , qu'il est d'au-
tant plus inexcusable qu'il était représentant du
peuple et qu'en cette qualité il se devait tout entier à
l'intérêt public, le cite au tribunal révolutionnaire
dans les 24 heures . »
La lettre de M. Diot qui figure également au dos-
sier , est datée de Paris , le 5 juin 1791 , et adressée à
M. Thélu , avec lequel le curé de Ligny avait acheté
le prieuré de Boubers . Les seules réserves de M. Diot
portent en effet sur la perpétuité de l'achat ; mais ,
d'autre part, il émet sur la marche de la Révolution
quelques réflexions assombries qui durent déplaire à
Le Bon.
Le 12 , le réquisitoire de Demuliez ne fit que re-
prendre les conclusions de la veille ; « il résultait , dit-
il, de l'examen des pièces de cet ex-constituant, qu'une
lettre écrite de Paris , en date du 2 juin 1791 , renfer-
mait des principes tendant à discréditer les biens na-
tionaux et cherchant , par des moyens infâmes , à em-
pêcher les gens d'en acquérir , » il ajoute <« que ledit
accusé est d'autant plus coupable qu'il était repré-
sentant quand il donnait ces conseils perfides . >>
En conséquence , « Diot est accusé d'être un des
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 139

auteurs ou complices de la conspiration tendant à


ébranler la fidélité des citoyens envers la nation, et
à affaiblir le crédit national . » Signé : Peltier .
Aucun défenseur officieux ne prit la parole en faveur
de l'abbé Diot , qui se défendit lui-même contre les
accusations du substitut Peltier . Mais les jurés furent
unanimes à constater le fait ; il fut condamné à mort
pour manœuvres avec les ennemis de la France avec
exécution dans les 24 heures (1) .
Si la haine antireligieuse de Le Bon l'amenait à
prendre ses victimes même dans les rangs du clergé
constitutionnel , il faut reconnaître que ses coups se
dirigeaient de préférence du côté des prêtres réfrac-
taires . Les laïques mêmes , qui paraissaient les proté-
ger à un degré quelconque , encouraient également sa
vengeance et c'est pour avoir paru favorable aux prê-
tres émigrés que Mme Bataille et ses dix-neuf com-
plices montèrent sur l'échafaud , dans la célèbre journée
du 14 avril . On peut dire , avec M. Paris , qui en a ra-
conté avec soin toutes les phases , que ce procès ré-
sume toutes les horreurs de la Révolution .
Il s'agissait tout simplement d'une cotisation de
charité que les habitants riches et généreux de la pa-
roisse Saint-Jean- en- Ronville versaient depuis long-
temps entre les mains de leur curé pour les besoins
des pauvres . Ces ressources , après le départ du clergé
pour l'exil , furent recueillies d'abord par le receveur
Gamonet, et, ensuite , par une sainte femme , vénérée
de tous , Mme Bataille , qui , touchée du dénûment des
prêtres persécutés , crut pouvoir les considérer comme
pauvres et leur faire tenir quelques secours . •
C'est cet acte légitime de bienfaisance qui amena le
supplice de vingt personnes et acheva de jeter l'effroi
dans la ville d'Arras . Après la dénonciation d'un mal-
heureux menuisier du nom de Catenne , le petit registre

(1) Juges Beugniet, Richard et les deux Caron.


140 LA TERREUR

sur lequel Mme Bataille tenait note des aumônes qu'on


lui confiait, arriva entre les mains de Le Bon qui fit
arrêter sur le champ les personnes dont les noms
étaient inscrits sur ce registre . Caubrière , chargé des
informations et des poursuites , y mit un acharnement
implacable ; quelques autres faits , notamment un ma-
riage célébré dans la maison même de Mme Bataille ,
furent découverts .
Le pieux projet , conçu par quelques Artésiens , de
soustraire l'église Saint-Géry à la profanation ou à la
démolition , fournit également son contingent à la liste
des prévenus l'intervention du Département, de la
Société populaire , du Comité de sûreté générale , ajou-
tèrent à l'importance du procès et l'opinion publique
lui donna un caractère qu'aucun procès n'avait eu
jusque-là.
Le Bon , décidé à frapper un grand coup , en fit dès
lors son affaire personnelle . Comme Demuliez , qui
avait eu des relations avec le principal incriminé Dau-
chez, lui paraissait mal disposé , le conventionnel s'en
débarrassa en l'envoyant à Boulogne , et comme le subs-
titut Peltier lui-même n'était pas sûr , Cyriaque Caron
fut chargé de dresser l'acte d'accusation .
Mais le juge eut beau y mettre tous ses soins , Le Bon
trouva « qu'il ne valait rien du tout » et passa une
nuit à le fortifier par un arrêté spécial .
Tout en prenant à tâche d'accumuler les motifs qui
devaient amener les jurés à condamner surtout Dau-
chez , des grandes qualités duquel il était bassement
jaloux, Le Bon ne manqua pas d'y relever, à la charge
des accusés , tout ce qui pouvait mettre davantage en re-
liefleur fanatisme religieux . Il incrimine leur ardeur ‹« à
alimenter des scélérats et à encourager leurs projets
parricides contre la République , leur attachement
constant aux prêtres , ennemis de la Révolution , leur
audace à recéler des prêtres réfractaires , leur impu-
deur à servir de témoins à un mariage illégal célébré

!
LA PREMÈIRE SÉRIE DE VICTIMES 141

par un de ces prêtres abominables , ou à se laisser


marier par un monstre qu'ils étaient tenus de dénon-
cer. »
Or, quand en présence d'une force armée considé-
rable déployée pour la circonstance , en présence de
Duquesnoy et de Le Bon lui-même qui avaient pris
place dans l'enceinte de la justice , la voix redoutable
du greffier Leserre fit entendre aux jurés cet arrêté
violent , on peut juger de l'effet produit sur ces der-
niers par une injonction de cette sorte . Plusieurs des
accusés en perdirent le sentiment , et leurs avocats ,
interrompus indignement par les jurés eux-mêmes , ne
purent même ni présenter tous leurs moyens de
défense ni surtout obtenir communication de la prin-
cipale preuve du délit : le registre de Mme Bataille .
Plusieurs d'entre eux pourtant et surtout Dauchez
se défendirent avec énergie , et posèrent des fins de
non recevoir invincibles.
Mais l'attitude la plus admirable fut celle de
Mme Bataille . Sans se faire illusion sur le sort qui l'at-
tendait, elle se prépara à la mort avec une résignation
parfaite .
Quelques heures avant de mourir, de son cachot,
elle écrivit à ses cousines de Grandval pour se recom-
mander à leurs prières et leur dire sa force , sa rési-
gnation et sa confiance en Dieu. « Que vous et mes
autres amies ne craignent point, dit-elle , si un pareil
sort leur est destiné : il est doux de mourir pour Celui
qui est mort pour nous . »
Elle fait ensuite ses dernières recommandations et
s'efforce d'attirer sur elle seule la responsabilité de
l'accusation et le courroux des juges . A l'audience ,
elle montra le même calme et le même désintéresse-
ment , au point que le substitut Peltier , s'approchant
du président , ne put s'empêcher de lui dire : « Ses
moyens sont sublimes ! >>
Au fait, selon l'expression de Beugniet , le jury com-
142 LA TERREUR

mençait à mollir et Duquesnoy , furieux , voulait inter-


venir quand le débat prit fin , et que les jurés eurent à se
« comme d'autres Brutus , ayant le courage
prononcer , <
d'enfoncer le poignard dans le sein de leurs parents et
de leurs amis . »
Cette dernière recommandation du président fut
suivie de menaces et d'obsessions de toute sorte , de
la part surtout de Jouy, qui siégea dans cette affaire
sans être cependant sur la liste des jurés ; sept d'entre
eux, néanmoins, eurent le courage d'absoudre quatre
accusés et de ne livrer à Le Bon que vingt victîmes .
En apprenant cet acquittement, on dit que Le Bon
s'écria: Demain je composerai mon tribunal autrement ,
et telle était l'animosité que les partisans du proconsul
mettaient à servir sa vengeance , que la nuit suivante
Miennée faillit étrangler son collègue du jury, Rague-
net , qui n'avait pas voulu voter la mort.
L'effroyable exécution du 14 avril eut donc encore
ce résultat de semer dans le camp révolutionnaire
d'Arras des germes de division qui devaient éclater
bientôt.
Il nous reste à signaler, avant de clore cette première
série de victimes , la condamnation d'un religieux de
Saint-Vaast, Louis-François - Joseph Ansart , et celle du
curé constitutionnel de Saint- Bertin , Charles Michaud .
C'était un vieillard de 84 ans que l'ancien prévôt de
La Beuvrière, et il était seulement accusé «< d'avoir
conservé soigneusement des écrits incendiaires et
refusé opiniâtrement de prêter le serment prescrit par
la loi » , c'en était assez pour mériter la mort . Le Bon ,
qu'on sollicitait de lui faire grâce par égard pour son
âge , répondit brutalement : « Il ne faut pas se laisser
gagner par la pitié plus Ansart est vieux, plus son
aristocratie est enracinée » ; on le livra au bourreau
le 15 avril , le jour du mercredi saint.
Deux jours plus tard , le vendredi saint, c'était le
tour du curé de Saint- Bertin . Celui-là devait avoir
LA PREMIÈRE SÉRIE DE VICTIMES 143

pourtant des titres à l'indulgence . Quand il était curé


de Bomy, en 1791 , l'abbé Michaud , lui aussi consti-
tuant, avait eu des relations intimes avec Maximilien
Robespierre , dont il produisit les lettres capables de
l'excuser. « Je ne finirais pas , lui écrivait alors le chef
du Comité du Salut public , si je voulais vous exprimer
tous les sentiments que m'inspire votre zèle infatigable ,
pour la cause du peuple et de la liberté . »
Il témoigna également de son civisme en produisant
un certificat de la municipalité de Saint- Omer , et une
pétition signée d'un grand nombre de ses paroissiens .
Rien n'y fit . Le substitut Peltier l'accusait de s'être
emparé de plusieurs pièces d'argenterie , ornements ,
galons , linge , boiseries et autres effets appartenant à
son église , avant que de la fermer. Le Bon , de son
côté, était intervenu quelques jours auparavant pour
l'accuser aussi d'ébranler la confiance des citoyens
envers la nation , en prêchant contre la descente des
cloches . Vol et fanatisme , c'était un double crime qui
méritait la mort.
Michaud essaya de se justifier , Hacot parla pour lui ,
mais il fut condamné et exécuté dans les vingt-quatre
heures (1).
Après cette exécution vinrent celles de Boussemart et
du notaire Husson , receveur de l'évêque Conzié , <« chargé
par lui de vendre les briques destinées autrefois à la
construction d'un séminaire et qui les refusait aux
porteurs d'assignats » : la veille de Pâques , la guillotine
chôma soudain , par suite d'un décret de la Convention
nationale .
Ce répit imprévu arriva au moment où la ville
d'Arras commençait à ressentir les effets de l'encom-
brement de ses prisons et de la multiplication insolite
de ses morts . Le District fut obligé de prendre des
mesures pour le renouvellement de la paille dans les

(1) Beugniet, Richard, Dupuis , Flament.


144 LA TERREUR

greniers où il entassait les détenus et le Département


d'aviser à fournir à Joseph Le Bon un nouveau cime-
tière .
Le 1er avril, les commissaires Leroy et Gayant reçu-
rent la mission de parcourir les environs de la ville
pour y indiquer l'endroit le plus commode , eu égard à
sa situation et à la nature du sol , pour cet objet. Ils
trouvèrent une pièce de terre , dépendant de la ci-
devant abbaye de Saint-Vaast, adjugée à Liger et
rentrée dans la possession de la République par juge-
ment du tribunal révolutionnaire de ce jour , qui avait
condamné Liger à la peine de mort. Un quarré de
trois mesures , à prendre dans ladite pièce , fut désigné
comme lieu de sépulture de la commune d'Arras .
Quelques jours plus tard , le 16 avril , il fallut pren-
dre également une mesure de salubrité d'un autre
ordre . Nous citons encore les registres du Départe-
ment à cette date : « Un membre , y est-il dit , fait part
à l'administration que sans respect pour les mœurs ,
une quantité de citoyens et surtout d'enfants affluent
pour voir dépouiller de leurs vêtements les personnes
qui périssent par l'effet de la justice nationale ; il peint
la nécessité de faire cesser cette dégoûtante curiosité
et l'assemblée arrête ce qui suit :
Article 1er . — Ceux que la loi aura frappés de mort
conserveront leurs vêtements jusqu'au lieu de la
sépulture , personne ne pourra en approcher lorsqu'on
devra les enterrer .
-
Art. 2. Les gendarmes et les soldats de police
accompagneront les exécutés jusqu'au lieu de la sépul-
ture , et empêcheront les citoyens d'en approcher .
Art. 3. - Le conseil de la commune fera proclamer
le présent arrêté et punir par la voie de police correc-
tionnelle ceux qui l'enfreindraient. »
Onjugera par cet arrêté du niveau où était descendue
la moralité artésienne sous le terrorisme de Le Bon.
CHAPITRE CINQUIÈME

LA TERREUR DANS LES DISTRICTS

Les pourvoyeurs de la guillotine. ·- Rôle prépondérant du district


d'Arras.

Si la ville d'Arras avait le privilège de ses horribles


prisons , de son jury sanguinaire et de sa guillotine
en permanence , le département tout entier prenait à
tâche de lui fournir des prisonniers et des victimes .
Plus actif que tous les autres , parce qu'il opérait
sous l'œil du maître , le District d'Arras multipliait les
preuves de son zèle révolutionnaire . Enquêtes , dénon-
ciations , arrestations , il ne négligeait rien pour donner
des preuves de son civisme , et c'est au Comité de Salut
public qu'il s'adressait , le 20 mars , pour lui porter l'ex-
pression de son dévouement. « Nous voulons le gou-
vernement révolutionnaire , écrivait-il ; sans lui , sans
vous , et, faut-il le dire ? sans nous , qui sommes vos
bras , vous l'avez dit , la République , notre idole , que
deviendrait- elle ? Mais il faut le respect de la démar-
cation des pouvoirs , pour maintenir la hauteur des
principes de la tête à la queue . » Et pour preuve , il
adressait, le 2 avril , au Comité de sûreté générale dix-
huit feuilles remplies des seuls noms de ses détenus .
Encore cette liste s'augmentait- elle chaque jour par l'ap-
plication de mesures que les autorités ne se lassaient pas
de décréter . C'est ainsi que , le 14 mars 1794 , le Comité
de sûreté générale d'Arras prenait l'arrêté suivant :
« Il existe dans les maisons de réclusion d'Arras
des prêtres réfractaires qui sont dans le cas de la dépor-
10
146 LA TERREUR

tation et ces fanatiques , pour entrer dans les mai-


sons , ont mendié ou surpris des certificats de quelques
médecins qui leur donnaient toutes les maladies et
toutes les infirmités possibles : vu que le représentant
Le Bon a prononcé la nullité des arrêtés des autorités
supérieures en vertu desquels les prêtres ont été ad-
mis dans les maisons de réclusion , le conseil général
arrête que la municipalité d'Arras donnera les ordres
nécessaires pour que les prêtres qui n'ont pas l'âge
déterminé par la loi en soient retirés et transférés
dans la maison de Saint-Vaast spécialement destinée
aux condamnés par jugement . » Un moyen pourtant
était offert à ces malheureux pour obtenir la faveur
de l'administration et sortir de prison , le mariage .
Le 15 mars , Nicolas-Joseph Meurant , ci-devant
prêtre , c'est le registre du Comité qui parle , et détenu ,
demande à être mis en liberté pour se marier . On le lui
accorde à condition qu'il restera à Arras et se présen-
tera deux fois par jour au Comité de surveillance .

$ 1. A Boulogne et Saint-Omer.

Vaste enquête ouverte sur l'état des prêtres. Réponse de la com-


mune de Boulogne. Etat des prêtres. - La commune de
Samer renonce au culte. Démarche honorable des habitants de
Pernes et Conteville. - Poursuites religieuses à Bernieulles et à
Outreau. Le District témoigne en faveur de Ferdinand Dubois.-
Les filles de la Charité de l'hospice de Boulogne. Témoignage
des populations avoisinantes aux Sœurs de l'hôpital du Waast.
Rôle de Baret. -- Ses discours . - Visite de Demuliez et Darthé.
Arrestations des curés de Selles et de Parenty. - Joseph Lefebvre
devant ses anciens professeurs. - Baret et les prisons de Boulogne.
- Coffin à Saint-Omer.- Ses correspondances avec Le Bon. - Les
détenus de Dohem . On achève de vendre les dépouilles des
églises de Saint- Omer. Nouveau discours de Coffin contre le
fanatisme..-- Arrestation du curé de Serques.- Mariage de l'évêque
Porion.- Naissance de son fils Floréal.- Ses malheurs de commer-
cant. - Fêtes sacrilèges. - La Sainte Montagne .

Pour compléter le système de persécution qu'il


LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 147

avait inauguré contre les prêtres , au mois de février


1794, Le Bon ordonna par tout le département une
vaste enquête , dans laquelle toutes les municipalités
devaient dresser la liste exacte de tous les prêtres qui
avaient existé dans chaque commune depuis cinq ans ,
en déterminant leur état actuel , leur situation , leur
serment, et s'ils étaient , oui ou non, dans le cas de ré
clusion.
Les hommes à qui le soin de ces recherches était
confié , dans les villes du moins , n'étaient pas les amis
des prêtres , ils y mirent pourtant des ménagements .
On se fera une idée des réponses adressées au pro-
consul par un extrait de celle qui vint de Boulogne , de
la section des Casernes, c'est une des plus détaillées
que renferme le dépôt des archives .
COMMUNE DE Boulogne . « Jean-Joseph -François
Roche , 25 ans et demi , écrivain dans le bureau des
autorités , constitué membre de la Société populaire et
ayant remis ses lettres de prêtrise , quitté toute espèce
de fonctions curiales et ecclésiastiques , vivant des se-
cours de la nation , a prêté serment en janvier 1791 et
l'a renouvelé toutes les fois que la loi l'a exigé . Il est
un bon républicain , vraiment à la hauteur de la Révo-
tion et se plaisant à se rendre utile au bien général .
Il était ci - devant curé de l'ancienne paroisse Saint-
Nicolas de Boulogne .
« François - Marie Cléry , 46 ans , natif de Boulogne où
il a toujours résidé , l'un des instituteurs de la Société
des Amis de la Constitution en 1790, a été aumônier
des prisonniers et en a abdiqué les fonctions en re-
mettant ses lettres de prêtrise en frimaire dernier, a
prêté le serment exigé des prêtres dans les délais voulus
par la loi . Il est bon républicain , se plaisant à se
rendre utile à ses concitoyens et pour le bien en gé
néral .
<< Claude Patenaille , 51 ans , a été ci - devant gardien
de l'ancien couvent des Cordeliers de Boulogne jus-
148 LA TERREUR

qu'à sa dissolution , ensuite est passé curé à Wimille ,


où il a résidé jusqu'au 10 pluviôse , après avoir abdiqué,
dès le 28 brumaire dernier, est venu fixer sa résidence
à Boulogne , en cette section , où il vit de sa pension
de religieux: a prêté le serment civique en janvier
1791 , étant alors gardien et réitéré ce serment ainsi
que celui exigé par la loi du 12 août 1792 , dans les
délais prescrits . Bon républicain , membre de la Société
populaire depuis sa création et antérieurement mem-
bre de la Société des Amis de la Constitution ; s'est
toujours comporté au désir des lois , et au vœu de ses
concitoyens , ayant toujours été révolutionnaire ; a
rempli plusieurs fonctions publiques , renoncé à tout
traitement de curé , dès avant le décret qui les fixa , et
abdiqué toutes ses fonctions du culte catholique en
brumaire dernier .
Joseph- Barthemy Damy, est marié et établi mar-
chand à Boulogne , a remis ses lettres de prêtrise en
abdiquant ses fonctions de prêtre , réside en cette
commune depuis plus de deux ans et y vivant de sa
pension de religieux minime , ce à quoi il s'est restreint ;
a prêté le serment civique et celui exigé par la loi
du 14 août 1792 , dans les délais prescrits. A toujours.
été bon citoyen et bon républicain , s'étant prêté dans
tous les temps à l'utilité de la chose publique et a
rempli à la satisfaction du District différentes commis-
sions dont il l'avait chargé .
« Jean- Pierre Lonqueti , a été bénédictin du ci- devant
couvent de Saint- Valery- sur - Somme jusqu'à sa disso-
lution ; ensuite est venu en cette ville , le 14 juin 1791 , et
y a résidé chez son frère jusqu'en 1793 , pendant lequel
temps il a exercé ses fonctions de prêtre par dévoue-
ment à la ci -devant paroisse de Saint-Nicolas , au
grand contentement de ses concitoyens ; est allé ensuite
desservir la cure de Wissant pendant neuf mois et
celle d'Hesdin- l'Abbé jusqu'en brumaire dernier, qu'il
a quitté ses fonctions et remis ses lettres de prê-
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 149

trise ; il réside en ce moment à Hesdin-l'Abbé et y vit


des secours de la nation . A prêté le serment civique et
celui exigé par la loi du 12 août 1792 , dans les délais.
prescrits . Est bon citoyen et bon républicain , jouissant
de l'entière estime de ses concitoyens , s'étant toujours
comporté suivant le vœu des lois , qu'il s'est cons-
tamment fait un plaisir de lire à ses concitoyens , en
leur expliquant le sens des dites lois .
<< Emilien de Le Leu , 82 ans , était religieux capucin
au couvent de Boulogne , où il a demeuré et demeure
encore dans cette section, est caduc et très infirme , il
vit avec les seuls secours que la nation lui procure . A
prêté le serment civique et celui exigé par la loi du
12 août 1792 , dans les délais prescrits . Avait quitté ses
fonctions de prêtre avant la Révolution , à cause de ses
grandes infirmités ; a prêté le serment entre les mains
d'un officier municipal . >>

PRÊTRES QUI ONT RÉSIDÉ A BOULOGNE .

« Demaux , 56 ans , était ci- devant vicaire au couvent


des Capucins de cette commune et , depuis sa dissolu-
tion , s'est mis en pension dans cette section jusqu'en
juillet dernier , qu'il a quitté Boulogne pour aller demeu-
rer chez ses parents à Amiens . Il vivait des secours
que la nation lui procurait. A prêté le serment exigé
dans les délais prescrits . S'est toujours comporté aux
désirs des lois et de ses concitoyens en se rendant
utile par son dévouement à la chose publique.
<< Louis Maillard , 45 ans , a résidé dans la ci - devant
maison des Capucins de Boulogne jusqu'à sa dissolu-
tion , qu'il est parti pour aller demeurer au couvent
des ci-devant capucins de Meudon près Paris , d'où on
n'a plus entendu parler de lui . On ignore s'il a prêté
le serment exigé par la loi , étant parti de Boulogne
avant que la loi qui l'exigeait des prêtres eût été ren-
due. On ignore ce qu'il fait actuellement, on ne peut
150 LA TERREUR

dire quels sont ses sentiments sur la Révolution , s'étant


retiré de Boulogne en 1790. >>
La section de la maison commune et du port de
Boulogne commence sa liste par tous les chanoines ,
chapelains et prêtres de Saint- Nicolas et du séminaire ,
tous émigrés ou déportés , et signale parmi les jureurs ,
Tachon , Nollet , Odent, Gressier , Lombard , ex- capu-
cin , Derville , Prudhomme , Fresse , Damy et Prévôt ,
ces trois derniers mariés à Boulogne : Baret et Sta
sont également signalés .
Dans tout le district de Boulogne que Le Bon ne
trouvait pas à la hauteur, et où les démarches de ses
satellites furent plus actives et plus menaçantes , il y
eut, durant ces premiers mois de 1794 , un redouble-
ment de persécution en même temps , il faut l'avouer,
qu'une suite regrettable de déchéances et de lâchetés
religieuses . C'est ainsi que nous avons à signaler , à
Samer, la délibération municipale du 30 décembre
1793, par laquelle la commune entière renonce au
culte . Voici ce triste document dont la municipalité
voulut envoyer copie à l'administration du district et
du département :
<< Un citoyen demandela parole et observe qu'il existe
un décret de la Convention nationale qui porte que ,
lorsque les communes auront déclaré renoncer aux
cultes publics , les églises , presbytères et autres éta-
blissements qui y ont rapport tourneront au profit des
communes ; il demande que l'assemblée , prenant ce
qu'il vient de dire en considération , s'occupe d'énoncer
son vou. La discussion s'engage sur cette matière ; on
demande l'ajournement de la question : il est rejeté .
D'autres réclament que chacun des citoyens de la
commune soit tenu d'exprimer son vœu à l'effet qu'il
demeure constant que le suffrage qui en résultera est
celui de la majorité réelle de la commune . L'ordre du
jour est demandé sur cette motion, par le motif que
l'assemblée de la commune ayant été convoquée , les
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 151

citoyens présents , qui d'ailleurs sont en grand nom-


bre , peuvent délibérer , nonobstant les absents . L'or-
dre du jour mis aux voix est adopté .
« La discussion ayant suffisamment éclairé les esprits ,
un citoyen demandé que la question qui est agitée soit
posée de cette manière : La Commune de Samer re-
nonce -t-elle oui ou non à toute espèce de culte public ?
<< Cette proposition est appuyée par un grand nom-
bre de citoyens . Elle est mise aux voix , et l'assemblée
a arrêté à l'unanimité que la commune de Samer
renonce à toute espèce de culte public . »
Une autre municipalité , celle de Pernes et Conte-
ville donnait, quelques jours plus tard , un exemple tout
contraire.
<< Le 5 janvier , les habitants de Pernes et Conteville
réunis à 9 heures du matin en la commune de Pernes ,
s'appuyant sur la liberté de conscience et la liberté du
suffrage populaire , s'étaient entendus pour rendre au
curé Antoine-Joseph Thibault la confiance dont il avait
joui , et lui demander de reprendre les fonctions de
son ministère , attendu l'art . 1er du décret de la Conven-
tion du 18 frimaire qui défend toute violence et toute
menace contraires à la liberté des cultes . Le maire de
Pernes , Fayaul et celui de Conteville , Delsaux , appor-
tèrent cette délibération au District , mais ils furent
mal reçus , on fit arrêter le curé Thibault avec tous de
fauteurs de la réunion illicite , notamment les deux
maires , et le magister Carbonnier qui avait tenu la
plume . - C'est Baret qui , en l'absence de Belle , fut
chargé de diriger les interrogatoires .
Le 6 janvier , Delsaux comparut donc avec son curé .
Il s'excusa , se laissa circonvenir par Baret et rejeta
tout sur le curé. Celui-ci , interrogé à son tour , assure
qu'il a remis ses lettres de prêtrise au District et s'est
retiré à Pernes sans exercer aucun ministère , excepté
quand il en a été sollicité ; il reconnut , du reste , qu'il
était l'auteur de la délibération de l'assemblée .
152 LA TERREUR

Les informations relatives à cette affaire durèrent


jusqu'au 10 janvier . Antoine Bully, cabaretier, chez le-
quelle rassemblement avait eu lieu , fut encore appelé ,
mais il se tint sur une grande réserve et excusa les
maires . On appela d'autres témoins , on interrogea
même deux femmes , finalement la cause fut renvoyée
au Comité de sûreté générale , non sans un rapport
qui chargeait particulièrement le curé .
Comme on le voit, les questions religieuses occu-
paient encore une place importante dans l'esprit
des populations boulonnaises . C'est ce qu'avouait l'ad-
ministration du district à cette époque . Le Comité de
sûreté générale de la Convention , dans un question-
naire formulé par Guffroy , à la fin de décembre 1793 ,
demandait aux administrations si le fanatisme exerçait
encore son empire dans quelque partie du district .
Boulogne répondit : « Ici on ne parle plus de religion ,
mais nous voyons avec peine nos campagnes fanatisées
par les monstres de prêtres qui y sont restés et on n'en
viendra pas à bout si on ne les déporte . >>
La chasse aux prêtres continua donc , et nous devons
rappeler que c'est un prêtre , Baret , qui la conduisait.
Le conseil de surveillance de Neuville apprit, par
une dénonciation , le 17 janvier , qu'un prêtre était ca-
ché à Bernieulles , chez Cadet-Joyez . On y envoya
sur-le- champ deux gendarmes pour arrêter le prêtre ·
et Cadet-Joyez lui -même. Quand on eut appris que le
prêtre s'appelait Morvilliers et qu'il était originaire de
Tubersent , son père , qui était encore maréchal à Tuber-
sent, fut arrêté et comparut à son tour le 20 janvier . Il
avoua qu'il avait un fils du nom de François-Joseph ,
prêtre depuis quatre ans , qui avait desservi une petite.
chapelle appartenant à un nommé De Contes , dit baron
des Granges , et que , tombé malade dans sa chapelle-
rie, il était revenu chez son père et y avait résidé jus-
qu'au mois d'avril 1793 ; mais , depuis cette époque , ce
fils a disparu et le père ne sait pas ce qu'il est devenu .
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 153

Un peu plus tard , le 17 février , c'est l'abbé Morel ,


curé d'Outreau , que Le Bon fait arrêter par lettre . On
l'amène incontinent aux Annonciades , on ferme son
église et on en apporte les ornements à Boulogne.
Ces mesures révolutionnaires , confirmées par l'ar-
restation de tous les ci -devant nobles, qui , à partir dụ
15 février, furent enfermés aux Ursulines , et celle
d'une telle bande de fanatiques de Wimille que les
gendarmes n'osèrent pas les amener à Boulogne en
une seule fois , parurent réhabiliter les autorités du dis-
trict dans l'esprit des conventionnels .
Aussi Ferdinand Dubois eut- il recours à leur témoi-
gnage pour se justifier dans sa gestion , lorsque l'arrêt
de Saint-Justet Le Bas l'eut faitinterner comme ex- noble .
Le District ne lui marchanda pas sa recommandation .
« Considérant, dit-il , le 20 février , que c'est en
grande partie à ses écrits instructifs que les habitants
du district de Boulogne doivent leur retour à la raison ,
que ces mêmes écrits n'ont pas peu contribué à la
chute du fanatisme ; persuadé que si le Département a
obtenu le décret glorieux d'avoir bien mérité de la pa-
trie , il le doit, sous bien des rapports, à l'administra-
tion de Ferdinand Dubois ; arrête qu'elle n'a d'autre re-
proche à faire à Ferdinand Dubois que le vice de sa
naissance et qu'elle l'a toujours regardé comme l'un
des plus fermes soutiens de la liberté et de l'égalité. »
Mais pour plaire à Joseph Le Bon, il fallait d'autres
exploits . On lui offre encore un prêtre, Jean- Louis
Vasseur, curé constitutionnel de Crémarest , arrêté , le
24 février, avec son maire Jean Feutry ; mais celui-ci
abdique sur- le-champ . On lui offre Philippe Cuvillier ,
originaire de Rimboval et curé de Zoteux , mais ce
jeune homme de 26 ans est réputé républicain et pa-
triote : il faut chercher des victimes plus agréables . Ce
sont les filles de la Charité de l'hospice de Boulogne
qu'on choisit .
Comme ces généreuses filles avaient refusé de prêter
154 LA TERREUR

le serment , on les remplaça par des mères de famille ,


de bonne volonté , et on les conduisit à la maison d'ar-
rêt. Deux d'entre elles , des novices , dit l'arrêté du
District , furent séparées des anciennes qui les avaient
perverties , mais toutes furent incarcérées . Voici les
noms de ces fidèles religieuses :
Thérèse Malbeck, 46 ans ; Elisabeth Bertram , 52
ans ; Anne Pétiote , 52 ans ; Marianne Ploit , 57 ans ;
Jeanne Larbouillat , 63 ans ; Rose de Witt , 36 ans,
d'Ardres , près Calais ; Catherine Lebrun , 64 ans ; Phi-
lippa Barberet, 48 ans. Les deux novices étaient Ma-
deleine Dubois , 22 ans , et Charlotte Mazurier , 26 ans.
« Pour prouver à ses ennemis que la justice n'ex-
clut pas l'humanité , » le District décréta , en outre ,
qu'elles seraient nourries et entretenues aux dépens
des riches qui étaient renfermés avec elles dans la
maison d'arrêt .
Tout en les incarcérant , les ennemis des sœurs de
charité étaient contraints de leur rendre une sorte de
justice . Mais le plus beau témoignage qui fut accordé
à cette époque le fut aux sœurs de l'hôpital du Waast :
<< Aux citoyens membres du directoire du district de
Boulogne . Exposent les communes du Waast , de Bour-
sin, de Collembert , Belle , Houllefort , Allinctun , Bel-
brune , etc , qu'il existe dans ladite commune du Waast
une maison de Charité , composée de trois filles , dites
de la Charité , depuis environ 23 ans , d'après une fon-
dation particulière et bienfaisante de la feue demoi-
selle Guillard ; que , depuis cet établissement , les com-
munes qui les avoisinent ont reçu des secours inap-
préciables , surtout pour les malades ; que cependant
ils ont appris qu'on se proposait de renvoyer ces cha-
ritables filles ; que si cela avait lieu il est certain
que cette perte ferait murmurer beaucoup et donnerait
même lieu à des plaintes amères , vu la privation des
secours dont seraient privés les pauvres qui en reçoi-
vent d'elles , en . santé comme en maladie.
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 155

« Nous observons aussi qu'elles pourraient , avec le


zèle , le goût et l'adresse que nous leur connaissons ,
soulager l'hôpital de Boulogne , en se chargeant des
pauvres femmes infirmes et malades (sans chirurgien) .
« Ce 2 novembre 1793. Suivent plus de cent
signatures dont J. Lemoine , maire de Boursin ; Del-
saux, maire du Waast ; Destrée , maire de Belle ;
Jacques Delpierre , maire d'Alinctun , etc. » Inutile
d'ajouter que les membres du District ne tinrent aucun
compte de cette requête et que les religieuses du
Waast furent congédiées .
L'instigateur de toutes ces mesures et celui qui
avait pris en fait la direction du mouvement révolu-
tionnaire à Boulogne était toujours Baret. C'est en-
core lui qui prenait la plume dans les adresses et la
parole dans les réunions d'apparat . Il ne manquait
jamais d'exhaler à tout propos , et même hors de propos ,
sa haine contre la religion . Ainsi , dans une invitation
qu'il lance , le 21 mars , pour inviter ses concitoyens au
travail, pour éviter la famine et faire fructifier la terre ,
il trouve moyen d'insulter «< aux simagrées des prêtres
hypocrites qui ne nous promettaient la protection du
ciel que pour nous dépouiller à leur aise du peu qui
nous restait . Disons à nos enfants , ajoutait- il , que la
source des maux qui ont affligé la terre était dans ce
principe exécrable , qu'une religion absurde avait
propagé, que le travail était une punition imposée à
l'homme . >>>
Et dans son discours au District, du 26 mars , après
s'être plaint qu'on n'observe pas assez le nouveau
calendrier , il ajoute :
« Sans doute , un décret défend de contraindre les
opinions religieuses , mais c'est un principe , chez un
peuple libre , que les opinions sont nécessairement
subordonnées aux lois générales , que celui qui enfreint
les règlements sous prétexte d'opinions religieuses est
un contre-révolutionnaire que plus l'habitant des
156 LA TERREUR

campagnes est bon , plus il est facile de l'entraîner . »


Aussi réclame -t-il de nouvelles rigueurs contre les
suspects et l'exécution absolue du programme de Le
Bon.
Une diversion , que nous pouvons appeler heureuse ,
vint pourtant arrêter l'élan que Baret pouvait donner
à la persécution religieuse , ce fut le conflit de la muni-
cipalité avec le District , à propos des approvisionne-
ments. On en vint aux gros mots et Le Bon , nous
l'avons vu , se débarrassa de Demuliez , à Arras , en
l'envoyant avec Darthé pour arrêter le différend .
A l'exemple de leur maître , les plénipotentiaires du
proconsul réunirent tous les citoyens dans le temple
de la Raison et épurèrent les autorités , après que
Darthé eut fait un discours « pour élever les citoyens à
la hauteur des circonstances et écarter tout ce qui
pouvait entraver le mouvement révolutionnaire à Bou-
logne et dans le district . »
Quignon aîné fut nommé agent national ; Dutertre ,
Baret, Podevin et Henry , membres du Directoire ;
Max. Dupont, Lefebvre , Chomel , Sta , Dhoyer , Patin ,
Lissès , Carmier , Sainte - Beuve et Delouil , membres du
District ; Hénin , secrétaire ; Quignon - Sauvé , maire ;
Fontaine , agent de la commune ; Baret , président du
tribunal et chargé des fonctions de commissaire ; Mo-
rillon , Catteart , Routtier et Vigneron , juges .
Le Bon ratifia , le 15 avril , toutes ces nominations , et
il dut le faire d'autant plus volontiers que ses amis de
l'Oratoire , Lissès , Baret, Morillon , Sta et Chomel y
occupaient les postes les plus en vue .
On suppose bien que Darthé ne pouvait séjourner
longtemps à Boulogne sans prendre quelque décision
vexatoire à l'égard du clergé . Le 17 avril , il fit appeler
devant lui le ci-devant curé de Selles , Desmazures , et
Jacques - Marie Prévost , curé de Parenty « qui avaient
continué leurs mômeries dans leurs communes res-
pectives . » Ceux-ci se justifient en prouvant qu'ils ont

:
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 157

au contraire servi les intérêts de la République , en


arrêtant plusieurs fois les mécontentements et les
murmures . << Considérant alors qu'il est infiniment
dangereux de laisser dans la commune des hommes
qui ont une telle influence » , les commissaires les
obligent à rester à Boulogne , sous la surveillance des
autorités .
Une autre arrestation , celle de Joseph Lefebvre , de
Selles , ancien élève du petit séminaire de Boulogne ,
et qui , par conséquent, avait fréquenté les classes du
collège de l'Oratoire , nous donnera la mesure des
enquêtes rétrospectives et odieuses que l'on faisait alors
à l'égard des prévenus . Le susdit Lefebvre , qui avait
suivi le cours de logique du collège de Boulogne
en 1792 , y avait eu successivement pour . professeurs
Baret et Lissès . Il s'était ensuite rendu en Angleterre ,
du mois d'août à celui de décembre , pour y étudier la
langue anglaise , et il n'avait conservé aucune corres-
pondance avec ce pays . Il n'était pas allé à Ypres ,
n'avait eu aucun rapport avec les réfractaires , n'avait
conseillé à personne de s'abstenir de la messe des prê-
tres sermentés , n'avait colporté aucun écrit fanatique ,
n'avait jamais mal parlé de la Convention , etc. Bref,
l'interrogatoire fini et le prévenu justifié , on se contente
de demander caution à sa logeuse et on le rend à la
liberté ce ne fut pas pour longtemps .
Le lendemain , Cattaërt vient dire qu'il a eu pour
écolier Lefebvre et que ce jeune homme fanatisé par
Augé , supérieur du séminaire , a donné dans tous les
temps des preuves du fanatisme le plus dangereux . Il
aidait même Augé à corrompre ses camarades de classe .
« Il s'attristait de nos succès , se réjouissait de nos re-
vers . Du reste , il a pu se corriger par un an de médita-
tions , surtout depuis qu'il a vu plusieurs de ses cama-
rades punis de mort dans l'insurrection de Pernes près
Saint-Pol. »
Lissès , professeur de philosophie , en juillet 91 , vient
158 LA TERREUR

déclarer qu'il s'aperçut bientôt que le venin de l'aris-


tocratie avait empoisonné les jeunes âmes de ses élè-
ves : « Je ne négligeai rien pour les rendre à la raison
et à la patrie , mais l'empreinte était déjà faite , mes
efforts furent infructueux . Le jeune Lefebvre était un
des plus fanatiques , en relations très fréquentes avec
les chanoines . Il est parti ensuite pour l'Angleterre ,
mais il me répugnait tellement que je ne lui parlai plus
à son retour . »
Baret le croit aussi fanatisé et a eu peu de rapports
avec lui.
Sta ne le connaît que de réputation , il doit être fana-
tique comme sa famille .
Après ce défilé de ses anciens maîtres , devenus ses
accusateurs , Joseph Lefebvre fut envoyé dans la mai-
son de réclusion .
Baret, cependant, avait d'autres soucis que de
dénoncer des séminaristes fanatiques , c'est lui qui , à
partir du mois de mai , fut chargé de préparer , pour
le 8 juin , la grande fête de la Nature et de l'Etre suprême.
Ses fonctions de vice -président du District et de
mandataire préféré de Joseph Le Bon le firent aussi
<nommer plusieurs fois inspecteur des prisons de Bou-
logne , dans lesquelles s'entassaient par centaines les
victimes des arrêtés du proconsul . La seule décision
relative à l'incarcération des ci-devant nobles , en
février 1794 , fit arrêter plus de cent cinquante per-
sonnes dans la seule ville de Boulogne et environ trois
cents pour le reste du district . Vinrent ensuite , en
grand nombre , les détenus pour cause de fanatisme .
Wicquinghem et Hucqueliers seuls en avaient envoyé
vingt-cinq à la fin de décembre ; Wimille en fournit
davantage , et il est peu de villages qui n'aient point
fourni leur contingent .
Les trois maisons de détention étaient donc plus que
pleines et l'on jugera , par le compte rendu qu'a laissé
Baret de sa visite à la maison d'arrêt des Ursulines ,
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 159

le 25 juin 1794 , en compagnie de plusieurs officiers


municipaux et des officiers de santé Daunou et Arnoult ,
de la situation intolérable des malheureux prisonniers .
Les commissaires « observent d'abord qu'on ne peut
absolument pas exiger que les hommes soient séparés
des femmes , surtout depuis le transport des Anglais
dans cette maison . Comme la plupart ont des familles
entières et de tout petits enfants , il a fallu leur donner
des appartements, ce qui a dérangé l'ancien ordre .
« Les places du rez-de- chaussée de l'appartement
des hommes , beaucoup plus basses que le sol , sont
très humides et très malsaines . Un cloaque infect se
trouve près du n° 9 et importune ceux qui y habitent.
Un homme du métier consulté sur le moyen d'y remé-
dier a dit qu'il n'y en avait pas .
« Le grand âge de plusieurs individus doit influer
sur la santé des plus jeunes . Sur 282 détenus qui ha-
bitent cette maison , nous avons 5 octogénaires dont
1 de 87 ans , 2 de 84 ans , 2 de 80 ans , 17 septuagé-
naires, 27 sexagénaires , 19 malades , 31 infirmes , dont
un aveugle ; une femme enceinte de six mois .
« Nous avons aussi remarqué la négligence de la
plupart des personnes qui , accoutumées à se voir pré-
venir dans leurs moindres besoins par de bons valets ,
n'ont pas naturellement ce soin , cette propreté cor-
porelle, qui sont l'apanage des classes accoutumées à
se servir eux- mêmes .
<< Tous ces inconvénients peuvent avoir les suites les
plus funestes . Si nous étions tels que nos ennemis nous
représentent, nous abandonnerions les Anglais à leur
malheureux sort , mais l'humanité réclame quelques
mesures d'amélioration . »
C'était là tout ce que Baret trouvait à dire en face
de prisons infectes où il accumulait les victimes des-
tinées au proconsul : encore était-il inspiré par un
sentiment d'humanité, et tous les instruments , dont
Le Bon se servait , n'avaient pas ces faiblesses .
160 LA TERREUR

L'agent du district de Saint-Omer , Coffin , était de


ceux-là . Né à Hesdin et fondateur de la Société popu-
laire de cette ville , il ne l'avait quittée que depuis
deux ans , quand il fut appelé au poste de confiance
dont il était digne.
Dès le 26 janvier 1794 , il répondait avec zèle aux
injonctions de Joseph Le Bon , qui l'avait requis , sous
sa responsabilité , de faire partir sous trois jours pour
la frontière tous les prêtres non mariés âgés de moins
de 25 ans . Avec quelques brevets de fanatisme , ce
sont des lettres de prêtrise qu'il faut accepter , du curé
de Thérouanne , Charpentier , du vicaire de Febvin-
Palfart, Delobel ; il reçoit de Spitalier trois registres
qui servaient à l'inscription des ordinations du ci- devant
diocèse d'Arras , il ordonne le 4 février , qu'on débar-
rasse l'église Saint- Sépulcre du bois dont elle est pleine
pour en faire un temple de la Raison , et prépare la
chapelle du Collège pour local de la Société populaire .
C'est encore à lui que Le Bon écrivait , le 4 février,
<< qu'il ne veut s'abreuver ni des larmes , ni du sang
des républicains égarés , c'est pourquoi il consent à ce
qu'on mette en liberté Cochet et Bancel , qui sont de
vrais républicains , si la Société populaire le décide . »
Les intérêts du Trésor ne laissaient pas cependant de
préoccuper le lieutenant de Le Bon , aussi lui écrivait-
il, le 22 janvier 1794 , pour appeler de nouveau son
attention sur les détenus du Maisnil , Dohem et des
autres villageois de ce district : « Ils sont plus de
quarante privés de leur liberté , depuis plus de deux
mois , pour n'avoir pas voulu croire aux prêtres cons-
titutionnels , et méritent plutôt absolument un mandat
d'imbécillité qu'un mandat d'arrêt ; presque tous sont
des laboureurs chargés de fournir le contingent qui
leur a été assigné et aucun d'eux ne peut y satisfaire :
la culture des terres se trouve aussi singulièrement
négligée ; prononce le plus tôt possible sur leur sort,
la détention qu'ils ont essuyée est une peine assez forte
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 161

pour la faute qu'ils ont pu commettre ; plusieurs


d'entre eux ont donné des preuves de patriotisme pour
tout ce qui ne regardait pas les prêtres . La cause du
mal étant éteinte , le mal cesse naturellement. Ne crois
pas cependant qu'en t'engageant à faire sortir ces indi-
vidus , je sois impulsé par un sentiment de faiblesse... >>
Le Bon, une fois du moins , laissa le bien public
l'emporter sur sa haine de persécuteur , aussi répondit-
il , le 4 février : « Tu me consultes sur les détenus de
Dohem. Je voudrais être sur les lieux et j'y serai bien-
tôt, car je n'aime pas à prononcer de loin . Sans doute
je suis disposé à élargir les pauvres que l'on a fait
arrêter pour affaires de prêtres . Mais les riches , mais
les gros fermiers , mais les hommes capables n'ont fait
que prétexter la religion pour couvrir leur aristocratie ,
et, certes , ils ne méritent aucune indulgence. Saint-
Omer me verra sous peu. »
Ce sont ensuite les dépouilles des églises dont il fait
faire un inventaire exact. Le 5 février , le garde maga-
sin Thévenet et le contrôleur Camus lui certifient avoir
reçu des commissaires Parcœur et Fiolet, les valeurs
qui suivent : « Vermeil , 451 marcs ; vermeil avec
pierreries , 29 m.; argenterie , 2,637 m .; argenterie avec
pierreries , 23 m .; galons fins , 669 m .; galons faux ,
356 m.; étoffes brochées fines , 268 m .; étoffes avec
perles et pierreries , 9 m.; cuivre doré , 62 m. »
Il est à croire que , dans le courant de mars , la per-
sécution religieuse se relâcha dans le district de Saint-
Omer, car , le 4 avril , Coffin prononça un grand discours
contre les prêtres fanatiques , dont les conclusions
furent imprimées et envoyées à la Convention , au
Département et aux représentants en mission.
Enflammé ou effrayé par ce discours , le District se
hâta de prendre des conclusions qu'il faut citer : «
< Le
fanatisme , qu'on avait cru éteint , se ranime et vous
menace d'un incendie prochain . Ceux qui avaient
remis leurs lettres viennent d'emboucher de nouveau
11
162 LA TERREUR

la trompette de la discorde . Tel canton compte deux


curés dans toute la force du terme , les autres abhor-
rent les sociétés populaires . Il est temps de donner le
dernier coup de massue au fanatisme expirant . Quel-
ques prêtres sont revenus à la raison, il faut les em-
pêcher de rétrograder . Qu'on arrête les prêtres qui ont
continué leurs fonctions. Que ceux qui ne l'ont pas
fait viennent à Saint-Omer et à Aire dans les trois
jours .
« Ont signé : Thosse , Boubert , Dupuis , Blanchet ,
Carpentier , Vogue , Bultel, Dacquin , Delalcau. -
— Je
ne suis pas de cet avis . Signé : Delattre . »
>
C'est à la suite de cet arrêté , sans doute , que fut
saisi le curé de Serques , Benoît -Joseph Delebarre , qui ,
en s'adressant au Comité de surveillance , pour obtenir
sa liberté, raconte comme il suit son arrestation .
« Je venais de chanter les vêpres devant le Saint- Sa-
crement exposé dans un vase de terre , parce que tous les
autres vases dédiés au culte avaient été enlevés ; vingt-
et-un dragons , sabres nus , sont entrés dans l'église,
ont fait sortir le peuple , ont porté les mains sur moi ,
m'ont pris les cheveux de derrière la tête , me comblant
d'injures , me traitant de scélérat , joignant à cela des
imprécations comme : s... n ... de D ..., etc. , m'ont
lié , garrotté les bras par derrière et m'ont conduit en
présence du peuple en différents lieux de la place , au
greffe , au presbytère où ils ont convoqué la municipa-
lité et dressé procès- verbal suivant lequel , je crois ,
j'avais transgressé la loi . Cela fait et demeurant tou-
jours garrotté , avec une grande confusion et le scan-
dale donné au peuple, ces braves citoyens dragons
montèrent à cheval , firent marcher leurs chevaux et
me firent marcher à pied , garrotté , revêtu de mon sur-
plis, de mon étole et de mon bonnet carré et étant en
soutane , comme c'était un grand jour d'office et pres-
que le plus solennel de l'année . Et en chemin faisant ,
il n'y avait point de cabarets assez pour godailler.
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 163

« Enfin , étant arrivés au Nard , la confusion s'aug-


menta davantage , par le concours du peuple qui s'y
est trouvé , lequel me voyant à pied , garrotté et revêtu
des habits sacerdotaux , ont commencé à faire des
huées continuelles , accompagnées de sottises atroces ,
et m'ont conduit par la place et le chemin le plus fré-
quenté et le plus long .
« Présentement , je ne sais que dire . Je laisse à l'au-
torité de réparer une faute aussi scandaleuse , de
rendre à l'Être suprême l'honneur qui lui a été enlevé
dans son ministre et la liberté . »
Pendant que quelques - uns de ses prêtres continuaient
ainsi , avec quelque courage , à remplir les devoirs
qu'il leur avait imposés , l'évêque Porion ne se conten-
tait pas de sa renonciation au culte et de la tradition
de ses lettres de prêtrise , il finissait par un mariage .
Voici l'acte de l'état-civil de Saint-Omer, Registre
aux mariages , an II , nº 102 , Porion Purdhon , (23 dé-
cembre 1793) , qui relate ce dénouement ignominieux .
« Aujourd'hui 3 nivôse , an II de la République fran-
çaise , une et indivisible , huit heures du soir , en la
maison commune de Saint- Omer , par devant moi , offi-
cier public soussigné , sont comparus Pierre -Joseph
Porion, natif de Thièvres , district de Doullens , dépar-
tement de la Somme, citoyen demeurant dans cette
commune , âgé de cinquante ans , fils de feus Jean-
Adrien Porion et Marguerite- Thérèse Haudouart, pro-
priétaires audit Thièvres , d'une part , et Bernardine-
Henriette-Philippine Purdhon , âgée de trente-cinq
ans , native de Gravelines , district de Bergues , dépar-
tement du Nord , fille des feus Simon David Purdhon ,
capitaine au 85° régiment d'infanterie , ci - devant Dillon ,
et Jeanne -Henriette -Joseph Simonis , demeurant en
cette commune , d'autre part . Ledit Pierre-Joseph Po-
rion a dit à haute voix : « Je déclare prendre Bernar-
dine - Henriette-Philippine Purdhon en mariage , » et
ladite Bernardine ..... a dit aussi à haute voix : « Je
164 " LA TERREUR

déclare prendre Pierre-Joseph Porion en mariage. »


<«< Sur quoi , nous , officier public susdit , vu la publica-
tion de promesse de mariage faite sans opposition le
25 frimaire dernier , ai déclaré , au nom de la loi , qu'ils
sont unis en mariage . Le tout fait en présence et
assisté d'Alexandre-Joseph Turlure , administrateur du
district de cette commune , 30 ans ; Guillaume Liborel ,
homme de loi , 54 ans ; Philippe Kurel , 37 ans ; André
Nicolle , 33 ans , tous demeurant en cette commune ,
témoins à ce annexés . De quoi j'ai dressé le présent
acte , que j'ai signé avec les contractants et les témoins :
Porion, Henriette Purdhon , Em . Cabaret, officier pu-
blic (1). »
Au même état civil de Saint-Omer , registre des
naissances , à la date du 2 octobre 1794 , on trouve cet
acte qu'il faut citer aussi : « Le 11 vendémiaire an III ,
4 heures de l'après-midi , a comparu Pierre -Joseph
Porion, rentier, ... lequel m'a présenté un enfant du
sexe masculin nommé Floréal-Auguste Porion , né hier ,
de son mariage avec Henriette Purdhon , assisté de

(1) Les noces de l'évêque Porion ne manquèrent pas d'exciter la


verve gauloise et même la muse plus ou moins poétique de nos cam-
pagnards artésiens. On les célébra sur divers rythmes et même en
patois.
Voici quelques couplets de ces épithalames que nous avons trouvés
dans le dossier d'un condamné du tribunal criminel, Antoine-François
Lagache, de Fléchin.
Une chanson sur le mariage de l'évêque Porion... avec Purdon la
pucelle !
Chantons cet hymen glorieux,
C'est la fête de la patrie ,
Que la joie abonde en tous lieux,
Monsieur l'évêque se marie.

Refrain.
Que Dieu lui donne le bonheur,
Que Dieu bénisse ce pasteur !
Vive l'évêque Porion,
Avec son aimable poulette ,
Tous deux sont de la nation,
Leurs soins sont de conter fleurette.
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 165

Philippe Kurel , Hollandais réfugié , 37 ans , et de Isa-


belle Wante, veuve de Dominique Dufour , de quoi j'ai
dressé le présent acte . - Porion , Kurel , Wante ,
Cabaret. »
A la date où s'arrêtera ce livre , c'est-à -dire à la fin
de 1802 , les actes de décès de la commune de Saint-
Omer n'avaient pas signalé la mort de l'enfant , né le
2 octobre 1794 , et qui paraît avoir été l'unique héri-
tier de l'ancien évêque du Pas- de- Calais .
Ajoutons de suite , pour être quitte à l'égard de
Porion , que la fortune ne lui sourit pas dans la nou-
velle position qu'il se donna . Epoux et père , Porion
s'était fait commerçant , épicier , fournisseur des armées
de la République . Mais ses fournitures étaient payées
difficilement. Aussi , le 9 mars 1795 , écrit-il à Florent
Guyot, à Lille , pour demander justice . Il a livré pour
le service des hôpitaux de Saint- Omer, du bois de
réglisse qu'on ne veut pas lui payer . Le citoyen Fau-
dier , directeur , le traîne de trois mois en trois mois ,
et comme il s'agit d'une somme de 60,000 livres , sa

Refrain.
Que Dieu, etc.
Une autre chanson sur l'air de : la Bonne aventure :
Des sacrés , des sermenteurs,
Porion est le père,
L'Oratoire de Jureurs,
Riche pépinière,
Nous faisons tant bien que mal
Un clergé national.
La bonne aventure ô gué ! la bonne aventure.
Une chanson patoise sur les curés constitutionnels :
En d'ses confrères qui l'a connu
M'na asseuré ly même,
Qu'il avoye en esprit pointu ,
Pointu com en' englème ,
Il au profité diablement
Den sen latin je l'jure,
Car i vous déchiffre à belle den
Tous chés mots d'écriture...
166 LA TERREUR

fortune est ébranlée . « Je suis exposé à voir ce qui


me reste devenir la proie des huissiers . Dans ma posi-
tion cruelle , je me suis dit : Il faut écrire à Florent
Guyot, l'ami de l'ordre , le protecteur du bon droit, il
saura bien me préserver de l'abîme qui menace de
m'engloutir . Fais acquitter ma créance . D'évêque que
j'étais , je me suis fait commerçant ; l'affaire que je
porte devant toi est la première que j'ai faite , conviens
que ce n'est pas être heureux dans son début . - Porion .
ci-devant évêque du Pas- de- Calais , aujourd'hui com-
merçant. >>
Quand l'évêque constitutionnel de Saint- Omer tom-
bait à ce niveau , il n'est pas étonnant que d'autres
soient tombés plus bas encore . On est même obligé de
constater qu'à Saint-Omer , plus qu'ailleurs , la Révo-
lution eut souvent un caractère impie et sacrilège .
C'est ainsi que les fêtes civiques , ailleurs spéciale-
ment patriotiques et surtout républicaines , eurent un
cachet de haine insolente à la religion , qui afflige plus
encore qu'il n'indigne .
L'inauguration du temple de la Raison fut marquée
par une procession odieuse dont nous trouvons le récit
dans les Souvenirs de mon grand'père, et qu'il faut
citer pour donner une idée des moyens infâmes
qu'employaient les autorités pour ameuter et perver-
tir le peuple .
« On construisit dans le temple de la Raison , un
grand chariot plus long que haut , placé sur de petites
roues , pour que tout le monde fût à portée de voir,
avec différentes charpentes dessus . On se demandait à
quoi pouvait servir un char de cette espèce . Ce ne fut
que lorsque la charpente fut achevée que l'entrée du
temple fut interdite , sauf aux ouvriers et ordonna-
teurs des travaux . Chacun parlait de cet ouvrage à
sa guise , mais on ne parvint pas à découvrir la vérité.
Enfin ce ne fut que le jour de la fête même qu'on ou-
vrit la porte aux curieux . Je ne voulus pas croire tout
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 167

ce que l'on me disait, parce qu'en effet la chose était


incroyable . Je me rendis au temple pour voir, comme
l'on dit , de mes propres yeux . Je fus bien étonné en
m'apercevant que le tableau qu'on m'avait fait n'était
encore qu'une esquisse de la réalité .
« Il passe pour principe parmi les nations civilisées
des quatre parties du monde , qu'on doit respecter les
préjugés de toute nation , quand même ils seraient con-
traires ou répugneraient à la raison . Mais pouvait- on
croire qu'en plein règne de la Raison , on se permet-
trait de tourner en ridicule les mystères d'une religion
que nos pères nous ont transmise et qui existe depuis
près de deux mille ans ?
« On avait placé sur le chariot que nous avons men-
tionné ci- dessus et qu'on appelait le char de Triomphe
de la Raison , notre Religion mise en action de la façon
la plus outrageante et la plus impie . Ici , c'était un
prêtre , revêtu des habits sacerdotaux , qui disait la
messe ; une religieuse le Servait dans l'attitude la plus
indécente . Là , un gros chanoine qui confessait une
nonne ; là encore , on voyait un prêtre tenir boutique
de chapelets , d'amulettes , de scapulaires ,……
.. des moi-
nes de toute espèce se pressaient avec des nonnes , des
écriteaux partout , que je n'eus pas le courage de lire .
Je passe sur bien d'autres horreurs ; je ne puis m'em-
pêcher de dire que je vis un Christ . J'ignore s'il a été
brûlé avec le reste , mais un crime de plus n'a jamais
fait reculer un scélérat .
(( Après bien des cérémonies , on mit le char en mou-
vement et on le promena autour du temple . De là , il
fut conduit au bûcher établi vis - à-vis le grand portail ,
et lorsque tout fut préparé , le maire , la torche à la
main , y mit le feu .
« A combien de réflexions une scène de cette nature
nous mènerait . Il semble que nos frères ont tiré l'idée
de cet auto -da - fé de l'Arétin moderne , par le moine ,
auteur de la Sainte Chandelle d'Arras , mais leur
168 LA TERREUR

méchanceté a su encore enrichir l'idée du moine .


Voici ce que dit ce dernier : « Pour rendre la France
heureuse et tranquille , il faut ramasser nos livres de
morale , nos casuistes réservés , nos controversistes ,
nos théologiens , nos rubriques , les mitres des évêques
et les habits des capucins , mettre le feu à toutes ces
belles choses , en chantant une hymne à la Raison . »
Pour amuser le peuple , on faisait encore jouer la
comédie à des acteurs et actrices réquisitionnés qui ,
pour sauver leur vie , amusaient le souverain . Les bals
étaient aussi nombreux , toute la canaille des honnêtes
filles s'y donnait rendez-vous . La grosse Catherine , une
gargotière , était la reine de la cité. Les banquets
patriotiques allaient bon train . Couturat , l'homme aux
vieux souliers à vendre , y portait des santés .
On forma un bataillon d'enfants , le bataillon Bon-
bon, qui avait ses chefs et ses canons , il essaya même
de camper, mais une averse le fit fondre .
Le même auteur raconte encore que , dans le temple
de la Raison, on avait formé une Sainte Montagne en
charpente , recouverte de toile peinte , avec un dôme
au sommet , sur lequel on avait juché la déesse , une
statue de la Religion enlevée au magnifique tombeau
d'Eustache de Croy , qu'on avait coiffée du bonnet
phrygien et à laquelle on avait donné une pique pour
insigne , au lieu du calice traditionnel .
On y montait par une pente douce et habilement
ménagée . Mais ce n'était pas seulement contre Dieu
seul que les révolutionnaires de Saint-Omer étaient
hardis . Leur comité siégeait autour d'une table , en
bonnet rouge , et chacun donnait son avis d'une façon
laconique et significative : Au pigeonnier ! Avec ces
Messieurs ! Taffoureau n'opinait jamais que par ces
deux mots : la mort ! Couturat disait : Astation , car il
parlait mal et voulait dire : arrestation !
C'étaient aussi de continuelles visites dans les mai-
sons privées aussi bien que dans les établissements
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 169

publics , pour les épurer de la superstition . Le plus


zélé des inquisiteurs était encore ce Taffoureau qui ne
buvait que de l'eau . Il faisait ouvrir les armoires , visi-
tait les paniers , faisait main basse sur tous les objets
religieux , cassait les bénitiers , les crucifix , les chan-
delles bénites , faisait trembler tout le monde .
Les prisons , qu'on avait multipliées en y ajoutant le
Bon Pasteur , le Collège anglais , le Collège français et
le Jardin Notre - Dame étaient le théâtre de la barba-
rie . La nourriture y était mauvaise , les geôliers impi-
toyables et cupides . Les membres du Comité y en-
traient à toute heure , souvent ivres , sollicitant les
femmes et insultant les prisonniers . C'était, en un mot,
un spectacle odieux et écœurant tout ensemble qui ne
fut oublié par aucun de ceux qui en furent les témoins .

§ 2. - A Calais et Béthune.

Calme relatif de Calais . - Pétition d'Ardres . - Piron et Bucaille..


Le curé de Saint-Folquin . - On réorganise l'instruction . - Rhé-
torique de Parent-Réal. - Lettres de prêtrise et dénonciations.
Cazin à Audruick. Activité révolutionnaire du District de
Béthune. - Il fait distribuer le discours de Westermann . Du-
quesnoy et Le Bon le félicitent. Suppression des comités de
surveillance des communes. ― Nouveaux comités de Saint-Venant,
Houdain, Carvin, La Ventie.- Dénonciations à Auchel et Amettes.
Dénonciations à Sailly- sur -la-Lys , Hersin , Loos, Aix, Drouvin,
Barlin, etc. Béhin lui-même est dénoncé. - Les détenus de
Béthune . - Adresse de Le Bon. Les deux cultes à Fleurbaix .
- Circulaire des administrateurs . Duquesnoy, sa vie, ses cin-
quante- sept victimes.

A cause de son éloignement du centre révolution-


naire , de la modération relative des chefs de son dis-
trict ou de tout autre motif que nous ignorons , Calais
n'eut pas à traverser les mêmes épreuves que Saint-
Omer, pendant la première partie de l'année 1794 qui
nous occupe.
On était loin pourtant d'y favoriser la réaction cléri-
170 LA TERREUR

cale et on y parlait beaucoup contre le fanatisme ,


mais on agissait moins .
Le 25 décembre 1793 , quand la commune d'Ardres ,
par l'intermédiaire d'un grand nombre de pétition-
naires , réclame la liberté du culte catholique , le Dis-
trict déclare « que les cent cinquante pétitionnaires
environ, à part dix ou douze , étaient des femmes ou
des filles dont la malveillance a pu abuser, que les
disputes théologiques sont inutiles et même nuisibles,
que des hommes qui ont abdiqué leurs fonctions ne
peuvent les reprendre , il loue le Conseil municipal de
sa réponse qui sera imprimée avec la liste des prêtres
d'Arras qui ont renoncé à leurs fonctions. >>
Le 27 décembre , quand Piron de Peuplingues , prê-
tre depuis trente ans , assesseur du juge - de - paix , re-
met ses lettres , il est en revanche bien accueilli , et les
mois de janvier et février sont consacrés surtout à
vendre le mobilier de tous les curés déportés . Pour
.commissaire- vendeur , on avait choisi un homme com-
pétent , c'était Bucaille , l'ancien curé de Fréthun . Avec
le mobilier des curés , on mettait aussi en vente un
grand nombre d'immeubles venant des émigrés , des
églises , des séminaires , des monastères , et les républi-
cains du Calaisis , en hommes pratiques , consacraient à
ces ventes et à ces achats , le plus clair de leur temps
et de leur argent .
Les affaires de la Révolution et la persécution contre
le clergé ne chômaient pourtant pas absolument .
C'est ainsi que , le 23 février 1794 , le District défend
aux instituteurs et institutrices de mettre aux mains
des enfants d'autres livres que les Droits de l'homme,
la Constitution et le Recueil des actions héroïques et
civiques des républicains Français , publiés par la Con-
vention.
Le 3 mars , le curé de Saint- Folquin , François-
Joseph d'Aquin , est dénoncé par l'agent national Wir-
quin, pour avoir correspondu avec ses sœurs émigrées ,
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 171

le dénonciateur est lui-même agent de la correspon-


dance, sa mère est également compromise , mais l'agent
national ayant , à la suite d'une rixe , fait arrêter le curé
et sa mère , le District le blâme d'un abus de pouvoir
et fait amener le curé , sa mère et deux autres citoyens
à Calais .
Le 19 mars 1794 , le District se plaint du peu de soin
que mettent les municipalités à favoriser la régénéra-
tion des mœurs publiques par l'instruction . On limite
le nombre des instituteurs , on les refuse sans motif ;
c'est un crime de lése -morale . Qu'elles apprennent que
l'enseignement est libre , que les citoyens et citoyennes
qui veulent enseigner ne sont tenus qu'à des forma-
lités ( décret du 29 frimaire dernier) : 1º déclarer leur
intention d'ouvrir une école à la municipalité ;
2º produire un certificat de civisme et de bonnes mœurs ,
signé de la moitié des membres du Conseil général de
leur résidence et par deux membres au moins du
Comité de surveillance de leur domicile ou du lieu le
plus voisin. On ordonne aux municipalités d'organiser
l'instruction avant un mois . Il fallait - pourtant donner
quelque satisfaction à la Convention ; le 20 mars 1794 ,
le district de Calais lui écrit : « Vous n'avez pas voulu
seulement sauver la patrie , vous avez aussi fondé la
morale.... Vous vous êtes opposés à ce que l'athéisme
devînt un système national . Mais , en même temps ,
vous avez perfectionné la science de Dieu , vous avez
cité la Divinité au tribunal de la Raison . Le Dieu que
vous avez reconnu , au nom du peuple français , n'est
point le Dieu théologique des prêtres et des rois . C'est
le Dieu de la nature ; l'homme ne se dépouillera pas
pour lui du fruit de son travail , il ne couvrira point
ses autels de présents , il ne flétrira point son corps
par la discipline , il ne le ruinera pas par le jeûne . Le
nom de Dieu , qui ne servit jamais que de prétexte aux
passions des hommes et au despotisme des tyrans , ne
présentera désormais à l'esprit que des idées heureuses
172 LA TERREUR

et riantes . Ce n'est point dans le sein des calamités


que nous aurons consacré l'existence d'un premier
´être , c'est au milieu des triomphes militaires et poli-
tiques. Cette divinité ne sera donc ni l'idole de l'igno-
rance , ni le fantôme de la crainte , ce sera la nature .
et la liberté honorées par l'amour et la reconnaissance .
Vous qui êtes les fondateurs de ce culte , recevez nos
remerciements et ceux de nos administrés . » A cette
rhétorique , on peut reconnaître Parent-Réal , et en
pareil moment, malgré la fausseté de ses déclama-
tions , on préfère qu'il paie la Convention en phrases
creuses plutôt qu'en têtes à couper . Du reste , les dénon-
ciations vont venir . Le 23 avril 1794 , le District dénonce
comme suspects aux municipalités et aux Comités de
surveillance , tous les individus qui , depuis le dépôt de
leurs lettres de prêtrise ou l'abdication de leurs fonc-
tions de prêtres , auraient exercé en quelque commune
que ce soit lesdites fonctions .
Voici leurs noms avec le lieu où ils exerçaient , et,
pour quelques -uns , la date où ils ont remis leurs
lettres de prêtrise :
Deseille , Audruick ; Faudier , Calais ; Martin , Ca-
lais ; Lemaire , Ardres , 22 novembre 1793 ; Penin ,
Bois- en-Ardres , 22 novembre 1793 ; Pichon , Ardres ;
Bucaille , Fréthun , 22 novembre 1793 ; Piron , Peu-
plingues , 9 décembre 1793 ; Dubois , Bonningue-les-
Ardres ; Bavelaert le jeune , les Attaques ; Dunaud ,
Dampierre- les- Dunes ; Meurice , Nortkerque , 15 décem-
bre ; Vasseur , Zutkerque , 15 décembre ; Lhodez ,
Calais ; Bernet , Ecottes , 4 décembre ; Collet , Bonnin-
gue-les- Calais ; Diveux , Rodelinghem ; Ledoux , San-
gatte ; Guilleman , Escalles ; Souzet , Bourecq ; Wan-
tiez , Licques ; Castillon , Licques ; Leclercq , Vieille-
Eglise , 28 novembre ; Pauchet, Marck, 27 novembre ;
Salmon , Guines , 30 novembre ; Dewitte , Nielles -les-
Ardres , 29 novembre 1793 ; Tardieu , Saint-Tricat ,
30 novembre 1793 ; François , Peuplingues , 29 novem-
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 173

bre 1793 ; Vaillant , Calais ; Rappe , Coulogne , 27 nov.


1793 ; Révérand , Guemps , 3 décembre ; Dacquin ,
Saint-Folquin , 11 décembre ; Delahaye , Guemps ,
30 nov .; Audry , Saint- Nicolas , 14 décembre ; Carton ,
Licques ; Massart , Pihen ; Queval , Polincove , 14 mars
1794 ; Rosoir , Zutkerque .
Un demande que le District dénonce également comme
suspect tout prêtre qui sortira désormais du lieu de sa
résidence pour exercer ses fonctions dans une autre
commune .
Le 26 avril , l'agent national Podevin raconte qu'à
Audruick , en faisant sa tournée dans la commune , le
20 avril , il a constaté du mouvement . « C'est qu'on
avait arrêté plusieurs individus qui s'étaient reposés ce
jour-là, un dimanche, pour n'avoir point travaillé. Le
conseil de la commune déclara que tout le trouble
venait de ce que le citoyen Cazin , curé de Nortkerque ,
avait allumé le fanatisme en venant, depuis peu de
temps , célébrer les cérémonies de son culte dans cette
commune , où l'on faisait , pour lui , des quêtes assez
lucratives. Je trouvai que le Comité de surveillance
n'approuvait pas la municipalité , je lui rappelai ses
devoirs à cet égard . Le lendemain , j'allai visiter l'ate-
lier de salpêtre , à l'église . J'y trouvai un certain nom-
bre de personnes qui attendaient le curé de Nortker-
que qui leur avait promis la messe . Mais , instruit des
troubles de la veille et de ma présence , il n'avait pas
jugé à propos d'y venir . Deux ou trois personnes
ayant sonné la cloche , une assez grande quantité d'in-
dividus se rendirent à l'église . Je profitai de cette
circonstance pour faire au peuple une instruction
morale qui ne fut pas aussi bien écoutée que l'eût été
la messe .
« La commune d'Audruick est divisée en deux par-
tis , le plus nombreux est fanatisé ; l'autre ne ménage
pas assez les esprits faibles .
Vesnat , l'un de ceux qui combattaient le fana-
174 LA TERREUR

tisme avec le plus de chaleur avait été , au sortir de


l'église , entouré par quelques individus . Soit par
imprudence , soit pour se défendre , il tira de sa poche
un pistolet . Presque tous les fanatiques se mirent alors
à crier au meurtre ! et si Vesnat n'avait pas été
défendu par deux gendarmes présents , il eût peut- être
été victime de leur fureur . A peine instruit de ces
faits , je me précipitai au milieu de la foule , employant
tour à tour l'exhortation et la menace ; je parvins , si-
non à apaiser les esprits , du moins à m'adresser aux
--
autorités constituées pour me plaindre . Le tout se
termina en allant chanter l'hymne de la République au
pied de l'arbre de la liberté . » « Le 27 avril , je me
suis transporté à Nortkerque où il y a aussi deux par-
tis ; on ne voulut pas me livrer la clef de l'église où est
établie la Salpétrière , et qui était aux mains de M. Ca-
zin , ministre du culte catholique , et à qui la Société
populaire avait défendu de la prêter à personne . » Il
fallut que Podevin se présentât revêtu de la décora-
tion tricolore et exhibât ses pouvoirs , alors seulement
le prêtre récalcitrant s'exécuta .
L'agent requiert alors de mettre en arrestation tous
ceux qui ne portent pas la cocarde tricolore , ceux qui
détournent les citoyens d'obéir aux lois , et les fanati-
ques qui occasionnent des troubles.
On. envoie chercher Cazin par les gendarmes et on
dénonce de nouveau comme suspect tout prêtre qui
sortira de sa résidence pour exercer ses fonctions dans
une autre commune .
Comme on le voit, le district de Calais avait une
attitude modérée , au milieu de cette série d'attentats
dont le département, à peu près entier , était le théâtre :
Béthune méritait mieux de Le Bon .
Du jour où le conventionnel artésien l'eut régénéré,
d'accord avec Duquesnoy , le District de Béthune
montra une ardeur et une habileté de persécution qui
le rendit cher à son protecteur. Dès le 3 janvier , et tout
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 175

en recevant les lettres de prêtrise de Tirtaine , de Ver-


melles , et de Lemaire , de Vaudricourt , « qui voulut dé-
poser ses armes au pied de l'autel de la patrie et aller
rendre grâce de son abdication dans le temple de
la Raison , » il préparait un vaste local pour y recevoir
les suspects : le collège de l'Oratoire .
Le 10 janvier , il faisait lire , applaudir et distribuer
à toutes ses municipalités le discours suivant prononcé
au rapport de la Convention nationale par le général
Westermann :
<< Citoyens représentants : Une blessure , qui m'in-
terdit l'exercice du cheval , est le sujet de mon voyage
à Paris . Je viens offrir à la Convention un reste des
dépouilles sacerdotales de l'évêque d'Agra , si fameux
par le rôle qu'il a joué dans la ci - devant armée catho-
lique et royale . Je viens aussi vous assurer , sur ma
tête , que de cette armée , forte encore de 90,000 hom-
mes , avec une artillerie formidable , il n'existe plus un
seul combattant. Chefs , officiers , soldats , évêques ,
comtesses , princesses et marquises , tout a péri par le
fer , les flammes et les flots . Cet exemple effrayant est
unique dans l'histoire , et l'Europe étonnée verra bien
qu'une République qui , comme le Père éternel , dicte
ses lois du haut d'une Sainte Montagne , saura se main-
tenir et réduire , comme la Vendée , chaque pays qui
aura l'imbécillité de former le projet de rétablir la
royauté en France . »
Ce sont encore des moines , le cordelier Hoyer , le
capucin Vittu , le bernardin Souplet , le carme Prou ,
le curé Delporte qui renoncent , le 26 janvier , aux fonc-
tions sacerdotales . Les protecteurs du District ne le
perdent pas de vue . Duquesnoy lui fournit une victime
dans la personne d'Augustin Jacquemont , d'Hersin ,
frère du curé d'Aix ; Le Bon , de son côté, lui donne ,
d'Arras , une façon d'entendre ses devoirs . Prévenu le
28 janvier par l'agent national de Béthune , que le
citoyen Jacquet a exercé des vexations dans les cam-
176 LA TERREUR

pagnes en balayant des prêtres perturbateurs , Le Bon


a trouvé que les dénonciations étaient dénuées de preu-
ves suffisantes et portent moins sur Jacquet que sur
ceux qui l'escortaient ; considérant que l'homme con-
vaincu des maux causés par les prêtres à l'humanité ,
a pu difficilement contenir l'exaltation de son âme en
voyant le moment favorable de purger de ces charla-
tans la terre de la liberté ; considérant , avec le Comité
de salut public , que si l'on regardait comme criminels
tous ceux qui , dans le mouvement révolutionnaire ,
auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence ,
on envelopperait dans une proscription commune avec
les mauvais citoyens , tous les amis naturels de la
Révolution, et que les émissaires adroits de la tyran-
nie , après les avoir trompés , deviendraient eux-mêmes
leurs accusateurs et peut-être leurs juges , il arrête
que le citoyen Jacquet sera élargi . Le 6 février , le
District trouve moyen de manifester sa reconnaissance
d'une façon délicate et qui dut toucher le cœur de
Le Bon.
Les secrétaires commis viennent chanter le vaude-
ville : « Va , va , mon père , je te jure » envoyé par Le
Bon, avec accompagnement de clarinette, et adminis-
trateurs , secrétaires et spectateurs répètent à l'envi le
beau refrain : « Nous n'avons pas besoin de prêtres . »
On imprime le vaudeville à mille exemplaires et on le
répand dans le peuple , et , de cette délibération , pro-
cès-verbal est adressé à Joseph Le Bon.
Ce sont encore de nouvelles abdications sacerdotales
que l'on favorise , notamment celle de Jean- François
Fromentin , curé de Douvrin , et celle de Marc Hen-
nuyer, ministre catholique à Calonne-sur-la - Lys .
Pourtant il y avait un obstacle, c'était l'inertie , si-
non la résistance qu'opposaient aux mesures de répres-
sion les Comités de surveillance des communes . Le
District ne fut pas embarrassé pour si peu . « Consi-
dérant, dit-il , dans son arrêté du 20 février, que les
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 177

Comités de surveillance auraient plus besoin d'être


surveillés que surveillants , l'assemblée décide qu'il
n'y en aura plus qu'un par chef-lieu de canton , d'où
dépendront les communes : les Sociétés populaires et
les municipalités désigneront , à cet effet , les patriotes
les plus prononcés de leurs communes que l'on sou-
mettra à l'approbation du représentant du peuple. »
Il fallut un mois de recherches et de pourparlers
pour arriver à faire ces choix ; enfin , le 25 mars , on
présenta à Joseph Le Bon, la liste des Comités de
surveillance de Saint-Venant, de Carvin , d'Houdain et
de La Ventie . Par la profession des membres du
Comité de Saint-Venant, on jugera de la classe pour
laquelle l'autorité révolutionnaire avait marqué sa
préférence . Ce Comité était composé de Louis Becque ,
cordonnier ; François Queste , journalier ; Marc Cuve-
lier , charron ; Jean- Baptiste Duhamel , négociant ;
Pierre-François Delfly, cultivateur ; J.-B. Mondacq,
marchand graissier ; François Dufour , serrurier ; Le-
roy, ancien militaire ; Franc Pesez , de S. Floris , et
Charles-François Ledoux , de Busnes .
Celui d'Houdain se composait en majorité de jour-
naliers des villages du canton et de Jérome Robe , ex-
chartreux , et cependant très chaud patriote .
Le plus actif de tous était peut être encore le Comité
de Lillers . Le Bon , dit-il lui-même, en fut à ce point satis-
fait qu'il n'en changea pas un seul membre . Ce comité
fut donc chargé de fournir la majorité des commissaires
qui, à partir du mois de février 1794 , allaient visiter
les communes de l'arrondissement pour constater si
on travaillait le dimanche, si les curés avaient juré et
livré leurs lettres, et s'ils disaient la messe . Aussi , le
17 février, Aspelly , ex- curé d'Ames , abdiqua-t- il entre
ses mains ; Pierre- Paul Saligot, curé de Bourecq ;
Théophile Leprêtre , ex-vicaire de Burbure , depuis
conducteur de la voiture de Réclinghem ; Alexandre et
Eustache Dissaux , devenus postillons de la poste aux
125
178 LA TERREUR

chevaux, recurent de lui des certificats de civisme ,


après avoir renoncé à toute fonction ecclésiastique .
Il faut pourtant de la vigilance . Un prêtre , Gobert,
d'Auchel , dit encore la messe chez lui , paraît-il , et fait
les autres grimaces sacerdotales , assisté de son ci-
devant clerc , Augustin Danel, qui porte l'eau bénite
dans sa poche ; Imbona et Gervois vont l'arrêter
le 11 juin et le conduisent à Béthune .
Amettes est aussi dénoncé comme un repaire de
rassemblements séditieux , et il est obligé de venir se
justifier à Béthune , le 26 juillet, par l'organe de son
procureur, Saillot.
Les habitants rassemblés demandèrent à compa-
raître à la barre du District, conjointement avec leurs
dénonciateurs inconnus . Ils ajoutent noblement :
« Nous ne désavouerons pas qu'il s'est rencontré dans
cette commune , en certains jours , beaucoup de monde
pour y entendre la messe , mais sans aucune émeute
ni attroupement séditieux aussitôt la messe finie , le
monde s'est retiré . »
1 Et ils renouvellent leur prière d'être cités avec leurs

accusateurs , « non pour les haïr , mais pour nous en


garantir » . Ont signé , ceux qui le peuvent , avec Serni-
clay, maire ; en tout cinquante noms , dont deux
Labre . Allouagne , à cette époque , était un village tout
à fait terrorisé par Pierre-Joseph Dufresne , Charles-
Fr. Caron , François Débord , maire , et François Fla-
ment, agent national . Ils avaient été élus du Conseil
général à la force des armes et à coups de bâtons ,
avec l'aide de tous les vagabonds des communes voi-
sines , avec pillage et insultes ; aussi s'imposèrent-ils
durement. Ils dénoncèrent cent vingt-huit familles
comme suspectes , obligèrent ces familles à aban-
donner leurs maisons à plusieurs reprises et à fuir dans
les champs et dans les bois , où elles passaient les nuits ,
emmenant les femmes , les enfants et les vieillards , de
crainte d'être enlevées et mises en arrestation . Et cette
situation dura jusqu'au 9 thermidor .
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 179

Durant cette période , les violences , les dénoncia-


tions et les arrestations se multiplièrent d'ailleurs
dans tout le district de Béthune ; citons encore , et pour
seule cause de fanatisme : Philippe Legrand , de Sailly ,
pour avoir respecté le dimanche ; François Ballin , de
Sailly, un moissonneur de Laventie , François Lefranc
et une ancienne religieuse qui n'avait pas prêté ser-
ment.
Le village de Sailly- sur-la - Lys attira souvent l'at-
tention du Comité de Béthune et lui donna plus d'une
fois des soucis . C'est ainsi que vers le 16 février 1794 ,
il fut le théâtre d'une sorte d'émeute populaire , le jour
où le curé Moniez revint de la prison de Merville . Un
attroupement se porta chez le ci - devant vicaire , et se
mit à jeter ses meubles par les fenêtres , parce qu'il
avait fait hommage à la Raison et à la Philosophie , en
renonçant au ridicule métier de prêtre . Un tailleur de
Sailly, Jean- Baptiste Caplier , fut même arrêté avec
Augustin Tourbier , Jean -Baptiste Meurin et deux fem-
mes , Cécile Roussel et Célestine Sanche , pour le
même motif.
Plus tard , le 4 mai , quand Pierre Denain fut arrêté ,
les trois hommes qui le gardaient le laissèrent échap-
per en route . Haze , le président du Conseil de surveil-
lance n'était pourtant pas satisfait . Il écrit , vers cette
époque , au district de Béthune , que la Société populaire
a été envahie , plusieurs de ses membres maltraités par
Jacques Rousez , qui avait réuni beaucoup de citoyens
et même une femme , Alexandrine Caudron , connue
comme fanatique . Il a été traité de gueux et de scélé-
rat , et il a dû se sauver , parce que les pierres lui
pleuvaient sur le dos au sortir de la séance. Ces mani-
festations partielles étaient vite réprimées et les arres-
tations continuaient . Le 8 mai, vers dix heures du
soir, Pierre Caille et Cornil Vanderhague d'Estaires
amenaient à la municipalité Jean - François Théry,
né à Sailly-sur-la- Lys , ancien bénéficier de Lens , prê-
tre réfractaire qui cherchait à passer en pays ennemi ,
180 LA TERREUR

et qui avait tenu de mauvais propos , à Estaires . Le


maire d'Estaires , J.-B. Corriette , l'envoya en prison à
Béthune et demanda une récompense pour ceux qui
l'avaient arrêté .
Sur la dénonciation du Comité de surveillance
d'Hersin, on arrêta également en mai et en juin 1793 ,
un grand nombre de suspects ou fanatiques .
ALoos, Benjamin Prévost et J.-B. Démarest , comme
amis des prêtres ; à Aix , Alexis Devienne qui était allé ,
avec un bâton , à la municipalité , pour la forcer de
laisser dire la messe à l'ancien curé ; à Drouvin , Paci-
fique Diéval, ci -devant clerc ; à Bully, Nicolas Beau-
camp qui a fait plusieurs voyages pour porter des effets
aux prêtres émigrés ; à Estrée - Cauchy , Jean - Baptiste
Flament , qui a souffert chez lui deux prêtres réfractaires ,
et est en relation avec les émigrés ou guillotinés , Mar-
baix et Lallart ; à Barlin , Pierre -Florent Boyaval et
Augustin Dupley, ci -devant clerc ; à Sains , les Bacon ,
Ange et Joseph , sont arrêtés pour avoir prêté leur che-
val et leur charrette pour émigrer Cuvelle , ex - curé de
Sains , et pour avoir fréquenté les curés de Béthune ;
Vaast et Joseph Hennadouche , de Sains , sont arrêtés
comme suspects ; à Houchain , Crepin est dénoncé par
Ambroise Laderrière , comme un mauvais citoyen qui
a recélé un prêtre réfractaire de Béthune , nommé
Guilbert, et l'a fait afficher à l'église pendant trois
jours , pour dire la messe ; à Loos , Pierre Hubert et
Pierre-Adrien Delambre ne sont jamais allés à la messe
du curé constitutionnel , arrêtés ; à Liévin , Théophile
Lebas a dit que son frère émigré reviendrait à Noël ,
pour dire la messe de minuit , arrêté ; Procope Deli-
gne , est accusé de souffrir des prêtres réfractaires et
des Récollets chez lui , arrêté.
Ce Comité d'Hersin poussa même le zèle jusqu'à
dénoncer l'un des siens , et non des moins célèbres , le
curé Béhin , l'ancien député . Voici le fait , emprunté ,
comme tous les autres , aux registres du Comité de
surveillance .
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 181

« Le 14 juin 1794 , le nommé Béhin , ci- devant curé


d'Hersin , est accusé d'avoir dit , à Hersin , en présence
de quatre ou cinq citoyens , que La Fayette était le
plus preux chevalier de l'Europe , et cela , au moment
où ce contre- révolutionnaire écrit une lettre insolente
à l'Assemblée : il a dit encore que le peuple qui s'est
rassemblé à Paris , le 20 juin 1792 , n'était qu'un ramas-
sis de canailles à quoi le citoyen Blaimont a répondu
que ceux qui traitaient ces citoyens de canailles
l'étaient eux -mêmes . L'intérêt de la République
ordonne au soussigné de dénoncer . Signé : Thuillez ,
administrateur du District de Béthune . >»
Duquesnoy, à qui la dénonciation a été communi-
quée et qui protégeait Béhin , se plaint qu'on ne l'ait
pas faite plus tôt : (les faits ont deux ans) . Il ne peut
s'empêcher de regarder comme lâches ou coupables
ceux qui ne l'ont pas faite plus tôt , mais il craint que
cette dénonciation ne soit l'effet de la passion ou de
l'intrigue . Il fallait parler quand il a été question de
placer Béhin au tribunal de Béthune : on eût épargné
une erreur . Cette intervention de Duquesnoy sauva
l'accusé. La série d'incarcérations , dont nous ne si-
gnalons qu'une partie , ne pouvait manquer d'obstruer
les prisons de Béthune , si les membres du Comité de
surveillance de cette ville n'avaient eu pris dès long-
temps leurs mesures pour recevoir ce supplément
considérable de détenus .
Dès le 15 février , quand on eut fait arrêter, en pré-
sence de Duquesnoy , cent seize nobles d'un seul coup ,
il fallut songer à agrandir les prisons . Au mois de mars ,
on mit les malades à l'hôpital Saint-Jean , les hommes
au Collège et les femmes à l'Esplanade . Parmi ces
femmes, il faut signaler six religieuses , arrêtées le
5 avril , par Labitte et Fardel , et conduites à l'Espla-
nade . C'étaient Marie-Joseph Delerue , Marie-Jeanne
Arnauld , Agnès Duhamel , Jeanne Delerue , religieuses
de la Paix ; Marie-Thérèse Leroy , qui fut saisie chez sa
mère , et Marie - Madeleine Boulet.
182 LA TERREUR

A la fin d'avril , le 22 , il vint à la pensée de quelques-


uns des prêtres détenus à Béthune , de s'adresser direc-
tement à Joseph Le Bon , pour lui exposer leur situa-
tion et réclamer justice . C'est Jacquemont , ci- devant
ministre à Aix , qui tint la plume, et il est curieux de
voir les arguments par lesquels il espérait le plus obte-
nir sa faveur . Nous transcrivons donc cette lettre :
<< Béthune, Oratoire , le 22 avril 1794. ―― Si le crime.
n'ose réclamer , l'innocence ne peut se taire . Cinq ou
six mois de détention pour des républicains , pour des
hommes qui auraient cru démériter de leur patrie, en
quittant les postes qu'elle leur avait confiés , suffisent
pour expier une erreur qui leur fut commune ; rends-
nous cette liberté que nous avons conquise par de ter-
ribles efforts ; ranime notre énergie pour cette belle
cause que nous voulons toujours défendre et si nous ne
le pouvons plus comme ministres du culte , nous ne la
défendrons pas avec moins de zèle dans la classe des
simples citoyens . Servir la République comme soldats
ou comme chefs , que nous importe , pourvu que nous
la servions . Remplis donc nos vœux , examine notre
conduite et prononce ; quel que soit ton jugement ,
nous vivrons libres ou nous périrons . Espérant avec
confiance un mot de ta bouche , nous sommes toujours
tes frères et tes amis : Jacquemont , ci -devant ministre
à Aix ; Delame , à Beuvry ; Bouchart , à Wazemmes ;
Bailleul, à Houchain ; Lansel , à Barlin ; P. P. Saligot ,
à Bourecq ; Fiévet , curé de Carvin ; Sailly , ministre
du culte catholique , à Libercourt . »
Jacquemont avait touché la vraie corde ; le 24 avril
1794 , Le Bon répondit en faisant transférer les péti-
tionnaires de Béthune à Arras , où ils resteront, dit-il ,
en liberté, sous l'inspection du Comité de surveillance
devant lequel ils se représenteront chaque jour .
Si Le Bon trouvait avec la loi des accommodements
pour sauver la liberté des prêtres qui savaient le tou-
cher , certaines municipalités en trouvaient également
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 183

pour sauvegarder la liberté de leurs convictions reli-


gieuses . C'est ainsi que les habitants de Fleurbaix trou-
vèrent moyen , en pleine Terreur , de satisfaire à la fois
les constitutionnels et les réfractaires .
Le curé de Fleurbaix , François-Joseph Petitpret ,
exerçait le culte constitutionnel dans l'église de ce vil-
lage , lorsque Antoine - Joseph Degruson , ci - devant
Chartreux , sexagénaire , revenu de la maison de réclu-
sion , fut admis aux mêmes fonctions dans la même
église . Mais il y eut deux autels .
Le curé Petitpret eut le maître- autel ; les partisans
du Chartreux en firent construire un autre dans une
nef, à gauche en entrant .
Pour éviter des conflits entre les deux partis , la
municipalité donna à chacun ses heures différentes :
Par délibération municipale , Petitpret eut l'usage
de l'église , de six heures du matin à huit heures et
demie et de une heure à deux heures et demie ;
Degruson, de neuf heures et demie à midi et de deux
heures et demie à six heures . Pendant la seconde
moitié de l'année , les heures étaient renversées en sens
contraire . Mais ce mode de procéder ne convint pas
longtemps au constitutionnel et il demanda que les
vêpres fussent communes . Si l'on juge de la valeur et
du nombre des partisans des deux cultes , par les signa-
tures des souscripteurs de la pétition annexée à la déli-
bération du 31 juillet, Petitpret n'avait pour lui qu'un
petit groupe de gens qui signent par une croix.
Mais ce n'était là qu'un incident qui prouve que les
administrateurs de Béthune eux-mêmes savaient
compter avec la foi des braves gens du pays de l'Alleu ,
et mettre au besoin une certaine modération dans
leurs procédés . Ils n'en adressaient pas moins , le 1er
juillet, la lettre suivante aux conseils généraux des
communes, aux comités de surveillance et aux sociétés
populaires du district.
« Frères et amis : Nous avons vu dans l'effusion de
184 LA TERREUR

notre âme disparaître , avec lcs charlatans et les impor-


tuns de la gent sacerdotale , les instruments dorés et
les ornements fastueux qui servaient d'aliment à
leurs impudentes fourberies , mais si la plupart d'en-
tr'eux ont avancé le triomphe de la vérité et de la
raison par une abnégation libre et spontanée de leurs
pieuses jongleries , les autres , en cédant à la force irré-
sistible de la volonté générale , ont fait un dernier effort
pour faire renaître des cendres mêmes du fanatisme
la monstrueuse hypocrisie .
<< C'est dans les campagnes surtout qu'ils se sont
adressés.... C'est sur cette caste instigatrice et dange-
reuse que nous vous engageons principalement d'ap-
pliquer votre surveillance et vos recherches ne per-
mettons pas que nos braves frères des campagnes soient
plus longtemps dupes ou victimes de leurs dangereuses
fourberies . Défions-nous des prêtres ; défions - nous
aussi de leurs partisans . Ils disent que la religion est
perdue parce qu'il n'y a plus de messes . Ils disent que
le jour du Seigneur est le seul repos que vous devez
sanctifier. Veillez à ne faire chômer que les décadis ,
etc. »
On voit, par cette lettre , à quel diapason était monté
le fanatisme anti-religieux des Béthunois ; pour se
l'expliquer , il faut savoir toutefois que la crainte de
Le Bon n'était pas seule à l'aiguillonner, la présence
fréquente du conventionel Duquesnoy y contribuait
plus encore .
Cet odieux personnage qu'on a appelé l'excitateur
de Joseph Le Bon lui-même , et ancien moine aussi ,
était né à Boyeffles le 7 mai 1749. Si l'on en croit
l'Histoire des crimes de Prudhomme , il avait même.
été trois fois moine et trois fois était passé de la sa-
cristie au corps de garde. Fils d'assassin et assassin
lui-même à deux reprises , il n'avait pu rentrer dans
son pays , d'où l'avait chassé un décret de prise de
corps , qu'à la faveur de la Révolution . Sa conduite
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 185

dépravée , ses violences , son zèle démocratique le mi-


rent néanmoins en évidence et deux fois le Pas-de-
Calais en fit son représentant , à la Législative et à la
Convention. On dit qu'il contraignit , à la force du poi-
gnet, un de ses collègues à voter la mort de Louis XVI.
Ce qui est certain , c'est qu'il demanda l'appel nominal ,
pour connaître , dit-il , les ennemis du peuple . Après
l'acquittement de Dauchez , c'est lui qui écrivait à Le
Bon, en parlant des jurés qui ne l'avaient point con-
damné : « Fais-moi mettre ces gredins -là dedans , ou je
me brouille avec toi . » C'est lui encore qui obligeait sa
fille à monter sur l'autel de l'église , convertie en
temple , pour figurer la déesse Raison . C'est lui qui
assommait un de ses parents et menacait de tuer son
fils , parce qu'ils demandaient grâce en faveur des dé-
tenus .
Or cet homme , que nous avons appelé déjà avec
Taine de son vrai nom , voulut dépasser d'un seul
coup les exécutions les plus fameuses de son collègue
Le Bon.
Cinquante- sept personnes appartenant aux familles
les plus considérables du district furent arrêtées par
son ordre le même jour , emprisonnées à Béthune et
dirigées sur le tribunal criminel de Paris . On y comp-
tait cinq membres de la famille Bacon de Sains , an-
cien receveur des Etats ; troiş de la famille Jacquemont ,
ancien receveur des Domaines ; Ozenne et Boidin ,
avocats et leurs familles ; Simon Brasier , de Béthune ,
ex-moine ; Duhamel de Bellenglise , ex- comte de Bé-
thune , et sa famille ; Chevalier , ex-administrateur du
Département et du District ; Jacquemont, curé d'Aix ;
cinq Morguet, horlogers à Houdain ; Pierre Bon Lal-
lart , fermier à Fresnicourt . Encore n'était - ce que le
tiers de ceux que , sur l'injonction de Duquesnoy, le
District de Béthune devait diriger sur Paris . Déjà cinq
voitures , escortées de vingt - cinq gardes nationaux
choisis , et sur lesquelles étaient entassés cinquante-
186 LA TERREUR

deux de ces malheureux avaient quitté Béthune et


après une halte aux Baudets d'Arras , pour complèter
leur chargement , avaient pris le chemin de la capitale ,
quand arriva le 9 thermidor , qui nous délivra de Le
Bon et prépara la chute de Duquesnoy.

3 - A Montreuil , Saint-Pol et Bapaume.

Dumont à Montreuil. Arrestations à Fressin . Les braves femmes


et le cantique obligatoire . — Patriotisme de Fillièvres . - Nouveaux
noms des municipalités.— Les prisons de Saint- Saulve et de Sainte-
Austreberthe. Le directeur de Sainte - Austreberthe. La der-
nière heure des prêtres. - Églises détruites . — Prêtres dénoncés .
- Pétition des habitants de Brimeux. - Dénonciation à Saint-Pol.
- Saint-Just et les Thellier. Incarcérations nombreuses. -- Rôle
de Duflos. Plaintes de Poillion . - Les détenus de Saint-Pol. ·
Dépenses qu'ils nécessitent . Arrestations à Bapaume. ·- Lettre
de Cagnicourt. -- Danses patriotiques . Rocquigny, Vaulx , Cour-
celles , Bienvillers . Discours. Le chiffre des détenus .

Si Béthune était terrorisé par Duquesnoy , nous ne


devons pas oublier que Montreuil n'était guère plus
heureux sous l'influence de Dumont. La visite de ce
brutal et la crainte de son retour , les relations qu'il
entretenait avec les agents de son choix et le bruit de
ses exploits dans la Somme , servirent plus encore que
les arrêtés de Le Bon à maintenir le district de Mon-
treuil sous le joug révolutionnaire .
La nouvelle série des arrestations que nous avons
à signaler s'ouvre à Fressin , le 8 décembre 1793. Ce
jour-là, raconte le registre du Comité de surveillance
de Fressin , Norbert Violette , chef de légion , et Louis
Mahieu , juge de paix du canton de Fressin , ont trouvé
l'arbre de la liberté vivace , pelé , et ont apporté 21
morceaux d'écorce au Comité . Norbert Violette qui a
entendu appeler cet arbre , par la rumeur publique , le
dieu de sapin de la commune , pense que c'est le fana-
tisme vomi par les prêtres dudit lieu et du voisinage
qui a amené cela . Il demande une enquête sur la
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 187

conduite des prêtres du ressort , depuis un mois . Qu'on


sévisse surtout contre le curé de Fressin qui a empê-
ché de lire , dans la Société populaire , le Père Du-
chêne, parce que les principes qu'il renfermait étaient
propres à éclairer le peuple sur les erreurs du fana-
tisme et de la superstition , et qui a dit lui -même en
pleine séance qu'il ne voyait pas l'utilité de cette lec-
ture , que , depuis qu'on la faisait, on n'entendait plus
que des s ... et des f... sur les lèvres des jeunes enfants .
Louis Mahieu et Pingrenon font la même demande sur
la conduite des prêtres. Signé : N. Violette, L. Du-
flon , L. Mahieu , Pingrenon , M. Berthe secrét . , Thélu ,
président . >>
Cette première dénonciation fut bientôt suivie d'une
autre que le même registre signale en ces termes :
« Le 11 décembre , vers 2 heures après-midi , lorsque
les citoyens de la commune se réunissent pour émet-
tre leurs vœux sur les horreurs du fanatisme , en vertu
de la convocation légale des maire et officiers munici-
paux du lieu et de la Société montagnarde , un nombre
considérable d'hommes et de femmes se réunissent et
forcent une partie de leurs concitoyens, à coups de
poing, à être fanatiques comme eux ; à six heures , les
mêmes hommes et femmes armés de bâtons s'opposè-
rent à la libre réunion de la Société populaire ; ils for-
cèrent le président à se retirer, mirent son siège dans
la rue et dirent qu'ils ne voulaient plus de club . Considé-
rant que ces faits sont occasionnés par le curé Moron-
val qui a opiniâtrément continué ses fonctions malgré
des avis salutaires ; c'est lui aussi qui a fait venir des
gens du voisinage dire qu'ils ne voulaient pas renoncer
à leur baptême , le conseil met provisoirement ledit curé
en arrestation, mais craignant une rébellion de la ma-
jeure partie des habitants de Fressin fanatisés , avertit
en secret le District de Montreuil et prend des rensei-
gnements sur les autres complices et adhérents , Le
Comité, Thélu , président . »
188 LA TERREUR

Ainsi mis en demeure d'agir, le District de Mon-


treuil envoya ordre à Fressin d'arrêter le curé Moron-
val et une force armée pour seconder les agents du
pouvoir. Le Comité de surveillance et le Conseil gé-
néral de Fressin se mirent en mesure de recevoir la
force armée et de prendre les précautions que l'ordre
réclamait . Mais quand , le 12 décembre , à neufheures
et demie du soir, les six hussards venus de Montreuil
arrivèrent au presbytère pour s'emparer du curé ,
celui- ci n'y était plus . Le lendemain , le Comité de
Fressin avisa le Comité d'Hesdin ou plutôt de Lepel-
tier- sur-Canche , car c'est de ce nom qu'Hesdin s'était
affublé , que M. Moronval était soupçonné de se cacher
dans son enceinte . Effectivement, sur le soir du 13
décembre , un gendarme d'Hesdin vint annoncer à
Fressin que le curé avait été arrêté et dirigé sur Mon-
treuil . Immédiatement la mère de Moronval , Isabelle
Duhamel , vint réclamer la levée des scellés qu'on
avait mis sur les meubles de son fils , afin de prendre
quelques meubles . Cependant les femmes de Fressin
n'étaient pas contentes , et le 14 décembre , elles enva-
hirent le local de la Société populaire , et obligèrent le
président Thélu à quitter son fauteuil . Ce n'est pas
tout, elles le forcèrent de sortir de la salle en chantant
le cantique de repentir : Mon doux Jésus , moyennant
quoi , lui dit la femme de Jean- Michel Gouillard , il ne
lui serait fait aucun mal . Cette femme n'était pas seule ,
dépose Thélu , mais l'obscurité et le tumulte m'ont
empêché d'en reconnaître d'autres .
Le Comité de Fressin conserva rancune au curé
Moronval du zèle de ses partisans , car le 29 décembre
il refusa de s'unir aux municipalités de Sains , Avon-
dance et Planques , qui demandaient sa délivrance.Aussi ,
le 5 janvier , la célèbre femme Gouillard , de son nom
Célestine Bonvarlet, annonce , en sortant de la messe,
qu'elle jettera dehors les meubles, tables et fauteuils
de la Société populaire qui sans doute tenait ses séan-
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 189

ces dans l'église . Elle tint parole , et le 6 , jour de


l'Epiphanie , aidée de Marie - Rose Gouillard , sa fille ,
elle jeta tout ce mobilier dans le cimetière .
Cette fois , la mesure était comble , les deux femmes
furent dénoncées et le lendemain , six hussards d'Hes-
din vinrent les arrêter et les emmener, parce que la
municipalité avait refusé de les loger . Plus tard , elles
furent conduites à Arras ainsi que le curé Moronval ,
mais les gens de Fressin ne les chargèrent pas trop
dans leurs dépositions : ils dirent que Claude Moron-
val était un bon républicain et que Célestine Bonvar-
let avait donné des marques de folie . C'était le meil-
leur moyen de les sauver de l'échafaud .
Le président Thélu se crut encore obligé de parler
au District de Montreuil du vicaire de Sains , Trame-
court , de Blangy , qui dit des messes tant qu'il peut ,
et qui n'a pas l'air d'avoir vingt - cinq ans . Cet âge fut
difficile à établir , paraît- il , et le pauvre vicaire fut
arrêté et relâché plusieurs fois pour ce fait , finalement
on l'envoya à Montreuil .
Une autre municipalité, celle de Fillièvres , sous la
conduite de son maire Samier, crut devoir donner au
District une preuve non équivoque de son patriotisme .
Le promoteur de ce mouvement , Samier , est en même
temps le rédacteur des rapports envoyés à Montreuil ,
à la suite des deux manifestations qui y sont men-
tionnées .
« Le 1er février 1794 , la municipalité se réunit aụ
temple de la Raison , et après avoir félicité les patriotes
de leurs dons , à savoir : 64 hommes pour la défense
de la patrie , 137 chemises , 7 paires de draps , 9 paires
de bas , leurs cloches , croix , 2 calices , 2 ciboires , le
maire cacourage ses concitoyens à redoubler d'ardeur
en persévérant dans la même voie .
« Le 8 février, à une heure , les patriotes se sont
rendus au temple tambours et violons en tête , la muni-
cipalité ouvrant la marche, la Société républicaine .
190 LA TERREUR

suivant avec les habitants et voisins « étant munis de


tous les simulacres qui siégeaient depuis si longtemps
dans notre ci-devant église , ayant à la tête de ce
convoi la bannière des morts (l'horreur des idiots)
chantant tous en masse des hymnes à la raison , les
avons conduits au lieu où nous devions renouveler
l'arbre de la liberté et en avons fait un auto-da-fé .
« Le citoyen maire ayant fait don d'un arbre , on
est allé le chercher et on l'a honoré de plusieurs dé-
charges . Deux enfants jumeaux appartenant au citoyen
maire , âgés de 30 mois , ont fait toute l'admiration du
peuple en ne laissant leur papa tranquille que lors-
qu'il leur a eu permis d'honorer cet arbre de chacun
un coup de fusil ; ce qu'ils ont fait en présence de tout
le peuple . La fête s'est terminée par une danse qui
n'a fini qu'avec le jour . »
C'est à la même époque que , sur l'injonction du
District, les noms des municipalités , tirés de la farouche
superstition ou de la hideuse féodalité , furent suppri-
més et remplacés par des noms patriotiques . Montreuil
lui- même donna l'exemple en s'appelant Montagne-
sur-mer ; Hesdin , Lepeltier-sur - Canche ; Auxi- le -Châ-
teau, Auxi- la -Réunion ; Aubin - Saint-Vaast, Aubin-
Marat ; Bouin- Saint-Vaast, Bouin - Beaurepaire ; Hubin-
Saint- Leu , Mont-Blanc ; Marconne , Fontaine - Libre ;
Sainte - Austreberthe , L'Égalité - sur - Canche ; Saint-
Georges-les- Hesdin , Georges - les - Hesdin ; Auchy-les-
Moines , Auchy- sur-Ternoise ; Cavron- Saint- Martin ,
Cavron- L'Unité ; Saint- Denoux , Noeux- L'Inflexible ;
Sains -les -Fressin , Les-Fressin - Pelletier; Saint-André-
au-Bois, L'Union -au-Bois ; Saint-Remy , L'Ami-de- la-
Vertu ; Saint-Josse- sur- Mer , Fontaine-au-Bois ; Airon-
Notre- Dame , Airon-les - Bois ; Airon - Saint-Vaast , Ai-
ron-la- République ; Nampont- Saint- Firmin , Nampont-
la-Fraternité ; Beaurain- Château , Beaurain - sur - Can-
che ; Conchil - le-Temple , Conchil-sur-Authie ; Dom-
martin , Liberté . »
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 191

Il va de soi que toutes les municipalités acceptèrent


avec un apparent enthousiasme les noms nouveaux
dont on les décorait, mais en pratique , on n'en fit ni
plus ni moins d'autres soucis , du reste , ne tardèrent
pas à s'imposer à l'attention publique .
Le fameux édit d'arrestation de tous les ci-devant
nobles, dans les 24 heures , obligea , dès le 15 février ,
le District de Montreuil à se préoccuper de la question
des prisons . Après avoir procédé à la façon des malfai-
teurs , portes closes, la nuit, avec une garde de sûreté ,
et en laissant chez eux les malades , les vieillards et
les infirmes , les administrateurs se trouvèrent d'abord
en présence d'une cinquantaine de prisonniers qu'ils
enfermèrent d'abord à Saint- Saulve . Quand le contin-
gent des communes arriva , le 20 février , on les trans-
féra à Sainte-Austreberthe , devenue maison d'arrêt du
district . C'est là également que l'on conduisit treize
maires ou agents nationaux qui avaient été enfermés
jusque-là dans les prisons de la ville .
Saint- Saulve et l'ancienne prison n'en reçurent pas
moins leur contingent, et si l'on juge du nombre des
prisonniers par le personnel consacré à les garder, ils
devaient être partout fort nombreux. On y compte di-
recteur , sous -directeur , quatre gardiens et deux mé-
decins qui étaient Boitel et Deroussent l'aîné. Ces
derniers n'avaient pas le droit de voir les détenus dans
leurs appartements .
D'autre part , il résulte d'un état de la maison de
Sainte-Austreberthe , le 14 avril 1794 , qu'elle conte-
nait 120 détenus à cette date . On y comptait vingt-
quatre religieuses , parmi lesquelles il faut nommer
l'abbesse même de Sainte-Austreberthe , âgée de 76 ans ,
de caractère bon et obligeant , dit l'état , mais influente
et fanatique . Florentine Detœuf est aussi désignée
comme animant les autres dans les manifestations de
fanatisme .
Parmi les nobles , on compte les d'Accary, les Gué-
192 LA TERREUR

roult, dit Bois-Robert, dix membres de la famille Mou-


lart , les Loisel , les du Tertre , les de Berne , etc. , à
qui l'on rend le témoignage collectif d'avoir le carac-
tère doux et bon .
Il faut dire que là aussi , les chefs de service abusè-
rent indignement de leur situation . Grégoire Nayez ,
notamment, directeur de Sainte - Austreberthe , fut même
condamné plus tard à cinq ans de fers , pour les méfaits
sans nombre qu'il commit dans l'exercice de ses fonc-
tions . Non seulement , dit son acte d'accusation , il se
faisait payer à dîner par les détenus et allait jusqu'à
leur demander 100 livres pour des groseilles , mais
Nayez a fait vider une étable remplie d'ordures , à
trois religieuses , les faisant travailler en plein soleil ,
les maltraitant , les terrorisant . Il a enfermé Bernardine
Leporcq dans un infâme souterrain , parce qu'elle n'a
pas voulu travailler le dimanche . On incrimina encore
ses visites nocturnes chez les femmes où il enfonçait
les portes et arrachait les serrures , il a aussi cloué les
fenêtres d'une chambre où étaient treize religieuses .
Enfin, il fut accusé et malheureusement convaincul
d'avoir séparé de ses parents la fille Testard , pour
arriver plus facilement à la séduire .
La haine anti -religieuse mêlait toujours sa note à
ces persécutions . C'est pourquoi , le 25 février , pour
répondre au Comité de Salut public qui demande
comment le District a éclairé le peuple sur le compte
des prêtres , un membre présente un projet d'adresse
sur les sottises dites religieuses et le District , désireux
d'affranchir le peuple du joug sacerdotal , de combattre
le fanatisme avec les armes du ridicule et de la raison ,
arrête que cette adresse intitulée : La dernière heure
des prêtres est sonnée , sera imprimée à mille exem-
plaires et adressée aux Sociétés populaires et munici-
palités du district de Montreuil et des districts voi-
sins .
C'est ensuite aux églises que l'on s'attaque et ce sont
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 193

les couvents que l'on veut détruire , sous prétexte d'y


découvrir du salpêtre . Le 28 février , le citoyen Delho-
mel, agent du district pour le salpêtre , après avoir
fait démolir une partie du couvent des Récollets d'Hes-
din , vient faire ses visites à Montreuil et demande à
démolir, dans le même but , le ci-devant gouverne-
ment, une partie de l'église Saint- Saulve , la ci -devant
église Saint-Jacques , une partie de l'église Notre-
Dame et une petite chapelle sur la place , près de la
mare . Il n'obtient pas tout à fait tout ce qu'il demande ,
mais on lui abandonne pourtant les plus vieux édifices .
Ce sont ensuite les dénonciations de prêtres qui
reprennent de plus belle . « Le 28 mars , deux mem-
bres de la Société populaire de Montreuil viennent
dénoncer des prêtres qui disent une , deux et trois
messes des jours que l'on nommait dimanches , et
rassemblent , dans les ci-devant églises , les habi-
tants de la commune et des voisines . Un membre
appuie , par un discours , contre ces diseurs de messe,
et montre les dangers du fanatisme . Au nombre de ces
fanatiques , il nomme les ci-devant curés de La
Calotterie , Boisjean , Brimeux , Buire -le - Sec , Queux ,
Dourier et Aix - en- Issart, et le ci-devant vicaire de
Saulchoy, ce dernier principalement qui , après avoir
imbu vingt-quatre à trente jeunes élèves de la Répu-
blique des principes erronés dont les scélérats ci-
devant à robe noire chargeaient la mémoire des en-
fants , dès leurs premières années , leur a fait avaler
dernièrement un morceau de pâte cuite, qu'il leur
représentait comme l'Etre suprême . Il propose d'éloi-
gner ces odieux charlatans qui trompent les bons culti-
vateurs , d'arrêter tous les ci -devant prêtres qu'il vient
de nommer , et de les envoyer à Joseph Le Bon qui a
précédemment pris , à l'égard de plusieurs , des mesu-
res applaudies des vrais républicains . Adopté unanime-
ment . Demonchaux , agent national pr . , Boidin , Pré-
vost et Souffrin . »
13
194 LA TERREUR

C'est pourtant en face de ces menaces que les habi-


tants de Brimeux essayèrent , le 19 mai , par une péti-
tion signée de cent trente noms , « de réclamer le libre
exercice du culte catholique , dans lequel les membres
de l'assemblée désirent vivre et mourir, et de requérir
Antoine- François Fontaine , qualifié de curé de la
commune, de reprendre et de continuer toutes ses
fonctions . » Les uns accueillent cette demande par
des murmures , d'autres par le mépris et la risée ,
lorsque six individus de Brimeux arrivent au District
et demandent le libre usage de leur église et un autre
local pour le libre exercice du culte . A leur tête est
Pierre
་, Blondel , président de la Société populaire ,
dont il se dit le délégué . On l'interpelle , on lui demande
le nom des meneurs de cette manifestation ; on accuse
le maire et surtout le curé Fontaine . On blâme la
réunion illégale tenue à cette occasion , où l'on s'est
élevé contre la loi et on décide que « les autorités de
Brimeux seront mandées à la barre et le curé Fontaine
pris et conduit sur-le -champ à la maison d'arrêt . »
Cet acte libéral , avec l'ordre au curé de Lépine de
s'éloigner de sa paroisse , de cinq lieues , dans les trois
jours , termine à peu près l'histoire des persécutions
religieuses , dont le district de Montreuil fut le théâtre ·
avant le 9 thermidor .
C'est toujours sous les yeux de Le Bon lui-même ou
des agents intimes et nombreux que sa famille lui
fournissait à Saint-Pol , que ce district , toujours un peu
plus revêche que les autres , subissait le programme
révolutionnaire et terroriste .
Les pauvres curés constitutionnels donnaient pour-
tant l'exemple de la soumission . Ainsi , le curé de Mon-
dicourt, Antoine Roussel , déposait ses lettres de prê-
trise le 3 février ainsi que celui de Fiefs , Casimir Sau-
vage ; le 11 , c'était Hubert Maurice , curé de Magni-
court-en-Comté ; le 12 , Jean-Baptiste Fardel, curé de
La Comté et ancien dominicain ; le 15 , Jean- Baptiste
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 195

Pette , curé de Grand-Rullecourt ; le 19 , Nicole , curé


de Sains-Tangry ; le 20 , Letombe , curé de Chelers , et
Duquesnoy , curé de Conchy ; le 6 mars , Charles Her-
sin , curé de Hauteclocque , et le 7 mars , Benoît Mar-
tin , curé de Gouy-Ternas , faisaient de même . Mais à
l'heure où nous sommes arrivés , il fallait à l'idole de la
Terreur d'autres holocaustes . Boubers et Villers-
l'Hôpital sont dénoncés , le 16 janvier , comme étant
des repaires de fanatisme ; Helle , accompagné des
gendarmes , va y saisir les deux prêtres, Delouale et
Thomas , qui animent leurs partisans à la révolte , dit
le rapport, comme le faisaient les Truyart.
A Saint-Pol même, après avoir accordé pourtant des
certificats de civisme à deux femmes bien estimables ,
la supérieure de l'hôpital , Marguerite Massin , et l'an-
cienne abbesse de Woestine , Barbe Briois , on com-
mence à vendre la chaire et les boiseries de l'église ,
ainsi que d'autres objets qui dépérissent , et on loue la
maison du curé et celle du maître d'école demeurées
vacantes.
Sur ces entrefaites , le 26 janvier 1794, Saint- Just
passe , à Saint-Pol, et , sous prétexte d'un manque
d'égards envers lui , y fait mettre en arrestation tous
les membres du Comité de surveillance qu'il veut faire
conduire à Béthune et les remplace par six membres
de la Société populaire . Grâce à l'intervention de Le
Bon, Saint-Just fut généreux , et, le 7 février , les
membres du Comité rentrèrent en fonctions .
Il fallait se montrer reconnaissants . Le 18 , on chanta
en choeur l'hymne de Le Bon contre les prêtres , et , le
21 , on procéda à de nouvelles arrestations . La mai-
son des Thellier était vide , on la fouille de la cave au
grenier et c'est Flament qui préside aux recherches.
L'ancien concierge des prisons , François Pétain , est
accusé d'être de connivence avec cette famille exé-
crée , on l'arrête : on arrête également Florent Boitel ,
concierge et sergent de la commune, comme lui étant
196 LA TERREUR

attaché . Le 23 , la femme Thellier est tirée brutale-


ment de sa prison des Carmes et soumise à un nouvel
interrogatoire . C'est Flament qui poursuit cette inqui-
sition . La femme Thellier a toujours maîtrisé son
mari : elle est complice et responsable , elle ment et
biaise , il faut la mettre au secret dans la maison atte-
nante à la maison commune .
Les fouilles se poursuivent ailleurs ; chez Debret
père , rue d'Hesdin , chez la veuve Maillart, chez Ni-
colas Lambert, chez Laurent Herduin , chez la fille
Corbehem , chez Hecquet , chez la veuve Demonchaux
et chez Dubois. Deux membres du comité se rendent
dans chaque maison et donnent avis de leurs trou-
vailles au président Miennée .
Ces violences redoublèrent encore quand arriva
une proclamation de Le Bon , lue partout , et invitant
les citoyens à dénoncer les aristocrates , les prédica-
teurs du fanatisme , les propagateurs d'écrits perni-
cieux , sous peine d'être aussi coupables qu'eux .
Alors est tenue , le 11 mars , une séance extraordi-
naire , à l'occasion , dit le registre du district , d'une
nouvelle conspiration dont on s'aperçoit depuis quelque
temps . Non seulement le Comité de surveillance pro-
pose d'arrêter les femmes des détenus , mais encore
tous ceux et celles qui se sont remués depuis le com-
mencement de la Révolution en prêchant l'aristocratie
et le fanatisme . Par mesure de salut public on propose
donc unanimement d'arrêter : Ansart, notaire ; Capron ,
homme de loi , avec sa femme et sa fille ; Daverdoingt,
Corbehem et sa femme ; Nicolas Lambert, sa femme et
ses enfants ; Henri Thellier, Remi Ricouart, Debret
père , etc. Cette requête est signée : Lemaire , L. Da-
velu, Ferd. Graux, Copin , Carette , L. Helle , F. Hove ,
Miennée , Prévost, Legrand et Wallart .
Le lendemain , 12 mars , sur la proposition de Mien-
née , on arrête encore Albert Goudemetz , Leclercq ,
Danvin , Leducq , brasseur , Joseph Joanne , ex -béné-
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 197

dictin, « qui a donné sa démission de municipal quand


on a abattu la chapelle du Saint- Esprit, » François
Corne, Ambroise Corne , etc.
Devant ces mesures tyranniques , qui ne tardèrent
pas à s'étendre au district tout entier , la vieille foi des
Saint-Polois s'éteignit un instant et l'on put inscrire
dans les registres de la municipalité , à la date du
8 avril 1794 , que le vœu général de la commune avait
aboli le culte catholique et fermé l'église .
Voici même ce que le malheureux Duflos, ancien
curé de Saint-Pol , devenu agent national , put écrire
le 20 mai : « Le fanatisme est anéanti , tous les temples
de la superstition sont changés en temples de la Rai-
son. » Tout en déplorant le terrorisme dont souffrait
son district et auquel il s'associait le moins possible , il
faut le reconnaître , l'ancien curé d'Hesmond parta-
geait la haine fanatique des représentants du pouvoir
pour tout ce qui rappelait la religion dont il était le
prêtre c'est ainsi que , le 21 mai , il s'associait au vœu
émis par la municipalité pour la démolition de l'église
1
paroissiale .
Le mois de mai vit continuer les incarcérations nom-
breuses qu'avait inaugurées le mois de mars . Le 13 ,
un pauvre prêtre , arrêté la veille dans les bois d'Aver-
doingt, François Brasseur , ancien vicaire de Ver-
chocq , fut amené à Saint- Pol . Il avoua qu'il avait
habité Rebreuve - sur- Canche , chez ses tantes , les de-
moiselles Sacleux , puis , qu'il avait dû mendier son
pain et coucher dans les granges pour ne compro-
mettre personne , ni ses tantes de Rebreuve , ni sa
mère qui habitaient Rebreuviette . Il était couvert de
haillons , mais on lui découvrit une cocarde à deux
faces tricolore et blanche . On l'envoya à la maison
d'arrêt et on fit saisir sa mère , Marie - Barbe Sa-
cleux ; ses deux tantes , Marie-Michel et Marie -Angé-
lique ; ses deux frères de Rebreuviette , avec la fille
aînée de Guérard , qui lui avait donné la cocarde . En
198 LA TERREUR

visitant la maison des Sacleux de Rebreuve , on décou-


vrit une cachette sous la grange et un double pignon :
quand toutes ces femmes eurent comparu , on les en-
voya en prison .
Le 21 mai , on fait un crime à Jacques Poillion , de
Pierremont , précédemment gardé à vue par Charles
Bigan , d'avoir dit que si on le conduisait à la guillotine
il soulagerait son cœur en disant : « Je vais mourir
pour la loi et mon roi ; vous êtes un tas de gueux et
de scélérats . >>
Un autre Poillion , Jean - Baptiste , frère de celui- ci ,
était déjà en prison à Arras . C'était un vieillard ,
longtemps infirme et respectable , qui exposait dans la
lettre suivante , à Duflos , son mode d'arrestation et le
traitement qu'il subissait , à la date du 3 mai :
<< Citoyen administrateur ( 1 ) , nous vivons sous les
lois de la liberté et de l'égalité , de la raison , de la
bienfaisance , et j'expérimente le contraire , surtout
depuis un mois , sans en pouvoir savoir la raison , à
moins que ce ne soit pour avoir exhorté à obéir aux
lois , ayant dit quelquefois la messe appuyé sur la
liberté des cultes , après avoir été 15 ans sans la dire.
Vous me connaissez ainsi que mes sentiments et tout
ce qui me concerne ; tout cela se trouve écrit dans le
bureau du citoyen Guilluy.
<< On m'avait promis de me laisser vivre tranquille ,
autant que mon état d'infirmité le pouvait permettre ,
et de me payer ma pension ; et , cependant, sans m'at-
tendre à rien, on m'est venu prendre , il y a un mois ,
la nuit , disant qu'on me demandait à Saint-Pol . J'y
serais venu volontairement si on m'avait écrit deux
mots. J'y vins sans chemise pour changer, sans argent ,
m'ayant fait entendre que ce n'était que pour deux
jours , par une pluie affreuse ; tout malade que j'étais ,
on me mit sur la paille , sans manger, sans me chauffer ;

(1) Archives départementales, district de Saint-Pol , 1. 113,


LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 199

le lendemain on me fit partir pareillement, sans y


penser, pour Arras ; la même pluie continuait toujours
et sans manger ni boire , et je demeurai pendant un
mois sans aucun secours humain , ne mangeant que
quelques morceaux de pain , couché sur la terre avec
de l'eau , invoquant presque la mort à mon secours . On
m'avait dit que le citoyen Le Bon voulait me parler ;
je lui en ai demandé la permission , il me l'a accordée ;
je lui ai exposé en peu de mots tout ce qui pouvait me
faire connaître il l'a trouvé juste , il a ajouté. que
j'avais été compris dans l'arrêté sans avoir fait atten-
tion que mon état m'en exceptait ; en conséquence , il
a ordonné de me conduire à Saint-Pol , autorisant
l'agent national à me faire remettre chez mon tuteur
en liberté , s'il n'y avait rien à me reprocher de consi-
dérable . Je suis donc arrivé ici le jeudi 13 floréal sans
argent et presque nu ; l'agent m'a fait mettre dans la
maison de détention avec promesse de me faire con-
duire le lendemain à Humières . Je n'entends parler de
rien. Je vous prie donc , citoyen , de fixer mes inquié-
tudes en me faisant connaître si cette promesse sera
exaucée ; ce qu'il y a de certain , le citoyen Joseph Le
Bon a jugé que je ne pouvais demeurer en prison , où
il faut de la santé. J'ai trop écrit , parce que vous con-
naissez mon état et ma situation . Ainsi je suis bien sin-
cèrement votre concitoyen , J.-B. Poillion . - P.-S.
Je n'ai reçu aucune pension depuis 17 mois ; si elle
peut être utile à la nation , je ne mangerai que du
pain . >>>
C'est un spectacle écœurant et profondément triste
que celui de tous les Comités de surveillance des com-
munes , en relation avec celui de Saint-Pol , pour le
service humiliant de la délation . On accumulait ainsi
dans les prisons du chef-lieu l'élite de la population du
district. A ne citer que les détenus arrêtés pour cause
de fanatisme , Gauchin en fournit 12, Humières 3 , dont
Jacques Thieulaine ; Frévent 60 , dont François Plan-
200 LA TERREUR

chon , frère du curé de Willeman ; Alexandre Fontaine ,


ex-lazariste ; Fortel 8 , Fontaine -les - Hermant 7, Es-
trée-Wamin 4, Floringhem 12 , Bonnière et Beauvoir
22, Berles 3 , Averdoingt 28 , Grand- Rullecourt 13 , et
nous ne pouvons tout énumérer . Lattre - Saint- Quentin
avait envoyé beaucoup de femmes , qui étaient allées
avec des marteaux chez le curé constitutionnel lui
demander les clefs de l'église afin de permettre aux
réfractaires de dire la messe .
Saint-Pol tenait toujours la tête des arrestations
avec plus de 200 détenus . Citons encore la sœur du
chanoine Coignion , femme Demonchaux ; la fille De-
monchaux , nièce et amie dudit chanoine ; le fils de
Danvin, cirier, ci -devant clerc tonsuré ; Jean- Charles
Capron père , ayant un fils émigré, la femme Capron ,
notaire , et ses enfants ; Rosalie Brunet , qui regardait
de mauvais œil ceux qui allaient à la messe constitu-
tionnelle ; la sœur Praxède , ancienne sœur noire , qui
n'a pas prêté serment ; la femme Remi Ricouart et ses
enfants .
On se fera une idée de l'accumulation des détenus
dans les maisons d'arrêt par le détail suivant , extrait
des registres du district : « Le 7 juin , on présente un
mémoire de 65 nuits à 3 livres , employées par 8 per-
sonnes à curer les lieux d'aisance de la maison d'arrêt
de la commune de Saint- Pol . Ce mémoire exagéré
est renvoyé au juge de paix qui , tout compte fait, ne
trouve que 32 nuits , et fait payer 144 livres . » C'était
donc une vraie garnison que contenait cette maison .
Aussi le personnel était- il en rapport avec ses habi-
tants . Son directeur Dacheux, son sous - directeur
Fréville , avaient quatre gardiens au dedans et deux
au dehors et les dépenses de ce personnel , du 18 avril
1794 au 27 juillet de la même année , s'élevèrent à
6,500 livres au 19 octobre 1794 , elles allaient déjà à
13,146 livres .
Pour sortir d'un pareil bouge ou pour n'y pas entrer,
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 201

les autorités et les prisonniers multipliaient les marques


de patriotisme . Nous en citerons deux spécimens .
Le maire de Sus- Saint- Léger , Pezé , écrit , le 27 mai
1794 , à Hénin , président de l'administration du Dis-
trict de Saint- Pol, en parlant de l'arbre de la Liberté :
«< Au surplus de cet arbre , il y faut un tuteur à côté ,
et, sur ce tuteur , j'y ai fait faire un bonnet de la Li-
berté avec une girouette et des flammes à trois cou-
leurs . Le tout ne coûte que cinq livres : la municipa-
lité veut me les faire payer seul , attendu que je ne les
ai pas convoqués à ce sujet. Je te prie , citoyen , d'en
parler à l'administration si , dans ma qualité de maire ,
je ne peux pas faire une dépense de cinq livres pour
l'ornement de la République , je te prie de m'en donner
réponse . »
D'autre part , François-Xavier Debret , donnait ses
titres à la faveur de ses juges comme il suit , le 16
juillet : « Ayant abjuré le fanatisme monastique en
1789 , avec une fermeté inouïe , vu pour ainsi dire le
jour avant qu'on ait vu l'aurore , ayant rempli des
fonctions publiques , ayant tonné contre les prêtres
réfractaires , installé , malgré les fanatiques , plusieurs
curés constitutionnels , notamment celui de Cannette-
mont et de Rebreuve - sur - Canche , ayant conduit moi-
même , en qualité de procureur de la commune , un
prêtre réfractaire dans la maison d'arrêt à Cannette-
mont , je demande la liberté . » Son frère , gendarme à
la brigade de Saint-Pol , réclame également son élar-
gissement, pour cause de maladie ; « en sortant des
latrines il a failli , dit- il , passer à l'autre monde . >> Tous
ces arguments montrent en définitive à quel point la
terreur régnait à Saint- Pol , quand sonna enfin l'heure
d'une première délivrance .
Bapaume , depuis la visite de Le Bon que nous
avons racontée , traversait à peu près les mêmes
épreuves .
Dès le 10 février , son église Saint- Pierre était de-
202 LA TERREUR

venue un atelier de salpêtre sous la direction de l'apo-


thicaire Amas ; en même temps la maison d'arrêt
commençait à se remplir. Boulogne et Bruet étaient
surtout chargés des interrogatoires , et c'était la messe
constitutionnelle qui en fournissait ordinairement la
base.
Aussi le personnel de la maison d'arrêt était- il orga-
ganisé avec soin : Ferbus recevait 600 livres comme
concierge , Leclercq Henri 600 comme geôlier , et Ti-
mothée Clouez 600 comme portier . Le directeur Au-
gustin Bruet en recevait 800 comme directeur .
Deux anciens religieux d'Eaucourt, Ferdinand Pouil-
laude et Barthélemy Bocquet , remirent leurs lettres de
prêtrise en février et en mars ; la fille Izambart fut
arrêtée le 13 février pour avoir dit , un jour qu'elle avait
perverti un individu : « Quel bonheur ! nous avons ga-
gné une âme à Dieu. >>
En mars les arrestations se multiplièrent encore .
Six patriotes de Bapaume furent payés à six livres par
jour pour aller dans toutes les communes du district
abattre les calvaires , démolir les chapelles et recueil-
lir les dénonciations .
Certaines communes affolées renoncèrent alors au
culte : Saudemont , notamment, protesta par une péti-
tion, signée de 137 noms , qu'il adoptait la maxime des ...
druides et renonçait à tout autre culte .
Cagnicourt, par l'organe de son officier municipal ,
J.-B. Delattre , et du secrétaire Bocquet, manifesta
comme il suit ses plaintes contre le fanatisme : « Ci-
toyen d'Eprez , administrateur , je te préviens que
malgré ma surveillance j'ai la douleur de voir que le
fanatisme n'est point encore expiré comme il était
hier le jour de Pâques , vieux style , les infernals aris-
tocrates de notre commune ont paru ce qu'ils sont , ce
qu'ils ont toujours été.
<< Nous avions mis , de concert avec un officier mu-
nicipal, nommé J.-B. Delattre , homme ferme , des pa-
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 203

triotes dans tous les coins des rues pour nous rendre
un fidèle compte des personnes endimanchées . Notre
mesure de sûreté n'a servi à rien . Ces infernals ont
sorti de leur tannière et ont paru tête levée ; les caba-
rets ont été pleins et ont solennisé leur mâtin de jour
de Pâques .
<< L'administration ne fera-t-elle jamais un arrêté
pour les faire aller le pas de charge . Par ce moyen ,
peut-être rentreront-ils dans l'ordre . Nous avons vu
avec la plus vive douleur que des officiers municipaux
en donnaient l'exemple . Donnez donc un arrêté contre
ces monstres -là . Nous vous promettons sur notre tête
de le faire exécuter .
<< Nos soins ont été jusque-là d'aller dans les caba-
rets faire recherche de ces individus vendus au fana-
tisme . Salut et fraternité . »
Pour abattre ce « mâtin » de fanatisme, un mem-
bre du District avait pourtant conçu un projet victo-
rieux , et que les registres nous représentent comme il
suit :
<«< Le 13 avril un troupeau de femelles endiman-
chées , et que la municipalité et le Comité de surveil-
lance avaient fait arrêter , est introduit en séance ; un
membre leur prouve l'absurdité de leurs préjugés , on
les renvoie ensuite dans leurs foyers .
« Un membre demande que pour fronder de plus
en plus le fanatisme , on ordonne des danses publiques
dans toutes les séances . » Ce projet ajourné d'abord
fut adopté plus tard . On invita les municipalités à
fournir un local . Avant la danse , on devait lire les lois
républicaines « pour faire germer de plus en plus l'u-
nité fraternelle qui caractérise les républicains . »
Il paraît cependant que ce remède ne fut pas abso-
ment radical . Car on lit encore dans les mêmes regis
tres : « Le 21 avril , on appelle et casse la municipalité
de Rocquigny , pour avoir laissé chômer le ci -devant
jour de Pâques sans observation ni dénonciation . » >
204 LA TERREUR

« Le 20 juin, les municipalités de Courcelles et de


Vaulx sont réprimandées et incarcérées pour avoir
tièdement célébré la fête de l'Etre suprême ; Barbet
ira les réchauffer décadi prochain . »
Ce Barbet, ancien oratorien , avait été nomméte 17
avril par Le Bon lui -même , membre du District de
Bapaume, à la place du citoyen Labouré , pour cette
mission de réchauffeur .
Le 26 juin, se présentent à la barre de jeunes répu-
blicains et républicaines de Bienvillers -au- Bois . Ils font
un discours pour réclamer le détenu Bocquillon , leur
instituteur , qu'ils justifient , chantent une hymne à
la Liberté et récitent par cœur des chapitres du caté-
chisme républicain , que leur a appris leur patriotique.
maître . Le président Norman donne l'accolade à l'ora-
teur ; mais quant à leur demande , ils sauront que la
justice plane sur toutes les têtes , que si Bocquillon est
reconnu mériter la liberté , rien ne doit les inquiéter .
On ne négligera pas de les instruire activement . Le
plus redoutable inquisiteur que Bapaume pût recevoir ,
Remy, n'avait pas encore complété son œuvre . Il
fallait des victimes pour l'échafaud . C'est lui qui les
choisit. Le pauvre instituteur Bocquillon fut un des
premiers . Pierre Defossé, fanatique outré et ami de
l'ex-doyen , et le respectable Druon Lefrançois du
Fétel, religieux d'Arrouaise , furent envoyés dans ce
but à Arras , avec le comte de Wasseras , d'Haplin-
court , et plusieurs autres . Nous verrons que des déte-
nus , en bien plus grand nombre , sont destinés aux
exécutions de Cambrai .
Après avoir relevé le long de quinze pages in- 8°, à
deux colonnes , les noms des personnes détenues dans
les maisons d'arrêt de la ville , l'auteur de l'Histoire de
Bapaume arrive au chiffre de cent soixante- dix pour
la ville seulement et à plus de quatre cents pour le
reste du district . C'était donc un total de six cents pri-
sonniers accumulés dans cette petite ville . La note
LA TERREUR DANS LES DISTRICTS 205

<< fanatique » est celle que l'on trouve le plus souvent


attachée aux noms qui figurent sur cette liste intermi-
nable.
Au terme de cette longue et funèbre revue des pour-
voyeurs de l'échafaud passée d'un bout à l'autre du dé-
partement, il faut rentrer à Arras, pour y assister à la
suite des fureurs de Le Bon , au procès et à l'exécution
d'une nouvelle série de victimes .
CHAPITRE SIXIÈME

LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES

Divisions du parti révolutionnaire d'Arras. - Maintien du tribunal


criminel. - Les amis et les ennemis de Le Bon. - Le jour de
Pâques 1794.

L'acquittement de Dauchez dans le procès de


Me Bataille , et l'approbation publique que l'accusa-
teur Demuliez donna à cet acquittement , après son
retour de Boulogne , furent le point de départ d'une
scission qui ne tarda pas à accentuer la division des
révolutionnaires d'Arras en deux partis : les terribles ,
à la tête desquels resta naturellement Le Bon , et les
modérantistes , dont Demuliez devint le chef avec le
président Beugniet, et les frères Le Blond , pour lieute-
nants.
Le proconsul du Pas - de-Calais commençait à s'in-
quiéter des propos tenus par ses adversaires et se pré-
parait, sans doute , à les arrêter net , lorsqu'arriva le
décret du 16 avril qui appelait , à Paris, tous les préve-
nus de conspiration , et supprimait implicitement le
tribunal criminel du Pas -de -Calais .
Cette nouvelle excita , à Arras , une émotion facile à
comprendre ; les adversaires de Le Bon la commen-
tèrent bruyamment et celui- ci , inquiet et attendant de
plus amples informations , suspendit à contre cœur les
séances de son tribunal . Mais il écrivit et fit écrire
sur-le-champ , au Comité de Salut public et à Robes-
pierre , pour solliciter une exception à la loi commune,
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 207

en faveur du Pas -de- Calais , où il demandait la conser-


vation du tribunal révolutionnaire avec ses attribu-
tions .
Au fait, le décret du 27 germinal n'avait été rendu ,
sur le rapport de Saint-Just , que « pour arrêter le relâ-
chement des tribunaux et punir la faiblesse criminelle
des juges . » Arras ne méritait pas ces reproches . Le
« coup de tonnerre qu'on voulait frapper sur les mé-
chants » , le Pas - de -Calais le ressentait dans toute son
horreur l'exception fut accordée . « Le Comité de Sa-
lut public , instruit par le représentant du peuple Le
Bon , des circonstances importantes qui rendent néces-
saire le tribunal institué à Arras , pour réprimer les
conspirations , arrêta que ledit tribunal continuerait
l'exercice de ses fonctions . >>
Le Bon porta d'abord son arrêté à la Société popu-
laire et, après avoir obtenu sa promesse qu'elle le sou-
tiendrait «< contre ceux qui , après avoir été ses compa-
gnons dans la carrière du patriotisme , venaient d'ex-
citer tout à coup la réaction » , suspendit incontinent
Beugniet , Demuliez , les Leblond et Peltier de leurs
fonctions , suspendit également le Comité de Surveil-
lance et jeta , à travers la ville et le département , la
nouvelle de son triomphe .
La population artésienne sé réjouissait d'entrevoir la
fin de ses maux, quand, le 20 avril , le jour même de
Pâques , cette terrible nouvelle la plongea de nouveau
dans la consternation .

§ 1. A Arras.

Débuts sanglan's de la nouvelle administration. --- Procès et exécu-


tion de Dom Desruelles . - Acquittement du vicaire épiscopal
Laisné. -- MM. de Vieilfort et de la Viefville. -- Exécution des
frères Laignel. ---- M. de Marbais . -- Supplice horrible de Charles
Vaillant. Le Bon part pour Cambrai . -- Ses compagnons de route.

Dès le lendemain , le Comité de Surveillance était


208 LA TERREUR

reconstitué avec Gilles , Carlier , Jouy , Lemirre , Béru


et Lantillette , c'est-à-dire avec des instruments ; Dail-
let cédait sa place de maire d'Arras à Duponchel pour
présider le tribunal criminel , Darthé devenait accusa-
teur public avec Caubrière pour substitut , le jury se
fortifiait de gens sûrs , et cinq têtes tombaient de l'écha-
faud avant midi .
La question religieuse n'était étrangère à aucune de
ces exécutions . Angélique Simon du Plessis , de Saint-
Pol, et sa servante , Florence Lefebvre , étaient surtout
accusées d'avoir gardé en dépôt quelques meubles du
chanoine Capron et la brochure de l'abbé Proyart qui
réfutait le discours de Duflos . Ghislain Lallart de
Lebucquière , ancien échevin d'Arras , appartenait à
cette bienfaisante et religieuse famille Lallart, qui
était une des gloires de la ville d'Arras . Mais la princi-
pale victime était , pour nous , Dom Augustin Des-
ruelles , sous -prévost de Saint- Vaast.
Cet excellent religieux , dont l'activité intelligente et
la science juridique avaient été une grande ressource
pour l'illustre abbaye , surtout durant la période labo-
rieuse de la reconstruction de ses vastes bâtiments ,
était emprisonné , depuis le 3 avril 1793 , par arrêté
du Département .
Il avait obtenu , le 29 mai , d'être transféré dans la
maison de réclusion, à cause de ses infirmités , et c'est
là qu'il était depuis près d'un an , lorsqu'un arrêté de
Joseph Le Bon , du 17 avril , le prit pour le livrer à
l'accusateur public . Cet arrêté était ainsi conçu :
« Considérant que le nommé Desruelles , ci-devant
moine de Saint-Vaast , est connu depuis longtemps
pour un contre-révolutionnaire , qu'il n'a cessé d'en
donner des preuves par sa correspondance , ses pro-
pos et sa conduite , qu'il a été trouvé en sa possession
une foule d'écrits royalistes et fanatiques , le livre à
l'accusateur public ; 28 germinal , an II . »
C'est Caubrière qui fut chargé de l'interrogatoire
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 209

du prévenu . Selon l'expression dont il se servit , le


substitut le poussa à bout sur ses relations avec Liger
et autres suspects , à qui Dom Desruelles avait rendu
quelques services en prison . Plusieurs autres person-
nes , notamment Blanquart et Lesage , de Saint-Venant ,
furent même reprises à ce propos . Entre les nom-
breuses pièces à conviction que les commissaires trou-
vèrent dans les papiers du religieux et que celui- ci
crut même qu'on y avait « fourrées » à dessein , on
signala des brochures royalistes et fanatiques qui
n'avaient pourtant aucun caractère .
Le dossier renferme un manuscrit du prévenu qui n'a
pas été incriminé , sans doute parce qu'on n'a pas pris
la peine de le lire , et qui dénote un penseur et un écri-
vain. C'est une réfutation de la Déclaration des droits
de l'homme , écrite de la propre main de Dom Des-
ruelles. En voici la conclusion :
« C'est dans le calme des passions , c'est dans un
état paisible de l'âme qui lui permet de réfléchir, de
méditer, que le sage fait des lois . Nos philosophes
nationaux firent les leurs au milieu de toutes les pas-
sions déchaînées , des séditions , des révoltes , des pil-
lages , des massacres .
« C'est avec des flots de sang humain , c'est avec
les cendres de mille châteaux incendiés , c'est avec les
décombres de la plus belle monarchie , c'est avec
les ruines de la religion qu'ils cimentèrent ce chef
d'œuvre d'absurdité appelé la Constitution . »
Il finit en leur prédisant la mort sur l'échafaud ,
comme aux factieux du parlement d'Angleterre qui ont
fait mourir Charles 1er.
Quand Dom Desruelles comparut devant le tribunal
criminel , le 21 avril , dans la matinée , le procureur se
contenta de reproduire à sa charge les conclusions de
l'arrêté de Le Bon : détention de brochures royalistes ,
fanatiques, contre- révolutionnaires , et correspondance
avec les ennemis de la République . Leducq fut son
14
210 LA TERREUR

défenseur officieux , mais on présume bien que les


jurés ne tardèrent pas à trouver « le fait constant . »
Il fut condamné à mort et exécuté sur la place de
la Révolution (1) .
Le lendemain , 22 avril , un ci-devant vicaire épis-
copal de Porion , Laisné , âgé de 26 ans , comparut
devant le même tribunal comme accusé d'avoir volé
un portefeuille de maroquin rouge chez la veuve du
général Omoran, en y opérant des fouilles à titre de
commissaire du District de Saint- Omer, mais les terri-
bles le firent acquitter parce que c'était un patriote .
Turlure et Blanchandin , ses collègues , avaient plaidé
en sa faveur et Hacot l'avait défendu . C'était un prêtre
marié et fort avancé dans le chemin de la Révolu-
tion (2).
Le 23 avril , le procès de M. de Gennevières de
Vieilfort, amena devant le tribunal révolutionnaire le
chanoine Roch Legrand , du chapitre de Saint - Barthé-
lemy de Béthune , qui avait écrit une lettre de recon-
naissance au chatelain de la Vasserie , le 10 septembre
1792.
Après avoir remercié monsieur et madame de Vieil-
fort de lui avoir donné l'hospitalité , le chanoine Le-
grand réclame la même faveur pour trois religieuses
annonciades persécutées et qui ne veulent pas prêter
serment, quoique leur pension en dépende . Il finit :
« Nous espérons que la persécution finira bientôt et
que Dieu récompensera nos sacrifices et notre fermeté
dans la foi . »
Ces dernières paroles , soulignées par Le Bon , qui
demande brutalement au tribunal révolutionnaire de
remplir son devoir , sont reprises par Caubrière comme
des manoeuvres fanatiques pour ruiner la Constitution.
Joseph-Roch Legrand, enfermé au Vivier , inter-

(1) Daillet, président ; Richard, Caron, Dupuis, juges .


(2) Dossier n° 204.
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 211

rogé le 3 floréal par Cyriaque Caron , se déclara âgé


de 70 ans , ancien chanoine de Béthune , reconnut sa
lettre et ne choisit point de conseil.
Il comparut le 4 floréal , fut accusé de relations avec
les ennemis de la patrie , d'avoir appelé la guerre ci-
vile et étrangère , etc. , et condamné à mort , pour
conspiration , complot et manoeuvres avec les ennemis
de la France ( 1 ) .
C'est le même jour que Louis de la Viefville fut
exécuté avec sa fille et sa servante pour avoir rapporté
de Bruxelles un perroquet qui « répétait très souvent
ces mots : Vive l'empereur , vive le roi , vivent nos
prêtres ! » quoique le perroquet se fût refusé à déposer
à l'audience en répétant son cri fanatique . On le remit
à Mme Le Bon pour qu'elle lui apprît à crier : Vive la
nation !
Le 24 avril , les deux frères Laignel , Barthélemy,
ex- religieux de Saint-Vaast , et Jacques , ex- abbé de
Saint-Eloy, furent amenés devant le tribunal révolu-
tionnaire sous prévention d'avoir gardé et distribué
des écrits et papiers contre-révolutionnaires , afin de
pervertir l'esprit public . Ils furent condamnés et exé-
cutés l'un et l'autre pour ce fait. Un commis . du Dé-
partement, Louis Corbeau, accusé de leur avoir
adressé chaque jour des écrits contre-révolutionnaires
et fanatiques copiés de sa main , fut exécuté avec eux .
Le maire de Lières , Albert Denissel , dont nous
avons cité une lettre , accusé d'avoir protégé les prê-
tres réfractaires et d'en avoir nourri plusieurs dans la
maison presbytérale de Lières , mourut le même jour .
Le 27 avril , Joseph de Marbais , de Gauchin-le -Gal ,
porta également sur l'échafaud le crime « d'avoir re-
tiré chez lui le curé réfractaire de sa commune ainsi
que de Laune , ci-devant chanoine d'Arras et ensuite
émigré, et d'avoir fait dire dans sa chapelle des messes

(1) Daillet président ; Ferdinand Caron, Cyriaque Caron , Richard.


212 LA TERREUR

auxquelles une partie des habitants assistaient. »>


Le 1er mai , Louis Delorne d'Alincourt , dénoncé par le
conseil général d'Allouagne où il résidait « pour s'être
laissé entraîner par le prêtre non conformiste et nour-
rir chez lui un vieillard dont il a le plus grand soin » ,
fut condamné avec Lamoral Imbert de Lambessart ,
de Lille , qui avait conservé chez lui une Instruction
aux catholiques sur leur conduite dans la Révolution .
Joseph Delattre de Cagnicourt fut également exécuté
pour avoir écrit au nom de l'abbesse d'Etrun dont il
était le receveur , et « conservé précieusement deux
cœurs enflammés dont l'un est surmonté d'une croix
et l'autre percé d'une épée . »
Finissons cette série par un détail horrible . Le 2 mai
on avait condamné un prévenu de désertion , Charles
Vaillant, de Boiry- Saint- Martin. Comme son procès
était fini avant l'heure de l'exécution, on le lia au pied
de la guillotine , ses habits furent brûlés et lui exposé
avec un autre condamné aux insultes de la populace :
Vers une heure, on amena sept autres victimes : le
malheureux Vaillant réclama la priorité de la mort,
le bourreau s'y refusa ; il lui donna même à embrasser
une tête de supplicié. Comme il s'évanouit , on lui jeta
un seau d'eau sur le corps pour le rappeler à la vie
avant de l'attacher à la planche , le dernier de tous .
Ce jour-là même , Joseph Le Bon se préparait à partir
pour Cambrai , « pour y installer le tribunal révolu-
tionnaire, conformément aux ordres de Saint-Just et
Le Bas. » « Que ce tribunal, disaient les conventionnels,
mette dans l'armée et dans la ville le redoutable res-
pect de la Révolution . »
Le Bon était autorisé en outre à emmener avec lui
cinq des patriotes les plus vigoureux du pays et du
tribunal d'Arras ; il en prit seizo , c'est-à-dire à peu
près tout ce qu'il fallait pour requérir , accuser , con-
damner et exécuter , car il emmena jusqu'au bourreau ,
Pierre Oudredebanque .
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 213

Daillet, devenu président du tribunal de Cambrai ,


Darthé et Caubrière chargés conjointement des fonc-
tions d'accusateurs publics , Galland devenu greffier en
chef, Taffin -Bruyant, Louis Régniez , Nicolas Lefetz ,
Remy, Gouillart, Dupuis , Miennée , Jouy , Lemirre ,
Louis Vasseur , Carraut et Lefebvre , membres du jury ,
méritèrent de former l'escorte de Joseph Le Bon.
Mais , avant de partir pour cette mission sanglante ,
le conventionnel eut soin , en habile tacticien , de pro-
téger ses derrières et d'assurer sa retraite . Il mit ses
ennemis d'Arras dans l'impossibilité de nuire .
« Considérant que des intrigants détenus pourraient
profiter de son absence d'Arras pour y faire la dis-
corde et chercher à égarer de nouveau les esprits , »>
il fit conduire à Paris sous bonne escorte les deux Le
Blond , Demuliez et Beugniet .
Par ces mesures , il croyait avoir assuré son triomphe ;
en fait, il avait préparé sa perte .

§ 2. - A Cambrai et ArraS.

Arrivée de Le Bon à Cambrai. - Le lustre de cristal. - Son pre-


mier discours. Orgies et cruautés. Le tribunal de Cambrai .
Première exécution. L'abbé Tranchant. Rappel de Le
Bon à Paris et retour immédiat. Arras. Les hommes de
confiance de Le Bon. Les amis du curé de Saint-Etienne , douze
exécutions. Le procès des habitants de Saint-Pol. ----
- Les inqui-
siteurs. - Les dépositions . -- Nouvelles victimes : Leman , des
Bons - Fils , Loger de Rebreuve , la servante du curé de Bailleul,
l'abbé Brasseur et sa famille , Roland et Dumetz de Febvin , Bour-
don relâché. L'arpenteur Lelestré. Un jardinier de Frévent,
Lefebvre de Monchy, Dusevel de Divion. Lettre du jurė Duhau-
pas sur Elisabeth Plunkett. - Baudry de Lisbourg. - · Les victimes
appelées à Cambrai. · - Les seize guillotinés de Frévent. Le
juge Magniez. Le prétendu saint de Wailly. Charles-Marie
Payen. Jacques Goubet et deux récollets. Jean Payen de
Neuville. Réquisitoire du District. - Exécution des Sœurs de
Charité d'Arras .

Ce fut un spectacle à la fois grotesque et terrible


214 LA TERREUR

que l'arrivée de Le Bon et de sa troupe à Cambrai ,


dans la soirée du 5 mai . Plus que jamais le représen-
tant en mission s'était armé d'un grand sabre et de deux
pistolets , et orné de son panache . Les gens de son
escorte n'avaient pas manqué de marcher sur les
traces du maître . Dès son entrée dans la ville , Le
Bon alla droit au District et au Conseil de la com-
mune . Il s'y présenta d'un air farouche , nous raconte
un témoin ( 1 ) , affectant de se servir d'expressions bru-
tales et de mauvais ton . C'était sa coutume de procé-
der ainsi , par intimidation . Aussi prit-il prétexte d'une
circonstance futile pour faire une scène très violente .
« Un lustre en cristal , dont certaines pièces avaient
à peu près la forme de fleurs de lys , se trouvait dans
la salle du Conseil , et , pour éviter tout scandale à ce
propos , on avait enveloppé de papier les parties sus-
pectes du lustre . Le Bon imagina , on ne sait trop
pourquoi , de faire découvrir ce meuble , et, voyant les
cristaux de formes séditieuses , se prit d'une incroyable .
colère qui tenait de la rage . Il écumait ; il avait tiré
son épée du fourreau et la brandissait comme un fu-
rieux , frappant à tort et à travers sur le lustre qui
volait en éclats ; jetant à tout le Conseil d'horribles
imprécations , le menaçant de le faire guillotiner en
masse. « Il n'y a donc ici que des conspirateurs ,
s'écriait-il . Je vous mettrai tous au pas , tas de j ...
f..., vous y passerez tous , s'il le faut ! »
« Il voulut ensuite haranguer le peuple , et pour
cela se rendit au Club, où il savait trouver nombreuse
et bonne compagnie . Voici le contenu et même beau-
coup de phrases de son discours . Confondu dans le
peuple , je l'ai entendu : il ne s'est que trop bien gravé
dans ma mémoire :
Citoyens , la Révolution , dit Saint-Just , est un
coup de foudre qui doit frapper sans pitié , sans hési-

(1) Mémoires d'un contemporain.


LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 215

tation . Je viens ici pour régénérer Cambrai , ville de


prêtres , de fanatiques et d'aristocrates . Je viens ren-
verser le culte du despotisme, et proclamer le règne
de la liberté . Il me faudra pour cela de l'énergie ; je
saurai en montrer. Tout cédera à la voix de la raison .
Les autorités elles -mêmes me sont suspectes , mais je
les mettrai au pas . Point de tergiversation , point de
biais . La Révolution ou la mort. Citoyens , je sors de
la commune ; le règne des aristocrates y est encore
en honneur . J'aperçois là un lustre magnifique dont
certaines portions étaient entourées de papier . J'ar-
rache le papier , et je vois ..... Le croiriez-vous ?... Je
vois d'infâmes fleurs de lys . Mon regard se tourne
vers la muraille : une carte de France s'y étale , déco-
rée d'un bonnet de liberté avec les mots sacrés :
Liberté, fraternité ou la mort ! Ceci est très bien . Mais
tout à coup , je soulève par hasard cette carte , et
j'aperçois derrière la feuille de papier les armes pros-
crites de l'ex- Capet ! Traîtres ou lâches citoyens qui
tenaient en réserve les insignes réprouvées , pour
n'avoir qu'à les exhiber quand l'Autrichien serait en-
tré dans la ville au moyen de leurs machinations cou-
pables . Qu'ils tremblent ! Je les anéantirai . Plus de
modérés , plus de suspects ! Il faut que l'on se pro-
nonce . Il faut que les prêtres , ces agents pervers du
fanatisme , arrachent leurs rabats et les foulent aux
pieds , comme je l'ai fait moi -même . Il faut que toutes
les têtes qui ne voudront pas tomber sous le Couteau
national se couvrent du bonnet de la liberté . A cet
effet, citoyens , j'ai donné des ordres , et l'instrument
régénérateur, la Sainte- Guillotine, se dresse à l'heure
où je parle . Je n'ai pas voulu qu'elle fût érigée à l'en-
droit où ont péri peut-être de pauvres patriotes pour
avoir volé quelques vétilles , quelques vases prétendus
sacrés . L'instrument de la vengeance nationale doit
avoir une place nouvelle . Il s'élève sur la place en
regard de l'autel de la patrie ; c'est là qu'on offrira à
216 LA TERREUR

la nation, en sacrifices expiatoires des crimes des rois


et des prêtres , les insensés, les scélérats , les aristo-
crates et les calotins qui ne sont que trop nombreux
dans la ville de Cambrai .
<< Citoyens , je vous préviens que , dès demain , j'éta-
blis ici le tribunal révolutionnaire , et que je purgerai
en peu de temps la localité des gueux , des j ... f... qu'elle
renferme. (Le terme est historique, je me le rappelle
parfaitement . )
<
«< Il faut que la terreur triomphe de leurs complots ,
telle est ma mission , je saurai la remplir. »
Nous avons voulu donner ce discours comme le spé-
cimen le plus complet qui nous ait été transmis de
l'éloquence de Le Bon , mais le récit complet de la
mission révolutionnaire du proconsul à Cambrai sorti-
rait de notre cadre . Il y fut plus grossier , plus sangui.
naire et plus cynique encore qu'à Arras , s'il est pos-
sible . Sa femme , ses frères , son beau-frère , plusieurs
de ses parents de Saint- Pol et d'Arras l'avaient rejoint
et l'on ne cessa d'y mener joyeuse vie comme en té-
moigne la note des centaines de bouteilles de vin que
l'on y vida .
L'échafaud pourtant devait se dresser, en dépit du
décret du 27 germinal, qui ne maintenait que le tri-
bunal criminel de Paris , mais Le Bon ne se gênait pas
pour si peu. N'avait-il pas obtenu une exception pour
Arras ? Son tribunal de Cambrai devint une section de
celui d'Arras et il commença à siéger , dès le 10 mai ,
dans une des salles du collège . Comme juges asses-
seurs du président Daillet , qu'il avait amené d'Arras,
il fit nommer un marchand de fer , Martho - Montigny,
un imprimeur , Defrémery , et un homme de loi , Gué-
rard, qui , de son aveu, était toujours ivre .
Vingt-sept prévenus furent mis en cause pour com-
mencer ; cinq furent condamnés à mort, entre autres
la marquise de Monaldy, sœur de l'évêque d'Amycles ,
Albert Simon d'Aigneville , évêque auxiliaire de Cam-
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 217

brai , et André Gilles , de Laventie . Les condamnations


et les exécutions se continuèrent ensuite par séries de
sept ou huit chaque jour . Citons seulement un savant
et vénérable bénéficier de la cathédrale , l'abbé Tran-
chant, âgé de 78 ans , que le courage de son défenseur ,
Douay-Mallet, ne parvint pas à sauver.
Un instant la haine de Demuliez , de Leblond et de
Beugniet , aussi bien que les intrigues de Guffroy, à
Paris , ébranlèrent le crédit de Le Bon ; il fut même
rappelé le 11 par le Comité de Salut public ; ce n'était
pas une justification qu'on lui demandait , au contraire ,
on lui accorda des encouragements ; le 18 mai il était
revenu avec l'ordre « d'aller de mieux en mieux » .
Arras , plus que Cambrai , était alors le centre de la
réaction modérantiste que redoutait Le Bon : il se hâta
d'y venir affirmer sa victoire.
En quittant cette ville , il avait voulu la doter d'admi-
nistrateurs qui avaient sa confiance . Célestin Lefetz ,
Philippe Petit et ensuite Warnier, furent chargés
d'étudier les dossiers des suspects et de les dénoncer
à l'accusateur public . Celui-ci , l'ex-capucin Potier, que
les vins vieux octroyés par le District, sur la cave des
émigrés , ne parvenaient pas à guérir , était suppléé par
Cyriaque Caron , nommé substitut , et Guilluy , ancien
notaire de Fruges , présidait provisoirement le tribu-
nal.
C'est devant ce tribunal que comparurent, le 6 mai,
quatorze personnes accusées surtout « d'avoir recélé ,
caché, soustrait des meubles , effets et livres apparte-
nant au ci-devant curé de Saint- Etienne d'Arras ,
M. Ernoult , d'avoir reçu de ses lettres ou correspondu
avec lui et d'avoir envoyé de l'argent aux prêtres en
exil . » C'était plus qu'il n'en fallait pour mériter la
mort. Deux intermédiaires seulement furent épargnés ,
les douze autres furent exécutés . C'étaient : Marie-
Bruno et Marie-Charlotte Donjon , Adrien Dambrines ,
conseiller honoraire au Conseil d'Artois , père de Mme
218 LA TERREUR

Bataille ; Théodore Dupuich , ancien échevin d'Arras ;


J.-B. Ledieu , frère du curé de Saint-Aubert ; Marie-
Eugénie et Marie -Anne Grimbert , et cinq domestiques
qui étaient dans le complot de leurs maîtres ; Théo-
dore Lefebvre , Béatrix Dollé , Pierre Havart , Pierre
Beuvry et J.-B. Gottran .
Le 7 mai , fut appelée au tribunal criminel d'Arras
la grosse affaire des habitants de Saint- Pol ( 1 ) . Darthé ,
qui avait des rancunes à satisfaire , avait été chargé ,
par arrêté du 21 mars , de faire l'information avec
Guilluy Miennée et Alexis Vasseur furent nommés
commissaires de la Société populaire pour les assister .
C'est dire que l'enquête se fit avec autant de haine que
d'acharnement . Une sorte de chambre ardente fut or-
ganisée , les délations furent réclamées à son de trompe
et, pour encourager les dénonciateurs , on promit de
partager entre eux les biens des aristocrates .
Toutes les charges relevées contre les accusés ne
sont que des racontars sans importance ou des im-
putations sans preuves .
On a surtout relevé les signatures d'une pétition
formulée par le Père Ubald , qui demeurait chez Lesot ,
de Croix , et demandant à ouvrir à Saint- Pol une église
catholique .
Un autre , Honoré Houriez , avait dit « que si les
prêtres et les émigrés revenaient, il irait au-devant
d'eux . »
Le cordonnier Jean-Marie Détape , en 1791 , fanati-
sait ses ouvriers .
Petit, de Monchy-Breton , avait des correspondances
avec les Truyart , empêchait de vendre ou vendait à
vil prix, et à ses créatures , les domaines nationaux ,
dilapidait le mobilier des émigrés .
Marie-Anne Turquet , ex - supérieure des Sœurs gri-
ses , a mis tout en œuvre pour ébranler la fidélité à la

(1) Tribunal criminel de Saint-Omer, dossier nº 220.


LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 219

nation française et empêcher l'établissement de la


Société populaire .
Dominique Debret , Hubert Thellier, la femme Cor-
behem sont à la tête de la cabale conspiratrice ; Henri
Thellier, Amand Lambert , Emmanuel Herman ont été
les principaux agents de la plantation de l'arbre contre-
révolutionnaire et ont autorisé ceux qui l'ont planté , à
le prendre dans le bois de Gauchin appartenant au comte
de Bryas , dont l'un était le receveur et l'autre le cor-
respondant.
Enfin , Ansart , Bacqueville , Raphaël Massias , Am-
broise Corne et sa femme , Antoinette Corne , Charles
Waille , Guislain Bacot dit Monieu, Dufour fils , Marie
Berthe , Théodore Déruelle , Debret père , Coffin ,
Gayant, Charles Bernard , Jeanne Picot et François
Dutate ont planté ou fait planter , à la Saint- Jean- Bap-
tiste de 1792, dans la rue des Ferronniers , un arbre
contre-révolutionnaire , l'ont décoré de rubans de plu-
sieurs couleurs , mais d'aucun aux couleurs natio-
nales , ils ont bu à sa santé en disant : « Si tu es aris-
tocrate , tu boiras , si tu es patriote , tu t'en passeras ; »
ils ont dansé autour en criant : « Vivent les royalistes ,
au diable les patriotes ! » Les patriotes se sont armés et
ont renversé l'arbre , ce qui a failli donner naissance à
une guerre civile .
Miennée , de son côté, a recueilli les dénonciations
suivantes :
<< Duflos et son vicaire , Turlure , avaient des diffi-
cultés pour leur ministère ;
« Gouillart, ancien vicaire , restait et avait de nom-
breux partisans ; il chantait même les vêpres chez Ca-
pron Henri ;
« Hubert Thellier , Debret père , étaient ses ardents pro-
tecteurs , les ennemis de Duflos et Turlure , qu'ils essayè-
rent d'empêcher de faire la procession du St- Sacrement ;
« L'arbre contre - révolutionnaire avait été amené
par Martin de Gauchin , fermier de Bryas ;
220 LA TERREUR

« Les habitants de la rue des Ferronniers et de la


rue d'Hesdin étaient les principaux manifestants ; ils
ont bu, chanté, dansé . René Ricouart en était aussi ..
« Un jour que Turlure était allé dire la messe au
Saint- Sépulcre , comme il emportait le calice , afin
d'empêcher Gouillart d'y dire la messe , les femmes
du faubourg d'Arras ont failli lui faire un mauvais
parti. >>
Quand toutes les dépositions , encouragées par les
odieux moyens que l'on sait , furent terminées , et nous
devons dire que les délateurs furent au nombre de
quarante-six ou quarante- sept , parmi lesquels on dis-
tingue l'acharnement de Balthasar Toursel , juge de
paix et apothicaire , Guilluy et ses assesseurs y ajou-"
tèrent leurs dénonciations particulières .
C'est ainsi que Nicolas Lambert fut repris sur la foi
de Miennée , Duez , Vasseur et autres . C'est ainsi
encore que la femme d'Ambroise Corne fut incriminée
pour avoir demandé, avec beaucoup d'instance , des
Sœurs de la Providence insermentées pour l'éducation
des enfants et sur le refus qu'on lui fit , ajouta : << Nous
en aurons raison ; nous sommes conduits par un tas
de gueux ! >>>
Bref, quand l'enquête fut terminée et la liste des
prévenus dressée , dix-neuf d'entre eux sortirent des
prisons de Saint-Pol , les autres furent expédiés de
Doullens , et trente-deux accusés comparurent devant
le tribunal d'Arras .
Darthé signa lui- même le réquisitoire et , après un
simulacre de défense présenté par Hacot , Leducq et
Lefrancq, vingt-huit accusés furent condamnés à mort .
On accorda un sursis à la femme Corne , à cause de sa
grossesse (1 ) .
Quelques jours plus tard , le 11 mai , à la requête de
Le Bon , Nicolas Lambert , brasseur à Saint- Pol , fut

(1) Guilluy, Richard, Dupuis, Flament.


LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 221

cité, à son tour , comme ami de Thellier et sous la pré-


vention d'avoir reçu chez lui des religieuses non asser-
mentées de la ci- devant Providence . Il fut condamné
et exécuté le même jour.
Entre les accusés de la journée du 13 mai , nous
avons à citer Louis - Basile-Joseph Lancel , âgé de
23 ans , ancien vicaire de Barlin qui fut acquitté , parce
qu'il n'était pas constant qu'il eût despecté l'ordre
et l'autorité de Joseph Le Bon » ; il fut néanmoins
retenu en prison .
Le 14 mai , on guillotina encore Constant Leman ,
des Bons-Fils de Saint-Venant , chez lequel on avait
trouvé plusieurs lettres , une entre autres , signée Denis
Leman , écrite de Wattrelos , le 28 décembre 1791 ,
dans laquelle celui - ci lui écrivait qu'il espérait du
changement dans la religion , que les bons prêtres
étaient encore dans la paroisse , y disant la messe , etc.
Cette lettre fanatique , qui remontait à plus de deux
années , suffit pour causer la mort du pauvre frère qui
l'avait reçue et conservée (1) .
Le 16 mai , un marchand épicier de Rebreuve ,
François -Marie Loger , fut condamné à son tour pour
avoir conduit à la frontière M. Moncomble , ancien
curé de Ranchicourt, et entretenu avec lui une cor-
respondance criminelle .
Le 18 mai , ce fut le tour d'Elisabeth Herbout, gou-
vernante du curé de Bailleul , réfractaire déporté , do-
miciliée à Houdain , pour avoir , dans le temps du ras-
semblement de la Petite -Vendée , donné à dîner au
guillotiné Wallart, au bénédictin Coupé et à Herbout ,
ex-chartreux . Elle est aussi allée en Belgique voir son
curé déporté (2 ) . C'étaient là « des attentats contre la
sûreté extérieure de l'État . >>
Le 20 mai , l'abbé Brasseur , ce vicaire de Chocques

(1) Guilluy, président ; Richard, Bernard, Dupuis, Caron.


(2) Guilluy, Richard, F. Caron, Legay.
222 LA TERREUR

qu'on avait retrouvé dans les bois d'Averdoingt , les


filles Sacleux ses tantes , sa mère et son frère , qui lui
avaient donné asile et que Duflos avait envoyés à la
prison des Baudets , sont accusés « d'avoir témoigné
ouvertement leur mépris pour la loi concernant la
déportation » ; tous furent condamnés à mort et exé-
cutés sur-le-champ .
Le 23 mai , deux ouvriers firent à l'audience même
du tribunal d'Arras une simple et héroïque profession
de foi qu'il faut rappeler . Jean- Baptiste Roland , tisse-
rand , et Antoine Dumetz , menuisier à Febvin- Palfart,
âgés , le premier , de 75 ans et le second de 73 , avaient
été arrêtés <« comme prévenus d'avoir dit qu'ils ne
voulaient pas accepter la Constitution » . Interrogés
sur la cause de ce refus , ils répondirent comme au-
raient dû répondre tous les catholiques et surtout tous
les prêtres < Parce qu'ils la croyaient contraire à la
«
religion catholique , apostolique et romaine . » A l'au-
dience , on leur demanda s'ils l'acceptaient à présent :
ils répondirent qu'ils ne le pouvaient pas et furent exé-
cutés .
Le même jour , le curé constitutionnel de Dourges ,
Bourdon, dont nous avons parlé plusieurs fois , sortit
de prison pour s'être glorifié d'avoir affirmé en chaire.
« que quiconque oserait se permettre un mauvais
propos contre la Constitution méritait la mort. »
Le 30 mai , l'arpenteur Delestré , qui avait travaillé
à la conservation des églises , de concert avec Desma-
zières , Dauchez , Mme Caron-Wagon , le curé Vasseur ,
de Saint-Nicolas -en- l'Atre , avait un dossier trop chargé
pour échapper à la mort, il fut exécuté .
En juin , le tribunal d'Arras , qui n'avait plus à juger
que les prévenus de moindre importance , continua
néanmoins d'envoyer à l'échafaud : le 1er, le vicaire
constitutionnel d'Audincthun , Jacques Piedfort , qui
était accusé d'avoir fabriqué un extrait de baptême
pour se soustraire à la réquisition ; le 2, Hippolyte
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 223

Demay, jardinier à Frévent , qui avait correspondu


avec la servante de son frère réfugié dans les environs.
d'Ypres , et en possession duquel on avait trouvé
<< deux cœurs enflammés , l'un saignant , surmonté
d'une croix , l'autre non saignant, percé d'un poi-
gnard » ; le 5 , Alexandre Lefebvre , cultivateur à
Monchy-le-Preux, en possession duquel le juge de paix
Barbaux trouva l'Entretien d'un paroissien avec son
curé sur le serment exigé des ecclésiastiques fonction-
naires publics ; le 7 , Pierre- Philippe Dusevel , cultiva-
teur à Divion , en possession duquel on avait trouvé la
brochure fanatique de l'abbé Proyart Préservatif
pour ma famille contre les dangers du schisme ; le 13 ,
Elisabeth Plunkett , d'Aire , « pour avoir fait colporter
l'adresse dans laquelle on félicitait le traître Capet
d'avoir apposé son veto au décret sur le serment des
prêtres. >>
Les Archives nationales (1 ) , au procès de Le Bon,
nous fournissent sur ce procès une pièce intéressante
qui manifeste les impressions d'un juré de Béthune
sur le courage avec lequel Elisabeth Plunkett com-
parut devant le tribunal, et subit la mort.
« Duhaupas , de Béthune , 25 prairial , an 2 , à ses
collègues Il y a deux jours que je vous faisais part
de mes inquiétudes sur l'enrouillement de la guillo-
tine : les journées d'hier et d'aujourd'hui les ont dissi-
pées . Sur dix accusés qui ont été traduits au tribunal
révolutionnaire cinq ont fait la bascule ..... La pre-
mière des cinq , qui a désiré que ses pieds fussent de
niveau avec sa tête , est une scélérate dont il me serait
impossible de vous tracer les sentiments contre -révo-
lutionnaires . Il me suffira de vous dire que depuis que
je suis au tribunal révolutionnaire je n'ai point encore
connu d'effronterie qui rapprochât de la sienne . Ses
principes révolutionnaires étaient peints trait pour

(1) Archives nationales , F7, 46157. -


224 LA TERREUR

trait, non seulement dans ses réponses , mais encore


dans ses moyens de défense . La scélérate se nomme
Elisabeth Plunkett , d'Aire . »
Lisbourg avait montré , comme on sait, une vive
résistance à l'établissement de son curé constitution-
nel : il la devait payer par une victime : son maire , Jac-
ques Baudry, fut incarcéré , cité au tribunal d'Arras et
exécuté le 16 juin.
Pendant que des accusés d'un rang secondaire com-
paraissaient ainsi devant les juges d'Arras , sans pour-
tant échapper à l'échafaud , Joseph Le Bon , en vertu
d'un subterfuge que nous avons signalé, appelait à
Cambrai les victimes du Pas- de - Calais qui lui parais-
saient avoir plus d'importance .
C'est ainsi que , le 26 mai , comparaissait devant le
tribunal criminel de Cambrai , 1re section du tribunal
d'Arras , le baron Hector de Gargan, de Rollepot,
frère du vicaire général de Boulogne , accusé « de
fanatiser ceux qui l'approchaient , et de propager les
sentiments anti - civiques » . Il fut condamné à mort
avec Lagache , un de ses anciens receveurs.
Jacques Poillion , de Pierremont , dénoncé par son
gardien Bigan , de Saint- Pol , comparut également ,
c'est-à-dire fut guillotiné le 4 juin . Deux religieuses ,
Marie -Eugénie et Marie - Joséphine de Nédonchel ,
furent exécutées le 5 ; le curé constitutionnel de Vitry ,
Pierre-Joseph Peugniet , dont nous avons parlé à pro-
pos de sa nomination à la cure d'Evin et Le Forest ,
fut condamné le même jour , comme ayant cherché « à
fanatiser toutes les tètes » .
La mort du baron de Gargan , de Frévent, accusé à
l'instigation du conventionnel Le Bas , n'avait pas
satisfait les rancunes de ce monstre vingt- sept autres
habitants de Frévent ou du voisinage furent dénoncés
par lui à Darthé , qui se hâta de les amener à Cam-
brai sur des chariots où on les entassa comme des ani-
maux. En deux heures de temps , seize d'entre eux
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 225

furent accusés , jugés et exécutés comme les complices


du baron de Gargan ; ce furent Claude Fontaine ,
Pierre Delattre , Herménégilde Delattre , Bernard Fon-
taine , Ferdinand Delval , Adrien Bécart , Jean- Baptiste
Canonne , Antoine Bécart, Pierre Peuvrel , Charles
Tramecourt, Amand . Delattre , Marie- Florence de
Gargan , Célestin Avransart , Antoine Bécart , Marianne
Hus et Henri Vasseur .
Il restait à Joseph Le Bon des vengeances person-
nelles à assouvir . Le juge de paix de Roux , Magniez ,
qui l'avait condamné au temps où il était curé de Neu-
ville , le greffier Goudemand , l'assesseur Adrien Cuve-
lier , le conseil Théodore Herpin , furent enveloppés
dans le même jugement, et, le 10 juin , Magniez et
Goudemand subirent la peine de mort.
Au milieu de ces exécutions sanglantes, Le Bon
venait pourtant de subir un échec auquel il était sen-
sible ; le 8 juin , il apprit que le Comité de Salut public
venait de mettre en liberté Demuliez , Beugniet et les
deux Le Blond , ainsi que Danten et sa femme. Les
démarches qu'il fit auprès de Le Bas prouvent à quel
point il tenait à sa vengeance . Le Comité , revenant
sur sa décision , les lui livra , mais ils lui échappèrent
une seconde fois en s'enfuyant de nouveau à Paris .
Le Bon se vengea de cette perte par de nouvelles
exécutions .
C'est alors qu'il livra au tribunal d'Arras une mal-
heureuse famille de Wailly , sous prétexte que dans
sa maison , <« il s'était fait un sabbat et des grimaces
qui rappellent le fanatisme catholique » .
A propos de ce procès singulier , Le Bon , qui était
encore à Arras , donna au peuple une scène de comédie
à la fois impie et burlesque , qui finit dans le sang . Il
s'agissait d'un conscrit, Pierre-Joseph Dauchez , qui ,
voulant se soustraire à la réquisition , avait passé plu-
sieurs mois au fond d'une cachette souterraine . Pendant
cette réclusion forcée , sa tête , qui n'avait jamais été
15
226 LA TERREUR .

bien solide , acheva de se troubler . Il crut , ou il voulut


faire croire à sa mère et à ses sœurs qu'il était ressus-
cité . Son père , moins crédule , se prêta , après boire , à
cette étrange idée , et appela les voisins pour les rendre
témoins du prétendu miracle .
Ce n'était qu'une farce de village : Le Bon lui donna
un caractère tragique . Il convoqua le peuple d'Arras
dans le temple de la Raison et y fit comparaître , sur
une estrade , les cinq membres de la famille Dauchez ,
le père , la mère , deux filles et le revenant . Il lui fut
facile d'être tout ensemble grossier , terrible et impie .
Après avoir fait promener les cinq personnes dans les
nefs de l'ancienne église , en une sorte de procession.
sacrilège , il les renvoya au tribunal criminel, qui les
envoya tous à l'échafaud , sous prétexte qu'ils avaient
alimenté le fanatisme . Voici les termes propres de
l'arrêté de Le Bon qui servit de réquisitoire : « Con-
sidérant que Pierre -Joseph Dauchez , soumis à la ré-
quisition , a mis sa poltronnerie à couvert et s'est servi
de manœuvres fanatiques pour perpétuer la supersti-
tion et exciter à Wailly et aux environs un mouvement
contre-révolutionnaire ; que , d'ailleurs , Wailly a tou-
jours été infecté par les ci - devant prêtres réfractaires ,
qu'il a joué un rôle de saint, qu'il a feint le mort , qu'il
s'est laissé ensevelir , qu'à cet effet on lui a mis un lin-
ceul et qu'ensuite il est ressuscité aux yeux des habitants
de la commune de Wailly , pour reproduire le fana-
tisme et ses fléaux et faire rétrograder le gouverne-
ment révolutionnaire et républicain : ses parents sont
complices de la sainte insurrection , et ont annoncé sa
mort et sa résurrection ; le susdit Pierre -Joseph Dau-
chez est dénoncé à l'accusateur public , ainsi que son
père Pierre -Adrien , sa mère Françoise Patou, ses
sœurs Séraphine et Augustine . »
Entre beaucoup d'autres , nous avons encore à citer
parmi les victimes de Le Bon, à Cambrai , Charles-
Marie Payen, de Boiry- Becquerelle ; Jean-François
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 227

Jessu et Louis Villery, de Bapaume ; Jacques Goubet,


de Boiry- Sainte-Rictrude ; Jean Payen, de Neuville ,
et cinq filles de la Charité de la maison d'Arras .
Charles-Marie Payen était ancien membre des États-
Généraux de 1789. Sa bienveillance à obliger n'avait
d'égale que son inépuisable charité . Il ne pouvait
échapper à la haine de Le Bon pour toute espèce de
supériorité .
On l'accusa de se faire honneur d'être aristocrate ,
d'avoir empêché l'installation du curé sermenté et
d'avoir dit à ses moissonneurs de ne pas aller à la
messe que les prêtres constitutionnels célébraient .
Il fut exécuté le 19 juin avec vingt-trois autres accusés
du district de Bapaume . Jacques Goubet , son cousin
germain , l'accompagna à l'échafaud . « Ce gros et
riche Goubet » fut accusé d'avoir réuni chez lui les ré-
fractaires de la commune déportés par la loi . Quant à
Jean- François Jessu et Louis Villery, c'étaient d'an-
ciens récollets , qui , par leurs discours fanatiques,
avaient cherché à soulever le peuple.
Jean Payen , de Neuville , ne devait pas échapper
plus longtemps aux recherches des flatteurs de Le Bon
et à la rancune de son ancien curé. Le juge de paix
Barbaux avait déjà trouvé chez lui , le 2 février, des
armoiries et des brochures contre -révolutionnaires ,
son régisseur Prétrequin découvrit, le 21 juin , « dans
en ta de grain d'œiliette , une sotaine avec une centure » .
Le District d'Arras , présidé par Célestin Lefetz, à
qui Barbaux fit parvenir les pièces du procès , dressa
un réquisitoire furibond . « De toutes les pièces trou-
vées chez Payen , dit-il , il résulte que ce Payen est
un aristocrate pourri , un fanatique forcené ; il ajoute
qu'il est à sa connaissance que , dans le temps que
la commune avait un prêtre assermenté , il faisait dé-
fense aux compagnons laboureurs qui travaillaient
chez lui et autres ouvriers d'aller aux messes de ce
prêtre et à ses instructions , qu'il avait même con-
228 LA TERREUR

damné une des portes de sa cour qui se trouvait près


de l'église , que cet individu a tenté par tous les moyens
dont il pouvait faire usage d'aliéner de la Révolution
les braves habitants de Neuville , que sa maison était
le rendez -vous ou plutôt le repaire de tous les fana-
tiques , aristocrates , mécontents , et des prêtres inas-
sermentés de ce canton et des cantons circonvoisins ,
que c'était chez ce paysan que le fanatisme préparait
et aiguisait ses poignards et désignait ses victimes , que
chez lui des trahisons et des complots contre la pa-
trie se tramaient. La horde des scélérats qui s'y ras-
semblaient n'en sortait que pour se répandre dans les
campagnes et y secouer les torches du fanatisme et les
brandons de la guerre civile ; le procureur propose
d'arrêter et l'Assemblée arrête , après avoir ouï l'agent
national, que toutes les pièces relatives à ce Payen
seront, par un exprès , envoyées au représentant Joseph
Le Bon à Cambrai , avec invitation de le faire traduire
le plus promptement qu'il lui sera possible au tribunal
révolutionnaire pour que la justice venge de suite la
nation des outrages que ce monstre lui a faits. »
Le Bon, à cette nouvelle qui lui permettait enfin de
compléter sa vengeance , fit enlever brutalement le
prisonnier de l'Hôtel-Dieu d'Arras , et le fit amener à
Cambrai couvert de chaînes . Inutile d'ajouter qu'il
fut incontinent jugé et exécuté . C'était le 23 juin .
Il nous reste à signaler la plus touchante et la plus
odieuse des exécutions de Douai : celle des Sœurs de
Charité de la maison d'Arras .
Malgré leur généreux refus de prêter le serment
constitutionnel , ces nobles filles , en tout point dignes
de leur nom et du fondateur de leur maison , Saint-
Vincent de Paul lui-même , n'avaient point quitté la ville .
Le District, qui appréciait « leurs connaissances et
leurs secrets » , les avait invitées à rester dans leur
établissement ; il exigea ensuite une deuxième fois le
serment, mais il rencontra la même résistance .
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 229

Privées de leur traitement, exclues de leurs fonc-


tions , chassées de leur maison , les six filles de Saint-
Vincent durent se cacher . Deux d'entre elles , Jeanne
Fabre et Louise Michaux , sœur Rose et sœur Thérèse ,
réussirent à passer la frontière sous un déguisement ,
grâce au dévouement d'un négociant d'Arras , M. Car-
tier-Mathieu ; les autres furent emprisonnées à la
Providence .
Un officier municipal , directeur de leur hôpital , les
dénonça ensuite pour y avoir caché des papiers contre-
révolutionnaires ; on ne les découvrit point . Mury ne
se découragea point pour cela . Il trouva enfin une
gazette << dans la maison des ci -devant religieuses de
la Charité » et l'envoya à Caubrière .
Ce Caubrière , ramassé dans un corps -de -garde et
devenu le pître de Le Bon , qu'il amusait de ses propos
cyniques , ne crut pouvoir offrir à son maître de meil-
leure aubaine que ces quatre têtes de religieuses . Celui-
ci les manda à Cambrai , le 25 juin , « au grand trot » .
Elles arrivèrent à point nommé . Caubrière imagina,
pour les leur attribuer , quelques plaisanteries de sa
façon , « qu'il n'y avait plus de diables en enfer , parce
qu'ils étaient tous venus sur la terre » , et Marie-Ma-
deleine Fontaine , Marie Lamelle , Thérèse Foutoux et
Jeanne Gérard furent livrées à l'exécuteur.
On dit que la vénérable supérieure , la mère Fon-
taine , qui était âgée de 71 ans et que toute la ville
d'Arras regardait comme une sainte , demanda à Dieu ,
en mourant après ses filles , que son sang fût le der-
nier versé. Elle fut exaucée , du moins sur l'échafaud
dressé à Cambrai par Joseph Le Bon , où aucune victi-
me du Pas- de- Calais ne monta après elle .
Terminons par un détail horrible cette série des
exécutions de Cambrai . « Le Conseil général de cette
commune , considérant qu'un sang impur , versé où la
guillotine existait , répand , par la corruption qu'il a
acquise , des exhalaisons nuisibles qui , bientôt , donne-
230 LA TERREUR

raient naissance à des maladies épidémiques , qui , en


tuant les amis de la liberté, deviendraient un objet de
triomphe pour l'aristocratie ;
<< Considérant qu'un des objets les plus essentiels
et les plus chers qui lui soient confiés est de veiller à
la salubrité de l'air et d'assurer ainsi la santé de ses
frères , a délibéré , ouï l'agent national, qu'à la dili-
gence de ses commissaires aux travaux , il serait jeté
autant de mannes de chaux qu'il est essentiel de le
faire , dans le trou qui a servi de réceptacle au sang
des guillotinés ; que ladite chaux sera recouverte de
la terre la plus compacte qui pourra se trouver ; qu'une
quantité d'eau suffisante sera jetée afin que ladite
chaux puisse opérer , dans un court délai , tout l'effet
dont elle est susceptible , et que l'endroit dont il s'agit
sera repavé, afin de comprimer , par ce moyen , toutes
les exhalaisons qui pourraient s'élever dans cet en-
droit. »

13. Encore à Arras.

La misère à Arras. Comment on y remédie. -- Fête de l'Etre


Suprême. On réclame la Cathédrale. - La commission d'épu-
ration. - Exécution du prêtre- chantre Nonjean , du chanoine d'Aire
Gouillard , de la Supérieure de la Maladrerie de Saint- Omer, des
deux sœurs Briois. - Le club noir. - Encore quatre prêtres guil-
lotinés. - Exhibition et exécution de onze prêtres et cinq religieu
ses. Lettre infâme du juré Clément. ― Védastine de Lejosne-
Contay et M. Vincent. - Une relique de saint B.-J. Labre, - Les
victimes de Béthune. Dernière immolation .

Aussi complaisants que se montrassent Le Bon et


son tribunal révolutionnaire ," première section , à
fournir aux pauvres d'Arras le spectacle des exécu-
tions , cette satisfaction n'était pas la seule réclamée
par la population indigente : avec les jeux du cirque
que la guillotine rappelait , le peuple demandait aussi
du pain. Car la misère continuait à sévir durement sur
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 231

la classe ouvrière , à qui l'atelier d'armes ne fournis-


sait qu'un travail insuffisant . On avait beau recourir
à la caisse de l'État qui , du 8 mai au 7 juin , fournit
vingt et un mille livres , et multiplier les distributions ,
les pauvres avaient faim. La caisse municipale était
elle-même dans un état navrant , et la pénurie des sub-
sistances menaçait la ville d'une véritable disette . Un
jour se présenta, le 6 mai 1794 , où l'on ne tua qu'un
seul mouton pour tout Arras .
Il fallut multiplier les réquisitions et les mesures de
rigueur , mélanger d'un tiers d'orge et de scourgeon le
blé qu'on livrait à la consommation , mettre à sac toutes
les maisons d'émigrés , d'emprisonnés ou de guillotinés
pour en épuiser les provisions ; rien n'y fit : lorsque le
pain d'amalgame fut à peu près suffisant, d'autres
denrées manquèrent . Le chauffage , l'éclairage , le
savon, le papier même firent défaut.
Quand les patriotes eux -mêmes , à part quelques
privilégiés , en étaient réduits à la portion congrue , il
est facile de présumer quel était le sort des prisonniers
entassés dans toutes les maisons de détention .
Ceux-là n'avaient même pas la faveur de se dis-
traire par les cérémonies religieuses que Robespierre
venait de rétablir pour le culte de son invention . Car
nulle part , plus qu'à Arras , on ne parut accepter avec
enthousiasme l'élucubration de l'avocat artésien qui ,
non content de s'être fait le tribun tout puissant de la
Révolution , avait encore rêvé d'en devenir le grand
prêtre .
Le 16 juin , la commune qui s'y était longuement
préparée , célébra avec la plus grande pompe la fête
de l'Etre Suprême . On n'y vit , du reste , qu'un pastiche
amoindri de la solennité du même genre que Robes-
pierre présidait le même jour à Paris . Ce fut le maire
Duponchel qui , à Arras ,terrassa le monstre de l'athéisme
et qui le réduisit en cendres . Toutes les sections de la
ville y prirent part ; les hommes avec des branches de
232 LA TERREUR

chêne , les femmes avec des bouquets de roses , les


filles avec des corbeilles de fleurs ; chacun brûlait , dit
le programme , « de réparer les torts des prêtres et les
crimes de la royauté » .
Quand , à la place du monstre embrasé , apparut « la
Sagesse , au front calme et aérien , qui s'éleva au mi-
lieu des débris » , en face de toutes les autorités et de la
ville entière , massée sur la Petite- Place , le chœur de
Legay fut répété par des milliers de voix :

D'un peuple libre sous ta loi,


Grand Tout, reçois les purs hommages :
C'est pour ne s'adresser qu'à Toi
Qu'il a renversé tes images.

Dans leur enthousiasme , les patriotes d'Arras trou-


vèrent même qu'il fallait à la statue de la Liberté un
temple plus digne d'elle . L'église Saint -Géry, consa-
crée jusque-là au culte de la Raison , ne parut plus
suffisante , ils demandèrent l'ancienne cathédrale de
Notre-Dame comme parfaitement convenable à cette
nouvelle et sacrilège destination .
Pour cela , il fallait débarrasser ce vaste édifice des
matériaux de toute sorte qu'on y avait entassés , et
des commissaires de bonne volonté s'offrirent dans ce
but. Mais ce beau zèle dura peu et les partisans du
culte de l'Étre suprême ou plutôt des divertissements
dont ses temples étaient le théâtre , qui eussent peut-être
sauvé notre vieille cathédrale de la démolition, en la
profanant une fois de plus , n'arrivèrent même pas à
leur but.
Joseph Le Bon qui avait conduit le cortège religieux
de Cambrai , porté la torche embrasée, et accueilli ,
dit le programme , les témoignages d'amour et de re-
connaissance de tous les bons citoyens , devait bientôt
ramener les esprits à de sanglantes réalités ; il ordonnait
de reprendre les procès : l'échafaud avait assez chômé .
Une commission d'épuration avait été nommée le 21
mai , composée de sept patriotes à la tête desquels
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES . 233

était Duponchel , qui devait étudier les dossiers des pré-


venus et désigner au proconsul ceux qui méritaient
d'être élargis , maintenus en prison ou livrés au tribu-
nal . Cette commission , qui tenait séance tous les jours ,
eut l'avantage de régler la situation de chaque prison-
nier et de dégager les maison de détention . En quel-
ques jours , l'Abbatiale fut déblayée , et , munie de nou-
veaux pouvoirs , la commission des sept se transporta
à la Providence . Malgré leur patriotisme connu , ces
hommes de confiance de Le Bon furent émus au spec-
tacle qui les y frappa et lui signalèrent « les abus qu'ils
avaient trouvés dans les maisons de détention » . Mais
en avançant comme le leur ordonnait laconiquement le
maître , ils devaient faire la part de l'échafaud : cette
part fut encore large .
Entre les six condamnés qui furent livrés à l'exécu-
teur , le 19 juin 1794 , nous avons à signaler Pierre-
Joseph Nonjean , âgé , dit le dossier , de 49 ans , né à
Arras , ancien prêtre- chantre de l'église Saint-Géry,
accusé « d'avoir été le chef d'un club monarchique
composé de nobles et de prêtres , qui se tenait chez la
veuve Caron , à ce point qu'un jour le peuple s'est in-
surgé contre lui , parce qu'il avait insulté les prêtres
sermentés » . Il fut exécuté sur la place de la Révolu-
tion (1) . Le 20 , Jean- Pierre Delehelle de Vicques , frère
du chanoine d'Arras du même nom , fut exécuté à son
tour. Le 21 , un rentier d'Arras , nommé Jacques-Guis-
lain Bizé fut cité devant le tribunal , « pour avoir con-
servé du bois du Calvaire d'Arras , une image repré-
sentant une tête de mort et des vers à la louange de
l'évêque Conzié » . Malgré l'arrêté de Le Bon , le réqui-
sitoire de Cyriaque Caron , le jury , contre son habi-
tude , ne reconnut pas que pour cela il fût traître à la
patrie et ennemi du peuple : il décida simplement qu'on
le retiendrait en arrestation jusqu'à la paix ,

(1) Guilluy, Richard , F. Caron , Flament.


234 LA TERREUR

Le chanoine d'Aire Edouard Gouillard fut moins


heureux le lendemain . Il fut cité le 23 juin avec son
beau-frère , Luc-Gilles Ozenne , lieutenant- général de
la Gouvernance d'Arras . Au lieu de se déporter , le
chanoine Gouillard s'était tenu caché chez Ozenne qui
s'était toujours montré lui- même ennemi du nouveau
régime .
Pendant son interrogatoire au District , le malheureux
chanoine manifesta le plus grand trouble ; on lui fit
même un crime du serment de liberté et d'égalité qu'il
avait prêté . Il fut envoyé à la mort comme Ozenne
et comme huit habitants d'Aire , avec le maire , Pierre
Colpart, pour avoir soutenu les prêtres réfractaires , et
souffert que le P. Moreau , recteur du collège , conti-
nuât ses fonctions sans avoir prêté le serment ( 1 ) .
Après Aire , Saint- Omer fournit ses victimes . Déjà , le
23 juin, Antoine - Joseph Martel , enveloppé dans les
victimes d'Aire , mais originaire de Saint- Omer , et an-
cien administrateur du District , avait été guillotiné
comme aristocrate et fanatique ; le 24 juin , ce fut le
tour de la supérieure de la Maladrerie , Marie - Domi-
nique Braure , originaire de Verchocq , « qui avait
soustrait divers objets de la sacristie de l'hôpital » (2) .
Ce sont encore des femmes que nous avons à signaler ,
le 25 juin , parmi les victimes . Aldegonde Facon , de
Fleurbaix , servante du curé de Roclincourt , « pour
s'être refusée d'aller aux messes des curés sermentés »
et avoir dit au curé de Vimy « qu'il portait le démon
sur ses épaules » . Madame Hennecart de Brissœil , an-
cienne abbesse de La Brayelle- lès -Annay , périt le
< pour avoir cherché à dépouiller la nation
même jour, «
et s'être apitoyée sur le sort des prêtres déportés » .
Le 26 ,la veuve Rivelois , de son nom Reine Dubroucq ,
sœur du curé de Loos-en - Gohelle , et Jean Simon

(1) Guilly, F. Caron, Péltier, Richard.


(2) Guilluy, F. Caron , Richard , Legay.
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 235

Pruvost , époux de Marie Delambre , également de Loos,


furent accusés « d'avoir porté en Empire des secours
en numéraire aux curés de Loos et de Givenchy- en-
Cohelle et cherché à opérer la contre- révolution » . La
mort .
Deux religieuses du nom de Briois , Françoise , ex-
ursuline d'Amiens , et Albertine , ancienne prieure de la
Chartreuse de Gosnay, sœurs du premier président du
Conseil d'Artois , auraient dû vivre éloignées de dix
lieues de toute enceinte fortifiée ; elles ont été trou-
vées à Arras où elles vivaient très retirées : elles furent
condamnées à mort le 27 juin ( 1 ) . La servante du cha-
noine Poulin , Rosalie Colbeau , « très suspecte , très
dangereuse , forcenée aristocrate et qui avait corres-
pondu avec son maître » , fut également exécutée ce
jour- là .
Trois de ses amies , Marie - Suzanne Delaune , Cathe-
rine Nonot , femme Fava , et Victoire Blanchet, veuve
Boitel , furent accusées avec elle « d'un fanatisme dé-
goûtant, et d'avoir parcouru la ville , pour le club noir,
afin d'envoyer de l'argent aux émigrés » , elles parta-
gèrent son sort.
Après un jeune homme de la bienfaisante famille des
Lallart de Lebucquière , Benoît , qui mourut à 39 ans ,
nous rencontrons quatre prêtres , Louis Boucher , Pierre
Moncomble, chapelains de la cathédrale d'Arras qui ,
rentrés en France après la prise de Tournay , « avaient
continué de dire la messe , de confesser et de se livrer
à d'autres pratiques superstitieuses » , Druon Le Fran-
çois du Fétel , religieux d'Arrouaise et prévôt de
Monchy-au- Bois , ainsi que Jean Abraham , chapelain
de la cathédrale également , accusés d'avoir réuni des
contre-révolutionnaires et caché dans leur maison
Vasseur curé , et répandu des libelles : tous quatre
périrent le 30 juin . La matinée avait suffi pour ces

(1) Guilluy, Peltier, F. Caron , Richard.


236 LA TERREUR

exécutions et pour d'autres encore l'après- midi était


réservée à une scène à la fois grotesque et odieuse .
Sur un amphithéâtre , élevé dans le temple de la
Raison , on exhibait onze prêtres et cinq religieuses qui
avaient été arrêtés à Ypres , quelques jours auparavant,
sur le chemin de l'exil . On y voyait six récollets , deux
carmes déchaussés , trois prêtres séculiers , quatre
ursulines et une hospitalière . Quand les curieux furent
réunis en grand nombre autour de l'estrade , on s'aper-
çut qu'il manquait un juge . Rouvroy , juge au tribunal
civil , que la curiosité de son commis , récollet lui-
même, avait amené dans la foule , fut distingué et con-
traint à siéger . Le greffier Leserre et le greffier Guil-
luy lui disaient que le cas était facile : c'était un cas
d'émigration. A vrai dire , l'émigration n'était un crime
que si les émigrés avaient cherché à rentrer en France
et ceux-là , saisis sur la terre étrangère , avaient été
ramenés de vive force .
On accumula alors contre eux tous les lieux com-
muns ordinaires , hostilité au serment , distribution de
libelles, prières et invocations fanatiques , secours aux
émigrés . Guilluy leur posa même ces deux questions
étranges Vivrez -vous bien en France sans roi ? chacun
d'eux répondit : Sans roi , oui . Il ajouta : Vivrez- vous
bien sans pape ? Sans pape , non . Et c'est ce non
fatal, ajoute un témoin , qui fut leur arrêt de mort .
Tous les seize furent conduits ensemble à l'échafaud .
Voici les noms de ces martyrs de leur foi envers la
Papauté, tels que les donne le dossier du tribunal cri-
minel : << Jean-Antoine Pellaërt, 60 ans , récollet,
demeurant à Cassel ; François Chartrel , 81 ans , récol-
let, né à Floringhem, habitant Saint- Omer ; Jean- Louis .
Vestook, 39 ans , récollet , né à Sainte- Marie- Capelle,
habitant Cassel ; Pierre-Jacques Leys , 60 ans , demeu-
rant à Cassel , né à Lardeghem , récollet ; Marcel Pica-
vet, 34 ans , récollet , né à Duisans , demeurant à Lens ;
Pierre-Jean Montagne , 70 ans , récollet, né à Renes-
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 237

cure , demeurant à Cassel ; Pierre- Simon Foly, 33 ans,


carme déchaussé , né à Flixécourt, demeurant à Rouen ;
Pierre-Joseph Chartrel , 59 ans , carme , né à Lille ,
demeurant à Saint-Omer ; Philippe -Joseph Leroux,
53 ans , vicaire de Wisques , né à Longuenesse ; Liévin-
Fr. Gamblin , 49 ans , vicaire à Gonnehem ; François
Bancart, 40 ans , vicaire de Robecq , né à Zutkerque . »
Il faut y ajouter les cinq religieuses Henriette de
Buchy, ursuline de Cassel ; Marie Minne , idem ; Anne
Vandervick, supérieure des hospitalières de Comines ;
Regina Beck, ursuline de Cassel ; Barbe Grison , supé-
rieure des ursulines de Cassel : considérées comme
servantes à Ypres .
Quand on conduisit ces condamnés à l'échafaud, la
populace les insulta et donna à leur marche le carac-
tère d'une procession : eux chantaient l'office des
morts . C'était une scène des premiers siècles de
l'Église .
Le lendemain , un juré de Béthune , Clément , rendait
compte à ses collègues , comme il suit, de la scène de
la veille (1) :
< Arras , 13 messidor , an II : Clément à ses collè-
«
gues de Béthune . Dans la séance d'hier matin , nous
avons condamné à mort Jean Abraham, ci -devant cha-
pelain à la cathédrale d'Arras ; Pierre-Charles Mon-
comble , ci-devant vicaire à Arras ; Joseph Dufétel ,
ci-devant religieux à l'abbaye d'Arrouage , et Joseph
Bouchez , ci -devant chapelain à Arras .
« Dans celle du soir , nous avons eu de quoi rire .
16 cochons , tant mâles que femelles , nous furent pré-
sentés , savoir : 6 récollets de la maison de Saint-Omer ,
de Lens et de Cassel ; 3 carmes de Cassel ; 3 vicaires ,
un de Guise, celui de Gonnehem et celui de Robèque ;
une religieuse d'Hazebroucq et 3 servantes de ci-
devant prêtres . Ce qu'il y a eu de plus intéressant ,

(1) Archives nationales, F7 46157 .


238 LA TERREUR

c'est qu'ils voulurent bien renoncer au roi , mais pour


le pape cela ne fut pas possible ; ils dirent tous nous
mourrons dans la religion ca holique , apostolique et
puante.
<< Quel vilain animal qu'un récollet ; il y avait long-
temps que je n'en avais vu aussi me firent- ils en
quelque sorte peur ; mais rien de plus effrayant qu'un
récollet guillotiné ; je ne sais à quoi cela ressemble , ce
qu'il y a de sûr , c'est que j'eus une certaine frayeur en
voyant ce cadavre sans tête : notez qu'ils furent guillo-
tinés en habits pontificaux . - Le tribunal a chaumé
aujourd'hui ; demain on parle d'une dizaine de têtes à
faire tomber. Clément. »
Les noms des juges de ce procès , inique entre tous ,
sont ceux de Guilluy, F. Caron , Richard et Augustin-
Xavier Rouvroy .
Le 2 juillet , Védastine - Hélène de Lejosne -Contay,
dit La Ferté , âgée de 68 ans , fut condamnée à mort
pour avoir eu des relations avec le curé de Lespesse ,
M. Vincent, oncle de saint Benoît Labre .
On sait la réputation de vertu de ce digne maître
d'un plus digne élève ; les lettres qui se trouvent au
dossier de Mademoiselle Lejosne - Contay , confirment
de tout point cette réputation de sainteté . Elles ne sont
point de M. Vincent , mais de son successeur à Conte-
ville , l'abbé Bailly, vicaire d'Hestrus , qui donne à
Mlle de La Ferté les détails les plus touchants sur le
curé de Lespesse .
A Conteville , dit-il , dans une première lettre , il
vivait avec 200 livres par an et le pain qu'il recevait
pour faire l'école . Et dans une autre lettre : « M. Vin-
cent est toujours à Lespesse , écrit M. Bailly , le
10 août 1792 , où il dit la messe tous les jours . Les
murailles de l'église lui servent d'oreiller. Ses austé-
rités ont toujours étonné les plus vertueux dans le
sacerdoce , et son détachement des choses de la terre
est si grand qu'il ne paraît pas avoir d'imitateur dans
LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 239

toute la France .Il vit absolument d'aumônes et sans


-
jamais rien demander . M. Blanquart, avocat à
Arras , le connaît et lui a donné quelque chose pour la
sustentation des prêtres déplacés . »
Il termine par un triste tableau de la situation reli-
gieuse.
Le 5 juillet, sur les poursuites réitérées de Cyriaque
Caron qui lui avait voué une haine mortelle , Charles-
Adrien Dourlens , ancien avocat au conseil d'Artois et
acquitté une première fois , fut repris et condamné
« sous prévention de s'être montré patriote , afin d'opé-
rer plus sûrement la contre-révolution et pour ses liai-
sons avec les nobles et les prêtres » . Deux femmes ,
Adrienne Dupont de Saint- Hilaire et Hyacinthe Laga-
che de Vaudricourt , arrêtées à Ypres et ramenées à
Arras , furent trouvées nanties de divers objets fanati-
ques , notamment une Oraison à Marie conçue sans
péché « et une particule d'un manteau qui a servi au
serviteur de Dieu Benoît - Joseph Labre , avec un certi-
ficat d'un vicaire général de Boulogne, du 4 octobre
1784 , signé Rattier , vicaire - général » , c'en était assez
pour la mort ( 1) .
Le 6 juillet , ce fut Béthune qui fournit son contingent
à la guillotine .
Par jugement de ce jour, le tribunal condamna et
fit exécuter :
Charles Guffroy, ex- organiste de la collégiale de
Béthune , pour mépris des lois , refus d'une pension de
400 1. en haine de la Constitution , refus de jouer
Ça ira dans une fête patriotique ; Guislain- Florent
Pronier , instituteur, ex-frère des Ecoles chrétiennes ,
marié, natif de Puisieux, pour avoir méprisé la loi
relative au serment des prêtres et dit qu'il n'enseigne-
rait jamais les principes de la Révolution ; Siméon-
François Mongys , notaire , né à Béthune , pour ma-

(1) Guilluy, Richard , Flament, F. Caron.


240 LA TERREUR

noeuvres fanatiques , opposition à la vente des domaines


nationaux et suppression des abbayes ; Jacques - Fran-
çois Delbarre , natif de Lestrem , pour liaison avec les
contre-révolutionnaires ; François Lemaire , marchand,
pour manœuvres fanatiques et mépris des patriotes en
disant qu'un jour ils seraient rongés de vermine ;
J.-B. Flagollet, maçon et marchand , natif de Lillers ,
pour manœuvres fanatiques ; Hyacinthe Lagache ,
couturière , résidant à Ypres , née à Vaudricourt, pour
fanatisme et émigration . Condamnés le 5 juillet .
Le 7 juillet, après l'exécution d'une troisième sœur
de la famille Briois , Mlle Albertine Briois des Arleux,
<< aristocrate et absolument fanatique » , comme les
autres , le tribunal fit comparaître un prêtre infirme ,
ancien bénéficier de la cathédrale , nommé Jean- Bap-
tiste Braine , qu'un perruquier , Dacheux , avait dénoncé
comme exilé. On le condamna à mort sur ce simple
dire (1).
Le 10, Cyprien Leblan , coadjuteur de la prévôté
d'Isberg, près Bruges , fut condamné comme fanatique
et émigré.
Le 11 , un cultivateur de Lisbourg , Pierre - François
Delerue , fut exécuté pour avoir colporté une prétendue
lettre venue du ciel , qui exhortait les citoyens à la
résistance et qu'un enfant aveugle , âgé de cinq ans ,
avait pu lire .
Enfin , le 12 juillet, la série des exécutions se ter-
mina à Arras par celle de Mathieu , Félix Deliège et sa
femme Augustine Mathieu , chez lesquels on avait
trouvé des livres propres à allumer le fanatisme . Les
plus compromettants de ces livres étaient la Consola-
tion du chrétien, la Vie de sainte Elisabeth et l'Imi-
tation du ci-devant Jésus.
En terminant ce triste martyrologe , il faut pourtant
remarquer que nous n'avons fait que des extraits rela-

(1) Guilluy, Flament, Peltior, F. Caron.


LA DEUXIÈME SÉRIE DE VICTIMES 241

tivement courts aux actes complets des victimes que


le Pas-de- Calais offrit à l'échafaud . Le fanatisme , pour
avoir une place prépondérante parmi les motifs de con-
damnation , n'en était pas la cause exclusive ; on obser-
vera néanmoins que les accusateurs publics , à la suite
de Le Bon dans ses arrêtés , l'invoquent avec prédi-
lection, comme un argument puissant et presque tou-
jours décisif aux yeux des jurés . Tant il est vrai que
l'indifférence religieuse n'est souvent qu'un mensonge ,
et que celui qui n'est pas avec l'Église catholique est
bien près de lui être hostile .

16
CHAPITRE SEPTIÈME

LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES

Cause du rappel de Joseph Le Bon. ― Soulagement général . - La


dernière fête de Le Bon.

Quoique le neuf thermidor soit considéré , à juste


titre , comme le jour qui délivra la France du joug des
terroristes , pour la laisser , il est vrai , sous la domina-
tion d'une faction redoutable encore , il faut constater
que dans le Pas-de - Calais le tribunal criminel était
dissous et Joseph Le Bon rappelé à Paris , depuis plus
de quinze jours , quand arriva cette journée fameuse .
Dès le 10 juillet, et le neuf thermidor correspond seu-
lement au 27 du même mois , le Comité de Salut
public , après avoir longtemps balancé entre Le Bon et
les ennemis qui l'accusaient , sous la conduite de l'im-
placable Guffroy, arrêta que la Commission , mainte-
nue exceptionnellement dans le Pas -de - Calais , cesse-
rait ses fonctions , que tous les prévenus de contre-
révolution seraient traduits à Paris , et que Joseph Le
Bon, après avoir recueilli ses papiers , viendrait les
soumettre au Comité avec ses projets d'avenir.
Il n'entre pas dans notre cadre d'exposer les in-
trigues et les dénonciations qui ont amené à Le Bon
ce coup mortifiant , le fait est qu'il le reçut des mains
du Comité même de Salut public ( 1 ) , qui avait été
jusque-là son tout puissant protecteur . Peut- être en

(1) Voir Arras sous la Révolution , par E. Lecesne, t . II, chap . X.


LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 243

abandonnant ainsi le plus compromis de ses agents ,


Maximilien Robespierre espérait-il regagner en Artois
une partie de la popularité que la Terreur lui avait fait
perdre .
Ce fut, en tout cas , un premier soulagement que la
promulgation de ce décret . Les prisons d'Arras , qui
renfermaient à ce moment plus de douze cents déte-
nus , sur lesquels le Vivier comptait à lui seul cent
dix-huit prêtres sexagénaires et infirmes , commen-
cèrent à se vider.
Un grand nombre de cultivateurs et de moisson-
neurs furent renvoyés à leurs champs et les rigueurs
de la détention furent un peu adoucies pour ceux qui
étaient maintenus en prison.
Le Bon, cependant , ne se pressait pas de quitter le
théâtre de ses exploits . Après avoir renvoyé les juges,
et les jurés du tribunal révolutionnaire , il s'en alla à
Cambrai présider la fête du 14 juillet, il acquiesca
même au désir qu'on lui exprima de faire démonter la
guillotine et applaudit au triomphe du peuple sur le
clergé et la noblesse . Il venait de présider une autre
fête en l'honneur de Barra et Viala , le 21 juillet , quand
arriva la première nouvelle de l'échec subi par Robes-
pierre le 8 thermidor , prélude de sa chute du lende-
main.
Il partit incontinent pour Arras , avec l'intention de
se diriger sur Paris , et c'est là qu'il apprit les graves
événements qui allaient renverser à jamais sa fortune
et mettre sa vie en péril.

§ 1. - Chute de Robespierre.

Triomphe de Robespierre . Sa chute. Le 9 thermidor. Mort


de Robespierre. - Malédiction. - Le Bon à Paris.

On sait qu'après s'être unis pour spolier, pour per-


244 LA TERREUR

sécuter et pour détruire , les Montagnards de la Con-


vention n'avaient pas tardé à se diviser et à se com-
battre. La faction d'Hébert succomba la première .
Danton suivit Hébert sur l'échafaud et Maximilien Ro-
bespierre , dont Catherine Théot avait fait un nouveau
messie , célébra le 8 juin son triomphe qui fut pres
que une apothéose .
Qu'on se représente le petit avocat d'Arras en grand
costume de représentant, culotte de nankin , habit bleu
barbeau, ceinture tricolore , chapeau à panache , tenant
à la main un bouquet d'épis et de fleurs , et marchant
à la tête de la Convention , dans cette fête de l'Être
Suprême dont il est le prêtre et l'interprète .
Il a eu soin de se faire attendre pour être mieux re-
marqué et, pour la première fois de sa vie , raconte le
juré Vilate , son visage rayonne de joie . Quand il eut
incendié le groupe symbolique de l'Athéisme et fait
apparaître , par un mécanisme ingénieux , l'auguste
statue de la Sagesse , il parla au jardin des Tuileries ,
il parla encore au Champ de Mars , avec cette éloquence
froide et ampoulée qui lui était particulière .
Mais de ces harangues savantes , à travers lesquelles
on cherchait surtout l'espérance d'un meilleur avenir,
une phrase seule était à retenir : « Peuple , avait dit
Robespierre en terminant, livrons-nous aujourd'hui
aux transports d'une pure allégresse : demain nous
combattrons encore les vices et les tyrans . >>
Deux jours après , Couthon présentait et la Conven-
tion promulguait le décret fameux du 22 prairial. L'as-
sassinat avait sa théorie logique et raisonnée , le droit
de défense était supprimé , les témoignages écartés ,
tout le procès était réduit à une simple constatation
d'identité ; le bon plaisir du juge faisant le reste . Ro-
bespierre n'avait-il pas dit : « La règle des jugements
est la conscience du juge : leur but, le salut public et
la ruine des ennemis de la patrie . »
Une arme pourtant échappa au nouveau dictateur .
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 245

Au milieu des articles du terrible projet de loi , il en


avait glissé un qui mettait à sa discrétion la vie des
conventionnels eux-mêmes , que les Comités de Salut
public et de Sûreté générale pouvaient livrer au tri-
bunal révolutionnaire . Mais les conventionnels alar-
més refusèrent de voter et le cauteleux avocat , protes-
tant qu'on l'avait mal compris , admit une exception
pour les représentants . C'était un premier échec les
autres se succédèrent rapidement. La prétendue ten-
tative de Cécile Renault et le cortège effrayant de
cinquante-quatre personnes qui l'accompagna à l'écha-
faud , dans le costume rouge des parricides , ne suffirent
pas à lui rendre son prestige . Le procès de Catherine
Théot lui porta un nouveau coup et permit à ses adver-
saires de se compter. Les effroyables massacres orga-
nisés par la loi du 22 prairial continuaient pourtant , et,
du 10 juin au 27 juillet , deux mille quatre cent quatre-
vingt- cinq victimes avaient succombé . Robespierre ,
renfermé dans son bureau particulier de la police secrète
et affectant de ne plus reparaître au Comité de Salut
public, préparait de son côté une sanglante revanche .
Ne fallait-il pas qu'il fût le maître ou qu'il pérît ? Et
s'il pouvait perdre ses adversaires en leur imputant
les crimes que leur faisait commettre sa loi , n'était- ce
pas un chef-d'œuvre? Les sections de la commune , avec
le maire de Paris , Fleuriot , l'agent général Payan et le
général Henriot , lui avaient même préparé une insur-
rection dont il n'avait qu'à donner le mot d'ordre .
Le 8 thermidor arriva ; Robespierre , muet depuis
plusieurs jours , monta enfin à la tribune de la Conven-
tion pour y prononcer un discours solennel que sest
fidèles nomment encore son testament. Il parla encore ,
le soir, aux Jacobins , et se fit une dernière fois accla-
mer par les sections . Mais des paroles ne suffisaient plus
à cette heure solennelle . Au Comité et à la Convention
ses ennemis prenaient leurs dernières mesures pour
assurer le succès du lendemain .
246 LA TERREUR

Aussi , quand Robespierre , le 9 thermidor , essaya de


répondre à Billaud - Varennes , fut-il accueilli par ces
cris sinistres : A bas le tyran ! et Tallien , Barrère et Va-
dier l'accablèrent-ils tour à tour de leurs insultes et de
leurs dédains , sans qu'il parvint à se faire entendre . Il
fut décrété d'accusation avec son frère Augustin , ses
amis Le Bas , Couthon et Saint-Just .
Une dernière ressource restait à Robespierre : maître
de la Commune , il devait donner des ordres et faire
appel à l'insurrection : il hésita et laissa le temps à
Barras d'envahir l'Hôtel- de -Ville avec les troupes de la
Convention . Blessé alors d'un coup de pistolet par le
gendarme Merda , et étendu sur une table , il fut jeté
sur la fatale charrette avec son frère meurtri et le ca-
davre de Le Bas qui s'éteit brûlé la cervelle et tous
furent emmenés à la guillotine .
Celle-ci , par exception , avait été dressée sur la place
Louis XV , à l'endroit même où étaient morts le Roi , la
Reine , les Girondins et Danton . Une femme , dit- on ,
dont la loi de Prairial avait pris les enfants , étant
montée sur les roues de la fatale charrette , jeta en pas-
sant cet anathème à Robespierre : Va , scélérat , descends
aux enfers avec la malédiction de toutes les épouses et
de toutes les mères !
C'était la voix irritée mais juste du peuple , de la
France , et de la postérité , qui formulait ce terrible
jugement.
Le sang des trois députés du Pas-de -Calais , exécutés
le 27 juillet 1794 , sur la place de la Révolution , était à
peine refroidi quand Joseph Le Bon revint prendre sa
place à la Convention.
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 247

§ 2. Accusations contre les terroristes du Pas-de-Calais.

Le Bon accusé . - Attitude du Directoire et du District d'Arras.


Le District de Saint- Pol. - Duflos et Valentin Debret. Lettre
du Comité révolutionnaire de Saint- Pol. → La femme de Le Bon.
La Commission d'enquête. - Dépositions de Tincques et Fré-
vent. Mises en liberté. — Rapport de Montreuil. ― Libérations
et arrestations nouvelles . Le District de Boulogne. Cattaert
arrêté. - Volte-face de Baret. Il reste persécuteur. Jugement
du District de Calais sur Robespierre . Saint-Omer félicite la
Convention . - Palinodie de Béthune. - Sévérité des dénonciations
de son District contre les amis de Le Bon. -- Applaudissements de
Bapaume.

L'adresse du District d'Arras , qu'il avait signée en


passant dans cette ville , et qui protestait de son atta-
chement à la Convention , en affirmant qu'il préférait
toujours la patrie aux individus quels qu'ils fussent , ne
le rassurait qu'à demi . Au fait , son jour allait aussi
venir. Il siégeait à sa place accoutumée , avec une feinte
confiance , lorsque deux habitants de Cambrai , Mayeux
et Courtecuisse , apportèrent à la barre une dénonciation
contre lui . Saint - Remy et Danten le dénoncèrent éga-
lement , au nom des citoyens d'Arras « comme le com-
plice le plus avéré de Robespierre , Saint- Just et Le
Bas , » Dumont lui- même le qualifia « un monstre pétri
de crimes , enivré de sang , et couvert de l'exécration
générale . Le Bon essaya en vain de se défendre .
Bourdon , de l'Oise , l'interrompit par cette terrible
apostrophe Voilà le bourreau dont se servait Robes-
pierre . Il continua à parler néanmoins , accusant
même Robespierre qu'il qualifiait d'infâme et le Comité
de Salut public qu'il appelait traître . Cette défense peu
généreuse ne le sauva pas d'un décret d'arrestation .
Toutefois cette arrestation n'était que provisoire , et
les Comités de Sûreté générale et de Législation , chargés
de faire au plus tôt un rapport sur les inculpations diri-
gées contre Le Bon , essayèrent de le sauver en traînant
les choses en longueur . Il fallut la haine persévérante
de Guffroy pour faire sortir cette affaire de l'oubli ,
248 LA TERREUR

Ce ne fut pourtant qu'après une détention de qua-


torze mois à Paris , à Meaux et à Amiens et après les
angoisses d'un long procès que Le Bon devait expier
ses crimes sur l'échafaud .
Il n'eut pas si longtemps à attendre pour éprouver
les effets de la réaction violente qui fit explosion contre
lui et ses partisans dans le Pas- de-Calais , après la
journée du 9 thermidor .
Ce sont les administrations révolutionnaires elles-
mêmes qui donnèrent sans pudeur l'exemple de cette
réaction .
La motion du 11 thermidor , signée par Le Bon,
« vouant une haine éternelle à tous les pouvoirs qui
voudraient s'élever au- dessus du peuple et de la Con-
vention et à tous les individus qui tenteraient de ra-
mener le despotisme , sous quelque masque que ce
soit, » portait également les signatures de Célestin
Lefetz , d'Ansart, de Leroy , de Varnier , de Norman
lui-même . Le Conseil de la commune d'Arras ne fit
pas plus de difficulté que le District pour jurer <
« qu'il
ne se soumettrait à aucun tyran, sous quelque nom
qu'il pût se présenter . » Comme dans les grandes cir-
constances , il se déclara en permanence ; trois de ses
membres , Piéron , Lenglet et Cavrois rédigèrent une
adresse ronflante à la Convention pour la féliciter
d'avoir abattu « l'hydre de la tyrannie » . Le Comité de
surveillance lui-même , par la plume de Gilles et de
Lemirre , «< frémit d'horreur en apprenant que des
monstres voulaient détruire la sainte Égalité . »
Le Directoire du département suivit le courant , et
envoya, par courrier extraordinaire , assurer la Conven-
tion qu'il était disposé « à poursuivre les traîtres , les
conspiratenrs et les ambitieux qui voulaient s'arroger
une autorité liberticide ( 1 ) . »

(1) Avec le président Dutel , Chevalier, Darthé, Demory, Caubrière


et Bertin ont signé cette adresse.
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 249

Si Arras mettait cette unanimité à brûler ses idoles


de la veille , on présume que le reste du département
n'y apporta pas plus de scrupule .
L'administration du district de Saint-Pol avait une
place à part, on le sait , dans l'affection et la confiance
des coryphées de la Terreur . Or , c'est elle qui , le 30
juillet , s'étonna et s'indigna le plus , « en apprenant
l'horrible conspiration ourdie par des hommes qui
avaient joui de la plus haute réputation et dont quel-
ques-uns ont pris naissance dans ce département. » >
Une lettre fut sur le champ envoyée à la Convention ,
dans laquelle Robespierre et Le Bas sont maudits et
exécrés , « pour avoir tenté de ressusciter un pouvoir
abhorré » et , dès le lendemain , on mettait les scellés à
Frévent, chez Ange Le Bas , père du conventionnel.
Quand Le Bon fut arrêté à son tour , Hénin essaya
bien d'amener la Société populaire d'Houvigneul à
faire une adresse en sa faveur, mais Duflos se fit l'in-
terprète de son administration auprès du Comité de
Salut public pour le blâmer. « Duez , dit- il , agent na-
tional , Ricmaisnil , membre du Directoire , Flament et
Hénin , membres du conseil de permanence , tenaient
l'administration et le district sous la verge du plus
affreux despotisme , par leur caractère turbulent et
sanguinaire , et surtout par l'autorité que leur avait
confiée leur digne maître , l'énergumène Le Bon , ils
comprimaient les meilleurs patriotes . >>
Quand ces satellites des tyrans sont arrêtés , eux
aussi , Duflos continue : « Nous nous occupons sans
relâche à bander les plaies qu'ils ont ouvertes , à
consoler les familles des innocentes victimes de leur
rage , à faire aimer et exécuter les lois qu'ils s'effor-
çaient de rendre odieuses . >>
Duflos paraît avoir été , avec Valentin Debret , le prin-
cipal auxiliaire de Guffroy à Saint- Pol pour la ruine
de Le Bon. Valentin Debret avait même fait , dans ce
but , le voyage de Paris et voici la lettre qu'il en écrivait
250 LA TERREUR

à Duflos , à la date du 30 août 1794 : « Frère et ami ,


j'ai eu une conférence de deux heures avec le repré-
sentant Guffroy ; il a versé des larmes de joie en appre-
nant la délivrance de notre district et la touchante har-
monie qui règne entre les citoyens : il me charge de
t'écrire de veiller à ce que des intrigants n'entravent
pas le représentant en mission ; il est essentiel que tu
t'allies un certain nombre de vrais amis de la liberté
pour former un Comité de justice , de manière à ne pré-
senter à ce représentant que des hommes sages , amis
des lois et de l'humanité , pour composer les autorités
constituées . Loin de nous les cannibales , les immo-
raux , les agitateurs , les improbes , en un mot tout ce qui
a été du bord de Le Bon . Tel est l'espoir de la Con-
vention . Dis au peuple qu'il se rassure , sa justice sera
apaisée . Guffroy te salue. - Valentin Dcbret . »
On se fera enfin une idée de l'état des partisans de
Le Bon dans le district de Saint- Pol , à cette époque , en
lisant la lettre suivante écrite , le 19 août 1794 , par le
comité révolutionnaire de Saint-Pol à Florent Guyot et
Duquesnoy. « Il faut que vous sachiez qu'au commen-
cement de la Révolution , l'aristocratie et le fanatisme
dominaient tellement dans notre district , qu'il n'y eut
que cinq à six prêtres qui firent le serment exigé par
la loi sur la Constitution civile du clergé . Il faut que
vous sachiez aussi que la majorité du peuple n'était
pas pour la Révolution ; les premières autorités cons-
tituées , faites par son choix , étaient composées d'hom-
mes qui ont tout fait pour la renverser , mais l'Etre
suprême qui veille sur les destinées de la France a
fait connaître aux patriotes qu'il était temps de se
former et de se réunir en Société populaire , qu'il fal-
lait éclairer le peuple sur ses vrais intérêts et protéger
partout son patriotisme ; aussi , en moins de deux mois ,
la Société populaire fut composée au moins de cent
membres et ne cessa de faire des prosélytes . Cette réu-
nion d'hommes libres gênait beaucoup les aristocrates ,
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 251

ils tâchèrent de la renverser : c'est alors que parurent


des pétitions revêtues de milliers de signatures pour
avoir dans la commune de Saint-Pol un local où ils
pussent paisiblement rendre hommage à Dieu ; c'est
dans le même temps que des communes du district
chassaient et refusaient les curés constitutionnels qui
leur étaient envoyés : ces manœuvres ne firent
qu'augmenter le zèle des membres de la Société popu-
laire . On sentit qu'il fallait donner un point de rallie-
ment aux patriotes des campagnes , et le seul moyen
de les rallier c'était de leur donner des curés asser-
mentés . En effet , on réussit à leur en donner quelques-
uns et cette mesure produisit un bon effet. Les pa-
triotes des campagnes venaient dans le sein de notre
Société puiser des lumières et s'en servaient pour se
faire des amis . Bientôt survient l'instant de renouveler
les autorités constituées . Tout fut mis en usage pour
faire nommer des électeurs patriotes et réussit en
partic . Mais le point principal était d'avoir dans Saint-
Pol une municipalité composée d'hommes libres et les
patriotes firent si bien qu'ils réussirent. Pour lors la
Société populaire marcha très bien et ses membres fu-
rent connus dans l'étendue du district. L'aristocratie
et le fanatisme se voyant serrés de près , les grands
seigneurs s'émigrèrent en laissant une foule de sec-
tataires : les scélérats ne voulaient que l'ancien régime ,
ils connaissaient combien le fanatisme a produit de
maux sur la terre, ils se couvrirent du manteau de
la religion , ils résolurent de faire une nouvelle Ven-
dée ; ils savaient que Benoit Labbe, qu'on a voulu faire
passer pour saint , était originaire d'une commune dis-
tante de quatre heures de Saint- Pol ; pour la préparer
les émigrés faisaient passer des lettres dans notre dis-
trict pour engager les honnêtes gens à se rallier à leurs
drapeaux . Rappelez - vous , citoyens , le temps que Dun-
kerque et Bergues étaient cernés , que Saint- Omer
manquait de toute espèce d'approvisionnement , c'est
252 LA TERREUR

dans ce même temps que se forma cette Vendée qui


menaçait la République , si elle n'eût été dissipée et les
rebelles pris en moins de deux fois vingt- quatre heures ,
et tout le monde sait comme les patriotes de Saint-
Pol et de Béthune se sont montrés . Peu de temps après
on voulut la renouveler près de Saint-Pol . Il se trou-
vait dans Pierremont un Calvaire de bois fort poreux ,
de manière que l'eau séjournait et que quand les
rayons du soleil en ouvraient les pores , l'eau en sor-
tait, et, passant sur la couleur rouge de la rouille des
clous , il semblait que le Christ avait des plaies et qu'il
sortait du sang, de sorte qu'en peu de temps ce Christ
s'acquit une grande réputation , on accourait de 20
lieues à la ronde , on en fit un soir le récit à la Société
populaire et le lendemain le calvaire disparut et ne fit
plus de miracles.... >>
Après avoir longuement raconté l'histoire de l'arbre
de la rue des Ferronniers , l'arrestation des réfractaires
et des partisans de l'ancien régime , le Comité , fier de
ses succès , conclut en ces termes : « Nous vous décla-
rons donc que les patriotes ont toujours été vainqueurs ,
qu'ils ont tant harcelé les aristocrates que ces derniers
sont vaincus et qu'ils marchent maintenant dans les
sentiers de la Révolution . >>
A ce langage , à cette haine anti-religieuse , à l'ab-
sence complète de la moindre allusion aux grandes
victimes du jour, on comprend que le Comité révolu-
tionnaire de Saint-Pol restait fidèle à ses anciens
chefs et n'approuvait pas la réaction qui se produisit
après le neuf thermidor .
Mais le Distrit entrait résolument dans la voie de la
réparation . Si la femme de Le Bon arrêtée était seule-
ment gardée à vue , chez Vasseur , c'est « que l'huma-
nité demandait qu'on la traitât sans rigueur , » à cause
de son état de grossesse . Amable Flament était lui-
même arrêté dans la journée du 19 août , tandis qu'une
vaste enquête s'ouvrait dans tout le district sur tous
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 253

les méfaits de la bande de Le Bon . Le juge Branquart


fut choisi pour secrétaire de cette commission, « com-
me capable de bien rendre le sens des dépositions qui
seraient faites . >>
Nous ne pouvons résister au désir de citer quelques
extraits de ces longues dépositions, dans lesquelles se
montre au vif l'absolutisme tyrannique exercé trop
longtemps par ceux qu'on appelait à bon droit «< les
argousins du proconsul » . Le directeur de la poste de
Tincques , Tirlaine , était aux premières loges pour
voir passer les sans-culottes sur le chemin d'Arras à
Saint-Pol. Voici sa déposition : « Duez a insulté Jéan-
Baptiste Wartel , lui imposant qu'il aime encore son
ancien curé ; à Jacques Poulain il a dit qu'après avoir
guillotiné la plupart des habitants des villes , on guillo-
tinerait tous les gueux de la campagne .
<< Hénin est venu effrayer la Société populaire , la
traitant d'aristocrate , et a refusé la parole à toutle monde .
<< Léandre Le Bon , qui s'était fait amener de St-Pol
à Arras par un voiturier d'Ivergny , s'arrêta à la poste ,
fit lier le voiturier par deux gendarmes et réclama
encore deux gardes sédentaires . L'agent refusa en di-
sant que c'était Léandre Le Bon qu'il fallait lier . On
passe outre . Léandre prend un postillon qui doit faire
la route sous peine d'arrestation en trois quarts d'heure ;
il piquait les chevaux avec son sabre .
<< Encore les deux gardes ont-ils été battus en arri-
vant à Saint-Pol.
« Quand on a guillotiné les vingt-sept de Saint- Pol ,
Flamant et Duez , en s'en retournant à Saint- Pol , ont
dit à Tincques qu'ils avaient dans leur voiture deux
ou trois têtes pour les promener au bout des piques le
lendemain à Saint-Pol . >>
A Frévent, quand on fit une enquête sur Le Bas, Le
Bon , Darthé , Flament , Duez , Ricmaisnil et Hénin , les
habitants , en grand nombre , vinrent déposer . Le maire ,
Cocquerelle , se défendit d'avoir été leur ami . «< Darthé
254 LA TERREUR

et Flament, dit-il , ont toujours paru dans la Société


populaire avec des dispositions violentes pour exciter
les citoyens à se dénoncer respectivement . Ils y inspi-
raient la terreur au point qu'un citoyen se croyait
nécessité de faire des dénonciations , s'il voulait éviter
d'être mis lui- même en arrestation . La consternation
était telle dans la commune de Frévent que toutes les
autorités se trouvaient pour ainsi dire paralysées , lors-
que ces hommes sanguinaires y paraissaient . Ils y
commandaient avec le plus grand despotisme à
l'homme vertueux comme au coupable . Ducz ne
paraissait pas avoir des sentiments aussi violents que
les Darthé et Flament , mais il n'en exerçait pas moins
despotiquement les fonctions d'agent national . Ric-
maisnil s'est montré pendant longtemps le défenseur
des opprimés .... on a observé que ses égarements
n'étaient occasionnés que par la boisson à laquelle il
paraissait incliné depuis quelque temps . Quant à
Hénin , il était le courrier de ces hommes sanguinaires :
il se transportait dans les communes pour avoir des
renseignements sur les hommes qu'on voulait sacri-
fier. Il y prenait le ton d'un homme qui ne parlait que
pour l'avantage de la chose publique , lorsqu'il n'était
guidé que par des vues de vengeance et de tyrannie .
Signé : Cocquerelle. »
Lemoine rappelle le ton enflammé de Duez : « Dénon-
cez ou vous serez dénoncés vous -mêmes . »
Bouchu et Paillard disent que quand Darthé , Duez
et Flament arrivaient à Frévent, ils faisaient tout
trembler par leur air menaçant personne de la Société
ni du Comité n'avait le droit de leur faire d'observa-
tions , tant ils étaient despotes ; suivant leur avis , on
n'avait jamais assez dénoncé . Thélu déclare qu'ils
chassaient certains membres comme Engrammelle ,
l'agent national , Maxi , Caudron ; et Flament disait qu'il
aurait fait casser le Comité de Surveillance parce qu'il
ne faisait pas assez de dénonciations .
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 255

Detœuf aurait dit , d'après Dorothée Delattre , en


pleine Société populaire , qu'il aurait rasé Rollepot .
C'est ainsi que dans tout le district la vérité se faisait
jour enfin sur l'intimidation qu'avait causée la Terreur .
En même temps , plus de cent prisonniers étaient mis
en liberté le 20 août , par la délibération suivante :
« Nous , membres composant le bureau de surveillance
et révolutionnaire de la commune de Saint- Pol , assem-
blés pour délibérer sur le sort des personnes mises
comme suspectes en la maison de détention , considé-
rant que les motifs de la plupart des mises en arresta-
tion ont été surchargés par la faute de Miennée , maire
de la commune et président du Comité , qui en prenait
à lui seul la rédaction et ne manquait presque jamais
de donner aux individus le titre de fanatique et aristo-
crate , en nous laissant croire que le dernier terme était
parfaitement synonyme au premier ; considérant que
la plupart des détenus ont pu être induits en erreur
sur les opinions religieuses , mais ne se sont jamais
montrés rebelles à l'exécution des lois , qu'ils ont
accepté la constitution républicaine et juré de la main-
tenir , ordonne la mise en liberté de .... ( 1 ) . »
Le lendemain 21 août , on s'occupa des détenus des
villages qui furent délivrés en grand nombre . Citons
seulement parmi ces noms : Louis Poillion , de Libes-
sart ; Etienne Thomas , ex -curé de Boubers ; Jacques
Morgant , de Fleury ; Auguste Quidet , de Bergueneuse ;
Célestin Deramecourt, de Beauvois , chez qui les gen-
darmes avaient trouvé des livres de messe, et entre les
nobles : Marie -Joseph d'Ostrel , Amélie de Trazégnies ,
veuve Croy , d'Erin , âgée de 81 ans , Boudart, de Cou-
turelle , Hubert Mallet , de Fiefs , aveugle , avec ses deux
sœurs Joséphine et Valentine , et ses frères Fortuné et
Valentin .

(1 ) Ont sigé : Legrand, H. Graux, Davelu, F. Hove, Balleul , Copin,


Prévost, L. Helle.
256 LA TERREUR

En apprenant, le 30 juillet, les événements qui


s'étaient passés à Paris les 9 et 10 thermidor , le Conseil
général de Montreuil songea immédiatement à donner
son concours à ceux qui avaient condamné Robes-
pierre et Le Bas . Se souvenant que ce dernier avait
des frères et des sœurs à Hesdin , avec lesquels il était
souvent en correspondance , il ordonna une enquête
chez Le Bas , magasinier d'Hesdi , chez le maître de
poste André et leurs amis , avec mise de leurs papiers
sous scellés . Prévost Le Bas de Montreuil reçut aussi
la visite du commissaire Brazier ; non seulement on ne
trouva rien de suspect chez lui , mais ce citoyen répon-
dit sur le champ « qu'il vouait les conjurés à l'exécra-
tion publique » .
Une adresse à la Convention , du même Conseil ,
commençait par ces mots : « L'Être suprême dont la
sagesse est constamment assise à vos côtés , a conjuré
cet orage terrible ; la France , que disons -nous ? l'uni-
vers vous devra son bonheur . A votre exemple , nous
veillerons au salut de nos frères .... »
Montreuil n'avait , du reste , pas attendu cette époque
pour manifester quelque velléité de justice et d'honnê-
teté. Dès le 25 juillet 1794 , son Comité de Sûreté
ordonnait la mise en liberté de François - Marie de
Partz et de Marie-Adélaïde de Lhost , sa femme , domi-
ciliés depuis longtemps à Willeman , où ils cultivaient ,
dit le rapport , cinquante à soixante journaux de terre .
Ils avaient été arrêtés sur l'avis du Conseil de Sur-
veillance de Willeman , comme ci - devant nobles et
conduits dans la maison d'arrêt d'Abbeville , place
Saint-Pierre .
Avec beaucoup d'autres , Simon Oblin , frère de
l'abbé de Dommartin , était également sorti des prisons
d'Abbeville .
Deux misérables geôliers , Nayez et Delbart , qui
avaient abusé de leur situation de directeurs de la
maison d'arrêt de Sainte -Austreberthe de Montreuil ,
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 257

pour se livrer à toutes sortes de tyrannies , de vexa-


tions et de concussions , et dont l'un , Nayez , avait
commis le crime odieux que nous avons dit , fu-
rent arrêtés et traduits devant le tribunal . La Société
populaire et le Conseil communal qui partageaient à
ce propos l'indignation du District, demandèrent éga-
lement une peine sévère contre le malheureux qui
avait osé déshonorer la République .
Ces protestations bruyantes n'empêchaient pas les
administrateurs du District de se préoccuper de faire
respecter le système décadaire . Ainsi , le 2 août, on
décida que le lendemain , dimanche , Charles Prévost
irait à travers champs à Saint - Denœux , Embry et
Loison , que Boidin irait de même à Campagne , Gouy et
Saint-André pour recueillir les ouvriers qui ne travail-
leraient pas , les emmener à la maison commune et les
instruire de leurs devoirs . Ils devaient également faire
arrêter « les meneurs du repos dominical » .
Quelques jours plus tard , le 20 août , plusieurs reli-
gieuses , mises provisoirement en liberté , furent appré-
hendées de nouveau , par ordre de Florent Guyot, pour
venir prêter le serment de liberté et d'égalité qu'elles
avaient refusé jusque -là . C'étaient : Anne -Josèphe et
Marie-Anne- Françoise Le Cucq , ex-religieuses de
Sainte-Austreberthe , demeurant à Beaumery , et Eli-
sabeth Moitié , du même couvent, demeurant à Cam-
pagne .
Catherine-Justine Duplessis , des Annonciades de
Boulogne , demeurant à Loison , et Jeanne Duflos
furent également décrétées d'arrestation , mais , cette
dernière étant malade , le Comité ordonne de l'amener
en voiture, un jour où elle n'aura pas la fièvre, à moins
qu'elle ne puisse être transportée sans danger . Par
contre , et le même jour , « Marie-Anne Nédonchel ,
veuve Tramecourt , de Tramecourt , arrêtée à Hesdin ,
qui a obtenu un certificat de bonne conduite de tous
les habitants de sa commune et que réclament le Con-
17
258 LA TERREUR

seil de Tramecourt et le Comité de surveillance de


Blangy, est mise en liberté . »
Enfin , le 25 août , Charles - François Crendalle , ex-
curé d'Attin , et incarcéré pour avoir encore dit la
messe , après avoir livré ses lettres de prêtrise , obtient la
liberté pour aller à Inxent aider son père à l'agriculture .
Louis Gomez est dans le même cas : il a continué
ses fonctions à Etréelles , après avoir livré ses lettres ,
mais son père le réclame à Recques ; il sort comme le
précédent de la maison d'arrêt de Saint- Saulve de
Montreuil .
Valentin Burette , ex-vicaire de Marles , qui a tou-
jours exercé l'agriculture , quitte , également Saint-
Saulve pour retourner à Sempy . , Tous ces prêtres
évidemment étaient des prêtres constitutionnels .
C'est ainsi que le District de Montreuil mêlait les
mesures de clémence aux mesures de rigueur , en res-
tant toutefois fidèle à l'esprit d'irréligion qui l'animait
d'abord .
A Boulogne , c'est l'agent national qui , le 31 juillet ,
fut averti le premier , par le directeur de la poste , des
grands événements qui venaient de s'accomplir à
Paris . Il prit sur lui d'arrêter la circulation de tous les
paquets qui venaient de la capitale , et fit convoquer
d'urgence l'administration du district pour aviser . On
lut d'abord le discours de Barrère et le récit des évé-
nements de Paris , dans le n° 707 du Messager du soir,
et le District déclara « qu'imperturbablement attaché
aux principes du gouvernement révolutionnaire et au
service du gouvernement central qui a sauvé la Répu-
blique , plein de confiance en la Convention , nul évé-
nement ne pourra le faire dévier de la marche que
cette assemblée lui trace . » Il se déclara ensuite en
permanence , réunit le peuple dans la salle de la So-
ciété populaire et , sur la proposition du citoyen Baret ,
prit quelques précautions pour surveiller la ville et
les côtes de la mer.
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 259

Le Conseil de la commune applaudit avec plus d'en-


thousiasme encore aux mesures prises par la Conven-
tion et une adresse au peuple de Paris, « ce peuple
grand , sublime » , qui renversait le lendemain les idoles
qu'il encensait la veille , porta jusqu'à la capitale l'ad-
miration du peuple boulonnais .
La clameur publique réclamait pourtant une ven-
geance immédiate et désignait pour victimes ceux qui
avaient tyrannisé Boulogne . L'ex-oratorien Cattaert fut
pourtant le seul terroriste arrêté pour le moment, en
attendant que le représentant Florent Guyot arrivât ,
le 22 août , pour réorganiser les administrations .
Cette réorganisation se fit le 28. Baret , Berquier-
Duhamel , Sainte - Beuve , Maxime Dupont de Beaupré ,
furent nommés membres du Directoire ; Dutertre devint
agent national , et Jacques Coilliot , maire de Boulogne.
Au tribunal, Mariette fut nommé président, et Grand-
sire père commissaire national .
Mais c'est Baret, président du Directoire , qui paraît
avoir été l'agent le plus actif de la réaction thermido-
rienne en même temps que de la persécution religieuse .
Le 12 septembre 1794 , il demande « que l'administra-
tion donne l'attention la plus sérieuse aux divers mou-
vements qui se manifestent en plusieurs endroits . Les
intrigants et les scélérats , que la vertu vient d'abattre ,
avaient fondé leur principal espoir sur le fanatisme .
Le sacerdoce met en œuvre tous les moyens de séduc-
tion ; un de ses principaux moyens est d'avancer que
l'Être suprême , dont on a cherché à faire connaître la
grandeur , était le Dieu de Robespierre , que Robes-
pierre étant tombé , son Dieu doit tomber avec lui. Ils
savent surtout tirer grand parti du décret qui , voulant
réprimer les violences exercées par les agitateurs , a
déclaré que ces violences étaient contraires à l'esprit
de la loi . » Il signale encore les agitations de Condette ,
de Rumilly, du Wast. A Condette , les principaux
meneurs sont les amis de Belle et Cattaert , le curé n'y
260 LA TERREUR

est pour rien. M. Baret s'est rendu de sa personne


dans cette commune , y a fait un discours contre les
fanatiques et une partie de la municipalité . Il montra
surtout <« combien les principes de la prétendue religion
catholique sont éloignés des principes du républica-
nisme , que des hommes ployés sous les préjugés de la
superstition ne pouvaient avoir cette noble fierté de
caractère qui fait le vrai républicain , et il a obtenu
d'eux qu'ils regrettassent unanimement leur conduite. »>
A Outreau, il a constaté que les charrues étaient
dehors , mais ce jour-là , jour de dimanche , aucun
ouvrier de ferme n'était à ses travaux ; la plupart de
ces ouvriers étant à jouer aux cartes dans un cabaret
du Portel . Il envoie le maire et un gendarme prendre
les noms de tous ces fainéants on en rapporte dix ;
les fermiers Jacques Moreau , Pierre Dausque , Pierre
Copin de la Salle , Antoine Davaux, sont les principaux
soutiens du fanatisme et de la superstition et il propose
quelques mesures à leur égard .
Il signale encore un colporteur de chansons et de
libelles qui court annoncer dans les campagnes que
les messes vont renaître et vend des livres de prières
qu'il appelait révolutionnaires . Notre confrère Gillet, dit-
il , lui a défendu de paraître à la foire de Fiennes . J.-B.
Baret propose alors certaines mesures ; c'est- à-dire
que deux administrateurs , accompagnés d'une force
armée imposante , se rendront dans les cantons soup-
çonnés de superstition , que ces deux administrateurs
prendront toutes les mesures de douceur et de sévérité
pour prévenir le mal , enjoindront à tout ministre du
culte catholique qui réside dans la commune où il a
exercé ses fonctions de se choisir un autre domicile ;
s'il était soupçonné d'avoir contribué à des demandes
indiscrètes , il devrait venir habiter à Boulogne.- Ces
administrateurs se feront escorter de la force armée
aux frais des communes pétitionnaires de prêtres .
On nomme à cet effet Berquier et Merlin .
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 261

Calais accueillit avec plus de sympathie encore que


Boulogne la nouvelle du coup d'État thermidorien .
Quand elle parvint au District , le 30 juillet , « un
membre parla de la grande conspiration ourdie par des
hypocrites au sein de l'Assemblée nationale et qui a
mis la liberté en danger. » La sagesse et l'énergie de
la Convention ont fait échouer cet infernal complot.
« Je demande , ajoute -t-il , que nous lui exprimions
notre reconnaissance dans l'adresse suivante :
« Un homme que l'étranger peut réclamer, qui n'est
plus de notre département , puisqu'il est traître , a eu
le projet insensé de maîtriser la Convention , de diri-
ger le bras de la justice révolutionnaire , de le déployer
ou de l'arrêter à son gré . Il a eu l'immoralité d'ôter à
l'accusé son défenseur et de n'environner l'innocence
que des formes de la terreur . Mais le plus grand de
ses crimes , celui qui les réunit tous , c'est d'avoir
aspiré à la souveraineté , d'avoir cherché à briser le
niveau de l'égalité et à s'élever un instant comme un
roi de théâtre au-dessus des citoyens . Le plus grand
de ses crimes c'est d'avoir attaqué les lois nationales...
« Voilà un tyran , mais il a des complices . Attei-
gnez donc tous les coupables . Que la foudre populaire ,
dont ils ont voulu s'emparer , les consume eux- mêmes .
Ils ne lui ont dérobé que quelques étincelles , elle reste
entre vos mains . Frappez-les , même avant de recher-
cher les causes de leur conjuration : le voyageur qui
rencontre un monstre prêt à le dévorer ne l'analyse
point : il l'extermine .
<< Manlius aussi avait servi sa patrie , cependant
Manlius fut condamné .
« Il faut que le Cromwell français soit aussi préci-
pité du Capitole . » Adopté à l'unanimité ( 1) .

(1) Bernard-Lagrave, Michaud , Croichet, Risenthel, Campion , Hamy,


Parent-Réal , Woillez l'aîné , Lefebvre, Hermet, Simonis, agent natio-
nal, Dereudre et Georget.
262 LA TERREUR

Il est à croire que, malgré ces dithyrambes en l'hon-


neur de la réaction , le District de Calais n'osa cepen-
dant pas prendre de sérieuses mesures de liberté en
faveur de ses détenus , puisque , le 14 août , il formulait
à l'administration centrale des plaintes amères contre
ses prisons , où sont entassés pêle-mêle , dit-il , des fous
et des criminels de toute sorte . Il serait au moins
juste , ajoute -t-il , que le nouveau gouvernement répa-
rât les fautes de l'ancien , et surtout qu'il isolât les fous
à la campagne .
Le District de Saint- Omer , à l'annonce des événe-
ments qui venaient de se passer à la Convention , ne
marchanda pas plus que les autres une adhésion abso-
lue. Il chargea deux de ses membres , Coffin et Tur-
lure , de rédiger l'adresse de félicitation , qui fut envoyée
à Paris le 1er août . On y lit cette phrase : « Si la
gloire du pilote augmente en proportion des dangers
qu'il sait éviter , la tienne est immortelle, Convention
nationale ! >>>
Suivent des malédictions contre les scélérats qui ,
le doux nom de liberté à la bouche , aspiraient au pou-
voir suprême , et des protestations de dévouement.
Deux jours plus tard , le Conseil général et le Comité
de surveillance suivaient l'exemple du District et
adressaient leurs félicitations à la Convention . Tur-
lure , néanmoins , ne sauva pas sa situation , compro-
mise surtout par l'arrestation de Le Bon . Le 25 août ,
il comparut devant Florent Guyot à la Société popu-
laire , où l'on déclara qu'il avait perdu la confiance du
peuple . Dupuis fut enveloppé dans la même disgrâce
et tous les deux furent mis en arrestation .
Béthune , plus que tout autre district , à l'exception
d'Arras , avait manifesté ses admiratives sympathies
pour Maximilien Robespierre . Le 2 avril , ses adminis-
trateurs avaient même envoyé à tous leurs concitoyens
un panégyrique en forme de « cet incorruptible légis-
lateur , ami constant et du peuple et de la liberté ,
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 263 .

austère dans ses mœurs , combattant à chaque pas la


tyrannie , méprisant la calomnie , défendant les pa-
triotes sur qui les âmes basses et les reptiles fangeux
se plaisent à diriger leurs traits envenimés . » Quatre
mois plus tard , le même District ne craignait pas de se
ranger parmi « les âmes basses et les reptiles fan-
geux » en s'attaquant à son tour à son idole renversée .
Le 30 juillet, après le compte -rendu de la journée du
9 thermidor, un membre proposa une adresse à la
Convention « pour la féliciter de son attitude fière et
républicaine et des mesures qu'elle avait prises pour
déjouer les complots de Robespierre et de ses com-
plices . » Cette proposition fut acceptée à l'unanimité
et l'adresse envoyée .
Plus tard , quand il s'agit de rechercher les partisans
de Robespierre et de Le Bon , aucun district ne les
caractérisa même avec plus de sévérité que celui de
Béthune . Ainsi , lorsque dans une séance particulière du
30 mai 1795 , composée de Dupire , Leducq , Thuillier ,
Taffin , Chevalier et Menche , procureur syndic , un
membre proposa de s'occuper de la rédaction des
motifs qui avaient déterminé l'administration à faire
désarmer plusieurs citoyens de Béthune , prévenus
d'avoir participé aux horreurs criminelles sous la ty-
rannie qui a précédé le neuf thermidor , voici de quelle
façon furent notés les principaux terroristes :
<< Pascal Berquin , boucher , vociférateur furibond ;
aux séances de la Société populaire de Béthune ,
provoqua et appuya tous les projets de persécution ,
toujours de l'avis des membres les plus sanguinaires
de la Société. Lors de l'envoi au tribunal révolution-
naire de Paris des 57 détenus qui ont été mis en li-
berté par le Comité de sûreté générale , il les abreuva
d'outrages . Afin de les exposer aux regards du public
et aux huées de quelques forcenés que l'on avait ap-
postés exprès , il fit découvrir les voitures qui les trans-
portaient ; il manifesta une joie cruelle de les voir tra-
264 LA TERREUR

verser les villes de Béthune et d'Arras par un temps


froid et une pluic violente qui pouvaient causer la
mort à des octogénaires et à des femmes encore ma-
lades de leurs couches récentes , à des personnes af-
faiblies enfin par la rigueur d'une longue et injuste
détention .
<< Culo , cabaretier , partisan outré du système popu-
licide qui a régné en France avant le neuf thermidor ;
il ne se démentit point après cette époque , il appuya
l'adresse liberticide des terroristes de Dijon , il prit la
plus grande part à la rédaction de l'adresse calom-
nieuse de quelques meneurs de la Société populaire
de Béthune. Tout le monde est encore indigné des
imprécations terrifiques qu'il a vomies à la Société
populaire même, depuis le neuf thermidor.
<< Lenglet, peintre , membre du Comité révolution-
naire de Béthune , destitué par Berlier; il fut un des
agents les plus actifs du système de terreur qu'il cher-
cha à perpétuer lorsqu'il fut aboli le neuf thermidor ;
il se comporta d'une manière atroce à l'égard des
malheureux détenus qui étaient sous sa surveillance
immédiate , on lui impute des infidélités dans l'exercice
de ses fonctions ; il est toujours certain qu'il est cou-
pable de grandes négligences qui ont privé les détenus
d'effets précieux qui ne se sont plus retrouvés lors de
leur mise en liberté.
<< Rochez , serrurier , membre de l'ancien Comité
révolutionnaire destitué par Berlier ; zélé partisan du
système de la terreur , homme aussi grossier que fé-
roce , qui a abusé de son autorité pour aggraver le
sort des malheureux détenus destinés à être les victi-
mes du tribunal sanguinaire du tigre Le Bon ; il n'y
a pas de genre d'oppression qu'on ne puisse lui repro-
cher , sa brutalité est extrême , c'est un homme dange-
reux sous tous les rapports , opiniâtre , emporté , capa-
ble de tous les excès .
« Fardel, ex-prêtre , ex-membre du comité révolu-
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 265

tionnaire de Béthune , destitué par Berlier. Dès avant


la Révolution , il a développé à ses concitoyens les
principes de l'athéïsme lors de l'établissement du
clergé constitutionnel ; il a couru la carrière de la
prêtrise en continuant de manifester hautement ses
premières opinions ; lorsque cette fonction est devenue
suspecte il l'a abdiquée ; il est venu se réunir aux ter-
roristes de Béthune , pour exercer à la Société le vil
métier de délateur . Cet homme est tellement attaché
au régime sanguinaire qui a désolé la France que , de-
puis le neuf thermidor , il a dit publiquement , en par-
lant des cinquante-sept malheureux détenus qu'on avait
adressés à Fouquier-Tinville pour les immoler , qu'ils
méritaient tous la mort , quoiqu'il ne pût alléguer au-
cun fait à leur charge et qu'il n'ignorât pas qu'ils
devaient leur liberté à la justice de la Convention .
<< Beugniez, ex-secrétaire du District de Béthune.
Ex-juré du tribunal monstrueux du tigre Le Bon , il
s'est conduit avec une perfidie digne de ce cannibale .
Il n'y a pas eu un détenu qu'il n'ait désigné au peuple
et à son maître Lebon sous les couleurs les plus
odieuses . Dénonciateur infatigable , il a répandu sur
la plupart de ses concitoyens le poison de la calomnie .
Pour tout dire enfin , il était le confident intime de
l'exécuteur des projets sanguinaires de Le Roux , de
cet homme qui couvrit de désolation et de mort la sur-
face de ce district , il fut son confident secret et il exé-
cuta ses divers rôles avec toute l'atrocité qui caracté-
rise les homme qui l'employaient .
<< Pinchon, cabaretier , ex-membre du Comité révolu-
tionnaire destitué par Berlier ; il a manifesté quoique
d'une manière moins frappante qu'il partageait les
principes sanguinaires de plusieurs de ses collègues ;
il n'y a point de faits graves à sa charge , son caractère
violent a provoqué la mesure qui lui a été appliquée .
<< Charles Flament , marchand de vin au détail ;
dénonciateur sans preuves , il a participé à toutes
266 LA TERREUR

les horreurs qui ont découlé de la Société popu-


laire . Homme immoral , ayant toujours eu des rela-
tions intimes avec les buveurs de sang , ses dignes
compagnons de débauches , notamment avec le nommé
Duhaupas , juré du tribunal de l'infâme Le Bon ,
traduit pardevant les tribunaux criminels pour ses
excès.
<< Labitte , fripier , ex-membre du Comité révolution-
naire , remplacé ou plutôt destitué par Berlier , pour
avoir pris une part très active dans les actes arbitraires
du Comité ; il est dans le cas de la loi du cinq ventôse .
<< Hannicotte , cultivateur ; partisan du système de
la Terreur, il appuya sans motif la plupart des dé-
nonciations ; il a fait parade d'ingratitude envers ceux
de qui il avait reçu des bienfaits ; homme grossier qui
s'est répandu en injures contre les victimes des agents
de Robespierre lorsqu'il présidait la Société populaire ;
il s'est si attaché aux principes de ces scélérats , qu'il
manifeste publiquement de la joie de son désarme-
ment et il se flatte que cette mesure de sûreté lui vaut
à l'égard de ses anciens camarades un certificat de ci-
visme .
« Gremelle , charcutier; concierge de la maison de
détention, il a abusé de l'inspection que cette place lui
donnait sur les détenus pour les molester de la manière
la plus cruelle ; il n'y a point d'expression pour pein-
dre les atrocités de tous les genres qu'il leur a fait es-
suyer. C'est un homme immoral et d'une brutalité
sans exemple . »
Ce factum fut adopté et signé par tous les membres
de la Société populaire de Béthune . Il ne faut pas
oublier que la Société qui trouvait ces expressions
pour qualifier les partisans de Le Bon et appelait
le club des jacobins « une caverne » , était pourtant
composée des mêmes membres qui applaudissaient le
représentant en mission , quelques semaines auparavant.
Ajoutons, à leur décharge , qu'ils avaient certainement
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 267

moins d'efforts à faire dans le second cas que dans le


premier.
A Bapaume enfin , comme ailleurs et peut-être plus ,
on applaudit sans réserve à la réaction thermidorienne .
Les administrateurs du district ne prirent même pas
la peine de dissimuler leur satisfaction sous le voile
ordinaire des formules banales et patriotiques .
<< Robespierre le tyran , écrivaient-ils à la Conven-
tion , Robespierre qui n'avait pas le génie révolution-
naire de la vertu , mais celui de l'ambition , a été sup-
plicié, et c'est sur son tombeau que nous jurons ana-
thème contre ces individus qui ne font de leur civisme
que la base d'un trône qu'ils érigent à leur orgueil ... »
Le Comité de surveillance fut court et énergique .
«< Aux citoyens représentants , le deuil de la liberté est
<
fini ; son tyran vient de payer de sa tête ses forfaits ;
la République est plus que jamais triomphante. >>
Cette satisfaction devait au plus tôt se traduire par
des actes . Les trois principaux agents de la Terreur
à Bapaume , Demuliez , Remy et Théry , furent incar-
cérés. En revanche les prisons s'ouvrirent, mais avec
une certaine réserve , pour les détenus dont le fana-
tisme n'était pas le crime principal . Car le directoire
du district de Bapaume prenait ses mesures , le 10 sep-
tembre 1794 , pour notifier à ses administrés qu' « il
continuerait à poursuivre tous les agitateurs fanatiques
qui tenteraient à égarer les bons citoyens » et démen-
tait le bruit que les décades n'existaient plus parce
qu'elles étaient l'ouvrage du tyran Robespierre .
Le Bon n'était pas plus épargné que Robespierre
dans les récriminations tardives des habitants de Ba-
paume . En félicitant la Convention d'avoir rappelé
dans son sein les soixante-treize Girondins qu'elle en
avait exclus après l'adresse du 31 mai , et d'avoir mis
Le Bon en accusation , la Société populaire Bapal-
moise écrivait : « Il y avait longtemps que nous voyions
avec horreur le culte forcé que la Terreur avait établi
268 LA TERREUR

en mémoire de l'infâme journée du 15 mai et la nais-


sance du terrorisme . »

§ 3. - Guffroy et Duquesnoy contre Le Bon.

Guffroy mène la campagne contre Le Bon à Paris et à Arras. - Sa


lettre à ses concitoyens. - Le District et la Société populaire lui
obéissent. - Lettre de Duponchel . LAN Les prisons d'Arras s'ouvrent.
Nouvelle administration. Administration de Bapaume.
Anciens religieux dans le district de Saint-Pol . L'église de Pernes
dépouillée. Retour des terroristes de Saint-Pol.- On les arrête. —
Incendie du District. --- Agitation .

Ce n'était pourtant pas assez d'applaudir au triom-


phe d'un parti sur un autre dans la Convention ; il
fallait profiter de cette victoire . La paix religieuse
n'était pas le but que les adversaires de Robespierre
et de Le Bon avaient en vue , et le nom de Guffroy
parmi les vainqueurs suffit pour détromper ceux-là
mêmes qui se seraient fait quelque illusion à ce propos .
Or, Guffroy n'était pas seulement à Paris l'impla-
cable ennemi de Le Bon , il était encore à Arras le
guide et l'inspirateur de plus en plus écouté de la
réaction thermidorienne .
Voici ce qu'il écrivait à ses concitoyens dans ce
style ardent et incorrect que nos lecteurs lui connais-
sent , pour leur faire apprécier le bienfait de la déli-
vrance et leur tracer pour l'avenir une ligne de con-
duite .
<< L'aurore de l'espérance et du bonheur , dit-il ,
commence à luire pour les Français ; chaque citoyen
sent son âme se dilater , à mesure que les événements
se succèdent ; la poitrine physiquement moins oppres-
sée , laisse aux citoyens égarés , faibles ou timides , le
sentiment consolateur qu'il ne verra plus renaître les
horreurs dont ils ont été les victimes ou les témoins .
<«< Jamais conspiration contre la liberté publique ne
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 269

fut mieux prouvée que celle des Robespierre , Saint-


Just, Lebas , Le Bon , Duquesnoy et plusieurs autres
encore qui seront bientôt démasqués, que je ne nomme
pas, mais que toute la France peut connoître et dési-
gner à l'opinion publique comme complices de cette
trame horrible qui nous menoit tous à la servitude par
la guerre civile que les penseurs voyoient s'avancer de
toutes parts .
« Ces hommes exécrables croyoient que le silence
de la généralité des membres de la Convention , que le
silence des François en général étoit la figure de
l'approbation de leur conduite , mais ils se trompoient.
<< Dans la Convention , des hommes énergiques se
conjuroient pour attirer le dominateur ; il falloit bien
se taire pour le saisir et ses complices , au moment où
il auroit essayé ouvertement sa puissance , et l'immo-
ler.
« Vous sçavez à présent la conjuration dont j'étois ;
mais sans nous être concertés , il y avoit bien un plus
grand nombre de conjurés qui avoient formé la réso-
lution d'immoler ce tyran et ses complices en pleine
séance de la Convention . Beaucoup de membres qu'on
a trop longtemps rendus nuls , en les avilissant par les
dénominations de côté droit , de crapauds du marais ,
d'hommes d'État, de modérés , d'indulgents, d'alar-
mistes , ont montré une énergie plus prononcée que
certains prétendus montagnards , qui n'étoient et ne
sont encore que les suppôts du tyran Robespierre ;
mais je peux vous dire que je sçais à n'en pas douter,
que plus de cent d'entre eux et nous , auroient immolé
le tyran ; ils l'avoient signalé avant nous , car jamais ils
ne lui avoient accordé de confiance . Parmi les tyran-
nicides décidés , je peux nommer Cambon qui n'auroit
pas manqué son coup ; Calé , un de mes amis , Del-
mas , militaire qui ne manqua jamais une tête à 20 pas ,
et qui êtoit le 9 thermidor , à 3 pieds de Robespierre ,
en un mot :
270 LA TERREUR

« Le peuple françois peut être sûr qu'il est digne-


ment représenté , et que ceux de ses représentants qui
n'auroient pas eu l'idée de venger eux - mêmes la
liberté et la nature outragées , ont eu le courage una-
nime de l'envoyer à la mort . Les exceptions sont bien
peu nombreuses . »
Essayant ensuite , dans un esprit vraiment politique ,
d'élargir les cadres des serviteurs du nouveau pou-
voir, il appelle ses concitoyens à ouvrir leurs rangs
pour y recevoir ces nouveaux frères .
« Il faut être justes, et admettre dans les Sociétés
nos frères, quelque opinion qu'ils aient eue sous le ré-
gime royal et monarchique ; car je le répéterai jusqu'à
la satiété , si on chassoit de la France tous ceux qui ,
il y a deux ans , préféroient le régime monarchique au
régime républicain , la France deviendroit la propriété
de cinq ou six individus au plus , que dis -je , il n'y aurait
aucun individu digne de composer cette République .
<< Remarquons bien quels sont ceux qui , aujourd'hui ,
veulent suivre et faire adopter ces opinions extrava-
gantes et exagérées : ce sont des hommes qui détes-
tèrent la Révolution dans son principe , ce sont des
hommes qui se sont engraissés aux abus de la Révo-
lution , ce sont des hommes qui n'ont aucune idée de
sociabilité , ce sont des égoïstes ambitieux de places et
d'argent, ce sont des brigands de l'ancien régime , ce
sont des hommes corrompus , vils , immoraux , ce sont
des époux infidèles , de mauvais fils , des femmes
publiques ou peu s'en faut .
<< Mais quels sont, au contraire , ceux qu'il faut dis-
tinguer comme les vrais amis du peuple , ce sont ceux
qui ont voulu que la Révolution nous amène le plus
tôt possible au bonheur , qui , en prenant des mesures
vigoureuses et même rigoureuses , ont voulu qu'elles
fussent toujours conformes aux lois de la justice éter-
nelle , ce sont ceux qui , toujours ennemis des vices et
des vicieux , des crimes et des criminels , n'ont pas
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 271

attendu l'établissement de la République pour exercer


les vertus républicaines par la bienfaisance et la jus-
tice de leur conduite .
« Voilà les révolutionnaires que j'aime ; je ne con-
nais moi de vrai révolutionnaire que l'homme juste .
<< Gardons-nous donc bien , pour rétablir l'harmonie ,
de prendre pour base l'exagération . L'harmonie en
musique est un composé de sons différents , mais qui
s'accordent ; l'harmonie sociale est devenue un tout , -
une société d'hommes qui , tous , ont le même but , le
bonheur, et qui par la diversité d'opinion , ou seule-
ment par la diversité d'expression , concourt à préparer ,
à consolider la félicité commune .
« La société , comme un banquet civique , se com-
pose de divers élémens ; s'ils étaient tous acides ou
tous fades , s'ils étaient tous épicés de même manière ,
il n'y aurait plus d'ordre . Concitoyens , il est aussi
absurde de vouloir que nos frères aient toujours pensé
comme nous pensons à présent, qu'il serait ridicule et
absurde de vouloir que toutes les figures se ressem-.
blent . A-t-on jamais vu le grenadier courageux qui
monte le premier sur la brèche , insulter au courage
de ceux qui entrent les derniers dans une ville où il a
le premier planté l'étendard de la liberté ?
« Chers concitoyens , défiez -vous de ces hommes
qui voudraient obstinément écarter ceux qui n'ont pas
toujours marché sur la première ligne de la Révolu-
tion . Si l'on pouvait faire cette distinction odieuse et
injuste , j'aurais donc le droit de dire , moi , qu'il n'y a
personne à Arras digne d'être de la Société républi-
caine , parce que j'ai été le premier et longtemps le
seul champion de la République ; je serois un insensé ,
un homme punissable même si j'étois assez extrava-
gant pour avoir une semblable pensée .
<< Concitoyens , tenez-vous donc en garde contre
tous ceux qui voudroient maintenir ces distinctions
antisociales . Un dernier mot va suffire pour vous
272 LA TERREUR

déterminer à rejeter cette rigidité prétendue républi-


caine . L'adopter , ce serait suivre le système de divi-
sion qu'a si savamment maintenu Robespierre dans
toute la République , ce serait donner prise à de nou-
veaux intriguants . Nous avons à la Convention quinze
ou vingt têtes brûlées d'ambition , et soufflées de leur
nullité clabaudière; mais la masse de la Convention
les observe , et le sentiment universel qui domine n'est
pas de les réprimer ni de les punir, mais de leur infli-
ger un supplice bien plus digne d'une assemblée
d'hommes libres . Ce supplice sera de supprimer leurs
clameurs par la plus fraternelle union , ce supplice sera
de précipiter ces êtres pleins de vent dans l'antre de
leur nullité profonde et de les y laisser aux prises avec
leur orgueil abattu .
<< Concitoyens , il faut que la sagesse et la justice
soient nos guides . Suivez en tout la Convention natio-
nale dans les instants où fidèle aux principes , elle
les a fait unanimement triompher. Ce n'est qu'alors
qu'elle fut grande , ce n'est qu'ainsi qu'elle conservera
l'estime de la nation . En un instant, au plus en un
jour et une nuit, elle a détruit la conspiration la mieux
prononcée qui ait existé depuis la Révolution , mais
elle doit se borner et elle se bornera à frapper les chefs
de cet audacieux complot, elle se bornera à frapper
les complices principaux et avoués de ces scélérats .
<< Ah ! si , semblables aux sombres amis du noir
Robespierre , nous voulions exercer une vengeance ,
pourtant légitime et juste , comme les complices de ce
grand scélérat, nous ferions périr sur l'échafaud deux
cent mille François . Vous le savez tous , il n'y a pas un
seul comité révolutionnaire dans la République , il n'y
a pas une seule Société populaire , il n'y a pas un seul
département , pas un seul District, pas une seule
municipalité qui ne compte ses Darthé, ses Carlier ,
etc. >>
Fidèles à ces instructions, les membres du District et
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 273

de la Société populaire faisaient rigoureusement le


procès des amis de Robespierre et de Le Bon , sous
l'influence des représentants Florent Guyot et Duques-
noy.
Ce dernier , à qui les palinodies ne coûtaient rien , ce
semble , se rendit même , le 6 août, dans le lieu d'assem-
blée des citoyens de la commune d'Arras où étaient
réunis , en vertu de ses ordres , la Société populaire et
tout le peuple de la commune .
Là , dit le procès -verbal même de la réunion , qu'il a
« il somma , au nom de la patrie , les
écrit de sa main , <
membres de ladite Société ainsi que le peuple , de lui
dénoncer les complices de Robespierre et autres cons-
pirateurs et intrigants qu'ils pourraient connaître .
Aussitôt, Daillet , président du tribunal criminel près le
District d'Arras et président du tribunal révolution-
naire de Cambrai , fut dénoncé à l'unanimité pour être
un partisan des Robespierre et avoir fait leur apologie
quoique la trahison qu'ils ont commise fût connue. Le
peuple dénonça ensuite Caubrière , administrateur du
département du Pas - de - Calais , et accusateur public
près le tribunal de Cambrai , pour un homme sangui-
naire et un intrigant ; Carlier , membre du Comité de
Surveillance de ladite commune pour être un despote
et pour avoir manqué gravement aux représentants du
peuple , Laurent et Le Bon, lors de leur mission en
ladite commune , et Jouy, membre du même Comité
de Surveillance pour avoir dit publiquement que le
représentant du peuple Guffroy était un scélérat et
pour avoir quitté son poste à l'armée pour venir intri-
guer à Arras .
« Vu les dénonciations graves et unanimes contre les
quatre individus ci - dessus reprises , arrête qu'ils seront
mis sur le champ en arrestation , les scellés mis sur
leurs papiers et le Comité de Surveillance chargé de
l'exécution du présent arrêté , et de recevoir toutes les
dénonciations à la charge des susnommés pour les faire
18
274 LA TERREUR

passer au Comité de Sûreté générale . Arras , le 29 ther-


midor. Duquesnoy. » Le maire de la ville , le trop
célèbre Duponchel , voulut se joindre à Duquesnoy
pour cette enquête contre ses anciens complices .
Il faut citer encore , avec les fantaisies d'orthographe
dont il était coutumier , la lettre même de cet ancien
valet, scrupuleusement transcrite de l'autographe
même des Archives :
« Je soussigné Jacque-Philippe Duponchel , maire
de la commune d'Arras , sertifi à tous qu'il apartiendra
que le 17 thermidor , dans la séance de la Société po-
pulaire , le citoyen Dallier , président du tribunal cri-
minel et président de la ditte Société , avais remis sur
le bureau une lettre du représentant du peuple Le
Cuiniaux , qu'il lui était a dressé en sa calité de
président qui demandé des rensennement sur la con-
duite privé et la nesance des deux Robespierre , ledit
Dallier a dit qu'il falais parler avec franchise et si les
Robespierre avest des vertu il falais le dire et s'il avais
des vise il falais aussi le dire , que pour lui il déclare
les avoir toujour connu vertueux , pauvre , que si lon
le traduisais révolutionnaire a moin que lon le mettre
hor de la lois , il parlerait ; au reste , il avais aser vecu
et que si les Robespierre lavait trompé , il avait drois
plus que toute autre de desendre dans leur tombe pour
ennarracher leur reste , et moi déclarant est fait con-
voquer la Société le lendemain pour ledit Daller être
sommé des lepliquer sur les espresion de la velle .
Ledit Dallier a fait dire à la Société qu'il ne pouvait
pas quitter le tribunal le jour- là , mais que tout autre
jour il viendrait satisfaire la Société et le jourdhui il
seplica en présence du représentant Duquenoi . Ce que
je sertifi sincère et véritable . Arras , le 19thermidor .
Duponchel. >>
Le jour même où s'écrivaient de pareilles lettres
et où se prenaient ces décisions , Daillet , Caubrière ,
Carlier et Jouy étaient enfermés aux Baudets par ordre
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 275

de Florent Guyot et Duquesnoy. Deux jours après , le


8 août, ils étaient conduits sous escorte à Paris . Du-
quesnoy , cependant , n'avait rien perdu de ses passions
révolutionnaires. S'il faisait incarcérer les prétendus
complices de ses anciens amis , il ne permettait pas
qu'on relâchât leurs victimes .
Aussi datait-il d'Arras , le 17 thermidor (6 août), un
arrêté ainsi conçu :
<< Au nom de la République française , le représen-
tant du peuple Duquesnoy , informé que par malveil-
lance ou par une fausse interprétation de la loi du 21
messidor dernier, plusieurs Comités de surveillance
de chef-lieux de district et de canton , ont mis en liberté
un grand nombre de cultivateurs prévenus de propos ,
actions et délits contre -révolutionnaires , notamment
dans les districts d'Arras, Bapaume , Saint- Pol , Calais
et Saint-Omer ;
«< Considérant qu'il serait dangereux et injuste de
laisser en liberté des hommes qui n'ont , depuis le com-
mencement de la Révolution , fait qu'égarer et aristo-
cratiser le bon peuple des communes qu'ils habitent ,
que , depuis que ces hommes pervers étaient détenus ,
le peuple de ces mêmes communes commençait déjà
à revenir de l'erreur dans laquelle ces , aristocrates et
égoïstes l'avaient plongé ;
« Arrête que ceux desdits cultivateurs mis mal à
propos en liberté seront sur le champ réincarcérés et
jugés par les tribunaux qui devront en connaître .
Charge l'administration du département du Pas- de-
Calais de faire passer copie du présent arrêté à toutes
les administrations de district de son ressort ;
<< Charge , en outre , les agents nationaux, près
chaque district , de l'exécution du présent arrêté . —
Duquesnoy. >>
Cette tentative de retour aux mesures du terrorisme
n'eut heureusement pas de suites . Elle fut seulement
funeste à son auteur , et les idées d'apaisement que
276 LA TERREUR

représentaient Florent Guyot et Berlier l'emportèrent .


Le 18 août, un nouveau convoi de terroristes fut dirigé
sur Paris ; il se composait de Darthé , Célestin Lefetz et
son frère , Taffin-Bruyant , Galand , Duponchel , Lefeb-
vre , Gamot , Varnier , Caron et Ansart. En passant à
Bapaume , on prit un chariot de relai et on ajouta Remy.
Dans les journées du 19 et du 20 août, les prisons
d'Arras s'ouvrirent , d'autre part , à un grand nombre
de détenus et le Comité de surveillance écrivit à Flo-
rent Guyot « Nous sommes empressés de leur faire
sentir combien était chère la liberté après laquelle ils
soupiraient depuis longtemps . Convaincus de ton hu-
manité , nous sommes sûrs que tu approuveras notre
conduite . »
>
C'est également à la fin d'août et au commencement
de septembre que Guyot et Berlier réorganisèrent les
diverses administrations du Département . Ils eurent
soin de choisir les nouveaux administrateurs parmi
les hommes qui avaient donné des garanties sérieuses
à la Révolution , mais qui s'étaient arrêtés devant les
excès de la Terreur. On les avait choisis , si l'on peut
s'exprimer ainsi , parmi les jacobins modérés .
Ainsi Goudemetz devenait président du district
d'Arras , avec Leroy , Billion , Deleville et Cornille pour
membres du directoire , Lenglet pour agent national ,
Barbet pour adjoint . Norman avait trouvé moyen de
rester secrétaire . Le maire d'Arras était Danten . Parii
les membres du Comité révolutionnaire , il faut nom-
mer Gabriel Le Blond , Saint- Remy et Boizard , dont
les démêlés avec Le Bon sont connus .
Au Département , Berlier , le 1er septembre , nomma
Merlin président , Bertin Dutel , Coillot , Leducq et
Prévost. Lefebvre- Cayet fut choisi pour secrétaire
général . L'union la plus intime avec la Convention
nationale et la haine aux tyrans , sous quelque nom
qu'ils se puissent cacher , fut le signe de ralliement de
toutes les administrations d'Arras .
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 277

Elles n'en eurent pas d'autres dans les divers dis-


tricts du Département .
Bapaume eut pour président de son administration
l'ancien maire Carion ; Lefebvre , Baudouin , Boutry et
Hubert composèrent le directoire . L'agent national.
fut Pajot de Berly , et le secrétaire Croisille . Le maire
fut Déprez et les juges de son tribunal Férot , prési-
dent, Betancourt , Pajot-Crémon , Guilmot et Théry ,
l'ex-agent national du district .
A Saint- Pol , et dans son district , le choix de Berlier
amena, parmi les administrateurs , un certain nombre.
d'anciens prêtres ou religieux . Duflos reprit ses fonc-
tions d'agent national ; Valentin Debret devint maire.
de la ville avec Isidore Celers pour officier municipal
et Isidore Dubail pour notable . Notons encore parmi
les municipaux signalés tous sur les registres comme
anciens curés ou anciens religieux à Avesnes , Henri
Lechon ; à Wavrans , Wallart ; à Frévent , le maire
Philippe -Antoine Cocquerelle ; à Heuchin , Turlutte ; à

Valhuon , Gottrand et Boudailliez, et à Sombrin , Louis-
Joseph Pette (1) .
Le nouveau Comité de surveillance de Pernes , ins-
tallé le 18 janvier 1795 , avait Dereux pour président
et Etienne Bourgois pour secrétaire . Quelques jours
après son installation , le 30 janvier , il mettait à l'en-
can ce qui restait des vêtements sacerdotaux et déci-
dait d'abattre la croix du clocher pour y substituer une
bannière tricolore ; il faisait vendre également les
statues des saints .
On voit, par cet exemple , ce que les catholiques
pouvaient attendre de ces nouveaux administrateurs .
Le Comité révolutionnaire de Saint- Pol , réorganisé
par Berlier , sur les indications de Duflos , avait pour-
tant d'autres soucis que celui de continuer la persécu-
tion religieuse . Malgré les instances de Guffroy et les

(1) Archives départementales , district de Saint-Pol , l . 112 .


278 LA TERREUR

voyages du maire Debret à Paris , le procès des par-


tisans de Le Bon à Saint-Pol n'aboutissait pas à une
condamnation . Le 7 décembre 1794 , Guffroy dut
même annoncer que ces terroristes étaient mis en li-
berté .
« Ils arrivèrent , en effet, dit le registre du Comité , le
9 décembre , au milieu de la rumeur publique , de l'in-
dignation de la municipalité et du Comité , qui , pendant
la nuit , décida de les réincarcérer immédiatement .
Un citoyen Cahieux est allé au devant d'eux , mais la
gendarmerie a reçu des ordres ; elle est partie pour les
arrêter sur le chemin de Frévent ; vingt hommes de
la garde nationale sont sur pied pour les recevoir .
<< Joseph Flament et Miennéearrivent les premiers :
enfermés . Hénin et Ricmaisnil arrivent à 8 heures du
soir enfermés .
« Le 10 décembre , vers 11 heures , on annonce
qu'Amable Flament est arrivé chez lui ; à cette nou-
velle , des murmures se font entendre de toutes parts
dans la commune et au dehors et on le fait arrêter
par un piquet de garde nationale . Le bruit se répand
aussi que les autres , Flament , Hénin , Ricmaisnil ,
Miennée et Darthé , ne sont sortis de prison à Paris
que par supercherie, partout on les traite de dépréda-
teurs et d'hommes sanguinaires . >>
Force fut pourtant de les mettre en liberté , le 11
décembre ; mais alors , à la commune , on propose de
les faire partir le plus tôt possible pour Arras ; le
Comité s'exécute . « Considérant que les parents et
amis de ces individus sont assez influents pour faire
craindre des émeutes , et que d'un autre côté l'effer-
vescence qui se manifesta de la part d'un grand
nombre de citoyens qui ont souffert dans leur personne
ou dans celle de leurs proches de la tyrannie des indi-
vidus arrêtés font craindre une réaction qui pourrait
être terrible ; considérant , enfin , que la maison d'arrêt
de Saint- Pol est peu sûre et la force armée peu consi-
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 279

dérable , le Comité décide d'envoyer à Arras Joseph


Flament , Amable Flament, Miennée , Hénin et Ric-
maisnil. » Le lendemain , à 7 heures , ils passent sous
la garde de la gendarmerie escortés de 25 hommes de
la garde nationale .
Sur ces entrefaites , et pendant qu'on lui dénonçait
à Frévent Charles Detœuf et Décalogne comme amis
des terroristes , à Valhuon , Boudailliez , Louis Toursel
et Harduin comme amis des fanatiques , le 16 janvier
1795 , le feu éclata tout à coup dans les bâtiments du
District. L'incendie dura de deux heures à huit heures
du soir et il ne resta debout que le quartier où étaient
les bureaux des émigrés , de l'agence , de la présidence
et du secrétariat . Les bureaux des domaines nationaux
et des subsistances perdirent tous leurs papiers .
Comme le bruit s'était répandu le lendemain que cet
incendie était le résultat de la malveillance , on fit une
enquête . Elle n'aboutit qu'à faire constater que dans
le bureau des domaines nationaux le plancher était
fort proche de la cheminée.
Un peu plus tard , l'agitation en faveur des terro-
ristes reprit de plus belle ; elle se propagea même
dans les campagnes , et , avant de fermer ses registres ,
le Comité constate que plusieurs réunions occultes
avaient eu lieu , rue des Carmes , dans le cabaret de
Charles Dacheux , ancien directeur de la maison de
détention. Dans un autre cabaret, chez Louis Hove ,
Lamoral Vasseur aurait même dit : « Je ne serai satis-
fait que lorsque j'aurai roué de coups de bâton Gou-
demetz , Duflos et Willerval. »
Pour s'expliquer ces retours du parti terroriste , il ne
faut pas oublier que Saint - Pol était le centre de la
famille de Le Bon et que cette agitation pouvait ser-
vir les intérêts du prisonnier de la Convention .
280 LA TERREUR

§ 4. - Procès et exécution de Joseph Le Bon.

Lenteur du procès. - Rôle de Guffroy. - Sa deuxième Censure. -


Elle éclaire et soulève l'opinion . - Accusations contre la femme de
Le Bon. - C. Lefetz incriminé . - Curieuse déposition d'un gardien
des scellés . - Nouvelle prorogation . Ouverture du procès de Le
Bon à Amiens . - Les témoins. -- Plaidoyers. -- Résumé. La mort.
- Ses dernières recommandations. - Il meurt ivre et impénitent .

Cependant, le procès de Le Bon , quoique toujours


pendant , était toujours remis , lorsque Guffroy ,
acharné à sa victime , déposa sur le bureau du prési-
dent , dans la journée du 1er mars 1795 , le réquisitoire
en 600 pages qu'il intitula : Les secrets de Joseph Le
Bon et de ses complices, deuxième censure républicaine.
Ce volumineux et violent pamphlet avait été composé
avec des documents venus d'Arras et de Cambrai , par
les soins de Berlier . Le représentant recueillait même
des fonds , pour arriver à un tirage de 10,000 exem-
plaires . <
« Cambrai a promis 4,000 francs , écrit Guf-
froy, le 3 décembre 1794 ; Arras fera -t- il la même
chose ? Propose aux administrateurs un sacrifice . Je
voudrais distribuer gratis un exemplaire dans chaque
rue d'Arras ; les citoyens aisés l'achèteraient . »
Dans une lettre du 14 janvier 1795 , Guffroy deman-
dait de nouveaux renseignements au Comité de sur-
veillance d'Arras en vue du procès , et recommandait
la prudence , la confiance et une surveillance sage et
active , comme celle de la Providence , qui n'effrayât
personne , mais achevât d'abattre le fanatisme et le
royalisme .
Le livre de Guffroy parut et révéla sur Le Bon , sa
femme et ses complices , une foule de détails ignomi-
nieux et cruels qui achevèrent d'éclairer l'opinion
publique sur la longue et hideuse série des crimes et
des orgies dont nos lecteurs ont vu plus d'un tableau .
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 281

En ce style incorrect, diffus , trivial et souvent vi-


goureux qui lui est propre , l'auteur peu estimable du
Rougiff, ne fait grâce d'aucune circonstance , n'oublie
aucun nom, se complaisant même , le plus souvent ,
aux détails repoussants et trop nombreux des scènes
odieuses , lubriques et sanglantes dont Arras avait été
le théâtre et la victime .
Mais c'est sur Le Bon , on le comprend , qu'il accu-
mule tous ses traits les plus aigus , en lui associant,
quand il le peut , la femme digne de lui qu'il avait atta-
chée à sa vie de prêtre marié.
Nous citerons une page de ce réquisitoire contre la
trop célèbre Elisabeth Régnier :
L'indignation publique est autant prononcée contre
elle que contre son mari , et l'on assure qu'elle a l'âme
plus noire encore que celle de Le Bon . C'était elle qui
souvent l'excitait aux actes violents auxquels il se
livrait, elle travaillait avec lui dans le cabinet où se
préparaient les massacres et les accusations .
«< A peine est -elle arrivée à Arras avec son mari
qu'elle dit à l'accusateur public Demuliez , avec l'air
d'une mégère : « Ah çà , il faut qu'il tombe ici cinq
mille têtes ! » L'accusateur public lui répond : « Diable ,
je serais bien embarrassé de trouver cinq quarterons
pour tout le département . » — « Eh bien , dit- elle , en
présence de son mari , si tu n'en indiques pas 5,000 , la
tienne tombera. » - « Voyons , dit Le Bon , combien
crois-tu qu'il y en a dans le district de Bapaume ? » -
« Je n'en connais pas à faire tomber , il y a bien des
gens qui ne sont pas très républicains , mais il n'y en
a pas de contre - révolutionnaires . » - Le Bon ou sa
femme dit « Je vois bien que tu ne veux pas parler ,
mais mon petit canarien m'en indiquera . » C'était le
nommé Remy de Bapaume .
« En effet , ce Remy a fait guillotiner trente ou qua-
rante pères de famille dans lesquels je défie bien de
trouver un délit contre -révolutionnaire . « As -tu été à
282 LA TERREUR

la messe des prêtres constitutionnels » , c'était la prin-


cipale et souvent la première question au tribunal du
sang . « Non . » - « Fanatique , perturbateur , aristo-
crate , guillotiné ! »>
« On a vu que la femme Le Bon servait au besoin de
témoin pour faire périr des citoyens . Duquesnoy , dans
sa lettre du 27 messidor , dit à la Commission de sang ,
dite épuratoire des détenus , « que la femme de son
collègue Le Bon pourra donner des renseignements sur
les Mathieu, qu'il a toujours regardés comme les enne-
mis de l'égalité . » Caubrières venant raconter à la
femme Le Bon qu'il avait interrogé les détenus , qu'il
n'avait trouvé rien contre eux , mais qu'il les avait
entortillés et les avait foutus dedans , « et la femme
Le Bon de rire , de rire à ventre déboutonné . »>
« Je ne parlerai pas de l'orgueil qu'elle étalait en
faisant porter son marmot au temple de la Raison- du
ton qu'elle prenait dans ses voyages , de son espionnage
en allant à Lille chez Florent Guyot.
<< Elle endoctrinait elle-même les jurés pour les
accoutumer à voter la mort . Comme son mari , elle
vivait de la substance des malades et de l'hospice à
Cambrai ; car, chaque jour , pendant l'espace de six
décades , elle se fit livrer un demi-pot de crême et sou-
vent deux et trois pots de lait par jour , provenant en
partie des vaches de l'hospice : et elle n'a pas payé ces
objets . Je dirai qu'elle allait la nuit dans la maison des
détenus et qu'on y faisait des orgies ; je dirai qu'elle
était au balcon de la comédie avec son mari , lorsqu'il
se donnait le plaisir de guillotiner à Arras . Je dirai
qu'elle faisait arrêter des hommes et des femmes que ,
sans autre motif que la mine , elle avait jugés aristo-
crates , etc ...
« A Cambrai , une femme allait porter des pièces
justificatives du civisme de son mari ; elle la voit
entrer ; sa cour égorgeuse baffoue cette malheureuse
citoyenne , elle - même se joint à ces monstres et dit très
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 283

haut et d'un ton de fille publique : « Qu'est-ce que c'est


que ça , qu'est- ce qu'elle veut ? J'avais défendu de
laisser entrer, mettez cela à la porte . » Je dirai qu'elle
est soupçonnée d'avoir en sa possession le collier de
diamants de la citoyenne Ranguilly et que trois témoins
en déposent . Je dirai enfin qu'elle paraissait se faire
gloire de sa férocité et que plusieurs fois elle fut pré-
sente aux débats du tribunal , où elle se plaçait comme
son mari en face des jurés et leur faisait des signes
quand on jugeait un prévenu . Elle se passait le doigt
transversalement sur le col pour lui dire de les faire
guillotiner , et un des jurés a déclaré qu'il a vu plu-
sieurs fois divers jurés voter la mort en public , après
avoir émis une opinion différente dans le conseil .
« Ces faits , déjà prouvés par des pièces ou faciles à
l'être, presque tous basés sur la notoriété , annoncent
assez la complicité de cette femme avec Duquesnoy et
son mari et la perversité de son cœur . »
Célestin Lefetz , ce malheureux Génovéfain à ce point
perverti qu'il mourut , dit Le Bon lui - même , d'avoir
trop vécu , et dont il avait fait son principal agent ,
n'est pas mieux traité . Ses injustices , ses voleries , ses
colères de despote et surtout ses actes d'impudicité ré-
pugnante sont dévoilés d'une plume impitoyable .
Il faut dire enfin que les orgies multipliées que Guf-
froy signale à chaque page , aussi bien que les infa-
mies de toute espèce commises dans les prisons , furent
confirmées par les témoins sans nombre qui furent
appelés à déposer dans l'enquête ouverte après la
Terreur .
Citons , pour en donner une idée , la seule déposition
du nommé Josse Dubois , gardien des scellés chez Bois-
tel , dit Ducardonnois , quand il comparut devant le
District d'Arras, le 7 novembre 1794 , pour expliquer
pourquoi les scellés qu'il était chargé de garder étaient
brisés . « C'est que , dit-il , quand ils venaient , ils étaient
un peu illuminés . — Interrogé de qui il voulait parler ,
284 LA TERREUR

répondit : Carlier, Lefebvre ancien procureur , Lefetz ,


Gamot, Taffin et autres. - Non contents de boire , ils
emportérent du vin dans leurs poches et dans leurs
manteaux. Quelquefois , ils se faisaient faire des gril-
lades . Ils faisaient prendre le soir les bouteilles vides
par paniers . Cela a duré environ deux mois . Ils
levaient et reposaient les scellés , à mesure qu'ils tiraient
du vin . Quand ils avaient bien bu et perdu la tête , ils
faisaient brûler du vin avec du sucre ; que lui - même
en a encore la main brûlée . On trouvait aussi le sucre
dans la maison en brisant un scellé . Enfin , on a bien
bu et quand il faisait remarquer le tas de bouteilles de
vin, il leur disait : Mais , mon Dieu , que voulez -vous
faire de ça ? Ils répondaient : Cela ne te regarde pas ,
et ils les faisaient enlever à la bonne . Il y en avait plu-
sieurs tas et du champagne mousseux , dont ils buvaient
et emportaient des bouteilles . Il observait : Mais il y
en a de trop de remontées ? ―― Non , nous , nous les
emporterons , et un jour en sortant de la maison, Ga-
mot étant gris s'est jeté par terre et s'est cassé le nez .
-On lui demande : En avez -vous bu ? Oui , d'abord il
a refusé , on lui a dit alors : On voit bien que tu es un
aristocrate ; tu sens l'évêché et la prétraille , et pour
prouver qu'il n'était pas un aristocrate , il buvait à leur
santé . C'était le boucher voisin Hallot qui apportait les
grillades dans son tablier. On parlait avec une telle
autorité qu'il n'osait rien dire . Et depuis qu'ils sont
arrêtés , il ajoute qu'il ne connaissait rien à tout
cela . »

En dépit du livre de Guffroy, des dépositions de tous


les témoins , de toutes les charges accumulées contre
Le Bon et ses complices , le procès fut encore prorogé
de mois en mois jusqu'au mois de juin 1795. Quand
Duquesnoy, enfin condamné à mort le 17 juin , se fut
frappé d'un coup de couteau , dans l'escalier de la Con-
ciergerie , Le Bon , d'abord transféré à Meaux , et ensuite
à Amiens , comparut à son tour devant les jurés de la
LE NEUF THERMIDOR ET SES CONSÉQUENCES 285

Somme , devant lesquels il avait été envoyé par la


Convention .
Ce fut le 12 septembre 1795 que son procès s'ouvrit.
Quatre-vingt- quatorze témoins comparurent pour dé-
poser contre Le Bon , entre lesquels on compte un
certain nombre de femmes que sa cruauté avait rendues
veuves , et plusieurs de ses anciens complices comme
Demuliez , Leserre , Asselin , ainsi que l'avocat Dauchez
et sa femme. On mit vingt audiences à les entendre .
L'accusateur public Charles- François Duval parla
ensuite , et après avoir réfuté avec énergie le long plai-
doyer que l'accusé avait écrit pour sa défense , demanda
au nom de la justice et de l'humanité outragées une
réparation éclatante .
« Il faut , conclut- il , en s'emparant d'une parole de
Le Bon lui- même , que l'exemple soit tel qu'il intimide
les pervers jusqu'à la vingtième génération. >>
Le Bon obtint enfin la parole dans la journée du
27 septembre. Il fut diffus et vague , cherchant , contre
sa coutume , à gagner du temps et à prolonger le débat.
Après trois séances accordées à cette défense , qui
fut plutôt une attaque violente contre Guffroy, la Con-
vention , les Comités et le Tribunal révolutionnaire
qu'une justification , le président d'Esmery résuma les
débats et fit appel à la conscience des jurés , en ce lan-
gage fade et maniéré qui était de mode même au
palais . Il posa ensuite cent trente- six questions au jury
qui fut affirmatif sur la plupart . Le tribunal rendit
enfin le jugement : c'était la mort, sauf recours à la
Convention .
Mais la Convention avait hâte de se délivrer de ce
bourreau sorti de son sein , qui lui donnait des remords
peut-être et qui lui faisait honte . Son décret rendit
définitive la sentence du tribunal de la Somme .
Joseph Le Bon, averti de son sort le 14 octobre , à
onze heures du matin , écrivit quelques lignes à son
beau-frère Abraham Régnier , dont la fidélité l'avait
286 LA TERREUR

suivi pendant sa longue réclusion , pour lui recom-


mander son vieux père , sa femme et ses enfants , et se
livra à l'exécuteur , sur le grand marché d'Amiens .
Nous devons ajouter qu'il s'était enivré avant d'aller à
la mort, en buvant , en deux traits , une pinte d'eau-
de-vie.
Au moment où Joseph Le Bon reçoit à Amiens le
juste châtiment de ses crimes , il nous paraît superflu de
résumer ici les termes d'un jugement que chacun de
nos lecteurs a pu se former à l'aise en lisant les pages
de ces longs récits : mieux vaut citer en terminant
quelques lignes écrites par Le Bon lui-même à la Con-
vention , à la fin de l'un des nombreux projets de
défense qu'il composa durant sa réclusion :
<< La paix et la sérénité m'ont accompagné dans ma
prison. Le tableau toujours présent d'une mort qu'on
s'est plu à déclarer solennellement inévitable , pour
encourager mes ennemis et fermer la bouche à la voix
de la vérité , ne m'a inspiré aucun remords de ma con-
duite , ni aucun ressentiment contre ma patrie . Quand
on a su porter le poids de la prospérité sans orgueil,
on ne se laisse pas abattre par les revers . »
De regrets donc et surtout de retour vers le Dieu
dont il avait été le ministre , nulle trace n'apparaît dans
le volumineux dossier des Archives nationales qui ren-
ferme les derniers écrits du conventionnel artésien ;
au contraire , il va même jusqu'à considérer sa mort
comme une sorte d'holocauste méritoire , quand il écrit
à Amiens , à la fin de sa dernière lettre : « La mort de
l'homme de bien n'est pas inutile . »
Aberration terrible , qui n'excuse certes pas le prêtre
apostat et sanguinaire qui en était le jouet , mais qui
montre à quel point l'idée révolutionnaire s'était
emparée de certaines âmes et y avait étouffé toutes les
notions de religion et de morale !
LIVRE VII

LE CULTE CACHÉ

CHAPITRE PREMIER

LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE

Si c'est se tromper gravement que de saluer le neuf


thermidor comme le terme de la période révolution-
naire en France ; c'est se tromper aussi que de le
célébrer comme l'aurore de la restauration religieuse .
Robespierre tombé , la persécution continua , moins
sanglante sans doute , mais tout aussi odieuse et parfois
plus impie , s'il est possible , qu'auparavant . L'un des
premiers actes du nouveau Comité de législation fut
d'adresser à toutes les administrations un question-
naire complet sur l'exécution des diverses lois qui
avaient été édictées contre les prêtres insermentés .
L'état des déportés devait être aussi complet que celui
des prêtres arrêtés , et c'est dans les dix jours que
Cambacérès , Beauchamp et Oudot demandaient une
réponse.
Le Département et les Districts du Pas-de - Calais
n'avaient pas à redouter d'être accusés de négligence
ni de modérantisme dans cette enquête ; ils avaient
même plus d'une fois outrepassé les instructions du
pouvoir central aussi leurs explications furent-elles
pleinement agréées .
288 LE CULTE CACHÉ

1. - Premières mesures réparatrices.

Mission de Berlier. Il ouvre quelques prisons . - Les détenus


rentrent en possession de quelques meubles. - Nouvelles adni-
nistrations. - Reorganisation de l'Instruction à Arras. -- La biblio-
thèque de Saint - Vaast est rouverte.

Sous l'influence victorieuse de l'opinion publique


qui obligeait la Convention elle- même à se départir de
ses injustes rigueurs , et pour être agréable à Berlier
qui réagissait vigoureusement contre le terrorisme de
Le Bon, les autorités du Pas- de - Calais ordonnaient
cependant une autre enquête dans les prisons , relâ-
chaient un grand nombre de détenus et accordaient
aux autres quelque justice .
La nommée Lemaire, directrice de la maison de
détention de la Providence « qui avait exercé des actes
révoltants , dont les détenues ne faisaient l'aveu qu'en
tremblant », fut incarcérée et sa sous-directrice desti-
tuée le 27 août. D'autre part , la veuve Lailart dit
Berlette, les Quarré de Boiry et Quarré Durepaire ,
ainsi que les de Hauteclocque , furent mis en liberté
le 4 septembre .
Ce même jour sortit de prison le premier prêtre que
délivra le représentant Berlier . C'était , on le présume
bien, un constitutionnel, M. Dion , l'ancien religieux
de Saint-Vaast. Druesne , ex- curé de Monchy- le- Preux ,
fut le deuxième . Ils obtinrent même de rentrer en
possession de leur mobilier, « montres ; porte - feuilles ,
boucles de souliers et de culottes , etc. »> , dont le
Département enjoignit qu'on leur fit restitution . Cette
manière de procéder , pourtant assez naturelle , était si
nouvelle qu'on en fait mention au procès -verbal .
Les jours suivants , de nouvelles libérations furent
ordonnées , notamment celle de l'ancien vicaire de
Givenchy-en-Gohelle, Caullet , et celle de la citoyenne
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 289

Madeleine Caudron , ci-devant supérieure de la maison


de la Providence , à qui on restitua également , le mot
y est, son portefeuille .
A la fin de l'année révolutionnaire , le troisième jour
des Sans-Culottides , qui correspond au 19 septembre ,
les détenus eux-mêmes furent autorisés à réclamer
leur mobilier , même à sortir sans gardes pour le
reconnaître et le recouvrer .
Dans les derniers mois de 1794 , on vit enfin sortir de
prison avec tous les ex-nobles mineurs de quinze ans ,
une foule de malheureux qui y étaient restés jusque-là
entassés . Parmi eux nous signalerons , le 28 novembre ,
l'ancien évêque de Senlis , Mgr de Roquelaure , alors
âgé de 74 ans , mis en liberté , dit le témoignage com-
plaisant du Comité de surveillance , « comme ayant
toujours donné des preuves de son amour pour la pa-
trie et de son attachement à la Révolution et aux lois . >>
Un mois auparavant, sur un ordre du Comité de
Sûreté générale de Paris et la recommandation de
Guffroy, Ferdinand Dubois avait été également mis en
liberté avec sa famille .
Le célèbre président devait bientôt quitter l'Artois
pour habiter Paris , où il se consola dans la culture des
lettres et dans la pratique de la bienfaisance , des
mécomptes trop nombreux que lui avait valus son pas-
sage dans les fonctions publiques .
Quant à la nouvelle administration , elle s'occupait,
non seulement de prononcer des élargissements , mais
encore de restituer aux détenus et aux familles des
condamnés une partie du mobilier qui s'était accu-
mulé sous les scellés .
Les administrateurs Le Roy, Norman , Wiart et lé
secrétaire Hovine , chargés de cette mission délicate ,
déployèrent en cette circonstance une activité à laquelle
il faut rendre justice.
Les difficultés que donnaient, durant cet hiver de
1794 à 1795 , la sûreté publique et la question toujours
19
290 LE CULTE CACHÉ

pendante des subsistances , ajoutaient encore à leurs


préoccupations . Souvent , notamment le 29 novembre,
on dénonçait à leur barre les voleurs , les fripons , les
brigands qui se répandaient dans les campagnes ,
<< violant l'asile de l'innocence et de la vertu » . Le
Département s'en tirait de son mieux avec des phrases
et avec des actes . « Il faut, disait-il , dans une procla-
mation , empêcher leslarmes de couler » , et il ordon-
nait qu'on fit des patrouilles nuit et jour. Il défend ,
d'autre part , l'exportation des grains ainsi que de don-
ner aux bestiaux , pour se nourrir , du blé , du seigle, du
scourgeon ou de la pamelle .
Le 3 décembre , un membre exprime même cette
pensée passablement socialiste : « Les grains que
chaque citoyen . récolte , dit -il , ne lui appartiennent
pas , quoiqu'ils soient le fruit de ses travaux : ils appar-
tiennent à la société entière , à la prospérité de laquelle
chaque membre du corps social doit coopérer.
Ainsi chaque citoyen doit rendre compte du bon ou
mauvais usage qu'il a fait de ses récoltes et les con-
seils des communes sont obligés d'en dresser la nomen-
clature, et de l'usage qui en a été fait. »
Il était plus facile de formuler ces théories que de
les appliquer . Aussi , pour se consoler de ne pouvoir
nourrir ses administrés , le Département se mit- il en
devoir de les instruire .
Le 30 octobre 1794 peut aussi être considéré comme
la date de la réorganisation de l'instruction publique à
Arras .
Ce jour-là , le District , « considérant que l'instruction
.
publique est absolument nulle dans la commune
d'Arras ;
« Considérant que les jeunes gens jusqu'à dix-huit
ans sont la proie d'une ennuyeuse inactivité qui ne
peut que dépraver les mœurs et détériorer l'imagi-
nation qui, dans cet âge , a besoin d'être guidée par
des leçons sages, et prudentes ;
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 291

<< Considérant que l'instruction est la base de la


liberté , comme l'ignorance est l'appui du despotisme ;
« Considérant la loi du 3 octobre 1793 , qui charge
les administrations de pourvoir à leur emplacement et
exige que les établissements d'instruction publique
soient conservés ;
<«< Arrête :
« I. Que le collège national d'Arras sera ouvert le
1er frimaire (21 novembre) .
<< II. Que le cours d'instruction publique , devant être
purifié de tous les vestiges de l'ancien enseignement ,
sera ainsi organisé : Il y aura trois chaires : 1º une
chaire de mathématiques et physique ; 2º une chaire de
littérature ; 3º une chaire d'histoire et de droit naturel .
« L'administration arrête en outre que , vu la disette
de professeurs pour remplir ces chaires ,tous les citoyens
instruits qui voudront se consacrer à l'instruction
publique se feront inscrire au cabinet de l'agent natio-
nal dudit District, qui prendra des renseignements sur
le civisme et les lumières des candidats , et en fera un
rapport à l'administration pour fixer son choix .
« Le traitement des professeurs sera le même que
celui dont ils jouissaient ci- devantc'est-à -dire de
1,500 livres .
<< La municipalité d'Arras est priée d'indiquer le
local qui pourrait tenir lieu de Collège ; le bâtiment
consacré à l'instruction publique étant devenu un ate-
lier d'armes . >>
Un peu plus tard , en janvier 1795 , Hubert-François ·
Cavrois s'étant offert à donner des leçons de mathéma-
tiques qu'il avait déjà , dit-il , données avec succès à
Metz , dans la maison presbytérale qu'il occupait, le
District le lui accorda par un arrêté du 18 janvier, en
attendant , dit le même arrêté, que le local des ci-devant
Capucins , destiné à tenir lieu de Collège , fût disposé à
cet effet .
C'est encore à la date du 13 décembre 1794 que nous
292 LE CULTE CACHÉ

trouvons la première délibération relative à la réou-


verture de la Bibliothèque de Saint-Vaast.
« En prévision de la rendre infiniment utile , en y
réunissant beaucoup d'ouvrages nouveaux trouvés dans
plusieurs bibliothèques d'émigrés ou autres, le Conseil
prend des mesures pour que le public en profite et
nomme premier bibliothécaire , Isnardi ; deuxième ,
Pamart, et aide , Prévost. » Il est de plus spécifié
qu' « on ne peut ni prendre soi- même les livres sur les
tablettes , ni surtout les emporter , sous aucun prétexte . »
Après les ruines sanglantes amoncelées de toutes
parts par les terroristes , l'œuvre de la réparation com-
mençait donc par quelques côtés seule une classe
d'individus ne trouvait pas encore grâce , c'était
celle des prêtres ; seule une institution , fondamentale
pourtant, était tenue à l'écart et continuait d'être
traitée en ennemie , c'était la religion .

§ 2. Nouvelles mesures d'oppression religieuse.

Point de trève religieuse . - Les prêtres rappelés au Vivier.


Récompense aux ouvriers qui ont retrouvé la sainte Chandelle.
Id. aux démolisseurs des Calvaires . ·- La Cathédrale devient un
dépôt de vin . Poursuites contre l'abbé Brédart. ― L'école cen-
trale à Saint- Vaast. - Nouvelles entraves légales à la liberté
religieuse. - La Constitution nouvelle et Daunou.

Dès son arrivée dans le Pas -de - Calais , le 4 sep-


tembre , Berlier avait donné son programme sur ce
point. « Le règne de la superstition , disait- il , n'est
point reproduit par la chute des tyrans ; dénoncez ceux
qui voudraient vous agiter sous ce prétexte . La liberté ,
la justice et la morale , voilà la vraie religion , celle
que la raison commande et que l'esprit conçoit sans
le secours des hypocrites apôtres qui avaient jusqu'à
ces derniers temps rivé les fers de l'humanité . »
Dans une autre proclamation , il recommandait le
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 293

repos du décadi , sans pourtant l'imposer . Encore ,


ajoutait- il , que choisir le septième jour c'était ressus-
citer le dimanche et ramener les haines en montrant
un esprit de parti . Le temple de la Raison de la ville
d'Arras devenait , avec son assentiment , une salle de
concerts .
Sur ces entrefaites , la Convention , le 24 octobre ,
ordonna à tous les prêtres de se rendre immédiatement
dans les maisons de détention les plus voisines de leur
résidence . La maison du Vivier d'Arras fut de nouveau
désignée pour les recevoir et le citoyen Allard , nommé
directeur , se préoccupa de leur fournir , d'accord avec
le District et la municipalité d'Arras , le vivre , le lit ,
le chauffage et le couvert . Tout en se montrant hu-
mains dans l'application des lois nouvelles , les agents
nationaux du pouvoir n'en rappelaient pas moins
l'œuvre accomplie par <« ces audacieux scélérats qui
se disent les ministres d'un Dieu de paix » . Ils les
accusaient de tous les fléaux qui avaient dévasté la
Vendée , et de tous les crimes qui avaient souillé la
France , et signalaient la célébration du décadi comme
le remède à tous les maux.
En moins de quinze jours , du 29 octobre au 10 no-
vembre , plus de 60 prêtres se retrouvèrent donc enfer-
més dans cette maison du Vivier qui ne s'était ouverte ,
pour quelques- uns d'entre eux , que durant quelques
jours , et ce n'est qu'à la fin de 1796 que la plupart en
pourront sortir .
Le 7 décembre 1794 , sur la réclamation du directeur
Allard , qui demande au District d'Arras du linge pour
quelques-uns des détenus , celui- ci , « considérant que
ces vieillards , quoique frappés par la loi , n'ont pas
perdu tout droit à la commisération et qu'il est du
devoir des administrations de venir au secours de
l'humanité souffrante » , demande que l'on prenne dans
la maison de Famechon , reclus , les linges et habille-
ments nécessaires .
294 LE CULTE CACHÉ

On en est réduit à louer cette mesure d'humanité


vulgaire , après les privations horribles qui entraient
dans le système de la Terreur . A la fin de janvier , les
commissaires de la prison de la Providence , Effroy et
Debuire , « exposant que la rigueur de la saison se fait
tellement sentir que plusieurs détenus gèlent de froid
et n'ont rien pour se couvrir que de mauvais habits
en lambeaux » , obtinrent également quelque soulage-
ment.
Constatons encore que la hideuse faveur que Le
Bon avait accordée au bourreau Petit Pierre, prit éga-
lement fin à cette époque . Cet exécuteur des jugements
criminels , habitué à se voir traiter comme un person-
nage , demanda au District, le 2 janvier 1795 , de lui
procurer un nouveau et meilleur logement . I visait
sans doute quelque maison ayant appartenu à l'une de
ses victimes . Mais le District , <« considérant qu'il n'existe
aucune loi qui prononce que l'exécuteur des juge-
ments criminels sera logé dans une maison nationale »
>,
n'accepta pas sa prétention .
C'est encore à cette époque que se rapporte un fait
peu connu , relatif à la sainte Chandelle d'Arras .
« Le 15 nivôse an III , c'est- à- dire le 4 janvier 1795 ,
disent les registres du District, les citoyens Lefebvre
et Legros , demeurant à Arras , réclament de nouveau
une récompense que la loi leur accorde , pour avoir
trouvé dans le puitz du ci-devant cloître du Chapitre
d'Arras une caisse en argent qu'on appelait ci - devant
la sainte Chandelle et qui avait été déposée au Dépar-
tement par les pétitionnaires . Ils présentent à l'appui
de leur requête l'arrêté de l'administration qui charge
le citoyen Scaillerez de prendre les mesures néces-
saires pour faire peser et estimer ,. par le citoyen Gor-
lier, orfèvre , en présence de deux membres du Con-
seil général de la commune d'Arras , la caisse d'argent
dont il s'agit et qui se trouve déposée chez le citoyen
Tresca , receveur du district , d'en tenir procès-verbal
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 295

pour ensuite être déterminée , par l'administration ,


l'étendue de la récompense réclamée , ainsi que le
procès-verbal de pesée et d'estimation dudit adminis-
trateur Scaillerez , duquel il résulte que cette caisse
pèse dix marcs et a été estimée à raison de soixante
livres le marc , ce qui porte une somme de six cents
livres.
<< Les administrateurs du District sont d'avis qu'il
y a lieu d'arrêter que , conformément à l'article 2º de
la loi du 23 brumaire 2 année , il sera accordé aux
pétitionnaires le 20 de six cents livres , estimation à
laquelle a été portée la ci-devant sainte Chandelle et
qu'en conséquence il leur sera accordé sur la caisse
des domaines mandat de la somme de 30 livres , ving-
tième partie de ladite somme de 600 livres . »
En même temps qu'il récompensait ainsi , pour un
motif qui n'était rien moins que religieux , il est vrai ,
les deux hommes qui avaient remonté d'un puits le
joyau des Ardents , le District d'Arras accordait , le 4
janvier, une gratification de 60 livres à deux habitants
d'Habarcq , Martin et Charles Florent, pour la des-
cente de deux croix ; l'une de la tour et l'autre de
l'église .
Il faisait mettre en vente , le 16 janvier , par l'inter-
médiaire d'Augustin Hautecoeur , d'Agnez- les - Duisans ,
et du citoyen Deladerrière , les boiseries des ci-devant
églises , confessionnaux , tribunes et tables qui embar-
rassaient le travail du salpêtre , et accumulait à la
bibliothèque et au musée d'Arras les livres et les
tableaux qui pouvaient avoir quelque mérite . Si la
cathédrale d'Arras était débarrassée , le 24 février , des
bottes et des souliers de rebut qui y avaient été dépo-
sés, c'était pour redevenir , le 3 mai , le magasin où le
garde des approvisionnements , Danelle , accumulait les
300,000 pintes de vin qui lui avaient été envoyées .
Le même District ordonna bien, le 23 mars , de
mettre en liberté les quatre- vingt-douze infirmes que
296 LE CULTE CACHÉ

renfermait la maison de réclusion du Vivier , sauf pour


chacun d'eux à rester sous la surveillance de sa muni-
cipalité ; mais cet ordre ne recevait qu'une exécution
imparfaite et tardive . ·
On voit par ces mesures que la réaction thermido-
rienne persévérait à ne pas se montrer favorable à
l'ancien culte ; les poursuites entreprises contre l'abbé
Brédart achevèrent de manifester ses sentiments à
cet égard .
Dès le 8 octobre 1794, une lettre anonyme adressée
au procureur syndic du Département lui avait dénoncé
les prédications de ce prêtre dans les communes des
environs d'Arras ; c'est seulement le 3 mars 1795 qu'il
comparut devant le District . Il déclara s'appeler Fran-
çois Brédart , âgé de 35 ans , prêtre catholique , natif
de Roubaix. Après être allé à Tournai pour étudier la
théologie , il est venu voir ses parents en France , et,
par accident, a fait les cérémonies de son culte au
Forest et à Courrières , sous les yeux des municipalités ,
mais sur la demande des habitants de ces localités . Il
ne se croyait pas soumis aux lois françaises .
Le District fut ensuite saisi d'un arrêté de l'agent
national du Forest constatant qu'à l'occasion de l'abbé
Brédart , plusieurs canonniers du 7° ont été maltraités
et blessés ; il constate de plus que plusieurs personnes
du Forest ont facilité la sortie et la rentrée en France
de ce prêtre .
On convoqua le maire et les municipaux du Forest
avec l'agent national pour être entendus contradictoi-
rement.
Effectivement, le 2 floréal , 21 avril , se présentent :
Pierre Doigni , maire du Forest ; Louis Carpentier ,
Etienne Roblin , Honoré Duhem , Jacques Ladureau
et Sylvin Miquet , agent national .
Une discussion s'engage d'où il ressort que Jacques
Ladureau a donné l'hospitalité à plusieurs prêtres :
Josson , Béraud , des environs de Tournai , et Brédart ,
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 297

En quinze jours , il s'est dit cinq messes avec au moins


5.000 assistants à chacune on avait averti au loin ,
même au faubourg , et le maire avait ordonné au garde
de rester à la cérémonie et de se tenir à portée du
prêtre officiant , le sabre nu à la main .
Quant aux canonniers , après avoir bu chez l'agent
national , qui est cabaretier , ils manifestèrent l'envie
d'aller à la messe . L'agent leur recommanda de se
tenir tranquilles et de n'insulter personne .
Après avoir entendu ces dépositions , le District déli-
béra et rendit l'arrêté suivant :
« Considérant que François Brédart , prêtre étranger ,
n'a pas prêté le serment civique et qu'il a rempli les
cérémonies de son culte sur le territoire de la Répu-
blique ;
« Que les lois sur les prêtres catholiques veulent
qu'ils soient déportés ou reclus , et que par conséquent
il ne peut exister en France de prêtres de cette
espèce ;
« Que l'induction nécessaire de ces lois est qu'aucun
prêtre du culte catholique étranger ne puisse s'intro-
duire en France pour y exercer les cérémonies de son
culte à moins de prêter le serment civique ;
« Arrête que le dit Brédart sera conduit par un gen-
darme et à ses frais sur la frontière de la Belgique et
qu'il lui sera enjoint , pour forme de sûreté , de ne plus
reparaître sur le territoire de la République, sans se
conformer aux lois . >>
Quand les administrations eurent été renouvelées
une fois encore par le représentant Delamarre , le
18 mai , et après qu'il eut donné au district d'Arras
Goudemetz pour président , Billion , Cornille et Pamart
pour membres du Directoire , Lenglet pour procureur-
syndic et Hovine pour secrétaire , il semble qu'on pou-
vait espérer enfin une ère d'apaisement et de justice .
Une proclamation du 28 avril venait d'ordonner le
désarmement des terroristes . Ferdinand Dubois dont
298 LE CULTE CACHÉ

les connaissances administratives étaient appréciées ,


avait été appelé pour rétablir l'ordre dans les bureaux ,
qu'on avait commodément installés dans les salles de
l'ancienne Abbatiale de Saint-Vaast ; la vieille abbaye
elle- même devenait une École centrale , où , après
examen , Isnardy, Henri Gosse et Ferdinand Dubois
venaient de nommer Lenglet aîné à la chaire d'Histoire
philosophique , Legay à celle des Belles- Lettres , Pa-
mart à celle de Grammaire générale , Bergaigne à celle
des Arts- et-Métiers , Prudhomme à celle des Arts - et-
Dessins ; un édit de pacification religieuse devait, ce
semble , compléter et couronner ces mesures de répa-
ration .
Plusieurs lois de prétendue liberté des cultes furent ,
il est vrai , promulguées par la Convention , notamment
.
· celles du 26 février et du 30 mai 1795 , mais elles con-
tinuaient, sous une enseigne menteuse , à n'être que
des lois d'entraves à la vraie liberté .
Nous en donnons pour preuve la lettre que le Comité
de législation de la Convention répondait à une consul-
tation du procureur-syndic du Pas - de - Calais , relati-
vement à l'application des nouvelles lois sur le libre
exercice du culte , vis-à-vis des ministres du culte catho-
lique que les lois avaient précédemment soumis à la
déportation pour refus de serment . Elle est du
9 août 1795 :
« Il s'agit donc d'assurer d'une manière précise et
uniforme la marche des administrations et de leur tra-
cer une ligne de conduite pour l'exécution des lois ren-
dues à ce sujet.
<< 1º Ceux des ministres catholiques qui , ayant été
déportés en vertu d'arrêtés ou de jugements mis à exé-
cution , ou qui , s'étant déportés volontairement , sont
rentrés sur le territoire de la République, tombent
seuls sous l'application de la loi du 12 floréal ( 1er mai
1794).
< 2°Ceux dont les jugements de déportation n'ont point
«
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 299

été exécutés , si ces ministres du culte ne peuvent prou-


ver leur résidence en France sans interruption , depuis
la publication de la loi du 9 mai 1792 , ne peuvent être
inquiétés et jouissent de tous les droits du citoyen , en
obéissant aux lois et ne faisant aucun acte propre à
troubler l'ordre public .
« 3° On ne peut également rechercher les ministres
qui n'ont pas prêté le serment prescrit par les lois des
26 septembre 1790 et 17 avril 1791 ; ou qui , ayant
prêté ce serment , l'ont rétracté parce que la Conven-
tion nationale ayant déclaré que la Constitution civile
du clergé n'était plus une loi de la République , il
n'existe aucun motif de poursuivre qui que ce soit pour
un serment qu'on n'est pas en droit d'exiger . La loi
du 11 prairial veut que nul ne puisse remplir le minis-
tère d'aucun culte , à moins qu'il ne se soit fait décer- .
ner acte devant la municipalité du lieu où il voudra
exercer, de sa soumission aux lois de la République .
<< D'après cette loi , les fonctions des autorités consti-
tuées , relativement aux ministres du culte , se bornent
à recevoir cette simple déclaration . Toute espèce de
serment est abolie et toute demande qui tendrait à exi-
ger au-delà de cette déclaration , serait vexatoire . Mais
trois choses sont essentiellement à observer pour la
parfaite exécution de cette partie de la loi du 11 prai-
rial :
<< La première consiste à exiger cette soumission du
ministre qui veut exercer le culte dans quelque édifice
que ce soit toute distinction à ce sujet entraînerait
des inconvénients que la tranquillité oblige de prévoir .
Il serait d'ailleurs ridicule à imaginer que la soumis-
sion puisse être relative à l'édifice , lorsque le bon sen's
démontre qu'elle s'applique réellement à l'exercice du
ministère .
<< La seconde observation , et qu'il est important de
saisir, tend à ne point accepter une soumission qui
renfermerait d'autres expressions que celles détermi-
300 LE CULTE CACHÉ

nées par la loi . Les autorités constituées doivent se


mettre en garde contre toute disposition qui pourrait
changer la déclaration présente.
« En un mot , cette soumission doit être pure et
simple , sans modification , ni réserve , ni exception .
<< Enfin , les autorités constituées doivent , en troisième
lieu , considérer que lorsqu'un ministre du culte aura
fait dans une commune la soumisssion exigée par la
loi , s'il vient à quitter cette commune ou à changer
de section, il peut exercer le culte dans une autre
commune ou section sans être astreint à renouveler la
soumission qu'il a précédemment faite , il est seule-
ment tenu de justifier de l'acte qui lui a été décerné
par la municipalité qui a reçu sa soumission . Et en
faisant cette indispensable exhibition , il ne peut être
troublé dans le ministère qu'il exerce .
« Quant à la question qui lui a été présentée par diffé-
rentes administrations , qui désirent savoir si elles sont
autorisés à remettre les lettres de prêtrise qui ont été
déposées aux secrétariats des districts : aucune loi n'a
reconnu l'existence de ces lettres ni ordonné leur dé-
pôt . Le Comité ne s'occupe que des points de la légis-
lation et les autorités constituées ne doivent porter
leur attention que sur les parties administratives dont
les lois leur ont recommandé l'exécution .
« Le Comité vous invite à vous conformer aux ins-
tructions que contient cette lettre et il recommande à
toutes les administrations , dans l'exécution des lois qui
leur sont confiées , d'en étudier attentivement les dispo-
sitions , afin d'épargner des questions qui conduisent
quelquefois à des résultats utiles , mais qui , plus sou-
vent , par leur multiplicité , arrêtent la marche active
que doivent avoir les administrateurs . Salut et Fra-
ternité . Signé : Laplaigne , président ; Deluloy , Dela-
hay, p .; L. Dumont, Soulignac , Bezard . »
Comme on le voit , les seuls débris du clergé consti-
tutionnel retrouvaient quelques droits et le clergé
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 301

fidèle, déporté en masse à la fin de 1792 , restait livré


à la vindicte des lois révolutionnaires .
Cependant la Convention nationale , condamnée à être
fatalement étouffée entre les haines des survivants de
la Terreur et la répugnance des partis modérés , cher-
chait un moyen de se survivre à elle-même .
Un de nos députés , Daunou , devenu par sa science
peu commune , ses habitudes laborieuses et son honnê.
teté relative , un des membres les plus en vue de l'As-
semblée mourante , fut choisi des premiers pour élabo-
rer la nouvelle Constitution . C'est lui , paraît-il , qui
appuya chaudement le projet de décret qui devait obli-
ger les électeurs à prendre dans la Convention les deux
tiers du nouveau Corps législatif. Après avoir imposé
aux électeurs le choix de leurs candidats , on fit sem-
blant de les consulter . On fit même semblant de sou-
mettre à la sanction du peuple et la Constitution nou-
velle qu'on lui donnait et les décrets qui limitaient sa
propre liberté . Inutile d'ajouter que les propositions
du gouvernement furent ratifiées dans l'assemblée plé-
biscitaire , à la presqu'unanimité des votants . Il est vrai
que dans les assemblées primaires , les cinq sixièmes
des électeurs manquèrent à l'appel .

3. ― Renouvellement des administrations .

Députés et directeurs du département. - Dans quelles conditions ils


sont élus.. - Le testament de la Convention contre les prêtres .
Dernières instructions et réglements de l'administration départe-
mentale. Adieux du citoyen Colliot. - Le nouveau Directoire
s'installe. - Quelques restitutions.

Les électeurs du département se réunirent ensuite


à Aire , du 12 au 19 octobre 1795 , et après les forma-
lités électorales que nous avons décrites , MM. Ber-
nard Lagrave , Delattre , Vaillant et Liborel furent élus
302 LE CULTE CACHÉ

députés . Daunou avait été nommé par vingt- sept dépar-


tements , y compris le Pas-de- Calais , dont il n'accepta
pas d'être le mandataire .
Dans la même assemblée électorale d'Aire , il fallut
choisir les cinq membres du Directoire du départe-
ment Prévost d'Hesdin , Sainte- Beuve de Boulogne ,
Leducq, Corne et Bertin d'Arras furent élus . Prévost
n'ayant pas accepté son mandat, fut remplacé par
Delerue. Hacot conserva les fonctions de président du
tribunal criminel désormais transporté à Saint- Omer ,
avec Gosse pour accusateur public , et Leserre pour
greffier. C'était laisser, comme on le verra , les mem-
bres du clergé réfractaire entre des mains ennemies .
Vingt-deux juges choisis pour les tribunaux civils
étaient moins redoutables . Les membres des adminis-
trations municipales de canton , destinées à réunir les
attributions des conseils supprimés des communes et
des districts , furent également choisis dans l'élément
républicain modéré .
Ce n'était pas , on le sait , par la seule persuasion que
la Convention avait imposé sa survivance dans le ré-
gime nouveau qui allait être inauguré sous le nom de
Directoire , à la fin de 1795 , et les évènements du
13 vendémiaire eurent surtout pour motif la crainte
qu'avaient les Parisiens honnêtes de se retrouver sous
les piques des septembriseurs et sous la hache de
Robespierre . Mais les canons de Bonaparte assurent
le triomphe de la coterie révolutionnaire ; le nouveau
Comité de Salut public complète , dans les deux Con-
seils , ce qui manque à sa majorité ; cinq régicides
connus sous le nom de directeurs , et parmi lesquels
nous avons à distinguer Carnot , prennent la tête du
gouvernement ; tous les émigrés et leurs parents , c'est-
à-dire l'élite de la nation ayant été exclue par décret de
toute fonction législative , administrative , munici-
pale et judiciaire » , les anciens jacobins sont réhabi-
lités , toutes les mesures sont prises , en un mot, pour
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 303

assurer pacifiquement et sûrement les conquêtes de


l'échafaud .
Puisque la persécution religieuse avait été une de
ses principales armes pour assurer son premier triom-
phe , la Convention se garda bien de la négliger pour
préparer sa revanche . Les 6 et 27 septembre , avant de
se séparer , elle renouvela ses décrets de proscription
contre les prêtres insermentés, qu'elle condamna à
sortir du territoire français , dans les quinze jours , s'ils
y étaient rentrés , sauf à être traités comme émigrés ,
s'ils rentraient de nouveau . L'acte de soumission aux
lois de la République fut exigé plus impérieusement
que jamais et dans les trois jours , de tous ceux qui
exerçaient un culte quelconque dans les édifices pu-
blics ou dans les maisons particulières , sous peine
d'emprisonnement pour les prêtres , et d'une amende
de mille livres pour les propriétaires ou locataires des
maisons dans lesquelles le culte serait exercé .
Venait ensuite toute une série d'entraves qui avait
pour fin d'étouffer l'exercice du culte catholique . La
surveillance des autorités , les formalités et déclara-
tions imposées aux prêtres , la promesse d'obéissance
aux lois de la République , ajoutée à celle de soumis-
sion, sous peine d'emprisonnement et d'amende , les
garanties prises contre tout culte qu'on voudrait
rendre exclusif et dominant , la défense de faire aucune
dotation ou de lever aucune taxe en faveur du culte ,
l'interdiction de tout signe particulier ou de toute
cérémonie religieuse , de toute parole , ou lecture ou
publication tendant au rétablissement de la royauté ou
à la dissolution de la représentation nationale , ou à la
moindre opposition contre le gouvernement , ne suffi-
sent pas encore à ces législateurs inquiets . Ils ajoutent
cet article vingt- quatrième qui est un chef- d'œuvre en
son genre « Si , par des écrits ou des discours , un
ministre du culte cherche à égarer les citoyens en leur
présentant, comme injustes ou criminelles , la vente ou
304 . LE CULTE CACHÉ

acquisition de biens nationaux possédés ci -devant par


le clergé ou les émigrés , il sera condamné à mille livres
d'amende ou à deux ans de prison : il lui sera de plus
défendu de continuer ses fonctions , et s'il contrevient
à cette défense , il sera puni de dix ans de gêne. »
En agents dociles , les membres du Département ne
se contentaient pas de transmettre ces décrets à leurs
administrés ; leur zèle les poussait encore à les com-
menter.
Ainsi , le 4 octobre 1795 , en envoyant une circulaire
aux municipalités du Département, pour l'exécution
de la loi du vingt fructidor (6 septembre), ils ajoutent :
<< Dans le nombre d'agents perfides , ténébreusement
employés par quelques gouvernements honteux de la
nullité désespérante de tant d'autres efforts avoués ,
les prêtres déportés ou émigrés ne pouvaient manquer
d'avoir un rôle important. Guidés à la fois par la haine ,
par la vengeance et l'intérêt , ils ont accepté avec joie,
de ces mains amies , la mission spéciale d'aller reporter
le désordre et l'anarchie dans un pays qu'i's injurient
en l'appelant encore leur patrie et comme l'hypo-
crisie et la bassesse s'introduisent partout, la rentrée
en France d'un grand nombre d'entre eux s'est succes-
sivement effectuée .
« Une indulgence meurtrière, l'insouciance qui
s'est fait remarquer quelque temps dans l'exercice des
fonctions publiques , ont concouru à donner à ces enne-
mis nés de la liberté , la funeste facilité du retour .
« C'est de leur entière extirpation qu'il faut main ! e-
nant s'occuper en même temps que de la répres-
sion de ceux qui , restés sur le territoire français ,
mais ayant refusé de se déclarer soumis aux lois de
la République , voudraient exercer encore , comme
ministres , un culte quelconque , soit secrètement, soit
en public .
« La loi du vingt fructidor dernier établit , d'une
manière assez précise, la règle à suivre par les corps
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 305

administratifs à cet égard , et l'effet chaque jour crois-


sant des manœuvres infâmes de ces correspondants
de l'étranger , indique assez quelle célérité et quelle
précision d'exécution réclament les dispositions préser-
vatrices qu'elle contient .
<< Veuillez donc , citoyens , concourir de tout votre
zèle et de tout votre pouvoir , en ce qui vous concerne ,
à l'accélération des sages mesures que le maintien de
l'ordre public a dictées à la Convention.
« La haine de tous les bons citoyens pour des
traîtres , leur expérience des maux qu'entraîne à sa
suite le fanatisme , tout nous fait espérer que nous
trouverons en vous tous les secours nécessaires pour
que cette loi salutaire reçoive sa plus entière exécu-
tion . Salut et fraternité . - Coilliot, Bertin , Prévost,
Delerue . >>
A peine installé , le Directoire prit à tâche de com-
pléter le réseau légal dans lequel il voulait prendre
à tout prix le clergé catholique . Aussi publia -t-il , le
25 octobre , une nouvelle ordonnance contre lui . Voici
de quelle façon , le 28 du même mois , l'administration
du Pas-de-Calais en arrêtait l'application . Ce fut son
dernier acte avant de faire place aux administrateurs
élus à Aire .
« Article 1er. - Tous les ci-devant ecclésiastiques
qui , par la loi du 26 août 1792 , étaient tenus de sortir
du territoire de la République , pour n'avoir pas prêté
le serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790 et
par celle du 17 avril 1791 , ou pour l'avoir rétracté et
avoir persisté dans leur rétractation , seront tenus de
se conformer aux dispositions de ladite loi du 26 août,
dans les 24 heures de la publication du présent arrêté,
sous les peines portées dans l'article trois de la même
loi .
« Art. 2. Les ci -devant ecclésiastiques compris
dans la même loi qui , à cause de leurs infirmités ou
de l'âge de 60 ans , légalement constatés , sont fondés
20
306 LE CULTE CACHÉ

à profiter de l'exception portée en l'article 8 de la même


loi , seront également tenus de quitter , dans les 24 heures
de la publication du présent arrêté , le lieu de leur
résidence, pour se rendre dans la maison dite du Vi-
vier , à Arras , dans un délai qui ne pourra excéder
24 heures par chaque dix lieues de distance du lieu de
leur résidence .
« Art. 3. ―― Les dispositions de la loi des 21 et 23
avril 1793 qui ordonne l'embarquement et la transla-
tion à la Guyane française de tous les ecclésiastiques
séculiers , frères convers et laïcs , qui n'ont pas prêté
le serment de maintenir la liberté et l'égalité , confor-
mément à la loi du 15 août 1792 , ou qui ne l'auraient
prêté que postérieurement au 23 mars 1793, seront
également mises à exécution dans les 24 heures .
« Art. 4. ―― Ceux d'entre eux qui , à cause de leurs
infirmités , caducité ou de l'âge de 60 ans , légalement
constatés , seraient fondés à profiter des dispositions
de l'article 4 de ladite loi des 21 et 23 avril 1793 , seront
tenus , comme les ecclésiastiques ci-dessus mentionnés
dans l'article 2 , de quitter le lieu de leur résidence
dans les 24 heures , pour se rendre au Vivier , à Arras ,
dans les mêmes délais .
« Art. 5. Le District d'Arras est chargé de faire
disposer immédiatement la maison du Vivier et de
pourvoir à la garde et subsistance des détenus.
« Art. 6. — La municipalité d'Arras et l'adminis-
tration municipale qui lui succédera continueront
l'inspection et la police de ladite maison .
« Art. 7. Les districts et les municipalités sont
chargés de l'exécution du présent arrêté et de le faire
exécuter au besoin par la force armée .
<< Lecture et affichage dans chaque municipalité
par courrier extraordinaire. Coilliot, Bertin , Pré-
vost, Merlin et Bergaigne . »
Après avoir attaché leur nom à cette dernière me-
sure d'intolérance et de proscription , les administrateurs
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 307

du Département se retirèrent. Le citoyen Coilliot pro-


nonça le discours de clôture dans la séance du 29
⚫ octobre . Après avoir souhaité la bienvenue aux frères
et amis nouvellement élus , il déposa , entre leurs
mains fidèles , « le flambeau de la surveillance , à l'aide
duquel nous avons pénétré, dit-il , dans la carrière que
vous allez parcourir . » Il signala , naturellement, les
vils sectateurs des partis qui s'agitent incessamment ...
Ses collègues et lui , toutefois , en se retirant, ne se
laisseront pas amollir ; ils jurent naturellement fidélité
et dévouement à la République .
A la fin d'octobre , Bertin et Corne , qui avaient eu
des scrupules comme frères de déportés , furent néan-
moins installés avec Delerue : Merlin , après avoir ex-
posé la ruine de sa santé et de sa fortune , accepta
néanmoins provisoirement de remplir les fonctions de
commissaire du Directoire exécutif ; Prévost fut élu à
nouveau à la place de Leducq ; Sainte- Beuve , enfin ,
vint prendre séance , et la nouvelle administration
commença à fonctionner .
Après s'être mis en communication régulière avec
ses administrés , par la création d'un certain nombre
de nouveaux bureaux de poste et celle d'un certain
nombre de piétons , obligés de parcourir leur tournée
deux fois par décade , les primidi et sextidi de chacune
d'elles , le Directoire du Département consacra une
partie de son temps à une mesure de réparation que
nous avons le devoir de mentionner. C'est à faire ren-
trer les héritiers légitimes des prêtres déportés , con-
damnés ou morts en prison , en possession des biens
qui avaient été délaissés par eux ou mis sous le sé-
questre. Parfois même , nous trouvons dans les regis-
tres du Directoire cette mention loyale : « Les biens
qui ont disparu seront remboursés à égale valeur et en
bons au porteur . »
La liste de ces tardives justices est longue , et il nous
est malheureusement impossible de la donner dans son
308 LE CULTE CACHÉ

entier. Nous indiquerons cependant quelques noms .


C'est ainsi que le 26 novembre 1795 Barnabine Quillet,
épouse d'Amand Bonnière , cultivateur à Herlin -le - Sec ,
entre en possession des biens de son frère Théodore
Quillet, vicaire déporté . Le même jour , les Cauliez , de
Robecq , rentrent dans les biens délaissés par Bertin-
François Cauliez , curé de Chocques , et Benoît -Joseph
Cauliez, curé de La Gorgue , déportés . Le même jour
encore, Bernardine - Elisabeth Romon , de Beauvois ,
épouse de Pierre Bonnière , cultivateur à Siracourt,
hérite des biens de son oncle Jean - François Romon ,
de Fillièvres . Le 28 novembre , Antoinc-Christophe
Malbaux, ex-chanoine d'Arras , ayant été condamné à
mort par le tribunal révolutionnaire d'Arras , le 6 avril
1794 , ses frères et sœurs obtiennent de rentrer en pos-
session de ses biens délaissés . Le 13 décembre , les de
la Forge, petits neveux du chanoine Pierre - Ignace-
Eugène Lochtemberg , qui s'est rendu dans la maison
de réclusion d'Arras , le 11 mars 1793, sont déclarés
héritiers de son patrimoine . Le même jour , on remet
aux Dupuis du Parc huit coffres renfermant mille et
soixante - quatre volumes provenant de leur frère Pierre-
Joseph-Marie Dupuis , président du séminaire de Saint-
Omer. Le même jour encore , Marguerite et Madeleine
Boudart, de Monchicourt (Nord) , sont déclarées héri-
tières de leur frère Simon Boudart , déporté et curé de
La Couture .
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 309

$ 4. - Les nouvelles écoles .

Les Jurys d'arrondissement. - Conditions d'admission . - Plaintes de


Boulogne. - M. Dumont de Courset. - Propositions du District
de Boulogne. - Une école pour quatre villages. - Plaintes des
instituteurs. Quelques noms. Nombreux défroqués . — Ils sont
mal reçus . -· Lettre de Flageollet. Le prospectus du pensionnat
Granet à Saint- Omer. - Réquisitoire du nouveau commissaire
Merlin . - Le canton de Buire est dénoncé. - M. Tonnelier de
Courcelles.

Entre temps et dans un autre ordre d'idées , le Direc-


toire accomplit encore quelques autres réparations où
relève quelques ruines . Le 22 novembre, il ordonne de
réparer la toiture de l'église du Collège d'Arras , trans-
formée en atelier d'armes , et qui laisse les ouvriers
exposés à la pluie . Le 25 novembre , le Comité d'ins-
truction demande au bibliothécaire du district d'Arras ,
Isnardy, d'accélérer la confection de son catalogue.
Spitallier et Boubert , commissaires au dépôt littéraire
de Saint- Omer , obtiennent , le 3 décembre , le chauf-
fage et l'éclairage qu'ils réclament pour accélérer leur
travail.
L'Instruction primaire qui , elle aussi , depuis plu-
sieurs années , avait à peu près disparu , excita une
fois de plus la sollicitude de l'administration départe-
mentale .
Le 22 décembre 1795 , elle ordonna d'instituer un
jury pour chaque arrondissement, pour examiner les
candidats aux fonctions d'instituteurs primaires . Deux
ou trois membres par arrondissement sont désignés à
cet effet : à Arras , Lefebvre-Cayet , Degouve , Billion ;
à Saint- Omer , Spitallier, commissaire au dépôt litté-
raire ; à Hesdin , Eugène Lebas .
Les candidats devront avoir un certificat de bonne
vie et mœurs , avant et depuis la Révolution : ils seront
interrogés sur la lecture , l'écriture , le calcul et les
310 LE CULTE CACHÉ

éléments de morale républicaine. - On les nommera


ensuite d'après leur capacité et leur moralité.
Toutefois , ce que le Directoire demandait avec cette
insistance , à la fin de 1795 , plusieurs districts l'avaient
déjà obtenu, partiellement du moins , depuis quelques
mois , et l'on verra que les anciens ministres du culte.
constitutionnel formaient la majorité des nouveaux
instituteurs .
A ce point de vue , le district de Boulogne avait été
le plus favorisé . Dès le 3 septembre 1794 , son Direc-
toire avait chargé Gardère père , Fouchet et Caroulle
de recueillir les livres qui devaient former la biblio-
thèque du district , et le 11 novembre , le même Direc-
toire envoyait à la Commission de l'Instruction.
publique des plaintes amères sur « un état de langueur
et d'engourdissement qui affligeait tous les bons ci-
toyens . >»>
<< Soyez convaincu , continue-t- il , que notre régéné-
ration politique ne sera jamais qu'une chimère , tandis
qu'on ne verra point l'Instruction publique en harmonie
avec les mœurs républicaines . » Il conclut en disant
qu'il n'a trouvé aucun instituteur distingué , qu'il soit
possible d'indiquer . Deux citoyens ont formé à Boulo-
gne des pensionnats , mais ils n'ont rien de remar-
quable . On ne peut se dissimuler que la crise révolu-
tionnaire n'ait ralenti l'activité des sciences et des arts
et que le goût, en s'altérant , ne soit menacé d'une
décadence rapide , si on ne s'empresse de l'arrêter . Il
faut, s'il est possible , effacer de l'histoire des lettres
ce fatal interrègne , pendant lequel l'ignorance s'agitait
avec audace et les talents se paralysaient en silence .
N'est- on pas allé jusqu'à menacer les richesses d'un
homme renommé dans le monde savant tout entier ,
M. Dumont de Courset ? Il a fallu la fermeté de quel-
ques amis des lettres et des sciences , qui se trouvaient
dans l'administration , pour arracher sa collection pré-
cieuse à la fureur des nouveaux barbares . Enfin , le
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 311

Directoire signale à Boulogne quelques amis des Belles


Lettres ; ce sont MM . Fouchet , Chomel , Abot , d'Herlen ,
Pichon ; des mathématiques MM . Henry , Lissès ,
Lemaire , ex-prêtre ; en botanique , M. Dumont de Cour-
set. Cette question des Écoles continua à préoc-
cuper les administrateurs du district de Boulogne dès
les premiers jours de 1795 .
Le 5 janvier , en vertu de la loi du 27 brumaire , le
District, ayant 64,300 âmes , réclame 64 instituteurs et
autant d'institutrices . Il s'agit de fixer leur résidence
en un point central . Or , ce sujet était plein de diffi-
cultés . Après en avoir délibéré , il propose : pour Bou-
logne qui a 10,137 âmes , trois hommes et trois femmes
pour la Haute -Ville ; les instituteurs seront installés au
Petit- Séminaire et les institutrices dans la maison
Duval du Fresne . Les sept instituteurs de la Basse-
Ville s'établiront au Grand -Séminaire , quatre femmes
aux ci - devant Frères , deux au Presbytère et une à la
Barrière .
Le 8 février 1795 , on modifie ce projet et on l'amé-
liore, notamment par rapport à la maison du chanoine
Duval du Fresne qui ne fut pas reconnue convenable ;
on lui substitue une partie de l'ancien couvent de
l'Oratoire .
Dans la campagne , on fut obligé de réunir beaucoup
de villages pour une école . Ainsi , par exemple , Beu-
vrequen, Offrethun , Wacquinghem, Pittefaux , Manin-
ghem et Pernes n'avaient que deux écoles , toutes deux
à Offrethun . En général , il y avait une école pour
quatre villages .
Il paraît que les instituteurs de Boulogne rencon-
trèrent plus d'une difficulté dans l'accomplissement de
leur mission . Aussi , le 1er mars 1795 , s'adressent- ils en
corps aux administrateurs du District « pour protester
contre les souffrances effrayantes de l'Instruction publi-
que dans le département , depuis l'exécrable vanda-
lisme de Robespierre . »
312 LE CULTE CACHÉ

<< Malgré les efforts de la Convention pour retirer la


France de l'état de barbarie dans lequel ce monstre
l'avait plongée , disent- ils , et même depuis que la loi
a été promulguée , les parents se plaignent toujours
que leurs enfants n'en ressentent pas encore les salu-
taires effets ; ils se plaignent de les voir vagabonder ,
courir dans les rues , etc. » C'est seulement le 3 mars
1795 que furent désignés les instituteurs et les institu-
trices nommés dans les campagnes par le District de Bou-
logne. Voici quelques noms que signalent les registres
à cette date : A Le Wast , Pierre -Jacques - Marie Voisin ,
ex- oratorien , et Joséphine Salmon , son épouse ; à
Werwignes , Philippe Bouloy, ex-ministre du culte , et
Gertrude Fisset , sa femme ; à Neufchâtel , Philippe-
Michel Waro , ex-ministre du culte ; à Etaples , Jean-
Baptiste Codron , ex-ministre du culte ; à Inquesen ,
Nicolas Evrard , ex-ministre du culte ; à Montcavrel ,
Jacques Fourier , ex-ministre du culte ; à Neuville ,
Christophe-Maxime- Léonard Fossé , ex-ministre du
culte , et Marie-Josèphe Corrion , sa femme ; à Herly,
Pierre Marcotte , ex-oratorien ; à Bécourt , Philippe
Cuvillier , ex-ministre du culte à Zoteux, et Marie -Anne
Adam, sa femme ; à Ferques , Simon -Noël Caron , ex-
ministre du culte .
Ces instituteurs , défroqués pour la plupart , ne furent
guère bien accueillis .
Quand celui qu'on avait nommé à Montcavrel , Fourier ,
se présenta pour prendre possession de son poste , le 12
mars 1795 , on lui dit qu'il y avait un excellent instituteur
et que les écoliers , jusqu'au dernier, se feraient plutôt
pendre et déchirer par morceaux que de fréquenter
son école . Il demanda des moyens efficaces pour se
faire accepter .
A Neuville , l'instituteur Campion et, avec lui , le
Conseil général de la commune , s'opposent à la venue
du curé Fossé comme instituteur . Mais le plus mal reçu
de tous fut celui d'Ergny , Wicquinghem et Rumilly ,
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 313

nommé Flageollet. Il écrit , le 16 avril 1795 , aux admi-


nistrateurs du district de Boulogne , en un style informe
et sans orthographe , qu'il devait s'attendre à avoir
beaucoup d'élèves , « mais il voit avec les plus vives
douleurs que , depuis environ quinze jours , il n'a pres-
que plus d'enfants qui fréquentent son école . En voici
les raisons les pères et mères veulent que leurs en-
fants apprennent des anciens livres ; ils ne veulent pas
des nouveaux livres que nous enseignons ; cependant
la loi nous dit expressément de n'enseigner que les li-
vres adoptés par la Convention nationale ; mais le fana-
tisme nous prépare , si l'on n'y remédie , des maux
incalculables des ci-devant prêtres déportés par la loi
qui , étant cachés en France , se montrent aujourd'hui
et exercent leur ministère depuis qu'il y en a eu un qui
a dit publiquement la messe dans la commune d'Herly.
Ils la disent aujourd'hui nuitamment et enseignent aux
enfants une doctrine tout à fait contraire à la morale.
républicaine et leur défendent de fréquenter nos éco ,
les .... Dans ces communes , les ci-devant maîtres
d'école font l'école et se servent de ces anciens livres
et attirent à eux tous les élèves . Je vous prierai de me
dire ce que je dois faire . » Et il finit par rappeler la
guerre de la Vendée comme un triste exemple . Signé :
Flageollet, instituteur . Sans vouloir nous occuper de
suivre davantage cette prétendue restauration de l'inse
truction publique , nous donnerons encore un spéci-
men de l'esprit qui y présidait.
En octobre 1795 , Granet, ci -devant professeur au
Collège français de Saint- Omer , qui a quinze ans d'exer-
cice en rhétorique et mathématiques , envoie au district
de Boulogne un prospectus du pensionnat qu'il se pro-
pose d'ouvrir en cette ville , rue de la Convention , 54 .
<< Son but est de former des citoyens vertueux et
éclairés .
<< Pour y parvenir , il s'attachera à former leur cœur
par une morale pure , soutenue de l'empire des bons
314 LE CULTE CACHÉ

exemples et d'une vigilance toujours active . Il peut


suffire à faire un cours complet de rhétorique et de
mathématiques , il peut faire moins aussi , mathéma-
tiques appliquées , physique , histoire moderne . Ceci
le conduira à faire un cours de constitution des peu-
ples et de droit naturel , de langue française et de
composition .
« La délicatesse ne règnera pas à la table des jeunes
républicains ; une parcimonie coupable n'y présidera
pas non plus . La nourriture sera toujours saine et
abondante . Le prix de pension sera de neuf cents livres
pour deux ans , car si la tâche est considérable , il espère
néanmoins la remplir en moins de deux ans , pour peu
que les élèves soient attentifs et intelligents . »>
Rappelons , pour être exact sur la pénurie d'institu-
teurs , pendant la période révolutionnaire , qu'elle tenait ,
surtout dans les campagnes du Haut-Artois et du
Boulonnais , au bannissement des vicaires qui , souvent ,
cumulaient avec zèle et intelligence les doubles fonc-
tions du ministère et de l'enseignement .
D'autre part, en dépit des efforts des catholiques
d'Arras , la belle cathédrale de cette ville et son palais
épiscopal restaient toujours affectés aux approvision-
nements extraordinaires de guerre , avec le commis-
saire Le Bon pour garde magasin. Les poursuites
contre les prêtres réfractaires ne faisaient pas relâche .
Le 4 décembre 1795 , le juge - de -paix de Fruges , Du-
four, dénonçait le nommé « Panchon » , c'est Planchon
qu'il voulait dire , qui , depuis les mois de juillet et
d'août 1794 , se conduisait mal dans les communes de
Verchin et autres et contribuait à faire couper les
arbres de la liberté . Il paraît même , ajoutait-il , que la
gendarmerie avait été peu énergique on lui donnait
de nouveaux ordres .
Vers ce moment , le 19 décembre , Coffin , qui avait
remplacé Merlin comme commissaire du Directoire
exécutif, entra en charge et inaugura ses fonctions par
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 315

un nouveau réquisitoire contre les prêtres réfrac-


taires .
« S'appuyant , dit-il , sur les décrets de bannissement
portés antérieurement contre les prêtres : réclusion ,
déportation et mort , contre tous ceux qui ne sont pas
sortis du territoire ou y sont rentrés, et ne sont pas
reclus s'ils sont infirmes ou vieillards ;
<< S'appuyant sur l'instruction adressée (le 14 déc .
1795) par le Directoire exécutif à ses commissaires ,
pour leur recommander l'exécution sévère mais néces-
saire des lois qui compriment les mauvais prêtres , qui
leur ordonne de n'abandonner jamais de leurs regards
ces instruments de meurtre , de royalisme et d'anarchie ,
qui enjoint enfin de faire exécuter promptement et
entièrement les lois qui compriment , qui frappent ou
qui déportent les réfractaires ;
« Vu aussi la lettre adressée au département le même
jour par le ministère de l'intérieur qui lui rappelle la
stricte et rapide exécution des lois précitées ;
<<Considérant qu'il est temps de mettre enfin un terme
aux maux incalculables dont les manœuvres des prêtres
réfractaires ont rempli la France ; que la mollesse de
plusieurs municipalités pour faire exécuter les arrêtés
des administrations supérieures n'a fait qu'accroître
l'audace de ces ennemis éternels , irréconciliables , et
les plus dangereux de la Révolution ;
<< Considérant que c'est par les menées des réfractaires
que les militaires abandonnent les drapeaux de la vic-
toire pour suivre les bannières du mensonge , que le
fanatisme exerce ses ravages sur plusieurs points du
département ;
<< Considérant que , pour la prompte exécution des lois
ci- dessus citées , des mesures promptes et énergiques
doivent être mises en usage , ledit commissaire propose
l'arrêté suivant :
<< Art. 1er. ― En conformité des lois du 3 brumaire
«
dernier, de celles de 1792 et de 1793 , contre les réfrac-
316 LE CULTE CACHÉ

taires , les commissaires près les administrations muni-


cipales de canton demeurent expressément chargés ,
et sous les peines de deux années de détention , de
faire arrêter sur le champ les prêtres sujets à la dépor-
tation ou à la réclusion qui se trouvent ou viendraient
dans leur arrondissement .
« Art. 2. - Ils pourront pour cela requérir toute force
<<
armée , ou garde nationale sédentaire , ou garnison des
villes voisines , en se concertant avec les administra-
teurs où cette force armée est située .
« Art. 3. - Les prêtres ainsi arrêtés seront d'abord
transférés dans la ville la plus voisine , puis à la prison.
d'arrêt d'Arras ou cités devant le tribunal criminel , ou
envoyés à la Guyane , selon les cas prévus par les
lois .
«<< Art. 4. - Chaque décade , les administrations de
canton et surtout les commissaires , certifieront à celui
du département que leur arrondissement n'est plus
souillé de la présence du prêtre réfractaire . — Toute
négligence sera sévèrement punie . — Arras , le 19 déc.-
28 frim . an IV . COFFIN . >>
Cinq jours plus tard , le 24 décembre , le même com-
missaire fait lecture au Directoire d'une lettre qui lui
a été adressée le même jour par un grand nombre de
citoyens d'Arras ; ils se plaignent que les prêtres ré-
fractaires détenus dans la maison du Vivier y célèbrent
les cérémonies de leur culte et qu'il y assiste une foule
d'individus dont la haine pour la liberté s'est montrée
dans tous les temps avec le plus d'affectation . Pour
parer à de pareilles manoeuvres , il propose un décret
qui charge l'administration municipale d'Arras d'em-
pêcher , dans les 24 heures (c'était Noël) , et que les
prêtres exercent aucune fonction dans les maisons
d'arrêt et qu'aucun individu puisse communiquer avec
eux .
Puisque les signes extérieurs du culte reparaissent
également en dépit des lois et peuvent devenir très
LIBERTÉ APPARENTE , PROSCRIPTION RÉELLE 317

funestes à la tranquillité publique , et provoquent des


plaintes journalières , il propose également de rap-
peler les municipalités à l'observation de la loi et de
faire disparaître tous les signes extérieurs du culte ,
comme des convocations au son de la cloche ; tout
infracteur sera poursuivi . -— Coffin .
Le lendemain 25 décembre , le président de l'admi-
nistration d'Auxi -la - Réunion se plaint que le canton de
Buire est fanatisé . On y sonne toutes les cérémonies
du culte catholique et la loi y est méprisée . Louis
Lefebvre , prêtre séculier , venant de Paris , où il a été
horloger pendant deux ans , a repris l'exercice du culte
à Buire . Il y a fait l'office le jour de la Pentecôte ,
rétracté le serment d'égalité , replanté un calvaire sur
le chemin de Buire à Bachimont , installé un nommé
Jacques Roussel pour y enseigner le catéchisme et les
institutions de l'ancien régime . A Buire , enfin , et dans
les environs , on sonne les cloches pour appeler les
citoyens aux exercices du culte catholique . Un habi-
tant a dénoncé le fait au ministre de l'intérieur .
Sur ce , le Département envoie les pièces au direc-
teur du jury du tribunal de police correctionnelle
d'Hesdin , pour qu'il prenne tel parti qu'il conviendra .
Le 31 décembre , enfin , on dénonce au tribunal
correctionnel d'Arras , Joseph Tonnelier, brasseur ,
cultivateur et menuisier, qui , après avoir obtenu
d'exercer les fonctions de ministre du culte à Cour-
celles , en promettant soumission aux lois , avait obtenu
l'église avec défense de sonner les cloches ; il s'est
pourtant mis à les sonner, et à fanatiser le pays , et à
provoquer à la désobéissance aux lois .
Comme on le voit d'après ces documents officiels ,
l'année 1795 se terminait par de nouvelles dénoncia-
tions contre le clergé fidèle . Leur nombre restreint et
leurs termes vagues , même si l'on compte celles qui
arrivaient aux administrations particulières des districts
et que nous signalerons plus loin , n'en montrent pas
318 LE CULTE CACHÉ

moins que le secret était généralement bien gardé sur


l'organisation et l'exercice du Culte caché que nous
avons maintenant à faire connaître .
CHAPITRE DEUXIÈME

LES PREMIERS MISSIONNAIRES

Aussi minutieuses et redoutables qu'aient été les


précautions prises par les Terroristes pour anéantir le
culte catholique et supprimer particulièrement le saint
sacrifice de la messe et l'administration des sacre-
ments dans le Pas - de - Calais , ils n'y parvinrent jamais
entièrement, même aux plus mauvais jours .
Il se trouva certainement quelques prêtres généreux
pour perpétuer parmi nous et au prix de leur vie le
sacrifice expiatoire de l'Eucharistie , trop souvent rem-
placé , à cette terrible époque , par le sacrifice de
l'échafaud ; mais ils avaient soin de s'ensevelir dans le
secret le plus profond . Durant le règne sanglant de Le
Bon , les traces de ce culte sont donc très rares et c'est
dans les prisons de Doullens que nous en avons trouvé
le souvenir le plus touchant.

$ 1. - La Messe en prison .

Les prisonniers du Collège anglais de Douai. - Le château de


Doullens. - Les préparatifs du saint sacrifice . - Messes au grenier
et au rez-de- chaussée. - Le calvaire de Doullens. -· Raffinement
d'impiété. - Arrivée des prêtres belges. - Les filles Loison de
Vendin-le-Vieil. - Quelques prêtres apparaissent sur la frontière
du Nord. - L'acte de soumission aux lois. - Avis divers . — Le
Département tranche la difficulté . ·- Lettre du curé Pingrenon .
Fermeture de l'église de La Buissière.

Le 16 octobre 1793 , raconte un prêtre anglais que


320 LE CULTE CACHÉ

nous avons déjà cité , M. Joseph Hodgson , vice - prési-


dent et professeur de théologie du Collège anglais de
Douai , soixante -trois infortunés , dont quarante - sept
anglais , avaient été enlevés à leur maison pour être
emmenés prisonniers à Doullens . Ils furent hués à leur
passage à Arras , conduits sur la place où était dressée
la guillotine , conduits enfin à Doullens où on les
enferma d'abord dans une casemate , sous le rempart,
et où ils n'eurent pour lit de repos que de la paille ache-
tée par eux, à huit sous la botte . Quand les gros fer-
miers du district de Saint- Pol arrivèrent à Doullens ,
on les conduisit dans les greniers du château , où ils
s'installèrent tant bien que mal sur la paille encore et
vécurent dans l'étude , la prière et la souffrance . C'est
là, dans ce grenier, que la messe fut néanmoins célé-
brée plusieurs fois en pleine Terreur .
Nous laissons maintenant la parole au narrateur :
<< Au moment même où les gendarmes arrivaient à
Equerchin , ils avaient réussi à cacher un calice , une
pierre consacrée , un certain nombre de pains d'autel
et un ornement complet ; et le tout put arriver à Doul-
lens sans avoir attiré l'attention de nos persécuteurs .
Même dans notre prison , nous pûmes dire la sainte
messe ; et trois fois , au moins , nous offrîmes le saint
sacrifice dans des circonstances qui rappelaient les
catacombes . Notre première chambre , ainsi que nous
l'avons dit plus haut, était placée au-dessus de la
chambre à coucher du sergent Cromwell . Se lever
plus tôt qu'à l'ordinaire eût été lui déplaire et peut-
être même exciter ses soupçons ; car il eût été difficile
à quarante-sept personnes de se lever sans faire quel-
que bruit. On verra plus loin comment nous tournâ-
mes la difficulté . Nous étions en quête d'une table sur
laquelle nous pussions mettre la pierre et les nappes
d'autel . La nécessité , la mère des inventions , nous fit
imaginer un autel d'un nouveau genre . Nous avions
apporté avec nous le panier du boulanger. Nous le
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 321

plaçâmes sur son côté le plus large , pour qu'il se trou-


vât à la hauteur convenable ; nous le mimes sur des
malles sous le manteau de la cheminée . Puis , ayant
détaché l'une des fenêtres , nous la plaçâmes au- dessus
du panier. Un drap recouvrit le tout et fit l'effet de
garniture . La place de l'unique carreau de la fenêtre
fut destinée à recevoir la pierre d'autel . La pierre , les
nappes , le calice , le crucifix , le missel , les burettes ,
les ornements , les cierges furent disposés en un ins-
tant . Nous nous étions habillés avec le moins de bruit
possible , nous entendîmes la messe à genoux sur notre
lit. Nous eûmes ainsi la consolation d'entendre trois
fois la messe dans notre première prison : un diman-
che , le jour de la Toussaint et celui des Morts . Un seul
étranger y assista : c'était un Douaisien d'une grande
piété que nous avions mis dans notre secret. Avec
quelle clairvoyance le célèbre abbé Maury ne lisait-il
pas dans l'avenir quand , arrachant le masque dont se
couvraient les prétendus réformateurs des abus , il
annonçait que non seulement la religion serait dépouil-
lée de son antique splendeur, mais que bientôt elle
serait obligée de chercher un asile au fond des retrai-
tes les plus sombres et les plus impénétrables ! Le
dimanche 3 novembre , nous dîmes pour la dernière
fois la messe en cet endroit ; car , le lendemain matin ,
on changea notre installation. Du grenier , nous des
cendîmes au rez -de- chaussée . Il était divisé en deux
chambres ; elles étaient planchéiées l'une et l'autre et
communiquaient au moyen d'une porte à deux bat-
tants . Chaque chambre avait son foyer , et l'une d'elles
avait comme dépendance un petit cabinet, correspon-
dant à l'enfoncement du grenier dont nous avions fait
notre office ; ce cabinet avait la même destination .
Dans un coin de ce cabinet était un four avec deux
fourneaux , au moyen desquels nous pouvions , nous
dit-on, faire notre cuisine , ou du moins , tenir chaud
ce qui aurait été préparé à l'extérieur ; mais nous en
21
322 LE CULTE CACHÉ

fimes un usage tout différent : ce fut notre autel , et ,


pendant plusieurs mois , nous eûmes la consolation d'y
entendre la messe tous les dimanches et les jours de
fêtes (1). »
Ajoutons les détails donnés par le même auteur sur
les actes d'impiété dont il fut témoin à Doullens :
« Peu de jours après notre arrivée à Doullens , nous
vîmes , de la fenêtre de notre prison , la hache levée
pour renverser le calvaire de notre ville . Nos ancêtres
dans la foi avaient combattu sous la sainte bannière de
la croix ; nous-mêmes nous étions enrôlés sous le même
étendard (la croix de Saint- Georges formait la base des
armes du collège) , et tous ceux qui savent quels étaient
les principes fondamentaux de notre système d'édu
cation nous croiront sans peine quand nous dirons que
nos cœurs furent saisis de douleur , quand nous vîmes
des malheureux, armés de haches , de pics , de bêches
et de cordes , briser la croix et en emporter les débris
pour en faire un feu de joie qu'ils célébraient, si je ne
me trompe, en l'honneur de la prise de Toulon . Toulon
avait été reconquis antérieurement ; mais , sous ce
prétexte , on fit , à plusieurs reprises , des feux de joie
dans lesquels on consuma , sous nos yeux , des confes-
sionnaux, des tableaux , des ornements sacerdotaux et
d'autres objets enlevés aux églises . On comprend sans
peine ce que ressentirent alors des cœurs qui ne pou-
vaient songer, sans une douce émotion , aux solennités
du Vendredi- Saint et de l'Invention de la Vraie Croix .
Dans ces jours où triomphait l'impiété, nous aimions à
nous agenouiller pour adorer le Sauveur crucifié , et
les strophes du Vexilla Regis sortaient naturellement
de notre bouche , tandis que se renouvelaient sous nos
yeux les scènes sacrilèges de la Passion . Nous ne souf-
frîmes pas moins quand nous vîmes la croix de la cha-
pelle de la citadelle enlevée pour faire place à l'odieux

(1) Le Collège anglais de Douai pendant la Révolution , p. 87 et s.


LES PREMIERS MISSIONNAIRES 323

bonnet rouge . Mais je ne saurais dire si ce sacrilège


eut lieu le jour du feu de joie dont je viens de parler,
ou un autre jour. Ainsi que je l'ai fait observer , l'im-
piété qui régnait alors se faisait spécialement remar-
quer dans le choix des jours . Si les preuves man-
quaient à l'appui de cette assertion , il suffirait de rap-
peler ce qui se passa à l'occasion de ce bonnet rouge
placé au sommet de la citadelle . La citadelle , placée
sur une hauteur , était exposée à l'action du vent , qui
souffla avec violence pendant tout le temps de notre
séjour à Doullens . Peu après le déplacement de la
croix , le bonnet phrygien fut enlevé par la tempête,
Des jours , des semaines , des mois entiers s'écoulèrent
sans qu'on songeât à le remplacer. Par une bravade
d'impiété , on ne le rétablit que le Vendredi - Saint, à
trois heures de l'après -midi , c'est-à-dire au jour et à
l'heure de la mort du divin Sauveur (1) . »
Après le neuf thermidor , et malgré les nouvelles lois
de proscription que nous avons signalées , ce ne fut
plus seulement dans les prisons , comme à Doullens et
au Rivage d'Arras , que les prêtres catholiques dres-
sèrent de nouveau leurs autels . La frontière belge
s'ouvrit nuitamment pour quelques prêtres de natio-
nalité étrangère d'abord , et peu à peu quelques - uns
des plus hardis parmi les français se glissèrent avec eux.
Les premières traces de cette restauration appa-
raissent naturellement sur les points les plus rappro-
chés du département du Nord , vers La Ventie , Ven-
din-le-Vieil et Le Forest.
Un procès , qui s'ouvrit , le 18 janvier 1795 , devant le
Comité révolutionnaire de Béthune , nous éclairera offi-
ciellement sur une de ces premières tentatives et sur les
dangers de toute sorte qu'elles amenaient à leur suite.
Nous citons comme d'ordinaire les Registres du Comité
en analysant les pièces à l'appui .

(1) Le Collège anglais de Douai, p. 104.


324 LE CULTE CACHÉ

« Donc , le 18 janvier 1795, les filles Loison de Vendin-


le-Vieil comparurent et furent interrogées à Béthune ,
par les membres du Comité révolutionnaire . C'est
Albert Delafosse , président, qui posait les questions .
Célestine-Joseph Loison comparut la première et se
déclara âgée de 56 ans . Elle avoue une messe , dans la
nuit du 10 au
1 11 , c'est-à-dire du samedi au dimanche ,
à une heure du matin , avec prédication après la messe .
Elle ignore le nom et la résidence du prêtre ; il a été
ordonné , a-t-il dit, au commencement de la Révolution
et n'a pas fait le serment ; il avait avec lui les orne-
ments sacrés et n'a demandé que du vin . Il y avait du
monde plein les deux places et la cour.- Qui a servi
la messe ? -- Je n'étais pas dans la place où la messe
a été dite. Il a confessé et administré ma sœur et est
parti ensuite . C'était la cinquième ou sixième fois qu'il
venait dire la messe . Il confessait et communiait quel-
ques personnes. Pierre- François Cachart a fait une
quête pour les pauvres . Prudence Loison fut ensuite
interrogée : 50 ans . Elle avoue l'eau bénite , et dit que
le prédicateur a exhorté à toujours rester inviola-
blement attachés à la religion catholique . Il paraissait
avoir trop de religion pour avoir prêté le serment : si
du reste, il avait prêté le serment , elle ne l'aurait pas
voulu souffrir chez elle : c'est elle qui , après un entre-
tien édifiant , lui proposa de dire la messe . Dans
l'après-dîner il s'est reposé et a confessé quelques
personnes . Constantin Caron est allé éveiller J.-B.
Dumetz pour venir à la messe . C'est Pierre -François
Cachart qui a fait la conduite du prêtre .
« La nuit dernière , elle est allée à la messe à Annezin
avec son neveu et Pierre -Joseph Mortelette , son do-
mestique , et un grand nombre de Vendin- le -Vieil .
Philippe Bréda, de Vendin , a fourni le pain d'autel .
On quêtait toujours pour les pauvres malades .
« Pierre- François Cachart , 39 ans , manouvrier à Ven-
din- le -Vieil , interrogé à son tour, avoue ladite messe et
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 325

une autre le premier de l'an . Il a ouï prêcher aussi de


la sainte Vierge . C'est encore lui qui a conduit le
prêtre chez Philippe Rose alors malade . La quête a
produit 24 livres et il les a distribuées aux pauvres . Il
a conduit le prêtre aussi à Wingles chez un ménager ,
l'a ramené chez les dites Loison et l'a conduit le len-
demain jusqu'au Pont-Maudit , en passant par Pont-à-
Vendin . Il a aussi assisté à la messe à Hennolin .
Conclusion : On arrête les trois personnes susdites
comme coupables d'un fanatisme sans exemple et de
liaisons suspectes . Quant à Pierre - François Cachart ,
on motive son arrestation : Sur ce qu'il a pris part
plusieurs fois à des rassemblements nocturnes et fana-
tiques , a conduit le prêtre chez les malades à effet
d'y exercer son métier de prêtre et dans d'autres com-
munes , a fait la quête soi - disant pour les pauvres ,
enfin est allé éveiller le peuple pour assister à ces ras-
semblements nocturnes et a entretenu par là l'affreux
fanatisme qui dévore la majeure partie des habitants
de la commune . »
Constantin Caron , maréchal-ferrant , et Alexandrine
Loison, malades , furent interrogés par la municipalité ,
c'est-à-dire J.-B. Ducrocq , J.-B. Dumezet J.-B. Druon ,
secrétaire , mais ils dirent peu de chose .
« C'est le citoyen Voly (Pierre-Augustin) qui avait fait
la dénonciation . Il y avait bien , dit-il , 400 personnes ,
mais parmi elles beaucoup d'étrangers . »
A part quelques exceptions courageuses, comme
celle que nous venons de signaler , c'est seulement
vers le milieu de l'année 1795 que les prêtres fidèles
commencèrent à se montrer dans le Pas - de - Calais .
Le manuscrit du vicaire d'Estaires signale pourtant ,
dès le mois de janvier , le Père Hyacinthe Fromont ,
récollet , et le Père Joachim Laurent comme parcourant
la moitié de l'Artois , d'Arras à Saint-Omer , de Saint-
Pol à La Bassée et même de Lens à Fruges . Il signale
encore M. Osten du côté d'Estaires et d'Hazebrouck ,
326 LE CULTE CACHÉ

et M. Despretz , ancien vicaire de Merville , comme étant


de retour en février . Mais outre qu'ils revenaient au
plus tôt vers la frontière du Nord , leur apostolat n'a
guère laissé de trace à cette époque , nous le dirons , que
du côté de Gonnehem, La Gorgue , Lestrem , Chocques ,
Isbergue , Lillers , Allouagne , Calonne et Saint- Venant .
Sur ces entrefaites, la question de l'acte de soumis-
sion aux lois de la République , réclamé par la Con-
vention , le 11 prairial , et moyennant lequel les prêtres
pouvaient, disait- on , sortir de prison et rentrer sur le
territoire français , vint troubler les consciences et
aigrir les esprits du clergé fidèle .
On le comprend sans peine ; des âmes sacerdotales ,
froissées par les persécutions , soupçonnaient quelque
embûche sous une formule d'apparence anodine , et
elles éprouvaient une répugnance fort naturelle à se
soumettre à un gouvernement ennemi . Pleins d'espoir
dans l'avènement prochain d'un régime meilleur , les
exilés étaient encore d'autant moins disposés à signer
cette soumission , qu'une autorité qu'ils étaient habitués
à respecter venait de se prononcer contre elle . Car , il
faut le dire , un Mémoire rédigé par plusieurs évêques ,
à la tête desquels était le nom autorisé de Mgr Asseline ,
concluait à l'abstention . Rome elle-même , consultée ,
répondit d'abord en sens contraire , et il fallut arriver
à la fin de l'année 1796 pour que le Bref du Souverain
Pontife Pie VI, en date du 5 juillet et adressé à tous
les fidèles de France , vînt lever les scrupules de ceux
qui avaient cru pouvoir faire leur soumission , en ap-
prouvant formellement cette soumission .
Un prêtre aussi saint que clairvoyant , M. Emery ,
supérieur du séminaire de Saint- Sulpice , à Paris , avait
prévenu cette approbation et l'avait légitimée , en dé-
montrant avec une grande force « que la soumission
n'emporte pas l'approbation , et qu'on peut être fort
soumis à des lois très injustes . >>
Malheureusernent, la décision même du Saint- Siège
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 327

trouva des contradicteurs et les débats trop ardents


auxquels elle donna lieu , les scissions même qu'elle
opéra dans le clergé fidèle, affaiblirent encore des
forces que la même persécution eût pourtant récla-
mées plus unies .
Les administrations du département se chargèrent ,
il est vrai , de mettre les deux partis d'accord en soule-
vant contre eux les mêmes difficultés ..
C'est ainsi que le curé d'Evin-Malmaison , le célèbre
Charles- Philippe Caron , ayant demandé , le 21 août
1795 , moyennant sa déclaration de soumission , à
exercer dans son ancienne paroisse le culte catholique ,
fut sur le champ dénoncé et que la gendarmerie reçut
l'ordre de l'arrêter dans les vingt- quatre heures .
Le district de Béthune , le 8 août de la même année ,
y mit plus de formes.
On avait remis sur son bureau une lettre écrite à la
municipalité de La Buissière par Nicolas - Etienne Pin-
grenon , ainsi conçue :
<< Moi , prêtre insermenté soussigné , je demande acte
de ma soumission aux lois civiles de la République
requise par la loi du onze prairial , sous la réserve
expresse de tout ce qui concerne la foi et la discipline
de l'Église apostolique , catholique et romaine . »>
Or , reprend le District, comme la municipalité de-
mande que le directoire s'explique sur la formule , celui-
ci , « considérant que l'acte en question contient des
expressions tendantes à établir des distinctions odieuses ,
capables de fomenter des divisions et des haines entre
les citoyens en attisant les flambeaux de la discorde et
de l'intolérance ;
<
«
< Considérant que la liberté des dogmes , des cultes
et des opinions religieuses a été solennellement décré-
tée , que dès lors elles ne renferment rien qui puisse
gêner les consciences ;
<< Estime , après avoir ouï l'administrateur , rempla-
çant momentanément le procureur syndic , qu'il y a
328 LE CULTE CACHÉ

lieu de déclarer que la déclaration faite par Nicolas-


Etienne Pingrenon et dont il s'agit n'est pas admis-
sible ; qu'en conséquence ledit Pingrenon ne peut , à la
faveur d'une pareille déclaration , se livrer à l'exercice
d'aucun culte dans l'édifice à ce destiné en la com-
mune de La Buissière , sans contrevenir à l'article cinq
de la loi du onze prairial et sans s'exposer à la peine
portée par ledit article ;
<< Estime que la municipalité de La Buissière ne
doit ouvrir l'édifice destiné aux cultes qu'à ceux qui ,
voulant remplir le ministère d'un culte quelconque ,
auront fait une déclaration conforme à l'esprit et à la
lettre de la loi précitée , c'est-à- dire en se soumettant
aux lois de la République ( 1 ) . »
Toutefois les plus célèbres de ces missionnaires
d'avant-garde , qui crurent devoir se passer de tout
acte de soumission , avec réserve ou non , aux lois de
la République , nous les trouvons surtout au centre et
au nord du département : ce sont MM . Planchon et
Ducrocq, curés de Willeman et de Bours ; Dutertre et
Bouvart, et enfin M. Saint-Jean.

§ 2. - L'abbé Planchon.

Le portrait traditionnel de l'ancien vicaire de Beauvois . - Son dos-


sier. Il est dénoncé au district de Saint-Pol . -- Messe à Béalen-
court. - Visite à Verchin. - Premières communions solennelles
à Willeman . - Arrêté du Département. - Présence d'esprit du
maire Vandal. ― Messe à Ambricourt. - · Enquête à Willeman. --
Déposition de Lisbourg . - Arrestation, emprisonnement et fin de
l'abbé Planchon.

Ce serait un beau et fier portrait à faire que celui


de M. Planchon , si nous voulions en emprunter les

(1 ) Signé : Dupire, président ; Thullier, Taffin , Ozenne, Chevalier


Thullier remplaçant le procureur syndic .
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 329

couleurs aux souvenirs de nos vieillards , et aux récits


des saintes prouesses qui ont bercé notre enfance . Que
de fois n'avons-nous pas entendu vanter le courage
de cet ancien vicaire de Beauvois , l'ami et le protégé
de nos vieux parents , familier de leur table et de leur
foyer , plus encore durant les mauvais jours que durant
les jours heureux ! Son aspect un peu rude , sa vo-
lonté tenace , sa force musculaire , ses jarrets infati-
gables , sa voix qu'on entendait à travers les prairies
de tout un village , ses vigoureux sermons , ses dégui-
sements multiples, les admirables fidélités qu'il sus-
cita , les dangers qu'il sut longtemps éviter , et jusqu'à
cette audace toute française qui le portait parfois à
braver ses ennemis pour avoir la jouissance de les
vaincre , fourniraient une abondante matière pour un
tableau de fantaisie.
Il faut nous borner à rappeler ici les notes officielles
des Districts de Saint- Pol et de Montreuil , qui s'atta-
chaient à sa poursuite , ou les détails d'un dossier sans
numéro retrouvé au tribunal criminel de Saint- Omer
sous ce simple titre : Le curé Planchon, 27 fructidor,
an 3.
Quoique rien ne prouve que l'abbé Pierre- Florent
Planchon soit jamais sorti du territoire français , même
aux plus mauvais jours , c'est seulement le 17 mai 1795
qu'il est fait mention de lui pour la première fois dans
les Registres du district de Saint- Pol .
Ce jour là , « un membre rappelle que les prêtres
réfractaires ont été rangés parmi les ennemis de la
Révolution , et le devoir des autorités constituées est
de surveiller ces ennemis or les lois condamnent les
prêtres réfractaires qui rentrent sur le territoire fran-
çais à être traduits devant les tribunaux , condamnés
et exécutés dans les 24 heures .
« Un nommé Planchon , ex-curé de Wavans (sic),
roule insolemment de commune en commune , y prêche
ouvertement la contre- révolution , discrédite les assi-
330 LE CULTE CACHÉ

gnats et la vente des domaines nationaux , ferme la


porte du paradis à quiconque en a acquis , s'il ne les
restitue ; si l'administration ne prend de grandes me-
sures pour faire arrêter ce scélérat , il est bientôt à
craindre que les royalistes et les fanatiques fassent
éclore dans ce département une nouvelle Vendée .
« Il propose d'enjoindre à toutes les municipalités du
district de faire arrêter et conduire à la maison d'arrêt
le nommé Planchon , ex - curé de Wavans , les rendant
coupables de toute négligence à ce sujet . Il le signale
également à la force armée , gardes nationaux , gen-
darmes, etc. Les noms et signalement dudit Planchon
seront imprimés et affichés dans chaque commune. »>
Le 23 mai , « l'administration du même district ,
informée que le nommé Planchon , ci- devant curé de
Willeman, prêtre déporté , est rentré sur le territoire
de la république , qu'il a parcouru notamment Neuville-
au-Cornet, Lisbourg , Verchin , etc. , qu'il prêche la
contre-révolution , discrédite les assignats , la vente des
biens nationaux ; considérant que la morale empestée
qu'il débite exige que l'on prenne , pour le faire arrêter ,
les mesures les plus efficaces , requiert pour ce faire
toutes les autorités de l'arrondissement et imprime
son arrêté à 300 exemplaires . >>
Le 5 juillet, un dimanche , il fut dénoncé à Montreuil
par le maire de Béalencourt , Lesenne , et le procureur
Lagache , pour avoir chanté la messe et les vêpres ce
jour-là même dans la commune .
Selon son habitude , l'abbé Planchon avait dressé
son autel dans une prairie , et c'est seulement à onze
heures du matin que la messe avait commencé. Les
dames de Tramecourt et de Bucamp y sont venues ,
continue le rapport, entourées par une foule de monde,
armée de bâtons . Un détachement de cinq chasseurs
d'Hesdin arriva même chez le maire sur ces entrefaites ,
et le frère du maire leur déclara qu'on était à dire la
messe dans « la pâture » de la veuve Samier ; les chas-
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 331

seurs allèrent faire une perquisition , mais ils parurent


ne rien voir et se retirèrent sans rien dire .
Quant à Bernardine Lesenne , nièce du maire , qui y
était alléc , elle fut injuriée par un grand nombre de
femmes. Beaucoup se sont aussi répandus en menaces
contre Philippe Lesenne , frère du maire , continue
toujours le rapport , disant qu'il n'aurait pas porté ses
os à Lille , s'il était aperçu . Sur ce , la citoyenne Cor-
donnier , veuve de Jacques Samier , qui avait laissé dire
cette messe chez elle , fut citée en police correction-
nelle par le District de Montreuil et condamnée à
1,000 francs d'amende quant à l'abbé Planchon , on
ne le trouva point.
Des ordres avaient pourtant été donnés à la gen-
darmerie d'Hesdin et à celle de Fruges pour qu'elles
se missent à sa recherche . Le samedi 19 juillet , un
détachement de la force armée arriva à Verchin où sa
présence avait été signalée . Le procureur de Verchin ,
Hébert, et l'officier Servin , obligés de comparaître ,
déclarèrent qu'effectivement plusieurs fois l'abbé
Planchon avait dit la messe à Verchin et que ce jour-
là même il l'avait encore dite à huit heures du matin ,
le procureur présent pour exercer la police . Inconti-
nent , la force armée visita la maison de Jean Delan-
noy, celle de la dame Vendôme , qui avait été dénoncée
comme l'hôtesse accoutumée du prêtre réfractaire et
celle de Bocquet . Mais on ne découvrit nulle part le
curé de Willeman .
Le 9 août , un samedi encore , le procureur syndic
du district de Montreuil écrivait au commandant de
gendarmerie du même district pour le prévenir que
le curé Planchon continuait ses écarts . « Le 5 août,
dit-il , il a chanté la messe à Willeman et il doit sous
peu donner la communion aux enfants de cette com-
mune ; donnez des ordres précis à vos gendarmes . »>
Le dénonciateur, un nommé Martel , de Willeman,
avait même donné le nom de deux des communiants .
qu'il appelle Druon et Petit .
332 LE CULTE CACHÉ

Le fait est que , malgré cette dénonciation et ces pré-


cautions , l'abbé Planchon trouva moyen d'accomplir
sans encombre , à Willeman même , sa cérémonie de
premières communions. Si l'on en croit la tradition ,
plus de deux cent cinquante enfants y prirent part et
il en vint de trois lieues à la ronde , jusque du village
de Saint-Martin- Glise , annexe de Wavrans , de l'autre
côté de la Ternoise .
Le bruit de cette cérémonie audacieuse arriva jus-
qu'à Arras et, le 20 août , un arrêté du Département
enjoignit l'arrestation immédiate du curé Planchon .
Les brigades de gendarmerie de Montreuil , d'Hesdin
et de Fruges furent de nouveau requises à cet effet .
C'est alors sans doute que se passa le trait suivant
qui est de notoriété publique à Willeman .
Un soir , y racontent les vieillards , M. Planchon était
couché chez son beau-frère M. Dupont, quand deux
gendarmes arrivent chez le maire , M. Vandal ; ils le
requièrent de les accompagner pour arrêter sur le
champ le curé. Le maire , surpris , se lève et sort avec
eux , mais à peine sorti , la présence d'esprit lui revient
et il dit aux gendarmes : « J'ai oublié mon bonnet , il
fait frais , attendez-moi un moment ,je reviens .>> Il retour-
ne donc chez lui , et en prenant effectivement son bonnet ,
il dit en même temps à sa femme : « Cours vite avertir
M. le curé que deux gendarmes vont le prendre au
lit. » Lui retourne à ses gendarmes , les conduit par un
long détour, arrive enfin quand le curé a eu le temps
de sauter par une fenêtre , portant en main sa culotte
qu'il remit seulement un peu plus tard .
Le 13 septembre , un samedi toujours , c'est à Ambri-
court que nous retrouvons le curé Planchon . Ce jour-
là, quatre gendarmes de Fruges , avertis que le curé
Planchon devait dire la messe à Lisbourg , c'est le
propre rapport des gendarmes que nous reproduisons ,
se rendirent en cette commune . Parvenus là , on leur
dit que c'était à Ambricourt. Ils s'y rendirent . Le maire
était absent. « Voyant qu'une multitude de peuple des
LES PREMIERS , MISSIONNAIRES 333

deux sexes arrivait de tous côtés pour entendre la


messe dudit Planchon , nous nous sommes transportés
chez le citoyen Pierre Desgroseillier , laboureur , nous
avons passé dans sa cour , et sommes arrivés à la bar-
rière de la pâture , qui nous a été fermée par plusieurs
individus et un homme armé d'une fourche , et une
multitude de monde armée de gros bâtons et de
pierres , plus l'édifice d'une chapelle pour dire la messe ,
ornée de plusieurs draps blancs pardessus .
Ayant interpellé tous les individus qui étaient ras-
semblés dans cette pâture de se retirer au nom de la
loi et réitéré à plusieurs fois , ils n'ont pas obéi et tout
le rassemblement avait un air furieux et bravant
l'obéissance à la loi . J'ai envoyé chercher une seconde
fois le citoyen Prin , maire de cette dite commune , qui
nous a conduits dans la maison- commune , où se trou-
vait le citoyen Harduin , officier municipal , et Augustin
Leroy , notable , que nous avons interpellés , de nous
dire s'ils avaient connaissance de ce rassemblement.
Ils nous ont répondu tous trois qu'ils n'en avaient
aucune connaissance ; ils ignoraient qu'on allait dire la
messe dans la pâture de Desgroseillier .
« Après la messe , le citoyen Desgroseillier a apporté
du pain et des rafraîchissements dans la pâture (1) . »
Il y avait longtemps que le brigadier Wattebled et
ses hommes cherchaient le curé Planchon , car déjà il
écrivait de Fruges , le 26 août , au District de Montreuil
qui le relançait sans cesse : « Nous ne cessons de nous
occuper de cet objet tous les jours . Mais toutes les
communes qu'il parcourt sont si fanatisées qu'il a cent
espions pour un qui lui servent de vedettes . Il y a même
des vedettes dans les clochers pour nous voir venir ;
et les officiers municipaux tiennent la main pour em-
pêcher cette arrestation . » .

(1) Aimable Wattebled, brigadier ; Garin, Legay, Gournet, gen-


darmes. 1
334 LE CULTE CACHÉ

Cependant, les dénonciations se multipliaient avec


les actes d'audace du curé de Willeman et les marques
de fidélité de ses amis . Le 18 septembre , une nouvelle
dénonciation arrivait à Montreuil contre le maire de
Willeman . On y disait que , le 13 , il avait toléré un
rassemblement séditieux et armé , et livré les clefs de
l'église pour ce rassemblement . Le citoyen Adrien-
Joseph Delannoy , maire d'Embry, commissaire re-
nommé pour sa prudence et son habileté , fut même
envoyé à Willeman pour prendre des renseignements
à cet effet .
Il demanda sur son chemin qui pourrait le rensei-
gner et finalement arriva chez Alexandre Courbet,
cabaretier, où il appela les officiers municipaux de la
commune, exhiba sa commission , et les fit s'expliquer
séparément. Silvestre Mouton , François Lhomme ,
Paschal Thérouanne , Alexandre Courbet , François
Gosselin , Charles Lefebvre , Antoine Erard , Pierre-
Joseph Carpentier et Pierre Dobigny dirent qu'ils
n'avaient aucune connaissance du fait incriminé et
nièrent même tout rassemblement dans l'église . Ils
dirent seulement que le nommé Planchon avait plu-
sieurs fois dit la messe dans la cour du ci-devant pres-
bytère , alors occupé par Marie Dupont, beau- frère de
ce prêtre ; beaucoup de monde de Willeman et du voi-
sinage y avait assisté : il avait aussi fait des premières
communions et reçu la rétractation de plusieurs reli-
gieuses dans une pâture occupée par Alexandre Courbet
et une fois dans celle de Pierre Capendu . C'est à cela
que se bornèrent tous les éclaircissements obtenus par
le commissaire Delannoy .
Le 6 octobre , c'est le District de Saint-Pol qui est
saisi à son tour d'une dénonciation contre l'abbé Plan-
chon. Binet, maire de Lisbourg , vient déclarer que
ce curé, sujet à la déportation , dit souvent la messe à
Lisbourg et y prêche des sermons qui sont contraires
au gouvernement et au bon ordre . Une grande mul-
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 335

titude , ajoute-t-il , y assiste . Ensuite ledit Planchon se


retire à Verchin , dans une ferme occupée par le ci-
toyen Bocquet et quelquefois chez Pierre - Joseph
Baudry , à Lisbourg . Entre autres griefs , Binet reproche
encore à l'abbé Planchon de s'unir aux militaires reve❤
nus , qui ont des rendez -vous chez l'adjudant Joseph
Defebvin, pour chanter des chansons injurieuses au
gouvernement. Ledit Planchon est encore accusé
d'autoriser ses créatures à acheter des domaines natio-
naux, tandis qu'il le défend aux patriotes .
Ces dénonciations répétées devaient amener enfin
l'arrestation du célèbre curé de Willeman qui fut pris
à Lisbourg, chez Baudry , cité devant le tribunal cri-
minel de Saint-Omer et retenu en prison jusqu'à la
paix religieuse . D'après les traditions de Lisbourg,
ceux qui le dénoncèrent furent punis visiblement. Le
mari se brisa la jambe et on ne put jamais la remettre ;
la femme mourut d'une plaie aux mains qui se remplit
de vermine et qu'on ne put jamais guérir .
Une fois sorti de prison, il se retira à Verchin , où il
vécut d'une vie assez singulière , rebelle à toute conces
sion , rebelle au Concordat lui-même , au point de ne
point reconnaître Mgr de la Tour d'Auvergne pour
son évêque légitime .

! 3. - MM . Dutertre et Liévin Bouvart.

Le chapelain de Saint-Nicolas de Croisettes. - Première arrestation


à Torcy. ---- Il se fait manouvrier. - Dénonciations contre lui.
Réquisition de Merlin . - Deuxième arrestation. Plaintes du
Conseil de Torcy . -1 Procès et bannissement de l'abbe Dutertre .
Le curé de Sains-les-Fressin. -- Les troubles de Nielles- lès-Blequin.
-- Curieux Rapport de l'agent Pasquier . --- Le siège d'un clocher.

C'est encore dans le pays de Saint- Pol , à Croisettes ,


où il était vicaire du curé Mesnard , que le mission-
336 LE CULTE CACHÉ

naire Jean- François Dutertre exerça d'abord le saint


ministère en cachette .
Il raconte lui-même , dans une sorte de plaidoyer
autobiographique joint à son dossier ( 1 ) , qu'ordonné
prêtre en 1788 , il fut immédiatement nommé chapelain
de Saint-Nicolas de Croisettes . Ne se croyant pas tenu
au serment , ajoute-t-il , comme les religieux mendiants ,
il refusa de le prêter et fut déporté le 26 août 1792. Il
se cacha dès lors et ne reparut à Croisettes que le di-
manche et de temps en temps . Averti , le 15 janvier
1793 , qu'il devait être arrêté , il disparut et se retira à
Torcy. C'est là qu'il fut arrêté une première fois , à la
fin de février de la même année , et conduit devant le
juge de paix de Croisettes qui le remit en liberté . Il se
rendit de nouveau à Torcy et s'y fit manouvrier. Il y
vécut errant et malheureux jusqu'au 3 décembre 1794,
jour où il reprit secrètement ses fonctions . Il se sou-
mit ensuite à la municipalité et exerça son culte pu-
bliquement. Mais , conclut-il , il n'a jamais prêché
autre chose que la concorde , l'union et la charité . Il
a fait le bien , il est soumis aux lois , que peut- il
attendre , sinon la liberté ?
Les Archives du district de Montreuil signalent de
la manière suivante un incident de la vie de M. Du-
tertre .
Le 2 avril 1795 , Dutertre , disent-elles , ancien vicaire
de Croisettes , était poursuivi par les gendarmes à
Herly et Rimboval . Cette poursuite avait été provo-
1 quée par la dénonciation d'Herbet , receveur de l'enre-
gistrement et des domaines à Hucqueliers , qui , en date
du 1er avril 1795 , avait dit « qu'un prêtre réfractaire
organisait à Herly la contre-révolution , y remplissait
les fonctions du culte tous les dimanches et y prêchait
contre les lois . Ce prêtre allait même dans les com-

(1) Archives du tribunal révolutionnaire de Saint- Omer, dossier


n⚫ 403.
LES PREMIERS MISSIONNAIRES · 337

munes environnantes , disant que douze cents de pa-


reils scélérats sont rentrés sur le territoire français ,
vont reprendre leurs fonctions , faire restituer les
biens , etc. » Le juge de paix d'Hucqueliers , Marquant ,
de son côté, signalait comme réfractaire le nommé
Dutertre , originaire de Rimboval , ci-devant vicaire à
Croisettes , près St-Pol . « Il s'est permis, le dimanche
des Rameaux , de dire la messe solennelle chez le ci-
toyen Cocatrix père , d'Herly ; il a baptisé , confessé ,
donné la communion , etc. Que l'agent national du
district de Boulogne lance donc un mandat d'amener
contre lui . » Il ajoute , le même jour , s'adressant au
même Marmin , agent national , « que non seulement
tout Herly est fanatisé , mais encore les villages envi-
ronnants ; trois maîtres d'école , s'étant présentés pour
chanter la messe qu'allait dire le prêtre séditieux,
n'ont obtenu d'entrer qu'en rétractant leur serment ;
les acquéreurs des biens nationaux n'ont eu l'absolu-
tion que moyennant promesse de restitution ; les en-
fants baptisés autrement que par un prêtre réfractaire
ont été rebaptisés au nombre de quatre ou cinq cents .
Le sieur Cocatrix fils a demandé pardon à Dieu et aux
hommes d'avoir juré fidélité à la Constitution . La
Pâque se prépare , prenez des mesures efficaces . >>
Par délibération immédiate , on envoya Coquilière
sur les lieux , mais l'abbé Dutertre échappa .
C'est à la réquisition du nouveau procureur Merlin
qu'il fut arrêté un peu plus tard . Celui- ci avait écrit,
le 17 juin 1795 , au procureur de Montreuil , David , « que
le réfractaire Dutertre s'avisait de dire des messes
dans son district armé de pistolets et qu'il débitait
une doctrine dont le but était d'allumer la guerre
civile ». Il fallait s'assurer de sa personne .
Donc, d'après les ordres venus de Montreuil , le
3 août, un homme que nous connaissons déjà , le bri-
gadier Wattebled , et la brigade de Fruges se rendirent
à Torcy où Dutertre devait dire un obit ; à neufheures
22
338 LE CULTE CACHÉ

du matin ils s'emparèrent des deux portes de l'église ,


et, voyant sur l'autel un calice préparé , deux cierges
allumés et le faux corps devant l'autel , ils entrèrent et
trouvèrent le prêtre Dutertre dans le confessionnal qui
confessait un homme . « Nous l'avons arrêté au nom de
la loi , conclut Wattebled , et conduit à Hesdin , accom-
pagnés de quelques gardes nationaux . »>
Le lendemain , les membres du Conseil général de
Torcy se plaignirent aux administrateurs de Montreuil
qu'on avait troublé l'exercice de leur culte , contraire-
ment à la loi du 3 ventôse et du 11 prairial , sans les
avertir, les gendarmes avaient arraché du confession-
nal , sabres et pistolets au poing , le citoyen Dutertre ,
en le maltraitant et l'injuriant et le traînant ignomi-
nieusement hors de l'église , revêtu de ses habits sacer-
dotaux, sans vouloir même lui permettre de reprendre
ses habits ordinaires , maltraitant même différentes
citoyennes également à la porte de l'église . Ils ter-
minent leur plainte , qui est assez vive, en demandant
justice et liberté ( 1 ) .
Incontinent , les administrateurs du district de Mon-
treuil firent amener Dutertre devant cux et l'interro-
gèrent sur son passé dont acte.
Le 5 août, réflexion faite , on en réfère au Comité de
Sûreté générale de la Convention nationale pour sta-
tuer, et au Département.
Merlin, au nom du Département, félicite le procu-
reur-syndic et l'engage à redoubler de vigilance ; mais
le Comité de Sûreté générale , après avoir étudié la
question , ne trouva rien dans les pièces qui justifiât
l'arrestation inconsidérée du citoyen Dutertre , qui
exerçait son culte avec l'autorisation de la commune
de Torcy , sur le territoire de laquelle on s'était porté
en armes sans la prévenir .

(1) Lens , maire ; Dupret, procureur ; Macaire, Loiset, Rouchaville ,


Guillaume Caron, Queval , Billet , notables.
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 339

<< En supposant ce ministre coupable , dit- il , vous


sentez combien il a été imprudent de compromettre la
tranquillité publique , par la forme de l'arrestation , oụ
plutôt én négligeant toutes les formes , toutes les
>
mesures de prudence et de politique . »
Le Comité attend de nouvelles informations , et il
ajoute: « Nous comptons sur votre sagesse et sur votre
énergie pour réprimander, autant qu'il le mérite , l'offi-
cier qui a commandé les gendarmes pour cette exécu-
tion ; nous avons lieu de croire qu'en pareille circons-
tance , vous tracerez avec plus de précision la marche
à suivre par ceux que vous chargerez de l'exécution de
vos ordres (1). »
Le District dut s'excuser de n'avoir pas destitué
l'officier qui s'était laissé , dit- il , entraîner par son zèle
indiscret, et il convient que les prêtres fanatiques sont
des malades qu'il faut guérir par. la tolérance et non
par la persécution .
Mais le Comité ne tarda pas à se déjuger . Une nou-
velle lettre signée Monmayou et Barère , en date du
18 septembre, engage le District à faire exécuter la loi
du 20 fructidor. « Si cette loi atteint Dutertre , dit- il,
il doit être banni à perpétuité . » C'est pourquoi si l'abbé
Dutertre fut mis en liberté , ce ne fut pas pour long-
temps , puisque nous le retrouvons , un mois plus tard ,
devant le tribunal de Saint- Omer. Il y comparut , le
9 octobre 1795 , à titre d'émigré rentré , et l'on fit venir,
de Croisettes , Louis Prévost et François-Joseph Pénet
pour constater son identité . Le prévenu affirma qu'il
avait bien pris un passeport dans la commune de Torcy,
mais il ajouta qu'il ne s'en était jamais servi , puisqu'il
n'était point sorti du territoire français . On lui accorda
un mois pour le prouver. Sa cause revint devant le
même tribunal , le 5 janvier 1796 , et après avoir
entendu l'accusateur public , le commissaire Masse et

(1 ) Cette lettre est signée : Lomont et Ysabeau.


340 LE CULTE CACHÉ

l'accusé qui se défendit lui -même , le tribunal criminel


condamna l'abbé Dutertre à être banni à perpétuité du
territoire de la République ( 1).
Dans un prochain Chapitre , nous retrouverons l'abbé
Dutertre à Saint-Martin- Choquel , où les notes de l'Évê-
ché de 1802 , le signalent « comme un prêtre de très
bonne conduite , ayant beaucoup de talent , fort zélé
pour la religion , et propre à remplir toute place , mais
de santé assez délicate » . Il célébrait alors les saints
mystères dans la paroisse de Saint- Martin , comme
prêtre non employé (2) .
Non loin de Rimboval , lieu de naissance de l'abbé
Dutertre , un autre curé , celui de Sains- les - Fressin ,
l'abbé Liévin Bouvart, mérite également une mention
parmi nos premiers et nos plus courageux mission-
naires du Culte caché . C'est dans le rapport au jury de
Saint-Omer de l'agent national Pasquier , de Nielles-
les - Bléquin , que nous trouverons les principaux griefs
que l'administration avait à reprocher à l'abbé Bou-
vart, quand elle le fit comparaître , à la fin de jan-
vier 1796 , devant le tribunal criminel (3) . Donc ,
le 28 janvier 1796 , raconte Pasquier, sur l'invitation
du chef de patrouille qu'il avait un rapport pressant à
nous faire à la chambre commune , nous y sommes
transportés et il fit remettre entre nos mains Liévin
Bouvart, prêtre déporté , natif d'Haffreingue , ci - devant
curé de Sein, près Hesdin , arrêté sur les 12 h . 112 de
la nuit , par la patrouille faisant sa ronde, comme il
sortait de la maison de Liévin Heugniez , de Nielles ,
malade depuis quelques jours , qu'il était venu confes-
ser, selon l'aveu qu'il en fit à la garde .
« Nous lui fimes subir un interrogatoire ; comme
il n'avait point de passe-port , ni de déclaration , nous

(1) Juges Hacot, Mariette, Aubert, Thulliez ; secr. , Lefelle.


(2) Archives de l'Évêché.
(3) Archives du tribunal criminel. Dossier, nº 58.
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 341

le traduisimes devant le juge de paix de Wismes .


« Il était cinq heures du matin quand nous fumes
avertis , par différents individus , que les fanatiques de la
commune s'agitaient , que différentes personnes étaient
sorties à cheval , bride abattue , dans le dessein , sans
doute , d'ameuter contre nous leurs dignes partisans et
de reprendre celui qui était arrêté .
« Ce qui s'est passé l'été dernier à Saint-Liévin ,
canton de Fauquembergue , était encore présent à
notre esprit.
« L'obscurité de la nuit , le peu de personnes pro-
pres à le conduire que nous avions à notre disposition ,
la distance de Nielles à Wismes , lieu de résidence du
juge de paix , l'incertitude où nous étions si , peut-être ,
des attroupements ne s'étaient postés sur le chemin , ce
qui n'était que trop vrai , comme nous l'apprîmes , le
défaut de place propre à le mettre en sûreté à Wismes ,
en cas d'attaque , nous détermina à attendre le jour
pour envoyer à la découverte et prendre notre parti à
son égard .
« Sur les 7 heures et demie du matin , nous apprîmes
que le cas prévu n'existait que trop pour la tranquillité
publique une foule de citoyens alarmés vint nous
faire rapport qu'un rassemblement nombreux était
placé sur les hauteurs , entre Nielles et Wismes , et que
ce n'était que des pelotons épars de tous côtés, qui
allaient se réunir à celui-là ou qui s'arrêtaient en dif-
férents endroits , pour former d'autres groupes plus
nombreux que le premier, que différentes personnes
leur avaient fait entendre que nous nous repentirions
d'avoir arrêté Bouvart et que l'on était déjà instruit de
son arrestation six lieues à la ronde.
« Le frère même du déporté nous tenait à peu près
le même langage dans la chambre commune où il
insultait la garde nationale et l'invitait à boire de l'eau-
de-vie, pour l'intimider ou la griser .
« L'agent municipal alla alors à la découverte ; à
342 LE CULTE CACHÉ

un quart de lieue il rencontre cent cinquante hommes


qui marchaient sur la commune . De retour à la chambre
commune , il prit une mesure qui nous sauva , selon
toute apparence , de la guerre civile , en ordonnant
sur le champ à la garde de conduire le réfractaire dans
la tour de l'église , où il fit porter des pierres , du pain
et des armes , pour se défendre et soutenir l'assaut , en
cas d'attaque : ce qui fut exécuté par les hommes ,
femmes et enfants , qui attendaient avec intrépidité
l'arrivée des brigands pour se retirer .
<< L'agent municipal , oubliant alors le danger , prend
aussitôt son écharpe et marche à la rencontre des ré-
voltés pour s'assurer de leur dessein , mais , à peine
a-t-il fait dix pas , que les révoltés fondent sur lui et lui
demandent les clefs de l'église et la liberté du détenu .
« C'est en vain qu'il veut se faire entendre au milieu
des cris de cette horde fanatique , il s'aperçut qu'il ne
lui restait plus d'autre parti que la fuite et parvint à
s'esquiver heureusement.
« Ces nouveaux chouans se portent alors sur la
maison commune , le concierge tient ferme . Ils arri-
vèrent ensuite à l'église.
« L'agent national , qui s'était retiré dans la maison
de feu son père , à une demi -lieue de là , dépêcha deux
exprès à Saint-Omer pour demander des renforts .
Pendant ce temps , il était poursuivi par sept révoltés
qui le forcèrent à quitter ses foyers et se firent donner
à boire et à manger par ses parents , disant qu'ils
étaient la force armée.
<< Ils insultèrent également le commissaire du pou-
voir exécutif du canton de Wismes , qui arrivait , ceint
de son écharpe , et menacèrent de brûler l'église et le
village, si on ne leur livrait le détenu .
« Comme la tour restait sourde à leurs menaces et
que ce fort était inexpugnable pour eux , ils prirent le
parti de se retirer, après s'être jetés sur un garde na-
tional de la commune , qu'ils désarmèrent.
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 343

« Nous fûmes tranquilles le reste de la journée , mais


il y eut de nombreux rassemblements dans les envi-
rons et l'agitation grossissait , quand la troupe de
Saint- Omer arriva sur les trois heures de la nuit, avec
des canons .
<< La crainte les dispersa et une seconde attaque n'eut
pas lieu.
L'après -midi , les chasseurs arrêtèrent quatre ou
cinq rebelles ; un piquet nous reste , mais on sent trans-
pirer chaque jour les menaces de ces nouveaux
chouans et le fanatisme allumé par les réfractaires qui
fourmillent est maintenant à son comble . - Pasquier ,
agent nat.; Crachet , adj . »
D'après les ordres du District de Saint- Omer , Bou-
vart arrêté , on rechercha ses complices . Le juge- de-
paix Emmanuel de Corbie commença une foule d'in-
terrogatoires à ce sujet et fit comparaitre jusqu'à
quarante - trois inculpés .
Il avait fait pour cela une longue proclamation ,
annonçant avec complaisance ses projets de déjouer
les desseins perfides des prêtres réfractaires , de rom-
pre leurs mesures liberticides , etc. , etc. Finalement ,
on arrêta Henri Merlen , tisserand de Wismes , J.-B.
Prudhomme de Lumbres , Marie Dupont et quelques
autres . La question fut étudiée à nouveau à Saint-
Omer et tout finit par un acquittement . Mais tous les
missionnaires incriminés n'étaient point traités avec la
clémence que rencontra l'abbé Bouvart . Quelques jours
après l'acquittement de celui- ci , le 12 février 1796 ,
l'abbé Antoine -Joseph Ducrocq montait sur l'échafaud
à Saint-Omer .
344 LE CULTE CACHÉ

§ 4. - Vie, procès et mort de M. Ducrocq.

Origine de M. Ducrocq. - Ses études , ses divers postes. - Ses ré-


serves au serment. Premières dénonciations contre lui. - Il est
arrêté. - Dépositions de ses amis. - Son Mémoire à l'accusateur
public. L'enquête.— Vingt-deux communes témoignent en sa fa-
veur. - Interrogatoire. -- Il présente lui- même sa défense. - Texte
de son jugement. Coffin poursuit ses défenseurs. - Modifica-
tions administratives.

Cette dernière et sainte victime de la persécution


religieuse dans le Pas-de -Calais mérite à tous les points
de vue de nous arrêter encore .
M. Antoine-Joseph Ducrocq était originaire d'Aves-
nes-le- Comte , où il était né le 9 juin 1747. Après de
brillantes études au collège d'Arras , il entra dans l'état
ecclésiastique et passa par les paroisses de Beugnâtre
et de Barly- Fosseux avant d'arriver à Bours -Maretz
dont il fut nommé curé au mois de juin 1780. Ses
avantages extérieurs , sa valeur intellectuelle et surtout
un véritable talent oratoire l'y firent distinguer , au
point qu'il fut honoré , quoique jeune encore , de la
charge de doyen dans son canton de La Comté .
Quand arriva la Révolution , quand se posa surtout la
question de la Constitution civile , les réserves expresses
qu'il avait faites à la formule du serment , < « exceptant
formellement tout ce qui pourrait être contraire aux
droits légitimes de l'Église et à la religion catholique
et romaine , dans laquelle il a protesté vouloir vivre et
mourir (1) » , le firent bientôt désigner parmi les sus-
pects . L'activité généreuse qu'il mit au service de ses
paroissiens et la grande popularité dont il jouissait
dans le canton ne le sauvèrent pas plus que les autres
de la persécution ; au contraire . Toutefois , au lieu de

(1) Arch. municip. de Bours-Maretz à la date du 6 février 1791.


LES PREMIERS MISSIONNAIRES 345

prendre le chemin de l'exil , comme on l'a cru ( 1) , il


se cacha, comme il le dit (2) , et attendit des jours
meilleurs .
C'est vers le mois de mai 1795 que M. Ducrocq
commença à reparaître , et, depuis cette époque , il
exerça le culte caché à Bours et dans les environs .
Malgré la solennité des offices qu'il célébrait et la foule
qui s'y rendait , la première dénonciation faite contre
lui est seulement du dimanche 19 juillet . Elle émane
du procureur syndic de Saint- Pol qui l'accuse auprès
du commissaire Coffin , d'avoir célébré ce jour-là la
messe à Diéval , à 10 h . 1/2 , « devant un rassemble-
ment de six mille âmes » . Le même jour , le procureur
Gilliot, d'Aix-en- Ergny, le dénonce comme ayant paru
dans l'église de sa commune le dimanche précédent,
12 juillet, avec un autre prêtre , au milieu d'un rassem-
blement également considérable . Un peu plus tard , on
le dénonça comme ayant paru à Avesnes-le - Comte ,
le 26 juin .
L'enquête ouverte à cette époque par les soins de
Coffin et de Lecointe et qui se poursuivit à Thiem-
bronne , à Renty, à Ergny, fut vaine . Les enfants
déclarèrent seulement aux gendarmes que «< c'était un
gros courtaud » , et on apprit que son compagnon à
Aix-en- Ergny était M. Delaporte , de Saint- Denœux . M.
Ducrocq disparut donc encore pour un temps . Nous le
retrouvons le 3 décembre . Ce jour-là , « les maire ,
officiers municipaux et juge de paix de Pernes décla-
rent avoir trouvé assemblée dans la commune de Per-
nes , à l'endroit dit le pré Englard , une multitude
innombrable de personnes de toutes les communes
voisines du canton et à l'environ , qui ont voulu qu'on
dise la messe, sinon qu'ils auraient vu de quoi il était

(1) Notice sur M. A.-J. Ducrocq, curé doyen de Bours-Maretz, par


M. P. Ledru, 1859.
(2) Voir le Mémoire adressé à M. Gosse, cité plus loin.
.346 LE CULTE CACHÉ

question , et faisant croire par leurs paroles que la


Convention nationale avait décrété le libre exercice
des cultes et qu'ils voulaient user de ce droit et suivre
la religion de leurs pères . Nous avons cru pour l'inté-
rêt public et pour éviter un attroupement et des suites
qui auraient pu en résulter , surtout dans une circons-
tance aujourd'hui aussi critique , et que la Constitution
étant en activité et pour le bien public , de ne point
nous y être opposés, surtout que les personnes qui
étaient venues des campagnes étaient au moins au
nombre de quatre à cinq mille personnes environ , sans
armes . En conséquence , la messe a été dite dans la
plus grande dévotion , ainsi que le salut et le prêtre qui
a célébré cet office n'a aucunement prêché contre la
République . Nous avons cru devoir assister à cet
office , pour y mettre le bon ordre , au besoin . Les
offices finis , le peuple s'est retiré content , sans rien
dire une seule parole : nous attestons de plus que les
jours avant. nous avons été obligés de faire la même
chose . En foi de quoi nous avons signé , ajoutant que la
Convention nationale approuvera notre conduite à cet
égard pour éviter de plus grands malheurs . Her-
man , juge de paix ; Toursel , maire . »
Mais ce que les municipaux de Pernes croyaient
pouvoir approuver , « pour éviter de plus grands mal-
heurs » , ne fut pas approuvé par le Directoire du
Département . Coffin envoya des ordres sévères et le
26 décembre suivant, le commissaire de Pernes put
lui écrire cette lettre :
« Le ci -devant doyen de Bours a été arrêté hier
dans l'église de ce lieu , à la fin de la messe de 10 h.
Il avait passé la nuit avec ses innombrables fanatisés
à faire ce qu'on appelait les matines à berger ; c'est la
représentation de la naissance du Christ ; là y ont figuré
trois rois mages, ce spectacle était bien touchant et
bien flatteur pour des amateurs de la royauté.
« La gendarmerie et le détachement de chasseurs
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 347

de Saint-Pol qui ont fait cette expédition ont parfaite-


ment rempli leur devoir : il fallait bien des précautions
pour prendre ce fourbe . et malin prêtre qui se faisait
bien souvent accompagner d'hommes armés , dans ses
fonctions nocturnes , et qui attirait à ses offices journa-
liers deux à trois mille hommes . - Il n'a pu échapper. »
Le prisonnier fut emmené sur le champ dans la
prison de Saint- Pol.
Quatre jours plus tard , le 30 décembre , le juge de
paix de Pernes , Eusèbe Herman , commença une
enquête qui dura quatre jours et dans laquelle compa-
rurent cinquante-et-un témoins. Tous les agents des
communes voisines furent appelés . Ils reconnaissent
tous , notamment Joseph Toursel , de Walhuon , et Alexis
Roux , d'Aumerval , que M. Ducrocq , dans ses sermons
après la messe , prêchait la paix , l'union , la soumission
aux lois, le respect de la Convention , disant qu'il
fallait prier pour nos législateurs , etc.
On entend , dans le même sens , Jean-Marie Grillet ,
agent de Bailleul- les - Pernes , qui dit que le plus grand
silence régnait dans ces assemblées , et que chacun
s'en allait satisfait .
Le nouvel agent de Bours , Guislain Salomez , dit la
même chose « Depuis sept mois qu'il assiste aux
messes de M. Ducrocq, tout s'y passe dans le plus grand
calme ; il ajoute qu'il faut remercier la Convention
d'avoir rendu la liberté du culte » . Tous ces témoins
sont unanimes en faveur de M. Ducrocq ; ils croient de
plus qu'il a fait sa soumission aux lois .
Durant cette enquête , le prévenu était successive-
ment emmené de Saint- Pol dans les prisons d'Arras et
d'Arras dans celle de Saint- Omer où il arriva le 5 jan-
vier 1796 , d'après les ordres de Coffin .
Ses parents d'Avesnes qui suivaient , avec une anxiété
que l'on devine , les phases de ce procès eurent la
faculté, dit M. Ledru , de le visiter à Arras dans la pri-
son des Dominicains et d'admirer tout ensemble sa
348 LE CULTE CACHÉ

piété , sa résignation et son admirable fermeté . Si l'on


en croit la tradition , il déjoua même un projet impru-
dent conçu pour le délivrer.
Citons encore l'auteur de la notice que nous avons
signalée : « La commune de Bours- Marest ne restait
pas inactive . On y avait appris que le pasteur bien-
aimé devait paraître devant les juges de Saint- Omer et
qu'il n'aurait pas tardé à être dirigé sur cette ville .
Une vaste conspiration avait uni bon nombre d'amis
sûrs et dévoués , prêts à le sauver au péril de leur vie .
Une embuscade avait été résolue pour mettre en fuite
son escorte , lors de son voyage à Saint- Omer , et tout
était organisé pour le reconquérir par la violence . Son
vicaire , M. François , l'un de ses plus chauds partisans ,
lui fit tenir une lettre dans laquelle il lui demandait
comme une grâce suprême de lui donner avis du jour
de son départ d'Arras , afin de réaliser ce projet de
salut . Mais M. Ducrocq n'aurait jamais consenti à
exposer la vie de ses chers paroissiens , ni même celle
de son escorte , pour racheter la sienne . Il recula de-
vant l'effusion possible du sang et laissa sans réponse
la lettre de M. François . Ses amis apprirent donc son
arrivée à Saint- Omer , sans avoir rien pu entreprendre
pour le sauver . Sa famille elle-même n'eut connais-
sance de son départ que lorsqu'il eut été effectué , et
elle fut tout étonnée de le savoir parti quand elle se
présenta à la prison d'Arras pour lui faire une der-
nière visite . »
>
Mais si M. Ducrocq avait de généreux partisans , il
avait aussi de vigilants ennemis .
Le 11 janvier, le juge de paix de Pernes , Herman,
écrit à l'accusateur public pour se défendre et son
canton avec lui , contre une accusation qui affirme au
ministère que dans le canton de Pernes les prêtres
prêchent contre la Constitution et qu'il est infecté de
fanatiques . La déposition de tous les témoins ci- dessus
prouve bien le contraire , ajoute-t- il .
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 349

Le dénonciateur était Claudoré , le mauvais génie


de Pernes , qui , le 12 janvier , écrit de nouveau au com-
missaire Coffin pour dénoncer Herman d'être faible
et de ne pas prendre en main la cause des patriotes de
Bours contre les partisans de M. Ducrocq qui les cha-
grinent par des persécutions de toute espèce .
Le commissaire du directoire près le canton de
Monchy- Breton , Choquet, annonce de son côté au
juge de paix de ce canton , L. Tromont, « que des
émissaires de la clique fanatique parcourent les com-
munes pour capter des signatures afin de réclamer
l'élargissement de ce fameux révolutionnaire » . Il
voudrait le faire arrêter. Le juge de paix s'y refuse .
Coffin est consulté et ne répond pas .
Cependant M. Ducrocq , arrivé à Saint-Omer , s'oc-
cupait de sa défense et écrivait un Mémoire adressé
à l'accusateur Gosse.
Voici cette pièce qui met en pleine clarté la justice
de sa cause : elle est encore annexée au dossier de
M. Ducrocq au tribunal de Saint- Omer :
« Citoyen , je fus arrêté le 4 nivôse dernier : il ne
s'est commis aucun trouble relativement à mon arres-
tation je me suis laissé lier , sans témoigner la moindre
résistance . Le peuple , il est vrai , en gémit , mais per-
sonne n'est venu autour de moi pour me retirer . J'avais
eu soin, dans le moment qu'on m'arrêtait , de crier
que je ne voulais point de trouble . Je partis donc
pour Saint- Pol , monté sur le cheval d'un gendarme ,
et je fus écroué dans les prisons dudit St- Pol . On ne
m'a signifié ni procès - verbal , ni l'ordre en vertu
duquel je fus arrêté , ni les motifs de mon arrestation .
Ces motifs n'ont été couchés sur le registre aux actes
d'écrou que le quatrième jour de ma dite arrestation , en
vertu d'un arrêté pris la veille par l'administration mu-
nicipale de Saint- Pol , dans l'arrondissement de laquelle
ma commune où je fus saisi ne se trouve point . Dans
ledit arrêté , on me traite de prêtre déporté et de
350 LE CULTE CACHÉ

contre-révolutionnaire ; j'avoue que mon nom pourrait


bien être couché sur la liste des prêtres déportés ,
puisqu'on m'a envoyé du District un passeport pour
passer en pays étranger ; mais ce passeport ne me
paraissant pas de nature à me rassurer sur le danger
qu'il y avait à courir au passage de la frontière , surtout
après l'exemple des autres qu'on assurait y avoir été
maltraités et dévalisés , je l'ai négligé d'ailleurs une
maladie qui me survint quelque temps après et de
laquelle je n'ai jamais été parfaitement guéri m'ôta
toute envie de m'en aller. Je me suis donc caché aux
yeux du District qui avait opiné à ma déportation , et
j'ai cru qu'il m'aurait été bien difficile , n'ayant pas de
fortune , de vivre parmi des étrangers .
« Quant à la note de contre- révolutionnaire , je ne
peux concevoir comment on ose me l'attribuer . Faites
attention qu'il a fallu trois jours d'arrestation pour me
noter ainsi . Il est à croire que ceux qui me traitent de
la sorte ne m'ont jamais connu et peut- être ne m'ont
jamais vu depuis la Révolution . C'est à ceux qui me
connaissent et qui étaient à portée de me voir , d'ap-
précier ce que j'ai fait pour la révolution . C'est à
eux de dire combien j'aimais la nation . Les pauvres
de ma commune me rendront éternel'ement témoi-
gnage que j'étais leur père dans les moments de di-
sette ; je les ai approvisionnés en 1789 (v. s . ) pour plu-
sieurs mois. Dans ma commune on se conformait en
tout aux décrets , et comme on m'avait choisi pour
remplir la place de procureur de commune , je faisais
afficher et lire les décrets à la porte de l'église , et
souvent je les lisais moi-même . Dans ma commune
on payait exactement les contributions , et je donnais
l'exemple en payant des premiers ; on a dressé un
registre patriotique , et j'ai couché moi - même en tête
la somme que je m'engageais de donner à la patrie ,
et plusieurs autres ont suivi mon exemple . Dans ma
commune, il n'y a jamais eu de soulèvement, et per-
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 351

sonne n'a eu part aux émeutes qui auraient pu avoir


lieu ailleurs ; personne ne s'est émigré ; on a livré
tous les contingents tant en hommes qu'en vivres et
en chevaux ; on a fait tous les convois ; tous les garçons
en réquisition ont marché au secours de la patrie , et
plusieurs sont morts pour sa défense . Après tant de
preuves de patriotisme aussi manifestes , soit de mon
côté , soit de celui des habitants de ma commune qui
m'étaient intimement attachés , quel est celui qui pour-
rait dire que j'eusse seulement pensé à opérer une
contre -révolution ?
« Le décret sur la liberté du culte me donne enfin
l'espoir de voir revivre mon ancienne liberté. Les
décrets qui devenaient de plus en plus favorables au
culte et aux ministres , tel surtout que celui du 11
prairial an 3 , m'ont enfin déterminé à me montrer
publiquement.
« Le District de Saint- Pol était informé que le culte
se faisait en plusieurs endroits et cela dans les mai-
sons . Il a cité à sa barre les officiers municipaux de
ma commune pour s'informer s'il ne se passait rien de
contraire au bon ordre par rapport au culte que
j'exerçais ; sur les bons témoignages desdits officiers ,
il leur a été répondu que je pouvais continuer. En
effet , le peuple assistait aux exercices de religion
avec une dévotion qui m'édifiait ; et si je leur parlais
quelquefois , c'était pour les animer de plus en plus à
aimer leur créateur , leur prochain , à obéir à leurs
supérieurs , à prier pour ceux qui sont en place . Au
reste , le témoignage de ceux qui m'ont entendu est
un sûr garant de ce que j'avance .
« J'ai donc continué d'exercer ainsi mon culte jus-
qu'à ce que le Département , par une proclamation ,
15 thermidor an 3 , ait improuvé le culte qui se faisait
dans les maisons , voulant qu'il se fit désormais dans
les bâtiments destinés à cet effet, et cela par les prêtres
quels qu'ils soient et quelles que soient leurs opinions,
352 LE CULTE CACHÉ

parce que la République les accueille et les protège


tous , pourvu qu'ils soient de bons citoyens soumis aux
lois . J'ai suivi les dispositions de la proclamation , j'ai
fait mon culte dans l'édifice commun , ayant au préa-
lable fait ma soumission aux lois, comme le décret du
11 prairial l'avait ordonné . J'avais donc lieu de croire
que j'étais dans le droit d'exercer mon culte , sans
crainte d'y être troublé . Aussi je l'exerçais sans in-
quiétude , les jours de travail comme les jours de repos ;
j'étais paisible dans l'édifice commun , étant seul ,
comme avec plusieurs personnes .
« Quant aux décrets qui ont paru postérieurement,
tel que le décret du 20 fructidor ; ce décret , pris en
son vrai sens , ne paraissait pas me regarder puisqu'il
prétend frapper les prêtres déportés et rentrés sur le
territoire de la République duquel je ne suis pas sorti .
« Quant à la loi du 3 brumaire , elle ne parait pas
non plus me frapper, puisqu'elle punit le cas dans
lequel je me trouve , et qu'elle ne détruit pas l'admis
sibilité que j'avais auparavant . Au reste , cette loi veut
qu'on fasse observer la loi du mois d'août contre les
prêtres insermentés . J'ai fait tous les serments anté-
rieurs à cette loi . Je les ai faits à ma réception de pro-
cureur de commune ; à la confédération générale du
14 juillet 1790 , dans toutes les assemblées où j'ai
assisté soit dans ma commune , où j'étais souvent pré-
sident, soit aux assemblées primaires , où j'étais scru-
tateur , dans lesquelles assemblées on débutait tou-
jours par le serment ordinaire . Cela donne à penser
que j'étais envisagé , et dans ma commune et dans le
canton , comme un bon patriote .
« Ce qui fait plus de difficulté , c'est le serment
ordonné spécialement pour les prètres à la fin de 1791 ;
ce serment , je l'ai prêté également , et je me suis servi
des propres termes de l'Assemblée , mais ma cons-
cience m'a forcé d'y mettre au bout mes opinions
religieuses que je déclare ne vouloir jamais abandon-
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 353

ner . Cette déclaration ne doit point me préjudicier ,


puisque l'Assemblée elle-même a déclaré qu'il ne
fallait inquiéter personne sur ses opinions religieuses
et qu'il était même permis de les manifester . J'ai donc
cru n'être pas répréhensible aux yeux de la loi . J'ai
prêté le serment exigé dans ma qualité de citoyen , et ;
si le prêtre a manifesté ses opinions religieuses , cette
manifestation , permise d'ailleurs par la loi , ne doit
point nuire au serment du citoyen , et si l'on accusait
cette manifestation comme une restriction apposée au
serment, je répondrais qu'une restriction sert à dimi-
nuer la force des termes ou à leur donner un autre
sens ; mais qu'au contraire la manifestation de mes
opinions , loin de diminuer ou de changer les termes ,
ne sert au contraire qu'à les appuyer ou les augmen-
ter, puisque les sentiments que je professe m'obligent
en conscience à chérir ma patrie , à prier pour sa pros-
périté, et à aimer tous mes concitoyens comme mes
frères . Au reste , si j'étais répréhensible , protestant
toutefois de la pureté de mes intentions , la loi , qui est
équitable , aurait encore des égards pour ma personne ,
attendu les incommodités de santé que je souffrais
avant et depuis l'époque de sa publication . Fait en
la maison de justice à Saint-Omer , le (21 janvier 1796)
1 pluviôse an 4º de la République . -Ducrocq. »
Les enquêtes et les recherches de l'autorité judiciaire
continuèrent leur cours pendant plus de quinze jours
encore après le dépôt de ce mémoire et les amis de
M. Ducrocq ne manquèrent pas de provoquer , de leur
côté, des témoignages en sa faveur . Vingt-deux com-
munes fournirent des attestations pour affirmer qu'il
n'avait jamais prêché contre la République , mais qu'il
avait toujours recommandé l'obéissance aux autorités ,
le paiement des impôts et l'union entre les citoyens .
Les villages de Camblain- Chatelain , Sachin, Pressy ,
Bours , Aumerval, Tangry, Houdain , La Comté , Hes-
trus , Amettes , Nédonchel , Maretz , Bryas , Valhuon ,
23
354 LE CULTE CACHÉ

Sains-les-Pernes , Bailleul-les - Pernes et Diéval , figu-


rent avec honneur sur cette liste de témoins . Le seul
village de Diéval fournit plus de quatre -vingts signa-
tures et l'administration municipale de Pernes rend
courageusement justice à la générosité , au patriotisme ,
à l'amour de l'ordre et aux sentiments républicains du
doyen de Bours .
« C'est lui , dit- elle , dans une pièce en date du 4 fé-
vrier, qui , en 1789 , a approvisionné les pauvres de sa
commune durant plusieurs mois , à l'époque de la
cherté des grains ; il faisait les patrouilles tout comme
les autres citoyens , prononçait des discours patrioti-
ques , payait une somme considérable de contributions ,
achetait une caisse pour exercer la garde nationale.
« Sa commune était une commune modèle, sans
émigré, payant toutes ses contributions et livrant tous
ses défenseurs à la patrie .
<< Comme prêtre , d'autre part, M. Ducrocq était un
homme de piété , de charité , de condescendance au
point que les patriotes sont au défi de le trouver en
faute de républicanisme . Il omettait encore la prière
pro rege et la remplaçait par une prière pour ceux qui
nous gouvernent et il demandait que nous menions des
jours tranquilles . »
Ce plaidoyer complet, que nous sommes mêmo
forcé d'abréger , est signé : Delepierre, président ;
Toursel, agent municipal ; Roux, agent municipal ;
Grillet, Brassart, Dhallendre , agents municipaux ;
Delautre , adjoint ; Delautel , adjoint municipal .
Le 8 février, commença l'interrogatoire de l'accusé .
Alexandre Thuilliez remplissait les fonctions de juge
d'instruction .
M. Ducrocq reproduisit la formule de son serment , en
ajoutant « qu'un penchant irrésistible de conscience
l'avait forcé à insérer , à la fin de cet acte , ses opinions
religieuses >> .
Il nia de nouveau sa déportation , affirma qu'il était
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 355

resté à Bours et nomma les églises où il avait exercé


le culte. Le 8 août 1795 , il déclara à la municipalité de
Bours « qu'il se proposait d'exercer le ministère du
culte catholique , apostolique et romain , à Bours , don-
nant acte de sa soumission aux lois de la République,
laquelle , néanmoins , ne vaudra qu'autant que ces lois
ne seront pas en opposition à la loi de Dieu et de
l'Eglise . >
»
On voit par là, remarquons-le en passant , que dans
ses deux actes de soumission au nouveau régime qui
s'était imposé à la France , M. Ducrocq avait réservé
prudemment la sauvegarde de ses devoirs envers Dieu ,
l'Eglise et la religion catholique, apostolique et
romaine .
Enfin , le 12 février 1796 , 23 pluviôse an IV , Antoine-
Joseph Ducrocq, âgé de 49 ans , ex-curé de Bours-
Maretz et y demeurant, lors de son arrestation, com-
parut devant ses juges : Hacot , Mariette , Lefelle ,
Aubert et Thuilliez , accusé de n'avoir prêté le serment
qu'avec restriction , d'être sujet à la déportation , et,
ayant reçu un passe-port, d'être resté caché sur le
territoire de la République.
M. Ducrocq ne paraît pas avoir eu d'autre défenseur
que lui-même et le manuscrit de sa défense se retrouve
au dossier , écrit , comme le mémoire à M. Gasse , de
la propre main du confesseur de la foi.
Comme ce nouveau mémoire se rapproche souvent
du premier que nous avons cité en entier , il suffira de
l'analyser en en reproduisant seulement le commen-
cement et la fin.
L'orateur commence par montrer que « la vérité a
eu dans tous les temps des contradicteurs et la reli-
gion des adversaires . On a autrefois dit du Sauveur
qu'il excitait des troubles parmi le peuple , qu'il sédui-
sait le monde et qu'il empêchait de payer le tribut à
César ; nous savons que ce ne pouvaient être que des
calomnies que ses ennemis débitaient pour le perdre :
356 LE CULTE CACHÉ

toute la Judée , qui l'avait vu et entendu , pouvait rendre


témoignage de lui et faire voir la fausseté de ces
calomnies .
« Je ne suis pas étonné qu'on ait inventé de pareilles
faussetés sur mon compte . Le disciple ne doit pas être ,
plutôt que le maître , à l'abri des calomnies . Mais quand
un dénonciateur attaque impudemment l'opinion publi-
que , tout homme juste n'ajoutera jamais foi à sa dénon-
ciation.
« Or , j'en atteste l'opinion publique , c'est elle qui
doit me juger , d'après les organes de ce tribunal . »
Après cet exorde , M. Ducrocq aborde sa justifi-
cation .
La part prise par lui aux intérêts de la nation , son
respect pour les autorités , la régularité avec laquelle
il a rempli les fonctions de procureur , la réserve et la
rectitude de ses paroles , le dévouement et le patrio-
tisme de sa commune , sont les premiers arguments
qu'il invoque .
Il se justifie ensuite du reproche de ne pas s'être
conformé aux lois , dans les termes mêmes de son
mémoire à l'accusateur public .
Voici comme il finit : « Mon égide et ma sauvegarde
est la possession que j'avais d'exercer mon culte dans
l'étendue de ma commune ; mon culte n'a rien de
contraire au gouvernement républicain , loin de là , il
me fait un devoir de le respecter . Ma possession est
fondée sur le titre et la bonne foi , la loi du 11 prairial ,
la proclamation du Département , l'agrément du Dis-
trict ; j'ose même dire que j'avais l'agrément de tout le
canton et spécialement des membres de ce canton qui
veillent au bien général de la République . »
Le manuscrit renferme une sorte d'appendice où
M. Ducrocq montre qu'au moins la peine la plus grave
à prononcer contre lui ne peut être que celle de la
déportation .
Quand l'accusé eut présenté sa défense , l'accusateur
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 357

public et le commissaire du pouvoir exécutif deman-


dèrent sans doute que les lois fussent exécutées , et le
jury fut consulté .
Nous n'avons plus qu'à reproduire les termes du
jugement :
" Attendu qu'il n'a prêté à la loi qu'un serment res-
trictif ;
« Attendu que , malgré le passeport à lui remis , il est
resté en se cachant sur le territoire de la République ;
« Attendu les lois relatives aux émigrés en tous
points applicables aux déportés ;
« Le tribunal condamne Antoine Ducrocq à la peine
de mort, ordonne l'exécution dans les 24 heures et que
ses biens soient confisqués . >>
La formule des lois invoquées se trouve être la
même que celle des jugements de la Terreur . On
ajoute également que ce jugement sera publié dans
toutes les communes du Pas-de - Calais .
Le dossier de M. Ducrocq se ferme par cette pièce :
« Le 23 pluviose , an IV , cinq heures après- midi , sur ·
la Grande-Place de Saint- Omer, a été amené par la
force armée Antoine -Joseph Ducrocq , condamné par
jugement du tribunal criminel du Pas-de - Calais , en
date de ce jourd'hui , à la peine de mort , où étant, en
présence de nous , huissiers soussignés , et du peuple
assemblé , ledit jugement a été mis à exécution par
l'exécuteur des jugements criminels . - D. Difque . »
Nous trouvons le dernier mot du procès de M. Du-
crocq dans les Registres du Directoire du département
et il émane de ce commissaire Coffin , qui paraît avoir
été le meneur implacable de cette tardive exécution .
Le 20 février 1796 , huit jours après la mort du curé
de Bours , Coffin remettait sur le bureau du Directoire ,
à Arras , un réquisitoire en règle demandant la sus-
pension de l'administration municipale du canton de
Pernes , comme coupable d'incivisme marqué et de
prévarication .
358 LE CULTE CACHÉ

Malgré les avertissements de Coffin , cette admi-


nistration , dit- il , s'est de plus en plus enfoncée dans le
détroit de la contre-révolution . « Le ci-devant doyen
de Bours , prêtre déporté rentré, qui vient d'être con-
damné à la peine de mort par le tribunal criminel de
ce département , a été protégé par cette administration ,
qui n'a pu cacher son désespoir quand le commissaire
le fit arrêter par mes ordres : les déserteurs rentrés en
foule dans ce canton y ont été soufferts , au point que
cet arrondissement en fourmille encore . Elle a laissé
persécuter le patriotisme à un tel degré que , dans la
commune de Bours , un bon citoyen qui avait par ses
renseignements coopéré à l'arrestation du ci - devant
doyen, y a été cruellement insulté . Enfin , la rage des
fanatiques s'est étendue jusque sur les bestiaux , qu'ils
ont fait périr en partie . En vain a-t-on voulu faire pour-
suivre par le juge de paix ces délits révoltants , cet
homme , destitué par le représentant du peuple Talot ,
lorsque le canton de Pernes et celui de Saint- Pol
étaient prêts d'entrer en insurrection , protège de tout
son pouvoir les royalistes et les fanatiques ... Enfin, ce
malheureux canton , en proie aux horreurs du fana-
tisme et du royalisme ,ne peut trouver dans une autorité
constituée un remède à ses maux qui vont toujours
croissants.
« Pour donner le change à sa véritable intention ,
cette administration totalement gangrenée a pris les
marques du patriotisme et dirigé contre le commis-
saire une dénonciation perfide , afin de le dégoûter de
son emploi . Claudoré , c'est le nom de ce commissaire ,
fut victorieux et de l'administration et des habitants ,
et sut y maintenir l'ordre en dépit de toutes les ma-
nœuvres . Enfin , l'administration de Pernes a eu l'au-
dace de délivrer un certificat de résidence au nommé
Duerocq, prêtre déporté rentré , exécuté , d'accord en
cela avec la municipalité de Bours .
« Je provoque contre ces administrateurs infidèles
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 359

toute la sévérité des lois , c'est-à-dire la suspension des


administrations municipales du canton de Pernes , le
renvoi des administrateurs et de leurs complices de-
vant les tribunaux compétents et le méprisant renvoi
des dénonciations contre Claudoré . Signé : Coffin . >>
Ainsi , même après la mort de M. Ducrocq , le com-
missaire poursuivait les amis qui avaient eu le courage
de lui rester fidèles . Le 27 février , le Directoire s'oc-
cupait de nouveau du canton de Pernes et annulait le
certificat de résidence accordé au prêtre Ducrocq par
la municipalité de Bours - Delepierre , Grillet , Mail-
liet , Crépin , Labitte , Caron et Raux , et Caufield , sec.-
greff. sur l'attestation de Th . Cresson , Fr. Cho-
quel , Fr. Noé, J.-B. Delautre , Hipp . Gosselin , Louis
Bonaventure Beharel , Denis Delabroye et Hilarion
Féron , que ledit Ducrocq a constamment habité Bours ,
dans une maison à Michel Destrus , depuis le 15 sep-
tembre 1792 jusqu'au 26 décembre 1795 .
L'administration municipale du canton de Pernes
fut aussi suspendue , sauf quelques-uns de ses mem-
bres , dont Louis Bucquet , adjoint de Maretz , qui n'a-
vait pas participé à la délivrance dudit certificat .
François -Joseph Béghin de Valhuon fut nommé pré-
sident de la nouvelle administration et Romain Go-
trand , ancien juge de paix , fut nommé agent . Enfin ,
Noël Rambours devint agent municipal de Bours , et, à
peu près dans chacun des villages qui avaient témoi-
gné en faveur de M. Ducrocq , les administrations furent
renouvelées .
360 LE CULTE CACHÉ

$ 5. - M. Saint-Jean.

Origine de M. Saint-Jean . - Sa remontrance à Primat. - Il se mu-


nit de pouvoirs. Ses aventures à Fournes et à Aubert. - Danger
couru à Illies . Sa présence d'esprit. - Il guide les agents à sa
propre recherche . Nouvel incident. - Sa rencontre avec M. Dé-
trez. -- Série de dénonciations des agents nationaux. - Les offices
de Thiembronne. Visite à Lorgies. - Rassemblement fanatique .
Une femme tuée.

Nous nous trouvons maintenant en présence de


M. Saint -Jean , l'un des héros les plus intéressants de
cette étrange époque , où notre contrée était destinée ,
comme le reste de la France , d'ailleurs , à voir se ren-
contrer dans son clergé tous les extrêmes du vice et de
la vertu . Plus heureux que ses confrères du centre et
de l'ouest du Pas-de-Calais , il traversera sans en-
combre la Révolution tout entière .
Né à Sailly-la - Bourse , il fit ses premières études à
Béthune , sa philosophie au collège Saint-Vaast , de
Douai , et sa théologie au séminaire d'Hénin . Il y resta
fidèle , dit son biographe ( 1 ) , même quand l'esprit d'er-
reur s'introduisit dans ce séminaire , où une feuille
incendiaire pénétrait chaque semaine , à l'insu des
maîtres , ou par leur faiblesse .
Primat , l'oratorien , ancien professeur au collège
d'Arras et curé de Saint- Jacques de Douai , aimait à
embellir ses cérémonies par la présence des élèves du
séminaire d'Hénin . Quand il eut prêté serment ,
M. Saint-Jean fit prévaloir l'avis qu'on n'y paraîtrait
plus .
Primat se plaignit d'une manière doucereuse :
M. Saint-Jean lui répondit : « Monsieur , vous vous sé-
parez du chef de l'Église , du successeur de Saint-Pierre ,

(1) Revue du Pas- de- Calais , p . 140 et s.


LES PREMIERS MISSIONNAIRES 361

vous êtes un schismatique ; le séminaire ne veut plus


communiquer avec vous . » Mais une réponse aussi
énergique , venant d'un simple séminariste , n'inspira
aucun remords à cet orgueilleux , il se passa des sémi-
naristes d'Hénin et persévéra dans le schisme .
Quant à M. Saint-Jean , qui se sentait d'autant plus
porté à servir l'Église qu'elle était plus menacée , il
revint à Arras se préparer à recevoir les saints ordres .
Il y reçut seulement les mineurs et le sous -diaconat .
Ordonné diacre à Ypres , il reçut la prêtrise à Tournai ,
le 18 juin 1793 , des mains de Monseigneur le Prince-
Évêque.
Sur le désir des directeurs du séminaire d'Hénin , il
célébra sa première messe dans la chapelle de cet éta-
blissement , le jour de la Transfiguration de Notre-
Seigneur . Hélas ! ce fut la dernière fonction solennelle
qui se fit dans cet asile de la science et de la piété , déjà
marqué pour la pioche révolutionnaire . M. Saint-Jean
retourna alors à Sailly - la - Bourse, où il laissa ignorer
le plus longtemps possible sa qualité de prêtre , afin
de pouvoir rendre plus de services , aux jours du péril .
L'émigration des prêtres devint bientôt générale . Il ne
restait plus à Arras que MM . de Bourghelles , Lallart
de Lebucquière et Ferrand , supérieur du séminaire , à
qui Mgr de Conzié , déjà parti pour la Belgique , avait
laissé les pouvoirs les plus étendus . M. Saint-Jean
résolu de ne pas quitter le pays , vint leur annoncer sa
décision et en recevoir les pouvoirs nécessaires pour
le temps de persécution qui s'ouvrait .
Il fit également régulariser sa situation pour le dio-
cèse de Boulogne , et il racontait lui -même que l'exprès ,
qui lui rapporta la feuille , l'enveloppa dans la queue
de ses cheveux , pour la soustraire aux perquisitions de
la police . Plus tard , il obtint encore diverses facultés
du Saint-Siège même , par l'entremise des Pères Capu-
cins de Louvain.
Ainsi muni de toutes armes , le bon soldat de Jésus-
362 LE CULTE CACHÉ

Christ engagea les combats du Seigneur. Nous laissons


maintenant son vénérable biographe , qui l'a connu ,
raconter ses intéressants et pacifiques exploits .
« L'une de ses premières excursions faillit lui être
funeste . Les fidèles de Fournes l'ayant fait prier de
venir entendre leur confession au château de l'endroit,
il envoya un homme sûr pour éclairer sa marche ;
celui-ci revient bientôt sur ses pas et dit à voix basse ,
en croisant M. Saint-Jean Vous êtes vendu , prenez
garde. Mais il n'était plus temps de rétrograder ni de
fuir. Déjà on était en vue des factionnaires qui mon-
taient la garde à l'entrée du village , et plus loin bril-
laient des baïonnettes , indice de la présence de la
force armée . M. Saint-Jean s'avance d'un air assez
dégagé, mais avant de franchir la première barrière ,
il s'arrête pour respirer et mieux étudier les issues .
Afin de tromper l'espion , il s'amuse à regarder des
poissons dans un vivier voisin . La sentinelle l'examine
d'un regard scrutateur et le laisse passer . On avait
annoncé l'arrivée d'un vieux curé, et l'étranger , qui se
présentait là , était un tout jeune homme . Enfin , arrivé
à la grille du château qui n'était point gardée , il en
examine la façade , comme aurait fait un acquéreur de
biens nationaux ; puis voyant passer un jeune homme ,
il l'invite à venir se rafraîchir avec lui dans un cabaret
voisin. Là, une conversation s'engage , et le voyageur
demande au jeune villageois , si le jardinier est au châ-
teau : Tenez , lui répondit- il , voilà justement son fils
qui passe. M. Saint-Jean l'accoste aussitôt et entre avec
lui au château , où il était attendu depuis quelques
heures . Fatigué de la route , il prend un peu de repos
pour confesser la nuit. Mais à peine avait-il fermé les
yeux qu'il est réveillé par un bruit de conversation
assez animée , qui ressemblait à une querelle . C'étaient
quatre gardes nationaux qui se présentaient pour faire
une visite domiciliaire . La servante , fille de foi et de
caractère , s'opposait énergiquement à leur entrée en
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 363

leur demandant : Où est votre ordre ? Vous n'en avez


pas, eh bien, allez le chercher , sans quoi je n'ouvre
pas. Au lieu d'envoyer l'un d'entre eux à la municipa-
lité, ces paysans y allèrent tous quatre . Sur ces entre-
faites , M. Saint-Jean qui , du haut d'une fenêtre , voyait
le débat, descendit en toute hâte et prit la fuite par
une porte dérobée, avec le regret bien vif de n'avoir
pu rendre à ses frères le service qu'ils réclamaient de
son ministère .
<< Peu de temps après , appelé à Aubert auprès d'un
malade , il s'y rendit sans tarder , vers le soir. Mais la
maison se trouvant en face du corps-de-garde , et la
nuit étant éclairée par le plus beau clair de lune , il
était impossible d'y entrer sans être vu par les pa-
triotes . Que fit-il pour tromper la vigilance de ses
argus ? Il improvisa un déguisement qui lui réussit à
merveille . Il se couvrit la tête d'un bonnet de nuit ,
puis , adaptant sur ses épaules sa redingote retournée
qui lui donnait l'air d'une vieille femme affublée de
son tablier , il passa vis - à -vis la porte du corps -de-
garde sans être reconnu , et pénétra ainsi dans l'ap-
partement du moribond . Après lui avoir donné les
secours de la religion et l'avoir préparé par les sacre-
ments au passage du temps à l'éternité , il sortit de la
maison avec le même bonheur qu'il y était entré .
« Voici une circonstance de son périlleux ministère
qu'il ne rappelait jamais sans une émotion visible.
« C'était en 1794, au fort de la Terreur , au moment
où un grand nombre de têtes venaient de tomber à
Arras sur l'échafaud . Comme il se rendait à Illies , seul,
pour administrer un malade , il rencontra vers minuit ,
au milieu de la nuit , un espèce de géant , qui était aussi
le plus mauvais sujet du pays . Il se crut arrivé à ses
derniers moments . Bonsoir, citoyen , lui dit ce person-
nage . M. Saint-Jean lui rend le bonsoir avec assurance ,
mais il sent une grosse main qui le saisit au collet :
Où est ton passeport ? ajoute ce drôle . - Où est le tien ,
364 LE CULTE CACHE

reprend le missionnaire , et de quelle part me fais -tu


cette question ? - De la part de la municipalité. --- Eh
bien , dit M. Saint-Jean , en le saisissant par le bras ,
viens à la municipalité , c'est là que je veux te parler .
Les brigands et les voleurs sont lâches . Celui- ci en
était un ; il eut peur de celui qu'il voulait intimider .
Déconcerté par l'énergie et la fermeté de son interlo-
cuteur , il lâcha prise et dit en riant : Bah ! c'est l'affaire
de rire ! - En ce cas , passe ton chemin , lui dit
M. Saint-Jean . Cet homme fut exécuté dans le courant
de la même année , sur la place d'Armentières , pour un
crime qu'il avait commis .
« Ce qui sauva le pieux missionnaire en plusieurs
occasions critiques , ce fut sa présence d'esprit , son
sangfroid imperturbable . De plus , il avait le talent sin-
gulier de se décomposer la figure , au moyen d'un
certain jeu de lèvres qui le rendait méconnaissable .
Petit de taille , il avait adopté la jaquette d'un laquais ,
et il en avait si bien les allures , que M. Maniez , maire
de La Bassée , trompé par les apparences , lui en
donna le certificat . Il en fit autant à M. Cochet d'Hat-
tecourt, qui exerçait à Arras les fonctions d'agent
municipal . L'un et l'autre lui surent gré de cette déli-
catesse .
« En 1795 , les officiers municipaux firent une des-
cente dans son domicile pour y chercher des livres
suspects , c'est-à -dire des livres d'église et de piété .
M. Saint-Jean , déguisé comme à l'ordinaire , vint à
leur rencontre et s'offrit de les conduire dans toute la
maison . Comme il était soir , il se munit d'une lampe ,
puis il les introduisit dans les appartements , et leur en
fit voir tous les coins et recoins avec une admirable
assurance . Seulement , il lui fut impossible de sous-
traire à leur visite l'appartement où reposait le Très
Saint Sacrement enfermé dans une armoire . Alors son
émotion faillit le trahir ; mais du fond de son cœur il
fit cette courte prière : « Divin Sauveur, qui , autre-
IONNAIRE
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 365

fois , avez échappé aux mains de vos ennemis qui vou-


laient vous précipiter du haut d'une montagne (Saint
Luc , c . IV, v. 30) , rendez - vous encore invisible dans
cette circonstance . » Sa prière fut exaucée .
« Les agents révolutionnaires , aveuglés par l'ange
qui veillait à la garde de notre divin Maître , ne re-
marquèrent pas le vase sacré qui contenait les saintes
espèces . Lorsque la maison fut toute explorée , l'abbé
Saint-Jean dit aux visiteurs en riant : Eh bien , citoyens ,
voulez-vous maintenant monter au grenier ou des-
cendre à la cave , je vous y conduirai ? Non , ci-
toyen , répondirent-ils , c'est bien comme cela . Nous
voyons qu'il n'y a ici rien de suspect . Là-dessus ,
M. Saint-Jean les salua à la républicaine , et leur ou-
vrit avec le plus grand plaisir la porte de la rue vers
laquelle ils se dirigeaient .
<
«
<< Voici encore un incident dont le souvenir lui
fournissait l'occasion de remercier la divine Provi-
dence qui l'avait visiblement protégé . C'est ainsi ,
presque mot à mot, qu'il racontait lui-même cet épi-
sode de sa mission , c'était là son thème favori.
« Comme j'avais passé la nuit auprès d'un malade ,
« dans le faubourg de Béthune , je revins , vers quatre
« heures du matin , chez mes parents à Sailly- la-
« Bourse , pour m'y reposer de mes fatigues . Je me
« nis au lit ; je n'y étais pas d'un quart d'heure que
<
«< ina sœur accourut en toute hâte et toute effrayée en
« ne disant : Vite , mon frère , sauvez-vous , voilà la
« garde et le curé constitutionnel . Je n'eus que le
« temps de me blottir dans une cachette pratiquée
<<dans l'épaisseur du mur , à côté de mon lit. Du fond
« de mon réduit, j'entendais fort distinctement les
« propos de mes persécuteurs qui , à la vue d'un cha-
<< peau et d'un collet laissés par mégarde , jugeaient
<< que je ne devais pas être éloigné . C'est ce qui rendit
<
«
< leur visite plus longue et plus minutieuse . Vingt
« fois ils passèrent et repassèrent à côté de mọi . Je
366 LE CULTE CACHÉ

< les entendais respirer, je les touchais presque ; le


«
< moindre mouvement de ma part pouvait me perdre .
«
<< Pourquoi donc ne prirent-ils pas une épée ou une
<< baïonnette pour sonder la muraille ; il n'eut pas fallu
<< un coup bien rude pour m'atteindre ; je n'en étais
« séparé que par un feuillet, une légère tapisserie ?
<< Mais Dieu veillait sur moi . Je serais bien ingrat et
<< bien punissable si j'osais le méconnaître ! »
« Au début de son pénible et périlleux apostolat ,
M. Saint-Jean se faisait accompagner par un guide ,
dans ses courses nocturnes . Mais il fallait se faire
connaître ; puis il n'était pas toujours facile de trouver
un homme ferme et discret. On commettait des mala-
dresses ; on se compromettait l'un l'autre . Il renonça
donc à ce mode de voyager en compagnie. Mais aussi
que de fois ne s'égara-t-il pas dans les bois , dans les
campagnes inconnues , sur des routes couvertes deneige !
<< Combien de fois , pour éviter un passage surveillé ,
un chemin trop fréquenté , ne fut-il pas obligé de tra-
verser des fossés pleins d'eau , des terrains maréca-
geux, au risque de périr !
<< Comme il exerçait le saint ministère dans les envi-
rons de Lille , il lui arriva un jour de confesser , sans
le savoir, sur le territoire du diocèse de Tournai , pour
lequel il n'avait point de pouvoirs ; il écrivit aussitôt
au vicariat , à l'effet d'obtenir les facultés dont il avait
besoin, pour réparer ce qu'il y avait de défectueux
dans ses actes. On lui en envoya de suite pour tout le
diocèse. Dès lors il s'étendit dans le Tournaisis et fut
acquis à ce diocèse . Dans ses rapports avec les pieux
fidèles , il comprit que l'un de ses anciens condisciples
de Douai , et son ami de cœur , le saint , le vénérable,
l'excellent M. Détrez , était dans le voisinage , il fit
bien des démarches pour le trouver. L'entrevue eut
lieu à Sainghem . Oh ! qui pourrait exprimer la joie de
ces deux apôtres, en se revoyant après une aussi
longue séparation, et en telles circonstances . Comme
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 367

saint Paul et saint Barnabé , dextras dederunt. Ils se


concertèrent pour agir d'après les mêmes principes .
Ensemble ils repassèrent toute la théologie pratique .
N'étant point d'accord sur certaines questions relatives
aux difficultés du temps , et en particulier sur la ques-
tion du serment à la République , ils soumirent leurs
difficultés à leurs supérieurs respectifs . M. de Seyssel ,
grand vicaire d'Arras , donną une règle de conduite qui
imposait aux jureurs des conditions fort pénibles pour
leur rétractation . C'est pourquoi M. Saint-Jean n'en
reçut que trois , tandis que M. Détrez en reçut un plus
grand nombre , par la raison que M. Gosse , vicaire
général de Tournai , donna une solution beaucoup plus
douce . M. Saint-Jean écrivit à M. de Seyssel pour
l'engager à modifier ses principes ; mais la lettre ne
lui parvint pas . »
Il faut pourtant nous arrêter dans ces récits édi-
fiants ; aussi bien , nous retrouverons M. Saint-Jean
fidèle à son poste et heureux jusqu'au terme de la res-
tauration du culte .
M. Saint-Jean n'était , du reste , pas le seul prêtre qui
échappait ainsi aux recherches de la police et , du mois
d'avril 1795 à la fin de cette même année , les agents
nationaux signalent sur beaucoup de points des ras-
semblements religieux dont on n'arrive pas à saisir les
provocateurs .
C'est ainsi que le 9 avril 1795 , l'agent de Meurchin ,
Delcruyelle , informe l'agent de Béthune que la majeure
partie de sa commune se rend aux attroupements qui
se font à Provins , Enneulin et Wavrin , district de Lille ,
où des prêtres , venus d'Empire , réunissent cinq ou six
mille hommes et font prêter serment, à tous ceux qui
se rendent auprès d'eux , de cesser toute relation avec
les prêtres constitutionnels , et il accuse ensuite J.-B.
Sauvage de favoriser ces attroupements . Le 13 mars ,
l'agent de Fleurbaix , Dubois , signalait déjà dans sa
commune des rassemblements analogues .
368 LE CULTE CACHÉ

Le 23 juin , le procureur de Cauchy-à-la-Tour , De


François , dénonce au procureur syndic des prêtres
émigrés revenus au mépris des lois , notamment le ci-
devant curé de Bours , qui va aussi à Amettes , Florin-
ghem, Bours et Valhuon .
Le 21 juin , Dubois , procureur de Fleurbaix , écrit à
celui de Béthune « qu'un prêtre reclus célèbre ici dans
une maison , chaque dimanche , devant 3 ou 4,000 indi-
vidus , venus de quatre lieues à la ronde » . Le 2 mai ,
rassemblements à Lestrem .
Le 9 juin , de Carvin , le procureur écrit que, deux
jours auparavant , le 7 , plusieurs femmes et enfants
ont ouvert le temple de la Raison , remis l'autel dans
le chœur , nettoyé et lavé le temple pour une messe le
dimanche suivant ; ils ont fait des quêtes pour l'orner .
On dressait des autels dans les rues , et les enfants
criaient Vive la religion ! au diable la nation !
Les habitants de Libercourt logent même un prêtre
dans la maison vicariale .
Le 29 juin , le même procureur annonce que les cha-
pelles de Saint- Druon et de la Vierge , à Libercourt ,
servent aux rassemblements .
Sur un autre point du territoire , les 12 et 13 juillet
1795, M. Delaporte , qu'on dit domicilié à Saint-Denceux ,
et M. Ducrocq , sans résidence, sont dénoncés également
comme ayant exercé les cérémonies du culte catholique
romain à Aix-en-Ergny , dans l'église , où il s'est trouvé
un grand rassemblement .
Le maire , Widehen , et le premier officier munici-
pal , Marcotte , furent amenés au directoire du district
de Boulogne , par un gendarme , pour déposer à ce sujet .
Le maire , Louis -Marie Widehen , déclara n'avoir
assisté qu'aux vêpres , « ce qu'il ne croyait pas être un
culte défendu . »
Louis-Marie Marcotte , lui , déclara avoir entendu la
messe ; M. Ducrocq y avait engagé les fidèles à s'ap-
procher du sacrement de Pénitence et , faisant voir
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 369

qu'on ne peut servir qu'un maître , il était tombé sur


la différence qu'il y a entre les constitutionnels et les
non sermentés , ajoutant que les premiers ne méri-
taient aucune confiance .
Comme conséquence , ordre fut donné à la gendar-
merie d'arrêter MM . Delaporte et Ducrocq, par injonc-
tion du Département : mais cet ordre ne put être exécuté.
Le 1er août 1795 , le procureur de la commune de
Thiembronne, Macau Vidor , maire , et deux munici-
paux , dénonçaient ce qui se passait dans leur com-
mune par rapport aux prêtres qui y résidaient.
« L'ex- curé Hubin exerce le culte dans une grange , au
domicile de la veuve Vasseur, parce que la maison et
les chambres ne pouvaient contenir le grand nombre
d'individus qui s'y portent .
« On y bénit l'eau , le pain ; on y chante des messes de
<
sainte Anne et autres , on y fait toutes les cérémonies
accoutumées . L'office a lieu à 6 heures du matin. Le-
maire , ex-chanoine , fait les mêmes offices dans sa
maison ; on y célèbre des services pour les morts .
<< Chez Fay, dit Wilquin , tous les lundis , Hubin va
célébrer un service pour les trépassés comme quand il
était curé . Aux objections qu'on leur fait , ils répon-
dent que dans les maisons particulières ils ne sont pas
obligés aux lois . »
Il nous reste à raconter l'un des épisodes les plus
intéressants qui a eu Lorgies pour théâtre.
Antoine -Joseph Delannoy, âgé de 40 ans , natif de
Fontaine - les -Croisilles et vicaire de La Ventie , com-
parut le 10 mars devant l'administration du district de
Béthune , pour avoir parcouru La Ventie , Neuve - Cha-
pelle et Lorgies et occasionné de graves désordres dans
cette dernière commune.
Or , voici le procès- verbal d'une visite de l'adminis-
.trateur du District , Alex . Thuilliez , et de l'agent du
District , Charles Deleruo . C'est ce dernier qui tient la
plume.
24
370 LE CULTE CACHÉ

« Nous sommes arrivés à Lorgies le 9 mars , à 8 h.


du soir , et on nous a raconté que la veille , à 8 h . du
soir , un cavalier est arrivé à Lorgies accompagné de
Jean-Baptiste Pannequin , et a dû descendre chez Jean-
Baptiste Delebarre . Quelques instants plus tard , l'agent
de la commune , il s'appelait Jean Denis Houssin , qui
avait vu passer le cavalier sans le reconnaître , fut
éveillé par François Hochart et André Chombart qui
lui dirent que le particulier était descendu non chez
Delebarre , mais chez Pierre-François Hapourcheaux ,
officier municipal , sous les fenêtres duquel ils étaient
allés écouter et chez lequel il devait y avoir un ras-
semblement fanatique . Ils avaient même cru le parti-
culier en train de confesser Jeanne - Catherine Légillon ,
mère dudit Hapourcheaux . Ils demandèrent alors , avec
quelques gardes nationaux de Lorgies , s'ils pouvaient
aller arrêter le soi-disant prêtre . Ils y allèrent avec
Joseph Rousseau , Dieudonné Créton , et Joachim Fru-
leux . Charles et Eugène Hapourcheaux ouvrirent la
porte qui n'était pas fermée à clef, entrèrent dans la
cuisine où ils ont trouvé le maître de la maison avec
Philippe Delecroix , émigré rentré , Pierre Barbier, de
Lorgies , Pierre et Philippe Légillon , d'Illy, et dix ou
onze étrangers qu'ils ne connaissaient pas .
« Hochart dit qu'il y avait dans la maison un prêtre
et qu'ils venaient l'arrêter au nom de la loi . Hapour-
cheaux demanda qu'on ne l'arrêtât pas dans sa maison ,
qu'on le laissât sortir . Hochart protesta ; mais , pen-
dant ce temps , on ouvrit la porte , le particulier sortit
et s'évada par la cour ; aussitôt les gardes sortirent, en-
tourèrent la cour , firent la visite avec une lanterne et le
trouvèrent dans la grange où ils l'arrêtèrent sans résis-
tance. On le conduisit au cabaret de Dieudonné Cré-.
ton , où l'agent national , informé par Hochart , vint
l'interroger et le fit mettre en lieu de sûreté. Vers mi-
nuit, l'agent entendit un grand bruit et , s'étant mis à
sa fenêtre , il vit beaucoup de monde vis-à -vis du caba-
LES PREMIERS MISSIONNAIRES 371

ret Créton ; c'était une soixantaine d'hommes armés de


bâtons très gros qui voulaient entrer et réclamaient le
particulier détenu . Ils ont enfoncé la porte en cassant
les gonds de fer , et quatre particuliers de Lorgies ,
Etienne Bailleul , Joseph Leclercq , Jean François
Courchelle et Charles Leloir , sont entrés dans le caba-
ret et, sur la résistance de la garde , ils ont été mis
dehors ; alors l'agent a crié de sa fenêtre : « Vous êtes
donc des scélérats qui voulez former une seconde Ven-
dée ; attendez, je vais vous tirer un coup de fusil . »
Alors l'attroupement s'est retiré dans le jardin de Jean-
Baptiste Delebarre , en disant qu'ils allaient en cher-
cher d'autres et revenir . Ce qu'ils n'ont pas fait.
« Le lendemain , vers onze heures , plus de soixante
femmes arrivèrent. Les observations n'ont servi à
rien ; elles ont dit , par l'organe de la femme Amand
Pruvost, qu'elles auraient le captifmort ou vif. Comme
elles voulaient forcer la garde , un des hommes de
garde fit feu et tua Rose Dubois , une des assaillantes .
On dit qu'il a été tiré plusieurs coups de fusil . Des
filles et des femmes , dit-on , arrivèrent en force pour
soutenir la garde ; l'attroupement alors se retira et les
gendarmes , qui arrivèrent à cinq heures , purent trans-
férer le détenu sans résistance .
« Les membres du District demandèrent la cause de
ces troubles ; on leur répondit que c'était le seul fana-
tisme , et les municipaux furent invités à réunir le len-
demain les citoyens au temple pour exciter les citoyens
à la concorde et désigner les artisans de trouble et de
désordre , et pour faire monter la garde . »
Le détenu fut conduit à Béthune et les registres , qui
n'en font plus mention , ne donnent même pas son
nom .
Telle était donc la situation religieuse du Pas -de-
Calais à la fin de 1795 , sous la surveillance d'une police
tracassière et impie, plus encore que résolument per-
sécutrice . C'est ce moment-là que nos évêques exilés
372 LE CULTE CACHÉ

crurent pouvoir saisir pour l'organisation d'une sorte


d'administration , occulte encore , mais pourtant régu-
lière , du Culte caché dans leurs diocèses .
CHAPITRE TROISIÈME

SON ORGANISATION

Mandement de Carême de Mgr Asseline pour 1794. – Ordinations


faites par l'évêque de Boulogne.

Si les quelques volontaires héroïques qui formaient


l'avant-garde du clergé fidèle se trouvaient déjà , dès
l'année 1794 , sur le territoire de la République fran-
çaise , il faut reconnaître qu'à cette époque le gros de
cette armée pacifique se tenait encore sur la frontière ,
prêt à la franchir au premier signe de ses chefs .
Le premier signal fut donné par l'évêque de Bou-
logne . Il l'avait fait précéder de longues et savantes
instructions , qui s'adressaient tout ensemble aux mis-
sionnaires et aux fidèles de son diocèse qu'il ne perdait
pas de vue un seul instant .
Son Mandement de Carême pour 1794, daté de
Bruxelles , le 18 décembre 1793 , après avoir rappelé
avec à-propos la mission des apôtres et la façon dont
ils s'y étaient préparés , demande aux prêtres exilés
« de s'appliquer sans relâche à devenir des ministres
capables de contribuer au rétablissement de la religion
dans notre malheureuse patrie » . Il déplore ensuite les
désordres qui ont désolé la France et cherche , avec
anxiété , si ces désordres ne sont pas arrivés à leur
comble parce que le sel de la terre s'est affadi . Aux
prêtres donc de gémir sur leurs négligences et leurs
fautes passées , à eux de souffrir avec humilité et rési- ·
gnation , à eux de prier enfin et d'étudier, dans ce cé-
374 LE CULTE CACHÉ

nacle de l'exil où Dieu les rassemble , avant de les


envoyer reconquérir la patrie française .
Il finit par rappeler le souvenir glorieux des martyrs
de la foi qui leur montrent le ciel , comme la récom-
pense à acquérir, par des travaux d'un autre genre
peut-être , mais qui seront couronnés d'un même
succès .
Quelques mois plus tard , le 11 juin 1794 , Mgr Asse-
line , autorisé à le faire par l'archevêque de Malines ,
célébrait une ordination dans l'église de Berlaymont ,
à Bruxelles .
Les ecclésiastiques ordonnés cejour-là furent Pierre-
Joseph Vilain , qui reçut la prêtrise ; Louis Magniez et
François Blondel , sous -diacres ; Antoine Boutoille ,
François Delaporte , Guillaume Boutoille et J.-B.
Crenleu qui reçurent à la fois la tonsure et les ordres
mineurs .
Avec les ecclésiastiques de son diocèse , Mgr Asseline
en ordonna un certain nombre d'autres , notamment
qui appartenaient aux diocèses de Chartres et de
Reims.
Au mois de septembre de la même année , le Registre
de l'évêché de Boulogne signale une autre ordination
où furent admis : M. Louis Compiègne pour la tonsure
et les ordres mineurs , M. Augustin Monpetit pour le
sous-diaconat , et MM . J.-B. Rollet et Jean- François
Dupont pour la prêtrise .
A la fin de 1795 , le même Registre signale encore
l'ordination de M. Louis Magniez comme prêtre et celle
de MM. Réant et Bardé comme diacres .

:
SON ORGANISATION 375

§ 1 . - Pour le diocèse de Boulogne.

MM. Paternelle et Augé, préfels de mission . Leur mérite. Leur


passé. M. Braure. - Qualité maîtresse des préfets. - Avertisse-
-
ment de l'agent national de Lille. - Les prêtres belges . - Bref de
Mgr Asseline. --- Teneur des pouvoirs . - Division territoriale entre
MM. Terbeck et Balis. - Premiers missionnaires et desserviteurs.
- Enquête minutieuse . · Analyse de ce document. - Notes inté-
ressantes sur les curés:- Instructions et avis.- Extrait concernant la
conduite à tenir par rapport aux jureurs et aux acquéreurs de biens
nationaux . ― Instruction pour le Préfet de la mission. Corres-
pondance de Mgr Asseline. - Notes sur les paroisses. - Pouvoirs .
accordés à M. Braure . Lettres d'Hildesheim à M. Paternelle . -
Rétractations. - Les ordonnés de l'exil.

C'est à ce moment, le 3 octobre 1795 , que se rap-


porte la première mission confiée par l'évêque de Bou-
logne à deux prêtres de son diocèse exilés avec lui.
Le premier d'entre eux , distingué ainsi entre tous par
le choix d'un évêque à qui les sujets d'élite ne man-
quaient pas , était né à Enguinegatte en 1753. Élève
de Saint- Bertin et du Séminaire de Boulogne , M. Fran-
çois Paternelle avait été remarqué de bonne heure par
Mgr de Partz de Pressy , pour la maturité de son esprit,
sa science théologique et sa vertu . Il fut d'abord curé
d'Estrée -Wamin , mais c'est à Saint- Martin - Cavron et
Wambercourt que la Révolution le trouva et que la
loi d'exil le vint frapper . On raconte qu'avant de quitter
son presbytère , il y fut assailli par des misérables qui
le maltraitèrent gravement. Il prit ensuite le chemin
de la Belgique où il se fixa d'abord à Alost ; plus tard ,
il rejoignit Mgr Asseline à Hildesheim , d'où il partit
avec Monsieur Augé pour la délicate mission que
nous avons dite .
Monsieur J.-B. Augé était originaire de Beauvais , où
il était né le 17 janvier 1758. Il fut , à Louis -le -Grand ,
le condisciple de Robespierre et de Camille Desmou-
lins . A peine ses études terminées et ses grades théo-
logiques obtenus , Mgr de Partz de Pressy l'appela à
376 LE CULTE CACHÉ

Boulogne et lui confia la direction de son petit sémi-


naire , où le jeune supérieur sut faire régner à la fois
l'amour de l'étude et la pratique de la vertu . Mgr Asse-
line lui conserva à ce point la confiance dont l'avait
honoré son vénérable prédécesseur , qu'au moment de
partir pour l'exil , il le choisit pour un de ses fidèles
compagnons et le chargea de travailler, sous sa direc-
tion, aux ouvrages savants et pieux qui ont rempli et
illustré le séjour du clergé boulonnais à Hildesheim .
Il fut également l'un des maîtres les plus distingués
d'un pensionnat fondé , à cette époque , en Westphalie ,
par MM . Nafré , Delahaye et de Rompré . C'est cette œu-
vre qu'il abandonna à ses collaborateurs pour repren-
dre le chemin de la France , sur le vœu de son évêque .
Un troisième prêtre , qui devait être également choisi
plus tard par l'évêque de Boulogne pour exercer les
délicates fonctions de préfet de mission , était M. l'abbé
Gaspard François Braure , originaire de Contremont ,
paroisse d'Ermigny, autrefois du diocèse de Boulogne ,
et né en 1755. Après avoir passé son enfance auprès
d'un saint prêtre qui était son oncle et curé de Cam-
pagne , il suivit successivement les cours du collège
de Saint-Omer et du séminaire Saint- Sulpice à Paris .
La douceur de son caractère , le charme de sa piété et
sa haute intelligence le firent bientôt remarquer ; il fut
successivement catéchiste et maître de conférence , et
ne sortit du séminaire qu'après avoir conquis ses gra-
des avec honneur .
Mgr de Pressy , qui lui témoignait un particulier in-
térêt , l'attacha à la paroisse de la Basse-Ville de Bou-
logne , où il se distingua surtout par son zèle et sa
grande charité . Inutile d'ajouter que la Révolution le
trouva fidèle à tous ses devoirs et que la Constitution
civile du clergé n'ébranla pas un instant sa fidélité . Il
suivit Mgr Asseline en exil et mérita d'être désigné
comme un de ses intimes mandataires .
Ce n'était pas seulement la science , la vertu et le
SON ORGANISATION 377

courage que l'évêque exilé était en droit de réclamer


de ses préfets , la qualité maîtresse qui devait les dis-
tinguer était encore la prudence .
Car la Révolution , nous l'avons vu , n'avait pas dé-
sarmé devant les premières tentatives de la restauration
religieuse dans nos contrées .
Au commencement d'avril 1795 , sur la demande
peut-être de l'évêque d'Arras , ou de quelque prêtre au-
torisé de son diocèse , l'administration ecclésiastique
de Tournay avait essayé d'envoyer dans le Pas- de-
Calais une première escouade de missionnaires . L'agent
national du district de Lille , Vantouront, en avait averti
son collègue de Béthune dans la lettre suivante , datée
du 10 avril :
« L'officialité de Tournay , dès les premiers jours de
la ci- devant quinzaine de Pâques , s'est ingérée d'en-
voyer , dans nombre de communes de ce District , des
prêtres sous le titre de missionnaires , lesquels auraient
des rassemblements de 5 à 6,000 individus qu'ils
endoctrinent et prêchent pour les rappeler et ramener ,
disent-ils , aux anciens et vrais principes …
.
………….
« Après d'itératives plaintes sur la conduite de ces
nouveaux apôtres , je n'ai point hésité de me rendre à
Tournay et de faire à l'officialité assemblée les plus
graves représentations à ce sujet.... Je l'ai prévenue
que si , sous le plus bref délai , elle ne rappelait ces
ministres vagabonds , je la rendais responsable des
événements et suites , que je vous en instruirais sur le
champ et ferais arrêter et conduire par devant vous
ces dangereux émissaires .
« L'officialité a senti toute la justesse et la force de
mes représentations et m'a répondu qu'elle allait déli-
bérer sur les mesures à prendre en conséquence . Si le
résultat de sa délibération , si le succès de ses mesures
n'est pas aussi prompt et aussi entier que l'exigent
l'ordre et la tranquillité publique , je vous en instruirai
ponctuellement.
378 LE CULTE CACHÉ

« Le nombre des ministres du culte catholique est


plus que suffisant, dans notre District, pour satisfaire
les citoyens qui ont le droit de réclamer individuel-
lement leur ministère en se conformant aux lois . Rai-
son de plus pour ne point admettre ces auxiliaires
perfides , qui ne viennent que pour agiter , diviser , fana-
tiser les campagnes . Signé : Vantouront . » >
Les autorités républicaines avaient donc les yeux
ouverts du côté de la frontière , quand les préfets de
mission résolurent néanmoins de la franchir .
Dans une sorte de bref daté d'Hildesheim , le 4 octobre
1795 , Mgr Asseline avait accordé à M. Paternelle les pou-
voirs les plus étendus et tout fait supposer que le second
préfet de mission était porteur de pouvoirs identiques .
Voici le début et un résumé de cette feuille , que
nous avons retrouvée , au nom de M. Paternelle , dans
les Archives de l'évêché de Boulogne :
« Joannes Renatus ..... dilecto nostræ Joanni Fran-
cisco Paternelle ...... salutem et benedictionem .
Spiritualibus dioecesis nostræ necessitatibus, quan-
tum sinit temporum calamitas , subvenire cupientes,
Nos de tuis probitate , vitâ , moribus, fide , scientia ,
pietate, experientia, meritis et idoneitate debitè infor-
mati, ac plurimum in Domino confisi, procedentes
autem tam auctoritate nostra ordinariâ quam virtute
potestatis , a Sanctâ Sede apostolicâ nobis delegatæ , per
Indulta 10 maii 1791 et 19 martii et 13 junii 1792, te
præpositum missionis in nostrá diœcesi constituimus
tibique ideo facultatem concedimus ...... »
Suit l'énumération des pouvoirs de prêcher , confes-
ser, administrer les sacrements (excepté confirmation
et ordre), chanter deux messes le dimanche , fixer les
limites du temps pascal, accorder les dispenses du
mariage, commuer les vœux, consacrer les autels et
les vases , bénir les oratoires , réconcilier les églises ,
subdéléguer pour les empêchements , etc. Usque ad
revocationem.
SON ORGANISATION 379

Monseigneur avait pour témoins : François -Joseph


Flament, prêtre , et Liévin-Joseph Pochet, prêtre. Son
secrétaire était M. Mallc .
Le diocèse de Boulogne fut d'abord divisé en deux
régions et chacune d'elles fut attribuée à l'un des pré-
fets de mission . Le ministère de M. Paternelle avait
Amettes pour centre et s'étendait dans l'Artois jusqu'aux
environs de Saint-Pol . Son nom de guerre était le
citoyen Terbeck. Quant à M. Augé qui s'était dirigé sur
Boulogne même , il devait surveiller le nord et les
côtes de la mer son nom de guerre était Batis ( 1 ) .
La rivière d'Aa servait de ligne de démarcation
entre les deux circonscriptions .
La tâche la plus urgente et la plus délicate des pré-
fets de mission était de se donner des collaborateurs
éprouvés ; l'évêque lui- même paraît avoir déterminé
les premiers choix . Ses registres renferment le cata-
logue des pouvoirs qu'il accorda en 1795 et en 1796.
Ces pouvoirs sont de deux sortes les uns sont des
pouvoirs de desserviteurs et les autres des pouvoirs
de missionnaires .
Les premiers desserviteurs désignés furent : M. Blin
pour Wimille , M. Vasseur pour Linzeux et Blanger-
mont, M. Tilliette pour Le Biez et Royon , M. Jullien
pour Sains -les - Pernes , M. Ivain pour Rollencourt , et
les premiers missionnaires , MM . Compiègne , vicaire
de Saint-Nicolas de Boulogne ; Compiègne , vicaire de
Bourthes ; Evrard , vicaire de Fiefs ; Corne , curé de
Saint-Etienne ; Guillemin , prêtre de Chartres ; Lefeb-
vre , curé de Wierre-Effroy, et Hochart, curé de
Dohem .
En 1796 , la liste des pouvoirs accordés compte

(1) Malgré la tradition, l'attribution à M. Braure (Monin) d'une pré-


fecture de mission, ne se retrouve, à cette époque, dans aucun docu-
ment authentique. Comme nous le verrons, elle ne vint que plus
tard.
380 LE CULTE CACHÉ

encore MM . Adrien Pruvost , curé de Pernes ; Feutrel ,


curé de Marles ; Nicolas Duval , vicaire de Saint-Nico-
las à Boulogne ; François Milon , curé de Nédon ; Jean
Quilliet, vicaire de Fressin ; Antoine du Wast, vicaire
d'Ostreville ; Jacques Risbourg , vicaire de Pihem ;
Pascal Demagny, vicaire de Mametz ; Jean Louchet,
curé de Fréthun ; Isart, curé de Canlers et Tramecourt ;
Bigant, vicaire de Ferfay ; de Lattre , vicaire de Men-
neville ; Boidard , directeur du petit séminaire ; Hache ,
prêtre de Bournonville.
A ces collaborateurs revenus à peu près tous de
l'exil , et du passé desquels ils n'avaient pas à douter ,
les préfets de mission devaient joindre les prêtres
restés sur le territoire français , ou venus d'ailleurs , et
dont une enquête sérieuse devait justifier la fidélité .
C'est à cette enquête qu'ils consacrèrent leurs pre- .
miers soins , ce sont leurs résultats , dont quelques débris
sont entre nos mains , qui doivent maintenant attirer
notre attention . On s'y fera une idée de la sollicitude
avec laquelle l'évêque exilé de Boulogne préparait les
éléments de la restauration religieuse de son diocèse .
Quoique fort concis , ils serviront à rectifier ,
d'après des documents authentiques , les assertions
parfois intéressées des communes et des districts par
rapport aux serments des prêtres .
Une double liste des curés jureurs du diocèse de
Boulogne et qui en porte le nombre à soixante- six ,
paraît avoir été dressée d'abord pour savoir quels
étaient les prêtres qu'il fallait éliminer a priori.
Elle signale les curés de Saint- Léonard , Hesdin-
l'Abbé , Carly , Werwignes , Tingry , Vieille -Église ,
Oye , Marck, Saint- Pierre-lez -Calais , Coquelles , Fré-
thun , Brêmes , Boucres , Guînes , Fiennes , Rety ,
Rinxent , Marquise , Leulinghen , Beuvrequen , Amble-
teuse , Longfossé, Desvres , Menneville , Condette ,
Neufchâtel , Monchy-Cayeux , Laires , Créqui , Contes ,
Rollencourt, Azincourt , Hesmond , Delettes , Fauquem-
SON ORGANISATION 381

berques , Selles , Senlecque , Bomy, Wavrans- les - Elnes ,


Seninghen , Longueville , Dannes , Camiers , Etaples ,
Brimeux , Montcavrel , Doudeauville , Parenty , Clenleu ,
Bezinghen , Alquines , Nordausque , Journy , Zudausque ,
Bayenghen-le -Comte , Tournehem , Eperlecques , Ma-
metz , Quernes , Linghen , Enguinegate , Enquin , Bour-
recq, Ames , Lapugnoy, Grouches .
Viennent ensuite des notes fort curieuses et mal-
heureusement incomplètes sur les différents décanats ,
qui furent alors fournies par des prêtres de confiance
et adressées soit à l'évêque , soit à ses vicaires géné-
raux , soit à ses préfets de mission .
Nous citerons celle qui émane du décanat de Bomy
et nous analyserons les autres , avec quelque détail ,
puisqu'elles sortent d'une source très respectable.
<< DÉCANAT DE BOMY. - i . M. Brunel , doyen et
curé d'Erny- Saint-Julien , tandem, resté fidèle . Le
sieur Braure , vicaire dudit Erny , jureur et intrus à
Febvin , et finalement sorti du diocèse . Le sieur Nicole ,
jureur , intrus , ci -devant bénédictin .
«
< 2. Le sieur Michaud , curé de Bomy et intrus a
Saint-Bertin . M. Capron , vicaire de Bomy. On lui à
cassé , brisé et jeté ses meubles dans la rue et on l'a
chassé. Le sieur Nicole , jureur , intrus .
« 3. M. Hanicot , curé de Febvin , resté fidèle .
«< 4. Le sieur Gody, curé d'Enquin , jureur, borné
à sa cure. Le curé d'Estrée - Blanche m'a dit qu'il avait
confessé ses paroissiens aux Pâques dernières .
«< 5. M. Hédoux , curé de Capelle-sur-la- Lys , resté
fidèle, a eu pour intrus le sieur Sauvage , qui est
passé à Coyecques , auquel Capelle est annexé comme
oratoire .
« 6. M. Delpouve , curé de Reclinghem, tandem ,
resté fidèle , a eu pour intrus le sieur Charpentier ,
passé à la cure de Thérouanne , et dernièrement le
sieur Dewailly, intrus à Wandonne .
< 7. M. Colart, curé de Vincly, resté fidèle .
«
382 LE CULTE CACHÉ

8. M. Théret, curé de Matringhem , resté fidèle .


Le sieur Bailleul , jureur , intrus audit Matringhem ,
Vincly, Hézecques et Senlis .
« 9. M. Legrand , curé d'Hézecques et Senlis , resté
fidèle . M. Vilain , vicaire de Senlis , resté fidèle .
<
«
< 10. Le sieur Lucas , curé de Lugy et l'ancien du
décanat, pomme- poire .
« 11. M. Dutertre , curé de Fruges , après bien des
altercations , tandem, resté fidèle . M. Régnier , vicaire
de Fruges , resté fidèle . Le sieur Deguisnes , vicaire
de Coupelle -Neuve , jureur et intrus à Fruges . Le sieur
Maillet, porionné et vicaire intrus à Fruges .
« 12. M. Théret , curé de Coupelle- Vieille , tandem,
resté fidèle . M. Leprêtre , vicaire , resté fidèle . Le
sieur Patoux, jureur intrus , ci-devant professeur au
séminaire de Boulogne..
« 13. M. Wannescoute , prieur curé de Verchin ,
resté fidèle . M. Tirant, vicaire , resté fidèle . Le sieur
Dufour , intrus .
« 14. M. Gaudel , prieur et curé de Lisbourg , resté
fidèle . M. Lefebvre , vicaire , resté fidèle .
<< 15. Le sieur Carnel , curé de Laires , jureur , borné
à sa cure. M. Fiévé , vicaire , resté fidèle .
«< 16. M. Gallet, curé de Febvin , resté fidèle , qui a
eu pour intrus le sieur Baure , sorti du diocèse . M. Quil-
liet , vicaire , resté fidèle . Le sieur Lejosne , bénéficier
à Picquemont, jureur et intrus . Le sieur Griset , béné-
ficier à Livossart , jureur , dit-on .
<
«
< 17. M. Lardeur , curé de Ligny, resté fidèle .
M. Blin, vicaire , resté fidèle .
<
«< 18. M. Hache , bénéficier à la Tirmande , resté
fidèle .
« 19. M. Cleuet , curé de Crecques , resté fidèle ;
l'intrus n'y est pas resté .
« 20. Le sieur Douchez , curé de Guinegate , jureur
borné à sa cure . Le sieur Honoré , vicaire , jureur et
intrus à Liettres . »
SON ORGANISATION 383

La note du doyenné de Fillièvres , qui est d'une


autre écriture et plus circonstanciée , commence par
déclarer fièrement que dans ce décanat <« aucun ecclé-
siastique n'a juré » .
On y signale le vicaire de Fillièvres , Duplouy ,
« comme un prêtre de bonnes mœurs , plein de zèle
pour l'exercice de toutes ses fonctions , prêchant sou-
vent, mais ne pouvant se faire entendre dans une
église un peu grande parce qu'il a peu de voix et la
prononciation gênée ; il étudie pourtant continuelle-
ment, mais il paraît que Dieu ne lui a pas donné
beaucoup de conception » . Le vicaire de Beauvois ,
M. Dambrenne , est jugé « de très bonnes mœurs et
exerce avec zèle toutes les fonctions de son ministère » .
Celui d'Euf, M. Chevalier , est signalé en outre
<< comme ayant beaucoup de talent et l'employant vo-
lontiers à exercer les fonctions de son ministère » . Les
vicaires Hautecœur , ' d'Humières ; Thullier , d'Hume-
ræuil ; Leleu et Flament , de Tilly , sont moins connus
du rédacteur de la note , qui nous paraît avoir été
M. Romon, doyen de Fillièvres .
Dans le décanat de Frévent, c'est M. Beugin , curé
d'Herlin , qui a été chargé du rapport que nous dé-
pouillons . Il est adressé à M. Voulonne , vicaire géné-
ral de Mgr l'évêque de Boulogne , à Alost, et daté du
31 décembre 1793. Il est surtout consacré à renseigner
l'administration sur les vicaires du doyenné. M. Bézu ,
vicaire de Buneville , y est noté comme un ecclésias-
tique «< irréprochable , sédentaire , attaché à ses devoirs ,
veillant exactement à ce que l'école fût bien tenue ,
faisant assidûment le catéchisme les jours marqués , et
des instructions fréquentes en chaire » . Il est seule-
ment un peu scrupuleux et ne possède peut-être pas
très bien sa théologie , mais « il est capable au moins
de douter et surtout de consulter » . Le chapelain du
Cauroy, faisant les fonctions de vicaire de Berlencourt ,
M. Thomas , est un homme d'égale vertu , mais d'une
384 LE CULTE CACHÉ

valeur supérieure . Quant à MM . Duval , vicaire de


Frévent, Dutertre , vicaire de Croisettes , et Lemaître ,
vicaire de Pierremont , M. Beugin n'en dit rien parce
que M. Voulonne les connaissait suffisamment .
En Post- Scriptum , le curé d'Herlin donne la liste des
prêtres qui demeurent comme lui à Weteren ; ce sont :
MM . Dubois , curé de Burbure ; Fasquel, curé de Neu-
ville ; Parenty, curé de Neuve -Église ; Matringhen ,
curé de Surques ; Gaignart, vicaire de Ham ; et , dans
le voisinage , Baude , curé de Quesques ; Régnier , des-
serviteur de Menneville ; Gérin , chapelain de Prédefin
et Lesenne .
Du district d'Alette , le correspondant de M. Vou-
lonne n'envoie que des listes de noms , qu'il partage
en prêtres fidèles , intrus par élection , jureurs non
intrus, et vicaires ordonnés par l'évêque constitu-
tionnel et envoyés de sa part . Prêtres fidèles : MM .
Miroir, curé d'Alettes ; Lorgnier , curé de Bourthes ;
Compiègne , vicaire idem ; Rénier , prêtre idem ;
Hochart, curé de Bécourt ; Salmon , curé de Courset ;
Marche , curé d'Ergny et'Aix ; Ogiez , ancien curé idem ;
Merlin , curé d'Herly , doyen du district ; de Caumont ,
vicaire idem ; Cocatrix , prêtre idem, desservant de
Mentque ; Duflos , prêtre idem ; Martel , prêtre à Aix-
en-Ergny, vicaire de Thiembronne ; Rivet, curé
d'Humbert et Saint-Michel ; Cocatrix, vicaire idem ;
Buteau , vicaire d'Hucqueliers ; Caron , curé de Manin-
ghem-au-Mont ; Decroix , curé de Preures et Hucque-
liers ; Leducq, prêtre idem ; Widehen , curé de Wic-
quinghen ; Danel , curé de Zoteux.
Sur la liste des intrus par élection figurent Cuvillier ,
à Zoteux et Bécourt ; Boutillier , à Bourthes ; Bridel , à
Ergny, Aix et Wicquinghem ; Dulot , à Quilen et Saint-
Michel : ces trois derniers ordonnés par Porion .
Les intrus par réunion sont : Dubois , de Desvres ,
qui a ajouté Sainte - Gertrude ; Desurne , de Montca-
vrel, qui a ajouté Alette ; Dhesdin , de Longfossé, qui
SON ORGANISATION 385

a réuni Courset ; Lebrun , de Clenleu , et Bimont, qui a


réuni un hameau d'Alette.
La liste des jureurs non intrus mentionne Duverger,
curé de Bezinghen et Enquin ; Vasseur , curé de Dou-
deauville , et Prevost , curé de Parenty , qui lisent les
mandements de l'évêque constitutionnel et s'adressent
à lui pour les dispenses .
Trois vicaires ont été ordonnés par Porion et en-
voyés de sa part ; ce sont : Boulogne , de Desvres ;
Duprès , idem ; Poulain , vicaire de Wicquinghem, et
Neuville, vicaire à Hucqueliers .
Les indications du décanat de Bléquin ne portent
guère que sur les noms des prêtres fidèles , le nombre
de leurs communiants et la distance qui sépare les
annexes des succursales . La liste des intrus porte en-
suite : à Quiestède , Delaire , chantre de la cathédrale
de Saint-Omer ; à Pihem , Réveillon, ancien béné-
dictin ; à Cléty , le P. Bertin Capron , récollet de Saint-
Omer ; à Delettes , Sauvage , du diocèse de Saint-
Omer ; Gilliocq, curé légitime de cette paroisse , y est
vicaire constitutionnel ; à Dennebræucq, Dewailly ; à
Radinghen , Patoux ; à Quelmes , Banin , religieux béné-
dictin ; à Esquerdes , Hochart , ci-devant vicaire de
Setques ; à Lumbres , Martin , du diocèse de Saint-
Omer ; à Remilly , Théodal , curé légitime de Wavrans ;
à Nielles, Crachet , religieux prémontré , et Séghin ; à
Wismes , Cazin ; à Bléquin , Lecomte ; à Rebecques ,
Charpentier ; à Westecque , Genel .
Quatre vicaires sont en outre signalés comme
porionnés , ce sont : Wallart , d'Herbelles ; Paquet , de
Vaudringhem ; Ducrocq , de Wismes , et Sauvage, de
Wavrans .
Le plus intéressant de ces comptes-rendus que nous
avons , à cause de cela , gardé pour la fin de cette
aride et nécessaire nomenclature , est celui des parois-
ses du décanat d'Auchy- au - Bois , dont le doyen était
M. Le Bel , curé d'Allouagne , son rédacteur probable.
25
386 LE CULTE CACHÉ

Il commence par énumérer les vicaires du doyenné


non jureurs , et jugés à peu près tous « dignes des plus
grands emplois » . Ce sont MM . Bourgois , d'Amettes ;
Flament, de Floringhem ; Crespin , de Burbure ; de
Magny, de Mametz ; Gaignart, d'Ames ; Obert , de
Nédonchel ; Roche , d'Allouagne ; Bigand , de Ferfay .
Comme originaires du décanat, il nomme encore MM .
Crespin , vicaire de Roquetoire ; Fiévet , vicaire de
Laires ; Flament, de Nédonchel , et Labre , d'Amettes .
Suivent des annotations , comme les appelle le rédac-
teur , sur toutes les paroisses du décanat et leur
clergé.
A Mametz , le curé , M. Bertin , a fait le fatal serment
et accepté l'intrusion à Crèques . « Le susdit a toujours
été de conduite très retirée , ne voyant presque per-
sonne de ses confrères ni d'autres , fort attaché à ses
intérêts. » En outre , il est sourd depuis bien des an-
nées , par conséquent incapable d'entendre les confes-
sions .
A Quernes , le curé , M. Boully , a également fait le
serment contre l'attente de tous les bons prêtres qui
le connaissaient comme un des plus attachés à la véri-
table religion . On nous a dit qu'il a contracté amitié
avec le fameux Michaud , curé . de Bomy , « cum per-
verso perverteris » . Il est encore dans sa paroisse.
A Linghem, Leclercq , curé, a fait le serment . Peu
en ont été surpris , à cause de ses discours insignifiants
et aussi , ainsi que l'on croit , de son attachement à l'ar-
gent, « radix omnium malorum » . Nous le croyons
encore chez lui .
A Liettres , M. Cappe , vrai curé, non assermenté ,
est digne de toute estime ; il est exporté . L'intrus se
nomme Honoré .
A Rely, M. Bouquillon , curé non assermenté , est
d'un naturel ferme et solide ; il demeure à Alost ; l'in-
trus se nomme Barbier.
A Auchy-au-Bois , M. Dufour, non assermenté , est
SON ORGANISATION 387

un pasteur zélé; nous le croyons actuellement à Ypres .


L'intrus est un récollet ; il a la réputation d'avoir tou-
jours été mauvais religieux et d'être très mauvais
intrus .
A Bourecq et Ecquedecques , habite M. Saligot , curé
jureur, fameux pour s'être toujours montré anti- évê-
que et anti-religieux . Son vicaire est Lefebvre , refusé
au séminaire de Boulogne pour son défaut de science ;
il a été ordonné par Porion . L'ancien vicaire Miennée
est intrus à Busnes .
A Lespesse , curé, M. Vincent, saint prêtre , actuel-
lement dans le quartier de Poperinghe.
A Lières , M. Carpentier , curé ferme et zélé pas-
teur ; il est à Alost.
A Ames , M. Aspelli , curé jureur , bien connu à la
cour épiscopale pour avoir été plusieurs fois appelé au
séminaire .
A Amettes , M. Roche , curé , et Bourgois , vicaire ,
sont connus l'un et l'autre par leur conduite régulière ,
leurs bons exemples et leur zèle infatigable pour l'ins-
truction et l'édification de cette cure . M. Roche
demeure à Turnhout et M. Bourgois à Alost .
A Nédon, M. Milon , non jureur.
A Nédonchelle , M. Dourieu , curé , et Aubert, vicaire ,
non jureurs , fort attachés à leurs devoirs .
A Bailleul , M. Goudemetz , curé , et M. Millot , vicaire ,
non jureurs , tous deux fort zélés .
A Sachin et Pressy , M. Brocart, curé, non jureur,
bon vieillard , toujours attaché à son devoir.
A Pernes , M. Brassart, curé , non jureur , qui a la
réputation de n'avoir pas le don de la parole ; il nous a
dit qu'il suppléait à ce défaut par de pieuses lectures
et catéchismes .
A Floringhem , secours de Pernes , M. Flament, très
digne vicaire, il est du nombre des exportés . L'intrus
de Pernes est M. Petit, connu pour avoir été vicaire
en six ou sept paroisses de Boulogne et une d'Arras .
388 LE CULTE CACHÉ

A Auchel et Cauchy-à -la -Tour , M. Huleux , très


digne curé, non jureur, assez connu pour son zèle à
instruire et à édifier . Il est à présent à Alost . M. Pru-
vost, vicaire , d'une conduite irréprochable . L'intrus
est Gobert, ci -devant vicaire de Marles , connu par ses
hauteurs et tons tranchants . A Marles , il y a un vicaire
intrus nommé Leprêtre qui , ayant fait quelques clas-
ses d'humanités , a été ordonné par Porion .
A Calonne , M. Joachim Laurent , religieux de Choc-
ques , d'un zèle au-dessus de toute expression . Il est
encore en Artois et il va de paroisse en paroisse pour
procurer des secours spirituels .
A Ecques et Lapugnoy, M. Boudaliez , curé jureur,
autrefois paisible , devenu brouillon et ayant eu plu-
sieurs procès avec ses paroissiens ; il achète des biens
fonds . es quatre religieux de la Beuvrière sont expor-
tés .
A Al ouagne , M. Le Bel , curé- doyen , non jureur ;
Roche , vicaire , non jureur ; ils sont actuellement à
Alost. L'intrus Lemaire , ancien vicaire d'Ecquedec-
ques , est adonné à laboisson . Il y a , dans cette paroisse,
un vicaire intrus qui , à l'âge de dix-neuf ans , sans
avoir presque aucun principe de langue latine , a été
ordonné par Porion ; il se nomme Eustache Pruvost, de
Lespesses .
A Burbure , M. Dubois , non jureur , mais attaché à
ses intérêts , connu à l'évêché à l'occasion de sa ser-
vante qui n'avait pas son âge . Néanmoins , il n'a pas
négligé l'intrusion . Le vicaire est M. Crespin , prêtre de
naturel vif, franc , attaché à son devoir . Ils sont exilés
tous deux .
A Lozinghem, M. Pruvost , curé jureur , en qui nous
n'avons jamais remarqué l'esprit de son état . C'est un
gradué de Paris , du diocèse d'Arras . Il a quitté sa
cure. Il est intrus à La Couture , diocèse d'Arras .
Tels étaient les éléments d'informations fort complets ,
on le voit, sur les choses et sur les hommes , avec les-
SON ORGANISATION 389

quels les préfets de mission de Boulogne rentraient


dans le diocèse . Les instructions théologiques ne l'étaient
pas moins et nous avons , transcrite de la main de
M. Voulonne, une véritable somme de toutes les ques-
tions qui pouvaient soulever quelque difficulté.
Elles y sont étudiées avec ce soin savant et scrupu-
leux que les théologiens boulonnais mettaient dans
tous leurs travaux et résolues avec cette netteté grave
et un peu sévère qui était alors de tradition .
On y traite de l'administration des sacrements , des
prières après le décès , de l'absolution des prêtres
assermentés , de la confession des réguliers , de l'acqui-
sition des biens dits nationaux, des catholiques qui
remplissent des fonctions publiques , des soldats , des
successions , de la sanctification des dimanches et de
l'observation des décadis , etc .; en un mot , de toutes
les questions délicates et nouvelles , et alors très vive-
ment discutées , que venait de soulever la Révolution .
Ces notions exactes et ordonnées fort méthodique-
ment sont résumées dans une brochure de 36 pages
intitulée Avis concernant l'exercice du saint Minis-
tère dans les circonstances présentes , datée d'Hildesheim
en juin 1795 et signée de la propre main de l'évêque ,
qui était remise à chaque émigré ou déporté à sa rentrée
dans le diocèse .
Nous en citerons le XII° article , celui qui concerne
les Ecclésiastiques assermentés, intrus ou illicitement
ordonnés , pour éclairer une question peu connue . Nous
ajouterons ensuite l'article XVI , qui traite des biens
appelés nationaux, pour expliquer les légitimes inquié-
tudes des catholiques de nos contrées qui , avant le
Concordat de 1802 , et même après , se sentirent gênés
de la possession de tels biens.
390 LE CULTE CACHÉ

XII

Des] ecclésiastiques assermentés, intrus, illicitement


ordonnés, etc.

« 1° Les ecclésiastiques , qui ont prêté purement et


simplement le serment condamné par la Lettre Moni-
toriale de notre saint Père le Pape , du 13 avril 1791 ,
et ne l'ont pas rétracté en temps utile ; ceux qui se sont
rendus coupables d'intrusion , de quelque espèce qu'elle
puisse être ceux qui ont accepté la prétendue délé-
gation de l'Évêque intrus , à l'effet d'exercer des actes
de juridiction , ou de remplir d'autres fonctions ecclé-
siastiques ; et ceux qui ont été ordonnés par l'Évêque
intrus , ont encouru la suspense ; et , s'ils ont exercé
aucune fonction des saints ordres , depuis qu'ils ont
été liés par cette censure , sont tombés dans l'irrégu-
larité .
<< 2° L'absolution de ces suspenses , et la dispense de
ces irrégularités ne pourront être accordées que par
nous , ou par ceux que nous déléguerons spécialement
et nommément à cet effet, conformément aux Indults
de notre saint Père le Pape , des 19 mars et 13 juin
1792.
«< 3º Les susdits ecclésiastiques pourront néanmoins
être absous de leurs péchés , comme aussi des autres
censures qu'ils auraient encourues (par les prêtres qui
auront de nous l'étendue de pouvoirs nécessaire à cet
effet) et recevoir la sainte communion au rang des sim-
ples fidèles .
« 4º Mais ils ne pourront être admis , ni à l'absolution
dans le Tribunal de la Pénitence , ni à la Communion ,
au rang des simples fidèles , qu'après qu'ils auront
cessé tout exercice des fonctions de leurs ordres ; ré-
tracté publiquement , (s'il y avait lieu de craindre qu'une
entière publicité n'eût des suites facheuses , en pré-
sence de témoins choisis , ) et par écrit , leur serment et
SON ORGANISATION 391

leurs erreurs , abjuré le schisme , renoncé , s'ils sont


intrus , à leur intrusion , et réparé , de la meilleure ma-
nière que les circonstances pourront permettre , les
scandales qu'ils ont donnés .
«
< 5° Il faudra tenir la même conduite à l'égard des
ecclésiastiques , tant séculiers que réguliers , qui ont
livré leurs lettres d'ordination , renoncé de vive voix
ou par écrit à remplir leurs fonctions , ou contracté de
prétendus mariages au mépris de l'empêchement diri-
mant des ordres sacrés qu'ils avaient reçus . Ils ne peu-
vent être susceptibles de la grâce de la réconciliation ,
s'ils ne sont résolus de s'abstenir , et si , de fait , ils ne
s'abstiennent de tout exercice du saint ministère , et
qu'après qu'ils auront fait une réparation publique ,
proportionnée , autant qu'il sera possible , à de si énormes
scandales .
<
« 6º Nous conjurons , par les entrailles de la miséri-
corde de notre Dieu , tous les prêtres fidèles d'éviter
avec le plus grand soin tout ce qui pourrait aliéner
leurs confrères coupables , et les aigrir , mais de leur
témoigner en toutes rencontres une grande charité , ne
négligeant rien pour contribuer à leur retour , et leur
aplanir la voie de la Pénitence dans laquelle ils doi-
vent entrer. »

XVI

Des biens appelés nationaux.

«< 1º Ce qui concerne les biens appelés nationaux (et


il en est de même des autres objets temporels ) , ne peut
être , quant à présent, le sujet d'aucune instruction
publique . Il faut , sur ces articles , se borner à diriger,
dans le secret du Tribunal , la conscience de ceux qui
auraient à se reprocher des acceptions , détentions ou
damnifications injustes .
« 2º L'acquéreur des biens appelés nationaux est dé-
tenteur du bien d'autrui . La vente qui lui en a été
faite, (et il faut dire la même chose des reventes qui
392 LE CULTE CACHÉ

ont pu avoir lieu , ) est absolument nulle et ne lui en a


point transmis lá propriété . Il doit être dans la dispo-
sition de les rendre , aussitôt qu'il le pourra , à ceux à
qui ils appartiennent, ou du moins de se soumettre
entièrement à tout ce qui sera réglé sur ce point, par
l'autorité légitime .
<
« 3º L'acquéreur des dits biens n'a pu et ne peut faire
les fruits siens . Il a pu et peut encore prélever sur ces
fruits le montant des frais de culture ou d'entretien , et
de l'imposition exigée de lui , et par lui payée , à raison
des dits biens mais tout le reste des fruits appar-
tiennent aux propriétaires légitimes des fonds . L'ac-
quéreur doit donc être dans la disposition de le leur
rendre , aussitôt qu'il le pourra , ou du moins de se sou-
mettre entièrement à tout ce qui sera réglé à cet égard ,
par l'autorité légitime , et par conséquent mettre en
dépôt la valeur du dit reste des fruits , pour se main-
tenir en état de faire , dans la suite , ce qui sera de droit .
«
< 4° Si , dans les circonstances actuelles , où il est
impossible de rendre aux légitimes propriétaires les
biens dont il s'agit , un acquéreur se trouve en danger
de mort, pour mettre sa conscience en sûreté , il doit :
1 ° ne faire dans la distribution de son hérédité aucun
emploi des dits biens ; 2º témoigner , en présence d'un
nombre convenable de personnes qu'on pourra réunir
auprès de lui , qu'il meurt avec le regret sincère d'avoir
fait une acquisition si coupable ; 3° faire connaître à
ses héritiers l'obligation où ils sont , et exiger d'eux la
promesse de restituer, aussitôt qu'ils le pourront , aux
légitimes propriétaires , et les fonds , et les fruits perçus ,
ou du moins de se soumettre entièrement à tout ce
qui sera réglé sur ces objets par l'autorité légitime , et
par conséquent de mettre en dépôt, comme il a été
marqué dans l'article précédent, la valeur des fruits
qu'ils seraient dans le cas de percevoir , afin de se
maintenir en état de faire , dans la suite , tout ce qui
sera de droit.
SON ORGANISATION 393

< 5° C'est d'après les mêmes principes qu'il faut di-


«
riger la conscience de ceux qui auraient acquis des
biens d'émigrés ou autres particuliers injustement dé-
pouillés , en leur faisant comprendre qu'ils ne peuvent
être dispensés de la restitution même des fruits , que
par la condonation libre des parties intéressées .
« 6º Les mêmes règles sont aussi applicables aux
achats de biens meubles des propriétaires désignés
dans les articles précédents . La vente qui a été faite
des dits biens meubles n'en a point transmis la pro-
priété aux acheteurs , et les obligations de ceux- ci sont
les mêmes que celles des acquéreurs de fonds ci - dessus
mentionnés .
« 7° Il faut néanmoins excepter ceux qui ont acheté aux
ventes dont il est question des denrées ou autres objets
nécessaires à leur subsistance , qu'ils n'auraient pu se
procurer autrement.
<< 8° Les débiteurs de dîmes , rentes et autres droits
de quelque nature qu'ils puissent être , qui ont conti-
nué de posséder les fonds à raison desquels ils sont
redevables , sont tenus d'en faire jouir , aussitôt qu'ils
le pourront , ceux à qui ces droits appartiennent , en
prélevant néanmoins l'excédant d'imposition auquel ils
auraient été assujettis et qu'ils auraient payé à raison
de la cessation du payement des dits droits .
<< 9º Ils doivent , de plus , être prêts à indemniser ceux
à qui les dits droits appartiennent, par la restitution
de la valeur des redevances non servies , déduction faite
de l'excédent d'imposition exigé et payé , ou , du moins ,
dans la disposition de se soumettre entièrement à tout
ce qui sera statué sur ces objets par qui de droit , et ,
en conséquence , mettre en dépôt la susdite valeur des
redevances non servies , pour se maintenir en état de
faire , dans la suite , ce qui sera d'obligation . >>
Ces instructions substantielles firent autorité dans le
Nord de la France .
Du reste, ce n'était pas seulement dans son diocèse
394 LE CULTE CACHÉ

que Mgr Asseline était appelé à donner des règles , dans


ces temps difficiles , il était souvent consulté par ses
collègues les plus illustres de l'épiscopat français , no-
tamment par l'archevêque de Bourges et le cardinal
de La Rochefoucault , que les graves intérêts mis en
cause au tribunal de la pénitence , par les laïques et par
les prêtres , inquiétaient à juste titre .
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le détail de
toutes ces études où l'évêque de Boulogne était reconnu
d'une compétence singulière ; disons seulement , à sa
louange , que toutes les fois qu'elle lui était connue , il
s'inspirait d'abord de la décision du Souverain Pontife .
C'est ainsi que l'Epistola encyclica, quâ generalis
norma per omnem statum pontificium edicitur obser-
vanda, relate ad ecclesiasticos Gallos, tam sæculares
quam regulares qui eo emigrarunt, publiée à Rome le
26 janvier 1793 , revient à chaque instant dans ses déci-
sions.
Une correspondance fréquente dut naturellement
s'établir entre l'évêque exilé et ses mandataires autori-
sés , à qui une Instruction spéciale pour le préfet de la
mission traçait en détail une ligne de conduite .
Cette Instruction , comme tout ce qui émane de
Mgr Asseline , est claire , précise , minutieuse même et
empreinte d'une certaine austérité . C'est ainsi que ,
tout en mettant les préfets en garde contre les exagé-
rations, l'Instruction se montre sévère contre les prê-
tres qui auraient promis soumission aux lois de la
République , comme contre ceux qui auraient prêté le
serment de liberté et d'égalité . Toutefois l'évêque se
contente d'un désaveu écrit , sans réclamer aucun acte
public de rétractation ; il demande seulement que ,
faute de cette rétractation , on leur refuse de nouvelles
feuilles de pouvoirs .
Elle fut , du reste , complétée par des notes manus-
crites dont M. Voulonne était habituellement l'inter-
prète , et qui étaient envoyées aux préfets sous le titre
SON ORGANISATION 395

de Mémoires à consulter. C'est ainsi que furent éluci-


dées les graves questions du renoncement des prêtres à
la prêtrise et du mariage de quelques- uns .
Ajoutons qu'en ces questions comme en toutes les
autres , le dernier mot est « qu'il faudra s'en tenir à la
pratique qui sera prescrite par le Pape ou convenue
entre les évêques » .
Telle était la situation et tels étaient les pouvoirs de
M. Augé et de M. Paternelle pendant les deux pre-
mières années de leur délicate mission .
Aussi sobres de détails qu'ils aient été , dans leurs
comptes-rendus , sur le succès de leur zèle , ils étaient
arrivés , au milieu de l'année 1797 , à parcourir leur
District et à se rendre un compte exact de l'état de
chaque paroisse , puisqu'ils pouvaient en dresser, à
Dohem , le 19 juillet de cette année 1797 , un tableau
complet qui était adressé et approuvé à Munster
le 16 août suivant .
D'après ce tableau , dont nous possédons la copie
transcrite par M. Voulonne , M. Augé avait juridiction
sur 139 paroisses et 54 secours , c'est- à - dire sur 193
églises situées surtout dans le Boulonnais , tandis que
M. Paternelle avait , en Artois , 128 paroisses et 82 se-
cours , c'est-à - dire 210 églises . Ce qui faisait un total
de 267 paroisses , 136 secours et 403 églises .
La partie artésienne , si nous en croyons M. Pater-
nelle , avait, à cette date , ses cadres ecclésiastiques à
peu près au complet , et la plupart de ses paroisses ,
marquées d'un B dans le manuscrit , étaient réputées
bonnes , c'est-à-dire que les prêtres catholiques pou-
vaient y résider en sûreté et que la totalité des habi-
tants y était sûre , « à l'exception de quelques méchants
répandus par- ci par- là » .
Nous signalons seulement, parce qu'elles sont en
petit nombre , les paroisses réputées schismatiques ou
douteuses :
C'étaient dans le décanat de Frévent, Grouche ;
396 LE CULTE CACHÉ

dans celui de Saint-Pol , Saint -Pol, et Monchy - Cayeux ;


dans celui de Fillièvres , néant ; dans celui de Vieil-Hes-
din , Vieil-Hesdin douteux , et Guisy , schismatique ;
dans celui de Bomy , Laires , schismatique , Enguine-
gate, Enquin , Matringhem , Fruges , douteux ; dans
celui d'Auchy-au - Bois , Bourecq , Rely, Quernes , Ma-
metz , Lozinghem et un peu Auchel , douteux ; dans
celui de Fauquembergue , Le Biez , douteux , et Saint-
Liévin , aux deux tiers catholique ; dans celui de Blé-
quin , Lumbres et Wavrans , schismatiques .
Jusque-là , l'Artois et le Boulonnais formaient donc
les deux préfectures du diocèse de Boulogne , et M.
Paternelle se plaignait , le 19 juillet 1797 « que sa par-
tie était beaucoup plus étendue que celle du Boulon-
nais et qu'il avait seize lieues à parcourir , de la vallée
de Frévent à Tournehem, tandis que M. Batis , alias
Augé, n'en avait que dix tout au plus » .
C'est alors que Mgr Asseline , pour soulager ses deux
vicaires généraux en mission , accorda des lettres de
préfet à M. Gaspard - François Braure .
Ces lettres , contresignées de MM . Flament , Pochet
et Bourgois , secrétaire , sont datées d'Hildesheim , le 27
août 1797.
Leur teneur est en tout point conforme à celle des
lettres de MM . Augé et Paternelle .
Désormais , le diocèse de Boulogne se trouva donc
partagé en trois préfectures :
Celle des côtes de la mer sous M. Augé , celle d'Ar-
tois avec M. Paternelle , et celle du centre dirigée par
M. Braure , qui prit le surnom de Monin et vint se fixer
à Dohem .
Dès ce moment , M. Braure fut , lui aussi , en corres-
pondance régulière avec son évêque et, par les ques-
tions qu'il lui pose , nous avons lieu de croire que son
ministère fut aussi fructueux que celui de ses collè-
gues .
C'est même à lui , qu'à la date du 31 mai 1798 , Mgr
SON ORGANISATION 397

Asseline demande d'appliquer à la subsistance des


ecclésiastiques indigents toutes les restitutions sur les
revenus de son évêché et sur les bénéfices d'église .
Qu'il serait tout ensemble intéressant et édifiant de
pouvoir suivre maintenant , soit d'après une correspon-
dance avec l'évêque de Boulogne , soit d'après un
registre quelconque de mémoires , les manifestations
prudentes et vives du zèle de nos sages et saints mis-
sionnaires à travers les campagnes de l'Artois et du
Boulonnais . Hélas ! ces ressources nous manquent à
peu près complètement , et nous en serons réduits , un
peu plus tard , à rechercher les traces de leur passage
à travers les archives paroissiales , ou dans les souve-
nirs de ceux qui les ont connus ; heureux encore que
cette tradition nous reste .
Nous ne possédons que deux ou trois lettres ma-*
nuscrites de Mgr Asseline , durant cette période , toutes
de 1796 .
La première , du 22 août, ne contient que quelques
mots à l'adresse de M. Paternelle : « J'ai lu , dit-il ,
avec beaucoup d'intérêt les renseignements que vous
m'avez fait passer ; grâces éternelles soient rendues à
l'auteur de tout bien de celui qui s'opère , et qu'il
daigne l'étendre et le perfectionner.
« Il faudra tâcher , autant qu'il sera possible , d'en-
gager les prêtres du diocèse qui travaillent ailleurs à
donner au diocèse la préférence qu'ils lui doivent,
comme aussi d'encourager ceux qui se tiennent trop
cachés . »
La seconde est du 25 août et adressée à un prêtre
qui désirait rentrer en grâces avec Dieu et avec son
évêque : « Je bénis le Seigneur des grâces qu'il vous
a faites et le conjure d'achever l'œuvre que sa misé-
ricorde a commencée en vous .
<< Votre premier soin doit être de vous mettre dans
le cas d'obtenir , dans le tribunal de la Pénitence ,
l'absolution de vos péchés (à cet effet, je donne au
398 LE CULTE CACHÉ

confesseur que vous avez choisi tous les pouvoirs


nécessaires) et ensuite la grâce d'être admis à la
sainte communion comme les simples fidèles . Mais ,
pénétré comme vous l'êtes de l'énormité de vos
fautes et des scandales causés par leur publicité , vous
sentez qu'il sera nécessaire de vous abstenir de tout
exercice des saints ordres jusqu'à ce qu'il en ait été
autrement ordonné par vos supérieurs légitimes . Ce-
pendant ne vous troublez point. Une grande ferveur
obtient beaucoup . Marchez avec courage dans la sainte
carrière de la pénitence où vous êtes entré et soyez
persuadé que vous me trouverez toujours prêt à faire
ce qui dépendra de moi pour contribuer à votre véri-
table bonheur . C'est dans ces sentiments que je suis ,
etc. »
Une lettre datée d'Hildesheim, le 18 octobre 1796 ,
et adressée à M. Voulonne , renferme également
quelques détails intéressants : « Je pense qu'il faut
surseoir, dit-il, quant à présent, à la rentrée des
prêtres dans le diocèse . J'ai appris avec douleur que
M. Laisné , curé de Rebreuviette , avait été arrêté à
six lieues d'Anvers et conduit dans les prisons de
cette ville . De plus , les papiers publics viennent de
faire mention de neuf autres prêtres arrêtés aux fron-
tières et conduits à Paris , comme aussi d'un jugement
rendu à Strasbourg dans la cause d'un prêtre déporté
rentré ; enfin , je suis bien informé qu'il serait dange-
reux qu'il y eût un trop grand nombre de prêtres dans
le diocèse , que cette affluence pourrait occasionner le
renouvellement de la persécution et priver ceux qui
travaillent déjà de l'espèce de tranquillité dont ils
jouissent, et qui leur est si nécessaire pour faire
quelque bien . Du reste , j'attends les lettres dont sera
porteur le commissionnaire qui doit revenir dans le
courant du mois prochain. >>
En 1797 , le 26 juin , après de nouveaux renseigne-
ments sur la question des mariages et celle du serment
SON ORGANISATION 399

des laïques , pour lesquels il demande une abjuration


publique du schisme , Mgr Asseline ajoute : « Les dé-
tails que vous me donnez me procurent une véritable
consolation , et je rends grâces au Seigneur des béné-
dictions qu'il daigne répandre sur les travaux entre-
pris pour sa gloire . J'espère que bientôt le nombre des
ouvriers sera plus proportionné aux besoins : plusieurs
sont déjà partis et d'autres se disposent à le faire in-
cessamment ; vous ferez selon votre prudence les rem-
placements dont vous me parlez . »
En 1798 , 1799 et 1800 , les lettres prennent un ca-
ractère symbolique , que la surveillance inquiète de la
poste nécessitait , mais dont la clef nous échappe
quelquefois .
Le 16 novembre 1798 , c'est M. Du Bréau qui écrit
d'Hildesheim . Après un certain nombre de cas réso-
lus , il paraît faire allusion au mandement de Carême
de 1797 , quand il ajoute : « Quoique vous n'ayez fait
aucun usage des fruits de Carême que je vous ai fait
passer l'année dernière , je vous en ai préparé encore
pour le Carême prochain . Ils sont maintenant entre
les mains de l'ouvrier qui doit les mettre en état de
supporter le transport et de vous parvenir. »
Nouvelle lettre du 6 mars 1799 , du même M. Du
Bréau , pour résoudre de nouveaux cas .
Le 14 janvier 1800 , Mgr René Asseline reprend lui-
même la plume . « Il paraît que , lorsque vous m'avez
écrit, le temps était assez serein , mais plusieurs bour-
rasques avaient précédé . Quand viendra le calme plus
durable et plus étendu ? Ceux du Vivier ont éprouvé
un peu d'amélioration dans leur sort : mais il est tou-
jours bien pénible . Je ne puis blâmer celui qui a fait
ses adieux à Bapaume.
<«< Hélas ! nous faisons toujours des pertes et dans
l'intérieur et au dehors ! Les circonstances rendent
ces pertes plus sensibles et en augmentent l'amertume .
Que le Seigneur daigne accorder à tous ceux qu'il ap-
400 LE CULTE CACHÉ

pelle à lui le lieu de rafraîchissement, de lumière et de


paix, mais qu'il daigne aussi envoyer des ouvriers
à sa moisson. >»
Toutes ces lettres sont adressées à M. ou au citoyen
Terbeck , à Amettes .
Les papiers officiels de l'Évêché de Boulogne ne
nous fourniront plus que quelques feuilles de rétrac-
tation et la liste des nouveaux prêtres que , du fond de
l'Allemagne , Mgr Asseline envoyait dans son diocèse en
détresse, après les avoir ordonnés .
La plupart des lettres et déclarations des prêtres et
des religieux qui venaient à résipiscence étaient écrites
en latin la formule plus ou moins humble de cette
rétractation accuse des dispositions généralement loua-
bles et parfois , il faut le dire , une ignorance qui dimi-
nue la gravité de la faute commise .
Nous citerons intégralement l'une des plus intéres-
santes , celle de M. Charles -Antoine Dessurne , curé de
Mont-Cavrel et Recques , son secours , intrus à Alette .
<
« Touché du plus vif repentir de ne pas avoir réclamé
contre le procès- verbal de la municipalité de Montca-
vrel qui, par surprise ou autrement, déclara que dans
un petit discours que je fis à mes paroissiens , le 14 juil-
let 1791 , jour de la fédération , j'avais fait le serment
prescrit par la loi : d'avoir obtempéré à la réquisition
qui m'a été faite par le procureur- syndic du directoire
de Boulogne , de prendre possession d'une partie de la
paroisse d'Alette et de la desservir comme j'ai fait dans
le courant d'octobre de la dite année d'avoir commu-
niqué avec l'Évêque intrus par lettres et en lisant deux
de ses mandements de carême , quoique je n'aie jamais
eu recours à lui pour les saintes huiles d'avoir com-
muniqué in sacris avec des prêtres sermentés et intrus ,
je fais la déclaration et profession de foi suivante :
« Je crois et professe tout ce que croit et enseigne
la sainte Église catholique , apostolique et romaine ,
hors de laquelle il n'y a point de salut.
SON ORGANISATION 401

<«< Je crois à l'existence d'un ministère sacré, établi


par J.-C. dans son Église et à l'autorité infaillible qu'il
a communiquée au corps des premiers pasteurs dont
le Pape est le chef visible , pour enseigner , régir et
gouverner dans l'ordre du salut et à l'indépendance
absolue de la puissance spirituelle qu'il a confiée aux
pasteurs de l'Église pour la sanctification des âmes .
« Je crois à la hiérarchie divinement établie et com-
posée d'évêques , de prêtres et de ministres .
« Je crois à la primauté d'honneur et de jurisdiction
dont J.-C. a investi le premier de ses apôtres et ses
successeurs ; à la supériorité des évêques sur les prê-
tres et les autres ministres ; à la nécessité de la mission
conférée par l'Église pour la légitimité du ministère et
la validité des actes de jurisdiction .
« Je crois et professe que l'Église de Jésus - Christ
est une et apostolique dans son ministère comme dans
sa doctrine ; que , pour vivre dans son sein , il faut ad-
mettre toutes les vérités de la foi qu'elle enseigne , et
demeurer en communion avec les seuls pasteurs que
la mission canonique a placés dans la chaîne de la
succession légitime .
<< Dans cette intime conviction et par obéissance au
Souverain Pontife , je rétracte le serment impie contre
lequel je n'ai pas réclamé, lorsque la municipalité de
Montcavrel a attesté, le 14 juillet 1791 , que j'avais prêté
le serment prescrit par la loi ; serment que j'ai accré-
dité et agréé , en signant différents certificats où on
attestait que j'avais prêté ledit serment , que j'ai répété
en l'époque de mon intrusion dans l'église d'Alette, où
on dit , dans l'acte , que j'ai réitéré le serment prescrit
par la loi.
« Je rétracte dans la même vue le serment odieux
de maintenir la liberté et l'égalité, et la soumission
aux lois de la République française . Je reconnais que
le sens de ces mots vagues tend directement à toutes
les erreurs de la Constitution civile du clergé , erreurs
26
402 LE CULTE CACHÉ

que j'abjure expressément , me soumettant de cœur au


jugement porté par le Souverain - Pontife contre cette
Constitution , comme encore à tout autre jugement
émané du Saint- Siège .
« Je reconnais que m'étant séparé de mon Évêque ,
la paroisse d'Alette , dont je fus établi le chef en par-
tie , étant pour moi une paroisse nouvelle et schisma-
tique , que n'ayant eu aucune mission de l'Évêque
légitime , qui , le seul , a le droit de la donner , je n'ai reçu ,
par ma mission constitutionnelle , qu'un pouvoir de
mort , fruit d'un sacrilège ; que je ne suis pas le légi-
time pasteur des parties domiciliées à Alette , qui se
sont mariées pardevant moi , et les absolutions don-
nées , excepté à l'article de la mort , sont de nul effet ;
que je n'ai pu communiquer la mission à aucun prêtre ,
et, s'il m'est arrivé d'en donner , elles ont été également
funestes à eux et à moi.
« Je renonce à la cure d'Alette, et réduit à la qualité
de pénitent , je demande pardon à la religion sainte de
J.-C. que j'ai outragée, à l'Évêque dont je m'étois sé-
paré , au curé dont j'ai usurpé la jurisdiction , aux
prêtres que j'ai pu séduire par mon exemple , aux
fidèles que j'ai scandalisés , enfin aux patriotes dont
j'ai perpétué le délire et les erreurs . Fait en double à
Montcavrel , et en présence de Me Jean- Baptiste Gline ,
prêtre chargé du soin de mes paroisses , Montcavrel et
Recques ; de MⓇ Louis-Joachim Fasquel , curé de Neu-
ville ; du sieur François -Toussaint Minet, agent muni-
cipal de cette paroisse ; du sieur Louis- Grégoire Leducq ,
propriétaire aussi de cette paroisse , ancien officier
municipal , qui ont signé avec moi après lecture faite
de ce que dessus et autres porte ; ce quinze mars
mil sept cens quatre -vingt- dix - sept ( 1797) . — Dessurne ,
curé de Montcavrel ; Fasquel , curé de Neuville ; C. Mi-
net ; Leducq . »
« Je soussigné, prêtre- vicaire délégué pour Montca-
vrel, certifie avoir reçu la rétractation de Me Des-
SON ORGANISATION 403

surne , en présence des témoins ci-dessus dénommés ,


en foi de quoi j'ai signé . — Gline, prêtre . »
Voici une autre rétractation assez cavalière , du ser-
ment de liberté et d'égalité :
« Je déclare qu'étant en assemblée primaire , on y a
proposé le serment de liberté et d'égalité ; que ce ser-
ment n'a point été prononcé individuellement , qu'il n'a
été prononcé que par un seul , sans que j'aie fait attention
aux termes dont il s'est servi ; que j'ai entendu donner
l'égalité à tous mes inférieurs , comme portant l'image
de Jésus-Christ et destinés aux mêmes héritages que
moi ; que je n'ai jamais songé à mes supérieurs , pas
plus que le banc sur lequel j'étois assis.
« Voilà ma déclaration . ― Odent. »
Nous avons vu que Mgr Asseline , dans sa corres-
pondance avec M. Paternelle , se plaignait du petit
nombre des ouvriers évangéliques qu'il lui était permis
d'envoyer dans son diocèse .
En effet , si nous en croyons son Registre des ordi-
nations , les rares recrues qu'il faisait en exil , aussi
méritoires qu'elles aient été , ne pouvaient aucunement
suffire à compenser des pertes toujours de plus en plus
multipliées .
Voici les prêtres ordonnés à Hildesheim , dont nous
avons retrouvé les noms : c'étaient, le 2 juin 1798 ,
MM . Guillaume Boutoille et Louis Compiègne ; le
20 septembre 1800 , M. J.-B. Voclin ; le 8 octobre 1800 ,
M. Antoine Degarnier- Desgarets ; le 12 octobre , M. An-
toine Desmons ; le 21 mars 1801 , MM . Antoine Dela-
haye , Achille Le Conte et Toussaint Pique ; le 19 sep-
tembre 1801 , MM . Pierre Lequien de Rompré et
Marc -Antoine Naffré.
Les prêtres qui signent habituellement comme té-
moins sont : MM . Giblot du Bréau et Coquatrix , vicaires
généraux ; Flament et Pain, prêtres ; Bourgois ou
Compiègne , secrétaires , et la chapelle où se faisaient
les ordinations était d'ordinaire celle des religieuses
de Sainte-Madeleine , à Hildesheim .
404 LE CULTE CACHÉ

§ 2. A Arras et Saint-Omer.

Instruction provisoire de l'évêque d'Arras. - Sa conclusion . - M. de


Seyssel . - Son exil , sa bienfaitrice , son testament. - Les qua-
tre préfets de mission. M. Andrieu. Ses dangers. - Ses
protecteurs. - Le culte organisé dans le diocèse de Saint- Omer.
Le vicaire d'Estaires. - Premières messes à Busnes . - M. d'Au-
male et M. Rollet. Les curés cachés. - - Dénonciations du procu-
reur Bachelet. ― Arrestation de M. Dublaron, Autres arresta-
tions.

Si l'Évêque de Boulogne , du fond de la Belgique et


même du fond de l'Allemagne , présidait , avecla science
et le zèle qui lui étaient propres , à l'organisation du
culte caché dans son diocèse , l'Évêque d'Arras , malgré
les préoccupations politiques qui paraissent avoir
absorbé une partie de sa vie d'exilé , ne négligeait pas
non plus le soin de son troupeau .
Dès le 5 juillet 1793, il adressait une instruction pro-
visoire , signée de sa main, « pour les curés légitimes ,
desservants , vicaires ou autres prêtres du diocèse
d'Arras , tant séculiers que réguliers , qui se sont mon-
trés fidèles à leur vocation , sur la conduite qu'ils auront
à tenir en rentrant en possession de leur cure et autres
places ou emplois ecclésiastiques et dans l'exercice de
leurs fonctions usurpées par les intrus » .
Au début de cette Instruction provisoire , qui cor-
respond à l'Avis donnéaux prêtres de Boulogne , l'Évê-
que d'Arras a soin de réserver l'intervention du Souve-
rain- Pontife, qui établira entre tous les diocèses de
France « une conformité précieuse à conserver » >.
Il y traite ensuite brièvement de l'administration du
baptême, de la première communion des enfants , de
la confession. et du mariage , de la célébration des
offices , de la purification des églises , de la suspense
et irrégularité encourues par les jureurs , de la restau-
ration du culte .
Voici comment il termine : « Les ministres fidèles
SON ORGANISATION 405

sont exhortés à se rappeler et à ne point perdre de vue


ces grands principes de conduite qui leur ont été don-
nés par le chef et le premier modèle des pasteurs et
par ses apôtres qu'ils soient prudents comme le ser-
pent et simples comme la colombe ; qu'ils bannissent
toute négligence ; qu'ils soient remplis d'une sainte sol-
licitude ; qu'ils bénissent ceux qui les ont persécutés ;
qu'ils ne rendent à personne le mal pour le mal ; qu'ils
fassent le bien, non seulement devant Dieu mais devant
les hommes ; qu'ils se revêtent, comme tous les élus de
Dieu, d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité,
de douceur, de patience, mais surtout qu'ils se revê-
tent de la charité qui est le lien de la perfection .
<< C'est principalement par l'exercice de ces vertus
qu'ils attireront sur leur ministère la bénédiction du
ciel et qu'ils pourront contribuer efficacement au re.
tour , non seulement des fidèles , mais des ministres
mêmes qui ont eu le malheur de s'égarer . »
Après avoir envoyé à ses prêtres cette instruction ,
Mgr de Conzié, que la confiance des princes de la mai-
son de Bourbon appelait fréquemment dans leurs con-
seils , se déchargea , selon toute apparence , sur M. de
Seyssel, son vicaire général , du soin d'en surveiller en
détail l'application .
M. de Seyssel était en tout point digne de cette mis-
sion délicate .
Originaire, comme les Conzié , du Bugey , il avait été
appelé à Arras par l'évêque son compatriote et n'avait
pas tardé à y être investi des plus hautes charges .
Vicaire général , grand archidiacre , il avait encore été
nommé prévôt du Chapitre en 1789 , lors de la nomi-
nation de M. de Bovet à l'évêché de Sisteron . Il avait
été également l'un des signataires et peut-être des auteurs
de la magnifique déclaration que nous avons citée et
elle l'eût amené à l'échafaud , comme ses collègues ,
s'il n'avait suivi son évêque au-delà de la frontière .
On le retrouve successivement dans les Pays- Bas , à
406 LE CULTE CACHÉ

Dusseldorf, à Hildesheim, à Munster , à Aix -la- Chapelle


et finalement à Altona (1) .
Recueilli par une illustre chanoinesse , la baronne
de Schwering-Borg , dans un château situé près de
Munster , et traité par elle , durant plus de seize ans ,
avec la tendre délicatesse d'une mère , M. de Seyssel
n'y oublia pas l'église d'Arras , cette autre mère à la-
quelle il avait consacré son ministère . Son testament
en est une preuve éclatante . Il y consacre tous ses
biens patrimoniaux à l'établissement d'un séminaire
épiscopal dans notre diocèse . Si cette donation n'aboutit
pas , et si quelques livres , vases sacrés , ornements
d'église , et une somme d'argent, relativement peu con-
sidérable, arrivèrent seulement à Arras , au nom de
M. de Seyssel , en 1820 , il s'en faut prendre au malheur
des temps et nullement à la volonté du généreux
donateur.
Ajoutons, pour être absolument exact , qu'à l'époque
où il fit son testament, le 4 décembre 1811 , l'ancien
vicaire général ne paraît pas encore considérer le
Concordat comme une loi définitive , il s'y adresse
toujours « à l'évêque qui sera légitimement élu au
siège d'Arras >> .
Selon les traditions les plus autorisées , car nous
n'avons sur ce point aucune pièce authentique , c'est
à Munster , où ils étaient encore à la fin de 1795, que
l'évêque d'Arras et M. de Seyssel partagèrent le dio-
cèse en quatre préfectures et donnèrent leur mission
aux prêtres qu'ils avaient choisis , pour les charger de
la réorganisation du culte . Le jour des Saints - Inno-
cents , d'après une version ( 2) , MM . Andrieu , Delbarre ,
Dambrine et Vasseur se jetaient aux pieds de leur
évêque et recevaient de lui le titre de préfets de mis-
sion avec les pouvoirs les plus étendus . Selon une

(1) Voir la Notice de M. Proyart, Le Calvaire d'Arras.


(2) Revue du Pas-de- Calais, p. 302. Notice sur Monsieur Andrieu.
SON ORGANISATION 407

autre tradition ( 1 ), ces quatre préfets auraient été


MM. Andrieu , Delbarre , Dupont et Pronnier .
Les quatre districts dans lesquels ils auraient été
envoyés seraient pour M. Dupont, le pays de Douai
et Valenciennes ; pour M. Andrieu , celui d'Arras ,
Lens et Bapaume ; pour M. Pronnier , Béthune et Hou-
dain ; pour M. Delbarre , le pays de Lillers et les
environs d'Armentières .
Il est à croire, en tout cas , que ceux des prêtres que
nous venons de nommer , qui n'avaient pas , à propre-
ment parler, le titre de préfets de mission , furent au
moins les premiers missionnaires qui revinrent d'exil
en Artois .
M. Andrieu , né à Sailly- au - Bois en 1743 , avait fait
ses études au collège de Bapaume et , après six années
d'études théologiques , avait été successivement direc-
teur des Orphelins d'Arras , curé de Bours - Maretz et
finalement de La Ventie en 1787. Après son refus de
serment, il avait suivi Mgr de Conzié en exil et s'était
finalement retiré comme lui près de Munster .
Le théâtre qui avait été assigné à son zèle de préfet
de mission n'était pas le plus facile . Les prêtres qui
exerçaient le saint ministère avec des pouvoirs sou-
vent douteux et qui ne voulaient point en recevoir de
l'évêque légitime , ne lui causèrent pas moins de soucis
que les représentants d'un régime persécuteur .
On raconte qu'il fut plus d'une fois sur le point d'être
pris par les gendarmes. Un jour même , à Hamelin-
court, les sabres qui fouillaient la paille où il se cachait
passèrent à ses côtés . La Providence le protégea . Il
parvint même à pénétrer bientôt jusque dans la ville
d'Arras où l'on dit qu'un magistrat bienveillant , M.
Watelet, se constitua son protecteur , en le faisant aver-
tir habilement des recherches dont il pouvait être
l'objet . Une vieille et sainte personne , Mile Moronval ,

(1)Le Calvaire d'Arrus . Notice sur M. de Syssel et le Vicaire d'Estaires,


408 LE CULTE CACHÉ

qui le reçut habituellement dans sa maison, et à qui


M. Andrieu voua également une reconnaissance qui ne
finit qu'avec la vie , mérite d'être aussi signalée pour
sa généreuse charité .
La situation géographique du diocèse de Saint-Omer
et la foi bien connue de ses habitants devaient le rendre
accessible , plus qu'aucun autre , aux premiers mission-
naires . C'est ce que nous fait constater l'abbé Lagniez ,
dans le manuscrit déjà cité et connu sous le nom de
Manuscrit du vicaire d'Estaires . Ce prêtre , qui joua un
rôle assez important durant cette période , soit sur la
terre d'exil , soit dans les excursions qu'il faisait en
personne dans le diocèse auquel il appartenait , mérite
ici toute la confiance qui doit s'attacher à un témoin
estimable .
Dès le 1er septembre 1794 , on signalait des messes
nocturnes à Busnes et le procureur Maiolle écrivait au
procureur syndic de Béthune « qu'il se dit jour et nuit
des messes à Busnes , sans faire de soumission aux
lois , dans les maisons et les granges . Il vient de s'en
dire une , dans un jardin , à 9 h . du matin , où il y avait
plus de mille âmes » .
On envoya sur le champ la gendarmerie de Béthune
pour arrêter les prêtres dont il s'agit , mais on ne les
trouva point. Le 10 septembre 1794 , le maire d'Ames
et le procureur Foulon dénoncent également Nicolas .
Fauquembergue d'Ham , comme ayant reçu un prêtre
qui exerce ses fonctions chez lui, malgré le maire , et
fait des rassemblements nombreux .
Il est probable que les prêtres dont il est ici ques-
tion étaient des étrangers , ou encore un des célèbres
récollets , Hyacinthe Fromont et Joachim Laurent , qui
parcouraient le pays au plus fort de la Terreur.
Toutefois , ce n'étaient là que des exceptions très
rares .
C'est au mois de juin 1795 et à la faveur du décret
qui ouvre la frontière aux cultivateurs émigrés , que M.
SON ORGANISATION 409

Lagniez fixe le retour d'un certain nombre de prêtres.


Avant cette date , plusieurs prêtres belges avaient déjà
parcouru la contrée avec MM . Ostin et Deprez ; mais les
retours se multiplièrent surtout de juillet à novembre.
En juillet, M. Lagniez , qui les accompagnait , signale,
nous l'avons dit , MM . Dodin , curé de Robecq , Fumery ,
vicaire de Saint-Floris , et Carpentier .
C'est M. d'Aumale , doyen du Chapitre de Saint-Omer ,
qui, en l'absence de Mgr de Chalabre , toujours retenu
en Italie ou en Espagne par sa mauvaise santé,
paraît avoir été chargé de l'organisation du diocèse de
Saint-Omer, avec M. Rollet . Ils obtinrent même , par
l'intermédiaire de Mgr de Cambrai , des pouvoirs de
vicaires généraux pour tous les doyens des districts .
On vit alors arriver M. Pruvost qui administra Ham ,
Busnes et Guarbecques ; M. Wallart qui fut chargé de
Lillers ; M. Danne qui revint à Saint-Venant ; M. Roche
qui s'occupa d'Allouagne ; M. Laurent , de Calonne-
Ricouart , Marles et Lapugnoy ; M. Corne , d'Hinges ,
Oblinghem et Vendin ; M. Fumery, de Saint-Floris ;
M. Rollin , d'Aire ; M. Deron , d'Isbergues ; M. Flament,
de Richebourg et Neuve -Chapelle ; M. Delebecque , de
Sailly-sur-la-Lys et La Ventie . C'est ce dernier qui eut
le bonheur de réconcilier le curé constitutionnel de Sailly,
Monnier, et de le préparer à la mort . M. Lagniez s'était
chargé d'Estaires et Gonnehem. Le zélé missionnaire
se complaît à tracer le tableau des succès de l'apostolat
catholique dans ces contrées pendant l'arrière- saison.
<< Des rues entières se convertissent à Gonnehem »,
dit-il .
Il constate que les constitutionnels ne désarmaient
cependant pas , favorisés qu'ils étaient par les décrets
d'un pouvoir révolutionnaire , plus hostile d'instinct aux
catholiques qu'aux schismatiques .
Le procureur de Saint-Omer , Bachelet , qui avait
$
succédé au célèbre Coffin , ne manquait pas , à son
exemple, de raviver le zèle des agents de la force
410 LE CULTE CACHÉ

publique qu'il dénonçait au besoin . Aussi écrivait-il , le


3 juillet 1795 , au procureur du Département , Merlin :
« Il me paraît... qu'on a bien raison de se plaindre
partout des gendarmes et de dire que cette troupe est
paralysée : car , en mon particulier , je trouve que ceux
de ce district s'exécutent fort mal et je ne peux tirer
d'eux de bons services ; je leur donne des réquisitions
pour faire joindre des militaires , pour empêcher les
mendiants, pour arrêter des émigrés qui se montrent
publiquement et des prêtres réfractaires rentrés qui
officient presque sous leurs yeux ; je vois avec peine que
rien ne se fait ; cette inaction peut conduire à bien des
malheurs ; elleme fait soupçonner qu'il ne règne point
parmi eux un bon esprit ou qu'ils prennent des arran-
gements d'intérêt particulier et pécuniaire . Le moyen ,
peut-être , d'y remédier , ce serait de faire changer de
temps en temps les brigades de district ou de dépar-
tement à autre, pour rompre leurs liaisons avec les
particuliers . Il serait bien convenable qu'on fasse dans
ces corps une réforme de sujets qui n'auraient jamais
dû y être placés . »
Le 15 août, il écrit encore : « Citoyen, le représen-
tant du peuple Barras ne m'avait demandé que le
résultat des renseignements que j'avais pris des pro-
cureurs des communes , relativement aux prêtres réfrac-
taires ou déportés ; il me semblait aussi que cela était
suffisant pour prendre un parti . Il y a des rassemble-
ments nombreux pour entendre les prêtres déportés
et on dit qu'ils prêchent contre les lois . Si cela était ,
ceux qui assistent à une pareille doctrine et souffrent
un tel langage sont coupables ; ils le sont encore de
donner asile et de ne pas arrêter ces prêtres déportés ,
comme il est enjoint à tout bon citoyen . En ce cas , il
me semble qu'on pourrait faire informer par les juges
de paix contre ces sortes de rassemblements , afin de
les écarter. »
Le 22 août , il écrit encore : « Je vous transmets copie
SON ORGANISATION 411

d'un procès-verbal, tenu par les gendarmes de la bri-


gade d'Aire , du 29 thermidor dernier . Vous verrez , par
ce procès, qu'ils n'ont pas trouvé les prêtres réfrac-
taires qu'ils cherchaient . Par l'appareil qu'ils ont mis ,
c'était faire , comme on dit vulgairement , la chasse au
tambour au loup . Ils ne pouvaient manquer d'être
prévenus et de prendre la fuite . Comme il se trouve
des chasseurs en cantonnement pour la conservation
des récoltes , j'ai prévenu les procureurs des com-
munes, que parcourent des prêtres réfractaires , de
tâcher de découvrir les endroits où ils couchent, pour
en avertir le commandant du poste et les faire arrêter .
De cette manière plus secrète on réussirait mieux . »
Au fait, dans la nuit du 17 au 18 septembre , comme
il l'annonce immédiatement à Arras , il parvint à mettre
la main <
« sur le nommé Dublaron , ci - devant vicaire
d'Oye en Calaisis , déporté rentré , qui logeait chez
Dominique Réant, procureur de la commune de War-
drecques » . Il le fit conduire dans la maison d'arrêt
de Saint-Omer. Les administrateurs lui firent subir
l'interrogatoire « .et crurent devoir le renvoyer , c'est
Bachelet qui paraît s'en plaindre , en le bannissant
néanmoins à perpétuité du territoire de la République » .
Le plus souvent, toutefois , les prêtres ne tombaient
pourtant pas entre les mains des gens de loi . Ainsi , d'a-
près les Archives du district de Béthune , le 1erjuillet 1795 ,
un prêtre déporté , nommé Duflos , étant venu dire la
messe chez Antoine Martel, charron à Estrée - Blanche ,
les gendarmes vinrent pour le saisir la messe venait
de finir ; ils trouvèrent l'autel encore dressé et , à défaut
du curé , ils en prirent tous les ornements . Le 16 août
1795 , les gendarmes d'Aire avec des chasseurs et des
volontaires se rendirent à Oulleron pour y arrêter
M. Lourme , ancien vicaire de Thiennes , qui , la veille ,
avait célébré les vêpres dans une grange de la veuve
Bouret, devant une grande quantité de peuple qui
avait empêché deux gendarmes qui passaient là par
412 LE CULTE CACHÉ

hasard d'arrêter le prêtre . Ils enveloppèrent la ferme ,


y trouvèrent les chandeliers et ornements , etc. , mais
non le prêtre .
La même troupe se rendit à Molinghem chez la
veuve Hanotte, où l'on avait dit la messe à 7 heures
du matin. C'était , avoua le propre frère de la veuve
Hanotte , M. Delattre qui avait célébré , mais il n'y
était plus .
Quelques jours auparavant, M. Paris avait célébré
chez Tourtonval. Mais nous allons retrouver ces faits
particuliers et en grand nombre , en dépouillant les
Archives des paroisses du département, étudiées jadis
à ce point de vue par les ordres de N.N.S.S. de La Tour
d'Auvergne et Parisis , en les rangeant toutefois dans
le seul ordre reconnu par l'autorité ecclésiastique ,
c'est-à-dire sous la rubrique de nos trois diocèses
d'Arras , Saint-Omer et Boulogne .
CHAPITRE QUATRIÈME

DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS (1)

& 1. --- A Arras, Bapaume et Pas.

La cathédrale d'Arras réclamée et refusée . V magasin.


MM. Soualle et Doudan. - M. Delahaye à serine et Roclin-
court . M. Goudemand à Duisans et Dainville . -- Tilloy, Cathe-
rine Deliège. --- Agnez et Habarcq, châtiment des impies. — Les
sacrilèges de Pas. Famechon , Orville , Hénu . - Le curé Saudo .
- M. François de Bienvillers. Pommier et Souastre . -- La terreur
à Bapaume. - Les femmes de Beugny, -- Le Transloy et Martin-
puich .

Ce n'est point dans la ville d'Arras qu'il faut cher-


cher les traces du Culte caché , ni durant la Terreur
dont elle était le centre , ni même après le neuf ther-
midor, qui n'avait pas complètement désarmé ses admi-
nistrateurs toujours ardents à poursuivre, le clergé
réfractaire comme un ennemi .
Il s'y rencontra pourtant, le 27 juillet 1795 , environ
deux cents catholiques pour adresser à la municipa-
lité une pétition dont le but était de réclamer au moins
provisoirement le 1 libre usage de la Cathédrale qui
n'était pas aliénée , pour y célébrer, sous la surveil-
lance des autorités constituées , les offices du culte

(1) Ces trois derniers chapitres, écrits à peu près exclusivement


d'après les notes et traditions paroissiales recueillies par MM . les
curés, à la demande de Mgr Parisis, sont malheureusement incomplets,
à cause des lacunes très nombreuses qui se rencontrent dans les
Archives de l'Evêché d'Arras.
414 LE CULTE CACHÉ

catholique , apostolique et romain , en se conformant à


toutes les dispositions de la loi.
Le Conseil général de la commune ne fit pas mau-
vais accueil à cette pétition . Il l'adressa incontinent au
District <
« afin qu'il prît les moyens de faire évacuer la
susdite église et qu'ainsi il fût à même d'exécuter ce
que la loi précitée exigeait de lui » .
Ceux-ci en référèrent à l'administration de l'armée , à
la disposition de laquelle la Cathédrale avait été mise .
Oudin , commissaire des guerres , répondit aux admi-
nistrateurs qu' « il existait dans le dépôt général , des-
tiné aux places d'Arras , Boulogne , Calais et Saint-
Omer, une très grande quantité de liquides , viandes
salées , sel , tabac , etc. , qu'il devait en arriver inces-
samment une plus grande quantité et qu'en consé-
quence à peine l'ancienne église suffirait à la loger » ; de
plus, il fit observer « qu'il y aurait de grands frais et
beaucoup de perte pour le transport » .
Le Conseil général de la commune ne se tint pas
pour battu et adressa une nouvelle requête au District
à la même fin ( 1 ) . Il offrit même le Cloître pour servir
de magasin de vivres aux lieu et place de la Cathédrale .
Mais le directeur des vivres de la seizième division
militaire , nommé Villot , consulté , fit observer qu'il
allait arriver des vivres en quantité considérable et
que << pendant l'hiver , les cloîtres n'étant pas fermés ,
tout ce qu'on y mettrait se gèlerait infailliblement » .
Le commissaire Manchon fit encore observer qu'il de-
vait évacuer les caves du Séminaire , qui venait d'être
vendu , et , qu'à part la Cathédrale il n'existait aucun
emplacement assez spacieux , ni assez sain , ni assez
sûr pour y déposer les denrées .
C'est ainsi que , le 5 septembre 1795 , la Cathédrale

(1) Signé : R. Fromentin, maire ; Desgardin, Albert Hurtrel, Cuve-


lier, officiers de décade ; L.-D. Gayant, Renard , Rouvroy , De Buire,
Nonot, Gossez, Lesoing, Hazard, officiers municipaux.
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 415

fut condamnée à rester à usage de magasin de vivres ,


c'est-à-dire à un usage qui devait la détériorer rapi-
dement et donner un nouveau prétexte aux Vandales
qui devaient réclamer sa ruine .
Les autres églises et chapelles d'Arras étaient éga-
lement fermées ou abandonnées aux usages profanes ,
si déjà elles n'étaient détruites : la plupart avaient été
vendues nationalement au commencement de 1792.
Seule , la nouvelle église de Saint-Nicolas - sur - les-
Fossés , devenue le temple de la Raison et le théâtre
des fêtes populaires , devait , par cette profanation ,
échapper à la pioche des démolisseurs .
Si les prêtres n'apparaissaient guère à Arras que
pour aller en prison ou à l'échafaud , la tradition rap-
porte pourtant que quelques-uns d'entre eux osèrent
venir y braver la mort. Nous avons nommé M. Saint-
Jean un autre prêtre , paraît-il , avait son refuge dans
la rue du Nocquet-d'Or , et M. Soualle , ancien curé de
la Chapellette , en dissimulant son ministère sous le
prétexte de faire un petit commerce de mercerie , au-
rait rendu de réels services .
A Arras encore , un manuscrit de la Bibliothèque
communale , n° 234, renferme un certain nombre d'actes
de baptême et de mariage signés de M. Charles -Au-
gustin Doudan , prêtre gradué , approuvé pour tout le
diocèse . Le premier de ces actes est du 25 avril 1795 ;
il témoigne d'un baptême accompli dans une maison de
la paroisse de Saint- Nicolas - en - l'Atre . D'autres bap-
têmes et mariages furent administrés par le même
prêtre « dans sa chapelle domestique , située sur la
paroisse de Saint- Etienne » .
Souvent aussi , M. Doudan se rendait dans les pa-
roisses voisines , notamment à Mercatel et à Beaurains .
-
Le même registre signale également à cette époque
la présence à Arras de MM . Augustin - François Cuve-
liez et Jacques- Louis Bertout .
En 1797 , le 4 septembre , M. Doudan était à Bapaume
416 LE CULTE CACHÉ

et y baptisait avec l'autorisation de M. Andrieu , préfet


de mission .
A partir de 1798 , il exerça le saint ministère avec
des pouvoirs de vicaire pour toute la ville d'Arras en
1799 , il en reçut également pour la ville de Bapaume.
En 1802 enfin , il fut attaché comme vicaire à la paroisse
de Saint-Nicolas - sur-les -Fossés .
Dans la banlieue d'Arras , le service du Culte caché ,
pour être un peu moins dangereux qu'en ville , présen-
tait encore des difficultés de tout genre ; on compte
cependant peu de paroisses qui aient été délais-
sées . A Sainte - Catherine , « les sacrements furent
administrés par M. Delahaye qui , déguisé en blouse
blanche, avec une besace et un vieux chapeau gris ,
s'introduisait la nuit dans les maisons fidèles pour y
célébrer les saints mystères . Son aide était Wache-
Jadou , frère du clerc Noël Wache , et il disait la
messe dans la grange Garin . Traqué un jour par deux
gendarmes , sur le chemin d'Écurie , pendant une nuit
obscure , il entendit les pas de leurs chevaux heureu-
sement M. Delahaye et son acolyte se cachèrent
derrière de vieux saules abattus , laissèrent passer les
gendarmes et s'échappèrent » .
A Roclincourt , nous retrouvons le même M. Dela-
haye , dont la résidence ordinaire était , paraît-il , Agnez-
les-Duisans , M. Deusy , prêtre missionnaire , et M. Mai-
nette. A Wagnonlieu et à Duisans , c'est M. Goude-
mand de Simencourt, ancien vicaire de Dainville , qui
était appelé pour les besoins spirituels des habitants,
et son guide accoutumé était Romain Gillion. On y
signale une première communion dans la maison
Boieldieu et une autre cérémonie importante dans la
maison Graux . Il y eut aussi une fête de première
communion à Wagnonlieu dans la ferme de M. Bou-
logne . M. Goudemand fut naturellement l'apôtre de
Dainville . Il prenait résidence chez les plus pauvres .
habitants du village qu'il nourrissait ainsi de son su-
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 417

perflu ; car , les bons habitants de Dainville pour-


voyaient largement à sa subsistance . Les Distinguin ,
à ce titre, étaient ses préférés . Resté caché pendant le
jour , l'homme de Dieu sortait la nuit pour son pieux
travail. Les deux Martin , le clerc Pierre- Etienne et
son frère Antoine-Joseph , le petit clerc , étaient ses
intermédiaires accoutumés , et leur habileté lui faisait
éviter tous les périls . Un jour pourtant, à Duisans , il
finissait le saint sacrifice quand il entend sonner
l'alarme . Il s'échappe aussitôt et se réfugie dans une
vieille hutte . En sûreté du côté des gendarmes , il ne
l'est pas du côté de la tempête qui menace son abri et
il était à peine sorti par une lucarne , que la masure
s'effondra .
Dans la banlieue d'Arras , qui porte maintenant le
nom de canton- sud , les églises plus qu'ailleurs furent
dépouillées et profanées , avec un raffinement d'impiété
inconnu ailleurs . Celle d'Achicourt servit plus d'une
fois de centre de réunion à Joseph Le Bon , de salle
de danse , de lieu de parade pour la célèbre Mme Du-
chêne , de temple de la Raison, et finalement fut ven-
due à un menuisier d'Arras du nom de Romain Bécu .
Celle d'Agny subit le même sort . Dans le tabernacle
de celle de Wailly, on alla jusqu'à enfermer un chien .
A Tilloy-les-Mofflaines , on brûla les saints et les objets
du culte . Un des impies du village , appelé Paris,
n'osa cependant pas affronter la colère d'une brave
femme nommée Catherine Deliège. Elle avait sauvé
un Enfant Jésus que celui - ci voulait lui arracher.
« Viens le prendre , lui dit-elle hardiment , en bran-
dissant une hache , mais si tu avances , Paris , tu es un
homme mort. » Il n'avança pas . M. Riché , l'ancien
curé , qui exerçait dans le pays le métier de colporteur
de mercerie , y revint pourtant plusieurs fois pendant
la nuit, ainsi que le curé de Saint- Sauveur, M. Le-
comte, jusqu'au retour du curé , M. Delabre , en 1797 .
Ce fut un prêtre d'Amiens , M. Revel , qui reparut de
27
418 LE CULTE CACHÉ

temps en temps à Wailly. Fampoux et Roux virent


parfois un ancien carme chaussé d'Arras , le P. Domi-
nique Héroguelle ; à Beaurains , l'ancien curé , M. Riché
revenait de loin en loin en costume de charre-
tier, un fouet à la main ; à Agny et à Achicourt , ce
fut M. Delabre qui revint le premier , et M. Cuvelier ,
qui s'était caché à Arras , est le dernier qui ait paru
avant la Terreur.
A mesure qu'on s'éloignait d'Arras , le foyer révolu-
tionnaire, la pratique du Culte caché présentait un
peu moins de difficultés , tout en restant périlleuse .
C'est ainsi qu'à Agnez -lez - Duisans , grâce à la protec-
tion des familles Hautecoeur et Sens , MM . Goudemand
et Delahaye pouvaient célébrer quelquefois les saints
mystères ; à Fosseux , MM . Capy , Saint-Jean et Deusy
ont laissé des souvenirs , mais seulement à partir de
1797. On raconte qu'un impie bien connu de cette
paroisse , qui prenait plaisir à casser le nez des statues
de saints et d'anges , s'est fait au nez une blessure , à la
suite de laquelle un chancre s'est déclaré , qui lui a
rongé toute la figure , et celui qui décrinquait les saints
de leur niche et les crucifix de leur croix , est tombé
d'un arbre et s'est tué sur le coup . Un châtiment du
même genre est encore signalé à Habarcq . Un mal-
heureux , désigné par les initiales G. D. , avait détaché
le Christ du calvaire et l'avait traîné ignominieuse-
ment dans la boue . Plus tard , dévoré par une fièvre
brûlante , il se jeta en bas de son lit et, après s'être
roulé par terre , se mit les bras en croix et mourut dans
cette position en criant d'une voix effrayante : « Je
brûle ! je brûle ! » Hendecourt-lez-Ransart resta calme
et religieux durant les mauvais jours et fut souvent
visité par MM. Duriez , curé de Boiry- St-Martin , Del-
pierre et Mannessier . Simencourt reçut les secours.
religieux de MM . Yon , de Douai , Goudemand et Pocho.
Le curé de Wanquetin , M. Dambrine , ancien soldat
et excellent prêtre , ne resta pas longtemps éloigné de
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 419

sa paroisse ; on l'y retrouve plusieurs fois ainsi que


MM . Yon , Joseph Potel et le Père Regnault de Lu-
cheux. Il est peu de paroisses qui aient vu , plus que Pas ,
les fureurs sacrilèges et les folies idolatriques de l'épo-
que révolutionnaire . Non seulement , comme ailleurs ,
l'église fut dépouillée et la chaire sacrée servit de tri-
bune profane , mais les statues des saints furent jetées
dans la rivière pour servir de marche-pied aux pas-
sants . Une seule statue de l'Enfant Jésus fut sauvée
par Marie-Anne Brunel , femme de Barthélémy Le-
clercq , menuisier , qui l'emporta sous ses jupes , la
cacha sous la paillasse de son lit et la rapporta plus
tard à l'église , où elle est encore soigneusement parée
par les membres de sa famille .
On cite un Jacques T .... qui fendait les saints à coups
de coignée . Pendant ce travail sacrilège , un éclat de
bois lui entra dans la jambe et lui fit une blessure dont
il ne s'est jamais guéri . Un autre individu du même
genre est mort misérable , dans une étable , aban-
donné même de ses parents .
Telle était la terreur qu'inspiraient les révolution-
naires de Pas qu'aucun prêtre n'osait en approcher ,
excepté un véritable homme de Dieu , M. Mazel , de
Pommier. Il voyageait comme marchand d'allumettes ,
se retirait chez le cirier , J.-B. Alexandre , et y célé-
brait les saints mystères .
Warlincourt-les- Pas eut aussi ses châtiments comme
ses impiétés . Un individu , qui avait voulu faire servir
une statue de saint comme marche de sa cave , se
cassa la jambe sur cette marche . Un autre , qui avait
cuit la nourriture de ses porcs en brûlant des statues ,
perdit ses animaux de mort subite .
C'est encore M. Mazel , de Pommier, qui , bravant
tous les dangers , allait dire la messe à Warlincourt
pendant la Révolution .
Famechon n'a pas encore perdu le souvenir de son
curé constitutionnel , le fameux Sorel . Etant allé passer
420 LE CULTE CACHÉ

quelques mois à Saint-Omer , près de Porion , il en


était revenu tout joyeux , avec un chapeau pointu et
les pouvoirs de curé. Il épousa sa voisine et eut deux
enfants. Après la Révolution , il vécut misérablement,
chantant quelquefois la préface et le Pater pour de
l'argent. Il essaya bien de se faire réintégrer par
Mgr de la Tour , mais les curés du canton et surtout
M. Havransart , d'Orville , y mirent opposition , et il
continua de porter sa hotte ; toutefois , il se convertit .
Les impies furent moins nombreux à Famechon qu'à
Pas et à Orville ; on raconte toutefois qu'un protestant,
Dominique Jonard , se trouvant à Doullens , à
vente mobilière d'église , y acheta un drap mortuaire
et le rapporta en criant : A bas le fanatisme ! je dis des
messes à cinq sous ; le lendemain , il était mort. Cer
tains attribuent sa mort aux pierres que ses blasphè-
mes lui attirèrent en chemin .
Hénu , comme beaucoup d'autres paroisses , aurait
perdu son église qui venait d'être vendue pour être
démolie , sans l'intervention de trois femmes coura-
geuses , Marie-Madeleine Payen , Augustine Tavernier
et Hélène Dupréel , qui , à la tête des autres femmes ,
avaient mis les démolisseurs en fuite.
Ce fut un prêtre du nom de M. Cocquel qui exerça
le culte caché à Hénu .
Gommecourt, qui a livré à l'échafaud de Cambrai un
de ses meilleurs chrétiens , M. Jean-Louis Coulmont,
vit passer successivement MM . Havransart , Cocquel ,
Mannessier , Bassecourt et Dubois .
Hébuterne fut moins heureux . Quelques révolution-
naires de la dernière classe terrorisèrent ce village,
profanèrent les trois autels qui étaient en marbre de
prix , lapidèrent les saints et dressèrent un autel à la
patrie sur la place publique . Il est de notoriété que
tous ces impies eurent une fin malheureuse. L'église
dévastée devint un lieu d'assemblées révolutionnaires
et fut vendue, mais non démolie .
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 421

M. Coppin, ayant refusé le serment , fut exilé . Un


prêtre jureur nommé Saudo , originaire de Pas , muni
des pouvoirs de Porion , vint s'y installer. Cet homme
intempérant, de mœurs équivoques , fut méprisé de
tous . Irrité, il fit venir un jour 400 hommes de force
armée pour contraindre les habitants trop peu fervents
d'assister à son office . Tous furent amenés à l'église
à la pointe de la baïonnette et le zélé Saudo monta en
chaire pour leur reprocher leurs sentiments anti- patrio-
tiques , les injures qui lui avaient été faites et les
menacer de la rigueur des lois , s'ils n'étaient désor-
mais dociles à sa voix . Pour clore une instruction si
édifiante , un chef du club l'interrompit et lui dit :
<< Citoyen Saudo , c'est assez , tu n'y entends rien ; des-
cends , c'est à mon tour. »
Ce prêtre, de triste mémoire , demeura deux ou trois
ans dans la commune .
MM . Grisel , de Corbie , Mannessier , Havransart,
d'Orville , et Pilot , d'Hébuterne , pourvurent au bien
spirituel de cette paroisse avec M. Cocquel .
Orville paraît avoir été le théâtre d'orgies et d'im-
piétés sans nombre , durant cette malheureuse période .
On y éleva un bûcher sur lequel furent brûlés les
statues des saints et les ornements d'église , et là encore
on constata que les sacrilèges finirent mal . On n'y
signale aucun prêtre . Couin , qui fut plus calme , vit
quelquefois un prêtre de Lucheux , le P. Regnault ,
sans doute , M. Mazel , M. Chevalier et M. François , de
Bienvillers .
Cette dernière paroisse , dont l'église aussi était
devenue une salpétrière , conserva pourtant les statues
de ses saints , grâce au dévouement de Martial et de
Marie Descamps . Le calvaire fut scié , et ceux qui le
scièrent furent punis visiblement. Mais Bienvillers
compta aussi ses martyrs . Jacques Deruy et André
Bocquillon , qui furent guillotinés à Arras , le 9 juillet
1793 , comme royalistes , étaient surtout coupables,
422 LE CULTE CACHÉ

d'après la tradition , d'avoir caché des prêtres . On


retrouve , du reste , un certain nombre de confesseurs
de la foi dans les archives de Bienvillers . Ce sont
MM . Dessale et Mannessier , Havet , Havransart et Cail-
leret. Ce dernier faillit même être pris. Mais le plus
célèbre apôtre de Bienvillers , à cette époque , fut
M. François qui en était originaire .
Né le 8 mai 1764 , M. Jean- Baptiste François n'avait
pas encore les ordres majeurs quand arrivèrent les lois
d'exil . <« A l'exemple de la plupart des ecclésiastiques
de son âge, il fut obligé de sortir de France pour rece-
voir l'imposition des mains . Ce fut de Mgr l'évêque
d'Ypres qu'il reçut cette grâce . Trois jours après son
ordination , on le vit reparaître à Bienvillers comme un
généreux soldat de Jésus -Christ , muni de pouvoirs spi-
rituels pour combattre l'ennemi du salut et offrir à ses
compatriotes les secours de son ministère . Il fit le bien
ostensiblement et sans trop de péril , dans cette paroisse
et les environs , jusqu'au 9 septembre de la même an-
née . Mais alors l'horizon politique devenant tous les
jours plus menaçant, M. François duț se cacher comme
aux premiers âges de l'Église , pour se soustraire à la
cruauté des persécuteurs . Pour goûter quelque som-
meil et reposer ses membres fatigués , il était obligé
de s'enfoncer dans les bois ou de se blottir quelque
part, dans une grange isolée , sur un peu de paille . Il-
vécut ainsi jusque vers la fin d'avril 1793 ; sa famille
fut alors dénoncée comme suspecte , à cause de ses
relations avec les nobles et le clergé . Une troupe de
80 hommes d'armes arriva à Bienvillers pour faire
vendre , au nom de la nation , les denrées de la ferme
paternelle de M. l'abbé François . Tandis que l'on pro-
cédait à cet acte de spoliation , ce dernier , caché au-
dessus de l'écurie , entendait les vociférations que les
patriotes vomissaient contre sa personne. Pour comble
de malheur , il est découvert dans sa retraite . Les gen-
darmes le confient à la garde de deux d'entre eux.
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 423

Ceux-ci , fatigués de la route et pressés par la faim ,


demandent à leur prisonnier où ils pourront trouver
des vivres . M. François leur indique la cave . Ils y des-
cendent pour prendre les provisions qui seront le mieux
à leur convenance . Aussi rapide que l'éclair , le captif
se débarrasse des faibles liens qui le retiennent, ferme
aux verroux la porte de la cave et s'échappe par une
porte dérobée . D'abord il se réfugie dans le moulin de
son père situé hors du village ; mais à peine y est-il
d'une demi- heure qu'un aide meunier le presse de fuir ,
parce que la bande s'apprête à visiter le moulin . Aus-
sitôt il se sauve à travers les blés et arrive au château
de Wailly. Les gendarmes l'y poursuivent de près et
cernent la maison ; mais déjà leur prisonnier , averti
du danger qui le menaçait, avait quitté le château dès
une heure du matin et avait mis plusieurs lieues entre
lui et ses persécuteurs . Arrivé dans le pays de l'Alleu ,
cette petite Vendée de l'Artois , le prêtre fidèle respira
quelques jours ; il se livra même à la prédication . Mais
au moment où il annonçait la parole de Dieu dans
l'église de Neuve - Chapelle , les gendarmes paraissent
dans le village . Aussitôt l'auditoire se disperse , et le pré-
dicateur n'a que le temps de déposer son rochet pour
gagner, en toute hâte , la frontière de la Belgique . Peu
de jours après , il se trouvait à Hildesheim , où un magis-
trat daigna lui accorder une honorable hospitalité ( 1 ) . »
Pommier eut ses révolutionnaires , ses inquisiteurs ,
ses agents de Le Bon , et douze habitants du village au
moins furent incarcérés à Arras . Trois de ses forcenés
abattirent, à coups de fusil et en le tirant ensuite avec
un câble , un beau calvaire placé dans l'église , au-
dessus de l'arcade à l'entrée du chœur , et brûlèrent
plusieurs statues ; aussi , tout le monde l'a remarqué ,
ils ont été misérables et sont morts dans d'atroces
souffrances .

(1) Journal du clergé d'Arras , Cambrai et Soissons , 27 février 1845.


424 LE CULTE CACHÉ

M. l'abbé Cailleret , de Pommier même , a rendu


quelques services à sa paroisse ; mais ce fut surtout
M. Duchesne , curé de Sailly-au-Bois , qui parcourut
tout le pays pour administrer les sacrements ; son
nom est resté populaire .
A Puisieux , MM . Blondel , de Miraumont , Duchesne ,
de Sailly , Soualle , Havransart , Bassecourt et le
P. Allard , natif de Puisieux même et religieux à Reims ,
conférèrent courageusement les sacrements . Le vieux
père Ambroise Allard , âgé de 72 ans , fut même pris et
conduit à Arras pour ce fait ; mais il fut accueilli chez
M. Ledieu et il dût à ses infirmités d'être épargné. La
famille Plez se distingua surtout par sa fidélité .
A Souastre , on raconte que les bons fidèles , après
avoir empêché les révolutionnaires de démolir leur
église , se faisaient un devoir d'aller le dimanche à la
messe dans les environs , et quelquefois très loin . A
Sailly-au- Bois, une pieuse famille , aujourd'hui éteinte ,
la famille Beaufils était le refuge du prêtre insermenté
qui venait célébrer les saints mystères . Sainte - Mar-
guerite était desservie par deux prêtres de la Somme :
MM . Delacheux et Delambre .
Le district de Bapaume, dans sa partie la plus rap-
prochée d'Arras , du moins , nous présente très peu de
renseignements ; il est probable que le voisinage de la
ville rouge devait , de ce côté aussi , encourager les
ennemis de la religion et inquiéter d'autant ses défen-
seurs et ses apôtres nous savons seulement qu'à Mory
et dans les alentours , c'est M. Coulmont, plus tard
curé de Rouvroy, qui pourvut aux besoins spirituels
avec autant d'adresse que de sollicitude . A Bapaume
même , d'après M. l'abbé Bédu, la rentrée des filles de
Saint-Vincent- de- Paul , qui furent réinstallées à l'Hô-
pital , le 6 avril 1795 , pouvait être considérée comme
l'aurore d'un état de choses moins violent. La misère
et même la faim , qui sévissaient d'une manière inquié-
tante dans la ville et qui réclamaient toute la sollici-
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 425

tude des autorités , ne détournaient cependant pas leur


attention de la persécution religieuse . « Nous vous
prévenons , écrivait le District dans une circulaire de
l'époque aux municipalités , que des prêtres déportés ,
rentrés en France , divaguent dans ce département et
y prêchent ouvertement la contre-révolution . Une
pareille audace de leur part provoque tout à la fois et
la vengeance des lois et la plus grande sollicitude .
Nous vous enjoignons , sous votre responsabilité per-
sonnelle , et à peine de devenir leurs complices , de
faire arrêter les prêtres déportés partout où vous les
rencontrerez et de les traduire de suite au tribunal ,
où ils trouveront la peine de leurs projets criminels . »
Un ecclésiastique étranger , M. Bodelot , qui rayon-
nait dans le district de Bapaume , eût été la victime de
ces excitations haineuses , sans l'énergie des femmes
de Beugny. Accusé de « despecter » les autorités cons-
tituées et la Convention nationale , ce prêtre fut décrété
d'arrestation , et comme on savait qu'il devait se rendre
à Beugny , le 11 août , pour y célébrer la fête du patron
de la paroisse , un membre du Directoire fut envoyé , ce
jour-là , à Beugny avec plusieurs gendarmes .
Au moment de l'arrivée de la force armée , l'abbé
Bodelot venait de dire la messe dans la grange de
Jean-Baptiste Verret . Immédiatement , il fut interpellé
et sommé de prouver qu'il avait prêté serment . Le
prêtre , sans perdre son sang- froid , répondit qu'on ne
pouvait le mettre en arrestation sans qu'un membre
de la municipalité fût présent . Incontinent , la foule se
rassembla autour des gendarmes , des paroles on en
vint aux voies de fait , les femmes surtout s'en mêlè-
rent, et les gens de Bapaume, non contents d'aban-
donner leur prisonnier , s'enfuirent à toutes jambes . La
municipalité de Beugny fut naturellement mandée à
la barre du District , mais elle se tira d'affaire et l'abbé
Bodelot échappa .
A l'extrémité du district, dans les paroisses de Le
426 LE CULTE CACHÉ

Transloy, Morval et Martinpuich , les prêtres fidèles


furent moins exposés aux dénonciations et aux recher-
ches de la police .
M. Houriez , curé du Transloy, se retira , dit-on , à
Villers-au-Flos , et continuait d'administrer nuitamment
sa paroisse . Une pauvre femme , Marie- Rose Chatelain ,
en allant demander l'aumône à Villers , avertissait le
curé des maisons dans lesquelles il devait se rendre.
Néanmoins , l'église fut saccagée et les statues brisées
ou brûlées . On raconte même que des débris des statues
de pierre fut pavée toute une ruelle qui est proche du
presbytère .
Quant aux statues de bois , c'est le maire , Jacques
Daillet , qui se chargea de les brûler. Déjà , disent les
traditions , plusieurs statues étaient en feu , lorsque le
maire aperçoit dans un coin un saint à la mine sou-
riante . Il l'apostrophe alors en lui annonçant qu'il
allait bientôt cesser de rire et avoir son tour ; le sai-
sissant bientôt, le maire le jette à son tour dans le foyer .
Ce malheureux apprit plus tard qu'on n'insulte pas
impunément les meilleurs amis de Dieu . Ses chevaux ,
ses vaches , tous ses bestiaux furent frappés soudai-
nement de maladie et périrent. Lui-même eut aux
jambes des ulcères qui les firent tomber en lambeaux
et il mourut en proie aux plus atroces souffrances.
D'autres essayèrent de chauffer le four avec les débris
de ces statues , mais on dit que les pains refusèrent de
cuire .
<< On rendait depuis longtemps un culte spécial à
l'Enfant Jésus dont la statue , comme aujourd'hui , était
placée au-dessus du maître-autel . De nombreuses gué-
risons avaient été obtenues devant cette statue qui
peut- être fut la seule qui ait échappé au sacrilège ,
grâce à la piété et au courage d'un nommé Jean- Guis-
lain Daillet, qui , au moment du pillage de l'église , la
réclama hardiment pour sa part . Il alla donc chercher
dans sa niche l'Enfant Jésus et le porta chez lui .
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 427

Puis , l'enveloppant dans une botte de paille , il le posa


sur une des poutres les plus élevées de sa grange .
Après la Révolution , il le rendit à l'église . »
La paroisse du Transloy ne fut pas négligée au point
de vue spirituel . Outre le curé Houriez , nous devons
citer l'abbé Capon , originaire du village qui , après
avoir acheté l'église de concert avec les membres de
sa famille , la céda plus tard à la paroisse et se fit ainsi
doublement le bienfaiteur de ses concitoyens .
Morval , qui dépendait autrefois de l'évêché de
Noyon, reçut les services religieux de M. Boutry,
ancien religieux d'Arrouaise , qui habitait Les Bœufs .
Quant à Martinpuich , malgré sa vieille réputation de
fidélité, il eut aussi ses écarts , et son église devint une
salle de danse .
« Une jeune beauté , venue de Warlencourt ou Le
Sars, pour y être adorée sous le nom de déesse Raison ,
fut, dit- on, placée sur l'autel , mais à l'instar de Copro-
nyme, elle souilla sinon l'autel , au moins le temple , où
elle venait de recevoir des adorations . Martinpuich ne
produisit pas de ces sortes de dieux . Une jeune fille
pourtant fut exposée sur la place publique en habits
de fête et une procession singulière alla lui rendre
hommage. Sous le dais des processions marchait le
personnage le plus âgé , en costume du temps , et autour
de lui marchaient six personnages en costume uni-
forme , tenant à la main un bâton blanc . Toutefois ,
la fête n'enthousiasma personne et ne recommença
plus . >>
Le père Constant , ancien religieux de Warlencourt,
fut le ministre habituel du culte caché à Martin-
puich .
428 LE CULTE CACHÉ

§ 2. - A Aubigny, Houdain et Lens.

Autorité de M. Dambrine de Wanquetin. Izel-lès-Hameaux.


MM. Lusse, Héroguelle, Puchois, Demory, Régniez - Monchy-
Breton. - Châtiment d'un impie. - Frévillers et La Comté. -
Sary. Le stratagème de J.-B. Isard. La châsse de St-Kilien .
--- Fidélité de Camblain . - La profanation de Frévin-Capelle.
Le vicaire de M. Ducrocq.- Diéval, Divion, Bruay.- Les démolis-
seurs d'Houdain.- Protecteurs des bons prêtres. - Les demoiselles
Morguet. --- Olhain et Verdrel. - Martinage. - La déesse de Cau-
court. - M. Dubrœucq dans le pays de Lens. Les Logez de Bully-
Grenay. M. Paris d'Angres . - Lens . Foucquières . Le saint
curé d'Eterpigny , M. du Brulle. Hesdigneul. - Calonne-sur- la-Lys .

Il nous faut maintenant parcourir le doyenné d'Aubi-


gny pour continuer d'y suivre la trace de nos apôtres ;
il semble que le missionnaire qui reçut de l'autorité
compétente la direction du mouvement religieux , dans
cette partie du diocèse d'Arras , ait été M. Dambrine ,
curé de Wanquetin , que certains témoins qualifient
de préfet de mission ; ses principaux auxiliaires étaient
M. Adrien Lusse , curé de Villers - Brulin , et le curé
d'Averdoingt, M. Héroguelle . Izel-les- Hameau est
peut-être la commune du doyenné où la persécution
sévit avec le plus de violence , et l'église y fut détruite
de fond en comble : néanmoins , on y vit apparaître
M. Constant Dazin et le P. Urbain , récollet , qui disaient
surtout la messe chez le nommé Saint-Aubin . A Mai-
zières , on signale l'ancien curé M: Decroix et un
prêtre originaire de cette paroisse , M. Puchois . Berles
fut surtout visité par un religieux du nom du Père
André Régniez , à qui sa sœur , Marie -Angélique , une
chrétienne intrépide , mariée dans la paroisse , en favo-
risait l'accès . Ce sont MM . Héroguelle , curé d'Aver-
doingt, Grigny, Genelle et surtout Lusse , de Villers-
Brulin, dont la présence est signalée à Tincques , et
les catholiques qui les reçurent le plus souvent sous
leur toit étaient les nommés Bocquet et François Le-
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 429

maire . On retrouve encore le curé d'Averdoingt à


Bailleul -aux-Cornailles , en compagnie de l'ancien
curé de cette paroisse , M. Bonaventure Demory , qui ,
après son retour d'Arras et sa rétractation , s'était
réfugié à Tinquettes , chez une de ses sœurs .
Monchy-Breton avait possédé son curé , M. Frion ,
jusqu'à la fin de 1793 , lorsque sa situation de chef-lieu
de canton devint un danger par trop imminent pour
ce prêtre fidèle . L'église fut alors profanée et son mo-
bilier vendu , mais quelques braves chrétiens , notam-
ment Pierre Personne , J.-B. Derisbourg , Félix Dumont,
Pierre -Joseph Diette et François Bailly , le rachetèrent
à peu près intégralement . Il y eut pourtant des profa-
nations que Dieu punit visiblement. Un révolution-
naire , originaire d'un village voisin , alors annexé à
Monchy, se permit de lancer une pierre sur la statue
de saint Hilaire , patron de l'église et placée au-dessus
du petit portail , en raillant ce saint sur un prétendu
défaut de conformation . Or , aussitôt qu'il eut fait tom-
ber la tête de la statue , ce malheureux fut frappé
d'une sorte de peine du talion sa tête s'inclina sur
une de ses épaules et il resta ainsi jusqu'à la fin de sa
vie . Un autre forcené, étranger aussi à la paroisse et
qui était plus acharné que les autres à brûler les
saints, en aperçoit un que l'on veut soustraire à sa
fureur . « Que l'on m'amène , dit-il , cet aveugle qui veut
échapper . » Il fallut bien le lui apporter mais celui
qui avait ainsi parlé fut frappé de cécité et resta
aveugle.
A partir du mois de septembre 1794 , Monchy vit de
loin en loin revenir quelques prêtres : c'étaient tou-
jours M. Héroguelle , d'Averdoingt ; M. Lusse , de Villers ;
M. Decarnin , ancien moine de Saint-Vaast , et M. Du-
crocq, curé de Bours . Le centre de réunion était habi-
tuellement la maison de Pierre Personne . C'est là que
se faisaient les catéchismes et les premières com-
munions. M. Héroguelle y reçut même la rétractation
430 LE CULTE CACHÉ

du P. Denis , ancien récollet , alors connu sous le nom


de M. Meurice , qui avait prêté le serment, Marie-
Jeanne Delemour , la veuve Bécourt et Félix Dumont
reçurent aussi parfois les prêtres cachés . A la Thieu-
loye , ces mêmes prêtres étaient habituellement reçus
à la ferme de l'ancien château .
Le curé de Frévillers , M. Delmotte , retiré chez ses
parents à Houvelin , paroisse de Magnicourt , a été
l'apôtre secret de son ancienne paroisse et de la région
qu'il habitait . Après lui , M. Lusse , déjà nommé ,
MM. Deladiennée , Cucherosset et Ochin sont les plus
souvent inscrits dans les registres de Magnicourt et
de Frévillers . A Béthonsart , on cite M. François Jonc-
quez, prêtre d'Arras , qui se tenait caché dans la pa-
roisse .
Dans la paroisse de La Comté dont un clubiste
célèbre , nommé Pierre Hollande , était la terreur , et
où passèrent, à son appel , les révolutionnaires de
Saint-Pol , pour y faire disparaître , avec des raffine-
ments odieux , tous les souvenirs religieux ou sei-
gneuriaux, le curé, M. Hennequin , fut remplacé par
un religieux augustin , M. Cuvelier , originaire de La
Comté, et qui fut plus tard curé de Diéval . Le nom de
M. Dessaux , curé d'Ourton , mérite aussi une mention ,
pour les dangers qu'il a courus , dit-on , en venant à
La Comté administrer les sacrements et instruire les
enfants .
Savy-Berlette compte aussi M. Lusse parmi ses mi-
nistres du culte caché , ainsi que M. Régniez , qui signe
religieux de Dommartin , et que nous avons rencontré
à Berles . Les noms de MM. Lamiot , Hermant , Mo-
ronval et celui du P. Dorothée , sont également signa-
lés pour avoir célébré clandestinement la messe à
Savy. Les bons fidèles qui avaient le périlleux mérite
de prêter leurs maisons à cette célébration étaient
Ferdinand Vahé , Joseph Damart, Constantin Hermant ,
Louis Cojon, Bouttemy et J.-B. Isard . Ce dernier,
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 431

quoique peu religieux dans la pratique , se montrait


très dévoué aux prêtres fidèles . On raconte même la
singulière façon dont il s'y prit , un jour , pour sauver
l'un d'eux , M. Moronval, qui se trouvait dans sa mai-
son, au moment où les agents du pouvoir vinrent y
faire une perquisition .
Après avoir soigneusement enfermé son hôte dans
une armoire , le rusé recéleur ouvrit lui -même à ses
visiteurs la porte de la chambre où se trouvait le pré-
cieux dépôt. Mais en faisant cette enquête , il s'éleva
avec tant de violence contre la religion et ses ministres
que les agents cessèrent immédiatement toute re-
cherche .
Aubigny, qui était le centre du mouvement révolu-
tionnaire de la contrée , ne fut pas pour cela délaissé par
les prêtres fidèles ; on y signale MM . Painblanc , Dam-
brine , Régniez , Lusse , Yon , Flageollet et Potel , qui
se retiraient surtout chez MM . Dericquebourg et Fran-
çois Painblanc.
Les habitants d'Aubigny surent également sauve-
garder avec soin et piété la châsse précieuse de leur
patron saint Kilien . De la chapelle du Prieuré , les
reliques du saint avaient été d'abord transportées avec
beaucoup de vénération dans l'église paroissiale , en
présence du prieur curé M. Soyez. Mais quand arriva ·
le décret qui réclamait l'argenterie des églises , le ma-
réchal- ferrant Jacques Dupuis fut requis de dépouiller
la châsse des lames d'argent qui la recouvraient . Il
s'acquitta de cette besogne avec convenance et res-
pect et , aidé de ses requérants , Xavier Desaulty , Jo-
seph Dupuis et Charles Martin , il replaça la châsse au-
dessus du maître-autel . Elle n'y resta pas longtemps ;
vint un nɔuveau décret qui ordonnait de faire dispa-
raître des églises tous les objets religieux . Le même
Joseph Dupuis , aidé de Nicolas Duhamel et d'Etienne
Lepoivre , ouvrit alors une fosse secrète dans l'in-
térieur de l'église et y descendit décemment la
432 LE CULTE CACHÉ

châsse . Elle fut tirée de cette cachette quelques années


plus tard, par les soins de M. Dambrine , qui l'ouvrit
en présence des témoins déjà nommés , en examina
avec soin. le contenu ( 1) , renouvela l'enveloppe des
saintes reliques et fit de nouveau transporter la châsse
dans l'église , sans pourtant l'exposer encore à la véné-
ration publique .
Ce fut seulement en 1805 , le 1er septembre , après une
nouvelle visite et la reconnaissance authentique du
corps de saint Kilien par l'autorité de Mgr de la Tour
d'Auvergne , que le culte des saintes reliques fut auto-
risé de nouveau (2).
La paroisse de Camblain - l'Abbé et Cambligneul est
une de celles de la région qui reçut le plus souvent la
visite des prêtres cachés ; elle donnait même asile à
plusieurs d'entre eux qui avaient leurs familles dans
le village , notamment MM . Babeur et Lesieux . M. Dam-
brine y parut , avec M. Blampain et M. Lherbier . On
raconte que M. Dambrine s'étant donné une entorse ,
dans une de ses courses nocturnes , y resta environ
quatre semaines , dans une chambre sans feu , afin de
ne pas éveiller les soupçons . On raconte encore que
M. Blampain fut pris dans cette paroisse et conduit à
Arras , mais qu'il parvint à s'échapper de sa prison .
Frévin- Capelle vit des profanations effrayantes . Un
homme brutal et grossier, nommé Balavoine , aurait
tiré à bout portant sur un christ placé au milieu de
l'église ; un autre christ , détaché d'un calvaire et
retrouvé dans un fossé , aurait été porté chez un bras-
seur nommé Roch Liénart , condamné au feu , au
milieu de clameurs furibondes et jeté dans le foyer de

(1) Il y trouva la tête encore entière et très solide de saint Kilien,


de même que plusieurs ossements de différente grosseur, une feuille
de plomb sur laquelle étaient des caractères qu'il ne put lire , un bâton
rompu en plusieurs pièces et une espèce de boîte en forme de cône,
le tout annonçant la plus haute antiquité.
(2) Revue du Pas- de-Calais, p. 173.
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 433

la chaudière . Or , à l'instant même , dit- on , le feu de-


vient si ardent que le liquide s'échappe de toutes parts
en flots écumants et que témoins et acteurs de ce
drame sacrilège s'enfuient épouvantés . Le curé ,
M. Richard , ne paraît pas avoir abandonné sa paroisse
durant les mauvais jours . Il habitait d'ordinaire chez
son ancien clerc , Louis Delory, et disait parfois la
messe chez Norbert Chrétien et Joachim Blasart.
Grâce à son éloignement des villes importantes, à
ses bois nombreux , à l'énergie de son clergé et à la
fidélité de sa population , le doyenné d'Houdain est un
de ceux qui présentent le spectacle le plus consolant
pour les âmes religieuses . On n'a pas oublié que M.
Ducrocq , curé de Bours-Maretz , était de ce canton ;
ajoutons que le dimanche qui suivit la mort de ce prêtre
intrépide , son digne vicaire , M. François , monta , à la .
même heure , au même autel où était monté son curé ,
et ne quitta pas un instant la paroisse jusqu'à la res-
tauration du culte.
A Diéval, le vénérable curé , M. Fauquenoy , vieillard
octogénaire , resta également à son poste aussi long-
temps que possible ; après son départ pour la Belgique ,
où il mourut , deux enfants de la paroisse qui y étaient
cachés , MM . Deladiennée et Waterlot , pourvurent aux
besoins des âmes avec M. Decarnin et le vicaire ,
M. Dhoudain , qui revint en 1796. Les réunions pieuses
se faisaient d'ordinaire chez Louis et Augustin Pégard ,
chez Augustin Eloy , dans la maison des Deladiennée et
plus tard chez Richebez.
Camblain-Chatelain fut assez tranquille durant la
période révolutionnaire et put recevoir sans difficultés
les secours religieux du vicaire de Bours , M. François ;
de M. Laurent, religieux de Chocques et curé de
Calonne-Ricouart ; de M. Maës et des deux abbés Du-
broucq, originaires de Camblain même . Divion fut
moins heureux . On y comptait trois victimes de la
guillotine , trois émigrés et cinquante familles dénon-
28
434 LE CULTE CACHÉ

cées . MM. François , Laurent et Maës y parurent ce-


pendant de temps en temps , ainsi que l'ancien vicaire ,
M. Vallage . L'ancien curé de Bruay, M. Lemire , qui
avait suivi la famille de Nédonchel dans son exil en
Belgique , ne tarda pas à revenir , paraît - il , dans sa
paroisse , et il étendit même sa sollicitude aux paroisses
de Ruitz et d'Haillicourt . Les familles qui , à Bruay ,
lui donnèrent le plus souvent l'hospitalité furent les
familles Glorian , Bocquet et Dourlens . Haillicourt
comptait parmi ses meilleurs chrétiens MM . Hilaire et
Raphaël Dambrine qui rachetèrent l'église à un maçon
de Ruitz , nommé Louis Fontaine , et donnèrent asile à
M. Lemire . Ruitz et Maisnil reçurent aussi les soins
de M. Demayeux , mais c'est Houdain surtout qui se
distingua et par le nombre des prêtres qui le visi-
tèrent, et par celui des bonnes familles qui les accueil-
lirent.
Les démolisseurs n'y manquaient cependant pas , et
l'on cite encore le maçon Jean-Baptiste Combe comme
le destructeur de la charmante chapelle de la Flagel-
lation et l'insulteur sacrilège de l'image du Sauveur .
Une horrible maladie qui ne fit qu'une plaie de son
corps , des pieds à la tête , le châtia , paraît-il , de son
impiété : il eut du moins la grâce de le reconnaître et
de mourir repentant. Un mendiant de Marles , qui vint
insulter jusque dans la salle du presbytère la statue du
grand patron d'Houdain , fut également puni d'aveu-
glement comme il sortait du bourg. Le médecin Her-
bout , qui resta maire d'Houdain pendant les mauvais
jours , parvint, grâce au sang- froid qu'il sut montrer , à
sauver de la destruction la plus grande partie du mo-
bilier de l'église et à protéger contre les rigueurs de la
loi les prêtres qui venaient à Houdain . Il fut surtout
aidé dans cette tâche par les filles Morguet qui trans-
formèrent généreusement leur maison en oratoire et
en asile. On y vit successivement le curé d'Houdain ,
M. Arrachart, et son vicaire , M. Genel , jusqu'à leur
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 435

départ tardif pour l'exil , ainsi que M. Crépin , M. Maës ,


M. Simon et le missionnaire M. Yon. Ils y recevaient
aussi parfois la visite de M. Dambrine , caché ordinai-
rement à Villers -Chatel, ou d'un autre préfet de
mission , M. Delbarre , qui habitait aux environs de
Béthune .
On cite parmi les protecteurs de ces prêtres , avec le
médecin Herbout et les demoiselles Morguet , Mme Ram-
beau , les frères Dupont , M. Deremetz , Reine Dufour,
J.-B. Durand , les Dhoudain , Devienne , Eulalie Lallain
et François Détape . Les demoiselles Morguet mon-
trèrent dans cette œuvre de charité autant d'habileté
que de dévouement . Elles avaient ménagé chez elles
des trouées de pignons , des garde-robes à double fond ,
des cachettes de cave qui furent d'un grand secours.
Un garde du château d'Olhain , le trop célèbre Mar-
tinage, fut le principal agent de la Terreur à Fresni-
court. C'est lui qui saccagea l'église , brisa les tombeaux
des curés et des princes de Berghes , et se bâtit une
maison qu'il pava avec les marbres de l'église et mêmẹ
avec les pierres d'autel . Un officier municipal du nom
de Lallart se bâtit une grange avec les pierres de
l'église . Enfin , la maison vicariale fut achetée par l'ex-
constituant Pierre Behin , jadis curé d'Hersin , qui s'y
maria et devint maire de Fresnicourt, avant de s'ins-
taller à Verdrel comme maître d'école . Malgré ces trois
persécuteurs , les prêtres fidèles ne délaissèrent pas
cette paroisse . On y vit successivement M. Dambrine ,
M. Deladiennée , M. Hochedez , M. Joly , M. Yon ,
M. Coille , un ex-carme , M. Ledru ; le curé d'Hermin ,
M. Bocquet ; le missionnaire Decarnin et M. Lherbier ,
d'Houdain . Les cérémonies du culte étaient célébrées
au château d'Olhain , chez François Tison , Marie Bu-
chon et chez le menuisier Guiot. Quand on voulait
baptiser les enfants , on les mettait dans la hotte d'une
poulaillière qui passait la nuit et les portait au refuge
des prêtres . Le trop célèbre Martinage dont le four au
436 LE CULTE CACHÉ

pain avait pour seuil le bras de croix en grès du calvaire


d'Olhain, rétabli plus tard par la princesse de Berghes ,
et qui brûlait les statues des saints avec des plaisante-
ries atroces , mourut au bagne , et sa famille parut frap-
pée de malédiction .
La jeune fille , qui eut la faiblesse de jouer à Caucourt
le rôle de déesse Raison et qui pourtant pleura sa
faute , ne paraît pas avoir échappé à un de ces traits ,
que nous avons déjà signalés nombreux , de la ven-
geance du ciel : elle tomba dans son feu et on l'y trouva
pour ainsi dire carbonisée . Le curé de cette paroisse ,
M. Hochedez , resta à son poste , et les républicains
eux-mêmes disaient , en parlant de cette résolution : <« Il
a bien fait ; nous ne le dénoncerons pas . » Il se tenait
caché chez les Morel , dans un réduit dissimulé entre
deux cheminées .
Nous entrons maintenant dans l'ancien doyenné de
Lens, par son district d'Ablain -Saint-Nazaire . Il fournit
peu de renseignements . Gouy- Servins , témoin des ser-
ments des deux Marlier et des désordres d'un ancien
bénédictin jureur , nommé Pierre -André Chrétien , ne
paraît pas avoir été visité par les prêtres insermentés .
La messe y était célébrée par les frères Marlier , qui
paraissent s'être rétractés .
A Aix-en-Gohelle , c'est le vicaire , M. Dubroucq, qui
pourvut aux besoins spirituels pendant une partie des
mauvais jours ; Hersin- Coupigny , qui vit les scandales
du trop célèbre curé Béhin , en fut consolé par les
soins de MM. Dubroucq et Demayeux , qui étaient reçus
surtout chez Jacques Bocquet , chez Lefebvre et chez
Antoine Leroy .
C'est encore M. Dubrœucq qui se chargea d'admi-
nistrer les sacrements à Bully- Grenay, avec le P. Blam-
pain et en dernier lieu M. Clément . Trois hommes de
cette paroisse se constituèrent les ennemis de la reli-
gion et des prêtres fidèles : Séraphin Logez , le brûleur
des saints , qui fut à demi écrasé sous un pan de mu-
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 437

raille , au moment où il venait d'insulter le christ et qui


mourut misérablement ; Maclou Dourge et Charles
Logez qui renversèrent le calvaire , malgré la vive
opposition d'un brave chrétien , nommé François Ro-
billard . Dans la paroisse d'Angres , le curé , M. Paris ,
une fois obligé de s'exiler , ce fut M. Delabre , retiré
alors dans sa famille , qui exerça le saint ministère ,
avec le secours de M. Caffin , vicaire de Liévin . M. Paris
ne tarda pas à revenir lui -même et il étendit sa solli-
citude sur les paroisses de Givenchy- en- Gohelle et de
Neuville- Saint-Vaast. Parmi les familles catholiques
dans lesquelles ces prêtres trouvèrent un généreux
concours , on compte celles de Toussaint Louart , Phi-
lippe Mannessier, Pierre Cayet, Philippe François et
Nicolas Louart . Le clerc-chantre Philippe Mannessier
surtout se distingua par sa prudence et son dévoue-
ment. Après avoir perdu son doyen, M. Dervillers , par
l'exil , la paroisse de Liévin resta sous la direction
de son vicaire , M. Caffin , qui, exilé , lui aussi , un
moment, ne tarda pas à reparaître , non seulement à
Liévin , mais dans tous les pays circonvoisins . Il était
logé dans une pauvre maison appartenant à deux
vieilles filles , et l'on raconte que le signe de sa pré-
sence était une paire de souliers crottés , à la porte du
logis . Après Loos , surtout célèbre par le séjour ordi-
naire de M. Dubrœucq , il faut signaler Hulluch , dont
le vénérable curé , M. Massin , fut, dit-on , poursuivi à
coups de pierres par quelques garnements du village .
Mais , arrivés à l'extrémité , ils furent , paraît -il, vigou-
reusement arrêtés par un brave chasseur de Wingles ,
nommé Hubert- Louis Lamour , qui leur dit : « Si vous
faites encore un pas , je tire . » Ils rebroussèrent chemin
incontinent, et le fugitif eut le temps de gagner Lens .
Quand le curé jureur Gugelot se fut marié et fait méné-
trier , M. Saint -Jean commença à paraître la nuit pour
dire la messe et administrer les sacrements . Il était
surtout reçu chez Goubet , au Maraichon , chez Louis
438 LE CULTE CACHÉ

Brunel ou chez Waquiez . Plusieurs fidèles d'Hulluch


se rendaient aussi à l'office de Vendin-le-Vieil chez les
demoiselles Loison ou chez Louis Caron .
A Lens même, on n'a pas oublié le dévouement de
M. Panet , curé de Saint-Laurent , qui s'occupait égale-
ment de Noyelles-sous- Lens et de Loison , ainsi que
M. Boite . A Billy-Montigny , se signalèrent MM . Timo-
thée Josson et A.-J. Delebecque . Foucquières , qui fit
des difficultés assez curieuses pour recevoir un intrus ,
entoura, au contraire , d'une filiale sollicitude son curé,
M. Detournay , menacé par les agents du pouvoir .
Quand il eut été obligé de s'expatrier , longtemps , dit-
on, après tous les autres , cette bonne paroisse ne fut
pas délaissée . On trouve sur ses registres de paroisse
les noms de M. Desailly, de Tournai ; Saint -Jean , mis-
sionnaire ; Delannoy , de Tournai ; Choisi , mission-
naire ; Georges Wantier , carme ; Delebecque , chanoine
d'Hénin ; Boite , de la maison de Vicogne , et le P.
Théodore Caron , récollet .
On disait la messe dans la ferme de M. Flament, et,
dans la cour de cette ferme , on raconte qu'un certain
M. François , missionnaire , a baptisé un jour 500 en-
fants de toute la contrée .
Dans les environs de Vitry et sur les confins du
département du Nord , le principal missionnaire que
nous ayons à signaler était le saint curé d'Eterpigny,
M. Antoine-Norbert du Brulle . Il était originaire de
"
Rouvroy-en-Gohelle et appartenait à une famille plus
distinguée encore par ses vertus héréditaires que par
sa position sociale et l'influence méritée qu'elle exer-
çait dans la contrée . Obligé par son refus de serment
de s'exiler quelque temps en Belgique , il ne tarda pas
à rentrer secrètement en France et à se consacrer au
périlleux ministère du culte caché . Il le fit même avec
une énergie peu commune , puisque l'on retrouve son
nom depuis Rouvroy jusqu'à Goulzin , et depuis Éter-
pigny jusqu'aux portes de Douai . Il avait , en divers
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 439

endroits , des amis dévoués , des abris sûrs , des orne-


ments et des vases grossiers pour célébrer les saints
mystères . Un de ces calices en métal est même con-
servé avec respect dans sa famille comme une relique .
De temps entemps , l'apôtre revenait dans sa paroisse
natale ; il s'y rencontrait même avec le préfet de mis-
sion pour conférer des intérêts des âmes. Des refuges
avaient été préparés à Rouvroy pour abriter ces hôtes
bénis et l'on raconte qu'une meule de fagots avait été
disposée de telle façon qu'elle pouvait recevoir facile-
ment deux personnes dans son enceinte , sans que rien
pût y faire soupçonner une cachette . M. le curé d'Eter-
pigny était admirablement secondé dans sa mission par
un domestique fidèle , nommé Antoine-Joseph Del-
sarte , originaire de Le Forest , dévoué comme son
maître au salut des âmes , mortifié et généreux comme
lui , et qui ne le précéda que de quelques mois dans la
tombe .
Dans le voisinage de Béthune , Hesdigneul seule-
ment fournit un spectacle édifiant pour les hommes de
foi et d'énergie.
On lit dans les Archives de l'Évêché :
<< Pendant les deux années d'exil de M. Duhameaux ,
cette paroisse ne fut point abandonnée . Plusieurs prê-
tres vinrent y remplir successivement les devoirs du
sacerdoce . Ils trouvèrent une hospitalité généreuse et
désintéressée chez Joseph et Françoise Bléry , chez
Rose et Angélique Bouxin . Là , le saint sacrifice de la
messe était célébré pendant la nuit ; là, lesconfessions
étaient entendues , le catéchisme fait , les baptêmes
administrés . Ces prêtres se remplaçaient et venaient
successivement, conduits par Thérèse Bléry, devenue
pour eux un ange tutélaire , célébrer les saints mystè-
res , sinon dans le lieu le plus convenable , du moins.
dans celui qui offrait le plus de garantie . Les vieillards
d'Hesdigneul et de Gosnay prononcent encore avec
vénération les noms de M. Bouquillion , ancien curé de
440 LE CULTE CACHÉ

Calonne-sur-la- Lys , et surtout de M. Hugues Maës ,


curé, grand-doyen de Béthune . « C'est moi , disait encore
ces jours derniers une vieille fille , c'est moi qui con-
duisais , au milieu de la nuit et à travers les bois , cet
homme de Dieu, je n'avais cependant que quatorze
ans , et il daignait se confier à mon enfance . Deux fois
la semaine , je faisais la route d'Hesdigneul à Divion ,
lieu de la résidence habituelle de ce missionnaire . Je
portais une hotte sur le dos et les provisions de voyage ,
et les objets nécessaires au culte . Je me tenais tou-
jours à 50 pas de lui , et lorsque je traversais une loca-
lité, je feignais la vieillesse en me courbant, et Dieu a
toujours béni , en faveur de son ministre , cet officieux
mensonge. »
Le zèle des paroissiens d'Hesdigneul fut toujours à
la hauteur de ce dévouement ; après deux ans d'exil ,
M. Duhameaux revint partager, avec MM . Maës et Bou-
quillion , les travaux et les périls du saint ministère .
Aucun de ces trois confesseurs ne fut dénoncé à Hesdi-
gneul . Néanmoins M. Bouquillion se trouva un jour en
face d'un gendarme ; armé d'un bâton , il le mit en
fuite .
Calonne-sur-la- Lys , qui traita ses curés intrus avec
assez de rigueur, conserva , en revanche , à son curé
fidèle , M. Degruson , un respect et une confiance qui
ne se démentirent pas durant son exil .
Quand il se fut retiré , au plus fort de l'orage , sur la
frontière de Belgique , ses paroissiens l'allaient trouver
par centaines , et plus de quatre ans avant le rétablis-
sement du culte , il avait reparu dans le pays , afin de
pourvoir aux besoins spirituels de ses ouailles . Pen-
dant son absence et conjointement avec lui , on cite
plusieurs bons prêtres qui , au milieu des plus grands
dangers , prodiguaient leurs soins aux nombreux fidèles
qui les recherchaient. On parle encore avec éloge et
reconnaissance de M. Desprez , vicaire de Merville ; de
M. Fumery, vicaire de Saint- Floris ; d'un autre prêtre ,
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 441

le père Hyacinthe , connu sous le nom de grand citoyen ,


et enfin de M. l'abbé Delesalle , qui , plus favorisé que
les autres, parce qu'il était le frère du maire , a pu
résider constamment dans la paroisse et y rendre de
nombreux et importants services . Tous ces prêtres ,
qui se tenaient soigneusement cachés durant le jour ,
allaient, la nuit , célébrer les saints mystères et admi-
nistrer les sacrements dans certaines maisons de con-
fiance . Bien des familles se félicitent encore aujour-
d'hui d'avoir , à cette époque malheureuse , abrité des
prêtres , et eurent leurs demeures transformées en
véritables sanctuaires . Mais parmi les familles qui se
sont le plus distinguées sous ce rapport, on rappelle
surtout celles de M. Coustenoble , de Nicolas Sence et
de M. Fumery .

8. - La Boutillerie, Lestrem et le pays de l'Alleu .

Lorgies et M. Morel. - Neuve- Chapelle et M. Flament. - Fleurbaix ,


la Boutillerie et le corps de M Levasseur. -- Lestrem. - Energie
du constitutionnel. - Le médecin athée . - Les prêtres cachés. -
Les fermes-églises. - Sailly-sur-la- Lys . -- Le peintre de La Ventie.
- Le culte et ses protecteurs.

En pénétrant maintenant dans ce bon pays de l'Alleu


qu'on a appelé , non sans quelque raison , la Vendée de
l'Artois , et qui dépendait des doyennés de La Bassée et
de Lestrem , nous nous trouvons dans la région privi-
légiée du culte caché , celle où les prêtres fidèles trou-
vèrent un refuge bien gardé et où les mystères de
notre sainte religion ne cessèrent pas un instant de
s'accomplir.
Lorgies fit cependant exception , paraît-il , dans cette
fidélité à peu près unanime et l'on dit que vingt-deux
familles seulement s'abstinrent d'assister à la messe
du curé constitutionnel , qu'on appelait Toursel , imposé
442 LE CULTE CACHÉ

par deux hommes de Violaines qui l'introduisirent dans


l'église la hache à la main . Un prêtre intrépide néan-
moins , M. Morel , resta à Lorgies et dans les communes
voisines de Violaines , Festubert, Givenchy et Neuve-
Chapelle , pour y exercer le culte proscrit. Il choisissait
de préférence les maisons Bacquart, Delebarre , Dele-
cambre , Demadrille , Savy et Delebecque pour lieux de }
réunion. On raconte qu'un jour il fut reconnu par un
jeune révolutionnaire dont il allait administrer la mère .
Celui- ci leva même le pistolet sur lui , mais M. Morel ,
s'adressant tout haut au Dieu qu'il portait dans ses
mains , se réclama de sa protection . Au même instant ,
le misérable laissa tomber son arme et le prêtre fut
sauvé . Parmi les prêtres qui vinrent à Lorgies , on cite
encore M. l'abbé Leclerc , un récollet nommé le Père
Jean-Baptiste , les deux Delebecque de Laventie et
M. Delannoy , qui faillit un jour périr au hameau de
Ligny, attiré qu'il avait été dans une embuscade dont
les femmes le délivrèrent .
A Neuve-Chapelle , quand le curé , M. Laurent, dé-
couvert et dénoncé par l'intrus Lechon , eut été obligé
de quitter sa paroisse , MM . Flament et les frères Dele-
becque se chargèrent de pourvoir aux besoins des
âmes . Ils résidaient d'habitude chez M. Berthier, riche
fermier du village , où les enfants les appelaient << mon
oncle » et où deux braves gardes, J.-B. Bocquet et
Nicolas Levanet , allaient les chercher quand on les ré-
clamait. Ils disaient la messe chez M. Berthier et
quelquefois dans la pâture de Jacques Carrez .
« Un jour, raconte le curé , que M. Flament disait la
messe dans cette prairie , les révolutionnaires arrivèrent
pour l'arrêter . Comme il n'avait point encore fini la
messe, il leur fut facile de se saisir de lui . Alors les
femmes de la paroisse , indignées de cette triste action ,
remplirent leurs tabliers de cendres et les jetèrent aux
yeux de ces forcenés . Ceux-ci furent obligés de relâcher
M. Flament qui prit aussitôt la fuite et se réfugia dans
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 443

une ferme de Lorgies . Le lendemain , le tribunal révo-


lutionnaire de Béthune descendit à Neuve - Chapelle ,
fit arrêter une douzaine de femmes de la paroisse et
emmener à la prison de Béthune , où elles demeurèrent
enfermées cinq ou six semaines ... Ce trait a été rap-
porté par plusieurs femmes qui avaient été en prison .
Une nuit que M. Delebecque récitait l'office des morts
pour le repos de l'âme de la femme Louis Lacherie ,
décédée la veille , les révolutionnaires ayant à leur tête
Lechon, intrus de la paroisse , vinrent pour arrêter ce
digne ecclésiastique , qui , averti à temps , se cacha
dans une maison du voisinage . Alors , furieux de ne
pouvoir le trouver , ces malheureux s'emparent du cer-
cueil , le déposent à la porte de la maison de M. Cuve-
lier , maire de la paroisse avant la révolution . Le matin ,
la servante ouvre la porte , le cercueil tombe à ses
pieds ; elle fut tellement effrayée que quelques jours
après elle vint à mourir. Vers huit heures du matin , ces
forcenés retournent à la ferme de M. Cuvelier, s'em-
parent de nouveau du cercueil , font un trou au milieu
de la pâture et l'y déposent. Après la Révolution ,
M. Cuvelier , renommé maire de la commune , fit exhu-
mer les restes de cette femme , et les fit déposer dans
le cimetière commun . Ce fait m'a été rapporté par
M. Cuvelier lui -même et plusieurs autres témoins ocu-
laires . >>
Fleurbaix , qui eut successivement trois curés cons-
titutionnels , ne se laissa séduire par aucun et resta
fidèle à son ancien vicaire , M. Delahaye , qui y revenait
souvent de la frontière .
Mais c'est surtout les évènements extraordinaires
qui se passèrent à la Chartreuse de la Boutillerie , qui
attirèrent l'attention du public religieux sur cette pa-
roisse, pendant la Terreur .
La Chartreuse de la Boutillerie avait été vendue
comme tous les biens des religieux , et la plus grande
partie de ses constructions était déjà tombée sous la pio-
444 LE CULTE CACHÉ

che des démolisseurs . « Ses acquéreurs faisaient dé-


molir la grande église et ils savaient qu'il devait y avoir
sous la grande pierre sépulcrale , vis-à-vis le maître
autel, un cercueil de plomb . Ils le trouvèrent effec-
tivement à quatre pieds et demi de profondeur , dans
un petit caveau voûté en briques . Il était posé sur deux
barres de fer, avec des supports de même métal .
« Les ouvriers ayant ouvert ledit cercueil en bois de
chêne , trouvèrent un crâne , un grand os humain et
un corps tout entier , revêtu d'un suaire en forme de
bonnet, et d'une chemise de fine toile très bien con-.
servés . Ce corps était celui de M. Levasseur , exacte-
ment semblable et conforme à son portrait , qui se
trouvait encore sur la cheminée de la grande salle de
l'Abbaye .
« On eût dit que ce corps était vivant : il prenait ,
dit-on, toutes les attitudes qu'on lui donnait ; il était
de petite taille , avait la barbe longue de trois lignes ,
les cheveux crépus et en rond , la tête chauve sur le
haut et le devant. Lorsqu'on enfonçait les mains sur
ses joues ou autres parties du corps , et qu'on les reti-
rait, tout reprenait son état naturel comme sur un
corps vivant. Ceux qui assistaient à ce spectacle en
furent d'abord épouvantés et plusieurs d'entre eux
revinrent à de meilleurs sentiments . On rapporte qu'un
mauvais sujet , nommé Joseph Coisne , cabaretier à la
Boutillerie , coupa un doigt à M. Levasseur et
que le sang en sortit en jaillissant. Ce Coisne fut ensuite
décapité pour vol et assassinat . Quand le doigt coupé
fut ensuite retrouvé , on le porta en vénération chez
une famille respectable d'Armentières .
« Comme tout ceci faisait du bruit, un très grand
nombre de personnes venaient par dévotion à la Char-
treuse de Boutillerie ; car on regardait M. Levas-
seur comme un saint , et sa mémoire avait toujours
été en grande vénération ; les acquéreurs en empê-
chaient l'entrée , mais les pèlerins faisaient leurs dévo-
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 445

tions au dehors et allumaient des chandelles le long


des murailles . Le nombre grossissant tous les jours ,
nos démagogues eurent de l'inquiétude . Au bout de
huit jours , la municipalité de Fleurbaix se rendit en
corps à la Chartreuse , suivie d'un grand concours de
monde , spécialement de révolutionnaires . Le curé
constitutionnel était à leur tête , accompagné d'un
ex-religieux de l'abbaye , assermenté , qui était sorti de
son couvent longtemps avant les autres , et qui disait
la messe au hameau Petillon , auparavant desservi par
un bénéficier . On avait espéré que ce religieux , par
ses aveux, conformes aux vues révolutionnaires , aurait
sinon effacé , du moins diminué l'impression que l'évè-
nement que nous avons raconté avait produit sur la
plus grande partie de la population . Mais à peine eut-il
aperçu le corps de M. Levasseur , qu'il avait vu
si souvent, qu'il s'écria avec surprise et enthousiasme :
C'est notre Père fondateur , c'est notre saint fondateur !
Alors il fut traité de fanatique , d'aristocrate , et se
voyant menacé , il se glissa derrière la foule et prit la
fuite . Quelque temps après , il fut mis en arrestation
et relâché ensuite ; il exerça quelques fonctions ecclé-
siastiques dans un village voisin de Béthune où il
mourut très pauvre . Quant au curé constitutionnel , il
voulait que le corps de M. Levasseur fût inhumé
dans le cimetière de Fleurbaix , mais les révolution-
naires s'y opposèrent, en faisant entendre des menaces
et des blasphèmes . Un des plus hardis à vomir des
blasphèmes , était un nommé Houssain , cordonnier de
profession , devenu officier municipal , et qui , chaque
jour , allait dans l'enclos et à l'entour des murailles ,
accabler d'injures ceux qui venaient à la Boutillerie
par dévotion. Ce malheureux avait reçu avant la Ré-
volution beaucoup de services du monastère ; il est
mort à Fromelles en 1815 , fort pauvre , détesté de tout
le monde , même de ceux qui avaient autrefois partagé
ses idées .
446 LE CULTE CACHÉ

« Après cette descente de la municipalité , deux mé-


decins du pays furent appelés pour visiter le corps de
M. Levasseur ; ils en firent l'ouverture , et il en
sortit , dit-on , du sang avec abondance . Après en avoir
retiré le cœur , ils laissèrent le corps étendu dans l'église ,
où il resta ainsi pendant neuf ou dix jours sans se cor-
rompre, quoique l'on fût alors en été. Vers la fin de
juin, pendant que tout ceci se passait, les bons chré-
tiens , bravant les clameurs et les menaces des révolu-
tionnaires , venaient de toutes parts et entraient dans
l'enclos . On allumait de jour en jour une plus grande
quantité de chandelles . Les démagogues étaient furieux ;
enfin les autorités supérieures de Béthune et de Lille
agissant de concert , envoyèrent quelques compagnies
de soldats , qui firent mettre le corps dans un cercueil
de bois , le firent transporter à Lille et déposer dans
le cimetière de Sainte-Catherine . Après cette transla-
tion, les acquéreurs continuèrent de démolir la Char-
treuse, dont il ne reste plus aujourd'hui que la grande
porte , monument remarquable , et la muraille, qui
renferme neuf hectares de terrain , que contient ledit
enclos ( 1). »
La paroisse de Lestrem , grâce aux renseignements
recueillis par un curé intelligent , grâce aussi à l'admi-
rable fidélité de ses habitants au culte caché et à ses
ministres , mérite une place de choix dans cette his-
toire.
Quand les révolutionnaires de la commune , qui sup-
pléaient au nombre par le zèle , eurent dévasté l'église
et dépouillé la chaire de ses sculptures , ils se mirent
en devoir d'élever un trône sacrilège à la déesse Rai-
son. Le curé jureur , il faut lui rendre cette justice , les
arrêta par un discours fameux, dans lequel il leur
annonça que cet acte d'idolâtrie aurait pour eux les
terribles conséquences du péché contre le Saint- Esprit.

(1) Archives de l'Évêché. Notice du curé de Fleurbaix.


DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 447

Aussi n'osèrent-ils pas achever leur œuvre et deux


époux du nouveau régime , qui avaient pris l'habitude
de se présenter devant l'autel de la nouvelle divinité ,
allèrent-ils offrir leurs hommages à la déesse de
La Couture. On raconte que leur mariage fut frappé de
stérilité .
Un autre trait de visible châtiment n'est pas encore
oublié à Lestrem.
Nous citons toujours le curé historien de sa pa-
roisse : « Un individu du hameau de Lafosse ayant
interrogé un jour le président du club , qui était le
citoyen Platel , et lui ayant posé nettement cette ques-
tion « Y a-t-il un Dieu ? ― La lumière de nos yeux
nous fait connaître qu'il y a un Être suprême , ré-
-
pondit le président . Des yeux , ça se fait comme
autre chose , et je les fais comme je veux , « s'écria un
chirurgien assistant au club ; mais la main du Sei-
gneur, qui le frappa visiblement, le démentit bientôt .
Sa femme, alors enceinte , ne tarda pas à mettre au
monde un fils aveugle , non pas un aveugle ordinaire ,
disent ceux qui l'ont connu , mais un aveugle ayant
des yeux épouvantables . Cet enfant nommé Brutus
Fleury, qui vécut jusqu'à l'âge de onze ans et dix
mois et mourut le 13 mai 1807 , à Paris , rue de Cha-
renton , aux Quinze - Vingts , fut assez longtemps une
preuve vivante et frappante de la divine Providence .
Ce fait qui nous a été raconté par tous les vieillards
est resté profondément gravé dans la mémoire de
chacun d'eux . >>
On sait que l'église de Lestrem est un monument
d'architecture remarquable : un révolutionnaire de
l'endroit s'était mis en tête de l'acheter et de la démo-
lir. Mais le curé constitutionnel , Warenghem, s'émut
à la pensée de cette affreuse ruine et parvint à la con-
jurer , soit en réunissant dans le village assez de fonds
pour la racheter , soit , d'après d'autres , en obtenant
qu'elle ne fût pas mise en adjudication . Comme la plu-
448 LE CULTE CACHÉ

part des églises qui échappèrent à la destruction , elle


servit d'atelier pour la fabrication du salpêtre , et beau-
coup de statues , ainsi que la balustrade, servirent à
alimenter le foyer de la chaudière. La sacristie , celle-
là même où devait se réunir le célèbre concile de
Lestrem , le 31 août 1796 , servit de prison .
Aucun des membres de l'ancien clergé de Lestrem ,
ni le curé M. Duhayon , ni MM . Vincent et Delplace ,
vicaires , ne prêtèrent serment à la Constitution. Les
deux premiers émigrèrent , mais M. Delplace , qui était
originaire de Lestrem , ne quitta pas la paroisse . Il n'y
fut cependant pas le seul ministre du culte caché .
MM . Eugène Decorne , J.-B. Delasalle , les frères Dis-
saux , M. Carpentier, M. Cauliez , M. Pingrenon ,
M. Donze, le P. Boniface et le P. Delsaulx sont signa-
lés comme ses auxiliaires . Leur guide le plus intré-
pide était Antoine Cazin , qui , dit-on , portait avec lui
une pierre d'autel et des ornements d'église.
Comme la paroisse de Lestrem possède un territoire
très vaste et que sa population est disséminée sur
toute l'étendue de ce territoire , « un grand nombre
de maisons eurent l'honneur d'être converties en cha-
pelles provisoires pendant les mauvais jours et il nous
serait bien impossible de les citer toutes . Nous ne
ferons connaître que celles où le grand nombre des
paroissiens fidèles entendirent le plus souvent la
sainte messe le dimanche et les fêtes d'obligation et
qui ont été pour ainsi dire des asiles permanents des
prêtres insermentés . Au Paradis , la maison d'Etienne
Delannoy , habitée aujourd'hui par Xavier Mathelin ,
fut assez longtemps le rendez-vous des fervents catho-
liques qui eurent le bonheur d'y assister souvent au
saint sacrifice de la messe et plusieurs se souviennent
d'y avoir fait leur première communion . Dans la rue
Deleflie , l'habitation de Philippe Lagniez , aujourd'hui
occupée par Wicart- Gombert , fut aussi un lieu de
réunion pour les bons chrétiens qui purent y assistèr
DANS LE DIOCÈSE D'ARRAS 449

souvent à la sainte messe. La ferme de Xavier Trais-


nel , qu'occupe aujourd'hui Adrien Caron , fut sans
contredit celle où les saints mystères furent célébrés le
plus souvent et où les fidèles se portèrent toujours
avec le plus d'affluence aux saints offices . Le local
permettait de les célébrer plus à l'aise et même avec
pompe . Avant le Concordat, tout y était organisé à
peu près comme dans une église . M. Decorne poussa
même la hardiesse jusqu'à y chanter solennellement
la messe , et la cour , qui est très vaste , fut litté-
ralement remplie plusieurs fois de fidèles , qui se
montraient alors d'autant plus avides des solennités
religieuses qu'ils en avaient été plus longtemps pri-
vés . »
Dans le hameau de La Fosse , ce sont surtout
MM . Dissaux qui se chargèrent d'administrer les sacre-
ments. Ils avaient choisi pour leur résidence ordinaire
la ferme du Grand- Marais , et c'est là que pendant deux
ans ils firent toutes les cérémonies du culte . La ferme
Traisnel servit aussi parfois de refuge à M. Decorne
ainsi que la maison de Marie- Madeleine Warembourg ,
celles de Pierre et Louis Cassel et celle des Dubois .
Signalons enfin la généreuse hospitalité que M. J.-B.
Ducrocquet et les trois frères Lefrancq accordèrent à
leur vieux curé , M. Duhayon , qui passa tout un hiver
sous leur toit, de 1797 à 1798.
Le clergé de Sailly-sur-la- Lys , composé , en 1791 ,
de son vieux curé M. Maximilien Monnier et du vi-
caire Jean- Joseph Delannoy , ne donna pas l'exemple
de la fermeté , dans la question du serment : le cons-
titutionnel Ernoult alla jusqu'au mariage ; il ne faut
pas s'étonner alors si cette commune compta , comme
nous l'avons dit, un certain nombre de patriotes exal-
tés . Les prêtres fidèles ne l'abandonnèrent cependant
pas et on cite , comme ayant reçu plusieurs fois ces
prêtres, la famille Duponchel , de la rue des Moulins ,
où l'un des MM . Delbecque habitait ordinairement et
29
450 LE CULTE CACHE

où le Très Saint Sacrement était conservé ; la famille


Buisine , de la rue des Lois , et la famille Baron .
Plus heureuse que la paroisse de Sailly , celle de La
Ventie avait à sa tête trois prêtres éminents , MM . An-
drieux , Delannoi et Béthencourt , qui refusèrent de
prêter le serment constitutionnel et donnèrent à leurs
fidèles les plus fermes exemples . Le curé intrus Du-
jardin , qui fut installé le 12 juin 1791 , réunit d'abord
un certain nombre de catholiques à ses offices , mais
son apostasie, en novembre 1793 , suivie de son ma-
riage , donna le coup de mort à la nouvelle religion .
Les quatre croix placées aux principaux carrefours du
village , les nombreuses statues et les neuf autels de
l'église brûlés , cette église elle- même , convertie en
usine au salpêtre , les clubs et les bals sacrilèges qu'on
y multiplia , excitèrent de plus en plus la réprobation
des honnêtes gens et achevèrent de les grouper autour
des prêtres réfractaires . L'érection d'un autel de la
Raison au milieu de la grande nef et les décors dont
on l'entoura furent même l'occasion d'un accident , que
l'on regarde , depuis , comme une manifestation éclatante
de la vengeance du ciel .
Un peintre qui , jusque-là , avait consacré son pin-
ceau à des tableaux religieux , reproduisait pour l'au-
tel de la Raison une scène sacrilège , dans laquelle il
représentait des animaux immondes , qui mangeaient
des hosties , et des serpents qui buvaient dans le
calice . Or , son travail impie achevé , il en examinait
l'effet avec un patriote de l'endroit . Celui- ci indiqua un
défaut dans un des coins de la scène . Le peintre alors
remonte sur son échelle , qui était neuve , d'après la
tradition ; celle- ci se brise sous ses pieds , le malheu-
reux tombe et ne tarde pas à expirer sous le porche
où on l'avait porté .
Ce terrible châtiment acheva d'effrayer ceux que le
nouveau régime n'avait pas dégoûtés et un nouvel in-
trus qu'un sacristain , dit- on , était allé chercher du côté
DANS LE DIOCESE D'ARRAS 451

de Fromelles et nommé Ransel , ne compta plus que


de rares disciples .
Au mois d'août 1795 , MM . Delannoi et Béthencourt
reparurent ; le premier put même célébrer une messe
dans l'église purifiée , devant une assemblée nom-
breuse , et organiser le culte caché avec MM. Henne-
quin et Donze .
L'année suivante , Dujardin organisa la chasse aux
prêtres cachés ; force fut à ceux-ci de se faire oublier
de nouveau ; mais , l'année suivante , MM . Delebecque
et Andrieux reparurent . M. Andrieux entra plus avant
dans le diocèse d'Arras , et M. Delbarre , chargé du
district de Béthune , s'installa à La Ventie .
Il se tenait habituellement caché chez M. Amand
Prin , chirurgien , d'où il rayonnait dans toute la con-
trée .
Au mois de mars 1797 , des chasseurs , venus de
Béthune , s'emparèrent de M. Béthencourt dans la mai-
son de M. Louis Charles , où il venait de dire la messe .
Mais comme cette maison, située dans la rue des
Monts , se trouve sur le département du Nord , ils furent
obligés de conduire leur prisonnier à La Gorgue où le
juge de paix , M. Cattoir , les força à le relâcher , parce
qu'ils n'avaient pas à lui exhiber un mandat d'amener
en règle .
Un autre prêtre , M. Rigault, d'origine normande,
fut aussi pris chez Bernard Duhem et conduit succes-
sivement à Hazebrouck et à Douai , mais il trouva
moyen de s'évader.
M. Delebecque , le futur vicaire de La Ventie , fut
lui-même arrêté au Trou-Gallot , près de Neuve - Cha-
pelle , le jour de la Pentecôte 1798, et conduit à Saint-
Omer ; mais il fut libéré un mois plus tard . Enfin , le 6
juillet 1800 , un prêtre qu'on croit avoir été M. An-
drieux , d'autres M. Hennequin , et d'autres M. Donze ,
célébrait la sainte messe à un pas du bourg , derrière
la ferme de la famille Quintrel , quand il fut surpris
452 LE CULTE CACHÉ

par l'arrivée subite des gendarmes . Aussitôt il se


dépouille de ses ornements , une femme le couvre
de son mantelet et il s'enfuit. Deux autres femmes
s'emparent l'une du calice et l'autre du ciboire et se
sauvent également . Cependant les gens de la police
sont arrivés ; ils foulent aux pieds les ornements sacrés
et trouvent un vieillard couvert d'une longue redingote ,
le prennent pour le prêtre et l'arrêtent. Ils durent
bientôt le relâcher , quand ils reconnurent que c'était
un habitant de La Ventie , du nom de Pradal .
Quant au prêtre , il se réfugia chez un nommé Fru-
leux qui favorisa sa fuite ( 1 ) .¸
Tels sont les faits édifiants qui se rapportent à l'his-
toire du Culte caché dans le diocèse d'Arras . Ils mon-
trent, sous son vrai jour , la fidélité de nos ancêtres à
la religion catholique , et consolent des impiétés et des
crimes commis seulement par un petit nombre de
sectaires .

(1 ) Notes de M. C. Vittu, professeur à Dohem.


CHAPITRE CINQUIÈME

DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER

Le diocèse de Saint-Omer , qui touchait à celui


d'Arras par ses doyennés de Merville et Lillers , lui
ressemblait, surtout de ce côté , par la fidélité de sa
population au culte catholique et le courage de son
clergé à lui procurer les secours de la religion durant
les mauvais jours.

§ 1 .-- A Gonnehem, Saint-Floris et Guarbecque.

M. Drocques, curé de Gonnehem et le père Hyacinthe.- M. Wourm.-


Son héroïque courage. - M. Bouquillon. - Les amis des prêtres à
Gonnehem . Robecq, Mont - Bernanchon et Saint- Venant . - Le
curé Badollier à Saint-Floris. --- Bon esprit de Guarbecque , ses
prêtres cachés . M. Paris.

Le vicaire de Gonnehem , M. Gamblain , fut même


une des victimes de la Révolution . Il fut pris à Ypres
par les Français lorsqu'ils s'emparèrent de cette ville ,
et condamné à mort par le tribunal révolutionnaire .
Son curé, un religieux de l'abbaye de Chocques , le
Père Jérôme Drocques qui , déjà , s'était échappé une
fois des mains de ses persécuteurs , après avoir été pris
près de Mont-Bernanchon , à l'endroit appelé le Bois-
Garçon , leur échappa une seconde fois à Ypres , en se
faisant descendre de l'étage supérieur par le moyen
d'un drap .
454 LE CULTE CACHÉ

Le double danger auquel il s'était soustrait n'empê-


cha point le P. Drocques de revenir à Gonnehem dès
le mois de septembre 1795 .
Durant son exil , la paroisse n'avait pas été complè-
tement abandonnée . On nomme deux récollets célè-
bres qui s'y tinrent cachés : le Père Augustin Caron et
le Père Hyacinthe Froment. Le premier était un an-
cien enfant de choeur de l'abbaye de Chocques , que le
Père abbé avait fait instruire . Il avait , dit- on , une
parole entraînante et une santé de fer. La maison d'un
charron, nommé Fuscien Fontaine , était sa retraite la
plus habituelle ; c'est même là qu'il disait la messe et
administrait les sacrements . Un autre religieux , qui
séjourna dans cette maison hospitalière , se retirait
plus ordinairement dans la maison Louchart à Belle-
ville ; c'était un religieux de Chocques , mais son nom
n'est pas arrivé jusqu'à nous .
Le Père Hyacinthe , dont on a conservé des souvenirs
plus précis , se réfugiait habituellement dans les mai-
sons Martel et Barbaux de la rue Lannoy. Dans la mai-
son Martel, la retraite , où se cachait à l'heure du dan-
ger le P. Hyacinthe , était fermée par une grosse et
longue pierre. Il y avait une retraite spéciale aussi
dans la maison Barbaux ; ces braves gens lui avaient
de plus préparé , dans leur manoir , un asile dans le
creux d'une meule de bois .
Après ces mémoires vénérées , on bénit celle de
M. Wourm. Quand il venait à Gonnehem, il se retirait
dans la famille Delelis , dont le surnom distinctif est
Têteur. Ce missionnaire avait coutume de dire la sainte
messe sur le bord des chemins ou dans les champs .
On cite de lui un fort beau trait. La femme d'un des
plus violents révolutionnaires était malade à l'extré-
mité et désirait recevoir les derniers sacrements .
M. Wourm avait une tache de vin qui le marquait au
visage et il était bien connu du mari . Il n'hésite pas
néanmoins , se déguise et pénètre auprès de la malade ;
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 455

il sortait de la maison , sa mission remplie ; le mari


l'arrête « Citoyen Wourm, tu es bien hardi » . — « Je
sais , répondit tranquillement M. Wourm , que j'ai joué
ma tête , mais qu'importe ? Citoyen , j'ai sauvé l'âme de
ta femme. >> On dit que cet homme fut ému et mani-
festa de meilleurs sentiments . Il eut même une fin édi-
fiante .
M. Bouquillon , mort curé de Calonne-sur-la- Lys ,
vint aussi plus d'une fois à Gonnehem . On raconte
qu'un soir M. Bouquillon , déguisé , entra vivement et
sans parler dans une maison où se trouvait le P. Augus-
tin ; c'était à Bellerive , chez Pesez . La femme était
seule , le mari , les enfants étant encore dans les champs .*
Elle tremble en le voyant se diriger vers le lieu qui
abritait M. Caron ; mais sa terreur devint de la joie
quand les deux religieux se reconnurent et s'embras-
sèrent.
En septembre 1795 , nous l'avons dit, M. Drocques
était de retour à Gonnehem et d'autres religieux de
l'abbaye de Chocques étaient revenus avec lui . M. Droc-
ques eut chez lui deux asiles plus connus : d'abord la
ferme de la seigneurie de Gonnehem où l'on voit sa
cachette encore ; une nuit , les gendarmes se firent
ouvrir la maison et la visitèrent . On avait donné l'hos-
pitalité à un pauvre dont les vêtements , la taille , l'âge
se rapportaient à M. Drocques qui avait été dénoncé .
En effet, le bon curé avait , cette nuit même , porté les
sacrements à un malade et avait revêtu , selon son
usage , une de ces longues blouses , un de ces larges
chapeaux de toile cirée , comme les portaient les valets
de charrue , à cette époque .
Le Père Jérôme trouvait aussi souvent l'hospitalité
dans la famille Delelis . C'est dans cette maison que
M. Dissaux , mort à Arras , chanoine titulaire , fit sa
première communion , de la main de M. Drocques . Un
matin , le Père Jérôme Drocques venait de dire la sainte
messe ; les gendarmes arrivent ; M. Drocques se cache
456 LE CULTE CACHÉ

dans un champ de fèves ; près de ce champ il y avait


un arbre à cerises couvert de fruits . Le brigadier
monte sur cet arbre pour cueillir des cerises ; il ne vit
pas ou ne voulut pas voir M. Drocques .
M. Drocques avait pour vicaire le Père Bernard
Teneur, religieux de l'abbaye de Chocques , qui se reti-
rait de préférence dans la ferme des Prien . Son frère
était brigadier de gendarmerie . Ce gendarme était
inquiet au sujet de M. Teneur dont il n'avait pas entendu
parler depuis son départ pour l'exil ; un réfractaire
qu'il avait arrêté lui ayant dit cette parole : « J'ai servi
la messe à votre frère aujourd'hui » , il voulut le revoir
et, à partir de ce jour , le ministère du Père Bernard
et de M. Drocques fut moins troublé.
M. Drocques était toujours curé légitime . Nous le
voyons, en 1796 , réhabiliter un mariage « contracté de
bonne foi devant un prêtre catholique , à la vérité ,
mais connaissant certainement mon retour >> : il était en
relations avec l'autorité diocésaine et la cour de Rome.
Nous terminons cet article par une simple mention
donnée à d'autres confesseurs de la foi , savoir : le
Père Gabriel Duquesne , curé de Mont- Bernanchon et
religieux de l'abbaye de Chocques , dont la retraite
était le château Saint- Michel d'Adinfer , ferme et pro-
priété de M. Martin ; M. Caupain , vicaire de Sainte-
Croix à Béthune , qui se retirait dans la maison
Lecouffe , de la rue Lannoy ; M. Decorne , curé d'Oblin-
ghem, et M. Fumery, qui mourut à Mont-Bernanchon .
Disons à la gloire de Gonnehem que , généralement ,
les maisons étaient ouvertes aux prêtres , et que le
saint sacrifice fut offert sous bien des toits . Nous cite-
rons cependant encore , comme s'étant distingués par
leur foi , Marie Lecouffe qui a conservé bien des objets
pieux , et François Leceigne , beau-frère de M. Gam-
blain , qui accompagnait le P. Hyacinthe dans ses cour-
ses périlleuses .
Dans la paroisse de Robecq, les catholiques jouis-
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 457

sent d'un calme relatif, grâce à la tolérance du curé


constitutionnel Leriche qui , s'il se permettait à lui-
même beaucoup de choses défendues , laissait au moins
une certaine liberté aux prêtres cachés . Quand le curé ,
M. Dodin , se fut exilé et que M. Branquart , le vicaire ,
arrêté à Ypres , après la capitulation de cette ville , eut
été amené à Douai , condamné à mort et exécuté , on
vit dans la paroisse de Robecq M. Pruvost, vicaire de
Saint-Venant ; M. Wourm , vicaire de Thiennes , et le
R. P. Augustin , récollet .
A Mont-Bernanchon , quand le curé Lechon et le
vicaire Gruson furent partis en exil , c'est le P.
Augustin Caron , récollet, que nous retrouvons encore
comme ministre ordinaire du culte caché , de 1791 à
1794. Le P. Hyacinthe y parut aussi en 1795 , ainsi
que M. Fumery et , plus tard , le P. Duquesne , ancien
religieux de Chocques . Les cérémonies religieuses
furent habituellement célébrées chez la veuve Hanne-
douche, chez les Fruchart et chez Fanien d'Henne-
becq .
Saint-Venant, qui avait pour curé jureur le célèbre
Badollier , marié depuis et mort marchand de daches à
Béthune , conserva ses vicaires , MM. Dannel et Pru-
vost , qui restaient cachés durant le jour et consacraient
leurs nuits à l'administration des sacrements .
Ils échappèrent toujours aux recherches de leurs
persécuteurs grâce au dévouement de leurs gardiens
et de leurs guides , parmi lesquels il faut distinguer
M. Boulinguez et Pierre- Joseph Têtart.
Dans l'intérieur de la petite ville , on disait spécia-
lement la messe chez Mlle Catherine , l'ancienne insti-
tutrice , chez M. Delclocque, chez M. Flageollet et chez
Mlle Obry ; à la campagne , chez M. Boulinguez , chez
J.-B. Lotte , à la ferme de Fauquenthurn , chez Victor
Walle et chez Augustin Crespin . On conserve dans la
famille de ce dernier le crucifix qui servait au saint
sacrifice . Avec les noms de M. Dannel et de M. Pru-
458 LE CULTE CACHÉ

vost, on trouve encore dans les registres de catholicité


ceux de MM . Boidard , Wartel et Wourm .
Comme Saint- Venant , Saint-Floris avait été confié
par la nouvelle Constitution au curé Badollier. On ra-
conte du ministère de ce dernier des choses assez sin-
gulières . « Quand il se présenta pour son installation ,
il était accompagné d'une vingtaine de personnes de
Saint-Venant. Une grande partie de la population se
trouvait réunie en avant du presbytère et , pour y arri-
ver , Badollier devait passer sur un petit pont . A la tête
de ce pont s'était posté l'hercule du village , qui , un
grand fléau à la main , en déchargeait de rudes coups
sur une planche en criant de toutes ses forces : « Qui-
conque ose avancer, je l'assomme . » Badollier , qui ne
connaissait pas cet instrument , disait en rentrant chez
lui : « Ces bougres de paysans ont des machines qui
se plient, qui se déplient ; ça fouette comme le diable .»
>
Or , il y avait alors à Saint-Venant un régiment com-
plet : Badollier demanda une escorte au colonel , qui
refusa . On en référa au District , qui ordonna au colo-
nel de procéder à l'installation avec un piquet de cent
hommes et armes chargées . Ce piquet stationna sur le
cimetière pendant que Badollier disait sa première
messe. Hormis une seule famille , personne n'assista
jamais à la messe de l'intrus : il fallait même faire
venir un étranger pour la servir . Quelques mois après ,
Badollier crut les têtes assez calmées pour pouvoir se
rendre sans escorte à l'église de Saint- Floris . Mais, le
27 octobre , les habitants fatigués de sa présence se
portèrent à sa rencontre , l'assaillirent de pierres , le
poursuivirent avec des fourches , des piques , des
fléaux, et le pauvre Badollier , dans sa fuite précipitée ,
tomba dans un fossé . Plainte fut portée au tribunal de
Béthune, assignation donnée aux principaux habitants
de Saint- Floris . Badollier se plaignit d'avoir été in-
sulté, outragé, poursuivi , d'être tombé dans l'eau ,
d'en avoir eu jusqu'au cou . « M. le Président , s'écrie
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 459

alors l'un des braves de Saint-Floris , ce n'est pas vrai ,


il a menti , il n'en a eu que jusqu'au nombril . » Cette
saillie fit rire le tribunal, coupa court à l'affaire . On
jugea ceux de Saint-Floris indisciplinables et on les
laissa tranquilles, au moins au sujet de Badollier ,
qu'on ne revit plus .
« L'église fut entièrement dévastée à la fin de 1792 ;
en 1793 , elle fut vendue et adjugée à un habitant de
Lillers , qui enleva d'abord toutes les ferrures des fe-
nêtres . Puis, cet acquéreur de nouvelle espèce , fit par-
tir de sa localité un groupe d'ouvriers pour procéder à
la démolition totale de l'église . Les gens de Saint-
Floris s'étaient laissé faire un peu trop longtemps ,
aussi ce fut alors une toute autre scène . Les démo-
lisseurs se présentent , les habitants s'arment , leur don-
nent la chasse et les poursuivent, la fourche dans les
reins , jusque bien au-dessus de Saint-Venant. L'église
fut rachetée par la commune et l'acquéreur en fut à
ses 800 francs pour l'enlèvement des fenêtres . Les
ministres du culte caché à Saint-Floris furent d'abord
le P. Hyacinthe , récollet de Saint- Omer , puis M. Fu-
mery, vicaire de la paroisse depuis 1786 et rentré
avant le 9 août 1795. A partir de cette dernière date
jusqu'au commencement de 1803 , M. Fumery a fait
tous les baptêmes et tous les mariages dont il a laissé
par écrit tous les actes parfaitement rédigés . »>
Les familles qui lui donnèrent le plus souvent asile
étaient les Séghin , les Dupont , les Dhaine , Dominique
Roussel , Mlle Magnier , Hugues Dufossé et Pierre
Hédoire .
Guarbecque eut aussi son jureur du nom de Ber-
nard , et son intrus Depoix , mais les violences des pa-
triotes ne parvinrent pas à intimider la masse de la
population qui resta catholique .
<< Il n'y en eut que quelques-uns qui se laissèrent
entraîner à la messe de l'intrus : les autres aimèrent
mieux se priver de sommeil pour courir à de longues
460 LE CULTE CACHÉ

distances entendre la messe de quelque prêtre fidèle .


Parmi ces pasteurs zélés que la Révolution n'avait pu
effrayer, nous citerons d'abord M. Flageollet , ancien
vicaire de Saint- Quentin , caché à Busnes ; MM . Derond
et Paris , qui avaient leur retraite à Sainte - Isbergue ,
et M. Dannel , vicaire de Saint - Venant . Tous ces ecclé-
siastiques , sans habiter Guarbecque , y descendaient
néanmoins lorsqu'ils étaient appelés pour assister les
moribonds ou baptiser les nouveaux-nés . M. Dannel ,
qui ne parut dans la paroisse qu'en 1795 , après quel-
ques années d'émigration , porta spécialement le titre
de curé de Guarbecque . M. Pruvost , doyen de Renty,
caché à Busnes , avait le pouvoir des préfets de mis-
sion , d'après les renseignements que nous avons pu
trouver ; l'on peut donc conclure que les prêtres dont
nous avons parlé tenaient de lui leur juridiction . A
différentes époques , ou simultanément , parurent en-
core à Guarbecque plusieurs Pères récollets et aussi
M. Wallart, dont on cite un bel acte de courage . Un
moribond , domicilié sur la place du village , récla-
mait ses services , mais la maison était gardée par
une trentaine de patriotes ; cependant le danger n'ef-
fraya point le ministre du Seigneur , et il put , sous la
garde sans doute de l'ange tout-puissant , consoler et
administrer cette pauvre âme, sans être insulté ni sur-
pris . Ce fut ce même prêtre qui , victime de son zèle
et des fatigues que lui imposaient les persécutions
des patriotes , rendit son âme à Dieu durant la tour-
mente révolutionnaire et fut enterré chez M. Deliers ,
à Guarbecque , sous un tas de fagots . Plus tard ,
vers 1827 , le curé de la paroisse exhuma ses osse-
ments , de ce lieu profane , pour les transférer à
Sainte-Isbergue . M. Dubois , ancien vicaire de Guar-
becque , qui vint aussi administrer les sacrements à
Guarbecque, fut surpris en célébrant les saints mys-
tères et emmené dans les prisons d'Arras ; sa tête ne
fut sauvée que parce que celles des tyrans qui gouver-
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 461

naient la France tombèrent avant la sienne De temps


à autre , la messe se célébrait par quelqu'un de ces
prêtres fidèles , dans les maisons particulières , et les
catholiques des environs , avertis par de secrets mes-
sagers , y accouraient en foule . C'est ainsi que M. Paris
célébra un jour la messe dans le vieux château de
Sainte - Isbergue , en présence de quatre ou cinq mille
personnes . Ce zélé missionnaire ne congédiait point
cette foule pieuse , sans lui adresser les avis que récla-
maient les circonstances . >>

$ 2, A Busnes et Lillers .

MM. Denissel et Flageollet de Busnes. - Mort de ce dernier.


L'intrus Miennée. - Les deux partis. Retraite de Guérit- Tout.
Mayolle et le crucifix. - Les enterrements. - Les prêtres et le
conscrit Clabaut. Les patriotes de Lillers.- Les intrus. -- Les
apôtres. M. Wallart . Les rendez-vous. - M. Guille et le père
Maxime . Stratagème de Scossa. La famille Hanon. Les
secrets.

La paroisse de Busnes présenta , durant la période


qui nous occupe, le spectacle d'évènements intéres-
sants dont le curé s'est fait l'historien autorisé et fort
agréable à lire .
Ici encore nous empruntons aux Archives de l'Évêché
non seulement les faits mêmes , mais souvent le texte
propre d'un récit qui met bien en évidence les évène-
ments qu'il retrace .
Le curé de Busnes , M. Auguste Denissel , qui avait
refusé de prêter le serment , ne quitta son église qu'au
mois de juin 1792 et contraint par la force . Il fut même
poursuivi par les insultes d'une bande de forcenés
jusque dans le hameau écarté où résidait sa famille ,
et où de nouvelles menaces le forcèrent à s'exiler.
<< Son vicaire , M. Flageollet , montra plus de courage
encore que M. Denissel , et ne voulut point quitter son
462 LE CULTE CACHÉ

troupeau. Ayant, lui aussi , refusé le serment , il de-


meura caché au fond d'un hameau de Busnes : et quoi-
que d'une santé débile , il continua à célébrer la sainte
messe et à enseigner le catéchisme aux petits enfants .
Toujours traqué et poursuivi par les patriotes , mais
toujours protégé par le dévouement de ses paroissiens
fidèles , il mourut à son poste pendant la tourmente
révolutionnaire . Quelques bons catholiques portèrent
nuitamment ses dépouilles à Sainte- Isbergue et l'inhu-
mèrent dans l'église de cette paroisse , alors transformée
en magasin à fourrages .
<< Cependant, un curé intrus , M. Miennée , ordonné
par le schismatique Porion , était arrivé à Busnes au
moment même du départ de M. Denissel . Une partie
des habitants , amis de la Révolution , le saluèrent avec
enthousiasme et se soumirent à sa juridiction . D'au
tres , soit par ignorance , soit par faiblesse , se laissèrent
entraîner à la messe de l'intrus , quoique d'ailleurs
animés de bons sentiments . Mais il y eut aussi un
grand nombre de fervents catholiques qui refusèrent
toute participation au schisme . Deux partis hostiles se
formèrent dans la paroisse . Ceux qui étaient fidèles au
roi et à la religion se nommèrent aristocrates et don-
nèrent à leurs adversaires la dénomination de patriotes .
Les premiers avaient le rôle des martyrs , les derniers
le rôle des persécuteurs . Les uns , retirés au plus secret
de leurs demeures , y assistaient nuitamment à la
messe de quelque prêtre fidèle , tandis que les autres
se pressaient autour de l'intrus et prenaient sa cause
en mains . M. Miennée bénit plus de vingt mariages et
conféra le sacrement de baptême à un grand nombre
d'enfants durant les deux ans et demi qu'il régit la
paroisse . Les dispenses de bans qui eurent lieu très
souvent pour ces mariages furent accordés par
Mgr l'évêque du département du Pas -de- Calais , Porion ,
d'après les actes qui sont encore aujourd'hui déposés
à la mairie et signés par les vicaires épiscopaux ; nous
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT - OMER 463

ignorons s'ils ont été réhabilités dans la suite . Quant


aux parents qui ne voulaient pas faire baptiser leurs
enfants par M. Miennée , ils leur faisaient administrer
dans des maisons particulières le sacrement de la
régénération , puis venaient les faire enregistrer par
l'intrus ainsi , nous avons trouvé plusieurs actes cons-
tatant que le baptême avait été administré aux enfants.
à domicile et déclarant en même temps que le père
avait refusé de nommer celui qui le leur avait conféré .
Telle était la situation de la paroisse lorsque se levè-
rent sur la France les jours sanglants de la Terreur .
La Révolution , après avoir écrasé tout le reste , foula
aux pieds son œuvre propre , et la Constitution civile
du clergé fut raillée et méconnue . Les prêtres asser-
mentés , jetés en prison dans plusieurs endroits , cédè-
rent leurs églises aux pontifes sacrilèges de la déesse
Raison . Ce fut donc probablement la peur qui chassa
Miennée de Busnes : au mois d'octobre ou environ
1793 , il déclara aux patriotes qu'il allait les quitter .
Ceux-ci se récrièrent sur cette résolution soudaine et
lui demandèrent ce qu'ils feraient lorsqu'ils n'auraient
plus de pasteur . L'intrus leur répondit : « Faites comme
on vous a appris dans votre jeunesse » ; et il s'éloigna .
Après la Révolution , on le retrouva à Nédonchel .
Devenu célèbre par une sorte de science médicale
extraordinaire , il reçut le nom de Guérit- Tout, et con-
tinua d'exercer cet art jusqu'à sa mort. Un autre
intrus , du nom de Bossu , parut aussi à Busnes quelque
temps , mais nous ne savons pas à quelle époque . Plus
tard , il ouvrit une école à Robecq et devint aussi célè-
bre par une sorte de science occulte , à laquelle plu-
sieurs eurent recours pour être préservés du sort. Ce
que nous pouvons affirmer sur cette religion constitu-
tionnelle , c'est que l'évêque Porion étant venu donner
la confirmation à Saint-Venant durant son épiscopat
improvisé, plusieurs patriotes de Busnes y menèrent,
leurs enfants pour les faire confirmer . Après le départ
464 LE CULTE CACHÉ

du clergé intrus , l'église devint un édifice public et


civil ; elle fut tour à tour profanée par des danses et
convertie en fabrique à poudre . Toutefois , la déesse
Raison n'y vint jamais afficher son culte ignominieux.
Elle ne fut pas même dévastée ni pillée , et voici quel
en fut le motif. Les patriotes de Saint- Venant , après
avoir prêché la Montagne , comme on disait alors , dans
l'église de Guarbecque , se disposèrent à venir à Busnes
continuer leurs sabbats et brûler les statues des saints.
Leurs frères de ce dernier village furent avertis de ce
projet, et le complot ne semblait point devoir avorter.
En ces circonstances donc , un nommé Mayolle , partisan
de la Révolution , se rendit, la veille du jour fixé , dans
l'église , et se disposa à emporter chez lui un grand cru-
cifix attaché entre les deux autels collatéraux , sur les
constructions de la tour . Il dresse d'abord une échelle ,
mais n'ose se hasarder à descendre seul cette image
trop pesante à son gré. Que fait-il donc ? Une courroie
passée au cou de la sainte image lui tient lieu de tous
les autres moyens ; le crucifix , fortement attiré d'en
bas , se détache et tombe sur le sol . Mais cinq marbres
sont profondément enfoncés en terre par le choc , et un
sixième réduit en poussière , sans que le crucifix souffre
d'autre dommage que la fracture d'un doigt du pied ,
comme nous l'avons vérifié sur l'image elle-même , qui
se trouve aujourd'hui encore dans l'église de Busnes .
Quoi qu'il en soit, Mayolle , sans doute touché de cette
sorte de prodige , ou bien mû par un autre motif, jura
de ne point laisser dévaster l'église . Le lendemain ,
tous les patriotes armés de bâtons , de fléaux et d'autres
.
armes plus meurtrières , se réunirent autour de lui et
marchèrent à la rencontre des bourgeois de Saint-
Venant, bien décidés cette fois à fraterniser avec eux
d'une manière tout à fait insolite . Les femmes ne man-
quèrent pas d'épouser la cause de leurs maris . Munies
de vases remplis de cendres , elles attendirent à l'écart
les ennemis pour leur lancer la nouvelle espèce de
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 465

projectiles. Dire ici les différentes phases du combat


serait peut- être difficile . Ce qu'il importe de savoir ,
c'est que l'issue n'en fut point douteuse . Nos honnêtes
bourgeois , peu soucieux de risquer leur vie pour un si
triste exploit , firent trêve avec Dieu et les hommes , et
s'en allèrent comme ils étaient venus . L'on ne sait
point, du reste , s'il y eut beaucoup de bras cassés ou
d'épaules démises : peu nous importe . Il nous suffit de
savoir que l'église fut sauvée du pillage et de la dévas-
tation, à part les profanations dont nous avons parlé.
Il n'en fut pas de même des différentes petites chapelles
ou sanctuaires consacrés à Marie ou à d'autres saints
vénérés : la plupart furent dévastés ou convertis en
magasins à fourrages par quelques pieux fidèles , qui
voulaient les conserver intacts à leurs enfants , comme
ils les avaient reçus de leurs pères . D'ailleurs , la ma-
jeure partie des habitants était plutôt opposée que
favorable à ces impiétés sacrilèges , et le faisait
paraître, comme nous l'avons vu , d'une manière non
équivoque. Le trait suivant en est une nouvelle preuve .
Un patriote de Saint- Venant , étant venu à Busnes , soit
le jour où l'église devait être pillée , soit un autre jour ,
pour exercer son zèle diabolique , entra dans le bureau
de greffe et se disposa à briser un crucifix qui s'y
trouvait. Mais un fermier, averti de la chose , accourut
de sa basse-cour armé d'un trident, et le menaça de
mort s'il avait l'audace de porter une main sacrilège
sur la sainte image . Le malheureux , craignant pour
ses jours , se désista de son criminel projet. »
Une autre particularité peu connue et qui est rela-
tive aux cimetières , nous est révélée par l'intéressant
récit du curé de Busnes .
<< Sous le régime des intrus , dit-il , les inhumations
se faisaient à l'ordinaire et les catholiques parvenaient
le plus souvent à y enterrer leurs morts en secret .
<< Une vieille personne nous a même dit que dans
l'un de ces enterrements secrets , l'ancien sacristain
30
466 LE CULTE CACHÉ

de la paroisse , Petitpas , versa dans la fosse entr'ou-


verte quelques gouttes d'eau bénite , afin de suppléer
ainsi, autant que possible , aux cérémonies de l'Église .
L'on ne connait que trois cadavres qui aient été inhu-
més hors du cimetière , avant même le départ de l'in-
trus Miennée c'étaient les dépouilles mortelles de
trois aristocrates bien tranchés . Leur mort étant arri-
vée en 1793 , le maire Cayeux et ses adhérents ne
voulurent pas que leurs cendres fussent mêlées à
celles des patriotes , et leur refusèrent l'entrée du
cimetière . Ils ne se contentèrent pas même de cette
vexation ; mais , mêlant la dérision la plus sanglante à
cette violence , ils creusèrent des fosses à l'endroit où
avaient été jetés auparavant les ossements d'un vieux
cheval, pour en faire la sépulture des ci- devant aris-
tocrates . L'eau bourbeuse d'une mare voisine leur
servit à la bénédiction de la fosse, par une sacrilège
parodie des cérémonies de l'Église . Toutefois , ceux
qu'ils avaient voulu avilir n'en furent que plus hono-
rés dans la suite , même sur la terre : assimilés d'abord
aux bêtes de somme , ils furent, dans l'hommage et la
vénération du peuple , associés aux saints protecteurs
du pays . Après ces jours d'abomination , d'autres jours
plus sereins se levèrent sur la France , et un superbe
calvaire , élevé sur leurs tombes , transmit aux âges
futurs leur mémoire et leur nom glorieux . Ce calvaire ,
fruit de la piété de leurs parents , est aujourd'hui om-
bragé de trois tilleuls qui , se réunissant pour former
une voûte , semblent faire un sanctuaire à ces morts.
chéris .
« Pour ministre du culte caché , nous avons dit que
les catholiques de Busnes conservèrent leur vicaire ,
M. Flageollet, qui mourut pendant la Révolution . Outre
ce pasteur zélé , plusieurs autres prêtres , soit régu-
liers , soit séculiers , vinrent se cacher dans la paroisse
et la desservir en secret . Quelques - uns aussi , résidant
dans les villages voisins , se rendaient souvent à Busnes
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 467

pour y administrer les sacrements . Nous citerons


d'abord MM. Pruvost et Dannel , vicaires de Saint-
Venant. Le dernier surtout , caché à Berguette , où se
trouvait sa famille , baptisa plusieurs enfants à Busnes
ety donna plus d'une fois la bénédiction nuptiale . Ces
mariages se célébraient avec dispense de trois bans
accordée par qui de droit. Le Père René , ancien récol-
let ,se trouva,lui aussi , à Busnes durant la Révolution ety
administra les sacrements : son nom de famille était Lé-
cluse . Enfin , le doyen de Renty, M. Pruvost , qui de-
meura caché dans la paroisse , de 1797 à 1800 , autant
que nous avons pu nous en rendre compte , exerçait,
dit-on , certaines fonctions de préfet de mission ; mais
l'origine de ses pouvoirs nous est absolument incon-
nue . Une vieille personne nous a rapporté qu'elle
avait assisté elle-même à une bénédiction de pierres
d'autel , faite par lui , avec l'aide d'un autre prêtre ,
M. Paris , caché dans les environs . Elle nous a même
assuré que le clergé fidèle du pays circonvoisin venait
prendre ses ordres. Impossible au reste de dire si
c'était là une déférence qu'on avait pour son grand
âge et son expérience , ou si réellement il avait délé-
gation pour régir une partie du diocèse . C'est là tout
ce que nous savons sur les pouvoirs des prêtres qui
ont desservi la paroisse durant la Révolution . Quoi
qu'il en soit, ces ecclésiastiques zélés , ayant toujours
à leur disposition quelques retraites sûres , erraient
sans cesse d'un endroit à l'autre , et partout où il y
avait, soit un moribond à assister , soit un nouveau-
né à régénérer , soit un mariage à bénir, il était tou-
jours possible de trouver quelque prêtre catholique .
Des personnes sur qui on pouvait absolument compter
connaissaient sa retraite , et l'avertissaient secrète-
ment lorsque les fidèles réclamaient son ministère ;
d'autres fois , elles lui amenaient elles-mêmes ceux
qui le demandaient , avec des précautions infinies , afin
de ne pas éveiller de soupçons et d'éviter les pièges
468 LE CULTE CACHÉ

de la trahison ; puis , y avait-il une maison plus grande ,


plus commode , et surtout plus ignorée que les autres ,
c'était là que les fidèles s'assemblaient de temps à
autre pour entendre la sainte messe et participer au
banquet eucharistique. Les trois belles cloches de la
paroisse n'annonçaient plus , hélas ! les saints offices ,
mais on savait, sans ce moyen , avertir les fidèles . Mise
en circulation par la famille qui avait le bonheur
d'assister à la messe chez elle , la pieuse nouvelle
avait bientôt fait le tour du village, sans que les pa-
triotes en eussent vent . Les laboureurs se la disaient
à demi-mot au retour des travaux des champs ; puis ,
le soir, les plus hardis se mettaient en route et ne
craignaient pas de faire parfois plusieurs lieues pour
entendre la sainte messe et recevoir des avis dont ils
avaient tant besoin. D'ailleurs , on ne cite pas de
prêtres surpris par les patriotes ou les gendarmes ,
dans ces circonstances , ni dans d'autres occasions :
c'est qu'ils étaient sous la garde de Dieu et de la
conscience des catholiques . Plusieurs personnes tra-
vaillaient dans les champs qui avoisinaient la route ,
et il suffisait d'un coup de sifflet pour avertir du
danger et signaler l'approche des gens du gouverne-
ment. D'autres fois , c'étaient les gendarmes eux-
mêmes qui cherchaient pour ne pas trouver . C'est
ainsi que M. le doyen de Renty fut plus d'une fois
sauvé de la mort par le brigadier des gendarmes lui-
même . Poussé par la Révolution et obligé de faire la
chasse aux prêtres , le brigadier avait soin de se faire
avertir par quelque affidé , et venait investir la maison ,
où séjournait M. Pruvost, pendant son absence . Le
lendemain , M. le doyen était dans sa retraite et le bri-
gadier ne pouvait , ce jour -là , par malheur , faire sa
ronde dans le pays . Enfin , il faut dire aussi que les
patriotes n'avaient pas toujours bonne partie à faire
avec certains aristocrates au poing lourd et au cœur
bien trempé . C'était l'un de ces derniers , jeune cons-
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 469

crit réfractaire , qui ne se gênait point pour traverser


une troupe de patriotes , armé d'un bâton monstrueux .
D'une force presque surhumaine , il ne craignait que
la ruse et la trahison , et ce fut, en effet , par la trahi-
son qu'on le surprit dans un guet-apens et qu'on l'en-
rôla dans les armées de la Révolution . Mais là comme
partout ailleurs , ses sentiments furent toujours excel-
lents . Il fut, dit- on , l'un de ceux qui furent préposés
à la garde de Pie VI lorsqu'il fut amené prisonnier en
France , et , étant encore à Rome , il ne craignit point
de se jeter aux genoux du Saint- Père pour lui deman-
der sa bénédiction . Fort ensuite de ce gage de bien-
veillance , il se leva, et se mettant à côté de Sa Sain-
teté , il s'écria dans son langage naïf : « Gare à qui lui
touche . » C'est là ce que M. Doncquer , ancien curé de
Busnes , raconte d'un certain Clabaut , qui était , disait-
il , du pays d'Artois . Or ce Clabaut se trouvait être
celui dont nous venons de parler , un humble paysan
de Busnes qui ne savait ni lire ni écrire. »
La paroisse de Lillers nous offre un tableau tout
aussi consolant et un annaliste tout aussi fidèle que
celle de Busnes pendant la période du culte caché . Ce
n'est pas que la commune ne comptât des patriotes
ardents et disposés à aller aux violences les plus
extrêmes ; les noms de Delory , Garois et Robillard
n'y sont pas encore oubliés . Mais ils rencontrèrent à
la tête de l'administration des hommes sages et influents
qui modérèrent leur fougue révolutionnaire , ou , tout
au moins , les empêchèrent de verser le sang. Les
noms du percepteur Scossa et de l'adjoint Pigouche
s'imposent à ce point de vue à la reconnaissance des
bonnes familles de Lillers .
Mais si la vie des citoyens et à un certain degré les
intérêts matériels de la petite ville furent sauvegardés ,
la religion n'y eut pas moins à gémir comme partout
ailleurs. Le vénérable curé , M. Lefebvre , et ses vi-
caires , MM. Carpentier et Bacot , suivirent l'exemple
470 LE CULTE CACHÉ

glorieux du chapitre de Lillers et refusèrent de prêter


le serment constitutionnel . Ils prirent tous le chemin
de l'exil . Ce fut M. Bacot qui partit le dernier . Ils
furent successivement remplacés par les intrus Lau-
rent , Dubois , Desvignes et Ségard . Bientôt , on le sait ,
l'impiété apparut à Lillers avec Joseph Le Bon , les
prêtres constitutionnels devinrent des officiers civils et
Desvignes ajouta le mariage à l'apostasie . L'église fut
saccagée : son autel servit de tribune aux musiciens des
fêtes profanes ; la statue de saint Roch , après toutes les
autres , se brise sur le pavé , après qu'on lui a attaché
au cou une corde à laquelle se sont attelées plus de
quarante personnes . Les pierres sépulcrales elles-
mêmes ne sont pas respectées et l'on viole jusqu'aux
ossements qu'elles recouvrent .
Ces scènes se renouvelèrent dans les chapelles des
Dominicains et des Sœurs Grises ainsi que dans les
sanctuaires dédiés à la sainte Vierge . Un des princi-
paux meneurs du parti avancé, Edmond Romain ,
essaya même de faire mettre l'église en adjudication
pour la détruire , mais le maire Cauwet la sauva en
l'affectant à la fabrication du salpêtre . Il se rejeta sur
la chapelle de N.-D. de Miséricorde que le maire lui
arracha encore , en y faisant lire quotidiennement le
bulletin de la nation .
« Déconcerté , mais non découragé par l'insuccès de
ses démarches , Edmond espéra que , du moins , on lui
abandonnerait le château du seigneur de Lillers , ce
repaire de la tyrannie , comme il ne manquait pas de
le dire . Vain espoir encore , M. Cauwet se représentait
une troisième fois , la nation avait encore besoin d'un
magasin à fourrage . Ainsi furent sauvés par lui ces
trois édifices rendus depuis à leur ancienne destination
et à leur ancien maître .
« Privée de ses pasteurs légitimes , la paroisse de
Lillers ne resta point sans secours religieux. De hardis
missionnaires , cachés dans les environs au péril de leur
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT - OMER 471

vie , remplissaient les fonctions pastorales . Entre tous ,


il faut citer M. Wallart qui fut véritablement l'apôtre
de Lillers . Interrogez les habitants de cette paroisse si
populeuse et si étendue ; la plupart vous diront que
c'est à ce prêtre courageux qu'ils doivent le bonheur
d'avoir reçu les sacrements et d'avoir assisté à la
sainte messe . Nous le retrouvons à toute heure de la
nuit, sous tous les costumes : à Manqueville , chez
M. Fournez ; à la Melquene , chez M. Wantiez ; à la
Flandrie , dans plusieurs maisons ; à Cantrainne , chez
les Ducatez ; au Rieux , chez la veuve Delelis ; au Jailly ,
chez la famille Bailly ; à Lillers , chez M. Féron , et dans
vingt autres maisons qu'il est inutile d'énumérer , bap-
tisant, prêchant , confessant , administrant les saints
sacrements . Que lui importe à lui la faim, la soif ; il
sait tout supporter pour son Dieu , et plus d'une fois
pour son divin Maître , notamment à Cantrainne , où il
ne voulait pas exposer une pieuse famille aux rigueurs
des patriotes , il n'eut qu'une pierre pour reposer sa
tête . Personne n'ignore sa mort si sainte , à Guarbec-
que , après les fatigues de son apostolat.
<< A Cantrainne , nous retrouvons encore M. Pruvost,
doyen de Renty , qui , d'un âge déjà avancé , avait cher-
ché une retraite dans la famille Denissel . C'est là que
les habitants de ce bon hameau vinrent tous successi-
vement trouver ce bon prêtre et recevoir de lui les
sacrements de pénitence et d'eucharistie , dont ils
avaient été privés depuis plus d'un an . Par des intelli-
gences habilement ménagées à Lillers , ils étaient
informés des démarches des agents de la force publi-
que et des résolutions du club . Aussi , quand , le soir ,
les femmes sortaient dans la rue et s'invitaient réci-
proquement par ces paroles : « Il fait bon promener ce
soir » , tous comprenaient qu'ils devaient se rendre près
de M. le doyen de Renty qui , alors , leur prodiguait à
tous les soins de son ministère . Ce bonheur ne dura
pas longtemps ; ce prêtre si respectable jugea prudent
472 LE CULTE CACHÉ

de se retirer à Busnes , où on lui avait ménagé une


retraite plus assurée .
<< Son œuvre se continua par les soins de M. Dannel ,
ancien vicaire de Saint-Venant , qui , dans la maison
Ducatez, catéchisait , confessait , baptisait et , plusieurs
fois même , eut le bonheur de préparer les enfants à la
première communion .
« A ces zélés apôtres , il nous faut ajouter les noms
des Pères Augustin , Aimable et René , qui se mon-
trèrent avec M. Collet et autres les dignes collabora-
teurs de ceux déjà cités . Il est juste de mentionner
aussi M. Pruvost , vicaire de Saint-Venant , qui ne crai-
gnit pas de passer plus de huit jours entiers à Lillers ,
grâce à M. Caboche , commandant la garde nationale ,
forte de 600 piques ; il put s'y introduire en plein jour,
déguisé en garde national . Son assurance , le mot de
passe qu'il répète à chaque interrogation et surtout
l'air d'importance que semble lui attribuer M. Cabo-
che, font croire à tous qu'il n'est rien moins qu'un ins-
pecteur chargé d'une mission secrète . Pendant les
huit jours qu'il passa dans la maison de ce brave
commandant , il travailla activement au salut des âmes .
<< Si nous n'avons pas encore parlé de M. Guille et
du Père Maxime , dont les noms sont en vénération à
Lillers , c'est que leur zèle n'eut pas à s'exercer durant
les plus mauvais jours de la Révolution . M. Guille les
avait passés dans l'exil , où il avait été ordonné prêtre
et le Père Maxime , dans sa famille . Le serment qu'il
avait d'abord prêté , malgré la rétractation qu'il en fit
ensuite et le repos absolu dans lequel il se tenait,
l'avait protégé pendant le règne de la Terreur ; mais
bientôt ces hommes apostoliques se dévouèrent tout
entiers au bien spirituel de Lillers. Connaissant mieux
la localité et surtout le caractère des habitants , ils
avaient plus de facilité pour l'exercice de leur saint
ministère. Aussi l'assistance à la sainte messe et la
réception des saints sacrements devinrent bien plus
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 473

fréquents. On put même quelquefois , comme au châ-


teau de la Motte, faire la première communion avec
une sorte de solennité . Un jour pourtants , l'alarme est
donnée . Les patriotes vont venir, s'écrie-t-on , déjà la
confusion règne de toute part . Mais quelques citoyens
plus courageux se contentèrent de dire : Si les répu
blicains viennent, nous les jetterons à l'eau . Cette
parole rassura tous ceux qui étaient présents , l'alarme
était fausse , du reste , et la sainte messe s'acheva sans
aucun trouble .
« Déjà , au même endroit, les prêtres qui étaient
réunis avaient été sauvés par la présence d'esprit de
M. Pigouche . M. Genette , instruit que le club de Lil-
lers se dispose à se porter au château de la Motte et
réclame M. Pigouche , alors officier public , pour le
mettre à sa tête , se hâte d'en avertir ce dernier et se
rend de suite près de M. Guille et des autres prêtres .
Bientôt, en effet , les patriotes arrivent chez M. Pigou-
che qui , sous prétexte de donner les derniers ordres à
sa brasserie , et de faire quelque toilette en leur hon-
neur et surtout par l'appât des rafraîchissements qu'il
fit servir , sut les contenir assez de temps pour que
prêtres , parents et enfants eussent le temps de prendre
la fuite .
« Un moyen analogue , et c'est peut-être le seul
infaillible avec ces braves républicains , avait servi à
épargner à M. Guille des perquisitions qui auraient pu
lui coûter la vie . Informés que ce prêtre vénéré se
trouvait dans sa propre maison , ils fixent l'arrestation
au lendemain . Scossa qui avait eu soin , pour ne pas se
rendre suspect, de ne pas contredire à cette proposition ,
a bientôt prévenu la famille et pris la seule disposition
peut-être qui pût sauver M. Guille ; il le recevrait chez
lui pendant qu'à la tête des patriotes , il marcherait sur
la maison. << Citoyennes , s'écrie-t-il d'un ton sévère à son
entrée dans la maison , nous savons que le citoyen
Guille est ici caché, nous venons l'arrêter au nom de
474 LE CULTE CACHÉ

-
la loi. Vous êtes dans l'erreur , citoyen , disent les
sœurs de M. Guille, du reste , voyez . Nous le tenons
enfin, s'écrie Scossa , mais pour fêter une si bonne
capture , il faut , citoyennes , donner des rafraîchisse-
ments aux braves sans -culottes que voilà . » La proposi-
tion fut aisément acceptée , le vin fut servi abondam-
ment , la visite fut oubliée et Scossa put dire sans se
compromettre à ces farouches républicains , dans le
langage qui leur convenait : <« Ne serions-nous pas des
diables de faire de la peine à de bonnes citoyennes qui
servent si bien les républicains . » Depuis ce temps ,
M. Guille put demeurer à l'abri de toute perquisition
près de ses deux sœurs . Du reste , ce moyen était géné-
ralement employé , et j'ai entendu dire à Mme Vast,
dont les trois oncles , MM . Denissel , avaient émigré ,
qu'on avait bu chez elle 28 tonnes de bière , sans qu'un
seul honnête homme en goûtât un verre . Mais ce qui
facilita singulièrement l'exercice du saint ministère fut
le dévouement de quelques personnes pieuses de la
paroisse . La famille Hanon se consacra toute entière à
la pénible et périlleuse mission de conduire les prêtres
et d'amener les paroissiens dans les maisons où se
trouvaient les ecclésiastiques . Elle était animée à cette
œuvre de miséricorde par les exemples et les exhorta-
tions de son digne chef François Hanon . Ne craignez
rien, mes enfants , leur disait-il , il ne vous arrivera
aucun mal, car Dieu vous garde . A toute heure de la
nuit comme pendant le jour , ils veillaient pour rece-
voir les prêtres qui y cherchaient un asile , pour les
conduire au lit des mourants et surveiller les projets
de ceux qui recherchaient les ministres cachés . Se
servant de la position même de leur maison , qui ouvrait
à la fois sur le Vieux Marché et la campagne et pos-
sédait une ruelle aujourd'hui ouverte au public , mais
alors leur propriété particulière , ils avaient plus de
liberté pour leur sainte mission . Combien de prêtres se
cachèrent dans la ruelle pendant qu'on fouillait la mai-
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 475

son ; combien d'autres se précipitèrent dans les champs


pendant qu'on signalait l'arrivée des sans -culottes . Ce
furent les deux demoiselles Hanon qui , à une heure le
matin , prévinrent le Père Maxime , couché au Rieux ,
dans la maison de Lecocq, lorsque le gendarme Barre ,
ardent patriote , était à sa poursuite avec des indica-
tions trop précises . L'aînée d'elles , dans une autre
circonstance , près du pont de Lillers , en face de la
Garde de Dieu , se vit brusquement arrêtée par une
femme qui voulait lui arracher son panier , dans lequel
elle avait renfermé les ornements sacerdotaux pour un
prêtre qui allait dire la messe . Elle résista bravement
et ses efforts la débarrassèrent de ce mauvais pas ,
dans lequel on n'avait voulu , peut-être , que lui inspi-
rer de la crainte . Plusieurs fois , les membres de cette
famille si précieuse furent traduits à la ville , mais leur
fermeté inébranlable et le bon vouloir des premiers
administrateurs les firent toujours échapper au dan-
ger .
<< Dieu , du reste , qui seconde toujours ceux qui le
servent, leur avait ouvert le cœur de la femme d'un
des gendarmes . Par elle , ils étaient généralement pré-
venus des perquisitions qui devaient avoir lieu et par
là même, ils pouvaient plus facilement en neutraliser
les fâcheux résultats . Le brigadier lui-même les aidait
autant que sa position le lui permettait. Leur mission
n'en était pas moins pénible toutefois . Voulant un jour
faire bénir l'union d'un nommé Barre et redoutant
l'indiscrétion de la future épouse , ils la conduisirent
la nuit par le Rieux , Cantrainne et la Flandrie, avant
d'arriver au Pire , hameau distant seulement de 1 kilo-
mètre de sa maison . Là, un prêtre , que l'on croit être
M. Pruvost, de Saint-Venant , leur donna la bénédic-
tion nuptiale . Le retour s'effectua dans les mêmes
conditions que l'arrivée et le secret fut gardé .
Un digne émule de cette sainte famille fut Louis
Dubout, qui ne déploya pas un zèle moins ardent.
476 LE CULTE CACHE

Dénoncé, poursuivi , menacé de mort, il n'abandonna


pas sa mission sainte , et resta jusqu'à la fin le protec-
teur des prètres cachés .

$ 3. - M. Lagniez.

Origine de M. Lagniez.- Ses Mémoires et Notes pour servir à l'histoire


de la persécution d'Estaires.- Sa Préface . Son portrait. -- Ses
épreuves. - Ses voyages . - Il établit l'Adoration perpétuelle du
Saint-Sacrement. - Son retour.

Dans la partie extrême du diocèse de Saint-Omer et


sur les frontières du Nord , à Doulieu , à Neuf- Berquin ,
à La Gorgue et surtout à Estaires , dans le doyenné de
Merville à peu près tout entier , nous avons à signaler
maintenant les travaux d'un infatigable missionnaire
dont les Mémoires fournissent sur l'époque qui nous
occupe les plus utiles détails : nous voulons parler de
l'abbé Floride - Raphaël-Joseph Lagniez , plus connu
sous le nom de vicaire d'Estaires .
C'est là, en effet , que ce prêtre , originaire de Robecq
et plus tard curé de Vendin-lez - Béthune , était em-
ployé aux travaux du saint ministère, quand arriva la
Révolution .
A peine sur la terre étrangère , il eut la bonne pensée
d'écrire un Journal des évènements dont il était le
témoin et l'acteur . Deux vicaires généraux de Saint-
Omer , MM. de Bertrandi et de Fabry , qu'il rencontra
à Ypres, applaudirent à son dessein , et , en dépit des
dangers , des voyages et des travaux de toute sorte , qui
remplirent sa vie d'exilé ou de ministre du culte
caché , il persévéra dans cette tâche jusqu'à la fin de
1802. Plus tard , en 1818 , l'abbé Lagniez refondit ses
notes , comme il dit, et rédigea ce qu'il appelle ses
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 477

Mémoires et Notes pour servir à l'histoire de la persé


cution d'Estaires (1) .
Nos lecteurs se feront une idée de la simple et mo-
deste façon de penser et d'écrire de l'abbé Lagniez , par
les lignes suivantes , qui terminent sa courte préface :
« Comme ces Mémoires n'ont été écrits que pour con-
server le souvenir de ce qui s'est passé dans ces temps
orageux , pour servir la religion et la vérité , je prie
ceux qui les liront, s'ils trouvent des inexactitudes ,
des faits racontés avec trop peu de soin ou de vérité ,
de redresser mes erreurs ..... mais je les prie de ne
pas m'en vouloir . J'ai voulu faire le bien , je prie ceux
qui ont plus de talent de faire le mieux . Je prie ceux
qui me sauront gré de ce manuscrit de se souvenir de
moi dans leurs prières , bonnes œuvres , et surtout au
saint sacrifice de la messe. »
Fixé à Neuve - Église , à trois lieues de la frontière
française , dès le mois de janvier 1793 , il put encore ,
aux mois de février et mars de la même année , des-
cendre vers Estaires avec MM . Robin , Dessaux et
François , pour administrer les sacrements , mais il fut
bientôt obligé de s'éloigner jusqu'en Allemagne . C'est
seulement au commencement de juillet 1795 qu'il en
revint et qu'il rentra à Neuve -Église .
On apprend à connaître l'état matériel et moral de
nos pauvres exilés par le portrait qu'il fait de lui-même
à l'époque de son retour .
« J'étais très maigre et presque noir. Je ne mangeais
plus tout mon saoul le matin et le soir , depuis près d'un
an.Je n'avais presque pas dormi de tout l'été , tant notre
lit était rempli d'insectes ..... Le Seigneur l'avait per-
mis , pour me donner l'occasion de confesser son nom ,
pour expier mes fautes passées . Je l'adorai toujours et

(1) Nous avons reçu communication de ce précieux manuscrit, qui


compte 381 pages, deux tables et un catalogue, de l'infatigable obli-
geance de M. le chanoine Proyart, vicaire général d'Arras.
478 LE CULTE CACHÉ

je fus assez fort pour ne pas me livrer au murmure et


à l'impatience . »
>
A partir de ce moment , de Neuve-Église , où il se
fixa chez Carolus Malbezin , maître cordonnier , rue
d'Ypres , l'abbé Lagniez ne tarda pas à recevoir un
grand nombre de visiteurs et à administrer les sacre-
ments ; bientôt il vint à Estaires en cachette et dans
les paroisses voisines.
Il fut même officiellement nommé desservant d'Es-
taires et de La Gorgue , et fut , à diverses reprises , l'inter-
médiaire des missionnaires du diocèse de Saint- Omer
avec leurs vicaires généraux qui n'avaient pas encore
passé la frontière , et le fournisseur accoutumé des
livres de prière et des catéchismes .
Au mois d'octobre 1795 , comme il n'était pas encore
venu voir sa sœur à Gonneḥem et qu'il en mourait
d'envie , il s'y hasarda et y arriva le 27 octobre . Sa
première impression de prêtre catholique est de cons-
tater les progrès que fait le retour à la foi . Chocques
lui paraît revenu du schisme , et le mégissier François
Maton s'est rétracté publiquement , par les soins du
Père Hyacinthe , appelé le Grand Citoyen . Gonnehem
est presque entièrement catholique , surtout les rues de
Belle -Rive et Lannoy ; Bunette revient tout doucement ;
le P. Augustin Caron a beaucoup de besogne , surtout
à Bunette et à Hinges , etc.
Nous n'avons pas à suivre plus longtemps M. Lagniez
sur le théâtre accoutumé où s'exerçait son zèle , puis-
qu'il est situé dans un autre diocèse que le nôtre , nous
voulons constater seulement que les conversions y
étaient nombreuses , les amis sûrs et les prêtres fort
zélés . Steenwerck, Merville, La Gorgue ne l'occupaient
cependant pas au point de lui faire abandonner com-
plètement la région artésienne à laquelle l'attachait
son origine.
Il donna notamment asile , dans son refuge de Neuve-
Église , à un missionnaire de La Ventie , M. Robin,
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 479

chassé par le constitutionnel Dujardin , et qui , après


avoir été pris à Ypres , faillit être guillotiné à Douai . Il
reçut également, au mois de mai 1796 , M. Rollet, vicaire
général de Saint-Omer.
En juin 1796 , l'abbé Lagniez vint faire une deuxième
visite à Gonnehem et donna même ce qu'il appelle une
séance, près de Bunette , chez Joseph Dufour , au Hamel .
Malgré une certaine tolérance croissante , le vicaire
d'Estaires faillit être pris entre La Ventie et La Gor-
gue , en 1797 , au mois de mars , à la place du vicaire
Bétancourt dénoncé , dit- on , par un célèbre révolution-
naire appelé Marquilly.
Cinquante hommes parurent à la porte de Pierre-
François Délerue , chez lequel il était réfugié . Il n'eut
que le temps de s'habiller, de prendre le Saint- Sacre-
ment et de s'enfuir , le long d'un courant et par une
planche .
Un peu plus tard , en mai 1797 , on apprit dans le
diocèse de Saint-Omer , dit toujours M. Lagniez , « que
l'archevêque de Cambrai , en sa qualité de métropo-
litain , avait écrit à Rome et avait fait nommer vicaires
apostoliques les personnes de M. Dodin , curé de Robecq ,
de M. Vondorme , curé de Morbecque , et de M. Sockeel ,
curé de Sainte - Marguerite à Saint-Omer . Leurs nomi-
nations dataient du 4 avril 1797. »
C'est alors seulement , le prêtre caché le signale à
diverses reprises et avec une évidente satisfaction , que
les missionnaires purent commencer à circuler en plein
jour, mais les jacobins s'en inquiétèrent . Primat vint
conférer avec eux à Estaires , et gendarmes et gardes-
champêtres reçurent des ordres sévères . En août, les
prêtres réfractaires durent repasser la frontière et
s'exiler de nouveau .
On sait ce que fut la journée du 18 fructidor : elle
eut dans le cœur des exilés un retentissement doulou-
reux et fit exulter les jacobins . Les prêtres catholiques
furent recherchés de nouveau .
480 LE CULTE CACHÉ

Il fallut se dissimuler avec plus de soin que jamais ,


mais M. Lagniez n'en resta pas moins en France , tantôt
sur La Gorgue , tantôt sur Lestrem, chez les fermiers
des Hautes -Loges , tantôt chez les Martin , occupant ses
loisirs à composer des satires ou des cantiques .
C'est pourtant à cette époque de persécution plus
violente, vers le 8 février 1798 , que M. Lagniez éta-
blit une pratique étonnante même pour un temps de
liberté : l'Adoration du Saint Sacrement perpétuelle,
ou, pour mieux dire, continuée .
- « J'en réglai , dit-il , les statuts. Il y avait sur Es-
taires , et pour un dixième sur La Gorgue, un nombre
d'adorateurs jour et nuit fixé à seize individus à chaque
heure . Les personnes plus communes étaient distri-
buées depuis cinq heures du matin jusqu'à dix heures
du soir les autres plus ferventes et plus libres ado-
raient pendant la nuit. L'accueil de cette bonne œuvre ,
l'empressement à la faire , le grand nombre de fidèles
qui désira d'y être enrôlé , tenaient du prodige . On remar-
qua que depuis ce temps les impies et les schisma-
tiques furent de plus en plus entravés dans les ma-
nœuvres qu'ils employaient pour nous nuire . Elle fut
continuée durant plusieurs années et durait encore en
1801. » Non seulement cette excellente institution re-
cruta ses associés à Estaires et à La Gorgue , mais elle
s'étendit depuis Neuve- Église jusqu'à Béthune , et
M. Lagniez composa des cantiques spéciaux pour les
adorateurs .
Les années suivantes se passèrent pour M. Lagniez
au milieu des alternatives de crainte et d'espoir qui
avaient déjà marqué sa vie laborieuse . L'arrestation
de M. Delebecque à Neuve- Chapelle , le jour de la
Pentecôte 1798 , et son emprisonnement à Saint- Omer ,
la recherche active que l'on faisait à Sailly et aux envi-
rons pour trouver son frère , ancien religieux d'Hénin-
Liétard, inquiétaient justement le prêtre caché à
Estaires , et il se réfugiait à Neuve -Eglise . Il en reve-
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT - OMER 481

nait un peu plus tard , pour s'y réfugier de nouveau


au mois de juillet 1799 et encore au mois d'août 1800 ,
jusqu'à ce qu'il pût rentrer enfin pour toujours, en 1801 .

§ 4. - Aire, Racquinghem et Roquetoire.

Les prêtres de la ville d'Aire et leurs protecteurs. - Le trésor. - Les


pourchasseurs des prêtres à Racquinghem. -— Leur châtiment . --
Le curé constitutionnel. - Les missionnaires. Les cachettes .
M. Varlet.- Wardrecques, Clarques.— Ruine de l'abbaye de Saint-
Augustin.

La ville et la région d'Aire , malgré les ravages de


la Terreur qui firent , dans la ville seulement , vingt-
neuf victimes , eurent , comme toutes les autres con-
trées du diocèse de Saint- Omer , leurs prêtres cachés .
On compte à Aire MM . Rollin , vice-curé de Notre-
Dame , Lay, Louchard et de Fahy, curé de Saint-
Pierre , et l'ex-jésuite Wambergue , prêtre habitué , qui
pourvurent aux besoins des âmes . A partir de 1796 ,
M. Rivière , M. Cayeux , l'ancien vicaire d'Œuf, M. Che-
valier , et l'ancien vicaire de Saint- Pierre , M. Duval ,
vinrent se joindre à eux . En 1798, on signale encore
le Père Théodore Février , récollet.
Enfin, dans la ville comme dans la banlieue , paru-
rent le missionnaire Paris , le chanoine Lebrun , le
récollet Deretz , M. Hacot et le Père Hyacinthe Fro-
ment. On disait plus spécialement la messe chez
Mlle Mengé , dans la rue à la Vignette ; chez Mlle Lay,
sur la Grand' Place ; chez M. Vanhoucke , rue de
Saint- Omer ; chez M. Dubled , rue des Cuisiniers ;
chez Mme Macaire , rue d'Arras ; chez M. Mille , chez
Mlle Deslyond , chez Mlle Rose , etc.
Dans le sac des reliques et des statues dont Aire fut
victime comme les autres villes , un garçon boulanger ,
nommé Cadart- Salon , acheta , comme bois à brûler , la
statue de Notre- Dame Pannetière , qu'il restitua plus
31
482 LE CULTE CACHÉ

tard , et le menuisier Constant Lefebvre acheta pour


75 fr. l'autel en acajou inassif de la chapelle du Saint-
Sacrement, qu'il restitua également .
Quant à l'antique trésor du Chapitre , si riche en reli-
ques, d'après la tradition , que tous ses membres por-
taient chacun la sienne à la procession de la dédicace ,
et dont nous avons parlé ailleurs , il fut dispersé et l'on
a pu difficilement en recouvrer quelques débris .
Wittes et Cohem , qui avaient eu pour curés MM .
Surelle et Bucaille , une fois tombés sous l'administra-
tion du vicaire Clément , qui avait prêté le serment ,
furent surtout protégés contre le schisme par M. Bu-
caille, qui , dit-on, n'émigra pas . Il eut une vie très
accidentée et sut faire des premières communions
solennelles , en 1794, dans la ferme Picavet . On vit
passer avec lui dans ces paroisses MM. Varlet , Pru-
vost, vicaire d'Hesdin ; Duflos , missionnaire ; Boidart,
Oudart et Desmarquoy .
Mais c'est Racquinghem qui , grâce à sa position
avantageuse et à la générosité de ses habitants , fut le
centre religieux de la région .
Nous empruntons aux recherches consciencieuses
et à la plume originale du curé de cette paroisse le
tableau intéressant des événements qui s'y sont passés
durant cette période .
Voici d'abord le portrait « de trois individus sortis
de la lie du peuple et qui , de prime abord , s'étaient
faits pourchasseurs de nobles et de prêtres , et pour-
voyeurs de la guillotine . Ces trois individus étaient
Jacquet Warin, joueur de violon , puis garde - cham-
pêtre ; François Mouton , domestique de ferme , et
Pierre Mercier , cabaretier. Warin paraît avoir été le
chef de ce trio diabolique , et comme , faute sans doute
de payer son loyer , il était souvent obligé de loger à
la belle étoile , ou d'avoir recours à la grange hospita-
lière , il vint sans façon s'installer dans la maison vi-
cariale , quand le vicaire l'eut quittée , comme nous le
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 483

dirons tout à l'heure ; s'y trouvant à son aise , il s'en


regarda comme le maître , sans penser, fort heureuse-
ment, à le devenir comme on le devenait si facile-
ment alors , et grâce à ce providentiel oubli , il con-
serva, sans le vouloir , cette propriété communale ,
qui , rebâtie en 1836 , devint le presbytère actuel . Une
fois installé , le sieur Warin se fit allouer le traite-
ment de maître d'école , qu'il cumulait sans scrupule
avec ses honoraires de garde - champêtre et ses fonc-
tions de joueur de violon se trouvant le plus près
voisin de la ci - devant église , il la regarda comme son
magasin , où il allait chercher , au fur et à mesure pour
entretenir son foyer, tout ce qui était à sa convenance ;
c'est ainsi qu'il la dépouilla d'une grande partie de ses
meubles et qu'il brûla , les unes après les autres , toutes
les statues des saints , qu'il fendait préalablement à
coups de coignée . Avec quels propos et quels blas-
phêmes ? Il est déjà trop affreux d'y songer sans es-
sayer de le redire.
« On raconte qu'après avoir ainsi mutilé la statue
principale de la Sainte Vierge , (qui avait été faite vers
l'an 1765 par un artiste de Saint- Omer , et qui , au dire
de maître Jean - François Tulliet , curé de l'endroit ,
était pour le temps très bien sculptéc) , il la jeta au feu ,
en proférant les plus diaboliques propos ; mais à la
première action du feu sur le bois , il s'en détacha un
éclat allumé , qui vint frapper à la bouche ce sacrilège
iconoclaste , et lui fit une brûlure dont il ne se guérit
jamais . Ce fait, de l'étincelle et de la blessure à la
bouche , n'est appuyé que sur des rapports isolés ;
mais des témoins oculaires et tout à fait dignes de foi
m'ont dit et attesté que les mâchoires de l'individu se
sont peu à peu engourdies , et finirent par se serrer
tellement l'une contre l'autre , qu'il devint impossible
de les écarter , tant soit peu , même à l'aide d'un ins-
trument de fer , en sorte qu'après d'horribles souf-
frances , il est mort de faim. Le curé de la paroisse le
484 LE CULTE CACHÉ

visita souvent dans ses derniers moments , mais per-


sonne ne m'a pu dire s'il s'était repenti et je n'ai pas
trouvé sur le registre l'acte de sa sépulture .
« Mercier, charpentier et cabaretier , acheta à vil
prix une partie des biens de la cure , fit bombance tant
qu'il en eut un peu , mais , ayant mal calculé , il retomba
dans la misère avant sa mort , qui fut occasionnée par
une chute du haut d'un toit ; il ne reste de toute sa
famille, assez nombreuse , qu'une fille presque idiote ,
qui , après avoir été déshonorée , vit dans la plus rebu-
tante misère , quelque aumône qu'on puisse lui faire et
quelque soin qu'en prenne la charité ; elle paraît ne
croire à rien de la religion , elle ne veut pas entendre
parler de confession , elle suit quelquefois le monde à
l'église , mais on ne la voit jamais prier ; enfin c'est le
stigmate flétri de son misérable père .
« Quant à Mouton , ayant quitté son maître et le tra-
vail , il vivait du prix de ses dénonciations , ce qui lui
rapportait plus ou moins , selon que sur ses indices les
captures étaient plus nombreuses ou plus importantes .
Aussi se montrait-il très friand de ce qu'il appelait , en
terme de chasseur , le gibier noir, ce qui le faisait fure-
ter tous les coins et recoins du village , et écouter à
toutes les portes , pour en découvrir le gîte . Toutefois ,
il n'eut pas toujours lieu de s'applaudir de l'avoir ren-
contré. M. Varlet , dont nous dirons plus bas le zèle
et les dangers, qui , natif de Racquinghem , connaissait
bien Mouton et en était bien connu , fut un jour averti
de se tenir sur ses gardes , parce que le sieur Mouton ,
auquel il avait donné peu de jours auparavant un pan-
talon et un chapeau , avait juré, (sans doute pour té-
moigner sa reconnaissance à son bienfaiteur) , de lui
procurer d'abord un logement dans les prisons , puis
la fin de ses dangers par la guillotine , et qu'à cette
fin , il rôdait autour de sa cachette . Une nuit que
M. Varlet finissait la sainte messe dans une chambre
secrète de la ferme dite de la Cressonnière , on crie :
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 485

Les gendarmes ! Se travestir , et traverser, avec de l'eau


au-dessus de sa ceinture , le fossé qui environne ladite
ferme, fut pour notre confesseur de la foi le moindre.
de l'affaire , tant il en avait l'habitude ; il se croyait
déjà hors de danger , quand il se rencontre face à face
dans un étroit passage , avec le sieur Mouton , armé d'un
fusil. M. Varlet, conservant son sang-froid , s'élance ,
d'un bond, sur lui ; de la main gauche , le saisit au
collet, et manœuvrant , d'un vigoureux poignet, quod
vulgo nominatur, une grosse trique , il parla si bien ,
argumenta si juste , effraya si fort, qu'il inspira à son
particulier , sinon la contrition parfaite du passé , du
moins le bon propos pour l'avenir , car , de ce moment,
il ne chercha plus à le prendre . Il passait bien près
de lui en grognant , mais il n'osait plus mordre et
mourut comme il avait vécu , pauvre et méprisé . A ne
considérer qu'eux , leur mémoire , sans doute , devrait
disparaître avec eux , periit memoria eorum cum sonitu .
Mais , pour l'instruction de ceux qui seraient tentés de
les imiter, il est bon de redire un peu ce qu'ils furent
et ce qu'ils devinrent , et il ne faut rien moins non plus
que ce motif pour trouver le courage de le faire .
<< A part cette minime exception, la généralité des
habitants de l'endroit et surtout ses notables , étant
sinon de fervents chrétiens , du moins d'honnêtes gens ,
et bien unis entre eux , ses persécutés pouvaient en-
core, sans trop de dangers , se soustraire aux investi-
gations des séïdes de la Révolution , et remplir, même
dans les plus mauvais jours , les uns leurs devoirs reli-
gieux, les autres le ministère pastoral . »
Suit le portrait du curé constitutionnel : « Un sieur
Clément Marc - Louis-Adrien se trouvait à cette époque
vicaire à Wittes . Il fit le serment et fut envoyé comme
curé à Racquinghem tout en restant curé de Wittes ,
et , environ douze jours après , un sieur Morel , curé
constitutionnel de Wardrecques , ayant cru prudent
pour sa vie, dont il paraît avoir été conservateur , de
486 LE CULTE CACHÉ

n'y séjourner que trois jours , on annexa , comme on dit


par le temps qui court, ce bénéfice pastoral à celui du
susdit Clément qui , dès lors , s'intitula curé de Rac-
quinghem, Wittes , Campagne et Wardrecques , et il
s'en tint là ; on ne voit pas qu'il ait cherché à faire
acte de pasteur hors de sa résidence , où même il ne
se faisait remarquer que par un extérieur misérable
ct humilié ; on ne dit pas qu'il ait jamais cherché à
nuire aux prêtres fidèles , ni à entraver leur ministère ,
ou même qu'il ait jamais prêché ni pour ni contre la
religion , il se contentait de faire l'école ; on dit même
qu'il la tenait bien et sa récréation était de voir les
hirondelles faire leur nid aux gîtes de son logis . Nous
ne trouvons de lui que deux actes de mariage , quelques
actes de baptême , aucun de sépulture . Sa première
signature comme curé de Racquinghem est du 26 jan-
vier 1792 et la dernière du 28 décembre , même année .
De là à 1802 , il signe officier public de Racquinghem .
Installé dans le presbytère que M. Ducatel avait été
forcé d'abandonner , il en fit l'acquisition à la mode du
jour, et plus tard , quittant sa paroisse , il le revendit
à la famille Butin Jacques , moyennant 150 fr. de rente
viagère , et tous les ans , à l'époque de la ducasse , il
venait lui -même percevoir sa rente . Il logeait chez le
sieur Butin , cabaretier ; on appelait pour diner avec
lui tout ce qui restait de vrais patriotes dans le pays
et aux environs , et deux jours après , ayant donné un
écu au sieur Warin , et un paquet de sucre au fils
dudit Butin , maintenant âgé de 73 ans , de qui je tiens
ces détails , il reprenait le chemin de son village . »
Passant de là à l'histoire du culte caché à Rac-
quinghem , le curé continue : « Quoique la paroisse
fût, depuis le 15 février 1792 jusqu'au 15 juillet 1802 ,
privée de la présence du titulaire légitime , elle ne fut
jamais cependant sans prêtre fidèle pour lui adminis-
trer les sacrements nécessaires au salut , offrir le
saint sacrifice , instruire , fortifier plutôt par l'exemple
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 487

de la fidélité et du courage que par des discours étu-


diés . Outre ceux , qui , pourchassés d'ailleurs , y arrivaient
pour de là passer à l'étranger, il en était plusieurs
qui , fixés aux environs , le parcoururent périodique-
ment et le visitaient de temps en temps , entre autres
maître Duflos , au moment de la Révolution vicaire à
Estrée- Blanche ; M. Paris , missionnaire ; M. Podevin ,
de Saint- Omer, ex -religieux de Saint- Bertin ; le père
Hyacinthe , le père Grégoire , le père Albéric , récollet ,
et d'autres religieux ; mais ceux qui ont pris de cette
paroisse un soin tout particulier , si nous en jugeons
par le nombre relativement plus considérable d'actes
religieux qu'ils ont signés , sont MM . Laurent , Augus-
tin Degrave , religieux dominicain qui circulait autour
du pays , dans un rayon de plusieurs lieues et avait
son pied-à -terre chez Paternelle , à Wardrecques , et
M. J.-B. Varlet , dont nous avons cité un trait. Né à
Racquinghem, le 1er mai 1762 , ordonné prêtre par
M. de Conzié , évêque d'Arras , en 1788 , il exerça les
fonctions de professeur à Hesdin jusqu'au 12 septembre
1792 , époque où le refus de serment le força à émigrer.
Rentré furtivement en France le 23 décembre même
année , muni de pouvoirs pour les diocèses de St-Omer
et de Boulogne , alors caché à Hesdin , il exerçait secrè-
tement le saint ministère jusqu'au dimanche de Qua-
simodo 1793. Forcé de nouveau de quitter la France ,
il habita successivement la Belgique , l'Allemagne et
rentra en France au mois de juin 1795 et se livra avec
un courage apostolique aux saintes et périlleuses
fonctions du saint ministère dans les communes de
Racquinghem et de Wardrecques , où il chanta dans
l'église la messe de minuit , le 25 décembre 1795 , jus-
qu'en 1802. Originaire de l'endroit , il en connaissait les
coutumes et les recoins ; d'une famille honorable de
cultivateurs et par elle allié aux plus notables , généra-
lement estimé de tous , il exerçait lui-même , sans trop
de danger, et devenait en même temps un heureux
488 LE CULTE CACHÉ

auxiliaire pour ses confrères . Il avait choisi pour pied-


à-terre la maison d'un de ses beaux -frères , le nommé
Adrien Dérèque , cabaretier , qui passait dans le vil-
lage , et non sans quelque raison , pour patriote ; c'était
chez lui de préférence qu'il donnait rendez -vous à ses
confrères , et il est arrivé bien des fois que , pendant
qu'ils étaient réunis trois ou quatre dans une chambre
haute , des gendarmes s'informaient en bas des moyens
de les prendre . Il avait à Racquinghem trois cachettes
principales une chez André Toursel , propriétaire de
la ferme dite de la Cressonnière , environnée d'un
large vivier et située au centre du village ; cette ca-
chette , pratiquée entre la cheminée et le mur d'un
pignon et adroitement dissimulée par une boiserie ,
existe encore . Une autre chez Omer Belval , au ha-
meau de la Pierre , du côté de Roquetoire ; une troi-
sième chez Bauval , près du canal de Saint- Omer à
Aire et sur la limite qui sépare le Nord du Pas -de-
Calais . Découvert d'un côté , il fuyait vers un autre .
· Deux ou trois fidèles initiés faisaient l'office d'éclai-
reurs et de catéchistes , ils s'informaient des nais-
sances , des malades et généralement de tout ce qui
avait rapport au saint ministère ; en rendaient compte
à M. Varlet, qui fixait l'heure de l'entrevue . L'initié
avertissait les ayant- besoin et quelques autres par des
signes et des locutions convenus, et auxquels les non
initiés ne pouvaient rien comprendre ; puis , à l'heure
marquée , presque toujours au plus profond de la nuit
et de préférence par un temps de pluie ou de vent,
le prêtre , déguisé et muni de l'indispensable au minis-
tère qu'il avait à remplir , venait dans une pauvre
chambrette , en présence de quelques assistants dont la
ferveur suppléait au nombre , quelquefois même à
l'insu de plusieurs habitants de la maison et toujours
loin du regard de l'enfant , dont on se défiait avec le
plus grand soin , protégé au dehors par une ou deux
sentinelles perdues dans l'ombre , là il offrait le saint
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT - OMER 489

sacrifice , entendait les confessions , baptisait un nou-


veau-né ou bénissait un mariage , ou admettait à la
première communion un adolescent instruit en secret
de l'indispensable par quelque âme charitable . Puis le
tout étant terminé ( quand rien ne venait pas le mettre
en fuite , auparavant) on faisait tout disparaître avant
l'aurore , ne laissant aucune trace de ce qui s'était
passé , on emportait comme un pieux larcin le bienfait
reçu et on allait remercier , dans le secret , le Dieu
qu'on ne pouvait plus servir qu'à la dérobée . Redire
le péril qu'il courait dans l'exercice d'un tel ministère ,
c'est pour nous chose impossible , mais nous sommes
sûrs de ne pas exagérer en disant qu'on ne l'exerçait
alors qu'au péril de sa vie . A quels moyens ne fallut-
il pas avoir recours ? Quelle pieuse industrie n'em-
ploya-t- on pas ? On aurait peine à le croire , si on ne
l'avait maintes fois entendu raconter par eux-mêmes ,
et si on n'était forcé de reconnaître que plusieurs fois
le bon Dieu leur inspirait des idées que jamais ils
n'auraient eues d'ailleurs . Ainsi , pour en citer un fait
entre autres , un jour , après une nuit pluvieuse , tout
entière employée à exercer son ministère en différents
endroits , M. Varlet était , vers les huit heures du matin ,
assis près du feu dans une ferme de Blaringhem en
attendant le déjeuner qu'on lui préparait . Tout à coup
des gendarmes , dont rien n'avait signalé la venue ,
entrent dans la place où il se trouve ; se sauver , c'est
se faire prendre ; demeurer , c'est s'exposer à être
visité et reconnu . Que faire ? Dieu y avait pourvu par
une inspiration qui ne pouvait venir que de lui . La
maîtresse du logis va de l'air le plus empressé et le
plus aimable à la rencontre de ces gendarmes et leur
présentant des sièges , elle les invite à s'approcher du
foyer qu'elle fait abondamment garnir . Puis , se retour-
nant comme indignée du côté de M. Varlet , lui donne
un soufflet, en lui disant : Va donc travailler , fainéant ,
et fais place à ces messieurs ; il ne demandait pas
490 LE CULTE CACHÉ

mieux, comme on le pense bien ; aussi , sans se faire.


répéter l'ordre , il se retira , en apparence un peu con-
fus , mais intérieurement plein de reconnaissance pour
le bon Dieu et sans rancune à celle qui , par cet im-
promptu , venait de lui sauver la vie . »
La paroisse de Wardrecques , voisine de celle de
Racquinghem, fut , comme celle - ci , remarquable par le
zèle de ses missionnaires et la fidélité de sa population .
Le charpentier Paternelle sauva l'église de la destruc-
tion en en faisant un dépôt de bois . M. Paris , l'inſati-
gable apôtre que nous avons déjà tant de fois nommé,
y parut souvent, même aux plus mauvais jours , et y
célébra les offices avec le chantre Réant, dont la
magnifique voix de basse taille est encore renommée .
Le principal lieu de réunion était la ferme Bouy , de
la Bruyère de Baudringhem, que favorisait sa situa-
tion écartée et où les chambres et les cours débor-
daient de fidèles .
On eut beau multiplier les informations , les des-
centes de justice et les interrogatoires , jamais un
prêtre réfractaire ne fut dénoncé , ni M. Degrave , ni
M. Varlet, ni surtout M. Paris .
Leurs guides dévoués étaient Montagne , Déprey et
Lefebvre . Deux femmes se distinguèrent également
par leur visible énergie ; c'étaient Eugénie Bouy ct
Agnès Scat, la fermière de la Belle - Croix .
L'ancienne ville de Thérouanne , devenue , on le
sait , un humble village , perdit son église qui fut
incendiée . Ses bons habitants recevaient des secours
religieux de M. Francome , de Delettes , et de M. Paris ,
d'Herbelles . M. Longuet, qui était habituellement à
Thérouanne , couchait dans une cave pratiquée au
milieu d'une grange .

Clarques suivit , à cette époque comme autrefois ,


les vicissitudes de Thérouanne . Une église , un châ
teau, deux monastères à piller , c'était une bonne
aubaine pour les révolutionnaires de l'endroit. Aussi
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 491

fut- ce une orgie continuelle . On y fit des feux de joie


avec les débris amoncelés par le pillage ; deux voi-
tures conduisirent un certain nombre de livres à Saint-
Omer . Les secours religieux ne manquèrent pas cepen-
dant , grâce à M. Longuet , de Thérouanne , et à
M. Bucaille .
Le curé de Clarques ajoute à sa narration les
réflexions suivantes qui nous paraissent devoir être
mentionnées et qui ont trait à l'abbaye de Saint-Augus-
tin .
<< Cette abbaye , achetée révolutionnairement par les
frères Brunet qui n'habitent plus ce pays , fut démolie
avec l'église en 1810 ; le choeur fut abattu le premier ,
dans les nefs l'on faisait du genièvre , jusqu'à ce que
l'acquéreur fit banqueroute , ce qui s'est renouvelé plu-
sicurs fois depuis le premier acte qui sécularisa cette
propriété ecclésiastique .
<< Et maintenant, en visitant cette vallée si riche ,
arrosée par la Lys , l'esprit est attristé . en comparant
ce qui fut autrefois à ce qui existe aujourd'hui . Alors
une ferme considérable , que faisaient valoir les reli-
gieux , occupait les ouvriers du pays et animait cette
solitude . Les louanges de Dieu retentissaient et le
jour et la nuit, et aujourd'hui règne un silence morne
qui annonce la ruine et la destruction .
« L'enclos des murailles et des jardins des moines et
de l'abbé, existe encore dans toute son étendue , mais
n'est plus entretenu . Les arbres qu'ils ont greffés et
taillés de leurs mains , donnent encore leurs fruits , ils
semblent attendre et appeler le retour de leurs maî-
tres ;

« Ipsæ te... pinus,


<< Ipsi te fontes, ipsa hæc arbusta vocabant.

« Ils les avaient plantés avec tant de soin , cultivés


avec tant d'amour ;
<< Impius hæc tam culta novalia miles habebit ?
<< Barbarus has segetes.
492 LE CULTE CACHÉ

<« Le poète latin , à la vue de ruines moins grandes ,


avait raison d'ajouter :
« En quo discordia cives
« Perduxit miseros , en queis consevimus agros ! »

$ 5. - La banlieue et la ville de Saint- Omer.

Le culte caché dans le doyenné de Longuenesse. Dans la paroisse


du Saint- Sépulcre . - Église du Saint - Sépulcre. - Vicissitudes
de la cathédrale . - Les fêtes patriotiques - Elle devient temple
de la loi. - Les fêtes décadaires . Les prêtres cachés à Notre-
Dame. → Hesdin et son enclave.

En nous rapprochant de Saint- Omer, par l'ancien


doyenné d'Helfaut dont Thérouanne et Clarques fai-
saient déjà partie , nous n'avons à constater que la
présence à Hallines de M. Béausse qui disait la messe
dans la ferme de Mme de Gomer.
Dans l'ancien doyenné de Longuenesse , Houlle nous
rappelle les noms du constitutionnel Lefort et de deux
bons paroissiens , Jacques Decocq et Joseph Hielle qui
rachetèrent l'église ; Houlle vit M. Huguet , ancien
bénéficier de Notre- Dame de Quercamp, le Père Bar-
nabé et M. Joanne qui célébraient les saints mystères
chez Mme Viden et M. Gogibus ; Moringhem reçut
MM . Logez , Dusautoir , Hochart et Rollet . On y disait
la messe dans tous les hameaux , chez Augustin Decroix ,
chez Lecq, chez Fichaux , chez Norbert Desgardins et
chez Jean-Louis Denis . A Tilques , on se réunissait
dans les maisons Guibert , Haverlois , Clays et Stopin ,
et pour les sacrements on s'adressait à M. Soinne ,
d'Helfaut, à M. Hochart , à M. Delattre , à M. Marquant
et à M. Caramel . Serques cite les mêmes noms, en y
ajoutant M. Paris , et parmi les hôtes des prêtres , Jac-
ques-Denis Misbarre , Catherine Cartier et Joseph
Delattre . Enfin à Saint-Martin-au-Laërt, parurent le
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 493

P. Lambert, le P. Benoît , le P. Grégoire et M. Rollet.


C'est M. Lespillez qui leur ouvrait d'ordinaire sa mai-
son.
La ville de Saint-Omer elle- même , aussi bien gar-
dée qu'elle fût par ses terroristes et même par ses
constitutionnels , n'échappa point aux saintes entre-
prises du clergé réfractaire . Par sa situation , le dédale
de ses rues et la fidélité de ses habitants , la paroisse
du Saint- Sépulcre fut le théâtre habituel des cérémo-
nies du Culte caché .
On a conservé , aux Archives paroissiales de Saint--
Sépulcre , des feuilles précieuses qui relatent les sacre-
ments conférés à cette époque et qui renferment les
signatures suivantes :
Martelet, prêtre de la mission ; Deschodt , curé de
Vacquerie -le -Bouc , diocèse d'Amiens ; Paris , prêtre
missionnaire du Calvaire, près de Paris ; Delattre ,
prêtre missionnaire ; P. Hyacinte Froment , récollet ;
Fiquet, religieux de Saint- Martin ; P. Elie , religieux
récollet ; Bollin , vicaire de Notre- Dame ; Barnabé Le-
fort , curé de Moulle ; Bellier , prêtre religieux ; P. Aga-
thange Duchâteau , religieux ; Dodin , curé de Robecq ;
P. Candide , religieux ; Joseph Anson , prêtre anglais
du collège des Jésuites ; P. Grégoire Lagache , reli-
gieux récollet ; Coquelet , prêtre de Cambrai ; Caron ,
religieux de Clairmarais.
De plus , il existe un cahier suivi , renfermant les actes
signés de tous les sacrements conférés pendant cette
époque , par M. Revol , curé de Sainte-Aldegonde . Tous
ces ecclésiastiques ont soin d'observer , dans le certi-
ficat qu'ils remettent aux familles , qu'ils sont prêtres
orthodoxes , en communion de la Sainte Eglise catho-
lique , apostolique et romaine .
Voici maintenant la liste des maisons où le saint
sacrifice paraît avoir été célébré le plus souvent :
La maison des demoiselles Feutrel dont l'une ,
ancienne religieuse pénitente , avait fondé avec ses
494 LE CULTE CACHÉ

sœurs , un pensionnat de jeunes filles , rue de Dun-


kerque ; celle des demoiselles Bailly , quai des Tan-
neurs , chez lesquelles M. Huguet, vicaire de la paroisse ,
resta caché , se faisant transporter , blotti dans une
manne à lessive , pour administrer les malades à domi-
cile ; celles de Mme Rousmau , rue de Dunkerque ; de
M. Zilot , même rue . L'ancien curé disait la messe dans
une maison de la rue des Six Fontaines ; M. Aclocque
la disait chez ses parents , place du Haut- Pont ; M.
Denissel, plus tard vicaire général d'Arras , la disait
rue de l'Arbalète ; M. Caron , ancien religieux de Clair-
marais , la disait chez M. Boudry, son parent , quai des
Salines .
Quant à l'église Saint- Sépulcre , jusqu'à ce qu'elle
devint, en 1797, la cathédrale de l'évêque Mathieu
Asselin et du culte constitutionnel restauré , dont nous
parlerons plus tard , clle fut livrée aux plus navrantes
profanations. C'est elle qui servit de temple au culte
de la Raison . Auparavant elle avait été dépouillée de
toutes ses richesses , notamment, dit un procès- verbal
du 6 octobre 1793 , « d'une vierge d'argent avec son
enfant dit Jésus , garnie d'un reliquaire et de plusieurs
pierres » . On lui enleva même ses boiseries et jusqu'à
son pavé , et , pour unique ornement , on la décora de
quatre-vingt-dix drapeaux tricolores représentant les
quatre-vingt-dix départements .
« Sur l'autel , on voyait une statue représentant la
nouvelle divinité , tenant une lance d'une main et foulant
aux pieds le crucifix . Au lieu de chaire , s'élevait une
estrade , du haut de laquelle on proclamait les noms
de ceux qui étaient désignés au fer homicide , ou con-
damnés à la déportation . L'enclos qui entoure l'église
et qui était alors un cimetière , fut appelé la Place des
vivants , afin d'éloigner toute idée sinistre de l'esprit
des partisans du nouveau culte , et la rue qui portait le
nom de l'Eglise , fut appelée la rue de la Bienfaisance ,
à cause de l'Hôpital- Général qui s'y trouve .
DANS LE DIOCESE DE SAINT- OMER 495

<< Mais comme si le nom même de leur temple fit


rougir des hommes si peu raisonnables , on changea ce
nom en celui de temple de la nature , afin de mieux se
rapprocher sans doute du système de J.-J. Rousseau ,
leur coryphée , qui voulait ramener l'homme à l'état
sauvage . En conséquence , afin de mieux atteindre la
ressemblance , on fit peindre les piliers en troncs d'ar-
bres , dont les branches s'étendaient depuis les frises
jusqu'au sommet des voûtes . On se serait cru , nous
disait un témoin oculaire , dans une sombre et immense
forêt habitée par des bêtes sauvages ; et pour que rien
ne manquât à la ressemblance , dans une immense
montagne de bois élevée en place de l'autel ct symbo-
lisant la majorité révolutionnaire qui siégeait à la
Chambre, on avait pratiqué des antres ou cavernes ,
sous lesquels des hommes , ou des femmes , revenus à
l'état de nature , se livraient à des saturnales dignes
des plus tristes jours du paganisıne . »
Bientôt , Robespierre faisant à Dieu l'honneur de le
compter pour quelque chose , Saint- Sépulcre subit une
troisième transformation . Il devint le temple de la
nouvelle religion théophilanthropique ou humanitaire ,
et on lit sur son fronton cette inscription qui , dans son
orgueil sacrilège , présageait déjà des jours meilleurs :
« Le peuple français reconnait l'existence de l'Etre
« suprême el de l'immortalité de l'âme. »
La cathédrale de Saint-Omer avait été , nous l'avons
dit , attribuée à l'évêque Porion et maintenue comme
église paroissiale du culte constitutionnel dans sa pre-
mière période .
Il ne paraît pas que ce culte ait été jamais bien flo-
rissant. Outre que l'église avait été peu à peu dé
pouillée de tous ses ornements et privéc même de ses
cloches, les musiciens et autres officiers du chœur se
plaignirent plusieurs fois du retard apporté à payer
leur traitement .
Porion eut beau donner à sa religion tous les carac-
496 LE CULTE CACHÉ

tères du plus ardent patriotisme , elle s'éteignit peu à


peu dans l'indifférence et dans la pauvreté .
La procession de la Fête - Dieu 1793 , tolérée par le
conseil de la commune , qui déclara « qu'aucune loi ne
s'opposait à cet exercice du culte , et que le citoyen
évêque était, par conséquent , bien libre de se con-
certer à cet égard avec le clergé des autres paroisses »> ,
put être considérée comme le dernier acte public du
culte religieux à cette époque .
La publication de l'acte constitutionnel , le 9 juillet
suivant, donna lieu à une procession d'un tout autre
genre , suivie , nous l'avons dit, des manifestations les
plus impies .
Ce fut enfin le 24 septembre que le citoyen Dupont
fit part à la municipalité « de la réquisition de livrer
l'église cathédrale pour y déposer des effets de cam-
pement , et demanda que l'office paroissial fût célébré
à la chapelle de la Maladrerie . »
> « La matière mise
en délibération , il fut arrêté que l'office se ferait dans
la dite chapelle , et qu'il en serait donné avis aux hos-
pitalières de la dite maison. »
L'église paroissiale ainsi supprimée , la municipalité
fit demander compte aux administrateurs de l'argent
qu'ils avaient entre les mains , notamment du produit
des troncs placés dans l'église , savoir de ceux pour
les pauvres , de Saint-Erkembode , des trépassés , de
Notre- Dame des Miracles , des ci-devant confrères de
Saint-Job, du Viatique dit Saint- Sacrement , de Saint-
Léonard , de Saint-Roch, des Fondations des caté-
chismes de Notre-Dame des Douleurs , et de la Table
des pauvres de cy- devant Sainte -Aldegonde .
Le 26 novembre , le conseil général de la commune ,
poursuivant son œuvre de destruction , décidait que
les titres et papiers de la cy-devant cathédrale seraient
mis à la disposition du directeur de l'artillerie .
Le 10 décembre , lendemain de l'arrivée de Joseph
Le Bon à Saint- Omer , tous les objets religieux étaient
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 497

enlevés de la chapelle de la Maladrerie , destinée à


remplacer provisoirement la paroisse épiscopale sup-
primée et le culte de la Raison supplantait officiel-
lement celui du vrai Dieu .
La destination de magasin d'effets de campement ,
affectée à la cathédrale de Saint-Omer, permit qu'elle
ne fût pas profanée par les cérémonies du nouveau
culte.
L'année suivante , on y entassa les fourrages des-
tinés aux troupes qui stationnaient dans les places de
guerre du nord de la France , et la garde qui veillait à
ses portes , pour empêcher qu'on enlevât clandesti-
nement la nourriture des animaux , la préserva au moins
de la dévastation des hommes.
En 1797, le 21 octobre , les portes de la ci- devant
cathédrale s'étaient ouvertes , non pas pour une mani-
festation catholique , ainsi que dès les premiers mois
de l'année on avait pu en avoir l'espérance , mais pour
une fête dont le programme avait emprunté une partie
de ses inspirations aux cérémonies du paganisme . Nous
donnons les détails de cette fête d'après le procès -verbal ,
rédigé à cette époque , pour en conserver le souvenir :
« L'an VIº de la République française une et indivi-
sible , le 30 vendémiaire , à deux heures et demie de
l'après-midi, en exécution de la loi du 6 du même
mois, portant qu'il sera célébré , dans la principale com-
mune des cantons de la République , une cérémonie
funèbre en mémoire du général Hoche , commandant
en chef les armées de Sambre- et-Meuse , du Rhin et de
la Moselle , décédé à Wetzlai , le troisième jour complé-
mentaire de l'an V, dans la trentième année de son âge ,
nous président et membres de l'administration muni-
cipale de Saint- Omer , accompagnés du secrétaire-
greffier , de tous les fonctionnaires publics, civils , mili-
taires et judiciaires en costume noir et ayant à la main
une branche de chêne , nous sommes transportés au
local de la ci-devant cathédrale , précédés de la musi-
32
498 LE CULTE CACHÉ S

que militaire portant armes baissées . Au milieu du


cortège était portée par quatre anciens guerriers l'ef-
figie du * général Hoche , couronnée du laurier de
l'immortalité . Elle était placée sur un brancard décoré
d'une draperie tricolore, avec un trophée et les attri-
buts militaires du général en thef. La draperie était
soutenue aux quatre coins par quatre militaires . L'ef
figie du général Hoche est déposée en face de l'autel ,
devant la pyramide . Après une symphonie exécutée
par les amateurs , le secrétaire de l'administration fait
lécture des éloges funèbres prononcés le 10 vendé-
miaire, au Champ-de-Mars , par le président du Direc-
toire exécutif et le citoyen Daunou, membre de l'Ins-
titut national, à l'occasion de la mort du général Hoche.
Ensuite les chœurs de musique exécutent un chant
funèbre, les tambours couverts d'un crêpe font un
roulement. Le président de l'administration prononce
un discours , dans lequel il fait le narré de la vie et des
exploits du général Hoche . Après ce discours , la mu-
siqué exécute une seconde symphonie, pendant laquelle
de jeunes filles vêtues de blanc , avec des ceintures de
crêpe, marchent lentes et majestueuses, tenant une
branche de chêne, et viennent se ranger autour de l'ef
figie et chantent un chœur à la gloire du héros . Le
commandant de la place monte sur les gradins de la
fo
pyramide et prononce l'éloge funèbre du général
Hoche . Le choeur des jeunes filles recommence et elles
déposent deux à deux leurs branches de chêne près de
l'effigie. On exécute ensuite l'hymne des Marseillais
qui est suivi du chant du Départ. Les troupes défi-
lent devant la pyramide, les chefs et officiers saluent
de l'épée. Tous , les autorités et les personnes qui com-
posent le cortège, déposent , tour à tour, leurs branches
16 -
de laurier et de chêne près de l'effigie du général
Hoche. Pendant cette cérémonie , la musique exécute
une symphonie. Pendant la durée de la marche , le
eanon tonne par intervalles ; le cortège , précédé de la
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT- OMER 499

musique , se remet en marche et rentre dans le lieu


des séances de l'administration. >>
L'année suivante , le 10 juillet 1798 , la cathédrale ,
le cloître , l'église Saint- Bertin , la chapelle du Collège
anglais , et d'anciens édifices , encore précédemment
destinés au culte , furent estimés en vue d'une vente
prochaine, mais la nécessité de donner aux fêtes répu
blicaines un plus grand éclat, en leur donnant un
théâtre plus digne d'elles , sauva une fois encore l'église
Notre-Dame de l'aliénation et peut-être de la ruine .
En effet, le 23 octobre , un grand nombre d'habitants
de Saint-Omer , préoccupés , nous aimons à le croire ,
de conserver cette illustration de leur cité , demandé-
rent qu'on en fit le temple de la loi.
L'administration municipale se prêta volontiers à
cette requête .
<< Considérant , dit- elle , que la demande des citoyens
qui ont signé la susdite pétition est fondée sur la plus
exacte vérité que le temple de la loi , ci-devant Saint-
Denis , ne peut suffire à la population de Saint-Omer ;
<
« Considérant que même les décadis et notamment
depuis que la célébration des mariages a lieu au temple
de la Loi, en exécution de la loi du 13 fructidor der-
nier , la foule est telle qu'il n'est pas possible d'y main-
tenir l'ordre et la décence ;
« Considérant que la translation dudit temple , en la
ci-devant cathédrale , lève entièrement tous les obs-
tacles , que ce monument, par sa grandeur et sa ma-
jesté, remplit parfaitement le but que doivent se pro-
poser des républicains , jaloux de donner aux fêtes
civiques l'éclat et la sublimité dont elles sont suscep
tibles ;
<< Arrête que , vu l'impossibilité de contenir l'affluence
du peuple dans le local ci-devant Saint-Denis , à cause
de son peu d'étendue , la célébration des fêtes répu-
blicaines aura lieu provisoirement à compter de décadi
prochain à la ci-devant cathédrale ;
500 LE CULTE CACHÉ

<< Charge en conséquence les chorèges des fêtes


nationales de disposer le dit local d'une manière conve-
nable . »
Cette décision éprouva quelques difficultés dans
son exécution et la première réunion décadaire n'eut
lieu à la cathédrale que le 30 décembre 1798 .
Cette cérémonie , destinée à remplacer la fête du
dimanche , en consacrant au repos le dixième jour au
lieu du septième , ordonné par Dieu même , ne pouvait
avoir, on le comprend , un caractère bien religieux .
Voici, d'après les procès -verbaux de l'époque , en quoi
elle consistait :
<< Vers dix heures du matin , la cloche nationale
sonnait à pleine volée . Les président et adminis-
trateurs municipaux de Saint- Omer, accompagnés du
commissaire du Directoire exécutif, du secrétaire -gref-
fier , des officiers d'état- major de l'armée et de la place ,
des magistrats et autres fonctionnaires publics , sortaient
de la maison commune , et , précédés de la musique , se
rendaient au temple de la Loi . Là , en présence du
peuple assemblé , le secrétaire donnait lecture du bul-
letin décadaire , relatant les principaux évènements
survenus et les lois promulguées pendant la décade .
Il publiait ensuite les actes de naissance , de décès et
de divorce . Le président procédait à la célébration
des mariages civils . Puis , pour terminer la cérémonie ,
commençaient les airs patriotiques avec grand accom-
pagnement d'orchestre . Ces chants profanes tenaient
lieu de prières et déchargeaient l'assistance de toute
autre manifestation de soumission , de reconnaissance ,
de respect envers l'Être suprême.
<< Pour compensation , on cherchait à dédommager
le peuple de la monotonie du programme décadaire ,
en déployant , dans la célébration des fêtes républi-
caines , un éclat et une pompe capables d'exciter son
enthousiasme et d'entretenir son dévouement à la
République . »
DANS LE DIOCÈSE DE SAINT-OMER 501

Nous aurons l'occasion de revenir plus tard encore


sur les fêtes décadaires et sur celles qui avaient pour
but de réchauffer l'enthousiasme républicain , lors des
anniversaires des glorieuses journées de la Révolution
et surtout du 21 janvier .
Bornons - nous à dire que les patriotes audomarois les
célèbrèrent , dans leur cathédrale , jusqu'au mois de
mai 1802. La déesse de la Liberté était cependant des-
cendue de son char de triomphe, dès la fin de 1799, et
les femmes qui formaient son cortège disparurent à la
même époque.
Malgré l'effervescence révolutionnaire et la passion
antireligieuse qui se manifestaient ainsi bruyamment à
la cathédrale de Saint-Omer , la région de la ville qui
l'environne ne fut cependant pas dépourvue de tout
secours spirituel . Trois intrépides religieux , le Père
Albéric , le Père Candide et le Père Élie se tinrent
longtemps à ce poste , de tous le plus périlleux. Le
premier surtout , de son nom Antoine Bailly, qui paraît
avoir joui de la pleine confiance des autorités diocé-
saines , fut même arrêté le 24 août 1799 , dans une sorte
de razzia que la police voulut faire des embaucheurs ,
émigrés rentrés , égorgeurs et brigands qu'elle rangeait
sur le même plan et poursuivait avec le même soin .
Il fut même transféré au Vivier d'Arras , pour n'en sor-
tir que le 17 janvier 1800 .
On sait que le diocèse de Saint- Omer avait une
enclave dans celui de Boulogne , dont Hesdin était le
centre ; il faut dire un mot du Culte caché dans cette
enclave .
La Loge , qui en faisait partie avec Le Parcq , Gri-
gny et Marconne , fut souvent visitée par un vicaire du
diocèse de Boulogne , M. Quillet ; tous les habitants de
cette petite localité assistaient fidèlement à sa messe .
L'historien de Marconne , M. l'abbé Meunier , cite
avec honneur M. Nicolas-Joseph Warin , prêtre de la
mission et originaire d'Huby- Saint-Leu , comme l'apô-
502 LE CULTE CACHÉ

tre de sa paroisse durant cette période . Les notes de


l'évêché nomment aussi M. Hurtrel.
Hesdin n'eut pas que des scènes d'impiété et des actes
de vandalisme , durant cette période .
S'il est vrai que son trop célèbre Evrard traversa un
jour la place de la ville , l'ostensoir à la main , pour don-
ner à l'Hôtel- de-Ville et pendant que les tambours du
poste battaient , un simulacre de bénédiction sacrilège ,
de nombreux prêtres venaient consoler les âmes chré-
tiennes et administrer les sacrements .
On trouve , en effet, à Hesdin , des actes aux noms
du chanoine Hennebert, du Père Nicaise , récollet ; de
M. Legris, bénédictin ; de M. Etienne Pruvost , vicaire ;
de M. Puchois , desservant d'Auchy ; du Père Nicolas-
Florent Crespel , récollet ; de M. Demailly , prêtre de
la mission et de M. Thuillier.
Ce dernier , dit -on , qui était de taille exigüe et qu'on
surnommait le Petit Poucet, entrait en ville dans un
panier de linge, dans une hottée de légumes , ou même
dans une botte de foin.
CHAPITRE SIXIÈME

DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE

Fidèle comme nous l'avons vu ä ses prêtres et à sa


religion, le diocèse de Boulogne devrait fournir une
longue et intéressante histoire du Culte eaché , si tous
les faits particuliers avaient été recueillis , transmis et
conservés avec soin dans les Archives de l'Évêché
d'Arras . Hélas ! bien des laeunes se rencontrent dans
les dossiers des doyennés et beaucoup de noms véné-
rés , beaucoup d'exploits pieux , échapperont , malgré
nous , à une recherche que nous aurions pourtant
voulu faire minutieuse .

§ 1. – A Boulogne ét Deivrés.

M. Jean-Baptiste Compiègne. consoles études. - Sa mission à


Boulogne. - Ses dangers . - Ses -M. Ant. Compiègne.
Ses antécédents. Son exil. Son retour. Son apostolat à
Audinghem et Audresselles . --- Le Culte caché à Bazinghem.
Offrethun et Beuvrequen . - Wierre-Effroy et surtout Wimille .
Henneveux et Alinethun. Werwignes, Desvres.

La ville même de Boulogne , dont la vie religieuse ,


pourtant très réelle , nous échappe durant la Terreur,
avait cependant un apôtre secret dont le nom y est
resté en grand honneur nous voulons parler de
M. l'abbé Jacques-Marie-Jean- Baptiste Compiègne,
qui fut ensuite le fondateur du pensionnat ecclésias-
504 LE CULTE CACHÉ

tique d'Audinghen , transporté depuis dans la Haute-


Ville de Boulogne .
Il était né le 27 février 1756 à Lefaux , secours
d'Étaples , d'une famille d'honnêtes fermiers , et il fut
l'aîné de leurs neuf enfants , dont le plus jeune fut
prêtre comme lui ainsi qu'un de ses cousins germains .
C'est seulement à l'âge de vingt-deux ans qu'il se dé-
termina à entrer dans l'état ecclésiastique , mais ses
études furent très rapides , grâce aux soins d'un émi-
nent professeur nommé M. Couvreur . Deux années lui
suffirent pour terminer le cours des classes et , après
avoir terminé son Quinquennium , à Paris , il fut
nommé vicaire à Saint- Nicolas de Boulogne .
Déjà, il avait eu le temps de s'y faire estimer par .
sa piété et ses talents , quand sonna l'heure de l'exil .
C'est lui qui prononça le dernier sermon, du haut de
la chaire paroissiale , le troisième dimanche après
Pâques , et l'on dit qu'il s'inspira admirablement de
ces paroles de l'Évangile du jour : « Encore un peu
de temps et vous ne me verrez plus . » Tout son audi-
toire fut ému jusqu'aux larmes . Il ne s'éloigna pour-
tant de Boulogne que le 14 septembre 1792 et se rendit
par la Belgique et la Hollande à Hildesheim, auprès de
Mgr Asseline.
Vers la fin d'octobre 1795 , il reçut de son évêque la
mission d'exercer le saint ministère dans le canton de
Saint-Pol . Son Biographe ( 1 ) raconte qu'une nuit il fit
la rencontre de deux loups, en portant les derniers
sacrements à un malade . Mais les fauves respectèrent
sa personne et le dépôt sacré qu'il portait avec lui.
Après quelques mois passés dans une portion du
diocèse qui lui était absolument inconnue et où il ne
pouvait faire que peu de bien , dans des circonstances
si difficiles , il trouva moyen de se faire remplacer
avantageusement, et, d'accord avec M. Augé , grand

(1) M. Blaquart, desservant à Wierre-Effroy.


DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 505

vicaire de Boulogne , il s'installa , déguisé en honnête


bourgeois, dans la ville même de Boulogne . Il se fai-
sait appeler M. Vasseur , du nom de sa mère , afin de
n'éveiller aucun soupçon , et ne sortait que le soir . Il
convertissait en gracieuses et élégantes chapelles les
chambres , les greniers mêmes qu'il décorait seul
avec beaucoup de goût, d'adresse et de rapidité , met-
tant tout à contribution pour l'ornement de ces temples
improvisés , où il procurait la sainte messe à un petit
troupeau qui le suivait avec amour .
Un jour, cependant, il faillit être victime d'un ras-
semblement populaire formé contre lui . Il avait donné
rendez-vous , le soir, dans les longs jours de l'été , pour
-faire le salut et dire la messe à minuit dans une mai-
son honnête et chrétienne , qui forme le coin de la place
de Saint-Nicolas et de la rue des Prêtres . Or , les pa-
triotes s'aperçurent que les catholiques se rendaient
par petits groupes dans cette maison , où déjà le prêtre
confessait depuis longtemps . La populace s'augmen-
tait sensiblement à la porte et proférait les menaces
et les vociférations les plus effrayantes . De moment à
autre , ce sanctuaire de la plus courageuse piété pou-
vait être envahi , M. Compiègne , animé de la force de
Dieu, prend alors une audacieuse résolution ; il de-
mande un homme résolu : l'organiste de la paroisse
s'offre pour le suivre ; et tous deux se présentent à la
porte pour sortir. Le peuple tout étonné le voit
s'avancer, avec sa grande taille , son port majestueux ,
son regard ferme , et dit tout bas : « Le voilà ! le
voilà ! » Personne n'ose l'arrêter, ni même lui parler.
On le remarque une fois de plus le peuple menace
quand on paraît le craindre il tremble et même il
applaudit quand on le brave .
Tout n'était pas terreur et persécution dans une
vie si agitée ; il y avait encore plus souvent , de bien
grandes , de bien douces consolations . M. Compiègne
avait, dans les temps plus heureux de son vicariat à
506 LE CULTE CACHÉ

Boulogne , reçu bien des fois pour les pauvres de


larges aumônes de la part de MM. Balentine , deux
riches anglais protestants . Il espérait toujours et il leur
donnait à penser que de telles œuvres , qui passaient ainsi
par les mains d'un prêtre catholique , leur ouvriraient
les yeux à la vérité et amèneraient leur conversion.
L'affreux exil était venu rompre ces liens de charité
et ces douces espérances . Mais quelle ne fut pas la
joie de M. Compiègne , quand , à son retour , tout caché
qu'il était , on lui fit savoir que ces deux messieurs le
demandaient et voulaient faire leur abjuration entre
ses mains pour se préparer à une sainte mort ? Il leur
donna ses soins les plus empressés et les vit s'éteindre
dans le sein de la religion catholique , à quinze jours.
de distance l'un de l'autre . Ainsi se réalisait la parole
de Job : «< L'aumône prie pour celui qui la fait : Con-
clude eleemosynam et hæc pro te exorabit. »
M. Compiègne recueillait partout les plus abondants
et les plus satisfaisants fruits de son ministère ; il fut
même obligé d'appeler à son secours M. l'abbé De-
lattre , ordonné prêtre en exil et devenu plus tard
vicaire de Saint-Joseph .
A côté du nom de M. J.-B. Compiègne se place tout
naturellement le nom de son cousin, comme lui mis-
sionnaire , M. Antoine Compiègne .
Né à la ferme du Fayel de Lefaux , près d'Étaples ,
en 1764, Antoine-Marie Compiègne appartenait, lui
aussi , à une famille honorable et très religieuse. Il fit
ses études à Boulogne dans une institution particu-
lière avec de grands succès , sa théologie à Boulogne,
au séminaire diocésain , et fut successivement vicaire
d'Humbert et de Bourthes, où il vit arriver la Révo-
lution . Il flétrit le serment et se prépara à l'exil par
une retraite de huit jours , avec plusieurs confrères ,
dans un hameau de Wimille , sous la direction de
M. Augé, supérieur du Petit- Séminaire de Boulogne.
C'était à la fin d'août 1792 ; les remarquables ecclé-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 507

siastiques qui étaient à la tête du clergé de Boulogne


s'étaient déjà éloignés et Mgr Asseline s'était retiré à ··
Ypres , d'où il correspondait activement avec son dio-
cèşe. L'illustre curé de Wimille , M. Cossart , cet homme
puissant en œuvres , qui avait rendu florissants et le
Petit- Séminaire de Boulogne et sa paroisse de Wimille ,
avait été obligé de s'enfuir déguisé en colporteur .
C'est à Ecloo que M. Antoine le rejoignit . Grâce à
l'initiative déterminante de M. Cossart, les prêtres
boulonnais utilisèrent et sanctifièrent par le travail les
loisirs de l'exil , et c'est de ces conférences célèbres
que naquirent plus tard les ouvrages connus sous les
noms de Miroir du Clergé; Science du Confesseur ;
Prônes ou Instructions familières sur les principales
vérités de la Religion , que rédigea la plume savante
de M. Cocatrix, grand vicaire de Mgr Asseline , et la
Science du Catéchiste par un auteur anonyme .
M. Compiègne fut un des plus assidus disciples de
M. Cossart à Ecloo et il le suivit plus tard à Hildesheim,
dans la Basse-Saxe, où une partie du clergé boulon-
nais dut fuir les armées de la République . Outre la
munificence du prince-évêque et des communautés ,
M. Compiègne trouva personnellement un honnête
rentier qui lui offrit l'asile et la table durant tout son
séjour. Il en garda comme souvenir une canne jusqu'à
sa mort.
Quoique éloigné de ses ouailles , Mgr Asseline ne leur
ménageait pas les avis et les renseignements ; aussitôt
que possible , il leur envoya aussi des pasteurs . Il fit
même une sorte de répartition de son Diocèse entre
M. Braure , qui se fixa à Dohem , M. Paternelle à
Amettes , M. Blin à Wimille et M. Hochart à Herly.
Même avant eux , MM . Delaporte , Gline , Lecomte et
Delahaye embrassaient dans leur zèle, le premier l'ar-
rondissement de Boulogne , et les autres celui de Mon-
treuil. En 1795 , on vit arriver M. Augé avec des pou-
voirs de vicaire général pour tout le diocèse ; il était
508 LE CULTE CACHÉ

accompagné de M. Compiègne et de M. Duval , qui lui


furent d'excellents auxiliaires . M. Antoine Compiègne
fut dirigé sur Audinghem , où il arriva l'avant-veille de
Noël 1795. Du premier sermon , il ravit ses fidèles ,
mais il n'en grossit le nombre que peu à peu . Grâce
aux nombreux hameaux du pays où il résidait , il ne
courut jamais de grands dangers . Il eut cependant une
alerte six mois après son retour , mais un homme de
tête et d'expédient se rencontra en cette circonstance
comme en tant d'autres pendant cette triste période ,
qui lui permit de s'enfuir et à son église de se dis-
perser . Peu à peu le nombre de ses fidèles augmenta
et aussi celui de ses cachettes . En 1797 , un revirement
heureux s'étant produit , MM . Remy et Bonnière vin-
rent partager le fardeau de M. Compiègne .
Le 18 fructidor inaugura une recrudescence révo-
lutionnaire , et arrêta le mouvement si consolant qui
se manifestait. M. Compiègne put néanmoins continuer
son apostolat à Audinghem et dut même solliciter un
nouveau collaborateur ; ce fut son cousin , M. L.-M.
Compiègne, frère de M. J.-B. , qui avait reçu les saints
ordres en exil . Il en fut ainsi jusqu'à la réouverture
des églises . Alors M. Compiègne , devenu curé d'Au-
dinghem et Tardinghen , se livra aux devoirs de sa
charge avec une sagesse et un dévouement admirables .
Il créa un petit pensionnat qu'il vit prospérer et res-
taura l'église , le presbytère , prêcha , se livra en un
mot à toutes les œuvres . C'est alors que Mgr de la
Tour d'Auvergne jeta les yeux sur lui pour en faire le
supérieur de son Grand- Séminaire d'Arras . M. Antoine
Compiègne ne fut pas le seul prêtre fidèle qu'on vit à
Audinghen pendant les mauvais jours ; on raconte
qu'on y vit encore M. Lecomte et M. Delaporte qui
parcouraient alors le Boulonnais avec une rare intré-
pidité .
Les familles chrétiennes qui recevaient les mission-
naires étaient à Audresselles , la famille Delattre ; à
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 509

Audinghem, la famille Allet ; à Waringzelle , les De-


lattre et les Cugny ; à Haringzelle , les Haffreingues ,
les Routtier et les Lambert ; à Framezelle , les Hamain ;
à Watremelle , les Boningue , et surtout à Warnicthun ,
Mlle de Bainghen .
C'est même chez cette dernière que M. Compiègne
avait son quartier général .
Le zèle de M. Compiègne ne lui permit pas de se
cantonner dans les seules paroisses d'Audinghem et
d'Audresselles , nous le retrouvons dans les paroisses
voisines , notamment à Ambleteuse .
Ce village , célèbre par le pèlerinage de Saint-Pierre ,
compagnon de saint Augustin d'Angleterre , premier
abbé de Cantorbéry , qui y fut jeté par un naufrage et
enterré , fut gravement atteint par la Révolution . La
chapelle de Saint- Pierre fut dévastée , sa statue en
moine bénédictin mutilée ; de l'église elle -même , il ne
resta que les quatre murs .
Le vieux curé qui était de Licques , M. Ducrocq ,
prêta serment plutôt par faiblesse qu'autrement ; il de-
vint même le jouet des révolutionnaires , qui lui faisaient
réitérer son serment tous les huit jours . Il resta donc
dans la paroisse jusqu'à sa mort , mais du moins , il s'y
montra grandement utile à MM . Compiègne et Remy,
qu'il avertissait , par l'intermédiaire de la famille Poilly,
des mesures prises contre eux .
On signale également la présence de M. Compiègne
à Bazinghem , ainsi que celle de MM . Bonnière , Charles
et Lorgnier. La messe était célébrée dans les fermes
de la Grand'Maison , de la Calleuse , de Ricque -Manin-
ghen et de la Grange -Bleue , où ces prêtres trouvaient
un asile assuré .
Il y eut cependant une alerte à la ferme de la Cal-
leuse , une nuit que le Père Charles y célébrait . Un
courrier fidèle vint annoncer tout à coup que les répu-
blicains du comité de Marquise arrivaient . Pendant
que tous se demandaient quel était le meilleur parti à
510 LE CULTE CACHÉ

prendre , une idée lumineuse traversa l'esprit de quel-


ques-uns des assistants .
Pendant que la messe continue tranquillement , dix
de ces braves gens se détachent du fidèle troupeau et
marchent au-devant des patriotes . Dès qu'il les aper-
çoivent, ils se mettent à se disputer à outrance et se
préparent à une furieuse bataille . Ceux - ci , en amis
sincères de la fraternité, voulurent s'interposer , et par-
vinrent, non sans peine , à amener une réconciliation .
<< Enfin, dit l'un des plus acharnés , vous avez raison ,
citoyens . Et pour cimenter la paix , allons ici près ,
boire un coup . » Les patriotes acceptèrent et pendant
que l'on vidait pintes et petits verres , la messe était
finie et la ferme de la Calleuse vidée . A six heures du
matin , le fermier se chauffait tranquillement quand
les clubistes arrivèrent .
La paroisse de Bazinghem ne fut pas plus épargnée
que les autres par la Révolution de l'église il ne resta
que la tour et le choeur ; les vases sacrés furent profa-
nés et portés à Boulogne ; on raconte que le profana-
teur , en les portant , fut tué sur la route d'un coup de
pied de cheval.
Les nombreux hameaux , les fermes entourées de
haies et surtout la généreuse fidélité des catholiques
de ces régions du Bas -Boulonnais permirent néan-
moins aux prêtres fidèles d'exercer le ministère du
Culte caché avec une certaine sécurité , et même de
résider assez longtemps dans la même paroisse . Les
grands missionnaires de la région de Marquise étaient
M. Ducrocq et M. Lorgnier ; on trouve encore à
Audembert , M. Louchet ; à Leubringhen , M. Lavoi-
sier ; à Hervelinghem , M. Jean -François Roube ; à
Saint- Inglevert , M. Duquesne ; à Wissant , M. Remy ;
à Wacquinghem , M. Cressonnier , qui s'occupa aussi
beaucoup de Beuvrequen .
Dans cette dernière paroisse , on disait la messe chez
le fermier de Saint- Bertin et chez M. Verlingue- Bon-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE .511

voisin. A Offrethun , les offices se célébraient dans la


ferme d'Ecaux occupée par M. Vidor- Delaporte.
Les patriotes d'Offrethun et Beuvrequen avaient
pourtant quelque renom. L'un d'eux était François
Humetz l'autre François Parmentier, surnommé
l'Epiette , parce qu'il portait souvent une épée , et le troi-
sième , de Beuvrequen , Adrien Parmentier était sur-

nommé Subin, parce qu'il portait toujours un sabre
pour scruter , disait-il , les endroits où se cachaient les
conscrits et les prêtres .
Ils étaient à la tête d'une troupe qui fit , dit- on , le
siège du presbytère d'Offrethun et en cribla de balles
les portes et les fenêtres , un jour que le vicaire de
Marquise , M. Levisse , s'y était réfugié.
A Hervelinghem, on disait surtout la messe chez
Mlle Cécile du Sommerard et chez Ayez , son fermier.
Cette dame fut la visible providence des prêtres cachés
dans la région . MM . François Coze et d'Andrieux
étaient les principaux hôtes de ces mêmes prêtres , à
Ferques .
Wierre et Effroy n'eurent comme les autres parois .
ses du Boulonnais que fort peu de patriotes ; ceux-ci ,
néanmoins , dévalisèrent l'église et emportèrent même
les reliques de saint Pierre et de sainte Godeleine sur
la place d'Hardinghen, pour y être brûlées . La tradi-
tion rapporte que le cheval qui servit à ce transfert
sacrilège mourut en rentrant dans l'écurie de son
maître . Cette paroisse ne fut cependant pas abandon-
née ; MM . Ducrocq , Corne et Roube y séjournèrent
souvent.
Mais ce sont les vastes et fidèles paroisses de Wimille,
Maninghen et Pittefaux , qui méritent durant ces tristes
jours une mention toute spéciale .
On sait les efforts multipliés du trop fameux Pate-
naille pour faire oublier les inoubliables services ren-
dus à Wimille par M. Cossart, et comment ils échoué-
rent . Pendant que le célèbre curé tournait son activité
512 . LE CULTE CACHÉ

vers un autre but, ses paroissiens restaient en tout


point dignes de lui . A Maninghen et à Pittefaux , un
des noms les plus respectés de cette époque était celui
de M. Adrien Arnould qui , après avoir refusé le
mariage d'un prêtre constitutionnel et reçu ce sacre-
ment dans le bois du Souverain- Moulin , de M. Dela-
porte , se fit le guide intelligent et intrépide de tous les
prêtres fidèles . On cite encore le nom de Bernard
Buttel , de Pittefaux , qui remplissait les fonctions de
catéchiste et de sacristain ; ceux de Marc-Antoine
Lematre et de Pierre -Marie Poidouriaux qui firent
preuve de finesse autant que d'énergie .
Dans les anciens doyennés d'Alquines et de Samer ,
où il faut remonter maintenant, ce sont les paroisses
de Menneville et de Samer dont les archives sont les
mieux fournies. Les autres donnent seulement quel-
ques noms. Celui de M. Baude est signalé autour de
Quesques où il avait sa retraite dans la ferme de
Mme Matringhem, sa sœur . Cette cachette avait été
ménagée entre deux pignons et l'on y pénétrait par le
dessus d'une armoire . Il avait des collaborateurs ,
notamment MM . Hochard , Ducrocq , Matringhem et le
missionnaire Lefebvre . On se réunissait d'ordinaire au
hameau de Lingagne . Selles et Brunembert furent
surtout desservis par M. Bodart , originaire de Selles ,
et son ami , M. Delattre , de l'abbaye de Licques . Les
fonctions sacrées s'accomplissaient à Beauvois , dans la
famille Lefebvre , et à la Brique , dans la famille Noël .
La paroisse d'Henneveux fut le théâtre d'horribles
profanations quand elle fut devenue , en 1792 , le chef-
lieu d'un canton de 14 communes . L'assemblée s'y fai-
sait au son de la cloche ; on réquisitionnait le pauvre
peuple , on brûlait les saints . L'église fut dépouillée ,
son linge et ses ornements furent portés à Boulogne .
Le registre des délibérations ajoute : 1er v. p . 130 , « et
une chaire de mensonge que nous avons dédiée à la
>
vérité pour l'avenir. »
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 513

Néanmoins , cette population si malheureuse ne fut


pas abandonnée .
Les prêtres fidèles qui vinrent à. Henneveux sont,
avant tout , l'intrépide M. Dutertre , MM . Delaporte ,
Hamy , Hache , Calais et Mansion qui administrèrent
particulièrement chez MM . Caron et Jean Fournier .
On raconte qu'un décrocheur de saints , nommé
Masset, de Saint- Martin - Boulogne , ayant dit à Mme Ca-
ron qu'il avait eu bien du mal à décrocher son saint
Fiacre , patron chéri de la paroisse , celle - ci lui répon-
dit : « Prends garde qu'il ne te punisse . » Quelques
années après , ce malheureux repassait, portant des
jupes , et rappelait à M. Caron le mot de sa femme ;
il était atteint du terrible mal de saint Fiacre .
Les prêtres fidèles qui visitèrent Bournonville sont
M. de la Martinière qui ne fit que passer ; M. Dutertre
qui y parut fréquemment et hardiment ; M. Delaporte ,
M. Larose , M. Calais qu'on nomme encore M. Antoine ,
enfin M. Allan , qui a séjourné jusqu'à six mois à Liane .
On disait la messe chez M. Hache- Muselet ; chez
M. Lemain , au Mont ; chez Sébastien Mercier , à la
Queue Morel , et chez M. Boutoille , au hameau de la
Drouille .
Alincthun fut surtout visité par son curé fidèle , M.
Ducrocq, M. Delaporte et M. François Tyrelle , mis-
sionnaire , qui réunissaient les fidèles chez Eloi Chivet .
Belle vit fréquemment les mêmes prêtres ainsi que
MM . Roube , Calais , Deldrève et Magniez . Crémarest
conserva son curé , M. Calais , et le curé d'Hardinghem ,
M. Louis Cousin qui restait caché chez ses parents .
Les rendez -vous des catholiques étaient d'ordinaire à
la ferme de la Billarderie , chez les dames de Varen-
nes , à la Corée et au Roret . M. de Caumont , de Colem-
bert , y resta également caché et eut souvent pour
compagnons M. Corne , préfet de mission , M. Deldrève ,
de Boursin , et M. Magniez , du Waast. Ces prêtres se
déguisaient en bûcherons et en marchands , et disaient
33
514 LE CULTE CACHÉ

surtout la messe chez Jean Houbronne, Louis Ber-


nard , Jacques Noël et François Caux . On se réunissait
aussi souvent au château de Boursin .
Werwignes nous rappelle le souvenir de profana-
tions odieuses et de châtiments providentiels . Le
principal auteur des spoliations sacrilèges qui s'y com-
mirent fut un nommé Lehoyet - Lebrun , qui vint de
Boulogne , avec quelques mauvais sujets , enlever à
l'église ce qui avait quelque valeur. Deux habitants
du village se joignirent à eux ; le premier était un
nommé Feutry , dit la Source , et le deuxième un nom-
mé Delattre . Ces deux malheureux prenaient plaisir à
pourfendre les statues des saints qu'ils appelaient les
immobiles , ajoutant à ces sacrilèges mille autres plai-
santeries les plus grossières . Mais la main de Dieu
s'appesantit sur eux d'une manière si frappante et si
terrible que le souvenir en est encore vivant dans la
paroisse . « J'ai entendu sur ce point , dit le curé , huit
personnes dignes de foi qui ont connu les deux misé-
rables . Feutry resta quatorze ans dans son lit immo-
bile et dans le plus triste état , ne pouvant faire usage
d'aucun membre et accablé de toutes les infirmités .
Le second eut une agonie de huit jours , pendant la-
quelle il poussa des cris si effrayants que les voisins
en étaient terrifiés . Tous deux furent tourmentés de
douleurs et d'infirmités qui rappelaient leurs plaisan-
teries sacrilèges . »
Pendant que ces impies exerçaient ainsi leur fureur ,
lorsque le curé restait tranquillement sans être in-
quiété, que le vicaire avait disparu , le Seigneur
n'abandonna pas entièrement cette petite portion de
son troupeau .
MM . Allan , vicaire de Boulogne , Dutertre , Leblond ,
Antoine Calais, se dévouèrent à ce ministère périlleux .
La mémoire de M. Allan surtout est restée vénérée.
Il serait long de raconter les dangers auxquels s'exposa
ce prêtre intrépide .
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 515

L'endroit où M. Allan célébrait le plus souvent les


saints mystères était une ferme habitée par la famille
Quéhen . Cette maison est située au centre d'une por-
tion de la paroisse appelée Eclogne ; elle porte le nom
de ferme de la Bouffeterie . Dans une grande place
isolée sur le bout du bâtiment , on avait préparé tout
ce qui était nécessaire à la célébration de la sainte
messe ; le tout était caché avec soin . Le dimanche , les
amis , les voisins , s'y rendaient à l'heure dite et enten-
daient la messe . Un jour , on fut surpris par les gen-
darmes , mais grâce au sang-froid du maître de la
maison , M. Allan put s'échapper . On raconte un autrè
fait. C'était le jeudi de la Fête -Dieu . Ce jour- là , à
cause de la solennité , beaucoup de personnes s'étaient
rassemblées pour entendre la sainte messe qui devait
être célébrée à 10 heures . La cour et le jardin de lå
ferme en étaient remplis , et la messe allait commen-
cer . Tout à coup survinrent les gendarmes ; aussitôt
tout le monde de se disperser de côté et d'autre . Un
vieillard seul resta immobile , appuyé contre le mur
près de la porte de la maison . Les gendarmes s'ap-
prochèrent de lui furieux : « Tú étais venu aussi pour
assister à la messe . Oui , dit noblement le vieillard ,
je n'en rougis pas , je m'en fais gloire . - Qu'on t'y
reprenne . Quand vous voudrez ; lorsque je saurai
qu'il y a une messe dans les environs , je n'y mán-
querai pas . Et je ne vous crains pas . » Les gendarmes
déconcertés se retirèrent, et quelque temps après la
sainte messe était célébrée .
M. Antoine Calais célébrait aussi de temps en temps
les saints mystères dans une ferme isolée , située près
du territoire de Crémarest, où se réunissaient les pa-
roissiens qui habitaient de ce côté et les habitants de
Crémarest . M. Leblond célébrait souvent au château
de Quesques , annexe de Werwignes .
Desvres dut à sa qualité de chef-lieu de canton des
saturnales plus sacrilèges et des destructions plus
impies que toutes les paroisses voisines .
516 LE CULTE CACHÉ

Les riches ornements de l'église et plusieurs statues


remarquables furent profanés ou brûlés sur la place ,
en 1793. La chaire servit de tribune et l'église devint
un lieu public de réunions et de divertissements . Il y
avait un beau crucifix près de la chaire ; Noël Bertoux
monta sur une échelle pour le décrocher ; mais il tomba
et fut gravement blessé.
« Quant au Saint- Cierge , apporté par Eustache ,
comte de Boulogne , en 1107 , qui l'obtint de l'évêque
Lambert, son parent, pour remédier au mal des
Ardents , et qui n'avait pas encore diminué en 1682 ,
quoique très souvent allumé , il fut brûlé aussi sur la
place . On fit un théâtre aux quatre coins duquel se
tenait une jeune fille en blanc , près d'un réchaud allumé ,
dans lequel on faisait fondre les morceaux du Saint-
Cierge pendant ce temps , les citoyens chantaient et
dansaient à l'entour .
« M. de la Sablonnière en conserva , dit-on , un mor-
ceau qu'il cacha dans un grenier sur la place . M. Du-
tertre le lui demanda pendant son administration et on
ne sait pas ce qu'il est devenu . Il ne reste plus que la
niche où ce précieux objet était déposé . »
MM . Allan , de Boulogne , et Delaporte , devenu cha-
pelain de la Chapelle française à Londres , allèrent
toutes les semaines dire la messe à Desvres , malgré
les dangers très sérieux auxquels les exposait cette
démarche .
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 517

§ 2. - A Menneville, Samer et Herly.

Les meneurs de Menneville , Duburquois, Brillard et Oyez. – Expé-


dition des Desvrois. Les prêtres cachés à Menneville et leurs
protecteurs. - Anecdotes concernant M. Dutertre. -
— Haute situation
de ce prêtre. Les environs de Samer. - Profanations de ce bourg.
La visite de Le Bon. - Fêtes et mascarades sacrilèges . Reli-
gieuses insultées . M. Jean- Marie Hochart. Son histoire.
Le culte caché dans le canton d'Hucqueliers , et dans les environs
de Licques .

Les notes du curé de Menneville vont maintenant


nous donner la physionomie un peu plus complète de
ce que furent, sans doute , la plupart de nos bons villages
du Boulonnais durant cette période mouvementée du
Culte caché . Il est vrai que nous rencontrons ici l'un
des héros les plus sympathiques de notre clergé per-
sécuté l'ancien vicaire de Croisettes et en même temps
le futur curé de Menneville , l'abbé Dutertre .
L'annaliste de Menneville commence par donner une
idée des trois principaux meneurs du parti révolu-
tionnaire , qui furent les adversaires de l'abbé Dutertre
et surtout les persécuteurs du vieux curé , M. Herbaut.
C'étaient Eustache Duburquois , Juste Brillard et Mat-
thieu Oyez .
<< Duburquois , dit-il , a brûlé sur le cimetière les sta-
tues des saints ; tout le monde sait qu'étant au haut du
maître autel et tenant la statue de Saint-Omer , patron
de la paroisse , il la jeta sur le pavé en disant : « Si tu as
du pouvoir , tu le feras voir . » Or , ce garde , venu ici de
Calais ou des environs , mourut en 1810 , en proie à des
souffrances fort extraordinaires par leur durée et leur
rigueur. Mais il est encore certain qu'il a donné toutes
les marques d'un repentir sincère ; il invoquait avec
larmes , le jour et la nuit , le secours des saints qu'il
avait outragés et se faisait souvent donner le crucifix
qu'il baisait avec attendrissement,
518 LE CULTE CACHÉ

<< Juste Brillard a acheté le presbytère et l'a revendu


à la commune , en 1812 , pour la somme de 1650 francs
et, lorsque par ordre du préfet, on fit choix de dix ci-
toyens attachés au gouvernement républicain et ayant
donné des gages de leur amour pour la liberté , afin de
former le conseil municipal, Juste Brillard fut le pre-
mier sur la liste .
« Enfin , Mathieu Oyez a succédé à M. Herbaut dans
la fonction d'officier civil et laissé la plus mauvaise
réputation . La personne la plus âgée de la paroisse
assure que , bien que marié depuis plusieurs années à
l'église , il s'est présenté à l'évêque Porion pour rece-
voir les ordres et qu'il a dit la messe , mais en pays
étranger ; il n'est jamais revenu à Menneville après son,
absence à ce sujet et l'on dit qu'il mourut de l'une de
ces morts dont il y eut alors tant d'exemples . En gé-
néral , la population de Menneville et de Saint- Martin-
Choquel s'est montrée fort affligée de toutes ces infa-
mies et n'y a pris aucune part . Un jour même que
Boulogne , de Desvres , avait donné une fête impie dans
l'église , Pruvost , le maréchal du hameau de Pier-
rettes , tira la planche qui servait à passer un petit
ruisseau près de sa maison et obligea la compagnie à
marcher dans l'eau en s'en retournant : néanmoins ,
aucun châtiment ne s'en est suivi . Mais les Desvrois
avaient emporté certains décors d'une forme ronde ,
arrachés à la chaire de vérité , et chemin faisant ils les
élevaient au bout du bras et criaient : « Voilà les têtes
des aristocrates de Menneville ! voilà les têtes des aris-
tocrates de Menneville ! »
« Les confesseurs de la foi qui ont signé les actes de
baptêmes et mariages conservés dans les archives de la.
paroisse sont nombreux. On y compte : MM . J.-B. Du-
crocq , J.-V. Roube , prêtres catholiques approuvés pour
les fonctions curiales dans le diocèse de Boulogne ;
Calais , prêtre catholique , curé de Landrethun , des-
serviteur d'Alincthun ; Hache , desserviteur de Bournon-
DANS LE DIOCESE DE BOULOGNE 519

ville ; Mancion, religieux bernardin , desserviteur de


Carly ; Delaporte 9 prêtre-missionnaire ; Sauvage ,
prêtre-missionnaire , et surtout J.-J. Dutertre .
<<< Pour protéger ces prêtres , on avait préparé des
cachettes et des habits de domestiques ou de marchands .
Le costume et le langage le plus vulgaire étaient ce
qui empêchait le mieux de reconnaître un prêtre ca-
tholique . M. Delaporte portait ordinairement un bonnet
de peau de renard avec la queue pendante sur le dos.
M. Dutertre , cependant, dont nous devons parler d'une¹
manière toute particulière , préférait un costume de
chasseur et voyageait armé . Ce qui fait comprendre
pourquoi il avait ce goût , c'est qu'avant d'être sémi-
nariste de Boulogne et ordonné prêtre des mains de
Monseigneur De Pressy , il avait été élève de l'École
militaire de Paris et condisciple du prince qui, plus /
tard , fut Louis XVIII , et officier de l'armée . Forcé de¹
quitter Croisettes , où il avait été nommé vicaire en
sortant du séminaire , il alla rejoindre l'armée royaliste ,
en fut nommé aumônier et reçut le titre de chevalier
de l'ordre royal , militaire et hospitalier de Notre - Dame
du Mont-Carmel et de Saint- Lazare de Jérusalem .
Enfin , muni de pouvoirs pour tout le diocèse de Bou-
logne, il vint à Rimboval , où il était né d'une famille
noble , et aux environs, mais surtout à Saint- Martin-
Choquel Menneville et Vieil - Moutiers , exercer le saint
ministère , et on peut dire aussi braver la persécution . »
Viennent ensuite quelques anecdotes que nous nous
garderions bien de ne pas recueillir .
« Buret, garde , patriote exalté et dénonciateur , fait
un jour à Bournonville la rencontre de M. Dutertre et
lui crie d'un ton menaçant : « Tes papiers , citoyen . »
Notre ancien officier , faisant semblant d'obéir , arme
son fusil , vise le républicain et crie encore plus fort :
« Bas les armes . » Buret , effrayé , tombe à genoux , con-
sent à déposer son fusil , qu'il viendra reprendre plus
tárd et s'éloigne .
520 LE CULTE CACHÉ

« Le missionnaire avait besoin de passer la nuit


dans une ferme où l'on savait qu'on devait venir pour
l'arrêter ; d'accord avec le maître , il prend des habits
de domestique et se range parmi les hommes de cette
classe. La patrouille arrive , c'est M. Dutertre qui est
chargé d'aider à faire la perquisition ; il la fait en mon-
trant de la mauvaise humeur et en disant qu'il a
besoin de se reposer. Enfin il quitte les républicains
qui lui demandent où il va , il donne en s'en allant une
réponse analogue à l'habit qu'il porte , fait le tour du
bâtiment et revient prendre dans la maison sa place au
milieu des autres domestiques .
<< Il paraît aussi qu'il dut un jour sa conservation au
nommé Pierre Caux , garde des propriétés du château
Saint-Martin , son compagnon ordinaire pendant ses
voyages nocturnes. Pierre Caux, homme d'une force
herculéenne , aurait traversé une pièce d'eau en por-
tant sur son dos M. Dutertre , dont la taille approchait
deux mètres . Enfin , il est raconté qu'il a plusieurs fois
échappé des mains des gendarmes par la vigueur et
l'agilité de son excellent cheval , qui savait même fran-
chir les haies si communes en ce pays .
<< En arrivant à Menneville , M. Dutertre trouva d'abord
un asile chez François Jennequin , propriétaire de
quelques hectares de terre et d'une petite maison
située sur la route de Selles à Desvres et à deux kilomè-
tres de cette ville . Bientôt après , Mme Mauduit lui ou-
vrit les portes du château de Saint- Martin et il y trouva
une pension généreuse l'espace de neuf ans , c'est- à-
dire depuis 1795 jusqu'à 1804 , époque où il fut nommé
curé de Menneville et Saint - Martin - Choquel .
<< M. Dutertre n'a pas laissé expressément par écrit
quelle était l'étendue de ses pouvoirs ; on lit seule-
ment en tête du registre Missionnaire pour tout le
diocèse de Boulogne , par lettre du 11 octobre 1795 .
Par ses actes , on voit qu'il dispensait des bans du
temps clos et de la parenté au 4 ° degré et cela pour
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 521

les paroisses de Menneville , Saint- Martin -Choquel ,


Vieil- Moutier , Selles , Brunembert , Bournonville , Hen-
neveux , Longueville et Courset. La fréquence de ses
rapports avec Sa Grandeur Monseigneur l'évêque de
Boulogne est attestée par des témoins autorisés .
« On disait la messe à Menneville chez ledit François
Jennequin , chez le père Caux et chez Jacques Louchez ,
à la ferme des Pierrettes . Ce fermier était proche pa-
rent de M. Mancion , et ce dernier s'y est caché bien
longtemps . A Saint-Martin , on n'a pas dit la messe
ailleurs qu'au château , et non seulement on y célé-
brait les offices , mais on y faisait aussi le catéchisme .
Outre M. Dutertre , une religieuse ursuline du nom de
Saint-Jean- Chrysostôme , s'était réfugiée aussi dans ce
château .
<< La maîtresse elle -même ne le cédait à personne
pour le zèle à instruire les enfants qui accouraient de
tous côtés afin de faire la première communion .
<< La Providence n'a pas permis qu'une dame aussi
bienfaisante fût privée de ses biens ni mise en arresta-
tion . Elle se servit , paraît- il , pour cela , en particulier
du chef de la brigade des gendarmes de Desvres qui ,
sitôt qu'il avait reçu l'ordre d'aller faire une perquisi-
tion au château de Saint-Martin , faisait prévenir
Madame . M. Dutertre y fut cependant arrêté un jour
pour cause de complicité dans le pillage d'une voiture
publique aux environs de St- Pol ; mais c'était, dit- on ,
sous le Consulat, et il vint à bout de se disculper . »
Les villages qui entourent Samer paraissent avoir
été comme lui et plus que d'autres sous l'influence des
idées révolutionnaires , et peu favorables aux prêtres
fidèles .
Tingry, par exemple , Doudeauville , Hesdin-l'Abbé ,
Camiers et Dannes , virent leurs curés prêter le serment
constitutionnel . et le célèbre Baret, un moment curé
de Samer , ne manqua point de tenir toute cette région
sous sa dépendance .
522 LE CULTE CACHÉ

Il n'arriva cependant pas à en éloigner les prêtres


fidèles , qu'il poursuivait avec acharnement. C'est ainsi
que nous retrouvons à Tingry MM . Allan , Leduc , Man-
cion et Séguin. Ce dernier y fit même des premières
communions et , poursuivi par les gendarmes , il ne
leur échappa qu'en escaladant un mur .
A Hesdin-l'Abbé , on signale encore MM . Mancion
et Séguin avec MM . Delaporte et Framery.
La notice historique de M. l'abbé Lefebvre , sur Ha-
linghen , nomme avec honneur MM. Persuanne et Ber-
tout, M. Claude Poulain et M. Nicolas Duval , qui se
chargèrent successivement des intéréts spirituels de
cette paroisse, et les familles Bertout, Robert et Leleu ,
qui accueillirent ces prêtres avec autant de sollicitude
que de respect .
Mais pendant que , dans la campagne voisine , quel-
ques honnêtes familles montraient encore des senti-
ments religieux , le bourg de Samer devenait un centre
d'impiété sacrilège qui lui assure , à ce point de vue ,
une triste célébrité .
Inutile de dire que l'église de Samer fut dépouillée ·
de toutes ses richesses . On y admirait entre autres un
calvaire de toute beauté , qui était placé au haut de
l'arcade qui sépare le chœur de la basse église ;
Mgr de Pressy ne pouvait se lasser d'admirer ce chef-
d'œuvre , et chaque fois qu'il venait à Samer , il se
prosternait avec sa suite au milieu de la grande nef,
pour adorer la croix . Ce calvaire fut décroché , jeté à
terre et brûlé sur la place avec les statues des saints
qui entouraient le chœur. On ne se contenta pas d'ar-
racher ces statues de leurs niches , on brisa jusqu'à
leurs supports . Une statue avait été épargnée cepen-
dant c'était celle de la sainte Vierge. Mais ce fut pour
la réserver à une profanation plus sacrilège encore .
Une estrade fut élevée au milieu de la place , sur cette
estrade un autel à la déesse Raison et sur cet autel fut
placée la statue de la sainte Vierge que l'on avait cos-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 523

tumée et coiffée de l'ignoble bonnet rouge . Des enfants


jetaient des fleurs , et l'on se faisait un plaisir cruel et
impie de forcer les personnes les plus pieuses à monter
sur l'estrade .
L'ostensoir tomba entre les mains d'un nommé
Vasseur, l'un des plus impies républicains : il eut l'au-
dace sacrilège de monter sur la fenêtre d'un cabaret
et de donner un simulacre de bénédiction , en proférant
d'horribles blasphèmes.
L'église , dépouillée de tout , fut changée en salpé-
trière ; pour inaugurer la salpétrière , le nommé Jean
Debove Bizet et sa compagnie , allèrent abattre un
calvaire situé sur la route de Tingry. Ils le traînèrent
avec la croix jusqu'à l'église , et là ils le brûlèrent pour
faire du salpêtre en disant : « Brûlons -le par les pieds ,
afin qu'il voie celui qui l'a brûlé » . Le Bon et Dumont
vinrent à Samer animer encore le zèle farouche et
destructeur de ces patriotes impies.
La chaire servit de tribune à Le Bon pour haranguer
le peuple et débiter des blasphèmes contre la religion
et ses ministres . Une personne pieuse , Mlle Dufour ,
ayant été forcée d'assister à cette harangue , montrait
souvent à ses amies la place qu'elle avait arrosée de
ses larmes en entendant de telles , infamies . Il paraît
que la vue des confessionnaux qui se trouvaient encore
dans l'église inspirait à l'infâme orateur une sortie
des plus virulentes contre la confession et ces ignobles
instruments de la fourberie des prêtres .
Quand Le Bon eut cessé de parler , un ivrogne de
profession demanda la parole et fit , impunément une
réplique pleine d'à- propos et de vérité : « Citoyens ,
dit-il, après ce que vous venez d'entendre , je n'ai que
deux mots à vous dire : c'est que nous sommes tous
foutus . >>
Toutefois , les paroles de Le Bon produisirent leur ‹
effet, les , confessionaux disparurent de l'église et ser- ..
virent de guérites : l'acharnement des patriotes contre
524 LE CULTE CACHÉ

ceux qu'ils appelaient aristocrates redoubla ; les plus


suspects avaient une sentinelle à leur porte ; on ne
pouvait entrer chez eux sans déposer ses paniers à la
garde de la sentinelle et on était scrupuleusement fouillé
en sortant. On allait écouter soir et matin aux portes
des maisons pour empêcher de prier Dieu : lorsqu'il y
avait des troupes à loger , on chargeait à dessein les 1
bonnes familles , que l'on désignait par un A sur les
billets de logement. Les soldats ne profitaient parfois
que trop bien des renseignements qui leur étaient
donnés pour tourmenter leurs hôtes . Le dimanche ,
tous ceux qui étaient réputés aristocrates étaient
forcés de travailler extérieurement , les dames devaient
transporter leurs rouets à leurs portes et filer à la vue
de tout le monde .
En revanche , on célébrait à Samer chaque décade
avec une solennité vraiment patriotique . A une heure
donnée , tout le monde devait se trouver sur la place ,
où l'on passait une revue de la garde nationale , on
exécutait quelques chants républicains . Un ancien
curé, M. Noulard , lisait le bulletin de la guerre ; on
faisait ensuite une ronde autour de la place , et, chose
étrange , on entrait ensuite dans l'église en chantant le
Te Deum avec un entrain extraordinaire .
Ce fut sans doute à la sortie d'un de ces exercices
diocésains qu'une fille nommée Suzette , réputée folle ,
mais pleine de foi et de courage , s'introduisit dans
l'église , saisit une des cuves remplies de salpêtre , la
transporta jusqu'au portail et la répandit sur les jam-
bes de nos patriotes qui se trouvaient sur les degrés
en s'écriant : « < Oh ! les profanateurs , ils disent que je
suis folle , mais je saurai bien faire respecter la maison
de Dieu . »
Ce n'était pas seulement les décades que l'on célé-
bra avec exactitude et entrain . Les patriotes de Samer
se firent un point d'honneur de reproduire en petit
chez eux tout ce qui se faisait dans la capitale et sur-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 525

tout les fêtes nationales . C'est avec leurs frères , les


patriotes de Desvres , qu'ils célébrèrent la fédération
à la suite de laquelle ils leur offrirent , dans une salle
de l'abbaye, un repas qui n'est encore qu'à moitié payé.
Quand la République fut menacée par les puissances
étrangères , qui lui avaient déclaré la guerre , ils firent
aussi une fête dans laquelle tous les souverains de
l'Europe étaient représentés avec des emblêmes inju-
rieux .
Un ignoble chaudronnier, nommé Guillaume Sanado ,
revêtu d'ornements sacerdotaux , monté sur un âne et
ayant sur la tête un dindon en guise de tiare , repré-
sentait le Pape . C'était lui qui ouvrait la marche et
criait à ses confrères : « Venez me défendre , mes en-
fants , venez me défendre et bientôt vous irez à con-
fesse ; » la reine de Russie était représentée par M. Pa-
toulet , qui était costumé en furie couronnée , avec les
bras nus et teints de sang ; il était aussi monté sur un
âne ainsi que ses confrères .
Un bossu , nommé Bretiaux , portait sur sa bosse le
pupître où se trouvaient les chants patriotiques et à
la main un drapeau surmonté d'un coq gaulois , au-
dessous duquel on lisait cette inscription de l'ex- curé
Noulard :
Quand ce coq chantera
La République tombera.

On aimait à lui demander , dans la suite , si vraiment


son coq avait chanté .
Une autre fois , ils célébrèrent avec non moins de pompe
la fête des vieillards . Ils prièrent tous les vieillards de
Samer et des environs de prêter leur concours à cette
manœuvre. Le plus âgé d'entre eux , Claude Sanu , de
Carly, se vit revêtir forcément de tous les ornements
sacerdotaux que l'on put trouver encore et conduire en
triomphe , accompagné des autres vieillards , jusqu'au
portail de l'église ; là lui était préparé un trône magni-
fique , où il s'assit majestueusement. Les patriotes
526 LE CULTE CACHÉ

venaient tour à tour fléchir le genou dévant lui , en di-


sant : Nous te saluons, papa ! Que désirez-vous , papa ?
Demandez , et vos désirs seront des ordres pour nous !
Le vieillard qui , au réste , était bien pensant , demanda
la mise en liberté de M. Bellanger, beau- frère de
M. l'abbé Butiaux , guillotiné à Boulogne quelque
temps auparavant. On lui promit d'avoir égard à sa re-
quête et M. Bellanger fut effectivement mis en liberté .
La fête se termina par un repas sur la place . Après
chaque mets , un citoyen essuyait courtoisement la barbe
de nos pauvres vieillards , qui n'avaient jamais été
l'objet de tant de soins.
On fit aussi la fête de l'agriculture . Tous les instru-
ments aratoires furent établis sur la place ; on les fit
même manoeuvrer . Des chevaux enharnachés à la ré-
publicaine furent attelés à une charrue , et on s'efforça
en vain de tracer un sillon , le sol résista malgré les
blasphèmes du conducteur et les encouragements des
patriotes .
Trois demoiselles de l'endroit eurent le triste hon-
neur de représentér , dans plusieurs fêtes , les trois
déesses : la Liberté , l'Égalité et la Fraternité ; les enfants
des aristocrates étaient forcés de venir leur jeter des
fleurs .
Mais la fête qui fut célébrée avec le plus de pompe fut
celle de l'Étre- Suprême . Pendant huit jours , les aristo-
crates furent obligés d'aller avec les républicains au
mont Ouret pour travailler à élever une énorme motte
de terre , sur le sommet de laquelle devait être placée
une statue. Au jour indiqué , on partit processionnelle-
ment du bourg de Samer pour se rendre à Ouret . En
tête marchait toujours le bossu , avec son pupitre et son
coq, puis venait une longue file de personnes vêtues
de blanc , portant des emblêmes et des inscriptions
patriotiques.
Tout le monde dut faire partie de cette cérémonie ;
on allait chercher , les armes à la main , ceux qui refu-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 527

saient de s'y rendre , et des sentinelles furent placées


aux portes du Tuafort pour empêcher de revenir avant
que tout fût terminé. Pendant tout le trajet, on chanta
la Marseillaise et d'autres chants républicains . Quand
on eut inauguré la statue , M. Patoulet prononça un
discours ; peut- être ne fut-il pas le seul , et on revint à
Samer convaincu , sans doute , de l'existence d'un Être-
Suprême.
Plus odieux et plus lâches qu'ailleurs , les patriotes
de Samer osèrent insulter les femmes .
La sœur d'un abbé avait doté la paroisse de trois
religieuses , deux pour l'instruction des jeunes filles et
la troisième pour le soin des malades. Ces bonnes reli-
gieuses continuèrent de faire la classe pendant un cer
tain temps avec un admirable dévouement, mais elles
en furent bien mal récompensées . Une troupe de ban-
dits , ayant à leur tête Biset et Fauquembergue , dit
Rabot, pénétrèrent de force dans leur maison et les
traînèrent au milieu des vociférations , jusqu'au bas du
portail de l'église . Là , ils les firent mettre à genoux et
les fouettèrent sans pudeur , à la vue de tout le monde.
Un ancien capitaine de cavalerie , M. Valois , alors com
mandant de la garde nationale de Boulogne , se trou
vait en ce moment à la porte . Il ne put voir sans indi-
gnation traiter aussi ignominieusement ces saintes filles
et mit aussitôt la main à son épée pour aller les dé
fendre ; et comme on lui barrait la porte pour l'en
empêcher, il passa par la fenêtre. Ces bandits aban-
donnèrent alors les sœurs , qui purent s'enfuir , pour se
jeter sur M. Valois , à qui ils arrachèrent sa perruque
et laissèrent son épée . Une des religieuses avait été
mise à l'abri des mauvais traitements éprouvés par ses
consœurs, grâce au citoyen Grébet , qui lui ouvrit sa
maison et lui permit de s'enfuir .
En dépit des scènes horribles et impies dont il fut
le théâtre, le bourg de Samer ne fut pas abandonné
par les prêtres catholiques . Celui qui se montra
528 LE CULTE CACHÉ

le plus assidu et le plus intrépide à le visiter fut


M. Séguin . Son pied-à-terre habituel était la maison
Darcy. On le vit aussi parfois chez Leleux , Géneau et
Delannoy. La femme du commandant de la place qui
était pieuse était sa protectrice et le faisait prévenir
des visites dont il était le but . Avec M. Séguin , Samer
reçut encore MM . Delage et Balin des environs de
Montreuil . On raconte également qu'au plus fort de la
Terreur on vit arriver de Boulogne un vieillard véné-
rable, un fouet à la main , comme un marchand de
poulains . Une sentinelle lui demanda où il allait , il
répondit qu'il allait acheter un chapeau . Or, la maison
du chapelier était justement celle où ce prêtre déguisé ,
connu sous le nom de M. Antoine , avait un malade à
administrer.
Avec les maisons déjà signalées, d'autres s'ouvraient
encore pour recevoir des prêtres ; on cite la ferme de
l'abbaye , le château du Crocq et la ferme de l'Épinoy.
Du côté de Frencq et d'Alette , les missionnaires du
Culte caché étaient nombreux et moins inquiétés que
dans le voisinage des grandes villes . MM . Delaporte ,
Dutertre et Jean - Marie Hochart, connu sous le nom
de M. Firmin , s'y distinguaient surtout .
Ce dernier , qui mourut seulement en 1843, curé de
Seninghem , était né à Louches en 1758. Elève du
collège Saint-Bertin , à Saint- Omer , il s'y distingua par
de brillants succès , et après ses études de philosophie
et de théologie , connues alors sous le nom de Quin-
quennium, terminées à Paris, il rentra dans le diocèse
de Boulogne licencié en théologie et maître ès- arts .
Desserviteur de Balinghen , qui avait pour curé un
prêtre infirme , vicaire d'Ardres et ensuite de Saint-
Nicolas-les - Boulogne , l'abbé Hochart était curé de
Dohem quand la Révolution le jeta sur le chemin de
l'exil.
Une lettre de lui relate comme il suit un incident
de cet exil : « Nous étions presqu'arrivés , dit-il , au
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 529

<< terme de notre course , et nous entrions dans une


« ville frontière du pays hospitalier qui devoit nous
« recevoir. Grand étoit notre embarras vis - à-vis d'un
<< hôtel où nous nous hasardâmes à la fin d'entrer . Le
<< maître de la maison nous reconnut bientôt pour des
« prêtres français ; mais l'air embarrassé de chacun
« de nous lui fit en même temps comprendre que nos
<< poches ne regorgeoient point d'écus . Nous lui de-
« mandâmes toutefois un appartement où nous pus-
« sions reposer nos membres fatigués et de la nourri-
«< ture dont nous avions grand besoin . Ce digne
<< homme nous accabla de prévenances les plus déli-
<< cates et un copieux repas nous fut servi à l'instant
«< même . A peine étions -nous à table qu'un messager
<< entre à l'hôtel et demande s'il n'est point arrivé de
<< prêtres français . Sur la réponse affirmative qu'on
<< lui fit : Il m'en faut sept, ajouta-t- il . Ce nombre sept
« étoit précisément celui des nouveaux arrivés . L'hôte
«
< fit entrer le messager dans la place où nous nous
<
«< trouvions . Il nous remit une lettre d'un seigneur
<
«< du voisinage , qui nous invitoit en termes très polis
<< à venir passer quelques semaines dans son château,
<< pour nous remettre de nos fatigues . A la lecture de
<<< cette lettre , nous nous sentîmes vivement émus ,
<< nous nous regardâmes les uns les autres , de douces
<< larmes couloient de nos yeux . Ne pouvant mécon-
<< naître dans cette circonstance les soins tout particu-
<< liers dont nous entouroit la divine Providence , nous
«< tombâmes à genoux pour l'en remercier dans toute
<«< l'effusion de nos cœurs . Nous prîmes ensuite le
<<< chemin du château. Le maître nous reçut avec la
<< plus franche cordialité ; il nous garda chez lui aussi
<< longtemps que nous le désirâmes , nous prodiguant
< comme à des frères les attentions les plus empres-
«
« sées , les égards les plus respectueux . »
Quand reparurent les premières lueurs de la paix
religieuse sur la terre de France , M. Hochart fut un
34
530 LE CULTE CACHÉ

des premiers à passer la frontière , et le préfet de mis-


sion lui confia les paroisses d'Herly et de Quilen
C'est de là que son zèle le porta dans tout le pays
d'alentour .
M. Delaporte avait sa principale retraite à Saint-
Denoux , M. Dutertre venait de Menneville , M. Coca-
trix , de Zoteux , d'autres d'ailleurs , et le canton d'Huc-
queliers tout entier était entouré d'une généreuse
compagnie de volontaires de la charité.
Mais il faut entrer dans quelques détails et nommer
tous ces héros inconnus du Culte caché dont la liste ,
aussi longue qu'elle soit , ne sera jamais complète .
A Parenty, c'est la famille Lance qui eut surtout le
privilège de recevoir les prêtres ; à Humbert , on disait
la messe chez Jean Ternel , chez Stal et chez Fr.
Danel ; à Saint- Michel , chez Adrien Delannoy et dans
la ferme de M. Charles Henneguier . Ce dernier abri-
tait également dans une petite maison des religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Montreuil , qui instruisaient les en-
fants à Allette , on se réunissait chez MM . Honoré ,
Gest et Framery . Il y avait chez Pierre Honoré une
cachette où l'on abrita souvent MM. Duhamel , Lou-
chet et Poulain.
Clenleu fut une des paroisses les plus hospitalières.
et les mieux administrées par les prêtres cachés . Les
familles Blin , Widehen, Duhamel , Vasseur , Delenclos ,
Ducrocq , Merlin et Mailly donnèrent successivement
asile à MM . Delahaye , religieux de Longuenesse ,
Dutertre , Gline , Poulain , Neuville , Allan , Cailleu ,
Duval, Duhamel , Gaignard et Louchet.
Beussent , dont le curé jureur Sagnier était un ber-
ger qui n'abandonna jamais sa houlette et son trou-
peau , recevait fréquemment M. Gaignard de Manin-
ghen , M. Allan , M. Poulain et M. Gline, de Sempy.
Maninghen, outre M. Gaignard , abritait son curé ren-
tré d'exil , M. Caron , qui célébrait surtout chez Claude
Bouchiquet, et MM . Cocatrix et Hochart.
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 531

Hucqueliers , dont le vicaire Butiaux mourut sur


l'échafaud à Boulogne , nous l'avons vu , fut desservi
par M. Danel , M. Gaignard , qui en était originaire , et
M. Cocatrix . C'est à Preures que M. Duhamel fut
arrêté et emmené en prison à Arras , mais MM . Ho-
chart, Gaignard et Danel ne négligèrent point pour
cela cette paroisse . Wiequinghem eut une dizaine
d'exilés et des fêtes révolutionnaires assez bruyantes
dans lesquelles les patriotes portaient en procession
un vieillard nommé Cicéron . Plusieurs maisons étaient
sûres néanmoins ; c'étaient celles des Vasseur , des
Dessaut , des Pérois . Augustin Noutour était le princi-
pal guide et le confident des prêtres . Parmi ceux- ci
on distingua MM. Delaporte , Dutertre , Leduc , Du-
crocq, Coubronne , Hochart et Gaignard . Zoteux fut
surtout confié aux soins de MM. Danel et Cocatrix .
Le même M. Cocatrix parut également à Bécourt . A
Bezinghen , on signale le frère d'un fermier de Beau-
riez , qui , de la ferme de son frère où il était caché ,
pourvoyait aux besoins du culte . Il disait aussi la
messe chez M. Fournier .
Un excellent chrétien de Bourthes , M. Lemaire , qui
avait ouvert libéralement sa maison au curé M. Lor-
gnier , avant son départ pour l'exil , continua de rece-
voir les prêtres cachés , notamment MM . Hochart ,
Duflos , Delahaye et Caron . On disait encore la messe
chez M. Sauvage , chez le meunier Guilbert, chez
Cousin , chez Danel et chez Aliam. Après son retour ,
en 1797 , M. Cocatrix , qui était surtout chargé de
Bourthes et de Zoteux , résida également chez M. Le-
maire , qui lui fit préparer un local assez vaste pour
lui tenir lieu d'église .
Campagne-les - Boulonnais ne manqua pas davan-
tage de prêtres . On y nomme MM. Declémy, Watrez ,
Delaporte , Hochart et Dutertre comme missionnaires .
Ergny était une paroisse simple et pieuse mais qui
fut troublée par un trop célèbre jureur nommé Brédel .
532 LE CULTE CACHÉ

Celui - ci s'y installa avec toute une tribu de familiers


qui lui donna de l'influence et qui amena des dévasta-
tions , des luttes et des dénonciations de toute sorte.
M. Hochart parut néanmoins plusieurs fois à Ergny.
Il célébrait les saints mystères chez les dames de
Rompré, chez Pierre Loisel et chez Grignon . A Aix ,
M. Martel reçut aussi plusieurs fois MM. Dutertre ,
Delaporte, Gline et Cocatrix .
En remontant vers le Nord , par les doyennés d'Al-
quines , de Marck , de Tournehem et de Guînes , c'est
M. Lorgnier que nous rencontrons le plus souvent , et
çe sont les paroisses de Licques et de Hardinghen
qui se signalent surtout .
Fréthun eut deux brûleurs de saints tristement cé-
lèbres : c'étaient Roger , dit Papet, et Bodechon . Son
curé , M. Bucaille , fut député aux États - Généraux en
1789 et au Corps législatif après le 18 brumaire ; on
sait qu'il prêta serment à la Constitution , sans avoir
pourtant suivi la Révolution dans tous ses excès . Il se
retira dans le presbytère qu'il acheta avec ses dépen-
dances . Sa présence à Fréthun empêcha les prêtres
fidèles de s'y rendre mais les habitants de la paroisse
allaient recevoir les sacrements et assister à la messe
à Nielles , à Peuplingue et à Saint-Tricat.
M. Ducrocq, qui avait été ordonné à Ypres en 1792
et 1793 , revint dans la région exercer le saint minis-
tère avec fruit . Il disait souvent la messe dans la
chapelle de l'ancienne abbaye de Beaulieu , dans un
· hameau isolé , sur la lisière d'un bois où il lui était
facile de trouver un asile , et évangélisa les paroisses
de Fréthun , Hardinghen , Fiennes , Caffiers , Ferques
et Landrethun .
A Peuplingues , avec lui se rencontrent M. Castillon ,
curé de Nielles , et surtout M. Lorgnier . Ce dernier fit
même des premières communions très nombreuses
dans la ferme de M. Louis Lacroix , la Bien- Bâtie .
Herbinghem se laissa généralement entraîner par les
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 533

idées nouvelles et on ne cite guère que la famille Le-


maire - Butor qui n'ait point pactisé avec l'erreur : elle
donna souvent asile à MM . Boidart et Balin. Son curé
constitutionnel , ordonné par Porion à vingt ans , n'était
point un méchant homme . Après la Terreur , durant
laquelle il s'était fait cloutier à Saint-Omer, il revint à
Herbinghem , abjura ses erreurs , et resta sans inter-
ruption à la tête de cette paroisse jusqu'en 1856. Hoc-
quinghem , qui demeura plus fidèle au vieux culte , fut
maintenu dans ses principes religieux par M. Boidart
et M. Héam . On les recevait dans les familles Dela-
follye et Fourcroy . A Bonningues -les - Calais se retrouve
fréquemment M. Lorgnier ainsi qu'à Hames - Boucres .
Ce sont les femmes de cette dernière paroisse qui sau-
vèrent leur église en ne permettant pas aux ouvriers
de monter à l'échelle pour la démolir .
Licques devait à son titre de chef-lieu de canton de
se distinguer par quelque haut fait révolutionnaire ;
c'est à la fête de la déesse Raison qu'elle essaya de se
distinguer .
<< En 1794 , on conduisit sur une charrette , dans tout
le bourg, une jeune fille , Pétronille Daye , morte à
Boulogne , en chantant des chansons républicaines en
l'honneur de la liberté . Elle était accompagnée d'un
vieillard , Pierre Caron . La voiture s'arrêta devant
l'arbre de la Liberté , qui était au milieu de la place
où se tient le marché au grain ; on y avait construit
une estrade d'où le notaire Bouret, chef des révolu-
tionnaires , fit aux curieux une harangue en faveur de
la République ; la fête se termina par des danses et des
libations . >>
534 LE CULTE CACHÉ

$ 3. - A Hardinghen, Dohem et Fruges.

Hardinghen. - Ses mauvais prêtres. - Le grand auto-da-fé. -


Châtiment des coupables. ― La ferme d'Héronval . - Les prêtres
fidèles. Esquerdes , Wismes, Saint-Liévin , Thiembronne, Her-
belles . · Dohem, centre religieux de la région . M. Alloy et M.
Paris. Leurs épreuves. Les vertus et les services de M.
Braure. - Roquetoire. Les environs et le bourg de Fruges.

Le curé intrus de Licques , Nicolas Crépelle , qui s'y


maria, ne parvint pas à empêcher M. Ballin d'y comp-
ter des fidèles quand il y venait , ainsi que M. Boidart .
Leur principal auxiliaire était un maréchal-ferrant du
nom de Bailly.
Hardinghen eut également ses vicissitudes , grâce
aussi à son titre de chef-lieu de canton et à ses mau-
vais prêtres . Son curé , M. Louis - Marie Cousin , prêtre
pieux et fidèle , se retira , en 1792 , à Crémarest , dans
la ferme de la Billiarderie qu'habitaient ses parents . Il
s'y tenait caché le jour et disait la messe chaque nuit
un peu avant l'aube .
Le vicaire Hennuyer prêta serment et fut nommé à sa
place . Le désordre de ses mœurs et l'exagération de
son patriotisme sont notoires . Il épousa , le 21 juin
1794 , Catherine Roussel qu'il avait séduite , et devint
officier du salpêtre , juge de paix , plus tard cabaretier
enfermé pour dettes , et enfin désensorceleur et déni-
cheur de trésors . Il mourut à Locquinghen , hameau
de Réty , le 1er août 1833 , impénitent et misérable .
Le chapelain du château de la Verrerie , Antoine
Despretz , jura aussi , devint curé de Boursin et épousa
Florentine Pichon , fille du maître d'école d'Hardin-
ghen .
Dubois , vicaire d'Hennuyer et curé porionné ,
retourna à Saint- Omer et devint avocat .
Hardinghen eut enfin un dernier prêtrejureur , nommé
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 535

Simon-Noël Caron , natif d'Hesdin - l'Abbé , ancien moine


prémontré de Licques , curé constitutionnel de Fiennes ,
qui épousa , le 28 juin 1799 , Marguerite Parmentier ,
et qui devint commis aux établissements des mines et
verreries d'Hardinghen . Il se réconcilia avec l'Église ,
fit réhabiliter son mariage, en usant des faveurs de
Pie VII , et mourut le 20 août 1831. Le presbytère fut
vendu , la dîme de 137 livres supprimée , l'église dévas-
tée , et quand Joseph Le Bon vint à Hardinghen adres-
ser au peuple une harangue patriotique , les curés
d'Hardinghen et de Fiennes , Hennuyer et Caron , lui
remirent leurs lettres d'ordination , pour qu'on en fît
un auto-da-fé.
On raconte encore que toutes les statues des saints
des villages qui composaient le district d'Hardinghen ,
Fiennes , Réty , Wierre , Caffiers , Hermelinghen , Bour-
sin et Hardinghen , furent réunies et apportées sur un
vaste bûcher dressé sur le terrain communal . Une
jeune fille , Sophie Doaille , fut obligée d'y mettre le
feu . Il paraît qu'elle mourut jeune encore , dévorée
d'un chancre que l'on considéra comme la punition de
sa faiblesse criminelle .
La plupart des auteurs de ces scènes coupables , les
Marmin, les Dagbli , les Admont , les Mombreux , eurent
également une fin misérable .
Il y eut , comme ailleurs , arbre de liberté , club popu-
laire , cérémonies grotesques , feux de joie alimentés
par les parchemins et documents des administrations
locales .
Sous la Terreur , 10 mars 93-27 juillet 94 , on compte
un seul baptême par M. Cressonnier , alors diacre ,
plus tard curé d'Hermelinghem. L'année suivante ,
M. Delaporte commence à exercer le saint ministère .
En 1796 , M. Ducrocq , plus tard curé de Fréthun et
d'Oye, prêtre intrépide s'il en fut jamais , fit plusieurs
baptêmes et mariages .
On vit encore apparaître MM . Ballin , curé de Lic-
536 LE CULTE CACHÉ

ques ; Denin, curé de Mentque ; de Caumont , curé de


Réty ; enfin M. Louis Cousin revint de Crémarest et
reprit en bon pasteur la garde de son troupeau .
« La ferme d'Héronval , où l'on conservait une pierre
d'autel, servit le plus souvent de temple pour la célé-
bration des saints mystères . Il y avait aussi des orne-
ments sacrés . La famille Butor d'Hermelinghem don-
nait surtout asile aux prêtres . M. Cousin fut mis en
joue une fois par François Boidin , garde- champêtre
d'Hardinghen , qui menaça de le tuer s'il reparaissait
encore . M. Ducrocq ne fut sauvé des gendarmes , à
Locquinghen , que grâce à la présence d'esprit de son
garde, Louis Dutertre , qui se fit prendre à sa place .
Ordinairement M. Ducrocq avait une garde de douze
jeunes gens , six en avant et six en arrière . Ils étaient
pieux et très fidèles . »
L'absence de renseignements sur le Culte caché dans
le Calaisis où M. Lorgnier s'est particulièrement dis-
tingué , nous ramène dans les anciens doyennés de
Bomy, de Bléquin et de Fauquembergue qui furent, en
dernier lieu , sous la sage direction de M. Braure . Les
missionnaires n'y furent pas poursuivis avec trop
d'acharnement et l'on vante partout leur zèle et leur
prudence .
Esquerdes donnait asile à deux prêtres , MM . Pochet
et Dublaron , originaires de cette paroisse , où le pre-
mier était vicaire , et qui pourvurent à tous ses besoins
religieux. Serques conserva également son vicaire ,
M. Godart et M. Béausse , qui avait rétracté son ser-
ment , rendit des services précieux à partir de 1795. La
messe était surtout célébrée chez M. l'abbé Dublaron
et le commissaire des poutres et des salpêtres , M. Bar-
bier, se montra constamment l'ami de la religion et
des prêtres .
Wismes fut desservi par M. Dubuisson , dominicain ,
qui se retirait habituellement chez Nicolas Sergeant ,
chez Philippe Dallongeville ou chez Louis Thomas
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 537

Bucaille . A Merck- Saint- Liévin , le vicaire , M. Bon-


nière , qui desservait Avroult , n'émigra point , mais se
retira dans sa famille , à Dohem , d'où il continua de se
rendre à son annexe . Le curé constitutionnel de Saint-
Liévin , Séguier , homme faible et doux , fut assez mal
reçu . Un paysan , François-Joseph Lefebvre , sur-
nommé l'évêque de Masnay, lui rendit la vie particu-
lièrement dure.
C'est le même paysan qui introduisit à Saint- Liévin
les nombreux prêtres fidèles signalés dans les registres
de la paroisse ; c'étaient en 1793 , M. Duflos et le
P. Quidet ; en 1794 , M. Hochart ; en 1795 , le P.
Bertulphe Dalbreuve , récollet : en 1796 , M. Caresmel ;
en 1797 , M. Alloy , M. Bonvarlet , M. Risbourg ,
M. Dubuisson et M. Braure . Le vicaire , M. Bonnière ,
revint à Merck , en 1798 , et fut plus tard nommé curé .
Le curé de Thiembronne , M. Hubin , resta caché
dans sa paroisse et continua même à conférer les
sacrements et à tenir les registres . On vit néanmoins
passer dans cette paroisse MM . Delaporte , Delattre ,
Duflos , Delattre et ceux qu'on appelait M. Maxime et
M. Antoine . Ils furent reçus dans un grand nombre de
familles fidèles que comptait cette pieuse paroisse ,
notamment chez André Tellier , chez Jacques Dufay
au hameau du Fay, chez François Vidor au hameau.
d'Écuire , chez Jean- Baptiste Dufay et chez Me Levas-
seur de Fernehem .
Pihen reçut les secours religieux de M. Dublaron et
de M. Alloy qui y venait de Dohem . C'était encore
Dohem qui fournissait des prêtres à Delettes , à Cléty
et à Upen. Dans ce dernier village , on disait la messe
chez Pierre-Joseph Bouchart et chez les Senlecq .
Herbelles était un des principaux lieux de refuge de
M. Paris. Quoique très religieux avant la Révolution ,
à cause de cela peut-être , ce village fut le théâtre de
spoliations et de profanations nombreuses . Son curé ,
M. Defasque qui avait refusé le serment , fut accablé
538 LE CULTE CACHÉ

d'avanies . On le lia un jour et on le conduisit de force


chez un cabaretier nommé Pierre Mametz , où se don-
nait un de ces divertissements publics et obligatoires ,
alors si fort à la mode . Là, on voulut le faire boire , le
faire danser , lui faire embrasser l'arbre de liberté.
Finalement on le chassa avec sa vieille mère . Un voleur
du nom de Follet, que M. Defasque avait fait sortir de
prison, se joignit à ceux qui le poursuivaient . Il fut
remplacé successivement par quatre ou cinq prêtres
jureurs , dont le dernier , Nicol , trouva un jour un fléau
suspendu à sa porte . Les habitants d'Herbelles ne
furent cependant pas abandonnés , durant ces sa-
turnales . Outre M. Paris qui y reparut souvent,
MM . Serniclay, Lourdel , Delepouve et, plus tard , le
préfet de mission de Boulogne , M. Braure, y vinrent à
diverses reprises . Ils étaient reçus chez MM . Duchâ-
teau, Coutart, Toursel , François Allouchery , Gouy et
Philippe Hametz. Deux femmes , Alexandrine Duchâ-
teau et Prudence Obin , femme Toursel , qui portaient
ordinairement les enfants au baptême des bons prêtres ,
furent même arrêtées pour ce fait.
Le centre religieux de toute la contrée était cette
excellente paroisse de Dohem qui , avec Mesnil , for-
mait une sorte de forteresse où les prêtres étaient
entourés de la plus affectueuse sollicitude et à l'abri
de toute trahison .
Quand il eut perdu son curé , M. Hochart , et son
vicaire , M. Dié , obligés l'un et l'autre de s'exiler ,
Dohem trouva un missionnaire intrépide en M. Alloy,
un de ses douze enfants qui étaient prêtres , et que
Mgr Asseline avait ordonné en 1790.
Il se partagea d'abord la région avec un autre prêtre ,
intrépide comme lui , dont nous avons déjà parlé ,
M. Paris , missionnaire du Calvaire , qui , étant parti
pour s'exiler , fut arrêté par la Providence , au village
de Lambres près d'Aire , par un mal de pied qui l'em-
pêcha de continuer sa route .
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 539

<< Unereligieuse Béguine , d'Aire, Mme Locthemberg,


en ayant été informée , vint le trouver , lui proposa de
se retirer chez elle à Roquetoire , et s'offrit de pour-
voir à tous ses besoins . Il accepta son offre et ce fut
un bonheur pour tout le pays , à trois et quatre lieues à
la ronde . C'était un prêtre plein de zèle , très pieux et
capable , qui volait avec empressement partout où l'on
réclamait son ministère .
<< M. Alloy , lui , résidait particulièrement à Dohem,
où il se multipliait avec un zèle infatigable . Plusieurs
fois , il faillit tomber entre les mains des persécuteurs .
On raconte qu'un jour , après avoir célébré les saints
mystères dans une ferme où il s'était couché , un jeune
garçon d'environ 10 ou 12 ans accourt à la hâte avertir
le maître de la maison qui était son père , qu'une troupe
de soldats est entrée dans le village . On éveille aussi.
tôt M. Alloy, qui n'eut que le temps de se jeter à bas
du lit , s'enfuit avec ses souliers et ses habits dans
les mains , et alla se cacher dans un bois voisin . Il était
temps de fuir ; car à peine était-il sorti de la cour, que
la force armée arriva , visita la maison de fond en
comble, se saisit du chef et l'emmena à Saint- Omer :
c'était le moment de la plus grande Terreur. Si
M. Alloy avait été pris , il n'y a pas de doute qu'il n'eût
scellé sa foi de son sang.
« Un autre jour , M. Alloy se trouvait dans une mai-
son du Maisnil , hameau de Dohem, avec un autre
prêtre , M. Régnier , de Bourthes , je crois . Une troupe
de soldats accompagnés de quelques gendarmes arrive
sans que l'on s'y attende , cerne la maison de toutes
parts et met des sentinelles à toutes les issues . L'un
de ces Messieurs se réfugie dans une cachette pratiquée
dans un double pignon , l'autre est poursuivi dans le
jardin par un gendarme qui le prend par un pan de sa
chemise, qu'on lui laisse entre les mains . Cependant ,
le prêtre échappé à la poursuite du gendarme , qui le
frappe au bras avec son sabre , court à la faveur des a
540 LE CULTE CACHÉ

ténèbres rejoindre son compagnon dans sa cachette .


Les gendarmes , persuadés que les deux prêtres étaient
dans la maison , continuent de visiter tous les lieux . Le
brigadier entre dans une étable contigüe au pignon où
se trouve la cachette , voit couler du sang le long de la
muraille . Touché sans doute d'un sentiment d'huma-
nité , il sort précipitamment, ferme la porte et déclare
à ses gens qu'il vient de visiter ce lieu et qu'il est inu-
tile de faire une nouvelle recherche . C'est ainsi que la
divine Providence a sauvé ces Messieurs des mains de
leurs persécuteurs .
<< M. Alloy continua pendant plusieurs années de
porter partout dans les environs de Dohem les secours
de la religion , jusqu'à ce que M. Braure , bachelier de
Sorbonne , vicaire de Saint-Nicolas à Boulogne , qui
avait suivi Mgr Asseline en Allemagne , rentrât en France
avec le titre de préfet de mission ; il se fixa à Dohem . »>
Pour tracer ici le tableau des vertus de M. Braure ,
nous sommes heureux d'emprunter la plume même de
son confident et de son successeur à Dohem, M. Len-
glet .
Voici ce qu'il écrivait en 1849 , dans une notice
manuscrite consacrée à son saint ami :
<<< Avant de mettre la main à l'œuvre et de se livrer
à l'ardeur de son zèle , il pense à sonder le terrain qu'il
va cultiver et profite de toutes les circonstances pour
apprécier le degré de confiance qu'il doit accorder à
ceux qui l'environnent ; en un mot, tout en se laissant
conduire par l'esprit de Dieu , il ne néglige aucun des
moyens que lui suggèrent ses lumières et son expé-
rience , soit pour entretenir l'esprit de foi dans ceux
que la persécution a trouvés inébranlables , soit pour
rappeler dans la voie de la vérité ceux que la faiblesse
ou les préjugés ont rangés sous les bannières de l'er-
reur et du schisme.
<< Sa mission ne se borne pas à Dohem et aux parois-
ses environnantes ; il est chargé comme préfet de mis-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 541

sion, sous M. Augé , vicaire général , de l'administra-


tion du diocèse . On se souvient encore , dans tout le
pays , de la sagesse et de la prudence avec laquelle il
répondit à la confiance de son évêque. Dieu bénit visi-
blement son administration et il est incroyable com-
bien de succès vinrent couronner ses efforts . Non seu-
lement il ramena dans le sein de l'Eglise beaucoup de
fidèles égarés , mais plusieurs prêtres assermentés
vinrent faire entre ses mains des rétractations solen-
nelles qui produisirent d'heureux effets sur l'esprit
public.
<<< En travaillant à faire revivre la foi au milieu de
ses compatriotes , M. Braure n'avait garde d'oublier
ceux que leur fidélité retenait encore loin de leur
patrie . A l'imitation de saint Paul , il faisait des quêtes
pour envoyer des secours à ses frères exilés , notam-
ment à Mgr Asseline , et c'est surtout dans l'accomplis-
sement de ce pieux devoir que la divine Providence
s'est montrée favorable à son égard . Qui pourrait dire
toutes les sommes d'argent qu'il envoyait en Allema-
gne ? Sans doute , la cause de cette confiance sans bor-
nes que l'on avait en lui était la haute réputation de
vertu qu'il avait dans tout le diocèse.
<< Cependant , la persécution exerçait toujours des
ravages ; mais M. Braure , sage et circonspect , ne s'oc-
cupait que de ce qui regardait son ministère , toujours
en garde contre tout esprit de parti et ne faisant rien
qui pût aigrir les révolutionnaires . Il ne cherchait pas
à faire du bruit dans le monde.: toute son ambition
tendait au salut des âmes .
<< Que de services il a rendus à la religion durant
ces jours mauvais ! Que de difficultés il a levées par
ses lumières et ses conseils ! »>
Non content de s'occuper des besoins présents du
diocèse, nous verrons plus tard que M. Braure se
préoccupait des moyens de lui préparer des ouvriers
pour l'avenir en fondant, à Dohem même, deux écoles
542 LE CULTE CACHÉ

qui font encore aujourd'hui l'honneur de ce village


et le bienfait de toute la contrée .
Signalons encore aux environs de Dohem, Bomy où
le curé Bigand, de Calonne - Ricouart, rendit intrépi-
dement de grands services ; Coyecques où M. Alloy
se rendait fréquemment ; Erny- Saint-Julien où l'on
rencontre les noms de MM . Montpetit, Bigand et Che-
valier, qui trouvaient asile chez Pruvost et Duwez ;
Fléchin où parurent MM . Bigand , Lombart et Pruvost .
Les protecteurs des prêtres fidèles étaient MM . Jean-
François Pruvost, Célestin Barbier et Joseph Cordon-
nier . On disait souvent la messe à la ferme de la Car-
noye .
A Bomy, où les statues des saints furent brûlées ,
on raconte que celle de saint Charles Borromée se
redressa miraculeusement contre le profanateur et lui
appliqua un vigoureux soufflet .
L'histoire de la chrétienté de Roquetoire ayant été
écrite avec soin et amour par un de ses enfants , nous
lui empruntons les quelques traits qui se rapportent à
la question du Culte caché . Le curé jureur Delaire
n'arriva point à se faire accepter à Roquetoire , et tous
les cœurs restèrent au vénérable M. Caron ; mais la
fidélité des paroissiens , qui parvint à descendre et à
cacher les plus belles cloches de l'église, ne parvint
pas à sauver la chapelle de N.-D. de Saint-Amour du
marteau démolisseur , ni celle de Sainte -Anne .
La statue de Sainte-Anne , toutefois , fut sauvée par
un homme religieux du hameau de Warnes , nommé
Isidore May . D'autres courageux chrétiens , des familles
Paris , Blondel , Dutailly, Boitel, Cordier, Bruge , Ca-
rette et Leroy , se distinguèrent également par leur dé-
vouement aux prêtres cachés . L'un d'eux , paraît-il ,
donna même, sans s'en douter d'abord , l'hospitalité à
un archevêque français déguisé en marchand de che-
vaux. Le Père Georges Lombart, d'Auchy-au- Bois ,
trouva asile dans la ferme Dutailly, où il baptisa jus-
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 543

qu'à sept enfants à la fois . Le vénérable M. Caron .


habitait d'ordinaire sous le toit de Pierre Leroy, où
plusieurs fois , grâce à un déguisement d'ouvrier , il
échappa aux recherches des gendarmes . La famille
Blondel le reçut aussi fort souvent. C'est chez les
Vivien , sous un tas de paille , que l'on conservait les
vêtements sacerdotaux et même la sainte réserve
eucharistique qui échappa un jour , comme par miracle,
aux recherches des hommes de la police .
Le curé de Vincly , M. Collart, paraît avoir habité
sa paroisse pendant toute la Révolution ; il y tenait
même registre des sacrements qu'il administrait . Sa
cachette était, dit-on , très ingénieuse et il n'y fut
jamais inquiété . Il y reçut plusieurs autres prêtres ,
comme M. Hochart, de Bomy ; M. Vilain , d'Hézecques ;
M. Leprêtre , de Coupelle - Vieille ; M. Blanpain et
M. Nourtier . Matringhen a conservé le souvenir des
visites de M. Alloy, son futur curé . Radinghen se glo-
rifie d'avoir également possédé M. Leprêtre, qui faisait
même son domicile habituel de la maison de Martin
Duroucher. Il y fut dénoncé par un jardinier du châ-
teau , nommé Leleu , mais il échappa aux recherches
qui furent faites pour le trouver . C'est également
M. Leprêtre qui disait la messe à Rimboval , dans la
maison de ses parents , car il était originaire de ce vil-
lage . M. Dutertre y exerça aussi plusieurs fois le culte.
dans sa maison paternelle . Coupelle- Vieille fut long-
temps habité par MM. Demagny et Bonvarlet . Le pre-
mier y fut même arrêté et dirigé sur les prisons d'Arras ,
mais il parvint à s'échapper dans le voisinage du Pont-
du-Gy. M. Bonvarlet, qui était originaire du diocèse
de Besançon et professeur au séminaire de Boulogne ,
trouva un refuge dans la maison d'un brave ouvrier ,
appelé J.-B. Dewailly, chez lequel il se fixa ensuite
par reconnaissance . Créquy reçut aussi les soins de
MM . Demagny et Bonvarlet. On y rencontre encore
MM . Pique et Tillette . A Sains-les-Fressin , dont on n'a
544 LE CULTE CACHÉ

pas oublié que le curé était M. Liévin Bouvart , dont


nous avons parlé plus haut , parurent encore MM . Du-
tertre et Delaporte , le P. Hippolyte , de Lebiez , et
M. Cauwet, qui s'y tint longtemps caché . Comme le
P. Hippolyte , le P. Bertulphe , de Lebiez , resta caché
dans le pays , souvent à Lebiez même , chez M. Lecucq ,
où il disait la messe . M. Brebière , d'Embry , parut
aussi souvent dans cette paroisse . A Royon , où le
P. Bertulphe se rendait de temps en temps , l'institu-
teur Bracquart réunissait les paroissiens dans l'église
et chantait courageusement les offices .
La monumentale église de Fressin ne fut pas dé-
truite , mais elle fut saccagée , toutes ses statues furent
brûlées , à l'exception de celle de Saint- Martin à che-
val , réclamée comme jouet par un enfant , et qui fut
échangée contre quelques bûches . Les chapelles fon-
dées par les Créquy, notamment celles de Saint- Jean-
Baptiste et de Jésus flagellé , furent détruites : la statue
qui décorait cette dernière fut pourtant sauvée et remise
plus tard en honneur.
Le curé de Fressin , M. Cauwet , n'abandonna pas
son troupeau ; il resta dans la paroisse avec son frère
Dom Jean-Baptiste et M. Plagoult , prieur de Saint-
Saulve , de Montreuil , que la famille Louvet tint
caché .
Fruges était, nous l'avons vu, un centre actif de
mouvement révolutionnaire ; néanmoins , son ancien
vicaire , M. Régnier , y administra les sacrements en
secret avec M. Villain , M. Defasque et le célèbre curé
de Willeman . Dès 1795 , on y vit arriver M. Jorre qui ,
plus tard , enrichit l'église de quelques beaux débris
de l'ancienne chapelle de l'abbaye de Ruisseauville .
De tous les religieux dispersés de cette abbaye , le
seul abbé Dom Hurtevent parvint à revenir dans le
voisinage à l'époque du Culte caché . Il parut même
plusieurs fois à Ruisseauville et, quand il mourut à
Bucamp , paraît-il , avant la fin des mauvais jours , son
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 545

corps fut ramené pendant la nuit dans le cimetière de


la paroisse .
A Crépy , c'est encore le vaillant abbé Planchon que
l'on signale comme le ministre ordinaire du Culte ca-
ché . Il y fit même , dit- on , la procession du Très Saint-
Sacrement, dans la pâture d'un maréchal , nommé
Dupont. Ambricourt et Verchin furent aussi , nous
l'avons dit , le théâtre de son zèle . Dès 1797 , le curé
de Verchin , M. Vanescout , rentra également en secret
dans sa paroisse . Après lui , on vit MM . Lejosne et
Blocquel , tandis que l'abbé Planchon y venait en vo-
lontaire et finissait par s'y retirer au même titre.
Cavron- Saint-Martin , du doyenné de Vieil - Hesdin ,
n'oublia pas les conseils de son digne curé, M. Pater-
nelle qui , du reste , y reparut plus d'une fois durant les
mauvais jours . Son vicaire , M. Quilliet, le suppléa avec
intelligence et dévouement , et M. Planchon apporta
là aussi son zèle qui ne connaissait point d'obstacle .
Huby- Saint- Leu était sous la dépendance d'Hesdin
et recevait parfois la visite du Petit Poucet , que l'on
croit avoir été M. Thuillier.

$ 4. - Autour de Saint-Pel et Pernes.

Blangy-sur-Ternoise et la châsse de sainte Berthe. ― Le maire


Wenzel . M. Mathelin d'Humerœuil. -- M. Dambrenne de Beau-
vois. - · Croix et le P. Théodore. - Sa délivrance au bois du Bail-
leulet. - Ligny, Brias, Roëllecourt, Hauteclocque, Croiselles.
Pernes et ses environs. Châtiment terrible du prétendu malade
de Calonne-Ricouart.

Si nous passons maintenant sur la rive gauche de la


Ternoise , dans les cantons de Fillièvres et de Saint-
Pol , en dépit de la terreur inspirée par un des foyers les
plus actifs de la Révolution dans le Département , nous
trouvons également des prêtres nombreux et fidèles .
Blangy-sur-Ternoise , que sainte Berthe a immorta-
35
546 LE CULTE CACHÉ

lisé par sa vie , sa mort et son pieux pèlerinage , avait


été le point de mire des révolutionnaires . Dès le
6 octobre 1794, le juge de paix de son canton avait
dénoncé au District de Montreuil « une prétendue
châsse , d'une certaine fondatrice » , ce qui perpétue ,
ajoute-t-il , le fanatisme à Blangy et à quatre lieues
à la ronde . Le District « voulant détruire les restes
du fanatisme » envoya une commission chargée de
faire une enquête , de faire ouvrir la prétendue châsse ,
et de connaître si quelques religieux ne demeuraient
pas cachés dans cet endroit pour y semer le feu de la
discorde .
Sur la recommandation du juge de paix , le commis-
saire Prévost se fit prudemment accompagner de la
force armée , « parce que déjà les femmes s'étaient
attroupées pour empêcher le maire d'ouvrir le pré-
tendu reliquaire » .
Chose assez singulière , l'enquête ordonnée contre
les sectateurs du culte de sainte Berthe aboutit à la
confusion de ceux qui l'avaient réclamée .
Le 8 novembre , rapportent les registres du district
de Montreuil à cette date , sur l'initiative de Jacques-
François Prévost, beaucoup d'habitants de Blangy
viennent à Montreuil déposer contre Pierre -Joseph
Wenzel , maire de la commune , qu'il volait et traitait
en place conquise .
Ce maire autoritaire ouvrait , paraît-il , les armoires
de ses administrés , et de concert avec Merlin et Evrard ,
y faisait des razzias de cuillers , de bagues et de numé-
raire . C'est encore lui qui , après avoir formé des réu-
nions , s'y imposait, s'y montrait immoral , et provo-
quait au meurtre et au pillage des cultivateurs . Chez
Pierre Deretz , par exemple , il s'était approprié des
grains qu'il avait vendus ensuite et dépensés en orgies .
C'était encore un escroc , et il faisait des blessures ,
moyennant finance, pour soustraire les conscrits au
service militaire .
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 547

C'est ainsi que d'après le notaire , Charles Falem-


pin , il a vendu les ferrures du clocher et de l'église
au maréchal ; Charles Debuiche , la veuve Théodore
Varlet et Lambert Boutin ont particulièrement souf-
fert de ses avanies .
Pendant qu'on instruisait ce procès retentissant , que
Wenzel était arrêté et emprisonné à Hesdin , la châsse
de sainte Berthe était perdue de vue et finissait par
échapper à la fureur des impies .
Humerœuil eut à souffrir également de l'exalta-
tion de quelques-uns des siens , mais le fidèle curé de
cette paroisse , M. Louis Lesot , originaire de Bermi-
court, ne quitta ses ouailles qu'à la dernière extré-
mité . Il y fut remplacé par un de ses paroissiens ,
M. Pierre -Joseph Mathelin , ordonné à Ypres , et qui
revint exercer le Culte caché dans sa paroisse natale .
C'était même dans la maison de son père que ce
prêtre intrépide trouvait son refuge accoutumé et l'on
raconte qu'un jour la ferme des Mathelin fut cernée par
deux cents hommes . On en visita scrupuleusement les
coins et les recoins , à la seule exception d'une cabane
destinée aux chiens . Or, c'était justement là que
M. l'abbé Mathelin était réfugié .
A Humières , après le départ pour l'exil de M. Ger-
vois , ce fut le vicaire de Beauvois , M. Dambrenne , qui
pourvut aux besoins spirituels de la paroisse . Il y ve-
nait de Beauvois , son lieu de retraite habituel , accom-
pagné d'un garde sûr qui ne le quittait point . Avec
lui, le petit village de Beauvois abrita encore parfois
M. Planchon , et , depuis son retour, le curé d'Euf,
M. Bonaventure Vincent .
L'église d'Euf fut dévastée et servit à la fabrication
du salpêtre . On eut le bonheur de ne point profaner
celle de Beauvois , dont Jacques Deramecourt et les
membres de la famille Décobert se constituèrent les
gardiens . Charles Leprêtre sauva les autels de l'église
d'Euf de la destruction . On disait la messe en cachette
548 LE CULTE CACHÉ

à Euf, chez les Dometz, les Choquet et les Triplet ; à


Beauvois , chez les Décobert , les Bruslé et les Dera-
mecourt. A Croisettes , entre le départ de M. Dutertre
pour Rimboval et le retour de M. le curé Mesnard ,
qui reçut l'hospitalité dans la famille Ivain , ce fut
l'abbé Vasseur , de Wail , qui vint chaque dimanche
dire la messe . Croix et Siracourt trouvèrent le célèbre
Père Théodore , récollet de Dunkerque , appelé dans le
siècle M. Carpentier , qui disait habituellement la
messe chez M. Pruvost , de Siracourt .
C'est ce Père, racontent des témoins , qui fut un jour
arrêté à Saint-Pol , au moment où il conférait le bap-
tême dans une maison voisine de la chapelle du Saint-
Esprit . Or , les gendarmes avaient pris date pour le
conduire à Arras , en compagnie d'une femme accusée
de vol . C'était le jour de Noël , vers huit heures du
matin, par un beau soleil et un froid intense . L'escorte
du prisonnier arrivait au bois de Bailleulet , entre
Roëllecourt et Tincques , lorsque vingt-neuf jeunes
gens débouchèrent des ravins et l'entourèrent. Quand
les gendarmes se virent cernés par ces vingt- neuf
hommes , la figure noircie et le fusil braqué sur eux ,
ils demandèrent : « Que voulez-vous ? - Le prêtre ,
répondirent- ils . » Et en même temps dix-sept hommes
armés débusquèrent encore autour d'eux . Force fut
aux gendarmes de céder le prisonnier qui trouva un
asile chez les demoiselles Hannotte , à Averdoingt.
On ajoute que le Père Théodore , qui n'avait sur lui
qu'une pièce de six francs , la donna de grand cœur à
ses libérateurs , qui allèrent se réchauffer au Vert-Til-
leul de Maisnil . C'est à Ligny, qu'avant de faire leur
expédition , ils étaient allés se travestir et 'se noircir la
figure pour n'être pas reconnus .
La paroisse de Ligny- Saint- Flochel fut visitée pen-
dant cette période , par M. Héroguelle , curé d'Aver-
doingt, M. Poillion et M. Decroix . Beaucoup de mai-
sons étaient ouvertes à ces prêtres , notamment celles
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 549

des Patoux , des Catelain , des Bouttemy , des Flahaut


et des Thilloy . A Foufflin - Ricametz , ce fut un des
Lamiot, caché à Ternas , qui pourvut aux besoins du
Culte .
La paroisse de Bryas , à cause surtout de la noble
famille à qui elle a donné son nom et qui l'habitait , fut
assez molestée par les gens de la Révolution . Il fut
même question de démolir l'église , mais six jeunes
gens s'y opposèrent avec une invincible fermeté .
C'étaient les deux Théret , les deux Derisbourg et les
deux Duponchel . Ostreville abritait un religieux de
St-Vaast, Dom Decarnin , M. Compiègne , qui fut un
moment préfet de mission dans cette région , et M. du
Wast, vicaire de Saint-Michel .
Roëllecourt conserva son curé , M. Florent , qui ne
quitta la paroisse que pour y reparaître assez souvent.
L'intrus , qui lui fut donné pour successeur , ne trouva
même pas d'eau pour le sacrifice de la messse : < « Allez
aux ruisseaux , lui dit-on , vous y trouverez l'eau qui
vous convient. » Durant les absences forcées de M. Flo-
rent , la paroisse reçut la visite de MM . Lamiot et De-
bret et celle du Père Théodore . On se réunissait sur-
tout dans les maisons Logez , Grillet et Thellier . Her-
lin-le - Sec compte MM . Routier , Lamiot et Lemoine
parmi ses plus assidus apôtres . Le P. Théodore fut
encore le plus fréquent visiteur de Ramecourt , où l'on
rencontre également MM . Yvain , Noël , Paternelle ,
Dutertre , Lamiot , Lemoine et Flament. J.-B. Viart
était le compagnon accoutumé des prêtres dans la
paroisse .
Le curé d'Hauteclocque, qui resta caché dans sa
paroisse durant une partie de la Terreur , en fut le pre-
mier ministre du Culte caché , mais il dut s'exiler et
les offices n'eurent alors pour interprète qu'un simple
clerc laïque . Framecourt , qui était- chef- lieu de canton ,
tint ses réunions politiques dans l'église . Celle d'Her-
lincourt fut dépouillée au point qu'il n'en resta que
550 LE CULTE CACHÉ

les quatre murs . Néanmoins plusieurs prêtres intré-


pides visitèrent ces trois villages et leur procurèrent
les secours religieux . On cite M. Leroy, curé de Nuncq ;
M. Lamiot , qui venait à Petit-Houvin ; M. Lemoine ,
M. Mesnard , de Croisettes , et enfin M. Bézu , qui re-
parut avant la réouverture des églises .
Il ne nous reste qu'à signaler Wawrans comme
ayant également reçu plusieurs prêtres fidèles . Les
actes religieux portent, en effet , les noms de M. Vin-
cent, curé d'Euf ; de M. Planchon , de Willeman ; de
M. Vasseur , de M. Noël , de M. Compiègne et de
M. Evrard . Deux familles patriarcales , celle des Evrard
et celle des Douilly , les recevaient habituellement , et
c'est de chez les dames Evrard que le P. Théodore partit
pour Saint-Pol où il fut arrêté . Plusieurs jeunes gens de
Wavrans concoururent, paraît-il, à sa libération . Dans
les dernières années de la Révolution , quand M. Mes-
nard fut rentré à Hernicourt , il étendit aussi sa solli-
citude sur la paroisse de Wavrans .
Eps , avec Hestrus , nomment M. Perceval , chanoine
de Saint- Pol , comme leur ayant procuré les secours
religieux pendant plusieurs années ; Fiefs et Boyaval
nomment au même titre MM . Julien , d'Heuchin, et
Descottes , de Wamin ; à Érin, le curé , M. Madoux , fut
pris après son retour de l'exil et mis en prison où il
mourut ; à Tilly et Teneur, c'est M. Lesenne, curé
d'Ivergny, et plus tard, de Monchy-Breton , et retiré
dans la maison de ses parents , qui exerça le Culte
caché jusqu'en 1794 ; on y reçut ensuite régulièrement
le curé de Willeman, M. Planchon : c'est le même
M. Planchon qu'on retrouve à Monchy-Cayeux avec le
Père Théodore ; Prédefin , annexe d'Heuchin , était
administré par le vicaire , M. Gérin , qui était particu-
lièrement reçu chez François Doffe ; à Fontaine- les-
Boulans , l'autre vicaire, M. Deboffe , reçut un coup de
feu d'un révolutionnaire ; mais le curé d'Heuchin ,
M. Fiquet, y revint de bonne heure et l'on y vit encore
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 551

M. Dupuis, de Bergueneuse ; M. Bodescot , d'Equirre ;


M. Planchon , de Willeman ; M. Perceval et M. Julien .
Le curé de Lisbourg , M. Godet , retiré dans sa famille
à Teneur, continua de s'occuper de sa paroisse , mais
on y voyait souvent aussi l'intrépide curé de Willeman
qui catéchisait dans les prairies et y fit deux cérémo-
nies de première communion . On raconte que dans
cette paroisse , une nommée Jeanne Jeanville, femme
Caron, qui fendait les saints à la cognée , mit au monde
un monstre .
A Sachin, on nomme aussi deux brûleurs de saints ,
Jean Destrées et Jean- Baptiste Pruvost qui eut une
fin digne de sa vie . Ce sont MM . Brassart, de Pernes ;
Louis Vaast, Bloquel et Julien qui pourvurent aux
besoins du culte . On disait la messe chez Albert Tan-
gle , chez M. Vaast et chez Jean- Baptiste Ricart. Val-
huon fut visité par MM . Decarnin , Compiègne et du
Vast qui étaient reçus chez Amable Caron , Pierre
Norel et Jean Bouvin .
Sains-les - Pernes retrouva son curé , M. Julien, après
deux ans d'exil , et il se chargea de l'administration de
sa paroisse avec un carme, M. Blocquel, dont la famille
habitait Sains . Floringhem, dépendance de Pernes ,
fut surtout le théâtre où s'exerça le zèle des Pères
récollets . Un Père lazariste , nommé M. Sénéchal , y
fit aussi beaucoup de bien . Reste Calonne Ricouart
qui compte un modeste héros nommé Célestin Danel,
dévoué, au- delà de toute prudence , au soin des prêtres
cachés . Aussi fut- il arrêté plusieurs fois et traîné
devant les tribunaux . Sa charité et la vénération qu'il
inspirait lui sauvèrent la vie . Une autre illustration de
Calonne en ces temps malheureux fut le curé, M. Joa-
chim Laurent, nommé à la cure de Calonne , le 27
décembre 1790 ; il ne quitta point son troupeau et se
chargea par surcroît des paroisses voisines , de Divion ,
Camblain , Auchel , Cauchy-à-la-Tour, Allouagne,
Chocques , Lapugnoy et Lozinghem. Il trouvait pour
552 LE CULTE CACHÉ

chacune un nouveau déguisement et de nouveaux pro-


tecteurs . Célestin Danel était son guide fidèle . Chez
lui , il était reçu partout, mais spécialement chez les
Sergeant, les Bailly, les Debuire , les Delmotte et les
Turlure , qui se disputaient l'honneur de lui donner
l'hospitalité .
Nous finirons par untrait qui a été attribué également
à d'autres paroisses , mais qui présente ici des carac-
tères sérieux d'authenticité .
C'est la plume même du vénérable curé de Calonne
qui le raconte :
« Le ministère de M. Laurént durant ces jours de
calamités fut marqué par les plus beaux traits de
dévouement et surtout par un événement bien tragi-
que que nous devons rapporter ici parce qu'il témoigne
de la protection toute providentielle dont ce saint prê-
tre était l'objet . Connaissant l'empressement que M. le
curé mettait toujours à voler au secours des malades
et des mourants , deux ou trois mauvais sujets , dans
l'intention de lui faire un mauvais parti , s'informèrent
du lieu de sa retraite , et l'ayant enfin rencontré , ils le
supplièrent, dans des termes hypocrites et étudiés
d'avance, de venir au plus vite administrer un malade
qui , disaient- ils , était à l'extrémité et réclamait à
grands cris son ministère . L'homme de Dieu n'hésite
pas un instant ; il suit son conducteur jusqu'à un
hameau de la paroisse de Chocques , appelé Saint- Sau-
veur , et là on lui indiqué une maison dans laquelle
devait se trouver le soi-disant malade . Qu'avait- on
composé dans cette maison avant l'arrivée du prêtre ?
D'abord on avait aposté deux gendarmes qui, à un
signal donné, devaient s'emparer du pauvre curé ;
puis un individu qui s'était chargé du rôle de malade
s'était mis dans un lit dont les rideaux étaient si bien
fermés , qu'il était impossible de distinguer celui qui y
était couché . Cependant M. le curé arrive ; il entre :
<< Où est le malade ? dit-il. De ce côté , dans cette
DANS LE DIOCÈSE DE BOULOGNE 553

chambre , M. Je curé , entrez . » M. le curé se dirige vers


le lit , il écarte les rideaux... que trouve-t-il ? un cada-
vre ! « Mes enfants , reprit-il en s'adressant aux gens
qui l'entouraient et du nombre desquels se trouvaient
les gendarmes déguisés qui se disposaient à le saisir ,
quel malheur ! Vous êtes venus me chercher trop tard !
il est mort !...» Tout le monde demeura dans la stupeur ;
plusieurs tombèrent à genoux en s'écriant vers le prê-
tre ; les gendarmes eux-mêmes furent saisis d'épou-
vante , et non seulement M. Laurent fut libre de se
retirer , mais les deux gendarmes eux- mêmes s'offrirent
de le reconduire en lieu sûr .
<
« Ainsi fut puni par la main de Dieu , sans doute , ce
misérable qui n'avait feint d'être malade que pour
mieux s'assurer de l'arrestation de M. Laurent , tandis
que le saint prêtre fut sauvé par cette espèce de mira-
cle .
« Cet événement m'a été raconté plus de cent fois
depuis 29 ans que je suis dans la paroisse , et toujours
à peu près dans les mêmes termes et par les personnes
les plus dignes de foi et les plus respectacles du pays ;
c'est pour cela aussi que les habitants de Calonne-
Ricouart et Marles et même des paroisses voisines
conservent une profonde vénération pour la mémoire
de M. le curé Laurent . »
>
CHAPITRE SEPTIÈME

DANS LE DIOCÈSE D'AMIENS

§ 1 . - · De Frévent à St-Josse.

M. Louis de Flers. ― Boubers, Conchy et Aubrometz. - Haravesnes


et Bonnière. Les épreuves d'Auxi - le-Château. Buire, Capelle,
Bouin, Boisjean , Conchil -le-Temple, Verton , Gouy. - Vente du
mobilier de l'église .

De Frévent à Saint-Josse -sur-Mer , on sait que l'an-


cien diocèse d'Amiens occupait , dans notre département
du Pas-de -Calais , une longue bande de territoire ren-
fermée entre le cours de la Canche et celui de l'Authie ,
c'est là qu'il nous reste à recueillir quelques rensei-
gnements sur le Culte caché ; renseignements trop in-
complets , il est vrai , comme ailleurs , dont pour cela
même il ne faut laisser échapper aucune parcelle .
Flers ne tarda point à retrouver un de ses parois-
siens , M. Louis , ancien vicaire de Chériennes , qui y
avait habituellement sa résidence et qui , après avoir
rétracté un serment arraché par surprise , en devint le
missionnaire ordinaire .
Boubers -sur-Canche perdit son église et conserva
seulement sa tour , mais ne fut pas abandonné par les
prêtres fidèles . On y vit M. Bréel , prêtre picard ,
M. Louis , de Flers , et M. Conteville . Ils étaient reçus
chez Anne Gosset, François Ranson , Constant Paris et
Liévin Lagule . Le jureur Thomas n'y fit qu'un seul
mariage.
DANS LE DIOCESE D'AMIENS 555

A Conchy-sur- Canche , la ferme des Lebel s'ouvrit


aux cérémonies du culte dont les ministres furent
M. Bruslé , de Beauvois , ancien chanoine de Fauquem-
bergue ; M. Coulogne , prêtre de la Mission , qui habi-
tait Fillièvres , et surtout encore M. Louis , de Flers .
Le curé , M. Dangest, rentra de l'exil en 1796 , mais il
fut pris et resta durant treize mois en prison à Saint-
Pol . A Monchel, c'est toujours M. Louis que nous
trouvons. Il disait la messe chez Alexis Musart , où de-
meurait l'excellente sœur Marie Adrienne. Le desser-
viteur de cette paroisse , M. Louis-Jacques Vasseur ,
revint de bonne heure de l'exil , mais il ne tarda pas
à mourir en septembre 1798 , chez Just Lecocq .
Aubrometz avait pour curé M. Carlier , originaire de
Fresnoy , qui montra une grande énergie vis - à-vis des
révolutionnaires de Conchy et de Fillièvres , et du curé
jureur Tivière ; son clerc , J.-B. Deboffles , le seconda
dignement, mais en butte l'un et l'autre à toutes les
avanies , ils durent le premier s'exiler et le second
se cacher. C'est alors que le lazariste Coulogne vint
s'occuper du bien spirituel de la paroisse. Il fut même
arrêté et conduit sur Arras , mais dix-huit hommes de
bonne volonté le délivrèrent en chemin . M. Carlier ,
heureusement , ne tarda pas à revenir à son poste et
reprit son ministère en se cachant chez Marie Bléry . Il
retrouva son fidèle clerc qui avait sauvé et conservé
les reliques de la vraie Croix . En dépit des nouvelles
tracasseries qui les accueillirent et même des procès-
qu'on leur intenta , ils atteignirent sans autre encombre
l'époque de la restauration du culte .
A Haravesnes , le curé Carpentier , dont le prétendu
serment ne fut sans doute qu'un témoignage de com-
plaisance , fut obligé de s'exiler . Un trinitaire , M. Hur-
trel , qui habitait la ferme du duc de Duras , le rem-
plaça , mais il revint à Conchy , chez ses parents , en
1798 , et reprit le service religieux de sa paroisse . On
cite avec éloge le clerc Bué comme le plus fidèle
556 LE CULTE CACHÉ

auxiliaire des prêtres cachés . A Vaulx, c'est encore


M. Carpentier qui remplit les fonctions du saint minis-
tère , chez Célestin Godart. Noeux reçut beaucoup de
prêtres fidèles , après l'exil de son curé , M. Piquan-
daire . On cite MM. Lefebvre , de Buire ; Anselin ,
ancien curé de Barly ; Deguisne , de Wawans ; Mon-
borgne , du Quesnoy ; le missionnaire Bréel et M. Cou-
logne .
C'est encore M. Bréel qui est cité à Wavans avec le
chantre et instituteur Théodore Parent, qui chantait
les offices à défaut de prêtres .
M. Bréel fut également le ministre ordinaire à Le
Ponchel .
La paroisse de Bonnière , qui fournit au diocèse du
Pas-de-Calais son deuxième évêque constitutionnel ,
M. Asselin , devenu plus tard le bienfaiteur de son vil-
lage natal , fut une des plus malheureuses durant la
Terreur. Dix-huit de ses habitants furent dénoncés ,
emprisonnés à Saint - Pol et à Doullens , et ils n'échap-
pèrent que difficilement à la mort . Les statues de
l'église furent brûlées et l'église même devint un club .
Ce village eut néanmoins ses missionnaires . On cite
surtout M. Dupont , jeune prêtre , qui était originaire
de Bonnière , qui passait le jour chez Pierre Avalart
et officiait la nuit chez Charles -Joseph Lefebvre . A la
fin de la Révolution , M. Gourdin , en religion le Père
Matthieu , ancien carme , revint auprès de sa mère qui
habitait Bonnière et y rendit de grands services .
Signalons également encore à Boubers- sur- Canche ,
annexe de Frévent , MM . Duval et Delambre , qui ,
restés dans ce village , y pourvurent aux besoins spiri-
tuels .
Avec Bonnière et Frévent , dont nous avons parlé ,
Auxi-le -Château fut une des victimes les plus éprou-
vées par la Révolution dans cette contrée . Curé , vi-
caire , religieux d'un couvent dont on a dit que ce
n'était qu'un cabaret , tout le clergé y fit naufrage dans
DANS LE DIOCÈSE D'AMIENS 557

la question des serments, et plusieurs d'entre ses


religieux échouèrent dans des circonstances plus gra-
ves encore .
Le curé Pépin eut pourtant le courage de protester
contre les impiétés qu'on débita dans son église et fut
emprisonné pour ce motif. L'église n'en fut pas moins
saccagée et souillée par des processions sacrilèges .
Trois bons prêtres y rendirent cependant de pré-
cieux services : c'étaient M. l'abbé Dubaille , qui de-
meurait chez son frère Théodore ; M. Legris , qu'on
cachait chez les demoiselles Devis , et M. Courtois , qui
s'était retiré chez ses parents .
L'église de Buire-au- Bois fut dépouillée comme celle
d'Auxi et la statue de la Raison installée entre celles
de Marat et de Lepelletier ; ses statues furent fendues
par un nommé Vasseur et brûlées. L'ancien vicaire
Lefebvre, revenu à Buires , pourvut à ses besoins spi-
rituels et réunit ses ouailles au château de Bachimont,
dont les propriétaires auraient été sauvés de l'échafaud ,
dit-on , par un nommé Devillers , de Buire , qui était
domestique de Le Bon.
En nous rapprochant d'Hesdin , dans l'ancien doyenné
de Labroye , nous avons à signaler à Capelle , qui paraît
en avoir été le pieux et sûr rendez-vous , un grand
nombre de prêtres fidèles . Ce sont MM . Marteau , reli-
gieux de Dommartin ; Hecquet , originaire de Brévil-
lers et qui rendit de grands services ; Tirmarche,
ancien vicaire de Capelle ; Marin , curé de Marconne ;
Saligot , curé du Quesnoy et originaire de Capelle ;
Régnier, de Crécy ; Hochart, Hennebert, d'Hesdin ;
Montborgne , du Quesnoy ; Louis , de Flers ; Pierre
Detève , de Saint-André , et le Père Procope Panet. On
disait la messe à peu près partout , mais particulière-
ment chez M. Romon.
A Bouin, où l'on vit souvent M. Delattre , de Plu-
moison , et M. Quilliet, de Cavron, on célébrait les
saints mystères dans une ferme écartée , nommée la
558 LE CULTE CACHÉ

ferme Panet. C'est encore M. Delattre qui , avec sa


propre paroisse , administra celle d'Aubin ; il disait la
messe chez les Lejosne et les Caron .
En suivant la rive gauche de la Canche , nommons
Boisjean, où l'abbé Durlin , ancien vicaire de Ver-
chocq , qui était revenu chez ses parents dans la
ferme du Val , exerça le saint ministère . En 1793 , il
fut remplacé par le curé d'Airon , M. Decroix , dont
Charles Vasseur se constitua le guide et le protecteur .
On y compte encore M. Bocquet, ancien moine de
Saint -André ; M. Dewailly , vicaire de Campagne , et
M. Delescluse .
Conchil-le-Temple fut souvent visité par le curé de
Colline , M. Cary , et habité par M. Lebœuf, qui en
était originaire . M. Cayeux , de Waben , y vint égale-
ment. On disait la messe au château d'Authie et chez
M. Leboeuf.
Merlimont eut les statues de son église brûlées , à
l'exception , dit- on , de celle de la sainte Vierge qui ne
voulut pas prendre feu . On la précipita dans une fosse
profonde où la procession alla longtemps l'honorer le
jour de l'Assomption .
Verton fut terrorisé par Antoine Lefort , qui a fait
saccager l'église , brûler les saints et conduire tous les
habitants du château à Arras . Le comte et la comtesse
de la Fontaine étaient des vieillards de 84 et 85 ans ,
on ne leur fit pas grâce . Le curé de Waben , M. Cayeux ,
ne resta qu'un an exilé . Pendant ce temps un coura-
geux laïque chantait la messe et les chrétiens de la
paroisse y assistaient . M. Leboeuf, de Conchil , y fit
aussi plusieurs baptèmes . Ce fut lui aussi qui pourvut
aux besoins religieux de Groffliers . Nempont - Saint-
Firmin fut administré par M. Lecomte , de Lépine , et
MM. Fourdrin , de Berck. A Saint-Josse , les reliques
vénérables du thaumaturge furent cachées sous la
voûte de l'église par Wulphy Fontaine , Charles Gra-
velines et J.-B. Calique , qui veillèrent avec soin sur
DANS LE DIOCESE D'AMIENS 559

ce précieux dépôt , le restituèrent plus tard et assis-


tèrent à la reconnaissance de ces reliques , qui fut
faite solennellement le 3 mai 1805 .
Ce fut surtout le voisinage de l'abbaye de Saint-
André- au -Bois qui attira sur la paroisse de Gouy l'at-
tention des révolutionnaires . Son curé jureur , Four-
nier , ancien chanoine de Dourier, n'y fut cependant
pas prophète sa messe ne réunissait qu'une vingtaine
de personnes . L'instituteur Dubois ne fut pas mieux
écouté. Tous les respects des habitants de Gouy furent
pour leur curé M. Fauconnier, aussi longtemps qu'il
resta parmi eux . Après son départ pour l'exil , ils ac-
cueillirent avec intérêt l'abbé Daux , de Saint- Remy,
les abbés Leuillet , dont l'un avait été vicaire de Gouy ,
et les abbés Grevel et Nourtier, qui furent les ministrès
du Culte caché .
Pendant que la grande majorité suivait ces prêtres
fidèles dans les maisons Daux et Nourtier et au Petit-
Gouy, les patriotes dépouillaient l'église . On a con-
sacré la note assez curieuse des principales adjudica-
tions de cette vente : « Un lutrin , 20 sous , à Louis
Hénin ; un tableau , 30 sous , à Victoire Magniez ; un
saint Jean - Baptiste , à Pierre Petit , 15 sous ; un vieux
confessionnal , 5 1. 5 sous , à Pierre Daux ; un autel de
la ci -devant sainte Vierge , à Charles Louvet , 5 1 .
5 sous ; l'autel de saint Honoré , 6 livres , à François
Mariette ; un Christ , 1 1. , à Pierre Duhamel ; saint Ni-
colas , à la femme Ninaux , 4 1. 4 s .; saint Martin , à
Martin Grevel , 61. 10 s .; une vierge , à Marguerite
Nourtier, 50 sous ; une lanterne , à Pierre Evrard,
15 sous .
« Le total monte à 153 livres 16 sous 6 deniers . >>
Nous finissons par l'histoire de Tortefontaine , Mou-
riez et Dommartin , empruntée au manuscrit conscien-
cieux de M. Levrin , ancien curé de cette paroisse , et
qui donne bien la physionomie d'une paroisse d'ab-
baye pendant ces tristes jours .
$560 LE CULTE CACHÉ

Mouriez et Tortefontaine.

L'éducation des Terroristes. - La promenade d'abbé. - - Le bûcher.


Le bon Dieu Ducanda . - Les enterrements civils . - Les bons prê-
tres. M. Warin . - Les messes nocturnes . ― M. Marteau et le
clerc Sauvage. Les fêtes publiques . - Conclusion .

Tortefontaine et Mouriez avaient perdu leurs deux


curés , Dom Crassier et Dom Brismail, tous deux reli-
gieux de Dommartin , et acquis un constitutionnel
nommé Nicolas Carpentier, quand commença la per-
sécution proprement dite .
Nous avons vu que le pillage de Dommartin avait
amené dans les prisons d'Arras un certain nombre
d'habitants de la région . Ceux de Tortefontaine et
Mouriez y parachevèrent leur éducation irréligieuse
et révolutionnaire . A leur retour , ils pervertirent
même quelques femmes et devinrent avec elles la ter-
reur et la honte de la paroisse . Ce sont ces gens - là
surtout que les membres du District de Montreuil ,
renommés par leur impiété , rencontrèrent comme
auxiliaires dans leurs entreprises contre l'abbaye et
sespartisans.
Leur premier exploit fut la célèbre promenade
d'abbé qu'ils organisèrent au mois de mai 1793. Un
mannequin grossier avait été revêtu des ornements
pontificaux ; on lui avait mis une crosse en main et sur
la poitrine une croix de cartouches ; ce mannequin fut
placé sur la charrette de l'abbaye et conduit par un
âne dans les rues du village . Au retour de la proces-
sion , cette statue du monachisme fut placée sur un
bûcher , en face de l'église et brûlée au milieu des
vociférations de la populace et des détonations de la
mousqueterie. Quand les cartouches de la croix pas-
torale éclatèrent, la foule répondit en criant : <
« A
mort le fanatique Oblin ! » Au mois de novembre de
DANS LE DIOCÈSE D'AMIENS 561

la même année, le mobilier de l'église fut partagé par


lots et vendu à la criée, à l'exception de l'autel de la
Vierge , réservé pour servir de piedestal à la déesse
Raison . Les statues des saints furent accumulées sur
un bûcher par Norbert Hérent , l'ancien Confitebor du
lutrin , et le nommé Calinge . Pour les détails , nous
donnons ici la parole au fidèle historien de ces hor-
reurs :
« Ils font un tas d'une vingtaine de fagots , dans la
Warnette , qui sépare la pâture de M. de Locher , du
jardin de Marguerite Leroy , dite Baraquette , femme
Desliau ; ils vont chercher dans l'église, sans être aidés
de personne, même des plus patriotes , les statues de
saint Martin , de saint Eloi , de saint Nicolas , de saint
Antoine ; les statues , hautes de 18 pouces , de la sainte
Vierge et de l'Ange Gardien , qu'ils détachent de leur
gloire ; deux Christs , celui du milieu de l'église et celui
du calvaire de M. Ducanda ; toutes les boiseries dont
les sculptures représentent des anges et autres sujets
religieux , le lutrin , les chandeliers , etc .; ils placent
tous ces objets sur le tas de fagots. Norbert Hérent
s'aperçoit que la statue de la sainte Vierge ne s'y
trouve pas ; il la voit dans le tablier d'une petite fille
qui l'avait prise pour faire une poupée ; il la lui re-
prend en la frappant . Aux cris de cette petite fille , son
père , nommé François Leleu , demeurant dans le voi-
sinage, accourt avec colère , se jette sur Norbert Hé-
rent, le précipite par terre en le traitant de voleur et
arrache violemment de ses mains la statue de la sainte
Vierge qu'il rend à sa fille éplorée . Ledit Norbert
Hérent se relève en le menaçant de la guillotine ;
celui- ci lui répond que si une tête doit rouler sur
l'échafaud , c'est certainement la sienne .
« Les brûleurs de saints attendirent le soir pour
mettre le feu au bûcher, afin d'éclairer tout le village .
Le Christ, qui avait été attaché à la croix de M. Du-
canda depuis 1766 , ne brûla pas comme les autres
36
562 LE CULTE CACHÉ

statues ; il devint mouillé par la chaleur et l'eau coula


de tous ses membres . A cette vue , les profanateurs
s'écrièrent de toutes leurs forces : « Venez voir, ci-
toyens , venez voir comme le Bon Dieu Ducanda
brait. »
<< Marguerite Leroy , dite Baraquette , gémissait de
cette scène impie qui se passait au bout de sa pro-
priété ; ne voyant plus personne près du foyer , elle fit
un trou dans son jardin, y enterra le Christ, qui n'avait
pas brûlé comme les autres statues .
« Le lendemain , les citoyens Hérent et Calinge ,
ayant chacun une charge de fagots , sont venus pour
voir si le Bon Dieu Ducanda pleurait encore , et s'il
voulait se laisser brûler ; ne l'ayant pas trouvé , ils sont
retournés sans rien dire et tout confus . Ce Christ, dans
la suite, a été enterré dans le cimetière .
<<< On forçait les habitants à travailler le dimanche
et à chômer les jours de décadi ; on les obligeait de
se réunir sur la place pour danser devant l'arbre de
liberté et en faire plusieurs fois le tour ; ensuite d'en-
trer dans la ci- devant église pour chanter des hymmes
patriotiques , on menaçait publiquement ceux qui y
manquaient . Les demoiselles Tillier , distinguées par
leur moralité et leur piété , se sont vues contraintes
d'assister à ces bacchanales .
<< Les citoyens Jean-Baptiste Capet, Norbert Hérent
et Benoît Révillon tenaient l'école tour à tour par dé-
cades . Ils défendaient aux enfants de prier le bon Dieu ;
ils leur apprenaient les commandements de la Répu-
blique ; ils faisaient défaire le signe de la croix par les
enfants qui le faisaient avant la lecture , comme de
coutume , en les obligeant de le faire de la main
gauche.
<< Jean- Baptiste Verriez présidait aux enterrements ;
l'on portait les corps morts au cimetière , sans les en-
trer dans la ci -devant église ; lorsque le cercueil était
descendu dans la fosse , ledit Verriez y jetait une pel-
DANS LE DIOCÈSE D'AMIENS 563

letée de terre en disant : Au nom de la loi , c'est tout.


<< Parmi les prêtres qui ont pourvu aux besoins
spirituels de Tortefontaine et Mouriez pendant la Ré-
volution , quelques-uns l'ont fait régulièrement et d'une
manière permanente ; d'autres ne l'ont fait que rare-
ment et pour ainsi dire en passant . Entre les pre-
miers , on peut citer M. Marteau , religieux de Dom-
martin ; M. Gosset , curé de Plumoison ; parmi les
prêtres qui n'exerçaient qu'en passant les fonctions
du saint ministère , il faut citer M. Warin , qui , dans la
suite , fut curé de Marconne ; M. Hennebert, prêtre à
Hesdin , qui était presque toujours caché chez M. Tel-
lier, fermier à Dommartin , et M. Neuville , prêtre de
la même ville , l'un et l'autre occupaient les apparte- .
ments de Dom Brismail ; M. Prévot, prêtre à Gouy-
Saint-André ; M. Lejosne , religieux et vicaire de Dom-
martin , dans la suite curé de Rollencourt.
« Dès 1793 , tous ces prêtres , à l'aide de déguise-
ment , et conduits par Jean- Baptiste Sauvage , descen-
daient nuitamment chez Hubert Digeaux , manouvrier ,
qui demeurait dans la rue de Dommartin , à Tortefon-
taine.
<< Jean-Baptiste Sauvage était le fils de Jean- Bap-
tiste Sauvage , clerc laïc , le dernier que M. Brismail a
enterré, en mai 1792 , avant son départ ; il était âgé
d'une vingtaine d'années , il avait été élevé à Dom-
martin , il était un organiste distingué , il ne craignait
pas de s'exposer en conduisant ces ecclésiastiques
d'un village à autre , dans des maisons où ils seraient
en sûreté . Quand l'un de ces prêtres était parti , un
autre arrivait de la même manière , toujours conduit
par ledit Jean- Baptiste Sauvage ou par Dominique
Evrard , de Rachinette .
<< Toutes les nuits , on disait la messe chez ledit
Hubert Digeaux , dans une chambre dont on bouchait,
avec soin , les fenêtres à l'intérieur , pour que la lumière
ne parût pas en dehors . Ceux qui assistaient à la messe
564 LE CULTE CACHÉ

n'arrivaient pas à la maison par la rue , mais par le


jardin qui borde le bois de Corbesseaux .
« La veille de Saint-Nicolas 1793 , M. Warin , qui
était depuis plusieurs jours chez ledit Hubert Di-,
geaux, a dit que , la nuit , il dirait la messe en l'honneur
de saint Nicolas pour les jeunes gens de la paroisse,
et que pendant la journée il fallait les prévenir tous ;
on lui observa qu'il y aurait du danger à prévenir le
fils d'une nommée Yayanne (Marie -Jeanne) Sauvage ,
femme de Louis Momel, étrangère au village, parce ,
que , pendant les offices du curé constitutionnel, elle se
tenait au bas de l'église , pour jeter de l'eau bénite
dans la figure de ceux qui sortaient sans mettre leurs
doigts dans le bénitier , et qu'elle méprisait et mena-
çait les prêtres . M. Warin demanda où elle demeurait
pour aller la voir. La femme d'Hubert Digeaux lui
montra la maison , vis -à-vis , et se rendit chez elle
comme chez une voisine ; elle lui proposa une confi-
dence si elle pouvait compter sur sa discrétion ; sur sa
réponse affirmative , elle lui dit qu'elle engageait son
fils à assister à la messe en l'honneur de saint Nicolas,
qu'on dirait la nuit chez elle pour les jeunes gens de la
paroisse . Yayanne lui répondit qu'elle accompagnerait
son fils, et qu'elle s'apercevait que , depuis longtemps ,
il se passait quelque chose d'extraordinaire dans la
maison vis-à-vis la sienne . Elle vint avec la femme
Digeaux faire sa visite à M. Warin qui l'accueillit avec
bonté ; elle pleura de joie de se trouver à la messe ,
avec les assistants étonnés de la voir ; et après l'office
elle présenta un écu de trois livres à M. Warin qui lui
observa qu'il ne portait jamais d'argent sur lui ; sur ses
instances à l'accepter , il lui dit qu'elle le donne aux
pauvres les plus nécessiteux , ce qu'elle fit le lende-
main .
<< Tous les jeunes gens ont communié à cette messe .
Ignace Cordiez, dit Mailliot, de Mouriez, ayant appris
que des gendarmes viendraient prendre M. Marteau
DANS LE DIOCÈSE D'AMIENS 565

qui était souvent chez lui , l'enveloppa d'un sac , et le


,,
transporta dans les champs ; car il souffrait de la goutte
et ne pouvait marcher ; en effet, les gendarmes sont
venus et ne l'ont pas trouvé.
« Dès 1794 , on avait placé un autel dans la salle du
presbytère occupé par une nommée Marianne Pierre-
Charles , chez laquelle M. Marteau couchait souvent ,
se croyant plus en sûreté qu'à Mouriez .
« En 1795 , M. Marteau a fait faire la première com-
munion aux enfants dans la salle de la ferme de
M. de Locher , occupée par M. Tellier ; il a exigé que
ceux qui l'avaient faite avec le curé constitutionnel la
renouvelassent. Après tous les offices concernant cette
solennité , on alla processionnellement à l'église , abso-
lument déserte et démeublée. Les patriotes révolu-
tionnaires comprirent qu'ils avaient perdu leur peine
à vouloir démoraliser le pays , les instituteurs démagó-
gues n'ont pas employé chacun leur décade , à tenir
l'école qui avait été déserte par • l'absence complète
des écoliers.
<< En mai 1795 , Jean - Baptiste Sauvage qui succéda
à son père en qualité de magister , assistant à l'enterre-
ment de Joseph Capet son oncle , chantait l'office des
morts pendant le convoi , de la maison mortuaire au
cimetière ; Norbert Hérent , l'ayant entendu , franchit
une haie pour lui défendre , au nom de la loi , ces
bigoteries fanatiques ; celui- ci , en le renvoyant à son
travail , lui dit qu'il était catholique et qu'il continue-
rait de chanter jusqu'à l'église , où l'on entrerait le
corps pour chanter le Libera, avant de procéder à la
sépulture nationale , ce qui a eu lieu.
<< Lorsqu'on a cessé de dire la messe la nuit, chez
Hubert Digeaux , on la disait dans beaucoup de mai-
sons où l'on faisait les baptêmes et les mariages .
« Les dimanches , on célébrait les offices dans un han-
gar qui était dans la pâture de la ferme de M. de Lo-
cher, et qui avait été converti en chapelle jusqu'à
566 LE CULTE CACHÉ

1802. On y a fait plusieurs fois la première commu-


nion . M. Tellier et ses demoiselles, occupeurs de la
ferme , favorisaient , tant qu'il était en eux , l'exercice
du culte catholique .
« La procession du Saint- Sacrement, et autres ,
avaient lieu dans les vastes pâtures de la ferme , on y
établissait de jolis reposoirs . >>
Par ces détails minutieux et d'après nature , il est
facile de reconstituer les mêmes scènes avec d'autres
noms dans les très nombreuses paroisses où elles se
multiplièrent à coup sûr et sur lesquelles , faute de
détails précis , nous avons le regret de n'avoir pu insis-
ter.
Heureux sommes -nous , du moins , malgré ces lacu-
nes regrettables , d'avoir pu restituer à l'histoire locale
et aux annales de nos églises , une foule de faits édi-
fiants et de noms chrétiens , méconnus depuis un
siècle, et qui méritaient de sortir de l'oubli !
TABLE DES MATIÈRES

AVERTISSEMENT VII

LIVRE SIXIÈME

LA TERREUR

Comment Maximilien Robespierre la définit. - Ses moyens


d'application 1

CHAPITRE PREMIER

Comités et Tribunaux.

Les représentants en mission . Etendue de leurs pou-


voirs . 3

§ I. - LES COMITÉS DE SURVEILLANCE . Ces Comités s'éri-


gent en souverains . Comité de surveillance d'Arras . -
Arrêté de Peyssard , Lacoste et Duquesnoy. - Leurs man-
dataires dans le département . - Nombreuses arrestations
du Comité d'Arras. Le Comité de Sûreté générale.
Il adopte le nouveau calendrier . - Il célèbre une fête
patriotique en l'honneur de Beaurains. Récit officiel
de la fête. Propositions violentes du District d'Arras
contre les prêtres . - Les constitutionnels eux-mêmes
sont dénoncés . ― - Bapaume imite Arras. ― Arrestations .
Comité de Surveillance de Bapaume. Nouvelles ar-
restations . Comité de Saint-Pol. - Destitutions et
arrestations . - Affaire du calvaire de Boubers . - Trou-
568 TABLE DES MATIÈRES

bles auxquels elle donne lieu. Décision du District. -


Nouveaux comités de Frévent et Saint- Pol. Influence
de Guérit-Tout. 184 Tournée d'arrestations . - - Les gros
fermiers arrêtés.— Mission des sociétés populaires d'après
Robespierre . -- Société de Frévent. - Comité d'Hesdin .
Comité de Fruges . ― Comité d'Auxi-le-Château . — Ar-
restation du curé Pépin. Arrestations à Montreuil.
Fête civique de Boulogne . Calvaire et fête de Calais.
Le bûcher de Saint-Omer. - Sermon de Porion . - Évé-
nements militaires . - Lettre de Dumouriez. Bataille
de Hondschoote. Ses conséquences à Saint-Omer.
Discours de Bancel. - Les écoliers de Saint- Sépulcre.
La maison d'arrêt. - Mesures antireligieuses . - Exal-
tation générale. - Béthune , Lillers et Laventie . — Arres-
tations

§ II. - LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE. ---- Le procès Louis .


Pierre Bulteau guillotiné . - Procédure du tribunal
révolutionnaire. Articles invoqués . - Lieu de l'exécu-
tion . Les juges . - Herman , Demuliez , les jurés .
Quatre prêtres du jury . 40

CHAPITRE DEUXIÈME

Seconde mission de Joseph Le Bon.

Époque et cause de cette mission . - Façon dont Le Bon


l'exécute . - Discours de Le Bon à Beaurains . - Le procès
d'Ablain-Saint - Nazaire . - Tradition de lettres de prêtrise
et de noblesse . 46

§ I. - A CALAIS ET A SAINT-OMER. Ordre de Le Bon au


district de Calais . Lettres et poignards suspects . ―
Arrêtés contre les prêtres du Vivier et des Capucins.
Le chauffage . — Renonciation d'Arras au culte catholique .
Chanson philosophique . -- Arrêtés contre les sœurs hospi-
talières . Culte de la Raison à Arras . Le Bon à
Saint-Omer. - Lettre de Toulotte. - Abdication de
Porion • 50

§ II. Wy A SAINT-POL ET MONTREUIL . -- Renommée de Le


Bon à Saint-Pol. - Craintes et faiblesses qu'elle occa-
sionne. -· Abjurations nombreuses . Prévost et Duflos .
-- Impressions de Le Bon sur son voyage . Les jeunes
prêtres appelés sous les drapeaux . -- Nouvelles mesures
prises par la Convention contre les prêtres . Le Bon à
Hesdin et à Montreuil. - Auxi-la- Réunion • $63
TABLE DES MATIÈRES 569

§ III . - A BOULOGNE ET SAINT - OMER. Curieux interroga-


toire du curé de Bourthes , François Boutillier . Le Bon
épure Boulogne. Odent, Patté et Codron Les abju-
rations. La confiscation des richesses des églises.
Notre-Dame de Boulogne. Abjuration du vicaire Bu-
caille , de Fréthun . - Mariage de Bernet, vicaire d'Ecottes.
- Abjurations à Saint- Omer. - Lettre de Coffin .
Le Bon à Béthune . ― Richebourg et Aix . -- Le Bon finit
l'année 1793 à Saint-Pol 72

CHAPITRE TROISIÈME

Le Bon à Arras.

Les agents de Le Bon. Leur programme tracé par le


maître. J - Arrestations. - Procès et exécution du chanoine
Jean d'Advisard 89
§ I. NOUVEAUX POUVOIRS ET AGENTS NOUVEAUX . - Nouvelle
investiture accordée à Joseph Le Bon. - Effrayante éten-
due de ses pouvoirs. Ses instructions --- Il épure les
autorités. Arrété du District d'Arras . - Nouveaux
noms de communes. - Fête de la Raison à Berneville .
Dénonciations contre les curés du canton de Pas. - Dis-
parition des calvaires. · Défense de sonner l'Angelus , de
porter de l'eau bénite, etc Vaudeville sur l'inutilité
des prêtres . - Conversation de Grand Pierre et Magister .
- Affaire de l'arpenteur Delestré. - Mesures de rigueur
contre les prêtres détenus . ― On leur enlève leurs servi-
teurs . Nouveau réglement . - Inscription que Le Bon
Disette à Arras . -· Le salpêtre
306

met sur sa porte . 92


§ II. - VISITE A BAPAUME . Lettre de Le Bon au Comité
du Salut public. V Instructions qu'il donne au District de
Bapaume. - Comité plébéien . - Destruction du château
d'Achiet-le-Petit. - Séance présidée par Le Bon. Nou-
velles opérations . -- Arrestations ordonnées par Le Bon.
-Son brusque rappel à Paris 110

CHAPITRE QUATRIÈME

La première série de victimes.

§ I. LES PRISONS . · Catégories de prisonniers . Enquête


au Vivier. Visite des commissaires . - Régime des pri-
sons . - Rapport sur la prison du Rivage . Arras , une
570 TABLE DES MATIÈRES
.
visite des prisons. Les modérés et les terribles . - In-
terrogatoire . - Le fauteuil. Les procédés de Le Bon.
- Les mégères. Horreurs des prisons de femmes.
Le jury choisi par Le Bon . Motifs du proconsul . -
Noms et paie des jurés . - Influence de Le Bon sur eux. 116
§ II. - LES VICTIMES . La famille de Béthune . L'abbé
Cary, curé de Colline. L'abbé Marchand. - Injustice
criante de la Commune d'Arras. - Procès des chanoines.
Arrêté de Le Bon. - Réquisitoire de Demuliez . -
Question posée au jury. Défense des accusés . - Leur
mort. Le curé de Ligny, Jean Diot. - Intervention de
Le Bon. - Célèbre procès de Madame Bataille . Sa
cause . - Duquesnoy et Le Bon assistent aux débats . -
Défense et acquittement de Dauchez . Sainte mort de
Madame Bataille. Le prévôt de La Beuvrière et le curé
de Saint-Bertin. Arras agrandit ses cimetières. - Dé-
pravation des enfants 131

CHAPITRE CINQUIÈME

La Terreur dans les Districts.

Les pourvoyeurs de la guillotine. - Rôle prépondérant du


district d'Arras 145

§ I. A BOULOGNE ET SAINT-OMER. Vaste enquête ou-


verte sur l'état des prêtres . Réponse de la commune de
Boulogne. Etat des prêtres . La commune de Samer
renonce au culte. - Démarche honorable des habitants
de Pernes et Conteville. - Poursuites religieuses à Ber .
nieulles et à Outreau. Le District témoigne en faveur
de Ferdinand Dubois . Les filles de la Charité de l'hos-
pice de Boulogne . - Témoignage des populations avoisi-
nantes rendu aux Sœurs de l'hôpital du Waast . - Rôle de
Baret. Ses discours . — Visite de Demuliez et Darthé.
Arrestations des curés de Selles et de Parenty . -Joseph Le-
febvre devant ses anciens professeurs . Baret et les
prisons de Boulogne. - Coffin à Saint- Omer. Ses cor-
respondances avec Le Bon.- Les détenus de Dohem.- On
achève de vendre les dépouilles des églises de Saint- Omer.
Nouveau discours de Coffin contre le fanatisme .
Arrestation du curé de Serques. -- Mariage de l'évêque
Porion . Naissance de son fils Floréal. - Ses mal-
heurs de commerçant. Fêtes sacrilèges . La Sainte
Montagne 146
TABLE DES MATIÈRES 571

§ II. - A CALAIS ET BETHUNE . Calme relatif de Calais.


Pétition d'Ardres . Piron et Bucaille. Le curé
de Saint-Folquin. - On réorganise l'instruction . ― - Rhé-
torique de Parent-Réal. Lettres de prêtrise et dénon-
ciations . -- Cazin à Audruick . Activité révolutionnaire
du District de Béthune . Il fait distribuer le discours
de Westermann . - Duquesnoy et Le Bon le félicitent .
- Suppression des comités de surveillance des communes .
- - Nouveaux comités de Saint-Venant, Houdain , Carvin ,
La Ventie. - Dénonciations à Auchel et Amettes.
Dénonciations à Sailly-sur -la-Lys, Hersin, Loos , Aix,
Drouvin, Barlin , etc. -· Béhin lui - même est dénoncé .
Les détenus de Béthune. - Adresse de Le Bon. - Les
deux cultes à Fleurbaix . -Circulaire des administrateurs .
- Duquesnoy, sa vie, ses cinquante- sept victimes . · 169
§ III. - A MONTREUIL, SAINT-POL ET BAPAUME . Dumont
à Montreuil. - Arrestations à Fressin. Les braves
femmes et le cantique obligatoire. Patriotisme de Fil-
lièvres. Nouveaux noms des municipalités . BLO Les pri-
sons de Saint Saulve et de Sainte-Austreberthe . - Le
directeur de Sainte-Austreberthe. - La dernière heure
des prêtres. - Églises détruites . Prêtres dénoncés.
Pétition des habitants de Brimeux . -- Dénonciation à
Saint-Pol . Saint-Just et les Thellier. - Incarcérations
nombreuses. - Rôle de Duflos. Plaintes de Poillion .
Les détenus de Saint-Pol. - Dépenses qu'ils nécessitent .
Arrestations à Bapaume. --- Lettre de Cagnicourt.
Danses patriotiques. - Rocquigny, Vaulx, Courcelles ,
Bienvillers. - Discours . - - Le chiffre des détenus . 186

CHAPITRE SIXIÈME

La deuxième série de victimes.

Divisions du parti révolutionnaire d'Arras . ----- Maintien du


tribunal criminel. --- Les amis et les ennemis de Le Bon.
Le jour de Pâques 1794 . 206
§ I. - A ARRAS. Débuts sanglants de la nouvelle admi-
nistration . - Procès et exécution de Dom Desruelles. --
Acquittement du vicaire épiscopal Laisné . - MM . de
Vieilfort et de la Viefville . Exécution des frères Lai-
gnel . -- M. de Marbais . - Supplice horrible de Charles
Vaillant. - Le Bon part pour Cambrai . - Ses compa-
gnons de route 207
572 TABLE DES MATIÈRES

§ II. - A CAMBRAI ET ARRAS . Arrivée de Le Bon à Cam-


brai. Le lustre de cristal . Son premier discours .
- Orgies et cruautés . - Le tribunal de Cambrai .
Première exécution . L'abbé Tranchant. - Rappel de
Le Bon à Paris et retour immédiat. - Arras. -- Les
hommes de confiance de Le Bon. - Les amis du curé de
Saint - Etienne , douze exécutions . Le procès des habi-
tants de Saint-Pol. Les inquisiteurs. - Les déposi-
tions. Nouvelles victimes : Leman, des Bons-Fils , Loger
de Rebreuve, la servante du curé de Bailleul, l'abbé Bras-
seur et sa famille, Roland et Dumetz de Febvin , Bourdon
relâché. L'arpenteur Delestré. Un jardinier de Fré-
vent, Lefebvre de Monchy, Dusevel de Divion . — Lettre
du juré Duhaupas sur Elisabeth Plunkett . - Baudry de
Lisbourg. - Les victimes appelées à Cambrai.-- Les seize
guillotinés de Frévent . - Le juge Magniez. - Le pré-
tendu saint de Wailly. - Charles -Marie Payen . - Jac-
ques Goubet et deux récollets - Jean Payen de Neuville.
Réquisitoire du District. Exécution des Sœurs de
Charité d'Arras • 213

§ III. - ENCORE A ARRAS. La misère à Arras . -- Comment


on y remédie. - Fête de l'Être Suprême . — On réclame
la Cathédrale. La commission d'épuration . Exécu-
tion du prêtre- chantre Nonjean, du chanoine d'Aire Gouil-
lard , de la Supérieure de la Maladrerie de Saint-Omer,
des deux sœurs Briois. — Le club noir. — Encore quatre
prêtres guillotinés. Exhibition et exécution de ' onzè
prêtres et cinq religieuses . Lettre infâme du juré Clẻ-
ment. -Védastinė de Lejosne- Contay et M. Vincent.
Une relique de saint B.-J. Labre . - Les victimes de Bé-
thune. ― Dernière immolation 230

CHAPITRE SEPTIÈME

Le neuf thermidor et ses conséquences.

Cause du rappel de Joseph Le Bon. - Soulagement général .


La dernière fête de Le Bon 242

§ I. CHUTE DE ROBESPIERRE . Triomphe de Robespierre.


Sa chute . Le 9 thermidor. Mort de Robespierre.
Malédictions . Le Bon à Paris . . 243

§ II. - ACCUSATIONS CONTRE LES TERRORISTES DU PAS-DE-CA-


LAIS. Le Bon accusé. Attitudė du Directoire et du
District d'Arras . Le District de Saint-Pol. Duflòs ét
TABLE DES MATIÈRES 573

Valentin Debret. Lettre du Comité révolutionnaire de


Saint-Pol . La femme de Le Bon La Commission
d'enquête . - Dépositions de Tincques et Frévent.
Mises en liberté. - Rapport de Montreuil. Libérations
et arrestations nouvelles. - Le District de Boulogne .
Cattaert arrêté . - Volte face de Baret. -- Il reste persé-
cuteur. Jugement du District de Calais sur Robespierre.
- Saint-Omer félicite la Convention. Palinodie de
Béthune . - Sévérité des dénonciations de son District
contre les amis de Le Bon. - Applaudissements de Ba-
paume • 247

§ III. ― GUFFROY ET DUQUESNOY CONTRE LE BON . - Guffroy


mène la campagne contre Le Bon à Paris et Arras. - Sa
Lettre à ses concitoyens. Le District et la Société popu-
laire lui obéissent .. - Lettre de Duponchel . - Les pri-
sons d'Arras s'ouvrent. - Nouvelle administration . -
Administration de Bapaume. Anciens religieux dans le
district de Saint Pol. L'église de Pernes dépouillée.
Retour des terroristes de Saint- Pol . On les arrête . -
Incendie du District . - Agitation 268

§ IV . - PROCÈS ET EXÉCUTION DE JOSEPH LE BON. - Lenteur


du procès . - Rôle de Guffroy. - Sa deuxième Censure.
Elle éclaire et soulève l'opinion. - Accusations contre
la femme de Le Bon. ― C. Lefetz incriminé. Curieuse
déposition d'un gardien des scellés . Nouvelle proroga-
tion . -- Ouverture du procès de Le Bon à Amiens . - Les
témoins. - Plaidoyers. Résumé. - La mort. J Ses
dernières recommandations . - Il meurt ivre et impénitent. 280

LIVRE SEPTIÈME

LE CULTE CACHÉ

CHAPITRE PREMIER

Liberté apparente, proscription réelle.

§ I. ---- PREMIÈRES MESURES RÉPARATRICES . Mission de


Berlier. - Il ouvre quelques prisons . Les détenus.
rentrent en possession de quelques meubles. - Nouvelles
administrations . Réorganisation de l'Instruction à
Arras. -- La bibliothèque de Saint- Vaast est rouverte. 288
574 TABLE DES MATIÈRES

§ II. - NOUVELLES MESURES D'OPPRESSION RELIGIEUSE. -


Point de trève religieuse . Les prêtres rappelés au Vi-
vier. Récompense aux ouvriers qui ont retrouvé la
sainte Chandelle . - Id . aux démolisseurs des Calvaires.
- La Cathédrale devient un dépôt de vin . - Poursuites
contre l'abbé Brédart. --- L'école centrale à Saint-Vaast.
Nouvelles entraves légales à la liberté religieuse . -
— La
Constitution nouvelle et Daunou . 292

§ III . - RENOUVELLEMENT DES ADMINISTRATIONS. Députés


et directeurs du département.— Dans quelles conditions
ils sont élus. - Le testament de la Convention contre
les prêtres . - Dernières instructions et règlements de
l'administration départementale, - Adieux du citoyen
Coilliot. - Le nouveau Directoire s'installe. Quelques
restitutions. 301

§ IV. - LES NOUVELLES ÉCOLES . -- Les Jurys d'arrondisse-


ment. - Conditions d'admission.- Plaintes de Boulogne.
· M. Dumont de Courset . Propositions du District de
Boulogne . - Une école pour quatre villages . Plaintes
des instituteurs . - Quelques noms. -- Nombreux défro-
qués. -- Ils sont mal reçus . Lettre de Flageollet .
Le prospectus du pensionnat Granet à Saint- Omer. --
Réquisitoire du nouveau commissaire Merlin . Le can-
ton de Buire est dénoncé. ---
- M. Tonnelier de Courcelles . 309

CHAPITRE DEUXIÈME

Les premiers missionnaires.

§ I. - LA MESSE EN PRISON . Les prisonniers du Collège


anglais de Douai . - Le château de Doullens . Les pré-
paratifs du saint sacrifice . Messes au grenier et au
rez- de-chaussée . Le calvaire de Doullens . Raffine-
ment d'impiété.- Arrivée des prêtres belges . ― Les filles
Loison de Vendin-le-Vieil . Quelques prêtres appa-
raissent sur la frontière du Nord . -- L'acte de soumission
aux lois. Avis divers . Le Département tranche la
difficulté . - Lettre du curé Pingrenon . - Fermeture de
l'église de La Buissière 319

§ II. - L'ABBÉ PLANCHON . - Le portrait traditionnel de


l'ancien vicaire de Beauvois . -- Son dossier . - Il est
dénoncé au District de Saint-Pol.- Messe à Béalencourt.
Visite à Verchin . - Premières communions solennelles
à Willeman . Arrêté du Département . - Présence d'es-
TABLE DES MATIÈRES 575

prit du maire Vandal. Messe à Ambricourt. Enquête


à Willeman. Déposition de Lisbourg. - Arrestation,
emprisonnement et fin de l'abbé Planchon 328

§ III. - MM . DUTERTRE ET LIEVIN BOUVART. - Le chapelain


de Saint-Nicolas de Croisettes . - Première arrestation à
Torcy. Il se fait manouvrier . - Dénonciations contre
lui. - Réquisition de Merlin . -- Deuxième arrestation .
Plaintes du Conseil de Torcy. - Procès et bannisse-
ment de l'abbé Dutertre. Le curé de Sains-les-Fressin .
Les troubles de Nielles- lès- Bléquin. - Curieux Rapport
de l'agent Pasquier . Le siège d'un clocher 335

§ IV. VIE , PROCÈS ET MORT DE M. DUCROCQ . -- Origine de


M. Ducrocq . ---- Ses études, ses divers postes . Ses réser-
ves au serment. - Premières dénonciations contre lui . -
Il est arrêté . Dépositions de ses amis . Son Mémoire à
l'accusateur public. - L'enquête . -- Vingt-deux commu.
nes témoignent en sa faveur. Interrogatoire. — Il pré-
sente lui-même sa défense . -- Texte de son jugement .
Coffin poursuit ses défenseurs. Modifications adminis-
tratives . 344
SV. - M. SAINT-JEAN. ―― Origine de M. Saint-Jean . Sa
remontrance à Primat. - Il se munit de pouvoirs . -- Ses
aventures à Fournes et à Aubert. ―― Danger couru à
Illies. - Sa présence d'esprit . - Il guide les agents à
sa propre recherche . Nouvel incident . - Sa rencontre
avec M. Detrez . • Série de dénonciations des agents
nationaux . G Les offices de Thiembronne.- Visite à Lor-
gies. - Rassemblement fanatique . - Une femme tuée. 360

CHAPITRE TROISIÈME

Son organisation .

Mandement de Carême de Mgr Asseline pour 1794.- Ordi-


nations faites par l'évêque de Boulogne 373

§.1. - POUR LE DIOCÈSE DE BOULOGNE. MM . Paternelle et


Augé, préfets de mission . Leur mérite . - Leur passé .
- M. Braure. - Qualité maîtresse des préfets. - Aver-
tissement de l'agent national de Lille . < di Les prêtres bel-
ges. Bref de Mgr Asseline . - Teneur des pouvoirs. --
Division territoriale entre MM. Terbeck et Batis. - - Pre-
miers missionnaires et desserviteurs . - Enquête minu-
tieuse . Analyse de ce document. ― Notes intéres-
santes sur les curés. - Instructions et avis . ― Extrait
576 TABLE DES MATIÈRES

concernant la conduite à tenir par rapport aux jureurs et


aux acquéreurs de biens nationaux . - Instruction pour
- Correspondance de Mgr Asse-
le Préfet de la mission . →
line . -- Notes sur les paroisses. Pouvoirs accordés à
M. Braure. Lettres d'Hildesheim à M. Paternelle --
Rétractations. Les ordonnés de l'exil . 375

§ II. ―― A ARRAS ET SAINT- OMER. - Instruction provisoire-


de l'évêque d'Arras. Sa conclusion. -- M. de Seyssel .
Son exil, sa -bienfaitrice, son testament - Les quatre
préfets de mission . --- M. Andrieu. Ses dangers , ses
protecteurs . Le culte organisé dans le diocèse de Saint-
Omer. - Le vicaire d'Estaires . → Premières messes à
Busnes . - M. d'Aumale et M. Rollet.- Les curés cachés .
- Dénonciations du procureur Bachelet. ― Arrestation
de M. Dublaron . ---- Autres arrestations . 404

CHAPITRE QUATRIÈME

Dans le diocèse d'Arras.


-- La cathédrale d'Arras
§ I. - A ARRAS, BAPAUME ET PAS.
réclamée et refusée. --- Elle reste magasin.— MM . Soualle
et Doudan. ― M. Delahaye à Sainte- Catherine et Roclin-
court. -- M. Goudemand à Duisans et Dainville → Til-
loy, Catherine Deliège. - Agnez et Habarcq, châtiment
des impies . Les sacrilèges de Pas. ― Famechon,
Orville, Hénu . - Le curé Saudo . - M. François de
Bienvillers . ― Pommier et Souastre . « M La terreur à
Bapaume. - Les femmes de Beugny. - Le Transloy et
Martinpuich • 413

§ II. - A AUBIGNY, HOUDAIN ET LENS . d Autorité de


M. Dambrine de Wanquetin . Izel-lès-Hameaux . -
MM. Lusse , Héroguelle , Puchois, Demory, Régniez .
Monchy-Breton . - Châtiment d'un impie. - Frévillers
et La Comté. - Savy. - Le stratagème, J. B. Isard. -
La châsse de Saint Kilien . ---- Fidélité de Camblain. La
profanation de Frévin - Capelle . - Le vicaire de M. Du-
crocq . - Diéval, Divion, Bruay. -- Les démolisseurs
d'Houdain . Protecteurs des bons prêtres, Les demoi-
selles Morguet . Olhain et Verdrel. Martinage. - La
déesse de Caucourt. - M. Dubroucq dans le pays de
Lens. - Les Logez de Bully- Grenay. M. Paris d'An-
gres. Lens. -- Foucquières. Le saint curé d'Eter-
pigny, M. du Brulle. - Hesdigneul . Calonne-sur-
la-Lys. 428
TABLE DES MATIÈRES 577

§ III. W LA BOUTILLERIE, LESTREM ET LE PAYS DE L'ALLEU .


Lorgies et M. Morel . - Neuve- Chapelle et M. Flament.-
Fleurbaix, la Boutillerie et le corps de M. Levasseur.
Lestrem . Energie du constitutionnel . -- Le médecin
athée . Les prêtres cachés . - Les fermes - églises .
Sailly-sur-la-Lys.- Le peintre de La Ventie. > Le culte
et ses protecteurs. · 441

CHAPITRE CINQUIÈME

Dans le diocèse de Saint-Omer.

-
§ I. A GONNEHEM, SAINT-FLORIS ET GUARBECQUE . - M . Droc-
ques , curé de Gonnehem , et le Père Hyacinthe .
M. Wourm . - Son héroïque courage . M. Bouquillon .
Les amis des prêtres à Gonnehem . Robecq, Mont-
Bernanchon et Saint-Venant. - Le curé Badollier à
Saint-Floris . -- Bon esprit de Guarbecque, ses prêtres
cachés . - M. Paris • 453
§ II. -- A BUSNES ET LILLERS . - MM . Denissel et Flageollet,
de Busnes . - Mort de ce dernier . L'intrus Miennée .
- Les deux partis. Retraite de Guérit- Tout . - Mayolle
et le crucifix . - Les enterrements . -- Les prêtres et le
conscrit Clabaut. - Les patriotes de Lillers. --- Les intrus .
- Les apôtres. M. Wallart. Les rendez -vous. -
M. Guille et le père Maxime. - Stratagème de Scossa .
La famille Hanon. ― Les secrets . 461
§ III. M. LAGNIEZ . - Origine de M. Lagniez . - Ses Mé-
moires et Notes pour servir à l'histoire de la persécution
d'Estaires.- Sa préface. Son portrait. -Ses épreuves.
Ses voyages. -― · Il établit l'Adoration perpétuelle du
Saint- Sacrement . - Son retour. 475
§ IV. AIRE, RACQUINGHEM ET ROQUETOIRE . - Les prêtres
de la ville d'Aire et leurs protecteurs . - Le trésor. ― Les
pourchasseurs des prêtres à Racquinghem . - Leur châ-
timent. --- Le curé constitutionnel . - Les missionnaires .
Les cachettes . - M. Varlet. - Wardrecques, Clar-
ques. - Ruines de l'abbaye de Saint-Augustin . 481
SV. --- LA BANLIEUE ET LA VILLE DE SAINT- OMER . - Le
Culte caché dans le doyenné de Longuenesse . - Dans la
paroisse du Saint- Sépulcre. - Église du Saint- Sépulcre .
Vicissitudes de la cathédrale . - Les fêtes patriotiques .
Elle devient temple de la loi. ― Les fêtes décadaires.
37
578 TABLE DES MATIÈRES

-Les prêtres cachés à Notre-Dame . - Hesdin et son


enclave . 492

CHAPITRE SIXIÈME

Dans le diocèse de Boulogne.

§ I. A BOULOGNE ET DESVRES . - M. Jean- Baptiste Com-


piègne. Ses tardives études . -- Sa mission à Boulogne .
Ses dangers . - Ses consolations . - M. Ant. Com-
piègne. - Ses antécédents. " Son exil. Son retour .
Son apostolat à Audinghem et Audresselles . --- Le
Culte caché à Bazinghem . - Offrethun et Beuvrequen .
Wierre- Effroy et surtout Wimille . --- Henneveux et
Alincthun. - Werwignes , Desvres 503

§ II. A MENNEVILLE, SAMER ET HERLY. - Les meneurs


de Menneville, Duburquois, Brillard et Oyez. Expédi-
tion des Desvrois . - Les prêtres cachés à Menneville et
leurs protecteurs . - Anecdotes concernant M. Dutertre .
- Haute situation de ce prêtre. ― Les environs de Sa-
mer. - Profanations de ce bourg.— La visite de Le Bon.
Fêtes et mascarades sacrilèges. -- Religieuses insul-
tées. -- M. Jean-Marie Hochart. - Son histoire . - Le
Culte caché dans le canton d'Hucqueliers et dans les en-
virons de Licques 517

§ III. - A HARDINGHEN, DOHEM ET FRUGES. - Hardinghen .


- Ses mauvais prêtres . -— Le grand auto-da-fé. ―― Châti-
ment des coupables . - La ferme d'Héronval. - Les
prêtres fidèles . - Esquerdes, Wismes , Saint-Liévin ,
Thiembronne, Herbelles . - Dohem, centre religieux de
la région. M. Alloy et M. Paris. - Leurs épreuves . -
Les vertus et les services de M. Braure . - Roquetoire .
-- Les environs et le bourg de Fruges. • 534

§ IV. - AUTOUR DE SAINT-POL ET PERNES . - Blangy- sur-


Ternoise et la châsse de sainte Berthe. - Le maire 2
Wenzel. v M. Mathelin d'Humerœuil. Go M. Dambrenne
de Beauvois . - Croix et le P. Théodore . Sa délivrance
au bois du Bailleulet.— Ligny , Brias, Roëllecourt, Haute-
clocque, Croisettes . ― Pernes et ses environs . ― Châti-
ment terrible du prétendu malade de Calonne- Ricouart . 545
TABLE DES MATIÈRES 579

CHAPITRE SEPTIÈME

Dans le diocèse d'Amiens.


- M. Louis de Flers . -
§ I. - DE FREVENT A SAINT-JOSSE .
Boubers , Conchy et Aubrometz . Haravesnes et Bon-
nière . - Les épreuves d'Auxi-le-Château. - Buire,
Capelle, Bouin , Boisjean , Conchil - le - Temple, Verton ,
Gouy. ― Vente du mobilier de l'église . 554
- A MOURIEZ ET TORTEFONTAINE. ― L'éducation des
§ II.
Terroristes . - La promenade d'abbé . ― Le bûcher.
Le bon Dieu Ducanda. Les enterrements civils . - Les
bons prêtres. - M. Warin . Les messes nocturnes .
M. Marteau et le clerc Sauvage . Les fêtes publiques. -
Conclusion . 560
Table des matières . 567

Bibliothère en fortaines
P 25
60501 CHA Cedex
Tél. 05) 445, → 60

Arras, imp. de la Soc. du Pas - de-Calais, P.-M. LAROCHE, dir.


A

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