Ait Ahmed: Rapport Pour L' Organisation Secrète en 1948
Ait Ahmed: Rapport Pour L' Organisation Secrète en 1948
Ait Ahmed: Rapport Pour L' Organisation Secrète en 1948
entire un soulvement populaire. Au lieu de librer la pense des masses de cette fraction
simpliste, de ce rapport mystificateur, les militants du parti semblent cder son pouvoir. Cest
beau dtre optimiste, mais penser quil n y a plus de problmes oui dquation, cest de
linconscience. ()
1- Evoquant lhistoire militaire de lEurope, Clausewitz accorde une grande importance la
supriorit numrique, mais quand il sagit darmes qui se ressemblent au point de vue de
lquipement, de lorganisation et des connaissances techniques de tout genre... et quil sagit de
batailles stratgiques. Linsurrection de 1871 a chou, moins parce quelle tait gographiquement
limite quen raison de son caractre spontan, improvis et des conceptions militaires errones de
ses dirigeants.
Outre quelle fut conduite par des fodaux qui nont pas su prparer et mobiliser les paysans en
profondeur, sur le plan militaire elle fut une rgression par rapport la guerre de rsistance conduite
par Abdelkader jusquen 1847 et poursuivie en Kabylie jusquen 1858. La bataille dlcherriden en
est un tmoignage. Les Algriens, en sy engageant, ont sign leur perte. ( ) Aux yeux des
militants qui ont prouv directement les consquences de lordre et du contre-ordre
dinsurrection, lhistoire du cheval blanc et du drapeau vert est plus quune anecdote
humoristique. La guerre reste toujours un moyen srieux en vue dun but srieux.
2. La lutte de Libration ne sera pas le terrorisme gnralis
De nombreux dirigeants prconisent le terrorisme, cest--dire la liquidation physique des agents
colonialistes les plus nocifs, commissaires de la PR07, auxiliaires indignes. Certains prchent
lassassinat dadversaires politiques. En somme, le combat librateur se rsumerait faire
disparatre les mchants et les tratres, sans se soucier du systme et des forces sociales qui les
scrtent. () Se faire justice soi-mme fait partie des rflexes des Maghrbins, mais ne participe
nullement dune rflexion sur les conditions et les forces qui doivent conduire au succs lentreprise
de libration. ()
Pourquoi risquer ma vie dans un combat truqu ou le vainqueur est connu davance, je prfre
prendre des risques pour quelque chose qui en vaille la peine. Telle est lopinion courante des
Algriens, des militants et de nombreux dirigeants ici prsents qui se sont retrouvs Barberousse
et non au palais Carnot Il y a incontestablement, impasse, usure et danger de dmoralisation. ()
Le terrorisme ne peut tre quune aventure sans issue et tragique, conue comme moyen de dtruire
le systme colonial. () Lexprience irlandaise des combats patriotiques nous apporte de riches
enseignements dans ce domaine. Elle a connu sa phase terroriste. Mais nallons pas si loin,
lexprience du soulvement avort du 23 mai 1945 est plus proche de nous, que lchec de la
rvolution en 1905, ou la dbcle des patriotes irlandais lors de linsurrection de Pques 1916 et du
terrorisme qui la suivit. De plus, cest notre propre exprience; elle a profondment marqu les
militants qui lont vcue et qui en ont tir les leons pour eux-mmes et pour le parti. ()
Dans le meilleur des cas, russirions-nous aujourdhui liquider tous les auxiliaires indignes des
autorits coloniales, terroriser nos adversaires politiques, nous ne ferions que prcipiter lpreuve
avec larme franaise. A la tte de chaque douar, elle enverrait un officier. Nous revoil au temps
des bureaux arabes. Et aprs ? A quoi le terrorisme nous aurait alors avancs ? Au contraire,
larme franaise, qui est une machine crasante, se verrait disposer de latout stratgique:
linitiative du o ?, quand?, comment ? Cette triple dtermination qui, selon Clause Witz,
confre la victoire.
En termes politiques, ce sera une provocation qui nous mettra en face dune machine de guerre
contre laquelle il nous faudrait tout le souffle de la nation et toutes les ressources techniques et
tactiques dont nous pouvons disposer. La forme de lutte individuelle conduit nous mettre en
position de moindre efficacit et de moindre rsistance. Le peuple essouffl et lorganisation rduite
au dpart par les foudres de la rpression. Nous devons rejeter sans ambages laction terroriste
comme vecteur principal du combat librateur.
Lhistoire a fait justice des conceptions litistes car elles sont incapables de mobiliser les masses.
Elles germent dans lambiance de la petite bourgeoisie qui ne fait pas confiance ces masses de
peur dtre dpasse par elles. Par contre le terrorisme sous sa forme dfensive ou dappoint cest-dire le contreterrorisme peut jouer un rle dans le cadre de la guerre populaire comme en Indochine.
()
3. La lutte de libration ne peut se rsumer en la constitution dune zone franche
Il existe une marotte chez certains responsables, cest lide de zone franche. Partant de
quelques donnes faiblesse de nos effectifs, prsence de rgions montagneuses peu habites o,
par dfaut, la population naurait pas souffrir on conclut quil faut concentrer nos lments
pour plus defficacit dans une zone dtermine. Cette conception se base sur des rfrences
historiques. Exemples de la Grande Marche chinoise et de la rsistance yougoslave. La question qui
vient lesprit est dabord : a-t-on une connaissance srieuse des exemples cits pour en tirer des
enseignements ? Quelles formes de luttes principales y-a-t-il eu dans ces cas ? Si zones franches
il y a eu, o, quand et comment par rapport ces formes de lutte principale ?
Si lexpos dun cas historique doit prouver quelque vrit dordre gnral, ce cas doit tre
dvelopp avec exactitude et minutie sur tous les points qui se rapportent laffirmation... De fait,
un exemple historique peut tayer les opinions les plus contradictoires ; la traverse des Alpes par
Bonaparte (ou, ajouterons-nous, par Annibal et ses guerriers Iguechthoulen) peut tre soit une
merveille de rsolution, soit un coup de tte de vritable extravagance. Le risque dextravagance est
plus grand quand linspiration provient dune vision cinmatographique.
Simplifier lhroque et complexe guerre populaire des peuples yougoslaves et la rduire un
parachutage de la RAF dans une zone franche, cest choisir un angle de vision frivole et dangereux.
Les ides (les images) fixes tiennent lieu de rflexion. En Chine comme en Yougoslavie, il y a eu
guerre populaire sur lensemble du territoire, avec des formes de luttes multiples.
Dans le cas de la Chine comme dans celui de la Yougoslavie, la zone franche nest pas une forme
de lutte. Cest une phase de la lutte, phase stratgique ou tactique. () La dfense dune zone
libre suppose lappui des masses, une arme dj dote dune puissance de feu minimum, des
dfenses naturelles : forts vierges, immensits montagneuses, frontires communes avec une
puissance amie capable de prendre des risques militaires et diplomatiques afin dassurer un appui
logistique permanent, entre autres.
4.Rdition technique de la Rvolution franaise
Enfin, conception de dernier cri, il faudrait et il suffirait dorganiser autour du palais Carnot des
manifestations populaires gigantesques pour obliger lAssemble algrienne se proclamer
Constituante. Un 1789 algrien ? Avec prise de Barberousse, serment du jeu de paume et tout. ()
La considration qui saute aux yeux est que la Rvolution franaise est un vnement intrieur, un
phnomne franais. Elle nest pas un conflit entre pays ou peuples diffrents ; elle noppose pas un
peuple opprim la puissance coloniale, elle oppose des classes sociales. ()
Une mitrailleuse chaque carrefour suffit bloquer la dmonstration populaire la plus puissante et
quelle barricade arrterait un blind ? Tous les bidonvilles de la cit Mahieddine narrteraient pas
la soldatesque coloniale, mme et surtout avec leur population. Une manifestation insurrectionnelle
autour du palais Carnot aboutira un carnage, elle sera impitoyablement rprime en quelques
heures.
Les massacres de Mai 1945 son encore un tmoignage tout chaud du sang des 45 000 morts ; le
colonialisme ne lsine pas. ()
La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat librateur doivent se mesurer
laune de la politique. La conduite de ce combat est la politique elle-mme ; la lutte arme
devient politique son niveau le plus lev. Lessentiel donc, pour nous, est de ne pas mener une
politique errone. La seule politique juste est la politique rvolutionnaire.
sadaptant le mieux aux donnes de notre pays et qui sont dun niveau accessible nos militants.
La formation tactique se fait en thorie et en pratique. Nous avons multipli les stages de formation
en campagne afin de familiariser les lments avec les problmes poss par la gurilla. () Bien
que nous ne donnions pas de grades, notre ambition est de fournir des officiers la Rvolution, de
petits et moyens cadres militaires au service du parti et des masses. La lutte seule et les mrites rels
au feu justifieront les grades de demain. Le baptme du peuple et du combat seront de prcieux
critres. ()
Nanmoins, une organisation de cette importance ne sapprcie pas uniquement en fonction de ses
effectifs et de son moral ; son efficacit dpend de lensemble dont elle dispose. Ici apparaissent les
dangereuses faiblesses de lOS. Cest la faiblesse mortelle de 1a Rvolution. Nous manquons
darmes et dargent ! Nous navons ni armes ni argent ! (A suivre)
R. P.