MAINGUENEAU Et Le Parcours Historique de L AD

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Parcours en analyse du discours

Dominique Maingueneau
Dans Langage et société 2017/2 (N° 160-161), pages 129 à 143
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735123544
DOI 10.3917/ls.160.0129
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Parcours en analyse du discours

Dominique Maingueneau
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Université Paris-Sorbonne
dominique.maingueneau@paris-sorbonne.fr

1. Autour de mon parcours personnel


Dans un premier temps, je vais me permettre de réfléchir sur l’ana-
lyse du discours à la lumière des nombreuses années passées à travail-
ler dans ce domaine. Il ne s’agit pas de retracer dans le détail ma car-
rière de chercheur, mais de mettre l’accent sur quelques points qui ont
une signification pour cette histoire collective qu’est celle de l’analyse
du discours. À cet égard, ma situation est privilégiée puisque les débuts
de mes recherches ont accompagné le développement de ce nouveau
champ. Je dis son développement et non sa naissance ; la différence est
importante. Étant entré à l’université en 1970, je ne peux légitimement
figurer parmi les pionniers de l’analyse du discours. En revanche, ayant
mené des recherches dans ce domaine pendant une bonne quarantaine
d’années, je ne peux qu’être sensible à son évolution, en tout cas plus
sensible que ceux qui sont entrés plus tardivement, quand ce champ de
recherche était déjà institutionnalisé et largement ouvert aux apports
non-francophones.
Le paysage de ce qu’on appelle aujourd’hui « analyse du discours »
est en effet bien différent de celui qui s’offrait à moi quand je me suis
inscrit à l’université Paris X, en octobre 1970. À cette époque, le dépar-
tement de linguistique de Nanterre était particulièrement en vue et
j’étais heureux d’y entreprendre mes études. Parcourant la liste des cours

© Langage & Société n os 160-161 – 2 e et 3 e trimestres 2017


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qui étaient proposés pour la troisième année de licence, mon œil s’est
arrêté sur un enseignement de premier semestre intitulé « Analyse du
discours », auquel je me suis inscrit. Ce cours était probablement le pre-
mier ainsi intitulé qui fût dispensé dans une université, du moins en
France1. Cet enseignement était assuré par Denise Maldidier qui venait
d’achever, sous la direction de Jean Dubois, une thèse de troisième cycle
sur le vocabulaire politique de la guerre d’Algérie dans six journaux
quotidiens, recherche qui se réclamait de l’analyse du discours naissante
(Maldidier 1969). C’est d’ailleurs la caution de J. Dubois qui avait per-
mis qu’on ouvre un tel cours dans le département de linguistique : un an
auparavant, il avait codirigé le numéro 13 de la revue Langages intitulé
précisément « L’analyse du discours », qui avait consacré l’émergence de
la nouvelle discipline.
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Il s’agissait d’un cours semestriel de trois heures hebdomadaires qui
était centré sur la méthode de décomposition des textes développée par
Harris (1952) ; en réalité, cette méthode avait été adaptée à une démarche
lexicologique : ce qu’on appelait la méthode des « termes-pivots ». Mais
cet enseignement ne répondait pas du tout à mes attentes du moment.
En effet, pour des raisons qu’il est inutile d’expliquer ici, je m’étais inscrit
à ce cours en espérant trouver des outils pour étudier les Provinciales,
c’est-à-dire une série de textes de polémique politico-­ religieuse du
xviie siècle. Je me suis vite aperçu que les recherches qui se faisaient alors
dans le champ émergent de l’analyse du discours n’offraient pas d’ins-
truments adaptés à mon objet et que mon corpus était exotique dans
un champ où c’était l’étude des textes politiques qui dominait. Il m’a
donc fallu inventer mes propres outils pour mener à bien ma thèse de
troisième cycle, soutenue en 1974 à l’université de Nanterre sous le titre
Essai de construction d’une sémantique discursive.
Rétrospectivement, je me dis que la marginalité initiale dans laquelle
je me suis trouvé condamné par le choix d’un tel objet de recherche s’est
révélée productive. Mon travail dans les années qui ont suivi a en effet
consisté à proposer par étapes un élargissement de l’analyse du discours
qui la rende capable d’intégrer des types de corpus qui étaient très péri-
phériques dans les années 1960-1970. Les analystes du discours avaient
à cette époque tendance à investir les corpus délaissés par les facultés
de lettres : au premier chef le discours politique, qui en particulier sous

1. J. Boutet m’a signalé l’existence d’un cours d’analyse du discours donné par Michel
Pêcheux à l’EPRASS (École préparatoire à la recherche en sciences sociales) à la VIe
section de l’École pratique des hautes études. Mais il ne s’agissait pas à proprement
parler d’un enseignement universitaire, intégré dans une licence.
PARCOURS EN ANALYSE DU DISCOURS / 131

l’influence du marxisme était alors considéré comme la voie d’accès


royale à l’ensemble du paysage intellectuel, mais aussi par la suite les
médias, au fur et à mesure que se développaient les études de « com-
munication ». En travaillant au long des années 1970 sur le discours
religieux j’ai été amené à mettre l’accent sur diverses problématiques qui
ont pris de l’importance à partir des années 1980 : en particulier sur le
rôle constitutif que joue l’interaction dans la construction des identi-
tés énonciatives (au-delà de la simple démarche contrastive qui préva-
lait alors), sur la notion de compétence discursive (à une époque où ce
qui était d’ordre cognitif était suspect dans l’analyse du discours franco-
phone), sur les relations entre corps et énonciation à travers la question
de l’ethos, sur le caractère central des genres de discours et de la scène
d’énonciation, sur l’indissociabilité entre communauté et discours.
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Parallèlement, je me suis lancé en 1974 – avec une grande inconscience –
dans la rédaction de ce qui était peut-être le premier manuel qui prétendait
décrire le champ de l’analyse du discours, restreinte pour l’essentiel aux
travaux francophones. Une fois l’ouvrage publié, il m’est progressivement
apparu que le fait d’écrire une Initiation aux méthodes de l’analyse du
discours (titre imposé par l’éditeur, conformément aux objectifs de la
collection) s’éloignait du projet d’analyse du discours tel que le conce-
vaient certains. La « manuélisation » n’est pas une opération innocente,
même s’il est indéniable qu’elle consacre un champ de recherche. On
peut comparer cela aux effets qu’a « l’outillage » – avec des grammaires
et des dictionnaires – d’une variété linguistique qui accède au statut de
langue officielle. Encore aujourd’hui l’analyse du discours est partagée
entre une tendance qui va dans le sens de sa « didactisation » et une
tendance qui met l’accent sur son pouvoir de mise en question d’un
certain nombre de présupposés des sciences humaines et sociales. Ce
qui recoupe pour une bonne part la distinction actuelle entre ceux qui
privilégient la « théorie du discours » et ceux qui cherchent avant tout à
analyser des fonctionnements discursifs (Angermuller, Maingueneau &
Wodak 2014 : 5-6).
La rédaction de cette Initiation aux méthodes de l’analyse du discours
n’a pas été non plus sans incidence sur son auteur. En rédigeant un tel
ouvrage, je me suis placé dans la première génération d’analystes du
discours. Je veux dire la première génération où l’on a pu se présen-
ter comme spécialistes d’un domaine académique reconnu et pas seu-
lement comme un pionnier d’une entreprise nouvelle. Il serait en effet
tout à fait inapproprié de dire que les penseurs dont les travaux ont
fortement contribué à l’émergence des études de discours (Bakhtine,
132 / DOMINIQUE MAINGUENEAU

Althusser, Goffman, Foucault, Austin…) sont des analystes du discours,


ou même des analystes du discours avant la lettre. Il s’agit d’individus
dont une partie de l’œuvre a inspiré et légitimé les études de discours,
non de chercheurs qui ont systématiquement intégré leur activité dans
le cadre du discours. On peut en dire autant de Michel Pêcheux lui-
même, bien qu’il ait élaboré un programme informatique qu’il décrivait
comme une « analyse automatique du discours » (1969). Il voyait dans
cette entreprise moins l’élaboration d’une méthode au sein d’une disci-
pline constituée qu’une sorte de dispositif critique à l’égard des présup-
posés dominants en sémantique et en psychologie sociale, qu’il jugeait
idéalistes, au sens marxiste. Sa démarche, qui relevait plutôt de ce qu’on
appellerait aujourd’hui la « théorie du discours », visait à lutter politi-
quement à l’intérieur du champ théorique, et non à définir les contours
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d’une discipline académique.
En France, au début des années 1970, ce qu’on appelait l’« analyse du
discours » était un phénomène marginal et qui se voulait dissident, mais
cette marginalité était compensée par le sentiment qu’avaient ses promo-
teurs d’être portés par la conjoncture intellectuelle. Leur intervention se
nourrissait, par mille fils visibles ou invisibles, du structuralisme, de la
psychanalyse lacanienne, du marxisme althussérien, de l’archéologie de
Foucault, voire du déconstructionnisme de Derrida, en dépit des diver-
gences profondes entre ces courants de pensée. Il est inévitable que l’on
ressente quelque nostalgie à l’égard de cette époque où les entreprises qui
visaient à emporter des bastions universitaires jugés vermoulus étaient
à la fois très peu visibles sur le plan institutionnel mais hégémoniques
sur le plan intellectuel, où l’innovation conceptuelle et le militantisme
allaient de pair.
Aujourd’hui aussi les études de discours sont profondément en prise
sur la conjoncture intellectuelle, mais les chercheurs ont à un bien plus
faible degré le sentiment de contester un monde universitaire sclérosé.
Quand on dit aujourd’hui « analyse du discours » on ne pense pas du
tout à la même chose que dans les années 1970. Au lieu d’entreprises très
localisées et ambitieuses, on a affaire à un immense champ de recherche
globalisé qui traverse de multiples disciplines. Même l’analyse du discours
dite « critique » est un champ reconnu à l’échelle inter­nationale (Wodak
et Meyer, eds, 2001 ; Van Dijk 2008 ; Fairclough 2003 ; Chouliaraki et
Fairclough 1999) ; bien souvent, elle s’appuie sur des organismes offi-
ciels soucieux de lutter contre certains dysfonctionnements sociaux :
racisme, « réchauffement climatique », « exclusion »…
PARCOURS EN ANALYSE DU DISCOURS / 133

Parallèlement, on assiste à une forte atténuation des conflits : entre


les chercheurs qui se réclament de l’analyse du discours et ceux qui la
récusent ou l’ignorent, mais aussi entre les multiples courants à l’inté-
rieur des études de discours. Cette baisse de la conflictualité est étroite-
ment liée à l’institutionnalisation de ce champ de recherche, avec tout
ce que cela implique pour les stratégies des acteurs. On pourrait évoquer
à ce propos les travaux de Tony Becher (1989), qui analyse les sciences
de l’Homme en termes de « territoires » habités par des « tribus » repliées
chacune sur ses présupposés : les sciences de l’Homme utiliseraient des
stratégies d’isolement qui permettent plus facilement d’échapper à la
mise en concurrence brutale des théories.

2. Problèmes actuels
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Si l’analyse du discours ne bénéficie plus de l’aura que confère la volonté
de contester un ordre établi, si elle est installée dans le paysage des
sciences humaines et sociales, elle n’en est pas moins confrontée à de
redoutables défis, bien différents de ceux des années 1970. Je vais en
signaler quatre.

2. 1. Analyse du discours et études de discours


N’importe quel ouvrage d’introduction aux travaux qui se réclament de
problématiques discursives est obligé de commencer par le constat que
le champ est immense et hétérogène, à l’image du terme « discours »,
dont le sens semble difficilement contrôlable. Pour sortir de cette dif­
ficulté, les auteurs de manuels, après avoir pris acte de l’hétérogénéité
du champ, se contentent de présenter une ou plusieurs « approches »,
mais ne se risquent pas à cartographier un tel espace dans son ensemble.
Non seulement ils ne s’y risquent pas, mais beaucoup y répugnent, car
cela leur semble aller à l’encontre des exigences de la recherche, qui pour
eux ne doit se laisser enfermer dans aucune frontière, récuser tout « dog-
matisme ». L’idée que l’étude du discours serait un espace foncièrement
« post-disciplinaire » vient conforter cette attitude.
Si cette question est largement minorée – en tout cas davantage que
dans d’autres champs des sciences humaines et sociales –, c’est sans doute
en partie parce que ceux qui travaillent sur le discours peuvent apparte-
nir à des disciplines très diverses. De ce fait, beaucoup ne se considèrent
pas comme appartenant avant tout au champ des études de discours.
Un « psychologue discursif » (Edwards et Potter 1992 ; Edwards 2004)
par exemple développe que c’est davantage avec les psychologues qu’il
est amené à débattre qu’avec les analystes du discours. On pourrait en
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dire autant d’un sociologue, d’un historien, d’un spécialiste de littéra-


ture, etc., quand ils mobilisent des concepts et des méthodes d’analyse
du discours.
Il me paraît néanmoins difficile de voir se développer indéfiniment
le champ des études de discours sans jamais s’interroger sur les prin-
cipes tacites qui le règlent, en se contentant de dire qu’il se trouve au
« carrefour » de l’ensemble des sciences humaines et sociales et qu’il est
constitué de multiples « approches ». Certes, il n’est pas question de défi-
nir a priori ce qu’est la « véritable » analyse du discours et d’exclure, ou
d’ignorer, ceux qui n’en font pas, mais il me paraît souhaitable de regar-
der si les études de discours ne laissent pas apparaître des lignes de force
qui permettent d’organiser ce paysage de prime abord chaotique.
Une première difficulté tient au terme même d’analyse du discours.
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Je viens d’utiliser l’étiquette « études de discours », au lieu de celle d’« ana-
lyse du discours ». Les deux termes ne sont pas équivalents. L’emploi de
plus en plus fréquent de « Discourse Studies »2, sur le modèle des nom-
breuses « Studies » anglo-saxonnes, s’explique précisément par la volonté
de prendre acte de la diversité de cet immense champ sans avoir à prendre
parti sur la question de savoir si on peut l’organiser, et, si oui, comment.
Le terme « Discourse Studies » présente l’avantage immédiat d’asseoir
une distinction entre « théorie du discours » et « analyse du discours »,
comme le montre le titre du Discourse Studies Reader que j’ai co-édité
(Angermuller, Maingueneau et Wodak 2014 : 5). Johannes Angermuller
explicite ainsi cette distinction : « Discourse Studies is organized around
characteristics split between two ideal-typical strands: one focusing on
discourse as an intellectual and epistemological problem of social, poli-
tical and cultural theory, the other on the analytical and methodologi-
cal challenges of studying discourse as a material and empirical object »
(2015 : 511). La plupart des travaux qui en philosophie, en science
politique en études féministes ou postcoloniales se réclament d’une
perspective discursive relèvent de la « théorie », alors que les spécialistes
de sociologie ou de sciences du langage ont tendance à privilégier les
méthodes d’analyse de corpus. La distinction est parfaitement perti-
nente ; elle a néanmoins l’inconvénient de donner une extension consi-
dérable au terme « analyse du discours », qui se trouve dès lors recouvrir

2. On notera que c’est le titre de la principale revue du champ, fondée en 1999 par T. Van
Dijk. Elle est publiée par Sage. Le dernier « reader » publié dans le domaine s’intitule
« The Discourse Studies Reader » (Angermuller, Maingueneau et Wodak 2014). En
2005 K. Hylan a aussi publié un ouvrage au titre presque identique. En revanche, les
ouvrages précédents de même type incluaient « Discourse analysis » dans leur titre.
PARCOURS EN ANALYSE DU DISCOURS / 135

une diversité considérable de courants de recherche. Pour ma part,


(Maingueneau 1995, 2014), je suis tenté de restreindre le domaine de
l’analyse du discours, qui est alors appréhendée comme une « discipline
du discours » caractérisée par un point de vue spécifique sur le discours.
Plus exactement, il me semble que le champ des recherches sur le dis-
cours est soumis à une double tension : d’une part entre disciplines du
discours et courants (il y a de multiples courants d’analyse des conversa-
tions ou de rhétorique, par exemple), d’autre part entre une logique dis-
ciplinaire et une logique « territoriale » (Boutet et Maingueneau 2005)
qui groupe les chercheurs de multiples champs autour d’un même objet
socialement sensible : les usages du Web, la publicité, l’échec scolaire, le
chômage, la vaccination, les partis politiques, etc.
Quelles que soient les solutions que l’on y apporte, ce type de pro-
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blème ne me semble pas pouvoir être éludé aussi facilement qu’on ne
le fait communément en disant « there are many different approaches
to discourse analysis » (Gee 2005 : 5). Il faut prendre en compte les
contraintes imposées par le fonctionnement de la recherche : la science
est une activité sociale qui se réalise à travers des communautés de
diverses natures, nécessaires à la légitimation des résultats et à leur stabi-
lisation comme à la construction de l’identité et de la notoriété des cher-
cheurs. C’est aussi une activité inscrite dans l’histoire, et à ce titre elle
accorde une place essentielle à la tradition, sous la double modalité d’un
certain nombre de présupposés épistémologiques qui font l’objet d’une
transmission. En d’autres termes, il serait souhaitable que les spécialistes
du discours appliquent davantage leurs concepts et leurs méthodes à leur
propre champ d’activité.

2. 2. Internet
En ce qui concerne les objets d’analyse, le défi le plus évident auquel
sont confrontées aujourd’hui les études de discours, comme d’ailleurs
l’ensemble des sciences humaines et sociales, c’est bien évidemment le
développement d’internet et l’interpénétration croissante des diverses
technologies de la communication, phénomènes eux-mêmes étroite-
ment indissociable de la globalisation, dont ils sont l’un des moteurs.
Qu’ils le veuillent ou non, les spécialistes du discours sont bien obli-
gés de se confronter à cette nouvelle donne, d’adapter leurs concepts et
leurs méthodes aux contraintes spécifiques de ces nouveaux objets. Les
problématiques du discours se sont développées dans les années 1960,
en Europe principalement autour du texte écrit, et aux USA principa-
lement autour des interactions orales. C’est aussi une période dominée
136 / DOMINIQUE MAINGUENEAU

par le développement de puissants réseaux de télévision à l’échelle de


chaque nation. Il est normal que les présupposés et les concepts de ce
nouveau champ de recherche aient été profondément marqués par cette
conjoncture. Or, par une ironie de l’histoire, c’est au moment où les
études de discours accèdent à une grande visibilité que se reconfigure
l’univers dans lequel elles ont émergé : internet et la multimodalité géné-
ralisée subvertissent en effet cette distinction même entre écrit et oral et
délogent la télévision de la position centrale qu’elle occupait, obligeant
les chercheurs qui travaillent sur la communication à repenser l’ensemble
de leurs catégories. Même les corpus écrits ou oraux traditionnels sont
soumis à de nouvelles modalités.
Cette transformation concerne non seulement les objets d’analyse,
mais aussi les conditions mêmes de la recherche. L’accès aux corpus se
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fait de plus en plus à travers des bases de données ; il en va de même
pour les logiciels de traitement de ces données. Et que dire des archives
mêmes ? Qu’en sera-t-il par exemple des corpus dans quelques décen-
nies, lorsque l’immense majorité des énoncés pertinents aura transité par
le web et que seule une part minime aura pu être stockée ?
La puissance d’innovation d’internet est si grande qu’il est facile de
se donner à peu de frais un certificat de modernité sans procéder à un
« aggiornamento » conceptuel. On voit par exemple se développer des
« humanités numériques » qui mobilisent les instruments mis à leur dis-
position par les nouvelles technologies, mais sans que cela, bien souvent,
­s’accompagne d’une mise à jour épistémologique. Sous les habits sédui-
sants de la nouveauté on risque de faire perdurer des pratiques d’analyse
qui ressortissent en fait à des techniques d’analyse de contenu. Ces der-
nières entendent en effet « accéder au sens d’un segment de texte en traver-
sant sa structure linguistique » (Pêcheux 1969 : 4) ; ce précisément contre
quoi s’étaient développées les problématiques d’analyse du discours.
Il faut le reconnaître, il est difficile d’évaluer jusqu’à quel point les
nouvelles technologies mettent en cause les présupposés des études de
discours. Le bon sens voudrait que l’on évite deux écueils symétriques.
Le premier consiste à disqualifier comme obsolète tout ce qui s’est fait
avant le développement de l’univers numérique. Pris dans le mouve-
ment vertigineux de l’innovation, certains ne cessent, de manière plus
ou moins performative, de mettre en évidence les nouvelles pratiques
qui, selon eux, périment irréversiblement les cadres de pensée antérieurs.
On ne compte plus les essais qui disent « la fin de » telle ou telle caté-
gorie que l’on pensait inamovible : le texte, le sujet, la lecture, le sens,
l’État, la société, l’individu, l’actualité, le lien social… Mais il existe aussi
PARCOURS EN ANALYSE DU DISCOURS / 137

l’écueil symétrique, qui consiste à s’arc-bouter sur les présupposés aux-


quels sont accoutumés les analystes du discours, à postuler que d’une
certaine façon tout a déjà été dit dès l’origine. On adopte ainsi une atti-
tude proche de l’herméneutique religieuse qui consiste à chercher, par
une lecture appropriée, dans des textes jugés fondateurs les réponses à
des problèmes dont on peut douter qu’ils puissent être pensés à travers
leurs catégories.
La bonne attitude se situe nécessairement entre ces deux extrêmes.
D’un côté on ne saurait accorder un crédit absolu aux théoriciens du
discours qui sont antérieurs au développement des nouvelles techno-
logies, croire donc que les concepts seraient indéfiniment valides. Mais
d’un autre côté il faut aussi se refuser aussi à croire qu’internet disqualifie
irrévocablement les présupposés théoriques antérieurs. Le problème est
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qu’il n’existe aucun consensus sur ces présupposés, aucun moyen assuré
de dire si l’on se trouve ou non dans la continuité de tel ou tel penseur.

2. 3. La question des corpus


Le troisième point que j’aimerais souligner est davantage lié à mes pré-
occupations personnelles. Comme je l’ai dit plus haut, au début de mon
parcours en analyse du discours je me suis trouvé en marge du champ par
le seul fait que je m’intéressais au discours religieux (circonstance aggra-
vante, à un corpus du xviie siècle). Par la suite, j’ai élargi ma réflexion
à un ensemble plus vaste, les « discours constituants » (Maingueneau
et Cossutta 1995 ; Maingueneau 1999), profondément différents des
types de textes qui fournissent la très grande majorité des corpus étudiés
par les analystes du discours.
Le problème est que, quelque quarante ans plus tard, les choses ne
semblent pas avoir fondamentalement changé. Le discours religieux,
le discours philosophique, le discours littéraire, et plus largement ce qui
relève de l’esthétique, sont très peu étudiés par les analystes du discours
(il en va différemment pour la « théorie du discours » qui, elle, entretient
des liens étroits avec la réflexion sur l’art, en particulier dans les études
postcoloniales ou féministes). Certes, le discours scientifique est très étu-
dié, mais c’est le plus souvent dans une perspective de linguistique tex-
tuelle, au sens large, de langue de spécialité ou de rhétorique contrastive
où l’on compare des articles de différentes disciplines ou de différentes
traditions intellectuelles ; en d’autres termes, ces travaux sont beaucoup
plus orientés vers l’étude des propriétés des textes que vers le discours,
l’intrication de contenus et de pratiques à travers lesquelles s’organisent
des communautés.
138 / DOMINIQUE MAINGUENEAU

Non seulement, la situation n’a pas fondamentalement changé par


rapport aux années 1970, mais on peut même dire qu’en Europe elle
s’est aggravée, avec la multiplication des travaux sur les médias et le web,
d’une part, et la pénétration progressive des travaux sur la conversation
menés aux États-Unis. Certes, ces problématiques interactionnistes ont
considérablement enrichi notre appréhension du discours, mais elles
ont aussi eu pour conséquence d’ériger implicitement en situation de
référence l’oralité en face à face, d’instituer une « norme dialogique »
(Paveau 2010) à l’aune de laquelle sont évaluées les autres pratiques
discursives. Ce présupposé a pu lui-même s’appuyer sur ceux qui ont
permis de fonder la linguistique du xxe siècle, qui, pour s’écarter des
approches philologiques, a fait de la primauté de l’oral un des piliers de
sa démarche. Or, même s’ils intègrent un grand nombre de pratiques
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orales, les discours constituants sont communément perçus avant tout
comme des ensembles de textes écrits qui, circonstance aggravante,
semblent relativement détachés des conflits sociaux contemporains.
Outre le web, dont l’importance va croissant, les études de discours
investissent massivement deux grands ensembles de données : les inter­
actions conversationnelles et les corpus institutionnels de type politique,
médiatique et scolaire au sens large. Les deux tendances se combinent
d’ailleurs souvent, par exemple quand on étudie les interactions dans des
contextes institutionnels (professeur-élève, médecin-patient…). Cela
s’explique par la demande sociale, mais aussi par le fait que les analystes
du discours ont tendance à s’intéresser à des textes dont la relation à la
société semble immédiate, c’est-à-dire, dans les faits, à des productions
verbales qui sont en général délaissées par les facultés de lettres. On voit
ainsi perdurer les partages traditionnels qui distribuent l’étude des pro-
ductions verbales en lectures herméneutiques de textes patrimoniaux
réservées aux « humanités » et en textes pris en charge par les départe-
ments de sciences sociales : entretiens, articles de presse, tracts, docu-
ments administratifs...
Or, il me semble que c’est rester en deçà des pouvoirs de l’analyse du
discours que de reconduire une division qui n’a pas de fondement épisté-
mologique. Les ouvrages d’introduction à l’analyse du discours ne disent
d’ailleurs jamais explicitement que les textes religieux ou littéraires, par
exemple, ne relèvent pas de leur domaine de compétence, mais ils les
excluent pratiquement à travers les problématiques qu’ils développent
et les exemples qu’ils commentent. Certes, il est plus facile à un ana-
lyste du discours d’étudier des magazines que des traités de théologie
ou des poèmes, mais plutôt que de choisir entre l’étude des « discours
PARCOURS EN ANALYSE DU DISCOURS / 139

constituants » et celle de Facebook ou des conversations, il serait plus per-


tinent de prendre acte du fait que dans l’univers du discours ­l’ensemble
des aires de production sémiotique interagissent.
Il est indéniable qu’une appréhension du discours dans toute sa
diversité a un coût en termes d’apprentissage pour les chercheurs, qui en
général ne sont pas familiers de certains types de discours. Si les corpus
politiques liés aux élections (tracts, programmes, débats médiatiques…),
par exemple, sont tellement étudiés, c’est qu’ils présentent divers avan-
tages pour les analystes. Non seulement, en s’appuyant sur une culture
partagée, ils intéressent a priori un public large, ce qui va donner davan-
tage d’audience à la recherche, mais encore ce sont des textes qui, éla-
borés par des locuteurs experts, sont passibles d’une approche de type
stylistique ; en outre, ils peuvent être aisément mis en relation avec le
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contexte socio-historique de leur production par le simple fait qu’ils s’or-
ganisent autour de stratégies de positionnement dans un champ bien
défini. En revanche, alors même que les conflits qui se réclament du
religieux sont aujourd’hui au cœur des débats de société, tant sur le plan
national qu’international, les travaux sur ce sujet issus de l’analyse du
discours sont très rares. Les spécialistes de sciences politiques mettent
en évidence les conflits sociaux qui sous-tendent le religieux, les his-
toriens des religions parlent des contenus doctrinaux, les psychologues
s’efforcent d’expliquer les processus de « radicalisation » des jeunes, mais
le discours religieux dans la complexité de ses pratiques n’est que margi-
nalement pris en compte.
La défiance de l’analyse du discours à l’égard de ce qui peut sem-
bler ressortir aux corpus des facultés de lettres va bien au-delà des dis-
cours constituants. Elle s’étend à des problématiques connexes. Par
exemple, le développement d’internet pose des questions d’une brû-
lante actualité sur la question de l’auctorialité ; pourtant, les travaux
d’analyse du discours – même ceux qui s’appuient sur les théories de
l’énonciation – ont largement ignoré cette problématique, sans doute
parce qu’elle était traditionnellement gérée par les études littéraires ou
philosophiques. C’est d’autant plus surprenant que cette question est
profondément discursive : non seulement elle met en cause la coupure
entre ce qui serait linguistique (l’énonciateur) et ce qui serait hors du
langage (­ l’individu socialement définissable), mais encore elle noue
étroitement les réflexions d’ordre linguistique avec des problématiques
médio­logiques et juridiques.
140 / DOMINIQUE MAINGUENEAU

2. 4. La globalisation
Le quatrième et dernier point que j’aimerais mentionner, ce sont les
effets de la globalisation sur les études de discours. Cette globalisation
concerne tous les champs du savoir, mais elle prend inévitablement un
tour différent pour chacun. Dans les sciences exactes, par exemple, cela
fait bien longtemps que l’espace national n’est plus pertinent. Mais en
matière d’étude du discours, il en va différemment. Le développement
des problématiques discursives s’est effectué dans les années 1960-1970
autour de trois pôles essentiellement – nord-américain, français, britan-
nique – qui étaient des espaces intellectuels nationaux. Aujourd’hui le
paysage a considérablement changé ; même si l’on parle par exemple
d’analyse « française » du discours, cela ne désigne pas les chercheurs
français, ni même francophones, mais des réseaux transnationaux qui
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regroupent des chercheurs partageant un certain nombre de présupposés
et de méthodes.
C’est là une évolution dont il est difficile de mesurer les consé-
quences. Que se passe-t-il quand les chercheurs ne s’appuient plus sur
les présupposés qu’impose une tradition scientifique localisée, enracinée
dans une histoire, une tradition qui, au-delà de l’étude des productions
verbales, imprègne de vastes secteurs du savoir ? Dorénavant, dans un
même pays on voit coexister des courants issus de traditions nationales
très diverses, ce qui peut provoquer aussi bien une ignorance réciproque
qu’une hybridation plus ou moins consciente. Ceux qui se réclament des
études de discours sont obligés, bon gré mal gré, de prendre position par
rapport à l’extrême fragmentation qui en résulte. Ils sont partagés entre
la tentation de s’attribuer le monopole du savoir (« seul le type d’analyse
du discours que je pratique étudie véritablement le discours »), la tenta-
tion du relativisme (« tout le monde a raison ») ou encore à l’éclectisme
(« il y a une part de vérité dans chacun »). Mais ce sont là des attitudes
auxquelles personne, dans les faits, ne peut réellement se tenir.
Dès lors qu’on assiste au désancrage des présupposés épistémo­
logiques à l’égard des traditions culturelles, sur quelles bases peut se
structurer durablement un champ de recherche qui serait transnatio-
nal ? Il est intéressant de noter que la globalisation des études de dis-
cours a suscité depuis quelques années un effort de réancrage dans des
traditions culturelles à travers le Journal of Multicultural Discourses ; son
directeur, Shi-xu, universitaire chinois, avance que les études de discours
sont typiquement « occidentales » et plaide pour le développement de
recherches qui non seulement se donneraient de nouveaux objets, igno-
rés par le « mainstream » des études de discours, mais le feraient avec
PARCOURS EN ANALYSE DU DISCOURS / 141

des présupposés épistémologiques différents. Pour lui, « the researcher


should unlearn the universalist, monological and imperialist theoretical
discourse, on one hand, and on the other, search for, study and re-inter-
pret unfamilar, foreign theoretical ideas » (Shi-Xu 2011 : 212).
Il est difficile d’évaluer si le projet de recréer des frontières épisté-
mologiques qui soient fondées sur des aires culturelles a réellement un
avenir ; on peut aussi considérer que ce n’est là qu’une revendication
transitoire, une manière pour de nouveaux entrants dans le champ de
marquer leur différence.

3. Conclusion
Dans la mesure où le champ des études de discours est relativement
récent, qu’il ne peut pas remonter à un ou deux fondateur(s) reconnu(s),
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qu’il se situe au carrefour de multiples disciplines, il évolue sans cesse.
On est bien obligé de s’interroger régulièrement sur son identité ou,
plus trivialement, de se demander à quel titre les recherches que l’on
mène à un moment donné en relèvent. En un demi siècle le monde a
considérablement changé : ce qui devait constituer par la suite le champ
des études de discours a émergé en différents endroits d’un monde qui
était structuré par la guerre froide entre le bloc soviétique et le monde
occidental, dans un monde d’oralité, d’écrit imprimé et de télévision.
Réfléchir ainsi sur l’évolution des études de discours, ce n’est pas seu-
lement s’inscrire dans une tradition caractéristique des analystes du dis-
cours francophones qui – et ceci dès la fin des années 1970 (Guilhaumou
et Maldidier 1979 ; Marandin 1979 ; Courtine et Marandin 1981 ;
Pêcheux 1983) – ont opéré des retours critiques sur l’émergence et le
développement de leur domaine. Il ne s’agit pas seulement, en effet,
de contester certains présupposés d’ordre épistémologique (les relations
entre énonciation et subjectivité, le statut de l’interdiscours, la concep-
tion que l’on peut se faire d’une formation discursive, de la subjectivité
ou du sens) ou certaines méthodes, mais de prendre acte de la trans-
formation des conditions de sa propre parole. À moins de récuser ce
qui légitime son entreprise, l’analyste du discours doit accepter que sa
recherche soit aussi du discours, avec tout ce que cela implique.
142 / DOMINIQUE MAINGUENEAU

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