Patrick Charaudeau La Conquete Du Pouvoi

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Patrick Charaudeau, La conquête du pouvoir.

Opinion, persuasion,
valeur. Les discours d'une nouvelle donne politique
Johan Hernandez
Ancien étudiant de l'ENS de Lyon. Collaborateur politique.
12/06/2014

L'ouvrage de Patrick Charandeau aborde de manière synthétique le nouveau temps


médiatique et politique qui s'est ouvert lors des élections présidentielles de 2012. Si l'enjeu
de ce travail est la mise en tension entre l'idéalité du discours politique et son application
concrète, il revient utilement sur la dernière campagne présidentielle en dégageant de
nouvelles fractures idéologiques. Pour ce faire, l'auteur utilise trois notions qui organisent
son texte : l'opinion, la persuasion et les valeurs. Cette structure permet à Patrick
Charandeau de passer en revue un certain nombre de concepts utilisés en science politique et
de les problématiser selon les évolutions du champ politique. Transparaissent ainsi les
difficultés nouvelles des camps politiques traditionnels face au « brouillage idéologique »
induit par la mondialisation et la montée des « populismes », qui redistribuent les cartes du
jeu politique. Dans l' « opinion » tout d'abord, mesurée par des sondages à la scientificité
relative, faux reflet de la réalité mais réelle fabrication. Dans le discours politique ensuite,
qui doit se parer de crédibilité et légitimité pour aboutir à la consécration charismatique.
Dans les valeurs enfin, qui structurent le champ politique, le faisant naviguer entre l'horizon
de l'égalité démocratique et celui de l'autorité républicaine.
Afin de rendre compte de cette nouvelle donne politique, l'auteur développe dans la
première partie par une analyse du concept d'opinion, en rappelant que celle-ci est une
fabrication. Le concept d'opinion collective a toujours été problématique pour la science
politique car celui-ci prétend décrire une réalité bien plus complexe que ce que les sondages
semblent indiquer. Que ce soit par la formulation des questions ou par le choix des réponses
proposées, les sondages d'opinion biaisent généralement ce qu'ils sont censés mesurer.
L’auteur montre ainsi que l’on obtient une représentation de l’opinion bien différente selon
qu’on demande aux sondés s’ils sont « pour ou contre le nucléaire » ou bien s’ils sont
favorable à l’idée que la France renonce au pouvoir nucléaire. De même, l'auteur revient
plus précisément sur le pouvoir auto-réalisant du sondage, c'est-à-dire sur sa capacité réelle à
fabriquer les opinions et à prioriser les sujets politiques dans le débat public. Dans le cadre
d'une campagne électorale, cela se traduit par la mise en avant des principaux leaders, avec
une dramatisation de la course des courbes d'intentions de vote par les médias et les équipes
de campagne. Lors de la dernière campagne présidentielle, cela c'est particulièrement vu au
niveau du duel entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, que les sondages plaçaient au
coude à coude (13% contre 15,5%), mais que les urnes ont départagé de près de 7 points
(11,10% contre 17,90 %). Nous le voyons, l'opinion n'est donc pas un concept très opérant.
L'auteur propose néanmoins une typologie des électeurs selon la consistance de leurs
opinions. Il distingue ainsi : les « convaincus », les « élections-pièges-à-cons », les
« fluctuants » et les « pas contents ».
Pour pouvoir amener à eux ces différents types d’électeurs, les femmes et les hommes
politiques cherchent à acquérir crédibilité et légitimité à travers la persuasion . Si la
consécration du politique advient lorsque celui-ci est considéré comme charismatique au
sein des milieux journalistiques et politiques, le charisme est bien plus qu'une affaire de
maîtrise technique et intellectuelle des dossiers, c'est l'incorporation par un chef de valeurs et
d'idéaux collectifs qu'il partage avec ses sujets. La notion de charisme est la clef de voûte de
l'ouvrage de Patrick Charaudeau, c'est sur elle que repose son analyse de la dernière
campagne présidentielle. Si il n'y pas besoin d’être charismatique pour remporter une
élection ( François Hollande, par exemple, a gagné davantage grâce à sa résistance face au
fact-checking1 qu'à ses capacités de tribun.), c'est une qualité devenue de plus en plus
importante depuis 2007 avec l'introduction dans la campagne présidentielle d'un storytelling
à l'américaine. Cette manière de raconter une histoire (d'une classe sociale, d'un peuple ou
d'une nation), si elle se situe dans une stratégie de communication electoraliste, n'est pas
dénuée de contenu et prend appuie sur les débats de fond qui ont divisé la vie politique
française depuis la Révolution2.
Dans la dernière partie de l'ouvrage, l'auteur met ainsi en avant que derrière les
discours électoraux s'établit un rapport de force entre différentes valeurs politiques. Pour
celui-ci, il faut revenir à la dichotomie République/Démocratie, qui structure les rapports de
force au sein du champ politique afin de saisir les récents « brouillages idéologiques »3.
Ainsi, si la République est autoritaire et la Démocratie égalitaire, la société française a
toujours évolué de manière contradictoire entre ces deux aspirations. Il est d'ailleurs utile de
rappeler que ni l'une ni l'autre ne sont l'apanage d'un camp, la gauche et la droite offrant
chacune un large panel de courants4. Néanmoins, c'est une version autoritaire du discours

1
Le fact-checking est une méthode journalistique, qui consiste à éprouver l'exactitude des dires et des
annonces d'un candidat en le confrontant aux faits et aux chiffres. On peut affirmer que le candidat socialiste
s'est avant tout appuyé sur son capital scolaire et culturel d'énarque pour se bâtir une légitimité d'« expert ».
2
Ces débats concernent essentiellement la dualité entre Démocratie et République. Lors de la
campagne présidentielle de 2007, Ségolène Royal faisait volontiers appel au concept de démocratie
participative, quand Nicolas Sarkozy s'instituait défenseur d'une République forte et exemplaire.
3
L'auteur appelle « brouillage idéologique » des discours ou prises de positions perturbant les repères
politiques traditionnels. Par exemple un homme politique de gauche appelant à plus de flexibilité dans le
monde du travail, ou bien un responsable politique de droite prétendant porter la parole des ouvriers et des
classes populaires.
4
Voir chez René Rémond la typologie des droites, l'orléaniste incarnant la plus libérale et la
bonapartiste la plus autoritaire : Rémond, René, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
politique conservateur qui a semblé l'emporter depuis 2007, avec une droite radicalisant son
discours (voir le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy durant l'été 2010) sur les
questions d'immigration, de rapport à la nation et de la famille. Dans le même temps, le
discours du Front national a semblé prendre des atours sociaux, se voulant ouvriériste et
populaire, quand celui-ci s'inspirait de Reagan dans les années quatre-vingt.
L'ouvrage de Patrick Charaudeau permet ainsi de faire un état des lieux du discours
politique après 2012, en donnant à voir les mouvements de chacun des impétrants de la
« nouvelle donne politique ». Si l'analyse des discours et des valeurs permet de mieux cerner
les stratégies de communication, il pourrait être utile de pousser la réflexion plus loin en
s'emparant du concept opérant de champ politique comme développé par Delphine Dulong5
qui permet de contextualiser les faits et dires des femmes et des hommes politiques selon
leur place dans le champ et selon les valeurs dominantes du champ lui-même. Par ailleurs,
les fluctuations idéologiques au sein du champ ont également un lien avec l'histoire socio-
économique, notamment les transformations du capitalisme. Les matrices idéologiques de
droite et de gauche ont ainsi subi des évolutions avec le passage d'un capitalisme industriel à
un capitalisme financier, le néolibéralisme faisant figure de nouvelle manière dominante de
voir le monde, dont on ne pourrait s'extraire sans faire offense à la raison6.

5
Dulong Delphine, La construction du champ politique, PU Rennes, coll. « Didact Sciences
politiques », 2010. Consultez ici le compte-rendu de l'ouvrage par Aurélien Raynaud :
http://lectures.revues.org/1197.
6
Si le terme de néolibéralisme renvoie le plus souvent à un processus économique, Pierre Dardot et
Christian Laval montrent comment celui-ci est également porteur d'un discours culturel et politique : Dardot
Pierre, Laval Christian, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte,
coll. « La Découverte/Poche », 2010. Consultez ici le compte-rendu de l'ouvrage par Corinne Delmas :
http://lectures.revues.org/1194.

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