Cahier Noir D'Octobre VersionCompletee Par Anouar Benmalek
Cahier Noir D'Octobre VersionCompletee Par Anouar Benmalek
Cahier Noir D'Octobre VersionCompletee Par Anouar Benmalek
Enguisedeprface,
Vingt ans aprs, que restetil dOctobre 1988 et de ses centaines de morts? Un crime impuni
dabord, la torture. Puis des victimes supplicies qui souffrent encore dans leurs mes, et, pour
beaucoup,dansleurscorps.Enfindestortionnairesdtatimpunisetconfortsdansleurspratiques.
Ceconstatestamer.PourquelavictoiredestortionnairesnesoitpascomplteenAlgrie,ilfaut
luiopposersanscesselaparoledesvictimes,dfautdejustice.
Il y a presque vingt ans, mes compagnons du Comit national contre la torture mavaient fait
lhonneur,largementnonmrit,demechoisircommesecrtairegnraldenotreassociation.Mais
cestentantquesimplemilitantpourlerespectdesdroitsdelhommeetduplussacrdentreeux,
celui du respect, inconditionnel en toutes circonstances, de lintgrit du corps humain que jai pris
linitiativederepublier,deuxdcenniesaprs,leterribledocumentqueconstitueleCahierNoir
dOctobre. En plus des tmoignages dchirants des victimes et de documents en annexes sur les
activitsduCACTetdeprisesdepositiondediffrentesorganisations,jemesuispermisdyajouter
uncertainnombredarticlesquejavaiscritsalorssurcesujet.
AnouarBenmalek(SecrtairegnralduCACT,19891991)
5octobre2008
anouarbenmalek.free.fr
116
anouarbenmalek.free.fr
117
anouarbenmalek.free.fr
118
anouarbenmalek.free.fr
119
anouarbenmalek.free.fr
120
Textes dAnouar Benmalek sur Octobre 1988
Appel la Direction Politique et Militaire de lAlgrie
Alger, 9 octobre 1988
Non lamnistie des tortionnaires !
Dcembre 1989
Lintgrisme ou la tentation de la rgression
Janvier 90
Amnistie et morale
Avril 90
Dmocrates du nouveau type !
Aot 90
De la lgalisation du Comit contre la torture
Aot 90
Quand les hynes relvent la tte
Octobre 1990
La peine de mort
Avril 91
Le mmorial de la douleur et de lamour
Mai 91
Entre ltat de droit et ltat de fait
Mai 91
Du 5 octobre 1988 et du Comit contre la torture
Octobre 2001
La formation du Comit national contre la torture
Octobre 1998
Que reste-il dOctobre 88, vingt ans aprs ?
Octobre 2008
Une sombre magouille dapprentis sorciers incomptents
5 octobre 2008
anouarbenmalek.free.fr
121
Appel la Direction Politique
et Militaire de lAlgrie
Alger, 9 octobre 1988
Des sources diverses, parfois recoupes, parfois contradic-
toires, ont laiss entendre que le nombre de victimes des vne-
ments tragiques qui ont secou lAlgrie et dautres rgions de
notre pays dpasserait la cinquantaine. Ce nombre lev de
morts parmi, entre autres, les jeunes manifestants est d essen-
tiellement, daprs les diffrents tmoignages, lutilisation des
armes feu par les forces de lordre.
Or personne nignore que les motifs qui ont jet ces milliers
denfants et dadolescents dans les rues dAlger sont dordre
social et politique. Les jeunes manifestants ont exprim confu-
sment et avec lirrationalit violente du dsespoir la peur quils
prouvent devant un avenir bloqu, avec un enseignement de
plus en plus slectif et le chmage assur au bout pour bon
nombre dentre eux. Ils ont galement exprim leur colre
devant cette inflation qui devient de plus en plus folle et qui
crase littralement leurs familles, alors que dautres, dans les
rouages tatiques, se construisent sans pudeur de fabuleuses
rsidences et ne parlent plus quen devises. Ces jeunes gens
nont, probablement, pas t labri de manipulations crimi-
nelles, comme en tmoignent douloureusement certaines dpr-
dations, mais soigner les effets sans toucher aux causes, se
contenter de la rpression brutale par les balles et les tanks sans
tenter danalyser ce profond sentiment de ressentiment et dan-
goisse de la jeunesse et sans y porter remde, serait non seule-
ment contraire lintrt bien compris de tous, mais dangereux
pour notre pays. Notre peuple, cest dabord la jeunesse et lou-
blier, cest se placer en dehors de ce peuple.
anouarbenmalek.free.fr
122
Nous demandons, nous supplions la Direction politique et
militaire de notre pays :
en premier lieu, de donner des directives de modration
aux forces de lordre. Ces enfants sont nos enfants, et on ne tue
pas des enfants sans se mettre dans la mme position que ceux
qui assassinent les enfants de lIntifada ;
en second lieu, de faire preuve de magnanimit, de clart
et de courage politique dans le traitement judiciaire de ceux qui
ont t arrts dans le cadre de ces troubles ;
en troisime lieu, dengager un rel programme de sauve-
tage (et le mot nest pas trop fort) de notre jeunesse, de senga-
ger rtablir et consolider le pouvoir dachat de la masse
des Algriens, de lutter contre la corruption qui gangrne notre
appareil dE
tat
et ce peuple. Je rpte que je suis contre la torture et que les
coupables seront punis.
Dautres responsables politiques, tant civils que militaires,
avaient pris des engagements devant la presse sur ce sujet.
Le ministre de la Justice dclarait, pour sa part, le 10 no-
vembre 1988, en rponse un journaliste dun hebdomadaire
qui lui posait la question suivante : Les vnements ont donn
lieu ce quon a appel par euphmisme des dpassements
portant atteinte lintgrit physique et morale des personnes
arrtes, et ce en violation de larticle 48 de la Constitution.
Quenvisagez-vous au niveau de votre ministre lencontre de
ces pratiques inadmissibles ?
Ceci nest pas nouveau : tout citoyen qui porte plainte
concernant un fait particulier est assur que le ministre de la
Justice prendra son cas en considration. Quiconque a subi des
pressions ou autre chose de quelque nature quelle soit, peut
saisir la Justice sil dispose de preuves suffisantes.
Continuant sur une question propos de jeunes gens tor-
turs par un propritaire dun tablissement priv An Taya,
le ministre de la Justice avait affirm que tout citoyen qui
porterait plainte contre des individus qui srigeraient en justi-
ciers peut tre assur que la loi sera applique dans toute sa
rigueur .
Le gnral Abbas Ghziel, commandant de la Gendarmerie
nationale, assurait pour sa part le 13 dcembre 1988 que le
corps quil dirigeait avait de tout temps agi dans le respect de
anouarbenmalek.free.fr
129
la loi. Il tenait les propos suivants : Le citoyen ne doit pas
subir... Il doit dnoncer les abus, faute de quoi il est complice...
Le corps de la gendarmerie est la disposition du citoyen pour
laider, le protger et sauvegarder ses biens. Le citoyen doit de
son ct aider en portant la connaissance de nos services tous
les cas datteinte lautorit de lE
tat ceux
qui ont bastonn, viol, appliqu la ggne des adolescents,
cest l une manire pour le moins paradoxale de mettre en
accord les dclarations de principe sur la construction dun E
tat
de droit et les faits qui sont l, brutaux et incontournables. Pire,
cela peut tre aussi interprt comme le dsir de certaines forces
obscures de garder en rserve des instruments particulirement
efficaces de rpression au cas ou` ...
Nous lanons alors un appel solennel toutes les autorits
du pays : tes-vous contre les tortionnaires ?
Monsieur le prsident de la Rpublique, monsieur le chef du
Gouvernement, monsieur le ministre de lIntrieur, monsieur
le ministre de la Justice, messieurs les dputs, messieurs les
chefs dE
tat de droit, E
tat algrien et
citent plusieurs reprises le nomm Benhamza. Reprenons
quelques-uns de ces tmoignages pour enlever au capitaine
Benhamza lenvie de prorer sur la diffrence quil y a entre
une racle de chiens (herouet el klab, selon ses termes) et la
torture.
M. Bouzid Bouallak, journaliste : On madministra en pre-
mier le traitement de leau. Cela consiste y plonger la tte
du patient jusqu touffement. Plus de dix fois, je frisai ainsi
lasphyxie. A
`
ce moment-l est arriv un homme de grande
taille, cheveux et moustache roux. Ctait le chef, dont jappris
plus tard le nom : Benhamza. Cest lui-mme qui madministra
le deuxime traitement de leau.
Un tricot de peau me fut plac, en guise de ba illon, sur le
visage. Benhamza laspergeait sans cesse, de sorte que, non seu-
lement javalais une grande quantit deau, mais quaussi je fail-
lis plusieurs reprises, et dans un intervalle de quelques
secondes, mtouffer. Benhamza lui-mme, puis un autre offi-
cier, grand, portant des lunettes teintes, le ventre bedonnant,
arguant tre un spcialiste, passrent llectricit... Une
anouarbenmalek.free.fr
148
immense douleur me traverse le corps, je fus pris de soubresauts
violents.
De nouvelles touches et je vomis violemment et abondam-
ment... On me mit alors dans la bouche le tuyau avec lequel on
avait rempli la baignoire. Je sentais mon estomac gonfler au
point dclater...
Benameur Ichou, ajusteur : Jai t rou de coups sur tout
le corps par plusieurs officiers de la Scurit militaire et, en
particulier, par un nomm Benhamza, chef du service opra-
tionnel de la S.M... Le nomm Benhamza ma donn un coup
de pied qui menvoya rouler terre. Jtais compltement
tremp. Il a mis un pied sur ma poitrine et a appuy de tout
son poids. Cela a provoqu une douleur qui a dur prs de
quinze jours... Ensuite, le responsable de la S.M. est remont et
ma laiss entre les mains de ses brutes qui continuaient men-
voyer des dcharges lectriques, simplement par plaisir...
Mohammed Rebah, journaliste : Jai t conduit directe-
ment la salle de torture du P.C. de la S.M., ou` le chef de la
division oprationnelle de la S.M. ma fait subir le supplice de
la baignoire et de llectricit.
Brahim Tiraoui, chaudronnier : A
`
minuit, jai t emmen
avec ma femme dans une 403 noire vers une direction inconnue.
En arrivant destination, nous avons reu des coups de pied,
de poing, des gifles. Plusieurs civils se trouvaient dans la pice,
et parmi eux le directeur Benhamza... Cest l quils ont
commenc me mettre de llectricit, ainsi qu ma femme ;
elle a t maltraite dune faon inhumaine...
Arrtons ici cette litanie de lhorreur et saluons le courage de
ces citoyens algriens qui nont pas hsit risquer dautres
tortures voire lassassinat, afin de livrer ces tmoignages pour
quun jour justice soit rendue aux victimes de larbitraire .
Monsieur Benhamza et ses collgues peuvent mentir autant
quils le dsirent, ils peuvent mme fonder des partis politiques
si a leur chante, ils nviteront pas que le crime le plus abomi-
nable qui soit, celui de torture, nclabousse jamais ce qui leur
sert de nom.
Algrie Actualit
anouarbenmalek.free.fr
149
La peine de mort
Avril 91
Et les tortionnaires ?
Le procs de la Banque extrieure dAlgrie (BEA) a eu, para-
doxalement, au moins un ct positif : celui damener sur la place
publique le dossier longtemps tabou de la peine de mort dans ce
pays. Pour se rendre compte quel point ce dossier tait tabou,
il faut se rappeler que nous, peuple algrien au nom duquel,
pourtant, les sentences de mort sont excutes, nous ignorons
jusqu prsent le nombre de condamnations mort prononces
par les tribunaux algriens, celles rellement excutes ou celles
commues en dtention perptuelle par les prsidents de la Rpu-
blique depuis lindpendance. Seul un concours de circonstances
a permis rcemment de savoir qu la seule prison de Chlef, il y
a au moins vingt-cinq condamns mort qui attendent dans la
terreur de partir vers le polygone dexcution de Kharouba, dans
la banlieue dAlger. Cette chape de plomb sur tout ce qui se
rapporte la peine de mort en Algrie montre, a contrario,
combien la justice de notre pays et les rgimes qui ont eu en
charge cette justice, pourtant officielle, sentent instinctivement la
salissure inflige par la mise mort dun individu, mme justifie
par des textes de loi et aussi criminel et repoussant que puisse
tre le condamn. La justice algrienne, semble-t-il, a honte de la
peine de mort puisquelle lui refuse toute publicit , mme si
cela doit rogner sur le droit constitutionnel que nous avons, nous
autres citoyens, de savoir si le prsident de la Rpublique a ou
non graci un condamn la peine capitale. A
`
mon sens, elle a
raison davoir honte.
Avant de parler des arguments qui plaident en faveur de labo-
lition de la peine de mort, je voudrais dire quelques mots sur les
anouarbenmalek.free.fr
150
peines prononces lencontre des accuss de la BEA Les juges
les ont considrs comme coupables dimportantes malversations
financires. Se basant sur des textes dexception, datant dune
poque rvolue, au moins sur le plan constitutionnel, ils ont pro-
nonc la sanction ultime. Sans vouloir porter un jugement sur la
conviction intime des magistrats du procs de la BEA, je voudrais
ici faire quelques remarques comparatives.
Dune part, le dtournement dargent (en dinars...) a t mis
sur le plan des crimes les plus horribles comme lassassinat, le
viol et le meurtre denfants puisque passible de la plus grave des
peines. Devons-nous nous attendre semblable svrit quand il
sagira dtudier laffaire des vingt-six milliards de dollars, qui est
le total, estim par un prcdent Premier ministre algrien, des
dtournements effectus par des agents de lE
tat de droit.
Prenons un autre exemple : un des dirigeants historiques de la
rsistance algrienne, M. At Ahmed, avait t condamn mort
dans les annes soixante par le pouvoir FLNde lpoque, ce dernier
laccusant davoir foment une rbellion. Supposons un seul instant
que le premier prsident de lAlgrie indpendante, M. Ben Bella,
ne let pas graci. Limbcillit barbare de lirrversibilit de la
peine de mort est encore plus voyante ici : M. At Ahmed est
devenu un acteur important de la dmocratisation actuelle de notre
pays et pourrait sallier qui sait ? ce mme M. Ben Bella.
Une autre raison dtre contre la peine de mort est une raison
defficacit. Les anti-abolitionnistes prtendent conserver la peine
de mort comme un mal ncessaire, un outil rpugnant mais
malgr tout efficace pour protger la socit contre les agisse-
ments des criminels et des sadiques. Cet argument est pourtant
largement battu en brche par de nombreuses tudes scienti-
fiques. Une des plus compltes, effectue en 1988 pour le compte
des Nations unies concluait : Notre recherche na pas permis
de prouver scientifiquement que les excutions avaient un effet
dissuasif plus grand que la rclusion perptuit. Il est peu pro-
bable que de telles preuves soient mises en vidence dans un
proche avenir. Dune faon gnrale, les faits ne corroborent pas
lhypothse de leffet dissuasif.
anouarbenmalek.free.fr
152
Comme le souligne Amnesty International, la peur de la mort
en soi ne semble pas empcher certains individus de commettre
des crimes... Il faut admettre que les agresseurs ne pensent nulle-
ment aux consquences de leurs actes de violence et moins encore
aux sanctions ventuelles .
La raison finale, essentielle, mtaphysique , pour laquelle
une socit civilise doit tre contre la peine de mort, est le refus
de la vengeance comme base de la justice. Si lon admet quon ne
doit pas violer un violeur, torturer un tortionnaire, incendier un
incendiaire, alors on ne doit pas assassiner un assassin. La loi du
talion est la loi de la jungle. Si lhomme a un but sur cette terre,
cest justement de sloigner de cette jungle originelle. Le droit
la vie est un droit inalinable, mme pour le pire dentre nous.
Algrie Actualit
anouarbenmalek.free.fr
153
Le mmorial de la douleur et de lamour
Mai 91
Comme lactualit a, parfois, de ces retournements tranges et
comme le souffle vous manque quand vous tes pris par une de
ses terribles ponctuations ! Dans cette mme chronique, je par-
lais, la semaine dernire, de ma colre devant lindcence des
bourreaux face leurs victimes. Maintenant, crivais-je en sub-
stance, les tortionnaires peuvent relever la tte et cracher, plu-
sieurs annes de distance, sur ceux quils avaient supplicis.
Prenant appui sur le dsarroi de notre peuple et la lachet quasi
gnralise de ses lites , ces hommes lame couleur vert-de-
gris vont maintenant jusqu relativiser les souffrances de ceux
quils ont tent de soumettre par llectricit et la baignoire en
sexclamant, la main sur le cur : Oh, ce ntait rien par rapport
ce qui stait fait au Chili ou dans dautres pays du mme type.
Et puis, nous ne faisions que notre devoir...
Dans la nuit du jeudi 9 mai, une des victimes de ce devoir
trs spcial sabattait, dfinitivement brise, prs dun quart de
sicle aprs avoir t prise en charge par la Scurit militaire,
prs de dix ans aprs que son esprit se fut mur dans labsolue
solitude de ceux qui ont abominablement souffert.
Je ne connaissais pas M. Bachir Hadj Ali autrement que par ses
livres. De ces ouvrages se dgage, nu sur un archipel, celui de la
douleur, ce livre innommable, LArbitraire, publi aux ditions de
Minuit en 1966. Jamais livre algrien ne mavait autant marqu jus-
qu lapparition du Cahier noir dOctobre, son quivalent de sang
et de chair fracasse deux dcennies de distance.
LArbitraire, le Cahier noir dOctobre, deux monuments de
la souffrance de notre peuple aprs lindpendance, lis lun
lautre par la mme cruaut des tortionnaires et la mme soif
anouarbenmalek.free.fr
154
de libert des torturs, lis lun lautre galement par la mme
volont de lutter contre lamnsie, contre cette quitude
proche de la mort que voudraient introduire dans notre His-
toire rcente, chacun pour des raisons diffrentes, des politi-
ciens et des intellectuels de tout bord.
Ouvrez ces deux livres : une clameur sen dgagera, hurle-
ments des bouches lectrifies , gargouillements des poi-
trines qui touffent dans leau putride des baignoires, cri de
ceux quon flagelle... Non, ce nest pas de lhistoire ancienne.
Non, vous naurez pas la possibilit, une fois que vous aurez
lu ces pages poisseuses de sang et de vilenie, doublier. Vous
pourrez faire semblant (comme la plupart de nos intellectuels)
parce que cest plus simple ainsi, parce que, sinon, vous seriez
effray de votre responsabilit de tmoin : comment tre la
hauteur de cette pouvante ? De plus, dautres (et vous peut-
tre...), se chargeront de vous fournir les raisons de vous taire,
de refermer ces livres avec le soulagement de ne plus enten-
dre , de ne plus savoir , de ne plus dsigner les respon-
sables trs visibles des tortures. Ils vous diront quil y a les
lections, quil y a lessentiel et le secondaire, que le fascisme
est nos portes, quil faut resserrer les rangs, quitte avoir
parmi nous des lments douteux, quon verra ensuite... Bref,
toute largumentation habituelle de la lachet dialecticienne !
Ce travail de banalisation a dj commenc avec M. Hadj Ali,
que certains souhaiteraient rduire uniquement ses dimen-
sions de pote, de musicologue ou de membre dun parti dop-
position. Certes, M. Hadj Ali tait un grand pote, un
spcialiste averti des choses de la musique et un membre
influent du parti communiste, mais le destin a voulu que tout
cela devint secondaire quand il a mis face--face le pote, le
politicien et la torture, cest--dire la civilisation et la barba-
rie. De ce combat, M. Hadj Ali, ltre humain, est sorti vain-
queur, mme si la barbarie a eu finalement raison de son corps.
Pour sen convaincre, il suffit de constater que LArbitraire, sil
commence par le rcit des journes dhorreur, se termine par
des pomes crits en prison. Ce mmorial de la douleur que
constitue le tmoignage de M. Hadj Ali est aussi un mmorial
lamiti et, surtout, lamour. Devant les crocs des tigres,
M. Hadj Ali raffirme la prminence de lamour quil porte
ses proches et, surtout, sa femme :
anouarbenmalek.free.fr
155
Hier
Je taimais et la flamme consumait le bois
Je taimais et le sel enrichissait le sang
Je taimais et la terre absorbait la pluie
Je taimais et le palmier slanait vers le ciel
Aujourdhui
Mon cur sonne et les pluies pleurent ton nom
Et lcho retentit en sanglots tlemcniens
Je taime et lisolement appelle au secours
Je taime plus que le dtenu loiseau et les fleurs
Je taime plus que la solitude, le rire de lenfant
Je taime et les poumons supplient lair
Je taime plus que les yeux bands la lumire
Je taime plus que les lvres barrage la question
Je taime plus que neuf et dix ne saiment en dcembre
Je taime et ma rsistance est dcuple
Je taime plus vitale que ma vie
Mais je ne livrerai pas mes frres
Pour tviter le supplice.
Les tortionnaires de M. Hadj Ali et dautres Algriens, de
lIndpendance jusqu nos jours, peuvent se pavaner et penser
quils ont finalement russi vaincre parce quils se sont draps
dans une nouvelle honorabilit , il nen demeure pas moins
que, tt ou tard, ce sont ceux qui nont que leurs mains pour
se dfendre et leur ide de la dignit humaine pour rsister qui
emporteront, en dfinitive, la bataille.
De cela, il faut tre persuad car, comme le disait lauteur de
LArbitraire :
Mre, pre, si je vous dis que les bourreaux bouche be
Demeurent impuissants
Croyez-moi toujours.
Oui, Monsieur Hadj Ali, nous vous aimons parce que nous
vous croyons.
Algrie Actualit
anouarbenmalek.free.fr
156
Entre lE
tat de droit et lE
tat de fait
Mai 91
Qui se souvient de laffaire des svices lencontre des pri-
sonniers de la prison de Blida ? A
`
lpoque, elle avait fait grand
bruit, gra ce, en particulier, lopiniatret des militants du
Comit algrien contre la torture. Le scandale avait t telle-
ment grand que le ministre de la Justice stait vu alors oblig
daccepter, pour la premire fois depuis lindpendance du
pays, quune commission denqute, forme du Comit contre
la torture, de membres dautres organisations de dfense des
droits de lhomme et de deux magistrats, auditionne des dte-
nus lintrieur dune maison darrt. Le rsultat avait t pro-
bant puisquun rapport, sign en particulier par un procureur
(!) et un autre magistrat, reconnaissait que la torture avait t
bel et bien pratique sur plusieurs dtenus et que la plupart
dentre eux portaient encore des squelles ou des cicatrices au
moment de leur audition.
Les conclusions de lenqute stant rvles dnues dambi-
gut quant la ralit des violations de lintgrit physique des
dtenus par les gardiens de la prison de Blida, le ministre de
la Justice stait engag ce quune procdure judiciaire, suivie
dinculpations, soit ouverte.
Plusieurs mois aprs cette malheureuse affaire, il ne nous
semble pas que la justice ait rellement suivi son cours jusquau
terme logique de la procdure. A
`
part des sanctions administra-
tives, il apparat quaucun gardien coupable du crime de torture
na t puni la hauteur de la gravit de son geste.
Pire : quelques temps aprs, lors des vnements dits
meutes de Tns , dautres fonctionnaires de lE
tat, des
policiers ceux-l, taient accuss par les parents des adolescents
anouarbenmalek.free.fr
157
arrts de svices trs graves. Pendant leur sjour au
commissariat de Tns, les enfants arrts ont subi des svices
corporels et moraux : les policiers leur ont piss dessus, jet de
la cendre de cigarette sur les lvres, frapp sur le bas-ventre, et
ont insult grossirement des jeunes dont lage, pour certains,
ne dpassait pas les quinze annes, le plus ag tant un sexag-
naire arrt et maltrait sur les lieux de son travail (la Caisse
dpargne de Tns, selon la dclaration dun parent un quo-
tidien).
La justice a, depuis lors, statu sur les faits reprochs aux
jeunes de Tns pendant ces fameuses meutes, mais elle a
refus douvrir une enqute sur les dclarations des accuss,
pourtant concordantes et suffisamment nombreuses pour quon
ne pt pas les carter dun simple revers de la main.
Cette disproportion entre les engagements solennels des
autorits judiciaires faire respecter les droits de lhomme et la
ralit sur le terrain est tout aussi visible dans plusieurs autres
affaires, celles-l encore plus tragiques.
Citons le pendu du commissariat de Nedroma : un
citoyen, plac en garde--vue la suite dun mandat darrt, est
retrouv mort, pendu, dans des conditions suspectes. La thse
du suicide dans les locaux du commissariat, quelques heures
seulement aprs larrestation, est rfute avec force par la
famille... Plus proche de nous dans le temps, un adolescent
meurt de manire tout aussi trange, mais cette fois-ci dans une
maison darrt, celle de Ghazaouet, Sidi Bel-Abbs. Selon la
Ligue algrienne des droits de lhomme, cette mort est surve-
nue la suite dune arrestation arbitraire opre dans la journe
du 9 mars 91 par un gendarme de Marsat Ben Mhidi, venu cher-
cher ladolescent son domicile pour le prsenter au procureur
de la Rpublique, puis devant le juge dinstruction. Malgr lin-
tervention du pre de la victime pour signaler, preuves lap-
pui, que son fils, le jeune Chamekh Abdelwahid, tait mineur
et asthmatique (prsentation dun extrait de naissance et dun
dossier mdical), celui-ci fut incarcr, maltrait, et rendit lame
dans la nuit .
A
`
chaque fois on sen aperoit malheureusement avec tris-
tesse , la raction du ministre de la Justice na pas t la
hauteur des dclarations dintention de son premier respon-
6
anouarbenmalek.free.fr
158
sable. Lindpendance prsume de nos juges, du coup, reprend
sa vritable dimension, cest--dire pas grand-chose...
Quant aux exactions du ministre de lIntrieur, il serait judi-
cieux que M. Mohammedi rappelle ses subordonns quil y a
suffisamment de grand banditisme et de dbut de terrorisme
qui courent les rues de nos villes pour occuper de manire tout
fait honorable le temps de tous les policiers dAlgrie, sans
pour autant avoir se dfouler sur de pauvres petits dlin-
quants qui nont ni de grands partis politiques derrire eux, ni
de force de frappe financire pour pouvoir se payer des avo-
cats connus et se mettre ainsi labri dventuels traitements
spciaux !
Algrie Actualit
anouarbenmalek.free.fr
159
Du 5 octobre 1988 et du Comit contre la torture
Interview, octobre 2001
Le Matin : Comment sest cr le Comit algrien contre la
torture ?
Anouar Benmalek : Je me rappelle avec motion de cette
journe extraordinaire du 17 octobre 1988 luniversit de Bab
Ezzouar. A
`
linitiative dun groupe denseignants de lUSTHB
rvolts par les rumeurs de plus en plus prcises dexactions et
dassassinats par les forces de scurit, une assemble gnrale
des universitaires de lAlgrois avait t organise. Au cours de
cette runion publique, des victimes des exactions de larme et
de la police taient venues tmoigner visage dcouvert et
avaient rvl lampleur de la rpression dont avaient t vic-
times des milliers de jeunes gens, de syndicalistes ou de mili-
tants de partis politiques de lopposition jusqualors
clandestine. La plupart des personnes arrtes au cours des
meutes doctobre 88 avaient t affreusement tortures dans
des commissariats ou des camps militaires spcialement affects
cet effet dans la priphrie de la capitale, Sidi Fredj par
exemple. Des mdecins avaient appris lassistance mduse
que le nombre de morts de ces quelques jours dmeute, valu
par recoupement dans les diffrents services des urgences des
hpitaux de la capitale, slevait prs de 500, la plupart par
balles. Lindignation avait t telle que la cration dun comit
de lutte contre la torture avait t immdiatement dcide. Ce
comit commencera son travail par le lancement dune ptition
nationale de dnonciation qui recueillera plusieurs dizaines de
milliers de signature. Ce qui tait remarquable si lon se sou-
vient que lAlgrie tait encore sous le rgime du parti unique
et que tous les moyens dinformation taient encore aux mains
du pouvoir algrien.
66
anouarbenmalek.free.fr
160
L.M. : Pouvez-vous dcrire lambiance qui rgnait parmi ses
membres fondateurs : tension, peur, fbrilit... ?
A.B. : La peur, certes, tait omniprsente, mais ctait surtout
limpression exaltante de participer un vnement historique
de lhistoire de notre pays qui prvalait. Et puis les jeunes qui
avaient accept de tmoigner nous avaient donn une belle
leon de courage !
L.M. : Comment avaient ragi les autorits de lpoque la
cration de ce comit ?
A.B. : On ne change pas, bien sr, les habitudes profondes
du pouvoir algrien. Les tentatives dintimidation, les menaces
directes ou indirectes, les interpellations de militants du CACT
nont pas manqu, mais le traumatisme a t si grand devant
lhorreur et lchelle des abus et des crimes des services de scu-
rit que nous avons pu, tant bien que mal, mener notre travail
de sensibilisation.
L.M. : Pouvez-vous rsumer le travail de votre comit ?
A.B. : Il a t multiforme. Nous avons men une action
intense de dnonciation de la pratique de la torture, pratique
institue en systme depuis lindpendance de lAlgrie, repre-
nant parfois les mmes mthodes et les mmes lieux que ceux
de larme doccupation pendant la guerre de libration. Mais,
surtout, nous avons publi le Cahier noir dOctobre, un recueil
de tmoignages poignants de rescaps. Le Cahier noir dOc-
tobre est un monument de la souffrance de ceux qui ont t
pris dans la tourmente des vnements dOctobre 1988, jeunes
et moins jeunes citoyens de notre peuple soumis les uns comme
les autres la mme cruaut des tortionnaires. Ces tmoignages
rvlent la mme soif de libert des torturs et la mme volont
de lutter contre lamnsie, contre cette quitude proche de
la mort que voudraient introduire dans notre Histoire rcente,
chacun pour des raisons diffrentes, des politiciens et des intel-
lectuels de tout bord.
Ouvrez ce livre : une clameur sen dgagera, hurlements des
bouches lectrifies , gargouillements des poitrines qui
touffent dans leau putride des baignoires, cri de ceux quon
flagelle... Non, ce nest pas de lhistoire ancienne. Non, vous
naurez pas la possibilit, une fois que vous aurez lu ces pages
6
anouarbenmalek.free.fr
161
poisseuses de sang et de vilenie, doublier. Vous pourrez faire
semblant (comme la plupart de nos intellectuels) parce que cest
plus simple ainsi, parce que, sinon, vous seriez effray devant
votre responsabilit de tmoin : comment tre la hauteur de
cette pouvante ? Dautres, de plus (et vous-mme peut-tre...),
se chargeront de vous fournir les raisons de vous taire, de refer-
mer ce livre avec le soulagement de ne plus entendre , de ne
plus savoir , de ne plus dsigner les responsables trs
visibles des tortures. Ils vous diront quil y a eu le terrorisme
islamiste et son cortge dhorreurs, quil y a lessentiel et le
secondaire, que le fascisme est nos portes, quil faut resserrer
les rangs, quitte avoir parmi nous des lments douteux, que
tout a, cest de lhistoire ancienne. Bref, toute largumentation
habituelle de la lachet dialecticienne ! Le pouvoir et les
gnraux dalors a pu ensuite faire voter par une Assemble
nationale indigne une loi damnistie qui absout tous les tortion-
naires de leurs crimes de 1988, le peuple noubliera jamais les
forfaits de ceux qui se pavanent parce quils ont russi se
draper dans une nouvelle honorabilit . En cela, la contribu-
tion du CACT et du Cahier noir dOctobre est et je pse
mes mots historique !
L.M. : Quest devenu le Comit algrien contre la torture ?
A.B. : Notre comit a pay un tribut terrible la tragdie que
traverse lAlgrie. Plusieurs membres de notre comit ont t
assassins, dont notre vice-prsident, ladmirable pdiatre Belk-
henchir. Dautres ont t contraints lexil, intrieur ou ext-
rieur. Le comit est videmment limage de notre pays :
meurtri au plus profond de sa chair.
L.M. : Comment voyez-vous lavenir de la lutte pour les
droits de lhomme en Algrie ?
A.B. : Tout est refaire, tellement lhorreur a dpass limagi-
nation. Les actes des groupes arms sont tellement barbares,
tellement inhumains, que mme les crimes doctobre 1988
paraissent maintenant, aux yeux dune bonne partie de lopi-
nion publique, bien drisoires en comparaison. Prenant appui
sur le dsarroi de notre peuple et la lachet quasi gnralise
de ses lites , des hommes lame couleur vert-de-gris vont
maintenant jusqu relativiser les souffrances de ceux quils ont
6
anouarbenmalek.free.fr
162
tent de soumettre par llectricit et la baignoire en sexcla-
mant, la main sur le cur : Oh, ce nest rien par rapport
ce que font les terroristes. Et puis, nous ne faisions que notre
devoir...
Cest dire lampleur du dsespoir et la profonde blessure qui
dchirent, et dchireront pour longtemps, la nation algrienne.
Le Matin
anouarbenmalek.free.fr
163
anouarbenmalek.free.fr
164
anouarbenmalek.free.fr
165
anouarbenmalek.free.fr
166
amver ensuite allait faire l'Algrie un niveau plu. terrible
que 1988 <1 1965. P.... temble p. rce '1"" d'un cW il y . vait u.... barb. ...
abw/llmenI u ns nom ; de. "'" de. bmJ ete, teUemer>t
que 1. tendanu nltUrellc: dei lW' 1"Oic" de e.1 de dite
'1"" dev....t cc. barbare., """. nous aTOnl' tou. let dtcota d' urililW" 10ll.
""",ens POU' ........ i hou!: du terrori. nlC_l.o oocioti 01"*""....... cil
aujourd'hui d'u.... bub.... "'" elt uti/ile pu pouvoir POU'
SC mainrcn<t en pl.... AJon, POU"""" nou. sorti. de ce poogc effroyable
qui esl tmdu i II socit oI#ricnne, il' .... Sail pas. il' JlC1"C ",e ccla
de """" tous.
Jo voudrail au..i tappclct- _ c'. .. devOIr de mimoitt: _ que dans
noI'<e <:o<ruR il y a C\J dei qui ont payi pM chet. Je .... parle p"
. impl emcnt dei intetpellations , de. .....ltations, mail de ecul qui ont
......iOO et en parricul;.r la 6gu", cstuo.d";re ",''''ai' prof........
B l hir qu' "'ail VK:C-ptlidcnl de noIfc oornit et qui m. UIS I;''':
POO' lW'S iditl de lib<'no, de Il disail une chose tr s sunplc : loul
le monde 1 d"';, de ";nc en Algrie qu.dlcl '1"" lOiocnI _ opinions.
Le JNir iJ'OaHIY n'" 1 qu'un jalon de l'hi.ltoItt: de 1. tonu'" .n
Algrie_rai parl en de cc Ii.,re horrible de 1965 P"'" aul
F..diflOlU de Miro.Ht- Ive<; dei dei lortu"'" en 1965 Il
est 0v>rIcnI '1"" II tonure en Algnc constitue le ltlOfC" ul time du pou.
voir conIre la SOIXt cl rs touioun 010_ Cc ",i eJl terrible . vcc la b.rnl-
rie, C'ct l '1"" le pou""; r maintenanl Irrive i ..,,;, Tos....,rirncnt d'u....
de la popul.tion dans son utiliution de 1. toItUre sion qu 'avonl
c' '' loi, moyen le plu! iUgitimc "'" soil. Maintenant Iorsquc V<lU' rte.
en face d'indi.-idus 'f'i f>NVC'" dca je r ide .. .....
propre, belUCtlUp en Algrie acptenf '1"" Tur, les lW' mcn de scun.
t, emploient la tonure_ C CII un Pgc trl grive, cu "'" a une
IOil 1. torture r..mploi... toul Ic Iemp< mm... Ionqu.- 1. bub.... suu
di.p. ru_ C" fpout ccl. '1"" j'appellc:l un Il " t m dent que l'FAII
n'I p...tttndu b.rn...... pout ., oit _ou.. i 1. !otture, ml" , <1 C'OII
l, c. .....-..' .... "-"" _ ............- ,....1'"" MuI_ d Hoot>i Ion ....
ooIo>q<>e , E.sI-.. fi" _ !'"H( __fi" 10 J , /Ir """ ....
10,.,..... *,""""'" *__,M"jr _ ..".1JrfI"" *,_ ,. "..... "'" Mu
,, - - "fI" - -FUl.f....,.. "" 4 _. _ " " ..-_
,_ *,... __ ..... __'._"" J "
: -v..-t ..... _ _ ' ".A_ '" M
--fI"'fI" -*-.!"'.----*-,....-*,.......p..
..... l.__,... .....* Io ........ ..
...... ..
Elements sous orons d'auteur
anouarbenmalek.free.fr
167
anouarbenmalek.free.fr
168
QuerestetildOctobre88,vingtansaprs?
Octobre2008
avaient dclench le chaos. La suite des vnements allait montrer quil nen tait rien. Nous
dcouvrions, atterrs, que des malfaisants incomptents avaient ouvert la boite de Pandore de la
violence, du meurtre gnralis et de la torture et, videmment, navaient mme pas song quil
faudraitlarefermerunjour.
Aujourdhui,jerestepersuadquelexplosiondOctobre1988,sielleaputredclenchepar
de mdiocres apprentis sorciers, a, par la suite, totalement chapp ses initiateurs. La
manipulation, en un sens, a t rcupre par le peuple, qui, par la suite, a t luimme, et bien
malheureusement,rcuprparlesislamistes
Lemultipartismeatilapportuneamliorationdelagestiondmocratiquedesaffairesen
Algrie?
LemultipartismenexistequeformellementenAlgrie.Lagestiondupaysnenestpasdevenu
plus dmocratique, elle reste toujours lapanage dun petit cercle restreint et mystrieux, dit des
dcideurs, et du prsident quils ont choisi. La plupart des dputs sigeant lAssemble ne
diffrentenrien,entermedeservilitenverslepouvoir,deleursprdcesseursquisigeaientdans
le parlement monocolore du temps du parti unique. Dans un sens, il y aseulement plus dacteurs
rtribuer grassement dans ce thtre de la dmocratie factice. Pour avoir une ide de
lampleurde cetasservissementdesdiffrentspartispolitiques,ilnyaqudonnerlexempledela
loisurlaconversionetsurlexercicedescultesautresquelecultemusulmanmajoritaire.Cestextes
onttvotssansoppositionpartouteslessensibilitsetlespartispolitiquessigeantlAssemble
nationale,delagaucheextrme(maisoui!)sonsymtriqueislamistedelautrect!Ilnyapas
eu au moins un dput slevant publiquement contre cet assassinat de la libert individuelleou
soulevant,mmetimidement,largumentdelinconstitutionnalitdecesnouvelleslois
Ilyaeu,malgrtout,uneavanceimportante,prcieusemme,encequiconcernelapresse
prive, avance qui ne concerne en rien les mdias lourds qui restent totalement, et souvent de
maniregrotesque,souslemprisedirectedelaprsidence.Cetterelativelibertdelapresseprive
reste fragile, le pouvoir nhsitant pas, sous les prtextes les plus divers, harceler et embastiller
les journalistes trop curieux. Noublions pas aussi ces dizaines de journalistes assassins par les
terroristesetleurscomplicespourlesimplecrimedavoirtjournalistes
En tant que membre fondateur du Comit national contre la torture et j'ai lu votre
contribution pessimiste sur l'tat de la lutte contre la torture dans "meutes et mouvements
sociaux", comment lutter contre la torture dans l'Algrie actuelle, avec quels arguments face
l'argumentultimedestortionnaires,quitaitaussiceluideBoumediene?
La lutte contre la torture est terriblement difficile mener en Algrie: les annes de terreur
absoluesontpassesparletlestandarddelinacceptableabeaucoupbaissenAlgrie.Latorture
continue, videmment, mais elle a t banalise par les horreursqui ont t commises pendant les
piresannesduterrorisme.Aunomdelareligion,lesterroristesontlgitimlatorturecontreceux
quilstraitentdemcrants;aunomdelalutteantiterroriste,lesservicesdescuritontlgitimla
torturecontreceuxquilspourchassent.Unepartiedupeuple,quisubitlaviolencedetoutesparts,
est, en quelque sorte, mithridatise: elle sindigne beaucoup moins, elle est prte accepter des
anouarbenmalek.free.fr
170
choses quelle aurait trouv pouvantables auparavant. De plus, la libration sans jugement et le
retour la vie ordinaire de terroristes qui ont accompli au su et au vu de la population des
forfaits monstrueux contribuent fortement cette banalisation: on peut avoir tranch la gorge de
dizaines dinnocents, brl des bbs, viol des femmes et retrouver quand mme une virginit
politique et sociale en Algrie. Je suis donc pessimiste, mais bon, on peut tre pessimiste et vouloir
quandmmepoursuivrelecombat.
Une dernire chose : la libration des meutiers en novembre 1988 atelle rellement donn
lieu une loi d'amnistie, comme je crois l'avoir lu dans votre texte, ou bien cette amnistie taitelle
"plusfactuellequejuridique?
On peut rpondre les deux la fois: des textes alambiqus et ambigus ont t vots qui
dgageaientlaresponsabilitjuridiquedefactodetouslesintervenantsdedeuxctsdelabarrire,
mettant sur le mme plan les tortionnaires et leurs victimes. Quant il y eu reconnaissance partielle
par ltat dun prjudice, lenrobage de cette reconnaissance a t particulirement humiliant pour
les victimes des svices des forces de lordre. Savezvous que la prise en charge (trs insuffisante)
de ces derniers, souvent mineurs, traumatiss vie, torturs llectricit, bastonns, viols, sest
faite par le truchement de la CNASAT, lquivalent de la Scurit sociale, en tant, tenezvous bien,
quaccidents du travail! Tout a t mis en uvre pour que lamnistie se transforme la longue,
commetoujoursenAlgrie,enamnsie.
AfriqueMagazine
anouarbenmalek.free.fr
171
ANOUAR BENMALEK PARLE DOCTOBRE 1988
Une sombre magouille dapprentis sorciers
incomptents
Le Soir d'Algrie, 5 octobre 2008
Octobre 1988, cest dj si loin, vingt ans. Chez nombreux, il ne subsiste
quen vagues rminiscences, parfois en rien quune sorte de brusque et filante
rupture dans lunivers linaire dalors. Anouar Benmalek, mathmaticien,
nouvelliste et crivain, sinterdit, lui, de se complaire dans une attitude
dtache. On comprend, chez lui, cet enttement revisiter constamment
ce douloureux pisode de lhistoire contemporaine. Octobre 1988 ma fait
accder lge adulte politique, avoue-t-il. Nul doute. Anouar Benmalek,
contrairement dautres, ne sest pas content de lire en intellectuel la
tragdie doctobre 1988. Il a t acteur engag, tant la rpression et la torture
le rebutaient au plus haut point. Avec quelques camarades, il a fond le
Comit national contre la torture quil a anim en tant que secrtaire gnral
jusquen 1991. Il a normment crit. Dans la presse et dans des tribunes
libres. Inlassablement, il a lutt pour que justice soit faite. Il ne lche toujours
pas prise. On le dcouvre aussi lucide quil ltait au moment des vnements,
aussi jaloux de sa cause et aussi engag.
Octobre 88, c'tait le soulvement populaire. C'tait galement la rpression
froce dont le pouvoir avait abus pour rtablir l'ordre. Vingt ans aprs, quelle
apprciation faites-vous de ces vnements qui ont marqu un tournant dans
l'histoire contemporaine du pays ?
Pendant longtemps encore, saffronteront en Algrie les tenants de la cration ex-
nihilo des meutes dOctobre 88 et de leur manipulation par de sombres officines
du pouvoir et ceux, moins nombreux il est vrai, de lexplosion populaire spontane
engendre uniquement par la grave dtrioration des conditions conomiques et
sociales que connaissait lAlgrie cette poque de chute des cours du ptrole, de
pnuries rcurrentes des produits de premire ncessit, de totale incomptence de
ladministration et de la provocation insupportable que constituaient la corruption
anouarbenmalek.free.fr
172
et la prdation ostensible des richesse du pays par les membres de la caste
dirigeante et de ses satellites.
Je ne trancherai pas entre les uns et les autres laide, par exemple, darguments
historiques nouveaux ou de tmoignages indits (ou, mieux, daveux) dacteurs
du pouvoir alors en place. Je pencherai plutt pour une synthse des deux
explications. Dabord, un complot mdiocre de certains clans du pouvoir en vue de
crer une agitation dans le pays destine dire au clan oppos : Attention, je vais
te montrer une partie de ma capacit de nuisance si tu refuses daccorder, moi et
ceux que je reprsente, la part qui me revient de droit dans la nouvelle
redistribution de la rente, tant symbolique que financire, que tu te permets
denvisager sans mon accord !
Ensuite, des meutes censes ntre quun moyen de pression et, donc, supposes
contrles et contrlables , qui chappent brusquement leurs instigateurs et
deviennent un moyen dexpression indit et violent des frustrations et des
aspirations dune bonne partie de la jeunesse algrienne, prise au pige dun
systme en bout de course qui ne lui offre plus comme perspective davenir que
dsespoir et chmage, cela sans que, paradoxalement, cette mme jeunesse ne
manifeste de demandes explicites de plus de dmocratie politique et, encore moins,
dinstauration du multipartisme !
En rsum, pour faire simple : une sombre magouille dapprentis sorciers
incomptents et incendiaires, dbouchant sur un embrasement dune partie de la
jeunesse et, accessoirement et bien involontairement, sur la mise en selle du
mouvement islamiste ! Javais suivi les meutes pratiquement de bout en bout,
comme citoyen et comme chroniqueur dun hebdomadaire. Je me rappelle trs bien
cette sensation trs forte dassister en direct un coup mont en train dchapper
ses instigateurs : cette rumeur annonant les manifestations plusieurs jours
lavance ; ces policiers suivant de loin les manifestants comme sils avaient reu
lordre de nintervenir en aucun cas, quels que soient les dprdations commises ;
ces mystrieux occupants de voitures noires dont parlait tout le monde et qui
auraient encourag les meutiers, dsignant mme les tablissements publics
brler ; la brusque monte de la tension et lintervention, comme un coup de
tonnerre, de larme et des services de police avec lutilisation sans limite de tous
les moyens de rpression : tirs vue, emprisonnements de jeunes Algriens par
milliers, utilisation sur une large chelle de la torture comme aux pires moments de
la bataille dAlger
Jai eu discuter, pour le besoin dun article, avec des responsables de
diffrentes institutions scuritaires accuses davoir pratiqu la torture contre les
manifestants doctobre 1988. Chacun de ces responsables schinait, dans un mme
mouvement, disculper le corps ou linstitution dont il dpendait et insinuer
lourdement que ctait lautre corps ou lautre institution, perue comme rivale ou
anouarbenmalek.free.fr
173
dirige par un autre clan, qui tait responsable de ces graves atteintes lintgrit
physique de citoyens algriens
La rvolte juvnile d'alors peut-elle tre comprise comme une rvolution
aboutie ?
Le pouvoir algrien a fait preuve, depuis les meutes dOctobre 1988, de sa
capacit extraordinaire survivre tous les coups du sort. De ce point de vue,
malheureusement, la rvolte des jeunes dsesprs dOctobre na pas apport de
changements structurels fondamentaux dans la manire dont ce pays est gr depuis
son indpendance. part lexistence, largement nominale, de partis dopposition,
le personnel politique na pas vraiment chang, ni dans ses rflexes profonds de
mpris du peuple, ni dans lallgeance habituelle quil doit montrer aux vritables
matres de lAlgrie, je veux parler dune poigne de chefs de larme. Une des
caractristiques les plus extraordinaires du pouvoir algrien (la seule, peut-tre,
porte ce point dexcellence) est sa capacit corrompre tous ceux qui, un
moment ou un autre, se trouvent pas loin de sa sphre dinfluence. Un peu linstar
dun trou noir dans lespace qui avale irrmdiablement tout astre passant dans son
voisinage
Regardez un peu notre Assemble nationale, cense reprsenter lchiquier
politique national, de son extrme gauche sa droite islamiste conservatrice. Avez-
vous dj entendu parler daffrontements politiques fondamentaux dans cette
enceinte ? Comment cela se fait-il que tous ces hommes et ces femmes, si diffrents
dans leurs idologies, soient, au fond, toujours daccord pour avaliser sans
rechigner les projets de loi quon leur soumet ? Avez-vous dj entendu parler dun
texte important (par exemple, celui ayant trait la limitation scandaleuse de la
libert de croyance religieuse, pourtant garantie par la Constitution) propos par le
gouvernement qui aurait t rejet, ou simplement combattu avec acharnement par
une partie de cet hmicycle, au point de le clamer clairement et sans ambigut dans
les mdias et de refuser de le voter ? En quoi cette Assemble soi-disant
multipartisane diffre-t-elle de lancienne Assemble bni-oui-oui du parti
unique ?
Il faut croire, malheureusement, que les prbendes financires et politiques
distribues gnreusement par le pouvoir en place suffisent anesthsier largement
la conscience des reprsentants du peuple. Les morts et les supplicis dOctobre
nont pas russi changer la donne fondamentale qui prvaut dans notre pays,
comme, hlas, dans tous les autres pays dits frres : immuable dans sa substance
depuis des dcennies, le pouvoir dirige, le peuple subit et lopposition dite
officielle, domestique et servile, applaudit tout rompre.
anouarbenmalek.free.fr
174
La torture la plus abjecte a t pratique grande chelle. Vous avez eu, en tant
qu'animateur du Comit national contre la torture, entendre des tmoignages
poignants des victimes.
Une des grandes preuves de ma vie a t de participer, comme les autres
militants du Comit national contre la torture, la collecte des tmoignages des
torturs dOctobre 1988. Pour moi, jusqualors, le mot torture faisait dabord
rfrence celle pratique par les militaires franais sur les maquisards algriens
pendant la guerre dindpendance. Javais, certes, lu les tmoignages
insupportables des torturs dEl Harrach, supplicis en 1965 par les forces de
scurit algriennes aprs le coup dtat du colonel Boumediene. Comme bon
nombre de mes concitoyens, javais prfr choisir lexplication rassurante d un
accident de notre histoire nationale, abominable mais limit.
Je me trompais videmment, mais je ne savais pas encore quel point ! Octobre
88 (et la suite) a rvl que la torture et les mauvais traitements physiques
demeuraient, pour une bonne partie du rgime algrien, un rflexe irrpressible et
loutil privilgi de gestion de la diffrence et de la dissidence politiques.
Le Cahier noir dOctobre, publi en Algrie en 1989, recense les abominations
commises par larme et la police lencontre de la jeunesse de son propre pays.
Cest un long catalogue du calvaire vcu par les jeunes meutiers, allant de la
baignoire et de llectricit au viol et la castration par le biais du tiroir referm
violemment sur le sexe. Cest un document important double titre : contre loubli
de la parole des victimes, et contre loubli des crimes des tortionnaires. Dans un
pays comme le ntre, les crimes dont on ne se souvient pas sont ceux-l qui se
rptent ! Cest pour cela que jai pris linitiative de republier sur Internet ce
Cahier noir dOctobre et ses tmoignages dchirants sur lignominie qui a, durant
ces journes de 1988, profondment avili le visage de notre pays. Lavenir dune
nation ne se construit pas sur le dni du pass. Lamnsie volontaire (synonyme,
chez nous, du mot amnistie) consiste ignorer dangereusement la profondeur de la
blessure du corps social. Celle-ci, traite par lhumiliation de loubli impos, finit
invitablement par senvenimer et se transformer en une gangrne funeste.
Il n'y a eu, notre connaissance, aucune poursuite engage, encore moins de
procs contre les auteurs de ces tortures. Comment expliquez-vous cela ?
anouarbenmalek.free.fr
175
Une suite de petits textes vots la sauvette par un parlement aux ordres a
abouti, assez rapidement aprs Octobre 1988, un mlange damnistie de jure et de
facto. Le rsultat, en termes pratiques, aboutit, dune part, ce quaucun
tortionnaire officiel ne puisse tre poursuivi pour ses crimes ; et, dautre part, ce
que les victimes dOctobre, quand elles russissent faire reconnatre par ltat
algrien la ralit du prjudice subi, sont indemnises (et bien chichement) comme
accidents du travail ! Vous avez bien lu : accidents du travail
Les victimes, dont certaines sont mutiles vie, ressentent videmment bien
douloureusement lironie cruelle de cette catgorisation administrative :
accidents du travail des forces de scurit !
Vous avez eu prendre la parole publiquement et crire normment. Mais cet
engagement actif est demeur quasi solitaire. Ils n'taient pas nombreux, les
intellectuels, user des instruments qui sont les leurs pour dnoncer la torture.
Avaient-ils peur ou ne prenaient-ils pas seulement pas conscience de l'tendue du
drame ?
Ils nont pas t rares, pourtant, les Algriens et les Algriennes qui se sont
levs en leur temps, contre la torture et les atteintes contre les droits de lhomme et
de la libert en Algrie. Un certain nombre dentre eux lont mme pay de leur
vie. ceux-l, on ne rendra jamais assez hommage. De tout temps, on a soutenu un
peu trop lgrement en Algrie que les intellectuels, les journalistes et les artistes
ne remplissaient pas leur devoir envers leur nation, alors que tant dentre eux ont
t assassins, ces dernires annes, dans une relative indiffrence, parfois dans des
conditions pouvantables, pour des ides quils pensaient justes et porteuses de
progrs social. Le drame est que la plupart dentre eux ne sont mme pas
considrs par le peuple pour lequel ils se sont sacrifis comme des martyrs de la
dmocratie ou des hros riger en exemple de probit et de courage civique la
jeunesse algrienne tellement en mal de repre !
Qu'a-t-il manqu, selon vous, Octobre 88 pour vritablement rvolutionner les
moeurs politiques en Algrie ?
Notre pays fait partie dune aire civilisationnelle pour laquelle les ides de
dmocratie politique, dalternance pacifique au sommet de ltat, de tolrance et
dacceptation des minorits, politiques ou autres, sont, au fond, des concepts
anouarbenmalek.free.fr
176
radicalement nouveaux. Le monde arabe, historiquement, considre avec fatalit
(et, disons-le tout net, avec une certaine complaisance dans la rsignation) que le
chef est, par dfinition, celui qui dtient la force, que dtenir la force donne le droit
den abuser, et que le seul moyen de changer de chef est lusage de la violence et
non les moyens pacifiques de llection dmocratiquement contrle. De l, une
consquence nfaste, et, peu prs accepte jusqu prsent par la socit arabe : le
chef se voit presque en calife disposant de tous les droits quasi divins que lui
procure le contrle des organes de coercition de larme et de la police, en
particulier celui de se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir par tous les
moyens lgaux ou illgaux ! En ralit, il ny a plus dillgalit stricto sensu
puisque le chef dfinit lui-mme le contenu de la lgalit !
Chez nous, par exemple, les fraudes lectorales ne suscitent pas lindignation
massive quelles devraient provoquer. Il semble presque aller de soi que
ladministration ne puisse se prvaloir de la neutralit prvue par la Constitution
pendant les lections, mais soit oblige de se mettre au service des basses besognes
du pouvoir en place. Cela ne choque pas autant que cela devrait. Dans le monde
arabe, nous avons, pour parler un peu brutalement, les pouvoirs politiques que nous
mritons !
Cest cela qui, mon sens, explique quOctobre 88 nait pas suffi pour changer
de rgime : manquait lessentiel, cest--dire une envie irrsistible de plus de
dmocratie par la majorit du peuple alors que seule une minorit dsirait
ardemment cette dmocratie et se battait pour elle. Cest un constat amer, je le
reconnais, mais que la suite des vnements (comme la fascination dun pan entier
de notre socit pour les mthodes autoritaires des partis islamistes) semble
conforter.
Vous demeurez, vingt ans aprs, marqu par les vnements d'octobre 88. Vous
n'avez pas, si l'on peut dire, tourn la page. Ce pass fait partie de votre prsent.
Vous portez toujours un regard lucide mais surtout critique. Est-ce dire que vous
saisissez dans le vcu algrien prsent quelques ingrdients qui ont fait clore
octobre 88 ?
Dune manire trs brutale, Octobre 1988 ma fait accder lge adulte
politique, je veux dire par l que jai compris une fois pour toutes que nous ne
pouvions plus rien attendre du rgime pervers qui dirigeait lAlgrie et que ctait
nous, citoyens ordinaires, dagir pour changer, ne serait-ce que de trs peu, la
lamentable situation dhandicaps civiques qui tait notre lot en tant quAlgriens.
Lexemple des jeunes torturs qui avaient accept de tmoigner visage dcouvert
contre leurs tortionnaires ma permis galement de dpasser un peu la peur
anouarbenmalek.free.fr
177
paralysante que jprouvais alors, comme tout un chacun, devant les organismes de
scurit de notre pays, si redouts parce que trop souvent au service du pouvoir au
lieu de ltre celui du pays.
Ce pass, ainsi que les terribles annes de terrorisme qui ont suivi, fait partie,
videmment, de mon prsent dintellectuel et dcrivain. Ces vnements si
douloureux irriguent, dune manire profonde, pratiquement tous mes livres et
lensemble de ma rflexion.
anouarbenmalek.free.fr
178