Analyse2014 Enfants Exposes Aux Violences
Analyse2014 Enfants Exposes Aux Violences
Analyse2014 Enfants Exposes Aux Violences
Introduction ............................................................................................................................. 3
I. Un enfant exposé aux violences entre partenaires est un enfant maltraité .............................. 3
a. En chiffres ..................................................................................................................... 3
Bibliographie ............................................................................................................................ 9
MESBAHI Sophia
sophia.mesbahi@mutsoc.be
02/515 17 68
Introduction
L’onde de choc des violences conjugales peut parfois dépasser le couple et s’étendre aux enfants. Pendant
longtemps ces enfants ont été considérés comme de simples témoins. Mais ceux qui assistent à des scènes de
violences sont également victimes.
Dans cette analyse, nous tâcherons de décrire d’une part, l’impact des violences entre partenaires sur les
enfants et d’autre part, de mettre en lumière le lien entre cette exposition et l’apprentissage des relations
inégalitaires.
Pour parler des enfants exposés aux violences entre partenaires, on a longtemps employé le terme
« témoin ». Pourtant, aujourd’hui, il est largement admis que les enfants qui assistent à des scènes de
violences entre partenaires sont exposés directement à celles-ci. Depuis quelques années, en matière de lutte
contre les violences entre partenaires, les enfants sont reconnus comme une catégorie de victimes à part
entière. En effet, « les enfants, lorsqu’ils grandissent dans un climat de violence contre leur mère ne sont pas
des témoins passifs de la tension et de la violence à la maison »2. Cette reconnaissance participe à la prise de
conscience de l’existence d’un préjudice pour les enfants exposés à la violence. Ceux-ci sont davantage que
des témoins puisqu’ils ne sont pas à l’abri de la menace qui pèse sur eux : « dans l’expression ‘témoin’, il
semble que l’enfant n’est pas personnellement impliqué, convoqué malgré lui dans ce contexte et ce qu’il
produit. Or, il en est tout autrement. En effet, l’enfant exposé vit au cœur d’une dynamique modulée par le
cycle de la violence conjugale »3.
De plus, il existe une corrélation entre maltraitance infantile et violences entre partenaires. En effet,
nombreux sont les enfants qui vivent dans un contexte violent et sont eux-mêmes victimes de maltraitances
directes de la part de l’un ou l’autre parent, voire les deux.
a. En chiffres
Selon l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes4, en Belgique, dans plus de 40% des situations de
violences entre partenaires, au moins un enfant a été témoin de violences sur l’un de ses parents. Quand il
s’agit de violences graves et très graves, la proportion frôle les 50%. De plus, 35% des auteurs ont eux-
mêmes assisté dans leur enfance à des violences entre leurs parents.
1
Le titre de ce chapitre est librement inspiré de la brochure Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité réalisée
par la Direction de l’Egalité des Chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique, disponible à l’adresse suivante :
http://www.egalite.cfwb.be
2
X ., Les enfants exposés aux violences conjugales en Bourgogne, P.F.O.S.S., octobre 2013, p. 2.
3
J.-L. SIMOENS, Le cycle de la violence, un outil d’intervention ciblée auprès des enfants exposés aux violences conjugales, Liège, C.V.F.E.,
décembre 2011, p. 2.
4
Voy. X., « Les expériences des femmes et des hommes en matière de violence psychologique, physique et sexuelle », I.E.F.H., 2010.
En contexte de séparation, plus de 56% des situations de violences ont lieu en présence des enfants.
Enfin, 40% des enfants exposés aux violences entre partenaires sont également victimes de maltraitances
physiques sur leur propre personne.
Les conséquences des violences entre partenaires sur la santé et le comportement des enfants sont multiples,
mais pas spécifiques. C’est-à-dire qu’en présence de certains symptômes caractéristiques de la maltraitance,
le professionnel de santé ou le travailleur social peut seulement formuler l’hypothèse d’un contexte familial
préoccupant.
L’impact des violences conjugales sur l’enfant se répercute aussi bien sur son développement psychologique
(estime de soi, culpabilisation, dépression, anxiété) que physique (blessures accidentelles ou intentionnelles,
retard de croissance, énurésie5, troubles du langage). Toutefois, tous les enfants exposés réagissent
différemment et certains peuvent ne présenter aucun trouble perceptible.
L’enfant peut manifester des difficultés à s’attacher et/ou à se séparer, à identifier ses émotions et les gérer.
Il peut également souffrir de timidité excessive, de crainte des adultes, de dépression et d’anxiété.
2) Troubles comportementaux
Les enfants exposés aux violences peuvent avoir tendance à reproduire eux-mêmes la violence au travers de
jeux, à présenter des difficultés de concentration, à être irritables, excessivement fatigués ou au contraire,
hyperactifs. Ils peuvent également adopter des conduites addictives, suicidaires, ou fuguer et « délinquer ».
Outre les blessures indirectes ou directes causées par les violences intrafamiliales, l’enfant peut souffrir d’un
manque de soins ou de négligences.
Des troubles psychosomatiques peuvent également apparaitre. Il s’agit le plus souvent d’énurésie, retards de
croissance, maux de tête, maux de ventre, malaises, troubles du sommeil.
Certains enfants développent, en réponse à la violence, des troubles de l’apprentissage liés notamment à un
déficit d’attention et/ou à un désintérêt pour l’école. Ils peuvent aussi avoir des difficultés d’audition et de
langage.
5
www.larousse.fr: émission d'urine involontaire et inconsciente, généralement nocturne, chez un enfant.
Par ailleurs, 60% de ces enfants présentent un syndrome de stress post-traumatique. Il s’agit d’un trouble
anxieux qui survient à la suite d’un ou plusieurs événements stressants et qui se traduit par des difficultés de
concentration, d’attention, de l’irritabilité, de l’agressivité envers soi-même et les autres, de l’anxiété, de la
dépression, etc.
En réaction à la violence, les enfants se positionnent de manière différente. Ils peuvent prendre parti pour
l’un ou l’autre parent, être coincés dans un conflit de loyauté6 ou encore faire comme si rien ne se passait.
Selon le contexte, ils endossent un rôle différent et mettent en place des stratégies pour faire face aux crises.
Lorsque l’enfant « perçoit l’environnement comme étant composé de ‘bourreaux’ et de ‘victimes’ »7, il peut
avoir tendance à prendre parti pour la victime. Il considère l’auteur comme responsable de ce qui se passe au
sein du foyer et tente d’éviter que la violence n’atteigne le parent victime. Si l’enfant perçoit son
environnement comme « composé de ‘gagnants’ et de ‘perdants’ ; la violence est un moyen efficace pour être
du côté des gagnants »8. Il s’identifie alors au parent auteur et considère la victime comme responsable de ce
qui leur arrive à tous.
Si l’enfant reçoit des messages contradictoires de la part de ses parents, il peut se sentir obligé de prendre
position. Dans ce cas, l’enfant ne prend réellement parti ni pour l’un ni pour l’autre et tente de rester fidèle
aux deux. Il peut alors se sentir responsable et impuissant.
L’enfant peut également être dans le déni et prétexter que les violences n’existent pas. Si ses parents
banalisent celles-ci, l’enfant doute de son ressenti et peut aller jusqu’à bloquer ses émotions.
1) Stratégies adoptées
Que les violences soient dirigées contre eux ou contre un parent, les enfants développent des techniques de
défense et de protection. Ces mécanismes viennent influencer les facteurs de risques et de protection
inhérents à leur situation (famille, entourage, école, aide sociale).
6
L’enfant se retrouve malgré lui tiraillé entre les attentes de son père et celles de sa mère.
7
Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, Op. Cit., p. 34.
8
Ibidem, p. 36.
9
Ibidem, p. 30-31.
2) Rôles endossés
Dans la dynamique familiale, les enfants exposés aux violences sont amenés à endosser certains rôles afin de
se protéger. Ces positions qu’ils adoptent peuvent évoluer au cours du cycle de la violence et circuler d’un
enfant à l’autre dans la fratrie.
Le « petit parent » se sent investi d’une mission de protection vis-à-vis du parent victime et de la fratrie, il
veille à leur sécurité tandis que le « petit agresseur » peut avoir des passages à l’acte violents envers la
victime. Il s’identifie à l’auteur des violences pour contrer ses angoisses et éviter de contrarier le parent
auteur. Dans un autre registre, l’ « enfant modèle » est autonome et très bon à l’école, il fait de son mieux
pour ne jamais faire de vagues et il évite tout ce qui, selon lui, est générateur de violences. Le « bouc
émissaire » quant à lui, est au cœur des tensions et perçu par les adultes comme la cause des violences.
Bien que ces rôles servent à « retrouver une impression de contrôle sur leur environnement »10, ils peuvent
nuire à l’épanouissement des enfants s’ils perdurent dans le temps. Une fois écartés de la violence, les
enfants se dégagent petit à petit des rôles qu’ils avaient endossés et apprennent à retrouver leur place
d’enfant.
Qu’ils soient victimes ou auteurs, la prise en charge des violences entre partenaires met (inévitablement ?) en
doute les compétences parentales.
« Les violences conjugales infligent une souffrance psychologique qui affecte la volonté du sujet, ses liens
affectifs, ses loyautés et ses croyances. Elles occultent pour beaucoup de femmes l’impact sur leurs enfants et
l’impact sur leurs capacités de perceptions parentales »11. Certaines victimes peuvent ainsi sembler confuses
et peu concernées par les violences agies au sein de la famille. En conséquence, l’exercice de la parentalité
est incohérent et il n’est pas rare que les victimes soient tenues responsables de la souffrance de leurs
enfants par leur entourage, le corps médical ou certains travailleurs sociaux. D’ailleurs, « les manquements
des mères, en tant que parent, sont beaucoup plus signalés que ceux des pères »12.
10
Ibidem, p. 32.
11
A. AÏT H MAD, Violence conjugale et enfants : où en sommes-nous ?, Liège, C.V.F.E., septembre 2012, p. 2.
12
Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, Op. Cit., p. 45.
Les auteurs de violences conjugales sont souvent considérés comme de mauvais parents. Pour beaucoup, il
semble en effet difficile de concilier adéquation vis-à-vis de l’enfant et violences entre partenaires. Pourtant,
malgré l’impact incontestable de la violence conjugale sur les enfants, le parent auteur peut se montrer
adéquat lorsqu’il s’agit de prendre soin de l’enfant.
L’évaluation des compétences parentales des auteurs est essentielle pour évaluer le risque que courent les
enfants exposés. Une étude française a montré que « les pères violents ont un style de parentalité différent
de celui des pères non-violents »16. Leur capacité à tenir compte des besoins de l’enfant est limitée et ils font
preuve de peu d’empathie. Cependant, lorsqu’il s’agit de l’intérêt de l’enfant, il faut absolument distinguer le
partenaire du père.
Quelle que soit la situation familiale, c’est l’ « intérêt supérieur de l’enfant »17 qui doit primer. Avec un soutien
adapté, les aptitudes parentales peuvent toujours être développées. C’est la raison pour laquelle, même en
contexte de violences conjugales, le maintien des relations parents-enfants est de plus en plus valorisé.
Répétition de la violence et rapports sociaux inégalitaires vont de pair. En effet, l’impact des violences
conjugales varie notamment selon le sexe de l’enfant. Selon certains psychologues, les garçons auraient
tendance à extérioriser davantage les conséquences de leur exposition à la violence. D’autre part, les petits
garçons comme les petites filles observent et apprennent très tôt à reproduire la violence ou à se positionner
en victime. Plus tard, dans leurs relations amoureuses, ces enfants peuvent être amenés à reproduire les
comportements agressifs ou la victimisation. Pour une femme qui a été exposée aux violences dans l’enfance,
la probabilité d’être victime de violences conjugales est trois fois plus grande. Si elle a été victime de
maltraitances directes, celle-ci est cinq fois plus grande.
13
AÏT HMAD, Violence conjugale et enfants : où en sommes-nous ?, Op. Cit., p. 3.
A.
14
Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, Op. Cit., p. 46.
15
A ce sujet, Voy. B. BASTARD, Un conjoint violent est-il un mauvais parent ?, Bruxelles, Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique,
octobre 2013.
16
Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, Op. Cit., p. 42.
17
Article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient
le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs,
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
On constate ainsi que certains garçons adoptent des comportements agressifs et de domination tandis que
chez certaines filles, on remarque une tendance à « s’adapter au désir et attentes de l’autre, repousser les
limites de ce qui est acceptable pour soi, par empathie et/ou pour exister, ou encore pour tenter d’obtenir
une reconnaissance sociale »18.
La distinction de l’impact selon le sexe dépend principalement de la socialisation. En effet, les rôles attribués
traditionnellement aux filles et garçons ainsi que les rôles intériorisés par ceux-ci favorisent la répétition de la
violence.
Cette exposition aux violences et leur répétition alimentent les représentations sociales inégalitaires.
L'apprentissage de l’inégalité entre hommes et femmes est intimement lié aux dynamiques familiales. C’est
pourquoi, dans le cadre de la prise en charge des victimes et des enfants exposés aux violences entre
partenaires, il est essentiel de travailler sur la non-violence et les relations égalitaires entre partenaires.
IV. Conclusion
L’exposition aux violences entre partenaires est désormais reconnue comme de la maltraitance infantile.
L’apprentissage des relations inégalitaires est une de ses conséquences et non des moindres puisque
l’intériorisation de l’inégalité entre hommes et femmes a des répercussions potentielles sur la vie affective,
sexuelle, sociale et professionnelle de ces futurs adultes. Alors que peut-on faire ? Deux pistes de réflexion
sont à envisager : le travail en réseau et la prise en charge spécifique des enfants exposés.
La prise en charge des violences intrafamiliales a plus de chance de porter ses fruits si elle repose sur un
travail à la fois pluridisciplinaire et spécialisé. En temps de crise, le réseau psycho-médico-social tout entier
doit se mobiliser afin d’accueillir les victimes adultes et enfants. Par la suite, un travail de fond doit
nécessairement avoir lieu pour permettre aux enfants exposés d’intégrer des modèles relationnels égalitaires.
Ce travail sert également de prévention à la répétition de la violence. Un enfant à qui l’on a appris à
reconnaitre les modèles égalitaires et qui les met en œuvre dans ses relations avec autrui est moins
susceptible de reproduire ou subir des violences dans sa vie affective et sexuelle future.
Un accompagnement de qualité des enfants participe à la lutte contre les violences intrafamiliales et prévient
l’apparition de nouvelles victimes.
De manière globale, l’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle en milieu scolaire (EVRAS) est un
moyen de favoriser les relations égalitaires. Ces animations visent aussi bien les enfants exposés aux
violences que ceux qui ne le sont pas et permettent ainsi à tous les jeunes d’être sensibilisés aux violences
intrafamiliales, notamment. C’est pour toutes ces raisons que nous aspirons au développement effectif d’une
politique globale en matière d’EVRAS.
18
Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, Op. Cit., p. 28.
Bibliographie
AÏT HMAD A., Violence conjugale et enfants : où en sommes-nous ?, Liège, C.V.F.E., septembre 2012.
AÏT HMAD A., Femmes, enfants, ados : les victimes de la violence conjugale, Liège, C.V.F.E., décembre 2009.
AÏT HMAD A., SIMOENS J.-L., Les enfants face à la violence conjugale. Réflexions sur le travail de l’équipe enfants
du refuge du CVFE, Liège, C.V.F.E., novembre 2006.
BASTARD B., Un conjoint violent est-il un mauvais parent ?, Bruxelles, Fédération Wallonie-Bruxelles de
Belgique, octobre 2013.
BASTARD B., PHILIPPE C., Entre protection de l’enfant et maintien des relations enfants-parents. L’intervention
sociale face aux violences conjugales, Note de synthèse, Paris, Observatoire National de l’Enfance en Danger,
2009.
KOWAL C., SIMOENS J.-L., Mon père s’appelle Barbe bleue, ma mère Cendrillon. Et pourtant, ma vie n’est pas un
conte de fée, Liège, C.V.F.E., octobre 2008.
SIMOENS J.-L., Le cycle de la violence, un outil d’intervention ciblée auprès des enfants exposés aux violences
conjugales, Liège, C.V.F.E., décembre 2011.
VASSELIER-NOVELLI C., HEIM C., “Les enfants victimes de violences conjugales”, Cahiers critiques de thérapie
familiale et de pratiques de réseaux, n°36, 2006, p. 185-207.
X., Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, Fédération Wallonie-Bruxelles de
Belgique, 2013.
X., Les enfants exposés aux violences conjugales en Bourgogne, P.F.O.S.S., octobre 2013.