Lecarme Tabone2002
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Éliane Lecarme-Tabone
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ISBN 9782070766383
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https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2002-3-page-19.htm
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Éliane Lecarme-Tabone
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LE COUPLE BEAUVOIR-SARTRE
DEVANT LA CRITIQUE FÉMINISTE
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Modernes » d’Anna Boschetti pour qui « la trajectoire de Simone
de Beauvoir est plus que toute autre conditionnée par son rapport
avec Sartre 4 ».
Si elle s’est insurgée contre cette vision globalement réduc-
trice, Simone de Beauvoir, elle-même, a favorisé la minoration
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dans son essai l’idée que l’adhésion de Beauvoir à la philosophie
existentialiste a exercé une influence négative sur la formation de
sa pensée féministe. Mary Evans reproche, en effet, à Simone de
Beauvoir d’adhérer à des valeurs considérées comme masculines
(la rationalité, l’activité, l’individualisme) au prix d’un déni de l’ex-
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joue l’existentialisme dans Le Deuxième Sexe ? Sa défense de
Simone de Beauvoir s’articule autour de la mise en accusation de
Sartre et de l’affirmation que Simone de Beauvoir a, malgré tout,
réalisé une œuvre philosophique personnelle, mais de biais.
Selon Michèle Le Dœuff, l’abdication de Simone de Beauvoir
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pli un travail de philosophe en écrivant Le Deuxième Sexe, la vraie
philosophie se définissant non comme un discours d’omnipotence
mais « comme un effort pour faire passer la pensée d’un état à
un autre 17 ». Tout en utilisant les outils conceptuels proposés dans
L’Etre et le Néant — essentiellement l’éthique de l’authenticité —
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une donnée naturelle 20 ». Plutôt qu’une défaite totale, l’abandon de
la philosophie à Sartre et l’intériorisation de son statut de seconde
à l’agrégation apparaissent, à Toril Moi, comme une solution de
compromis : elle permet à Simone de Beauvoir de concilier son
statut d’intellectuelle avec celui de femme désirable entre les-
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20. Ibid., p. 6.
21. Ibid., p. 352.
22. Ibid., p. 5.
23. Toril Moi semble avoir infléchi sa position dans son nouveau livre
What is a woman ?, Oxford, 1999.
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Sexe met en évidence d’autres sources que L’Etre et le Néant : si
l’on repère plusieurs maîtres, Simone de Beauvoir n’apparaît plus
comme la disciple d’un seul. Eva Gothlin démontre que Simone de
Beauvoir a infléchi la philosophie existentialiste à laquelle elle se
réfère et qui forme l’ossature de son œuvre, en la combinant, non
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rend un vibrant hommage à une œuvre de pionnière qui accomplit
des avancées théoriques décisives pour la pensée féministe.
On retrouve donc, dans ces thèses, des points de vue déjà envi-
sagés par Michèle Le Dœuff, mais dans une mise en perspective
historique plus systématique.
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de l’enfance.
Le problème de la relation à l’Autre hante Simone de Beauvoir
depuis toujours, selon son propre aveu, et se trouve lié non à une
influence philosophique mais à son expérience personnelle. L’un
des aspects de la problématique qu’elle pose concerne la menace
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radical du rapport d’influence : la philosophie de L’Etre et le Néant
serait sortie tout entière de L’Invitée dont, grâce aux publications
posthumes, on peut retracer la genèse avec précision. Sartre a lu le
manuscrit de L’Invitée, au cours de sa permission de février 1940,
cinq mois avant de commencer L’Etre et le Néant. Les Fullbrook se
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II
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et dans un débat serré les diverses théories ci-dessus résumées, mais
de m’interroger sur la démarche qui les sous-tend et sur les présup-
posés qu’elles impliquent. Le premier point qui prête à commen-
taire concerne la scène « primitive » de la fontaine Médicis : Beau-
voir a-t-elle abdiqué devant Sartre, se mutilant ainsi elle-même ?
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Telle qu’elle est décrite dans les Mémoires d’une jeune fille rangée,
la « défaite », si cuisante soit-elle, n’a rien de définitif : elle entraîne
un doute salubre sur le plan philosophique, un nouveau programme
de travail, et le désir de progresser. Le journal intime, à l’entrée
du dimanche 21 juillet, atteste la sincérité de ce mouvement à la
fois d’admiration et d’émulation, encore plus clair par sa concision
ramassée : « Révélation d’une richesse de vie incomparable avec
celle du jardin trop fermé où je m’enferme — d’une force de pen-
sée qui exige pour que j’y atteigne le plus sérieux travail, d’une
maturité que j’envie et à laquelle je me promets d’atteindre. »
Dans ses Mémoires comme dans certains entretiens, Simone de
Beauvoir se montre d’ailleurs tout à fait consciente des causes ins-
titutionnelles qui expliquent la supériorité découverte non seule-
ment chez Sartre mais aussi chez tous « les petits camarades » : ils
l’emportent sur le plan de la méthode, de la culture, de la clarté des
perspectives, parce qu’ils sont plus âgés et mieux formés qu’elle.
Reste que Sartre la subjugue par une autorité intellectuelle parti-
culière, que lui reconnaissaient aussi ses condisciples : c’était
« l’homme à la fameuse puissance de travail », celui dont Georges
Canguilhem louait la « puissance intellectuelle formidable », celui
dont Aron pouvait dire : « Toutes les semaines, tous les mois, il avait
une nouvelle théorie, il me la soumettait et je la discutais : c’était lui
qui développait des idées et moi qui les discutais 37. »
En reconnaissant la supériorité de Sartre, Simone de Beauvoir
ne renonce pas, pour autant, à elle-même. Après avoir constaté
l’« emprise intellectuelle si forte, si féconde, si aimée » de Sartre, le
mercredi 7 août 1929 elle conclut dans son carnet : « [...] si quel-
qu’un est l’accès à une vie plus large, plus haute, je suis toute entre
ses mains, capable de terriblement sacrifier pour lui. Ainsi, chéris-
37. Voir Annie Cohen-Solal, op. cit., respectivement pp. 105, 106, 107.
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sant tellement plus le lama 38, c’est à Sartre peut-être que je tiens
le plus incomparablement ; d’autant plus que je me sens pénétrée
par sa pensée. » En choisissant Sartre, c’est bien un accomplis-
sement personnel exigeant qu’elle fait prévaloir, comme elle l’in-
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dique dans les Mémoires d’une jeune fille rangée : il ne s’agit pas
d’une reconstruction rétrospective de l’autobiographie.
Il est possible que la mise en pièces de sa morale pluraliste (ins-
pirée d’ailleurs par Herbaud-Maheu) ait renforcé en Simone de
Beauvoir la vocation littéraire au détriment d’un projet philoso-
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38. Surnom de Maheu, appelé Herbaud dans les Mémoires d’une jeune
fille rangée.
39. Le 13 mai 1927, elle dit souhaiter : « Ecrire des “essais sur la vie”
qui ne soient pas du roman, mais de la philosophie, en les reliant vague-
ment d’une fiction. »
40. La Force de l’âge, « Folio », p. 254. Voir aussi p. 51.
41. Mémoires d’une jeune fille rangée, p. 197. Voir aussi La Force de
l’âge, p. 417.
42. Mémoires d’une jeune fille rangée, p. 479.
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aucun théoricien ne peut proposer d’équivalents abstraits. N’a-elle
pas, d’ailleurs, avec L’Invitée, réalisé finalement le programme
qu’elle esquissait, en 1927, dans son journal, avec simplement un
déplacement des priorités ? Le choix de la littérature, explicitement
assumé tant de fois par Simone de Beauvoir, ne constitue donc pas
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une défaite.
Sartre semble, certes, manifester parfois quelque condescen-
dance sur le plan philosophique, à l’égard de la jeune fille, comme
le montre un passage des « Cahiers de jeunesse 44 » : ainsi le mer-
credi 17 juillet 1929, Simone écrit : « [...] Il me dit sur moi des
choses si profondes — que je ne suis pas noble, ni morale, mais
généreuse, à bien des points de vue une petite fille, intellectuelle-
ment moins cultivée qu’instruite, et déplaisante quand je parle phi-
losophie, mais un bien cher Castor 45. » Il est bien évident, cepen-
dant, qu’en l’admettant dans le cercle des « petits camarades »
Sartre a reconnu la valeur philosophique de Simone de Beauvoir.
Loin de jouer un rôle d’obstacle à son accomplissement intellec-
tuel, on le voit, plus tard, stimuler son énergie dans les moments
de moindre activité et intervenir positivement comme promoteur
de projets à tous les moments décisifs de sa carrière, notamment
à l’origine de L’Invitée et du Deuxième Sexe. Enfin, comme les
féministes, l’ont souligné, Simone de Beauvoir a su faire entendre
une voix personnelle, malgré les difficultés théoriques rencontrées,
une fois trouvé le sujet que seule elle pouvait traiter.
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dit ailleurs, et notamment dans son autobiographie où elle concède
seulement qu’il lui est arrivé « de consentir, par intermittence, à
jouer ce rôle 46 ». Simone de Beauvoir insiste souvent sur l’âpreté
des discussions littéraires ou philosophiques qui l’opposaient
à Sartre. Elle souligne l’importance de son intervention dans la
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grandes thèses de l’Etre et le Néant qui n’était pas encore écrit.
C’était pendant la “drôle de guerre”. Je lui ai exposé toutes mes
idées quand elles étaient en voie de formation 50. » Et il ajoute que
c’est leur rapport d’égalité qui permettait cet échange.
Une fois nuancée, par les protagonistes eux-mêmes, l’image
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une Simone de Beauvoir assez masochiste pour renoncer à un sys-
tème philosophique qu’elle aurait inventé, sans lui faire injure, et
sans remettre arbitrairement en question ses propres valeurs et tout
ce que l’on sait sur son fonctionnement psychologique ?
Ensuite, pour des raisons de méthode : il est clair, tout d’abord,
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juin 1940, où l’on voit s’élaborer la théorie de L’Etre et le Néant,
a été rédigée avant la permission de février 1940 au cours de
laquelle Sartre lit le manuscrit de L’Invitée 55. Simone de Beauvoir
avait pris connaissance des carnets déjà composés au début
novembre, puis les 12, 13, et 14 décembre 1939. De plus Sartre en
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55. Sur les quinze carnets écrits par Sartre, six ont été retrouvés et
publiés. La permission de février 1940 se situe vers la fin du Carnet XI. Le
fait que certains carnets n’aient pas été retrouvés rend encore plus aléatoire
la position des Fullbrook.
56. Lettres à Sartre, II, Gallimard, 1990, p. 55. Hazel E. Barnes cite,
dans le même sens, un extrait de la lettre du 14 décembre 1939.
57. « Comptes rendus », Lendemains, op. cit., p. 139. Céline Léon a
également prononcé une communication sur ce sujet en juin 2000, devant
le Groupe d’Etudes sartriennes.
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de Simone de Beauvoir 60. Mais on le trouve aussi dans Une défaite,
roman de jeunesse de Sartre, sous la forme du regard d’autrui qui
limite la liberté de celui sur lequel il se pose 61. Il s’agit donc plus ici
d’une rencontre que d’une influence.
Que Sartre ait pu, cependant, emprunter à Simone de Beauvoir
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telle idée ponctuelle, telle situation, tel thème, cela n’aurait rien de
surprenant. La publication posthume des Carnets de la drôle de
guerre a permis de mesurer la fécondité philosophique de Sartre au
cours de cette période. Mais leur lecture rend aussi plus sensible
l’importance vitale de Beauvoir pour Sartre et fait mieux comprendre
le rôle intellectuel que celle-ci jouait auprès de lui, comme source
de questions, juge des idées, origine d’objections. Ces textes,
confrontés aux lettres et journaux de Simone de Beauvoir, per-
mettent aussi, dans certains cas, de repérer d’éventuels emprunts.
Il ne s’agit pas pour autant de plagiat mais plutôt d’une politique
d’échanges réciproques, où chacun fait son propre miel de ce qu’il
trouve chez l’autre, avec toujours une incertitude possible sur le
processus d’appropriation.
Il est vrai, par exemple, comme l’ont montré les Fullbrook, que
l’exemple choisi par Sartre pour analyser la mauvaise foi dans le
flirt rappelle de façon troublante la description de la main abandon-
née trouvée dans L’Invitée. Mais, outre que ce rapprochement ne
prouve évidemment en rien que le concept de mauvaise foi (déjà
présent antérieurement dans l’œuvre de Sartre) ait été inventé par
Simone de Beauvoir, le lecteur peut se demander si elle-même n’a
pas subi l’influence de La Nausée, où l’Autodidacte caresse la main
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plutôt que d’emprunt simple.
Dans Les Carnets de la drôle de guerre, Sartre s’inspire à deux
reprises, explicitement, d’une notation de Simone de Beauvoir dans
L’Invitée. Au retour de sa fameuse permission il écrit, le 17 février
1940 : « Le Castor m’a, en effet, enseigné quelque chose de neuf :
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Sylvie Le Bon de Beauvoir qui, dans un entretien avec Ursula Tidd,
soulignait l’existence d’une « vision philosophique personnelle » de
Simone de Beauvoir qu’elle invitait à étudier : « Il faudrait analyser
comment, à partir de fondements communs avec Sartre, elle mani-
feste des divergences d’interprétation, touchant des notions philo-
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III
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l’autre se manifestent une vocation d’écrivain concrétisée par des
tentatives précoces, le désir d’absolu, la recherche du salut par la lit-
térature, la confiance dans leur valeur et la certitude d’un avenir
hors du commun. Sartre a l’impression (qualifiée d’illusion) de pro-
gresser depuis son adolescence 66, de même que Simone de Beauvoir
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C’est sur ce fond de ressemblances que les différences et les
complémentarités se déploient. Surtout, comme dans tous les
couples de jumeaux, il s’instaure entre Sartre et Beauvoir une répar-
tition des rôles et des tâches qui permet un partage harmonieux des
territoires. Dans leurs productions respectives, on remarque un
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68. « Cahier de jeunesse » inédit, 6 mai 1927, phrase déjà citée par
Barbara Klaw, op. cit., p. 175.
69. La Force de l’âge, p. 628.
70. Ibid., p. 55.
71. La Force des choses, I, p. 111. Mais Situations III propose quelques
tableaux et reportages des Etats-Unis.
72. Jean-Paul Sartre, Œuvres romanesques, éd. établie par M. Contat
et M. Rybalka, pp. 1585-1654.
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phique, mais c’est Simone qui mène à bien la somme seulement
envisagée par Sartre. En assumant le récit de leur vie commune,
c’est elle, de plus, qui s’arroge la maîtrise du passé, renversant ainsi
un rapport de « dominance 73 » en sa faveur.
Loin d’engendrer rivalité et frustration, ce type de fonctionne-
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ditionnelle des sexes, le succès public et les reconnaissances insti-
tutionnelles (prix Goncourt en 1954 pour Simone de Beauvoir, prix
Nobel pour Sartre dix ans plus tard) n’auraient pas été aussi harmo-
nieusement partagés.
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Éliane LECARME-TABONE