The Converssation 07 23
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Les ambitions et les aspirations des jeunes convergent mondialement. Quel que soit le pays, leur implication
dans la question écologique est croissante. Shutterstock
Alessia Lefébure
Sociologue, membre de l'UMR Arènes (CNRS, EHESP), École des hautes études en santé publique (EHESP)
Les jeunes souhaitent contribuer à un monde meilleur, ils s’en sentent responsables, et attendent de leur
école ou de leur université de les préparer à un métier en accord avec leurs convictions. Il s’agit d’un
sérieux défi pour les établissements d’enseignement supérieur qui doivent répondre à ces attentes s’ils
souhaitent rester attractifs et continuer à former les talents de chaque nouvelle génération.
Les ambitions et les aspirations des jeunes convergent mondialement. Quel que soit le pays, leur
implication dans la question écologique est croissante. Dans l’enquête menée en 2019 par WISE, Ipsos et
JobTeaser dans cinq pays, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) faisait son entrée parmi les
cinq critères intervenant dans le choix d’un emploi les plus cités.
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Les enquêtes sur la situation en France donnent des résultats similaires. Selon la 5e édition du
baromètre de Boston Consulting Group–Conférence des Grandes Écoles–Ipsos, publiée en mai 2023, et
dans la continuité des résultats des éditions précédentes, étudiants et diplômés des grandes écoles
françaises expriment une déception massive par rapport à l’engagement RSE des grandes entreprises,
des PME et de l’État.
Même s’ils reconnaissent à plus de 70 % que les employeurs s’impliquent davantage qu’il y a dix ans, ils
considèrent que cela reste motivé par la nécessité d’améliorer leur image, pas par la conviction. Cela ne
les empêche pourtant pas de vouloir rejoindre les entreprises pour leur carrière ou « pour les faire
changer de l’intérieur » (48 %), notamment dans les deux secteurs les plus recherchés pour leur premier
emploi : l’environnement (76 %) et l’énergie (68 %).
C’est précisément cette exigence qui est exprimée publiquement depuis quelques années par des
discours prononcés lors des cérémonies de remise des diplômes, par la signature de manifestes et de
tribunes dans la presse ainsi que par des mobilisations collectives pour éveiller la conscience écologique
des grandes entreprises ou contester leur présence sur les campus.
Quelles leçons tirer de ces tendances ? Ces chiffres et ces mobilisations peuvent paraître épisodiques
mais c’est la convergence des aspirations qui est notable. Depuis plus de cinq ans, chaque cohorte de
jeunes issue des meilleures formations s’interroge sur les valeurs et l’engagement sociétal et
environnemental de ceux qui les embaucheront.
Si les jeunes générations ont des aspirations claires, elles ne se sentent pas toujours préparées à les
réaliser, au regard des connaissances et compétences requises. Une enquête conduite en France auprès
des 18-35 ans en 2021 par la Fondation de France avait montré que beaucoup de jeunes, bien que
préoccupés par les questions environnementales, avouaient ne pas bien connaître la signification
d’expressions telles que « gaz à effet de serre » (46 % des répondants) ou « empreinte écologique » (55 %
des répondants).
En effet, toutes les écoles et universités ne sont pas encore en mesure de bien cibler les compétences à
mobiliser pour devenir acteurs de la transition écologique, car les cursus de formation sont souvent
organisés selon des logiques disciplinaires. Et quand les compétences sont identifiées, elles le sont par
métier ou alors elles relèvent des compétences transversales ou « soft skills », ce qui ne correspond pas
aux attentes des étudiants pour se positionner sur des métiers à fort impact.
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Les deux secteurs les plus recherchés par les jeunes pour leur premier emploi seraient l’environnement
et l’énergie. Shutterstock
Dans certains cas, ce sentiment d’impréparation s’appuie sur ce que les médecins définissent comme
« éco-anxiété » ou « solastalgie », une détresse mentale que de nombreux adolescents et étudiants
développent à mesure qu’ils deviennent plus conscients de l’état de l’environnement.
Paradoxalement, plus les étudiants sont formés, plus ils acquièrent les clefs de compréhension des
mécanismes du vivant et des limites planétaires, plus leur revendication est forte. Ce sont avant tout les
étudiants et diplômés des grandes écoles d’ingénieur qui ont exprimé le besoin d’une formation plus
ambitieuse. Si savoir, c’est comprendre les interdépendances entre l’action humaine et les crises
écologiques, cette prise de conscience de sa propre responsabilité génère un devoir d’action. Se rendre
compte que leur mode de vie est une partie de la cause, met les étudiants face à un impératif éthique
d’agir pour changer le cours des choses.
Dans ce contexte, beaucoup de responsables d’établissements d’enseignement supérieur ont pris des
mesures pour retenir les étudiants et prouver leur pertinence aux employeurs. Dans un premier temps,
ces mesures ont principalement été des déclarations publiques.
Au lendemain de la COP21 de Paris, sous la houlette de Columbia University, 115 écoles de santé
publique et de médecine de tous les continents ont décidé de lancer une initiative commune, visant à
former les futurs professionnels médicaux aux effets du changement climatique sur la santé. En 2017, un
consortium mondial sur l’éducation au climat et à la santé (GCCHE) a été créé, au nom d’un « impératif
pour une action rapide ». Les présidents de ces établissements reconnaissaient ainsi que le climat était
sous-représenté dans les programmes de santé et s’accordaient sur la nécessité de poursuivre le
renforcement des compétences par la formation.
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Des initiatives similaires ont vu le jour dans différentes régions du monde au cours des cinq dernières
années. Au Royaume-Uni, par exemple, les 24 universités qui composent le Russell Group ont déclaré
publiquement en décembre 2019 leur engagement à « lutter contre le changement climatique par la
recherche, l’enseignement et des pratiques plus durables ». Le Russell Group a donc à son tour créé un
Environmental Sustainability Network afin « d’apprendre les uns des autres, de renforcer les efforts
pour réduire les déchets, augmenter le recyclage » et réduire les émissions de CO2 sur le campus.
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En France aussi, les responsables de l’enseignement supérieur on fait entendre leur volonté d’introduire
davantage d’enseignements liés au climat et à l’environnement. L’année 2019 a été ponctuée de
déclarations appelant le gouvernement à consacrer des ressources financières supplémentaires dans le
but de pouvoir former tous les étudiants aux questions climatiques et écologiques.
Se rendre compte que leur mode de vie est une partie de la cause, met les étudiants face à un
impératif éthique d’agir pour changer le cours des choses. Shutterstock
Au fil des tribunes et des rapports, la réflexion sur un cadre commun de référence, par-delà les métiers,
les statuts et les secteurs, s’est imposée progressivement dans le débat public. Un consensus s’est établi
sur le fait que répondre au double défi climat-biodiversité nécessite des formations renouvelées pour
tous les métiers du privé et de la fonction publique, ainsi que l’introduction de la préoccupation
climatique et écologique dans toutes les politiques publiques et dans les stratégies d’entreprise.
Une enquête de 2023 menée par l’Association internationale des universités (IAU) donne un aperçu de
l’engagement des établissements du monde entier sur les objectifs du développement durable (ODD). En
comparaison avec les résultats des enquêtes précédentes (2016 et 2019), le nombre d’universités qui
inscrit les ODD dans le plan stratégique reste stable (38 %). Près de la moitié des établissements
déclarent allouer un budget spécifique et croissant aux initiatives en lien avec le développement durable.
Néanmoins, l’enquête pointe un certain nombre de difficultés qui entravent une transformation plus
profonde et transversale : le manque de financement, le manque de personnel formé, le manque de
mécanismes de gratification pour les cours. Si la majorité des universités (65 %) offrent des cours dédiés,
ces cours sont généralement spécialisés, concentrés dans un nombre restreint de départements –
appartenant le plus souvent aux STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques)- et
largement inconnus sur le campus. Les approches trans et interdisciplinaires sont rares et les
perspectives systémiques difficiles à mettre en œuvre.
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En France, la situation est très contrastée. Jusqu’à une époque très récente, peu de cursus proposaient
des cours obligatoires liés aux enjeux énergétiques et climatiques, comme le montrait un rapport publié
par le Shift Project en mars 2019 sur l’enseignement supérieur et le climat. Les écoles d’ingénieurs
offrent traditionnellement plus de cours que les écoles de management et, même dans les universités, les
étudiants inscrits dans des programmes de science, technologie, ingénierie et mathématiques ont plus
de cours liés à l’environnement que les autres. Enfin, ces cours sont généralement réservés aux cycles
supérieurs, presque jamais au premier cycle, produisant ainsi de fortes inégalités d’accès.
L’enjeu a été donc de passer d’une formation pour spécialistes de l’environnement à une formation à
l’environnement pour tous. C’est le rapport remis en 2020 par le paléoclimatologue Jean Jouzel et par
l’écologue Luc Abbadie à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui a fait bouger les
lignes sur ces aspects. En recommandant de généraliser l’approche environnementale à toutes les
formations, le rapport fait de la transition écologique une partie intégrante des parcours de formation de
premier cycle, de façon à ce que tous les étudiants de niveau bac+2, toutes filières confondues, disposent
des quelques compétences communes.