Cours Phonologie Generale - 1

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SDL1 /Cours de Phonologie Générale 1/M.

Mouele/2024-2025

Département des Sciences du Langage

Licence 1

PHONOLOGIE GENERALE 1

Cours de M. Mouélé © 2024

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SDL1 /Cours de Phonologie Générale 1/M. Mouele/2024-2025

1. INTRODUCTION

La phonologie est l’une des composantes cardinales de la description linguistique


moderne. Elle est définie comme étant une « science qui étudie les sons du langage
du point de vue de leur fonction dans le système de communication linguistique » (J.
DUBOIS et alii, 2012 :362). Dans son Introduction à la phonologie, Joëlle TAMINE-
GARDES (1981 :40) précise qu’elle a pour « but d'identifier les unités phoniques
distinctives d'une langue, les phonèmes, et de les classer selon leur fonction. »

La discipline a ainsi pour domaine des objets nettement plus abstriats – les
phonèmes –, et les lois qui les régissent. Il importe donc, sur une base purement
méthodologique de la distinguer de la phonétique qui, elle, se préoccupe des sons
en tant que réalité physique. Reposant sur la même étymologie (étude des sons), les
deux disciplines sont souvent confondues. Dans l’histoire de la linguistique, la
phonologie a été établie comme science postérieurement à la phonétique et son
utilité est d’avoir reconnu le caractère distinctif ou oppositif des unités non-
significatives du discours. De nombreuses écoles et théories ont contribué à
l’évolution de la discipline au fil du temps. On retiendra toutefois que dans ses
principes généraux, l’approche phonologique d’une langue vise à mettre en évidence
les particularités d’organisation des sons qui remplissent une fonction distinctive
dans une langue donnée (d’où l’identification de la phonologie à une phonétique
fonctionnelle).

Selon A. MARTINET (2012 : 79), les unités phoniques, dans chaque langue, ont trois
fonctions fondamentales, à savoir :
(1) une fonction distinctive ou oppositive par laquelle un énoncé est susceptible de
s’opposer à un autre. Ex. cou/goût ;
(2) une fonction contrastive, laquelle facilite le repérage des unités successives
composant un énoncé (par exemple, l’accent tonique en français facilite l’analyse des
différents segments d’un énoncé) ;
(3) une fonction expressive par laquelle l’on est renseigné sur l’état d’esprit du
locuteur. (Ex. allongement de la consonne dans « trrrrès bien ! »).

La science phonologique est caractérisée par deux principales composantes qui


sont : la phonématique et la prosodie.

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La première a pour objet d’étude les phénomènes segmentaux :


- les phonèmes (toujours en nombre limité dans chaque langue) ;
- les traits distinctifs qui servent à opposer les phonèmes de la langue ;
- les règles utiles à la combinaison des phonèmes dans la chîne parlée.

L’autre composante étudie les phénomènes suprasegmentaux (tons, accent, durée,


intonation, etc.)

En plus de l’étude des unités segmentales et suprasegmentales pertinentes, la


phonologie prend également en charge la syllabe qui est aussi une unité abstraite
dans le système de chaque langue.

2. CONCEPTS DE BASE

2.1. Le phonème

« Un phonème est un segment phonique qui :


(a) a une fonction distinctive,
(b) est impossible à décomposer en une succession de segments
(c) n’est défini que par les caractères qui, en lui, ont valeur distinctive » (O.
DUCROT, 1972 :221).

2.2. Phonétique/phonologie

La phonétique et la phonologie sont deux domaines de la linguistique qui partage un


même objet d’étude qu’est le SON. Ainsi que l’écrit Paul-Michel FILIPPI (1995 :59) :
« le phonologue et le phonéticien analysent une même réalité ; ou plus exactement,
le phonologue ne peut ignorer la phonétique et le phonéticien la phonologie ».
Toutefois, bien qu’on relève une complémentarité entre les deux approches, il existe
des différences notables qui doivent nécessairement être prises en compte.

La phonétique intervient au niveau de la parole : les sons y sont envisagés comme


des phénomènes physiques observables dans le cadre de leur production
(phonétique articulatoire), de leur transmission (phonétique acoustique) et de leur
réception (phonétique perceptuelle). La description phonétique d’un son accorde de
l’importance aux variantes individuelles ou géographiques qui le particularisent mais
l’on ne tient nullement compte de la place qu’il occupe ou du rôle qu’il joue dans un
énoncé. On transcrit un segment phonique au moyen de signes phonétiques compris

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dans l’Alphabet Phonétique International (API) et cette représentation se fait


conventionnellement entre deux crochets [ ].

La phonologie, dans sa démarche, étudie les sons dans le cadre d’une langue bien
déterminée. Ceux-ci sont considérés comme des éléments fonctionnels « utilisés en
langue pour distinguer des unités qui ont, elles, un sens. » (J. TAMINE-GARDES,
1981 :41). Le son en phonologie appartient au système d’une langue donnée et sa
fonction systémique est d’assurer la distinction entre les unités de première
articulation. L’autre tâche assignée à la phonologie est donc la description des
systèmes constitués par ces éléments fonctionnels ainsi que les règles qui
expliquent leurs changements dans certains environnements phonétiques. La
transcription en phonologie est distincte de la transcription phonétique en ce que le
segment phonologique est présenté entre deux barres obliques / /.

La relation entre la phonétique et la phonologie a été caractérisée par Kenneth PIKE


(1947 :57) à travers cette formule bien savoureuse : « Phonetics gathers raw
material ; phonemics cooks it » (La phonétique rassemble des denrées crues ; la
phonologie les cuisine ».

2.3. Les dichotomies saussuriennes

A. L’opposition langue/parole

Cette distinction interprète en termes de fait collectif et de fait individuel. La langue


est une abstraction ; elle est manifestée concrètement par la parole. Chez
CHOMSKY, les deux termes correspondraient à ceux de compétence et de
performance. L’objet propre du linguiste selon SAUSSURE, est la langue. C’est au
niveau de ce système linguistique commun à une communauté donnée que se situe
la phonologie.

B. L’opposition synchronie/diachronie

« La description synchronique d’une langue (ou d’un objet quelconque) est la


description d’un état de cette langue (de cet objet) à un moment déterminé. Par
exemple, les francophones pratiquent leur langue en un lieu et en un temps donné,
sans avoir à se soucier, pour communiqier entre eux, du passé du français, ni de son
avenir. Le système qui rend possible leur parole est donc une grammaire ne

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comportant aucune considération historique. Et l’on peut élaborer en partant de lui un


modèle purement synchronique.

La description diachronique d’une langue (ou d’un objet quelconque) est la


description de la dynamique de cette langue (objet) dans le temps.

Mais ici encore, il y a interaction entre les deux pôles de l’opposition. Une langue
peut certes être « photographiée » à un moment donné tà de son existence, comme
un système totalement autonome. Cependant, ce système est toujours instable ; il
est fait de tendances qui se combattent, des tensions, de déséquilibres. Or, ces
tensions, descriptibles en synchronies, sont génératrices d’évolution : une des
tendances observées en t0 peut prévaloir en t1 et donc figurer dans la nouvelle
description synchronique que l’on peut élaborer de ce moment. Une description
diachronique d’une langue doit donc souvent se fonder sur ce que l’on a pu observer
des tensions qui s’y sont manifestées à un moment de son évolution : elle doit tenir
compte de la description synchronique que l’on a fait en ce moment. De l’autre côté,
la description synchronique met parfois en évidence des faits qu’elle est impuissante
à expliquer, et qu’éclaire parfois la description diachronique » (J. M. KLINKENBERG,
1994 :23).

C. L’opposition rapports paradigmatiques/rapports syntagmatiques

« (…) la distinction entre les rapports syntagmatiques et les rapports associatifs


permet de caractériser les relations qu’entretiennent les unités linguistiques entre
elles. Les rapports syntagmatiques sont ceux entretenus par des termes successifs
dans la chaîne parlée : re et lire dans relire, beau et temps dans beau temps, [p] et [r]
dans prune, etc. Les rapports associatifs, plus couramment appelés
paradigmatiques, associent des termes mutuellement exclusifs à un même point de
la chaîne parlée. Dans la chaîne il fait beau temps, beau est en rapport
paradigmatique avec mauvais. Dans prune, p est en rapport paradigmatique (ou en
opposition) avec b (brune), etc. (…) La phonologie a fait sien le concept de rapport
paradigmatique, qui est, sous le nom d’opposition, à la base de la définition même du
phonème » (J. L. DUCHET, 1986 :19).

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3. ECOLES ET THEORIES PHONOLOGIQUES

La phonologie dans son acception contemporaine est une discipline qui s’est nourrie
de plusieurs apports. Les écoles et les théories les plus représentatives qui ont
contribué à son essor sont les suivantes :

3.1. Le saussurisme

Par saussurisme, on entend les développements multiformes qui sont nés dans le
domaine de la linguiste à partir des thèses radicales de Ferdinand de SAUSSURE
contenues dans le ours de linguistique générale, œuvre fondatrice de la linguistique
moderne. La pensée saussurienne repose sur un postulat rétentissant qui définit la
langue comme un système de signes. Ceci a été une rupture avec la conception
aristotélicienne du langage qui a prévalue jusque là dans le monde occidentale.
Concernant la phonologie, SAUSSURE ne s’est pas écarté de l’idée dominante en
son temps selon laquelle cette discipline n’était qu’une « simple étude des sons du
langage humain ». A défaut d’avoir inventé la phonologie dans sa conception
moderne, SAUSSURE a néanmoins « ouvert la voie que les phonologues de l’Ecole
de Prague ont fini par emprunter » (J. L. DUCHET, 1986 :20).

3.2. Le structuralisme

Le structuralisme est une théorie linguistique qui tire son nom de l’étude des langues
en tant que structures. On cite toujours Ferdinand de SAUSSURE comme étant le
précurseur qui a jeté de cette théorie alors que dans ses travaux, il n’a jamais utilisé
le mot structure pour caractériser la langue, affirmant plutôt que celle-ci est un
système. Selon J. DUBOIS et alii (2012 :443) « le terme structuralisme s’est appliqué
et s’applique à des écoles linguistiques assez différentes. Ce mot est utilisé parfois
pour désigner l’une d’entre elles, parfois pour en désigner plusieurs, parfois pour les
désigner toutes. » En s’appuyant sur des postulats solidement établis comme les
distinctions synchronie/diachronie, langue/parole, forme/substance, etc., le
structuralisme a conféré à la linguistique l’éminent statut de science des langues. Il
existe par contre des divergences importantes qui ont conduit cette école de pensée
à éclater en plusieurs obédiences que l’on peut regrouper en deux blocs : l’école
structurale européenne et l’école structurale nord-américaine.

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3.3. L’école structurale européenne

3.3.1. Le cercle linguistique de Prague

Appelé également Ecole de Prague, le cercle linguistique de Prague fut créé en


1915. Il a rassemblé un panel de linguistes parmi lesquels se sont illustrés R.
JAKOBSON, S. KARTSEVSKI, N. ROUBETZKOY. Ce sont eux qui furent les
signataires de la Proposition 22, reconnue comme acte de naissance officiel de la
phonologie, au 1er congrès international des linguistes à La Haye en avril 1928. Les
théories phonologiques élaborés par le cercle linguistique de Prague ont été publiées
par N. S. TROUBETZKOY dans son ouvrage culte intitulé Principes de phonologie
paru en 1939.

3.3.2. Le fonctionnalisme

Le fonctionnalisme occupe une place importante dans le paysage de la linguistique


contemporaine. Le principe qui le définit est celui de la fonction des unités
linguistiques, l’accent étant mis sur la fonction se rapportant à la communication. Les
figures marquante du fonctionnalisme sont A. MARTINET et R. JAKOBSON, deux
continuateurs de l’Ecole de Prague. A. MARTINET introduisit la phonologie en
France, enrichissant la discipline avec des concepts fondamentaux comme la double
articulation. Pour sa part, R. JAKOBSON affirma fortement (parfois en s’opposant à
MARTINET) l’existence des universaux phonologiques et le binarisme des traits
distinctifs. En dehors de la phonologie, son nom est associé à la définition des
fonctions du langage.

3.3.3. La glossématique

La glossématique a été fondée par Louis HJELMSLEV, un linguiste danois. Elle se


veut un prolongement du structuralisme saussurien. La théorie s’attache à étudier
rigoureusement la langue en privilégiant la forme au détriment de la substance. Son
autre originalité est l’adoption d’une terminologie grandiloquente fondée sur une
multiplicité de néologismes.

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3.4. L’école structurale nord-américaine : le distributionnalisme

Le distributionnalisme est né aux États-Unis à partir des travaux de Leonard


BLOOMFIELD et de son disciple Zellig HARRIS. Il repose sur deux notions
essentielles qui sont : la distribution des unités linguistiques et les constituants
immédiats. Pour les distributionnalistes, une analyse objective des langues vise à
établir la structure en s’appuyant sur des énoncés réalisés. Ceux-ci sont par la suite
décomposés en constituants immédiats. La recherche des régularités pour chaque
unité suppose la prise en compte de son environnement qui, in fine, sert à définir sa
distribution. « Le regroupement des distributions des éléments aboutit à
l’établissement de classes distributionnelles : les phonèmes ne sont pas définis selon
des critères phonétiques, mais d’après leurs combinaisons et les restrictions de ces
combinaisons » (J. DUBOIS et alii, 2012 :157).

3.5. LES AUTRES RECHERCHES REMARQUABLES

3.5.1. La phonologie générative

La phonologie générative est, aux côtés de la syntaxe et de la sémantique, une


composante de la grammaire générative développée par N. CHOMSKY et M. HALL
en réaction au structuralisme. La théorie réfute la dichotomie langue/parole formulée
par SAUSSURE et propose à la place l’opposition compétence/performance. Les La
composante phonologique a comme outils théoriques : les représentations linéaires
(matrices de traits distinctifs) et des processus (règles contextuelles/contraintes et
règles non contextuelles) ; à l’aide de ces procédés, elle génère le passage
automatique d’une représentation syntaxique à une représentation phonétique. Le
processus peut se schématiser ainsi qu’il suit :

Syntaxe ((Vous)GN (écriviez)GV)

Phonologie /##vuz#ekr̥iv+iez##/

phonétique [vuzekr̥ivje]

On note que pour passer de la représentation phonologique au niveau phonétique,


l’énoncé subit trois modifications :

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1/ le dévoisement de /r/
2/ le regroupement de /i+ez/
3/ l’effacement du /z/ final

Chaque modification est réalisée par une règle. Les tenants et aboutissants de la
théorie ont été exposés par les auteurs dans un ouvrage paru en 1968 et intitulé
Sound Patterns of English.

3.5.2. Les phonologies post-générative

Le foisonnement de la réflexion suite aux perspectives ouvertes par le courant


générativiste a donné naissance à des nouvelles approches en phonologie. Il s’agit
des modèles dits post-SPE représentés par :

– la phonologie autosegmentale (GOLDSMITH, WILLIAMS)


– la phonologie squelettale (KAHN, CLEMENTS et KEYSER)
– la géométrie des traits (CLEMENTS).

4. LES COMPOSANTES DE LA PHONOLOGIE

4.1. La phonématique

La phonématique est l’un des domaines qui organise la phonologie. Elle a pour objet
les phonèmes de la langue. Elle se préoccupe également des traits distinctifs
assurant la distinction des différents phonèmes et les règles régissant la combinaison
de ces unités dans la chaîne parlée.

4.1.1. Identification des phonèmes

Cette opération commence avec l’établissement d’un corpus, c’est-à-dire une


certaine quantité de données observables recueillies auprès des sujets parlants. Le
corpus doit contenir des énoncés transcrit en API. La transcription phonétique,
comme l’indique J. L. DUCHET (1986 :48), est le point de départ du phonologue. Au
début de son travail, il se doit d’être un phonéticien avisé. Pour être fiable, le corpus
doit refléter la réalité de la langue et être représentatif en respectant les structures
langagières. Ensuite, à l’effet de faire ressortir des oppositions qui peuvent être

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d'ordre syntagmatique ou d'ordre paradigmatique on fait recours à sur deux


procédures : la segmentation et la commutation.

A. La segmentation

En présence d’un énoncé, la segmentation consiste à le découper en unités


significatives. On divise celles-ci, par la suite, en unités non significatives. Cette
procédure fait ressortir les unités selon les rapports syntagmatiques qu'elles
entretiennent. La segmentation intervient avant la commutation dont elle est
indissociable.

En français, par exemple, la segmentation du morphème gâteau /gato/ donne les


unités non significatives suivantes : g/a/t/o

B. La commutation

La commutation est la procédure qui permet de manifester les oppositions des unités
phoniques. Il s’agit de remplacer un son par un autre sur l'axe paradigmatique afin
d'identifier les phonèmes qui constitutif d’un énoncé. Quand la commutation
occasionne une différence de signification, on dira que le son mis en opposition est
un phonème.

En reprenant l’exemple de gâteau /gato/, en commutant la première consonne [g]


par [b], on obtient : /bato/. Il y a une différence entre les sons [g] et [b] et leur
substitution a entraîné un changement de signification. On en conclut que ces
consonnes sont deux phonèmes différents, donc deux unités distinctives qui forment
une opposition distinctive. Celle-ci a permis de distinguer les paires /gato/ ≠ /bato/,
ces deux unités significatives forment en définitive une paire minimale. La fonction
distinctive du phonème est clairement manifestée.

4.1.2. Les traits distinctifs

Les traits distinctifs qui opposent les phonèmes d’une langue constituent l’autre objet
d’étude en phonématique. Suivant J. DUBOIS et alii (2012 :489), on retiendra qu’ils
« constituent les composantes phoniques minimales à valeur distinctive, ou unités
distinctives simultanées dans lesquelles peut être analysé un phonème. Le phonème
peut être défini comme un faisceau de traits distinctifs. Ce n’est donc pas le
phonème mais le trait qui constitue l’unité de base de la phonologie. Les trais définis

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une fois pour toutes sont valables pour la descriptions des unités phoniques de
n’importe quelle langue car leur inventaire détermine l’ensemble des possibilités
articulatoires, acoustiques, neurologiques et auditives que l’être humain peut utiliser
à des fins linguistiques. On admet avec R. JAKOBSON que les traits pertinents sont
tous binaires, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent prendre que deux valeurs distinctes
représentées par les traits + et –. L’auditeur extrait du signal les unités discrètes que
sont les phonèmes qu’il perçoit en termes de traits distinctifs. L’identification
perceptive de chaque trait est opéré par la prise en parole organisé hiérarchiquement
sur le plan de la perception. »

Afin donc d’assurer sa fonction distinctive, tout phonème se caractérise par un petit
nombre de traits distinctifs. On note ainsi en français, par exemple, que le phonème
/p/ est identifiable au moyen de deux traits, notamment le trait bilabial et le trait non-
voisé, or il faut quatre traits pour le décrire phonétiquement, soit : occlusif, bilabial,
non-voisé et oral.

4.1.3. La distribution des unités phonologiques

Dans la mesure où ils sont en relation sur l’axe syntagmatique (successif), les
phonèmes manifestent des combinaisons contextuelles. Ils peuvent ainsi apparaître
dans différents contextes (positions initiale, médiane, finale, etc.). La distribution est
donc l’ensemble des contextes ou environnements dans lesquels l’unité
phonologique apparaît. En prenant l’exemple du phonème /t/ dans les mots étau
/eto/, taux /to/ et ôte /ot/, on a comme distribution :

Elément de gauche Phonème étudié Elément de droite


Position initiale # ─ o
Position médiane e ─ o
Position finale o ─ #

On note que la première ligne de la distribution fait état du phonème /t/ dans la
séquence /to/ ; la deuxième ligne renvoie à /eto/ et la dernière ligne, à /ot/. Par
convention, le son étudié est signalé par le tiret " ─ " ; le dièse " # " indique l’absence
de segment dans un contexte.

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La distribution révèle l’instabilité des phonèmes dans certains environnements


phonémiques ou morphémiques. Sur cette base, on peut les caractériser avec trois
statuts phonologiques différents, à savoir : le phonème, l’allophone et
l’archiphonème.

A. Le phonème

Le statut phonologique d’un son est établi lorsque sa commutation avec un autre son
dans le même contexte produit des unités d’un sens différent. Ce cas de figure est
illustré avec des exemples tirés du corpus français ci-après :

Il donne lieu à la transcription suivante :

En recherchant les paires minimales dans le corpus, nous trouvons :

/pjɛR/ # /bjɛR/, /pu/ # /bu/, /paR/ # /baR/, /pyl/ # /byl/, /pRɛ/ # /bRɛ/, /pɔl/ # /bɔl/.
Ces six paires minimales permettent l’identification de /p/ et /b/ comme étant deux
phonèmes différents.

B. Les allophones

Un allophone, appelé aussi variante phonique, est la réalisation d’un phonème dans
un environnement précis. Un phonème peut avoir plusieurs allophones. Ces
réalisations se répartissent en deux catégories : les variantes libres et les variantes
combinatoires.

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C. Les variantes libres

La variation libre a lieu lorsque la commutation de deux phonèmes dans le même


environnement phonématique n’occasionne pas une différence dans le sens du mot,
on conclura alors que les deux phonèmes sont des variantes libres d'un même et
unique phonème. Par exemple, en français de parisien, l’énoncé « il est brun » se
prononce, soit [ilebRœ̃], soit [ilebRɛ͂]. [œ̃] et [ɛ͂] sont à considérer comme des
variantes phoniques libres du même phonème /œ̃/. Leur emploi dans le même
contexte n’occasionne aucune différence de signification.

D. Les variantes combinatoires

On parle de variantes combinatoires ou contextuelles, lorsque des sons distincts


n’apparaissent jamais dans les mêmes contextes. Ils sont alors en distribution
complémentaire. Le corpus du français québécois ci-après illustre cette situation en
montrant la distribution complémentaire des consonnes occlusives et de leurs
affriquées.

En analysant le corpus ci-dessus, on ne relève aucune paire minimale et la


distribution des consonnes [t, ts, d, dz] se présente comme ceci :

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[ts] dans les mots suivants: petit, tiroir, tiens, tuer


[t] dans les mots suivants: terre, tâche, tout, planteur, torche
[dz] dans les mots suivants: dur, diable
[d] ailleurs

Nous pouvons affirmer en définitive que nous sommes en présence d’un seul
phonème et de deux variantes contextuelles en distribution complémentaire. Les
variantes affriquées des occlusives sourdes apparaissent devant les voyelles
fermées antérieures non-arrondies et arrondies et devant les semi-voyelles
correspondantes. On peut ainsi formuler la règle comme il suit :

E. Archiphonème et neutralisation

L’archiphonème est une unité abstraite possédant les particularités distinctives de


deux phonèmes opposables mais qui, dans certains environnements, connaissent la
perte ou neutralisation de l’opposition. Exemple : en français contemporain,
l’opposition ± fermée est neutralisée dans marée [maRe] et marais [maRɛ]. Il reste
les traits : +voc, +oral, -arrondi. On note par la majuscule /E/, l’archiphonème qui est
le résultat de la neutralisation de deux phonèmes ; on ne retient dans la liste des
traits pertinents que ceux qui sont communs aux deux phonèmes neutralisés.

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.4.2. La prosodie

La prosodie est l’autre composante de la phonologie qui s’occupe des propriétés


prosodiques ou suprasegmentales dans une langue donnée. Les faits qu’elle prend
en compte sont : le ton, l’accent, la durée, l’intonation.

4.2.1. Le ton

Les tons sont des variations de la hauteur mélodique affectant des syllabes et que de
nombreuses langues dans le monde utilisent à des fins distinctives. Ils jouent au
niveau suprasegmental le même rôle que les phonèmes au plan segmental. Au vu
de leur fonctionnement oppositionnel, ils sont désignés par le terme tonème en
phonologie. Dans les systèmes tonals des langues, on distingue des tons simples et
des tons complexes.

A. Les tons simples

Il s’agit des tons bas, haut et moyen. On les note avec :


- l’accent grave pour le ton bas /v̀/
- l’accent aigu pour le ton haut /v́/
- le trait horizontal placé au-dessus de la voyelle pour le ton moyen /v̄/
Exemples :
/mwànà/ enfant (en gévia)
/tsósó/ poule (en gevove)
/íyɔ́lɛ̄/ pouvoir (en benga)

B. Les tons complexes

Cette catégorie est représentée généralement par les tons descendants et les tons
montants. Ils sont notés par :
- l’accent circonflexe pour le ton descendant /v̂/
- l’accent antiflexe pour le ton montant /v̌/
Exemples :
/mbɔ̂/ bras (en saké)
/díkɔ̌ŋ/ lance (en seki).

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4.2.2. L’accent

L’accent désigne la force avec laquelle on prononce une ou plusieurs syllabe dans
un énoncé. Dans les langues africaines, en général, il n’a pas de rôle distinctif et sa
perception n’est pas évidente à cause de l’importance des tons. En revanche, on
note que l'accent a une fonction démarcative en français par exemple. Il s’emploie
pour isoler des éléments dans une phrase, soit la plupart du temps des unités de
sens ou des groupes syntaxiques, comme à la fin du groupe nominal sujet (-teau,
bleu, rouge) dans les exemples ci-dessous):
Le bébé mange un gâteau
Le bébé mange un gâteau avec un bonbon.

A la différence du français, la langue anglaise utilise l’accent lexical à des fins


distinctives. On peut ainsi opposer deux mots par la présence d’un accent sur une
syllabe différente. Par exemple :
subject(n) ~ subject(v) / objet(n) ~ object(v) / record(n) ~ record(v)
En anglais, il est même possible de faire une distinction entre certains mots
composés:

• a greenhouse (une serre) ~ a green house (une maison verte)


• a blackbird (un merle) ~ a black bird (un oiseau noir)

4.2.3. La durée

La durée ou quantité vocalique est l’allongement qui affecte la prononciation d’un son
souvent vocalique. On note la durée en mettant deux points à la suite de la voyelle
concernée ou en la doublant carrément (/v:/ ou /vv/). La durée est un phénomène
courant dans toutes les langues, cependant, certaines d’entre elles l’utilisent
phonologiquement pour distinguer les mots.
Exemples : /màtààngí/ lits # /màtàngí/ gouttes (en wanzi).

4.2.4. L'intonation

« L’intonation est la courbe mélodique qui accompagne l’ensemble d’un énoncé


jusqu’à son terme, qui est précisement marqué par une chute de la hauteur de la
voix. On peut considérér comme distinctive l’oppositionentre intonation montante et

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intonationdescendante en français parlé dans des phrases telles que :


il vient ?
il vient. » (J. L. DUCHET, 1986/106).

5. LA NOTION DE SYSTÈME PHONOLOGIQUE

L’analyse phonologique d’une langue doit évidemment comporter l’étude et la


description du système. Pour toute langue, le système phonologique est construit en
récapitulant sous forme de tableau l’ensemble des unités dont la pertinence a été
établie à partir des oppositions. En phonologie, seuls les traits pertinents comptent
alors qu’en phonétique il est recommandé de restituer tous les traits qui permettent
de décrire un segment. Lorsque l’analyse est bien menée, on obtient toujours un
système phonologique beaucoup plus restreint par rapport au système phonétique.
On prendra soin de toujours distinguer les systèmes des voyelles du système des
consonnes. Dans les tableaux de visualisations phonologiques, les phonèmes
partageant le même lieu d’articulation à l’intérieur d’une colonne forment ce qu’on
appelle un ordre. Ainsi dans le tableau des occlusives ci-dessous, /p/, /b/ et /m/
constituent à eux trois, l’ordre des bilabiales ; à l’opposé, quand des unités sont
rangées sur la même ligne, elles forment une série. Par exemple, /b/, /d/ et /g/
appartiennent à la série des voisées. La distinction des ordres et séries pour les
systèmes vocaliques et consonantiques se présente comme suit :

(a) voyelles :
Ordre : groupement de phonèmes selon leur degré d’aperture
Série : groupement de phonèmes selon leur point d’articulation

(b) consonnes :
Ordre : groupement de phonèmes selon leur point d’articulation
Série : groupement de phonèmes selon leur mode articulatoire

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Tableau des occlusives du français (LEON, 1992 :68)

En prenant par exemple le système des consonnes occlusives du français dans le


tableau ci-dessus, nous observons que la série (suite de sons horizontale, même
mode d’articulation) des occlusives sourdes /p, t, k/ s’oppose à celle des occlusives
sonores /b, d, g/ par le trait de sonorité. De même la série des consonnes nasales
s’oppose aux autres occlusives voisées par le trait de nasalité. Elles s’opposent aux
consonnes occlusives non voisées par deux traits distinctifs, soit sonorité et nasalité.

Tableau des fricatives du français (Léon 1992 :68)

Les phonèmes de la série des fricatives sourdes s’opposent aux fricatives sonores
par le trait de sonorité (seule corrélation).

Le phonème /R/ est en hors corrélation, ne s'opposant à aucun autre phonème non
voisé. De ces comparaisons des diverses séries et ordres dans le système
consonantique français, retenons que:

• plus le système a de corrélations


• moins le système a de phonèmes non intégrés (dans les corrélations)
• moins nous avons besoin de traits pertinents pour décrire le système

Plus un système est stable et, par le fait même, il a moins de chances de perdre des
oppositions.

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6. LA STRUCTURE SYLLABIQUE (selon la conception de la phonologie


générative multilinéaire)

La structure syllabique est une unité regroupant les phonèmes. Elle comporte
obligatoirement une voyelle, et, le plus souvent, une ou plusieurs consonnes. La
syllabe peut être divisée en unités plus petites : l’attaque et la rime. L’attaque est la
consonne ou le groupe de consonnes initial de la syllabe ; la rime est constituée par
l’ensemble des phonèmes qui suivent. Quand une syllabe se termine par voyelle
prononcée, on dit qu’elle est ouverte et, quand elle se termine par une consonne
prononcée, on parle de syllabe fermée. Son organisation, cependant, est différente
selon les langues.

Un regain d’intérêt pour la syllabe, objet qu’ils avaient longtemps négligé, a conduit
les théoriciens de la phonologie générative a élaboré un modèle approprié pour son
étude qui a fini par s’imposer. Suivant cette conception, la syllabe est décomposable
en quatre constituants : l’attaque (A), la rime (R), le noyau (N) et la coda (C).

Il est à noter que le seul élément essentiel de la syllabe est le noyau (une voyelle)

Ex. : « Jean a une pomme. » / « Paul y va. »

Ce noyau peut être précédé d’une consonne (C) qui forme l’attaque (« A » dans les
figures ci-dessous) :
Ex. : Je veux la paix !

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Ces structures deviennent à leur tour des syllabes. Les attaques peuvent même se
complexifier pour contenir deux éléments ou plus :
Ex. : « Brutus prend la brosse. »
Ou : « Pierre fuit. »

Il est intéressant de remarquer que certaines combinaisons de consonnes seulement


sont permises en attaque de syllabe. Par exemple, dans le tableau suivant, les
combinaisons de la colonne de gauche sont impossibles (indiquées par l’astérisque «
* ») alors que celles de la colonne de droite sont permises :

Finalement, nous pouvons avoir une coda qui se trouve à la droite du noyau de la
syllabe, comme dans le mot « Brutus » et « brosse » de l’exemple précédent :
Ex. : « Brutus prend la brosse. »

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Dans les visualisations précédentes, il y a deux mots qui ont une coda, symbolisée
dans les structures par un C dans la figure suivante:

Tout comme pour les attaques, il est possible d'avoir une combinaison de deux
consonnes en position coda. Encore une fois, ce n’est pas toutes les combinaisons
de consonnes qui peuvent prendre la place de la coda.

De cette construction théorique de la syllabe, nous pouvons tirer quelques règles :

• Le noyau ne peut être qu’une voyelle


• L’attaque et la coda ne peuvent être que des consonnes (ou des semi-consonnes)
• Seulement certaines combinaisons de consonnes sont permises en position
d’attaque ou de coda
• Ces règles peuvent être différentes d’une langue à l’autre (par exemple la suite /ps/
est permise en début de mot en français mais non en anglais.

7. LA MORPHOPHONOLOGIE

N. TROUBETZKOÏ écrivait en 1939 que la morphophonologie est « l’étude de


l’emploi en morphologie des moyens phonologiques d’une langue ».

L’approche morphophonologique suggère qu’en plus des niveaux phonétique et


phonologique, il existe un troisième niveau d’abstraction qui traite au plan structurel
des unités auxquelles on donne le nom de morphophonèmes.

Ce niveau d’analyse a pour utilité d’expliquer, dans le cadre d’une description


synchronique, les changements ou alternances subis par des unités phonologiques
dans le processus de formation des mots (unités significatives ou morphèmes). Elle
se charge ainsi d’analyser :
a) la manière dont les phonèmes sont organisés dans les morphèmes ;

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b) les modifications combinatoires dans les groupes des unités significatives ;


c) les variations phoniques ayant une fonction morphologique.

Les relations d’alternances constatées sont expliquées au moyen des règles


morphophonologiques ou règles de représentation. Dans une langue bantu comme
le ciluba, on remarque que les voyelles brèves alternent systématiquement avec les
voyelles longues devant consonne semi-nasale :
/dilonga/ → °dilo:nga (assiette)
/cyambilu/ → °cya:mbilu (phrase)
/cilunga/ → °cilu:nga (patate douce)

La morphophonologie est clairement mise à l’honneur dans de nombreux travaux de


linguistique descriptive. Toutefois, des théoriciens tels que A. MARTINET (2012 :113)
appelle à l’écarter, ne lui reconnaissant aucun rapport avec la phonologie.

BIBLIOGRAPHIE

DUBOIS, J. et alii (2012), Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage.


Paris : Larousse, (rééd).

DUCHET, J.-L. (1986), La phonologie. Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? », (rééd).

DUCROT, O. & TODOROV, T. (1972), Dictionnaire encyclopédique des sciences du


langage. Paris : Seuil, coll. « points ».

FILIPPI, P.-M. (1995), Initiation à la linguistique et aux sciences du langage. Paris :


Ellipses.

KLINKENBERG, J.-M. (1994), Des langues romanes. Louvain-la-Neuve : Duculot.

MARTINET, A. (2012), Eléments de linguistique générale. Paris : Armand Colin,


(rééd).

PIKE, K. (1961), Phonemics. Ann Arbor : The University of Michigan Press.

SAUSSURE (de), F. (1980), Cours de linguistique générale. Paris : Payot, (rééd).

TAMINE-GARDES, J. (1981), « Introduction à la phonologie ». In: L'Information


Grammaticale, N. 8, pp. 40-44.

TROUBETZKOY, N. S. (1964), Principes de phonologie. Paris : Klincksieck, (rééd).

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