Librinova Police Judiciaire La Fin D Un Service

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Louis Cléaux

Police judiciaire, la
fin
d'un service
Brieuc Leprêtre
© Louis Cléaux, 2024

ISBN numérique : 979-10-405-3381-8

www.librinova.com
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Avant-propos
La police couverte de louanges un jour par la population lorsqu'il y a des
attentats terroristes, est la même qui est ensuite critiquée et jugée inefficace dans
ces missions quotidiennes. Les médias évoquent les difficultés, l'insécurité, les
suicides, le malaise dans cette profession. De nombreux reportages ont été
diffusés et pourtant les citoyens ne connaissent pas leur police. Les relations sont
devenues de plus en plus tendues entre la population et ceux qui exercent dans
cette institution qui aujourd'hui n'est plus attractive et peine à recruter.
Je suis entré dans la police en 1989 comme Gardien de la paix. J'ai débuté ma
carrière en uniforme, dans une unité de maintien de l'ordre et de voie publique,
sur le secteur des cités défavorisées de la banlieue nord de la région parisienne,
(Sarcelles, Garges-lès-Gonesses, etc.) puis je me suis ensuite orienté vers la
police en civil, en Police Judiciaire. La PJ, celle qui traite des infractions les plus
graves, des « belles affaires » et où j’ai passé l'essentiel de ma carrière.
Naïvement, alors que j'avais fait tous les efforts pour acquérir une compétence,
celle des ex-inspecteurs de la PJ que les Gardiens de la Paix remplaçaient, je
pensais pouvoir toujours faire un travail de qualité. Or en PJ, on ne recherche
plus les belles affaires. Comme dans les autres services, on vous demande
d'abord de « faire du chiffre ». Le savoir-faire qui était la culture de ce service
n'est plus une priorité depuis longtemps. Le fonctionnaire, avec ses tâches
administratives et de gestion a remplacé le policier. Les enquêtes ont vu une
inflation rédactionnelle importante due à une procédure pénale de plus en plus
complexe. La Police Judiciaire de 2023 n'est plus le service de mes débuts.
J'ai passé tous mes grades en PJ pour terminer Major, puis je suis allé au
Renseignement Territorial qui a remplacé les Renseignements Généraux
supprimés en 2008. En complément de la direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI), ce service devait opérer un retour au « renseignement
humain » pour lutter efficacement contre groupes extrémistes politiques et islam
radical, on est loin du compte ! Je n'ai trouvé qu'un service sans véritables
moyens pour recueillir des renseignements de qualité. Déçu comme beaucoup,
j'ai ensuite fait le choix d'un retour en PJ, à la division de lutte contre la
criminalité financière, avant de faire valoir quelques années plus tard mes droits
à la retraite.
Géographiquement, j'ai évolué en région parisienne puis en région Provence
Alpes Côte d'Azur. Et en 35 ans de carrière, j'ai vu passer plusieurs ministres de
l'intérieur. La majorité d'entre eux n’a pas marqué positivement de son passage
ce ministère. À l'inverse de Charles Pasqua qui a par sa réforme en 1995, permis
aux Gardiens de la Paix d'être officier de police judiciaire (OPJ). Cette
qualification qui n'était attribuée auparavant qu'aux inspecteurs de police est
indispensable à la réalisation et conduite d'une enquête. La réforme Pasqua a
donc facilité le passage entre police en uniforme et services d'investigations en
civil qui ne se faisait avant qu'en passant le concours d’inspecteur.
On se souvient aussi de Nicolas Sarkozy comme étant celui qui a érigé la
politique du chiffre en modèle de management. Une politique toujours en
vigueur qui est un frein au bon fonctionnement de ce service public. Pour
atteindre les objectifs chiffrés, la police est devenue désorganisée avec des
services dénaturés, en concurrence là où il faudrait être complémentaires.
Pour la plupart des ministres de l'intérieur, leur politique s'est limitée à ne rien
améliorer. Ils se sont contentés de demi-mesures, de changer les acronymes des
services, de communiquer sur la création de concepts comme la police de
proximité, la police de la sécurité du quotidien, etc. Toutes ces actions visant à
laisser croire que le politique adaptait la police à l'évolution de la délinquance,
de la criminalité.
Les policiers, ce sont d'abord des citoyens normaux confrontés aux mêmes
problèmes que l'ensemble de la population, payer son loyer, crédit, etc. Il n'y a
pas de « super flic ». Ce sont des hommes et des femmes qui évoluent dans une
administration qui aujourd'hui vous tirent vers le bas, le désengagement. Ceci est
la conséquence d'une succession de réformes malheureuses et de mauvais choix
qui ont réduit notre capacité opérationnelle. C'est de cette réalité-là que je vais
témoigner.
Si vous parvenez à faire face à ce système, alors il faudra vous battre contre la
déshumanisation des services, conséquence de la politique du chiffre et de la
concurrence pour la promotion. En effet, il y a moins de générosité et de
solidarité aujourd'hui entre policiers, pourtant confrontés parfois collectivement
à des actions difficiles, traumatisantes.
Cette police, je l'ai vue se dégrader au niveau de la qualité et des conditions de
travail. Ceci a eu évidemment des répercussions sur la vie personnelle des
policiers, parfois dramatiques (les suicides) pour peu que des problèmes
familiaux soient venus s'ajouter à une vie professionnelle devenue vide de sens.
Si je devais décrire les comportements policiers, je les classerais en trois
catégories. Une minorité d'hyperactifs, une minorité de « peu actifs », et une
majorité qui fait plus ou moins bien son travail. Je dirais même que dans une
carrière on peut être amené au gré des mutations et du niveau d'exigence d'un
service, à se comporter selon ces trois catégories. Aujourd'hui, de plus en plus de
policiers sont démotivés, certains moins attentifs au sort des victimes.
Une fois, un ancien inspecteur de police à qui je demandais à l'occasion de son
départ à la retraite quel bilan il faisait de sa vie professionnelle toute entière
passée en PJ m'a répondu, « quand j'étais enfant, dans les commissariats, il y
avait une affiche sur laquelle était écrite, la police un métier d'homme. Moi, j'ai
rencontré beaucoup de lâches ».
Force est de constater que dans une administration où la parole et la
contradiction apportées à la hiérarchie devraient être plus faciles que dans le
privé, du fait de la sécurité de l’emploi, le courage manque à beaucoup. Louis
XIV aurait dit, « Estimez ceux qui se risqueront à vous déplaire, ce sont vos
véritables amis ». Dans la police, Louis XIV c'est le ministre, le directeur, une
hiérarchie qui apprécie peu les contradicteurs. S'il est vrai qu'on ne peut être
révoqué pour avoir déplu au chef, on peut subir des pressions ou être muté.
Le courage d'un policier, je l'ai vu sur le terrain lors d'interventions, moins
souvent face à la hiérarchie. L'usage de l'argument contradictoire face à son
directeur est identique à l'usage de l'arme de service en intervention : il nécessite
prudence et réflexion, car dans les deux cas, on n’a pas le droit à l'erreur.
Également, tout a été fait pour verrouiller la parole des policiers, secret de
l'instruction, secret professionnel, devoir de réserve, impossibilité de faire grève,
évaluation annuelle du policier si importante pour une mutation ou un
avancement. Si vous « l'ouvrez », vous savez que ça ne sera pas facile pour vous
d'évoluer dans cette administration.
Ainsi, c'est en voulant adopter un discours qui va dans l'intérêt du service
public mais qui peut heurter une hiérarchie obsédée par les tableaux d'activités
(les chiffres), que le courage manque à beaucoup.
Les affaires judiciaires ont été également au fil du temps de plus en plus
instrumentalisées et l'enjeu de la sécurité politisé, médiatisé. Certains ministres
de l'intérieur se sont servis de leur poste comme d'un tremplin pour leur
ascension politique. Pourtant aucun d'eux n'a pris de mesures d'envergure visant
à mieux protéger nos concitoyens.
La police a vu apparaître une érosion continue du savoir faire et de la
compétence dans tous les services et notamment sous Nicolas Sarkozy qui a
remplacé l'obligation de réaction de la police, en obligation de résultat :
auparavant la police devait d'abord remplir sa mission de service public.
Aujourd'hui elle doit d'abord atteindre les objectifs chiffrés qui lui sont fixés, et
tant pis si cette priorité devient un frein à l'efficacité attendue de la population.
La lutte contre les trafics de stupéfiants en est un exemple. Les chiffres sont bons
mais les trafics s'étendent, notamment parce que la lutte contre le blanchiment
d'argent qui appauvrit les trafiquants et donc les affaiblit n'est pas assez
développée, car pas assez « rentable ». En effet, pour un dossier de blanchiment
qui permettra de saisir plusieurs millions liés aux trafics de stupéfiants, c'est un
groupe de six enquêteurs qui travaillera durant un an et demi, avant d'avoir un
résultat. Si on met en parallèle leur travail, avec celui d'un groupe stup, celui-ci
traitera de plusieurs dossiers. Pourtant, celui qui conduit la politique pénale, le
procureur de la république s'était justement étonné qu'il y ait à la PJ Marseille 80
enquêteurs sur la lutte contre les trafics de stupéfiants et seulement 6 sur l'aspect
blanchiment.
La politique du chiffre a fait aussi disparaître la convivialité dans de nombreux
services. Atteindre les objectifs chiffrés est désormais une priorité au centre des
carrières de commissaires motivés par de nombreuses primes substantielles et
des déroulements de carrière plus avantageux. Les commissaires répercutent la
pression jusqu'aux policiers de base. Je me souviens d'un directeur de la PJ agacé
par notre attitude désinvolte avant de partir interpeller des auteurs au levé du lit,
et qui avait exigé vertement un engagement maximum. Si on ne résolvait pas
cette enquête nous avait-il dit, trois directeurs (dont lui) allaient « sauter ». Cette
enquête a d'ailleurs été résolue. Il s'agissait d'un pauvre hère atteint d'un
handicap l'obligeant à se déplacer en fauteuil roulant et qui avait envoyé des
lettres de menaces à l'entourage de Nicolas Sarkozy. Après une enquête fleuve et
coûteuse (au moins 50 garde à vue dans ce dossier), il sera d'ailleurs arrêté. Pour
nos directeurs, malgré le caractère manifestement inoffensif de l'auteur, ils
étaient soulagés de ne pas avoir perdu leurs postes… pour si peu. En 2022,
Gérald Darmanin n'agira pas différemment en limogeant le directeur de la PJ
Marseille qui n'a pas su empêcher l'expression de l'opposition de ses troupes à sa
réforme qui notamment supprime la Direction centrale de la police judiciaire. Il
ne s’agissait pourtant que d’une banale mise en scène qui n’avait rien
d’irrespectueuse vis-à-vis du directeur général de la police, alors de passage à
Marseille. Cette mise en scène reprise sur les réseaux sociaux via une vidéo
aurait paraît-il provoqué l’ire du ministre.
L'écart s'est aussi creusé financièrement, entre les commissaires et leurs
subordonnés. J'ai connu deux directeurs, un de la Sécurité publique et un autre
de la Police Judiciaire de Marseille dont les salaires nets mensuels approchaient
déjà 9 000 euros, qui ont perçu une année, une prime exceptionnelle pour leurs
bons résultats. Le DDSP a perçu 70 000 euros. Pour le DIPJ, cette prime était
d'un montant de 30 000 euros (ce qui a choqué tous ceux qui en ont eu
connaissance). En comparaison, un Gardien de la paix qui émarge en début de
carrière à 1 500 euros net mensuel, peut espérer une prime de résultat
exceptionnel annuelle de 300 à 700 euros. Une telle fracture sociale n'existait pas
avant entre commissaires et policiers de base. La politique du chiffre a aussi
éloigné les commissaires du cœur du métier de policier, et du travail des
Gardiens de la Paix lié aux préoccupations quotidiennes de la population.
Durant 35 ans de carrière, j'ai reçu pour mon travail des dizaines de lettres de
félicitations de mes directeurs et même d'un ministre de l'intérieur et pourtant je
me demande si tout cela avait un sens, celui du service public. Comment la
police est-elle devenue une administration qui fonctionne aujourd'hui en mode
dégradé ? Quelles seront les conséquences de la réforme de 2023 de Gérald
Darmanin supprimant la Direction centrale de la Police Judiciaire ? Pourquoi le
travail d'enquêteur n’intéresse-t-il plus ? Pourquoi y a-t-il un malaise policier
depuis si longtemps et qui ne trouve pas de solution ? Autant de questions
auxquelles mon témoignage, celui d'un policier de base et de terrain, apportera
des éléments pour vous expliquer mais aussi pour vous alerter. Ensuite, à chacun
de se faire son opinion sur cette administration au service de la population.
Les quartiers difficiles
En 1989, je ne suis pas entré dans la police par vocation, mais au hasard d'un
concours administratif dans la recherche d'un emploi. À cette époque, le travail
consistait à faire des patrouilles pour prévenir les actes de délinquance, la
présence sur le terrain étant le meilleur moyen. Il y avait aussi un volet répressif
à travers la police routière où nous n'étions pas avares de sanctions contre les
automobilistes ne respectant pas le Code de la route. La plupart d'entre nous
étaient affectées en PS (police secours) répondant aux sollicitations de la
population par appel sur le « 17 », pour des motifs divers et variés allant des
différends familiaux, aux cambriolages, aux accidents de la route, etc. Il y avait
aussi les missions de « garde » au tribunal, dans les préfectures, les ministères, à
l'entrée des commissariats, qu'on appelait les missions « plantes vertes ». Nous
étions fonctionnaires de catégorie C, il n'était pas nécessaire d'être titulaire du
baccalauréat pour accéder au concours à cette époque. Le corps des gardiens
était composé en évoluant dans la hiérarchie de celui de brigadier, sous-brigadier
et brigadier-chef.
Catégorie B de la fonction publique, il y avait les officiers de paix occupés à
des fonctions de cadres dans la police en uniforme et recrutés au niveau bac. Au
même niveau, on trouvait aussi les inspecteurs de police chargés des enquêtes
judiciaires, depuis la prise de plainte en commissariat jusqu'aux enquêtes
difficiles confiées à la Police Judiciaire. Tout en haut de la pyramide des grades
et coiffant policiers en civil et en uniforme, se trouvaient les commissaires, de
catégorie A, recrutés à l’époque au niveau bac plus trois.
La réforme de 1995 de Charles Pasqua a débouché sur une importante
réorganisation avec un premier corps de gardiens (recrutés avec bac), un
deuxième d’officiers (recrutement à bac+3) et issus de la fusion des ex-
inspecteurs avec les ex-officiers de paix, et du corps des commissaires
(recrutement bac+5).
En 1989, j'ai suivi une formation d'un an dans un centre de formation avec une
centaine d'élèves Gardiens de la Paix dont aucune femme à cette époque. Avec le
recul, je dirais que la formation était de qualité… moyenne. L'essentiel était vu.
J'ai ensuite été affecté en 1990 à la 1re section d'intervention de la compagnie
départementale d'intervention à Cergy, dans cette région parisienne où a été
déployée toute ma promotion.
Les loyers en région parisienne étaient déjà chers et l'administration ne
proposait que quelques logements à loyers modérés mais dans des cités
défavorisées déjà hostiles aux fonctionnaires de police. Certains, peu nombreux
y sont allés puis en sont partis dès qu'ils ont pu trouver un autre logement, car ils
n'arrêtaient pas de se battre avec certains jeunes qui les insultaient. Certains
collègues préféraient dormir dans leur voiture en attendant de trouver un
logement plutôt que d'aller habiter dans une cité. C'était notre réalité sociale à
cette époque.
Rapidement, je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'un service de police dit
« disciplinaire » où on avait muté des policiers qui avaient posé problème dans
d'autres services, notamment par rapport à l'alcool, l'indiscipline ou autres. Mais
on était cinq jeunes policiers à arriver là en même temps et on se serrait les
coudes. Discret et respectueux des anciens, j'ai dû quand même menacer l'un
d'entre eux pour qu'il arrête de me prendre pour son souffre-douleur. Bienvenue
dans la police !
Le régime de travail est passé d'hebdomadaire (5 jours de travail et tous les
week-ends de libre) à cyclique (1 week-end de libre sur 5) soi-disant pour coller
aux créneaux horaires criminogènes. En réalité le directeur départemental de la
police trouvait que le service était trop confortable et qu'il fallait que ça change.
Ça a commencé par les horaires.
On travaillait sur tout le département du Val d'Oise. Il y avait les secteurs
calmes, Enghien les bains, Taverny, Pierrelaye, Franconville, et les secteurs
difficiles comme la cité des musiciens à Argenteuil, la cité Ampère à
Goussainville, la cité de la muette à Garges-lès-Gonesse dont le commissariat
situé au beau milieu de cette zone de non droit était parfois la cible d'attaques de
plusieurs dizaines de jeunes des cités alentour, etc..
L'essentiel du travail consistait en une activité d'anticriminalité à une époque
où il n'y avait pas de brigade anticriminalité (BAC) départementale. C’est-à-dire
que nous étions en patrouilles sur secteur avec contrôles et interpellations dans le
but de lutter contre la délinquance de voie publique (vols simples, cambriolages,
agressions, dégradations, violences volontaires, etc.). Et nous renforcions aussi
les policiers locaux lors de leurs interventions dites de police secours (appels sur
la ligne 17).
J'ai tout de suite perçu la grosse différence relationnelle entre police et
population dans les secteurs calmes où tout se passait bien et dans les secteurs
difficiles où il y avait des tensions.
Lorsque je suis arrivé la première fois en 1990 en contrôle à la gare SNCF de
Garges Sarcelles, venant de ma province natale, j'ai été surpris de découvrir la
population cosmopolite qui s'y trouvait, d’autant plus que ce constat n'avait
jamais été évoqué à l'école de police.

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