Poésie Fin Xvi-Xvii Et Théophile de Viau

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Tendances poétiques fin XVIe- début XVIIe

1. Malherbe et les malherbiens Ne renouvelle au tien ?

Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle : Par qui sont aujourd’huy tant de villes desertes,
C'est une œuvre où Nature a fait tous ses efforts, Tant de grands bastimens en masures changez,
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors, Et de tant de chardons les campagnes couvertes,
S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle. Que par ces enragez ?

La clarté de son teint n'est pas chose mortelle : Les sceptres devant eux n’ont point de privileges,
Le baume est dans sa bouche et les roses dehors ; Les immortels eux-mesme en sont persecutez ;
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts, Et c’est aux plus saints lieux que leurs mains sacrileges
Font plus d’impietez.
Et l'art n'égale point sa douceur naturelle.
Marche, va les détruire, éteins-en la semence,
La blancheur de sa gorge éblouit les regards ;
Et suy jusqu’à leur fin ton courroux genereux,
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards, Sans jamais écouter ny pitié ny clemence
Et la fait reconnaître un miracle visible. Qui te parle pour eux.

En ce nombre infini de grâces et d'appas, Ils ont beau vers le ciel leurs murailles accroistre,
Qu'en dis-tu, ma raison ? crois-tu qu'il soit possible Beau d’un soin assidu travailler à leurs forts,
D'avoir du jugement, et ne l'adorer pas ? Et creuser leurs fossez jusqu’à faire paroistre
Le jour entre les morts.
François de Malherbe (1620)

ODE IX.
Laisse-les esperer, laisse-les entreprendre :
POUR LE ROY [LOUIS XIII]
Il suffit que ta cause est la cause de Dieu,
allant chastier la rebellion des rochelois
Et qu’avecque ton bras ell’ a pour la deffendre
et chasser les anglois
Les soings de Richelieu :
qui, en leur faveur, estoient descendus
en l’isle de ré (1628) MALHERBE Richelieu, ce prelat de qui toute l’envie
Est de voir ta grandeur aux Indes se borner.
Donc un nouveau labeur à tes armes s’appreste ; Et qui visiblement ne fait cas de sa vie
Pren ta foudre, Loüis, et va, comm’ un lion, Que pour te la donner.
Donner le dernier coup à la derniere teste
De la rebellion. Rien que ton interest n’occupe sa pensée,
Nuls divertissemens ne l’appellent ailleurs ;
Fay choir en sacrifice au demon de la France Et, de quelques bons yeux qu’on ait vanté Lyncée,
Les fronts trop élevez de ces ames d’enfer, Il en a de meilleurs.
Et n’épargne contre eux, pour notre delivrance,
Ny le feu ny le fer. Son ame, toute grande, est une ame hardie,
Qui pratique si bien l’art de nous secourir
Assez de leurs complots l’infidelle malice Que, pourveu qu’il soit creu, nous n’avons maladie
A nourry le desordre et la sedition ; Qu’il ne sçache guerir.
Quitte le nom de Juste, ou fay voir ta justice
En leur punition. Le Ciel, qui doit le bien selon qu’on le merite,
Si de ce grand oracle il ne t’eust assisté,
Par un autre present n’eust jamais esté quitte
Le centiéme decembre a les plaines ternies, Envers ta pieté.
Et le centiéme avril les a peintes de fleurs,
Depuis que parmi nous leurs brutales manies Va, ne differe plus tes bonnes destinées ;
Ne causent que des pleurs. Mon Apollon t’asseure et t’engage sa foy
Qu’employant ce Typhis, syrtes et cyanées
Dans toutes les fureurs des siecles de tes peres, Seront havres pour toy.
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien
Que l’inhumanité de ces coeurs de viperes

1
Certes, ou je me trompe, ou déja la Victoire Neptune, importuné de ses voiles infames,
Qui son plus grand honneur de tes palmes attent, Comme tu paroistras au passage des flots,
Est aux bords de Charente en son habit de gloire, Voudra que ses Tritons mettent la main aux rames,
Pour te rendre content. Et soient tes matelots.

Je la voy qui t’appelle, et qui semble te dire :


« Roy, le plus grand des rois, et qui m’es le plus cher, Là rendront tes guerriers tant de sortes de preuves,
Si tu veux que je t’aide à sauver ton empire, Et d’une telle ardeur pousseront leurs efforts,
Il est temps de marcher. » Que le sang estranger fera monter nos fleuves
Au-dessus de leurs bords.
Que sa façon est brave et sa mine asseurée !
Qu’elle a fait richement son armure étoffer ! Par cet exploit fatal en tous lieux va renaistre
Et qu’il se cognoist bien, à la voir si parée, La bonne opinion des courages françois ;
Que tu vas triompher ! Et le monde croira, s’il doit avoir un maistre,
Qu’il faut que tu le sois.
Telle, en ce grand assaut où des fils de la Terre
La rage ambitieuse à leur honte parut, Ô que, pour avoir part en si belle avanture,
Elle sauva, le ciel, et rua le tonnerre Je me souhaiterais la fortune d’Eson,
Dont Briare mourut. Qui, vieil comme je suis, revint contre nature
En sa jeune saison !
Déja de tous costez s’avançoient les approches ;
Icy courait Mimas, là Typhon se battoit, De quel peril extreme est la guerre suivie,
Et là suoit Euryte à détacher les roches Où je ne fisse voir que tout l’or du Levant
Qu’Encelade jettoit. N’a rien que je compare aux honneurs d’une vie
Perdue en te servant ?
A peine cette vierge eut l’affaire embrassée.
Qu’aussi-tost Jupiter, en son trosne remis, Toutes les autres morts n’ont merite ny marque :
Vit, selon son desir, la tempeste cessée, Celle-ci porte seule un éclat radieux
Et n’eut plus d’ennemis. Qui fait revivre l’homme, et le met de la barque
A la table des dieux.

Ces colosses d’orgueil furent tous mis en poudre, Mais quoy ! tous les pensers dont les ames bien nées
Et tous couverts des monts qu’ils avoient arrachez ; Excitent leur valeur et flattent leur devoir,
Phlegre, qui les receut, pût encore la foudre Que sont-ce que regrets, quand le nombre d’années
Dont ils furent touchez. Leur oste le pouvoir ?

L’exemple de leur race, à jamais abolie, Ceux à qui la chaleur ne bout plus dans les veines
Devoit sous ta mercy tes rebelles ployer ; En vain dans les combats ont des soins diligens ;
Mais seroit-ce raison qu’une mesme folie Mars est comme l’Amour : ses travaux et ses peines
N’eust pas mesme loyer ? Veulent de jeunes gens.

Déja l’étonnement leur fait la couleur blesme, Je suis vaincu du temps, je cede à ses outrages ;
Et ce lasche voisin qu’ils sont allé querir, Mon esprit seulement, exempt de sa rigueur,
Miserable qu’il est, se condamne luy-mesme A de quoy témoigner en ses derniers ouvrages
A fuïr ou mourir. Sa premiere vigueur.

Sa faute le remord : Megere le regarde, Les puissantes faveurs dont Parnasse m’honore
Et luy porte l’esprit à ce vray sentiment, Non loin de mon berceau commencerent leur cours ;
Que d’une injuste offense il aura, quoy qu’il tarde, Je les posseday jeune, et les possede encore
Le juste chastiment. A la fin de mes jours.

Bien semble estre la mer une barre assez forte Ce que j’en ay receu, je veux te le produire ;
Pour nous oster l’espoir qu’il puisse estre battu ; Tu verras mon adresse, et ton front, cette fois,
Mais est-il rien de clos dont ne t’ouvre la porte Sera ceint de rayons qu’on ne vit jamais luire
Ton heur et ta vertu ? Sur la teste des rois.

2
Mais l'abondance d'eau peut amortir la flamme.
Soit que de tes lauriers ma lyre s’entretienne,
Soit que de tes bontez je la face parler, Je tromperai l'enfant, car pensant m'embraser,
Quel rival assez vain pretendra que la sienne Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m'enflamme
Ait de quoy m’égaler ? Qu'il noiera sa fournaise au lieu de l'arroser.

Le fameux Amphion, dont la voix nompareille, Agrippa d’Aubigné


Bastissant une ville, étonna l’univers,
Quelque bruit qu’il ait eu, n’a point fait de merveille 3. Poésie satirique et licencieuse
Que ne facent mes vers.
Un œil de chat huant, des cheveux serpentins,
Une trogne rustique à prendre des copies,
Par eux de tes beaux faits la terre sera pleine,
Un nez qui au mois d'août distille les roupies.
Et les peuples du Nil, qui les auront ouïs,
Donneront de l’encens, comme ceux de la Seine, Un rire sardonien à charmer les lutins ;
Aux autels de Louis.
Une bouche en triangle, où comme à ces matins
2. La poésie néo-pétrarquiste Hors œuvre on voit pousser de longues dents
pourries,
Quand j'approche de vous, et que je prends l'audace Une lèvre chancreuse à baiser les Furies,
De regarder vos yeux, rois de ma liberté, Un front plâtré de fard, un boisseau de tétins
Une ardeur me saisit, je suis tout agité,
Et mille feux ardents en mon coeur prennent place. Sont tes rares beautés, exécrable Thessale ;
Et tu veux que je t'aime, et la flamme loyale
Hélas ! pour mon salut que faut-il que je fasse, De ma belle maîtresse en ton sein étouffer !
Sinon vous éloigner contre ma volonté ?
Je le fais ; toutefois, je n'en suis mieux traité, Non, non, dans le bordeau vas jouer de ton reste :
Car, si j'étais en feu, je suis tout plein de glace. Tes venimeux baisers me donneraient la peste,
Et croirais embrasser une rage d'enfer.
Je ne saurais parler, je deviens pâle et blanc,
Une tremblante peur me gèle tout le sang, Jean Auvray, À une laide (1623)
Le froid m'étreint si fort que plus je ne respire.
Phylis, tout est foutu, je meurs de la vérole,
Hé ! donc, puis-je pas bien vous nommer mon soleil, Elle exerce sur moi sa dernière rigueur :
Mon vit baisse la tête et n'a point de vigueur.
Si je sens un hiver m'éloignant de votre oeil,
Un ulcère puant a gâté ma parole.
Puis un été bouillant lorsque je le vois luire ?

(Philippe Desportes, Les amours de Diane, 1573) J'ai sué trente jours, j'ai vomi de la colle,
Jamais de si grands maux n'eurent tant de longueur,
L'esprit le plus constant fût mort à ma langueur,
Et mon affliction n'a rien qui la console.
Nos désirs sont d'amour la dévorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Mes amis plus secrets ne m'osent approcher,
Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs, Moi-même, en cet état, je ne m'ose toucher :
Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise. Phylis le mal me vient de vous avoir... foutue.

De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise Mon Dieu, je me repens d'avoir si mal vécu :
Et sur la dureté, il rabat nos malheurs, Et si votre courroux à ce coup ne me tue,
Elle lui sert d'enclume et d'étoffe nos cœurs Je fais vœu désormais de ne foutre qu'en cul.
Qu'au feu trop violent, de nos pleurs il apaise,
Théophile de Viau
Afin que l'apaisant et mouillant peu à peu
Il brûle d'avantage et rengrège* son feu. 4. Poésie libertine (ici, Théophile AUSSI)
(*) augmente
De tous nos amis qui dînnent chez Proud’homme,
Turenne je plains qui vit selon sa loi ;

3
Car de fausser les préceptes de Rome
C’est un des plus grands plaisirs selon moi. Car vous voyant si belle, on pense à votre abord
Que par quelque gageure où Vénus s'intéresse,
Béni soit celui qui nous l’a défendu ! L'Amour s'est déguisé sous l'habit de la Mort.
La viande n’est pas si bonne le jeudi,
Et nous avons là-dessus prétendu Tristan l’Hermite (inspiré par La Bella Vedova de
Le doux plaisir de rompre un vendredi […] Giambattista Marino)

J’ai toujours dit : fi de l’arête !


Je n’ai point attendu la fête
5. Poésie religieuse
Pour découper l’Agneau pascal ;
Et j’eusse cru être anathème Il s’en allait prier quand la Parque complice
Des Hébreux, pour déjà le traiter rudement,
Si, dans tous les temps faisant mal Porte devant les yeux de son entendement,
Je n’en eusse fait en carême. Les outils rigoureux de son prochain supplice.
Claude de Chouvigny, baron de Blot l’Église
Il voit tout ce que doit employer leur malice :
Le paresseux Les cordes, les crachats, le rouge habillement,
Les verges, les haliers, l’honni dépouillement,
Accablé de paresse et de mélancolie, La Croix, et tout le pis qu’il faut qu’il accomplisse.
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté, Lors son cœur donne entrée à la grosse vapeur
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie. De la noire tristesse, et de la froide peur :
(Et cette infirmité provient de sa puissance).
Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
Du comte Palatin, ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté Lors découvrant aux siens la douleur qui le mord,
Où mon âme en langueur est comme ensevelie. Leur dit, ô chers témoins de ma divine essence,
Mon âme est désormais triste jusqu’à la mort.
Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Jean de la Cepède (catholique)
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine,

Et hais tant le travail, que, les yeux entrouverts, Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers. Les Soleils hâleront ces journalières fleurs,
Et le temps crèvera cette ampoule venteuse.
Saint-Amant
Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
La belle en deuil Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs,
L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Que vous avez d'appas, belle Nuit animée !
Et les flots se rompront à la rive écumeuse.
Que vous nous apportez de merveille et d'amour !
Il faut bien confesser que vous êtes formée
J’ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,
Pour donner de l'envie et de la honte au jour.
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
La flamme éclate moins à travers la fumée Où d’une ou d’autre part éclatera l’orage,
Que ne font vos beaux yeux sous un si sombre atour,
Et de tous les mortels, en ce sacré séjour, J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,
Comme un céleste objet vous êtes réclamée. Ces lions rugissants je les ai vu sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.
Mais ce n'est point ainsi que ces divinités
Qui n'ont plus ni de voeux, ni de solennités Jean de Sponde (protestant)
Et dont l'autel glacé ne reçoit point de presse,

4
Téophile de Viau (1590-1626) flambeau
Inspira dans le sein tout ce qu'il a de beau,
Élégie à une Dame Vous n'avez point l'erreur qui trouble ces
infâmes,
Si votre doux accueil n'eût consolé ma peine, Ni l'obscure fureur de ces brutales âmes, Car
Mon âme languissait, je n'avais plus de veine, Ma l'esprit plus subtil en ses plus rares vers N'a
fureur était morte, et mes esprits couverts D'une point de mouvements qui ne vous soient
tristesse sombre avaient quitté les vers. Ce ouverts.
métier est pénible, et notre sainte étude Vous avez un génie à voir dans les courages, Et qui
Ne connaît que mépris, ne sent qu'ingratitude : connaît assez mon âme et mes ouvrages.Or bien
Qui de notre exercice aime le doux souci, que la façon de mes nouveaux écrits Diffère du
Il hait sa renommée et sa fortune aussi. travail des plus fameux esprits,
Le savoir est honteux, depuis que l'ignoranceA Et qu'ils ne suivent point la trace accoutumée Par
versé son venin dans le sein de la France. où nos écrivains cherchent la renommée, J'ose
Aujourd'hui l'injustice a vaincu la raison, Les pourtant prétendre à quelque peu de bruit,Et crois
bonnes qualités ne sont plus de saison, La vertu que mon espoir ne sera point sans fruit.Vous me
n'eut jamais un siècle plus barbare, Et jamais le l'avez promis, et sur cette promesse
bon sens ne se trouva si rare. Je fausse ma promesse aux vierges de Permesse.Je
Celui qui dans les coeurs met le mal ou le bien ne veux réclamer ni Muse, ni Phébus,
Laisse faire au destin sans se mêler de rien ; Non Grâce à Dieu bien guéri de ce grossier abus, Pour
pas que ce grand Dieu qui donne l'âme aumonde façonner un vers que tout le monde estime,Votre
Ne trouve à son plaisir la nature féconde, Et contentement est ma dernière lime,
que son influence encor à pleines mains Vous entendez le poids, le sens, la liaison, Et
Ne verse ses faveurs dans les esprits humains. n'avez en jugeant pour but que la raison :Aussi
Parmi tant de fuseaux la Parque en sait retordreOù mon sentiment à votre aveu se range,Et ne
la contagion du vice n'a su mordre, reçoit d'autrui ni blâme ni louange.
Et le Ciel en fait naître encore infinité Qui Imite qui voudra les merveilles d'autrui, Malherbe a
retiennent beaucoup de la divinité, très bien fait, mais il a fait pour lui, Mille petits
Des bons entendements, qui sans cesse travaillent voleurs l'écorchent tout en vie : Quant à moi ces
Contre l'erreur du peuple, et jamais ne défaillent, Et larcins ne me font point d'envie,J'approuve que
qui d'un sentiment hardi, grave et profond, Vivent chacun écrive à sa façon,
tout autrement que les autres ne font : Mais leur J'aime sa renommée et non pas sa leçon. Ces
divin génie est forcé de se feindre, esprits mendiants d'une veine infertile
Et les rend malheureux s'il ne se peut contraindre.La Prennent à tous propos ou sa rime ou son style,Et
coutume et le nombre autorise les sots, de tant d'ornements qu'on trouve en lui si beaux,
Il faut aimer la Cour, rire des mauvais mots, Joignent l'or et la soie à de vilains lambeaux Pour
Accoster un brutal, lui plaire, en faire estime paraître aujourd'hui d'aussi mauvaise grâceQue
Lorsque cela m'advient je pense en faire un parut autrefois la corneille d'Horace.
crime, Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
J'en suis tout transporté, le coeur me bat au sein,Je Pourra s'apparier la rime de Memphis.
ne crois plus avoir l'entendement bien sain, Et pour Ce Liban, ce turban, et ces rivières mornes
m'être souillé de cet abord funeste, Ont souvent de la peine à retrouver leurs bornes ;
Je crois longtemps après que mon âme a la peste. Cet effort tient leurs sens dans la confusion,
Cependant il faut vivre en ce commun malheur, Et n'ont jamais un rai de bonne vision.
Laisser à part esprit, et franchise, et valeur, Rompre J'en connais qui ne font des vers qu'à la moderne,Qui
son naturel, emprisonner son âme, cherchent à midi Phébus à la lanterne, Grattent tant
Et perdre tout plaisir pour acquérir du blâme : le français qu'ils le déchirent tout, Blâmant tout ce
L'ignorant qui me juge un fantasque rêveur, Me qui n'est facile qu'à leur goût, Sont un mois à
demandant des vers croit me faire faveur,Blâme connaître en tâtant la parole, Lorsque l'accent est
ce qu'il n'entend, et son âme étourdie Pense que rude, ou que la rime est molle,
mon savoir me vient de maladie. s Veulent persuader que ce qu'ils font est beau,Et
Mais vous à qui le Ciel de son plus doux que leur renommée est franche du tombeau,
Sans autre fondement, sinon que tout leur âge Je veux qu'un grand dessein réchauffe ma fureur,
S'est laissé consommer en un petit ouvrage, Qu'un oeuvre de dix ans me tienne à la
Que leurs vers dureront au monde précieux, contrainte,
ioo Parce qu'en les faisant ils sont devenus vieux.De De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :Là
même l'Araignée en filant son ordure si mes volontés ne manquent de pouvoir, J'aurai bien
Use toute sa vie et ne fait rien qui dure. de la peine en ce plaisant devoir.
Mais cet autre Poète est bien plein de ferveur,Il En si haute entreprise où mon esprit s'engage, Il
est blême, transi, solitaire, rêveur, faudrait inventer quelque nouveau langage,
La barbe mal peignée, un oeil branlant et cave, Un Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
front tout renfrogné, tout le visage hâve, Ahane Que n'ont jamais pensé les hommes et les Dieux.Si
dans son lit, et marmotte tout seul, Comme un esprit je parviens au but où mon dessein m'appelle, Mes
qu'on oit parler dans un linceul,Grimace par la rue, vers se moqueront des ouvrages d'Apelle,
et stupide retarde Qu'Hélène ressuscite, elle aussi rougira
Ses yeux sur un objet sans voir ce qu'il regarde. Partout où votre nom dans mon ouvrage ira.
Mais déjà ce discours m'a porté trop avant, Tandis que je remets mon esprit à l'école,
Je suis bien près du port, ma voile a trop de vent, Obligé dès longtemps à vous tenir parole, Voici
D'une insensible ardeur peu à peu je m'élève, de mes écrits ce que mon souvenir, Désireux
Commençant un discours que jamais je n'achève.s Je de vous plaire, en a pu retenir.
ne veux point unir le fil de mon sujet, Diversement
je laisse et reprends mon objet, Mon âme imaginant
n'a point la patience Art poétique
De bien polir les vers et ranger la science, La Idées libertines + critique socialeLa
règle me déplaît, j'écris confusément, Jamais un femme
bon esprit ne fait rien qu'aisément.
Autrefois quand mes vers ont animé la scène,L'ordre
où j'étais contraint m'a bien fait de la peine. LA SOLITUDE. ODE.
Ce travail importun m'a longtemps martyré, Mais Dans ce val solitaire et sombre, Le
enfin grâce aux Dieux je m'en suis retiré. cerf, qui brame au bruit de l’eau,
Peu sans faire naufrage, et sans perdre leur ourse,Se Panchant ses yeux dans un ruisseau,
sont aventurés à cette longue course. S’amuse à regarder son ombre.
Il y faut par miracle être fol sagement, Confondre
la mémoire avec le jugement, Imaginer beaucoup, De ceste source une Naiade
et d'une source pleine, Puiser toujours des vers Tous les soirs ouvre le portalDe
dans une même veine.Le dessein se dissipe, on sa demeure de crystal,
change de propos, Quand le style a goûté tant Et nous chante une serenade.
soit peu le repos.
Donnant à tels efforts ma première furie, Les nymphes que la chasse attireÀ
Jamais ma veine encor ne s'y trouva tarie ; Mais l’ombrage de ces forests Cherchent
il me faut résoudre à ne la plus presser,Elle m'a des cabinets secrets, Loin de
bien servi, je la veux caresser, l’embusche du satyre.
Lui donner du relâche, entretenir la flamme,
Qui de sa jeune ardeur m'échauffe encore l'âme ;Je Jadis au pied de ce grand chesne,
veux faire des vers qui ne soient pas contraints, Presque aussi vieux que le soleil,
Promener mon esprit par de petits desseins, Bacchus, l’Amour et le Sommeil,
Chercher des lieux secrets où rien ne me Firent la fosse de Silene.
déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise, Employer Un froid et tenebreux silence Dort
toute une heure à me mirer dans l'eau, à l’ombre de ces ormeaux,Et les
Ouïr comme en songeant la course d'un ruisseau, vents battent les rameauxD’une
Écrire dans les bois, m'interrompre, me taire, amoureuse violence.
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m'être égayé par cette douce erreur, L’esprit plus retenu s’engage
Au plaisir de ce doux sejour,
Où Philomele nuit et jour Ouvre tes yeux, je te supplie :
Renouvelle un piteux langage.
Mille Amours logent là-dedans,Et
L’orfraye et le hibou s’y perche ;Icy de leurs petits traicts ardans Ta
vivent les loup-garous ; Jamais la prunelle est toute remplie.
justice en courroux
Icy de criminels ne cherche. Amour de tes regards souspire,
Et, ton esclave devenu,
Icy l’amour faict ses estudes ; Se voit luy-mesme retenu, Dans
Venus y dresse des autels ; les liens de son empire.

Et les visites des mortels Ô beauté sans doute immortelle, Où


Ne troublent point ces solitudes. les Dieux trouvent des appas !Par
vos yeux je ne croyois pas Que vous
Ceste forest n’est point profane ; fussiez du tout si belle.
Ce ne fut point sans la fascher
Qu’Amour y vint jadis cacher Le Qui voudroit faire une peinture
berger qu’enseignoit Diane. Qui peust ses traicts representer,Il
faudroit bien mieux inventer Que
Amour pouvoit par innocence, ne fera jamais nature.
Comme enfant, tendre icy des rets,Et
comme reine des forests, Tout un siecle les destinées
Diane avait cette licence. Travaillerent après ses yeux, Et
je croy que pour faire mieux
Cupidon, d’une douce flamme Le temps n’a point assez d’années.
Ouvrant la nuict de ce valon, Mist
devant les yeux d’Apollon Le D’une fierté pleine d’amorce, Ce
garçon qu’il avoit dans l’ame. beau visage a des regards, Qui
jettent des feux et des dards
À l’ombrage de ce bois sombre Dont les Dieux aymeroient la force.
Hyacinthe se retira,
Et depuis le Soleil jura Que ton teinct est de bonne grace !
Qu’il seroit ennemy de l’ombre. Qu’il est blanc, et qu’il est vermeil !Il
est plus net que le Soleil,
Tout auprès le jaloux Borée, Pressé Et plus uny que de la glace.
d’un amoureux tourment,Fut la
mort de ce jeune amant, Encore Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent !Ils
par luy souspirée. s’esbattent dessus ton front,
Et les voyant beaux comme ils sont,Je
Saincte forest, ma confidente,Je suis jaloux quand ils te baisent.
jure par le Dieu du jour Que je
n’auray jamais amour Qui ne te Belle bouche d’ambre et de roze,
soit toute evidente. Ton entretien est desplaisant
Si tu ne dis, en me baisant,
Mon ange ira par cet ombrage ;Le Qu’aymer est une belle chose.
Soleil, le voyant venir, Ressentira
du souvenir
L’accez de sa premiere rage. D’un air plein d’amoureuse flame,
Aux accens de ta douce voix,
Corine, je te prie, approche ; Je voy les fleuves et les bois
Couchons-nous sur ce tapis vert,Et S’embrazer comme a faict mon ame.Si
pour estre mieux à couvert,
Entrons au creux de cette roche. tu mouilles tes doigts d’yvoire
Dans le crystal de ce ruisseau,
Le Dieu qui loge dans ceste eau Ne crains rien, Cupidon nous garde.Mon
Aymera, s’il en oze boire. petit ange, es-tu pas mien ?
Ha ! Je voy que tu m’aymes bien :Tu
Presente-luy ta face nue, rougis quand je te regarde.
Tes yeux avecque l’eau riront,Et
dans ce miroir escriront Que Dieux ! que ceste façon timide Est
Venus est icy venue. puissante sur mes esprits !
Regnauld ne fut pas mieux espris
Si bien elle y sera despeincte, Que Par les charmes de son Armide.
les Faunes s’emflammeront,Et de
tes yeux, qu’ils aymeront, Ne Ma Corine, que je t’embrasse !
sçauront descouvrir la feinte. Personne ne nous voit qu’Amour ;
Voy que mesme les yeux du jour Ne
Entends ce Dieu qui te convieÀ trouvent point icy de place.
passer dans son element ; Oy
qu’il soupire bellement Sa Les vents, qui ne se peuvent taire,
liberté desjà ravie. Ne peuvent escouter aussy,
Et ce que nous ferons icy Leur
Trouble-luy ceste fantaisie, est un inconnu mystere.
Destourne-toy de ce miroir,
Tu le mettras au desespoir,
Et m’osteras la jalousie. Le matin

Voy-tu ce tronc et ceste pierre ? L'Aurore sur le front du jour


Je croy qu’ils prennent garde à nous,Et Seme l'azur, l'or et l'yvoire,
mon amour devient jaloux Et le Soleil, lassé de boire,
De ce myrthe et de ce lierre. Commence son oblique tour.

Sus, ma Corine ! que je cueille Ses chevaux, au sortir de l'onde,


Tes baisers du matin au soir !
De flame et de clarté couverts,
Voy comment, pour nous faire asseoir,Ce
La bouche et les nasaux ouverts,
myrthe a laissé cheoir sa fueille.
Ronflent la lumiere du monde.
Oy le pinçon et la linotte, Sur
la branche de ce rosier ; Ardans ils vont à nos ruisseaux
Voy branler leur petit gosier ! Et dessous le sel et l'escume
Boivent l'humidité qui fume
Oy comme ils ont changé de notte ! Si tost qu'ils ont quitté les eaux.

Approche, approche, ma Driade ! La lune fuit devant nos yeux ;


Icy murmureront les eaux, La nuict a retiré ses voiles ;
Icy les amoureux oyseaux Peu à peu le front des estoilles
Chanteront une serenade. S'unit à la couleur des Cieux.

Preste-moy ton sein pour y boire Les ombres tombent des montagnes,
Des odeurs qui m’embasmeront ; Elles croissent à veüe d'oeil,
Ainsi mes sens se pasmeront Dans Et d'un long vestement de deuil
les lacs de tes bras d’yvoire.
Couvrent la face des campagnes.
Je baigneray mes mains folastres
Le Soleil change de sejour,
Dans les ondes de tes cheveux, Et
ta beauté prendra les vœux De Il penetre le sein de l'onde,
mes œillades idolatres. Et par l'autre moitié du monde
Pousse le chariot du jour. Les bestes sont dans leur taniere,
Qui tremblent de voir le Soleil,
Desjà la diligente avette L'homme, remis par le sommeil,
Boit la marjolaine et le thyn, Reprend son oeuvre coustumiere.
Et revient riche du butin
Qu'elle a prins sur le mont Hymette. Le forgeron est au fourneau ;
Voy comme le charbon s'alume !
Je voy le genereux lion Le fer rouge dessus l'enclume
Qui sort de sa demeure creuse, Estincelle sous le marteau.
Hérissant sa perruque affreuse
Qui faict fuir Endimion. Ceste chandelle semble morte,
Le jour la faict esvanouyr ;
Sa dame, entrant dans les boccages Le Soleil vient nous esblouyr :
Compte les sangliers qu'elle a pris, Voy qu'il passe au travers la porte !
Ou devale, chez les esprits
Errans aux sombres marescages. Il est jour : levons-nous Philis ;
Allons à nostre jardinage,
Je vois les agneaux bondissans Voir s'il est comme ton visage,
Sur les bleds qui ne font que naistre ; Semé de roses et de lys.
Cloris, chantant, les meine paistre
Parmi ces costaux verdissans.
SATYRE PREMIERE.
Les oyseaux, d'un joyeux ramage,
Qui que tu sois, de grâce, escoute ma satyre,
En chantant semblent adorer
Si quelque humeur joyeuse autre part ne t’attire ;Ay
La lumiere qui vient dorer
me ma hardiesse et ne l’offence point
Leur cabinet et leur plumage.
De mes vers, dont l’aigreur utilement te point.
Toy que les eslemens ont fait d’air et de boue,
Le pré paroist en ses couleurs, Ordinaire subject où le mal-heur se joue, Sçache
La bergere aux champs revenue que ton filet, que le destin ourdit,
Mouillant sa jambe toute nue Est de moindre importance encor qu’on ne te dit.
Foule les herbes et les fleurs. Pour ne le point flatter d’une divine essence ; Voy la
condition de la sale naissance,
La charrue escorche la plaine ; Que, tiré tout sanglant de ton premier séjour,Tu
Le bouvier, qui suit les seillons, vois en gémissant la lumière du jour ;
Presse de voix et d'aiguillons Ta bouche n’est qu’aux cris et à la faim ouverte, Ta
Le couple de boeufs qui l'entraine. pauvre chair naissante est toute descouverte, Ton
esprit ignorant encor ne forme rien
Alix appreste sou fuseau ; Et moins qu’un sens brutal sçait le mal et le bien.A
Sa mere qui luy faict la tasche, grand peine deux ans t’enseignent un langage Et des
pieds et des mains te font trouver l’usage. Heureux
Presse le chanvre qu'elle attache
au prix de toy les animaux des champs !Ils sont les
A sa quenouille de roseau.
moins hays, comme les moins meschans.
L’oyselet de son nid à peu de temps s’eschappeEt
Une confuse violence ne craint point les airs que de son aisle il frappe ;
Trouble le calme de la nuict, Les poissons en naissant commencent à nager. Et
Et la lumiere, avec le bruit, le poulet esclos chante et cherche à manger.
Dissipe l'ombre et le silence. Nature, douce mère à ces brutales races,
Plus largement qu’à toy leur a donné des grâces. Leur
Alidor cherche à son resveil vie est moins subjecte aux fascheux accidens
L'ombre d'Iris qu'il a baisee
Et pleure en son ame abusee
La fuitte d'un si doux sommeil.
Qui travaillent la tienne et dehors et dedans. Et qu’un esprit bien né se plaise à la rigueur.
La beste ne sent point peste, guerre ou famine, Le Il nous veut arracher nos passions humaines. Que
remors d’un forfaict en son cœur ne la mine ;Elle son malade esprit ne juge pas bien saines ;Soit par
ignore le mal pour n’en avoir la peur, rébellion, ou bien par une erreur.
Ne cognoist point l’effroy de l’Acheron trompeur.Elle Ces repreneurs fascheux me sont tous en horreur ;
a la teste basse et les yeux contre terre, J’approuve qu’un chacun suive en tout la nature : Son
Plus près de son repos et plus loing du tonnerre. empire est plaisant et sa loy n’est pas dure ; Ne
L’ombre des trépassez n’aigrit son souvenir, On ne suivant que son train jusqu’au dernier moment,
voit à sa mort le desespoir venir ; Mesmes dans les malheurs on passe heureusement.
Elle compte sans bruit et loing de toute envieLe Jamais mon jugement ne trouvera blasmable Celuy-
terme dont nature a limité sa vie, là qui s’attache à ce qu’il trouve aymable.Qui dans
Donne la nuict paisible aux charmes du sommeilEt l’estât mortel tient tout indiffèrent ; Aussi bien
tous les jours s’esgaye aux clartez du soleil, Franche mesme fin à l’Acheron nous rend ; La barque de
de passions et de tant de traverses Qu’on voit au Charon, à tous inévitable.
changement de nos humeurs diverses. Non plus que le meschant n’espargne l’équitable.
Ce que veut mou caprice à ta raison desplaist, Ce Injuste nautonnier, helas ! pourquoy sers-tu
que tu trouves beau, mon œil le trouve laid. Un Avec mesme aviron le vice et la vertu ? Celuy
mesme train de vie au plus constant n’agrée :La qui dans les biens a mis toute sa joye,
prophane nous fasche autant que la sacrée.
Ceux qui, dans les bourbiers des vices empeschez,Ne Et dont l’esprit avare après l’argent aboyé. Où
suivent que le mal, n’ayment que les péchez, Sont qu’il tourne la terre en refendant la mer,Ses
tristes bien souvent, et ne leur est possible De navires jamais ne puissent abysmer !
consommer une heure en volupté paisible. L’autre, qui rien du tout que les grandeurs ne
Le plus libre du monde est esclave à son tour, prise,
Souvent le plus barbare est subject à l’amour. Et Et qu’un vif aiguillon de vanité maistrise. Soit
le plus patient que le soleil esclaire tousjours bien paré, mesure tous ses pas,
Se trouve quelquefois emporté de cholere. S’imagine en soy-mesme estre ce qu’il n’est pas !
Comme Saturne laisse et prend une saison, Qu’il fasse voir un sceptre à son ame aveuglée, Et
Nostre esprit abandonne et reçoit la raison ; son ambition ne soit jamais reiglée !
Je ne sçay quelle humeur nos volontez maistrise.Et Cestuy-cy veut poursuivre un vain tiltre de vent,Qui
de nos passions est la certaine crise ; pour nous maintenir nous perd le plus souvent ;
Ce qui sert aujourd’huy nous doit nuire demain,On Il s’attache à l’honneur, suit ce destin severe
ne tient le bon-heur jamais que d’une main. Le Qu’une sotte coustume ignoramment révère.
destin inconstant sans y penser oblige, De sa condition je prise le bon-heur,
Et, nous faisant du bien, souvent il nous afflige. Et trouve qu’il fait bien de mourir pour l’honneur.Un
esprit enragé, qui voudroit voir en guerre.
Les riches plus contans ne se sçauroient guarir De Pour son contentement, et le Ciel et la Terre,Ne
la crainte de perdre et du soin d’acquérir. Nostre respire, brutal, que la flamme et le fer.
désir changeant suit la course de l’aage :Tel est Et qui croit que son ombre estonnera l’Enfer,
grave et pesant qui fut jadis volage, Qu’il employé au carnage et la force et les
Et sa masse caduque, esclave du repos, charmes,
N’ayme plus qu’à resver, hayt le joyeux propos.Une Et son corps nuict et jour ne soit vestu que
sale vieillesse, en desplaisir confite, d’armes !
Qui tousjours se chagrine et tousjours se despite, Une sauvage humeur, qui dans l’horreur des boisDes
Voit tout à contre cœur, et ses membres cassez Se chiens avec le cor anime les abois.
rongent de regret de ses plaisirs passez, Son dessein innocent heureusement poursuive.En
Veut traîner nostre enfance à la fin de la vie, De la tranquillité de ceste peine oysive !
nostre sang bouillant veut estouffer l’envie.Un Qu’il travaille sans cesse à brosser les forests,Et
vieux père resveur, aux nerfs tous refroidis,Sans jamais le butin n’eschappe de ses rets !
plus se souvenir quel il estoit jadis. Celuy qu’une beauté d’inévitable amorce Retient
Alors que l’impuissance esteint sa convoitise, dans ses liens plus de gré que de force,Qu’il se
Veut que nostre bon sens révère sa sottise, Que flatte en sa peine et tasche à prolonger
le sang généreux estouffe sa vigueur.
Les soucis qui le vont si doucement ronger ! L’impertinence mesme a souvent bonne grâce.
Qu’il perde rarement l’object de ce visage, Ne Qui suyvra son génie et gardera sa foy,
destourne jamais son cœur de ceste image,Ne se Pour vivre bien-heureux, il vivra comme moy.
souvienne plus du jeu ny de la cour,
N’adore aucun des dieux qu’après celuy d’amour. Ode

N’ayme rien que ce joug, et tousjours s’estudieA Un Corbeau devant moi croasse,
tenir en humeur sa chère maladie, Une ombre offusque mes regards,
Ne se trouble jamais d’aucun soupçon jaloux, Se Deux belettes et deux renards
mocque des aguests d’un impuissant espoux ;Qu’il Traversent l'endroit où je passe :
se trouve allégé par la moindre caresse Les pieds faillent à mon cheval,
Des fers les plus pesants dont sa rigueur le presse, Mon laquais tombe du haut mal,
Suive les mouvemens de ses affections, J'entends craqueter le tonnerre,
Ne tasche de brider jamais ses passions !Si Un esprit se présente à moi, J'ois
tu veux résister, l’amour te sera pire. Et ta Charon qui m'appelle à soi,Je vois
rébellion estendra son empire ; le centre de la terre.
Amour a quelque but, quelque temps de durer, Que
nostre entendement ne peut pas mesurer. C’est un Ce ruisseau remonte en sa source,
fiévreux tourment, qui, travaillant nostreame, Un bœuf gravit sur un clocher, Le
Luy donne des accez et de glace et de flame, sang coule de ce rocher,
S’attache à nos esprits comme la fièvre au corps, Un aspic s'accouple d'une ourse,
Jusqu’à ce que l’humeur en soit toute dehors. Sur le haut d'une vieille tour
Contre ses longs efforts la résistance est vaine ;Qui ne Un serpent déchire un vautour,
peut l’éviter, il doit aymer sa peine. Le feu brûle dedans la glace, Le
L’esclave patient n’est qu’à demy dompté S’il Soleil est devenu noir,
veut à sa contraincte unir sa volonté. Le Je vois la Lune qui va choir, Cet
sanglier enragé, qui d’une dent poinctue arbre est sorti de sa place.
Dans son gosier sanglant mort l’espieu qui le tue, Se
nuit pour se deffendre, et, d’un aveugle effort, Se SONNET.
travaille luy-mesme et se donne la mort.
Ainsi l’homme souvent s’obstine à se destruireEt Ministre du repos, Sommeil, père des songes,
de sa propre main il prend peine à se nuire. Celuy Pourquoy t’a-t’on nommé l’image de la mort ?
qui de nature, et de l’amour des Cieux, Entrant en Que ces faiseurs de vers t’ont jadis fait de tort,De
la lumière, est né moins vicieux. le persuader avecques leurs mensonges !
Lors que plus son génie aux vertus le convie,Il
force sa nature, et fait toute autre vie ; Faut— il pas confesser qu’en l’aise où tu nous
Imitateur d’autruy, ne suit plus ses humeurs, S’esgare plonges.
pour plaisir du train des bonnes mœurs ;S’il est né Nos esprits sont ravis par un si doux transport
libéral, au discours d’un avare Qu’au lieu de racourcir à la fureur du sort
Il taschera d’esteindre une vertu si rare ; Si Les plaisirs de nos jours, Sommeil, tu les allonges.
son esprit est haut, il le veut faire bas ;
Dans ce petit moment, ô songes ravissans,
S’il est propre à l’estude, il parle des combats.Je Qu’Amour vous a permis d’entretenir mes sens,J’ay
croy que les destins ne font venir personne En tenu dans mon lict Elise toute nue.
l’estre des mortels qui n’ayt l’ame assez bonne ;
Mais on la vient corrompre, et le céleste feuQui Sommeil, ceux qui t’ont faict l’image du trespas,
luit à la raison ne nous dure que peu : Car Quand ils ont peint la mort, ils ne l’ont point
l’imitation rompt nostre bonne trame, cogneue,
Et tousjours chez autrui fait demeurer nostre ame.Je Car vrayment son pourtraict ne luy ressemble pas.
pense que chacun auroit assez d’esprit, Suyvant le
libre train que nature prescrit. Sonnet
A qui ne sçait farder ny le cœur ny la face,
Je songeais que Philis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fît l'amour Et
que comme Ixion j'embrassasse une nue.

Son ombre dans mon lit se glissa toute nue Et


me dit : " Cher Tircis, me voici de retour,Je n'ai
fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.

Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,


Je viens pour remourir dans tes embrassements. "
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme

Elle me dit : " Adieu, je m'en vais chez les morts.


Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu pourras te vanter d'avoir foutu mon âme. "
(21)
Quand tu me vois baiser tes bras,
Que tu poses nus sur tes draps,
Bien plus blancs que le linge même;
Quand tu sens ma brûlante main
Se promener dessus ton sein,
Tu sens bien, Cloris, que je t'aime.

Comme un dévot devers les cieux,


Mes yeux tournés devers tes yeux,A
genoux auprès de ta couche, Pressé
de mille ardents désirs,
Je laisse, sans ouvrir ma bouche,
Avec toi dormir mes plaisirs.

Le sommeil aise de t'avoir,


Empêche tes yeux de me voir,Et
te retient dans son empire Avec
si peu de liberté
Que ton esprit tout arrêté Ne
murmure ni ne respire.

La rose en rendant son odeur,


Le Soleil donnant son ardeur,
Diane et le char qui la traîne,
Une Naïade dedans l'eau,
Et les Grâces dans un tableau, Font
plus de bruit que ton haleine.

Là je soupire auprès de toi,Et


considérant comme quoi
Ton oeil si doucement repose, Je
m'écrie: O Ciel! peux-tu bienTirer
d'une si belle chose
Un si cruel mal que le mien?

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